carnet de bord d’un novice au long-cours

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Carnet de bord d’un novice au long-cours J’ai fait le tour de l’Atlantique pour 205 euros par mois Les Açores, les Canaries, les îles du Cap Vert, l'archipel des Bijagos, la traversée de l'Atlantique, Fernando de Noronha, le Brésil et la Guyane... Voilà toutes les escales que j'ai connues en 18 mois de croisière, grâce à un "simple" Bi-Loup 77 et pour seulement 205 euros par mois ! Au moment de m'accorder une longue pause, je vous livre le détail de mes comptes... Tout cela vous inspirera peut-être ! Après trois mois de préparation de mon modeste Bi-Loup 77 acheté d'occasion, je me suis élancé depuis Saint- Malo, fin juin 2009, cap vers les Açores. Du large et de la nuit en mer, mon expérience était alors nulle, car je n'avais jamais navigué qu'autour de Saint-Malo, sans dépasser Bréhat... Mais d'étape en étape, ce qui avait commencé par une aventure dantesque - voir l'article <Mon baptême du feu dans le golfe de Gascogne> - s'est changé en un sacré tour dans l'Atlantique. J'ai vu les Açores, les Canaries, les îles du Cap vert - voir l'article <Mon idée 'astronomique' pour remplir ma caisse de bord> . Avec Rita, que j'ai rencontrée en chemin, nous avons ensuite gagné les Bijagos, un archipel méconnu de Guinée-Bissau - voir l'article <Notre escale inoubliable aux Bijagos, îles oubliées> . Et puis nous nous sommes lancés dans la traversée de l'Atlantique... Fernando de Noronha et le Brésil, c'était pour nous - tout ça est à retrouver dans l'article <Notre première traversée de l'Atlantique en Bi-Loup> . Et puis, nos finances ont atteint un niveau alarmant et il a bien fallu se résoudre à mettre entre parenthèses cette croisière enchantée. Il était temps de refaire notre caisse de bord. Cap sur la Guyane pour une escale à durée indéterminée - voir l'article <Notre (dur) retour à la réalité> ... C'est de là que je dresse ce bilan financier. La durée de ces escales a varié : de un à quatre mois selon notre état de fatigue, le niveau de nos finances, la visite de nos familles respectives et l'attrait de chaque endroit... Ainsi, cette grande croisière nous a-t-elle pris environ 18 mois, pendant lesquels nous avons vécu pour environ 205 euros par mois et par personne, si l'on compte les frais de ports et de mouillage et la vie aux escales. Il faut y ajouter les frais de préparation du bateau et le compte y est, que je vous livre ici dans le détail. PRÉPARATION DE MON BI-LOUP 77 Mon bateau a été construit en 1988 ; je l'ai acheté d'occasion en 2005, pour 18 000 euros. Il avait très peu navigué, tout était en excellent état et paraissait neuf... Il y avait même encore la notice dans le four ! Bien qu'au début, je me contentais de navigations à la journée, j'ai toujours eu l'idée de partir un jour et dès que je tombais sur une bonne occasion, je n'hésitais pas à l'acquérir dans cette perspective : le détecteur de radar, le régulateur d'allure, les voiles de rechange, certaines cartes... Ça n'empêche que lorsque j'ai vraiment pris ma décision de partir, ma carte bancaire a bien chauffé ! La période de préparation d'Orca a duré trois mois. Voici la liste des postes les plus importants :

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Carnet de bord d’un novice au long-cours

J’ai fait le tour de l’Atlantique pour 205 euros par mois

Les Açores, les Canaries, les îles du Cap Vert, l'archipel des Bijagos, la traversée de l'Atlantique, Fernando de Noronha, le Brésil et la Guyane... Voilà toutes les escales que j'ai connues en 18 mois de croisière, grâce à un "simple" Bi-Loup 77 et pour seulement 205 euros par mois ! Au moment de m'accorder une longue pause, je vous livre le détail de mes comptes... Tout cela vous inspirera peut-être !

Après trois mois de préparation de mon modeste Bi-Loup 77 acheté d'occasion, je me suis élancé depuis Saint-Malo, fin juin 2009, cap vers les Açores. Du large et de la nuit en mer, mon expérience était alors nulle, car je n'avais jamais navigué qu'autour de Saint-Malo, sans dépasser Bréhat... Mais d'étape en étape, ce qui avait commencé par une aventure dantesque - voir l'article <Mon baptême du feu dans le golfe de Gascogne> - s'est changé en un sacré tour dans l'Atlantique.

J'ai vu les Açores, les Canaries, les îles du Cap vert - voir l'article <Mon idée 'astronomique' pour remplir ma

caisse de bord>. Avec Rita, que j'ai rencontrée en chemin, nous avons ensuite gagné les Bijagos, un archipel méconnu de Guinée-Bissau - voir l'article <Notre escale inoubliable aux Bijagos, îles oubliées>. Et puis nous nous sommes lancés dans la traversée de l'Atlantique... Fernando de Noronha et le Brésil, c'était pour nous - tout ça est à

retrouver dans l'article <Notre première traversée de l'Atlantique en Bi-Loup>. Et puis, nos finances ont atteint un niveau alarmant et il a bien fallu se résoudre à mettre entre parenthèses cette croisière enchantée. Il était temps de refaire notre caisse de bord. Cap sur la Guyane pour une escale à durée indéterminée - voir l'article <Notre (dur) retour à la réalité>... C'est de là que je dresse ce bilan financier.

La durée de ces escales a varié : de un à quatre mois selon notre état de fatigue, le niveau de nos finances, la visite de nos familles respectives et l'attrait de chaque endroit... Ainsi, cette grande croisière nous a-t-elle pris environ 18 mois, pendant lesquels nous avons vécu pour environ 205 euros par mois et par personne, si l'on compte les frais de ports et de mouillage et la vie aux escales. Il faut y ajouter les frais de préparation du bateau et le compte y est, que je vous livre ici dans le détail.

PRÉPARATION DE MON BI-LOUP 77 Mon bateau a été construit en 1988 ; je l'ai acheté d'occasion en 2005, pour 18 000 euros. Il avait très peu navigué, tout était en excellent état et paraissait neuf... Il y avait même encore la notice dans le four ! Bien qu'au début, je me contentais de navigations à la journée, j'ai toujours eu l'idée de partir un jour et dès que je tombais sur une bonne occasion, je n'hésitais pas à l'acquérir dans cette perspective : le détecteur de radar, le régulateur d'allure, les voiles de rechange, certaines cartes... Ça n'empêche que lorsque j'ai vraiment pris ma décision de partir, ma carte bancaire a bien chauffé ! La période de préparation d'Orca a duré trois mois. Voici la liste des postes les plus importants :

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test.jpg Matériel neuf Haubans : 700 € Panneau solaire de 45 W : 350 € Radeau de survie : 900 € Coffret de feux hauturier : 90 € Brassière : 90 € Lignes de vie : 25 € VHF portable : 85 € Radio BLU réceptrice : 180 € Spot halogène : 40 € Visserie diverse (panneau solaire, régulateur et rechange) : 200 € Mousse des coussins du carré : 130 € Matériel pour monter au mât tout seul : 80 € Divers accastillage, cartes (occasion), extincteurs, sac de survie, Sikaflex, antifouling, outillage, matériel de réparation pour voiles, ... : environ 350 € Mouillage : 1 ancre FOB 10 kg (cédée avec le bateau) et 40 m de chaine 8 mm : 120 €

Matériel d'occasion 1 génois léger : 100 € 1 GV : 100 € Régulateur Navik : 600 € (j'en ai un de rechange, d'état moyen, que l'on m'a gentiment donné avant de partir) Détecteur de radar Mer-veille : 250 €

Autres Assurance (pour 1 an) : 250 € Balise Spot (voir encadré ci-contre) et abonnement annuel : 230 €

Total préparation : 4 870 €

Frais de port à Saint Malo 2 mois sur le terre plein et 1 mois à l'eau : 650 €

La balise Spot a initialement été conçue pour les randonneurs : c'est un petit boitier de géolocalisation qui permet d'envoyer sa position à ses proches. (Son

fonctionnement sera détaillé dans le

prochain article, consacré au bilan

technique de mon Bi-Loup 77.)

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TOTAL AVANT DEPART : 5 520 €

> PRIX DE LA VIE AUX ESCALES Frais incluant les dépenses quotidiennes, l'alimentation, le gaz, l'essence, les autorités et les frais de port quand il y en a.

Açores : 1 mois Aux Açores, j'ai dû faire réparer ma GV (50 €) et j'ai racheté quelques bricoles. Frais de port : 250 €.

TOTAL Açores : 600 €

Canaries : 5 mois

test.jpg Aux Canaries, je suis resté 5 mois, d'octobre 2009 à fin février 2010. J'ai pu refaire ma caisse de bord en donnant des cours de navigation astronomique. C'est là que Rita m'a rejoint et que nous avons décidé d'aller aux Bijagos.

Mon budget mensuel était d'environ 400 € (hors frais de port), soit au total 2 000 €.

Par ailleurs, nous avons préparé Orca pour être autonomes durant un an de vagabondage, en considérant que l'on n'allait pas tout de suite remettre les pieds dans un shipchandler. Nous avons donc complété ou amélioré certaines choses : - le mouillage : achat d'une ancre Delta 10 kg, d'un grappin de 5 kg et de 30 m de bout 16 mm. - amélioration de l'aménagement intérieur grâce à des filets - puisque maintenant on est 2 - et pose de mains courantes. - réaménagement de la réserve d'eau et nouvelle étanchéité des hublots - achat de pièces de rechange pour le moteur, d'un kayak gonflable qui nous servira d'annexe,...

Total : 500 €

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test.jpg L'avitaillement a lui aussi été conséquent car nous voulions quelques petites choses qui améliorent le quotidien... Et nous avons été très satisfaits de nos courses, car même huit mois après avoir quitté les Canaries, nous tombions encore sur quelques petites surprises.

Total : 350 €

Frais de port des Canaries : 100 € par mois, soit 500 € pour les cinq mois.

TOTAL Canaries : 3 350 €

Après cette escale, le voyage a pris une tournure différente car nous étions deux, avec Rita, et nous sommes toujours restés au mouillage : plus ni frais de port, ni frais de matériel, ni d'assurance. Nous sommes partis fin février des Canaries et sommes restés 1 mois au Cap Vert, 4 mois aux Bijagos, 10 jours à Fernando de Noronha (aïe!), 3 mois au Brésil et enfin sommes arrivés en Guyane Française début décembre.

Voici le budget global par escale, incluant autorités, essence, gaz et nourriture et étant pour 2 personnes : Cap Vert (1 mois) : 300 € Bijagos (4 mois) : 400 € Fernando de Noronha* (10 jours) : 600 € Brésil (3 mois) : 750 € Guyane (où nous sommes actuellement) : 700 €, dont 200 € de frais de port, quelques charges (internet, portable...) et une vie plus chère qu'ailleurs.

* Fernando de Noronha est une escale particulière. Etant une réserve naturelle, toute personne venant sur les îles, que ce soit par avion ou par bateau, paie une taxe journalière pour l'environnement, celle-ci étant de l'ordre de 8 €. Le mouillage est lui aussi payant, le tarif variant en fonction de la longueur du bateau. Moins de 10 m, 25 euros/jour. Plus de 10 m, 100 €/jour ! Les autorités ont certes été très sympas, nous faisant quelques réductions, cette escale paradisiaque n'en reste pas moins chère. Mais bon, on n'y passe pas tous les jours et après nos 4 mois aux Bijagos, nous avons beaucoup apprécié, d'autant que l'accueil que nous ont réservé les autorités est exemplaire.

Total 2010 : 4 400 €, soit 2 200 € par personne pour 1 an.

TOTAL : 12 220 €

Si l'on ne compte que ce que nous avons dépensé aux escales, nous avons donc vécu pendant 18 mois, tout autour de l'Atlantique, pour 205 euros par mois et par personne. Si l'on ajoute à ça tout ce qui a trait à la préparation et à l'entretien du bateau, cela nous a coûté 370 euros par mois et par personne.

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test.jpg A noter que nous avons eu très peu d'extras. Nous sommes allés uns fois dans un restaurant local aux Bijagos (3 €) et un peu plus souvent au Brésil, quand nos mères sont venues ou lors de la visite de mon père en Guyane. Nous faisions attention, achetions toujours local, mais ne nous privions pas non plus. Nous avons néanmoins très bien vécu et, aimant beaucoup pêcher, nous n'achetions jamais de poisson. Je suis rentré une fois en France, depuis les Canaries, pour les fêtes de Noël et Rita est retournée un mois en Europe depuis le Brésil. Notre escale en Guyane Française devrait durer un an ou deux, le temps de nous permettre de refaire la caisse de bord et de décider des prochaines étapes.

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Notre (dur) retour à la réalité

Quitter le Brésil pour la Guyane est un nouvel arrachement, que les heures de barre passées en solitaire (Rita, un peu malade, reste à l'intérieur d'Orca) ravivent. Photo © Ioannis Rousseaux Du large et de la nuit en mer, mon expérience est nulle, car j'ai navigué autour de Saint-Malo sans jamais dépasser Bréhat ; mon voilier est un Bi-Loup 77 acheté d'occasion et baptisé Orca. Pourtant, à 32 ans et après avoir quitté mon emploi, je décide de franchir le pas et de me lancer dans ma première traversée.

A une descente sur les Açores (terrible), succèdent des escales aux Açores (où je rencontre Rita), aux Canaries, aux îles du Cap Vert et enfin aux Bijagos, où nous passons plusieurs mois avant de nous lancer... Dans la traversée vers Fernando de Noronha et Mundau, au Brésil !

Là, nous vivons à nouveau quelques mois merveilleux, jusqu'à ce que l'évidence se fasse : nos comptes en banque sont quasi vides. Nous mettons alors le cap sur la Guyane Française, incertains quant à la suite de nos aventures... Voici la suite de notre carnet de bord.

Mundau (Brésil) - Guyane Française 900 milles - 7 jours Être en voyage est parfois difficile. Suite à notre escale prolongée à Mundau - un petit village de pêcheurs, situé au Nord-Ouest de Fortaleza, sur la côte brésilienne -, nous devons remonter vers la Guyane et penser à retravailler. Les trois mois ici sont passés trop vite...

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Contraints par la nécessité financière, nous avons quitté le Brésil cet automne, pour gagner la Guyane Française où Orca va maintenant rester un à deux ans. (Cliquez sur la carte pour l'agrandir et mieux voir notre périple.) Photo © D.R. (Google / 2010 Europa Rechnologies / 2010 Tele

Atlas) Les adieux avec la famille de Roberto et Ivanie, qui nous ont accueillis, ont beau être rapides, impossible de retenir nos larmes. Le grand-père aussi pleure... Et les enfants nous regardent comme si nous étions des traitres. Vraiment dur.

Nous levons l'ancre d'Orca qui n'a pas bougé depuis trois mois - ce qui ne se fait pas sans mal. On a presque envie qu'elle reste accrochée, qu'il y ait un problème et que l'on trouve ainsi une excuse pour retarder ce départ.

Mais quelques minutes plus tard, nous prenons le chemin de la sortie, au moteur, et au milieu des déferlantes que l'on a si souvent bravées pour aller à la pêche avec David. Au loin, on aperçoit Roberto agiter le drapeau du Céarà, son état... Et surtout son équipe de foot !

Comme souvent dans cette zone du Brésil, le vent souffle et nous nous contentons du génois. Notre Bi-Loup 77 avance, équilibré, sous régulateur d'allure.

Rita, elle, a le ventre un peu en vrac et préfère rester à l'intérieur. Je me retrouve seul dehors à surveiller les éventuels bateaux de pêche et ne peux m'empêcher de repenser à notre dernière escale, aux bons moments que nous avons vécus et à la chance que nous avons de pouvoir vivre ainsi.

Qu'est-ce qu'on aime cette vie-là ! Découvrir un

endroit, cueillir des fruits, discuter, lire, vivre à son

rythme.

La traversée jusqu'en Guyane se fait sans aucun problème. Seule la première journée est un peu ventée... Ces fameux alizés du Sud-Est ! Plus on remonte Nord, plus les vents s'orientent Est et faiblissent. On ne croise pratiquement aucun cargo, bien que l'on reste au niveau de la ligne des 200 mètres de fond qu'ils suivent habituellement, afin d'économiser du carburant.

La mer est belle, le temps dégagé, le vent léger, mais un courant assez fort nous permet de faire de belles moyennes. Le plus souvent, Orca est sous GV et génois tangonnée en ciseaux. C'est la plus belle traversée qu'on ait faite depuis notre départ des Canaries ! Au petit matin, nous repassons l'équateur... Sans même prendre la peine de nous lever, ce qui nous fera bien marrer après coup. Sur le journal de bord, j'écris : <Nuit : RAS, 0 cargo, on a dormi comme des bébés, et on a passé

l'équateur !> Bizarrement, un petit poisson nous suit toute cette journée-là, alors le soir, nous refaisons quand même notre pizza Zéro.

Orca, mon Bi-Loup 77 > Le Bi-Loup 77 est un biquille de 7,60 mètres, dessiné et construit par Whighton Yachts, au tirant d'eau faible, idéal pour s'échouer. > Orca date de 1988 ; je l'ai eu d'occasion pour 18 000 euros (avec la remorque), en 2005. Son équipement est très simple : un détecteur de radar Mer-Veille, un régulateur d'allure Navik, une VHF portable, une radio grandes ondes, une balise spot permettant à mes proches de suivre ma trajectoire et, étant passionné par la navigation astronomique, un sextant. Pas de sondeur ni de speedo, d'anémomètre, de GPS, ou de loch. > Pour l'énergie, j'ai un panneau solaire de 45 W posé sur le balcon arrière, en partie orientable, qui suffira largement, tant en traversée qu'au mouillage : le moteur HB Yamaha 4 temps de vingt ans d'âge ne sera jamais mis en route pour recharger la batterie.

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L'étape entre Mundau, au Brésil, et la Guyane Française me semble être la plus belle de mon périple : beau temps et navigation paisible. Photo © Ioannis Rousseaux La dernière nuit, nous essuyons quelques grains et les pêcheurs sont nombreux : hors de question de dormir, donc. Le lendemain, un peu avant notre arrivée, les affaires maritimes viennent à notre rencontre et, après quelques échanges à la VHF, nous souhaitent la bienvenue en Guyane. Le chenal d'entrée au port de Dégrad de Cannes, situé au Sud-Est de Cayenne, est long et le moteur recommence à faire des siennes. Il finit par caler, juste avant que nous accostions, alors que nous venons de nous mettre à couple. Je suis bon pour un nouveau nettoyage du circuit !

Port de Dégrad de Cannes - Guyane Française Comme le laisse supposer son nom, le port est dégradé ! Quoique ici, <dégrad> désigne une jetée. Mais il faut dire ce qui est : ce port est moche, situé devant le port de commerce, qui vous envoie gentiment de bonnes odeurs. A marée haute, un clapot assez désagréable se charge de tester la résistance de vos amarres. Pas mal de bateaux sont à l'abandon, certains ont la clim' et la machine à laver sur pont - ce n'est pas bête. L'eau est marron, propice à la pêche à l'épervier, mais pas vraiment encourageante pour ce qui est de la baignade.

Les gens râlent pas mal... Je me dis que c'est typiquement français, car se plaint-on autant en Afrique, au Brésil, au Cap Vert ? Non, bien que la vie là-bas soit nettement moins facile ! Moins futile, aussi. Ici, certains se tirent dans les pattes pour obtenir une place et c'est tout un cirque. Nous qui nous faisions une joie de retrouver la vie de ponton, notamment pour avoir l'eau douce à volonté ! On serait aussi bien au mouillage... Heureusement, il y a des gens sympas... Mais cela ne m'empêche pas d'avoir le cafard pendant trois jours. Bon sang, qu'est-ce qu'on fout là ?

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Nous profitons de la visite de mon père en Guyane pour faire de petites croisières vers l'îlet La Mère et les îles du Salut. Photo ©

Ioannis Rousseaux Le port se trouve à 15 kilomètres de Cayenne et, sans voiture, on se sent un peu isolés. Quelqu'un nous emmènera finalement voir le marché, ce qui nous redonnera le sourire. C'est coloré, parfumé et il y a autant de langues parlées que de variétés de fruits exotiques. La Guyane se trouve entre le Suriname, une ex colonie hollandaise, et le Brésil, et la population locale est composée de Guyanais, de métropolitains, d'Asiatiques, d'Amérindiens, de Saramacas... Vous voyez le genre ! On se sent ici partout, sauf en France ! Seuls les prix nous rappellent à l'ordre ! Comment les mangues que l'on payait 50 centimes du kilo au Brésil peuvent-elles être vendues à 3 euros, ici ?! Et elles sont moins bonnes ! Aïe ! Voilà que moi aussi, je commence à râler.

Îlet La Mère et îles du Salut Quelques jours plus tard, mon père nous rend une visite surprise. Il nous a apporté des confitures maison, du champagne (venu de ma région natale) et du ratafia (un alcool fort lui aussi champenois), pour le plus grand plaisir de Rita qui en raffole. Mon père ne connaissait pas encore Rita, mais ils se sont bien entendus. Il restera trois semaines avec nous.

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Photo souvenir type de la forêt vierge, au pied d'un arbre gigantesque. Photo ©

Ioannis Rousseaux C'est bientôt mon anniversaire : 33 ans. Orca et moi recevons, entre autres, de nouvelles poêles (vraiment) antiadhésives, de belles brosses métalliques (pas rouillées), des livres, et un beau gâteau avec une bougie musicale ! Merci Rita, merci Babas !

Dès que l'on a fini de régler certains détails, nous partons tous les trois pour une petite croisière. Nous rejoignons d'abord l'îlet La Mère qui se trouve à quelques milles seulement. Le mouillage est un peu rouleur, mais l'île est très jolie. Seuls, nous retrouvons vite nos bonnes habitudes ! Nous faisons un tour à terre, où de petits singes pas farouches crapahutent dans des manguiers énormes. Qu'est-ce qu'on aime cette vie-là ! Découvrir un endroit, cueillir des fruits, discuter, lire, vivre à son rythme.

Puis, nous mettons le cap sur les îles du Salut, au Nord-Ouest. Le manque de vent nous oblige à faire route au moteur et nous arrivons, tranquillement, de nuit. Ici, l'eau est plus claire et invite à la baignade ! Il fait beau et le décor fait un peu carte postale. Les îles du Salut ont pourtant été occupées par les bagnards et voir cet endroit reconverti dans le tourisme est assez étrange... Flâner au milieu des vestiges où des gens ont souffert ne laisse pas insensible. Et le soleil, les cocotiers à foison, l'eau presque bleue ne peuvent pas grand chose contre ce léger malaise. Du moins, c'est ce que j'ai ressenti. Mon père ayant le mal de mer, nous écourtons un peu notre escale et levons l'ancre pour traverser vers Kourou, juste en face.

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Vue directe sur la mer et sur la mangrove... Le ponton de Kourou est particulièrement accueillant et les voisins sont supers. Photo ©

Ioannis Rousseaux Kourou Avec Rita, nous avions eu l'occasion de visiter ce petit port et avions tout de suite décider de venir nous y installer. Moins de bateaux, une ambiance plus saine, pas de clapot et la ville au bout du ponton. On peut aller chercher le pain à pied... La boulangerie étant très bonne, on hésite souvent sur ce qu'on veut acheter, tellement on voudrait tout prendre, et la vendeuse qui voit la file de clients s'allonger nous jette des regards noirs.

KOUROUCOUCOU !

L'idée que l'on se fait de la forêt tropicale est assez vraie : dense, gigantesque, parfois majestueuse, parfois inquiétante. Photo © Ioannis Rousseaux Kourou est une petite ville agréable à vivre, occupée en partie par les activités liées au centre spatial et les légionnaires. Au port, c'est chouette aussi. Du ponton, nous voyons la mer et la mangrove.

Je n'ai jamais été aussi heureux et n'ai jamais eu aussi peur.

Très vite, nous nous lions d'amitié avec Laurent - qui a acheté son bateau et projette de partir bientôt -, Nico - en formation skipper pro et rêvant de voiliers et de glaces -, Denis - qui a bouclé trois tours du monde -, Eric - qui retape entièrement un Joshua -, Jean-Claude et son Schpountz, Théodore... L'ambiance est sympa : apéro-ponton le vendredi

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soir, bricolage, échange de conseils et petite balade aux îles du Salut (quand on se motive et que le bateau n'est pas pris dans la vase).

La ville est aussi aux portes de la nature et il n'est pas rare de faire un petit écart, sur le ponton, pour éviter les serpents qui, paraît-il, ne sont pas dangereux. Avec mon père, nous faisons quelques balades à pieds et en kayak dans cette forêt absolument gigantesque. L'image que l'on peut avoir de la forêt amazonienne, très haute, compacte, étouffante, est bien réelle. Je suis admiratif devant les indiens qui ont su apprivoiser un milieu qui paraît si hostile... Et encore, nous nous y promenons équipés, habillés des pieds à la tête quand eux sont torses nus ! Impensable !

Fêter Noël par 30°C est une autre ambiance, pas déplaisante. Mon père est avec nous pour ces fêtes de fin d'année et en arrière plan, on distingue le "sapin de Noël" bricolé par Rita. Photo © Ioannis Rousseaux Les jours passent et c'est bientôt Noël, quoique quand il fait 30°C, on a tendance à l'oublier ! Sans compter que les rues ne sont pas beaucoup décorées. Rita récupère une branche pour en faire un arbre de Noël, qu'elle attache sur le régulateur d'allure. Des fruits qu'elle a cueillis en forêt font office de boules. Et pour les cadeaux, chacun fera un petit tour de son côté, avec sa carte bleue.

Ce seront de belles fêtes de fin d'année, passées sur Orca que l'on se sentirait coupables de laisser seule à ces occasions... Elle fait un peu partie de la famille ! Mes parents lui font d'ailleurs de petits cadeaux, en témoignage de leur affection.

Le 31 janvier, c'est aussi l'anniversaire de Rita. Pas très entrainés, nous nous couchons tous les deux peu après minuit. (Mon père est reparti après Noël, ratant de peu le tir de la fusée Ariane ! Cela nous a fait plaisir qu'il soit là, avec nous, et qu'il se fasse une idée de notre quotidien - lui qui est originaire de Champagne est plus habitué aux étendues de vignes et de blé !)

Lancement d'une fusée, qui n'a rien d'un signal de détresse. A Kourou, c'est Ariane qui est la star. Photo © Ioannis Rousseaux Quelques jours plus tard, Rita prend l'avion pour la Suède, où elle va travailler. Il est prévu qu'elle revienne me voir, six semaines tous les deux mois. Cette année va être différente... De mon côté, je me mets à la recherche d'un boulot. Inscription dans les agences d'intérim, consultation des offres d'emploi, envoi de CV et de lettres de motivation... Un passe-temps qui ne m'avait pas manqué.

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Retour à la réalité N'ayant toujours rien trouvé après un mois de recherche, j'accepte une mission d'intérim en tant que manoeuvre sur un chantier de construction d'un centre photovoltaïque, pas très loin de Kourou. Dix heures par jour de boulot. Il fait encore nuit quand je pars et je rentre à la tombée du jour. Je passe mes journées à marcher dans la boue, à porter des barres métalliques et à boulonner... Alors que je devrais être à la place du chef de chantier. Mais pour l'instant, je n'ai pas trop le choix. J'en profite quand même pour apprendre comment fonctionne cette installation de 200 000 panneaux solaires. L'électricien est très sympa et avec l'équipe portugaise, il n'y a aucun problème de communication.

Mes recherches de boulot n'ont pas été très fructueuses et je me suis résigné à accepter un contrat d'intérim, sur un chantier de construction d'un centre photovoltaïque, pas exactement dans mes compétences, mais bon... Photo © Ioannis Rousseaux Petit à petit, je noue des contacts et mon CV circule. Audrey, une ancienne amie et collègue de métropole m'aide beaucoup, de même que Nathalie que j'ai rencontrée par son intermédiaire ; tous les gens que je rencontre y mettent du leur. En mai prochain, l'école de voile me propose de me charger de la partie navigation astronomique du "Capitaine 200". Fred, le gérant de cette école - la seule de Guyane, mais une vraie référence -, est très dynamique : école de croisière, construction de deux RM 9,80, "Capitaine 200", location du cata pour des expéditions scientifiques, du charter...

Pour l'heure, Orca est toujours à Kourou et je poursuis ma recherche d'emploi. Je profite d'ailleurs de cet article pour envoyer une bouteille à la mer, avec mon CV dedans. Vous pouvez le consulter en cliquant ici. A la base, j'ai une formation d'ingénieur en environnement et cherche un emploi dans ce domaine, idéalement dans le traitement de l'eau ou ce qui touche aux énergies renouvelables. Question mobilité géographique et voyages, pas de problèmes, vous l'aurez compris ! Qui sait ? Mon employeur est peut-être un passionné de voile !

Et voilà ! Une étape est franchie ! Parti comme débutant, je le suis un peu moins aujourd'hui et le bilan technique est vraiment bon car - touchons du bois -, je n'ai rencontré aucun gros problème... (La préparation compte, c'est sûr, mais merci Orca quand même !)

N'empêche qu'en embarquant de France, avec comme seul but de gagner les Açores, j'étais bien loin de m'imaginer qu'un jour, Orca serait amarrée en Guyane, après être passée par des pays dont je ne connaissais rien ! Je ne me doutais pas non plus que l'on serait deux !

Remerciements Evidemment, je tiens ici à remercier ma famille, qui m'a suivi dans un projet dont elle ne connaissait pas grand chose ; j'espère un jour pouvoir faire autant preuve d'ouverture d'esprit qu'eux... C'est vrai aussi que je ne leur ai guère laissé le choix, et que ma mère ne sera vraiment contente que

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Mais le voyage s'est fait de lui-même, petit à petit, et tout s'est (trop) bien passé. Voir des modes de vie différents nous a aussi fait réfléchir, et on se rend compte que l'on a une sacrée chance de pouvoir faire ça. Réaliser ses rêves est bien quelque chose de merveilleux. Les moments que l'on a pu vivre sont extraordinaires.

Si je voulais schématiser, je dirais que ce mode de vie est plus intense. Parfois l'on pleure de joie, parfois on se sent au bout, physiquement. Tantôt, on trouve la vie tout à fait merveilleuse, tantôt on se rend compte que l'on aurait pu y passer. C'est une vie tendue entre ces deux extrêmes, mais c'est son prix.

Depuis que j'ai pris ma décision de partir, j'ai l'impression de surfer sur une vague gigantesque, qui me pousse en avant, quand bien même j'essaierais de la stopper. Je n'ai jamais été aussi heureux et n'ai jamais eu aussi peur. Et quand on me parle de mes points de retraite, je souris !

Orca devrait maintenant rester en Guyane, un an ou deux, tout dépendra du boulot. De toute manière, l'année qui vient de s'écouler a été si riche que je pense avoir besoin de temps pour l'assimiler avant de pouvoir repartir... Parfois, j'ai l'impression que tout va trop vite, que l'on vit trop de choses.

I.R.

quand je serai rentré ! (Je vais attendre un peu avant de lui dévoiler mes autres projets.) Je salue aussi les amis qui m'ont aidé dans ma préparation, pour les soudures et les cours de navigation astronomique... Et particulièrement ceux d'entre eux qui ont toujours gardé contact avec moi - on n'imagine pas le plaisir de pouvoir parler à un ami de temps en temps -, d'autant qu'avec mon budget serré, ce sont plus souvent eux qui m'on appelé et je leur en suis grandement reconnaissant. Merci aussi à toute l'équipe de Voiles et Voiliers, et plus particulièrement à Manon et Hervé avec lesquels cela a été un réel plaisir de "travailler" et de publier ces articles. Enfin, j'ai une pensée chaleureuse pour vous, les lecteurs qui avez suivi cette série d'articles qui, je l'espère, vous a fait voyager et donné l'envie d'en faire autant. Vos commentaires ont souvent été très élogieux et nous ont émus.