garder les casernes. cependant, en bien des endroits, des … · 2014-02-08 · le gouvernement...

1
Le gouvernement tente évidemment de profiter des fêtes de Noël pour désarmer les grévistes et user la grève. Mais partout, les travail- leurs sont décidés à tenir. Le gouvernement cherche à faire rouler les trains en Wallonie. Peine perdue. Sur bien des lignes, les rails sont déboulonnés. Selon certaines informations (Le Courrier du 24-12) on aurait même décroché les câbles des caténaires. Pas de signaleurs. Les passages à niveau ne sont plus gardés. Un train a déraillé près de Gédinne. Les cheminots ont arraisonné un convoi qui franchissait la frontière à Aix-la-Chapelle. Le pouvoir bourgeois est paralysé. Les forces de gendarmerie et la troupe ne peuvent se déplacer que très lentement. Les routes sont parsemées de clous. Les rues des villes sont dépavées. Le gouvernement est mis en demeure de « maintenir l'ordre, et de ne pas céder à 1* pression des syndicats chrétiens », qui, pour garder le contrôle de leurs adhérents, s'efforcent d'obtenir des aménagements à la loi unique. Il ne faut pas, écrit par exemple l'éditorialiste du Courrier, organe social- chrétien du patronat de Verviers, « que l'acceptation immédiate d'amen- dements de la part du gouvernement apparaisse comme une reculade de celui-ci devant les menaces des grévistes et la pression de la rue... Des concessions faites actuellement prendraient l'allure d'une capitulation sous le chantage... » Les démarches de la C.S.C. sont donc vouées à l'échec. Néanmoins, la Centrale Chrétienne des services publics invite, pour la première fois, ses adhérents à ne pas participer à la grève. La police saisit à Liège le texte d'un tract destiné aux soldats, et le journal La Wallonie qui l'avait publié : « Soldats, la classe ouvrière belge est entrée dans une lutte décisive pour son droit à l'existence. Le gouvernement va utiliser la troupe, aux côtés de la gendarmerie, pour tenter de briser les grèves et de réprimer le mouvement social en cours. Nous vous demandons de comprendre et de faire votre devoir. Si on vous commande de travailler à la place des ouvriers dans des entre- prises ou des services immobilisés par la grève, croisez-vous les bras ! Si l'on vous met en face de grévistes ou de manifestants, souvenez- vous qu'ils sont vos parents, vos frères, vos amis. Fraternisez avec eux. Vous êtes mobilisés pour défendre le pays, et non pour l'étrangler. Ne craignez rien. Tout le mouvement ouvrier socialiste est là pour vous défendre. Soldats, ne soyez pas traîtres à votre classe. Nous comptons sur vous. » L'Action Commune. La bourgeoisie a gardé le souvenir de la désagrégation de son appareil répressif mobilisé contre les grévistes en 1950 dans l'affaire royale. De nombreuses précautions ont été prises. On a déplacé de» régiments (chasseurs ardennais), on a renforcé la discipline, o n a fait 30 garder les casernes. Cependant, en bien des endroits, des tentatives de fraternisation s'ébauchent entre les grévistes et la troupe. Elles n'iront d'ailleurs pas loin (la politique militariste du P.S.B. aura pesé lourd). A R o u x , e t ailleurs, les grévistes ont pu rentrer en contact avec les soldats. Ceux-ct se déclarant mécontents de leur nourriture, les grévistes les ont nourris. A Marchienne, les militaires ont fait savoir qu'ils n'ont pas de balles et qu'ils partiront après le premier jet de pierres. A la gare de Charleroi, les gendarmes ont protégé les militaires de la conta- mination des grévistes. Il faut signaler que, seule de toutes les orga- nisations, celle des Jeunes Gardes Socialistes a préparé une propagande en direction de l'armée. Les Flandres sont entrées dans la grève. Anvers est, depuis plu- sieurs jours, sans trams ni courrier. A Bruges, les employés des services publics ont obtenu que la F.G.T.B. lance l'ordre de grève ; mais celle-ci ne commencera que le mercredi 28. A Louvain, les grévistes ont bloqué le trafic ferroviaire. Plus de courrier ni de journaux. Samedi, 12.000 travailleurs ont manifesté à Gand. On s'est rendu au local de la C.S.C, « où de furieuses invectives ont été échangées-» (Le Peuple). Les marins d'Ostende participent au mouvement. La grève s'étend aux plus petites villes : Furnes, Dixmude. Dans cette dernière localité, sept grévistes ont été arrêtés sous l'inculpation de sabotage. Le premier ministre prononce samedi soir à la radio, un discours dans lequel il dénonce notamment les manœuvres insurrectionnelles. « Mauvaise action que celle qui consiste à parler de mouvement insur- rectionnel, il n'y a que des travailleurs qui, par l'arme légale de la grève, veulent s'opposer à la diminution de leur standing de vie:», geint Le Peuple (26-12). Quant au Parti Communiste, il s'empresse de démentir les propos du ministre de la Justice Harmel, qui s'est hasardé à prétendre que des mots d'ordre de caractère insurrectionnel auraient été donnés par des « centrales communistes ». (Le Drapeau Rouge, 27-12). Quant à La Wallonie (d'André Renard), elle appelle au calme et à la dignité. Elle affirme que la classe ouvrière « ne se laissera manœuvrer, ni par les extrémistes, ni par les provocateurs... ». C'est la nuit de Noël. Le centre de Bruxelles est pratiquement en état de siège. Convois militaires. Patrouilles l'arme au poing. Chevaux de frise. Il y a dix jours à peine, c'était les épousailles royales. Leurs majestés avaient comblé leurs fidèles sujets de lumières, de brillantes toilettes, de toute l'imagerie d'Epinal du beau monde. Aujourd'hui, les ouvriers tiennent le pavé, et l'Etat du roi Baudoin' n'a pas trop de toute sa police et de toute son armée pour tenter de faire croire qu'il est resté le maître chez lui. Le centre de Bruxelles est désert et sombre. Les bourgeois sont restés chez eux. Dans les quartiers ouvriers, aux portes des usines, les piquets de grève passent un Noël de combat, au coude à coude. On boit le vin chaud. Les femmes, les amis se sont joint à la veillée. Partout, c'est la lutte, et l'enthousiasme.

Upload: others

Post on 10-Aug-2020

4 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: garder les casernes. Cependant, en bien des endroits, des … · 2014-02-08 · Le gouvernement tente évidemment de profiter des fêtes de Noël pour désarmer les grévistes et

L e g o u v e r n e m e n t tente é v i d e m m e n t de p r o f i t e r des f ê t e s de N o ë l p o u r d é s a r m e r les g r é v i s t e s et u s e r l a g r è v e . M a i s p a r t o u t , l e s t r a v a i l ­l e u r s s o n t d é c i d é s à t e n i r . L e g o u v e r n e m e n t c h e r c h e à f a i r e r o u l e r les t r a i n s e n W a l l o n i e . P e i n e p e r d u e . S u r b i e n des l i g n e s , les r a i l s s o n t d é b o u l o n n é s . S e l o n c e r t a i n e s i n f o r m a t i o n s (Le Courrier d u 24-12) o n a u r a i t m ê m e d é c r o c h é les c â b l e s des c a t é n a i r e s . P a s de s i g n a l e u r s . L e s passages à n i v e a u ne s o n t p l u s g a r d é s . U n t r a i n a d é r a i l l é p r è s de G é d i n n e . L e s c h e m i n o t s ont a r r a i s o n n é u n c o n v o i q u i f r a n c h i s s a i t l a f r o n t i è r e à A i x - l a - C h a p e l l e .

L e p o u v o i r b o u r g e o i s est p a r a l y s é . L e s f o r c e s de g e n d a r m e r i e et l a t r o u p e ne p e u v e n t se d é p l a c e r que t r è s l e n t e m e n t . L e s r o u t e s s o n t p a r s e m é e s de c l o u s . L e s r u e s des v i l l e s s o n t d é p a v é e s . L e g o u v e r n e m e n t est m i s e n d e m e u r e de « maintenir l'ordre, et de ne pas céder à 1* pression des syndicats chrétiens », q u i , p o u r g a r d e r l e c o n t r ô l e de l e u r s a d h é r e n t s , s ' e f forcent d ' o b t e n i r des a m é n a g e m e n t s à l a l o i u n i q u e . I l ne f a u t pas , é c r i t p a r e x e m p l e l ' é d i t o r i a l i s t e d u Courrier, o r g a n e s o c i a l -c h r é t i e n d u p a t r o n a t de V e r v i e r s , « que l'acceptation immédiate d'amen­dements de la part du gouvernement apparaisse comme une reculade de celui-ci devant les menaces des grévistes et la pression de la rue... Des concessions faites actuellement prendraient l'allure d'une capitulation sous le chantage... » L e s d é m a r c h e s de l a C . S . C . s o n t d o n c v o u é e s à l ' é c h e c . N é a n m o i n s , l a C e n t r a l e C h r é t i e n n e des s e r v i c e s p u b l i c s i n v i t e , p o u r l a p r e m i è r e f o i s , ses a d h é r e n t s à ne pas p a r t i c i p e r à l a g r è v e .

L a p o l i c e s a i s i t à L i è g e le t e x t e d ' u n t r a c t d e s t i n é a u x s o l d a t s , et l e j o u r n a l La Wallonie q u i l ' a v a i t p u b l i é :

« Soldats, la classe ouvrière belge est entrée dans une lutte décisive pour son droit à l'existence. Le gouvernement va utiliser la troupe, aux côtés de la gendarmerie, pour tenter de briser les grèves et de réprimer le mouvement social en cours.

Nous vous demandons de comprendre et de faire votre devoir. Si on vous commande de travailler à la place des ouvriers dans des entre­prises ou des services immobilisés par la grève, croisez-vous les bras !

Si l'on vous met en face de grévistes ou de manifestants, souvenez-vous qu'ils sont vos parents, vos frères, vos amis. Fraternisez avec eux.

Vous êtes mobilisés pour défendre le pays, et non pour l'étrangler. Ne craignez rien. Tout le mouvement ouvrier socialiste est là pour vous défendre.

Soldats, ne soyez pas traîtres à votre classe. Nous comptons sur

vous. » L'Action Commune.

L a b o u r g e o i s i e a g a r d é le s o u v e n i r de l a d é s a g r é g a t i o n d e s o n a p p a r e i l r é p r e s s i f m o b i l i s é c o n t r e les g r é v i s t e s e n 1950 dans l ' a f f a i r e r o y a l e . D e n o m b r e u s e s p r é c a u t i o n s o n t é t é p r i s e s . O n a d é p l a c é de» r é g i m e n t s ( c h a s s e u r s a r d e n n a i s ) , o n a r e n f o r c é l a d i s c i p l i n e , o n a f a i t

— 30 —

g a r d e r les c a s e r n e s . C e p e n d a n t , en b i e n des e n d r o i t s , des t e n t a t i v e s de f r a t e r n i s a t i o n s ' é b a u c h e n t e n t r e l e s g r é v i s t e s et la t r o u p e . E l l e s n ' i r o n t d ' a i l l e u r s pas l o i n ( l a p o l i t i q u e m i l i t a r i s t e d u P . S . B . a u r a p e s é l o u r d ) . A R o u x , et a i l l e u r s , l es g r é v i s t e s o n t p u r e n t r e r en c o n t a c t a v e c les s o l d a t s . C e u x - c t se d é c l a r a n t m é c o n t e n t s de l e u r n o u r r i t u r e , les g r é v i s t e s les o n t n o u r r i s . A M a r c h i e n n e , l es m i l i t a i r e s o n t f a i t s a v o i r q u ' i l s n ' o n t pas de b a l l e s et q u ' i l s p a r t i r o n t a p r è s l e p r e m i e r j e t de p i e r r e s . A la g a r e de C h a r l e r o i , l e s g e n d a r m e s o n t p r o t é g é les m i l i t a i r e s de l a c o n t a ­m i n a t i o n des g r é v i s t e s . I l f a u t s i g n a l e r que, seule de t o u t e s les o r g a ­n i s a t i o n s , c e l l e des J e u n e s G a r d e s S o c i a l i s t e s a p r é p a r é u n e p r o p a g a n d e en d i r e c t i o n de l ' a r m é e .

L e s F l a n d r e s s o n t e n t r é e s dans l a g r è v e . A n v e r s est, d e p u i s p l u ­s i e u r s j o u r s , sans t r a m s n i c o u r r i e r . A B r u g e s , l es e m p l o y é s des s e r v i c e s p u b l i c s o n t o b t e n u q u e l a F . G . T . B . l a n c e l ' o r d r e de g r è v e ; m a i s c e l l e - c i ne c o m m e n c e r a que l e m e r c r e d i 28. A L o u v a i n , l es g r é v i s t e s o n t b l o q u é le t r a f i c f e r r o v i a i r e . P l u s de c o u r r i e r n i de j o u r n a u x . S a m e d i , 12.000 t r a v a i l l e u r s o n t m a n i f e s t é à G a n d . O n s'est r e n d u a u l o c a l de l a C . S . C , « où de furieuses invectives ont été échangées-» (Le Peuple). L e s m a r i n s d ' O s t e n d e p a r t i c i p e n t a u m o u v e m e n t . L a g r è v e s 'é tend a u x p l u s p e t i t e s v i l l e s : F u r n e s , D i x m u d e . D a n s c e t t e d e r n i è r e l o c a l i t é , sept g r é v i s t e s o n t é t é a r r ê t é s s o u s l ' i n c u l p a t i o n de sabotage .

L e p r e m i e r m i n i s t r e p r o n o n c e s a m e d i s o i r à l a r a d i o , u n d i s c o u r s dans l e q u e l i l d é n o n c e n o t a m m e n t les m a n œ u v r e s i n s u r r e c t i o n n e l l e s . « Mauvaise action que celle qui consiste à parler de mouvement insur­rectionnel, là où il n'y a que des travailleurs qui, par l'arme légale de la grève, veulent s'opposer à la diminution de leur standing de vie:», g e i n t Le Peuple (26-12) . Q u a n t au P a r t i C o m m u n i s t e , i l s ' e m p r e s s e de d é m e n t i r l es p r o p o s d u m i n i s t r e de l a J u s t i c e H a r m e l , q u i s 'est h a s a r d é à p r é t e n d r e q u e des m o t s d ' o r d r e de c a r a c t è r e i n s u r r e c t i o n n e l a u r a i e n t é t é d o n n é s p a r des « centrales communistes ». (Le Drapeau Rouge, 27-12). Q u a n t à La Wallonie ( d ' A n d r é R e n a r d ) , e l l e a p p e l l e a u c a l m e et à la d i g n i t é . E l l e a f f i r m e que l a c l a s s e o u v r i è r e « ne se laissera manœuvrer, ni par les extrémistes, ni par les provocateurs... ».

C ' e s t l a n u i t de N o ë l . L e c e n t r e de B r u x e l l e s est p r a t i q u e m e n t e n é t a t de s i è g e . C o n v o i s m i l i t a i r e s . P a t r o u i l l e s l ' a r m e a u p o i n g . C h e v a u x de f r i s e . I l y a d i x j o u r s à p e i n e , c ' é t a i t l es é p o u s a i l l e s r o y a l e s . L e u r s m a j e s t é s a v a i e n t c o m b l é l e u r s fidèles s u j e t s de l u m i è r e s , de b r i l l a n t e s t o i l e t t e s , de t o u t e l ' i m a g e r i e d ' E p i n a l d u b e a u m o n d e . A u j o u r d ' h u i , l es o u v r i e r s t i e n n e n t l e p a v é , et l ' E t a t d u r o i B a u d o i n ' n ' a pas t r o p de t o u t e s a p o l i c e et de t o u t e s o n a r m é e p o u r t e n t e r de f a i r e c r o i r e q u ' i l est r e s t é l e m a î t r e c h e z l u i . L e c e n t r e de B r u x e l l e s est d é s e r t et s o m b r e . L e s b o u r g e o i s s o n t r e s t é s c h e z eux.

D a n s les q u a r t i e r s o u v r i e r s , a u x p o r t e s des u s i n e s , les p i q u e t s de g r è v e p a s s e n t u n N o ë l de c o m b a t , a u c o u d e à c o u d e . O n b o i t l e v i n c h a u d . L e s f e m m e s , l es a m i s se s o n t j o i n t à l a v e i l l é e . P a r t o u t , c 'est l a l u t t e , et l ' e n t h o u s i a s m e .