c 78 riopellemm à mb

10
Réalisation Marie Kalt, texte Christian Simenc, photos Christoph Theurer C’est au cœur de la verdure, dans un ancien garage dont le peintre canadien Jean-Paul Riopelle avait fait son atelier, que le galeriste Philippe Gravier s’est installé après avoir demandé à l’architecte Rudy Ricciotti de rendre les lieux confortables. Un endroit étonnant, sous ses toiles de camouflage, cerné par la nature et habité par les œuvres d’art.

Upload: philippe-gravier

Post on 22-Mar-2016

215 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

C 78 RiopelleMM à MB

TRANSCRIPT

Page 1: C 78 RiopelleMM à MB

Réalisation Marie Kalt, texte Christian Simenc, photos Christoph Theurer

!"#$%

C’est au cœur de la verdure, dans un ancien garage dont le peintre

canadien Jean-Paul Riopelle avait fait son atelier, que le galeriste Philippe

Gravier s’est installé après avoir demandé à l’architecte Rudy Ricciotti

de rendre les lieux confortables. Un endroit étonnant, sous ses toiles de camouflage, cerné par la nature

et habité par les œuvres d’art.

Page 2: C 78 RiopelleMM à MB

!"#!$%&'())* / 3

Vue de l’entrée de la maison, quasi dissimulée sous les filets de camouflage et la nature alentour. En point de mire, on peut voir une œuvre lumineuse : c’est Ann with a Dress and a Shirt de Julian Opie.

Page 3: C 78 RiopelleMM à MB

4!+ !"#!$%&'())*

Vue intérieure où se déploie tout le vocabulaire métallique du lieu, en majorité préservé. Au premier plan, la gigantesque cheminée dessinée par l’architecte Rudy Ricciotti.

Page 4: C 78 RiopelleMM à MB

!"#!$%&'())* / 5

Encore un peu et on passerait devant sans la voir. Non seulement de hauts arbres barrent la vue aux promeneurs mais la maison se dissimule sous des filets de camouflage à

fausses feuilles, eux-mêmes avalés par la végétation authentique dont l’objectif est clairement de reprendre le dessus. Bref, il faut avoir le regard un tant soit peu exercé pour distinguer derrière cette nature vraie et fictive l’entrée de ce qui fut jadis l’atelier du peintre Jean-Paul Riopelle, à Saint-Cyr-en-Arthies, petit village du Vexin. Celui-ci a été racheté en 2004 par le marchand d’art parisien Philippe Gravier, qui l’a fait transformer en villa par l’ar-chitecte à « gueule de voleur de poules » — dixit l’intéressé lui-même — et néanmoins Grand Prix national d’architecture 2006, Rudy Ricciotti.

Une fois la porte franchie, l’œil est aussitôt attiré par une silhouette humaine, lumineuse et mouvante. C’est Ann with a Dress and a Shirt, œuvre de l’artiste anglais Julian Opie. « Ann » marche d’un pas entêtant et son image imprime délibérément la rétine. Elle réapparaîtra de temps à autre, par fragments, dans le reflet des vitres. Ann n’est que la partie visible de l’iceberg, car Philippe Gravier a fait de cette nouvelle maison sa galerie. Les œuvres y sont donc légion.

Le volume initial de cet ancien garage a été quasiment conservé tel quel. Pas étonnant alors d’y retrouver le vocabulaire industriel de rigueur : un escalier, des poutrelles, des garde-corps, une pas-serelle, des panneaux verticaux grillagés qui coulissent grâce à des contrepoids. Cette ambiance industrielle est renforcée par la couleur noire qui habille toute la métallerie. Sous la toiture à deux pentes portée par d’élégantes et minces fermes, l’espace se déploie en une double hauteur, façon loft.

Le rez-de-chaussée s’ouvre sur un salon au milieu duquel trône une monumentale cheminée. Son socle généreux — on peut s’y allonger — paraît comme en apesanteur. De part et d’autre, deux fenêtres en longueur invitent la lumière du jour et dévoilent les plantations extérieures à la manière de tableaux naturalistes. L’une encadre la cuisine. L’autre, un carré de jeunes yuccas et philodendrons.

En regard de ce jardin intérieur naissant s’étale un wall pain-ting réalisé in situ et en noir et blanc par Fabien Verschaere. Les pièces de cet artiste français sont, d’ailleurs, ici, présentes en nom-bre. Tout comme celles, démesurées, du Chinois Wang Du. Si l’art s’avère on ne peut plus actuel, le mobilier, lui, est très typé années 80. « J’ai choisi ce mobilier parce qu’il était léger et non démons-tratif par rapport aux œuvres », explique Philippe Gravier.

Au fond, derrière des parois de verre, les réserves du galeriste. On les distingue à peine dans cette atmosphère ténébreuse. Il suf-fit pourtant de pousser l’interrupteur pour les mettre soudain en scène. Le stock d’œuvres devient alors lui-même une œuvre à part entière. Les réserves sont mises à distance du lieu de vie par un couloir de nage qui file sur toute la longueur. Cette ligne d’eau longue— 19 mètres —, étroite —2 mètres — et noire — couleur fétiche de Ricciotti — semble presque une sculpture conceptuelle. Au fond du bassin, on peut voir cinq impacts de balle et les chi!res 11.43. Il s’agit d’une œuvre du Français Philippe Perrin. Un esca-lier droit mène à l’étage qui, au travers d’une immense paroi vitrée, est ouvert de plain-pied sur un jardin en gradins. Celui-ci devrait d’ailleurs accueillir quelques sculptures monumentales, comme un Gun en acier de Philippe Perrin, histoire de prolonger encore la galerie vers l’extérieur.

Le niveau haut de la maison comporte un second espace-salon et les chambres, dont l’intimité dépend d’épais rideaux acous-tiques, mobiles à l’envi et obturants. Sont disposés, ici et là, de beaux meubles : un bureau d’Andrée Putman, une table oblongue de Ron Arad, un bureau en chêne gainé de cuir de Dupré-Lafon. Sans oublier alentour, bien évidemment, des œuvres d’art : une pièce de Buren, une sculpture de Vincent Olinet, des toiles de Christophe Cuzin...

Ici subsiste encore l’esprit de feu Riopelle. À proximité de la passerelle sont suspendus les casiers dans lesquels il rangeait ses petits formats. Plus loin, une chambre a été entièrement tapis-sée avec des essais de lithographies du peintre. Dans un coin, son fauteuil — un mythique P40 d’Osvaldo Borsani — tente de garder la tête haute. Près d’une vitre repose son chevalet, constellé de taches de peinture. On dirait un dripping de Pollock. Une énième œuvre dans cet antre régi par la logique de l’accumulation. Ch.S.

Au premier étage, devant les rideaux acoustiques qui autorisent une certaine intimité, une pièce majestueuse de Buren.

Page 5: C 78 RiopelleMM à MB

6!+ !"#!$%&'())*

Page 6: C 78 RiopelleMM à MB

Vue de l’étage qui s’ouvre sur le vaste jardin. Au premier plan, à droite, Vous avez du feu ? l’un des célèbres « papiers froissés » de Wang Du. Au milieu, un lampadaire surdimensionné Superarchimoon de Philippe Starck pour l’éditeur italien Flos. Au fond, le galeriste Philippe Gravier est assis à son bureau, une pièce de Ron Arad.

Page 7: C 78 RiopelleMM à MB

8!+ !"#!$%&'())*

Au-dessus de la passerelle métallique conduisant à l’une des chambres, les casiers dans lesquels le peintre Jean-Paul Riopelle rangeait ses petits formats ont conservé leur fonction originelle. En contrebas, le jardin intérieur avec, en regard, un Wall Painting de Fabien Verschaere.

Comme un hommage rendu à Jean-Paul Riopelle, cette chambre a

été entièrement tapissée avec des essais de lithographies du peintre.

Page 8: C 78 RiopelleMM à MB
Page 9: C 78 RiopelleMM à MB

Vue sur les réserves, mises à distance de l’espace de vie par le couloir de nage. Au bord de la piscine, deux boxeurs de Fabien Verschaere.

Page 10: C 78 RiopelleMM à MB

!"#!$%&'())* / 11

"’#$$%&'()*+,*"-),* *« Ce n’était pas un lieu d’exception, mais un hangar, et basta ! En clair : il fallait rendre vivables ces 750 m2, en termes de confort contemporain. Cette préoccupation a, pour moi, été quasi obsessionnelle. Je voulais que mes interventions révèlent le lieu. L’acte radical a été de ne pas altérer sa lisibilité. C’était un endroit industriel, un ancien garage devenu l’atelier du peintre Riopelle, et ça l’est resté. J’ai conservé toute la métallerie : les garde-corps, le porte-tableaux [sic], etc. Si cette métallerie est de cou-leur noire, ce n’est ni une action puritaine ni une a,rma-tion de modernité, plutôt une a,rmation de l’antériorité. Une archéologie du signe, une notion de permanence. »

'#.&,/"#0)*)1*2-&'"-.#1-3,)* *« Les filets de camouflage ont été choisis pour trois rai-sons. D’abord, c’est une réponse plastique : une sorte de néodiscours sur l’e-acement. Ensuite, c’est la réponse la plus économique, car on n’a pas besoin de refaire les enduits. Enfin, c’est une réponse bioclimatique. Les filets ralen- tissent le phénomène de température extérieure : moins les façades sont léchées par les éléments, moins il y a d’échanges thermiques. Et inversement, cela augmente le confort thermique l’été. Et cela à bas prix. Mais attention : nous ne sommes pas dans le recyclage, ni dans le “ pauvre”, mais dans le “modeste”. »

")4*5&,6)#,7*(&%-8&54* *« J’ai créé deux nouveaux horizons : l’un artificiel, l’autre naturel. Le premier a été d’introduire artificiellement l’eau dans le dispositif spatial, en creusant un bassin à l’intérieur même de la maison. Le second a consisté à remplacer tout le pignon arrière de la maison, qui était borgne, par une immense verrière qui ouvre sur le jardin. Ce dernier a, en outre, permis de créer une nouvelle transversalité du lieu, de la rue vers le jardin. »

"#*%#+-'#"-19*4)"&5*%-''-&11-*« Il y a dans la modernité une radicalité esthétique qui fait peur. Or le grand malentendu survient lorsque, dans un projet, quel qu’il soit, il y a une perte de récit, un manque d’onirisme. Je ne suis en aucun cas minimaliste. Le minimalisme, c’est de la pornographie ! Je suis aux antipodes du puritanisme. Je serais même plutôt maniériste. D’ailleurs, le maniérisme n’exclut pas la radicalité. J’ai fait un projet festif. Pas besoin d’être dans la surenchère pour être noble. À part le parquet en wengé, les matériaux ne sont pas luxueux. Ce qui est luxueux ici, c’est l’espace, la lumière, les paysages révélés ou reconstitués. » Ch.S.

Grand Prix national d’architecture en 2006, Rudy Ricciotti est, à cinquante-six ans, un provocateur né, qui planche aujourd’hui sur plusieurs grands projets, comme le futur musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille, ou la restructuration du stade Jean-Bouin, à Paris. Il éclaire quatre points forts de son travail sur la maison Gravier, ex-atelier Riopelle. Un maniérisme assumé.

%,+:!%-''-&11-;! #%'(-1)'1)!%)2)"")

Vue arrière de la maison.

Le pignon, jadis borgne, a été

remplacé par une large verrière.

A droite,Rudy Ricciotti. P"

#$#%&: D

.R. (

1). P#'$'()$ :

A*+,-+

R./0

R)--)#$$)

A'-")$+-$+(

1).