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L’Unité n° 910 du 14/10/2008 — 3 Editorial Avouez-le, vous n’avez pas pu ces dernières semaines - à un moment ou à un autre - réprimer des sourires goguenards en écoutant les informations. La banque Machin en faillite, panique à Wall Street, le système financier en déroute, le libéralisme malade, ... reconnaissez que ça vous a procuré un petit frisson de plaisir de voir les donneurs de leçons perdre leur latin, les amou- reux de la performance mordre la poussière et les spéculateurs éprouver su- bitement les mêmes craintes qu’un chômeur en fin de droits. Et puis la raison a repris le dessus, vous vous êtes pincés et vous avez réa- lisé qu’une fois de plus ce serait vous le dindon de la farce. Vous avez d’abord poussé des cris de colère : quoi, on ressort les nationa- lisations du placard pour sauver des banques ? ... Et pour l’emploi de mon conjoint, pourquoi on ne l’a pas fait ? Et pourquoi on vient au secours des marchés financiers avec des recettes hier encore qualifiées de ringardes ? Et pourquoi le Président se met-il à parler comme Arlette Laguiller pour condam- ner le capitalisme débridé alors qu’il n’a cessé de dorloter les spéculateurs depuis qu’il est élu ? Vous n’avez plus rigolé, vous avez eu la nausée et, en plus, vous avez vu tom- ber le rideau gris des mois à venir avec les difficultés qui vont se succéder. Emplois encore plus massacrés, crédit plus cher, salaires coincés ou rabotés par le chômage technique, le malheur des boursiers ne va nullement faire votre bonheur à vous, d’autant que Nicolas Sarkozy ne l’a pas caché, il va s’appuyer sur la crise pour poursuivre ses réformes et il ne va certainement pas faire des risettes aux fonctionnaires. S’il y a des dépenses exceptionnel- les à faire dans la période elles ne seront certainement pas pour ceux qu’il considère toujours comme trop nombreux et pas assez efficaces. Alors, où trouver un peu de lumière dans ce désordre planétaire ? Peut-on espérer de salutaires corrections du système financier ? Peut-on croire que la toute-puissance du marché est désormais une idée révolue ? Ce serait trop beau et d’un point de vue bassement pragmatique nous nous demandons plutôt, en faisant un rapprochement avec 1929, s’il y aura un Roosevelt en 2008 qui parviendra à imposer très vite un «new deal» pour éviter un désastre social ? ... Le mouvement syndical, pour sa part, doit se secouer, il a le devoir de répon- dre groupé aux angoisses des plus démunis et puisque Sarkozy vient de se souvenir où était rangé le dossier «Intervention de l’Etat», il faut le contrain- dre à le laisser sur son bureau et à en appliquer toutes les recettes du chapi- tre «solidarité nationale» (sans négliger le paragraphe «justice fiscale»). C’est la crise !

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L’Unité n° 910 du 14/10/2008 — 3

Editorial

Avouez-le, vous n’avez pas pu ces dernières semaines - à un moment ou à un autre - réprimer des sourires goguenards en écoutant les informations.La banque Machin en faillite, panique à Wall Street, le système financier en déroute, le libéralisme malade, ... reconnaissez que ça vous a procuré un petit frisson de plaisir de voir les donneurs de leçons perdre leur latin, les amou-reux de la performance mordre la poussière et les spéculateurs éprouver su-bitement les mêmes craintes qu’un chômeur en fin de droits.Et puis la raison a repris le dessus, vous vous êtes pincés et vous avez réa-lisé qu’une fois de plus ce serait vous le dindon de la farce.Vous avez d’abord poussé des cris de colère : quoi, on ressort les nationa-lisations du placard pour sauver des banques ? ... Et pour l’emploi de mon conjoint, pourquoi on ne l’a pas fait ? Et pourquoi on vient au secours des marchés financiers avec des recettes hier encore qualifiées de ringardes ? Et pourquoi le Président se met-il à parler comme Arlette Laguiller pour condam-ner le capitalisme débridé alors qu’il n’a cessé de dorloter les spéculateurs depuis qu’il est élu ?Vous n’avez plus rigolé, vous avez eu la nausée et, en plus, vous avez vu tom-ber le rideau gris des mois à venir avec les difficultés qui vont se succéder.Emplois encore plus massacrés, crédit plus cher, salaires coincés ou rabotés par le chômage technique, le malheur des boursiers ne va nullement faire votre bonheur à vous, d’autant que Nicolas Sarkozy ne l’a pas caché, il va s’appuyer sur la crise pour poursuivre ses réformes et il ne va certainement pas faire des risettes aux fonctionnaires. S’il y a des dépenses exceptionnel-les à faire dans la période elles ne seront certainement pas pour ceux qu’il considère toujours comme trop nombreux et pas assez efficaces.Alors, où trouver un peu de lumière dans ce désordre planétaire ? Peut-on espérer de salutaires corrections du système financier ? Peut-on croire que la toute-puissance du marché est désormais une idée révolue ? Ce serait trop beau et d’un point de vue bassement pragmatique nous nous demandons plutôt, en faisant un rapprochement avec 1929, s’il y aura un Roosevelt en 2008 qui parviendra à imposer très vite un «new deal» pour éviter un désastre social ? ...Le mouvement syndical, pour sa part, doit se secouer, il a le devoir de répon-dre groupé aux angoisses des plus démunis et puisque Sarkozy vient de se souvenir où était rangé le dossier «Intervention de l’Etat», il faut le contrain-dre à le laisser sur son bureau et à en appliquer toutes les recettes du chapi-tre «solidarité nationale» (sans négliger le paragraphe «justice fiscale»).

C’est la crise !

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8 — L’Unité n° 910 du 14/10/2008

Contexte économiqueAu moment du bouclage de ce numéro 910, le mer-credi 8 octobre, une nouvelle journée de panique boursière survenait après le «lundi noir» et les plans de sauvetage des banques, en Allemagne ou en Grande Bretagne, paraissaient davantage générer de la défi ance que ramener le calme.Etait-on au plus fort de la crise ? Devait-on redou-ter bien plus catastrophique encore ?... Ce qui pa-raissait assuré, de toute manière, c’est qu’il faudrait payer l’addition.Certes au plus fort des turbulences, les médias ont tous mis l’accent sur les sécurités protégeant les

petits déposants et les petits épargnants, mais com-ment ne pas voir, au-delà de ces préoccupations im-médiates, l’horizon s’obscurcir pour les salariés, les fonctionnaires, les jeunes à la recherche d’un emploi ou les retraités les plus modestes.Crédit plus cher, emplois supprimés en plus grand nombre encore, salaires contraints, interventions publiques en repli, la crise fi nancière, conjuguée à la récession économique (enfi n reconnue par le gou-vernement), va faire beaucoup plus de dégâts dans les mois qui viennent chez les porteurs de livrets A que chez les détenteurs de portefeuilles d’actions !

C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !D’où vient tout cet argent ?D’où vient tout cet argent ?D’où vient tout cet argent ?D’où vient tout cet argent ?

Plan Paulson (700 milliards de dollars), natio-nalisations partielles en Grande Bretagne et en Islande, renfl ouements en Allemagne, nationa-lisations en Belgique et recapitalisations... Mais d’où vient tout cet argent alors qu’il y a un mois encore on nous assurait que tous les budgets pu-blics étaient gravement en défi cit, à commencer par celui des Etats Unis ?Par ailleurs, dans la zone euro, les dérapages budgétaires ne sont-il pas interdits par le traité de Maastricht ?...Bon sang, mais c’est bien sûr, nous nous posons là des questions bien trop scolaires et on voit bien que nous n’avons à gérer que des budgets «domestiques»...Non, les Etats sont au-dessus des contingences ordinaires et ce sont les champions du «deux poids, deux mesures». A la mi-septembre, par exemple, notre gouvernement a annoncé qu’ils supprimait le 1er janvier prochain l’aide ménagè-re à domicile pour les retraités fonctionnaires de l’Etat, raisons budgétaires nous a-t-on dit, mais, quelques jours après, le même gouvernement vo-lait au secours de Dexia et apportait 3 milliards d’euros. D’où sont-ils sortis ?Des emprunts parbleu ! Car c’est par un endet-tement supplémentaire et en émettant des bons du Trésor que les grands pays développés jouent les sauveurs du capitalisme fi nancier depuis la fi n septembre.Qui achète les bons ? Essentiellement les pays

ayant des excédents extérieurs, tels que la Chine !Et comment tout cela est-il comptabilisé ? Les emprunts eux-mêmes ne sont pas inscrits dans les lois de fi nances des Etats, mais les intérêts, eux, s’y retrouveront bel et bien dès l’an prochain et on pourra encore plus essayer de nous faire peur avec le gouffre des défi cits publics !Saurons-nous nous rebiffer à ce moment-là et exi-ger un plan de sauvetage rien que pour nous ? Saurons-nous convaincre l’Etat d’emprunter pour que nous allions mieux, nous aussi, comme les banques ? Si nous émettons cette prétention, on nous res-servira forcément le discours sur les dettes que nous n’avons pas le droit de laisser à nos enfants et on nous assurera que la relance par l’injection de pouvoir d’achat ça ne marche pas.N’empêche, il faudra savoir rappeler à nos gou-vernants qu’après les sauvetages des banques, chaque grande crise économique ne s’est vrai-ment réglée que par des actions sociales et des mesures de développement de l’emploi. Faudra-t-il attendre de trop longues années cette action publique, comme ce fut le cas aux USA après 1929, sachant que ce n’est qu’en 1933, après son élection, que Roosevelt proposa son «new deal» ?...Une des responsabilités du mouvement syndical est désormais de défendre très énergiquement une thèse très simple : les intérêts des salariés valent bien ceux des établissements fi nanciers.

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L’Unité n° 910 du 14/10/2008 — 9

Nous n’avons pas vocation à analyser très précisément tous les aspects du marasme mais, dans la mesure où nous serons tous concernés par les «dommages collatéraux», nous livrons ci-après quel-ques éléments de réfl exion portant sur notre devenir à nous, salariés ou fonctionnai-res, dans cet environnement en déliquescence.

C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !C’est la crise !Récession, austérité : les mots tabous !Récession, austérité : les mots tabous !Récession, austérité : les mots tabous !Récession, austérité : les mots tabous !

L’INSEE l’a offi ciellement déclaré début octobre : l’économie française va entrer en récession au se-cond semestre 2008 et les belles phrases optimis-tes de Mme Lagarde, en septembre, sont devenues des «perles» arrachant des sourires crispés chez tous ceux qui vont avoir à souffrir du plongeon. Hausse du chômage, crédit plus cher et plus dif-fi cile à obtenir, consommation en baisse, expor-tations ralenties, la fi n de l’année va être très dif-fi cile, même si l’infl ation est appelée à diminuer un peu.Dans ce contexte, les responsables politiques au pouvoir ont été contraints d’avaler leur chapeau et c’est toute l’argumentation électorale du Prési-dent qui s’est effondrée : il n’y a rien à attendre de la croissance pour procurer du mieux vivre, c’en est fi ni du «travailler plus pour gagner plus».Pour corriger le discours offi ciel, qui en restait jusque là à l’expression «croissance molle», on a fait monter Eric Woerth au front et celui-ci a reconnu la gravité de la situation : «technique-ment quand il y a deux trimestres consécutifs de baisse du produit intérieur brut cela s’appelle une récession».Après ce premier recadrage sémantique ce qu’il faut désormais redouter c’est la marche qui suit dans l’escalier de l’horreur : le mot «austérité» ne devrait pas tarder à être employé malgré les pro-pos confi ants de François Fillon.26 milliards d’euros ont été mis sur la table en 8

jours par le gouvernement, début octobre : 3 mil-liards pour sauver Dexia, entre 3 et 5 pour rache-ter 30 000 logements et une vingtaine pour facili-ter le crédit aux PME.A ce train-là, si la situation internationale ne s’amé-liore pas, les réfl exes de l’orthodoxie libérale vont se réveiller, et on va franchement demander aux français de faire des efforts, des sacrifi ces et on sait qu’à ce jeu-là ce sont toujours les plus faibles qui perdent.La tonalité du discours présidentiel de Toulon, le 25 septembre, fait d’ailleurs rétrospectivement penser à une préparation des esprits dans ce sens-là. Nicolas Sarkozy a bien proclamé que la crise «appelle à accélérer le rythme des réformes et non à le ralentir», il a aussi dit que ça allait très mal et que ça durerait longtemps.Dans un tel contexte, le monde du travail se doit de faire corps, d’enterrer ses divisions et de se mobiliser : il n’a pas à faire les frais des inconsé-quences du libéralisme.Bien des salariés vont être tétanisés par les évé-nements, bien des fonctionnaires vont douter de l’issue d’éventuelles actions syndicales compte tenu des contraintes budgétaires, il est donc du devoir de toutes les organisations syndicales d’appeler ensemble au sursaut et de convaincre : le gouvernement a le droit de sauver Dexia, mais il a le devoir de respecter les femmes et les hom-mes qui travaillent.