biostimulants : un marché neuf qui s’organise · trouvent, entre le concept de nutrition et...

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163 Semences et Progrès n° 159 - mars 2013 Ferti-Progrès Biostimulants : un marché neuf qui s’organise Les biostimulants font partie d’une nouvelle génération de solutions proposées aux agriculteurs pour avancer sur la voie d’une agriculture durable, capable de répondre aux besoins alimentaires croissants de l’humanité. Ils permettent de produire plus, tout en réduisant l’utilisation d’intrants aux ressources limitées et l’impact sur l’environnement. Depuis plusieurs années fleurissent sur le marché des produits porteurs d’allégations sur l’amélioration de la croissance des plantes, du rendement ou de la qualité mais qui ne sont ni des engrais ni des pesticides. Divers noms circulent - optimisateurs de croissance, fortifiants, stimulants, activa- teurs, anti-stress - mais on les regroupe souvent sous le terme de biostimulants, aujourd’hui sans valeur réglementaire en France. Il est donc très difficile pour les agri- culteurs, comme pour les distributeurs, de se repérer de façon claire dans cette jungle de produits aux origines et aux modes d’action très variés. Et ce, d’autant plus que selon les pays, ils ne sont pas considérés de la même façon et ne nécessitent pas toujours les mêmes homologations ou règles de mise en marché. Mais la situation est en train de se clarifier avec d’une part, la création du syndicat EBIC, European Biostimulants Industry Council (voir encadré 1), et d’autre part, la démarche d’harmonisation des différentes législations nationales concer- nant les matières fertilisantes, lancée par la Commission européenne (voir encadré 2). Dans ce nouveau règlement harmonisé apparaîtra la catégorie des biostimulants des plantes, pour lesquels la Commission a validé la définition proposée par le syndicat EBIC : les biostimulants des plantes regrou- pent des produits qui peuvent contenir des substances et/ou des microorganismes dont la fonction, lorsqu’ils sont apportés aux plantes ou dans la rhizosphère, est de stimuler les processus naturels pour améliorer : - l’assimilation des nutriments, - l’efficacité de la nutrition, - la résistance aux stress abiotiques, - la qualité de la récolte, indépendamment de leur valeur fertili- sante. Affirmer la spécificité des biostimulants Un biostimulant est donc un composé mi- néral ou organique, ou un micro-organisme, qui peut prétendre exercer sur les plantes au moins un de ces quatre effets. Si l’un des critères porte sur l’amélioration de la résis- tance aux stress abiotiques, hydriques, ther- miques ou oxydatifs, aucune revendication sur les stress biotiques ne figure dans cette La décision des autorités européennes de réviser la réglementation des matières fertilisantes afin d’en étendre le champ d’action à de nouveaux produits tels que les biostimulants a été le déclencheur, en 2011, de la création de l’EBIC, European Biostimulants Industry Consortium. En effet, il devenait nécessaire de fédérer l’industrie du secteur en regroupant ses acteurs afin qu’ils parlent d’une seule voix, et pour interagir efficacement avec les au- torités européennes. En juin 2011, une dizaine d’industriels produisant ce type de produits se sont ainsi rapprochés. Un an après, ils étaient une trentaine de membres. En raison de ce succès, il a été décidé de pérenniser l’organisation en la transformant en un conseil EBIC, European Biostimulants Industry Council. Le nombre d’adhérents continue d’augmenter régulièrement. De 34 aujourd’hui, on devrait facilement atteindre la cinquantaine d’ici l’année prochaine, selon le syndicat lui-même. Il faut savoir que plusieurs centaines de PME proposent des biostimulants en Europe, mais toutes celles - et elles sont nombreuses - qui n’ont qu’une implantation locale, sans ambition de développement sur le marché européen, n’ont pas vocation à faire partie d’EBIC. La mission principale du syndicat est de participer aux discussions avec les auto- rités européennes sur la forme de la régle- mentation, les détails de sa mise en place et le fonctionnement du marché, et de peser sur les prises de décision. Plus largement, EBIC a pour rôle de promouvoir la capacité du secteur des biostimulants à atteindre les objectifs d’une croissance intelligente et durable, contenus dans la stratégie 2020 de l’Union européenne. EBIC est, en grande partie, à l’origine de la définition des biostimulants des plantes re- tenue par la Commission européenne pour faire entrer ces produits dans la nouvelle réglementation européenne harmonisée des matières fertilisantes. EBIC, le syndicat européen des fabricants de biostimulants Engrais starter pour les semis Stimulation de la vie microbienne Nutrition organique Libération progressive des nutriments Suivez nous: www.italpollina.fr définition. Les biostimulants n’ont donc pas vocation à avoir un effet phytosanitaire. Cette définition autour de laquelle s’est dégagé un consensus européen repose sur des bases techniques et scientifiques solides issues de l’étude bibliographique du professeur Patrick du Jardin de l’uni- versité de Gembloux, commanditée par la Commission européenne. Avec la mise en place de cette nouvelle réglementation commune à toute la zone européenne, ces produits pour- ront être tirés de la zone grise où ils se trouvent, entre le concept de nutrition et celui de protection des plantes. Cet encadrement va sécuriser le marché pour tous les acteurs. Les fabricants pourront investir dans l’innovation

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163 163Semences et Progrès n° 159 - mars 2013

Ferti-Progrès

Biostimulants : un marché neuf qui s’organise

Les biostimulants font partie d’une nouvelle génération de solutions proposées aux agriculteurs pour avancer sur la voie d’une agriculture durable, capable de répondre aux besoins alimentaires croissants de l’humanité. Ils permettent de produire plus, tout en réduisant l’utilisation d’intrants aux ressources limitées et l’impact sur l’environnement.

Depuis plusieurs années fleurissent sur le marché des produits porteurs d’allégations sur l’amélioration de la croissance des plantes, du rendement ou de la qualité mais qui ne sont ni des engrais ni des pesticides. Divers noms circulent - optimisateurs de croissance, fortifiants, stimulants, activa-teurs, anti-stress - mais on les regroupe souvent sous le terme de biostimulants, aujourd’hui sans valeur réglementaire en France. Il est donc très difficile pour les agri-culteurs, comme pour les distributeurs, de se repérer de façon claire dans cette jungle de produits aux origines et aux modes d’action très variés. Et ce, d’autant plus que selon les pays, ils ne sont pas considérés de la même façon et ne nécessitent pas toujours les mêmes homologations ou règles de mise en marché. Mais la situation est en train de se clarifier avec d’une part, la création du syndicat EBIC, European Biostimulants Industry Council (voir encadré 1), et d’autre part, la démarche d’harmonisation des différentes législations nationales concer-nant les matières fertilisantes, lancée par la Commission européenne (voir encadré 2). Dans ce nouveau règlement harmonisé apparaîtra la catégorie des biostimulants des plantes, pour lesquels la Commission a validé la définition proposée par le syndicat EBIC : les biostimulants des plantes regrou-pent des produits qui peuvent contenir des substances et/ou des microorganismes dont la fonction, lorsqu’ils sont apportés aux plantes ou dans la rhizosphère, est de stimuler les processus naturels pour améliorer :- l’assimilation des nutriments, - l’efficacité de la nutrition,- la résistance aux stress abiotiques, - la qualité de la récolte,indépendamment de leur valeur fertili-sante.

Affirmer la spécificité des biostimulantsUn biostimulant est donc un composé mi-néral ou organique, ou un micro-organisme, qui peut prétendre exercer sur les plantes au moins un de ces quatre effets. Si l’un des critères porte sur l’amélioration de la résis-tance aux stress abiotiques, hydriques, ther-miques ou oxydatifs, aucune revendication sur les stress biotiques ne figure dans cette

La décision des autorités européennes de réviser la réglementation des matières fertilisantes afin d’en étendre le champ d’action à de nouveaux produits tels que les biostimulants a été le déclencheur, en 2011, de la création de l’EBIC, European Biostimulants Industry Consortium. En effet, il devenait nécessaire de fédérer l’industrie du secteur en regroupant ses acteurs afin qu’ils parlent d’une seule voix, et pour interagir efficacement avec les au-torités européennes. En juin 2011, une dizaine d’industriels produisant ce type de produits se sont ainsi rapprochés. Un an après, ils étaient une trentaine de membres. En raison de ce succès, il a été décidé de pérenniser l’organisation en la transformant en un conseil EBIC, European Biostimulants Industry Council. Le nombre d’adhérents continue d’augmenter régulièrement. De 34 aujourd’hui, on devrait facilement atteindre la cinquantaine d’ici l’année prochaine, selon le syndicat lui-même. Il

faut savoir que plusieurs centaines de PME proposent des biostimulants en Europe, mais toutes celles - et elles sont nombreuses - qui n’ont qu’une implantation locale, sans ambition de développement sur le marché européen, n’ont pas vocation à faire partie d’EBIC. La mission principale du syndicat est de participer aux discussions avec les auto-rités européennes sur la forme de la régle-mentation, les détails de sa mise en place et le fonctionnement du marché, et de peser sur les prises de décision. Plus largement, EBIC a pour rôle de promouvoir la capacité du secteur des biostimulants à atteindre les objectifs d’une croissance intelligente et durable, contenus dans la stratégie 2020 de l’Union européenne. EBIC est, en grande partie, à l’origine de la définition des biostimulants des plantes re-tenue par la Commission européenne pour faire entrer ces produits dans la nouvelle réglementation européenne harmonisée des matières fertilisantes.

EBIC, le syndicat européen des fabricants de biostimulants

Engrais starter pour les semis

Stimulation de la vie microbienne

Nutrition organique

Libération progressive des nutriments

Suivez nous: www.italpollina.fr

définition. Les biostimulants n’ont donc pas vocation à avoir un effet phytosanitaire.Cette définition autour de laquelle s’est dégagé un consensus européen repose sur des bases techniques et scientifiques solides issues de l’étude bibliographique du professeur Patrick du Jardin de l’uni-versité de Gembloux, commanditée par la Commission européenne.

Avec la mise en place de cette nouvelle réglementation commune à toute la zone européenne, ces produits pour-ront être tirés de la zone grise où ils se trouvent, entre le concept de nutrition et celui de protection des plantes. Cet encadrement va sécuriser le marché pour tous les acteurs. Les fabricants pourront investir dans l’innovation

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Dès 2009, lors de sa présidence de la Commission européenne, la France a engagé une réflexion sur l’harmonisation éventuelle des différentes législations nationales concernant les matières fertil-isantes. Une fois la décision prise par la Commission d’ouvrir ce chantier, quatre groupes de travail composés d’experts, d’industriels via leurs associations eu-ropéennes, de représentants des Etats membres et de la Commission ont été mis en place dès la fin de 2011 pour traiter des thèmes suivants : la structure de la nouvelle réglementation (c’est-à-dire sa définition), l’efficacité, l’innocuité, le marquage, l’étiquetage, les auto-contrôles et les méthodes de caractérisation des produits. Ces différents groupes se sont réunis une quinzaine de fois et la syn-thèse de leurs travaux a été réalisée en novembre dernier. La rédaction du projet de règlement a été lancée dans la foulée. En l’état actuel des discussions, le règle-ment couvrira, sous l’appellation de matières fertilisantes, les engrais mi-néraux, les amendements organiques, les engrais organiques, les engrais organo-

avec plus de sérénité puisqu’ils pourront faire reconnaître et protéger la spécificité de leurs produits. Par ailleurs, ils pourront mettre en avant les notions d’effet et de bénéfice des biostimulants, et plus seule-ment les matières premières entrant dans la composition du produit comme pour les engrais classiques. Les agriculteurs et les distributeurs profiteront de plus de ga-rantie sur le rôle et l’efficacité des produits et seront donc moins la cible des vendeurs de poudres de perlimpinpin, sans intérêt véritablement prouvé dans la durée.Un système d’homologation des biostimu-lants, qui devrait être simplifié par rapport à celui des produits phytosanitaires, sera mise en place. Il faudra démontrer l’un des quatre effets de la définition et justifier de son innocuité.

Une grande diversité de produits pour toutes les plantes

Mieux encadrée, la palette des produits biostimulants des plantes n’en restera pas moins large. Des micro-organismes, des substances humiques (acides humiques et fulviques), des acides aminés, des extraits d’algues, des extraits de plantes, des com-posés ou des sels minéraux, des composés chimiques, la chitine et les dérivées du chitosan pourront prétendre à l’appellation de biostimulants dès lors qu’ils seront ho-mologués comme tels. Et un même produit

minéraux, les supports de culture, les amendements minéraux basiques, les amendements pour sols destinés à les alléger et les structurer et, nouveauté, les biostimulants. La première version est attendue pour avril ou mai 2013. Ensuite, on entrera dans la phase de validation des textes selon une procédure de codécision entre le Parlement et le Conseil euro-péens. Deux lectures seront certainement nécessaires. La première devrait avoir lieu au deuxième semestre 2013 et la seconde seulement au deuxième semestre 2014, après les élections au Parlement européen. Si tout se passe correctement, le texte définitivement adopté pourrait entrer en vigueur en 2015, selon les intervenants les plus optimistes. Toutes les réglementations nationales seront alors abrogées et remplacées par la nouvelle réglementation européenne qui harmonisera tous les secteurs d’activités concernés, dont celui des biostimulants. Ces produits bénéficieront alors d’une dé-finition et d’un cadre réglementaire précis, compris et admis par tous, garant de leur efficacité et de leur innocuité.

Les biostimulants et la réglementation européenne sur les matières fertilisantes

pourra contenir des substances appartenant à plusieurs de ces familles.Les modes d’actions des biostimulants sont également très diversifiés à l’intérieur comme à l’extérieur des plantes, ou dans le sol. Ils peuvent agir directement sur la physiologie de la plante en intervenant sur les activités cellulaires : échanges de métabo-lites, activités hormonales et enzymatiques, notamment celles régissant l’assimilation de l’azote, production d’antioxydants, osmoré-gulation, stimulation de la photosynthèse… A la surface des feuilles certains permettent la formation de films protecteurs qui, par exemple, accroissent la réflectance et limitent l’absorption des radiations et l’évapotrans-piration.

Dans le sol, ils peuvent jouer sur la formation et la stabilité des agrégats, sur l’aération, la rétention de l’eau, sur la fixation et l’échange des ions, sur l’activité des microorganismes intéressants de la rhizosphère.

Tous les mécanismes d’action de ces subs-tances ne sont pas encore toujours bien connus et de nombreux travaux de recherche sont en cours pour mieux les comprendre, puis les exploiter.

Concrètement, les effets sur les cultures portent sur le développement, la croissance et la capacité d’exploitation des sols par les racines, sur l’amélioration du métabolisme global des plantes, sur la tolérance aux stress environnementaux, ce qui au final se traduit

par une amélioration de l’absorption des éléments minéraux et donc des récoltes, en quantité comme en qualité.Les protocoles d’utilisation, dates et stades d’apports sont différents selon les espèces. La biostimulation est conditionnelle. Les effets dépendent de divers éléments comme l’état nutritionnel des plantes, les paramètres du sol et les conditions de stress abiotiques.

Un secteur en plein essorLes premiers à s’être intéressés aux biosti-mulants des plantes ont été les producteurs de cultures spécialisées, maraîchers, arbori-culteurs, horticulteurs, viticulteurs. Puis ces produits ont peu à peu fait leur entrée dans le créneau des grandes cultures par le biais des agriculteurs bios et de ceux qui travaillent en TCS (techniques culturales simplifiées). Mais aujourd’hui, les fabricants constatent un intérêt croissant pour les biostimulants en agriculture conventionnelle. Les agriculteurs sont de plus en plus conscients de la néces-sité d’adapter leurs pratiques aux nouvelles contraintes de leur profession, qu’elles soient économiques (cherté des engrais), environ-nementales (maintien de la vie et de la bio-diversité des sols, limitation de l’utilisation des intrants), ou sociétales (exigences sur la qualité des aliments). Les biostimulants ap-paraissent comme un moyen d’atteindre ces objectifs au cœur d’une agriculture durable. Néanmoins, les cultures spécialisées repré-sentent toujours le gros du marché.Il n’existe pas encore de données statistiques économiques fiables sur ce marché neuf, qui commence juste à se structurer. Selon le syndicat EBIC qui a enquêté auprès de ses adhérents, près de 5,5 millions d’hectares ont été traités avec des biostimulants en Europe, pour un marché en valeur dépassant les 500 millions d’euros. La croissance du secteur devrait rester supérieure à 10 % par an dans les années à venir grâce à une demande croissante des agriculteurs. Les industriels européens ne s’y trompent pas et investissent chaque année entre 3 et 10 % de leur chiffre d’affaires en recherche et développement. Quelques données illustrent le potentiel du secteur. Selon la documentation disponible, les biostimulants entraîneraient une hausse de 5 à 10 % des rendements, de 5 % au minimum de l’efficience des engrais, une réduction de l’utilisation des pesticides de 10 à 15 % et une amélioration de la qualité, comme la présentation et l’homogénéité des fruits, de l’ordre de 15 %.Mais il faut rester lucide, les biostimulants ne sont pas des produits miracles destinés à remplacer les engrais, même s’ils permettent d’en réduire les apports. Ils aident les plantes à mieux exploiter les ressources de leur en-vironnement, à résister à ses contraintes et aux aléas climatiques, et à exprimer tout leur potentiel. Ce sont des outils complémentaires mis à la disposition des agriculteurs pour une fertilisation raisonnée durable.

Sabine Bulot