bulletin departemental des retraitÉs et veuves mines … · le 18 mai, le festival de cannes est...

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BULLETIN DEPARTEMENTAL DES RETRAITÉS ET VEUVES PAGE 1 Mai - Juin 1968 Les témoins d’une page d’histoire MINES ENERGIES 71 20 avenue Victor Hugo - 71100 Chalon-sur-Saône 43 rue Jean Jaurès - 71300 Montceau les Mines Téléphones 06 30 50 05 55 /03 85 93 71 57 03 85 57 14 47 « Les français s’ennuient », écrit l’éditorialiste du journal Le Monde le 15 mars 1968. Persistant et signant, il conclut son papier « Un pays peut aussi périr d’ennui ». La réponse de la rue le démentira peu de temps après. Partout en France, dix millions de grévistes occupent les lieux de travail et la rue. Peut-être n’avait-il pas vu les nombreuses mani- festations et grèves de 1966 et de 1967 provo- quées par des reculs sociaux et les ordonnances contre la Sécurité sociale, ni la lutte des métallos de Caen réprimée dans la violence en janvier 68. Voilà dix ans qu’une chape de plomb pèse sur la société française ; le régime gaulliste annonçait ne céder sur rien, qu’il n’y avait pas d’autre politique que celle du « Général ». Autre événement à la source de 68 : la grève des mineurs de 1963. Elle montre qu’il est possible de faire céder le pouvoir personnel du général de Gaulle. Cette victoire a été possible grâce à la détermination de toute cette profession et de la très large solidarité des Français. Ce contexte social et ses luttes constituent le terreau fertile permettant le développement du mouvement général de 1968. L’espoir change de camp. Des ouvriers, des employés, la jeunesse étudiante et lycéenne, les féministes et de nombreux autres mouvements d’émancipation hu- maine ont mené une lutte commune. « Mai 68 n’a pas éclaté comme un orage dans un ciel serein » selon la formule de Georges Séguy. Ces luttes sont bien le résultat d’une pa- tiente construction dans les consciences. Ce mouvement, dans ce qu’il nous enseigne, renvoie à la puissance et à la ténacité de la démarche collective, à la conduite des luttes par les salariés eux-mêmes et à la forte impli- cation de la CGT. Les divers témoignages rassemblés dans ce bulletin spécial en donnent l’illustration. Les acteurs de 1968 devenus les retraités d’aujourd’hui ne céderont pas non plus. La pilule de l’augmentation de la CSG ne passe toujours pas. Les pensions trop faibles ne permettent pas de vivre décemment. L’ISF supprimée pour les riches apparaît de plus en plus injuste. La façon de traiter l’aide à l’autonomie est méprisante et inefficace. Macron prend aux pauvres pour donner aux riches. Quel pillage ! Hors-série Juin 2018 SOMMAIRE - p 1 - Editorial par Jean-Paul FOSSIER - p 2 - Noël Tomas - p 3 - Imbroglio à Louhans Roger Dury - p 4 - En Saône-et-Loire… dans le contexte - p 5 - La récolte printanière - p 6 -7 - Roland & Claude - Marcel Merliaud - p 8 - Martial Palluet Daniel Poletti - p 9 - Suzanne V. Jacqueline Mazoyer Jean Navoret - p 10 - Jean Chomka Robert Wattebled Imposons de nouvelles orientations à la société ! C’est le message de 68

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BULLETIN DEPARTEMENTAL DES RETRAITÉS ET VEUVES

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Mai - Juin 1968Les témoins d’une page d’histoire

MINES ENERGIES 71

20 avenue Victor Hugo - 71100 Chalon-sur-Saône 43 rue Jean Jaurès - 71300 Montceau les Mines Téléphones  06 30 50 05 55 /03 85 93 71 57 03 85 57 14 47

« Les français s’ennuient », écrit l’éditorialiste du journal Le Monde le 15 mars 1968. Persistant et signant, il conclut son papier « Un pays peut aussi périr d’ennui ». La réponse de la rue le démentira peu de temps après. Partout en France, dix millions de grévistes occupent les lieux de travail et la rue. Peut-être n’avait-il pas vu les nombreuses mani-festations et grèves de 1966 et de 1967 provo-quées par des reculs sociaux et les ordonnances contre la Sécurité sociale, ni la lutte des métallos

de Caen réprimée dans la violence en janvier 68. Voilà dix ans qu’une chape de plomb pèse sur la société française ; le régime gaulliste annonçait ne céder sur rien, qu’il n’y avait pas d’autre politique que celle du « Général ». Autre événement à la source de 68 : la grève des mineurs de 1963. Elle montre qu’il est possible de faire céder le pouvoir personnel du général de Gaulle. Cette victoire a été possible grâce à la détermination de toute cette profession et de la très large solidarité des Français. Ce contexte social et ses luttes constituent le terreau fertile permettant le développement du mouvement général de 1968. L’espoir change de camp. Des ouvriers, des employés, la jeunesse étudiante et lycéenne, les féministes et de nombreux autres mouvements d’émancipation hu-maine ont mené une lutte commune. « Mai 68 n’a pas éclaté comme un orage dans un ciel serein » selon la formule de Georges Séguy. Ces luttes sont bien le résultat d’une pa-tiente construction dans les consciences. Ce mouvement, dans ce qu’il nous enseigne, renvoie à la puissance et

à la ténacité de la démarche collective, à la conduite des luttes par les salariés eux-mêmes et à la forte impli-cation de la CGT. Les divers témoignages rassemblés dans ce bulletin spécial en donnent l’illustration.

Les acteurs de 1968 devenus les retraités d’aujourd’hui ne céderont pas non plus. La pilule de l’augmentation de la CSG ne passe toujours pas. Les pensions trop faibles ne permettent pas de vivre décemment. L’ISF supprimée pour les riches apparaît de plus en plus injuste. La façon de traiter l’aide à l’autonomie est méprisante et inefficace. Macron prend aux pauvres pour donner aux riches. Quel pillage !

Hors-série Juin 2018SOMMAIRE

- p 1 - Editorial par Jean-Paul FOSSIER - p 2 - Noël Tomas - p 3 - Imbroglio à Louhans Roger Dury - p 4 - En Saône-et-Loire… dans le contexte - p 5 - La récolte printanière - p 6 -7 - Roland & Claude - Marcel Merliaud

- p 8 - Martial Palluet Daniel Poletti - p 9 - Suzanne V. Jacqueline Mazoyer Jean Navoret - p 10 - Jean Chomka Robert Wattebled

Imposons de nouvelles orientations à la société ! C’est le message de 68

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1) Coalition de gauche de la République espagnole, qui a gagné les élections en février 1936 2) Jean Peguet est décédé en avril 2018 3) Avant 68, l’existence de locaux syndicaux n’est pas reconnue. Il n’y a ni section syndicale, ni téléphone, ni bureau.

Noël Tomas Ancien agent de Paray-le-Monial

En Espagne, le grand-père Tomas est républicain, il est de ceux qui défendent le « Frente Popular » 1 contre le coup d’état de Franco, lequel est soutenu par Mussolini et Hitler. La République espagnole, lâchée par la France et la Grande Bretagne, re-cule. La famille Tomas, fuyant les troupes franquistes, franchit les Pyrénées pour se réfugier en France, dans la région de Pézenas. Joseph, le fils, est embauché comme chauffeur de four dans l’usine à gaz de Marseillan. Plus tard, après la nationalisation, il sera recruté dans le district EDF-GDF de Puimisson. Joseph a un fils, Noël né pen-dant la guerre. Trois générations d’ouvriers ayant vécu dans les tourments de la grande histoire. Noël Tomas, fait partie de ces jeunes appelés du contingent que la France a expédié en Algérie ; une guerre dont on taira même le nom. A sa libération, il se fait embaucher dans l’Hérault comme monteur électricien à la SEGELEC. Un an plus tard, en 1964, il dépose une demande d’emploi au centre de distribution d’EDF-GDF de Chalon-sur-Saône. Plus exactement, il la présente directement à la « Sub » de Paray-le-Monial. A l’automne 1965, après son année de stage, Noël devient monteur et rapidement se lie d’amitié avec ses collègues. Durant toute sa carrière il resta fortement lié à Jean Peguet. Les deux camarades, marqueront l’histoire de cette « sub ». Noël me confiera : « je m’entendais bien avec Jean, un vrai camarade... Je crois que nous nous complétions bien (silence) un ami très cher qui vient de disparaître 2». Jean lui avait dit qu’en 1963, les mineurs de Montceau avaient mené une longue grève. Cette lutte gagnante changea la donne politique en France : « on pouvait faire reculer le régime gaulliste ». En 1966, 67 les grèves se succèdent ; pouvoir d’achat, défense de la sécurité sociale et des libertés syndicales ... ça pousse, parfois avec des gains, parfois sans. Déjà en janvier 1968, la police a réprimé durement une manifestation des « métallos » à Caen. Le climat social se tend. Depuis le début de l’année, Noël observe une succession de mouvements sociaux. Bien sûr, les étu-diants protestent, certaines universités sont occupées, mais là encore pas de réponse, tout semble verrouillé. De Gaulle annonce qu’il ne cédera pas. Noël, comme de nombreux jeunes ressent cette chape dont il faut se libérer. C’est le 11 mai au matin en écoutant son transistor qu’il découvre l’ampleur de la répression policière contre les étudiants. Le soir, il en verra des images à la télé, ça matraque à tout va. Noël est le plus jeune de la Sub et s’identifie naturellement aux étudiants : « On peut pas laisser faire ça ! ». Les organisations syndicales et les partis de gauche appellent, pour le 13 mai. Le ton monte, les appels à la grève se multiplient. Le 18 mai, le festival de Cannes est suspendu et près de 2 millions de grévistes occupent leur lieu de travail. A la sub de Paray tout le monde se connaît, une véritable solidarité noue les agents. Dans ce contexte il n’est pas difficile de prendre les décisions qui s’imposent, notamment celle d’occuper les lieux de travail. Les quatre districts s’engagent dans la lutte et le même jour, les formes d’action se mettent naturellement en place ; grève, coupures tournantes, occupation de la « sub » et des districts. Sans s’attaquer aux réseaux « croix rouge », une première équipe interrompt la fourniture d’électricité. Plu-sieurs dizaines de minutes après, une autre équipe la rétablit. Le but ; bien montrer aux yeux de tous, que les agents sont, eux aussi, dans l’action. Des agents du commercial les accompagnaient quelquefois en renfort. Bien entendu les agents assurent aussi les dépannages. Des gens qui déménagent sont même rétablis. L’ambiance est presque surnaturelle. Presque tous les véhicules sont immobilisés dans la cour, les locaux sont grand ouverts laissant voir des tables de joueurs de cartes. Il y a même un tournoi de ping-pong avec les scores affichés, le transistor diffuse, en boucle les Beatles et les Rolling-Stones. Dans un bureau à part 3 , le collectif d’agents est en relation avec le syndicat à Chalon. Sur un tableau, se mélangent les consignes tech-niques et les informations sur la grève. A chaque « manif » une délégation s’y rend avec la banderole. Les infos ne circulent pas seulement par le té-léphone, des consignes sont données lors de ces rassemblements et puis surtout c’est une bonne manière de rencontrer les autres et mesurer la place des différentes professions dans le mouvement. Cette période marquera durablement le jeune Noël Tomas. Il acquiert la confiance des agents et notamment celle de Jean Peguet avec lequel il militera jusqu’à la retraite. Ils occuperont, l’un et l’autre des responsabilités au sein du sous-comité mixte à la production, dans le CHS et la Commission secondaire et seront tour à tour secrétaire de la section syndicale CGT de Paray. Parmi toutes ces activités, Noël aimait vraiment celles de la SLV : « c’était concret, direct. Ça dépassait large-ment le boulot. Par dessus tout, j’aimais organiser des voyages où, avec les copains, nous partagions les dé-couvertes ». Autour du petit café, ce matin là, il me parle de Jean qui vient de disparaître. Il me dit aussi : « j’aimerais bien que notre action se poursuive, je suis persuadé que les jeunes agents sauront gagner et faire avancer d’autres revendications ». ◼

Page �2Jean-Paul Fossier

Réfugiés républicains espagnols fuyant Franco

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Imbroglio à LouhansQuand le maire de la cité est rappelé à l’ordre…La Subdivision EDF-GDF de Louhans s'implique en mai 1968, avec sa ma-jorité syndicale CGT, dans la mouvance des revendications, aux côtés de tous les syndicats ouvriers du louhannais : CGT, CFDT, FO, et d'autres en-core. Les réunions se succèdent dans une solidarité sans faille. Les caisses noires, les dons, apportent le soutien aux grévistes. La population ne discrédite pas le mouvement, bien au contraire. Des uns et des autres nous viennent un soutien, soit financier, soit moral. La grogne générale bat son plein sans incident notoire, quand soudain, un événement de mauvais goût déclenche la colère de tous les grévistes : le maire de Louhans, par réquisition de deux agents éboueurs en grève, leur fait obligation de ramassage des poubelles dans certains quartiers de la cité, en sa présence. Or nous sommes à la veille de la Pentecôte - cette fête est aussi la fête de Louhans - une fête très populaire, avec de très importants et nombreux métiers forains, qui divertissent aussi les populations d'alentours. Devant le comportement non respectueux du maire envers les grévistes, les agents EDF-GDF de Louhans, soutenus par l'ami Lulu*, syndicaliste du Centre EGF, décident à l'unanimité de ne point brancher les métiers forains au réseau. Un vent de panique souffle alors sur le site de la fête ! L'ensemble des forains demande à leur président de faire une démarche auprès des grévistes d'EDF. En réponse à cette démarche, les agents exigent que le maire se présente à la Subdivision en reconnaissant aux grévistes leur droit de défendre leurs revendications et leur dignité de travailleurs. Promesse est faite ; le président des forains, avec un collègue, accompagnera le maire dans l'enceinte de la subdivision. Sur le champ, les grévistes des autres corporations du louhannais sont invités à nous rejoindre : cheminots, PTT, employés de la ville, équipement, et d'autres encore... C'est une foule de travailleurs qui reçoit le maire stupéfait, se croyant attiré dans un guet-apens, quand il fut prié de s'installer dans la "cellule de crise" appropriée pour l'occasion dans un garage en construction près du canal. La discussion qui s'ensuivit, bien que tumultueuse au début, trouva son équilibre d'apaisement quand le pré-sident de séance, en l'occurrence l'adjoint de subdivision, expliqua à Monsieur le maire que les droits des gré-vistes ne pouvaient être bafoués ! Ce dont il a bien dû finir par convenir. La fête foraine profite alors du dénouement positif de ce regrettable im-broglio !… ◼

* Lucien Lieutet, qui fut Secrétaire du GNC de Chalon (Groupement National des Cadres, devenu plus tard l'UFICT-CGT)

Né à Cortevaix (71) en 1923, je suis rentré à Edf au CRT de Mulhouse en 1953. Pourquoi l’Alsace ? Pendant la dernière guerre, nous avions hébergé un jeune Alsacien qui ne voulait pas combattre dans les rangs de la Wehrmacht et devenir un « malgré nous ». Après-guerre, cet Alsacien a épousé ma sœur et était retourné avec elle dans sa région natale. Je les ai donc rejoints. Après mon passage au « Transport », je suis muté en subdivision au sein du Centre de Distribution de Mulhouse. A cette époque, mon épouse travaillait chez DMC (Dollfus-Mieg et compagnie), fabricant de fils à coudre. Elle était aussi à la Cgt. En 1968, j’avais 45 ans, j’étais délégué syndical Cgt, membre du Conseil d’Administra-tion de la Cmcas (je l’ai été pendant 19 ans), Président des Commissions Plein-Air et Photo-Cinéma, et membre de la Commission Mutuelle-Solidarité. A ma retraite, j’étais

membre de la Commission des Retraités. Mes souvenirs se sont pas mal estompés. Les détails se sont effacés. Mais je peux dire en général que le mouvement a été fort bien suivi. Comme dans tous les Centres Edf, la grève a débuté dans la 2ème quinzaine de Mai et a duré 1 mois. La mobilisation était très importante (plus de 80% de grévistes). Les coupures étaient monnaie courante, le réseau croix rouge protégeant les établissements de santé. La reprise du travail s’est faite avec le sentiment du devoir accompli. Nous pouvions être fiers des avancées sociales. Nous sommes revenus en 2003 à Saint Gengoux le National, lieu de naissance de mon épouse. ◼

Roger Dury 95 ans, retraité à Saint Gengoux

René Joffroy & Guy-Robert Grandjean.

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Le département en 68

Jean-Paul Fossier & Gérard Loguiot

et son contexte Au plan de la société Entre 1964 et 1967 les négociations sont bloquées à tous niveaux. Le chômage, surtout celui des jeunes, commence à monter, de 300 000 en début 1967 il passe à 450 000 en avril 68. Le 22 juin 1967, le parlement vote les pleins pouvoirs à de Gaulle. Par les 4 ordonnances « Jeanneney », la Sécurité so-ciale est profondément réformée, remettant en question ses principes fondateurs. Les entreprises et les postes de travail commencent à connaître de grandes mutations technologiques et le besoin de qualifications s’élève. La guerre du Viet-Nam menée par les USA suscite de fortes contestations partout dans le monde ; le massacre de civils à Mỹ Lai a lieu le 16 mars 1968. Martin Luther King est assassiné à Memphis le 4 avril… Sur le plan syndical En 1966, la CGT et la CFDT concluent un accord d’unité d’action qui va permettre de nouvelles dynamiques de luttes interprofessionnelles et locales. Au cours de 1967 et le début de 1968 on as-siste à une montée des conflits sociaux : 4 000 000 à 4 500 000 journées de grève au cours de l’année 1967, un chiffre record depuis le début de la 5ème République. 1er mai, Pour la première fois depuis 1954, la manifestation du premier mai est autorisée, de la République à Bastille. Le défilé commun CGT-PCF-PSU rassemble plus de 100 000 personnes, alors que la CFDT, la FGDS et la FEN re-fusent de s'y associer. De nombreuses manifestations im-portantes ont lieu en province. 8 mai, rencontre CGT-CFDT-UNEF. 10 mai, Appel intersyndical à la grève générale. 13 mai, quelques 3 000 personnes manifestent dans les rues de Chalon-sur-Saône. Le même jour, fortes manifesta-tions au Creusot, à Mâcon et à Montceau. Paris : 800 000. 18 mai, Au Creusot 6 000 ouvriers de la SFAC ont déclen-ché une grève illimitée. La SNCF s’arrête. 20 mai, les forgerons de Gueugnon sont en grève. Les ma-riniers s’arrêtent. Les personnels municipaux de Chalon, du Centre hospitalier, d’EDF-GDF, des PTT, de la verrerie St-Gobain, de Delle, Gardy, Seva, Lbm, Ventec, Pinette, Sif, Kodak, Air-liquide, FRLE se mettent en grève. Mais aussi Motostandard et Seguin, Eternit, Jacquard, Savo, Microfu-sion, les mineurs de Blanzy, Gerbe et Garbeau-Luneau, Munzing, Etamoc, Robot-coupe, Jeumont-Schneider. Grève à l’ORTF.

La France est bloquée 21 mai, dans le 71, la grève s’étend aux transports publics, aux abattoirs, à la Sécurité sociale et au bâtiment. 22 mai, Le personnel de Piffaut, des garages Simca, Peugeot et Citroën, la quasi-totalité des enseignants sont eux aussi dans l’action. 23 mai, Les étudiants du CREPS de Mâcon se mettent en grève. La navigation sur le canal du Centre et sur la Saône est bloquée. 24 mai, 3 000 agriculteurs manifestent à Louhans, Cuiseaux et Mâcon. 25 mai, Ouverture des négociations tripartites de Grenelle. Pour les soutenir, manifestations unitaires à Chalon, Mâcon, Gueugnon, au Creusot et Montceau. Au total en Saône-et-Loire, près de 6 000 personnes manifestent. 27 mai, fin de la conférence de Grenelle à Paris. Grand rassemblement dans la salle comble Marcel Sembat. Ce jour-là et les jours suivants, de nouveaux ateliers se joignent au mouvement. 30 mai. Nouveau défilé comprenant 4 000 personnes à Chalon avec une forte expression revendicative. Allocution du Général De gaulle. Manifestation de la droite sur les Champs Elysées. 1ère quinzaine de juin Progressivement, le travail reprend. Les élections législatives de juin redonnent une forte majorité au pouvoir en place. Malgré cela, Mai 68 est une relance généralisée de la négociation, qui va se maintenir pendant presque 10 ans, jusqu’au retournement économique de 1977 et à la montée du chômage de masse. ◼

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Salaires Le taux horaire du SMIG est porté de 2,2 à 3 francs au 1er juin 68 (+ 35%). Tous les salaires réels seront augmentés de 7% au 1er juin. Cette augmentation sera portée de 7 à 10% au 1er octobre. En réalité, l’augmentation moyenne sur l’année 68 a atteint 13,5% dans le secteur privé avec des entre-prises gagnant 20% et d’autres 10%, et de fortes augmen-tations dans certains secteurs, en particulier ceux où les salaires étaient les plus bas : par exemple 56 à 59% d’augmentation pour les ouvriers agricoles. La Loi du 2 janvier 1970 instaure le passage du SMIG 1 au SMIC 2 – soit à un salaire minimum indexé non seule-ment sur la dérive des prix, mais aussi sur l’évolution du salaire moyen, de manière à intégrer les gains de produc-tivité. Réaffirmation de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes.

Temps de travail Un accord cadre est décidé en vue d’aboutir progressivement à la semaine de 40h. Abaissement immédiat de 2h pour les durées hebdomadaires de travail supérieures à 48h et 1h entre 45H et 48H.

Conditions de travail Création de l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail et d’une commission Amélioration des Conditions de Travail dans les CHS.

Emploi et formation Des discussions sont engagées en matière de reclassement en cas de fusion ou de concentration d’entre-prises. Avec l’Etat, ils se dotent de moyens d’assurer la formation et le perfectionnement professionnels des salariés (Loi d’institution de la Formation Professionnelle Continue).

Droit syndical Les organisations syndicales peuvent librement constituer des syndicats ou des sections syndicales d’entre-prises. Contre l’avis du patronat, des mesures de protection des nouveaux délégués sont instaurées. Des moyens de fonctionnement et d’expression sont garantis (locaux, liberté d’affichage et de diffusion de tracts et de la presse syndicale, collecte des cotisations syndicales, réunions des adhérents et des salariés…) Cela a permis par exemple une augmentation considérable du nombre d’entreprises de plus de 50 salariés connaissant une implantation syndicale ( de 6 267 en 1969 à 19 063 en 1976).

Journées de grève Pour tous, secteurs privé et public, les journées de grève seront en principe récupérées. Une avance de 50% de leur salaire sera versée aux salariés ayant subi une retenue de salaire.

Sécurité sociale, allocations familiales, vieillesse, fiscalité Patronat et syndicats actent le principe de mesures d’aménagement et de revalorisation des différentes alloca-tions et prestations.

De nombreux points font l’objet de négociations ultérieures par branche et débouchent sur d’innombrables améliorations des Conventions collectives et des Statuts. Le « Bilan social » publié par la CGT chaque année, recensement précis des lois et accords, est quatre fois plus épais pour 1968 que pour les années précédentes. ◼

* Les négociations tripartites (Syndicats, patronat, gouvernement) au ministère du Travail, rue de Grenelle, conduites à l’apogée des grèves, ont débouché sur un texte qui n’a pas été signé par les organisations syndi-cales. Il s’agit donc de « constats » et non « d’accords ». La CGT voulait que les grévistes jugent par eux-mêmes des résultats, et puissent éventuellement décider de poursuivre l’action dans leur entreprise ou leur branche. Ce fut le cas dans de très nombreuses entreprises, et fit prétendre que la CGT fut « débordée »…

1) Salaire minimum interprofessionnel garanti 2) Salaire minimum interprofessionnel de croissance

La récolte printanièreLes fruits de Grenelle*

Jean-Paul Fossier & Gérard Loguiot

Séance de clôture en présence de Georges Pompidou, Pre-mier ministre, Jean-Marcel Jeanneney, ministre des affaires sociales, Jacques Chirac, secrétaire d'Etat à l'emploi, Georges Seguy, secrétaire général de la CGT.

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Ils sont nés tous les deux à Saint-Rémy en 1948. Ils ont fréquenté le C.E.G. (Collège d'Enseignement Général) de Chalon de la 6° à la 3° (BEPC). Ils se sont retrouvés au service militaire qu'ils ont effec-tué en 1968 au centre de sélection des jeunes recrues de Mâcon (CS7)*. Enfin, ils ont passé toute leur vie professionnelle à EDF/GDF, tous les deux devenant très jeunes des militants de la CGT.

Roland et ClaudeDeux parcours personnels et

syndicaux parallèles et communs

Claude GERARD : En 1968, j'étais affecté au secrétariat d'un commandant au CS7. Pendant les évène-ments, mon "travail" consistait à envoyer des messages à toutes les unités de l'armée dont dépendaient les "bidasses" de la région de Mâcon et qui ne pouvaient rejoindre leurs unités faute de trains. Pendant cette pé-riode, nous écoutions tous les soirs la radio qui commentait en direct les évènements, notamment les mani-festations étudiantes à Paris. Nous étions consignés. A cette époque je ne connaissais rien du syndicalisme. Mon père, chef comptable à la Société Générale de Chalon, ne parlait jamais de syndicalisme et ma mère élevait les 9 enfants du couple. J'ai été élevé dans la religion catholique dès mon plus jeune âge (catéchisme, enfant de choeur, scoutisme). Nous n'avons jamais manqué de l'essentiel à la maison, mais nous ne "roulions pas sur l'or". Je me souviens, étant petit, que le curé de la paroisse avait mis en place - pour les familles nombreuses ayant peu de moyens - un système de machine à laver qui passait de famille en famille à l'aide d'une remorque tirée à la main. Mes parents n'ont jamais possédé de voiture. Je suis très reconnaissant à mes parents de nous avoir donné l'esprit de solidarité, de partage, de respect et d'humanisme. Comment suis-je rentré à EDF/GDF ? Après le BEPC, j'ai intégré le Lycée Technique Municipal de Chalon en option "Comptabilité", pour préparer le Brevet d'Enseignement Commercial en 2 ans. En fin de 2° année (c'était au printemps 1966), un stage pro-fessionnel dans une entreprise était obligatoire avec rédaction d'un rapport. J'ai effectué ce stage pendant 2 mois au service comptable du Centre EDF/GDF de Chalon, puis l'entreprise m'a embauché comme tempo-raire pendant les 2 mois de vacances. A la fin de mon service militaire, j'ai formulé deux demandes d'embauche : l'une à EDF/GDF, l'autre à Kodak. Les deux demandes ont été acceptées, et j'ai choisi d'intégrer EDF/GDF, choix que je n'ai jamais regretté. J'ai donc commencé à travailler le 2 janvier 1969. La retraite est arrivée le 1er avril 2008. Dès mon embauche, le chef comptable m'a inscrit pour un stage de 6 semaines qui s'est déroulé à l'école de métiers de Soissons. Ce stage permettait de découvrir toutes les sections du service comptable et les cours étaient assurés par d'anciens responsables de ces sections. J'ai découvert une école magnifique, dotée de nombreux équipements y compris sportifs et culturels. Cette école formait et perfectionnait les monteurs élec-triciens, les agents de garages et les agents administratifs. Malheureusement, la libéralisation du secteur de l'énergie, l'ouverture à la concurrence et la recherche du profit, ont conduit les directions à supprimer la plupart de nos écoles de métiers, où les valeurs de service pu-blic et de l'intérêt général faisaient partie intégrante de la formation. J'ai rencontré rapidement des responsables du syndicat CGT, notamment Jean GUILLOT Secrétaire Général, Jean MAZOYER, Lucien LIEUTET et d'autres. J'avais aussi été contacté par le responsable CFTC. J'ai découvert très rapidement la place que tenait le syndicalisme et notamment la CGT dans l'entreprise et aussi les activités sociales et la mutuelle. Jean GUILLOT et d'autres m'ont expliqué longuement la nécessité de défendre à la fois la notion de service public découlant de la nationalisation de l'Électricité et du Gaz (éga-lité de traitement des usagers sur tout le territoire, investissements importants dans les moyens de production de transport et de distribution) et le contenu très avancé du Statut national avec des garanties importantes pour les salariés (garantie de l'emploi, régime de retraite, mutuelle complémentaire et activités sociales). Tout ceci découlant du programme du Conseil National de la Résistance et mis en oeuvre par Marcel PAUL, mi-nistre de la production industrielle en 1946 et ancien secrétaire général de la Fédération Nationale de l'Ener-gie CGT. La première grève à laquelle j'ai participé a eu lieu en avril 1969, je n'étais pas encore syndiqué. Il s'agissait d'un mouvement local contre l'autoritarisme du Directeur de l'époque. Les agents étaient venus avec les véhicules de service de tout le département, et la rue Virey (siège du centre à l'époque) ainsi que tout le quartier était bloqué. La quasi totalité des agents du service comptable avait débrayé. …/…

* Centre de Sélection militaire des appelés du contingent Suite p.7

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Claude et Roland… (suite)La prise de parole de Jean GUILLOT m'avait fortement impressionné. J'ai pris ma carte à la CGT après ma titularisation début 1970. Quelques années plus tard, je crois que c'était au congrès du syndicat en 1971, j'ai été élu au secrétariat du syndicat avec Roland PALLUET, Jean SAINT-ANDRÉ, Marcel MARECHAL, jeunes militants comme moi. La direction du syndicat n'avait pas hésité à faire appel à des jeunes, bien sûr motivés, pour exercer des responsa-bilités. La formation syndicale (niveau de base, stages moyen et spécifiques) a été indispensable tout au long de mon parcours de militant. J'ai toujours souhaité rester un militant de base au niveau du département, refusant les sollicitations nationales, privilégiant le contact permanent avec les salariés, no-tamment auprès du personnel d'encadrement et fut donc responsable de l'UFICT CGT (ex GNC). ◼

Roland PALLUET : Claude GERARD a très bien expliqué nos parcours paral-lèles comme il dit. Sur les évènements de Mai 1968, je voudrais ajouter qu’à la caserne DUHESME de MACON, nous étions tous consignés. Rien à faire, puisque les transports étaient bloqués, pas de jeunes conscrits pour passer les tests, donc nous étions désoeuvrés. Pour nous occuper, nous avons été quelques soldats à partir surveiller l’émetteur à CUISEAUX : agréable partie de campagne, quelques jours sans voir âme qui vive… sauf le père de l’un d’entre nous qui diffusait l’Huma dimanche dans ce secteur. Un de nos camarades, standardiste à la caserne nous a relaté qu’un jour, un responsable de la gendarmerie demandait au colonel commandant la place de MACON s’il pouvait envoyer quelques soldats pour encadrer la mani-festation des paysans locaux qui devait se dérouler les jours suivants. En guise de réponse, le colonel lui a demandé s’il voulait des manifestants supplémentaires !… En effet, c’est probablement ce qui serait arrivé car, parmi les militaires du contingent de cette caserne, nombreux étaient les sursitaires, et tous nous suivions à la radio les évènements qui se déroulaient à PARIS et dans de nombreuses villes de province. Quelques concours de pétanques, dotés par le colonel, quelques travaux de peinture sous la surveillance d’un adjudant-chef. Celui-ci s’affolait de voir que les journaux posés sur le parquet pour éviter les projections de peinture étaient des exemplaires de l’Humanité que l’un de mes camarades, BENICHOU, un parisien, avait déployé sous les rires de la chambrée. Voilà un aperçu de la vie des bidasses en mai 68 à MACON ! ◼

Marcel Merliaud28 ans en 68, au lavoir des Chavannes de la mine

Nous allions comme chaque jour, à la prise de poste à 5h, le délégué Robert REY a pris la parole pour appeler à la grève et tout le monde à adhéré au mouvement. L’outil de travail n’a jamais été menacé au lavoir des Chavannes. Avec les autres salariés il fallait beaucoup discuter, pour continuer, mais il n’y avait pas vraiment de conflit, nous étions de toute façon tributaires des mineurs de fond, comment laver du charbon qui ne remontait pas ? Tous les jours, nous discutions avec le piquet de grève de la reconduite du mouvement, qui était reconduit majoritairement. Nos délégués avaient du poids, ils étaient écoutés et reconnus. Nous étions surtout informés par nos dirigeants syndicaux, nous n’avions pas tous la télé, nous écoutions peu la radio, nous lisions beaucoup « Le Patriote ». Nous savions ce qui se passait, mais nous étions cantonnés aux Chavannes. Une tension existait à cette époque entre le jour et le fond. Des gens nous apportaient sur place, soit de l’argent, soit de la nourriture, de plus le syndicat organisait des soupes populaires. La reprise s’est faite en douceur, nous avions obtenu des augmentations de salaire, la re-connaissance de la section syndicale… Aujourd’hui, l’on se rend compte de la difficulté à mobiliser, alors qu’il faudrait un mouvement d’une même am-pleur pour faire bouger les lignes. ◼

La caserne DUHESME de Mâcon, achetée en 2000 par le Conseil général après la suppression du service national

Jean GUILLOT, qui fut Président de la CMCAS

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A cette époque, je fréquentais le Lycée Technique situé rue de Belfort à Chalon sur Saône. L’insouciance due à l’âge m’avait un peu écarté des luttes passées et en cours. L’écoute de la radio m’a ouvert les yeux. On entendait parler de millions de gré-vistes en France et des occupations de facultés et d’usines et ateliers. Puis, la fermeture des classes due aux absences des professeurs pour faits de grève m’a donc renvoyé dans la rue. Du coup, je m’étais intégré avec d’autres camarades dans les manifestations chalonnaises. Je me revois, déambulant de-vant le Palais de Justice et interpellant les prisonniers derrière les grilles de leurs cellules, leur promettant une libération prochaine !... Je me souviens de la raréfaction des stocks de cigarettes. Il fallait être inventif. Je n’ai jamais autant rendu visite à mon grand-père qui me roulait des cigarettes de tabac gris, et à ma buraliste préférée qui avait débusqué dans les fonds de placards les fameuses cigarettes Parisiennes, les P4. Je suivais la « disparition » du Chef de l’Etat, le Général de Gaulle, les discussions entre Pompidou, Chirac (armé d’un pistolet dans sa serviette, paraît-il) et les organisations syndicales, rue de Grenelle. De Gaulle rentre d’Allemagne après sa rencontre avec le Général Massu. Il décide de dissoudre l’Assemblée Nationale. Les Gaullistes descendent dans la rue, la droite réactionnaire conserve le pouvoir après les légis-latives. La reprise du travail a lieu début Juin, après le « Constat de Grenelle ». Cette période m’a complétement forgé dans la conviction que les luttes sont indispensables pour défendre le salariat. Après quelques boulots dans le privé, j’ai pu entrer en Septembre 1972 dans nos entreprises natio-nalisées. Mon adhésion à la CGT a suivi mon embauche. ◼

Martial Palluet 16 ans en 68, lycéen…

Daniel Poletti29 ans en 68, mineur, membre de la section syndicale du puits Saint LouisLe mécontentement qu’a connu la corporation minière, la situation sociale, ont été le détonateur. Tous les puits et services étaient oc-cupés. Sur les piquets de grève, les débats s’instauraient entre les grévistes et les non-grévistes. C’était les responsables des sections qui désignaient les mineurs grévistes pour assurer la sécurité. Il y avait de nombreuses manifestations en ville, mais il était impératif de n’être jamais moins d’une trentaine sur tous les postes pour as-surer les piquets de grève. Le chef de siège voulait que l’on monte la garde devant la poudrière. Nous avons répondu que si nous pré-servions notre outil de travail, il n’était pour autant pas question de prendre le travail des gardes dont c’était le rôle. Les relations étaient parfois houleuses avec les non grévistes, mais tout se passait bien avec les autres entreprises, que l’on retrouvait dans de nombreux rassemblements. Les élus ? l’on voyait ceux « de gauche » uniquement. Les médias venaient plus au syndicat que sur les piquets de grève. Sur le puits St Louis, le mouvement était surtout encadré par la CGT. Nous suivions plutôt les mots d’ordre nationaux. Les médias nous faisaient surtout voir les manifestations parisiennes et les voitures incendiées, mais malgré cela nous ne sentions pas un rejet de la population. Je n’ai pas de souvenir de problèmes avec les lycéens. Ils participaient avec nous localement dans le calme. Sur la solidarité, je sais qu’il y a eu des collectes, mais moi j’étais plus sur le puits. C’est le syndicat qui orga-nisait tout cela ; moi je commençais à militer. J’avais deux enfants, on se débrouillait, la solidarité aidait les plus démunis. Nous avons gagné des augmentations de salaire, la création de véritable Comité d'entreprise, de meilleures conditions de travail, l’obtention de jours de repos, la négociation pour la suppression du travail le samedi, etc. Dans un premier temps nous avions indéniablement un climat social plus avantageux. La grève de 63 était encore dans les esprits. Il y avait à l’évidence beaucoup plus de participation dans les mou-vements que ce que l’on connaît aujourd’hui. Il faudrait monter d’un cran les participations face aux attaques que l’on subit. Les événements de 68 ont montré qu’il était possible de faire bouger les lignes même si la société a changé. Ceux qui croient que les choses vont changer d’elles-mêmes se bercent de grandes illusions ! Si je reste persuadé qu’il n’y a pas de mouvement spontané, soyons conscients qu’il n’y a pas non plus de grèves par procuration. ◼

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Suzanne V. secrétaire, de bons souvenirs…C’est loin, mais j’ai gardé effectivement de bons souvenirs. Le matin, il y avait réunions, et les réflexions fusaient. Un agent de la centrale thermique voulait couper les poteaux électriques ; un col-lègue lui répond : « Ensuite tu iras les relever ! » - Fou rire général… Un autre dit : « Il faut que l’on ave des résultats ! » - AVE ! Les après-midi on défilait et on s’amusait à noter ce qu’il y avait sur les pancartes souvent drôles, avec des jeux de mots et des fautes d’orthographe. Mais tout ça dans la bonne humeur. Un jour que l’on défilait dans la rue Maréchal Leclerc, la propriétaire d’un maga-sin d’articles féminins (le plus cher de Chalon) était sur le pas de sa porte et me dit : « Mais qu’est-ce qu’ils veulent ces gens ? ». Je lui réponds : « Des sous pour consommer chez vous ! ». Elle est restée sans voix. Après le défilé, on s’invitait les uns chez les autres et on mangeait crèpes, gaufres, avec du digestif du « vieux garçon » ou un autre alcool. Résultat : à la fin de la grève, j’avais pris 3 kg… ◼

Jacqueline MazoyerEn mai 68 j’avais 28 ans, mariée et maman de trois jeunes enfants. Quand je suis arrivée au travail le matin du 18 mai, et que j’ai vu « Grève générale » sur la porte d’entrée, je ne me suis posé aucune question. Il fallait être dans l’ACTION ; depuis le temps que ça couvait, on s’y attendait. Tous les matins, réunion d’information, puis participation aux meetings salle Marcel Sembat, aux défilés, aux permanences sur notre lieu de travail, souvent accompa-gnée de mes enfants. Pas le temps de s’ennuyer…

Comme nous n’avions pas la télé, le soir j’allais voir et écouter les infos chez nos voisins dont le mari confec-tionnait sur son balcon des banderoles pour les défilés. En fin de grève, j’ai aussi donné un coup de main aux « Francas » de la Fédération des Oeuvres Laïques, qui avaient organisé une garderie au château de La Loyère. Cette grève, nous l’avons vécue sereinement, sans violence, avec beaucoup d’espoir, et surtout pour moi, l’obtention de la semaine de 40 heures. Alors quelle déception quant au mot d’ordre de reprise du travail : pas de semaine de 40 heures. Seulement un protocole pour y parvenir ultérieurement. On m’a dit : « Il faut savoir terminer une grève ». Enfin celle-ci m’a fait prendre conscience qu’il fallait continuer à se battre. Ce fut pour moi un encouragement et le déclenchement de mon activité militante au sein de la CGT. Et oui, par la suite, nous avons obtenu des avancées significatives, notamment pour les mères de famille. ◼

Il fallait continuer à se battre

Jean Navoret La grève à Mâcon…Cinquante ans après, il est difficile de se remémorer certaines scènes des événements. Ce qui est certain, c’est que l’organisation était parfaite et que chacun avait son rôle à jouer (cadres, maîtrises, ouvriers). Piquet de grève à l’intérieur de la cour, rue de la République - intendance - jeux de cartes - jeux de boules - réunions d’information - rapports auprès des chefs de district pour la liste des coupures à effectuer, etc. En tant que grévistes, nous avons toujours assuré les dépannages, l’astreinte, pallié tout ce qui était la sécurité et les biens des usagers. Bien sûr, nous avons eu quelques anicroches quand nous coupions l’alimentation électrique de la préfecture ou ailleurs, mais ça permettait aux usagers de faire un essai de leur groupe électrogène… Un boulanger a menacé d’amener sa pâte à pain dans la cour de la subdivision. D’autres, très sympathiques nous téléphonaient pour connaître la durée de la coupure, afin qu’ils prennent leurs dispositions, certains étant en soins de dialyse à la maison. Dans l’ensemble, cette situation a duré un mois sans trop de heurts, avec un résultat correct. Je n’en ai pas un mauvais souvenir. ◼

Une aide sociale de 20 000 F a été attribuée par la ville de Mâcon à 450 familles de grévistes

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Jean Chomka formateur hydraulique au centre d’éducation mine, 30 ans en 68

Nommé formateur hydraulique au centre d’éducation mine à la 9éme écluse juste avant la grève, je n’ai pas participé au piquet de grève, du fait de mes responsabilités professionnelles, qui étaient en dehors du puits Ro-zelay. Mais j’allais régulièrement sur les puits pour suivre l’événement. Les deux portes du puits Rozelay étaient bloquées, et comme à Darcy, un drapeau de la CGT avait été placé au sommet du chevalement, il a été enlevé une nuit et remplacé par un drapeau noir. Lorsque le piquet de grève s’en est rendu compte le matin, le drapeau de la CGT a été remis en place. L’on a appris par la suite qu’il avait été enlevé par un cadre de l’entreprise. Nous avons toujours protégé notre outil de travail, la direction du syndicat avait donné consigne de protéger l’outil, de désigner les grévistes pour assurer la sécurité et participer à la visite du fond avec des cadres et le délégué mineur, qui appartenait au personnel du service des mines. La solidarité était omniprésente, les commerçants, les cafetiers, apportaient aides aux grévistes et surtout aux piquets de grève : chique, tabac, boisson. Les mineurs grévistes venaient se renseigner tous les jours, et les trois cafés de l’Ecuyer servaient de lieux d’échange et de réunion. Nous avions surtout l’information des heurts qui se déroulaient entre les étudiants des grandes villes et les forces de l’ordre, ce qui nous révoltait. Nous avions l’impression que les lycéens n’étaient pas trop organisés. De temps à autre les forces de l’ordre venaient exciter les piquets de grève mais ils se méfiaient des mineurs. Ce qu’on a gagné, c’est une augmentation importante de salaire, plus de droits au niveau de la sécurité, de vé-ritables Comités d’entreprise, des conditions de travail améliorées et l’évolution de la mécanisation. Cela a changé la donne, les grévistes avaient été payés des jours de grève. Le constat de Grenelle : tous les acquis de l’époque n’ont cessé d’être remis en cause par les différents gouvernements qui se sont succédé. Au-jourd’hui il nous faut démontrer notre capacité a faire évoluer le rapport de force si l’on veut vivre dignement et ne pas reculer socialement. Nous avons par la suite, forts de cette expérience, reconduit des mouvements catégoriels, « les électro-méca-nos » en 1974, qui a permis la classification de cette catégorie ainsi que les mineurs soient « ouvriers qualifiés de métier » ou « ouvriers mineurs qualifiés », ce qui a permis d’accéder à l’échelle mobile par ancienneté et probation, et remettre en place une commission d’essai professionnel pour pouvoir évoluer dans les échelles. ◼

Robert Wattebled électro-mécanicien au puits Darcy, 24 ans en 68

Un des grands mouvements antérieurs des mineurs était 1963, mais étant sous les drapeaux, je n’ai pas pu participer. Mon engagement syndical fut après les événements de 68. En 68, les délégués nous informaient régulièrement sur le puits des évènements nationaux et locaux, des piquets de grève étaient installés partout. Ils étaient à l’initiative du syndicat des mineurs dont le secrétaire général était Edmond Marc. Je me souviens de piquets de grève effervescents. Il y avait une relative adhésion au mouvement social. Il y avait une grande solidarité entre les entreprises du bassin minier, dont la conduite et la gestion était assurées par l’Union locale CGT. L’expression des grévistes se faisait en direct sur les piquets de grève, nous restions cantonnés sur notre puits, où nous débattions de la

reconduite du mouvement. La version diffusée par la télévision : les étudiants, le départ de de Gaulle, nous dé-couvrions les grands médias, avec l’impression que l’on nous disait la vérité. Heureusement que nous avions un autre langage de nos délégués pour faire contre-poids. Mon beau-père était agent de police à Dijon : inutile de dire les discussions avec lui, pris dans ses obligations de réserve, et moi mes convictions revendicatives. Nous avions nos propres équipes de sécurité lors des manifestations. La solidarité marchait à fond. Collectes de tous genres, en nature ou financière, soupe populaire, etc… Tout était pensé, nous avions le sentiment que ça allait durer. Tout se passait au syndicat : les collectes, le partage, la répartition selon l’importance de la fa-mille. La municipalité de l’époque a pris en charge les enfants dans les cantines scolaires, ce qui avait pour effet de soulager les familles de grévistes. Dans ma famille, nous étions quatre mineurs, mon père, mes deux frères et moi, donc tous les quatre sans salaire. Nous faisions le jardin afin de nous nourrir. Heureusement que la sai-son était favorable. Nous avions le réflexe de solidarité mais nous avions des besoins plus simples, j’étais marié et jeune papa, et mon épouse ne travaillait pas. Enfin nous avions notre mot à dire, la parole était libérée. Heureusement, beaucoup de revendications ont été satisfaites : hausse des salaires, conditions de travail amé-liorées, création de Comité d’entreprise géré par les salariés, œuvres sociales etc… La reprise a été difficile. En tant que jeunes nous avions fait des emprunts, et nous avions un peu tiré le diable par la queue. Bien entendu, comme nous avions participé activement au mouvement nous n’étions pas les premiers sur la liste pour les promotions. La société a changé aujourd’hui, notamment au niveau de la jeunesse. Il faut recommencer à se mobiliser, et encore mieux s’organiser pour le faire et réussir l’unité d’action syndicale. « À recommencer sans modération ». ◼