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État et gestion publique Actes du Colloque du 16 décembre 1999

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  • tatet gestion publique

    Actes du Colloquedu 16 dcembre 1999

  • La Documentation franaise. Paris, 2000- ISBN : 2-11-004596-5 En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du Code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992, toutereproduction partielle ou totale usage collectif de la prsente publication est strictement interdite sans lautorisationexpresse de lditeur.Il est rappel cet gard que lusage abusif de la photocopie met en danger lquilibre conomiquedes circuits du livre.

    Ralis en PAO au Conseil dAnalyse conomiquepar Christine Carl

  • La cration du Conseil dAnalyse conomique rpond la ncessitpour un gouvernement trop souvent confront lurgence, de pouvoir serfrer une structure de rflexion qui lui permette dclairer ses choixdans le domaine conomique. Jai souhait aussi crer un lien entre deuxmondes qui trop souvent signorent, celui de la dcision conomique publi-que et celui de la rflexion conomique, universitaire ou non.

    Jai pris soin de composer ce Conseil de faon tenir compte de toutesles sensibilits. Le Conseil dAnalyse conomique est pluraliste. Cest lun de ses atouts principaux, auquel je suis trs attach. Il doit tre un lieude confrontations sans a priori et les personnes qui le composent doiventpouvoir sexprimer en toute indpendance. Cette indpendance je lesais vous y tenez, mais surtout je la souhaite moi-mme.

    Ces dlibrations naboutiront pas toujours des conclusions parta-ges par tous les membres ; lessentiel mes yeux est que tous les avispuissent sexprimer, sans quil y ait ncessairement consensus.

    ...

    La mission de ce Conseil est essentielle : il sagit, par vos dbats, dana-lyser les problmes conomiques du pays et dexposer les diffrentes op-tions envisageables.

    Lionel Jospin, Premier MinistreDiscours douverture de la sance dinstallation duConseil dAnalyse conomique, le 24 juillet 1997.Salle du Conseil, Htel de Matignon.

  • TAT ET GESTION PUBLIQUE 5

    Introduction ............................................................................................... 7Pierre-Alain Muet

    Session 1. Rformes en France et ltranger :vue densemble et lments comparatifs Rinventer ltat, ici et ailleurs ............................................................... 13Sylvie TrosaLeons des rformes de laction publique en Europe ............................. 21Jrme VignonLes rformes administratives dans les pays de lOCDE :une tentative de synthse ......................................................................... 27Anne-Marie Leroy

    Session 2. Enjeux et conditions de russite des rformesContractualisation et pluriannualit ........................................................ 37Christophe Blanchard-DignacUn cas pratique de gestion publique :la rforme des administrations fiscales ................................................... 43Thierry BertLes politiques de qualit et la gestion des rformes ................................ 51Pierre Sguin

    Session 3. Relations entre ltat et les collectivits localesLes relations financires entre ltat et les collectivits locales ............. 59Vronique Hespel et Guy GilbertOrganisation des pouvoirs et gestion publique :une comparaison des pays de lUnion europenne ................................. 71Sylvie Hel-Thelier

    Sommaire

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE6

    Session 4. Modernisation de ltat et volution du DroitLvolution du Droit comme instrument tatiquedune organisation conomique............................................................... 95Marie-Anne Frison-RocheSur laction publique et lanalyse de ses mutations .............................. 111Antoine Lyon-Caen

    Session 5. tapes vers un tat moderne et incitationstapes vers un tat moderne : une analyse conomique ....................... 117Jean-Jacques LaffontCommentairesAntoine Lyon-Caen ................................................................................ 151Grard Maarek ...................................................................................... 155Edmond Malinvaud ............................................................................... 161Laurence Tubiana .................................................................................. 165La programmation des infrastructures de transport. tude de cas ........ 167Dominique Bureau

    Table ronde prside par Pierre Joxe .................................................. 193Christophe Blanchard-Dignac, Jean-Michel Charpin, Jacques Fournier,Jean-Louis Guigou, Pierre Rosanvallon et Gilbert Santel

    Rsum .................................................................................................. 201

    Summary ............................................................................................... 207

  • TAT ET GESTION PUBLIQUE 7

    Introduction

    La mondialisation, la construction europenne et la complexification dela vie conomique ont conduit la plupart des nations industrialises dim-portantes rformes de lintervention publique et de lorganisation de ltat.Quels enseignements tirer de ces expriences ? Quels sont les facteurssusceptibles dimpulser ou de freiner la modernisation de ltat ? O en estla rflexion sur les fondements et les modalits de laction publique ? Enassociant des conomistes, des juristes, des sociologues et des spcialistesde la gestion publique, le colloque tat et gestion publique qui sest tenu endcembre 1999 au CAE, et dont les actes sont publis dans ce rapport, tentede faire le point sur ces rflexions.

    Comment faire en sorte que la demande des citoyens soit prise en compteet ralise au meilleur cot ? Cest souvent en partant des contraintes bud-gtaires et du contrle de la dpense publique que sest affirme la proc-cupation de modernisation de ltat. Au Canada, par exemple, toutes lespolitiques publiques ont t soumises, les unes aprs les autres, une sriede questions-tests : est-ce la puissance publique de soccuper de ce su-jet ? Si oui, est-ce ltat de le faire ou lactivit doit-elle tre transfre auniveau local ?

    La demande de service public volue avec le dveloppement cono-mique. Pierre Rosanvallon remarque quil y a quarante ans, ltat tait essen-tiellement producteur dquipements collectifs. La demande de servicepublic est aujourdhui plus individuelle et de ce fait plus difficile rvler.Une faon de lapprhender est de disposer, au niveau local, dinstancesdaccueil susceptibles dexprimer et de satisfaire ces demandes indivi-duelles. LAustralie a ainsi cr des agences locales qui regroupentplusieurs ministres sociaux, o les fonctionnaires reoivent les usagers,dterminent les prestations auxquelles ils ont droit et font les dmarchesncessaires. La cration dun interlocuteur fiscal unique prvue dans larforme du ministre des Finances rpond la mme logique. Cette dmar-che est dailleurs trs largement luvre dans le secteur priv o les so-cits de services collectifs proposent, par exemple aux tats-Unis,lensemble des services qui concernent la maison (eau, gaz, lectricit,tlphone, cble, accs Internet, assurances...).

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE8

    Le problme de la dcentralisation se pose avec plus dacuit en Franceque dans les autres pays europens qui, soit ont une structure fdrale, soitont volu vers une plus grande dcentralisation des pouvoirs. Comme lesouligne Pierre Joxe, la dcentralisation en France na pas encore tdigre par le pouvoir central . La part respective des dpenses de ltat acertes fortement diminu au cours des vingt dernires annes au profit desdpenses de la protection sociale et des collectivits locales, mais cetterduction sest accompagne dune forte croissance des transferts de ltataux administrations locales et sociales. La fiscalit locale en France se carac-trise en effet par un degr lev dautonomie exerce sur des territoiresexceptionnellement mietts et imbriqus. Vronique Hespel et Guy Gilbertnotent quaucun autre tat-membre de lUnion ne combine la fois un tatfortement centralis et des collectivits territoriales aussi clates etimbriques.

    En matire de gestion publique, lintroduction de mthodes managrialesempruntes au secteur priv a permis daccrotre lefficacit du secteurpublic. Cet assouplissement de la gestion et lautonomie accrue des ges-tionnaires est-elle compatible avec le statut de la Fonction publique ? Lesavis sont partags. Certains soulignent les changements radicaux adoptsdans certains pays qui ont transform trs largement la Fonction publiquede carrire (Italie, Suisse), dautres considrent que la souplesse du statutgnral de la Fonction publique reste compatible avec une autonomie degestion accrue.

    La rflexion sur la modernisation de ltat a volu, au cours de la der-nire decennie, de lapproche managrial une approche procdurale .Cette dernire sattache la pertinence des rgles au regard des attentesdes citoyens et au dveloppement de leur participation. Paralllement, mergele passage du modle de rquisition qui caractrisait autrefois lactionpublique un modle de rgulation .

    La conception mme du rle de ltat a galement volu, tant dans larflexion juridique quconomique. Scartant de lhypothse dun tatbienveillant et omniscient, la littrature conomique contemporaine aexplor, comme le montre Jean-Jacques Laffont, les consquences duneinformation imparfaite du dcideur public ou dune certaine place des int-rts privs. Ces deux hypothses conduisent accorder une plus grandeattention lquilibre des pouvoirs. Pour Edmond Malinvaud, lanalyse tho-rique ne saurait toutefois faire lconomie dun diagnostic empirique. Parailleurs, la mondialisation et la complexification croissante des socits doi-vent certes nous conduire repenser ces normes thiques, mais aussi yvaloriser avec acharnement la bienveillance . Faute de quoi, les pr-dictions les plus pessimistes risquent de devenir auto-ralisatrices.

    Sagissant de lvolution rcente du droit, Anne-Marie Frison-Rochemet en avant lrosion de la souverainet, lexigence gnralise de justifi-cation de laction publique et une certaine banalisation des acteurs publics.

  • TAT ET GESTION PUBLIQUE 9

    Antoine Lyon-Caen souligne le rle de la construction juridique de lEuropedans cette volution et les nouvelles exigences quimposent laction publique la complexification de nos socits et lincorporation desdiffrents savoirs au savoir juridique .

    Cette brve introduction ne saurait rsumer les discussions dun collo-que qui a abord de nombreux domaines touchant tant aux fondementsquaux modalits de laction publique. Je remercie Pierre Joxe, Premierprsident de la Cour des Comptes, qui a jou tout au long de ce colloque lerle de Grand Tmoin , ainsi que mile Zuccarelli, alors ministre de laFonction publique, de la Rforme de ltat et de la Dcentralisation, qui ena introduit les dbats(*).

    (*) Lintervention de mile Zuccarelli a t publie, ainsi que le rsum de ce colloque,dans la Lettre du CAE de janvier 2000.

    Pierre-Alain MuetConseiller auprs du Premier Ministre

    Professeur lcole Polytechnique

  • Session 1Rformes en France et ltranger :

    vue densemble et lments comparatifs

    Rinventer ltat, ici et ailleurs ............................................................... 13Sylvie TrosaLeons des rformes de laction publique en Europe ............................. 21Jrme VignonLes rformes administratives dans les pays de lOCDE :une tentative de synthse ......................................................................... 27Anne-Marie Leroy

  • TAT ET GESTION PUBLIQUE 13

    Rinventer ltat, ici et ailleurs

    Sylvie TrosaRapporteur Gnral au Conseil National de lvaluation

    Session 1

    Mon expos ne traduira pas mon point de vue personnel sur la rformede ltat mais sera fond le plus objectivement possible sur les constats quejai pu faire en travaillant divers titres dans des pays anglo-saxons oupour la Banque mondiale. Le point commun des diffrents pays dont jeparlerai, cest quils sorientent tous plus ou moins vers une culture dursultat qui se traduit notamment par des formes de budgtisation par rsultats.

    Je traiterai ici des pays anglo-saxons, des pays nordiques et de certainspays dAsie tels que Singapour et les Philippines. Je vais essayer de mettreen vidence lvolution dun certain nombre de tendances depuis une di-zaine dannes. Cette rflexion ninclut pas la France car jai t absentedurant ces dernires annes (mme sil ne faut pas oublier que le mot ma-nagement est au dpart un mot franais, qui vient de mnagement etqui signifie gestion des contradictions ). Nous ne sommes, de loin, pasles derniers en matire de management (comme la Banque mondiale a pu lelaisser entendre dans un rapport de 1998) et, sur nombre de sujets, nousavons mme t les promoteurs des dmarches.

    On pourrait appeler la priode actuelle celle du retour de ltat . Entermes plus techniques, ce retour se traduit par une cole appele le nou-veau contractualisme qui prne non pas la multiplication des contrats ouquasi-contrats de nature juridique mais des dmarches bases sur lcoute,lchange, et des droits et obligations rciproques. Si, par exemple, uneadministration centrale contracte avec un service extrieur, elle doit sen-gager autant que ce service. Ce constat vient du fait que, entre les deux

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    modles dominants de ltat, celui de ltat paternaliste dont la justifica-tion est quil sait mieux que lusager est devenue dans les faits aussiimpossible maintenir que ltat prestataire de services (Royaume-Uni)car ce dernier amne une privatisation des services (si lon nest que pres-tataire pourquoi ce prestataire devrait-il tre public ?). Ltat qui imposeparat aussi obsolte que ltat qui se plie au client .

    Les volutions rcentesDeux grandes volutions sont perceptibles dans le domaine des rformes.La premire concerne le passage dun jeu de lego sur les structures

    institutionnelles (par exemple, les No-Zlandais ont transform pratique-ment toutes leurs structures administratives en agences autonomes) untravail sur le systme, cest--dire sur comment faire fonctionner ensembleles diffrentes rformes (budget, valuation, benchmarking , dcentra-lisation, etc.). Aujourdhui prvaut une rflexion sur la conduite des chan-gements. Ceci tant, les Australiens nont pas jou ce jeu de lego insti-tutionnel , peut-tre parce que la rforme a t domine chez eux par desconomistes et des statisticiens (et non par des comptables comme en Nou-velle-Zlande). Je dirai que la dcennie quatre-vingt a t marque par unsouci de changeons les structures pour changer les comportements . Cesouci na pas t dnu deffets : par exemple au Royaume-Uni il nexistaitavant la rforme des agences aucune culture de gestion et des cots alorsquelle est aujourdhui largement gnralise. Nanmoins, jouer sur les struc-tures a des effets pervers : morcellement de ladministration, multiplica-tion des besoins de coordination, difficult faire percevoir la cohrencedes politiques publiques. Cest pourquoi, dans la dcennie quatre-vingt-dix, la volont est plutt de dfinir quels sont les services qui doivent tredlivrs aux citoyens et de changer les structures seulement dans undeuxime temps et si besoin est. Cest le service au citoyen qui devientmoteur plutt que la rflexion interne aux administrations. Cela signifieaussi dans bien des cas (Nouvelle-Zlande, Canada, Australie, Royaume-Uni)plus dimplication des ministres et du Gouvernement dans la rforme de ltat.

    La deuxime grande volution, cest le passage du dbat sur la questiondes outils de gestion un dbat de fond sur ce quest le bien public et quelest le rle de ltat (sans doute, parce que les administrations publiquescommencent savoir utiliser les diffrents outils). Les outils sont et de-meurent importants (par exemple, comment bien mener une dmarche qua-lit), mais laccent est plutt mis sur le fait que toute rforme doit trepense en termes de systme, par exemple, si je veux que mon administra-tion soit tourne vers lusager, jai aussi besoin dune rflexion stratgiquesur les services que jai les moyens de dlivrer, jai aussi besoin dun plande communication interne et externe, jai aussi besoin dune politique degestion des ressources humaines qui tienne compte des efforts des agentsen la matire. Les projets de modernisation franais traduisent bien cettecohrence de systme.

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    Il y a aussi une inversion de la charge de la preuve : ce ne sont plus lesadministrations centrales qui impulsent les outils mais les ministres quifont le diagnostic de ce qui leur est le plus adapt. Les administrationsinterministrielles telles que les offices du Premier ministre ou les minist-res des Finances se concentrent plus sur la question du bien public, du quefaire et pourquoi ? plutt que du comment faire ?. Les budgets sontessentiellement des tapes o les ministres sont interrogs sur lefficacitde leurs actions et sur le pourquoi ils font ce quils font plutt que quel-quun dautre . La rponse pourrait paratre vidente un juriste parceque la loi le prvoit mais, dans les faits, les ministres ont des modalitsdaction et des services dont lorigine demeure incertaine.

    Les besoins de service public portent-ils sur les mmes objets au XXequau XIXe sicle ? Le ministre de lquipement doit-il se charger delentretien routier ? Cette rflexion appele gnralement prior options ou rvision de programmes se gnralise lensemble des pays de lOCDE.Cette volution vers la dtermination des missions les plus importantespour le service public tend relativiser lopposition entre les pays ditsmanagriaux et les pays procduraux. En quelque sorte, plus personne nestmanagrial au sens o le management serait une finalit en soi. Si lonrevient aux textes originels du management, il sagissait dabord et avanttout de dgager des marges de manuvre financires pour permettre decrer de nouveaux programmes importants pour la communaut.

    Au total, donc, certaines dmarches peuvent tre considres commedpasses. Cest le cas du changement par big bang , sans exprimenta-tion, comme par exemple lobjectif du Royaume-Uni de transformer encinq ans lensemble des administrations en agences, ou en deux ans, enNouvelle-Zlande. Aucun pays nest plus actuellement tent de jouer aulego , de privilgier les objectifs plutt que les rsultats, et ceci reprsente unegrande volution par rapport aux annes soixante-dix. En fait, dans le premiercas, les objectifs sont essentiellement politiques, de nature parfois difficile etconflictuelle. Il est donc plus difficile de choisir cette voie pour rformer. Enrevanche, si lon commence en se fixant des buts pragmatiques de rsultats, ona quelques chances daboutir, soit des dcisions, soit un budget.

    On observe galement la fin de la gestion des ressources humainescomme discipline spare et secondaire. Des pays comme le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zlande et lAustralie mettent maintenant laccent sur lancessit de commencer la rforme par les cadres dirigeants des adminis-trations (alors quavant, on avait tendance commencer les changementspar les agents de base). Ministres et directeurs gnraux passent des con-trats trs clairs avec leurs cadres de direction en leur demandant la foisdes comportements diffrents et des rsultats, sous peine de sanctions, voirede non-renouvellement de contrats. Le deuxime symptme de limpor-tance de la gestion des ressources humaines est laccent mis sur lthique etla dontologie. La Nouvelle-Zlande vient par exemple de sortir un codethique des cadres dirigeants des administrations.

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    Une autre volution est celle de la simplification des indicateurs demesure. Lapproche des annes soixante-dix et quatre-vingt tait trsquantitativiste et on est parti de modles de mesure trop complexes. LaBanque mondiale, en particulier, exigeait de la part des PVD des indica-teurs de mesure trop nombreux et qui ne signifiaient rigoureusement rienparce quils ntaient pas lis des objectifs. On a maintenant tendance passer, en termes dindicateurs de mesure obligatoires et nationaux, troisou quatre priorits ministrielles qui peuvent tenir en une page. Il sagitdun changement important par rapport des approches comme la RCB(rationalisation des choix budgtaires). Certes, il existe des indicateurs auniveau de chaque service mais il ny a plus d empilement des indicateurs,chaque niveau hirarchique ajoutant les siens propres. Les indicateurs duhaut en bas de lorganisation doivent tre cohrents mais non sempiler.

    Le moteur de ce changement est souvent le budget. Les services sontsoumis une approche base zro tous les ans dans laquelle ils doiventdfinir leurs rsultats, les moyens ncessaires pour les raliser et les indica-teurs permettant de les vrifier. La direction se rserve le droit daccepterou de refuser les rsultats proposs ainsi que les moyens affrents, ce quipeut amener des redploiements de personnel.

    Le rle des administrations centrales fait aussi lobjet dun dbat impor-tant, en particulier dans les pays nordiques. Les administrations centralessont en train de passer trs vite dun rle de prescripteur un rle daide, detest, dvaluateur et de benchmarkeur . Les agents des administrationscentrales deviennent des catalyseurs, des aides et ventuellement des l-ments de contrle, plutt que des fonctionnaires qui dfinissent les politi-ques publiques. Quand je suis arrive au ministre des Finances en Austra-lie en tant que sous-directeur de la coordination budgtaire, les budgtairesexpliquaient aux ministres quelle tait la bonne politique publique quilsdevaient mener. On a mis six ou sept ans faire voluer cela en disant auxbudgtaires que leur rle ntait pas de rinventer le travail de gens qui leconnaissaient bien mieux queux, mais de vrifier que le systme fonction-nait, de connatre son cot et denvisager des valuations et des alternati-ves. Le ministre des Finances ne doit pas dupliquer le savoir et lesavoir-faire des administrations gestionnaires. Ce dbat sur le rle des ad-ministrations centrales est intressant et nest pas termin.

    Il faut des systmes dinformation peu complexes. Une page suffit pouravoir les orientations majeures dun ministre. Il faut un passage la res-ponsabilit plutt quaux rgles (on en reparlera) et un passage aux outcomes plutt quaux outputs :

    les outcomes , ce sont les effets rels sur les citoyens, la socit oulconomie qui supposent une valuation ;

    les outputs , ce sont les activits ou les services que produisent lesadministrations dans limmdiat.

    Pour donner un exemple, en Australie les prestataires de services pourles chmeurs de longue dure, que se soient des entreprises publiques ou

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    des entreprises prives, ne sont pas pays par le ministre des Finances ou le ministre de lEmploi sur la base des formations quils dlivrent ce serait un output . Ils sont pays sur le fait davoir trouv un emploi moyen terme pour le chmeur. Cest un outcome . Les agents ne sontpas budgts sur la base de leurs activits, mais sur celle de leurs rsultats.Ces outcomes sont souvent des outcomes intermdiaires , cest--dire que vous nallez pas payer, par exemple, les fonctionnaires du Trsorsur laugmentation ou la diminution du taux dinflation (mme si lAngle-terre a essay cela pendant un certain temps, mais ce ntait pas trs heu-reux). Par exemple, si un chmeur trouve un emploi de plus de treize se-maines, on considre que cela ouvre droit au paiement du service par leministre. Au total, on peut donc toujours trouver autre chose que de sim-ples activits comme base de paiement. La transparence, bien entendu, nestpas sans danger. Cette anne, par exemple, lappel doffres na laiss que10 % des chmeurs au ministre de lEmploi, 90 % allant des organismesprivs non lucratifs (y compris lArme du salut). Or, le ministre a tou-jours 30 000 personnes et le ministre se trouve confront la question duredploiement de ce personnel. La transparence peut donc amener desremises en cause qui ne sont pas sans douleur.

    Quel est lavantage de grer par outcomes plutt que par contrlea priori ? Cest tout simplement la capacit de donner au manager, cest--dire au chef de service, des liberts en termes de choix des modes de ges-tion : sil pense que le chmeur a besoin dune formation, ou quil a pluttbesoin dun costume, ou encore quil a besoin dune aide psychologique,cest son problme partir du moment o il obtient le rsultat recherch.Cest la base du management : une fois un accord clairement fix sur lesrsultats obtenir, cest au chef de centre de responsabilit en liaison avecses personnels de dterminer les meilleurs voies pour les atteindre.

    Les enjeuxVous les connaissez tous. Nanmoins, il me semble quil reste beau-

    coup de travail faire pour en voir les consquences pratiques sur le ser-vice public : la globalisation, travailler localement cest--dire dans votrepropre culture et dans votre propre histoire mais penser globalement. Lapersonnalisation le prt--porter nest plus acceptable pour les usagers ,un vrai dbat sur la prestation de service : est-elle le fait exclusif de ltat ?,la rgulation et le bien public.

    La globalisation pose un vrai problme. Dans les entreprises, les gensont des informations internationales instantanment tous les jours, ce quinest pas forcment le mode de fonctionnement de base du fonctionnaire. Ily a l un enjeu pour le service public, dtre capable davoir une informa-tion internationale aussi importante que dans le secteur priv. Cela signifiequau-del de la connaissance de la rgle, les fonctionnaires devront aussiconnatre les systmes conomiques et sociologiques.

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE18

    La personnalisation est un thme un peu plus complexe que ce que lonexprime dhabitude en disant quil faut individualiser les services. Nombredentre nous ont t forms avec lide quil y avait une bonne solution etune seule aux problmes que lon nous posait. Lide quil y a UN bonservice public, UN bon modle dcole, etc., est prime. Il y a des enfantsqui spanouissent dans des coles autoritaires et dautres qui spanouis-sent dans des coles libertaires, donc lusager veut un service adapt et celasoulve deux enjeux. Dabord, un enjeu budgtaire parce quil faut trouverlargent pour le faire. Ensuite, lenjeu devient pour le fonctionnaire, depasser dune simple prestation de services une plus-value dans son ac-tion. Quest-ce qui fait la diffrence dans le travail dun fonctionnaire parrapport un simple prestataire de services ? Il existe certaines recherches ce sujet mais trs peu. Jai lintime conviction que si lon ne va pas vers unpeu plus de personnalisation, les usagers risquent de se tourner vers le sec-teur priv, notamment le secteur priv non lucratif.

    La question de la rgulation. Certains pays tels les tats-Unis et lAus-tralie ont mis en place un budget de la rgulation au sein duquel chaqueministre ne peut dpasser le montant budgtaire allou pour la rgulation.Ce budget est tabli en additionnant le cot dtablissement de la rgle-mentation et une simulation des cots crs envers les personnes concer-nes par la rglementation. Ces techniques ont t mises en place pourlimiter le nombre de rgles et passer plutt de la rgle la responsabilitavec des audits et de la gouvernance interne. Les budgets de rgulationexistent maintenant dans un nombre non ngligeable de pays. Il est videntque ceci est li la confiance ou la non-confiance qui rgnent avec lespartenaires sociaux un moment donn, donc je ne prconise pas ceci commeune solution unique. Pourtant, cette solution a souvent t appliqueautoritairement et universellement pour lensemble des actes rglementai-res et non pas seulement les plus importants dentre eux.

    La qualit est de plus en plus importante. La relation avec les usagerspasse maintenant non seulement par les plantes vertes ou la courtoisie,mais aussi par des arbitrages en termes de choix de services (par exemple,au niveau de la scurit sociale). Cela existe notamment en Angleterre eten Australie : par exemple, lusager peut prfrer plus de contacts directsavec le fonctionnaire, ou bien des services plus rapides, mais pas ncessai-rement les deux la fois, et peut comprendre ce que lon appelle en anglaisdes trade-offs (il ny a malheureusement pas de traduction parfaite :des choix ou des compromis). On est donc dans une dmarche de choix faire qui se discutent et se co-produisent avec les usagers dans le cadredun budget limit.

    Le bien public revient lordre du jour beaucoup plus que la gestion.Les mthodes du type Chicago School un peu frustes, de diminutiondes effectifs des fonctionnaires, ne sont plus gure dfendues dans aucun pays.Il semble quil y ait un consensus pour dire que ltat doit rguler le fonction-nement des marchs, et aussi pour rflchir sur l essence du service public.

  • TAT ET GESTION PUBLIQUE 19

    Le modle de base type qui se dveloppe en matire de management,cest ce que lon voit dans les diffrents centres de responsabilit, cest--dire un budget par centre, une remonte de comptabilit rgulire, une fon-gibilit complte des cots de fonctionnement personnels inclus, des comptesrendus rguliers des pairs, chefs et Parlement, une valuation 360 despersonnels. Le niveau auquel est dfini le centre peut varier : il va du ser-vice extrieur la sous-direction en administration centrale.

    Il y a un grand dbat pour savoir si la prestation de services est ncessai-rement le fait de ltat ou si elle peut aussi inclure la socit civile, et l jereprend la thorie du service public existentiel qui a t dveloppe parBernard Chenot. Le service public en France, et ce depuis larrt Bac dEloka,nest pas ncessairement le fait de ltat mais de tout organisme public oupriv que ltat rend responsable de la gestion du service public. Ltat nadonc pas le monopole du service public. Par contre, il a le monopole de laresponsabilit (accountability). Tant au Royaume-Uni quen Australie, jait charge de proposer la dfinition des rgles de responsabilit en cas desous-traitance. Lgalement il ny a aucun doute : quel que soit le presta-taire, ltat demeure responsable, ce qui loblige bien spcifier les obli-gations de rsultat dans les contrats et davoir de claires remontes dinfor-mation.

    ConclusionDeux grands thmes se dveloppent aujourdhui. Cest dabord ce que

    lon appelle en anglais le one stop shop , cest--dire la capacit davoirun guichet unique sur des problmes qui auparavant taient parpills entreles ministres. En France, le ministre de lconomie veut crer un interlo-cuteur fiscal unique. En Australie, les ministres de lemploi et de la scu-rit sociale ont pratiquement t fusionns en termes de prestations de servi-ces depuis deux ans, mme sils demeurent diffrents au niveau central pourlvaluation, le pilotage des politiques publiques et linvention de lavenir.

    Le second thme, cest celui des outcomes , cest--dire davoir desindicateurs de rsultats, mme primitifs, mais qui permettent de savoir do-maine par domaine quelles sont les volutions. Il existe cependant des rti-cences voluer dans ce sens, sans doute parce que la transparence nestpas facile, que lon introduit du jugement par les pairs, par le chef, par leParlement, par les ministres, ce qui suppose lacceptation du risque et duface face. Or, il y a encore beaucoup dadministrations o le face facenexiste pas. Cela suppose surtout que le modle (le management) ne soitpas pris pour la ralit, et que lon accepte que dix succs ne soient pasannuls par une erreur.

    Compte tenu des problmes grer, le service public va aller dunefaon ou dune autre vers plus dautonomie des diffrents pans des admi-nistrations, ce qui peut vouloir dire fragmentation mais ce qui peut aussivouloir dire gestion de rseaux avec la socit civile et les communauts.

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE20

    Un grand dbat doit se dvelopper sur ce qui doit tre universel et ce qui nedoit pas ltre en matire de politique publique, comment dvelopper uneresponsabilit qui ne soit pas punitive et comment dvelopper des modesde gestion de la performance qui soient clairs, constructifs mais aussi suffi-samment durs.

    Lanti-modle (ce que lon ne doit pas faire) cest : on crit un rapport ;on cre ensuite une structure sans concertation ; la concertation est aussirapide que possible et centralise ; une fois que la concertation a eu lieu, oncre une structure de coordination ; on rdige un dcret ; on nomme uncharg de mission ou une rapporteuse gnrale telle que moi pour r-soudre le problme ; et enfin on applique la mme solution partout.

    Cette ironie mise part, transparence des rsultats et valuation posentle cur du problme : va-t-on vers une culture de la confiance ou non ?Quel quilibre choisit-on entre responsabilit et confiance ? Trop de rglessont encore dictes sur la base des 5 % dabus quil pourrait y avoir alorsque des mcanismes de responsabilit efficaces pourraient en tenir lieu sansdcourager les managers : auditions parlementaires, compte-rendus devantdes pairs, valuation effective par les chefs , mcanismes daudit et dins-pection, plans de management des risques. Sans confiance, le managementnest quune formalit de plus.

  • TAT ET GESTION PUBLIQUE 21

    Leons des rformes de laction publiqueen Europe

    Jrme VignonDirecteur la DATAR

    Comment la Cellule de Prospective de la Commission europenne enest-elle venue examiner et comparer les rformes du secteur public encours un peu partout en Europe ?

    Ctait cause des critiques qui ont t adresses par les gouvernementset par la presse aux institutions europennes proprement dites au milieu desannes quatre-vingt-dix : pourquoi les institutions europennes ne sappli-quaient-elles pas elles-mmes les rformes la fois conomiques, finan-cires et administratives auxquelles sastreignaient les tats-membres delUnion europenne ? Difficile de rsister une pareille injonction. Notretche lpoque, en tant que cellule prospective, a donc t dessayer decomprendre quelles taient les motivations et les principaux traits des r-formes dans les tats-membres de lUnion, pour orienter les initiatives desrformateurs de la Commission. Erkki Liikanen, Commissaire finlandaissocial-dmocrate, fut le porte-drapeau de la rforme de la Commission euro-penne et de ce qui sapplique actuellement sous lgide de Neil Kinnock.De cette investigation sur les motivations des diffrents pays de lUnioneuropenne mettre en uvre une rforme administrative, je retiens quedeux inspirations, deux coles de pense, ont nourri paralllement depuisune vingtaine dannes, les rformes en Europe.

    Session 1

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE22

    Deux coles de pense ont inspir les rformes europennesCes deux inspirations, il faut ladmettre, trouvent toutes les deux leur

    origine lextrieur de lEurope. Elles viennent des tats-Unis et corres-pondent au mouvement quont connu les tats-Unis face leur administra-tion au cours des annes quatre-vingt-dix.

    Le premier point de vue est essentiellement managrial. Laction publi-que est considre comme ne se distinguant pas de ce que peut produireune agence de services prive et donc par consquent justiciable des m-mes critres. Elle aboutit prconiser une large privatisation/externalisation.

    Au contraire, au cours des annes quatre-vingt-dix, un autre mouve-ment amricain met plutt laccent sur la pertinence des rgles. En dautrestermes, il sintresse moins lefficacit conomique qu ladquation, auregard des attentes des citoyens, de lensemble des lgislations produites,non seulement par le Snat et le Congrs, mais aussi par les multiples agen-ces hritires de la situation de 1946. Lacte fondateur de ce mouvementcest le Reinventing government des dbuts de lre Clinton. Avec cemot dordre, se dplace lenjeu de la rforme du secteur public qui voluede la question du partage public/priv, vers celle de la soumission du lgis-lateur ou du rgulateur au contrle ou la participation active des citoyenset des usagers.

    En opposant ces deux inspirations, on a un assez bon rsum des deuxinfluences luvre dans la diversit des pays de lUnion europenne.

    Lcole managriale va insister sur lefficacit conomique travers lescritres de la Cost benefice analysis ; lcole procdurale va insister surleffectivit, ce qui est plutt la correspondance entre la diversit et la com-plexit des besoins et la qualit de la rponse du lgislateur. Lcolemanagriale va critiquer lexcs de concentration des moyens et des res-sources dans les mains du secteur public, alors que cest plutt la centrali-sation du processus de conception des rgles qui est lennemi de lcoleprocdurale. Pour lutter contre la concentration, lcole managriale vachercher externaliser , se tourner ver le march ; alors que lcoleprocdurale va mettre en uvre des mcanisme dautorgulation dont leprincipal est la transparence . Pour elle, la lgislation sous le soleil , legislating in the sunshine sera le moyen de ramener la raison uneprolifration dinitiatives rglementaires ou lgislatives.

    Sous langle de la gestion du systme public, les deux coles sont gale-ment trs diffrentes. Dans un cas on insiste sur la stimulation et la motiva-tion des individus et cest certainement quelque chose dont on reparleracet aprs-midi alors que dans lautre cas, on sintresse lefficience delensemble du systme administratif, du groupe des acteurs publics quelque soit leur statut, en vue dintroduire dans leur fonctionnement densem-ble davantage de coopration et dintgration. Les rfrences des deux co-les ne sont videmment pas les mmes. Dans un cas, on sappuie beaucoup

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    sur le libralisme conomique et ses outils ; alors que dans lautre cas, onva plutt sintresser ce quapportent les sciences politiques et en particu-lier la philosophie du droit, sans doute la discipline la plus avance dans larflexion sur leffectivit de la rglementation.

    Les moteurs de ces deux courants ne sont galement pas les mmes. Ilssont prsents partout, dans tous les tats, avec diffrentes pondrations.Les ministres de lconomie et de finances et les entreprises, proccupsde la situation des contribuables et de la durabilit des dficits vont treplutt rattachs une cole managriale, alors que les Parlements sont lesvrais conducteurs de lcole procdurale.

    On peut ainsi dchiffrer ce qui se passe en Europe en essayant de voircomment ces deux courants de pense ont russi faire plus ou moins pr-valoir leur influence dans le processus continu de la rforme administra-tive. Je vais pour lillustrer men tenir deux grands exemples qui parcou-rent depuis une quinzaine dannes les rformes administratives en Europe.

    Quelques exemples de rformesLe premier exemple oppose lexternalisation des fonctions administra-

    tives par le moyen principal de la privatisation, la dcentralisation dupouvoir rglementaire lui-mme.

    Il y a dans tous les pays coexistence de ces deux soucis, en vue de rali-ser lobjectif dune administration lgre , traduction franaise de leanadministration . Le concept dadministration lgre sduit partout, mais ilrecouvre bel et bien ces deux dmarches. La seconde semblerait toutefoislemporter aujourdhui, ainsi que Sylvie Trosa la galement repr. Celatient lexprience emblmatique du Royaume-Uni, le pays-phare, celuiqui a cherch de la manire la plus systmatique en Europe essayer dap-pliquer les principes gnraux. Dans un premier temps, au cours des annesquatre-vingt, on y a privatis tour de bras, un point que nous avons dumal imaginer. Mais cette faon dagir a t analyse par le Royaume-Unilui-mme. On a constat quelle aboutissait en fait un surcrot de concen-tration rglementaire au niveau des administrations centrales car, pour pou-voir piloter le mcanisme de la privatisation, il a fallu la production dergles centrales. Du coup, ce mme pays, sous linfluence du Parlement etdu changement de lexcutif, aborde loption procdurale avec dynamisme.On y met en place la fois au sein du Parlement comme auprs du Premierministre des instances de critique et de rvision continue de leffectivitdes rgles et des lois. Lvolution du vocabulaire lillustre, la mme celluleauprs de Margaret Thatcher qui sappelait Deregulation Unit sest ap-pele ensuite au dbut des annes quatre-vingt-dix Better Regulation Unit et maintenant elle se nomme Policy Innovation Unit . Cette PolicyInnovation Unit diffuse les bonnes pratiques, et en mme temps coopreavec le Parlement.

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    Dans ce contexte marqu par la dcentralisation de la production desrgles, de transparence, de participation des citoyens, de rle accru du Par-lement, se dveloppe en Europe au cours des annes quatre-vingt-dix lathmatique des agences. Il ne sagit plus seulement dune dconcentrationde la gestion pour quelle soit plus efficace et plus proche du citoyen. Maislon cherche aussi une interaction directe entre les rgulateurs et les rgu-ls, cest le processus du retour ou feed back . Dans quelle mesure lesagences sont-elles les lieux adapts pour prendre en compte limpact surles administrs de la rglementation ? On peut parler aussi leur propos dejudiciarisation de laction administrative. Car ces agences sont des autori-ts indpendantes auxquelles on confie, du fait de leur indpendance, uncertain pouvoir dapprciation, de contextualisation dans lapplication desrgles. Se pose alors la question du contrle de ces agences. Lon retrouvele Parlement, car cest le Parlement qui devient in fine le garant de lappli-cation correcte du cadre contextuel dans lequel ces agences sont cres. Lathorisation de ces pratiques se fait lInstitut europen de Florence no-tamment, sous lgide des professeurs Majone et Dehousse qui ont dve-lopp les notions de rgulateur de premier et de second rang.

    Le second exemple sapplique galement tous les pays europens. Ilsagit du mouvement de dcentralisation gographique. Ce mouvementexiste depuis vingt ans, il est prononc, il saccentue ; il ny a aucun paysqui y chappe. Mais il faut alors distinguer entre le mouvement qui va versla dvolution des comptences, ou la distinction plus affirme des comp-tences entre diffrents niveaux dadministration territoriale, et celui plusrcent de la recherche dune meilleure articulation des comptences.

    La dcentralisation, ou la dconcentration gographique selon les pays,ont constitu un trait commun dvolution, dict par des impratifs definances publiques. En France, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie,cest la dcentralisation, cest--dire la redistribution des cartes entre diff-rents niveaux de lgitimit politique qui est lordre du jour. Mais dansdautres pays, cest plutt la dconcentration, cest--dire la rorganisationde ladministration centrale elle-mme entre diffrents niveaux gographi-ques, comme en Irlande, au Portugal, pour prendre deux cas trs positifs,en Grce, pour prendre un cas beaucoup moins performant. Les cas les plusintressants pour la suite, ce sont peut-tre ceux des pays qui sont djfdraux comme lAllemagne, les Pays-Bas, les pays scandinaves, o lam-ple dcentralisation des comptences conomiques, bien affirme depuislongtemps, ne suffit plus assurer leffectivit de la rgulation publique.On va donc sintresser de plus en plus au cours des annes quatre-vingt-dix lcole procdurale, cest--dire larticulation entre les comptencesdes villes, des agglomrations et des rgions. Par exemple aux Pays-Bas,les provinces occidentales ont t invites pratiquer une planification spa-tiale cohrente, de manire permettre aux autorits portuaires qui avaientun rle dcisif Amsterdam et Rotterdam, de pouvoir elles-mmes plani-fier de manire cohrente leur dveloppement. En Allemagne, Berlin et

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    Francfort offrent de bons exemples de la manire dont le land ou laville assurent avec les communes la coopration autour de politiques din-tgration en matire de lutte contre lexclusion et dimmigration ou encorede cration demplois de proximit.

    Les voies de rformes en EuropeCe qui frappe dans ces diffrents exemples europens, o lon voit la

    tension entre une approche managriale conomique et une approcheprocdurale plus politique, cest dabord le caractre pragmatique : on ap-prend par lexprience. Aprs une quinzaine dannes dchecs ou dinsuf-fisance des idologies systmatiques, on ne parle plus de la rforme deltat ; on parle plus volontiers de la modernisation de l agir public oudu secteur public. Bien souvent, on se contente dune application trs par-tielle, l o lon constate des problmes : dans les secteurs de la recherche,de lducation, de la sant, on essaie de trouver des solutions. Cela peutnous inciter essayer de partir en France des situations dans lesquellesnous avons commenc russir. On dit par exemple que dans le secteur duministre de lquipement, quelque chose dintressant sest pass. Sansdoute pourrait-on sappuyer sur ce quelque chose dintressant pouressayer den recommander la pratique.

    Chaque pays a essay de se moderniser lintrieur de son gnie pro-pre : les pays unitaires restent unitaires, les pays fdraux restent fdraux.LItalie va vers le fdralisme sa manire propre, en respectant limpor-tance des cits et des rgions. LEspagne reste un pays centralis mais enmme temps, arrive diffrencier les comptences des diffrentes rgions.Le Royaume-Uni restera aussi, malgr les lments spectaculaires interve-nus en cosse et peut-tre au Pays de Galles, un pays avec une traditioncentralise. Il ne faut donc pas craindre de chercher dans sa propre voie dessolutions qui peuvent nous convenir.

    Dans le mme esprit, sil nest pas possible de dceler en Europe unmodle de succs, il y a en revanche, des cas particuliers, des successstories , des histoires intressantes qui peuvent nous aider. En voici trois :

    aux Pays-Bas, il est manifeste que le ministre de lconomie a jouun rle trs positif dans la lutte contre les corporatismes sectoriels. Cestlui qui coalise, coordonne dans des situations concrtes, par exemple lasant, lamnagement du territoire, laction de diffrents ministres ;

    au Royaume-Uni dont je ne nous souhaite pas dadopter le systmede sant , il y a cependant, en ce qui concerne les objectifs de moyenterme de ce systme et sa mise en discussion, une pratique tout fait int-ressante ;

    dans les pays scandinaves, ce qui frappe le plus cest le succs de larforme des collectivits locales, qui sont un chelon absolument dcisifdans ladministration de ces pays.

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    Un trait cependant commun de succs de ces rformes rside dans lerle que les Parlements y jouent lorsquelles doivent tre durables et conti-nues. Lexcutif ne peut pas tre le matre de sa propre rforme. Il est tropsoumis des modes ou des enjeux de rlection pour avoir lui-mme uneconduite continue. Le rfrent durable de la rforme administrative, cestle Parlement, cest lui qui a le plus intrt la transparence des rgles et latransparence des actions publiques.

    ConclusionSi je devais essayer de chercher une inspiration pour les rformes fran-

    aises, contrairement lesprit pragmatique que je recommandais, je latrouverais volontiers dans lcole procdurale, plus que dans lcolemanagriale. Je pense quelle correspond notre souci de la dlibration,au fait de rflchir ensemble laction publique. Cela a t le thme majeurdu Commissariat au Plan, et le reste encore, si je comprends bien, mais celadevrait tre aussi celui de la rforme administrative elle-mme. Pratiquerla dlibration comme moteur de la rforme administrative me semble bon.Nous sommes galement allergiques me semble-t-il en France lthiquede matre penser selon laquelle, parce quon aurait des chefs montrantlexemple au sein de ladministration, le reste suivrait. Les chefs doiventchanger dattitude, cest clair, mais cela ne suffit pas. Restons soucieux departicipation, car il ny a pas de vritables rformes sans confiance.La faiblesse des rformes managriales, fondes sur les leader , cestquelles cassent la confiance et que, du coup, elles ne produisent pas cepartage, cette administration apprenante qui senrichit de la reconnais-sance de ses succs et des ses erreurs.

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    Les rformes administratives dans les pays de lOCDE :une tentative de synthse

    Anne-Marie LeroyChef du Programme Gouvernance au service de la gestion publique

    lOCDE

    Session 1

    Je vais essayer de faire le point sur vingt ans de rformes dans les paysde lOCDE. Je dis bien vingt ans et jinsiste tout de suite sur cela pourmontrer que, dans plusieurs pays de lOCDE, cest un sujet dj ancien.Vingt ans, cest peu prs le dbut des rformes britanniques. Cela signifienotamment que la rforme administrative est une affaire de long terme,quelque chose qui prend normment de temps. Les Anglais ont beau avoircommenc il y a vingt ans, ils ne considrent pas quils ont termin.Aujourdhui, dans les pays qui ont entam les premiers un processusde rformes, on observe parfois une remise en cause de certains axes desrformes, des rajustements, mais nulle part on ne considre que cesttermin.

    Le contexteIl convient tout dabord de noter la diversit. LOCDE est compose de

    vingt-neuf pays membres qui, parfois, nont en commun que leur apparte-nance cette organisation : entre la Turquie et la Nouvelle-Zlande, voustrouveriez difficilement un autre point commun. Cette diversit ne se ma-nifeste pas seulement dans les cultures ou les conomies de ces pays, maisaussi dans les rformes quils mettent en uvre. Cet expos formulera doncdes gnralisations, ce qui veut dire que tout ce que je vais vous dire estinexact en ralit, ou au moins vrai pour certains pays mais pas pour dautres.Je le signalerai parfois au passage, mais je vous recommande de ne pas leperdre de vue pendant tout mon expos.

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    Les tapes des rformesDeux phases sont identifiables (cest videmment une premire inexac-

    titude, mais elle permet de structurer lexpos). En exposant les choses demanire chronologique, je vais prsenter le processus du point de vue despays anglo-saxons, alors quen Europe continentale, on devrait inverser lesphases.

    Dans les pays anglo-saxons, on est dabord parti de lide de remdierau dsquilibre des finances publiques et aux prlvements sur lcono-mie, et dessayer de faire plus avec moins. Ensuite et secondairement, estarrive la notion de qualit, dune meilleure administration au service ducitoyen. Cest partiellement inexact parce quen Grande-Bretagne les citizens charters ont exist ds le dbut des rformes, par exemple. Maisil est certain que les Anglais mettent maintenant plus laccent sur la notionde qualit par rapport la remise en cause des activits de ltat.

    LEurope continentale travaille en revanche depuis longtemps sur lesquestions de qualit et ne sest proccupe du premier point que plus r-cemment, sous la pression des critres de Maastricht, peut-tre aussi parceque la situation y tait moins grave quelle ne la t dans certains paysanglo-saxons il y a vingt ans ou, en tout cas, quelle tait perue commemoins grave. Cest peut-tre d aussi des diffrences culturelles : il nyavait peut-tre pas une norme diffrence entre lItalie et lAngleterre, une certaine poque, en termes de dficit des finances publiques oude qualit des services publics ; il certain que lItalie la support pluslongtemps.

    Premire catgorie de rformes : faire plus avec moinsOn a dabord recherch un meilleur contrle de la dpense. Cest le

    premier point important, que lon observe dans plusieurs rformes, et quiconsiste en une meilleure slectivit des activits de ltat. On est arrivdans certains cas une remise en cause systmatique du rle et des fonc-tions de ltat, en raison dune analyse selon laquelle le dficit des financespubliques rsultait du fait quau fil du temps, depuis le dbut du sicle,ltat avait t conduit faire de tout, intervenir dans tous les domaines etfinalement faire, dune part, ce quil ne devait pas faire et, dautre part, cequil devait faire mais quil faisait mal parce quil tait trop dispers. Onaboutissait au diagnostic que les activits rgaliennes finissaient par souf-frir de cet excs dactivit. Pour prendre un exemple, au Canada, on a pro-cd une mise en rvision de toutes les politiques publiques les unes aprsles autres, en les soumettant une srie de questions-test : est-ce le rle dela puissance publique de soccuper de cette question ? Si oui, est-ce ltatde le faire ou bien cette activit doit-elle tre sous-traite, ou encore doit-elle tre transfre au niveau local, etc. Cette srie de questions-test a per-mis de rexaminer toutes les politiques publiques et a conduit une rduc-tion effectivement assez forte du nombre de programmes grs par ltat.

  • TAT ET GESTION PUBLIQUE 29

    Les politiques de rduction des effectifs relvent un peu du mythe. SylvieTrosa ne sera pas daccord avec moi parce quelle a connu des pays o lona effectivement fortement diminu le nombre de fonctionnaires. Je dis unmythe dans le sens o, mme sil y a eu rduction des effectifs, dans laplupart des pays, il y a eu quelques licenciements secs mais pas beaucoup.Lessentiel sest fait la fois par le non-remplacement des dparts naturels,parfois par des incitations au dpart en prretraite, notamment dans despays qui ont anticip le phnomne dmographique que la France conna-tra bientt, de ces dparts en retraite massifs rsultant des importants recru-tements des annes soixante. Parfois, la rduction des effectifs est pure-ment optique, cest--dire quelle rsulte de la dbudgtisation, du passageau secteur priv de grandes agences, phnomne quon a vu en France avecle changement de statut de France Tlcom. Sylvie Trosa dira que laNouvelle-Zlande et lAustralie ont t plus durs, mais il ny a eu nulle partdes licenciements massifs comme la Banque mondiale a parfois tendance le prconiser dans les pays en dveloppement.

    Faire plus avec moins, cest videmment amliorer lefficience. On trouvesous cette rubrique tout un catalogue de rformes, depuis la rforme de larglementation et des modes dintervention de ltat ( partir de lide quelexcs de rglementation ou la mauvaise rglementation ont un cot co-nomique et donc obrent la comptitivit internationale du pays), jusqula banalisation du statut des entreprises publiques dficitaires, selon uncontinuum qui ne nous est pas inconnu, partant de la rgie directe pouraboutir la privatisation, en passant par le statut dEPIC ou de socitnationale au capital plus ou moins ouvert.

    La rforme des techniques de gestion. Je passe rapidement sur la ges-tion par la performance parce que Sylvie Trosa en a dj parl. Je rappelle-rai seulement ce vieux slogan, que vous connaissez sans doute, laissez lesgestionnaires grer, obligez-les grer , qui fonde le systme des contratsde performance assortis dune autonomie de gestion. Sagissant des res-sources humaines, je voudrais toutefois attirer votre attention sur le fait quecet assouplissement de la gestion et lautonomie des gestionnaires entra-nent maintenant une remise en cause assez forte des Fonctions publiquesde carrire. Cest une volution qui est pour nous difficile accepter, maisil faut bien constater que nous en avons dsormais deux exemples proches :lItalie et la Suisse, qui viennent dadopter des lois remettant complte-ment en cause la Fonction publique de carrire. La conclusion qu monavis il faut en tirer, ce nest pas que lon doit faire la mme chose, cest que,si lon veut maintenir une Fonction publique de carrire, il faut rapidementrflchir une adaptation du statut qui soit compatible avec lautonomiedes gestionnaires. dfaut, nous risquons un jour de devoir jeter le bbavec leau du bain , cest--dire que le statut in fine soit remis en cause. Jepense notamment quon ne fera peut-tre pas lconomie dune rflexionsur les statuts particuliers, si on ne veut pas toucher au statut gnral.

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    Deuxime catgorie de rformes :mieux administrer au service du citoyen

    Soulignons le changement de vocabulaire : citoyen est le terme quidomine aujourdhui au terme dune volution : les Anglo-saxons, en rac-tion la notion passive dusager-contribuable (voire dassujetti ), ontvoulu au dbut de la priode des rformes marquer une rupture en parlantde client , une manire en fait de renverser la logique bureaucratique etde souligner que ladministration tait au service de ses usagers-clients, etnon linverse. Bien entendu, ce mot a t vivement contest (ltat ne vendpas de lessive et lintrt gnral ne se confond pas avec la somme desdsirs des clients) ; citoyen est plus appropri. En effet, considrer les usa-gers de ladministration comme des citoyens, signifie que lon met laccentsur la participation, cest--dire que, y compris dans llaboration, la con-ception des politiques publiques et pas seulement lorsquil sagit de dci-der des modalits concrtes de fourniture dun service, on peut avoir unecertaine forme de dmocratie directe organiser. Des expriences et desinnovations ont lieu dans la plupart des pays de lOCDE dans ce domaine.On ne peut pas tre assur quelles dboucheront sur une manire diff-rente de concevoir et dappliquer les politiques publiques, mais il faut yprter attention.

    La notion fondamentale qui sous-tend les efforts damlioration de laqualit, cest lide quil faut que les administrations sefforcent de moinsfonctionner de manire endogne, comme dit Franois Dupuy, cest--direcessent de se fixer des rgles qui ont pour objectif de rsoudre leurs probl-mes et de fonctionner leur avantage, cessent dorganiser ladministrationau service de ses agents ou en tout cas de ses structures internes, maisorganisent le service en partant du besoin du citoyen. Cest la reconnais-sance de la place centrale de lusager-citoyen. Par exemple, quand voustes usager dun service social, cest vous en principe de savoir traverstoute la documentation et linformation quon peut vous donner si vousavez droit telle prestation ou telle autre. LAustralie, rebours de cettelogique, a cr une agence qui regroupe deux ou trois ministres sociauxpour grer pour leur compte des prestations sociales. Lorsque lusager seprsente cette agence, il na pas savoir lavance sil a droit ou pas une prestation. Il est reu par un fonctionnaire qui sera responsable de sondossier (cest--dire qu lavenir il sera toujours reu par la mme per-sonne), et cest ce fonctionnaire qui va avec lui dterminer quoi il a droit :en clair, il va tre reu et trait comme un client, on va examiner sa situa-tion, faire les dmarches pour lui et laider. Cest une approche radicale-ment diffrente de celle des administrations classiques, elle est organise partir de lusager se prsentant dans le service et non pas en fonction dudcoupage en un ministre de lEmploi qui distribue les allocations-ch-mage sur certains critres, un ministre de lEnseignement suprieur quidtermine les critres dattribution des bourses o cest lusager de sedbrouiller pour savoir sil doit sadresser tel ou tel ministre. Cela sup-

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    pose une rorganisation parfois lourde des services publics et qui ne seconfond pas avec le jeu de lego dont a parl Sylvie Trosa propos desstructures.

    Un autre aspect de cette recherche dune meilleure qualit des servicespublics, qui procde de la mme logique, rside dans les efforts pour enamliorer laccessibilit. Ces efforts ont port la fois sur les horairesdouverture des guichets et, plus rcemment, sur lutilisation dInternet.

    Le rsultat concret de ce long processus de rformes, cest le dvelop-pement de linformatique, les chartes des citoyens, la simplification desformalits, choses qui sont familires en Europe depuis dj des annes. Jepasse sur la dcentralisation territoriale (dont on vient de parler, mais quifait videmment partie de lensemble), pour insister sur la dcentralisationmanagriale rsultant du systme des contrats dobjectifs, et sur le dve-loppement de la responsabilit qui va forcment avec la dcentralisation dela gestion ; on observe la gnralisation des contrles a posteriori et ind-pendants, que ce soit par des Cours des comptes ou par des systmes daudit,par des organismes dvaluation indpendants, par des commissions parle-mentaires ; en contrepartie de lautonomie des gestionnaires, la plupart despays ont normment travaill sur lvaluation et la responsabilit. On ob-serve aussi partout ladaptation de la comptabilit et des processus budg-taires pour y introduire plus de transparence et en faire des outils de con-trle de gestion, le passage dans certains pays dune comptabilit de caisse une comptabilit dentreprise, le passage dun budget la marge lesservices vots une remise plat rgulire des politiques.

    Une tentative de bilanIl est plus facile aujourdhui de formuler des questions que de tirer un

    bilan. Comme je lai dit tout lheure, mme si certains pays ont vingt ansdavance, ils ont mis dix, quinze ans pour mettre en place leur nouveausystme, et les effets secondaires ventuels commencent seulement appa-ratre, sans que lon sache sils seront transitoires ou permanents, ni si cesont des effets pervers. Vingt ans, cest encore trop tt, dautant que danscertains pays, notamment en Europe continentale, les rformes sont trsrcentes. LItalie vient dadopter des lois, elle ne les a pas encore appli-ques. La Suisse vient dadopter un texte rformant la Fonction publique, ilentrera en vigueur en 2001.

    Au chapitre des russites peu prs certaines, on doit en premier lieumentionner videmment la matrise des dpenses. Certains pays bnfi-cient maintenant de surplus budgtaires durables, et ailleurs on observeune rduction des dficits structurels. Cest sans doute la plus grande rus-site des vingt ans de rformes.

    Sagissant de lamlioration de lefficience, mme si on na pas dtu-des sur le sujet et si on ne sait pas la mesurer, lopinion qui domine dans les

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE32

    pays concerns est quon a russi faire au moins autant et peut-tre mieux,avec moins.

    Le changement culturel est aussi un grand acquis. Les cadres suprieursde ladministration ont pris conscience que cette administration a un cotqui nest pas leur dotation budgtaire mais qui est leur cot de fonctionne-ment et leur cot structurel, quils ont des objectifs et quils sont responsa-bles de leurs rsultats par rapport leurs objectifs.

    Au chapitre des questions et des doutes, on trouve le reproche de frag-mentation, qui est formul surtout en Grande-Bretagne. Ce pays a beau-coup utilis, notamment dans les services sociaux, le recours la sous-traitance, au secteur priv but non lucratif, aux agences indpendantes,pour la fourniture de certaines prestations. On recherchait par ce moyen,non seulement des conomies de gestion, mais aussi une association plustroite de la socit civile la gestion des services publics. Aujourdhui,certains ont parfois un peu le sentiment que tout ceci chappe au contrle.Les efforts que fait le Gouvernement Blair en ce moment, avec la mise enplace de diverses commissions auprs du Premier ministre tmoignent dunsouhait de reprendre les rnes. titre dillustration, je citerai un universi-taire britannique qui crivait dans un article que jai lu rcemment que dansle comt o il vit, il y a plus dorganismes chargs de la lutte contre le sidaou de laide aux malades du sida quil ny a de malades du sida. On en estmaintenant, prtendait-il, trouver assez de malades pour avoir au moinsun malade par organisme... Les autorits indpendantes posent aussi main-tenant un problme de fragmentation qui drive de leur prolifration. Parexemple, on a cr ou on est en train de crer des autorits indpendantespour rguler llectricit, les tlcommunications, leau, etc. Or, les entre-prises de ces secteurs sont en train de se regrouper et leurs clients aurontbientt le mme prestataire de services pour toutes ces fournitures. Auxtats-Unis, certaines entreprises commencent fournir tous les servicesqui concernent la maison, cest--dire leau, llectricit, le tlphone, lecble et laccs Internet, le gaz, lassurance habitation. Et en face, on aune multitude dautorits indpendantes, donc une fragmentation qui djne correspond plus lvolution de lconomie.

    Y a-t-il une certaine perte de responsabilits ? Notons tout de mme quele grand reproche que lon fait lancien systme, cest prcisment lab-sence de responsabilit des gestionnaires. Mais on a peut-tre dplac leproblme : grer en rseaux cest bien, malheureusement, les rseaux nerendent pas compte.

    Les autorits indpendantes prsentent une autre difficult en matirede responsabilit, en tout cas en Europe continentale : on a transpos dansdes systmes parlementaires une architecture qui venait des tats-Unis,rgime prsidentiel. Les autorits indpendantes amricaines ont une lignede responsabilit claire, nette et trs forte avec le Congrs parce quellessont indpendantes de lexcutif. Alan Greenspan rend compte au Congrs

  • TAT ET GESTION PUBLIQUE 33

    rgulirement. En Europe, on a tabli des autorits indpendantes dans dessystmes o la ligne de responsabilit vers le Parlement passait entire-ment par le Premier ministre ou par le Chef du gouvernement : en rendantces autorits indpendantes de lexcutif, on a coup quelque part la lignede responsabilit. Il faut nuancer ce que je dis, bien sr, mais on doit rfl-chir dsormais sur le rle des Parlements et ce nest pas un hasard si lesParlements des pays europens mnent actuellement une rflexion sur larglementation et la lgislation : ils courent le risque dtre totalement con-tourns ou en tout cas vids de leur rle par ces autorits indpendantessils ne les remettent pas dans leur orbite comme cest le cas actuellementaux tats-Unis.

    La sparation politique/administration, qui tait recherche, notammentau travers de la cration des agences et des contrats dobjectifs, serait-elleun chec ? Cest quelque chose que lon entend beaucoup en Angleterre ence moment, et vrai dire jai toujours pens que si on pouvait sattendre une certaine clarification des responsabilits, une coupure nette entre lad-ministration et les dcideurs politiques ntait ni possible ni souhaitable.

    Dautres questions se posent concernant les cots de transaction, cons-quence de la multiplication des contrats et de la multiplication des acteurs,et les pays qui avaient pouss le plus loin cette logique sont un peu revenusen arrire.

    On doit aussi mentionner, au chapitre des doutes, la rmunration laperformance. Sylvie Trosa nest pas tout fait daccord avec moi. Les tu-des que nous avons lOCDE montrent que tous les pays qui ont essaysont en train de revoir les systmes. La raison principale en est mon avis,que lon ne sait pas encore dans les administrations publiques mesurer laperformance et donc moduler la rmunration en fonction de critres ob-jectifs et non discutables.

    Jcarte en revanche, pour linstant, les doutes concernant la dontolo-gie. Certains prtendent que, en voulant insister sur la rentabilit, les objec-tifs financiers, etc. des fonctionnaires ont pu perdre un peu de vue la don-tologie du service public. Mais on ne peut citer lappui de cette affirma-tion que quelques anecdotes, quelques drapages.

    Jarrte ici mon expos, forcment trop rapide. En conclusion, je rpteraiseulement ce que jai dit en introduction : ailleurs, ces rformes ont djvingt ans...

  • Session 2Enjeux et conditions de russite des rformes

    Contractualisation et pluriannualit ........................................................ 37Christophe Blanchard-DignacUn cas pratique de gestion publique :la rforme des administrations fiscales ................................................... 43Thierry BertLes politiques de qualit et la gestion des rformes ................................ 51Pierre Sguin

  • TAT ET GESTION PUBLIQUE 37

    Contractualisation et pluriannualit

    Christophe Blanchard-DignacDirecteur du Budget,

    Ministre de lconomie des Finances et de lIndustrie

    Session 2

    Si, il y a quelques annes, un directeur du Budget tait venu parler depluriannualit, vous nauriez peut tre pas entendu le mme discours, parceque la pluriannualit, comme la contractualisation, avait mauvaise rputa-tion Bercy. Cest ce que nous appelions la mauvaise pluriannualit ,cest--dire laccumulation dengagements sectoriels radicalement incom-patibles avec les objectifs globaux que lon se fixait, ou encore la conclu-sion de contrats avec des entreprises publiques avec pour seul objectif unretour lquilibre sans vritable contenu en dehors dune augmentationconsidrable des concours publics. On peut penser aux contrats conclusavec la SNCF. On peut galement penser aux contrats de plan tat-R-gions. Je ne ferai pas de commentaires sur la nouvelle gnration mais,dans le pass, les contrats de plan tat-Rgions ont t trop souvent exces-sivement ambitieux par rapport aux possibilits. Pluriannualit etcontractualisation, deux mots qui avaient un sens autrefois et qui ont main-tenant un autre sens.

    Pourquoi le mot pluriannualit a-t-il un sens nouveau aujourdhui ? Parceque nous avons une programmation des finances publiques, donc un cadregnral, qui nest pas encore parfait puisque cest une exprience rcente,mais qui permet de dcliner jusqu un certain niveau les grands objectifsde politique budgtaire et donc de vrifier que les engagements que lonprend dans un secteur sont peu prs compatibles avec lobjectif global.

    Alors pourquoi contractualiser ? Cest la rencontre de deux exigences.

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE38

    La premire, cest celle que je viens linstant dvoquer, lexigence desoutenabilit budgtaire. Elle dcoule de la programmation qui, commevous le savez, a plusieurs caractristiques. Dabord, elle est permanente :tous les ans il faut lactualiser dun an, cest une obligation europenne.Deuximement, elle concerne toutes les administrations publiques, ce quiest un trs grand progrs par rapport lexprience de 1994 qui tait limi-te (la loi dorientation quinquennale sur le redressement des finances pu-bliques ne concernait que ltat). Cette programmation retient des objec-tifs de solde des finances publiques, loriginalit du programme franaistant de laisser jouer les stabilisateurs automatiques en recettes, ce qui vite,lorsque que la situation conomique nest pas propice, daccentuer encoreles difficults conomiques, mais ce qui veut dire aussi que, lorsque lasituation est favorable, la rduction du dficit est suprieure ce qui taitinitialement prvu.

    La contrepartie de ce libre jeu des stabilisateurs automatiques, cest unergle intangible en matire de dpenses. Le Gouvernement fixe au niveauquil le souhaite cette rgle en matire de dpenses et cest ce qui compte une fois la rgle fixe, on ne sen carte pas. Cest une rgle en volume,cest--dire que si lon se trompe dans la prvision dinflation ce qui estarriv rcemment on doit reprendre le trop donn lorsque lon sest tromppar excs.

    Cette exigence de soutenabilit se heurte toutefois la rigidit impor-tante des dpenses. Quelque 60 % des dpenses sont en effet constituespar les charges de la dette, les rmunrations de la Fonction publique et lescharges sociales qui vont avec. Au-del, on trouve des transferts sociaux(minima sociaux notamment) et des abonnements au profit de quelquesorganismes publics tels les Charbonnages Au total, il ny a pas beaucoupde marges de manuvre court terme. On court ainsi le risque davoir unematrise comptable prenne sur une organisation inchange. Pour viter lerisque dun blocage, il faut essayer de trouver le moyen de donner un peuplus de souplesse et de visibilit. Aujourdhui, il faut non seulement rai-sonner trois ans comme dans la programmation mais raisonner dix ans,la moiti des fonctionnaires partant la retraite dans les 12 ans qui vien-nent. Huit cent mille fonctionnaires partant la retraite, une augmentationconsidrable des dpenses de pensions actuelles en rsultera : quel que soitloptimisme ou le pessimisme dont on peut faire preuve, une chose est cer-taine, on paiera en 2010 cent milliards de pensions (en francs actuels) deplus quaujourdhui. Mais dun autre ct, ces dparts permettent de jouersur le format des administrations avec une fusion naturelle beaucoup plusforte. Il faut donc penser beaucoup plus loin quauparavant.

    Intervient alors une deuxime exigence, un niveau micro-budgtaireplus que macro-budgtaire, qui est lexigence de performance. De plus enplus, on se proccupe non seulement de lencadrement des dpenses maisaussi de leur qualit, cest--dire de leur efficacit. Cela signifie des objec-tifs dfinis, ce qui nest pas toujours facile, des rsultats mesurs, un change

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    entre une matrise des cots et une libert de gestion. Ds lors quil se dotedobjectifs clairs et quil sengage matriser ses cots, il faut donner augestionnaire les moyens dy arriver. Au demeurant, la contractualisationfonde des engagements rciproques. Nul nest oblig de signer un contratet lon peut ainsi sadapter la diversit des situations car tout le monde napas le mme pass budgtaire et tout le monde na pas le mme avenirbudgtaire.

    Quelle ampleur faut-il donner la contractualisation ? Apparemment lacontractualisation et la soutenabilit budgtaire ne posent pas de problmede compatibilit car ne relvent pas du mme exercice. La contrainte bud-gtaire est l et se rappelle nous quand bien mme on lignore ; lacontractualisation est plutt un outil de modernisation de la gestion. Si apriori il ny a pas de difficult intellectuelle, la difficult vient de lampleurque lon veut donner la contractualisation.

    Il est indispensable dclairer les choix politiques par une vision plu-riannuelle. Sur 100 % des dpenses, la pluriannualit est bnfique commeclairage de la dcision. En revanche, il serait particulirement imprudentde rigidifier toutes les dpenses de ltat, ne serait-ce que parce que lonpeut se tromper dans lvaluation technique de certains postes. Je penseparticulirement aux charges de la dette : qui peut prvoir aujourdhui lestaux dintrt dans trois ans ? Le pouvoir politique a des priorits, et sespriorits pouvant voluer dans le temps, il doit pouvoir conserver une margedaction. De toute manire, aucun pays na contractualis toutes ses dpen-ses. Alors comment choisit-on ce qui peut tre contractualis ? Si lon choisitde faire des contrats sur des programmes dintervention non obligatoires,on perd une partie de la marge de manuvre, ce qui suppose que lon as-sume le fait que sur les autres dpenses (de personnel, par exemple) unepolitique plus dure sera ncessaire Au-del de cet argument de prudencebudgtaire, toutes les dpenses ne se prtent pas la contractualisation.Une typologie des dpenses peut ainsi tre faite. Tout dabord, les pro-grammes dintervention se prtent difficilement la contractualisation. Dansaucun pays, on ne contractualise les programmes obligatoires, quil sagissede la dette, des minima sociaux ou des contributions internationales. Lesprogrammes discrtionnaires sont difficiles contractualiser lorsquinter-viennent dans leur dimensionnement des paramtres conomiques qui d-pendent de la conjoncture. Les aides lemploi ne doivent pas tre traitesde la mme manire selon la conjoncture : si dans une situation de faiblecroissance on contractualisait certaines aides lemploi, on risquerait enpriode de croissance retrouve davoir un redploiement des aides lem-ploi vers dautres aides, qui ne sont peut tre pas ncessairement mauvaisesmais qui sont peut tre moins prioritaires que ce que le Gouvernement peutfaire avec la marge de manuvre ainsi retrouve. Cest plutt une pluriannualit de mthode quil faudrait instituer, cest--dire une rvi-sion des programmes qui nexiste gure en France, lexception des d-penses militaires ( la suite, il est vrai, dun choc budgtaire). La rvi-

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE40

    sion des programmes telle quelle est pratique dans dautres pays, con-siste valuer rgulirement les programmes, leur fixer une dure de vie,avoir lobligation de les remettre plat pour savoir si les finalits de lac-tion publique sont toujours celles que lon avait initialement envisages,pour savoir si cest bien le bon acteur qui est responsable, si le programmecomporte des dfauts quil faut corriger, si le programme est efficace, etc.

    Ensuite, nous avons des prestataires de services, qualifis dans la typo-logie de personnaliss (ducation, justice, sant). Le facteur humainva jouer un rle important, les considrations externes aussi, les choix po-litiques, les choix de socit vont jouer un rle important. Ces services secaractrisent par limportance des charges variables, cest--dire qui va-rient en fonction du nombre de personnes concernes. Les raisonnementsproductifs ne se prtent donc gure spontanment lanalyse de ces sec-teurs. Quand on demande un service administratif daccrotre le traite-ment de dossiers par agent qualit donne, on fait de la productivit phy-sique assez facilement. Mais si lon demande des enseignants de passerde vingt quarante lves, le problme est quelque peu diffrent.

    Le secteur dexcellence de la contractualisation, ce sont les prestationsde service indiffrencies (les services financiers, par exemple) et lestravaux puisque ladministration exerce encore quelques activits produc-tives : les constructions navales, les parcs et ateliers, le contrle techniquedes vhicules, la fabrication des monnaies et mdailles sont des activits detype industriel, cest--dire quon peroit une recette en retour dune acti-vit, dune prestation que lon fait. En dehors de ces activits industrielles,les services qui se prtent le mieux la contractualisation sont les servicespour lesquels la composante des frais fixes est importante, quil sagissedes dpenses informatiques ou des dpenses de personnel.

    Je reviens la typologie des administrations. On peut classer les dpen-ses sous trois grandes rubriques, ce quon appelle les agrgats : les ac-teurs (ou prestataires de service), les programmes dintervention et les fonc-tions-support. On peut analyser ensuite, du point de vue de la rigidit descharges et de lorganisation, comment se rpartissent ces diffrents typesde dpenses. Il y a deux fonctions-support bien diffrentes, les moyensgnraux avec des rfrentiels qui sont connus dans les entreprises, et lesfonctions dtat-major, plus prsentes dans ladministration quailleurs. Cettecatgorie des fonctions dtat-major est difficile traiter sur le mode descontrats de performance et ne prsente gure denjeu.

    Le champ dexcellence de la contractualisation, ce sont videmment lesadministrations prestations indiffrencies. La premire chose avant decontractualiser est de savoir quoi servent les services, quel est le but delaction publique, en un mot avoir une rflexion sur les missions. Celles-cipeuvent tre prennes, elles peuvent tre aussi chahutes ; pour les mis-sions nouvelles, tout va bien puisquil sagit de mettre des moyens nou-veaux, mais il y a des missions en rgression. Sil ny a pas de rflexion sur

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    les missions, il est difficile de contractualiser srieusement, lacontractualisation, cest un moyen pas une fin. Il faut aussi mettre de lor-dre dans les budgets, et l, la balle est dans notre camp. Mme si les minis-tres ne sont pas toujours ni trs quips ni trs volontaires, nous essayonsdepuis plusieurs annes de runir autour dune grille de 150 agrgats len-semble des dpenses de ltat et didentifier des objectifs et des indicateurspour vrifier la mise en uvre de ces objectifs. Il faut enfin un systme depilotage et de gestion.

    Nous avons conclu trois contrats rcemment : un avec quatre prfectu-res, ce qui est peu mais dj difficile, un avec la DGI qui est assez intres-sant, un qui va se conclure avec la DREE qui est galement novateur. Lecontrat DREE a t plus difficile mettre au point en raison de sa doublenature dadministration de gestion, mais aussi de conception ; il comporteen revanche sur le plan du pilotage de la masse salariale, par exemple, uneinnovation intressante. Aujourdhui les contrats dobjectifs et de moyensconcernent peu prs 24 milliards de dpenses qui auront un rythme dvo-lution, librement consenti, infrieur celui qui a t constat ces derniresannes, en contrepartie dune plus grande libert de gestion ; on aura ainsimoins de dpenses et plus de performance.

    La rflexion actuelle a dabord montr que le dcoupage traditionnel dela DGI devait voluer vers une segmentation par clientle : grandes entre-prises, petites entreprises, particuliers ; et dautres segmentations : les bons,les mauvais, ceux qui paient normalement leurs impts, et ceux qui frau-dent, que lon ne doit pas traiter de la mme manire. Deuximement, laDGI a d se fixer un axe central qui inspire le contrat : celui de favoriserlaccomplissement volontaire des obligations fiscales de la part des contri-buables, que les contribuables paient spontanment bien leurs impts. Troistypes dobjectifs ont t retenus : objectifs defficacit, de qualit, deffi-cience, et une quinzaine dindicateurs ensuite pour les vrifier. Efficience,cest le mot pudique pour dire productivit. Lobjectif defficacit socio-conomique, cest faire en sorte que les contribuables respectent mieuxleurs obligations spontanment, cest--dire que le coefficient de paiement lchance en matire de TVA, de recouvrement, samliore, et que lonragisse plus vite quand on observe une dfaillance, que lon aide le boncontribuable qui pourrait devenir un mauvais contribuable. Au-dessus dunecertaine somme, on contrle systmatiquement toutes les dclarations, ona une obligation en matire de poursuite pnale lie aux contentieux quisont lancs. Troisime aspect : traiter mieux et plus rapidement les deman-des des usagers. On doit simplifier la vie du contribuable (dclaration sim-plifie). Mieux accueillir les usagers (rpondre au tlphone, supprimerlanonymat, rpondre aux demandes de formulaires, etc.). Pour vrifier cela,il y aura des sondages et des valuations externes.

    Pourquoi ces objectifs de qualit ? Dabord parce que la qualit fait par-tie de la performance de laction publique. Mais le travail de lIGF portantsur la comparaison des administrations fiscales des diffrents pays a mon-

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE42

    tr que nous tions plus chers que les autres, mais surtout, par bien desaspects, moins bons. Pour un cot suprieur, la qualit du service offerttait infrieure aux plus performantes des administrations fiscales de paysqui ne relvent pas dun modle diffrent du ntre (exemple de la Sude).

    Des objectifs de productivit, enfin. 3 000 suppressions demplois sur lapriode, 1 500 tant restitus ltat et 1 500 redploys pour lamliora-tion de la qualit ou du fonctionnement de la DGI. Ce ne sont pas dessuppressions forfaitaires puisqu chaque suppression est identifie uneaction (simplification, rorganisation,). Tout est transparent, ce qui estune condition ncessaire toute dmarche de performance.

    Que conclure ? Trois choses. Premirement, rien ne serait pire que davoirun modle unique de contrat que lon veuille tout prix dcliner. La quan-tit serait la pire des choses car toutes les administrations sont diffrentes,sur le plan de la nature de leurs activits, de leur pass et de leur avenirbudgtaire. Deuximement, on doit sadapter aux situations. Mais pas tropcar on risquerait dans ce cas lparpillement. Il faut associer un trs grandencadrement mthodologique, sur lequel on a beaucoup de progrs faireen France, un pragmatisme dans le calendrier, le choix des cibles et lamise en uvre de cette contractualisation. Enfin, il faut tre appuy par unedmarche politique forte pour progresser, car certains services ont envie de jouer le jeu , dautres ne le veulent pas, enfin, certains le voudraientmais nen sont pas capables. Il faut que dans le budget 2001, tous les minis-tres soient capables de rpondre trois questions : quelles sont les mis-sions et finalits de leur action, combien ces missions cotent-elles, et quelssont les objectifs quils se fixent. Cela constituerait un immense progrs.Dans les administrations qui sont prtes, on pourra alors rpondre unequatrime question : quels rsultats les services obtiennent-ils ?

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    Un cas pratique de gestion publique :la rforme des administrations fiscales

    Thierry BertChef du Service de lInspection Gnrale des Finances,Ministre de lconomie, des Finances et de lIndustrie

    Session 2

    Le rapport de la mission 2003 nest pas encore tout fait prt. Dans cesconditions, les dveloppements qui suivent vont tre de simples constatsprovenant de la mthode qui a t applique et des observations qui ont putre faites au cours de cette mission. Je reprendrai dailleurs certains deslments que vient dexposer Christophe Blanchard-Dignac sur le contratpluriannuel de la DGI, en les largissant lensemble du processus fiscal,qui fait intervenir sur les mmes dossiers la DGI et la DGCP.

    Les origines de la rflexionLe projet de rforme du ministre rsulte dun processus de maturation

    qui vient dassez loin.Un certain nombre de constatations avaient t faites plusieurs repri-

    ses par lInspection Gnrale des Finances sur la complexit des circuits, ladresponsabilisation des divers acteurs, chargs les uns de lassiette, et con-traints de faire des statistiques de contrle fiscal en totalisant les redresse-ments mis, les autres du recouvrement, contraints de leur ct dafficherdes taux de recouvrement hors contrle fiscal et hors admissions en non-valeur, cest--dire comprenant dans 95 % des cas du recouvrement spon-tan, soit du simple encaissement.

    Tout ceci ne nous paraissait pas trs srieux et cest la raison pour la-quelle a t lanc, avec le plein accord des ministres, un rapport danalyse

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    comparative des administrations fiscales, au dbut de lanne 1998. Lesprincipales conclusions, pour lensemble de ladministration fiscale, doncassiette et recouvrement confondus, sont au nombre de cinq.

    Premirement, aucun pays na autre chose quune administration fis-cale unique ; la ntre est au contraire disperse entre des services dits das-siette et dautres dits de recouvrement , avec des cloisonnements etdes sparations.

    Deuximement, sagissant du recouvrement, la totalit de nos partenai-res a un rapport de 20 % des moyens sur le recouvrement spontan contre80 % sur le recouvrement forc ; chez nous, 50 % de nos forces sont enga-gs dans le recouvrement spontan, 50 % dans le recouvrement forc.

    Troisimement, les systmes informatiques sont, chez nous, totalementcloisonns et ne se parlent pas, entre les services dassiette et de recouvre-ment ; dans la totalit des autres pays, ces systmes sont unifis : base dedonnes informatiques unique, identifiant unique de lensemble des contri-buables, et sur ce point, cest le cas en Irlande, en Sude, en Norvge, auxPays-Bas, en Espagne, au Portugal, traitement automatique des encaisse-ments, accueil tlphonique et, rarement, physique appuy sur cette infor-matique en ligne . Il ny a gure que lItalie qui commence seulement sy mettre.

    Quatrimement, tous les pays ont boug au cours de ces dix derniresannes. Tous. Ils ont boug partir dune dmarche usager , cest--diredune analyse des tches en partant de la base, cest--dire du bout de lachane, en investiguant en partant de l les complexits des organisations etdes procdures, et en rflchissant aux amliorations possibles en tenantcompte de ltat de lart technologique.

    Cinquimement, le cot. Nous sommes 1,6 % des sommes encaisses.La plupart de nos partenaires sont 0,8 % (ou 1 %), sauf lAllemagne, quiest galement 1,7 % et lItalie, qui a tout simplement dcid de recons-truire un systme nouveau ct du systme actuel, faute de mieux. Quandon fait lanalyse du cot, on voit que mme le traitement de la TVA, qui estpourtant un impt normalis au plan communautaire, est plus coteux cheznous que chez nos partenaires.

    La mthode de la mission 2003Nous avons estim que la diffusion de ce rapport ne pouvait pas tre

    faite sans que soient annonces dans le mme lan les suites qui lui seraientapportes. On ne fait en effet pas une psychanalyse de cette nature de faonsauvage, et il nous paraissait vident que balancer dans la nature desconstatations de ce type sans aucune prparation et sans aucun plan dac-compagnement aurait t ressenti comme un traumatisme majeur.

    Un certain nombre de runions se sont donc tenues en grand secret, auCabinet du ministre, en prsence des ministres personnellement, pendant

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    prs dun mois et demi. Les ministres ont dfini un plan daccompagne-ment sous la forme du lancement de la mission dont Paul Champsaur etmoi-mme avons eu la charge, et qui consistait dfinir lhorizon de2003 :

    les voies et moyens pour parvenir un correspondant fiscal uniquepour chacun des usagers ;

    la manire de parvenir une simplification maximale des procduresde dclaration et de paiement ;

    la manire de parvenir un correspondant conomique unique pourles PME, tout au moins dans les domaines o le ministre des Financesexerce ses comptences.

    La mthode galement dfinie par les ministres a t trs claire.Partir de lusager. Associer au maximum les agents, directement, et lesorganisations syndicales ce qui ne signifie pas ngocier, ce quoi nousntions naturellement pas habilits. Cest la raison pour laquelle nous avonsprocd une diffusion trs large du rapport danalyse comparative aveclensemble de ses annexes ce qui pour un rapport de lIGF est assez rarepour tre soulign puisque nous lavons mis sur lIntranet et sur lInternet.Nous avons, par ailleurs, combin dans la mthode, un certain nombre dl-ments. Diagnostic technique des attentes des usagers effectu de manireprofessionnelle, partir de sondages IFOP, SOFRES et IPSOS ; analysetechnique par des groupes administratifs Paris ; analyse informatique avecrecours un consultant extrieur, choisi par march (Gemini-Consulting,en lespc