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GEORGE SAND ANTONIA ROMAN PRÉFACE DE MARTINE REID ACTES SUD

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Page 1: BABEL GEORGE SAND ANTONIAexcerpts.numilog.com/books/9782742738212.pdf · rédaction des romans. Dans une lettre datée de juin 1862, Antonia est mentionné pour la première fois1

ANTONIA

Dans le cadre de l’intense activité artistique qui, sousle Second Empire, voit se succéder romans et nou-velles, pièces et canevas pour le théâtre de société deNohant, George Sand imagine les amours contrariéesd’un jeune peintre de fleurs et d’une belle aristocrateen quête d’un homme selon son cœur.

Le Paris de la fin du XVIIIe siècle sert de décor à ceroman mettant en scène les préjugés tenaces et lessentiments vrais, la montée en puissance de la bour-geoisie et des idées libérales, la volonté des femmesd’être désormais les actrices de leur destinée.

Tout est drôle, vif et bien mené dans ce diverti-mento écrit en 1862 à la manière d’une comédie,mais qui conserve en contrepoint ce sens critique dontSand ne se départ jamais.

Au lecteur de suivre intrigues et rebondissements,arguments et états d’âme, d’apprécier le talent de laconteuse, bref de goûter un roman qui était depuislongtemps introuvable.

George Sand est née à Paris en 1804 et morte en 1876dans son château de Nohant. Auteur de nombreux romans,mais aussi de contes, de nouvelles, de pièces de théâtre,d’écrits politiques, amie de musiciens et de peintres parmiles plus talentueux de sa génération, passionnée d’art et dethéâtre, mais aussi de botanique, de minéralogie et d’ento-mologie, elle a occupé la scène littéraire pendant plus dequarante ans.

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GEORGE SAND

ANTONIAROMAN

PRÉFACE DE MARTINE REID

ACTES SUD

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ANTONIA

Dans le cadre de l’intense activité artistique qui, sousle Second Empire, voit se succéder romans et nou-velles, pièces et canevas pour le théâtre de société deNohant, George Sand imagine les amours contra riéesd’un jeune peintre de fleurs et d’une belle aristocrateen quête d’un homme selon son cœur.

Le Paris de la fin du XVIIIe siècle sert de décor à ceroman mettant en scène les préjugés tenaces et lessentiments vrais, la montée en puissance de la bour-geoisie et des idées libérales, la volonté des femmesd’être désormais les actrices de leur destinée.

Tout est drôle, vif et bien mené dans ce diverti-mento écrit en 1862 à la manière d’une comédie,mais qui conserve en contrepoint ce sens critique dontSand ne se départ jamais.

Au lecteur de suivre intrigues et rebondissements,arguments et états d’âme, d’apprécier le talent de laconteuse, bref de goûter un roman qui était depuislongtemps introuvable.

George Sand est née à Paris en 1804 et morte en 1876dans son château de Nohant. Auteur de nombreux romans,mais aussi de contes, de nouvelles, de pièces de théâtre,d’écrits politiques, amie de musiciens et de peintres parmiles plus talentueux de sa génération, passionnée d’art et dethéâtre, mais aussi de botanique, de minéralogie et d’ento-mologie, elle a occupé la scène littéraire pendant plus dequarante ans.

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DU MÊME AUTEUR CHEZ ACTES SUD

Mademoiselle Merquem, Babel n° 218.La Marquise, Lavinia, Metella, Mattea, Babel n° 540.Sand et Musset, Le Roman de Venise, Babel n° 381.

Edition établie par Martine Reid

© ACTES SUD, 2002pour la présente édition

ISBN 2-7427-3821-5

Illustration de couverture :Jacob Marrel, Vase de fleurs (détail), vers 1635-1640

978-2-330-08350-2

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GEORGE SAND

ANTONIAroman

préface de Martine Reid

ACTES SUD

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Premier feuillet du manuscrit d’Antonia

(Bibliothèque historique de la ville de Paris).

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PRÉFACE

pour Nicole Savy

Antonia n’est qu’une fleur de monherbier, c’est comme un souvenir depromenade que je vous envoie. Nem’en remerciez pas. Il en est de cettefleurette comme de tous les bouquets.L’intention en fait tout le prix.

GEORGE SANDà Edouard Rodrigues,

17 octobre 1862.

Un roman de George Sand intitulé Antonia ? Tout le mondeconnaît François le Champi, La Petite Fadette et La Mare audiable. Les lecteurs plus curieux ont pu avoir entre les mainsIndiana, Mauprat, Les Maîtres sonneurs, Histoire de ma vie ;ils ont lu Lélia, Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt, lesLettres d’un voyageur, les Contes d’une grand-mère, d’autrestitres encore. Plus rares enfin, quelques “savants austères”ont pu prendre connaissance de l’ensemble, par exemple desquelque trente romans écrits par George Sand sous le SecondEmpire, du Château des Désertes, fantaisie dont les protago-nistes sont des comédiens en déplacement, au diptyquePierre qui roule et Le Beau Laurence, qui a lui aussi pourcadre le milieu du théâtre et compte des considérations trèsfines sur le jeu des acteurs et l’interprétation. Les deux tiers

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environ des romans de cette époque ont fait l’objet de réédi-tions plus ou moins récentes. Les autres ont échappé à touteréédition depuis le temps où l’éditeur Michel Lévy imagina,en 1869, de republier d’un seul coup les cinquante-cinq romansque Sand avait écrits jusqu’alors. Antonia est de ceux-là.Avec quelques autres, ce roman daté de 1863 a sombré dansl’oubli.

En 1862, George Sand a passé trois semaines à Paris (elleloue alors un pied-à-terre au 3, rue Racine), quelques joursdans sa petite maison de Gargilesse dans l’Indre, le reste del’année dans sa propriété de Nohant. Ses déplacements àParis sont liés aux premières de ses pièces de théâtre, Le Pavéau Gymnase le 1er mars, l’adaptation théâtrale des BeauxMessieurs de Bois-Doré à l’Ambigu-Comique le 26 avril(l’acteur Bocage y interprète le rôle principal). En compagniede Delacroix, l’écrivain a visité le chantier de la chapelle desSaints-Anges à Saint-Sulpice.

Pendant l’été et l’automne, la vie à Nohant connaît unebelle effervescence. Avec ses amis et les gens de la maison,Sand coud, dessine, jardine, se baigne dans l’Indre, court leschemins à la recherche de fleurs, de pierres et de papillons.Les représentations du théâtre de société battent leur plein ;les canevas sont de la main de Sand, de son fils Maurice oud’Edouard Cadol, jeune artiste dont elle encourage les débutsau théâtre. On répète, on se déguise, on confectionne des cos-tumes, on peint des décors pour La Nuit de Noël, Soriani, LaFarce du petit bossu, Le Pied sanglant, Les Paysans1. Sand aégalement reçu à Nohant Alexandre Dumas fils et EugèneFromentin (auquel elle a donné quelques conseils pour larédaction de Dominique, que l’auteur lui dédiera2).

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1. Sous le titre Théâtre de Nohant, Sand a publié quelques-unes de ces piècesen 1865.2. “[Nohant], écrit Sand à Fromentin, est un endroit simple et médiocre parlui-même, mais où beaucoup de souffrances et d’inquiétudes se sont amortieset où, en dépit de tout, il s’est consommé beaucoup de bonheur intime, grâce

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La Revue des Deux Mondes commence la publication deTamaris le 15 mars. Le 28 mars, George Sand entame larédaction de Laura, voyage dans le cristal puis s’interrompt ;le 19 avril, Mademoiselle La Quintinie est commencé puisinterrompu lui aussi ; le 4 juin, elle commence la rédactiond’Antonia tandis que paraissent en volumes chez MichelLévy Autour de la table, puis Souvenirs et impressions litté-raires. Par ailleurs, l’écrivain préface Six mille lieues à toutevapeur, écrit et illustré par son fils Maurice, commente LaSorcière de Michelet et Salammbô (ce qui lui vaudra l’amitiéde Flaubert), rédige une lettre ouverte à Girardin pour L’In-dépendance belge, compose enfin une pièce grecque, Plutus,qui sera publiée l’année suivante dans la Revue des DeuxMondes. 1862 est également l’année du mariage de Maurice :à trente-neuf ans, le fils aîné de l’écrivain épouse la fille dugraveur Luigi Calamatta, vieil ami de la famille – il avait en1837 gravé le premier portrait de Sand par Delacroix.

On le voit, les activités sont multiples, les liens avec lesartistes du temps particulièrement serrés, resserrés encore parle mariage de Maurice, dont la mère continue de rêver de faireun grand artiste alors que ce dernier, à l’évidence, éprouve ungoût très vif pour des activités artistiques marginales, théâtre desociété et théâtre de marionnettes, illustrations de livres, confec-tion d’affiches et d’aquarelles de costumes pour la scène, large-ment inspirés, comme ses canevas, de la commedia dell’arte1.

La genèse d’Antonia est assez représentative de la ma -nière dont Sand travaille à l’époque. Les Agendas tenus par

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à je ne sais quelle influence de l’air et du lieu. (...) vous ferez une bonneaction en mêlant un peu le courant encore plein et actif de votre vie au cou-rant plus ralenti de la mienne et en mettant chez nous l’empreinte ineffaçabled’une belle, bonne et forte individualité.” (Correspondance, vol. XVII, Garnier,1983, p. 140, 18 juin 1862.)1. Voir à ce propos son étude intitulée Masques et bouffons, la comédie italienne,Lévy, 1860 (2 vol.), et Claudette Joannis et Bertrand Tillier, Les Marionnettes

de Maurice Sand, éd. du Patrimoine, 1997.

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Alexandre Manceau, graveur, secrétaire et compagnon del’écrivain, le disent, elle écrit généralement la nuit, quandtout dort dans la maison et demande à ne pas être dérangée lelendemain avant midi. Cette écriture nocturne s’effectue surle recto de grandes feuilles de papier qu’elle a coupées enquatre et cousues elle-même en cahiers. Les corrections sontfaites au fur et à mesure ; d’autres, plus généreuses, sont opé-rées à la relecture. Sand travaille rapidement, aisément. Ellesait en quelques pages planter un cadre, des personnages,une situation. Son génie est celui-là, que Flaubert qualifie àbon droit de “génie narratif1”, manière inimitable de créerdes lieux et d’y faire évoluer les protagonistes, de construireune intrigue sentimentale qui mène le plus généralementau mariage tout en rappelant au passage quelques idéesfortes : la liberté de mouvement et de sentiment, l’égalité deshommes et des femmes, la fraternité des hommes entre eux,toutes classes sociales confondues. Alors qu’en 1862 le réa-lisme a (largement) vaincu, et l’étude de mœurs, la matièresandienne demeure ce qu’elle a été dès l’époque romantique :romanesque, sentimentale, utopique – et prodigieusementdiversifiée.

Constitué de l’ensemble des cahiers, le manuscrit duroman porte la trace de modifications et corrections, de pas-sages récrits et collés en leurs lieux et places. Il passeensuite dans le bureau d’une revue ou d’un journal pour êtrepublié en feuilleton selon un découpage décidé par l’auteur.Bien qu’il en soit régulièrement question dans la corres -pondance, fort peu d’épreuves corrigées par George Sandont été con servées, et les corrections demeurent modestes.Sur ce point, l’écrivain n’est pas Balzac, qui s’était fait unespécialité du travail sur épreuves et, pour la plus grandeconsternation de ses imprimeurs successifs, de l’extensionde la matière romanesque à partir d’elles. Une fois le romanpublié en revue, l’éditeur intervient qui le fait paraître,

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1. Flaubert-Sand, Correspondance, Flammarion, 1981, p. 521 ; 6 février1876.

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quelques mois plus tard, en un ou plusieurs volumes selonson étendue.

La correspondance de Sand sous le Second Empire n’en-registre généralement que quelques traces ténues du temps derédaction des romans. Dans une lettre datée de juin 1862,Antonia est mentionné pour la première fois1. Quelquessemaines plus tard déjà, il est question du “roman que je suisen train d’achever2”. Le 18 juillet, Sand écrit à son fils età sa belle-fille : “J’ai fini le roman la nuit dernière. J’ai unegrande lessive à lui faire subir ; mais ce n’est plus que del’amusement sans fatigue et sans inquiétude3.” Le 1er août,elle annonce au directeur de la Revue des Deux Mondes qu’ilrecevra le manuscrit dans peu de jours (et que le texte s’inti-tulera Julia-Antonia). Le 12 août, elle précise : “Le roman,qui s’appellera Antonia tout court, part en même temps quecette lettre par le chemin de fer g[ran]de vitesse. Vous m’ac-cuserez réception, n’est-ce pas ? Si vous êtes bien aimablevous en ferez composer un bon bout, et vous me ferezenvoyer toujours deux exemplaires des épreuves. Cela m’estabsolument nécessaire. Vous donnerez l’ordre qu’on nechange pas un mot sans mon aveu, et qu’on ne mette jamaiscela ou ceci, à la place de ça. C’est une monomanie de vosprotes qui est insoutenable4.” “Avez-vous lu Antonia, puis-jecompter sur des épreuves pas trop à la veille de la publica-tion5 ?”, demande enfin Sand à Buloz le 3 septembre. Aprèsquoi, il n’en sera plus reparlé.

Ces quelques notations, comme les traces laissées par leroman dans les Agendas, permettent de se faire une idée plusprécise du travail de rédaction. A l’évidence, il y a chez Sandune véritable boulimie de composition (qu’elle impute à la

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1. Correspondance, vol. XVII, p. 161 ; à Paul Meurice. Il est question de“l’idée que je poursuis maintenant et qui se présente sous forme de roman.Elle m’assiège, elle m’émeut !”2. Ibid., p. 173 ; à Paul Meurice.3. Ibid., p. 175.4. Ibid., p. 195-196.5. Ibid., p. 221.

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dure nécessité de gagner de l’argent1) doublée d’un plaisirtrès vif à raconter des histoires. C’est pourquoi l’écrivainconçoit et rédige à bon rythme, gardant l’essentiel des correc-tions pour la relecture, cette “grande lessive” à laquelle ellesoumet le roman une fois ce dernier arrivé à terme. Antoniasemble ainsi avoir été composé en six semaines approximati-vement (du 3 juin au 18 juillet exactement si l’on en croit lesAgendas, qui mentionnent également des lectures à voixhaute devant les familiers et les invités de Nohant2), puis sou-mis à une relecture d’un mois environ avant d’être envoyé àla Revue des Deux Mondes. Si l’écrivain se montre soucieusede relire le texte sur épreuves sans que le prote y apporte lamoindre correction, elle semble en revanche abandonner letexte à l’éditeur Lévy sans souci de modification, se conten-tant de dédier le volume à Edouard Rodrigues, agent dechange fortuné qui l’a aidée dans quelques entreprises chari-tables et dont elle a fait connaissance cette année-là.

Personnages : Julie d’Estrelle (jeune aristocrate devenueveuve, en délicatesse avec sa belle-famille), Julien Thierry(jeune peintre vertueux), Mme André Thierry (sa mère, néede Meuil, pauvre et digne), Antoine Thierry (beau-frère de laprécédente, célibataire fortuné au caractère fantasque, entichéde botanique), Marcel Thierry (notaire, cousin et neveu des pré -cédents, soucieux de faire triompher le bon droit), la baronned’Ancourt, la marquise d’Estrelle. La scène se passe à Paris,rue de Babylone, dans un hôtel particulier du XVIIe siècleavec jardin et dépendances.

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1. “(...) il y a devoir pour moi à vouloir gagner de l’argent. Mais ce but, cedevoir est de ceux qui m’écrasent, qui me glacent et m’attristent profondé-ment. Je n’ai jamais eu d’entrain que pour les choses au succès (succès d’ar-gent) sacrifié d’avance.” (Ibid., p. 162, juin 1862 ; lettre à Paul Meurice.)2. A la date du 16 juin 1862, George Sand a noté dans son agenda : “Lecturede l’Antonia 1re et 2e partie. Ça amuse...”, et Manceau, à la date du 10 août : “Dîner,jardin, cochonnet, lecture de la dernière partie du roman Le Lys [premier titreenvisagé]. C’est très bien fait et intéressant.” (Agendas, III, Touzot, 1992.)

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On l’a compris, tout est en place pour l’une de ces comé-dies sentimentales que Sand compose alors pour la scèneparisienne ou qu’elle fait jouer sur la scène de Nohant. Lespersonnages sont des types, les dialogues tour à tour empha-tiques, dramatiques ou comiques. S’y trouve la suite de rebon -dissements nécessaires à la bonne marche de l’intrigue : brisde la fleur rare, sautes d’humeur et caprices de l’oncle, coupsde tête de Julie, menaces de la belle-famille. Tout est bien quifinit bien dans ce récit marqué en son centre d’une longuescène conduite par le notaire Marcel et fertile en surprises,qui n’est pas sans rappeler Le Meunier d’Angibault. Qu’Antoniaait été conçu comme un divertimento ne fait pas de doute. Lerécit est mené tambour battant, le ton est enjoué, voire fran-chement comique, les dialogues vont crescendo jusqu’à larupture des alliances, la découverte des mani gances, l’aveuamoureux. On part à la campagne pour réfléchir, on fomentedes vengeances et des renversements d’alliance, on se jureen secret un amour vrai, on oscille entre la détermination etl’accablement, l’attendrissement n’est jamais loin, commedans Le Mariage secret, Les Noces de Figaro, Le Barbier deSéville. Il y a peu chez Sand de ces romans semblant attendresi nettement une musique, des acteurs pour incarner les per-sonnages, les trois coups annonçant le début de la représen -tation. Sans doute la légèreté de l’œuvre, son charme discretviennent-ils de là, et de n’exister sans autre prétention oupresque que celle de distraire un instant.

Pour distraire, Sand revient comme naturellement auXVIIIe siècle prérévolutionnaire, à ces temps anciens qu’elle aconnus grâce aux récits de sa grand-mère, grâce aussi à seslectures des romans de Mme de Souza et de Mme de Gen lis.Elle y était revenue dès La Marquise, nouvelle publiée à lafin de l’année 1832 qui l’avait consacrée écrivain, puis, plussérieusement, dans Mauprat et Consuelo. L’époque lui plaîtpour toutes sortes de raisons : elle permet ici l’utilisation detoutes les conventions dont la comédie classique a usé tantdans la scénographie que dans le parler, le costume et la psy-chologie des personnages – on sait que Sand a donné une

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suite au Philosophe sans le savoir de Sedaine dans Le Mariagede Victorine1 ; elle permet aussi le rappel de préjugés puis-sants sur la naissance, la résurrection de mœurs qui n’ontd’aimable que l’apparence, minées qu’elles sont par l’hypo-crisie, le calcul, l’intérêt. Tout est hôtels luxueux et beaux jar-dins, douairières, voitures et domestiques sans doute, maistout est faux-semblants. Derrière la façade, il y a le vide descœurs et des esprits, un égoïsme puissant aiguisé par lacrainte sourde de voir “le monde” se fissurer d’abord, s’ef-fondrer ensuite. Selon Sand, l’aristocratie de 1785 répond àcette crainte tantôt par un accueil courtois des philosophes,tantôt par des raideurs qui ne sont déjà plus de saison.

Le divertissement romanesque invite alors, malgré son tonbadin, à quelque réflexion. L’écrivain a des pages rapidesmais justes sur les philosophes, sur l’état de la société en1785, sur les figures de Rousseau, Voltaire ou Condorcet2.Elle sait peindre la condition de la petite bourgeoisie, parlerdépenses et coût de la vie, descendre jusqu’au plus petitdétail matériel. Elle sait compter, geste étranger au mondearistocratique, et compter aussi bien avec l’avoué qu’avec laveuve couverte de dettes ou le célibataire riche et avare,comme tout droit sorti d’un roman balzacien. Elle sait enfinévoquer la situation singulière du petit artiste, peintre defleurs et miniaturiste, que le monde peut enrichir ou condam-ner à l’obscurité par caprice parce que, mené par l’effet demode, il est incapable de reconnaître le véritable talent.

L’amour, le grand amour comme l’amour du fils pour samère et de la mère pour son fils, est évoqué ici d’une manière“attendrissante” chère au drame bourgeois célébré par Diderot.Il demeure pourtant profondément romantique. La passionexalte ou anéantit : séparés, les deux amants pensent à mourirnoyés (reprise d’un thème prégnant dans l’ensemble del’œuvre) ; réunis, ils savent ce qu’ils doivent à l’honneur et à

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1. Cette pièce, jouée pour la première fois le 26 novembre 1851 au théâtre duGymnase, est reprise dans le deuxième volume du Théâtre, Lévy, 1866.2. Les Agendas signalent que Sand “relit du XVIIIe siècle” (III, p. 38).

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la pudeur, et Julien tombe aussi naturellement aux pieds decelle qu’il aime que cette dernière s’évanouit de bonheur etd’émotion dans ses bras. Quant à l’affection maternelle, extrê -me ment rare chez Sand (qui préfère de beaucoup les figurespaternelles, et presque toujours les familles monoparentales),elle prend ici un tour inattendu : le fils n’envisage pas sanscolère l’extraordinaire dépendance dans laquelle l’affectionmaternelle l’a placé. Entre l’affection des uns et le comporte-ment lunatique des autres, Marcel enfin, véritable montreurde personnages, tire les ficelles en notaire diligent. Avec uneréelle finesse psychologique, il mène chacun à sa guise, etceci jusqu’à l’heureux dénouement final.

On pourra trouver que quelques scènes du roman prêtent àsourire, ainsi du duel de Julien avec de jeunes aristocrates, del’arrivée intempestive de l’oncle qui découvre l’Antonia brisée,de la visite de la marquise prenant sa belle-fille en flagrant délitde fréquentations plébéiennes ou encore des projets de mariageréitérés de l’oncle. Ce sont des ingrédients romanesques polispar une longue tradition et dont Sand a toujours été prodigue,comme Sue et Dumas, comme Hugo. Si le roman réaliste a tra-vaillé à s’en défaire, ils ont en revanche fonctionné comme lessignes de reconnaissance d’un genre que le roman, le roman po -pulaire particulièrement, a exploités tout au long du XIXe siècle.

Antonia est publié en avril 1863, Mademoiselle La Quinti-nie en juillet. Le succès du premier roman est modeste, letollé suscité par les opinions jugées anticléricales du secondconsidérable. Il connaît immédiatement un réel succès et ungrand retentissement dans la presse. Les thèses de Sand sontdéfendues avec chaleur par les libéraux, violemment attaquéespar les conservateurs. La préface, dans laquelle l’écrivaindénonce le “labyrinthe d’ambiguïtés, (…) de fantaisies dévotes,de contradictions, (…) de déclamations ardentes et de sous-entendus perfides1” de la pratique religieuse catholique, suscite

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1. Mademoiselle La Quintinie, Lévy, 1863, p. X.

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notamment la réaction haineuse de Baudelaire (qui traiteSand de “latrine1”). L’aimable divertissement que constituentles amours de Julie et de Julien est vite offusqué par ce romansérieux, nourri de considérations religieuses et politiques. Lajeune aristocrate et sa liliacée cèdent logiquement le pas àLucie La Quintinie, raisonneuse intrépide bravant l’opinionde son temps. A la fin de l’année 1863, toute l’œuvre de GeorgeSand est mise à l’Index.

MARTINE REID

1. Dans Mon cœur mis à nu, in Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque dela Pléiade, 1961, p. 1280.

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ANTONIA

à M. Edouard Rodrigues

A vous qui adoptez les orphelins, etqui faites le bien tout simplement, àdeux mains et à livre ouvert, commevous lisez Mozart et Beethoven.

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I

C’était au mois d’avril 1785, et c’était à Paris, où, cetteannée-là, le printemps était un vrai printemps. Le jardinétait en fête, les gazons s’émaillaient de marguerites,les oiseaux chantaient, et les lilas poussaient si dru etsi près de la fenêtre de Julien que leurs thyrses fleurisentraient jusque chez lui et semaient de leurs petitescroix violettes le pavage à grands carreaux blancs deson atelier.

Julien Thierry était peintre de fleurs, comme son pèreAndré Thierry, très renommé sous Louis XV dans l’artde décorer les dessus de porte, les panneaux de salle àmanger et les plafonds de boudoir. Ces ornementationsgalantes constituaient, sous ses mains habiles, de véri-tables objets d’art sérieux, si bien que l’artisan étaitdevenu artiste, fort prisé des gens de goût, grassementpayé et fort considéré dans le monde. Julien, son élève,avait restreint son genre à la peinture sur toile. La modede son temps excluait les folles et charmantes déco -rations du style Pompadour. Le style Louis XVI, plussévère, ne semait plus les fleurs sur les plafonds et lesmurailles, il les encadrait. Julien faisait donc des cadresde fleurs et de fruits dans le genre de Mignon, des co -quilles de nacre, des papillons diaprés, des lézards vertset des gouttes de rosée. Il avait beaucoup de talent, il

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était beau, il avait vingt-quatre ans, et son père ne luiavait laissé que des dettes.

La veuve d’André Thierry était là, dans cet atelier oùJulien travaillait et où les grappes de lilas s’effeuillaientsous les caresses d’une brise tiède. C’était une femmede soixante ans, bien conservée, les yeux encore beaux,les cheveux presque noirs, les mains effilées. Petite,mince, blanche, pauvrement mise, mais avec une pro-preté recherchée, Mme Thierry tricotait des mitaines, etde temps en temps levait les yeux pour contempler sonfils, absorbé dans l’étude d’une rose.

— Julien, lui dit-elle, pourquoi donc est-ce que tune chantes plus en travaillant ? Tu déciderais peut-êtrele rossignol à nous faire entendre sa voix.

— Ecoute, mère, le voilà qui s’y met, répondit Julien.Il n’a besoin de personne pour lui donner le ton.

En effet, le rossignol faisait entendre pour la pre-mière fois de l’année ses belles notes pures et retentis-santes.

— Ah ! le voilà donc arrivé ! reprit Mme Thierry.Voilà un an de passé !… Est-ce que tu le vois, Julien ?ajouta-t-elle pendant que le jeune homme, interrompantson travail, interrogeait de l’œil les bosquets massésdevant la fenêtre.

— J’ai cru le voir, répondit-il en soupirant, mais jeme suis trompé.

Et il revint à son chevalet. Sa mère le regardait plusattentivement, mais elle n’osa l’interroger.

— C’est égal, reprit-elle au bout de quelques instants,tu as la voix belle aussi, toi, et j’aimais à t’entendrerappeler les jolies chansons que ton pauvre père disaitsi bien… l’année dernière encore, à pareille époque !

— Oui, répondit Julien, tu veux que je les chante, etpuis tu pleures ! Non, je ne veux plus chanter !

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