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  • 8/18/2019 Banque Et Etat

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    “ La castequi nous

    dirigese croit

    infaillible ”

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    « Journal d’un sauvetage » restitue, brut dedécoffrage, toutes les réunions, conversationset interventions pendant les dix-huit premiersmois de votre mission à la tête d’un Crédit lyon-nais en quasi-faillite. Pourquoi aviez-vous prisces notes ?

    C’est la seule fois de ma vie que j’ai tenu un journal.Ce n’est pas dans ma nature, et je n’avais pas à l’époquel’idée de le rendre public un jour. Le 2 septembre1993, je suis président de l’UAP, à l’époque premierassureur français, lorsque je reçois un appel d’AlainMinc. Il évoque la possibilité que je sois nommé à latête du Crédit lyonnais, et je trouve cette propositionsuspecte. Je ne comprends pas quelles sont les inten-tions du gouvernement d’Edouard Balladur meconcernant. Pourquoi veut-il me retirer la directionde l’UAP, où mon bilan est positif ? Et s’il me proposele Crédit lyonnais à cause d’une gestion défaillante,pourquoi recaser son président, Jean-Yves Haberer,au Crédit national, qui est alors bien tenu par YvesLyon-Caen ? J’ai pris des notes pour y voir plus clair.

    Vous n’avez compris que par petites touchesqu’on voulait surtout libérer votre siège àl’UAP pour Jacques Friedmann, dont vous esti-miez qu’il serait un mauvais successeur…

    Oui, bien avant que je n’accepte le poste au Crédit

    lyonnais, j’ai appris deux mauvaises nouvelles. Pre-mièrement, le gouvernement – qui n’ose pas mel’avouer frontalement – me propose le Lyonnaisd’abord pour m’écarter de l’UAP. Sa motivation prin-cipale est donc politique ou – pour le dire plus crû-ment – la nomination d’un copain. Deuxièmement,le Crédit lyonnais est dans un état beaucoup plusgrave que ce qu’en savent alors les responsablespublics : les administrateurs représentant l’Etat, maisaussi le directeur du Trésor, Christian Noyer, leministre des Finances, Edmond Alphandéry, le secré-taire général de la Commission bancaire, Jean-LouisButsch, et le gouverneur de la Banque de France,Jean-Claude Trichet.

    Mais comment se fait-il que de l’extérieur– sans même avoir eu connaissance descomptes – vous y voyiez d’emblée plus clair surla débâcle du Lyonnais que sa tutelle publique ?

    J’ai fait mon enquête personnelle à partir d’informa-tions données par des gens « hors système » : des rela-tions amicales, anciens employés de l’établissementou banquier d’affaires comme Edouard Stern. J’es-time alors, de l’extérieur, que les pertes latentestotales de la banque s’élèvent à 20 à 25 milliards defrancs (3 à 3,8 milliards d’euros), alors que le Trésorparle d’une addition moitié moindre. En fait, le troufinal sera trois fois plus élevé que dans mon analyseinitiale : autour de 75 milliards de francs (11,5 mil-liards d’euros) !

    Pourquoi briser maintenant l’omerta sur cette vieille affaire, dont la plupart des protagonistessont à la retraite ?

    Parce qu’on n’en a jamais tiré les leçons. Aujourd’huiencore, le système français est le même. Il dérape tou- jours de la même manière, et pour les mêmes raisons.Je croyais avoir vécu un événement exceptionnel…qui ne cesse de se répéter ! J’espère provoquer enfinun débat, en mettant cela sur la table.

     A quels autres dérapages pensez-vous ?Il y a eu en 2011 la faillite de Dexia, qui a coûté, je

    pense, plus de 15 milliards d’euros aux contribuablesfrançais, belges et luxembourgeois. Je me souviensde l’ambition démesurée de son patron, PierreRichard, qui me proposait à l’époque d’acheter despans entiers du Lyonnais. Plus récemment, l’affaireAreva – dont la facture n’est pas encore définitive –est assez semblable à celle du Lyonnais : la responsa-bilité de son management, en l’occurrence Anne Lau-vergeon, est écrasante. Mais il y a eu aussi unaveuglement total des organes de contrôle !

    Y a-t-il une fatalité à ce que l’Etat soit un mau- vais actionnaire ?

    Oui. Le système de gouvernance des entreprisespubliques est fait pour dysfonctionner, parce qu’il

    De Matignonà la banque

    Associé gérantde la banque Degroof,

    Jean Peyrelevade, 76 ans,a commencé sa carrièreau Crédit lyonnais, dont

    il sera PDG entre 1993et 2003. Directeur adjoint

    du cabinet de PierreMauroy à Matignon(1981-83), il a aussi

    présidé Suez (1983-86),la Banque Stern (1986-88)

    et l’UAP (1988-93).

    Dans « Journal d’unsauvetage » (Albin

    Michel), Jean Peyrelevadecroque les politiques et

    les parrains des affaires,entre septembre 1993

    et novembre 2002(Voir extraits page 68

    et suivantes).

     Le banquier publie le Journal qu’il a tenu lorsque l’Etat l’a nommé

    à la tête du Crédit lyonnais en quasi-faillite. Il dénoncele système qui a mené l’établissement au bord du gouffre. Et alerte : rien n’a changé. De Dexia à Areva, d’EDF à la SNCF,

    l’Etat actionnaire reproduit les mêmes erreurs

    PROPOS RECUEIL LIS PAR SOPHIE FAY ET DOMINIQUE NORA ÉRIC GARAULT

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    n’existe aucun contre-pou-voir en cas de managementincompétent ou pris de méga-lomanie : ni le conseil d’admi-nistration, ni l’Etat actionnaire,ni le régulateur, ni les syndi-cats… La raison essentielle estsociologique : c’est une ques-tion de recrutement des élitesadministratives et politiquesfrançaises. Au sommet de lapyramide du pouvoir, on trouveplein d’administrateurs presti-gieux, de grands ministres, deprésidents surdiplômés. Maisle problème est que cetteclasse, ou plutôt cette caste quinous dirige, se pense infaillible.

    N’en faites-vous pas vous-même partie ? Vous sor-tez de Polytechnique et

     vous fréquentez les lieuxde pouvoir de l’establish-ment parisien : les dîners

    du Siècle, les soirées chez Alain Minc, que vousdécrivez dans votrelivre…

    J’ai fait Polytechnique, pasl’ENA. D’ailleurs un peu parhasard : l’année où je suis sortide l’X, Michel Debré, qui étaitPremier ministre, avait consi-déré que les polytechniciensn’étaient pas dignes d’entrerdirectement à l’ENA, dont il était le fondateur. J’ap-partenais donc à une espèce rare : un président degrande banque publique qui n’était pas inspecteur

    des Finances. En acceptant la présidendu Crédit lyonnais, je croyais bieconnaître le système : je l’avais pratiqudeux ans au cabinet de Pierre MauroyMatignon, trois ans chez Suez, cinq ansla tête de l’UAP… En fait, j’ai vécu dans système, mais je n’en ai jamais vraimefait partie. Je n’ai pas été créé par lu

     j’étais en marge, pas au centre. Avant l’afaire du Lyonnais, jamais je n’avais souçonné que la notion de responsabiliindividuelle était complètement absende ce système fermé sur lui-même, fontionnant en vase clos, et gouverné par dhiérarchies mandarinales. D’une certainmanière, ce modèle français qui allie dpolitiques à la fine fleur de la fonctiopublique énarchique n’est pas très diffrent du modèle chinois !Est-ce que les ratés de l’Etat actionnai

    ne s’expliquent pas pad’autres raisons : sa schizphrénie, sa lenteur de réation en cas de crise ?C’est vrai, l’Etat actionnaire a dmal à arbitrer entre des impértifs contradictoires : il veut qules entreprises publiquassurent des prix bas pour lménages, mais aussi qu’ellinvestissent pour l’avenir. Il vequ’elles ne pèsent pas sur sobudget, voire lui rapportent ddividendes, mais en mêmtemps il craint les mouvemensociaux et les grèves. Du couil tergiverse, ce qui peut êtdésastreux quand il y a le feMais ces raisons sont à myeux secondaires par rapporla connivence sociologique, qfait que la structure étatique eincapable d’organiser spropres contre-pouvoirs. Pole gouvernement de l’époquplacer Friedmann à la tête dl’UAP ou s’assurer de l’aven

    d’un groupe Hersant (« Figaro ») très endetté était afond plus important que de saver le Lyonnais.Vous étiez aussi dans le cparticulier d’une cohabitatiopolitique entre un présidesocialiste, Mitterrand, et uPremier ministre de droitBalladur… doublée de guerre Balladur-Chirac.Gauche ou droite, peu importLe système de connivenexiste, quelle que soit la coule

    MARD I  10   J ANV I ER  1994

     Les obligés de Tapie  Le soir, pot de nouvelle année donné traditionnellement par Pierre Mauroy cité Malesherbes, à l’ancien siègede la SFIO devenu celui de la Fondation Jean-Jaurès.

     […] Pierre Mauroy m’entraîne avec lui, dans un coincomparativement plus calme, pour une conversation

     supposée discrète. Jospin me demande si je pense que Bernard Tapie a encoreune chance sérieuse de

     pouvoir se présenter àla prochaine élection

     présidentielle, à laquellelui-même envisage

     manif estement d’êtrecandidat. Je lui répondsque cela est à mon avisexclu, pour des raisons

     fo rtes en co re que strictement juridiques : sa faillite personnel le

    entraînera son inéli- gibilité. Beaucoup de gens nousvoient parler. Quelqu’un(bien entendu, je ne saisqui) parmi les militants

     sociali stes qui nousentourent écoute à notreinsu au moins une partiede la conversation. Il en

     fait rapport à BernardTapie dans les jours qui

     sui ven t (l’ homm e a

    décidément des obligés parto ut). Ce derni er,quelques semaines plustard, se réfère expli-citement à cette soirée

     pour m’accuser publi-quement de ne l’avoir

     fait chuter que pour favoriser les desseins de Lionel Jospin.

    J EUD I  2   S E PT EMBRE  1993 

     Minc,“agent

    dévoué” ...Ce jour-là, Alain Minc […] m’expliqueque Jean-Yves Haberer va perdre son

     poste de président du Crédit lyonnais. […] Je suis, me dit-il, le seul à pouvoirle remplacer. […] Tout en écoutant

     Alain, je me dis qu’il est un ami proche,certainement convaincu d’agir en ma

     faveur. Peut-être, en effet. Mais en même temps, j’ai l’impression d’êtreune pièce (pas la moindre sans doute)

     sur l’échiqui er de ses ambitio ns

    d’influence. Pour qui et pour quoitravaille-t-il vraiment ? Pour mon bien personnel ? Pour François Pinault,dont il est le conseiller ? Pour Edouard

     Ball adur, Premier mini str e du moment et auquel il prédit un granddestin ? […] Là où d’aucuns flaireraientcomme un mélange des genres, commeun conflit d’intérêts (y compris entreles affaires et l’amitié), il répondrait

     sans doute qu’il est l’agent dévoué etœcuménique de tout et de tous. « Quoi,

     nulle trahison ? »

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    du gouvernement.Exemple en 2001, aumoment de la consti-tution d’Areva. LeCrédit lyonnais, quiconseillait la direc-tion du Trésor, s’étaitprononcé pour lemaintien de struc-tures séparées entrela Cogema (traite-ment du combus-tible) et Framatome(fabrication des cen-trales). Mais AnneLauvergeon, quiavait été sherpa deFrançois Mitterrandà l’Elysée, a obtenu ladécision contrairedu ministre desFinances, LaurentFabius. Et, fait tout àfait exceptionnel, le

    Trésor a dénoncénotre contrat. Seuls de rares hommes politiques,comme Pierre Mauroy ou Jacques Delors, ont sugarder un certain degré de prudence, voire deméfiance, par rapport à ce système de connivence.Mauroy est d’ailleurs celui qui a créé la « troisièmevoie » pour casser l’homogénéité sociologique del’ENA. Avec un succès d’estime.

    Ce modèle élitiste est-il vraiment une spéci-ficité française ?

    Oui, il a des racines profondes qui tiennent à notre jacobinisme politique. L’inégalité la plus profonde,structurelle, statutaire, permanente de notresociété, c’est le gouffre qui sépare les gouvernants

    des gouvernés ! La gouvernance politique du pays estfondée sur l’idée que les gouvernants ont un métierspécifique, qui les rend différents. Ils se placent au-dessus de tous, au nom de ce qu’ils pensent être« l’intérêt général ». L’ENA est un système spécifiquede recrutement des hauts fonctionnaires, qui leurdonne un statut à vie. C’était peut-être adapté à lapériode de reconstruction de l’après-guerre, pas aumonde d’aujourd’hui.

    Si on vous suit, toutes les entreprises publiquesdoivent être privatisées…

    Oui, à condition de les encadrer par un cahier descharges strict et explicite, qui prenne en compte lescomposantes de service public. Dans le cas du

    nucléaire, par exemple,l’Etat doit bien sûr défi-nir la politique énergé-tique et jouer un rôlefort de régulateur pourassurer la sûreté des

    centrales. Mais ce n’estpas pour autant qu’ildoit les construire,comme on le voitaujourd’hui.Pourtant, par rapportaux années 1990, lagouvernance desentreprises publiquess’est quand mêmeaméliorée, profes-sionnalisée…C’est mieux quand cesentreprises ont desactionnaires indépen-dants de l’Etat, qui

     jouent les contre-pouvoirs. C’est le cas,par exemple, deThales, de Safran oud’EADS (Airbus).Les commissionsd’enquête parlemen-taires ou la Cour desComptes ne jouent-elles pas ce rôle ?Mais avec quelles

    conséquences ?Quelles sanctions ?Dans le cas du Lyon-nais, il a fallu attendreque je fasse apparaîtrel’ampleur des pertesau grand jour pourqu’Haberer soit démisde la présidence duCrédit national où ilvenait d’être nommé !Et c’est bien le seul àavoir été sanctionné,après cette gigan- H A

     M I L T O N / R E A - T H O M A S C O E X / A F P

    LUND I  25   A VR I L  1994

     Nicolas Bazire * Quinze heures. Je suis convoqué par Nicolas Bazire à

     Matignon. Il me demande de lui faire le point sur ledossier du Crédit lyonnais […] Mais en fait, c’est surtoutl’avenir du « Figaro » qui le préoccupe […]. Comme je

     manifeste ma surprise d’unetelle sollicitude pour ce qui

     n’est, apr ès tout , qu’un groupe de presse de taille moyenne : « Nous ne pouvonstotalement nous endésintéresser dans lacompétition interne àlaquelle nous nous

     préparons », me dit-il. Jecomprends que le match

     Ballad ur- Chir ac pour la p r o c h a i n e é l e c t i o n présidentielle va être frontal, sans pitié. Pour la première fois depuis que je le connais, m o n i n t e r l o c u t e u r,d’habitude si lisse, si propre

     sur lui, ancien officier de

     marine à tel point qu’unécart de langage dans sa

     bouche serait aussi incongruqu’une tache de graisse sur

     sa cravate, fait ouvertementde la politique, et pas de la

     plus haute.

    (*) Alors directeur de cabinetdu Premier ministre,aujourd’hui directeur général de Groupe Arnault SAS et membre du comité exécutif de LVMH.

    MARD I  24  MA I  1994

     Jean-Claude Trichet,

    un “demi-caractère”  […] Onze heures. Je me rends chez le gouverneur de la Banque de France. […] Le haut personnage auquel je m’adresse n’est pas d’une seule pièce. […] D’un côté le gouverne ur de la banque centrale, empreint de majesté, pénétré de son rôle historique, porte sur sonvisage d’empereur romain toutes les marques d’unedétermination sans faille. […] Fin, cultivé, éloquent au

     point d’en être presque sentencieux, il mène un combat résolu, sans concession, courageux, en faveur del’indépendance de la Banque de France et du franc

     fort. Affrontant sans faiblir les critiques les plus

    diverses, qui l’accusent de sacrifier la croissanceéconomique au dogme monétaire, il poursuit contrevents et marées […] un rêve dont la réalisation lui

     promet les plus hautes destinées. […]  Ayant choisi d’être exposé au premier rang de cette bataille homérique […], il veut se protéger dans toutesles autres affaires dont il a connaissance. Telle est la

     face contradictoire d’une personnalité dont je ne saiscomment réconcilier les contrastes. Régulateur du

     système bancaire, garant de sa bonne santé, il n’a decesse d’abriter sa responsabilité éminente derrière lesactes techniques de ses collaborateurs ou les décisions

     regrettables mais souveraines du pouvoir politique. Là fier combattant, il est ici planqué. […] 

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    tesque défaillance collective, dont il n’est pasl’unique responsable.

    La régulation des banques, elle, s’est tout demême améliorée après la crise de 2008.

    Heureusement. Mais c’est seulement parce qu’elle aété transférée au niveau européen. Quand j’étais auLyonnais, je n’ai cessé de dire qu’avoir vingt-cinq régu-lateurs bancaires européens était stupide, et j’étaisconsidéré par Jean-Claude Trichet [le gouverneur de

    la Banque de France, NDLR] comme un dangereuxsubversif ! Réguler le système bancaire français étaitun des derniers privilèges de sa souveraineté.

    Quant à l’Agence des Participations de l’Etat(APE), elle semble gérer les entreprisespubliques de manière assez rigoureuse.

    Oui, l’APE est sans doute plus lucide et consciente deses responsabilités que ne l’était le Trésor des années1990. Mais cela ne veut pas dire que son avis est suivi.Son patron n’a aucune autonomie par rapport au pou-voir politique. Il ne s’exprime jamais en public : s’iln’est pas d’accord, ça ne se voit pas. La preuve : dansl’affaire Tapie, on l’a su seulement parce que le dos-sier est allé en justice, au pénal.

    L’autre manière de marquer son désaccorest de démissionner, ce que vous avez faifaire à plusieurs reprises, pour remporter darbitrages… Est-ce comme cela que l’on peulire les démissions récentes de Thomas Piqumal, le directeur financier d’EDF, ou dJacques Rapoport, le patron de SNC

    Réseau ?

    En haut,

    les notes manuscrites

    de Jean Peyrelevade

    concernant

    « l’affaire Crédit lyonnais ».

     Areva,  EDF  ,  SNCF  , trois bombes à retardement 

     Areva. Pour la cinquième année consécutive, Arevaa terminé dans le rouge (-2 milliards d’euros en 2015).

    Ses pertes cumulées s’élèvent à 10 milliards depuis 2011.Le groupe va être scindé en deux, l’activité de

    construction de réacteurs étant apportée à EDF. L’Etat,actionnaire à 86,5%, recapitalisera Areva à hauteur de

    5 milliards d’euros, l’équivalent des pertes accumuléespour la construction de l’EPR d’Olkiluoto en Finlande.

    EDF. Très endettée (37,5 milliards d’euros), l’entreprise,dont l’Etat détient 84,5%, ne parvient pas à dégager desflux de trésorerie positifs. EDF vaut à peine 19 milliards

    d’euros : la valeur de son action a été divisée par troisdepuis son introduction en Bourse en 2005. A-t-elle

    les reins assez solides pour financer le projet d’EPR auRoyaume-Uni à Hinkley Point (23,5 milliards d’euros au

    total) ? Thomas Piquemal, qui a démissionné avec fracasde la direction financière, semble en douter, d’autant quel’entreprise doit aussi trouver 100 milliards d’euros surquinze ans pour entretenir ses 58 réacteurs en France.

    L’Etat devra sortir son chéquier.

    SNCF. Début mars, la SNCF a annoncé une perte recordde 12 milliards d’euros. En cause, la révision à la baissede la valeur de ses rames de TGV (déficit anticipé sur

    la ligne TGV Tours-Bordeaux) et de son réseauferroviaire (de 33 à 23 milliards d’euros). Quelques jours

    plus tôt, Jacques Rapoport avait démissionné de laprésidence de SNCF Réseau, chargé de l’entretien des

    30 000 kilomètres de rails. La faute aux injonctionscontradictoires de l’Etat, qui demande à la fois à

    l’entreprise de réduire sa dette (42,3 milliards d’euros,en dérapage de 3 milliards en 2015), tout en finançant

    la nouvelle liaison CDG Express et sans lui verserla totalité des fonds promis. S. F.

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    Si je n’avais pas utilisé cette menace, je me serais faitécrabouiller par le système. Je ne connais pas assezles dossiers EDF et SNCF pour savoir si leur décisionest un acte de responsabilité, un refus de connivence.Mais si tel est le cas, je salue ce geste qui est extrê-mement rare ! Malheureusement, une démission ne

    change pas forcément le cours

    des choses. Il faudrait que celasoit suivi d’un débat, d’uneréflexion sur la situation desentreprises, sur les réformes àaccomplir pour améliorer lesystème. C’est rarement le cas.Quelles seraient vosréformes pour casser cemandarinat politico-admi-nistratif ?(Rire.) Elles seraient nom-breuses ! Un, il faut interdirele cumul de mandats des poli-

    tiques et limiter le nombre derenouvellements de ceux-ci.Deux, tout haut fonctionnaireentré en politique doit démis-sionner. Trois, sauf pour lesfonctions régaliennes – police,

     justice, armée –, il faut suppri-mer le statut à vie des hautsfonctionnaires, et le rempla-cer par des contrats de droitprivé. Quatre, il faut suppri-mer le classement à la sortiedes grandes écoles… voiresupprimer l’ENA elle-même !Tout cela contribuerait àremettre les gouvernants surun pied d’égalité avec lescitoyens.

    Vous soutenez Emmanuel Macron, qui estpourtant emblématique de ce système…

    Il n’y a que les gens qui ont vécu dans le système quipeuvent le réformer. Il est assez dedans pour en com-prendre les leviers, mais assez à la marge pour avoirenvie de le changer.Je ne suis pas un intime d’Emmanuel Macron : jene l’ai vu que deux ou trois fois – longuement, c’estvrai – depuis cet été… Il m’est sympathique parce

    qu’il a réussi à garder sa liberté de parole, à refuserla langue de bois qui est le premier signe de laconnivence. Et même si les réformes qu’il a faitessont modestes, elles sont conformes à son discours,notamment sur le travail du dimanche et la luttecontre les rentes. Il veut rester en politique pour debonnes raisons : pas pour faire carrière, mais pourchanger les choses. Reste à savoir s’il a envie de des-cendre vraiment dans l’arène, et de se battre ! Si lagauche perd en 2017, il aurait en tout cas une fenêtrede tir idéale pour créer en France un parti qui incar-nerait enfin la deuxième gauche, résolumentsociale-réformiste. En un mot, il est un espoir pournotre pays.

    MARD I 6  S E P T EMBR E  1994

     Avec Arnaultchez Dior 

     Je déjeune avec Berna rd Arnault, chezChristian Dior. […] Très contrôlé, froid, tiréà quatre épingles, il a cette qualité rare des

     hommes d’action : la capacité à résumer enquelques mots simplesles situations les pluscompliquées, à ne

     s’embarrasser ni des nuances ni des détailset à dégager rapi-dement l’essentiel.

     Plus intéressé par sesaffaires propres (leluxe est sa vie, à touségards) que par cellesd’autrui, il fait l’effortd’entrer dans mon jeu.Convaincu que le paysest conduit par un tout

     pe ti t gr ou pe dedirigeants qu’il cultiveassidûment, il me

     pro met so n app uiauprès de ce cénacle.Une vision aussi rac-courcie, aussi élitiste,

    de la société me gênequelque peu […]. Peut-on oublier que nosclients, nos employés,

     so nt au ss i, so ntd’abord des citoyensqui votent, mani-

     festen t, se mettent en grè ve et parf ois se révoltent ? 

    LUND I  17   O CTOBRE  1994

     Alphandéryvu par Chirac 

     Déjeuner avec Jacques Chirac chez François Pinault. Je raconte ce que j’ai trouvé au Crédit lyonnais, et mesdiffi cultés. Jacques Chirac, parfaitement tranquille :« Il y en a pour 50 milliards de francs, non ? » Je

    confirme : on enest déjà là (25 autitre de 1993,

     25 probables autitre de 1994), et je

     ne suis pas sûr que ce soit fini. Lui :« Alphandéry   [leministre desFinances]   n’est

     pas une flèche. »

    J E UD I  1  ER   D É C EMBRE  1994

     Sarkozy,

    l’acteur  Nicola s Sarkoz y vient déjeuner au Créditlyonnais. […] Le ministre du Budget est trèsamical […]. J’explique où nous en sommes. […] Il se demandecomment tout cela fut possible. Il enchaîne :« Alphandéry [son collègue ministre desFinances] est stupide. Excusez-moi, cher ami,

     mais il fallait traiter le mal tout de suite et accuserles socialistes. Et vous, ancien socialiste, étiez le

     mieux placé pour le faire. » Il rit, puis sourit de manière légèrement prolongée, comme dans un plan fixe du cinéma d’autrefois où il convenait de bien se faire comprendre des spectateurs.