billetsd'afrique - survie · seulement ibk est persuadé que ce drame ne serait jamais arrivé...

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P.2 LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUE P.3 ÉDITO La république françafricaine Remise de l'intervention française en Centrafrique dans la perspective historique P.4 MAURITANIE Valls en Mauritanie ou Tintin dans un état narcoterroriste? Le soutien français aux régimes infréquentables continue. Après AlliotMarie qui proposait de collaborer à la répression en Tunisie, Valls pactise avec Aziz en Mauritanie. P.5 NORD DU MALI Le gouvernement malien face à l'ingérence française L'insécurité à Kidal favoriseelle les plans de la France et de son allié MNLA? C'est en tout cas ce qui se dit dans la presse malienne. Le spectre de partition du pays s'approche. P.68 LOI DE PROGRAMMAION MILITAIRE Permis de tuer pour les militaires en Opex Les anciens du Rwanda pourront dormir tranquille Extension du domaine de la surveillance P. 911 AFD, PROPARCO, G8 Développeurs d'avenirs rentables La publication récente d'un rapport du CCFDTerre solidaire sur les investissements financiers dans le secteur agricole illustre une fois de plus les travers des politiques de développement agricole de la France et des pays riches en général : une aide publique au développement des profits privés. P. 11 PERENCO Des crocodiles bretons dans les eaux troubles du Congo Lettre mensuelle éditée par Survie // N° 230 Décembre 2013 - 2,30 euros http://survie.org Billets d'Afrique... ...et d'ailleurs Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-africaines La loi de programmation militaire est source d'inquiétude, tant sur le plan des libertés publiques (p.8) que sur l'impunité qu'elle assure aux crimes qui seraient commis par des militaires en opération (p.6), jusqu'à menacer les perspectives de voir un jour la justice s'intéresser aux implications de militaires français dans le génocide des Tutsi (p.7). Loi de programmation militaire Une loi martiale

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Page 1: Billetsd'Afrique - Survie · seulement IBK est persuadé que ce drame ne serait jamais arrivé si la France avait laissé l'armée malienne sécuriser Kidal, mais, en outre, les Français

P.2 LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUEP.3 ÉDITO La république françafricaineRemise de l'intervention française en Centrafrique dans laperspective historiqueP.4 MAURITANIE Valls en Mauritanie ouTintin dans un état narco­terroriste?Le soutien français aux régimes infréquentables continue.Après Alliot­Marie qui proposait de collaborer à la répressionen Tunisie, Valls pactise avec Aziz en Mauritanie.P.5 NORD DU MALI Le gouvernement malien face àl'ingérence françaiseL'insécurité à Kidal favorise­elle les plans de la France et deson allié MNLA? C'est en tout cas ce qui se dit dans la pressemalienne. Le spectre de partition du pays s'approche.

P.6­8 LOI DE PROGRAMMAION MILITAIREPermis de tuer pour les militaires en OpexLes anciens du Rwanda pourront dormir tranquilleExtension du domaine de la surveillanceP. 9­11 AFD, PROPARCO, G8 Développeurs d'avenirsrentablesLa publication récente d'un rapport du CCFD­Terre solidairesur les investissements financiers dans le secteur agricoleillustre une fois de plus les travers des politiques dedéveloppement agricole de la France et des pays riches engénéral : une aide publique au développement des profitsprivés.P. 11 PERENCO Des crocodiles bretons dans les eauxtroubles du Congo

Lettre mensuelle éditée par Survie // N° 230 Décembre 2013 - 2,30 euros http://survie.org

Billets d'Afrique......et d'ailleurs

Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-africaines

La loi de programmation militaire est source d'inquiétude, tant sur le plan des libertéspubliques (p.8) que sur l'impunité qu'elle assure aux crimes qui seraient commis par desmilitaires en opération (p.6), jusqu'à menacer les perspectives de voir un jour la justices'intéresser aux implications de militaires français dans le génocide des Tutsi (p.7).

Loi de programmation militaire

Une loi martiale

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2 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Décembre 2013 N°230

En bref

Rapport opportunAlors que la diplomatie française est auxpetits oignons pour Idriss Déby, Amnestyinternational sort opportunément unnouveau rapport consacré aux« arrestations, détention et restrictions àla liberté d’expression au Tchad ».L’enquête fait le point sur les principalesaffaires depuis 2006, jusqu’aux dernièresincarcérations arbitraires de mai 2013,concernant des parlementaires, desjournalistes, un professeur d’université etdes officiers, ainsi que sur les dernièresvictimes des méthodes expéditives desforces de l’ordre. « Au nom de lasécurité ? », s’interroge en titre lerapport. Une interrogation qu’on peutretourner aux autorités françaises qui ontfait du régime tchadien leur principal alliéau Mali, et de son président un hôte demarque.

Renégociationopaque descontratsminiers au NigerCraignant que ne soient signées dans laprécipitation de nouvelles conventionsminières avec Areva engageant le payspour les dix prochaines années, l’ONGOxfam et le ROTAB, branche nigériennede la campagne « Publiez ce que vouspayez », viennent de sortir un rapportintitulé « Niger : à qui profitel’uranium ? » Ce dernier rappellenotamment que sur les 40 dernièresannées, seule 13% de la valeur del’uranium exporté serait revenue à l’Etatnigérien. Encore aujourd’hui, la firmefrançaise bénéficie de divers avantagesfiscaux et d’une clause de stabilité qui luipermet d’échapper aux exigences desnouvelles lois minières si celles­ci luisont plus défavorables que les anciennes !Des fonctionnaires nigériens s’étonnentaussi d’une forte augmentation descharges déclarées par les filiales d’Areva,qui réduisent d’autant les bénéfices et lesdividendes reversés au Niger. Bien sûr,Areva conteste cet état des lieux etaffirme que 70% de la valeur del’uranium revient au Niger. Mais quandun audit est réalisé (par Bearing Point), ilreste confidentiel malgré les demandes depublication formulées par Oxfam…Aussi confidentielles que lesrenégociations en cours. « Dansl’administration nigérienne, rapporte ledocument, certains regrettent que lesphases finales des négociations se fassentau plus haut niveau, à Paris, sanstechniciens : "on est dans l’extra­

juridique, l’extra­comptable, l’extra­fiscal" », selon un représentant del’administration nigérienne. Ce « hautniveau » concerne­t­il Pascal Canfin, quiavait déclaré en septembre que la Francedevait se montrer « exemplaire » dans lanégociation de nouveaux contratsd’Areva ? Rappelons en effet que lescapitaux de l’entreprise sont encorepublics à plus de 80%...

A lire PapaHollande au Mali,chronique d’unfiasco annoncéLe journaliste Nicolas Beau publie unnouveau livre consacré à l’opérationServal au Mali, intitulé Papa Hollande auMali, chronique d’un fiasco annoncé. Sile livre ne présente pas vraiment de scoop(ceux qui ont lu le livre publié par Survie,qui n’est pas cité, n’apprendront pasgrand­chose de neuf), il a le grand méritede revenir sur quelques thèmes de lapropagande qui a préparé et accompagnél’intervention au Mali. Il confirme quecette dernière était préméditée, et le rôlecentral qu’ont joué les militaires pourconvaincre les politiques. Plus quel’opération militaire au Mali proprementdite, le livre analyse la politique étrangèrede la France dans toute la région(notamment en Mauritanie depuis leputsch d’Abdel Aziz), et revient sur desexigences démocratiques de la diplomatiefrançaise, à géométrie extrêmementvariable.

En terrain conquisSeidik Abba revient (Jeune Afrique,10/11) sur les coulisses de la libérationdes otages français. On y apprend quec’est « pour faciliter les négociations » dela France que les mandats d’arrêtsinternationaux visant des chefs rebellesavaient été levés par les autoritésmaliennes. Les modalités de l’enquête quia suivi l’assassinat des journalistes deRFI sont aussi éclairantes : « Nonseulement IBK est persuadé que ce dramene serait jamais arrivé si la France avaitlaissé l'armée malienne sécuriser Kidal,mais, en outre, les Français le mettentune fois de plus à l'écart ! Tout juste lesgendarmes maliens ont­ils été associésaux premiers constats, sur la scène ducrime. Paris, qui a ouvert uneinformation judiciaire pour "assassinaten relation avec une entrepriseterroriste", confisque la suite de l'enquête: les limiers débarqués de l'Hexagone le4 novembre au soir sont accueillis au

pied de l'avion par un gendarme del'ambassade de France... Les officielsmaliens sont absents du tarmac del'aéroport de Bamako­Sénou, et du salond'honneur, que les enquêteurs quittenttrès vite pour se rendre sur le terrain.Rapidement identifiés, les suspects sontarrêtés par les militaires de Serval, ettransportés à Gao pour y être interrogés.Aucune autorité judiciaire malienne n'estintervenue dans la procédure, depuis leurdétention jusqu'à leur remise en liberté. »Le Mali, sous­préfecture française ?

Toujoursplus étrangeLa thèse du coup tordu françafricain necesse de gagner en crédibilité concernantle bombardement de Bouaké qui avaitservi de prétexte à la meurtrièreintervention française en Côte d’Ivoire ennovembre 2004. On apprend ainsi (JeuneAfrique 27/10) que l’ancien chef d’Etat­major des armées, le général Bentegeat,affirme n’avoir participé à aucun conseilrestreint, lequel doit se réunir en cas decrise à l’Elysée. « Comment concevoirque, dans une telle situation de crise,aucune cellule dédiée ne se soit réunie àl’Elysée si, comme l’affirme [le général]Beth, la Constitution (et le bon sens)l’exigent ? Et si ce conseil restreint a bieneu lieu, pourquoi Bentegeat en a­t­il ététenu à l’écart ? » s’interroge lejournaliste. Celui­ci rapporte aussi unchangement de version dans lesdéclarations des militaires français quis’étaient « égarés » à proximité de la

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N°230 Décembre 2013 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 3

résidence personnelle de Laurent Gbagbo,alors que bruissaient à Abidjan comme àParis des rumeurs de tentative de coupd’Etat. D’une « erreur de GPS », on estpassé devant la justice à l’erreur d’unmystérieux « guide » présent dans lesblindés français. Pourrait­il s’agir d’uncertain Mathias Doué, alors chef d’Etat­major ivoirien, que certains témoinsaffirment avoir vu dans l’un des blindés,et qui fut par la suite limogé et exilé ?(Jeune Afrique, 11/08). Par ailleurs, lecolonel Destremeau qui commandait àl’époque la colonne de blindés, confirmequ’il avait ordre d’aller à l’hôtel Ivoire,quand l’ancienne ministre de la Défense,Michèle Alliot­Marie, avait prétendu, elle– sous serment ­ qu’il s’agissait deprotéger l’ambassade de France, voisinede la résidence présidentielle…

Le témoin-clé del'affaire Borrel sainet saufLe 24 aout 2013 , MohamedAlhoumekani a été arrêté à Sanaa auYémen. Seule une mobilisationassociative immédiate a permis que sonincarcération ne soit pas suivie d’uneextradition discrète vers Djibouti. Articlesdans la presse écrite et internet, alertes surles réseaux sociaux initiés par l’ARDHDet Survie, soutiens jusqu’au Yémen,interviews radio et télévision de la familledu juge Borrel, ont contribué a alerterl’opinion publique car il s’agisssait biende faire taire le témoin principal dansl’instruction pour assassinat de BernardBorrel .Si sa comparution devant la justiceyéménite s’est soldée par un non lieu, il aété arrêté puis détenu pendant plusieurssemaines en dehors de tout cadre légal. Sasortie de prison a eu lieu suite à unedémonstration de force de la tribud’origine de la famille Alhoumékani, maisà son arrivée dans le nord du pays il a étéla cible d'une tentative d’attentat. Ungendarme qui le protégeait a été tué.Aujourd’hui, Mohamed Alhoumékani estsorti de ce guêpier et a réussi à regagnerla Belgique sain et sauf. Il n’a pas déviéde son témoignage et le clame haut et fortdans les médias. Il a annoncé qu’ilpourrait porter plainte pour arrestationarbitraire contre l’état yémenite. Sasécurité ne sera assurée néanmoins quelorsque la justice française se décidera àprotéger ce témoin et à identifier et mettreen cause les coupables. A cette occasionon mesure bien la nécessité d’une loi pourassurer la protection des témoins enFrance.

La républiquefrançafricaine

La Centrafrique est un cas d’école pour qui veut mesurer les ravages

de la Françafrique. Aucun pays africain n’a été aussi étroitement

tenu sous tutelle française ; aucun n’est aussi délabré que la

République centrafricaine, cinquième pays le plus pauvre du monde en

dépit des richesses de son sous-sol. La déliquescence de l’État1 a laissé

toute latitude aux bandes armées qui s’imposent par la terreur. Avec

moins de cinq millions d’habitants la Centrafrique est aujourd’hui un pays

sans routes, sans hôpitaux, sans écoles, sans eau potable, sans

électricité. Soixante-dix pour cent de la population, abandonnée à elle-

même, se trouve au-dessous du seuil de pauvreté et souffre de

malnutrition ; le taux de mortalité à l’âge de cinq ans est de 220 pour mille

et l’espérance de vie est de 44 ans. La moitié des habitants sont

analphabètes. Tel est le triste bilan des régimes qui se sont succédé, tous

sous une étroite dépendance de Paris. L’État-fantôme ne contrôle pas

l’exploitation des ressources, bois, diamant, dont une grande partie fuit en

contrebande vers les pays voisins.

L’histoire de la Centrafrique est celle d’un désastre continu. Après avoir

été saigné à blanc par trois quarts de siècle d’une exploitation qui a

dépeuplé le territoire et qui a permis l’édification de grandes fortunes

françaises, notamment celles des Giscard d’Estaing ou de la famille de

l’expert ès-droits de l’homme BHL, l’ex-Oubangui-Chari aborde

l’indépendance en 1960 avec à peine deux millions d’habitants pour un

territoire grand comme la France. Les bases militaires de Bouar et de

Bangui assurent une présence permanente de l’armée française, qui a fait

de la RCA un de ses terrains de jeu de prédilection, écrasant toute

tentative de rébellion et assurant à la France une gestion quasi directe du

pouvoir politique. Cette souveraineté de fait a permis à la France

d’entretenir soigneusement la déliquescence de la RCA, pour mieux servir

ses visées stratégiques et livrer le territoire au pillage de ses affairistes. Le

seul objectif des subventions françaises depuis l’indépendance, et

européennes depuis les années 2000, est d’assurer la continuité de

l’exploitation des matières premières et l’accès aux aéroports.

Aujourd’hui que le chaos où est plongée la Centrafrique, devenue la

proie de bandes armées venues du Congo, de l’Ouganda, du Soudan, du

Tchad, menace leurs intérêts, les pays occidentaux envisagent une

intervention militaire, maquillée d’humanitaire bien sûr. Ainsi le 20

novembre le directeur du bureau Afrique du département d’État des États-

Unis, Robert Jackson, s’alarme d’une situation de «pré-génocide» en

Centrafrique. Laurent Fabius lui fait immédiatement écho, affirmant que

«la République centrafricaine est au bord du génocide». Le mot fait

mouche et dès le lendemain le même annonce que la France va déployer

un millier de soldats supplémentaires, venant s’ajouter aux 400 qui

gardent en permanence l’aéroport de Bangui et quelques sites français

dont celui de Total, et renforcer les quelque 3000 militaires de la Force

militaire d’Afrique Centrale, la FOMAC, déjà présents sur le terrain. Il est

probable qu’ils seront rejoints, sans tambour ni trompette, par nos forces

spéciales, qui opèrent déjà en toute discrétion dans le nord du Cameroun.

On rétablira une apparence d’ordre et les habitants continueront à périr

d’inanition en silence, sans troubler la marche des affaires as usual.

La politique françafricaine est décidément une grande réussite.

Odile Tobner1 ­ Vincent Munié, Agonie silencieuse de la Centrafrique, Le Monde diplomatique, 29/09/2013et Vincent Munié, Centrafrique stratégie française, Le Monde diplomatique, février 2008

Édito

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4 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Décembre 2013 N°230

Salves

Valls en Mauritanie ouTintin dans un état narco-terroriste?Le 17 novembre dernier, le ministre de l'intérieur français, Manuel Valls, s'est rendu enMauritanie dans le cadre de sa tournée en Afrique de l'Ouest. Il a signé avec sonhomologue mauritanien un protocole d'accord portant sur le renforcement de lacoopération entre la France et la Mauritanie dans le domaine de la sécurité, de la luttecontre le terrorisme, le trafic des drogues. Au vu du bilan du régime mauritanien dans cesdomaines, il paraît bien peu pertinent de coopérer avec lui.

D'une part, il est peu judicieuxd'apporter ainsi sa caution à unpouvoir contesté, notamment

dans sa volonté d'organiser coûte quecoûte des élections législatives etmunicipales qu'une partie de l'oppositiona annoncé boycotter.D'autre part, en terme de sécurité et degouvernance, la Mauritanie est unpartenaire douteux. La preuve en futapportée dès le lendemain lors de larépression par les forces de l'ordremauritaniennes d'une manifestations'opposant à la tenue de ces élections. Lapolice a ainsi tabassé des manifestantspacifiques aux dires du correspondant del'AFP (18/11/2013) et du journalAlakhbar. Un journaliste de ce journal quicouvrait l'événement a également étélégèrement blessé. Un comble aulendemain d'un protocole d'accord pour lagouvernance et alors que la France faitadopter un texte à l'ONU demandant auxÉtats de mettre fin à l’impunité et d'allerjusqu’au bout des enquêtes dans lescrimes commis contre les journalistes...Par ailleurs, alors qu'« en matière derenseignements, de formation de lagendarmerie, de la police, d'utilisationdes nouvelles technologies d'informationet de communications », Manuel Vallsaffirme « [pouvoir] allerincontestablement plus loin » (RFI,18/11/2013), on peut légitimement sedemander ce que cela recouvre... peut­être un appui dans la surveillance descommunications... ? Au terme de lacérémonie de signature de l'accord, a étéremis un lot d'équipements et dematériels sécuritaire et informatiquedestinés aux services de sécuritémauritaniens...Enfin, le ministre français n'a pas mégotésur la brosse à reluire envers le général­putschiste­président mauritanien,Mohamed Ould Abdel Aziz,« [considérant] avec beaucoupd'admiration son engagement etl'engagement de la Mauritanie pour lasécurité du Sahel, pour lutter contre leterrorisme et les trafics de drogue ».

Or, dans tous ces domaines, le bilan duprésident mauritanien est douteux.Rappelons tout d'abord que les autoritésmaliennes se méfient de leurshomologues mauritaniennes, leur refusanttoute participation aux contingents de laMINUSMA eu égard au jeu troublequ'elles auraient joué dans la crise auNord du pays. Nouakchott était en effetdevenue la capitale diplomatique duMNLA, alors que certains à Nouakchottsuggèrent des liens entre le clanprésidentiel et certains éléments duMUJAO.

Liaisons dangereusesQuant à la lutte antiterroriste, laMauritanie n'est pas non plus à l'abri detout soupçon. Ainsi, pour déstabiliser leprésident élu de l'époque puis légitimerson renversement, le général Aziz avaitbeaucoup usé de la ficelle de la luttecontre le terrorisme au risque de paraîtrela tirer (lire Billets d'Afrique n°171,juillet­août 2008, n°173, octobre 2008,n°185, novembre 2009). Cette hypothèsen'est pas seulement une lubie de mauvaisesprit, mais est aussi reprise à demi­motpar certains spécialistes. Ainsi en août2010 sur RFI, à une question sur ladangerosité des groupes islamistes armésen Mauritanie, Alain Chouet, ancien chefde la sécurité de la DGSE répondaitqu'« il y a une situation interne à laMauritanie qu’il faudrait observer, avecun certain nombre de rivalités de pouvoir,et puis peut­être aussi d’incapacité decontrôler le territoire. »...Mais le point le plus polémique et le plusrisqué est sans doute la question de ladrogue. Rappelons que le président AbdelAziz a porté plainte contre le député Vertfrançais Noël Mamère qui l'avait accusésur Arte en janvier dernier d'être un« parrain de la drogue ». À l'appui de sespropos, Mamère avait fait référence à« une grâce présidentielle accordée à untrafiquant de drogue et des relationspoussées avec un consul de Guinée­Bissau plaque tournante du trafic de

drogue, qui a pignon à la présidencemauritanienne ». Des propos repris parNicolas Beau dans son dernier livre« Papa Hollande au Mali ». Pourtant enseptembre 2009, un câble de l'ambassadeétasunienne à Nouakchott, révélé parWikileaks, s'inquiète déjà de laperspective de voir la Mauritanie setransformer en « narco­État ». Ce mêmecâble reprend les propos de Jean­LucPeduzzi, commissaire­divisionnaireattaché de sécurité intérieur enMauritanie pour le Ministère des AffairesÉtrangères français. Celui­ci, à propos del'extradition d'un trafiquant de droguevers la Mauritanie, interprète« l'enthousiasme d'Aziz à coopérercomme un signe qu'il n'est pas impliquédans le trafic de drogue. » Le câblereprend « les Français sont convaincusqu'Aziz n'aurait jamais acceptél'extradition si lui ou un de ses prochesavait eu des liens avec le trafic dedrogue ». Or c'est à ce trafiquant queMamère faisait référence quand ilaffirmait qu'il avait bénéficié d'une grâceprésidentielle...Dans ce même câble, Alain Antil,chercheur à l'Institut Français desRelations Internationales, propose uneestimation du trafic de drogues enMauritanie en 2007 à 237 millions dedollars, soit 8,5 % du PIB mauritanien.L'ambassade étasunienne synthétise sespropos en une formule : « le considérableimpact macroéconomique du trafic faitqu'il est impossible de croire que leschefs politiques et gouvernementaux enMauritanie ne sont pas impliqués dans leproblème », en effet « le trafic ne peut sefaire sans s'assurer que la droguearrivera en tout sécurité à destination ».Le chercheur est également cité : « aumieux, les autorités sont payées pourfermer les yeux. Au pire, ellesparticipent. » Peut­être que M. Vallsferait bien de se poser la question s'iln'entend pas coopérer avec un narco­Étaten signant cet accord de coopérationsécuritaire...

Issa Bâ

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N°230 Décembre 2013 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 5

Salves

Officiellement, les autoritésfrançaises ont décidé en janvier2013 d'intervenir pour arrêter la

progression des groupes jihadistes,dégager les villes et ratisser les zonesenvironnantes. Ce qui a été fait àTombouctou et Gao. Mais à Kidal etautour, les troupes françaises ont suiviune tout autre stratégie. Malgré lesaccords de Ouagadougou qui précisaientque « le désarmement des groupes armésexigé par la CEDEAO, l'Union Africaineet le Conseil de sécurité des NationsUnies est accepté par tous », ledésarmement n'a pas eu lieu.Pourquoi les autorités françaises ont­ellelaissé Kidal aux groupes armés ? Enl'absence de réponse officielle à laquestion, deux raisons peuvent êtreavancées : négocier la libération desotages, et préparer le terrain àl'autonomie. Si la première explicationreste encore dans le secret desnégociations, le choix politique del'autonomie a été exprimé dès le 2 février2013 par Elisabeth Guigou, présidente dela commission des Affaires étrangères àl'Assemblée : « il faut qu’un pland’autonomie pour le nord du Mali soitmis en place ». Cette perspectivepolitique portée par Paris permettraitd'expliquer pourquoi, à plusieurs reprises,les troupes Serval se sont interposéespour que l'armée malienne ne vienne pasdésarmer les groupes qui tiennent Kidal.Il a fallu attendre le 14 novembre pourque le gouverneur de Kidal puisse entrerdans les bâtiments du gouvernorat,incendiés la veille. Jusqu'à cette date, ledrapeau du MNLA flottait sur lebâtiment. Nombreuses sont les voix auMali qui considèrent que l'assassinat desdeux journalistes français découledirectement de cette politique. Si lasécurité ne règne pas à Kidal, c'est quel'on a laissé les groupes armés tenir laville et les environs.

Une ingérence en « porte-à-faux » avec la légalité ?Même si c'est de manière feutrée, unecertaine tension s'est fait sentir entre lesautorités maliennes et la positionfrançaise. Le Président Keita le déclarepubliquement : « Nos forces de sécurité

sont confinées, l’arme au pied, Kidaléchappe aujourd’hui à notre contrôle » «Je ne saurais, en aucun cas, tolérerdavantage qu’une partie du Mali soitsoustraite à la loi de la Nation et à lamorale tout court. Le Mali ne peut pastolérer que Kidal soit la bourse régionaledu crime organisé ».Dans un entretien donné le 10 novembre2013, Cheick Oumar Diarrah, ministre dela Réconciliation et du Développementdes régions du Nord, réalise desprouesses diplomatiques pour décrirecette situation et critiquer la perspectivede l'autonomie sans prononcer ni le mot «France », ni le mot « MNLA ». Ilstigmatise les « porteurs d'armes illégauxen porte­à­faux avec la légalitéinternationale et avec la loi malienne [...][mais] en osmose avec le terrorisme et lacriminalité ». Le ministre fait référence àla résolution 2100 du 25 avril 2013. Defait, le texte de cette résolution necomporte aucune ambiguïté : « LeConseil de Sécurité… Exige de tous lesgroupes rebelles armés au Mali qu’ilsdéposent les armes et mettent fin auxhostilités immédiatement… ».Évidemment, dans le contexte actuel, ilparait délicat d'attendre qu'un ministremalien critique ouvertement la stratégiefrançaise. Et quand les journalistesdemandent au ministre comment legouvernement malien entend sortir de lacrise, on sent une volonté de fermetéderrière la réponse courtoise : « Il faudraque toute la communauté internationaleprenne ses responsabilités » Et il poursuit: « Le Président [I.B. Keita] a fixé lecadre : pas d'indépendance, pas defédération, pas d'autonomie. [...] Nousallons aller vers une régionalisation quiva accorder plus de pouvoir auxcollectivités décentralisées, donc il y aune réponse institutionnelle.… Nousavons également un plan dedéveloppement accéléré des régions duNord ».De son côté, le ministre nigérien desAffaires étrangères, Mohamed Bazoum,prend beaucoup moins de gants au microde RFI : « Le MNLA avait totalementdisparu, il n’existait plus comme forcemilitaire, ni même politique, ni mêmemorale, pratiquement. Et on l'a réinventé,on l'a reconstruit à la faveur de la

libération du Mali et puis on lui a laisséce territoire et les terroristes sont venus… L’erreur réside dans le fait qu’on aitvoulu conférer ce statut spécial à Kidal etqu’on ait laissé là le germe del’instabilité, le germe du crime, le germedu terrorisme. Ce germe là, on l'a laissé,Claude Verlon et Ghislaine Dupontviennent d’en être victimes ». Derrièrel'assassinat des journalistes français, c'estbien le problème de l'ingérence politiquequi se pose : Qui doit assurer la sécuritésur le territoire malien, et surtout, auservice de quelle politique?Après les assassinats du 2 novembre, desincidents graves se déroulent à Kidal le28, avec des blessés graves, et le premierministre du Mali ne peut pas s'y rendrecomme prévu. L'instabilité qui règne àKidal offre des conditions propices à laperspective politique prônée par laFrance. Grâce à ce climat de tension, ilsera plus facile de montrer à lacommunauté internationale que le Norddu Mali doit avoir un statut spécifique,l'autonomie permettant de résoudre lesproblèmes. Comme dit le député AlainMarsaud : « Il n’existe pas un Mali, maisau minimum deux…»L'enjeu de la sécurité au Nord du Malidépasse largement le cadre du pays, etconcerne la politique de sécurité ducontinent dans son ensemble. Sans douten'est­ce pas un hasard si, sur une courtepériode, quatre rencontres internationalessont consacrées à cette question, le 5novembre, à Pretoria, le 14 novembre auMaroc et les 16 et 17 novembre à Alger.Cela signifie qu'un certain nombre dechefs d'Etat et d'organisations africainescherchent à prendre la main sur lespolitiques de sécurité. Mais, de son côté,la France tient à « garder son rang ». Elleorganise à Paris, du 5 au 7 décembre, lesommet Afrique­France sur la sécuritéqui doit réunir pas moins de 37 chefsd'État et de gouvernement.Aujourd'hui encore, fidèles à la traditionde mise sous tutelle des anciennescolonies, les autorités françaisescontinuent de se démener pour que lapolitique de sécurité des pays africainssoit décidée à Paris.

Gérard Moreau

Nord du Mali : le gouvernementmalien face à l'ingérence françaiseL'insécurité règne à Kidal, le constat s'impose. Mais, au Mali et dans la région, la questionrevient constamment : la France porterait-elle une responsabilité dans cette situation ?

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6 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Décembre 2013 N°230

Salves

Plusieurs articles entendent éviter« une judiciarisation inutile desopérations militaires », répondant à

une demande pressante des officiersfrançais depuis plusieurs années. Il s’agitd’abord de renforcer « l’excuse pénalepour usage de la force » introduite en 2005.Cette dernière entendait s’adapter à laréalité des missions des soldats en Opex,lesquelles consistent plus fréquemment enactions de police, de gestion de foule ou decoercition, qu’en manœuvres militairesproprement dites. Comme cela a déjà étéexpliqué dans ces colonnes (Billetsd’Afrique n°189) : « jusqu’à cette date, enl’absence de déclaration de guerreofficielle, [les soldats] n’étaient autorisésà ouvrir le feu qu’en état de légitimedéfense (en théorie, et uniquement enthéorie, bien sûr…). Depuis la réforme dustatut général des militaires, ils peuventfaire usage de leurs armes, y compriscontre des civils, dès lors que cette actionest jugée utile à l’accomplissement de leurmission et qu’elle est conforme au droitinternational, c’est­à­dire couverte parune résolution de l’ONU les autorisant parexemple à agir "par tous les moyens",comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire lorsdes massacres de civils en novembre2004… ».

Le COS surprotégéLa nouvelle loi précise (article 19) que cetteexcuse pénale s’applique également à toute« opération mobilisant des capacitésmilitaires, se déroulant à l’extérieur duterritoire français ou des eauxterritoriales, quels que soient son objet,sa durée ou son ampleur, y compris lalibération d’otages, l’évacuation deressortissants ou la police en hautemer ». Il s’agit notamment de couvrir lesmilitaires, déjà protégés par leur anonymat,agissant dans le cadre des opérationssecrètes du COS, non soumises àl’information du Parlement. Le code de laDéfense est également modifié, enjoignantà la justice de n’examiner l’éventuelleresponsabilité pénale des militaires « pourdes faits non intentionnels » qu’au vu « del'urgence dans laquelle ils ont exercé leursmissions, des informations dont ils ont

disposé au moment de leur intervention etdes circonstances liées à l'action decombat. » Après la disparition du Tribunalaux Armées de Paris (TAP), on n’est jamaistrop prudent.

Monopole du parquetMais surtout, l’article 18 redonne auparquet le monopole de la mise enmouvement de l’action publique pour touteinfraction commise par un militaire àl’étranger « dans l’accomplissement de samission ». Après la plainte de familles demilitaires français décédés en Afghanistan(affaire d’Uzbin), la cour de cassation avaiten effet estimé que le processus judiciairepouvait être activé par la constitution departie civile. C’est cette jurisprudence qu’ils’agit de briser au plus vite, officiellementau nom de l’égalité entre militaires et civils,puisque pour ces derniers, le parquet a lemonopole des poursuites en cas de délitcommis à l’étranger. Mais la nouvelle loiétend le monopole du parquet aux affairescriminelles, et supprime de fait le droit deconstitution de partie civile. Des plaintesseront toujours possibles, mais seul leparquet, dont on connaît l’indépendance àl’égard du pouvoir politique, jugera de leuropportunité… L’institution pourra donccontinuer à gérer en interne les scandaleséventuels. On se souvient par exemple de lamanière dont ont été étouffées en 2008 lesaccusations de tortures portées par dessoldats suédois à l’encontre des militairesfrançais agissant en RDC en 2003 (cf.Billets d’Afrique n°169), le principalofficier visé, le colonel Rastouil, étantdepuis devenu génégal et ayant accédé à despostes sensibles comme celui de directeurdes opérations de la DGSE.Ces mesures, étudiées de longue date (cf.Billets d’Afrique n°204), promises l’annéedernière par François Hollandes etannoncées dans le dernier Livre Blanc,s’ajoutent à certaines spécificités déjàexistantes (spécialisation des magistratsappelés à juger des infractions commisespar des militaires, avis consultatif duministère de la Défense – hors crime ouflagrant délit ­ nécessaire avant d’engagerdes poursuites contre un militaire, absencede citation directe d’un militaire devant une

juridiction, réquisitions préalablesadressées à l’autorité militaire en casinvestigations au sein d’un établissementmilitaire). Elles ne font pourtant pastotalement consensus. Ainsi le ConseilSupérieur de la Fonction Militaire (CSFM),qui représente le personnel de lacommunauté militaire, s’est déclaréfavorable au « renforcement de laprotection du militaire face à lajudiciarisation », mais s’est opposé à «l’absence de recours pénal aprèsl'éventuelle décision de classement sanssuite du procureur de la République ».

Des considérants àconsidérerLes motivations, mentionnées dans lerapport des sénateurs déjà évoqué le moisdernier, ne manquent pas d’intérêts. Ainsion invoque le précédant que constitue la loid’adaptation à la Cour pénaleinternationale : là encore, c’est le ministèrepublic qui dispose du monopole depoursuivre les criminels contre l’humanitérésidant sur notre sol, sans que le conseilconstitutionnel n’y ait rien vu à redire. Oron sait que le parquet s’est toujours illustrépar son zèle… à ne pas poursuivre ceux quiauraient pu l’être malgré les campagnesmenées par diverses associations. D’autresconsidérants reflètent surtout les intérêtscorporatistes des officiers. Ainsi, plusqu’un risque éventuel de condamnation,ces derniers semblent surtout inquiets du« préjudice en termes de progression » decarrière que constitue une mise en causejudiciaire, même sans condamnation.Mais il s’agit aussi d’avoir les mains libreset une impunité garantie en casd’intervention, faute de quoi, selon eux « lajudiciarisation est susceptible d’avoir delourdes conséquences sur la conduite desopérations. D’abord, elle peutinsidieusement inhiber le commandementet affecter, en conséquence, l’efficacité dela manœuvre. » Toujours au chapitre del’efficacité sur le terrain, est égalementmentionné, « au niveau subalterne, ledeuxième effet potentiellementdéstructurant de l’action de combat [que]serait la remise en cause éventuelle desordres reçus par des militaires qui

LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

Permis de tuerpour les militaires en OpexLa nouvelle loi de programmation militaire étudiée fin novembre à l’Assemblée nationalerenforce l’impunité dont bénéficient les militaires français engagés dans des opérationsextérieures (Opex).

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craindraient que leur exécution neconduise à leur mise en cause personnellesur le plan pénal. » Etrange argument,quand on sait qu’il existe déjà unedisposition enjoignant aux militaires dedésobéir en cas d’ordre « manifestementillégal » ou contraire aux règles du droitinternational et des conventionsinternationales ratifiées. Son existenceavait notamment été rappelée à l’occasionde l’affaire Mahé, du nom de ce civilivoirien assassiné sur ordre par desmilitaires français en Côte d’Ivoire. Mais,on ne se refait pas, l’institution militaire atoujours préféré la sanction pourdésobéissance au respect de la liberté deconscience.Enfin, il existait « un risque potentiel, auxyeux de la communauté militaire et duministère de la défense,d’instrumentalisation de la justice audétriment des militaires et des forcesarmées, tendant à remettre en cause lapolitique étrangère et les engagementsarmés de la France via des actions enjustice portant sur les OPEX, par le simplemoyen de la constitution de partie civile. »En clair, les autorités politiques et militairescraignaient que des individus ou desassociations ne s’engouffrent dans labrèche ouverte par l’arrêt de la cour decassation, et que des crimes commis par desmilitaires français, on glisse à la mise encause du caractère criminel de la politiqueafricaine de la France elle­même, via sonvolet militaire. Les procédures judiciairessont en effet l’occasion d’une médiatisationet de débats qui sont évidemment craints, ence qu’ils risquent d’écorner la douce etrassurante image de la présence« humanitaire » des militaires français enAfrique, particulièrement entretenue pardes décennies d’intoxication télévisée.

Raphaël Grandvaud

Salves

Lors de la présentation du projet deloi, le ministre de la Défense aainsi défendu les dispositions

donnant le monopole des poursuitescontre des militaires français au seulparquet : « Ce projet de loi deprogrammation militaire répond aussi àcette interrogation, légitime, en défendantla singularité du soldat aujourd’hui. Il lefait en mettant en place, comme l’avaitsouhaité le Président de la République,des outils juridiques simples, quipermettent d’éviter une judiciarisationinutile de l’action des militaires, enparticulier ceux qui sont engagés enopération extérieure. C’était unengagement attendu du Président de laRépublique après plusieurs affaires quevous connaissez et qui pouvaient donnerle sentiment d’une remise en cause ducœur du métier militaire et de l’acted’engagement comme de l’acte decommandement. »Ce projet de protection des militaires depoursuites non désirées trouvevraisemblablement sa source dans uneétude commandée en son temps parGérard Longuet1. Il s'agit trèsprobablement d'une demande des hautsgradés de l'armée française qui se voitaujourd'hui satisfaite. Pour que lesgouvernements successifs expriment unetelle préoccupation pour ce sujet, on esten droit de s'interroger sur ces« affaires », que chacun est censéconnaître, et d'une gravité telle qu'ellesremettraient en cause le « cœur du métiermilitaire ».

Ces « affairesque vous connaissez »Parmi ces fameuses actions qui seraientinutiles, on trouve des plaintes defamilles de militaires français tués enAfghanistan ou en Côte d'Ivoire, maisaussi des affaires qui dérangent bien pluscertainement, où ce sont les soldats quisont accusés de crimes, dont on peine àvoir en quoi elles seraient inutiles. Ontrouve ainsi l'affaire Firmin Mahé en2004, où le militaire français ayant avouéavoir tué un jeune ivoirien n'a écopé quede sursis, la plainte d'un migrantérythréen en 2011 contre l'arméefrançaise dont les navires avaient

sciemment ignoré une embarcation endétresse ou encore celle en 2011 delégionnaires à l'encontre de leurhiérarchie qui applique selon eux unrégime disciplinaire abusif et illégal.Mais les affaires qui ont eu le plus deretentissement, et qui ont provoqué lesplus violentes réactions des officiers etpersonnalités politiques françaises sontles plaintes portées en 2004 et 2005,notamment par Survie, contre desmilitaires français pour viols, crimescontre l'humanité ou génocide au Rwandaen 1994. Depuis plusieurs années, lesplaignants et les parties civiles seheurtent, dans ces affaires, au parquet, quia tenté à plusieurs reprises de s'opposer àl'instruction des plaintes. Le Syndicat dela Magistrature s'est interrogé dans unelettre ouverte2 : « les conséquencespolitiques prévisibles d’une telle affairesont­elles dénuées de tout lien avecl’abdication par le parquet dans cedossier de son rôle d’autorité depoursuite ? »En parallèle, les promesses de réforme dustatut du parquet vers plusd'indépendance faites par le candidatHollande ont été neutraliséesdiscrètement en plein été3. Le pouvoirsocialiste vient donc de s'assurer quel'exécutif pourra s'éviter toute mauvaisesurprise mettant en cause les hauts gradésfrançais pour leur implication dans legénocide des Tutsi, au­delà des affairesdéjà en cours. Pour mémoire, le ministrerwandais de la Justice préconisait en 2008des poursuites à l'encontre de 20 gradésfrançais « les plus impliqués ». Lesassociations qui tentent d'obtenir vérité etjustice pour ces implications ne pourrontdésormais qu'espérer du parquet qu'il sesaisisse lui­même de ces cas. Le passépousse à croire qu'aucun de cesmagistrats n'osera mettre en jeu sacarrière pour ces crimes d'État.

Mathieu Lopes1 ­ Gérard Longuet pour une plus grandeimpunité des militaires français ?, Billetsd'Afrique, juillet 20112 ­ Lettre ouverte à ceux qui feignent de croireen l’indépendance du parquet, Syndicat de laMagistrature, 29 octobre 20093 ­ Réforme du parquet : pour une véritablerévolution, Les blogs de Mediapart, 3septembre 2013

Les anciens duRwanda pourrontdormir tranquille

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8 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Décembre 2013 N°230

Salves

En sus d’avoir eu à voter lesorientations politiques de notreoutil de défense pour les cinq

prochaines années dans le cadre de la loide programmation militaire 2014­2019,les députés et sénateurs ont eu à seprononcer sur un certain nombred’articles concernant les services derenseignement.

Renforcementdu contrôle ... ou pasTout d’abord, il est proposé de renforcerles prérogatives de la DélégationParlementaire au Renseignement. Organeembryonnaire du Sénat et de l’AssembléeNationale, cette délégation, créer en2007, est censée palier le manque criantet pour le moins incompréhensible, decontrôle de la représentation nationale surles « services »1. Contrôle qui lui a étérefusé jusqu’ici, la DPR n’étant autoriséeà assurer qu’un « suivi » de l’activitégénérale des services ! Pour tenter demettre un terme à cette mascarade, laprésente loi prévoit donc de « reconnaîtreune mission générale de « contrôleparlementaire de l’action duGouvernement en matière derenseignement » et d’évaluation de lapolitique publique dans ce domaine ».Attention, il ne s’agit toujours pas d’avoirun contrôle sur les services eux­mêmes.Comme le précise bien le rapport del’Assemblée nationale sur la LPM : « Ils’agit bien de contrôler l’action duGouvernement, et non pas les services derenseignement eux­mêmes »2. A ce titre, «la délégation parlementaire aurenseignement serait informée de lastratégie nationale du renseignement etdu plan national d’orientation durenseignement ». Si la DPR se voyaitprésenter « un rapport annuel de synthèsedes crédits du renseignement et unrapport annuel d’activité de lacommunauté française du renseignement»3, qui lui permettrait d’avoir un droit deregard a posteriori sur l’activité desservices, elle ne posséderait toujours

aucune compétence concernant lesactivités opérationnelles des services etleur financement, ni sur les échanges avecles services étrangers. On en déduit encreux que le financement des activitésopérationnelles peut être sujet à caution…

Big Brothermonte en puissanceSi le gouvernement tente de faire croire àun renforcement du contrôleparlementaire sur les services derenseignement, c’est bien parce que leursmoyens d’action vont être sensiblementaugmentés, et par là même faire peser unrisque sur les libertés et le respect de lavie privée des citoyens. Trois éléments dela LPM sont tout à fait préoccupants. Toutd’abord, il est prévu d’étendre l’accès auxfichiers administratifs du ministère del’intérieur à tous les agents des servicesde renseignements et ce, en dehors de toutcadre judiciaire. Cet accès, jusqu'alorsréservé aux agents habilités de l’unité decoordination de la lutte antiterroriste et dela DCRI, n’était autorisé que pour lesbesoins de la lutte antiterroriste.Désormais, ces fichiers pourront aussiêtre consultés dans les cas de potentiellesatteintes aux intérêts fondamentaux de lanation4. Une notion bien vague quiaugmente considérablement lespossibilités de surveillance des citoyens.A cela s’ajoute, la possibilité pour lesservices de renseignements dépendant duministère de la défense (DGSE, DPSD,DRM), « d’accéder directement àcertaines données des fichiers de policejudiciaire dans le cadre de missions oud’interventions présentant des risquespour les agents ou lorsqu’il s’agit devérifier la dangerosité des individusapprochés ». Autant dire, tout un chacun.Dans la même dynamique, le projet de lois’intéresse aux données personnellescollectées lors des déplacements desindividus. Un premier volet prévoitd’étendre la possibilité de consultationdes fichiers d’enregistrement et dedébarquement (données dites « API »

pour Advanced passenger information)par les services de renseignement nonplus au seul titre de la lutte antiterroristemais là encore dans le cadre de laprévention des intérêts fondamentaux dela nation. Le second volet vise à créer laun nouveau fichier qui collectera desdonnées de réservations (données dites «PNR » pour Passenger name record) afind’informer en amont les services derenseignement des déplacements de tousles individus partant ou arrivant enFrance5. Enfin, et pour renforcer encorecet arsenal d’outils de surveillance despersonnes, l’Assemblée nationales’apprête à légaliser clairement le recoursà la géolocalisation, notamment en tempsréel.L'ensemble des amendements, introduitspar le Sénat ou proposés par l'opposition,allant dans un sens plus protecteur deslibertés ont été refusés par le ministre dela Défense. Dans la droite ligne de lapensée néo­conservatrice américainepost­11 septembre, le gouvernementaccroit considérablement la surveillancedes citoyens au nom de la sureté del’Etat.

Yanis Thomas1 ­ Billets d’Afrique n°2252 ­ Rapport de la commission Défense del’Assemblée nationale sur la LPM 2014­2019,p. 179.3 ­ Rapport du Sénat sur la LPM p.1544 ­ Tels que définis par l’article 410­1 du codepénal : « Les intérêts fondamentaux de lanation s'entendent au sens du présent titre deson indépendance, de l'intégrité de sonterritoire, de sa sécurité, de la formerépublicaine de ses institutions, des moyens desa défense et de sa diplomatie, de lasauvegarde de sa population en France et àl'étranger, de l'équilibre de son milieu naturelet de son environnement et des élémentsessentiels de son potentiel scientifique etéconomique et de son patrimoine culturel. »5 ­ Notamment les dates du voyage,l’itinéraire complet, le nombre et le poidsmaximal des bagages, les données relatives aumoyen de paiement utilisé, le contact dans lepays d’arrivée, etc.

LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

Extension dudomaine de la surveillanceContre toute attente, la loi de programmation militaire 2014-2019 (LPM) qui a été étudiéepar l'Assemblée nationale en novembre ne se limite pas aux seules questions concernantles forces armées. Elle inclut aussi un chapitre concernant l’extension des capacités desservices de renseignements, tous ministères confondus.

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Salves

En amont du sommet Afrique­France sur la sécurité qui se tientà paris du 5 au 7 décembre, le

ministère du développement organise enpartenariat avec l’Agence Française dedéveloppement (AFD) un Forum «inédit » dédié à l’innovation pour ledéveloppement durable de l’Afrique.« Parce qu’une des clés dudéveloppement durable réside dansl’innovation » , il réunira notamment100 africains porteurs de projetsinnovants « qui contribuent àl’entreprenariat africain, à unecroissance solidaire (…) tout enproposant des solutions aux crisessociales et environnementales ».Pour Anne Paugam, directrice généralede l’AFD, le continent « est confronté àdes enjeux qui nécessitent des solutionsnouvelles. (…). Cette créativité doit êtreencouragée et promue là où c’estnécessaire. C’est aussi le rôle del’Agence française de Développement »Parmi les secteurs privilégiés: lesinnovations sociales en faveur des plusfragiles et de l’égalité femmes­hommes,la santé, la sécurité alimentaire, l’énergie,l’environnement et l’appui auxentreprises.Enjeux majeurs, grandes ambitions. Sanspréjuger de la qualité et de l’intérêt desprojets qui seront présentés, il y a desdomaines où il y a urgence à changer lespratiques existantes. C’est le cas despolitiques d’aide au développement, etnotamment des initiatives centrées sur lesecteur privé (entendre souvent lesgrands groupes multinationaux). Card’acteur parmi d’autres des politiques dedéveloppement, le privé devientomniprésent au risque de confondreintérêt des multinationales et intérêt despopulations. Cette tendance lourde estparticulièrement préoccupante dans lecas du secteur agricole où « la sécuritéalimentaire » justifie des initiativesdangereuses.Choix stratégiques discutables, modèlede développement peu durable (voirobsolète), politiques de maîtrise desrisques défaillantes, manque decohérence entre pratiques avec les

discours… L’action de la France, et deson agence de développement, ont uncriant besoin d’innovation… Des grandesplantations camerounaises àl’accaparement de terres en Côted’ivoire, en passant par les paradisfiscaux, aperçu de projets et depolitiques…. à faire évoluer de touteurgence.

Quand l’AFD Proparcosoutient la SocapalmDans un rapport1 paru en octobre, leCCFD­Terre solidaire analyse le soutienapporté par Proparco (la branche «secteur privé » de l’Agence française dedéveloppement) à la Socapalm, sociétéde la galaxie Socfin (ex­SOCFINAL), untrust luxembourgeois spécialisé dans lagestion de plantations industrielles etcontrôlé indirectement par VincentBolloré (cf. Billets n°229, novembre2013). S’il est sans doute inutile deprésenter à nouveau cette société, il esten revanche intéressant de se pencher surcette relation entre l’entreprise et cetteinstitution financière, catalyseur «del’investissement privé au service d’unecroissance durable »2. Dès laprivatisation de la Socapalm, Proparco aappuyé le développement de la société.Mieux encore, de 2001 à 2007PROPARCO a elle­même détenu uneparticipation dans Intercultures (actuelSocfinaf), également une société dugroupe Socfin ! Alors que d’enquêtesjournalistiques en travaux de recherche,sur fond de procès, la Socapalm faitparler d’elle, Proparco choisit en 2009 desoutenir son entrée à la Bourse deDouala (pour un montant de 2, 5 millionsd’euros environ). Objectifs affichés de ceprojet de sécurité alimentaire: renforcerl’acteur majeur de la filière de l’huile depalme au Cameroun, étendre et rajeunirles plantations, et développer l’outilindustriel. Mais là où le bât blesse, c’estque Proparco ne s’est jamais inquiétéedes accusations portées par les ONGfrançaises (Sherpa), allemandes(Misereor) et Camerounaises (CED)devant le Point de contact national del’OCDE en France (Cf. Billets

n°XXX/voir les numéros où on en aparlé?). En 3 ans, et alors que sa missionest de contribuer à l’amélioration de laqualité des projets, Proparco n’a pasbougé le petit doigt pour vérifier desinformations pourtant publiques. Pis, ellea contrevenu à sa politique interne : enn’identifiant pas les risques et lesimpacts sur les populations (paysansriverains, pygmées bagyeli), en nedemandant pas la mise en place d’unplan de gestion environnemental etsocial, en n’ignorant systématiquementles mobilisations de citoyenscamerounais, etc. Un zéro pointé. Au­delà de cet échec à prévenir des

violations des droits, ce projet relèvefinalement de l’opération financière etnon de la sécurité alimentaire…

Pays riches etmultinationalesmain dans la mainAu­delà des agences bilatérales, les

AFD, Proparco, G8 : développeursd'avenirs rentablesLa publication récente d'un rapport du CCFD-Terre solidaire sur les investissementsfinanciers dans le secteur agricole illustre une fois de plus les travers des politiques dedéveloppement agricole de la France et des pays riches en général : une aide publique audéveloppement des profits privés.

Proparco l’Africaine.Outre l’AFD, Proparco est détenue pard’autres actionnaires. Parmi eux, desgroupes privés qui connaissent bienl’Afrique : Veolia, Bouygues, BolloréAfrica Logistics, Saga (groupe Bolloré),Société générale (très présentes enAfrique), SIPH (groupe de négoce debois Rougier), Somdiaa3, etc. Bref, des« spécialistes » des relationscommerciales France­Afrique et quibénéficient parfois de l’appui deProparco dans leurs projets. Ainsi,l’agence a soutenu la Camrail, dugroupe Bolloré, ou encore Somdiaa etSosucam, du groupe Vilgrain dont lePDG, Alexandre Vilgrain, est aussiprésident du lobby du Conseil Françaisdes investisseurs en Afrique (CIAN)après avoir été Censeur au Conseild’administration de la PROPARCOpendant 10 ans. Bref, un certain sens del’entre soi qui interroge sur les sens dudéveloppement selon Proparco et sur lesintérêts qui sous­tendent cetactionnariat…

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initiatives internationales dites dedéveloppement mettent égalementaujourd’hui au cœur de leurs actions degrands acteurs privés. Lancée lors duSommet du G8 de Camp David en juin2012 et étendue en 20134, la NouvelleAlliance pour la sécurité alimentaire et la

nutrition en est le meilleur exemple(Billets n°227, juillet­août 2013). Cepartenariat effectué entre le G8 et lesgouvernements de dix pays africains5 seconcentre sur le soutien à des projetsd’entreprises, principalement demultinationales. L’objectif affiché,l’amélioration de la sécurité alimentaireet la nutrition de quelques 50 millions depersonnes en Afrique sub­saharienne,s’est donc vue confiése décline avec desmoyens et une vision spécifiques. Car lepivot de cette initiative est bien la« libération du secteur privé » comme lerappelait David Cameron lors du Sommetdu G8 de juin dernier, libérationconditionnée à un « environnementfavorable ». Résultat : en contre partie deleur implication dans l’alliance, les Etatsafricains concernés s’engagent à adoptermodifications législatives et cadeauxfiscaux favorables aux acteurs étrangersafin d’optimiser leurs investissements…quitte à ce que ce soit au détriment desacteurs locaux. De même, lesfinancements publics nationaux, pourtantcruciaux et à un niveau largementinsuffisant aujourd’hui en Afrique6, n’ontplus pour unique objectif que de soutenirces grands investissements privés. A celas’ajoute près de 3 milliards d’euros queles membres du G8 se sont engagés àverser pour soutenir ces acteurs.La Nouvelle alliance est également uneopportunité pour imposer une orientationspécifique de l’agriculture, une« révolution verte » africaine : modèle del’agrobusiness, de la culture de rente, desOGM,… Ainsi, près de la moitié desprojets portés par les entreprisesinternationales pour les 6 premiers paysde l’Alliance impliquent les grands nomsde la culture du coton, du cacao et dessemences modifiées. Autant d’élémentsqui continuent à mettre en péril lacapacité des campagnes africaines àrépondre aux besoins alimentaires de leurpopulation.

Le G8, VRP de sesmultinationalesAlors que les économies de ce clubd’Etats connaissent un ralentissement, lescroissances positives de certains paysafricains sont vues comme la porte desortie pour assurer la pérennité de cesgrands acteurs privés. Il ne fautd’ailleurs pas s’étonner que les paysciblés par la Nouvelle alliance ne sontpas ceux où la situation d’insécuritéalimentaire est la plus critique, mais bienceux dont le potentiel de croissanceestimé par les institutions internationalesest le plus important7.

Par ailleurs, il n’y a qu’à regarder la listedes entreprises aujourd’hui impliquéesdans cette initiative pour voir que lesEtats membres du G8 ont finalementdistribué des marchés à leurs entreprisesen fonction de leur sphère (historique ouplus récente) d’influence : entreprisesjaponaises et américaines auMozambique, anglaises en Tanzanie oufrançaises en Côte d’Ivoire (quireprésentent 1/3 des entreprisesinternationales impliquées dans le pays).Au niveau politique, le service après­vente a d’ores­et­déjà commencé commeen atteste la visite de Nicole Bricq,ministre du commerce extérieur, finnovembre en Cote d’Ivoire. Parmi lesannonces, la volonté d'accroître de 50%les échanges commerciaux entre la Côted'Ivoire et la France d'ici 2017, soit 2,25milliards € contre 1,5 milliard € en 2012.« Mon déplacement, accompagnée d'unetrentaine d'entreprises françaises, avocation à leur dire "venez ou revenez enAfrique!" dans un esprit partenarial »expliquait Nicole Bricq. Mais au­delà dudiscours et de l’action diplomatique, laFrance met directement à disposition desacteurs privés français des financements,via les instruments financiers de Bercy(prêts de la Réserve Pays Emergents(RPE), dons du Fonds d'étude et d'Aideau Secteur Privé (FASEP) et garantiesCoface) mais également le ContratDésendettement­Développement (C2D)qui s’élève à près de 3 milliards d’eurospour le pays (cf. Billets n°220, janvier2013). Au final cette visite a été pour cesentreprises françaises un nouveau cadeaude Noël avant l’heure !Orientations clairement libérales,influence croissante du secteur privénotamment sur les politiques publiques,cadres de maîtrise des risques sociaux etenvironnementaux défaillants, absencetotale de retombées pour les économiesnationales du fait des paradis fiscaux,pratique de « l’entre soi », discoursambitieux mais finalement incohérents etqui cachent des politiques au service desintérêts des grands acteurs privés… Surtous ces points, la France devrait innoveret rompre avec des pratiques néfastes quine servent personne…. si ce n’est lesmultinationales.

Nora Queff et Ruben Sutter1 ­ Investissements agricoles : sécuritéalimentaire ou financière?­ Les nouvellesdynamiques d’investissements agricolesportées dans le cadre de projets dedéveloppement, rapport du CCFD­Terresolidaire, Octobre 20132 ­ Proparco, rapport annuel 2011.3 ­ Le groupe Castel détient depuis 2011 uneparticipation d'au moins 45 % dans Somdiaa

Salves

Pour lutter contrela faim… passonspar les paradis fiscauxBillets (n°220, janvier 2013) avait relatéle soutien de l’AFD, via l’AfricanAgricultural Fund (AAF), au projetFeronia, plus de 100 000 hectaresdédiés au palmier à huile dans laprovince de l’équateur en RépubliqueDémocratique du Congo (RDC). Dansson rapport, le CCFD­Terre Solidairedécrypte la structuration financière del’entreprise et ses soutiens publics. Cefonds d’investissement géré par Phatisaest basé à l’Île Maurice, un paradisfiscal. Feronia et ses filialescongolaises seraient toutes détenues viaune société basée en RDC de droitcaïmanais (Feronia JCA limited), elle­même filiale d’une société basée auxîles Caïmans (Feronia CI Inc), territoiredans lequel l’entreprise n’est soumise àaucun impôt sur les bénéfices. Lerapport financier 2010 de la société estéloquent. Feronia cumule absenced’imposition aux Caïmans, trêve fiscaleen RDC jusqu’en 2012, et utilise lespertes enregistrées au Canada pourréduire les profits imposables desannées suivantes. En plus de l’AFD,Feronia est soutenu par l’AgenceEspagnole de CoopérationInternationale pour le Développement(AECID), l’institution financière dedéveloppement américaine (OPIC), lefond de l’OPEC pour le développementinternational (OFID), la compagniefinancière néerlandaise dedéveloppement (FMO), le FondsInternational pour le DéveloppementAgricole (IFAD), la Banque deDéveloppement Africaine (AfDB), laBanque de Développement d’Afriquedu Sud (DBSA), la Banque deDéveloppement Ouest­Africaine,(BOAD), la Banque d’Investissement etde Développement ECOWAS (EBID)…Bref du beau monde bien décidé àsupporter les premières pertes pouroffrir par la suite aux investisseursprivés un rendement accéléré. Bref, onoublie la sécurité alimentaire, on passeoutre les risques d’accaparements etd’évasion fiscale pour se mettre auservice de l’intérêt général…. desinvestisseurs.

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N°230 Décembre 2013 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 11

Perenco est un acteur indépendantmajeur du pétrole, une compagniepétrolière franco­britannique qui

n’aime rien tant que la discrétion, l’opacitédes paradis fiscaux et le noir du brutqu’elle exploite… Si Perenco est jeune(créée en 1975), sa croissance a étéfulgurante et elle déploie aujourd’hui sesactivités d’exploration et de productiondans 16 pays. Elle est notamment bienprésente en Afrique : au Gabon, auCameroun (où elle exploite le gaz au largede Kribi qui fournit la nouvelle centralethermique financée par l’AFD­Proparco),en Tunisie (où elle exploiterait du gaz deschiste) et en République Démocratiquedu Congo où elle est, à l’heure actuelle, laseule compagnie exploitant du pétrole.C’est justement l’impact de ses activitésen RDC qui est dénoncé dans le rapport «Pétrole à Muanda : la justice au rabais »publié par le CCFD­Terre solidaire.

Pollution, violence, sous-développementAprès deux ans d’enquête avec desorganisations congolaises, le constat estaccablant. Impact social nul, faiblenombre d’emplois créés, sérieux doute surles chiffres réels de la production (l’État neveut pas et ne peut pas contrôler lesvolumes réellement extraits et exportés dupays), fuites répétées de brut, pollutions

des eaux, des sols, de l’air, destruction desrécoltes et des ressources en poissons,répression de villageois protestataires(avec la complicité de l’entreprise),travailleurs sous­payés et représaillescontre les meneurs de grèves...Le rapport relate par le détail les impactsdes activités de l’entreprise en s’appuyantnotamment sur des documents dedoléances remis par les habitants auxmembres de l’ONG catholique, sur desdocuments internes de l’entreprise et sur

une première étude d’impact réalisée parl’association congolaise ADEV (Boma,Bas­Congo). Cette étude révèle un pHanormalement élevé dans les rivières et lessols de Muanda, un air saturé de dioxydede carbone et de souffre issu des torchèresde gaz placées à quelques mètres desvillages. Les eaux d’exploitation(officiellement traitées par l’entreprise) etrejetées jours après jour à la mercontiennent des résidus d’hydrocarbures80 fois supérieurs aux normes autorisées.Santé, les poissons ! Autre exempleglaçant du cynisme de l’entreprise, lerapport révèle que, selon des témoignagesde travailleurs, des déchets toxiques(boues des forges mélangées à desproduits chimiques et dangereux) seraientparfois enterrés à proximité des puits.Cette réalité, les organisations de la sociétécivile congolaise la connaissent bien, etaprès des années de mobilisation, le Sénatcongolais vient enfin de diligenter unecommission d’enquête. Son rapport, rendupublic ce mois­ci, est accablant : manquede collaboration de l’exploitant qui a tentéde dissimuler les informations et tenter dedétruire des preuves, impacts cumulés dela pollution importants, urgence àintervenir pour dépolluer l’environnementde Muanda. Un premier pavé dans lamarre de Perenco Rep et, qui sait, peut­êtrele signe du réveil des élus congolais.

Perenco : des crocodiles bretonsdans les eaux troubles du CongoUn rapport de l'ONG CCFD-Terre Solidaire épingle le groupe Perenco pour les ravages del'exploitation pétrolière au Congo-Kinshasa.

4 ­ Le G8 et sa Nouvelle Alliance: une menacepour la sécurité alimentaire et nutritionnelleen Afrique ? – Communiqué ACF, CCFD,GRET, Oxfam, Peuples Solidaires, Réseau foiet justice – juin 20135­ Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire,Ethiopie, Ghana, Mozambique, Malawi,Nigeria, Sénégal, Tanzanie6 ­ Alors que le secteur agricole concerne 60à 70% de la population dans la grandemajorité des pays africains, ces derniers sontloin d’avoir atteint l’engagement de consacrer10% de leur budget national à l’agriculture(Accords de Maputo, 2003)7 ­ Voir à ce sujet : Perspectives économiquesen Afrique 2012 et 2013, BAD­OCDE­CEA­PNUE ; Les 10 économies africaines quimontent, Agnès Ratsimiala, Slate Afrique

Le développement, unjuteux businessLes entreprises, et tout particulièrementles multinationales, bénéficient demanière croissante de soutiens politiqueset de moyens financiers publics pourdévelopper … leurs activités au Sud. Etcertaines d'entre elles mangent à tous lesrâteliers, maximisant ainsi les apportsextérieurs.L’entreprise ETG (Export Trading Group,société singapouro­mauritienne) illustrebien comment l'argent du développementpeut devenir un véritable jackpot. Eneffet, en 2013, ETG s’est adressée àplusieurs agences de développement afind’obtenir des financements.

La Banque Mondiale et l’AFD ontrépondu présentes et ce sont près de 150millions de dollars que va toucherl’entreprise pour développer ses activitésen Afrique. Sans même compter lesfinancements publics additionnels qu’elletouchera compte tenu de son implicationdans la Nouvelle Alliance du G8. Cetentreprise a pourtant connu une explosionde son chiffre d’affaire, qui a augmenté deprès de 60% entre 2007 et 2011,atteignant 32,8 millions de dollars. Est­celà réellement un acteur sans ressourcefinancière propre ou sans capacités d’enobtenir auprès d’acteurs bancaires,situation que connaissent aujourd’hui lesacteurs centraux de la sécurité alimentaireà savoir les paysans ?

Rapport Pétrole à Muanda : la justice aurabais, CCFD­Terre Solidaire , 11/2013

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Page 12: Billetsd'Afrique - Survie · seulement IBK est persuadé que ce drame ne serait jamais arrivé si la France avait laissé l'armée malienne sécuriser Kidal, mais, en outre, les Français

12 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Décembre 2013 N°230

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Billets d’Afrique et d’ailleursÉdité par Survie, 107 Bd de Magenta - 75010 Paris. Tél. : 01 44 61 03 2511 numéros par an pour tout savoir sur la face cachée de lapolitique de la France sur le continent africain et les jeux troubles dela « Françafrique ». Au long de ses 12 pages, Billets d’Afriquedécortique ainsi les principaux faits de l’actualité franco-africainepour en proposer une analyse critique originale.

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Bulletin fondé par François­Xavier VerschaveDirectrice de la publication: Odile Biyidi Awala.Directeurs de la rédaction: Thomas Noirot et MathieuLopesComité de rédaction: S. Courtoux, R. Granvaud, D.Mauger, O. Tobner, R. De Benito, F. Tarrit, G. GiraudOnt participé à ce numéro : G. Moreau, Y. Thomas, I.Ba, A. Le Gac, N. Queff, R. Sutter, L. DawidowiczIllustrations : J. BeurkAssociation Survie107, Bd de MagentaF75010 ParisTél. (+33 )1 44 61 03 25 ­ Fax (+33)1 44 61 03 20http://survie.orgCommission paritaire n° 0216G87632Dépôt légal : avril 2013 ­ ISSN 2115­ 6336Imprimé par Imprimerie 3 A7, rue Marie Pia ­ 91 480 Quincy­sous­Sénart

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Corruption et faussesmiettesLoin d’amener la prospérité, le pétrolealimente une corruption ambiante, un fortressentiment des habitants et aggrave lesous­développement. Comble du cynisme,l’entreprise, qui est très fière de son actionau service des populations, fait duchantage à la « Responsabilité Sociale desEntreprises » (RSE). Pourtant, sesréalisations sont loin d’être flamboyanteset relève plus de la « pensée magique »que de la réalité. Perenco offre l’électricitéaux villages ? En fait de vagues fils (payéspar les habitants) tendus sur des troncs decocotiers. Perenco construit desfontaines ? Pour cause, elle a pollué lesrivières. Perenco offre des filets auxpécheurs ? Oui… car le brut qui flotte enmer a détruit les anciens. Et quandPerenco dit construire une école, elle secontente en fait de repeindre la façade enmettant bien en évidence son logo. Elledéclare ainsi dépenser 1,5 million dedollars annuels dans ces projets.Le rapport jette une lumière crue sur lesrisques de l’exploitation dans un contexted’État défaillant où le secteur pétrolier estla chasse gardée des clans proches dupouvoir… C’est aussi, comme le dit leCCFD­Terre Solidaire, un sinistre présagede ce qui se passera si les réserves du payssont exploitées sans que la loi­cadre sur leshydrocarbures (pour laquelle se battent lesorganisations de la société civilecongolaise) soit assez solide.

16ème fortune françaiseLes auteurs du rapport ont aussi cherché àcomprendre la structuration du groupe. Ilsont ainsi trouvé un enchevêtrement desociétés rattachées à une Perenco S.Aenregistrée aux Bahamas mais dont lesiège est à Paris (et qui contrôlerait aussiles Perenco Gabon et Congo) et quidécoule elle­même d’une PerencoInternational Limited, encore auxBahamas.A priori, ce territoire ne détientpas de pétrole, mais une fiscalité attrayantepour cette société opaque… En RDC, elleest d’ailleurs chef de file du secteur deshydrocarbures dans le processus sur latransparence des industries extractives(ITIE) censé permettre de contrôler lesrevenus pétroliers. Même si l’on sait que laRDC est à deux doigts d’être expulsée del’ITIE pour non­respect de sesengagements, on doute de la fiabilité duprocessus quand on voit qui y siège !Perenco est également soutenue par unpool de banques qui ont notammentprocédé par deux fois au déblocage d’unefacilité de crédit de plusieurs millionsd'euros. Parmi elles, la Société Générale,Natixis, BNP Paribas, le Crédit Agricolemais aussi la Royal Bank of Scotland,Standard Chartered Bank, HSBC,

Sumimoto Mitsui, Mitsubishi UFJFinancial ou ING.Les propriétaires finaux de Perenco sontles membres de la famille d’HubertPerrodo, fondateur décédé en 2006, etnotamment son fils François, président dugroupe. La famille constitue en 2013, la16ème fortune française (avec 2,8milliards d’euros). De quoi financer lespassions des héritiers : les coursesautomobiles pour François, le vin pour lasœur, Nathalie, viticultrice à Margaux…Le rapport montre d’ailleurs que laPerenco Wine Investments serait elle aussibasée aux Bahamas… « Pour vivreheureux, vivons cachés » déclaraitrécemment Nathalie au Journal duMédoc1. Fidèle à elle­même, la société n’apas réagi aux propos du CCFD­TerreSolidaire. Ne rien dire, ne rien laisserparaître, ne pas faire de vague dans lemarigot…. C’est comme ça que le petitcrocodile devenu gros veut continuer àattraper ses proies. Mais aujourd’hui,nombreux sont les curieux qui au Congo eten France veulent mettre en lumière lesaffaires de Perenco.

Abel Le Gac1­ Famille Perrodo : ils ont le pétrole et lesidées, Le Journal du Médoc, 27/09/2013

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