avril 2015 - n° 85

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15 La tauromachie survit grâce aux euros des anti- corrida ! 16 Impact des corridas sur les mineurs, 17 Danone et Mars philan- thropes planétaires ? Le chasseur de base confirmé « éducateur » ? 19 Pêche de loisir et pra- tiques cruelles, 20 Chevaux, ânes et pay- sans ensemble au travail, 21 Loueuse-aux-3 000 porcs, Thons en milliers de tonnes, 22 World Animal Protection et promotion du bien-être animal en Chine, 23 Les requins « boucs émis- saires » 24 Compte-rendu de lecture : Comportement, conduite et bien-être animal. 2 Colloque international, 3 Rapport Antoine sur le ré- gime juridique de l’ani- mal : 10 ans déjà ! 5 Corridas : les racines du mal, 7 Le code civil met l’animal à un régime trop sec, 9 Des condamnations exemplaires, 10 Les BREFs, Élevage in- tensif de porcs et vo- lailles : de quoi s’agit-il ? 11 Courrier adressé aux commissaires européens de l’Environnement, de la Santé et de l’Agriculture, 12 L’organisation des contrôles en protection animale, 13 Compte-rendu de lecture : Comment se promener dans les bois… sans se faire tirer dessus ? ÉTHIQUE ÉTHIQUE DROIT ANIMAL DROIT ANIMAL SCIENCES SCIENCES Il faut concevoir les droits de l’animal comme l’autre face des devoirs de l’homme envers l’ani- mal. L’homme, animal raisonnable, se doit en effet de respecter les autres animaux sous peine de déchoir, car la sensibilité humaine est Une, et ne peut se cloisonner. […] L’homme qui, au lieu de s’émerveiller devant la perfection infinie de tout organisme vivant, détruit la Vie sans motif grave et légitime, abuse de ses pouvoirs et trahit sa propre nature. ERWIN GULDNER, Conseiller d’État (1911-1997) 3 Rapport Antoine sur le régime juridique de l’animal : 10 ans déjà ! 2 Billet du président Louis Schweitzer DROIT ANIMAL ÉTHIQUE & SCIENCES Revue trimestrielle de la Fondation LFDA Sommaire 25 Prix de biologie Alfred Kas- tler : Appel à candidatures, Une seule santé, 26 Quand les poules avaient des dents, 27 Les grands carnivores d’Eu- rope, 28 Nouvelles curiosités zoolo- giques dans les 4 classes de vertébrés, 29 Comptes-rendus de lecture : Animaux disparus, Histoire et archives photographiques, Bestiaire disparu AVRIL 2015 - N° 85 LA FONDATION DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES (LFDA) 39, rue Claude-Bernard - 75005 Paris Bureaux ouverts du lundi au vendredi de 9 h 30 à 13 h et de 14 h à18 h tél. 01 47 07 98 99 [email protected] www.fondation-droit-animal.org ••• RÉDACTEURS DU N° 85 Thierry Auffret Van Der Kemp –TAVDK Zoologiste marin, ancien ingénieur de recherche. Nancy Clarke – NC Psychologue, éthologiste, responsable des programmes éducatifs pour World Animal Protection. Alain Collenot – AC Vétérinaire, embryologiste, ancien profes- seur à l’université Paris VI. Jean-Louis Hartenberger – JLH Paléo-anatomiste, ex directeur de recherche au CNRS. Anne-Claire Lomellini-Dereclenne – ACLD Vétérinaire, inspectrice de la santé publique vétérinaire. Katherine Mercier – KM Juriste en droit de l’agriculture et droit international. Jean-Claude Nouët – JCN Médecin, biologiste, ex professeur des uni- versités, praticien hospitalier. Jean-Paul Richier – JPR Neuropsychiatre, praticien hospitalier. Louis Schweitzer – LS Commissaire général à l’investissement. Peter Stevenson – PS Avocat, conseiller principal en politiques pour Compassion in World Farming. Cédric Sueur – CS Éthologue, maître de conférences à l’uni- versité de Strasbourg. Anne Vonesch – AV Médecin, référente bien-être animal, France Nature Environnement. ••• Revue trimestrielle : ISSN 2108-8470 Direction de la publication : Louis Schweitzer. Rédaction en chef : Jean-Claude Nouët, Sophie Hild. Dessins : Brigitte Renard. Mise en page : Maïté Bowen-Squires. Imprimé sur papier sans chlore et sans acide- par ArtimediA à Paris

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Page 1: AVRIL 2015 - N° 85

15 La tauromachie survitgrâce aux euros des anti-corrida !

16 Impact des corridas surles mineurs,

17 Danone et Mars philan-thropes planétaires ?Le chasseur de baseconfirmé « éducateur » ?

19 Pêche de loisir et pra-tiques cruelles,

20 Chevaux, ânes et pay-sans ensemble au travail,

21 Loueuse-aux-3 000 porcs,Thons en milliers detonnes,

22 World Animal Protectionet promotion du bien-êtreanimal en Chine,

23 Les requins « boucs émis-saires »

24 Compte-rendu de lecture :Comportement, conduite

et bien-être animal.

2 Colloque international,3 Rapport Antoine sur le ré-

gime juridique de l’ani-mal : 10 ans déjà !

5 Corridas : les racines dumal,

7 Le code civil met l’animalà un régime trop sec,

9 Des condamnationsexemplaires,

10 Les BREFs, Élevage in-tensif de porcs et vo-lailles : de quoi s’agit-il ?

11 Courrier adressé auxcommissaires européensde l’Environnement, de laSanté et de l’Agriculture,

12 L’organisation descontrôles en protectionanimale,

13 Compte-rendu de lecture :Comment se promener

dans les bois… sans se

faire tirer dessus ?

ÉTHIQUEÉTHIQUEDROIT ANIMALDROIT ANIMAL SCIENCESSCIENCES

Il faut concevoir les droits de l’animal comme

l’autre face des devoirs de l’homme envers l’ani-

mal. L’homme, animal raisonnable, se doit en

effet de respecter les autres animaux sous peine

de déchoir, car la sensibilité humaine est Une, et

ne peut se cloisonner. […] L’homme qui, au lieu

de s’émerveiller devant la perfection infinie de

tout organisme vivant, détruit la Vie sans motif

grave et légitime, abuse de ses pouvoirs et trahit

sa propre nature.ERWIN GULDNER, Conseiller d’État (1911-1997)

3 Rapport Antoine sur le régime juridique de l’animal : 10 ans déjà !

2 Bi l le t du prés ident Louis Schwei tzer

D R O I T A N I M A LÉ T H I Q U E & S C I E N C E S

Revue tr imestr ielle de la Fondation LFDA

Sommaire

25 Prix de biologie Alfred Kas-tler : Appel à candidatures,Une seule santé,

26 Quand les poules avaientdes dents,

27 Les grands carnivores d’Eu-rope,

28 Nouvelles curiosités zoolo-giques dans les 4 classes devertébrés,

29 Comptes-rendus de lecture :Animaux disparus, Histoireet archives photographiques,Bestiaire disparu

AVRIL 2015 - N° 85

LA FONDATION DROIT ANIMAL,

ÉTHIQUE & SCIENCES

(LFDA)

39, rue Claude-Bernard - 75005 Paris

Bureaux ouverts du lundi au vendredi

de 9 h 30 à 13 h et de 14 h à18 h

tél. 01 47 07 98 99

[email protected]

www.fondation-droit-animal.org

•••

RÉDACTEURS DU N° 85

Thierry Auffret Van Der Kemp –TAVDKZoologiste marin, ancien ingénieur derecherche.

Nancy Clarke – NCPsychologue, éthologiste, responsable desprogrammes éducatifs pour World AnimalProtection.

Alain Collenot – ACVétérinaire, embryologiste, ancien profes-seur à l’université Paris VI.

Jean-Louis Hartenberger – JLHPaléo-anatomiste, ex directeur derecherche au CNRS.

Anne-Claire Lomellini-Dereclenne – ACLDVétérinaire, inspectrice de la santépublique vétérinaire.

Katherine Mercier – KMJuriste en droit de l’agriculture et droitinternational.

Jean-Claude Nouët – JCNMédecin, biologiste, ex professeur des uni-versités, praticien hospitalier.

Jean-Paul Richier – JPRNeuropsychiatre, praticien hospitalier.

Louis Schweitzer – LSCommissaire général à l’investissement.

Peter Stevenson – PSAvocat, conseiller principal en politiquespour Compassion in World Farming.

Cédric Sueur – CSÉthologue, maître de conférences à l’uni-versité de Strasbourg.

Anne Vonesch – AVMédecin, référente bien-être animal,France Nature Environnement.

•••

Revue trimestrielle : ISSN 2108-8470

Direction de la publication:

Louis Schweitzer.

Rédaction en chef :

Jean-Claude Nouët, Sophie Hild.

Dessins: Brigitte Renard.

Mise en page: Maïté Bowen-Squires.

Imprimé sur papier sans chlore et sans acide-

par ArtimediA à Paris

Page 2: AVRIL 2015 - N° 85

Notre Fondation LFDA mène depuispresque quarante ans, avec persévérance,un combat pour les droits des animaux,combat fondé sur l'éthique, la science et ledroit. Ce combat se heurte à des groupesde pression puissants et organisés, alorsque la LFDA ne s'appuie que sur la compé-tence et la générosité de ses soutiens.Parfois, la modestie des progrès au regardde l'importance des enjeux pourrait inciterau découragement. Mais deux événe-ments majeurs, récents, porteurs d'avenir,redonnent confiance.

Le premier est la modification du codecivil, issue de l'amendement de M.Glavany, ancien ministre de l'Agriculture.Cette modification reconnaît, dans ce textecentral de notre droit, le caractère d'êtressensibles aux animaux. Le texte voté n'apas de conséquences juridiques immé-diates. Il peut et doit être complété et pré-cisé, mais sa valeur symbolique estimportante et il porte en lui une dynamiqueforte dont témoignent les oppositions qu’il asuscitées.

Cette modification du code civil trouve sasource initiale dans le rapport remarquable

établi en 2005 par Mme Suzanne Antoine,magistrate et secrétaire générale de laLFDA. Cette modification a été facilitée parla prise de position du président FrançoisHollande, en réponse à une lettre que lui aadressée la LFDA en 2012.

Le second événement est la publicationpar le ministère de l'Agriculture d'une« Stratégie de la France pour le bien-êtredes animaux 2015-2020 » qui se veutambitieuse. Le ministère affirme que lebien-être animal constitue un enjeu desociété. Il souligne que « l'évolution desconnaissances scientifiques expliquenotamment pourquoi les citoyens deman-dent que la sensibilité de l'animal soitmieux prise en compte. Au-delà desaspects scientifiques ou émotionnels, laquestion du bien-être animal revêt par ail-leurs, une réelle dimension éthique » etnote qu’« il est apparu nécessaire que laFrance se dote pour les prochaines annéesd'une stratégie nationale ambitieuse, fac-teur d'avenir pour une agriculture plusdurable ».

Cette stratégie, déclinée en 5 axes, a étéélaborée « en co-construction avec les pro-

ducteurs, les scientifiques mais égalementles organisations de protection animale,réunis au sein du Comité national d'orienta-tion de la politique sanitaire animale etvégétale (CNOPSAV) ». Le Ministèreindique enfin que « les projets initiés dansle cadre de cette stratégie feront l'objet d'unsuivi par le CNOPSAV, instance de gouver-nance sanitaire compétente ». Faut-il rap-peler que la LFDA, en particulierJean-Claude Nouët, son vice-président,est un participant actif, exigeant et constantdu CNOPSAV.

L'affirmation d'une telle stratégie auraitété inconcevable il y a quelques années.Elle traduit les progrès accomplis par lacause animale. Bien sûr, cette stratégie,dont la LFDA analysera de façon détailléeles éléments dans sa revue, doit être préci-sée et renforcée sur certains points. Biensûr, il faudra suivre sa mise en œuvre avecvigilance et la LFDA s'y attachera.

Il reste que le bien-être animal trouve saplace au cœur de la politique agricole de laFrance et que cela témoigne de la perti-nence de notre engagement.

LS

2 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

Billet du président Louis Schweitzer

Colloque international : « Bien-être animal, de la science au droit »

La Fondation Droit animal, Éthique et Sciences organise un colloque international qui se tiendra les 10 et 11 décembre 2015

aux locaux de l’Unesco à Paris, sur le thème: « Bien-être animal, de la science au droit ».Une vingtaine d’intervenants du monde entier y seront conviés pour répondre à une série de questions, dont les suivantes :

Qu’est-ce que le bien-être animal? Quels en sont les indicateurs et les méthodes d’évaluation? Comment les législations et régle-mentations françaises, européennes et internationales prennent-elles en compte le bien-être animal? Quels sont les animauxconcernés et pourquoi? Quels facteurs socio-économiques et culturels entrent en considération dans l’établissement des stan-dards de bien-être animal et leur acceptation sociale? Quelles sont les priorités et les voies d’action pour une amélioration géné-rale de ces standards?

Outre son objectif d’information du public sur les connaissances les plus actuelles sur ce sujet, ce colloque et ses conclusions

appuieront les démarches que La Fondation Droit animal, Éthique et Sciences conduit afin de renforcer et de préciser la législation

et la réglementation visant à préserver le bien-être des animaux, tant auprès du gouvernement français que de la Commission

européenne.

Inscriptions – Important : Le colloque, comme les précédents événements organisés par la Fondation LFDA, sera ouvert gra-

tuitement au public. L’accès sera soumis à l’obligation d’une inscription préalable, et une vérification de l’identité sera effectuée à

l’entrée par les services de l’Unesco. Compte tenu du nombre réduit de places disponibles, une priorité sera donnée aux donateurs

de la Fondation Droit animal, Éthique et Sciences, aux juristes et aux scientifiques concernés par la vie animale (enseignants,

chercheurs, praticiens et étudiants), aux parlementaires et représentants d’instances ministérielles concernés par l’animal, ainsi

qu’aux représentants des professions en lien avec l’animal (éleveurs, pêcheurs, directeurs et soigneurs de parcs zoologiques et

aquariums, responsables d’animaleries, journalistes de la presse animalière, responsables d’ONG de protection animale et de

préservation de la faune sauvage).

Nous vous invitons donc à manifester votre intérêt pour ce colloque au plus tôt en envoyant un email (de préférence) à

[email protected] ou en appelant la Fondation au 01 47 07 98 99, en justifiant de votre appartenance aux caté-

gories mentionnées ci-dessus, afin de sécuriser votre enregistrement pour les 2 jours du colloque. Un bulletin d’inscription à com-

pléter vous sera communiqué à une date ultérieure pour confirmer votre inscription.

Les activités de la Fondation LFDA en 2015 seront marquées par deux événements majeurs : la remise du 10e Prix de biologie

Alfred Kastler, en octobre (voir informations section Sciences page 25 ) et le colloque « Bien-être animal, de la science au droit » endécembre.

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DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 3

DROIT ANIMAL

Rapport Antoine sur le régime juridique de l’animal : 10 ans déjà !

Une initiative gouvernementale

En 2004, le statut juridique de l’animaldevient pour la première fois une préoccu-pation juridique sérieuse pour le gouverne-ment français. Le 4 mars 2004, M. Raffarin,Premier ministre, organise une réunion ras-semblant différentes associations de pro-tection des animaux et de l’environnementafin de mener une réflexion globale surl’animal. Suite à cette réunion,Mme Suzanne Antoine, présidente dechambre honoraire à la cour d’appel deParis, est chargée par M. Perben, gardedes Sceaux, de rédiger un rapport sur lestatut juridique de l’animal en droit civil (ci-après « le Rapport »). Soucieux de mettreen place un régime juridique plus cohérent,le gouvernement envisage de réformer lecode civil en se fondant sur le travail deMme Antoine. Le 10 mai 2005, celle-cidépose à la Chancellerie un rapport de 50pages comprenant une étude exhaustivedu droit applicable à l’animal et deux propo-sitions alternatives permettant de rénoverson statut juridique. La réforme envisagée,contrariée par un remaniement ministériel,ne verra malheureusement pas le jour.Mais si l’absence d’évolution textuelleconsécutive à la remise du rapport est àdéplorer, celui-ci reste un document majeurdont le contenu mérite d’être salué par lespolitiques et les juristes français à plusieurstitres.

Tout d’abord, il s’agit, en 2005, avec lathèse de M. Marguénaud (1), du premierdocument juridique permettant aux per-sonnes intéressées par la protection del’animal d’acquérir une connaissancesérieuse et globale des textes relatifs audroit animal. L’expertise de Mme Antoine,magistrate, présente un double avantage :au-delà d’un travail juridique de grandequalité, qu’il peut paraître superflu de rap-peler, son expérience en tant que juge lui apermis d’anticiper les lacunes textuelles, etdonne au rapport une approche à la foisthéorique et pragmatique.

Ensuite, le texte est équilibré. Il proposeune réforme permettant de distinguer l’ani-mal être sensible du « bien » inanimé, touten respectant les besoins des acteurs del’économie française qui utilisent l’animal àdes fins commerciales. Loin d’accabler lesacteurs des domaines agricoles et scienti-fiques ou de limiter le principe d’appropria-tion de l’animal, ce rapport prend enconsidération le « rôle économique [quel’animal] joue sur le plan commercial » (2)et propose au garde des Sceaux un textede compromis à même d’être transposédans l’ordre juridique français.

Enfin, la compilation des textes, l’analysede droit comparé ainsi que les propositionsfaites par Mme Antoine ont été, dix ans

après la remise du Rapport au garde desSceaux, un outil de travail d’une trèsgrande valeur pour les auteurs desrécentes réformes et tentatives de réformedu statut de l’animal.

Les deux propositions de réformedu régime juridique de l’animal

Avant de présenter un bilan des évolu-tions textuelles qui ont eu lieu en France età l’étranger depuis la remise du Rapport, ilest essentiel de rappeler les deux proposi-tions de réforme du code civil faites parMme Antoine, administratrice de la LFDA.Celles-ci sont fondées sur les textes euro-péens et nationaux existant à l’époque dela rédaction du Rapport et ne remettent nul-lement en cause la possibilité d’appropria-tion de l’animal (3).

La première proposition envisage d’ex-traire totalement les animaux de la catégo-rie des biens en créant un Livre II communaux biens et aux animaux. Au sein de ceLivre, un titre aurait été dédié aux disposi-tions relatives aux animaux alors que l’au-tre aurait eu trait aux biens inanimés. Cettemodification, bien qu’ambitieuse, n’auraitpas eu pour conséquence l’attribution de lapersonnalité juridique aux animaux (4)(c'est-à-dire leur attribuer, comme auxêtres humains et aux sociétés, des droits etdes obligations), l’auteur du rapport n’étantpas favorable à cette technique juridique(5).

La seconde proposition, moins auda-cieuse, consiste en la création d’une troi-sième catégorie de biens aux côtés desbiens dits « meubles » et « immeubles ».Les animaux auraient alors fait partie de lacatégorie des « biens protégés ». À l’instarde la première proposition, les règles rela-tives à l’appropriation des animaux seraientrestées soumises aux dispositions du codecivil et du code rural. Cette solution, pré-sentait l’avantage de ne pas remettre encause la structure du code civil à laquelleles juristes restent attachés, tout en per-mettant une distinction symbolique entreles biens inanimés et les animaux êtressensibles (6).

Les réformes françaises du statutjuridique de l’animal

Bien que le Rapport n’ait pas immédiate-ment été suivi d’une réforme d’initiativegouvernementale, comme il en avait étéinitialement question, celui-ci a servi debase aux projets de réforme d’origine par-lementaire issus d’une collaboration entredes associations de protection animale etdes parlementaires sensibles à cettecause.

En 2013, le sénateur Povinelli, épaulépar la Fondation LFDA, a déposé une pro-

position de loi reprenant le Rapport etdéplorant qu’aucune suite n’ait été donnéeà celui-ci. Le sénateur a choisi de repren-dre la proposition la plus audacieuse durapport consistant à faire sortir l’animal dutitre consacré aux biens (7). La propositionde loi prévoyait une définition de « l’animalêtre sensible », qui fait toujours défautaujourd’hui, et mentionnait la nécessité deplacer les animaux « dans des conditionsconformes aux impératifs biologiques deleur espèce » conformément aux disposi-tions du code rural. Malheureusement,pour des questions d’opportunité politique,la proposition de loi n’est pas allée auterme du processus législatif (elle n’a, àvrai dire, même pas été mise à l’ordre dujour…).

En 2014, Mmes les députés Gaillard etAbeille déposent une proposition de loi« visant à établir la cohérence des textesen accordant un statut juridique particulierà l’animal » (8). Comme Mme Antoine, lesauteurs de la proposition de loi refusent« l’idée de faire des animaux des sujets dedroit » et souhaitent une mise en cohé-rence du code rural et du code civil afin quel’animal y soit reconnu comme être sensi-ble. Les articles de la proposition créent, àl’instar de la seconde proposition duRapport, un titre à part au sein de la caté-gorie des biens réservé aux animaux etprécisent que ceux-ci « doivent bénéficierde conditions conformes aux impératifsbiologiques de leur espèce et assurant leurbien-être/bien-traitance » (9). Cette propo-sition de loi n’a, encore une fois, pas étédébattue par les parlementaires.

En 2015, un projet de réforme reprenantla proposition de Mme Antoine faisant del’animal un « bien protégé, sans personna-lité juridique » (10) et prenant en compteles critères de « vie et de la sensibilité » enlieu et place du critère de mobilité a abouti.Cette modification du code civil initiée parle député Jean Glavany, ancien ministre del’Agriculture, a pris la forme d’un amende-ment lors des débats parlementaires sur laloi dite de « modernisation et de simplifica-tion du droit » (11). La loi, telle qu’amendéepar M. Glavany, a été adoptée par les par-lementaires et validée par le Conseilconstitutionnel en début d’année. Le faitqu’une pétition de l’association 30 Millionsd’amis demandant le changement de statutjuridique de l’animal soit signée par plu-sieurs centaines de milliers de Français afortement contribué à créer d’un climat poli-tique propice à une telle réforme. Depuisl’entrée en vigueur de la loi n° 2015-177, unnouvel article 515-14 du code civil disposeque « Les animaux sont des êtres vivantsdoués de sensibilité. Sous réserve des loisqui les protègent, les animaux sont soumisau régime des biens ». Si la réforme de u

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DROIT ANIMAL

4 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

Rapport Antoine sur le régime juridique de l’animal : 10 ans déjà ! (suite)

2015 reprend, dans les mêmes termes,une partie de la deuxième proposition deMme Antoine, deux distinctions sont pré-sentes :

En premier lieu, la réforme issue de la loin° 2015-177 ne crée pas de « chapitre spé-cial “des animaux” au sein du Titre premier“de la distinction des biens” » (12). L’article515-14 se situe cependant en amont desdispositions relatives aux biens, lui attri-buant ainsi une place particulière (pour nepas dire bancale) au sein du Titre relatif auxbiens. À ce sujet, il faut reconnaître que lacréation d’un chapitre intitulé « Des ani-maux », tel que proposé par le Rapport,aurait été plus appropriée. Par ailleurs, letexte de l’article 515-14, contrairement à laproposition du Rapport et des deux propo-sitions de loi précitées, ne reprend pas lestermes de l’article L214-1 du code ruralselon lesquels « en toutes circonstances,[les animaux] doivent bénéficier de condi-tions conformes aux impératifs biologiquesde leur espèce ». Cette lacune est regretta-ble, puisque l’un des buts avoués del’amendement dit « Glavany » était d’har-moniser les articles du code rural et ducode civil (voir article p 7 : « Le code civilmet l’animal à un régime trop sec »). Enfin,le Rapport présentait l’avantage de définirclairement la nature juridique de l’animal enprécisant que « les biens comportent d’unepart les animaux, qui sont des biens proté-gés en leur qualité d’êtres vivants et sensi-bles, d’autre part les immeubles et lesmeubles » (13), une clarté qui fait défautdans la récente modification du code civil.

Si la présente réforme reste lacunairesous certains aspects, il faut néanmoinsféliciter les associations et les parlemen-taires pour leur courage politique et leurtravail qui ont rendu possible cette avancéehautement symbolique.

L’attribution de la personnalitéjuridique à l’animal en droitcomparé

L’attribution de la personnalité juridique àl’animal est une technique juridique aussiaudacieuse que controversée permettant,à l’instar de la première solution proposéepar Mme Antoine, de sortir l’animal de lacatégorie des biens : il s’agit d’octroyer àl’animal un statut de personne (nonhumaine), afin que celui-ci puisse fairevaloir ses droits en justice par l’intermé-diaire d’un représentant, une fiction juri-dique qui est déjà utilisée en droit françaispour les sociétés. Cette solution n’a pas étéretenue par Mme Antoine qui considèreque malgré la démonstration d’une proxi-mité génétique de certains primates avecl’homme, la personnalisation de l’animalest « fortement teintée d’anthropomor-

phisme » (14) et superflue puisque l’animalpeut être efficacement protégé par d’autresbiais. Dans le Rapport, à l’occasion d’unexposé des différentes thèses doctrinalesexistantes, Mme Antoine évoque toutefoiscette technique juridique et estime à justetitre que « le débat sur la personnalisationest loin d’être clos » (15).

En France, aucune nouveauté n’est àprévoir sur ce plan, la mention de l’animalêtre vivant doué de sensibilité dans le codecivil ayant déjà engendré la colère des lob-bies agricoles et de la chasse, ire dont lessénateurs se sont fait le relais lors desrécents débats parlementaires. Enrevanche, sur le plan du droit comparé, ladécennie qui a suivi la remise du Rapport avu fleurir des décisions jurisprudentielles etgouvernementales intéressantes qui irri-gueront peut-être dans les années à venirle droit français :

En Inde, la réforme des dispositions rela-tives à la détention de dauphins dans desparcs aquatiques a pris la forme d’une cir-culaire (16), c’est-à-dire d’un documentémanant du gouvernement. Celui-ci neprescrit pas une modification du statut juri-dique de ces mammifères marins, contrai-rement à ce qui a souvent été affirmé parles médias, mais demande aux États fédé-rés de refuser l’ouverture de parcs aqua-tiques utilisant des dauphins. Si le statutjuridique de ces cétacés demeureinchangé, cette circulaire qui amélioreconsidérablement leur sort doit être saluéeet imitée. L’argumentaire utilisé par le gou-vernement est particulièrement intéressantpuisqu’il est révélateur d’un contexte poli-tique favorable à l’attribution d’un statutjuridique de « personne non humaine » àcertains animaux. Le ministère del’Environnement reprend les propos descientifiques qui ont mené des expériencessur le comportement du dauphin. Commel’explique la circulaire, ces expériencesayant démontré que les dauphins sontdotés d’une intelligence remarquable, lesscientifiques estiment que « ces animauxdevraient être vus comme des “personnesnon humaines” et devraient en consé-quence bénéficier de droits propres » (17).Dans un contexte politique aussi favorableau bien-être animal et au changement destatut juridique, en Inde, une décision juris-prudentielle ou un texte législatif pourrait àl’avenir attribuer aux dauphins ou auxgrands singes la personnalité juridique.

Aux États-Unis, les membres duNonhuman Rights Project (NHRP) se sontdonnés pour mission d’obtenir une modifi-cation du statut de certains animaux dansles pays régis par la common law (principa-lement le statut des grands singes, desdauphins et des éléphants). Ils souhaitentque ces animaux ne soient plus considérés

comme des biens, mais comme des « per-sonnes » détentrices de droits fondamen-taux. Afin de parvenir à ce résultat, ilsintentent des actions en justice afin deréformer le droit par le biais de nouvellesdécisions jurisprudentielles, comme lenécessite le système de common law. Lespremières actions, qui datent de 2013,concernent la détention de quatre chim-panzés et suivent leur cours en attendantde remonter, espérons-le, devant la Coursuprême. Toutefois, le NHRP se heurterégulièrement à l’argument juridique selonlequel ces animaux sont incapables d’as-sumer des droits et des obligations et nepeuvent en conséquence être considéréscomme des sujets de droit.

En Argentine, l’action en justice d’uneassociation de protection animale visant àattribuer la personnalité juridique à unorang-outang a récemment abouti. Cetteaction était fondée sur l’habeas corpus, unprincipe de common law qui énonce laliberté fondamentale de ne pas être empri-sonné sans jugement (18). Le 18 décem-bre 2014, la cour d’appel pénale fédéralede Buenos Aires a décidé qu’« en se fon-dant sur une interprétation dynamique, etnon statique, de la loi, il est nécessaire dereconnaître l’animal comme sujet de droit,car les êtres non-humains (animaux) béné-ficient de droits » (19). Si cette décision neprécise pas les modalités de l’exercice desdroits de l’animal, l’attribution du statut desujet de droit est sans équivoque. Cetteinnovation juridique est le fait del’Asociacion de Functionarios y Abogadospor los derechos de los Animales, dont l’ac-tion est similaire à celle du NonhumanRights Project aux États-Unis, et des jugesargentins qui ont fait preuve d’une grandeouverture d’esprit.

Les lacunes textuelles quidemeurent

Alors que la dernière décennie a vu naî-tre des réformes au symbolisme fort enFrance et aux grandes conséquences pra-tiques en Argentine, de nombreuseslacunes demeurent. Les insuffisances lesplus importantes concernent en premierlieu les définitions des termes « être sensi-ble » et « bien-être animal ». Le flousémantique qui entoure ces notions faitobstacle à la normativité des textes qui pro-tègent l’animal. En outre, une réforme destextes applicables aux animaux sauvagesest nécessaire. Comme souligné parMme Antoine, seuls « les animaux domes-tiques et assimilés font l’objet d’une protec-tion sur le plan individuel […]. Les animauxsauvages ne bénéficient d’aucun texte de“protection”, mais de textes assurant la“préservation des espèces” » (20). u

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DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 5

DROIT ANIMAL

Aujourd’hui, grâce au travail fondateur deMme Antoine et à l’œuvre des associationsde protection animale, seuls les représen-tants des lobbies les plus puissants, sen-tant le vent tourner en leur défaveurcontinuent de répéter, tel un mantra, que lefait d’assurer des « conditions conformesaux impératifs biologiques de leur espèce »apparaît « abusif et dangereux » (21). Siles réformes en faveur du bien-être animalparaissent souvent insuffisantes, il ne fautpas sous-estimer l’impact de leur caractèresymbolique : lorsqu’un symbole est affirmédans un texte tel que le code civil, il s’agitde l’affirmation d’un principe. Pour repren-dre les mots de Mme Antoine, ces réformessont « le reflet d’un changement de menta-lité montrant que l’on est enfin sortides théories cartésiennes de l’animal-machine » (22).

KM

(1) Marguénaud JP. (1992). L’animal en droit privé,Presses universitaires de France.(2) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridique del’animal, La Documentation Française, p. 29.(3) Id., p. 45.(4) Id., p. 45.(5) Antoine S. (2007). Le Droit de l’animal, Legis France1re édition, p. 57.(6) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridique del’animal, La Documentation Française, p. 57.(7) Proposition de loi n° 42 de M. R. Povinelli reconnais-sant à l’animal le caractère d’être vivant et sensibledans le code civil.(8) Proposition de loi n° 1903 de Mmes Gaillard etAbeille visant à établir la cohérence des textes enaccordant un statut juridique particulier à l’animal.(9) Id.(10) Antoine S (2005). Rapport sur le régime juridiquede l’animal, La Documentation Française, p. 29.(11) Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à lamodernisation et à la simplification du droit et des pro-cédures dans les domaines de la justice et des affairesintérieures.(12) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridiquede l’animal, La Documentation Française, p. 30.(13) Id., p. 47.(14) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridiquede l’animal, La Documentation Française, p. 57.(15) Id., p. 11.(16) Circular F. No. 20-1/2010-CZA(M), may 17 2013,policy on establishment of dolphinariums – regarding: (17) Id., “Whereas cetaceans in general are highly intel-ligent and sensitive, and various scientists who haveresearched dolphin behaviour have suggested that theunusually high intelligence; as compared to other ani-mals means that dolphin should be seen as “non-human persons” and as such should have their ownspecific rights.”(18) À ce sujet, voir l’article suivant : GeorgesChapouthier, « Homme/ animal : quelle frontière juri-dique ? », Revue trimestrielle de la LFDA n° 84, p. 3.(19) Camara Federal de Casacion Penal, registro n°2603/14, 18 de diciembre de 2014 : « Que, a partir deuna interpretacion dinamica y no estatica, menester esreconocerle al animal el caracter de sujeto de derechos,pues los sujetos non humanos (animales) son titularesde derechos. »(20) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridiquede l’animal, La Documentation Française, p. 23.(21) Pronaturafrance.free.fr(22) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridiquede l’animal, La Documentation Française, p. 25.

Rapport Antoine (suite) Corridas : les racines du mal

La corrida (1) est l’objet d’une tolérancerésultant d’une « exclusion de responsabi-lité pénale » au bénéfice des auteurs demauvais traitements (article R654-1 ducode pénal) et d’actes de cruauté et desévices graves (article 521-1 du codepénal), à la condition que ces délits soientexercés lors de « courses de taureauxlorsqu’une tradition ininterrompue peut êtreinvoquée ». Ce privilège (légal, mais illégi-time) a été introduit par la loi du 24 avril1951, qui a « complété » (c’est le terme uti-lisé, mais « amputé » serait le termeexact !) l’article unique et alors toujours envigueur de la loi du 2 juillet 1850 (dite loiGrammont) qui punissait « ceux qui aurontexercé publiquement et abusivement demauvais traitements envers les animauxdomestiques ». Que s’est-il donc passédurant un siècle, pendant lequel les « per-sonnels » infligeant des mauvais traite-ments à des taureaux dans les arènes

tombaient théoriquement sous le coup dela loi, et pourquoi ce revirement?

Repartons au lendemain de la loiGrammont, qui concernait les animauxdomestiques en général. À l’époque,quelques corridas étaient organisées ici etlà dans le Sud-Ouest français. C’est le21 août 1853 que s’est déroulée à Saint-Esprit-lès-Bayonne la première corridaespagnole officielle en présence de l’empe-reur Napoléon III et à la demanded’Eugénie de Montijo, son épouse depuisjanvier. Ensuite, progressivement, les corri-das avaient gagné Nîmes, Arles, Bordeaux,Dax, Céret, Toulouse, Béziers, Mont-de-Marsan, Beaucaire, Montpellier etMarseille. Elles avaient soulevé les plusvives protestations tant parmi les popula-tions locales que dans la France entière,venant de grandes et célèbres personnali-tés, au point qu’en 1884 Pierre Waldeck-Rousseau, ministre de l’Intérieur, donnades instructions pour que la loi de 1850 soit u

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DROIT ANIMAL

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appliquée aux corridas. Elle l’a été plus oumoins, les autorités locales ne faisantaucun effort pour qu’elle soit respectée,bien au contraire. Quelques affaires judi-ciaires ayant abouti à la relaxe de per-sonnes ayant participé à des corridas, leministère public a saisi la Cour de cassa-tion sur deux d’entre elles. La Cour a renduses arrêts le 16 février 1895. Nous avonsrecherché et consulté le Bulletin des arrêtsde la Cour de cassation rendus en matièrecriminelle (2) ; c’est là une référence histo-rique et juridique peu connue, et la lectureen est extrêmement intéressante et instruc-tive. Ce jour-là, la Cour de cassation acassé et annulé le jugement de relaxe pro-noncé le 6 octobre 1894 par le tribunal desimple police de Bayonne, et le jugementdu 29 octobre 1984 par le tribunal de sim-ple police de Nîmes, au bénéfice de onzepersonnes à Bayonne (dix matadors et l’or-ganisateur) et de sept personnes à Nîmes(six matadors et l’organisateur) (3). Danschacune des deux affaires, la Cour aexprimé clairement et en détail les motifsde ses décisions :

« - Attendu que les arènes sont sanscontestation possible un lieu public,puisqu’elles sont accessibles à qui-conque veut bien y payer sa place ;« - Attendu que les mauvais traitementsexercés envers les taureaux espagnolset les chevaux (4), n’étant justifiés paraucune nécessité, constituent par celamême l’abus que la loi a voulu réprimer ;« - Attendu que ces taureaux espagnolsqui vivent sous la surveillance del’homme, sont élevés, sont nourris et sereproduisent par ses soins, rentrentparmi les animaux domestiques que la loidu 2 juillet 1850 a voulu protéger ;« - Attendu que le sieur […] directeur descourses de taureaux de Nîmes, a donnédans les arènes de cette ville une courseoù six taureaux espagnols ont été mis àmort à l’aide d’une épée ;« - Attendu que […] peu importe que lesaffiches apposées pour appeler le publicn’aient point annoncé la mise à mort,qu’en effet la contravention existeraitindépendamment même de toute affiche.

Dans les deux cas, la Cour a renvoyé« l’affaire et les parties devant le tribunalde simple police de Limoges, à ce dési-gné par délibération spéciale en cham-bre du conseil ».

Réveillés par l’arrêt de la Cour de cassa-tion (que nos politiques contemporains

devraient se donner la peine de relire), lespouvoirs publics ont décidé d’appliquer laloi et de sévir. Le Supplément illustré duPetit Journal du 15 septembre 1895 rap-porte que le torero Mazzantini a été recon-duit à la frontière par les gendarmes, enapplication de l’« Interdiction des coursesde taureaux dans le Midi ». Le dessin encouleurs figurant en couverture du PetitJournal est bien connu. On y voit le toreroet ses acolytes, le commissaire de policesanglé de l’écharpe tricolore, qui leur mon-tre la sortie, et les pandores. L’article, enpage 295 du journal, est savoureux. Aprèsson expulsion, décidée par le préfet surordre de son ministre, Mazzantini estreparti en Espagne, où il « a, de longuesheures, attendu des excuses, auprès d’untrain spécial qui chauffait pour le rameneren France. […] Mais rien n’est venu, et,pensif, il est parti, plongeant plus profondé-ment dans son pays. » L’auteur de l’articleavoue son dégoût pour la corrida, maisadmet que certains puissent y assister,affirmant que dès lors « que des hommes,des femmes même, vont par plaisir à lachasse tuer des animaux inoffensifs qu’ilsne mangent seulement pas, [il] ne voit pasce qu’il y a d’excessif à tuer des taureauxqui, eux, se défendent ». Ajoutant : « Maisvoilà, il y a la loi, cette coquine de loi quiinterdit ce genre de distraction, et dame !quand on est le gouvernement, il faut bienla faire respecter si l’on veut être respectésoi-même » faute d’avoir affaire aux gen-darmes, « et quand on entre en relationavec eux, on ne sait pas toujours jusqu’oùcela peut vous mener. »

Le scandale a été grand en Espagne, carLuigi Mazzantini (d’origine italienne), y étaitun torero dandy, reçu dans le Tout-Madrid.Disposant d’une confortable fortune, ilvivait sur un grand pied, allait à l’opéra enhabit et savait soigner sa popularité.

Cet acte éclatant n’a été suivi d’aucuneautre manifestation d’autorité dont il restedes traces. À partir de la fin du xIxe, plu-sieurs villes du Sud de la France conduitespar des élus aficionados vont organiser entoute illégalité des corridas pendant plusd'un demi-siècle, alors que leurs édilesétaient garants officiels et obligés du res-pect de la loi. Un arrêt du 13 juin 1932 estbien venu confirmer celui de 1895, mais iln'est pas suivi d'effet. La pression des ama-teurs de corrida de muerte s’est mêmeconsidérablement accrue avec l’arrivéedes immigrés espagnols fuyant le nouveau

régime. La loi du 24 avril 1951 a été votéesans difficulté. Alors que le jugement de laCour de cassation du 16 février 1895 avaitfait entrer le taureau de corrida dans lechamp d’application de la loi Grammont de1850, la loi de 1951 l’en a fait implicitementsortir. En un siècle, quel honteux repliéthique ! Le recul s’est hélas poursuivi avecle dévoiement des termes « traditionlocale » interprétés par la Cour de cassa-tion dans son arrêt du 27 mai 1972 commeconcernant un ensemble démographique,une décision arbitraire qui introduit unecontradiction au sein même des articles ducode pénal. En effet, l’expression « tradi-tion locale » utilisée également au sujet descombats de coqs est dans ce cas liée à unecommune, alors qu’elle se trouve liée à unerégion pour la corrida… Le recul éthiquesera confirmé par d’autres décisions, soitd’une cour d’appel soit de la Cour de cas-sation, pour finir dans la laideur extrême dela décision du ministre de la CultureFrédéric Mitterrand d’inscrire la corrida aupatrimoine culturel de la France, enavril 2011. Nos élites politiques et juri-diques seraient bien inspirés de se référeraux motivations morales de leurs anciens,et non de se laisser dicter leurs décisionspar des penchants personnels, ou des inté-rêts privés, souvent électoralistes. Toléreret même valoriser la corrida de muerteillustre la distorsion entre la majorité de nosconcitoyens qui la rejettent, et les élus cen-sés les représenter et qui pourtant l’accep-tent et même la promeuvent. C’estd’ailleurs exactement la même chose pourla chasse.

JCN

(1) L’ouvrage de référence le plus simple et le plus com-plet sur la corrida est le n° 368 de la collection Que sais-je La Corrida, É. Baratay, É. Hardouin-Fugier, PUF,1995.(2) www.conseil-constitutionnel.fr/conseilconstitution-nel/root/bank/download/2012271QPCdoc.pdf(3) José Delcampo dit Cara Ancha, José Carillé, ManuelMoreno, Joseph Trigo, Rafael Guerra dit Guerrita,Francisco Bonal, José Moyano, Miguel Salguero, JoséLopez, Moreni Marilla et Bernard Iribarnegaray pourBayonne. Fernando Gomez, Francisco Bonal, JoaquimNavarro, José Rodriguez, Gonzalez, Francisco etMiquel Baëz, et Arthur Fayot pour Nîmes.(4) À l’époque, les chevaux n’étaient pas protégés parun caparaçon matelassé qui, en principe, leur évited’être éventrés par un coup de corne. Ils étaient trèssouvent grièvement blessés, tripes sorties et pendantdu ventre parfois recousu à la hâte, pour être achevésune fois sortis de l’arène. En 1928, Miguel Primo deRivera impose le caparaçon « pour éviter ces horriblesspectacles qui répugnent tellement aux étrangers etaux touristes ».

Liste des textes réglementaires relatifs aux animauxLe supplément droit listant les textes réglementaires relatifs aux animaux est disponible sur le site internet de la LFDA :

www.fondation-droit-animal.org

Corridas : les racines du mal (suite)

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DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 7

DROIT ANIMAL

Le code civil met l’animal à un régime trop sec

L’animal, un être doué de sensibi-lité pour le code civil

Le 28 janvier, l’Assemblée nationale adéfinitivement adopté le projet de loi sur lamodernisation et la simplification du droit,incluant l’amendement concernant lerégime juridique de l’animal. Le 12 février,le Conseil constitutionnel a jugé la loiconforme à la Constitution (il avait été saisipar 111 députés et sénateurs contestantque le gouvernement ait recours à uneordonnance pour légiférer). La loi a étésignée le 16 février, et publiée au JO le 17sous la référence NOR JUSx1326670L.Son entrée en vigueur est immédiate. Lecode civil mentionne désormais que « lesanimaux sont des êtres vivants doués desensibilité. Sous réserve des lois qui lesprotègent, les animaux sont soumis aurégime des biens » (Voir article KatherineMercier p. 3).

Le code civil mentionne donc désormaisl’animal conformément à sa nature, et passeulement selon l’usage que l’homme enfait en tant que vendable, achetable, loua-ble, commercialisable. C’est incontestable-ment un pas en avant, du moins sur le planéthique et psychologique. Mais cela n’aaucune conséquence pratique ni sur leplan réglementaire, ni sur le plan pénal.Cela n’impose en rien de modifier lesconditions actuelles d’utilisation des ani-maux, notamment dans le domaine del’élevage industriel : c’est d’ailleurs pour-quoi la FNSEA avait donné son accordpréalable au dépôt de l’amendement parM. Glavany et aux votes des députés !

Nous ne manquerons pas de soulignerencore une fois et avec force que l’amen-dement Glavany est d’une part extrait despropositions faites par Mme SuzanneAntoine dans son « Rapport sur le régimejuridique de l’animal », rapport dont l’avaitchargée M. Dominique Perben, garde desSceaux, et qu’elle lui avait remis le 10 mai2005, et d’autre part qu’il est inspiré de laproposition du Comité Capitant : deuxsources qu’il aurait été honnête, élégant etjuste de citer. Tout était prêt en mai 2005pour qu’un régime juridique nouveau soitinscrit dans le code civil : ce qui aurait été,si un mois plus tard, en juin, à l’occasiond’un remaniement ministériel, M. Perbenn’avait été remplacé au ministère de laJustice par M. Pascal Clément, beaucoupplus soucieux d’emplir sa gibecière à lachasse que de se préoccuper de la sensi-bilité de l’animal. La modification du codecivil a attendu neuf années supplémen-taires.

Depuis qu’il avait été adopté pour la pre-mière fois par les députés le 15 avril 2014,« l’amendement Glavany » a suscité d’in-

nombrables commentaires, souvent exer-cices de pure communication ou élans devalorisation du paraître, répétant en boucledes erreurs et des confusions autantjuridiques que grammaticales, qui témoi-gnaient généralement de la méconnais-sance du sujet par leurs auteurs.Cependant, parmi les plumitifs et autrescommentateurs, l’un a résumé l’affaire enconsidérant assez justement qu’il nes’agissait là que d’une mise en cohérencedes codes, par l’introduction d’une disposi-tion du code rural dans le code civil.L’observation est lapidaire ; mais est-ellepleinement justifiée? Voyons de plus prèsce qu’il en est.

Que dit le code rural? Et depuis quand?La loi n° 76-629, promulguée le 10 juillet1976, concerne la protection de la nature.Lors de l’examen du projet de loi initial, lacommission parlementaire présidée par M.Roland Nungesser, rapporteur du projet,avait ajouté un chapitre « De la protectionde l'animal ». Ce chapitre est issu d'uneproposition de loi déposée en 1971 parMme Jacqueline Thome-Patenôtre, dépu-tée radical de gauche des Yvelines et mairede Rambouillet, mais qui n’avait jamais étéinscrite à l'ordre du jour (comme beaucoupde propositions de loi sous la CinquièmeRépublique…). L’occasion s’est alorsofferte de l’insérer dans le projet de loi, ceque M. Roland Nungesser a justifié : « Pourdes raisons d'efficacité et de calendrier,votre commission a considéré qu'il étaitopportun d'adopter ici même, plutôt quedans un texte particulier dont la mise à l'or-dre du jour a été trop longtemps différée,les dispositions [d’une] proposition de loi siattendue de Mme Thome-Patenôtre »(cette proposition était essentiellementaxée sur l’animal de compagnie). La com-mission des Affaires culturelles du Sénat arejeté cet ajout, mais il est finalement réta-bli par l’Assemblée nationale, dont la com-mission a demandé que soit placé en têtede ce chapitre supplémentaire « un articlepréfigurant ce qui pourrait donner nais-sance à un véritable droit de l'animal, l'affir-mation de son caractère d'être sensible ».Nous soulignons ce passage extrait desdiscussions parlementaires, historique-ment très important, car il s’agit de la pre-mière manifestation, et pour ainsi dire del’acte de naissance, du « droit animal ». Laformule « Tout animal étant un être sensi-ble doit être placé par son propriétaire dansdes conditions compatibles avec les impé-ratifs biologiques de son espèce » est alorsretenue : elle constitue l’article 9 de la loi du10 juillet 1976. Ultérieurement, cet articlede loi sera intégré au code rural, dont il estdevenu l’article L214-1 créé par l’ordon-nance 2000-914 du 18 septembre 2000.

Que disent les nouvelles dispositions ducode civil ? Le nouvel article 515-14 édicte :« Les animaux sont des êtres vivantsdoués de sensibilité. Sous réserve des loisqui les protègent, les animaux sont soumisau régime des biens. » Puisque les ani-maux se vendent, s’achètent et se louent, ilétait nécessaire que ces modifications dela propriété soient soumises à des règles :ces règles ne peuvent être que celles appli-cables aux biens. Le fait que la référenceau caractère particulier des animaux« doués de sensibilité » (article 515-14) soitplacée à la première ligne du Livre II, au-dessus du titre premier « De la distinctiondes biens » vise à faire accroire que l’ani-mal est sorti des « biens » : mais il en faittoujours partie, puisqu’il figure dans le Livredeuxième du code intitulé « Des biens etdes différentes modifications de la pro-priété »… La loi a trouvé un artifice gym-nastique pour que l’animal soit traitécomme un bien, tout en n’en étant pas un…

« Animal être sensible » dit un code,« animaux doués de sensibilité » dit l’autre,les propositions semblent équivalentes.Mais le sont-elles vraiment? Remarquonsque la disposition du code rural « Tout ani-mal étant un être sensible doit êtreplacé… » est individualiste, dans l’espritd’ailleurs de la « protection animale » dontelle est issue : sont visés un individu animalet son propriétaire. Notons de plus que larédaction use ici du participe présent« étant », une forme grammaticale surtoututilisée à l'écrit dans la presse, la corres-pondance et la langue administrative oucommerciale (p. ex. « Cherchons vendeurparlant l'anglais »). Ainsi utilisé, le participeprésent remplace la proposition relativeprécédée de « qui » (p. ex. « Cherchonsvendeur qui parle l’anglais »). Ces deuxformes grammaticales ont exactement lamême signification. Par conséquent la pro-position « Tout animal étant un être sensi-ble » peut être écrite, et doit être comprisecomme « Tout animal qui est un être sensi-ble », ce qui nécessairement sous-entendla possibilité, pour tel autre animal, de nepas être qualifié d’être sensible. Ainsi, ettrès probablement sans que ce fût inten-tionnel chez le législateur, le code rural dis-tingue implicitement un animal êtresensible et un animal qui ne l’est pas. Sesdispositions visant au respect des impéra-tifs biologiques spécifiques s’appliquentseulement à celui « étant être sensible », etne concernent pas celui qui n’est pas êtresensible. Cela ne serait pas si le texte étaitécrit « Tout animal , étant un être sensible ,doit être placé… ». Incluse ainsi entre deuxvirgules, la proposition relierait l’animal à laqualification d’être sensible ; elle signifieraitalors que l’état d’être sensible concernetout animal, quel qu’il soit, sans distinction u

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DROIT ANIMAL

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aucune, c’est-à-dire tous les animaux. Orce n’est pas ce qu’édicte le code rural,lequel, répétons-le, distingue et prend seulen compte l’animal qualifié d’être sensible.

Que dit le nouvel article 515-14 du codecivil ? « Les animaux sont des êtres vivantsdoués de sensibilité. » Les termes ontchangé : les animaux sont envisagés col-

lectivement, et collectivement ils sont affir-més doués de sensibilité, un état de faitgénéralisé sans restriction à l’ensembledes animaux concernés par les règles ducode civil applicables aux biens, ainsi tousdéclarés « doués de sensibilité ». Commel’on voit, les deux articles, celui du coderural et celui du code civil, sont fondamen-talement différents : le premier ne concerneque l’animal être sensible (et de ce fait éta-blit implicitement une catégorie d’animauxqui n’ont pas cette qualité), l’autre s’étend àdes animaux globalement présumés tous« doués de sensibilité ».

Être sensible ou être doué de sen-sibilité?

De plus, les expressions « être doué desensibilité » et « être sensible » ont-ellesstrictement la même signification? Cela estdiscutable. En effet, parmi les animaux queconcerne le Livre II du code civil « Desmodifications de la propriété », se trouventdes animaux dont la science ne peut,jusqu’à ce jour, estimer qu’ils peuvent oudoivent être considérés à l’égal des ani-maux d’élevage ou de compagnie quant àleur sensibilité : tels sont les moules et leshuîtres des parcs, les abeilles des ruchers,ou les escargots de l’héliciculture. Au résul-tat, l’article 515-14 qui déclare que tous« les animaux sont… doués de sensibilité »est en quelque sorte contredit par la naturemême de certains des animaux qu’ilconcerne. Le terme « sensibilité » ne peuten aucun cas être appliqué également auxanimaux quels qu’ils soient. Il est trop largeet trop imprécis. Chez les uns, il comportele ressenti de la douleur, de la souffrance ;chez d’autres, dépourvus de système ner-veux organisé, il ne ressortit qu’à la percep-tion d’un facteur nocif (nociception),physique (toucher) ou chimique (jus decitron), qui entraîne une réponse réflexe,sans conscience, en tout cas comparable àla nôtre. Les animaux concernés par lecode civil ne sont pas tous dotés du mêmetype neurophysiologique de sensibilité. Deplus, en étant généralisée ainsi aux « ani-maux », l’affirmation de leur sensibilitéconduit à évoquer une « présomption desensibilité ». À l’instar de la présomptiond’innocence, qui exige d’apporter la preuvede la culpabilité, une présomption de sensi-bilité imposerait de démontrer l’absence du

ressenti émotionnel de la douleur, de lasouffrance et du stress. Nous revendi-quons depuis plusieurs années l’instaura-tion de la présomption de sensibilité : ceserait là une avancée éthique considéra-ble ! Mais on en discerne les consé-quences, notamment dans le domaine dela recherche…

Au terme de cette analyse, nous devonsconclure que, contrairement à ce qui a étéavancé, les dispositions du code rural n’ontpas été injectées dans le code civil par lenouveau texte législatif. Et que contraire-ment à ce qui avait été espéré et à ce qui aété dit ou écrit, les deux codes n’ont pas étémis en cohérence ! Nous devons déduireque l’affirmation « Les animaux sont desêtres vivants sensibles » du code civil, etl’affirmation « Tout animal étant un êtresensible » du code rural doivent absolu-ment être amendées, complétées, par ladéfinition de ce qu’est la « sensibilité » del’animal, au nom de laquelle il doit bénéfi-cier de dispositions spéciales. De plus, ni lecode rural, qui réprime les atteintes quisont portées à l’animal « étant un être sen-sible », ni le code pénal qui réprime lesmauvais traitements et les sévices infligésà l’animal en prenant en compte implicite-ment sa capacité à en souffrir, ne mention-nent en quoi consiste cette sensibilité àlaquelle ils se réfèrent, explicitement ounon, pas plus qu’ils ne précisent ni ne défi-nissent quels animaux en sont dotés.

Il ne suffit pas d’avoir modifié le code civilpour en tirer une satisfaction symbolique,sans avancée ni conséquences concrètes.Le cœur du problème demeure. C’est lanécessité absolue d’apporter par la loi desprécisions et des dispositions établies surdes critères rigoureusement scientifiques,dont les points principaux sont les sui-vants :

• La définition et les composants de la« sensibilité » et de ce degré de « sensibi-lité » d’un animal qui oblige l’homme à por-ter une attention éthique spéciale à« l’animal être sensible » qui en est doté, età adopter une conduite lui épargnant dou-leur, souffrance et angoisse ;

• la désignation des animaux reconnusdotés de cette sensibilité* ;

• la définition de ce qu’est le « bien-être »de l’animal, un état auquel font référencenombre de textes réglementaires natio-naux et européens sans que le terme y soitnulle part explicité, alors que nécessaire-ment il se réfère au respect de cette « sen-sibilité ».

C’est dans cette voie que s’était engagéeLa Fondation LFDA depuis 2012, en élabo-rant une proposition de texte législatif, qui aété déposée au début de novembre 2013au Cabinet de la Présidence de laRépublique afin d’y être examinée. Ce

texte y a reçu une approbation de principe,y compris par le Président. Mais l’initiativeportée par M. Glavany, ancien ministre del’Agriculture, a privé notre Fondation de lasatisfaction d’arriver au résultat d’un travailentamé il y a 30 ans et conduit inlassable-ment depuis. Notre projet n’en reste pasmoins valable, sa nécessité est devenueencore plus évidente, et il sera réanimé dèsque les circonstances nous en donneront lapossibilité.

JCN

*L’article R214-87 du code rural, applicable à l’utilisa-tion des animaux vivants à des fins scientifiques, men-tionne « animaux vertébrés » (c’est-à-dire mammifères,oiseaux, reptiles, batraciens, poissons) ainsi que« céphalopodes ». Aucune autre mention n’est néces-saire, dans le cadre des connaissances scientifiquesactuelles sur les capacités d’animaux à éprouver ladouleur, la souffrance et l’angoisse.

Le code civil met l’animal à un régime trop sec (suite)

Article 2

de la loi n°2015 du 16 février 2015 relative àla modernisation et à la simplification du droitet des procédures dans les domaines de lajustice et des affaires intérieures - NORJUSx1326670L

Le code civil est ainsi modifié :1° Avant le titre 1er du livre II, il est inséré unarticle 515-14 ainsi rédigé :« Art. 515-14. – Les animaux sont des êtresvivants doués de sensibilité. Sous réservedes lois qui les protègent, les animaux sontsoumis au régime des biens. » ;2° L’article 522 est ainsi modifié :a) Au premier alinéa, le mot : « censés » estremplacé par les mots : « soumis au régimedes » ;b) Au second alinéa, après le mot : « sont »,sont insérés les mots : « soumis au régimedes » ;3° L’article 524 est ainsi modifié :a) Le premier alinéa est remplacé par deuxalinéas ainsi rédigés :« Les objets que le propriétaire d’un fonds y aplacés pour le service et l’exploitation de cefonds sont immeubles par destination.« Les animaux que le propriétaire d’un fondsy a placés aux mêmes fins sont soumis aurégime des immeubles par destination. » ;b) Les troisième, sixième, septième et neu-vième alinéas sont supprimés ;4° L’article 528 est ainsi rédigé :« Art. 528. – Sont meubles par leur nature lesbiens qui peuvent se transporter d’un lieu àun autre. » ;5° À l’article 533, le mot : « chevaux, » estsupprimé;6° À l’article 564, les mots : « ces objets » sontremplacés par les mots : « ces derniers » ;7° Au premier alinéa de l’article 2500, la réfé-rence : « 516 » est remplacée par la réfé-rence : « 515-14 » ;

8° À l’article 2501, la référence : « du neu-

vième alinéa » est supprimée et, après le

mot : « sont », sont insérés les mots : « soumisau régime des ».

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DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 9

DROIT ANIMAL

Des condamnations exemplaires

Pollutions et algues vertes

Le 30 mars 2013, le tribunal administratifde Rennes a annulé les décisions des pré-fets des Côtes-d'Armor, d'Ille-et-Vilaine, duMorbihan et du Finistère, qui avaient refuséd’accéder aux demandes des associationsEau et rivières de Bretagne, VivarmorNature, et Bretagne vivante de modifier desarrêtés préfectoraux trop laxistes dans lagestion du dossier des algues vertes.

Depuis 2009, le quatrième « programmed'action de lutte contre les nitrates » autori-sait les agriculteurs à épandre du lisier surles terres non ensemencées dès les mois defévrier/mars. Mais à cette période de l'an-née, les terres sont gorgées d'eau et lesnitrates ruissellent directement vers lesrivières, et au bout, la mer. Les quantités delisier épandu sont également trop élevées:210 kg/ha alors que la directive européennesur les nitrates autorise un maximum de170 kg/ha. Selon le tribunal, s’appuyant surles recommandations de l’autorité environ-nementale, les préfets avaient à modifier lesarrêtés afin de reculer la date d'épandagepour la culture de maïs au 31 mars, et lescompléter par « toute mesure de maîtrise dela fertilisation azotée et de gestionadaptée » aux terres agricoles en cause,dans « un délai de trois mois ». Deux moisplus tard, le ministère de l’Écologie faisaitappel de la décision du tribunal administratifde Rennes.

Le 22 mars 2014, la cour administratived’appel de Nantes a condamné l’État à ver-ser 122932 € à quatre communes desCôtes-d’Armor pour les indemniser des fraisde ramassage et du transport des alguesvertes en 2010.

Le 12 avril 2014, le tribunal administratifde Rennes a confirmé la responsabilité del’État dans le phénomène des algues vertes,et l’a condamné à verser plus de 7 millions €au Conseil général des Côtes-d’Armor, enremboursement des frais que celui-ci aengagé depuis les années 1970, en appor-tant son aide financière et logistique auxcommunes, dans l’incapacité de faire faceaux dépenses et au besoin de matériels. Letribunal a estimé que le retard de l'État dansla transposition en droit français des direc-

tives européennes sur la qualité de l'eau et« sa carence » dans l'application aux éle-vages de la réglementation sur les installa-tions classées constituent « une faute ». Lesjuges administratifs ont dénoncé « un liendirect et certain de cause à effet entre cescarences fautives de l'État et le dommageque constitue la pollution par les massesd'algues vertes » sur le littoral armoricain.

Le 26 décembre 2014, la cour administra-tive d’appel de Nantes a débouté le minis-tère de l’Écologie qui défendait la légitimitédes arrêtés du préfet des Côtes-d’Armor,annulés en mars 2013, et a rejeté les inter-ventions des organisations agricoles. Lacour a confirmé la condamnation de l’État àverser les 7 millions € au Conseil général,prononcée en avril, en confirmant les attri-butions, déjà réparties lors du jugementd’avril : 5143007 € au département pour leramassage et le traitement des algues,1516100 € pour les études menées pouranalyser le phénomène, et 387410 € pourles actions préventives. Les décisions sontparticulièrement bien argumentées, la courayant relevé toutes les carences des « pro-grammes d’action »: périodes d’épandageinadaptées, débordements des fosses àlisier, apports d’azote excessifs, etc.

Enfin, le 8 janvier, la cour administratived’appel de Nantes a débouté le ministère del’Écologie, qui avait fait appel de la décisionde mars 2013, laquelle annulait les arrêtéspréfectoraux des quatre départements bre-tons. Elle a également rejeté les interven-tions déposées par plusieurs organismessyndicaux, dont la Fédération régionale dessyndicats d’exploitants (FRSEA), membrede la FNSEA, qui contestaient également lemême jugement. La cour a condamné l’Étatà verser 1000 € à chacune des associationsenvironnementales ayant concouru à l’af-faire initiale de 2013.

La satisfaction est que la justice est pas-sée, en dépit des manœuvres autant del’État (préfectures et ministère de l’Écologie)que des syndicats agricoles. Pourquoi sesdécisions ont-elles été exemplaires? Parcequ’elles ont été particulièrement argumen-tées et justifiées. Mais la justice agit lente-ment : dans cette cascade de décisions

portant sur la même affaire, elle n’a pu quejuger en dénonçant les graves insuffisancesdu « 4e plan d’action » contre la pollution deseaux par les nitrates d’origine agricole. Maisun 5e plan a été lancé en mars 2014, et il n’apas intégré les prescriptions des jugesadministratifs. La justice a au moins un plande retard… Bien pis, et en méconnaissancedes procédures en cours, la réglementationa été « assouplie », comme l’on dit pudique-ment : depuis le 1er janvier 2014, les éle-vages de moins de 2000 porcs sontdispensés de toute enquête publique por-tant notamment sur les conséquences envi-ronnementales de l’exploitation, alors queprécédemment cette dispense ne concer-nait que les élevages de moins de 450porcs. Cela signifie que l’État continue àsoutenir et à aider la production animaleindustrielle en général, et les usines à fairedes cochons en particulier. Cela signifie queles dégâts environnementaux dus à l’éle-vage intensif, notamment des porcs, ne peu-vent que s’aggraver, et probablement defaçon considérable. Cela signifie enfin queles contribuables continueront de passer àla caisse. Et que, inévitablement, les autori-tés européennes vont un jour réagir vrai-ment, et envoyer la France en justice, avecà la clé, des amendes salées. Mais est-ceaux contribuables de payer pour l’incapacitéde l’État à faire respecter la réglementation,et de compenser par l’impôt l’absence dessanctions financières qui devraient frapperles porcheries industrielles?

Sources:www.letelegramme.fr/tag/algues-vertes ; m-e-i.fr/algues-vertes ; www.journaldelenvironnement.net ;nantes.cour-administrative-appel.fr ; lejournaldesentre-prises.com/tag/-algues-vertes :http://www.lemarin.fr/secteurs-activites/environnement ;www.ouest-france.fr/algues-vertes ;http://www.actu-environnement.com/ae/news/pollution-nitrates-juge-enjoint-prefets-bretagne-renforcer-pro-gramme-action-18218.php4

Pas touche aux hirondelles!

Année après année, les hirondelles sefont de plus en plus rares dans le ciel.Exclusivement insectivores en vol, leurseule nourriture s’est considérablementraréfiée : les insectes sont détruits par lesinsecticides, et sont chassés des prairiesfleuries, remplacées par des labours ; leshirondelles elles-mêmes peuvent être intoxi-quées par les pesticides. La destruction deshaies, les drainages participent aussi à ladiminution d'insectes. Les suppressions deroselières et marais empêchent les hiron-delles de se regrouper dans de bonnesconditions, avant la migration.

Les hirondelles ne peuvent plusconstruire leurs nids dans les étables et leshangars, remplacés par les bâtiments her-métiquement clos de l’élevage industriel.Les constructions modernes, en ville u

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DROIT ANIMAL

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comme à la campagne, n’offrent plus l’abrides avancées de toit des constructionsanciennes. Tout concourt à la diminutionimportante des effectifs quelle que soit l’es-pèce: hirondelle de cheminée (ou rustique),hirondelle de fenêtre, et hirondelle derivage.

Pourtant, les hirondelles sont protégéesdepuis la loi du 10 juillet 1976 portant sur laprotection de la nature et l’arrêté du 29 octo-bre 2009 (liste des oiseaux protégés surl’ensemble du territoire national). L’articleL411-1 du code de l’environnement interditen tout temps: « la destruction ou l’enlève-ment des œufs ou des nids, la mutilation, ladestruction, la capture ou l’enlèvement, laperturbation intentionnelle, la naturalisationd’animaux de ces espèces, qu’ils soientvivants ou morts, leur transport, leur colpor-tage, leur utilisation, leur détention, leurmise en vente, leur vente ou leur achat ». Selivrer à l’un de ces actes est s’exposer à uneamende de 15000 euros et/ou une peined’emprisonnement d’une durée maximale

de 1 an (art. L415-3 et suivants du code del’environnement).

En dépit de ces interdictions et desrisques, il arrive (plus fréquemment qu’on nele constate) que des nids soient détruits,généralement en raison des déjections ines-thétiques maculant les hauts de façade.Récemment, dans la petite commune deCroixanvec, proche de Pontivy (Morbihan),une « Madame Propre » a détruit cinq nidsd’hirondelle pour rendre plus présentableune vieille bâtisse qu’elle avait l’intention devendre. Un voisin attentif s’en est ému et ainformé l’Office national de la chasse et de lafaune sauvage. Plainte a été déposée par laLPO, qui s’est constituée partie civile.

L’affaire est passée devant le tribunal cor-rectionnel de Lorient le 12 février. Le repré-sentant de la LPO a rappelé le grave déclinde l’espèce; il s’est étonné que la prévenuepuisse ignorer cette situation, et méconnaî-tre que la loi protège l’oiseau, ses œufs etses nids. Bien que la loi prévoie de lourdespeines, le tribunal s’est limité à prononcerune condamnation de 500 € avec sursis,assortie de 250 € de dommages et intérêtsà verser à la LPO.

Considérons que cette affaire est elleaussi exemplaire, mais en négatif. La pré-servation des espèces est une obligation etune nécessité absolues. La loi en a prisconscience, et a prévu des peines dissua-sives. Mais la justice n’a pas encore comprisl’importance de veiller au maintien et à laprotection de la biodiversité. En dehors desaffaires majeures de pollution, elle traite lesaffaires courantes, telle celle-ci, commevénielles, voire négligeables ou même ridi-cules. Il en est d’ailleurs de même pour lesaffaires de mauvais traitements ou d’actesde cruauté, jamais soldées par les sanctionsméritées. Ici, il ne fallait certes pas se laisser

aller à une sévérité excessive, mais le tribu-nal aurait pu prendre en compte que les nidsont été détruits pour vendre un bâtiment àun meilleur prix ! Il aurait dû, au minimum, sedispenser du sursis, ne serait-ce que pourrendre la sentence plus dissuasive.

Récemment, une affaire similaire a étéréglée plus intelligemment. Une employéemunicipale de Néant-sur-Yvel (Morbihan) adétruit des nids (mais qu’auraient donc lesBretonnes contre les hirondelles !…) : lacommune, mise en cause, a choisi de répa-rer les dégâts en construisant une tour àhirondelles. Une initiative qui devrait êtreencouragée et généralisée.

Pour conclure, on notera que la préserva-tion des espèces par la loi interdit « la des-truction ou l’enlèvement des œufs ou desnids, la mutilation, la destruction, la captureou l’enlèvement, la perturbation intention-nelle, la naturalisation » des animaux: ellevise l’animal protégé lui-même, ses œufs,son nid, son comportement. Mais elle nevise pas ce qui conditionne en tout premierlieu la survie d’une espèce: la préservationde son biotope. On ne peut pas toucher aunid d’un « oiseau protégé », mais on peutraser des haies, des landes et des bois,assécher des marais et des ruisseaux. Onne peut pas perturber intentionnellementl’animal « protégé », mais on peut impuné-ment le priver de son territoire, de ses abriset de sa nourriture. Tout cela est entachéd’une grande hypocrisie…

JCN

Sources:Ouest-France du 13 02-15.www.lpo.fr/actualites/morbihan-5-nids-d-hirondelles-detruitswww.hirondelles.oiseaux.net/menaces.htmlfiles.biolovision.net/www.nosoiseaux.ch/pdffiles/infos/Hirondelle_rustique-7063.pdf

Des condamnations exemplaires (suite)

Les BREFs, Élevage intensif de porcs et volailles : de quoi s’agit-il ?

Les BREFs sont les documents de réfé-rence européens qui décrivent et validentune liste de Meilleures techniques disponi-bles (MTD) pour l’industrie, selon la direc-tive IED-IPPC (Integrated PollutionPrevention and Control). Les grandes uni-tés de production de porcs et volailles sontaussi concernées, les seuils étant > 750truies, ou > 2 000 porcs, ou > 40 000volailles. Le principal enjeu est l’émissiond’ammoniac.

Le BREF « Élevage intensif de porcs etvolailles » est en révision. C’est une procé-dure longue, complexe et très techniquepilotée par la Commission européenne(Bureau EIPPCB, à Séville), dont le résultatsera approuvé par les États membres fin2015.

Les MTD (au choix) seront obligatoires.Elles constituent un enjeu sensible pour lesprocédures d’autorisation et les réexamens(dans les 4 ans) des installations. Il fautfaire des progrès environnementaux, néan-moins la tendance est au « business asusual ».

Globalement, le BREF applique uneméthode issue de procédés industrielsphysico-chimiques à du vivant sensible,sans prendre la mesure de la dimensionéthique. D’ailleurs, les impacts en amont eten particulier celui de la production de l’ali-ment pour les animaux, ainsi que certainsimpacts en aval des fermes ne sont pasnon plus pris en compte. Il s’agit essentiel-lement d’une méthode pour donner le feuvert à de grands élevages industriels, dans

un contexte de compétition et d’ouverturedes frontières. Le point positif à reconnaîtreest que des systèmes alternatifs, comme leporc sur paille et les volailles en plein air,seront sans doute admis comme MTD,pour des raisons de bien-être animal ; leursémissions peuvent être très variables etsont moins bien connues.

Les MTD concernent le logement desanimaux, le stockage et le traitement éven-tuel des effluents, et l’épandage. Les ani-maux sont donc concernés par lelogement. Pour eux, il y a quelques inquié-tudes majeures. La première concerne lesporcs. La LFDA est cosignataire d’un cour-rier envoyé aux trois commissaires euro-péens concernés, reproduit ci-après.

AV

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DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 11

DROIT ANIMAL

Courrier adressé aux commissaires européens de l’Environnement,de la Santé et de l’Agriculture

Chers Commissaires,

Révision en cours du BREFÉlevage intensif de porcs et devolailles

Les organisations signataires de cecourrier sont inquiètes que le projet derévision du document de référence(BREF) des Meilleures techniques dis-ponibles (MTD) reconnaisse le caillebo-tis intégral comme MTD.

Nous savons que le BREF ne traitepas directement du bien-être des ani-maux d’élevage. Néanmoins, noussommes convaincus qu’un système – lecaillebotis intégral – qui est préjudiciableau bien-être animal, et qui rend impossi-ble ou très difficile le respect de la légis-lation européenne sur la protection desanimaux, ne doit pas être reconnucomme MTD.

Nous sommes particulièrement préoc-cupés par le fait que le caillebotis inté-gral empêche la conformité avec lesobligations suivantes de la directive2008/120/CE concernant les normesminimales pour la protection des porcs.

L’obligation de mettre à dispo-sition des matériaux manipula-bles efficaces

L’Annexe I, Chapitre I, point 4 de ladirective énonce que les porcs doivent« avoir un accès permanent à une quan-tité suffisante de matériaux permettantdes activités de recherche et de manipu-lation suffisantes, tels que la paille, lefoin, le bois, la sciure de bois, le com-post de champignons, la tourbe ou unmélange de ces matériaux ».

Il est extrêmement difficile, peut-êtreimpossible, de mettre à disposition unequantité satisfaisante de tels matériauxsur caillebotis intégral. En effet, ce pointest régulièrement soulevé par des éle-veurs qui indiquent que les matériauxcomme la paille tombent dans les ouver-tures et risquent de bloquer le systèmed’évacuation du lisier. En conséquence,nous insistons sur le fait que le caillebo-tis intégral ne doit pas être reconnucomme MTD.

L’abandon de la section routi-nière des queues

L’Annexe I, Chapitre I, point 8 interditla section routinière des queues desporcs et indique que les éleveurs doi-vent, avant de sectionner les queues,d‘abord essayer de prévenir la caudo-phagie en modifiant les conditions d'am-biance ou les systèmes de conduite desélevages. La recherche scientifiquemontre que le facteur présentant lerisque le plus élevé de caudophagie estun environnement pauvre sans paille.

En effet, l’Autorité européenne desécurité des aliments (EFSA) signaleque les facteurs en cause pour la caudo-phagie incluent : « l’absence de paille, laprésence de caillebotis et un environne-ment pauvre » (1). L’analyse des fac-teurs de risque par l’EFSA conclut que lecaillebotis intégral est le troisième fac-teur de risque pour la caudophagie,après un environnement pauvre et lemanque de paille longue. L’analyse indi-quant que le caillebotis intégral est letroisième facteur de risque pour la cau-dophagie apparaît dans l’outil de forma-tion qui a été récemment produit par leréseau d’experts européens EUWelNet(2), à la demande de la Commission.

Apport de matériaux de nidifi-cation pour les truies

La directive reconnaît que les truies,avant de mettre bas, éprouvent unbesoin fort d’aménager un nid avec unsubstrat approprié. L’Annexe I,Chapitre II, point B2 de la directiveénonce qu’« au cours de la semaine pré-cédant la mise bas prévue, les truies etles cochettes doivent pouvoir disposerde matériaux de nidification en quantitésuffisante à moins que le système d'éva-cuation ou de récupération du lisier uti-lisé dans l'établissement ne le permettepas ». Il est donc reconnu que le caille-botis intégral rend difficile ou impossiblede fournir des matériaux de nidificationappropriés. Il est dès lors évident que lecaillebotis intégral n’est pas une« Meilleure » technique, vu qu’il ne per-met pas de répondre à un besoin essen-tiel des truies.

Confort physique et thermique

L’Annexe I, Chapitre I, point 3 de ladirective impose que les porcs doivent« avoir accès à une aire de couchage

confortable du point de vue physique etthermique ». Le confort physique et ther-mique peut seulement être atteint avecune surface déformable et isolée (litièreou matelas). Il ne peut pas être assuréavec du caillebotis intégral.

Conclusion

Ce ne serait pas bénéfique mais inco-hérent et source de confusion si du cail-lebotis intégral était reconnu commeMTD d’un point de vue environnementalalors qu’il rend très difficile, voire impos-sible, de respecter la législation euro-péenne de protection des animaux. Eneffet, du point de vue du bien-être ani-mal, le caillebotis intégral est la « Piretechnique disponible ». En outre, lareconnaissance du caillebotis intégralcomme MTD est en contradiction avecle programme de protection et de bien-être des animaux de l’Union euro-péenne, qui met l’accent sur laformation.

Des techniques alternatives avec ducaillebotis partiel sont souvent considé-rées comme ayant une meilleure perfor-mance environnementale, par exempleau Danemark et aux Pays-Bas. Destechniques permettant de réduire lesémissions sont parfaitement efficaceavec du caillebotis partiel.

Nous insistons auprès de laCommission pour qu’elle n’accorde pas,dans le BREF, la qualité de Meilleuretechnique disponible au caillebotis inté-gral pour les porcs de toutes catégories.

(salutations)

PS et AV

(1) Scientific Opinion of the Panel on Animal Health

and Welfare. (2007). The risks associated with tail

biting in pigs and possible means to reduce the

need for tail docking considering the different hou-

sing and husbandry systems. The EFSA Journal,

611, pp. 1-98. http://www.efsa.europa.eu/fr/efsa-

journal/pub/611.htm

(2) https://euwelnetpigtraining.org/Pages/0

Cosignataires : La Fondation LFDA, Le Collectif

Plein Air, Compassion in World Farming, Planète

Vie, Eurogroup for Animals, PROVIEH, France

Nature Environnement, BUND, Friends of the Earth

Germany, le Bureau européen de l’Environnement,

CIWF France.

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DROIT ANIMAL

12 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

L’organisation des contrôles en protection animale

La prise en compte du bien-être des ani-maux par nos concitoyens est une problé-matique dont l’importance n’a cessé decroître ces dernières décennies, comme lemontrent les différents sondages effectuéspar la Commission européenne (1,2), enlien avec l’industrialisation grandissantedes modes de production des denrées ani-males ou d’origine animale. La prise deconscience générale que l’animal est un« être sensible » a poussé les États mem-bres de l’Union européenne à l’inscriredans un nouvel article (3) du traité sur lefonctionnement de l’Union européennedepuis l’entrée en vigueur du Traité deLisbonne le 1er décembre 2009 (4).

Qu’il s’agisse d’animaux de rente ou decompagnie, les activités en lien avec lesanimaux sont encadrées par diversesréglementations d’émanance européenneou nationale, et des contrôles sont effec-tués par les agents des services vétéri-naires du ministère en charge del’Agriculture afin d’en garantir le respect,dans les limites et étendue des missionsdes services dans lesquels ils sont affec-tés. En pratique, toute activité profession-nelle en lien avec les animaux estsubordonnée à une déclaration auprès dupréfet de département ou à l’obtentiond’une autorisation administrative préfecto-rale.

Les agents chargés de ces contrôlessont listés aux articles L221-5 et L231-2 ducode rural et de la pêche maritime (5). Ainsisont désignés pour procéder à cescontrôles, qu'ils soient fonctionnaires ouagents contractuels de l'État :

1. Les inspecteurs de la santé publiquevétérinaire ;2. les ingénieurs ayant la qualité d'agentdu ministère chargé de l'Agriculture ;3. les techniciens supérieurs des ser-vices du ministère de l'Agriculture ;4. les contrôleurs sanitaires des servicesdu ministère de l'Agriculture ;5. les fonctionnaires et les agents nontitulaires de l'État compétents en matièresanitaire figurant sur une liste établie pararrêté du ministre chargé del'Agriculture ;6. les vétérinaires, contrôleurs sanitaireset préposés sanitaires contractuels del'État pour les missions définies dans leurcontrat ;7. les administrateurs des affaires mari-times, les officiers du corps technique etadministratif des affaires maritimes et lesfonctionnaires affectés dans les services

exerçant des missions de contrôle dansle domaine des affaires maritimes sousl'autorité ou à la disposition du ministrechargé de la Mer, pour les contrôles offi-ciels liés à la production de coquillagesvivants ;8. les vétérinaires des armées, pour lesorganismes relevant de l'autorité ou de latutelle du ministère de la Défense.Ainsi que :- les fonctionnaires et les agents non titu-

laires de l'État compétents en matière sani-taire figurant sur une liste établie par arrêtédu ministre chargé de l'Agriculture ;

- les fonctionnaires et les agents non titu-laires de l'Office national de la chasse et dela faune sauvage pour ce qui concerne lesanimaux de la faune sauvage.

Ces agents sont habilités pour constateret s’assurer régulièrement : de la confor-mité des installations d’accueil aux règlesprescrites et de la compétence techniquedes professionnels travaillant auprès desanimaux, telle que validée par un certificatspécifique de capacité. Ils peuvent releverdes infractions et éventuellement dresserdes procès-verbaux pouvant conduire àdes poursuites judiciaires ou pénales dansle domaine de la protection des animaux.Ils ont également des pouvoirs de policeadministrative leur permettant d’effectuerdes rappels réglementaires, des avertisse-ments, des mises en demeure ou des fer-metures d’établissement sous l’autorité dupréfet de leur département (6).

Les contrôles peuvent être effectuéssuite à des plaintes mais également demanière spontanée en fonction des effec-tifs d’animaux présents et des aides quipeuvent être demandées par les éleveursdans le cadre de la conditionnalité mise enplace par la politique agricole commune,qui prévoit des contrôles orientés sur laprotection animale pour les demandeursd’aide. Par exemple, dans le secteur desbovins, on compte plus de 11700 rapportsd’inspection qui ont été effectués pour les 4années 2010 à 2013 dans le secteur pro-tection animale (d’après une extraction deSIGAL – Site d’information généralisée dela direction générale de l’alimentation, quiregroupe tous les rapports d’inspectioneffectués par les agents du ministère encharge de l’Agriculture). Les contrôleseffectués au moment de l’élevage, dutransport, du transit ou de la vente des ani-maux sont effectués de manière ponc-tuelle.

Par contre, le dispositif de contrôle de laprotection animale dans les abattoirs est unpeu différent car une inspection perma-nente sur site est effectuée par les agentsdu ministère en charge de l’Agriculture. Sila présence permanente des services decontrôle permet de garantir la salubrité desviandes en premier objectif, elle assureégalement que toutes les précautions sontprises en vue d’épargner aux animauxtoute excitation, douleur ou souffrance évi-table et ce, dès le déchargement ducamion. Ainsi, de manière générale, il estrégulièrement vérifié que le déchargementet l’avancée des animaux s’effectuent dansle calme, sans utilisation d’aiguillon et avecune utilisation raisonnée de piles élec-triques (appareil soumettant les animaux àdes chocs électriques – ASACE). Les ani-maux qui sont amenés à attendre avantleur abattage doivent être hébergés dansde bonnes conditions en termes de confortet de place et avoir à disposition de l’eau etmême de la nourriture si l’hébergementdure plus de 12 heures. De plus, les tech-niques d’immobilisation, d’étourdissementet de saignée doivent minimiser le stress etêtre rapides et efficaces. Ceci est assurépar l’utilisation d’appareils adaptés augabarit des animaux par un personnel com-pétent. À ce niveau, les agents des ser-vices de contrôle officiels vérifientrégulièrement que ces objectifs sontatteints en vérifiant par exemple que lesanimaux sont bien étourdis, en testant ladisparition de certains réflexes propres auxanimaux conscients, comme l’absence derelevé de la tête, de reprise de la respira-tion ou de réflexe palpébral (réflexe quiamène spontanément à fermer les pau-pières ou à cligner de l'œil si on touche lescils ou le bord interne de l'orbite à l'aide dudoigt). Le cas, échéant, les techniquesd’abattage rituel sans étourdissement doi-vent également être maîtrisées et rapidesafin de minimiser le stress des animaux (7).

De plus, les dispositions du nouveaurèglement européen sur la protection desanimaux au moment de leur mise à mort (8)ont renforcé la responsabilité des profes-sionnels en prévoyant :

- La nomination d’un responsable dubien-être des animaux dans tous lesabattoirs ;- la mise en place de procédures par lesprofessionnels prouvant qu’ils veillent aurespect de la réglementation relative à laprotection des animaux dans l’abattoir ; u

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DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 13

DROIT ANIMAL

L’organisation descontrôles en protectionanimale (suite)

- l’obtention d’un certificat de compé-tences pour les aspects de leurs tâchesen lien avec le bien-être des animauxpour les personnels d’abattoirs ;- des instructions relatives à l’utilisationde leur équipement et à la manière decontrôler son efficacité et de le conserveren bon état par les fabricants de matérield’étourdissement qui les fournissent.

Enfin, si les agents chargés descontrôles officiels veillent au respect de laréglementation relative à la protection ani-male dans le cadre du fonctionnement« normal » des activités, ils peuvent égale-ment relever les actes de malveillance queles animaux domestiques, apprivoisés outenus en captivité, peuvent connaître et quisont prévus par le code pénal selon unehiérarchisation et des peines de sévéritécroissante allant du « mauvais traitement »à l’ « acte de cruauté ».

ACLD

- Arrêté ministériel du 12 décembre 1997 relatif auxprocédés d'immobilisation, d'étourdissement et de miseà mort des animaux et aux conditions de protection ani-male dans les abattoirs.- Code pénal, articles R653-1, R654-1, R655-1 et 521-1 relatifs aux contraventions et aux délits commis contreles animaux.(1) Special Eurobarometer, European Commission,Health in the European Union, septembre 2007.(2) Special Eurobarometer, European Commission,Attitudes of consumers towards the welfare of farmedanimals, mars 2007.(3) Un nouvel article 13 a été introduit par le traité deLisbonne. Cet article dispose que : « Lorsqu'ils formu-lent et mettent en œuvre la politique de l'Union dans lesdomaines de l'agriculture, de la pêche, des transports,du marché intérieur, de la recherche et développementtechnologique et de l'espace, l'Union et les États mem-bres tiennent pleinement compte des exigences dubien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles, touten respectant les dispositions législatives ou adminis-tratives et les usages des États membres en matièrenotamment de rites religieux, de traditions culturelles etde patrimoines régionaux. »(4) Journal officiel de l’Union européenne, C306, 17décembre 2007, Traité de Lisbonne.(5) Code rural et de la pêche maritime, articles L221-5et L231-2 relatifs aux agents habilités à effectuer descontrôles dans le domaine de la protection des ani-maux.(6) Lacheretz A. (2005). « Le statut juridique de l’animalau regard des lois ». Bull. Soc. Vét. Prat. De France89(2 3).http://www.svpf.fr/IMG/pdf/SVPF_T89_N23_PP_3_15.pdf.(7) Arrêté ministériel du 28 décembre 2011 relatif auxconditions d'autorisation des établissements d'abattageà déroger à l'obligation d'étourdissement des animaux.(8) Règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 sep-tembre 2009 sur la protection des animaux au momentde leur mise à mort.

Comment se promener dans les bois…

sans se faire tirer dessus

Marc Giraud, Allary Éditions, 2014

Sous ce titre, le président de l’ASPAS –Association pour la Protection des animauxsauvages, nous livre un livre remarquablerédigé en collaboration avec les juristes etles scientifiques naturalistes de cette asso-ciation reconnue pour sa rigueur et ses com-pétences. Tous les paisibles amoureux de lanature en France verront dans la parution decet ouvrage comme la réalisation enfin d’unsouhait depuis longtemps formulé.

La France est un pays pour le moins para-doxal dans sa perception de la nature sau-vage. Il compte une quarantaine demillions de promeneurs, cyclistes, randon-neurs, cavaliers, cueilleurs de champi-gnons, photographes et artistes peintres,naturalistes et autres amoureux de la natureet qui ne s’adonnent pas à la chasse. Ce« loisir », à l’éthique pour le moins contesta-ble, est dangereux non seulement et évi-demment pour la faune sauvage mais aussipour les personnes humaines et les ani-maux de compagnie. Voilà un loisir, en effet,qui, record d’Europe, tue ou blesse chaqueannée 30 millions d’animaux sauvagesappartenant à 24 espèces de mammifèreset 50 espèces d’oiseaux, fait plus de deuxcentaines de blessés et une vingtaine demorts dans la population humaine et infligedes blessures ou causent la mort d’une cen-taine de chiens ou de chats!

Aucune étude scientifique publiée dansune revue à validation internationale ne

démontre que la chasse de loisir seraitaujourd’hui écologique et préserverait la bio-diversité sauvage. Les chasseurs préten-

dent réguler les carnivores qui sanseux pulluleraient, alors que tous leszoologistes sont unanimes: ce n’estpas le carnivore qui gère ses proies,c’est la quantité de proies qui déter-mine le nombre de carnivores. Ainsipar exemple, des carnivores commele renard et la belette limitent lespopulations de campagnols. Leschasseurs, en éliminant ces carni-vores désignés comme « nuisibles »,favorisent la pullulation des campa-gnols contre lesquels les agriculteursluttent à grands frais par l’épandagede biocides qui empoisonnent à leurtour une partie de la faune.

La science a montré que tous lesmammifères et les oiseaux, qu’ilssoient d’espèce sauvage ou domes-tique, ressentent la douleur etéprouve la souffrance.

Mais la sensibilité à la douleur n’estjuridiquement reconnue qu’aux seulsanimaux détenus par l’homme et nel’est pas pour les animaux vivant àl’état sauvage. Dès lors, les pratiquesde chasse, qui ne permettent pasl’abattage immédiat et impliquent des

souffrances pour les animaux vivant enliberté, ne peuvent être considérées auregard de la loi comme des actes de cruau-tés ou de maltraitance.

De plus, la chasse est pratiquéeaujourd’hui par une minorité de nos conci-toyens : 1 million, dont seulement 12 %d’agriculteurs, contrairement à certainesidées reçues assimilant chasse et ruralité.Les 1,5 % d’électeurs qu’ils constituent sontdonc anormalement surreprésentés dans lepouvoir législatif. Les privilèges n’ont pasété abolis mais déplacés. Dans nos cam-pagnes, ce sont les fusils qui font en effet laloi. La chasse est soutenue par le plus puis-sant des groupes de l’Assemblée nationale,le groupe « Chasse et territoire », ne comp-tant pas moins de 160 députés, contre unecinquantaine pour le groupe « Protectionanimale », ou une soixantaine pour legroupe « Actions humanitaires d’urgence ».

Les parlementaires et cabinets ministé-riels font l’objet d’un lobbying cynégétiquetrès actif et très professionnalisé de la partde la riche Fédération nationale de lachasse qui s’est attaché les services d’unlobbyiste professionnel par des contratsannuels atteignant 200000 euros selon laCour des comptes.

Voici quelques exemples témoignant del’étendue, unique en Europe, du droit privilé-gié des chasseurs en France:

Compte-rendu de lecture

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DROIT ANIMAL

14 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

Compte-rendu de lecture

Un chasseur a le droit de poursuivre unanimal blessé qui vient mourir ou est auxabois sur votre propriété, même si vousl’avez déclarée interdite à la chasse.Selon le droit de suite, l’animal est pro-priété du chasseur.On peut obtenir le permis de chasser dèsl’âge de 15 ans.L’agrément de piégeur est délivré pourune durée illimitée, sans examen à l’issuede 16 heures d’une formation organiséepar l’ONCFS dès l’âge de 15 ans. En casd’infraction, il ne peut être suspendu quepour une durée de 5 ans maximum.L’examen théorique ne comporte que 10questions dont une seule est éliminatoire.Le permis obtenu est délivré à vie sansaucun contrôle médical, ni test d’alcoolé-mie ni d’acuité visuelle.Les fédérations de chasse ont le droit d’in-tervenir dans les établissements d’ensei-gnement public au titre de l’éducation à lanature et à gestion de la biodiversité.La chasse est autorisée dans les réservesnaturelles.Depuis 2003, tous les jours de la semainesont autorisés à la chasse.On peut chasser dans l’obscurité uneheure avant le lever du soleil et une aprèsle coucher!S’opposer de manière concertée à uneaction de chasse constitue une infractionpassible de 1500 euros d’amende.

Le livre donne avec beaucoup de clartéles réponses à une quarantaine d’autresquestions, en s’appuyant sur des bases juri-diques, zoo-écologiques, économiques etsociologiques parfaitement référencées.

Le lecteur apprendra ainsi que:

- s’il y a beaucoup d’accidents de chasse,tous ne sont pas recensés;- les chasseurs n’ont pas le droit d’obligerun promeneur à rebrousser chemin siaucune pancarte n’en interdit l’accès;- la signification de la dizaine de panneauxde limitation de chasse ne dépend pas deleur forme de leur couleur ou des dessinsqui y figurent, mais du texte qui y est ins-crit ;- il est possible d’entendre des coups defeu au mois de juillet en plein village parsuite de battues administratives sur desnuisibles ou en plein mois d’août sur uneplage pour la chasse des oiseaux d’eau;- on peut trouver la réglementation sur lachasse applicable dans la zone que l’onfréquente dans le code de l’environne-ment, sur Internet, auprès des mairies oùleur accessibilité est obligatoire;- les pièges utilisés pour les animaux nui-sibles présentent des risques pour les ani-maux de compagnie;- des cadavres de certains animaux sus-pendus aux branches peuvent être utili-

sés légalement comme épouvantails,malgré leur inefficacité répulsive et lerisque sanitaire;-si l’on est témoin d’un acte de bracon-nage, il est difficile de réunir les preuvespour les faire constater par un agent qua-lifié de l’ONCFS;- les chasseurs sont tenus d’enlever oud’enfouir les déchets des animaux tués etles manquements à cette règle doiventêtre signalés au maire ou au préfet par lespromeneurs qui découvrent de tels char-niers d’animaux;- si l’on trouve un animal blessé ou jeuneesseulé, il convient de ne pas l’enlever àson milieu naturel sans précaution, sansavoir préalablement fait appel à l’avis del’Union française des centres de sauve-garde de la faune ou aux gardes del’ONCFS;- si l’on trouve un animal pris dans unpiège, le libérer peut constituer une infra-ction, en cas de violation d’une propriétéprivée ou s’il s’agit d’un piège homologué(sigle PHE) comportant le numéro d’agré-ment du piégeur et qu’il correspond à ladéclaration de pose de pièges affichéeobligatoirement en mairie;- si votre chat sort de votre propriété votrevoisin n’a pas le droit de le tuer ou de lepiéger, mais a en revanche le droit designaler en mairie sa divagation qui estaussi interdite;- si la chasse n’est pas interdite sur un ter-rain où vit un troupeau, les chasseurspeuvent tirer à proximité du troupeau sousréserve qu’ils n’y commettent pas dedommages;- on peut interdire aux chasseurs de chas-ser sur sa propriété en y posant une sim-ple pancarte à l’accès du terrain dans lescommunes ne disposant pas d’une asso-ciation communale de chasse agréée, etdans le cas contraire mettre en place lesclôtures appropriées et effectuer lesdémarches administratives parfois com-plexes de retrait de son terrain du territoirede chasse;- les pratiques légales de chasses sontnombreuses en France;- des pratiques de chasse traditionnellesparticulièrement douloureuses pour lesanimaux, comme les pièges à glu ou ledéterrage des blaireaux, restent autori-sées localement en France bien qu’ellessoient en infraction avec les directiveseuropéennes;- l’Office national de la chasse et de lafaune sauvage, bien qu’établissementpublic financé en partie par les ministèreschargés de l’Écologie et de l’Agriculture, aun conseil d’administration où les voix desintérêts cynégétiques sont prépondé-rantes et comprend une direction du

développement chargé de promouvoir le« loisir chasse »;- les fédérations de chasse, contrairementaux autres associations à but non lucratif,bénéficient d’un privilège très lucratif :elles perçoivent la taxe obligatoire de vali-dation du permis de chasser départemen-tal ;- alors qu’avant 1982 il était interdit de tirerdans un périmètre de 150 mètres autourdes habitations, aujourd’hui il n’est interditde tirer qu’en direction d’habitations : iln’est donc pas interdit de tirer à proximitéd’une habitation en s’appuyant sur un muret en tirant vers l’extérieur ;- les homicides involontaires par acte dechasse ne sont punis que par des peinesde prison de moins de deux ans avec sur-sis et des amendes de quelques milliersd’euros et un retrait du permis de chassepour cinq ans;- seules quelques espèces chassablesfont l’objet de quotas. S’il existe des quo-tas maxima, il existe aussi des quotasminima dont le non-respect constitueaussi une infraction;- le caractère « nuisible » d’une espèceest un statut « juridique » et non unconcept scientifique;- les cochongliers sont des hybrides decochons et de sangliers, favorisés notam-ment à l’occasion d’apports de maïs parles chasseurs. Moins farouches que lessangliers de souche, ils sont plus faciles àchasser mais ils sont responsables deplus de dommages aux cultures et auxjardins;- les relâchers de gibiers d’élevage per-mettent aux pratiquants de la chassed’exercer leur loisir plus facilement (ani-maux moins farouches et mobiles) et auxéleveurs de gibiers d’élevage et proprié-taires de chasses privées de brasser desmillions d’euros.

En France, réglementations complexes,dérogations, tolérances, exceptions, tout estfait pour que les usagers de la nature non-chasseurs ne puissent pas comprendre cequi est autorisé ou non en matière dechasse, tout sauf ce livre, très pédagogiquequi lève le voile et rend ces règles enfinaccessibles, sans se priver de pointer denombreux abus.

Chaque amateur de nature doit absolu-ment avoir à portée de main ce livre, mêmesi on le referme avec amertume sur leconstat qu’en France, les droits des non-chasseurs, pourtant majoritaires pourl’usage de la nature, ne sont encore envérité que peau de chagrin!

TAVDK

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ÉTHIQUE

DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015 - 15

La tauromachie survit grâce aux euros des anticorrida !

Dans le cadre de la PAC (Politique agri-cole commune) et du financement desexploitations agricoles, des subventionseuropéennes sont versées à l’Espagne, auPortugal et à la France pour le soutien à lareproduction et à l’élevage des taureauxdestinés à la corrida (et à la course proven-çale). Selon un député écossais auParlement européen, le montant annuel deces subventions s'élèverait à 130 millionsd'euros. La députée européenne MichelleStriffler soutient qu’un « tel financement necorrespond absolument pas aux objectifsde la PAC tels que définis par l'article 39 dutraité sur le fonctionnement de l'Unioneuropéenne ». De plus, ces aides ne sontattribuées qu’à trois pays, alors que la cor-rida est prohibée dans les 24 autres paysmembres de l'Union européenne. C’estpourquoi l'eurodéputé néerlandais BasEickhout avait déposé un amendementvisant à mettre fin au versement de cessubventions : « Les crédits ne sauraientêtre utilisés pour soutenir l'élevage ou lareproduction de taureaux utilisés pour desactivités entraînant la mort de l'animal. »

Cet amendement a été soumis au voteen séance du Parlement européen le22 octobre 2014. La majorité requise étaitde 376 (la moitié + 1 des 751 eurodéputés).Sur les 690 votants, 323 ont voté pour, 309contre, et 58 se sont abstenus.L’amendement a été repoussé.

Le décompte « géographique » desvotes montre qu’ils ont été émis pour desraisons culturelles, civilisationnelles, pour-rait-on dire. D’un côté les pays favorables àl’amendement : le Royaume-Uni dont 65des 73 eurodéputés (dont 4 Irlandais) sesont prononcés pour, et aucun contre ; pourles Pays-Bas, 26 membres du parlementeuropéen (MPE) sur 28 ont voté pour,aucun contre ; sur les 21 MPE belges, 18pour et 1 contre ; Suède : 15 pour, 3 contre ;Danemark : 10 pour, 2 contre ; Finlande : 10pour, 2 contre. De l’autre côté, les pays quise sont opposés à l’amendement, c’est-à-dire pour le maintien des subventions :Espagne sur 54 MPE, 26 contre l’amende-ment, 20 pour ; Portugal sur 21 MPE, 10contre, 3 pour ; Allemagne, sur 96 MPE: 55contre, 29 pour ; Pologne sur 51 MPE: 32contre, 16 pour ; Roumanie, sur 32 MPE:31 contre, 1 pour.

Le décompte « politique » montre que lesvotes « contre » l’amendement ont engénéral suivi les consignes des partis.Ainsi, le groupe PPE (droite libérale) et legroupe S & D (gauche sociodémocrate)totalisant 55 % des MPE ont appelé au votenégatif : 283 des 309 refus provenaient deces deux groupes. Les eurodéputés PPEde Belgique, de Finlande et des Pays-Basont cependant voté pour, faisant passerleur conviction personnelle d’opposant à la

corrida avant les consignes partisanes. Ontaussi fait dissidence la totalité des MPE dugroupe S & D de Belgique, des Pays-Bas etde Suède, pour la même raison, ce quidémontre la réalité et l’importance, au seinde l’Europe, d’une cassure de civilisation,de sensibilité à l’égard de l’animal, d’origineprobablement surtout religieuse, les diffé-rences sur ce dernier point étant évidentesentre le protestantisme et le catholicisme.Cependant le vote des MPE allemands estalors assez étonnant et même paradoxal(l’importance économique du tourisme alle-mand en Espagne aurait-elle pesé?).

Que signifient ces votes « guidés »? Leseurodéputés qui ont approuvé l’amende-ment sont pour beaucoup personnellementopposés à la corrida. D’autres estimentprobablement que l’UE n’a pas à financerdes activités non utiles, ou non communesà l’Europe (tels les MPE du Royaume-Uni).À l’opposé, les députés qui ont voté contrel’amendement ne sont certainement pastous favorables à la corrida. Plusieurs nesavent pas ce qu’elle est réellement,notamment dans les pays de l’Est. D’autresont voulu soutenir le principe des excep-tions accordées aux identités et aux pra-tiques régionales ou traditionnelles, ou dela nécessité de maintenir le principe d’unsoutien au monde agricole.

Quant à la France, elle s’est hélas distin-guée parmi les opposants à l’amendement.Sur les 74 MPE français, 41 ont voté contrel’amendement et 20 pour. Les députés duPS et de l’UMP ont démontré leur absoluesoumission aux consignes reçues : 20 MPEsur 20 pour l’UMP, 12 MPE sur 12 pour lePS ont repoussé l’amendement. Les 23députés du Front national se sont répartiségalement entre oui, non et abstention,comme l’ont fait les 7 UDI. Quant aux Verts(EELV), tous les 6 ont voté pour l’amende-ment.

Les votes négatifs PS et UMP se sontpliés aux consignes des états-majors des

grands partis traditionnels, qui sont habi-tuellement d’éviter tout sujet de polémique,et de maintenir le statu quo. Dans le casparticulier, il était probablement hors dequestion de se trouver en contradictionavec les goûts personnels des hautes per-sonnalités au sommet du pouvoir. Enrepoussant la suppression des aides euro-péennes à l’élevage des taureaux de cor-rida, les eurodéputés du refus ont répondu,au travers des partis, à la pression politiqueet électoraliste du lobby tauromachique. Cedernier n’aura pas manqué d’utiliser sonargument selon lequel les 9/10 des bovinsvont in fine à la boucherie, pour un seul quifinira dans l’arène ; argument fallacieux,parce que la seule et unique raison pourlaquelle ces ganaderias existent est de pro-duire des taureaux de combat, ceux quiseront vendus au plus haut prix (plusieursdizaines de milliers d’euros pour les ani-maux issus des élevages réputés), un prixqui n’a rien à voir avec le prix du bovin dontl’élevage et la production sont soutenus parles restitutions de la PAC pour être vendusur pied et finir à l’abattoir et à la casserole.

On ne peut que souligner et déplorer quesuivre ainsi la discipline d’un parti ait aboutià s’asseoir sur ses convictions person-nelles pour ne pas perdre son siège, et querepousser un amendement défavorable àla corrida met les élus du peuple en contra-diction flagrante avec l’opinion majoritairedu peuple qui les a élus. Un amendementéthiquement, politiquement et économi-quement justifié a été refusé. L’éthique àl’égard de l’animal a été reléguée auxaccessoires, et honteusement bafouée.Une fois de plus.

JCN

Sources :• Notre-planete.info, http ://www.notre-planete.info/actualites/4102-Europe-vote-fin-corrida• www.veterinaires-anticorrida.fr/article-maintien-des-subventions-europeennes-indirectes-a-la-corrida-124844455.html• http://www.veterinaires-anticorrida.fr/

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ÉTHIQUE

16 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

Impact des corridas sur les mineurs

De toutes les cruautés infligées par leshommes aux animaux sensibles, la corridaest sans doute l’une de celles qui concerne lemoins d’animaux. Mais son importance sym-bolique est cruciale: la souffrance imposée àl’animal n'a pas d'utilité concrète, elle a pourunique raison d'être le plaisir de l'homme, etelle constitue en elle-même un spectacle.Elle légitime en quelque sorte toutes lesautres souffrances imposées aux animaux.

À côté de cette dimension, se pose laquestion de l’impact de la corrida sur les per-sonnes qui peuvent assister, à commencerpar les mineurs, êtres en construction.D’abord, sur le plan éducatif, comment peut-on présenter à des mineurs le spectacled'hommes tourmentant sans motif un animaljusqu'à la mort, alors même que notre sociétéest en train de repenser ses rapports avec lesanimaux et avec la nature? Ensuite, sur leplan psychique, ce spectacle violent (quientre selon le code pénal français dans lecadre des « sévices graves ou actes decruauté envers les animaux ») peut avoir deseffets traumatiques, ou bien induire uneaccoutumance à la violence. En France, uncollectif de psychiatres et de psychologues(le collectif PROTEC) demande ainsi que lesmoins de 16 ans n’aient plus accès aux corri-das. En septembre 2007, une proposition deloi visant à interdire l'accès aux corridas auxmineurs de quinze ans avait été déposée. Etune proposition de loi visant à en interdirel'accès aux mineurs de quatorze ans devraitêtre déposée en ce printemps 2015.

La situation à l’étranger

Dans les autres pays taurins, de nombreuxprofessionnels mettent également en gardecontre l’impact de ce spectacle sur lesjeunes, que ce soit en Espagne, en Amériquelatine (Mexique, Venezuela, Colombie,Équateur, Pérou), ou au Portugal (où se pra-tiquent des corridas équestres avec mise àmort hors de l’arène).

En Espagne, en Catalogne, la deuxièmeCommunauté autonome en termes démo-graphiques, l’accès des moins de 14 ans auxcorridas avait été interdit à partir de juin 2003.Depuis, on sait que la prise de conscience ducaractère néfaste de ce spectacle a poursuivison chemin, et la corrida a été suppriméedepuis le début 2012, suite à un vote duParlement catalan.

En Amérique latine, le découpage territorialet les capacités des instances administra-tives et judiciaires des différents pays peu-vent rendre les choses difficiles à suivre.Cependant, ces dernières années ont vuapparaître nombre de démarches réglemen-taires, judiciaires, ou législatives, visant àempêcher l’accès des enfants et des adoles-cents aux corridas.

Au Mexique, des initiatives locales voient lejour. À León, ville d’1,5 million d’habitants, la

municipalité a voté en 2014 l’interdiction del’accès des moins de 14 ans aux corridas.Dans l’état de Veracruz, un député a déposéen 2014 une proposition de loi visant à inter-dire l’accès des moins de 18 ans aux corridas.

Au Venezuela, ces dernières années, à lademande de la Defensoría del Pueblo (ins-tance indépendante qu’on pourrait traduirepar « Office de défense du peuple »), des tri-bunaux de protection de la jeunesse (et dansun cas un décret du gouverneur) ont interditl’accès des moins de 18 ans aux arènes dans4 des 5 états où se pratique la corrida, et auxmoins de 12 ans dans le cinquième.

En Équateur, depuis 2013, sur résolutiondu Conseil national de l’enfance et de l’ado-lescence, les moins de 16 ans n’ont plusaccès aux spectacles de tauromachie et decombats de coqs sur tout le territoire national.

Au Pérou, une proposition de loi visant àinterdire l’accès des moins de 18 ans aux cor-ridas a été déposée au Congrès fin 2011, etune autre début 2012.

En Colombie, une proposition de loi a étédéposée en 2012 par plusieurs sénateurspour interdire l’accès des moins de 18 ansaux corridas. Elle demande d’inclure dans lecode de l’enfance et de l’adolescence unedisposition imposant que les mineurs « nesoient pas exposés aux spectacles publicsoù un animal est agressé, maltraité, torturé,violenté, blessé et/ou tué ».

La protection des mineurs enFrance

En France, les textes visant à protégerspécifiquement les mineurs de certains spec-tacles ou de certaines œuvres écrites ouvisuelles sont d'une façon générale axés soitsur leur caractère « pornographique », soitsur leur caractère violent.

Ainsi, il existe des publications interditesaux mineurs, des films interdits aux moins de12, 16 et 18 ans, des émissions de télévisiondéconseillées aux moins de 10, 12, 16 ou 18ans impliquant une signalétique et descontraintes horaires, des DVD ou des jeuxvidéos devant faire l’objet d’une signalétiquead hoc si leur contenu présente un risquepour la jeunesse en raison de la place faite àla violence. Et l'article 227-24 du code pénalsanctionne « Le fait soit de fabriquer, detransporter, de diffuser par quelque moyenque ce soit et quel qu'en soit le support unmessage à caractère violent […], soit de fairecommerce d'un tel message […] lorsque cemessage est susceptible d'être vu ou perçupar un mineur. »

Quant à Internet, la France ne peut contrô-ler que les auteurs (de mises en ligne) fran-çais et les hébergeurs (assurant le stockagedes données) situés en France.

Enfin, concernant les spectacles, jeux etdivertissements « en vrai », l'ordonnance du5 janvier 1959 stipule: « Le préfet peut, par

arrêté, interdire l'accès des mineurs de dix-huit ans à tout établissement […] lorsque cesdistractions ou spectacles ou la fréquentationde cet établissement se révèlent de nature àexercer une influence nocive sur la santé oula moralité de la jeunesse. »

Les récentes recommandations duComité des Droits de l’Enfant

À l’échelon du droit international, c’est laConvention internationale des droits de l'en-fant (CIDE) qui fait référence. Il s’agit d’uneconvention de l’ONU juridiquement contrai-gnante pour les États parties (dont la France)depuis 1990. Précisons que dans cetteconvention, le terme « enfant » signifie âgéde moins de 18 ans. Le Comité des droits del'enfant (ou Committee on the Rights of theChild : CRC), est constitué de 18 expertsindépendants élus par les État parties: il estl'organe officiellement chargé de vérifierpériodiquement l'application de la CIDE dansces États.

En février 2014, dans ses conclusionsconcernant le Portugal au terme de sa 65e

session, le CRC avait fait part de ses préoc-cupations et de ses recommandations à pro-pos des corridas de type portugais (à chevalet avec mise à mort hors de l’arène).

En février 2015, dans ses conclusionsconcernant la Colombie au terme de sa 68e

session, le CRC a renouvelé ses préoccupa-tions et ses recommandations à propos descorridas de type espagnol (celles qu’on a enFrance).

On retrouve dans les deux cas des termesanalogues:

- le Comité est préoccupé par « l’état desanté physique et mentale des enfants quiparticipent à un apprentissage de la tauroma-chie et aux corridas liées à celle-ci, de mêmeque par l’état de santé mentale et l’état émo-tionnel des enfants spectateurs exposés à laviolence de la tauromachie ».

- le Comité, « en vue d’interdire la participa-tion des enfants à la tauromachie », engagel’État partie à « prendre les mesures législa-tives et administratives permettant de proté-ger tous les enfants qui participent à unapprentissage de la tauromachie et aux cor-ridas, et aussi ceux qui assistent à la corridaen tant que spectateurs ».

- et le Comité engage l’État partie à« mener des campagnes de sensibilisationsur la violence physique et mentale liée à latauromachie et sur ses effets sur lesenfants ».

Soulignons pour conclure que le CRCestime, dans ce cas comme dans bien d’au-tres, que l’intérêt supérieur de l’enfant primesur la responsabilité parentale.

JPR

Note: Sur le même sujet, voir article « Comment justifier lacorrida et son accès aux mineurs? » du même auteur,dans le numéro 84 de janvier de la revue Droit animal,Éthique et Sciences.

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ÉTHIQUE

DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015 - 17

Danone et Mars philanthropes planétaires ?

Ces deux géants de l’agroalimentaire ontconçu une opération d’investissementfinancier destinée à aider les petits exploi-tants agricoles d’Afrique, d’Asie etd’Amérique latine produisant du chocolat etdu lait. Cette opération, dite « Livelihoods3F », a été très officiellement lancée le4 février dans les salons dorés du Quaid’Orsay, en présence de Mme MoniqueGirardin, secrétaire d’État chargée duDéveloppement et de la Francophonie, deM. Franck Riboud, P.-D.G. de Danone, etde Mme Victoria B. Mars, P.-D.G. de Mars.Le fonds d’investissement versera 120 mil-lions € sur les dix prochaines années pouraider 200000 exploitations agricoles fami-liales locales à maintenir leurs cultures, eten conséquence contribuer à la vie et à laqualité de vie d’environ 2 millions de per-sonnes. Les projets financés auront unobjectif triple : économique, en accroissantles rendements et la productivité – social,en augmentant les revenus et les moyensde subsistance des agriculteurs et de leurfamille – et environnemental, en promou-vant des pratiques « durables » et en res-taurant les écosystèmes dégradés. Lesfonds parviendront aux communautéslocales via des ONG et des organisations

agricoles. Le lancement de l’opérationLivelihoods 3F résulte du constat d’échecdes aides au développement : ce constat afait l’objet d’un rapport que M. EmmanuelFaber (directeur général de Danone) aremis en juin 2014 à M. Laurent Fabius.Dans son intervention, Mme MoniqueGirardin a rappelé que l’agriculture fami-liale est un pilier du développement et de lalutte contre la pauvreté, et qu’elle répond àla nécessité de produire plus avec de meil-leures pratiques pour protéger l’environne-ment. Elle a également souligné quel’agriculture familiale est un espoir pour lajeunesse rurale, laquelle « ne pourra rester,vivre et se développer dans ses territoiresque si une plus grande attention est portéeà l’amélioration des conditions de vie, à l’at-tractivité des territoires ruraux, et à la pro-motion active de l’insertion des jeunes,essentiellement dans les filières agri-coles ».

Ah ! Combien belles et généreuses sontles intentions des deux multinationales,même si dans les motivations des promo-teurs de cette opération, on voit bien qu’ellevise à assurer l’avenir de l’approvisionne-ment des deux matières premières néces-saires notamment à la fabrication de leurs

friandises (par ailleurs décriées commeparticipant à de graves déséquilibres ali-mentaires et aux pathologies associées) !.

Et quel beau discours, Mme la secrétaired’État ! Permettez-nous de vous suggérerd’aller le prononcer sans en changer unmot dans nos campagnes, où les petitsexploitants crèvent de travail et de misère,sans recevoir les aides financièresdévoyées vers les grands céréaliers et lesusines à viande, où les anciens se déses-pèrent de voir les jeunes se détourner del’état de « paysan », pourtant l’un des plushonorables, parce que rien ne les convaincde s’y engager, et que tout les incite à lefuir. Allez le tenir devant les éleveurs decochons bio ou de vaches laitières, enBretagne et dans le Nord, et suggérez desusciter un Livelihoods RF (Républiquefrançaise), vous aurez du succès. Nos pay-sans ne demandent qu’à continuer à pro-duire de la qualité, à pouvoir vendre leursproduits pour en vivre honnêtement, et àtransmettre leur exploitation. Il faut les yaider.

JCN

Sources : Le Monde, 6-02-15 – www.livelihoods.eu/fr/

Le chasseur de base confirmé « éducateur » ?

Au début du mois de février, a été diffu-sée l’information suivante : la ministre del’Écologie et la ministre de l’Éducationnationale envisagent de signer, avec lesorganisations regroupant chasseurs etpêcheurs, une convention les chargeant del’éducation au respect de la nature et à labiodiversité dans les écoles. Ce n’a pas étéune surprise, car cette délégation de mis-sion éducative est l’aboutissement d’unestratégie engagée par les chasseurs etleurs parlementaires alliés dès 2005.Déroulons la chronologie des étapes suc-cessives de ce programme.

À l’origine, le Grenelle de l’environne-ment a conclu notamment à « la nécessitéd’accompagner et d’aider l’école dans soneffort d’éducation » dans les domaines dela nature et de la biodiversité. Ces termesvagues ont fait naître quelques idées, etont donné l’occasion d’ouvrir la voie.

D’où la loi 2005-157 du 23 février 2005précisait à son article 149 : « Par leursactions de gestion et de régulation […]leurs réalisations en faveur des biotopes,les chasseurs contribuent à la gestion équi-librée des écosystèmes. Ils participent dece fait au développement des activités éco-nomiques et écologiques […] », dispositionultérieurement intégrée à l’article L420-1

du code de l’environnement. Ainsi, la loi aattribué à la chasse un rôle de régulation etde gestion, et a reconnu aux chasseurscelui de participer activement aux équili-bres écologiques.

La loi du 31 décembre 2008 (NORDEVx0811913L), article 14, monte d’unemarche et donne la qualité nécessaire àtoute fédération de chasse : après le pre-mier alinéa de l’article L. 141-1 du code del’environnement, il est inséré un alinéaainsi rédigé : « La Fédération nationale deschasseurs et les fédérations départemen-tales des chasseurs sont éligibles à l’agré-ment mentionné au premier alinéa. » Lesfédérations pouvaient désormais se faireagréer comme association de protection del’environnement.

Le 3 mars 2010, en s’appuyant sur desdispositions législatives faites sur mesure,Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie,Luc Chatel*, ministre de l’Éducation natio-nale, Charles-Henri de Ponchalon, prési-dent de la Fédération nationale deschasseurs (FNC), et Claude Roustan, pré-sident de la Fédération nationale de lapêche en France (FNPF), ont signé uneConvention en 12 articles, dont l’article 7indique que « la FNC, la FNPF, leurs fédé-rations régionales et départementales tien-

nent à la disposition des écoles et des éta-blissements scolaires qui en font lademande, les structures, les territoires etpersonnels dédiés à l’éducation au déve-loppement durable, à la biodiversité et aurespect de la nature ». Avec l’accord desdeux ministres, les chasseurs se voyaientdélégués à l’éducation de la nature dansles écoles. Cette délégation avait étéaccordée, comme il est précisé dans laconvention, en considération des « liensétroits que la FNC et la FNPF ont dévelop-pés depuis plus de quinze ans, en liensétroits avec les autorités académiques […],des actions concourant à la découverte etau respect du patrimoine naturel de notrepays dans 50 départements ». Cetteconvention a soulevé une très vive indigna-tion. Sans succès, évidemment. Mais passans conséquences. La législation envigueur a paru un peu faible : les parlemen-taires (notamment les sénateurs) se sontempressés de la renforcer.

Le 3 mars 2011, la Fédération nationaledes chasseurs a reçu son agrément pararrêté de la ministre de l’Écologie (NathalieKociusko-Morizet).

Le 7 mars 2012, la loi n° 2012-325 a pré-cisé dans son article 1, complétant l’articleL420-1 du code de l’environnement (cf. ci- u

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Le chasseur de base confirmé « éducateur » ? (suite)

dessus) : « Les chasseurs contribuent aumaintien, à la restauration et à la gestionéquilibrée des écosystèmes en vue de lapréservation de la biodiversité », un subtilpetit ajout de deux mots qui renforçait lepersonnage du chasseur-protecteur. Lamême loi complétait aussi l’article L421-5du code de l’environnement, en affirmantque les fédérations de chasseurs :« mènent des actions d’information etd’éducation au développement durable enmatière de connaissance et de préserva-tion de la faune sauvage et de ses habitatsainsi qu’en matière de gestion de la biodi-versité ». Et la même loi complétait l’articleL421-13 du code : les fédérations régio-nales de chasseurs « mènent, en concerta-tions avec les fédérations départe- mentales, des actions d’information etd’éducation au développement durable enmatière de connaissance et de préserva-tion de la faune sauvage et de ses habitatsainsi qu’en matière de gestion de la biodi-versité ». Encore une marche franchie : lesfédérations départementales peuvent inter-venir dans les écoles, après accord desrégionales.

Le 10 janvier 2014, le ministre del’Écologie Philippe Martin a signé l’arrêté« portant renouvellement de l’agrément deprotection de l’environnement de l’associa-tion Fédération nationale des chasseurspour une période de cinq ans ».

Pendant ce temps, la convention de2010 courait toujours et les chasseurs ontdonc pu, légalement, entrer dans lesécoles pour y enseigner le respect de lanature. Ils ne se sont pas privés d’y fairel’apologie de la chasse, et de tenter d’ysusciter de jeunes émules. La conventionde 2010 signée pour quatre ans est tombéeen désuétude le 2 mars 2014. Il fallait abso-lument la renouveler. Mais il fallait au préa-lable compléter le dispositif législatif.

Le lobby chasse estdonc repassé à l’action, et les parlemen-taires ont suivi. La loi n° 2014-1170 du13 octobre 2014 s’est occupée des fédéra-tions départementales de chasse, en lesrendant autonomes et en les chargeant desmêmes missions que la Fédération natio-nale et les fédérations régionales. L’article41 modifie l’article L421-5 du code de l’en-vironnement, lequel énonce désormais àl’alinéa 2 : « Les associations dénomméesfédérations départementales des chas-seurs […] mènent des actions d’informationet d’éducation au développement durableen matière de connaissance et de préser-vation de la faune sauvage et de ses habi-tats ainsi qu’en matière de gestion de labiodiversité. » Et il ajoute en alinéa 9 : « Lesassociations de chasse spécialisées sontassociées aux travaux des fédérations. »Obtenir d’entrer dans les établissements

scolaires est devenu bien plus facile : auniveau du département, les relationslocales peuvent aisément jouer, et encoreplus facile au niveau de la commune, quiest le domaine des associations de chasse.En somme, n’importe quel chasseur ducoin, obligatoirement affilié à l’associationde chasse, pourrait aller prêcher la mau-vaise parole à l’école.

Avec ce dernier coup de pouce, l’arsenallégislatif, ou plutôt le râtelier des armeslégislatives, a été bien mis au point. Ilrésulte, comme on l’a constaté à la lecturede la chronologie, d’une stratégie concer-tée, d’un programme bien étudié dont le butcaché, mais réel, est de convertir lesenfants à la nécessité et aux bienfaits de lachasse, afin d’assurer la relève, c’est-à-dire sa survie. Car année après année, lescraintes grandissent qu’elle disparaisse. LePrésident Baudin lui-même a dit soninquiétude. La désaffection des jeunes estpatente : 5 % des chasseurs ont moins de25 ans (alors que les moins de 25 ans tota-lisent 32 % de la population selon l’INSEE2014!), et 64 % des chasseurs ont de 45 à74 ans… Chercher à assurer la relève deschasseurs, c’est aussi, et peut-être surtout,chercher à continuer à percevoir les taxeset redevances attachées au permis dechasser (250 millions € en 2006), unemanne qui contribue à salarier confortable-ment les dirigeants des organismes cyné-gétiques : « En 2011-2012, le directeur dela FNC s’est octroyé un salaire brut de188 000 €, la directrice adjointe de118 000 €, et le directeur administratif,financier et informatique de 103 000 € »(selon Comment se promener dans lesbois, en page 113, voir supra Compte-rendu de lecture).

Parce qu’il est absolument nécessaire,vital, que les porte-parole de la chassepuissent continuer à entrer dans les écoles,il restait à mobiliser les ministres concer-nés, avec dans la musette la légitimitéaccordée par la loi. Les chasseurs avaientles plus grandes chances de réussir,puisque au contraire des jours, les minis-tres se suivent et se ressemblent.

Lors d’un « déjeuner de travail » organiséle 28 janvier au ministère de l’Écologieavec Bernard Baudin, président de la FNC,Mme Ségolène Royal a « confirmé qu’ellesoutenait la convention sur l’éducation à lanature et qu’une signature commune avecla ministre de l’Éducation nationale auraitlieu en février 2015 ». Il faut consulter lesite internet http://www.passionlachasse.com/t23172-les-chasseurs-rencon-trent-segolene-royal pour y lire l’éventaillarge et très instructif des demandes (desexigences…) du président de la FNC et lesréponses favorables de la ministre.

La réaction a vite suivi : le 12 février2015, le « Collectif non aux chasseurs dansles écoles » rassemble 65 organisationsvouées à la défense de l’animal et à la pré-servation de la nature (parmi lesquelles laLFDA) et envoie un courrier à la ministre del’Écologie et à la ministre de l’Éducationnationale (la lettre du Collectif figure inextenso sur le site de notre Fondation à larubrique « dernières nouvelles »). Ce cour-rier dénonce et prouve le prosélytisme prochasse illégal effectué par les chasseursauprès des enfants, l’enseignement biaisépar la dénonciation des méfaits des « nuisi-bles ». Il fait référence à l’avis du Conseiléconomique, social et environnemental dedécembre 2013, qui déclarait : « La décou-verte du monde vivant, de la nécessaireempathie avec les autres êtres vivants,constitue un maillon essentiel de l’éduca-tion première. » Les 65 signataires souli-gnent le rôle que devraient jouer, àl’opposé des chasseurs, les organismesspécialisés regroupés dans le CFEEDD –Collectif français pour l’éducation à l’envi-ronnement vers un développement dura-ble, ou le Réseau École et Nature. Lecourrier demande aux ministres de ne pascautionner l’intervention des chasseurs enmilieu scolaire en signant une telle conven-tion. Leurs réponses sont impatiemmentattendues. Quelles qu’elles soient, préser-ver et respecter la nature demeure incom-patible avec le fait d’y détruire les animauxqui y vivent. Même habillé de vert, le« chasseur-protecteur » ne fait pas illusion,pas plus que « Le loup devenu berger »,vêtu de son hoqueton. L’habit ne fait pas lemoine. Et le fusil n’est pas une houlette.

JCN

* Signalons au passage que M. Luc Chatel, signatairede la Convention, a alloué, sur sa « réserve parlemen-taire 2014 », la somme de 2 000 € à la Fédérationdépartementale des chasseurs du Territoire de Belfort.

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Fin de l’hiver : c’est le moment de l’ou-verture de la pêche. C’est donc celui derevenir sur ces techniques de pêche deloisir ou de plaisance encore en usage enFrance, qui sont génératrices de bles-sures douloureuses pour les poissons : lapêche au vif utilisant comme appât unpoisson vivant, l’utilisation de la gaffe pourremonter le poisson hors de l’eau, l’emploide l’hameçon à ardillon (1).

L’existence d’un ressenti de la douleuret de l’émotion de peur chez les poissonsest définitivement reconnue et admise.Elle a été à nouveau démontrée lors denotre colloque d’octobre 2012 « La souf-france animale : de la science au droit »(2).

L’hameçon à ardillonCet hameçon, hélas le plus couramment

utilisé, est muni à sa pointe d’un ergot quiempêche que le poisson se décroche ense débattant. Ce n’est qu’en blessant plusgravement les lèvres ou l’intérieur de lagueule du poisson que l’on peut enleverl’hameçon. Or il y a obligation de remettreà l’eau, pour certaines espèces, les pois-sons qui n’ont pas la taille minimalerequise.

Plusieurs expertises commanditéesdans le monde par des sociétés de pêcheou par des instances gouvernementales(dont celle réalisée en 2005 au Canada (3)analysant 118 études menées entre 1989et 2004 sur la remise à l’eau des poissonset les taux de mortalités, et comptant desdonnées sur plus de 120 000 poissons),ont montré que les hameçons à ardillonsdiminuent de plusieurs dizaines de pourcent le taux de survie des poissons quidoivent être relâchés dans un but de pré-servation des populations et des espèces.Il est démontré :

1. que le temps de décrochage de l’ha-meçon à ardillon est très augmenté parrapport à l’hameçon simple, et que lestress du poisson est augmenté du fait dela durée prolongée d’asphyxie hors del’eau et du temps de manipulation ;

2. que l’hameçon à ardillon engendre degraves blessures non seulement auxmâchoires mais aussi au palais, à lalangue, aux yeux, aux branchies et àl’œsophage. Infectées rapidement par desbactéries, des algues ou des champi-gnons, ces blessures compromettent l’ali-mentation, la respiration et l’état généraldu poisson remis à l’eau.

Il existe ainsi une grave contradictionentre l’obligation de relâcher un poissonqui n’a pas atteint la taille réglementaireafin de favoriser la préservation de l’es-pèce, et le fait de le relâcher après luiavoir causé des blessures qui vont mena-cer gravement sa survie, contradiction quiconfine à l’absolu non-sens.

La pêche au vifLa pêche au vif est une technique de

pêche aux poissons carnassiers (brochet,perche, sandre, black-bass…) qui utilisecomme appât un petit poisson vivant,généralement un gardon. Suivant la

méthode, le poisson-appât est accrochépar le dos ou la bouche avec un hameçonà deux ou trois branches, ou encore il estembroché par le bas de ligne passé sousla peau grâce à une longue aiguille à chaset monté d’un hameçon double ou triple.La ligne est lancée à l’eau, et le poissonappât survivra durant presque une heure,dans des douleurs intenses, et en s’épui-sant à tenter de rejoindre le fond pour s’ycacher.

La gaffeLa gaffe est un crochet de métal avec

lequel le poisson ferré est agrippé, géné-ralement en perforant la tête, pour le his-ser hors de l’eau. Ce procédé estparticulièrement cruel. Il est cependantautorisé, au même titre que l’épuisette.

La souffrance des poissons est recon-nue par le droit en France. La réglementa-tion encadrant l’expérimentation surl’animal vivant (code rural et de la pêchemaritime art. R214-87 à R214-137, art.R215-10, et arrêtés du 1er février 2013 ;code de l’environnement art. R412-11) faitobligation aux expérimentateurs de mettreen œuvre tous les moyens d’évitement oude suppression des douleurs, de l’an-goisse et des souffrances et de réduire auminimum l’intensité et la durée de la dou-leur lorsque celle-ci n’est pas évitable, etcela pour l’ensemble des animaux verté-

brés, poissons inclus donc. Pourquoi lesactes interdits aux expérimentateursseraient-ils permis aux pêcheurs ? Lepoisson ressent la douleur, la souffranceet l’angoisse. Point final.

Déjà en 1998, une note de service(DGAL/SDSPA/N.98-8117 du 9 juillet1998) de Bernard Vallat (alors chef duService de la qualité alimentaire du minis-tère de l’Agriculture, et aujourd’hui direc-teur général de l’OIE) a été adressée auxdirecteurs départementaux des servicesvétérinaires, soulignant l’aptitude à souffrird’un poisson, l’anguille, et considérant sonécorchage à vif comme une infraction ou

un acte de cruauté passible des peinesprévues à l’article 521.1 du code pénal.

La souffrance des poissons est prise encompte juridiquement en Europe. Lapêche au vif est interdite en Norvègedepuis 1974. La loi sur le bien-être animal(The welfare of Animals Act, n° 73) du20 décembre 1974, rappelle dans les pra-tiques prohibées (chapitre I, section 8.3)qu’« il est interdit d’utiliser un animalvivant comme appât ou pour servir denourriture à d’autres animaux » et, dansune section réservée aux poissons etcrustacés (chapitre III, section 14.1), ilprécise « qu’il est interdit de suspendre unpoisson vivant à un hameçon lequel seraitintroduit à travers ou dans le corps dupoisson ». La pêche au vif est totalementinterdite aux Pays-Bas depuis 1998 (déci-sion du 14 avril 1997 modifiée par la déci-sion du 20 juillet 1998). Cette décisionlégislative exclut l’usage de tous les verté-brés (poissons, amphibiens, reptiles,oiseaux et mammifères) comme appâtvivant pour la pêche dans les eaux inté-rieures et côtières. L’infraction est punis-sable d’une peine de prison de 3 mois oud’une amende de 2 300 €. L’introductionde la décision législative néerlandaise du14 avril 1997 spécifie notamment : « Lepoisson meurt dans un délai de quelquesminutes à une heure […] ; dans notre

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DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015 - 19

Pêche de loisir et pratiques cruelles

L’illustration estde Claude Buret.

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Pêche de loisir (suite)

société, les animaux ne sont plus considé-rés comme de simples instruments, maisils ont une valeur sociale. L’idée qu’unpoisson vivant bien conscient est percépar un hameçon est vue par la grandemajorité comme une maltraitance inac-ceptable. » Les Länder d’Allemagne, dansleur majorité, ont adopté entre 1986et 1996 des mesures réglementaires quiinterdisent, sauf motif raisonnable, lapêche avec des animaux vertébrésvivants comme appâts. Depuis 2001, lescommunautés autonomes en Espagne ontégalement interdit l’utilisation des verté-brés vivants, poissons compris, commeappâts. Depuis 2008, en Suisse, l’utilisa-tion des poissons vivants comme appât etcelle des hameçons avec ardillon sontinterdites, et la mise à mort immédiate depoissons sortis de l’eau est obligatoire(articles 23 et 100 de l’ordonnance sur laprotection des animaux 455.1 du 23 avril2008).

Ainsi, l’évolution des mentalités, unemeilleure prise en compte éthique desdonnées scientifiques concernant le bien-être des poissons et la préservation deleur biodiversité, les avancées réglemen-taires que ces évolutions ont déjà induites,sont manifestes dans plusieurs pays euro-péens. On observe d’ailleurs dans plu-sieurs départements français depuis unedizaine d’années un net changement desmentalités quant à l’utilisation des hame-çons à ardillon (Isère, Savoie, Somme), età l’utilisation de la gaffe.

Il est donc absolument nécessaire, tantdu point de vue scientifique que des pointsde vue éthique et juridique, de mettre finen France aux techniques de pêche parti-culièrement douloureuses pour les pois-sons dans le cadre de loisirs réglementéspar le code de l’environnement, tech-niques qui mettent en incohérence le codede l’environnement, le code rural et lecode pénal. Un décret en Conseil d’État,en référence à l’article L436-5-7° du codede l’environnement, doit prohiber l’utilisa-tion de tout animal vivant vertébré (pois-son compris) comme appât, doit rejeterl’emploi de la gaffe et doit interdire l’usagedes hameçons simples ou multiples avecardillon dans toutes les activités de pêchede loisir ou de plaisance.

JCN

(1) Réformer la pêche de loisir, éd. LFDA, 2002.(2) Sneddon LU. (2013) Les sensations douloureuseset la peur existent-elles chez le poisson ? in La souf-france animale : de la science au droit, édit Yvon Bais,Montreal.(3) Casselman, SJ (2005). Catch-and-release angling :A review with guidelines for proper fish handling prac-tices. Fisheries Section Fish and Wildlife Branch,Ontario Ministry of Natural Resources.

Chevaux, ânes et paysans ensemble au travail

La Fédération régionale des CIVAM deBretagne (Centre d’initiation pour valoriserl’agriculture et le milieu rural) et le CIVAMdu Finistère ont publié un répertoire quiregroupe tous les métiers et structures quitournent autour de la traction animale :maréchaux-ferrants, bourreliers, associa-tions, formations (1). Ce répertoire faciliteles contacts et permet d’établir les basesd’un réseau sur la traction animale agri-cole, en complétant celui mis en place parl’association Faire à cheval, orienté vers lapratique territoriale de la traction animale.De plus, ce répertoire veut être un moyende trouver des contacts pour se perfection-ner, affiner son projet ou échanger sur cettepratique. Ses chapitres déroulent un étatdes lieux de la traction animale enBretagne, et référencent les utilisateurs dela traction animale, les métiers autour de latraction animale (maréchaux-ferrants,bourreliers), les éducateurs comportemen-talistes, les formations à la traction ani-male, les associations en Bretagne et enFrance, le matériel (autoconstruction, fabri-cants et revendeurs).

Ce répertoire vient compléter unmémoire de Master I de l’université Michelde Montaigne – Bordeaux 3 : « Rechercheet accompagnement des agriculteurs afinde valoriser les économies d'énergies à laferme. Étude sur la traction animale » (2).Cette étude a été réalisée dans le cadred'un stage de 4 mois (d’avril à juillet 2013)encadré par le CIVAM Finistère. Elle traitede l'utilisation de la traction animale agri-cole en Bretagne, laquelle concerne essen-tiellement les activités de maraîchage, dedébardage et de prestation de service, réa-lisées à l'aide d'équidés (ânes, chevaux,hybrides). L'étude a permis de recenser lesutilisateurs professionnels, de connaîtreleurs motivations, d'établir des profils d'uti-lisation, afin d'avoir une idée de l'état del'utilisation de la traction animale, de pen-ser son évolution ainsi que l'accompagne-ment des porteurs de projets. Les donnéesont été recueillies par le biais d'uneenquête auprès de professionnels de latraction animale de Bretagne.

En illustration concrète de ces initiatives,Ouest-France du 10 janvier consacre unarticle à Dominique B., fermier-boulanger,ex-professeur d’électrotechnique, et àPhœnix, Osiris et Câlin, deux robustes che-vaux de trait et un âne, dont il est proprié-taire. Les chevaux tirent les chargeslourdes, transportent le fumier, font la fenai-son ; l’âne est au jardin, il sarcle, entretienles sols, passe délicatement entre lesrangs de légumes. Par son exemple,Dominique B. veut aider les futurs agricul-teurs à réfléchir aux pratiques liées à latraction animale. Il ne rêve pas à des aidesPAC, mais il estime que le recours à deschèques-emploi pourrait fournir de la main-d’œuvre et favoriser ainsi le recours à l’ani-mal ouvrier agricole.

Il est certain que le tracteur et l’autocaront tué le cheval rural. Pourtant, il semblequ’il y ait du changement en route. Les tra-vaux des champs, la collecte des orduresménagères, la tournée de ramassage desécoliers, se font ici et là au bruit régulier etcentenaire des sabots, et les soins donnésau cheval au terme de sa journée de travailremplacent avantageusement le nettoyagedu carburateur et le plein de fuel. Il y asoixante ans, avait été admirablementdécrite l’infirmité du tracteur : « Il ne répondpas à la voix, il n’est pas un compagnonque l’on peut traiter de fainéant, il ne hennitpas, il ne mange pas dans la main, il n’apas de conversation, ses flancs ne sontpas agréables à flatter, il n’a pas besoin defranges multicolores contre les mouches, iln’a ni père ni mère et on ne l’a jamais vutout petit » (Cheveux sur la soupe, JacquesPerret, 1954).

JCN

(1) Ce document est disponible auprès de la FRCIVAM,du Civam 29, de la FDCIVAM 35. Prix de vente : 5 €(hors frais de port).(2) Mémoire de Master 1 : « Recherche et accompagne-ment des agriculteurs afin de favoriser les économiesd'énergies à la ferme. Étude sur la traction animale ».http://civam-bretagne.org/files/fil_bd/Energie/Rapport_Étude_TA_Bretagne.pdf

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Loueuse-aux-3 000 porcs

C’est le nouveau nom que pourrait bienporter Loueuse, un petit village de l’Oise enPicardie verte, et que craignent ses 150habitants. En effet, le propriétaire de l’éle-vage porcin local a déposé un projet d’exten-sion de son exploitation, afin de passer de1440 animaux actuellement à 3113. Afin dedoubler son cheptel, et au-delà, la construc-tion d’un bâtiment de 1350 m2 et celle d’unefosse à lisier de 1696 m3 seront nécessaires.Cela ne plaît pas. Les habitants ont constituél’association Décicamp (Démocratie pour lescitoyens à la campagne), bien décidés àdéfendre leurs intérêts auprès du commis-saire enquêteur, aidés et soutenus par lesécologistes du Groupe Écologie-les Verts dela région. Ceux-ci dénoncent l’installation enPicardie d’un « élevage-usine intensif […]déraisonnable à l’image des porcheries bre-tonnes alors même que le territoire est déjàtouché par des problèmes de qualité del’eau ». Les conséquences « prévisibles »,soutient Décicamp, sont « la dévalorisationdes biens, la pollution de l’air, du sol et de lanappe phréatique, les perturbations de lafaune et de la flore, les nuisances olfac-tives ». Ces réalités ne ressortent pas claire-ment du dossier de l’exploitant. À première

vue, passer de 1440 porcs à 3113 pourraitne pas paraître insupportable. Mais au résul-tat, ce sont 9000 porcs qui seront produitschaque année, ce qui est beaucoup moinsprésentable… Le propriétaire (SCEABorgoo-Martin) s’affirme volontiers commeun presque modeste exploitant bien local ;mais en réalité il est adhérent de Cooperl ArcAtlantique, une coopérative porcine deLamballe (Bretagne), laquelle a établi à saplace le dossier administratif, et a monté lapartie environnementale du projet. De plus,Cooperl a confié une partie des analysesenvironnementales à sa filiale Dénitral, et afinancé le reste des analyses, effectuées pardes laboratoires indépendants. Les habi-tants de Loueuse se questionnent à justetitre sur l’objectivité du dossier et l’absencede conflit d’intérêts. De son côté, l’éleveurplaide les bonnes intentions de son exploita-tion « familiale »: porcelets fournis par unesociété normande engagée dans unedémarche « porc bien-être » (pas de castra-tion), abstention d’antibiotiques. Enrevanche, les excréments devront être dis-persés par épandage alentour, et c’est bienlà ce qui motive principalement la réactiondes habitants.

Il y a bien eu une enquête publique aucours de laquelle le commissaire enquêteur

(tenu à l’impartialité) a reçu les parties, aucours de quatre audiences de trois heuresles 22 et 25 novembre et les 5 et 13 décem-bre 2014. La réunion du 22 a été plutôt ten-due. Le 5, les opposants sont venus déposerleurs feuilles de doléances: le commissaire amis quelque mauvaise volonté, prétendantne pas avoir de quoi coller ces feuilles dansson dossier…

Le commissaire-enquêteur a bouclé sonrapport le 20 décembre 2014, et le 19 janvieril a rendu un avis favorable au projet d'exten-sion de la ferme porcine de Loueuse. C’estun « avis », auquel le préfet de région peutne pas se rallier, et autoriser ou non l’agran-dissement de l’exploitation. Sa décisiondevrait être prise en juin.

Mais les enquêtes publiques n’ont pas lacote. Surtout depuis les affaires de la fermedes 1000 vaches, et celle du barrage deSivens. L’association Décicamp et les écolo-gistes du Groupe Écologie-les Verts sedisent prêts à aller en justice.

JCN

Sources:Oise Hebdo du 26-11-2014 et du 10-12-2014, Le Courrier

Picard du 11-12-2014.

Thons en milliers de tonnesLe thon rouge et le thon tropical sont à la fois

convoités par la pêcherie, et spécialementvisés par la préservation des espèces.L’équation est simple à poser: on ne peut pasprotéger à la fois les pêcheurs et les poissons,mais il est complexe de la résoudre. D’où lanécessité et l’importance de la Commissioninternationale pour la conservation des thoni-dés de l’Atlantique (ICCAT), dont la dernièreréunion s’est tenue à Gênes du 10 au17 novembre 2014 pour discuter des taux depêche; ses 48 membres (47 pays plus l'Unioneuropéenne) ont des intérêts d’activités depêche en Atlantique-est et en Méditerranée.

Au début des années 2000, le thon rouge asemblé en réel péril de disparaître. Les prisesavaient atteint des sommets avec 60000tonnes par an. Les quotas ont été sévèrementréduits à 13500 tonnes en 2007. Enfin soula-gée, l’espèce s’est reconstituée: sa biomasseserait passée de 150000 tonnes à 585000tonnes, selon le comité scientifique del’ICCAT. Cette apparente bonne nouvelle alibéré les appétits de l’industrie de la pêche.Les ONG de l’environnement ont lancé desappels à la prudence, et ont dit leur crainte queles immenses efforts de conservation durantles dernières années ne soient réduits ànéant. Les scientifiques du comité quiconseille l'ICCAT préconisaient de rester auniveau actuel de pêche, en rappelant une foisencore que l'évaluation des stocks dans lesocéans comporte une énorme part d'incerti-tude, et qu’il n’y a aucune certitude que le

stock global de l’espèce soit totalement rétabli,ni qu’il le sera dans un ou deux ou trois ans.L’ICCAT n’a pas suivi ces avis, et il lui a sem-blé justifié d’augmenter les tonnages de prisesde 20 % en 2015 et en 2016, passant de13500 t à 23155 t en 2017. Les débats qui ontsuivi ont été particulièrement vifs pour savoircomment partager ce pactole, et finalementl'assemblée a renoncé à s'attaquer à une cléde répartition générale, une question politiquetrop sensible. Quant à la menace pesant surl’avenir du thon, elle a été mise sous le coude.

La pêche du thon tropical n’est pas soumiseà quotas : elle totalise plus de 3 millions detonnes par an dans le monde. Les bancs dethon tropical sont pêchés après avoir été atti-rés par des systèmes flottants artificiels souslesquels ils se rassemblent. Ce « dispositif deconcentration de poisson » (ou DCP) permet« d'améliorer la pêche » et assure 50 % despêches de thon tropical. Certains DCP sontfixes, d’autres sont dérivants : ces dernierssont constamment dénoncés parce que s’yfont prendre des espèces marines protégées,tortues, requins, raies, dauphins. De plus, lesDCP sont préjudiciables à la reproduction endétournant les bancs de thons de leurs zonesnaturelles de reproduction. Néanmoins, oncontinue. Les pêcheurs français, regroupéssous le pavillon « Orthongel », ont toutefoisdécidé en 2011 de limiter l’utilisation des DCPà 200 par navire. Ce que ne font pas les tho-niers espagnols, qui en utilisent jusqu’à millepour chaque bateau. À Gênes, l’ICCAT a crééun groupe de travail chargé d’étudier l’impactdes DCP sur les populations de thons et sur

les écosystèmes. Des mesures de régulationde l’utilisation des DCP devraient être misesen œuvre en 2016. Des oppositions se dres-sent, de la part de la Sapmer (pêcherie fran-çaise de 8 thoniers senneurs), mais surtoutvenant des Espagnols, qui détiennent la plusgrosse flotte européenne. Orthongel aannoncé sa fermeté quant à la régulation desDCP, et quant à une obligation de les fabriqueren matériaux biodégradables, afin qu’ils nedérivent pas durant des années en noyant lesanimaux pris au piège.

Lors de la réunion de l’ICCAT, obnubilés parles questions de tonnages, de quotas et departage de gros sous, les pays n’ont pasabordé des sujets brûlants pourtant prévus auprogramme: moyens de lutte contre la pêcheillégale, et shark-finning, cette pratique odieu-sement criminelle qui consiste à couper lesailerons d’un requin et à rejeter l’animal vivantet mutilé à la mer.

Pour le thon tropical comme pour le thonrouge, et pour les thons d’autres espèces, lacommercialisation la plus fréquente se fait enboîte de conserve. La « boîte de thon » estbien pratique, surtout en été. Mais si leconsommateur est sensible au sort et audevenir des thons, il peut agir aisément…

JCN

Sources :- Le Télégramme du 6-11-14, du 12-11-14 et du 25-11-14, Le Monde du 17-11-14.- http://www.planetoscope.com/Animaux/310-nombre-de-requins-tues-et-rejetes-a-la-mer.html- www.lemonde.fr/planete/article/2014/11/17/les-quo-tas-de-peche-de-thon-rouge-en-mediterranee-releves-pour-trois-ans_4524841_3244.html#QscGifHQb2OmJQZA.99

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World Animal Protection et promotion du bien-être animal en Chine

Une étude a récemment mis en évidenceque la majorité des citoyens chinois n’avaitjamais entendu parler du concept de« bien-être animal » (1, 2). Pourtant la phi-losophie éthique traditionnelle chinoise etles systèmes éthiques du bouddhisme, dutaoïsme et du confucianisme sous-tendentassurément une préoccupation pour le sortdes animaux. Par ailleurs, le bien-être ani-mal est devenu un concept à part et unediscipline scientifique, et le bien-être ani-mal est, semble-t-il, à un stade précoce dedéveloppement en Chine. Toutefois, à cejour, aucune loi sur le bien-être animal n’aencore été adoptée (1). De plus, la quantitéconsidérable d’animaux produits en Chine,en particulier ceux de l’élevage, ne peutnon plus être ignorée. Selon les chiffres del’Organisation des Nations unies pour l'ali-mentation et l'agriculture (FAO) en 2013,l’élevage industriel chinois a produit482392000 porcs, 5824700000 volailles,357 870 920 ovins et caprins ainsi que113544709 bovins (3).

L’éducation représente un mécanismemajeur grâce auquel les nouveauxconcepts et l’information scientifique rela-tive au bien-être animal peuvent être diffu-sés en Chine pour développer descompétences au sein de la population quifaciliteront la compréhension, la connais-sance, l’intérêt et les comportements posi-tifs liés au bien-être animal. Lesenseignants peuvent guider et intéresserleurs élèves afin qu’ils comprennent mieuxles notions associées au bien-être animal.Les jeunes ont d’ailleurs été identifiéscomme un groupe démographique plusouvert et sensible aux idées nouvelles telque le bien-être animal. Parallèlement, entant que membre de l’Organisation mon-diale de la santé animale (OIE), la Chineest obligée de s’assurer que tous les vété-rinaires diplômés possèdent les compé-tences minimales requises (4) pour unebonne compréhension du bien-être animal.Malgré cela, l’enseignement du bien-êtreanimal y est tout de même reconnu lacu-naire (2).

Les vétérinaires jouent un rôle uniquequant à l’amélioration du bien-être animal,qu’il s’agisse de la pratique (prévention ettraitement des maladies), ou indirectementvia leur rôle consultatif auprès des proprié-taires d’animaux, des décisionnaires poli-tiques et législateurs d’un pays ou d’unerégion géopolitique. Néanmoins, histori-quement et jusqu’aux dernières décennies,certains aspects du bien-être animal allantau-delà de la simple santé animale étaientexclus de l’éducation vétérinaire partoutdans le monde.

World Animal Protection (organisationinternationale de protection des animaux,anciennement connue sous le sigle WSPA)

travaille avec des associations vétérinairesainsi que des personnes chargées de l’en-seignement de par le monde depuis plusde 10 ans, afin d’encourager et soutenirl’enseignement et l’application effective dubien-être animal dans l’enseignement vété-rinaire (5). Afin de soutenir les efforts desenseignants vétérinaires sur cette voie, àl’occasion d’une collaboration entre l’écolede sciences vétérinaires à l’université deBristol, Royaume-Uni, et la World AnimalProtection, le programme « Concepts enbien-être animal » (Concepts in AnimalWelfare syllabus) (6) a été créé et mis enlibre disposition. Ce travail, en définitive,doit fournir les outils nécessaires aux futursvétérinaires et les former afin de faire d’euxdes défenseurs respectés du bien-être ani-mal.

Aujourd’hui, le système éducatif chinoisn’aborde toujours pas le thème du bien-être animal de façon satisfaisante puisquecelui-ci n’est toujours pas enseigné demanière systématique dans les écolesvétérinaires en Chine. Même lorsque lebien-être animal est enseigné, le mode detransmission des connaissances de cettediscipline varie souvent considérablement.

Dans certains cas,au moment de pas-ser leur diplôme,les élèves vétéri-naires ne sont pasà même d’appré-hender le conceptgénéral du bien-être animal et lesaptitudes pratiquesqui doivent y êtreliées. A fortiori, onne peut imaginerqu’ils satisfassentles exigences decompétences mini-males requises(Day-one compe-tency) de l’OIE. Enoutre, il existe unfossé entre cescompétences mini-males requises parl’OIE et l’éducationdes praticiensvétérinaires,puisque le bien-être animal ne faitpas partie du pro-gramme finald’examen qui per-mettra l’officialisa-tion du vétérinaireprofessionnel. Deplus, il n’existe pasde politique oud’exigences spéci-

fiques à propos du bien-être animal pour laformation professionnelle vétérinaire conti-nue en Chine, ce qui devrait pourtant fairepartie intégrale des compétences d’unvétérinaire.

En 2012, World Animal Protection et ladirection générale du service de la santé etdu bien-être animal de l’Association chi-noise des médecins vétérinaires (CVMA)ont cosigné un accord ayant pour but d’ex-plorer le statut de l’enseignement vétéri-naire du bien-être animal en Chine. En sefondant sur ces résultats, ces deux orga-nismes ont estimé qu’il était nécessaire dedévelopper un manuel vétérinaire spécia-lisé dans le bien-être animal pour les étu-diants, et prenant en compte lesparticularités de la situation chinoise. En2013, un protocole d'entente pour la pro-motion de l’éducation et la formation vétéri-naire en bien-être animal en Chine a étésigné officiellement par World AnimalProtection et CVMA. Selon ce protocole, unmanuel nommé « Introduction au bien-êtreanimal » a été élaboré par des expertschinois, sur la base des résultats de larecherche scientifique la plus avancée etconforme aux exigences du bien-être u

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DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015 - 23

Les requins « boucs émissaires »

La peur irraisonnée des requins serépand depuis l’été sur la blogosphère.Comme le rapportait déjà Martine Valodans Le Monde du 24 et 25 août 2014, unedéclaration d’un responsable de Googlelors d’une conférence à Boston, le 7 août2014, expliquant que sa société envisa-geait de renforcer les câbles téléphoniquessous-marins par des gaines métalliquespour les protéger, entre autres, des mor-sures des requins. Cette déclaration inter-venait au moment où Google venait dedécider d’investir 300 millions de dollarspour immerger dans le Pacifique descâbles à fibre optique en association avecun opérateur téléphonique chinois. Googlesouhaite améliorer ses installations sous-marines afin d’éviter à tout prix lescoupures dans le réseau internet transcon-tinental. Ces informations déformées ontété reprises par de nombreux sites internetet les médias télévisés français inclus quiprésentaient au même moment la multipli-cation à la Réunion des attaques des sur-feurs pris soit disant par les requins pourdes tortues marines.

Dans la blogosphère, certains tweetersappelaient les gouvernements à l’extermi-nation de « ces sales bêtes » empê-cheuses de surfer en rond tant sur lesvagues que sur la toile électronique.

Voilà comment se répandent, noncomme des « âneries » mais plus juste-ment dit comme des imbécillités bienhumaines, des rumeurs dépourvues dumoindre fondement scientifique, mais quipermettent de faire naître une nouvelle ver-sion du dicton « Quand on veut tuer sonchien, on dit qu’il a la rage ».

Il est vrai que si certaines petitesespèces de requins de profondeur mordentparfois câbles électriques et téléphoniquessous-marins, sans pouvoir pour autant lessectionner faute de dents et de mâchoiressuffisamment puissantes, c’est parce qu’ilssont attirés par les microchamps élec-triques que les câbles émettent. Il faut serappeler en effet que la tête des requins estpourvue d’organes spécialisés, sensiblesaux champs électriques, qui permettent àces poissons de détecter leurs proiesvivantes, alors facilement repérables à dis-tance par l’activité électrique de leurs mus-cles et de leurs nerfs. Dès lors, si les câblesne comportent que des fibres optiques etne véhiculent l’information que sous formelumineuse, aucun champ électrique nerisque d’être produit et d’attirer de requins.

En réalité les pannes et les coupuresd’alimentation par les câbles sous-marinssont dues aux chaluts de pêche, à la corro-sion, aux séismes et aux typhons !

Pour ce qui concerne les attaques desurfeurs occasionnées par les requins, uneéquipe de chercheurs français de l’Institut

de recherche pour le développement (IRD)a suivi sur les côtes de la Réunion durant 2ans 42 requins-tigres, 42 requins-boule-dogues et 11 tortues marines, tous équipésde balises géolocalisatrices. L’étudeconfirme, selon un rapport restitué enfévrier (1), que les tortues ne sont pas lesproies naturelles des requins. Les surfeursassimilés à des tortues marines ne sontdonc que pure légende.

Si la fréquence des accidents parattaque de requins s’accroît ces dernièresannées à la Réunion, de l’avis répété surles médias depuis deux ans par les biolo-gistes experts en requins, dont le françaisBernard Serret (2), c’est essentiellementpour quatre raisons. Le nombre de prati-quants de ce type d’activité nautique s’ac-croît ; la surpêche au large a appauvri lespopulations de poissons proies pour lesrequins, les obligeant à venir se nourrir surla côte ; les rejets de déchets attracteurspour les requins deviennent plus abon-dants sur le littoral ; enfin nombre de bai-gneurs ou surfeurs ne respectent pas lesinstructions préventives de sécurité,notamment les interdictions de baignadelorsque la mer est trouble. Ils peuvent êtrealors perçus dans les eaux turbides commedes proies en détresse ou des cadavresdérivant en surface. On observera d’ail-leurs qu’à la Réunion aucun accident n’ajamais été enregistré avec des plongeursen immersion.

Une fois de plus, c’est la responsabilitéde l’homme qui est en cause et non celledes animaux sauvages. Afin de sauvegar-der une indispensable coexistence, il fautraison garder et ne pas succomber auxgénéralisations hâtives, à l’irrationnel, à laterreur et aux actes violents qu’elle suscite.Un conseil tout aussi valable d’ailleurs,actualité oblige, pour la coexistence entreles hommes.

TAVDK

(1) https://www.ird.fr/toute-l-actualite/actualites/com-muniques-et-dossiers-de-presse/restitution-du-pro-gramme-charc(2) http://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-reunion-la-degradation-de-l-ile-favorise-les-attaques-de-requins_1259743.htmlhttp://www.francetvinfo.fr/faits-divers/requins/attaque-requins/la-reunion-pourquoi-les-attaques-de-requins-se-multiplient_371114.htmlhttp://www.sciencesetavenir.fr/requin/20130717.OBS9797/requin-tigre-et-requin-bouledogue-les-squales-de-la-reunion.html

World Animal Protection(suite)

animal de l’OIE. Ce manuel est axé en par-ticulier sur les principes et connaissancesbasiques de façon à ne pas être réservéuniquement aux étudiants vétérinaires : ilest également adressé au nombre colossalde praticiens vétérinaires qui pourront ainsil’étudier à un niveau non-expert. Par ail-leurs, grâce à de sérieux efforts déployéspar World Animal Protection en Chine etses partenaires depuis ces quatre der-nières années, le sujet « Protection et bien-être animal » est désormais perçu par leministère chinois de l’Éducation comme fai-sant partie intégrante des études vétéri-naires (7).

En 2015, World Animal Protectioncompte mettre en place et soutenir laremise d’un prix récompensant les écolesvétérinaires qui promeuvent l’excellencede l’enseignement du bien-être animal enChine. Grâce à ses réseaux internationauxcomptant d’autres organisations vétéri-naires influentes et avec le soutien de par-tenaires chinois tels que CVMA, l’ONGespère continuer à faire progresser l’ensei-gnement vétérinaire du bien-être animal enChine. Cela permettra non seulementl’amélioration des standards de l’enseigne-ment vétérinaire et du profil global desvétérinaires chinois, mais cela fera égale-ment progresser le pays entier vers l’amé-lioration de la vie de millions d’animaux.

NC

en collaboration avec JJ Sun, éthologiste,et Natasha Lee, vétérinaire (traduit de l’an-glais par Sophie Hild).

(1) You x, Li Y, Zhang M, Yan H & Zhao R. (2014) A sur-vey of Chinese citizens’ perceptions on farm animalwelfare. PLOS One, 9 (10): 1-10.(2) Zhao Y & Wu S. (2011). Willingness to pay: Animalwelfare and related influencing factors in China. Journalof Applied Animal Welfare Science, 14: 150-161.(3) FAOSTAT, http://faostat3.fao.org/browse/Q/QA/E(4) http://www.oie.int/fr/appui-aux-membres-de-loie/education-veterinaire/(5) World Animal Protection Global Standards forAnimal Welfare in Veterinary Education survey report.(6) World Animal Protection Concepts in Animal Welfaresyllabus.

(7) Higher Education Department of China Ministry ofEducation, Majors and Major Description in HigherEducation, pressed by Higher Education Press (2012).Pour plus d’informations, contactez Dr Nancy Clarke,International education programmes manager :[email protected], WorldAnimal Protection, 222 Gray’s Inn Road, London WC1x8HB, Royaume-Uni.

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Compte-rendu de lecture

Comportement, conduite et bien-être

animal

xavier Manteca i Vilanova, Anthony J.Smith, Éditions Quae, 2014

Ce livre semble avoir été spécialementconçu pour les éleveurs ou les personnestravaillant au plus près des animaux.L’ouvrage est la traduction d’un livre paruen anglais en 2004. Cependant, des révi-sions et des compléments ont été apportésafin d’actualiser ce travail.

Le livre traite des animaux de rente quesont les bovins, les ovins, les caprins, lesporcins et les volailles, et ceci particulière-ment en région tropicale. En effet, les ani-maux élevés en milieu tropical peuvent êtregérés de manière très différente de ceuxélevés dans les régions tempérées, du faitde conditions écologiques plus extrêmesainsi que de cultures divergentes. L’avant-propos met en avant le fait que les auteursont voulu relier le bien-être animal avec lecomportement des espèces et leur moded’élevage. L’un des auteurs souligne judi-cieusement dans la préface que notremode de consommation et l’intensificationde l’élevage ont mené à des conditions demaintien des animaux fort éloignées desconditions naturelles où les animaux peu-vent exprimer l’ensemble de leur répertoirecomportemental (définition même du bien-être animal). Ces conditions d’élevageintensif ont soulevé depuis quelquesannées des questions éthiques et morales.Cet ouvrage tente de se différencier desautres livres qui sont alors parus sur lesujet, par son application à la productiondans les pays tropicaux dont les informa-tions sont trop souvent dispersées dans lalittérature scientifique.

En voulant aborder l’Éthologie de l’ani-mal, le livre se découpe en trois parties surles comportements basiques des animaux :sexuel, maternel et alimentaire, puis enune dernière partie mixant comportementsocial et bien-être général, ce qui montreque le comportement social est un élémentessentiel laissé encore trop souvent decôté. Les quatre comportements sont tou-tefois mis au même niveau dans l’introduc-tion de l’ouvrage.

Le chapitre sur le comportement sexueln’aborde pas simplement l’aspect productifdu sujet mais appréhende le rejet desmâles par les femelles comme un certainmal-être des animaux dont on peut com-prendre les causes, et ainsi améliorer leurbien-être. Le chapitre traite également dessignaux sexuels émis par les femelles quel’éleveur peut lui-même percevoir afin demettre ces dernières en reproduction aumoment voulu et d’ainsi augmenter la pro-ductivité du cheptel.

Le chapitre sur les comportementsmaternels et néonataux évoque le fait quela mortalité juvénile est très importante,particulièrement dans les pays tropicaux.Mieux comprendre les comportements dela mère et des jeunes permet donc de dimi-nuer cette mortalité. Laisser la mère avecson petit permet de diminuer les agres-sions sur ce dernier par une protectionmaternelle, et apporte une meilleuredéfense immunitaire par l’allaitement natu-rel. Les comportements de mise-bas,d’adoption et de sevrage sont aussi abor-dés. Il est important de comprendre parexemple que la mortalité des nouveau-nésest souvent due à une hypothermie du faitd’une mauvaise compréhension de leursbesoins, et au fait de n’avoir pas laissé lamère présenter des comportements natu-rels de mise-bas. Une surveillance étroitedes animaux est par contre conseillée àcette période, afin de réduire le taux depertes. Quelques méthodes sont traitées;ces dernières ont pour seule optique l’amé-lioration du rendement de l’élevage, maisne respectent pas la biologie de l’espèce.C’est le cas des tailles de canines des por-celets. Cette méthode permet de diminuerles blessures infligées à la mère ou auxautres porcelets de la portée, mais cescomportements d’agression sont souventdus aux conditions d’élevage limitant l’es-pace entre les animaux et donc imposantun stress.

Le chapitre sur le comportement alimen-taire commence également en référence àla maximisation de la productivité au lieu dubien-être. Un point important abordé est ladifférence qu’il y a entre les régions tempé-rées et les pays tropicaux en ce quiconcerne l’accessibilité à la nourriture.Dans certains cas, les animaux sont par-qués la nuit afin de les protéger contre lesprédateurs, ce qui empêche le broutage etdonc l’ingestion de nourriture. Est égale-ment traitée dans cette partie la gestion dela température par et pour les animaux enproposant des solutions pour éviter lestress thermique, tels les abris ou lespoints d’eau. Il est étonnant de constaterque de tels exemples sont présentéscomme éléments de la bien-traitance alorsqu’ils sont plus connus comme élémentsbasiques du bien-être. D’autres méthodesde diminution du stress thermique sont tou-tefois proposées mais insuffisammentdéveloppées.

Le dernier chapitre aborde à la fois lecomportement social, le bien-être et laconduite des animaux domestiques. C’estfinalement dans ce chapitre qu’est abordéle concept de bien-être animal en référenceà l’importance de ce sujet dans les paysdéveloppés. Le bien-être est ainsi défini (p.128) : « Le bien-être peut être défini de plu-sieurs manières. En termes de souffrance,par exemple, le niveau de bien-être peutêtre estimé “bon” lorsque l’animal ne souf-fre pas. » Cela montre une confusion entreles concepts de bien-être et de souffrance.Un animal peut être en mal-être sans qu’ilsouffre, et lorsque des comportements desouffrance sont observés, c’est que l’ani-mal est déjà en mal-être intense. C’est pourcela qu’il faut connaître les comportementsde stress de l’animal, afin d’éviter qu’il neconnaisse la souffrance. L’approche adap-tative du bien-être est ensuite abordéemais pas l’approche naturaliste. En find’ouvrage, des règles à suivre sont propo-sées sur les principaux sujets de préoccu-pation concernant le bien-être des animauxtel que l’abattage, la sélection génétique oul’habileté de l’éleveur/soigneur.

Le livre présente donc des manièreséthologiques simples pour augmenter laproductivité d’un cheptel dans des régionsdu monde qui ne permettent pas d’avoirrecours à certaines méthodes d’agricultureintensive. Il est à regretter par contre qu’ilreste un livre pour les éleveurs, écrit dansle but d’améliorer leur productivité : c’estdire que le livre n’évoque pas de méthodesd’amélioration du bien-être dans le seul butd’améliorer le bien-être mais toujours dansle seul but du rendement.

CS

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DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015 - 25

SCIENCES

Prix de biologie Alfred Kastler : appel à candidatures

Le concours 2015 pour le Prix de biologie Alfred Kastler de La Fondation Droit animal, Éthique etSciences est ouvert. Ce prix a été fondé en 1984 à la mémoire du professeur Alfred Kastler, prix Nobel, membre de l’Institut,cofondateur de la Fondation LFDA et son président de 1979 à 1984. Il sera attribué cette année pour la10e fois. Le Prix de biologie Alfred Kastler est destiné à encourager la recherche et l'application de méthodes évi-tant l'utilisation expérimentale traumatisante de l'animal. Il est ouvert à tout chercheur ou enseignant,biologiste, médecin, pharmacien, vétérinaire ou agronome français ou d'expression française. D'unmontant de 4 000 €, le Prix est financé exclusivement par les dons de particuliers versés à la FondationLFDA. Les candidats sont invités à envoyer leur dossier avant le 30 juin 2015 selon les conditions indiquéesdans le règlement du Prix, téléchargeable sur le site internet de la Fondation LFDA :

http://www.fondation droit animal.org/documents/ReglemPrixbiologieKastler.pdf

Une seule santé

C’est en 2010 qu’a émergé le concept« One Health » (une seule santé) à la suited’une réflexion conjointe menée parl’Organisation mondiale de la santé (OMS),par l’Organisation mondiale de la santé ani-male (OIE, autrefois Office internationaldes épizooties) et par l’Organisation desNations unies pour l’alimentation et l’agri-culture (FAO). Cette devise représenteactuellement la ligne d’horizon qui s’im-pose aux médecines humaine et vétéri-naire. Les maladies infectieusesprovoquent chaque année la mort de14 millions de personnes et l’on estime queparmi les maladies animales émergentes75 % sont des zoonoses qui peuventcontaminer les humains et les affecter gra-vement.

La globalisation des activités humaines,et notamment l’ampleur des échangesinternationaux et intercontinentaux en cequi concerne les animaux et les produitsalimentaires d’origine animale et végétale,accroissent les difficultés de la surveillancesanitaire et celles-ci sont accentuées par ladisparité, selon les pays, des législations etpolitiques sanitaires et des moyenshumains et matériels pour les mettre enœuvre.

Les trois organisations citées s’efforcentdonc de coordonner leurs activités ; leursdirections générales ont participé àl’Assemblée mondiale des délégués del’OIE qui s’est réunie à Paris, en mai 2014

(1) rassemblant les représentants des 178pays membres de l’OIE. À cette occasion,l’OIE a fêté ses 90 ans. Elle a été créée en1924 pour lutter contre les maladies infec-tieuses graves ; en effet, en 1920 la pestebovine, mortelle pour le bétail, avait étéintroduite accidentellement par bateau. Ilfaut souligner que de nombreuses actionscoordonnées au plan mondial et régionalont abouti en 2011 à l’éradication de lapeste bovine. Ceci constitue un vigoureuxencouragement pour lutter contre d’autresmaladies telles que la peste des petitsruminants qui est présente en Afrique, auMoyen-Orient et en Asie, et menace depénétrer en Europe. Selon Bernard Vallat,directeur général de l’OIE, il existe un« vaccin efficace, universel et pas cher ». Ilreste que pour concrétiser une décision devaccination obligatoire où sévit la maladie« il faut des vétérinaires et trouver un finan-cement ». D’autres menaces sanitairessont apparues en 2014 et elles impliquentla surveillance de la faune sauvage, cesont entre autres : la fièvre hémorragique àvirus Ebola dont la transmission aux êtreshumains aurait comme vecteur unechauve-souris ; le syndrome respiratoire duMoyen-Orient qui mettrait en question lerôle du dromadaire comme réservoir ducoronavirus MERS-COV. D’autres mala-dies émergentes rendent indispensable lasurveillance de la faune sauvage. (2)

Un autre objectif de l’OIE est de garantirle bien-être animal et notamment celui desanimaux de rente élevés pour la consom-mation humaine car il représente un gagede la sécurité alimentaire mondiale. Selonle Farm Animal Welfare Council, ce bien-être repose sur : l’absence de faim et desoif ; l’absence d’inconfort ; l’absence deblessure, douleur et maladie ; la libertéd’exprimer le comportement propre à l’es-pèce et l’absence de peur et d’anxiété. Cescritères sont loin d’être assurés dans lesconditions de l’élevage industriel. Celui-ciimpose des inerties au changement de sespratiques professionnelles et qui sont plusdifficiles à vaincre que l’agressivité de cer-taines pathologies. Qui développera unvaccin protecteur contre ces inerties?

Le concept « une seule santé » a uneimplication opérationnelle certes, mais ilrappelle également de façon opportuneque si les nombreux commentairescontemporains à connotations éthiques etphilosophiques sur l’homme et l’animalsont utiles, il n’en reste pas moins que leszoonoses mortelles rappellent à l’hommeson incontournable part d’animalité.

AC

(1) La Dépêche vétérinaire, n° 1262 juin 2014 : « OIE:800 représentants examinent la situation sanitaire mon-diale ». www.depeche-veterinaire.com(2) Les menaces des maladies émergentes et leursvecteurs seront abordés ici prochainement.

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SCIENCES

Quand les poules avaient des dents

Les Oiseaux modernes (Neornithes)apparaissent au Crétacé supérieur, il y a70 millions d’années, peu avant la dispari-tion des Dinosaures. Leurs mâchoires sontalors dépourvues de dents. Un bec cornéles recouvre, et ce phanère kératinisé a undouble usage: l’alimentation et la productionde sons. Cependant, à l’image de la plupartdes Reptiles dont ils sont issus, les premiersoiseaux étaient pourvus de mâchoires avecdes dents. Ils sont apparus au Jurassique:l’Archéoptéryx de Solnhofen (151 millionsd’années) en est le représentant le pluscélèbre, et on compte plusieurs lignées d’oi-seaux au Secondaire. On peut considérerque les oiseaux sont « des dinosaures quise sont envolés », autrement dit des reptilesà sang chaud. Leur essor fut favorisé par unplumage hérité de cette gent reptilienne quiles vit naître, une bipédie adoptée au fil dutemps par de nombreuses lignées alors queleurs os s’allégeaient, jusqu’à leur permettrede s’élancer dans les airs. Ce n’est pas leurseul héritage, comme en témoigneArchaeopteryx : outre des plumes, la bipédieet des os allégés, tous les Aves les plusanciens ont des mâchoires pourvues dedents. Ces dents se forment à partir de cel-lules épithéliales qui reçoivent des instruc-tions directives de quelques gènes etfacteurs de transcription. Dès lors, des cel-lules dérivées des crêtes neurales migrent,prolifèrent et se condensent, contribuant aumésenchyme de la pulpe embryonnaire. Aucours d’une nouvelle étape, on assiste à lamorphogenèse de la dent, régulée par uncentre organisateur, le nœud de l'émail, etpar des différences de programme de proli-fération entre la couche des améloblastes,pour l’émail, et celle des odontoblastes,pour la dentine, contribuant à la formationde plis et crêtes, donc de cuspides. Enfin lacytodifférenciation terminale de ces cellulesles rend fonctionnelles, ce qui entraîne lasynthèse, la sécrétion et la minéralisation del'émail et des différents types de dentine.

Bien alignées dans leurs gueules, lesdents chapeautées d’émail et d’une résis-tance à toute épreuve furent longtemps pourles plus anciens Aves des auxiliaires pré-cieux. Tous les oiseaux du Secondaire,comme tous les Reptiles d’alors, ont doncdes mâchoires percées d’alvéoles où s’im-plantent des dents faites de dentine couron-nées d’émail.

Le plus récent de ces oiseaux duSecondaire pourvu de dents se dénommaitIchthyornis et fendait les airs et les flots auCrétacé il y a 100 millions d’années, à lamanière de nos goélands. Cette lignée s’estéteinte sans descendance, ainsi quepresque toutes les autres familles d’oiseauxdu Secondaire, à une exception près, cellequi a donné naissance aux Neornithes.Aussi très logiquement, les paléontologuesont proposé que les oiseaux modernesavaient perdu toute capacité à développerune denture il y a moins de 125 millionsd’années, et proposaient comme date decet événement 85 millions d’années.

Dans un travail collectif, des spécialistesde génétique moléculaire ont dessiné etconstruit l’arbre phylogénétique des seulsOiseaux modernes. Ils concluent, se fon-dant sur le principe de l’horloge moléculaire,que les gènes des dents, dans la lignée quiconduit aux oiseaux de notre entourage, ontsubi des mutations qui ont entraîné la dispa-rition des gènes responsables de la forma-tion des dents voici 116 millions d’années(1). Le schéma phylogénétique ci-dessousrésume leur point de vue.

Deux étapes se sont succédé. Dans unpremier temps, il y a eu perte des dents à lapartie antérieure des deux mâchoires supé-rieure et inférieure alors qu’un bec s’y déve-loppait. Dans un deuxième temps, il y a eudisparition progressive de l’avant vers l’ar-rière aux deux mâchoires des capacités àformer des dents, alors que le bec lui aussiprogressait vers l’arrière pour bientôt recou-vrir tout l’appareil mandibulaire.

Depuis lors tous les oiseaux portent bec,et cet organe corné n’est pas pour rien dansles talents musicaux qui en font les rois desairs tant par les arabesques qu’ils dessinent,les coloris de leur plumage que leurs criail-leries. Pour suppléer l’absence de dent, l’ap-pareil digestif est pourvu d’un gésier, unitéde broyage des aliments, avant leur assimi-lation dans l’intestin.

Ainsi, les poules n’auront plus jamais dedents!

Aussi voici quelques années, d’autresgénéticiens avaient proposé une expé-rience. « Des poules avec des dents?Quand vous voulez et où vous voulez ! »disaient-ils. Selon eux, il suffisait d’effectuerune simple transplantation de cellules soi-gneusement choisies d’un embryon de sou-ris et de les greffer sur un poussin encoredans l’œuf pour obtenir un gallinacé dentu(2). On aurait dû alors renvoyer ces appren-tis sorciers à leurs études: les chimères res-tent des chimères, et non seulement ellesn’ont aucun avenir, mais elles sont desconstructions tératologiques qui à peinenées sont vouées à s’éteindre. Au final, cene sont que de cruelles et inutiles expé-riences.

Qui plus est, il est des Oiseaux modernes,des Neornithes donc, qui eux ne furent pasdes chimères, et qui ont su reconstruire unappareil dentaire: les Pelagornis ont survoléles océans du Miocène au Pléistocène(24 mA à 2,5 mA), et une espèce peut mêmeêtre considérée comme le plus grand voilierqui ait jamais survolé les océans : uneenvergure de plus de six mètres.

C’étaient alors des pêcheurs au ras desvagues pourvus d’un long bec bordé de« dents »! Cependant on a montré que cesaspérités étaient des pseudo-dents (3). Leurmuraille est composée de tissu osseux detype fibrolamellaire, largement remanié parles substitutions générées par le réseauHaversien. Les os des mandibules ontmême structure que les pseudo-dents, maisleur système de vascularisation est diffé-rent.

La « disparition des dents » est probable-ment liée à un moment de l’histoire desOiseaux où ces organes se sont révélés inu-tiles. Sans pression de sélection contrai-gnante, il y a eu perte de ces organes. Pourautant, les organismes au cours de leur évo-lution restent à tout moment capables d’in-nover. L’exemple des pseudo-dents dePelagornis en est la démonstration: néces-sité et hasard ont su à nouveau se combinerpour que ces grands voiliers redeviennentdentus.

Sur le même sujet de la perte d’un organe,on peut citer l’exemple de la disparition chezde nombreux Vertébrés - plus de 5000Poissons et Mammifères - d’un organe qui apriori paraît essentiel : l’estomac ainsi que u

D’après Daniel Ksepska. (2014). Flight performance of the largest volant bird. Proceedings of the National Aca-

demy of Sciences, 111(29), pp. 10624-10629.

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SCIENCES

Quand les poules avaient des dents (suite)

des gènes gastriquesqui associent acides etpepsinogènes (4).Physiologistes et géné-ticiens estiment quecette innovation qu’estl’estomac est apparuechez les Vertébrés voici350 ma, dès les pre-mières étapes de leurhistoire. Mais chez denombreuses lignées, ily a eu perte de cetorgane. Cela a pu seproduire dans diffé-rents groupes de pois-sons et à des momentsde leur histoire toutaussi différents, etaussi chez les mammi-fères, en particulier l’or-nithorynque, Cuvierd’ailleurs en avaitrendu compte.

Au cours de l’évolu-tion des lignées, lespertes d’organe sontirréversibles, commel’envisageait le paléon-tologue Louis Dollo

quand il énonçait sa loi d’irréversibilité en1890 : tout organe perdu au cours de l’évo-lution ne saurait réapparaître. La « réver-sion » est dans le champ des impossibles enmatière d’évolution. Les oiseaux modernesont perdu définitivement leurs dents il y a116 millions d’années, et près de 5000espèces de Vertébrés n’ont plus d’estomac.Mais la Vie continue, et de nouvelles solu-tions se font jour, quitte parfois à quelquepeu nous dérouter.

JLH

(1) Meredith RW, Zhang G, Gilbert MTP, Jarvis ED &Springer MS. (2014). Evidence for a single loss of mine-ralized teeth in the common avian ancestor. Science,346(6215), 1254390.(2) Mitsiadis TA, Caton J & Cobourne M. (2006).Waking‐up the sleeping beauty: recovery of the ances-tral bird odontogenic program. Journal of Experimental

Zoology Part B: Molecular and Developmental Evolution,306(3), pp. 227-233.(3) Louchart A, et al. (2013). Structure and growth patternof pseudoteeth in Pelagornis mauretanicus (Aves,Odontopterygiformes, Pelagornithidae). Plos one, 8(11),e80372.4) Castro LFC., et al. (2014). Recurrent gene loss corre-lates with the evolution of stomach phenotypes in gna-thostome history. Proceedings of the Royal Society of

London B: Biological Sciences, 281(1775), 20132669.

Les grands carnivores d’Europe

La revue Science du 19 décembre 2014 apublié le travail de 73 experts européens dela faune sauvage, recensant les effectifs desquatre grands carnivores de l’Europe conti-nentale (hors Russie, Ukraine etBiélorussie) soit au total 1 million ½ de km2.À l’exception des pays du Benelux et duDanemark, qui n’en comptent aucun, tousles pays abritent au moins une de ces qua-tre espèces : l’ours brun (Ursus arctos), leloup (Canis lupus), le lynx (Lynx lynx) et leglouton (Gulo gulo), et au moins dans unepartie (parfois réduite) de leur territoire.L’ours est présent dans 22 pays (17000 indi-vidus au total), le loup dans 28 (12000 indi-vidus), et le lynx dans 23 (9000 individus) ; leglouton ne se compte qu’en Scandinavie(1250 individus).

Au milieu du xxe siècle, ces grands carni-vores avaient presque disparu, massacrés àla chasse ou repoussés de leur territoire parl’emprise de l’homme. Guillaume Chapron,coordinateur de l’étude, s’étonne et se féli-cite de cette reconquête territoriale « sur uncontinent où on l’attendait le moins, du faitde la forte densité humaine ». Il fait égale-ment remarquer que l’Europe compte deuxfois plus de loups que les USA où la densitéhumaine est 2 fois ½ plus faible et la super-

ficie deux fois plus grande. C’est pour lui lapreuve de l’échec du modèle américain dupartage de l’espace, tenant les animaux àl’écart.

Le principal facteur de cette renaissanceest la politique de préservation des espècesque l’Europe a mise en place, notammentavec la Convention de Berne de 1979 et ladirective faune et flore de 1992, politiqueacceptée et soutenue par une grosse majo-rité de la population. Mais cette politiquepeut se heurter localement à des intérêtsparticuliers, notamment en France où lesloups, beaucoup moins nombreux qu’enEspagne ou en Italie, provoquent une hosti-lité systématique, accusés qu’ils sont de rui-ner l’élevage pastoral. Rappelons qu’ici lesloups ne sont guère plus de 300… La raisonde ce rejet serait-elle que le loup est toutrécemment réapparu en France (en 1992)venant d’Italie, alors qu’il en avait totalementdisparu en 1930? L’habitude a été perduede le voir, d’en parler, et de devoir en tenircompte, en organisant le pastoralisme enfonction des risques, comme en Espagne eten Italie. Il est revenu sans que l’on ait prisni même pensé à prendre les dispositionspour s’en protéger. Idem pour les ours? Leloup va probablement s’installer ici durable-

ment, en raison de sa capacité de survie etd’adaptation, de son organisation sociale,de sa technique d’exploration et de coloni-sation des espaces ; et aussi parce que,localement, les hardes de cerfs, de che-vreuils, de sangliers, le lui permettront, bienmieux que les troupeaux domestiques. Enrevanche, lynx et ours sont à nouveau enpéril. L’un parce qu’il ne parvient pas à semaintenir dans les Vosges où il avait étéréintroduit. L’autre dont les tout derniersreprésentants dans les Pyrénées viventsous la menace constante d’un coup de fusil(comme Cannelle), ou d’un « accident »(comme Baloo, retrouvé mort l’an dernier,huit ans après son relâcher). Le 16 décem-bre, la ministre de l’Écologie SégolèneRoyal a réaffirmé que l'introduction de nou-veaux ours n'est pas à l'ordre du jour et que« les activités humaines sont prioritaires ».En arrière, marche ! Nous voilà avertis…Quel est l’avis des 73 scientifiques auteursdu recensement publié par Science?

JCN

Sources:• Chapron G, et al. (2014). Recovery of large carnivoresin Europe’s modern human-dominated landscapes,Science 346(6216), pp. 1517-1519.• Le Monde du 20-12-2014.

En haut, silhouette de Pelagornis sandersi, le plus grand oiseau ayant ja-mais volé, comparée à celles des actuels condors de Californie et de l’al-batros. Composition Liz Bradford.En bas, crâne du même, en vue dorsale et latérales. Cliché DanielKsepska.

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Nouvelles curiosités zoologiques dans les 4 classes de vertébrés

Le poisson-lime à odeur de corail

Une équipe australienne (1) a découvertque le poisson-lime (Oxymonachantus lon-girostris) se dissimule olfactivement à sesprédateurs en émettant la même odeur queles coraux dont il se nourrit. Il est capablede stocker dans sa chair les composés chi-miques odoriférants provenant des corauxqu’il a mangés dans son environnement.Les chercheurs ont observé le comporte-ment des poissons et des crabes qui sontles prédateurs des poissons-lime selon queces derniers avaient ou non mangé descoraux. Ils ont constaté que les prédateursne restent indifférents qu’aux seuls pois-sons-lime qui ont ingéré des coraux. C’estle premier cas de camouflage chimiqueobservé chez un animal vertébré. Ce typede camouflage est par contre fréquentdans le monde des insectes.

La perche survie mieux sousanxiolytique

Une équipe suédoise (2) a montré queles jeunes perches (Perca fluviatilis) expo-sées à l’oxazepam, un anxiolytique prove-nant des rejets humains et qui se retrouveen infimes quantités dans les rivières, ontune durée de vie allongée. Sous l’effet dece calmant, ces poissons se montrentparadoxalement plus actifs pour recher-cher leur nourriture. Mieux nourris, ils survi-vent plus longtemps. L’équilibre desécosystèmes aquatiques pourrait être per-turbé par l’accroissement de la longévité dupoisson carnassier. Le médicament, sansêtre toxique pour la faune aquatique, pour-rait être ainsi néfaste à ces écosystèmespar cet effet perturbateur.

Un poisson-chat qui sent larespiration des vers de sable

À la suite d’une série d’observationsexpérimentales en aquarium, une équipeaméricano japonaise (3) a mis en évidencechez le poisson-chat (Plotosus japonicus)une étonnante méthode de repérage desproies. Le poisson, par des capteurs spéci-fiques situés sur ses barbillons, détecte lesvers marins cachés au fond des cavitéscreusées dans le sable par la légère acidi-fication locale de l’eau que provoque le gazcarbonique dégagé par la respiration desvers.

La grenouille qui accouchede têtards

En Indonésie, sur l’île de Sulawesi, unenouvelle espèce de grenouille (Limno-nectes larvaepartus) a été découverte parune équipe dirigée par un chercheur amé-ricain de l’université de Berkeley (4). Elleprésente une particularité unique en son

genre dans le monde des grenouilles : lesfemelles, à fécondation interne, accou-chent de têtards, alors que la majorité gre-nouilles pond des œufs, et qu’une dizained’espèces, également à fécondationinterne, accouchent de grenouilles déjàmétamorphosées.

Des crocodiliens fabriquent unleurre pour chasser les oiseaux

Des zoologistes de l’université duTennessee ont observé un bien surprenantcomportement chez deux espèces de cro-codiles d’Inde et les alligators de Floride etde Californie. Pour attirer des oiseauxéchassiers tels qu’aigrettes et hérons, ces

reptiles aquatiques, et seulement à la sai-son de nidification des oiseaux, soutien-nent des petites branches et des brindillesen équilibre sur leur museau immergé justesous la surface. Les oiseaux qui recher-chent les morceaux de bois pour construireleur nid, ne tardent pas à s’avancer vers celeurre, qu’ils perçoivent comme des brin-dilles flottant à la surface de l’eau. Les sau-riens n’ont plus alors, d’un mouvementbrusque des mâchoires, qu’à saisir leurproie. Chez les animaux sauvages, l’utilisa-tion d’un objet comme appât n’avait étéobservée jusqu’à présent que chezquelques rares espèces d’oiseaux. C’est lapremière fois que l’on observe un compor-tement aussi complexe chez des reptilesqui non seulement prennent en compte laforme de l’appât, mais aussi la saisonna-lité !

L’œuf brillant du tinamou

Les tinamous sont des oiseauxd’Amérique du Sud de la taille d’un pouletqui ont entre autres particularités de pon-dre des œufs très brillants comme de laporcelaine, de couleur bleue, verte, choco-lat ou violette selon les espèces. Uneéquipe internationale de chercheurs améri-cains, néozélandais et tchèques (6) a mon-tré que l’éclat très brillant de ces œufs netient pas à la nature des pigments disper-sés dans la coquille calcaire mais à la finepellicule ou cuticule qui la recouvre.Extrêmement lisse, composée de phos-

phate de calcium et de protéines structu-rées en nanoparticules, elle réfléchitexceptionnellement bien la lumière commeun miroir vernissé : 14 fois plus brillantqu’un œuf de poule. Chez le grand tinamou(Tinamus major) une légère iridescence estde surcroît observée. La couleur varieselon l’angle d’incidence de la lumière.Reste à savoir si ce caractère brillant et iri-descent de l’œuf présente un avantageévolutif pour les tinamous, par rapport auxespèces à œufs ternes. Les œufs de cesoiseaux ont des caractéristiques qui sem-blent attirer l’attention sur eux, plutôt queles aider à rester cachés. Il semble possi-ble que l’iridescence des œufs soit réelle-

ment plus difficile à distinguerdans leur environnement particu-lier avec un type particulier deproie. Plus probablement, leschercheurs suggèrent que lesœufs qui se démarquent ainsipeuvent être plus facilement repé-rables ou différenciés des autresœufs par les oiseaux de la mêmeespèce, ce qui pourrait servircomme moyen d’encourager lesmâles à aider à la couvaison.

Le corbeau calédonien: droitierou gaucher de l’œil

Le corbeau calédonien (Corvus monedu-loides) est réputé pour manier avec sonbec, et cela avec beaucoup d’habilité, lesoutils pointus qu’il fabrique pour capturerses proies. Selon les individus, c’est le côtégauche ou le côté droit du bec qui est utilisédans le maniement de ces outils. Mais deschercheurs de l’université d’Oxford (7) ontmis en évidence que ces corbeaux sont enréalité droitiers ou gauchers, non du bec,mais de l’œil. Leur champ de vision estlarge mais les deux yeux n’ont pas lamême acuité. Sa vision n’étant pas binocu-laire, le corbeau ne peut voir la pointe deson outil que d’un œil. C’est le meilleur quiest privilégié : le gauche ou le droit selonles individus.

Fidélité chez les mésangescharbonnières, une égalitéhormonale dans le couple

Une équipe internationale néerlandaise,allemande et américaine (8) a mis en évi-dence que les couples de mésanges char-bonnières (Parus major) présentant unmême taux de l’hormone corticostéronedurent plus longtemps. Ils ont observé quesi des partenaires s’assemblent et restentensemble, leurs taux hormonaux conver-gent vers une même valeur. Le comporte-ment parental est renforcé et le succèsreproductif est ainsi mieux assuré. L’étudea porté sur 12 couples de mésange du sud

u

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Nouvelles curiosités zoologiques dans les 4 classes de vertébrés (suite)

de l’Allemagne durant trois ans. Reste àexpliquer par quel mécanisme cetteconvergence s’établit et comment l’hor-mone influence le comportement de fidélitéet de soins aux jeunes.

L’oiseau détecteur de tornades

Selon une équipe américaine de l’univer-sité de Berkeley (9), la paruline à ailesdorées (Vermivora chrysoptera) seraitcapable de détecter les infrasons produitspar les tornades et de modifier leur routemigratoire pour les éviter. Ils ont observéqu’une dizaine de ces passereaux, équipésde balises géolocalisatrices pour suivreleur migration, à peine de retour dans leurTennessee natal après un voyage de5 000 km depuis la Colombie, reprenaitinexplicablement la route vers le golfe duMexique à 700 km plus loin, alors qu’unesérie de 80 tornades allait balayer leTennessee au pied des Appalaches. Unjour après que le calme atmosphérique ysoit revenu, les parulines ont enfin regagnéleur nid.

Les éléphants entendent la pluiede très loin

Une équipe américaine de l’université deVirginie (10) a corrélé les migrations d’élé-phants de Namibie au déclenchement deprécipitations dans des régions éloignées.Les éléphants percevraient les infrasonsproduits par la pluie ou les coups de ton-nerre des orages jusqu’à 240 km de dis-tance. Cette observation a été menéegrâce à l’analyse conjointe des mouve-ments migratoires de différents troupeauxde pachyderme suivis par GPS durant plu-sieurs années et des données satellitairessur les précipitations dans les régionssituées dans la direction des déplace-ments.

Des orques qui apprennentle grand dauphin

Des observations menées sur les delphi-nidés par des chercheurs américains del’université de San Diego (11) ont montréque lorsque des orques (Orca orca) se sontsocialisées durant plusieurs années avecdes grands dauphins (Tursiops truncatus),elles émettent davantage de clics et de sif-flements que leurs congénères vivant uni-quement parmi leurs semblables, selon

des séquences et des fréquences plusproches de celles du grand dauphin, dontelles imiteraient ainsi le comportementvocal. Reste à établir l’avantage d’une telleimitation vocale.

TAVDK

(1) Brooker RM, et al. (2014). You are what you eat:diet-induced chemical crypsis in a coral-feeding reeffish, Proceedings of the Royal Society BiologicalScience 282(1799), 2014 1887.(2) Brodin T, Fick J, Jonsson M & Klaminder J. (2013).Dilute concentrations of a psychiatric drug alter beha-vior of fish from natural populations. Science,339(6121), pp. 814-815.(3) Caprio J, et al. (2014). Marine teleost locates liveprey through pH sensing, Science, 344(6188), pp.1154-1156.(4) Djoko T, et al. (2014). A novel reproductive mode infrogs: a new species of fanged frog with internal fertili-zation and birth of tadpoles. PloS one, 9(12), e115884.(5) Dinets V, Brueggen JC & Brueggen JD. (2015).Crocodilians use tools for hunting. Ethology Ecology &Evolution, 27(1), pp. 74-78.(6) Igic B, et al. (2014). A nanostructural basis for glossof avian eggshells. The Journal of the Royal SocietyInterface, 12(105): 20141210.(7) Martinho A, Burns ZT, von Bayern AM & Kacelnik A.(2014). Monocular tool control, eye dominance, andlaterality in New Caledonian crows. Current Biology,24(24), pp. 2930-2934.(8) Ouyang JQ, van Oers K, Quetting M & Hau M.(2014). Becoming more like your mate: hormonal simi-larity reduces divorce rates in a wild songbird. AnimalBehaviour, 98, pp. 87-93.(9) Streby HM., et al. (2015). Tornadic storm avoidancebehavior in breeding songbirds. Current Biology, 25(1),

pp. 98-102.(10) Garstang M, et al. (2014). Responseof African elephants (Loxodonta africana)to seasonal changes in rainfall. PloS one,9(10), e108736.(11) Musser WB, Bowles AE, Grebner DM& Crance JL. (2014). Differences inacoustic features of vocalizations produ-ced by killer whales cross-socialized withbottlenose dolphins. The Journal of theAcoustical Society of America, 136(4), pp.1990-2002.

Comptes-rendus de lecture

Animaux disparus, Histoire et archives

photographiques

Errol Fuller, Delachaux & Niestlé, 2014

Les ouvrages de biologie sont-ilscondamnés à devenir des notices nécrolo-giques? Nous avons ici l’une d’elles. Ellen’a pas l’ambition d’être exhaustive ; eneffet, son auteur Errol Fuller a choisi de pré-senter l’animal disparu par un documentphotographique. Ceci limite nécessaire-ment le présent échantillon des espècesdisparues à celles qui ont été saisies,encore vivantes, grâce à la technique pho-tographique. Les auteurs des clichés,parfois identifiés, méritent notre reconnais-sance car ils n’opéraient pas avec desappareils numériques mais avec des appa-reils montés sur trépieds nantis de plaquessensibles gélatinées et dans des milieuxnaturels exotiques d’accès difficile ; de plus,le résultat d’une prise de vue n’était décou-

vert qu’après le retour « dans la civilisa-tion ». À juste titre l’auteur sollicite l’indul-gence du lecteur pour les clichés parfoismédiocres. Il va de soi que les couleurs duplumage sont indispensables pour restituerl’animal ; l’auteur y a pourvu en présentanten annexe dans l’ouvrage les reproductionsde tableaux en couleurs pour les animauxqui ne le sont pas dans le texte.

Après quelques pages d’introductiondans lesquelles l’auteur argumente enfaveur de certaines de ses options et où ildiscute la notion de disparition de certainsanimaux exotiques (celle-ci est-elle défini-tive?) et aussi les notions d’espèces et desous-espèces, 22 espèces d’oiseaux et 7de mammifères sont présentées successi-vement. L’annexe est suivie d’une bibliogra-phie permettant d’en savoir plus, deremerciements et d’un index qui clôt cetouvrage de 256 pages.

Le premier récit est exemplaire dans lefait que la disparition du Grèbe du lac Atitlanest le résultat de la conjonction de nom-breux facteurs négatifs que l’on retrouveraintervenant diversement dans les récitsultérieurs. Malgré l’obstination d’AnneLaBastille qui a tenté de sauvegarder l’es-pèce, celle-ci a été déclarée biologique-ment perdue en 1978. Cette espèce, inapteau vol, a été vaincue par : la chasse, la des-truction de son habitat qu’étaient les rose-lières, l’ingérence du politique, l’introductiond’espèces allogènes concurrentes, la dilu-tion génétique par hybridation, les retom-bées du tourisme, la pollution, la guerrecivile et un tremblement de terre.

Le Tétras de bruyère particulièrementabondant au xIxe siècle sur la côte est desÉtats-Unis a souffert à la fois de la restric-tion de son habitat, en raison de la pressiondémographique humaine et de la chasse ; u

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Comptes-rendus de lecture

de plus, il était sensible aux maladies despoulets domestiques. Une colonie d’unecentaine d’individus fut confinée sur une îleet en 1916 elle comportait environ 2 000individus, la plupart furent victimes d’unincendie, survécurent des mâles etquelques femelles, le dernier mourut en1932.

Parmi les espèces disparues duciel des États-Unis figurent lePigeon migrateur et la Conure deCaroline. Le premier est souventcité ; la chasse est-elle la seulecause de la disparition de cetteespèce considérée comme nuisi-ble? Le dernier a été tué en 1900alors que des milliards obscurcis-saient le ciel au siècle précédent.La Conure est le seul psittacidaeindigène ; présente en très grandeabondance et grégaire, elle a pâtide la destruction de la forêt et dudéfrichement des terres, et fut, elleaussi, considérée comme nuisibleet pourchassée. La dernière dispa-rut en captivité en 1914.

Le Râle de l’atoll de Waka auxailes atrophiées y était protégé parl’absence de mammifères préda-teurs, mais il a été victime de laguerre du Pacifique quand lestroupes japonaises occupèrent l’îleet exterminèrent les râles pour s’ennourrir. L’introduction de mammi-fères prédateurs dans des sitesjusqu’alors indemnes a sévèrementaffecté la faune de la NouvelleZélande. Avant cela, celle-ci necomportait que des oiseaux, desotaries, des phoques et troisespèces de chauves-souris. Parmi ces der-nières, la Grande chauve-souris à queuecourte passait la majeure partie de sa vie ausol, où elle occupait la niche écologique despetits rongeurs, rampant sur le sol en quêtede nourriture. Victime des prédateurs intro-duits, l’île Big South Cape a constitué pourelle une sorte de sanctuaire jusqu’en 1964quand des rats s’échappèrent d’un bateaude pêche… la dernière a été capturée en1967. Des oiseaux ont eux aussi été vic-times des prédateurs car ils étaient accou-tumés à vivre au sol. Ce fut le sort de laNinoxe rieuse ou chouette à joues blanchesde Nouvelle Zélande, oiseau qui passaitbeaucoup de temps au sol où elle chassait,elle possédait des ailes courtes et despattes longues aux doigts courts adaptéesà la marche sur le sol. La xénique des buis-sons, qui avait aussi une propension à res-ter au sol, était vulnérable. Pour elle aussil’île Big South Cape, située au large deStewart Island, a constitué un sanctuairesans rats ni prédateurs jusqu’en 1964.

Plusieurs espèces d’oiseaux hawaïensont été victimes d’agressions singulières.Ainsi le Moho de Kauai s’est maintenu surcette île jusqu’au milieu des années 1980,mais il a été décimé par le paludismeaviaire quand les moustiques ont envahil’île. L’espèce pouvait survivre en altitudemais quand elle était contrainte sous la

menace d’ouragan de trouver refuge auxniveaux inférieurs, elle succombait auxpiqûres des moustiques. L’O’u possédait unbec rappelant celui du perroquet qui consti-tuait une adaptation pour consommer cer-tains types de graines. D’autres fringillidésavaient des becs différents leur permettantpar exemple de consommer du nectar.L’O’u a été victime de la chasse, des modi-fications de son environnement, du palu-disme aviaire, des éruptions volcaniques etdes ouragans. C’est ainsi qu’une dernièrecolonie sur les flancs du volcan Mauna Loaa été victime d’une coulée de lave en 1984.En 1988, l’espèce survivait sur l’île de Kauaijusqu’à la survenue d’un ouragan. LeDrépanide mamo a été victime de la défo-restation et des maladies aviaires et il apayé un lourd tribut à la vanité deshommes. En effet, le plumage de cet oiseaudocile et assez facile à attraper a permis defabriquer le manteau jaune vif du roid’Hawaï Kamehamela Ier, coûtant la vied’environ 80000 oiseaux (environ 450000

plumes…). Le manteau est exposé auBernice Bishop Museum de Honolulu.

Le Monarque de l’île de Guam a connu unautre sort. Il fut victime de l’arrivée fortuited’un voyageur clandestin, à savoir un ser-pent brun arboricole originaire de NouvelleGuinée et des îles Salomon. Capable degrimper jusqu’aux plus hautes branches

des arbres, il a décimé l’oiseausans défense ; le dernier mâlemourut en captivité en 1984.

En première page de couver-ture du livre, la gueule ouverte etmenaçante du Thylacine, appeléaussi tigre de Tasmanie en raisondes rayures de son pelage, estéloquente. Ce mammifère mar-supial, qui a l’aspect d’un chien, aévolué sur le continent australiencomme d’autres marsupiaux enorganismes qui miment diffé-rentes espèces de mammifèresplacentaires et occupent lesniches écologiques correspon-dantes. Le thylacine était présentautrefois sur une grande partiedu continent australien et enNouvelle Guinée; au moment dela colonisation européenne, iln’était plus présent qu’enTasmanie. Lorsque celle-ci fut àson tour colonisée et exploitée enraison de ses terres fertiles, lethylacine a représenté un dangerpour les troupeaux ; chassé parles bergers, eux-mêmes encou-ragés par des primes, il a dis-paru, n’étant plus présent quedans les zoos; le dernier est morten 1936 dans le zoo de

Beaumaris à Hobart.Le Dauphin de Chine, découvert et

dénommé en 1918, était confiné dans leseaux douces du Yang Tseu Kiang et deslacs annexes reliés au fleuve.L’industrialisation massive de la Chine,l’installation de barrages modifiant l’écosys-tème du fleuve, la navigation de grosbateaux perturbant l’ouïe des dauphins, lesnouvelles méthodes de pêche utilisant ladynamite ou l’électricité l’ont décimé. Ledernier dauphin capturé en 1980 est morten 2002.

Le Bubale de Jackson était la seuleespèce de bubale présente au nord duSahara, les autres espèces étant subsaha-riennes. Dès le xIxe siècle il était confiné auMaroc et à l’Algérie. Le dernier est mort en1923 au Jardin des Plantes de Paris. Unedernière colonie fut observée en 1917 dansle massif de l’Atlas ; ils étaient 15, tous sauf3 furent massacrés par le même chasseur(Ah! les trophées!…).

La présentation de l’ouvrage est degrande qualité. Les histoires des dispari-

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DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015 - 31

SCIENCES

Comptes-rendus de lecture

tions sont bien conduites, leur lecture estaisée et très enrichissante. En dépit ducaractère apparemment anecdotique dechacune d’elles, il se dégage de leurensemble la réalité de l’impact destructeur,direct ou indirect, des activités humainesqui s’est concrétisé jusque sur les pluspetits îlots de l’océan Pacifique. Malgré lesefforts parfois tentés pour sauvegarder cer-taines des espèces citées, ce fut en vain. Lalecture de cet ouvrage est une source deréflexion si l’on veut vraiment ne plus allon-ger la liste des notices nécrologiques enbiologie.

AC

Bestiaire disparu

Luc Semal, Plume de Carotte édit.,Toulouse, 2013

Les ouvrages consacrés aux animaux semultiplient, signe des intérêts convergentsdes auteurs, des lecteurs, et des éditeurs,certes pour des motifs propres à chacun,mais révélateurs du même besoin crois-sant, de la curiosité commune, de mieuxconnaître le monde animal. Les connais-sances scientifiques s’accumulent et seprécisent, sur les comportements, les capa-cités cognitives, les adaptations, l’immensevariété des espèces, dont on continue à

découvrir quelque nouvelle, et dont on saitque d’innombrables sont encore à décou-vrir, en particulier dans le monde terrestredes insectes et dans les abysses océa-niques. L’intérêt général se porte aussi, àl’opposé, sur la disparition des espèces ani-males (voir article précédent). Mise à partcelle des grands reptiles de l’ère secon-daire, que plus personne n’ignore, la dispa-rition qui menace nombre d’espècesactuelles mobilise beaucoup l’attention etsuscite l’inquiétude, à juste titre. Cela estassez nouveau : il y a seulement trois ouquatre décennies, évoquer l’appauvrisse-ment des formes de vie animale et sesconséquences ne soulevait aucune réac-tion, autre que la remarque que nombred’espèces avaient déjà disparu de la Terre,ce qui démontrait une totale ignorance zoo-logique et paléontologique de la part desinterlocuteurs politiques alertés.

Effectivement, le cours des ères géolo-giques a été jalonné d’au moins cinq extinc-tions massives, chacune aboutissant àsupprimer jusqu’aux 3/4 des espècesvivantes, animales comme végétales. Auxalentours de 250 millions d’années, près de95 % de la vie marine et 70 % de la vie ter-restres ont disparu, et la dernière extinctionmassive, il y a 65 millions d’années, aeffacé 50 % des espèces. Elles ont eu pour

cause des phénomènes encore discutés,directs ou indirects : volcanisme, tectoniquedes plaques, niveau des mers, rayonne-ments, climat, chimie de l’eau et de l’atmo-sphère, voire impact météoritique. Mais cesbouleversements n’ont pas été brutaux, àl’échelle de la planète entière, et se sontétalés sur des milliers parfois sur quelquesmillions d’années. En sorte que des adapta-

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tions ont pu survenir, se fixer génétique-ment et nourrir l’Évolution : des espècesnouvelles ont pris la place des disparues,occupant leur loge écologique, alors qu’ac-tuellement, le nombre des espèces mena-cées de disparaître s’accroît et la vitesse deleur disparition s’accélère. L’échelle destemps n’est pas la même : aujourd’hui,l’unité de temps est la dizaine d’année,alors que lors des extinctions ancienneselle était plutôt de l’ordre de la centaine demilliers d’années. Nous vivons le dramed’une sixième grande extinction. Elle n’aqu’une seule origine: l’action directe et indi-recte d’une espèce animale invasive, lanôtre, qui a pris possession de tous les ter-ritoires habitables et s’est approprié toutesles ressources de la Planète. Nous ne fai-sons pas qu’assister à cette extinction,nous la provoquons.

L’ouvrage Bestiaire disparu, dans uneintroduction brève et claire, décrit parfaite-ment ce phénomène en le qualifiant de« catastrophique à l’échelle de la vie », sou-lignant que « la catastrophe désigne ici unebrusque discontinuité, une séparation radi-cale […] que nous peinons à percevoirparce que nous en sommes trop près ». Lesujet général étant ainsi posé, l’ouvrageénumère avec des textes parfaitementexplicites et très documentés une longueliste d’espèces faisant partie de cettesixième extinction massive, dont chacune« pourrait ne passer que pour une petite tra-gédie isolée », sans grande importance àl’échelle de la vie humaine, mais dont l’ac-cumulation fait ressortir « le caractère sys-tématique de la sixième extinction massivedes espèces », et « l’histoire d’une déstabi-lisation massive de la biodiversité mon-diale ».

Un premier chapitre évoque les dispari-tions dites préhistoriques, dont les plusanciennes remontent à 50000 ans, et quiont touché l’Eurasie (mammouth, oursdes cavernes, rhinocéros laineux),Madagascar (moa), l’Australie et laNouvelle-Zélande.

Suit le chapitre du temps des explorationset des colonisations (1681-1945), c’est-à-dire du massacre des faunes locales par lesnouveaux venus, futurs occupants. Sonténumérés les cas, certains emblématiqueset connus de tous (dodo, pigeon migrateur,couagga, lion de l’Atlas), et ceux de nom-breux autres, oiseaux, reptiles et tortues,rongeurs, grands herbivores, carnassiers,marsupiaux ; leur liste et les circonstancesde leur disparition montrent, d’une façongénérale, que les plus fragiles ont été lesespèces endémiques, c’est-à-dire propresà un territoire réduit, souvent une île, danslequel elles vivaient en équilibre avec lemilieu et les autres espèces. Cet équilibresera renversé par une prédation introduite,soit exercée directement par la chasse auxanimaux locaux comestibles, soit effectuéepar les animaux débarqués des naviresavec les hommes, rats et chats principale-ment, soit indirectement par réduction desbiotopes naturels ou encore par contamina-tion par des micro-organismes pathogènesnouveaux.

Le troisième chapitre couvre la périodecontemporaine, du milieu du xxe siècle ànos jours : sous nos yeux ont disparu de laTerre le tigre de Java, l’otarie du Japon, lephoque moine des Caraïbes, et bien d’au-tres, oiseaux et poissons.

La dernière de ces listes funèbres consti-tue le dernier chapitre, et mentionne lesquelques espèces dont ne sait pas aveccertitude si elles survivent encore dans la

nature, ou si elles n’y survivent que sousune étroite surveillance : rhinocéros deJava, condor de Californie, par exemple.

À l’instar de tous les ouvrages animaliers,les textes de l’ouvrage sont richement illus-trés de photographies, mais ici les docu-ments photographiques concernent lesspécimens qui font partie des collections duNaturalis Biodiversity Center, célèbremusée de Leyde aux Pays-Bas, spécimensnaturalisés pour beaucoup, ou simplesdépouilles pour les passereaux. Ces ves-tiges, heureusement conservés, permettentnon seulement d’avoir « une idée » de lamorphologie de ces espèces disparues,morphologie qu’ont saisie les photogra-phies de l’ouvrage, mais aussi constituentune sorte de conservatoire de leurs ADN,utilisés par les scientifiques du musée etdes musées associés auxtravaux de recherche (Amsterdam,Wageningen) conduits notamment surl’évolution, les parentés avec les espècesactuelles, les caractéristiques adaptatives.

Le Bestiaire disparu est accessible etutile à tous, mais il est tout autant un docu-ment scientifique, qui retiendra l’attentionde ceux qui s’intéressent à l’Évolution, à ladiversité des espèces, et à leur sauvetage.En outre, en constituant une sorte de miseen accusation de l’Homme envahisseur etcupide, cet ouvrage fait naître un sentimentde tristesse et de culpabilité, et devraitcontribuer à faire prendre conscience qu’ence moment vivent sur Terre les toutes der-nières générations d’hommes qui peuventencore faire quelque chose pour sauver ladiversité des espèces animales.

JCN

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