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nouvelles Eaux troubles Camille Deslauriers Extrait de la publication

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nouvelles

EauxEaux t r o u b l e st r o u b l e sEaux t r o u b l e s

Eaux troubles

Camille DeslauriersCamille Deslauriers

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ISBN 978-2-89502-311-1

Mademoiselle Moema, arrêtez de végéter et remettez-vous au travail. « Végéter ». Moema a tout de suite adoré ce verbe. Elle en a véri� é le sens dans son dictionnaire. Et de là : végétal cellulose collodion, polymère thallophyte bactérie. Parasites. Subitement, toute la classe qui attrape des poux. Quand elle ouvre le dictionnaire, Moema y saute à pieds joints, telle une enfant dans une � aque d’eau boueuse, et elle éclabousse allègrement le réel.

Moema, Émilie, Nicolas, Marc-Aurèle et les autres sont en adolescence, comme on dit en amour, en rébellion, en quête de l’inconnu. Entre un cours de français et un examen de maths, ils jettent des ponts sur l’eau trouble de leur vie : dessiner pour survivre à la disparition de son père en Afghanistan ; danser jusqu’au vertige sur le parapet du pont Jacques-Cartier pour mieux se rapprocher de sa vraie mère ; plonger dans les mots pour neutraliser la  brutalité raciste. Troquer la seringue contre le violoncelle, surmonter les premières trahisons de l’amour ou choisir la dissolution totale. Troubles, les  relations familiales, l’identité, l’amitié, le corps, la sexualité, l’imagination, l’avenir…

Avec justesse et � nesse, Camille Deslauriers traduit les déchirements et les exaltations de l’adolescence. On retrouve dans Eaux troubles l’écriture souple et poétique de son précédent livre, Femme-Boa.

Illustration de la couverture : Joanna Szachowska-Tarkowska

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EAUX TROUBLES

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De la même auteure :

Femme-Boa, nouvelles, L’instant même, 2005.

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CAMILLE DESLAURIERS

Eaux troubles

nouvelles

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Maquette de la couverture : InterscriptIllustration de la couverture : Joanna Szachowska-TarkowskaPhotocomposition : CompoMagny enr.

Distribution pour le Québec : Diffusion Dimedia539, boulevard LebeauMontréal (Québec) H4N 1S2

Distribution pour la France : Distribution du Nouveau Monde

© Les éditions de L’instant même, 2011

L’instant même865, avenue MonctonQuébec (Québec) G1S [email protected]

Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2011

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québecet Bibliothèque et Archives Canada

Deslauriers, Camille

Eaux troubles : nouvelles

ISBN 978-2-89502-311-1

I. Titre.

PS8607.E763E28 2011 C843’.6 C2011-941272-1PS9607.E763E28 2011

L’instant même remercie le Conseil des Arts du Canada, le gouvernement du Canada(Fonds du livre du Canada), le gouvernement du Québec (Programme de créditd’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC) et la Société de développementdes entreprises culturelles du Québec.

L’auteure remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son appuifinancier.

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À Francis, qui m’aide à tenir la barre, en eau calmecomme en eau trouble.

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Le rêve est très utile, c’est même la meilleure façond’apprivoiser la réalité.

Jacques Poulin, Les yeux bleus de Mistassini.

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Cent quatre-vingts degrés

Nicolas dessine. Audrey, la psychologue de l’école, abeau répéter ses questions le plus gentiment possible,essayer de le faire parler de sa passion pour les arts

plastiques, de ses auteurs de bédé préférés, de la musique qu’ilécoute dans ses temps libres, des rêves qu’il a faits récemment,de n’importe quoi hormis du drame familial qu’il vit depuisquelques mois, Nicolas ne répond pas.

Il dessine.Des avions, des obus, des blessés. Et un immense fleuve

rouge, avec des corps à la dérive. Beaucoup de corps à ladérive. Des casques, des armes, des uniformes qui se liquéfient,deviennent des algues noires en forme de visages qui hurlent.

Une heure, des dizaines de bouches qui crient et un longsilence obstiné. Une fois de plus, la consultation se terminecomme elle a commencé : par un trait de crayon.

* * *

Nicolas dessine. Au lieu de répondre aux questions del’examen de mathématiques, il dessine. D’abord sur le question-naire, ensuite sur la feuille-réponse. Entre les colonnes de

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Eaux troubles

chiffres, les parenthèses et les racines carrées pousse unedangereuse végétation. Des arbres morts, dépouillés de leursbranches, qui ressemblent à des pieux. Avec son rapporteur,Nicolas s’amuse à mesurer précisément les angles aigus et lahauteur de chacune des cimes, bientôt pointues comme deslames.

Quand on fait pivoter le dessin de cent quatre-vingts degrés,la forêt prend les allures d’une dentition asymétrique dont leciel et la terre seraient les lèvres. Les lèvres d’un monstre. Descadavres de soldats plein la gueule.

Et du sang. Beaucoup de sang qui dégouline des commissures.Quelle est la racine carrée de la haine ? Le désespoir se

résume-t-il à un chiffre premier ? Quelle est la somme desfamilles estropiées par la guerre ?

Nicolas déchire bruyamment son dessin et toutes les têtesse tournent, accusatrices. L’examen compte pour vingt-cinqpour cent de l’étape.

Même s’il dérange les autres élèves, Solange Sansregret nedit rien. La Sansregret n’a aucune autorité. Dommage. Cettefois, elle n’aura pas le plaisir de souiller sa copie d’un énormezéro rouge dans la marge.

Comme d’habitude, à la fin de la période, elle va l’envoyerchez le directeur.

Nicolas s’en fout.Quatre moins un égale trois égale guerre. Après tout, un

père porté disparu en Afghanistan, ça ne changera pasgrand-chose à la vie de sa famille. Il n’était jamais là. Oupresque.

* * *

Gauthier, le prof de français, est malade.

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Cent quatre-vingts degrés

Mais pour qui elle se prend, au juste, cette remplaçante àlunettes ? On va écrire un récit vraisemblable où le héros vitune transformation psychologique. Elle peut bien s�étoufferavec son schéma narratif, sa situation initiale, son élémentdéclencheur, sa situation finale, ses tournures interrogatives,ses verbes vivants et son sens figuré.

Non, il n’écrira pas.Il va dessiner. Les verbes ne sont pas vivants. Les interro-

gatives seront toujours sans réponse. Et les pères se tuent ausens littéral.

On va écrire un récit vraisemblable. On va écrire un récitvraisemblable. Pour créer un personnage, la jeune enseignantepropose de s’inspirer de photographies, qu’elle fixe au tableaules unes à la suite des autres, avec de la gomme bleue.

Les images sont mal disposées.Parmi elles, la photographie d’un enfant étranger, endormi

au milieu des ruines, dans un pays dévasté par la guerre. Unpays où les pères pourraient bien devenir des portés disparuspeut-être morts.

Nicolas dessine l’enfant. Couché dans un panier d’osier.Ballotté sur un immense fleuve rouge, entre des corps à ladérive. Beaucoup de corps à la dérive. Des casques, des armes,des uniformes qui se liquéfient, deviennent des algues noiresen forme de visages qui hurlent.

L’enseignante s’approche de Nicolas. Étonnamment, elle nesemble pas rebutée par la violence qui éclabousse le blanc desa page. Elle se dit même touchée par son sens de la métaphoreet son extrême souci du détail.

La métaphore ?Et si tu dessinais ton récit dans des petites cases, comme si

c’était une bande dessinée ?

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Eaux troubles

Nicolas dessine. Et peu à peu, à son insu, les bulles segreffent aux bulles, les mots se greffent aux mots. C’estl’histoire d’un père qui a abandonné son fils parce qu’il aimaitmieux les enfants de l’autre bout du monde.

* * *

Nicolas dessine. Sa nouvelle professeure de français, fullplus cool que Gauthier, a proposé qu’il devienne le caricaturisteofficiel du journal de l’école.

Cent quatre-vingts degrés. Nicolas sourit.De bulle en bulle, de mot en mot, de père en père, quand on

invente, on peut même changer le cours de sa vie.

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Ancolie

Non. Jacinthe Sénéchal, la professeure d’arts plastiques,n’a pas raison. Moema n’est pas encore dans la lune.Elle s’invente une existence végétale. Elle s’enfonce

dans la jungle des « si j’étais ». Si j’étais liane, si j’étais lierre,si j’étais lichen…

Peindre une nature morte à la manière de Cézanne ou deChardin ne l’intéresse pas. À peine deux coups de pinceau et,déjà, elle divague, elle délire, elle s’envole loin de son corps demulâtre filiforme à la tignasse crépue. Elle décline sa vie danstous les tons de vert : pomme, olive, pistache, tilleul, amande,avocat, algue marine.

* * *

Non. Moema n’est pas dans la lune. Elle végète au senspoétique du terme.

Il a suffi d’une réprimande de monsieur Gauthier, le pro-fesseur de français, pour qu’elle mette enfin un vrai mot, un beaumot, un mot singulier, coloré, lumineux comme une émeraude,sur ce que tout le monde appelle son déficit d’attention.Déficit. Ce mot est tellement laid. Il évoque l’économie les

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Eaux troubles

mathématiques le déséquilibre. L’impasse. Et les visites chezle neuropsychologue.

Mademoiselle Moema, arrêtez de végéter et remettez-vousau travail. « Végéter ». Moema a tout de suite adoré ce verbe.Elle en a vérifié le sens dans son dictionnaire. Et de là : végétalcellulose collodion, polymère thallophyte bactérie. Parasites.Subitement, toute la classe qui attrape des poux.

Quand elle ouvre le dictionnaire, Moema y saute à piedsjoints, telle une enfant dans une flaque d’eau boueuse, etelle éclabousse allègrement le réel. Du coup, plus de coursde français. Plus de mode impératif. Exit les pronoms lesradicaux les terminaisons. Même plus de monsieur Gauthier.Après quelques bonds, elle ne prend plus le temps de lire lesdéfinitions. Elle prononce les mots dans sa tête, les répète, lesassocie, les emboîte. Elle en fait un casse-tête sonore et ellerigole, elle rigole, elle rigole. On finit toujours par l’envoyerchez le directeur.

Même si elle n’arrive pas à écouter la voix nasillarde demonsieur Gauthier plus de dix minutes, Moema préfère cetenseignant à tous les autres. Avec son regard d’insecte etses deux rosettes qui lui donnent l’air d’avoir des antennes,monsieur Gauthier pressent des choses que les autres professeursne voient pas. Son amour des mots et les vies parallèles qu’ellemène dans les marges des leçons de grammaire ou d’analyselittéraire, par exemple.

* * *

Un autre cours de français sans monsieur Gauthier.Non, elle n’est pas dans la lune.La remplaçante à lunettes qui s’entête depuis une semaine

à leur faire écrire de la poésie n’aurait jamais dû lire le texte

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Ancolie

de Moema à haute voix, en guise d’exemple, devant toute laclasse. Si j’étais végétale, je serais ancolie.

Depuis, chaque jour d’école est un pétale qui tombe.Tête de cresson.Quelqu’un, derrière elle, vient encore de lui crier ce surnom

affreux. Tête de cresson. Une taloche derrière la nuque en prime.Leurs rires sonores de Blancs qui se croient supérieurs avecleur teint si clair, leurs cheveux blonds leurs cheveux roux leurscheveux bruns, si doux si minces si lisses.

Tête de cresson. Tout ça à cause d’une métaphore. Si j’étaisvégétale. Ils auraient pu rire de n’importe quoi : de ses yeux enamande, de ses seins pas plus gros que des prunes, de ses lèvrescouleur cannelle, de ses bras aussi noueux que des brancheschétives. Mais il a fallu qu’ils s’attaquent à ses cheveux, crépuscomme du cresson sauvage.

Moema se réfugie dans son dictionnaire. Une fois de plus,elle saute de mot en mot. Éclabousse la rangée de cancres assisderrière elle. Leur teint si clair, leurs cheveux blonds leurscheveux roux leurs cheveux bruns, leur tête lisse : souillés d’eauglauque, de goudron, de cambouis. Elle rigole ferme.

* * *

Audrey, la psychologue de l’école, est tellement plus coolque monsieur Shentam, le neuropsychologue. Dans son bureau,Moema peut s’inventer une existence végétale à voix haute.Devenir un lierre. Encore aujourd’hui, Audrey lui a demandé defaire vraiment comme si. Et de lui décrire ce qu’elle ressentait.Alors, Moema se déploie, rhizome par rhizome. Elle sent lalongue tige de son corps de mulâtre qui se ramifie. Qui allonge,allonge, allonge. Avec ses racines adventives, elle s’agrippe auxfissures du mur extérieur de l’école. Elle pousse, elle s’étend, se

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Eaux troubles

répand comme de la mauvaise herbe pour envahir toute la paroiet recouvrir enfin le graffiti écrit en lettres noires sur briquessales : Tête de cresson as ugly as sin.

* * *

Si j’étais végétale, je serais rossolis, je serais droséra, jeserais carnivore. Moema imagine. Exactement comme ellel’a fait dans le bureau d’Audrey. Elle se déploie. Feuille parfeuille. Rosette par rosette. Elle imagine la longue tige de soncorps de mulâtre qui allonge, allonge, allonge, et elle penche sestentacules au-dessus de la tête de ce faux professeur de françaisqui lui demande encore si elle est dans la lune.

Happer la remplaçante à lunettes. L’engluer, l’engourdir.La broyer. Entendre distinctement les craquements des os deson crâne.

Moema se concentre très fort et toute la classe se demandepourquoi la suppléante court ainsi après son souffle.

* * *

Nue et ruisselante, devant le miroir de la salle de bains,Moema vient de prendre une décision irrévocable.

Il suffit d’une paire de ciseaux.Ses cheveux crépus : des pétales qui tombent. Boucle noire

après boucle noire. Si j’étais ancolie dans le vent. Moemaimagine. Dans le lavabo, sur le comptoir, sur le planchers’accumulent des pétales roses, des pétales blancs, des pétalesbleus.

Le blaireau de son père, beaucoup de crème à barbe, unelame neuve : complètement rasé, le crâne.

Plus jamais de tête de cresson.

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Ancolie

Moema se regarde. Ni Noire ni Blanche. Si verte si rieusesi vivante, à l’intérieur. Elle se trouve beaucoup plus jolie ainsi.Ses lèvres pulpeuses. Ses cils interminables. On dirait que sanouvelle tête de marron chauve rehausse l’amande de ses yeux.

À cheval sur un grain de pollen, Moema franchit la porte etsurvole la colère de ses vieux.

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Cent quatre-vingts degrés 9

Ancolie 13

Ou presque 19

À plusieurs mers d’elle 25

Toute l’année, l’éternité 29

De l’eau sur les poumons 35

Loin, si loin derrière les autres 43

Les Conjuguées 51

Le Népenthès 57

L’abécédaire 61

Pomme et seringue 69

Comme dans un tableau d’Escher 79

Trompe-l’œil 83

Plus haut, toujours plus haut 89

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par Christine Klein-Lataud)N’arrêtez pas la musique ! de Michel DufourEt autres histoires d’amour… de Suzanne LantagneLes hirondelles font le printemps d’Alistair MacLeod

(traduit de l’anglais par Florence Bernard)Helden/Héros de Wilhelm Schwarz

(édition bilingue allemand-français)Voyages et autres déplacements de Sylvie MassicotteFemmes d’influence de Bonnie BurnardInsulaires de Christiane Lahaie

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On ne sait jamais d’Isabel Huggan (traduit de l’anglaispar Christine Klein-Lataud)

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avec les Éperonniers)

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Les travaux de Philocrate Bé, découvreur de mots, suivis d’unebiographie d’icelui, collectif

Des causes perdues de Guy CloutierLa marche de Suzanne LantagneNi sols ni ciels de Pascale QuivigerBye-bye, bébé d’Elyse Gasco (traduit de l’anglais par Ivan Steenhout)Le pharmacien de Sylvie TrottierDangers, collectif belgo-québécois (en coédition avec Images

d’Yvoires)Nouvelles mémoires de Marie Claude MalenfantVers le rivage de Mavis Gallant (traduit de l’anglais par Nicole Côté)Peaux de Marie-Pascale HugloPornographies de Claudine PotvinClair-obscur, collectif belgo-québécois (en coédition

avec Images d’Yvoires)Arrêts sur image de Lise GauvinMémoire vive de Maurice HenrieLe dragon borgne de Gérard CossetteCarnet américain de Louise CotnoirLa route innombrable de Roland BourneufTrois filles du même nom de Suzanne LantagneLes noces de vair de Jean-François BoisvertÏ (i tréma) de Gilles PellerinLa Mort ne tue personne de France DucasseOn ne regarde pas les gens comme ça de Sylvie MassicotteLes cinq saisons du moine de David Dorais5-FU de Pierre GagnonFemme-Boa de Camille DeslauriersPar ailleurs de Réal OuelletIntra-muros de Nicole RichardTrompeuses, comme toujours de Jean-Paul BeaumierLes cigales en hiver d’Hélène RobitailleLes enfants de Manhattan de Marie-Jeanne MéouleSottises que tout cela d’Anne Perry-BouquetL’amour est un carburant propre de Virginie Jouannet RousselLe feu purificateur de Claire Martin

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L’art de la fugue de Guillaume CorbeilJe jette mes ongles par la fenêtre de Natalie JeanDessins à la plume, suivi de Histoires entre quatre murs

de Diane-Monique DaviauIci et là de Stéphanie KaufmannLe chat proverbial de Hans-Jürgen GreifPartir de là de Sylvie MassicotteLe cahier des villes de Louise CotnoirNouvelles du Chili, traduites de l’espagnol par Nahed Nadia

Noureddine, Marie-Ève Létourneau-Leblond et Louis JolicœurIl faut me prendre aux maux de Luc BureauInventaire du Sud d’Alain RaimbaultLa pêche aux vélos de Marie Claude MalenfantLe cabinet de curiosités de David DoraisDans un geste de Suzanne LantagneAmours insolites du Nouveau Monde de María Rosa Lojo

(traduit de l’espagnol [Argentine] par André Charland)

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ACHEVÉ D’IMPRIMEREN AOÛT 2011

SUR LES PRESSES DE MARQUIS IMPRIMEUR INC.SUR PAPIER SILVA ENVIRO

100% POSTCONSOMMATION

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nouvelles

EauxEaux t r o u b l e st r o u b l e sEaux t r o u b l e s

Eaux troubles

Camille DeslauriersCamille Deslauriers

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ISBN 978-2-89502-311-1

Mademoiselle Moema, arrêtez de végéter et remettez-vous au travail. « Végéter ». Moema a tout de suite adoré ce verbe. Elle en a véri� é le sens dans son dictionnaire. Et de là : végétal cellulose collodion, polymère thallophyte bactérie. Parasites. Subitement, toute la classe qui attrape des poux. Quand elle ouvre le dictionnaire, Moema y saute à pieds joints, telle une enfant dans une � aque d’eau boueuse, et elle éclabousse allègrement le réel.

Moema, Émilie, Nicolas, Marc-Aurèle et les autres sont en adolescence, comme on dit en amour, en rébellion, en quête de l’inconnu. Entre un cours de français et un examen de maths, ils jettent des ponts sur l’eau trouble de leur vie : dessiner pour survivre à la disparition de son père en Afghanistan ; danser jusqu’au vertige sur le parapet du pont Jacques-Cartier pour mieux se rapprocher de sa vraie mère ; plonger dans les mots pour neutraliser la  brutalité raciste. Troquer la seringue contre le violoncelle, surmonter les premières trahisons de l’amour ou choisir la dissolution totale. Troubles, les  relations familiales, l’identité, l’amitié, le corps, la sexualité, l’imagination, l’avenir…

Avec justesse et � nesse, Camille Deslauriers traduit les déchirements et les exaltations de l’adolescence. On retrouve dans Eaux troubles l’écriture souple et poétique de son précédent livre, Femme-Boa.

Illustration de la couverture : Joanna Szachowska-Tarkowska

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