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L 15174 - 115 - F: 3,00 « LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. » © STEPHANE MAHE / REUTERS ÉDITION SPÉCIALE LES 30 ANS DE LA TRIBUNE 30 visions d’avenir de 30 personnalités du monde économique et intellectuel NOTRE DOSSIER, PAGES 4 à 21 Tous debout ! DU VENDREDI 16 AU JEUDI 22 JANVIER 2015 - N O 115 - 3 € DIMANCHE 11 JANVIER 2015

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ÉDITION SPÉCIALE

LES 30 ANS DE LA TRIBUNE 30 visions d’avenir de 30 personnalités du monde économique et intellectuel

NOTRE DOSSIER, PAGES 4 à 21

Tous debout !

DU VENDREDI 16 AU JEUDI 22 JANVIER 2015 - NO 115 - 3 €

DIMANCHE 11 JANVIER 2015

La Tribune dans 30 ansQuelques jours après le carnage contre la liberté de penser, d’écrire, de dessiner, il est difficile de dire que l’on vit l’une des plus belles époques qui soit. Et pourtant. Jamais il n’y a eu aussi peu de morts pour faits de guerre, jamais il n’y eut aussi peu de famine, jamais l’homme n’a pu espérer vivre aussi âgé. Dans l’univers de La Tribune, jamais on n’a créé autant d’entreprises et avec aussi peu de moyens ! Jamais il n’y a eu autant de jeunes entreprises faisant autant de chiffre d’affaires aussi rapidement ou valant autant en Bourse, en aussi peu de temps. Le monde de la création d’entreprises est époustouflant, comme d’ailleurs le monde de toutes créations !La Tribune est née en 1985, imaginons ce qu’elle sera dans trente ans.En 2045, La Tribune est un mélange entre ce que l’on voit dans Harry Potter et dans Minority Report. C’est une feuille d’écran (format A4 ou A3) que l’on roule ou plie dans sa poche pour rappeler sa glorieuse origine en papier, pour les plus classiques. Pour les autres, il fait partie de l’outil numérique de base. La feuille d’écran permet de choisir le mode de réception : lecture, son, image (hologramme), soit sur le support, soit sur un écran plus grand.

La Tribune est avant tout une production de journalistes (le mot reste), des enquêteurs ; c’est le travail source. Il est complété de fils d’agences, de chroniqueurs, d’opinions de lecteurs. Les informations sont regroupées selon les rubriques et leur durée de vie : immédiat, 24 heures, réflexions, « à garder ». La Tribune donne accès à de la formation façon MOOC, à des conférences en y participant, à des salons et expositions, et bien sûr à des partages d’opinion, de visu.La Tribune de 2045 est souple pour le lecteur. Sur la base d’une rédaction élargie par des partenariats, le lecteur choisira sur un « graphe araignée » à 6 ou 8 pattes, l’importance qu’il veut donner à chaque patte, à chaque rubrique, et le temps qu’il estime consacrer à la lecture du support : 10 minutes, 30 minutes, 1 heure.L’algorithme de La Tribune donne le contenu du journal en fonction du temps consacré, des articles habituellement lus, des domaines de participation d’opinion, des articles en périphérie des demandes du lecteur, de l’humeur du lecteur afin d’entretenir ses facultés d’étonnement, donc de créativité et d’émotion. En 2045 plus qu’avant, l’homme cherche à entretenir et développer son QE, son quotient émotionnel. Le QI, le quotient intellectuel, est lissé entre les individus et concurrencé par les robots. La Tribune est un journal d’échange d’informations, de questions/réponses, et d’émotion.Je repars en plongée. Rendez-vous la semaine prochaine…

SIGNAUX FAIBLES

L’ouvrage le plus récent de Philippe Cahen : Les Secrets de la prospective par les signaux faibles, Éditions Kawa, 2019.

PAR PHILIPPE CAHENPROSPECTIVISTE

@SignauxFaibles

DR

ÉDITORIAL

BALISES

LES ÉVÉNEMENTS DE LA TRIBUNE EN 2015

Avoir 30 ans en 2015«L’ économie est la

cendre dont notre temps couvre son triste visage. » Cette phrase b e l l e e t

sombre est de Bernard Maris, l’économiste originaire de Toulouse qui collaborait à Charlie Hebdo sous le pseudonyme d’Oncle Bernard et auquel toute l’équipe de La Tri-bune souhaite rendre un hommage particu-lier. Elle résonne gravement à l’heure où toute la presse, économique ou non, pleure les 17 victimes de la barbarie terroriste. Pour ce brillant vulgarisateur, l’économie était moins une science qu’un art de gouverner les populations, une « une continuation de la politique par d’autres moyens » pour para-phraser la formule de Clausewitz.La politique commande à l’économie et non l’inverse : voilà un principe que n’auraient pas renié les fondateurs de La Tribune. Il y a trente ans jour pour jour, le 15 janvier 1985, quatre journalistes – Bruno Bertez, Jacques Jublin, Philippe Labarde (qui a cosigné plu-sieurs ouvrages avec Bernard Maris) et Jean-Michel Quatrepoint – créaient ce nouveau quotidien économique avec l’ambition de proposer une vision différente : un traite-ment de l’actualité moins institutionnel, plus proche des acteurs qui font l’économie, plus financier (années 1980 obligent), mais surtout plus ouvert à la macroéconomie : relier les chiffres et leur mécanique à l’ac-tualité générale devait permettre à l’acteur de l’économie de sortir le nez de ses comptes et d’appréhender plus globalement son univers, qu’il fût à l’échelle de son ter-ritoire, de la nation ou du monde. Entrepre-neurs, financiers, chercheurs, conseils ou

représentants de la puissance publique, nos lecteurs sont tous des acteurs. Ils constatent chaque jour que l’économie n’est pas l’effet magique d’une quelconque main invisible, une météo capricieuse que l’on attendrait en spectateur en psalmodiant une chanson pour la croissance à la manière d’Amérin-diens priant pour la pluie, mais qu’elle est le produit de leur volonté et de leur capacité à faire avancer les choses. La Tribune a tou-jours eu pour ambition de souffler sur cette « cendre » répandue par les Diafoirus de la « science économique », évoqués par Ber-nard Maris, pour faire découvrir leur temps à ces acteurs qui innovent, tant sur le plan économique que technologique, social ou même politique.L’histoire de La Tribune pendant ces trente années a été mouvementée, souvent pas-sionnée et marquée par cette volonté de faire différent, d’anticiper, de conserver l’esprit du challenger, toujours à l’affût.Mais même avec la meilleure intuition du monde, les quatre fondateurs auraient été bien en peine d’imaginer à quel point le numérique allait bouleverser toute l’écono-mie, à commencer par celle de l’informa-tion, et de se figurer une Tribune plus quo-tidienne et plus lue que jamais, sur une telle diversité d’écrans. À l’époque, La Tribune comptait ses lecteurs en dizaines de milliers. Elle les compte aujourd’hui en millions chaque mois. Elle a été la première à propo-ser un quotidien numérique, tout en conser-vant une offre « papier » et, ce qui est une de ses forces aujourd’hui, une offre « vivante » au travers des 80 événements qu’elle organise chaque année dans les grandes métropoles françaises.Trois ans après sa reprise, fêter cet anniver-saire dans ce contexte douloureux est plus

qu’un symbole ou une simple cérémonie. C’est une source de fierté pour toute l’équipe de La Tribune. D’abord parce que l’entreprise a réussi le redressement de ses comptes dans une période pourtant peu favorable, ensuite parce que vous, lecteurs, êtes toujours là, en bien plus grand nombre qu’il y a trente ans – même si vos habitudes de lecture ont beaucoup changé – et enfin, surtout, parce que nous avons gardé l’ambi-tion de rester fidèles aux principes fonda-teurs de notre journal : nos priorités édito-riales restent concentrées sur l’innovation technologique, mais aussi politique et sociale, sur les idées et les débats qui nous préparent à l’économie de demain. Dans ces périodes de crise, la vocation de La Tribune est d’être le média économique français qui suit au plus près l’émergence des nouveaux modèles, là où ils naissent et grandissent : « l’écosystème » des grandes métropoles françaises et internationales.Le secteur de la presse, secoué comme jamais, n’a pas achevé sa mutation. Les jour-naux tels que nous les connaissions ont vécu. Mais l’information économique des entreprises est plus que jamais essentielle aux acteurs de l’économie et aux citoyens. Celle-ci devra s’adapter aux nouvelles pra-tiques de ses lecteurs, rester plurielle et surtout indépendante : c’est le cas de la société éditrice de La Tribune, fait suffisam-ment rare aujourd’hui pour que nous ayons l’immodestie de le rappeler. La presse éco-nomique a un avenir si elle sait conserver cette indépendance et la liberté de ton qui en découle, celles qu’ont voulues ses quatre fondateurs, il y a trente ans. C’est notre devoir et notre ambition d’y veiller aujourd’hui, et au moins pour les trente ans qui viennent. Merci de votre fidélité. ■

PLUS D’INFORMATIONS SUR LATRIBUNE.FR

JEAN-CHRISTOPHE TORTORADIRECTEUR DE LA PUBLICATION

@jc_Tortora

© D

AVID

BOR

DES

14 JANVIER - PARISPrix La Tribune Jeune Entrepreneur Cérémonie Île-de-France > S’inscrire : [email protected]

21 JANVIER - NANTES Prix La Tribune Jeune Entrepreneur Cérémonie des Pays de la Loire > S’inscrire : [email protected]

28 JANVIER - LILLEPrix La Tribune Jeune Entrepreneur Cérémonie Nord-Pas-de-Calais > S’inscrire : [email protected]

29 JANVIER - PARISMatinale des Travaux Publics > S’inscrire :[email protected]

29 JANVIER - PARIS In Banque 2015 > S’inscrire :www.inbanque.com/

29 JANVIER - TOULOUSELancement Book économique

> S’inscrire : [email protected]

02 FÉVRIER - TOULOUSEPrix La Tribune Jeune Entrepreneur Cérémonie Midi–Pyrénées > S’inscrire : [email protected]

03 FÉVRIER - LYON Prix La Tribune Jeune Entrepreneur Cérémonie Rhône-Alpes > S’inscrire : [email protected]

9 FÉVRIER - BORDEAUXPrix La Tribune Jeune Entrepreneur Cérémonie Aquitaine > S’inscrire : [email protected]

13 FÉVRIER - PARISMatinale Club Entreprises > S’inscrire : http://clubentreprises.latribune.fr/ 16 FÉVRIER - MARSEILLE Prix La Tribune Jeune Entrepreneur Cérémonie Provence-Alpes-

Côte d’Azur > S’inscrire : [email protected]

19 MARS - PARISMatinale des Travaux Publics > S’inscrire :[email protected]

AVRIL 2015 - PARISForum des 30 ans de La Tribune > S’inscrire : [email protected]

3 AVRIL - PARISMatinale Club Entreprises> S’inscrire : http://clubentreprises.latribune.fr/

13 AVRIL - PARIS3e Cérémonie Prix La Tribune Jeune Entrepreneur > S’inscrire : [email protected]

13 MAI - PARISMatinale Club Entreprises > S’inscrire : http://clubentreprises.latribune.fr/

12 JUIN - PARISParis Air Forum > S’inscrire : http://parisairforum.latribune.fr/

25 JUIN - PARIS Matinale des Travaux Publics > S’inscrire :[email protected]

02 JUILLET - LYONCérémonie des Tribune Women’s Awards > S’inscrire : [email protected]

SEPTEMBRE - MARSEILLEForum Smart City > S’inscrire : [email protected]

11 SEPTEMBRE - PARIS Matinale Club Entreprises > S’inscrire : http://clubentreprises.latribune.fr/

OCTOBRE - PARIS Forum Smart City > S’inscrire : http://smartcity.latribune.fr/

OCTOBRE - PARIS Matinale des Travaux Publics > S’inscrire : [email protected]

9 OCTOBRE - PARIS Matinale Club Entreprises > S’inscrire : http://clubentreprises.latribune.fr/

NOVEMBRE - PARISMatinale des Travaux Publics > S’inscrire : [email protected]

6 NOVEMBRE - PARISMatinale Club Entreprises > S’inscrire : http://clubentreprises.latribune.fr/

30 NOVEMBRE - PARIS6e Cérémonie des Tribune Women’s Awards > S’inscrire : http://www.latribunewomensawards.fr/

60 millions Le nombre de visites

sur le site Web Latribune.fr, en 2014.

251 millions Le nombre de pages vues sur Latribune.fr,

en 2014.

Plus de 250 000

Le nombre de commentaires postés Latribune.fr en 2014.

246 000 Les téléchargements de l’appli freemium pour iPad et iPhone.

173 000

Abonnés à notre page Facebook, et

82 000 à @latribune.fr

25 000

Tweets publiés avec notre compte

@latribune.fr

TENDANCESLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

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I 54 ILA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

L’ÉVÉNEMENT

La France vient de vivre en ce début 2015 à la fois l’une des heures les plus sombres et l’une des plus belles de son histoire. Après le massacre perpétré par des terro-ristes contre la liberté de la

presse, le 7 janvier, qui a décimé la rédaction du journal Charlie Hebdo et fait 17 morts et 11 blessés, le monde entier a vécu à l’heure fran-çaise, au nom d’un slogan devenu symbole : #jesuischarlie. Même si Charlie Hebdo, qui a trouvé la force de reparaître en kiosque (avec un tirage de 5 millions d’exemplaires !), est étranger à toute idée de devenir un symbole, comme l’a affirmé le dessinateur Luz, c’est une réalité qui nous dépasse désormais tous. On ne fait pas se déplacer 4 millions de per-sonnes dans la rue pour défendre la liberté et la laïcité, on ne provoque pas un mouvement mondial qui fait la une de tous les médias, sans de bonnes raisons. Aucun parti politique n’a d’ailleurs osé tenter de récupérer à son pro-fit ce qui vient de se passer au plus profond du pays, qui montre une vitalité inattendue de la société civile. À l’évidence, il y aura un avant et un après Charlie. Et s’il est bien trop tôt pour se hasarder à en analyser les consé-quences, il faut se garder de tout angélisme sur la capacité du pays à maintenir durablement ce climat d’union sacrée, alors qu’il va devoir se préparer à vivre durablement dans un cli-mat d’insécurité. Une chose est sûre, néan-moins, cet événement fait désormais partie de

notre mémoire collective et pourrait changer la France, en mieux si l’on est optimiste, ou en pire si les terroristes parviennent à leurs fins, c’est-à-dire à monter les Français les uns contre les autres.« Ce qui s’est passé dimanche 11 janvier en France n’est pas étranger à la bataille économique », a commenté lundi 12 janvier le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, lors d’un débat sur les réformes organisé à Bercy. Com-ment ne pas faire en effet le parallèle entre ce peuple debout et le défaitisme supposé de la population dont on dit qu’elle serait la plus pessimiste au monde ? Comment ne pas se demander si le réveil français affirmé dimanche 11 janvier ne peut pas devenir une force positive dans laquelle puiser l’énergie de donner le coup de pied du fond de la pis-cine pour relever le pays ? Dans un essai publié aux Belles Lettres fin 2014, devenu le livre de chevet d’Alain Juppé, un jeune économiste de 27 ans, Robin Rivaton, affirme, à contre-cou-rant de la pensée unique de bien des politiques qu’il accuse d’être les principaux responsables de la non-réforme, que bien au contraire, « La France est prête » – titre de l’ouvrage –, pour autant que les efforts soient légitimes et par-tagés par tous.À La Tribune, lors d’une récente rencontre, Robin Rivaton expliquait que selon lui, le déclinisme avait préparé le terrain au popu-lisme ambiant. « Il est plus facile de se convaincre que tout va mal, car cela permet de justifier ses propres échecs. C’est le cas d’une certaine élite

politique et économique qui prend parfois plai-sir à dénigrer le pays là où il faut au contraire le galvaniser. » La même élite qui prend ses dispositions pour pouvoir quitter le pays au cas où cela tournerait mal. Or, estime Riva-ton, les Français ont énormément changé ces dernières années, et sont beaucoup plus enclins à la réforme qu’on veut nous le faire croire. La révolution économique est avant tout sociétale et culturelle. À preuve, le projet de loi Macron par exemple – qui n’est certes pas « la loi du siècle » pour paraphraser Fran-çois Hollande – est soutenu par l’opinion, sur laquelle d’ailleurs compte bien s’appuyer le ministre de l’Économie pour vaincre les résis-tances, à gauche et à droite.

UN IMMENSE TRAVAIL DE PÉDAGOGIE À ENGAGER

Le « moment Charlie » que nous connais-sons peut ainsi offrir l’occasion à la classe politique de se montrer à la hauteur de ses responsabilités. Et de faire de 2015 une année d’action pour mettre en œuvre les réformes qui permettront de relever le pays. Les chan-tiers ne manquent pas. Outre l’économie et le social, c’est un sursaut républicain qu’il faut au pays. L’urgence est de rassurer les Français, ce que le gouvernement s’est attelé à faire en annonçant un train de mesures pour mener la guerre contre le terrorisme, tout en promet-tant de ne pas agir au détriment des libertés

individuelles. Pas de Patriot Act à la française donc, l’essentiel de l’arsenal judiciaire existe déjà, mais des mesures ciblées de contrôle des entrées sur le territoire et de surveillance d’Internet et des communications. Mais le mouvement du 11 janvier est aussi un puis-sant révélateur de ce qui ne fonctionne pas, ou plus, dans notre société. Quand, dans plus de 70 écoles de la République, des enfants refusent de respecter la minute de silence proposée par leurs professeurs pour les vic-times d’attentats, c’est un échec qui oblige toute l’Éducation nationale à se remettre en cause. Quand des milliers de tweets affichent #jesuiskouachy et que l’on recense plus d’une cinquantaine de cas d’apologie du terrorisme, on se dit qu’il va falloir des années pour res-taurer le vivre-ensemble et la paix civile.Les Français ont dans leur immense majo-rité affiché au cours de cette crise un calme impressionnant, refusant tout amalgame entre l’islam et le fanatisme des fous qui tuent au nom de l’obscurantisme. On peut com-prendre que les musulmans soient choqués des caricatures du prophète Mahomet. Mais les 6 ou 7 millions de musulmans de France savent aussi qu’ils vivent dans un des pays où leur liberté de culte est la mieux protégée au monde, justement parce que le principe fondamental de notre pays est la laïcité. Une laïcité qui a pour contrepartie d’accepter le droit à la satire. C’est cet immense travail de pédagogie que va désormais devoir engager la République. ■

Le pays rassemblé dimanche 11 janvier pour dénoncer l’attentat contre Charlie Hebdo offre un visage magnifique. Son unité républicaine oblige toute la classe politique à se montrer à la hauteur de ses responsabilités. Et cette vitalité de la société civile est un signe d’espoir qui n’est pas étranger à la bataille économique.

La France est Charlie ! Et maintenant ?

NATION

Dimanche 11 janvier, à la suite de l’assassinat de la rédaction de Charlie Hebdo, les Français se sont ressoudés comme jamais depuis la Libération : quelque 4 millions de personnes ont participé aux rassemblements, à Paris comme dans les métropoles régionales, pour affirmer leur adhésion totale aux valeurs de liberté d’expression et de laïcité qui fondent la République.L’événement a été salué comme historique par les médias du monde entier. © ERIC GAILLARD /

REUTERS

C’est le mercredi 16 janvier 1985, il y a trente ans, jour pour jour, que naquit notre ancêtre direct, La Tribune de l’économie. Un désir, une ambition de journalistes qui prônaient à la fois « Rigueur et ouverture », comme l’écrivit son directeur de la rédaction, Philippe Labarde.

Lundi 28 novembre 2011, la une de l’une des dernières éditions quotidiennes de La Tribune.L’actualité économique était marquée par l’inquiétude sur les dettes italienne et espagnole.

À la une de notre hebdomadaire n° 114, daté de la semaine dernière, deux

informations clés : le succès de la French Tech à Las Vegas,

la tragédie du massacre à Charlie Hebdo.

PAR PHILIPPE MABILLE

@phmabille

Trente ans, et même… 191 ans ! Cela se sait peu, mais le journal que vous tenez entre les mains est le lointain descendant du

plus ancien quotidien français, le Cours de la Bourse et de la Banque dont le premier numéro a été publié en 1824, deux ans avant Le Figaro, et qui est devenu La Cote Desfossés. La Cote, comme on l’appelait alors, a en effet racheté en 1992 La Tri-bune, créée le 16 janvier 1985 à partir du Nouveau Journal par quatre hussards de la presse, Bruno Bertez, Philippe Labarde, Jacques Jublin, et Jean-Michel Quatre-point.

La Tribune de l’Économie, devenue La Tribune de l’Expansion puis La Tribune Desfossés puis La Tribune a toujours connu une histoire mouvementée. Elle a vu passer tous ceux et toutes celles qui ont compté et comptent encore dans la presse économique. Tous, malgré la situation structurellement fragile du titre, ont conservé un attachement très fort au titre et à son fameux « esprit ».« L’esprit Tribune » qui a façonné ce journal, mélangeait deux cultures en apparence irré-conciliables : la Bourse et les marchés finan-

ciers, d’un côté, et un esprit rebelle par prin-cipe, anti-conservateur, un peu trop « gaucho » parfois aux yeux de certains diri-geants d’entreprise ou d’agence de com’, mais qui a toujours donné à ce journal ce « petit quelque chose » de singulier, qui le différen-ciait de son concurrent Les Échos, plus sérieux, plus institutionnel. Cet ADN parti-culier, qui a peut-être été à l’origine des récurrentes difficultés financières du titre, n’a pas empêché Bernard Arnault, le PDG de LVMH, d’en devenir le principal actionnaire avant de le revendre en 2007 pour racheter Les Échos au groupe Pearson (éditeur du Financial Times et de The Economist).La force de La Tribune, qui explique sa résilience, c’est aussi son goût pour l’inno-vation. Le choix très nou-veau, à l’époque, de la quadrichromie, la mise en scène de l’actualité dans un événement, souvent transversal, qui donnait lieu chaque matin à des débats très vifs et vivifiants dans la rédaction, l’importance accordée à l’éco-nomie politique et à l’international, ont mar-qué l’histoire de ce journal. L’impertinence du ton aussi, ainsi que le rôle de sentinelle de

sa Société des journalistes, soucieuse de défendre les ceux-ci face à l’influence des actionnaires, des annonceurs et des groupes de pression.L’esprit Tribune, c’était aussi et c’est toujours la capacité de se réinventer, quelles que soient les circonstances. Une qualité pré-cieuse dans la nouvelle histoire que sont en train d’écrire l’équipe actuelle avec les nou-veaux actionnaires qui, avec Jean-Christophe Tortora, sont venus de Toulouse pour rache-ter le titre en janvier 2012. Ayant renoncé par nécessité autant que par vision du futur de la presse à publier un quotidien papier, La Tri-

bune a cherché un nouveau modèle économique dont le cœur du réacteur est numé-rique, avec un site Internet puissant et un quotidien adressé aux abonnés chaque

soir à 19 heures. Le titre n’a pas renoncé com-plètement à l’offre papier, désormais portée par cet hebdomadaire.Dans le même temps, l’ADN de La Tribune a été adapté aux priorités de l’époque : parce que nous avons vécu, plus rapidement que les autres journaux, la transformation numé-rique, nous en avons fait l’une de nos priori-

L’esprit « Tribune » toujours debout !SE RÉINVENTER

tés éditoriales. Parce que nos actionnaires viennent de province, nous avons décidé de devenir le quotidien économique des princi-pales métropoles françaises. C’est ce nouvel ADN qui guide désormais l’avenir du journal, avec une équipe éditoriale profondément renouvelée, mais qui conserve la mémoire de cette longue histoire et compte bien vivre les trente prochaines années et même, mais cela nous emmène un peu loin, les 200 pro-chaines ! ■ PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR ADJOINT DE LA RÉDACTION

Chaque soir à 19 heures, nos abonnés reçoivent

notre quotidien numérique.

Chacune des dix grandes métropoles françaises disposera

à terme d’une édition régionale spécifique.

Oiseau légendaire de la mythologie grecque, le phénix avait la particularité de toujours renaître de ses cendres, symbolisant ainsi la résurrection.© FOTOLIA

I 76 ILA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

Et vous, qu’allez-vous bâtir ?

«Qu’est-ce que je fous là ? Cette question, on se la pose tous un jour ou l’autre, dans ce monde

« de bruit et de fureur » si multiple, si pressé, parcouru d’ouragans écono-miques, technologiques, sociaux et écologiques ; un monde où, semble-t-il, plus personne ne contrôle grand-chose, et où l’on a du mal à regarder l’avenir en face. Comment penser posément à son avenir quand on se sent menacé de dépassement, d’obsolescence, voire d’extinction ? Si l’on fixe la vague, on reste hypnotisé et l’on se fait englou-tir par le raz-de-marée. Mieux vaut se retourner vers ses semblables, chercher de l’aide, chercher ensemble le moyen d’échapper à la vague. Et avant tout, trouver le temps de réfléchir, même s’il faut agir vite.Ici réunis, les philosophes, écrivains, scientifiques, sociologues, historiens, politiques, mais aussi dirigeants ou créateurs d’entreprise, responsables associatifs, explorateurs… et tous hu-manistes à leur façon, sont réfléchis ou

impétueux, tristes ou joyeux, inquiets ou confiants. Ils ont pris le temps de la réflexion, en s’arrêtant, en marchant, ou en parlant. Chacun se met en devoir de décrire, de comprendre et d’agir… c’est-à-dire d’ordonner le chaos, comme aurait pu dire Henri Poincaré. Chacun dans son champ de vision tire les leçons de l’Histoire et fait l’inven-taire du présent. Aucun ou presque ne se risque à prédire l’avenir, mais tous

cherchent à le cerner, à en flairer les tendances ; ils l’espèrent, le rêve ou le redoutent. Ils s’interrogent, louent, dénoncent, regardent et partagent.Dans ce panorama varié, vertigineux et fascinant, on décrypte les liens entre l’humain et la société, entre l’humain et son environnement, entre l’humain et l’humain. On met de la chair humaine sur les statistiques, sur la « techno-couche », sur les règlements. Pour voir sous la surface, on passe aux rayons X les écosystèmes des villes, des sociétés, des entreprises, des économies, des savoirs, des religions, des nations… Et l’on se demande qui préside aux des-tinées des humains : les humains eux-mêmes, les gouvernements, les idées, la bureaucratie, la technologie… ? On évoque l’Europe (trop peu) et la France (beaucoup, tant il est vrai que la nation semble demeurer, pour le meilleur et pour le pire, l’espace naturel des pen-sées politiques). La France, avec sa personnalité si particulière, fière et honteuse à la fois, impétueuse et sta-tique, bien déprimée et pourtant tou-jours messianique, toujours au centre du monde même si elle n’en représente plus qu’une petite parcelle !Certains thèmes reviennent régulière-ment. Le conflit entre le temps bref de l’action et le temps long de la réflexion, le temps fugitif de la catastrophe et le temps immense de la réparation. Le nécessaire métissage des talents et des institutions. Et l’éducation, l’éducation, l’éducation… Mais quelle éducation ? Comment donner l’envie, favoriser la qualité, préserver la culture ? Comment armer et épanouir les individus ? Com-ment apprendre à résister et à s’adapter ? Cette trentaine de personnalités inter-roge des enjeux fondamentaux. Où est le devoir, où est la marge de progrès ? Où est la frontière entre audace et irrespon-sabilité ? Faut-il lutter contre la vague ou glisser sur elle ? Ces questions qui bous-culent et font grandir, leurs réflexions, leurs batailles, leurs espérances contri-buent à les explorer. Elles interpellent également directement les lecteurs : et vous, qu’allez-vous bâtir ? » ■

« Dans ce panorama varié, vertigineux et fascinant, on décrypte les liens entre l’humain et la société, entre l’humain et son environnement, entre l’humain et l’humain. »

CÉDRIC VILLANI MATHÉMATICIEN, MÉDAILLE FIELDS 2010, DIRECTEUR DE L’INSTITUT HENRI POINCARÉ

DOSSIER RÉALISÉ AVEC LAURENCE JAILLARD,MAXIME HANSSEN ETNICOLAS ROUSSEAU

Plus de 3,3 millions de citoyens debout, dans les villes de France dimanche 11 janvier, pour crier silen-cieusement bien plus que leur dou-leur : leur rejet de la résignation, du défaitisme, de l’immobilisme, et sur-tout leur foi, leur détermination, leur espérance. À l’occasion de ses 30 ans, La Tribune publie un numéro spé-cial qui fait écho à cette inoubliable mobilisation. Trente personnalités, entrepreneurs ou sociologues, phi-losophes ou scientifiques, écrivains ou historiens, médecins ou théolo-giens, patrons ou ethnologues, par-tagent bien plus que des diagnostics sur l’état de la société française : des raisons de se mettre debout et d’en-treprendre dans l’exigence d’une res-ponsabilité renouvelée.

Tous à terre. Tous dé-faits. Tous vaincus. Voilà l’état d’esprit que la situation socio-économique et politique fran-çaise, psalmodié

par l’ensemble des médias, semble avoir peu à peu sédimenté dans les consciences. Tout en effet apparaît sans perspective de revitalisation, sans avenir, presque sépulcral. Sur cet engrais nihiliste proliféreraient les tares, réelles ou supposées, de l’Hexa-gone : peur du progrès, résistance aux réformes, replis corporatistes, in-jonction bureaucratique, endogamie des élites, nostalgie marxiste, dis-suasion du risque, exacerbation des inégalités, tentation du rejet ou de la ségrégation… dans le sillage desquels auraient pris racine une fossilisation des raisonnements et un malthusia-nisme dévastateurs.Cet état des lieux, fondé, fantasmé ou instrumentalisé, La Tribune refuse d’y souscrire. Parce qu’elle considère que dans son périmètre de responsabilités figurent non seulement celles d’infor-mer, d’analyser, d’expliquer, d’éclairer mais aussi celles de nourrir le débat, d’explorer des voies inédites, d’aider à construire les modèles économiques, sociaux et politiques de demain, et d’être actrice de la res publica.C’est pourquoi au « Tous résignés » elle préfère le « Tous debout ! », da-vantage conforme aux principes et aux intuitions qui ont guidé sa création il y a trente ans, jour pour jour. Trente ans pour lesquels 30 personnalités – ras-semblées dans l’ouvrage Tous debout ! ou écoutées lors du festival annuel des idées Tout un programme, organisé récemment à Lyon – ont accepté non pas de revisiter le passé, mais de par-tager des enseignements et des com-bats à partir desquels elles-mêmes sont debout et invitent le lecteur à se mettre debout pour bâtir l’avenir.

UNE LECTURE DE L’ESSENTIEL

Ces 30 personnalités revendiquent des expériences professionnelles et des tra-jectoires personnelles a priori très éloi-gnées des enjeux de l’entreprise et de l’économie. En quoi les convictions du paléoanthropologue Pascal Picq, de l’ethnologue Françoise Héritier, du car-dinal Philippe Barbarin, du médecin Bo-ris Cyrulnik, du romancier Jean-Chris-tophe Rufin, du philosophe Alain Finkielkraut seraient-elles en effet concrètement utiles aux chefs d’entre-prise ? Parce qu’elles résultent « d’aven-tures de vie » guidées par une double responsabilité : celle de décider, celle d’être architecte d’un vivre-ensemble lézardé par la déliquescence de l’offre politique et à la restauration duquel l’en-trepreneur et l’ensemble du corps social de l’entreprise sont appelés à contribuer.Ces témoins partagent des préoccu-pations, des exigences, des aspirations qui ont en commun d’investiguer ce qui est essentiel, ou plus exactement ce qui fait l’essentiel d’une existence idéalement responsable, altruiste, em-pathique, généreuse, intègre, éthique et entreprenante. Une existence qui cherche, même modestement, un sens, une utilité, une justification à même de riposter au matérialisme, au consumérisme, à l’immédiateté, à l’individualisme qui empoisonnent la société. Une existence autonome, af-franchie des doctrines sclérosantes, fi-dèle au principe de réciprocité et donc dévolue à se réaliser pour contribuer à réaliser celle des autres : « Ce que j’ai reçu ou subi, ce que j’ai hérité ou façonné,

peut-être peut-il profiter à d’autres », semble nous indiquer chacun d’eux, dont les prises de position interrogent tous les « verbes » de l’entreprise : manager, risquer, innover, collaborer, essaimer, créer, etc.

UNE HUMANITÉ DAVANTAGE HUMAINE

Tous sont « debout » pour murmurer ou crier leur foi, parfois subversive ou transgressive, pour conjurer l’apathie, pour appeler à lire le monde différem-ment, in fine pour inviter à se mettre soi-même en mouvement. Bien sûr –  et heureusement !  – les lecteurs pourront, et même devront, contester certaines de ces réflexions, car de la confrontation des différences jaillit la remise en question fructueuse de soi vis-à-vis de soi, et en elle fermente le « bon » progrès. « La divergence de vues est souvent l’étincelle qui favorisera une dialectique, provoquera l’interrogation ou renforce-ra la conviction », souligne d’ailleurs le mathématicien Cédric Villani, auteur de la préface du livre. Ainsi (r)éveil-lés, ainsi encouragés à être des résis-tants –  à leurs propres démons, à leurs propres paradoxes autant qu’à ceux qui atrophient l’environnement proche ou planétaire –, ainsi exhortés à s’ouvrir au monde pour mieux le comprendre et y prendre place autre-ment, les acteurs économiques, poli-tiques, citoyens auxquels s’adresse cette somme, peuvent-ils promettre un autre avenir ? Celui de rêver est le plus beau des droits… ■

En 2015… TOUS DEBOUT !L’EXIGENCE

RÉFLÉCHIR

L’Espagne et le Portugal entrent dans la CEE. Signature du traité franco-britannique pour la construction du tunnel sous la Manche. À Londres, c’est le « big bang » des marchés financiers dans la City. Jacques Delors lance

l’Acte unique européen qui prépare le Marché unique de 1993. En France, Jacques Chirac privatise à tout-va et abandonne le contrôle des prix et l’encadrement du crédit. L’événement de l’année est l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en URSS, le 26 avril.

Début de la crise des caisses d’épargne aux États-Unis, plombées par des investissements dans les « obligations pourries ». La France lance sa première émission d’obligations assimilables du Trésor, outil de modernisation

de la dette de l’État, qui ne fera que grossir. En septembre, aux Accords du Plaza (New York), les pays du G7 s’entendent pour intervenir sur le marché des changes et organiser un repli du dollar. Mikhaïl Gorbatchev devient le secrétaire général du parti communiste de l’Union soviétique.

Le 22 février, les pays du G7 signent à Paris les accords du Louvre, pour enrayer la baisse du dollar. L’Acte unique européen entre en vigueur le 1er juillet pour aboutir, avant fin

1992, à un « espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée ». Deux mois après la nomination d’Alan Greenspan à la tête de la « Fed », un krach fait plonger le 19 octobre 1987 l’ensemble des Bourses mondiales.

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30 personnalités invitent à s’ouvrir au mondeCédric Villani, mathématicien, médaille Fields 2010, directeur de l’Institut Poincaré. Page 7.

Alain Minc, financier et essayiste. Pages 8-9.

Alain Finkielkraut, philosophe, membre de l’Académie française. Page 7.

Alain Touraine, sociologue. Page 10.

Emmanuelle Duez, entrepreneure, The Boson Project et WoMen’Up. Page 10.

Christian Streiff, ancien président de PSA Page 11.

Henri Loyrette, président de l’Admical. Page 11.

Denis Payre, fondateur de Business Objects, Croissance Plus, Nous citoyens. Page 12.

Jean-Marie Cavada, député européen. Page 12.

Pascal Picq, paléoanthropologue. Page 12.

François Dubet, sociologue. Page 13.

Françoise Héritier, anthropologue et ethnologue. Page 13.

Gilles Bœuf, océanographe, président du Muséum national d’histoire naturelle. Page 14.

Patrick Viveret, philosophe. Page 14.

Gilles Kepel, géopolitologue, spécialiste du monde arabe. Page 15.

Jean-Christophe Rufin, écrivain, membre de l’Académie française. Page 15.

Nicolas Baverez, économiste, historien, avocat. Page 16.

Eric de Montgolfier, ancien magistrat. Page 16.

Karim Mahmoud-Vintam, fondateur de l’association Cités d’or. Page 16.

Boris Cyrulnik, neuropsychiatre. Page 17.

Monique Dagnaud, sociologue. Page 17.

Pascal Perrineau, politologue. Page 18.

Robert Misrahi, philosophe. Page 18.

Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental. Page 19.

Jérôme Colrat, président du Samu social et directeur d’Alynéa. Page 19.

Jean Viard, sociologue. Page 20.

Mgr Philippe Barbarin, Archevêque de Lyon. Page 20.

René Ricol, président de Ricol Lasteyrie. Page 20.

Michel Wieviorka, sociologue. Page 21.

Laurent Alexandre, médecin, fondateur de Doctissimo et de DNA Vision. Page 21.

30 VISIONS D’AVENIR

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«Le « monde arabe », je l’aime autant que toujours et plus que jamais. Dans ma « passion arabe » sont concentrés l’extraordinaire enthousiasme de l’amour, mais aussi la dimension christique que l’on rebaptise souffrance. Cette ambivalence émotionnelle, chaque événement

révolutionnaire, depuis 2011, la nourrit : aux heurts, aux massacres, aux désespérances répondent la conquête de nouveaux droits, l’aspiration à vivre autrement, la volonté de récupérer une liberté d’expression, de créa-tion, qui avait été confisquée depuis plusieurs décennies par les régimes despotiques issus de l’indépendance, et/ou maltraitée par les prédica-tions des religieux radicaux. Bien sûr, le chemin vers cet affranchissement est nécessairement tortueux et chaotique, mais connaît-on des métamor-phoses d’une telle ampleur qui se soient déroulées de manière linéaire ? Malgré les tribulations, parfois dramatiques, qui traversent ces sociétés, malgré les obstacles sociaux, religieux, économiques, géopolitiques, bel-liqueux qui ne manque(ro)nt pas d’entraver la mutation, rien ne devrait arrêter la marche en avant vers l’accomplissement du plus précieux des biens : la liberté. L’histoire est en train de se produire : laissons-lui le temps de se réaliser. Certes, rien n’est stable. Toutefois, la dialectique de la liberté apparaît commune à ces « révolutions » et dès lors, l’ampleur historique de ce mouvement peut être comparée à celle du bouleverse-ment dit Nahda, qui vit le jour au xixe siècle. Il signifiait la renaissance du monde arabe, le passage de ce dernier vers une « modernité » exprimée sur les plans littéraire, culturel, politique, et religieux. Passage ou plutôt tentative avortée de passage, car in fine les épousailles du Levant et du Maghreb, de la tradition arabe et de la modernité européenne, accou-chèrent non de sociétés démocratiques mais de captures coloniales puis, après l’indépendance, de régimes autoritaires ou despotiques. Les révo-lutions auxquelles nous assistons semblent accomplir, un siècle et demi plus tard, l’aspiration originelle de cette renaissance.Pour autant, il appartient aux musulmans de décider de la correspon-dance de leur religion avec la démocratie. D’autant plus qu’en la matière, les interprétations sont multiples, et même antagoniques. Certains considèrent la démocratie consubstantielle à leur identité, d’autres, ou-lémas saoudiens, islamistes ou radicaux, jugent au contraire la démocra-tie absolument inconcevable ; à leurs yeux, elle incarne en effet l’impiété et le sacrilège absolus puisqu’elle octroie au demos – le peuple constitué et donc faillible – d’être souverain, et donc de pouvoir contredire par la majorité populaire ce que les textes sacrés dictent.L’Occident est écartelé entre deux maladies intellectuellement transmis-sibles en provenance des États-Unis : le modèle américain va triompher ; les pays arabes et musulmans doivent se rallier à la démocratie telle qu’il l’a édictée. La manière extraordinairement puérile et binaire dont l’examen des révolutions depuis 2011 a fait l’objet en témoigne : les filles devaient défiler dans la rue armées de leurs smartphones et tablettes symbolisant le matérialisme occidental et l’émancipation, la population devait manifester en anglais, les « barbus » devaient avoir disparu, la démocratie et les partis républicains devaient s’imposer naturellement… Puis, à la métaphore inepte du « printemps victorieux » s’est substituée celle, tout aussi inappropriée, de « l’hiver islamiste ». Avant que ne sur-gisse le concept de « choc des civilisations » et que ne domine le constat

que « finalement, ces pauvres pays arabes ne seront jamais que hijab, dic-tatures, islamisme, terrorisme »…Le monde musulman n’est plus uniforme, il n’est plus isolé ou recroquevillé. La prolifération des outils de communication l’a désenclavé, et l’inonde d’informations et d’images occidentales. Les populations sont au croisement d’un mouvement antago-nique : une verticalité issue de la culture locale et de l’héritage tra-

ditionnel, et une horizontalité née de l’ouverture irréversible au monde. Notamment les jeunes, ces populations sont désor-mais citoyennes du monde mondialisé. Les nouveaux maîtres du monde des jeunes Maghrébins ne sont plus la France ou

les États-Unis, mais Qatar ou Dubaï, où l’on parle arabe et est musulman. Cette réalité, l’Occident en général et la France en par-

ticulier doivent l’accepter. » ■

CROISEMENTS

GILLES KEPEL GÉOPOLITOLOGUE SPÉCIALISTE DU MONDE ARABE

« Démocratie ou non, c’est aux musulmans eux-mêmes de décider »

« Dans le monde arabe, rien ne devrait arrêter la marche en avant vers la liberté. L’histoire est en train de se produire : laissons-lui le temps de se réaliser. »

DENIS LAFAYDIRECTEUR DE LA RÉDACTION ACTEURS DE L’ÉCONOMIE - LA TRIBUNE

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LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

«I maginez la tête de la France si en décembre aux régionales, le Front national remporte deux régions ». Alain Minc décrypte dans son dernier essai, Le mal français n’est plus ce qu’il était, les futurs possibles pour une société dominée par des « indi-vidus-atomes » à l’heure d’Internet et de la mondialisation. Le risque principal est de sombrer dans une dérive populiste. Malgré tout, l’essayiste et homme d’affaires reste optimiste.

La France n’est pas si loin de s’en sortir, si elle mène les réformes nécessaires. Et affirme le besoin urgent d’une nouvelle utopie européenne pour redonner du sens à la politique. Selon lui, Alain Juppé est le mieux placé pour emporter la présidentielle en 2017. Son inquiétude : un deuxième tour François Hollande-Marine Le Pen, qui serait selon lui un scénario aventureux et trop incertain.

LA TRIBUNE – Ressentez-vous de la fierté après avoir observé la mobilisation de la société française après l’attentat contre Charlie Hebdo ? Et comment répondre à cette nouvelle menace terroriste ?ALAIN MINC – Jacques Julliard a employé un mot qui me va bien en qualifiant de « mai 1968 positif » le mouvement spontané né autour du slogan #jesuischarlie qui a rappelé dans le monde entier la force des valeurs de tolérance et de liberté qui ont fait se lever la société française. La classe politique a fait preuve de res-ponsabilité en s’abstenant de tout amalgame entre le fanatisme islamiste et la religion musulmane, y compris le Front national. Ce qui s’est passé est extrême-ment rassurant sur la vitalité de la démocratie en France dont la société civile n’est pas avachie, contrairement à ce que certains disent, et sait se mobiliser et se rassembler dans les moments de crise.Pour autant, une fois passée la satisfaction ressentie par tous devant la force de la République, il faut désormais répondre à quelques questions cruciales pour nous pré-munir contre la répétition de tels événements. Comment changer la politique pénitentiaire pour que nos prisons ne deviennent pas le chaudron du fanatisme intégriste que l’on sait ? Cela veut dire plus d’argent afin que les prison-niers aient des cellules individuelles et ne soient pas en-doctrinés pendant leur détention. Deuxièmement, si l’on veut éviter que nos jeunes soient à la merci d’imams sala-fistes, nous devons nous demander s’il ne faut pas créer des écoles coraniques contrôlées par la République. Et par conséquent suspendre, au moins provisoirement, la loi de 1905 pour la religion musulmane.

Les années en « 15 » marquent souvent l’entrée dans le siècle. De ce point de vue, comment voyez-vous 2015 ? Marignan ou Waterloo ? Renaissance ou désastre ?Pour la France, 2015 sera une année encore très médiocre sur le plan économique et extrêmement aléatoire sur le plan politique. Médiocre pour l’économie parce que malgré les espoirs nourris en haut lieu avec la chute des prix du pétrole et de l’euro, qui offrent des facteurs exogènes propices à une reprise de l’activité dans le monde, le bateau France a été mis dans une position de fragilité telle qu’il n’en profitera que modestement. S’il y a du vent, il ne soufflera pas assez fort dans nos voiles.Politiquement, ce sera une année très aléatoire, car nous sommes dépendants d’un scénario de l’apocalypse, selon moi. Vous imaginez la tête de la France si en décembre, aux régionales, le Front national remporte deux régions, le Nord-Pas-de-Calais pour Marine le Pen et Paca pour son père… Est-ce que le FN va conti-nuer son implantation locale ? Voilà le risque vers lequel nous mène le populisme.

Avant même tout scénario de ce genre en France, vous imaginez la tête de l’Europe si Syrisa en Grèce et Podemos en Espagne emportent les élections générales sur un front anti-austérité, voire anti-euro…Les deux situations que vous évoquez ne sont pas du tout de même nature. En Espagne, les efforts ont porté leurs fruits et Podemos, même si son score est significatif, n’empêchera pas les partis de gouvernement de serrer les rangs pour ne pas ruiner le travail qui a permis de remettre le pays sur de bons rails. La Grèce, c’est autre chose. Angela Merkel a bien raison de mettre la pression sur ce pay, car le risque d’une sortie de la zone euro – bien que je ne la souhaite

pas –, n’est plus le même qu’il y a deux ans. L’Union bancaire a permis au système financier de se désensibiliser au risque de « Grexit », qui ne serait pas une catas-trophe pour les pays périphériques.

Cela montre aussi que les peuples européens ne veulent plus de l’austérité…Mais tout le monde aujourd’hui est contre, l’austérité. En France, ce n’est pas faire une politique d’austérité quand on affiche un déficit supérieur à 4 % du PIB et que la hausse des salaires dépasse celle de l’inflation ! L’Allemagne est le seul pays en Europe à faire encore de l’austérité budgétaire, en s’imposant d’être en excédent. Et elle le compense par un plus grand laxisme salarial, ce dont il faut se réjouir. Avec plus de 5 % de hausse des salaires dans le privé sur dix-huit mois, selon les derniers accords, l’Allemagne relance sa demande intérieure et sa consommation, ce qui profitera à tous. L’Europe a réagi au message d’une extrême violence que lui ont adressé les marchés financiers ; le risque était celui d’une explosion du système et si cela s’était produit, l’austérité aurait été d’une tout autre ampleur que celle que nous avons connue.

Dans votre livre, vous décrivez trois scénarios pour le futur, dans un monde devenu hyperindividualiste à l’heure d’Internet et de la mondialisation. Quels sont-ils ?Dans le premier futur possible, les « individus-atomes » sont à la société ce que

les acteurs économiques sont au marché : des rouages inconscients d’une réalité qui les dépasse. Dans cette so-ciété, relativement stable, l’État parvient à cantonner les soubresauts sociaux. C’est un scénario du statu quo, le plus probable, mais médiocre, où les individus-atomes s’isolent de plus en plus, mais sans que rien de véritablement sub-versif ne se passe. Les libertés et l’économie de marché parviennent cahin-caha à se perpétuer, dans une atmos-phère poisseuse et déprimée. C’est un peu la situation que nous traversons. Le deuxième futur est plus violent : une alliance se pro-duit entre le populisme et le communautarisme, de façon moins caricaturale que celle développée par Houllebecq dans son dernier livre, Soumission, mais avec pour consé-quence la subversion du système politique, l’éclatement de l’Europe, de sa monnaie et de ses libertés. Un régime auto-ritaire, proche de celui de la Russie poutinienne se met en place et instaure un nouveau corporatisme. La troisième hypothèse est plus optimiste : la société d’in-dividus-atomes parvient à accoucher d’un nouveau contrat

social, dont nous voyons les prémices, encore balbutiantes, dans le développe-ment d’une économie d’entrepreneurs et de start-up, nouvelle cellule de base de la société, ou dans l’émergence de nouvelles formes de solidarités dans une société du care et du partage. Celle-ci ne se veut pas une contre-société politique, à la façon des « baba cool » des années 1970, mais promeut un usage intelligent des nouvelles technologies. Mon intuition, c’est que la société se reconstituera par la base, au plus proche du terrain. Mais il y a encore un long chemin avant de parler de nouveau contrat so-cial. La loi Macron va un peu dans ce sens, en ce qu’elle veut laisser plus d’espace à l’initiative individuelle et à la liberté, mais elle se heurte à de fortes résistances.

Une opposition duale, de gauche et écologique d’un côté, de droite et en défense des rentiers, de l’autre. C’est un peu paradoxal ?Pas tant que cela. Ces deux résistances sont tout aussi absurdes. La gauche se ridiculise en voyant un changement de société dans le fait d’ouvrir la possibilité de travailler douze dimanches au lieu de cinq. Et les écolos avec Cécile Duflot ne se grandissent pas en portant un message de décroissance au nom de motifs politiciens qui rappellent le jeu des partis aux pires heures de la IVe République. Quant à la droite, elle se fourvoie complètement dans une opposition frontale à un texte dont toute personne sensée ne peut que dire qu’il va dans le bon sens, même s’il ne va pas assez loin. J’espère que la raison l’emportera ou bien qu’il n’y aura tout simplement pas de vote, parce que le gouvernement choisira d’uti-liser cette arme tombée en quenouille qu’est le 49-3, imposant un vote bloqué.

Le 15 juin, la Bourse de Paris lance l’indice CAC 40 représentatif des actions cotées en continu à Paris sur le premier marché

(avec une valeur de 1 000 points calculée rétroactivement au 31/12/1987). En juillet, sont signés les accords de Bâle sur les fonds propres bancaires (ratio Cooke) pour tenter de réguler le secteur financier et d’encadrer la prise de risque.

Le 13 février, à New York, la banque d’investissement Drexel, Burnham, Lambert fait faillite, vingt-huit ans avant Lehman Brothers. Le 1er juillet, la libre circulation des capitaux devient

effective dans la CEE et l’union économique et monétaire entre la République démocratique allemande et la République fédérale d’Allemagne entre en vigueur. Le 2 août : l’Irak envahit le Koweït. Un bref choc pétrolier provoque une récession aux États-Unis.

Le plan Brady de restructuration de la dette des pays en voie de développement en défaut de paiement est signé en mars. Le 23 mars, le naufrage du pétrolier Exxon Valdez en Alaska éveille la conscience

écologique. C’est l’apogée de la crise des junk bonds aux États-Unis. Le 9 novembre, c’est la chute du Mur de Berlin, prélude de l’effondrement du bloc communiste. Fin décembre, la Bourse japonaise atteint son plus haut historique à 38 957,44 pour l’indice Nikkei, qu’il ne retrouvera jamais.

En avril, l’Argentine, pour lutter contre l’hyperinflation qui dépasse 3 000 %, instaure le Plan de convertibilité avec une parité fixe peso/dollar. La Banque d’Angleterre ferme la Bank of Credit and Commerce International

(BCCI) pour diverses fraudes et activités criminelles. Le 5 novembre, mort mystérieuse en mer de Robert Maxwell, dont on découvre qu’il avait détourné les avoirs des fonds de retraite de ses employés pour soutenir artificiellement les cours des actions de ses entreprises.

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Raymond Barre et Michel Rocard, qui ne furent pas les pires Premiers ministres de ce pays, ont gouverné à coup de 49-3, et au moins les réformes avançaient…

Finalement, François Hollande apparaît-il à vos yeux comme le réformateur de gauche dont la France avait besoin ? Même The Economist reconnaît qu’entre le pacte de responsabilité et la loi Macron, aucun gouvernement français n’était allé aussi loin…N’exagérons rien. François Mitterrand nous a débarrassés du communisme. Par parallélisme, François Hollande est en train de nous débarrasser du socialisme. C’est bien, mais il n’est pas et ne sera pas le Schröder français. D’abord parce qu’il n’a pas la majorité politique pour aller au bout de sa démarche, mais aussi, plus fondamentalement, parce que ce président est sincèrement social-démocrate là où il faudrait qu’il soit social-libéral. Pour faire les quelques réformes dont le pays a besoin, pas besoin de faire du Thatcher, mais au moins, faisons aussi bien que Schröder. Ce sont des réformes que l’État doit assumer parce qu’on ne peut pas demander à des syndicats, par ailleurs mal en point, de les assumer. Il faut réformer les retraites en augmentant l’âge légal en fonction de l’espérance de vie, faire la TVA sociale et sortir définitivement des 35 heures en supprimant corrélativement les aides aux entreprises. Le seul domaine où il faudrait être thatchérien, c’est dans la politique du logement, qui a besoin d’un grand coup de balai libéral.

Valls et Macron, ce sont pourtant des sociaux-libéraux ?Oui, mais les chambellans, grands et petits, ne sont pas le roi dans un régime qui demeure d’essence monarchique !

Et c’est beaucoup demander à un François Hollande qui est déjà entré en campagne pour sa réélection… Vous croyez sa victoire possible, en 2017 ?On ne peut pas souhaiter à ce pays un deuxième tour entre François Hollande et Marine Le Pen, car je crains que ce pari ne soit risqué. C’est peut-être injuste à l’égard de François Hollande, mais c’est ainsi. Le résultat serait plus incertain qu’un second tour entre le candidat de la droite et celle du Front national. Il y a deux cas de figure pour l’échéance de 2017 : soit c’est Alain Juppé qui emporte des primaires très ouvertes à droite, et alors il n’y aura pas de candidat du centre, ce qui assurera son élection, car de nombreux déçus de François Hollande vote-ront Juppé. Soit Sarkozy sort vainqueur des primaires, mais alors il est très pro-bable que François Bayrou se présentera, ce qui est le scénario rêvé de François Hollande, qui peut ainsi espérer accéder au second tour. Mais, avec le risque pour le pays d’une arrivée au pouvoir de Marine Le Pen. Les conditions politiques sont donc très favorables pour un « moment Juppé », seul candidat de la droite dont on est certain qu’il barrera l’accès au pouvoir du Front National, dans une sorte d’union sacrée.

Encore faut-il que François Hollande soit en condition de se présenter…On ne peut pas l’exclure, car c’est un combattant politique expérimenté et il n’a pas vraiment de compétiteur dans son camp. Ni Aubry, ni Valls ne se présen-teront contre lui aux primaires s’il y en a à gauche. Et je suis bien certain que Hollande l’emporterait facilement face à Montebourg. Encore une fois, la seule question politique pour la présidentielle de 2017, c’est de savoir s’il y aura ou non François Bayrou au premier tour. C’est la principale force politique d’Alain Juppé : il est le seul candidat susceptible de rassembler les droites et d’être élu par des voix de gauche !

C’est faire fi des évolutions que vous décrivez sur l’individualisation de la société : les individus-atomes se détournent de plus en plus de la politique, ce qui crée une grande incertitude, celle du niveau de l’abstention, voire des capacités de mobilisations nouvelles, via les réseaux sociaux. En Espagne, c’est la grande force de Podemos…Dans l’atomisation liée au développement des nouveaux usages du Net, ce qui me frappe le plus, ce n’est pas tant que les gens sont de plus en plus isolés : c’est surtout que les communautés qui se créent sont en réalité très fugitives. C’est très nouveau. L’individualisation est un phénomène général observé dans tout l’Occident depuis le milieu des années 1970 et qui n’a fait que se renforcer de-

puis. Internet accélère ce phénomène, mais en créant un être en société dont les liens sont fugaces et volatils. Regar-dez par exemple cette mobilisation en faveur du bijoutier qui avait tiré sur son agresseur à Nice : où sont passées les 2 millions de personnes qui l’avaient soutenu ? Elles se sont évanouies. Avant, les forces sociales avaient des ancrages plus durables. Cela ne semble

plus le cas. Tout cela fabrique une société stable, justement parce que ses mo-bilisations sont fugitives, mais sans projet : les individus-atomes y gèrent leur propre avenir et adhèrent à un minimum de règles communes, mais sans utopies.C’est le propre du populisme, qui ne repose que sur le rejet – rejet des élites, de l’autorité, des autres –, et ne construit rien. On voit cela partout. Regardez le Danemark, l’un des pays les plus stables économiquement et politiquement, doté d’un fort consensus social : voilà un pays où il n’y a que peu de chômage,

dont les habitants se disent heureux, et qui pourtant fait sortir en tête aux élec-tions européennes un parti d’extrême droite qui n’a rien à envier à notre Front national ! Toute l’Europe semble figée dans une sorte de peur, dont l’immigré est devenu la figure emblématique, mais n’est pas la seule incarnation : c’est aussi un questionnement plus large, sur l’identité de chacun dans un monde en mutation.

La réponse pourtant, dites-vous, ce serait de réinventer une utopie…Oui, l’utopie européenne est une solution pour redonner du sens à la politique, mais elle est trop mal en point, essentiellement à cause de l’extrême lâcheté de nos dirigeants et de la classe politique, devenue incapable de la défendre. Une Europe qui a une politique agricole commune mais se montre incapable de défi-nir une politique énergétique ou une politique d’immigration commune ne peut pas faire rêver les gens. Il faut donc une nouvelle génération, à l’image de l’italien Matteo Renzi, qui est la chance de l’Italie, un pays qui est aux premières loges face à ces vagues de migrants clandestins chassés de chez eux par la guerre et la misère. J’attends, sans grand espoir pour l’instant, le moment où une nouvelle génération de politiques dira la vérité, que l’Europe est notre seule chance et notre seule bonne réponse aux défis du monde dans lequel nous vivons. Autant François Hollande a une bonne politique internationale, autant sa politique eu-ropéenne est vraiment nulle, pour quelqu’un qui se voulait l’héritier de Jacques Delors. C’est la trace profonde du traumatisme du non au référendum européen de 2005. S’il manifestait la même énergie et le même courage pour l’Europe que pour la Syrie ou le Mali, on n’en serait pas là. Car, c’est clair, il n’y a pas de construction européenne solide sans une France tonique et inventive.

De toutes les menaces qui agitent le monde actuel, laquelle vous semble la plus dangereuse ?Les tensions au Proche Orient sans aucun doute. À mon sens, on ne pourra pas stabiliser une situation de plus en plus explosive sans faire vis-à-vis de l’Iran ce que Nixon et Kissinger ont fait il y a quarante-cinq ans à l’égard de la Chine Popu-laire. Un accord sur le nucléaire iranien et la réintégration de Téhéran dans le jeu international comme un chef de file régional est le seul moyen de mettre fin au chaos actuel qui voit disparaître les frontières de 1916 et la prolifération de l’ex-trémisme sunnite. Si vous regardez cette région, trois pays joueront un rôle clé : les États-Unis, l’Iran et Israël. Concernant celui-ci, espérons que les élections qui s’y dérouleront en mars seront moins caricaturales qu’annoncé. Israël doit faire les concessions de pur bornage qui pourront ramener la paix en Palestine et ainsi débloquer le jeu diplomatique avec l’Iran.

Et sur le plan technologique, quelle est la menace principale ? Google ou l’intelligence artificielle ?Le sujet Google est devenu un enjeu mondial. Jamais une entreprise n’a posé aux États un défi aussi important, parce qu’elle se joue des frontières, des règles, notamment fiscales, et pose des problèmes majeurs en termes de res-pect de la vie privée. Face à une entreprise globale, il ne peut y avoir qu’une ré-ponse globale. L’Europe a un rôle à jouer, car le gouvernement Obama est dans la main de la Silicon Valley, et de Google en particulier qui a remplacé Gold-man Sachs dans l’influence politique à Washington. L’impulsion vient d’Alle-magne, car Angela Merkel a été traumatisée par l’affaire Snowden et parce que la France, qui aurait pu être à la pointe de ce néogaullisme numérique, est dans ce domaine aux abonnés absents, la plupart de ses hommes politiques étant en dehors de l’ère numérique. Pour un Hollande ou un Sarkozy, envoyer des SMS est le maximum de la technologie ! C’est un peu court dans un monde qui avance vers l’intelligence artificielle. ■

Alain Minc, consultant et essayiste, auteur de Le mal français n’est plus ce qu’il était (Grasset)

« Le vrai danger, une alliance entre le populisme et le communautarisme »

« L’utopie européenne est une solution pour redonner du sens à la politique, mais elle est trop mal en point, essentiellement à cause de l’extrême lâcheté de nos dirigeants. »

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Du 16 au 28 août : l’ouragan Andrew ravage le sud-est des États-Unis. Il restera la catastrophe naturelle la plus chère subie par le pays, jusqu’à l’ouragan Katrina en 2005. Le 16 septembre,

la lire italienne et la livre sterling doivent toutes les deux quitter le Système monétaire européen qui explose à l’occasion du référendum français sur le traité de Maastricht du 20 septembre. Une attaque spéculative de grande ampleur échoue contre le franc français.

Entrée en vigueur de l’Alena (Accord de libre-échange nord-américain) entre les États-Unis, le Mexique et le Canada. Signature le 15 avril de l’accord de Marrakech qui fonde

l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui succède au Gatt. Le 19 mai, ouverture du tunnel sous la Manche. Netscape Navigator, premier navigateur Internet grand public, est lancé en décembre. Début de la crise mexicaine.

Édouard Balladur lance la deuxième vague des privatisations qui concerne une vingtaine d’entreprises qu’il tente de protéger par des « noyaux durs ». Une nouvelle attaque contre le franc réussit

pendant l’été et pour décourager les spéculateurs, les marges de fluctuation au sein du SME sont élargies. Le 8 novembre, Jean-Yves Haberer, patron du Crédit lyonnais, est forcé de quitter son poste, alors que la banque est déjà – bien que cela ne soit pas apparent dans ses comptes – en quasi-faillite.

Début du Mercosur (acronyme espagnol de « marché commun de l’Amérique du Sud »). Le tremblement de terre à Kobe, au Japon, provoque la faillite de la vénérable banque Barings. Le projet d’Alain

Juppé de réforme des régimes spéciaux de retraite met les cheminots et les fonctionnaires en grève et provoque le plus grand « mouvement social » en France depuis 1968. Le 15 décembre, le sommet européen de Madrid fixe le passage à la monnaie unique (euro) au 1er janvier 1999.

1992 19941993 1995▼ ▼▼ ▼

«Avec mon AVC, j’ai découvert ou redé-couvert, appris ou réappris, éprouvé ou rééprouvé des

moments et des opportunités excep-tionnels, de ceux qui « font » une exis-tence riche et simple. Sur les 1 500 km du sentier de grande randonnée  5 que j’ai arpentés seul, j’ai retrouvé le plaisir de marcher, de réfléchir, de humer l’air, d’être libre, d’être à la rencontre, ou plu-tôt en rencontre autant de la nature que des femmes et des hommes. Dans cette

« nouvelle vie », j’ai pris le temps de lire l’œuvre, en allemand, de Stefan Zweig, qui patientait sur mes étagères depuis vingt ans. La traversée du Pacifique à la voile, je l’ai effectuée avec trois amis, totalement isolés du monde pendant un mois. Tout cela constitua un voyage initiatique au fond de moi-même. J’ai aussi redécouvert la durée d’un trajet, les lignes et les stations de métro, les voya-geurs avec lesquels on échange parfois – au lieu des prises en charge incessantes, millimétrées, en voiture avec chauffeur ou en avion privé. Le journal que l’on achète au coin de la rue et que l’on ouvre avec plaisir – au lieu de l’épaisse revue de presse survolée chaque matin. Ou encore le moment merveilleux où on ré-sout un sudoku sans avoir l’impression, coupable, de voler ce moment !Ma vie s’est ouverte. Ou plus exacte-ment une partie de ma vie, jusqu’alors claquemurée par les injonctions pro-fessionnelles, s’est rouverte. Ce plaisir est si grand qu’aujourd’hui aucune ten-tation ne serait suffisamment puissante

pour m’en détourner. Le bonheur d’être aux côtés de ses enfants – surtout après avoir perdu, momentanément, le souve-nir de leurs prénoms – n’a pas de prix, car on saisit dans ces moments privi-légiés de partage le regret d’avoir été si absent pendant leur enfance et leur adolescence. La joie de se savoir utile auprès des jeunes entrepreneurs que j’accompagne désormais et auxquels je « donne » trente années d’expérience, n’a guère d’équivalent dans la besace des satisfactions professionnelles.J’ai une préoccupation nouvelle pour la fragilité et la défaillance humaines : mon attention aux problématiques managé-riales de rupture, d’adaptation, de résis-tance, de souffrance est plus grande, et j’ai appris à rééquilibrer les critères d’examen de la performance humaine. Je ne suis plus dupe de la considération des autres pour ce que l’on est véritable-ment à leurs yeux, en réalité reléguée derrière ce que l’on incarne et ce que l’on représente en termes d’influence et de pouvoir. J’ai découvert au fond de moi une empathie, une générosité, la volonté de reconnaître le travail des autres que je pensais jusqu’alors légère. Enfin, j’ai appris à distinguer les valeurs des temps, c’est-à-dire ce qui « fait » temps libre et pauvre, temps utile et altruiste, temps vain et fructueux, temps coupable et important, temps secondaire et perdu… Les temps de discuter, de manger, de se promener, de lire, de rire, d’aller au cinéma, d’aider, etc., sont des temps qui ont le goût de paradis. Et bien sûr, je considère désormais d’un œil autre-ment éclairé ce que doit être le « temps de travail », y compris chez les grands dirigeants. Le temps consacré à dormir, le pire pour un patron, n’est-il pas lui-même crucial ?Bref, ces années consacrées à me répa-rer et à renaître, ce lent, incertain et cahoteux parcours du combattant, ces « leçons de vie » m’ont fait prendre conscience que mésestimer l’essentiel de ce qui « constitue (la) vie » appau-vrit indiscutablement l’exercice de la responsabilité de patron, qu’il n’y a de réussite que grâce aux autres. Ces autres auxquels on consacre le temps le plus beau, le plus déterminant, le plus riche – et d’ailleurs donner et rendre se sont imposés à la manière dont je conduis désormais mon existence. Je sais qu’être un grand patron ne signifie pas être un grand homme ; mais je sais également, pour toutes ces raisons, que je ne suis pas devenu seulement un autre homme, mais aussi un autre patron. « Seul l’arbre qui a subi les assauts du vent est vrai-ment vigoureux, car c’est dans cette lutte que les racines, mises à l’épreuve, se fortifient », écrivit Sénèque. » ■

«La gauche fran- çaise se meurt. Et elle doit se réinven-ter dans un c o n t e x t e qu’elle ne sait

pas maîtriser : la disparition de ce qui formait l’architecture de la société. Les grandes classes sociales ont été effacées au profit d’un éclatement, peu visible, de sous-classes disséminées. Et donc ce qui nourrissait à la fois les grands conflits et les grands projets, porteurs

de sens, de perspec-tives, d’idéaux, d’hori-zons et d’espérance, s’est dissous. L’impres-sion est d’être « nulle part ». Le sociologue Robert Castel l’avait très bien défini : la disparition de la société industrielle provoque un phéno-mène de « désaffilia-tion ». Auparavant, on « était » ouvrier, clairement identifié dans son groupe social qui constituait aussi un repère « pour soi vis-à-vis de soi et des autres », mais égale-ment pour « les autres vis-à-vis de soi » ; doré-navant, il est très dif-ficile de se situer, et la gauche ne sait pas répondre à ce constat.Elle ne sait pas non plus composer avec une autre réalité : la

société idéologique, humaine, politique est devenue un marécage, comparable à celui de la fin du xixe siècle, lorsque les formations politiques issues de la Révolution française ne savaient plus répondre aux réalités de l’époque. Les partis politiques, gauche en tête, s’escri-ment à se positionner par rapport à un passé qui n’existe plus. Ce phénomène des ruptures sans fin et extrêmes avec ledit passé affecte durement le paysage politique et entretient les partis dans le non-sens et la confusion. Il est impératif d’essayer de comprendre où se trouve la ligne de partage dans la société. La colère, la déception, la haine même

sont aujourd’hui partout répandues, et la rupture la plus profonde est celle qui sépare la population du monde politique et de l’État. Ce que nous vivons à un ni-veau extrême est une crise de citoyenne-té, ce qui est plus profond qu’une crise politique. Nous souffrons de n’avoir à choisir qu’entre une absence de projets et des formes différentes d’échecs.Le xxe siècle aura été celui des totalita-rismes. À ceux déployés par Hitler ou Staline a succédé une nouvelle forme de despotisme, issue des pouvoirs et de l’emprise que les nouvelles technologies permettent d’exercer sur l’humanité entière et sur chaque aspect de la vie de chacun. Nous assistons au triomphe du « pouvoir total ». Et, dans un contexte de mondialisation, que le capitalisme financier se soit imposé au capitalisme industriel n’y est pas étranger. Il l’a gan-grené et même anéanti. Il domine au point que les capitaux investis dans la spéculation légale ou dans le blanchi-ment d’argent frauduleux dépassent ceux dévolus à l’investissement indus-triel et à la production d’activités écono-miques concrètes. L’argent de la drogue représente 3 % du PIB mondial, le mon-tant des capitaux abrités dans les paradis fiscaux est équivalent au PIB cumulé des États-Unis et du Japon. Tout cela contri-bue à innerver dans les consciences une logique marchande, pécuniaire, consu-mériste, devenue dominante. La supré-matie, ou plutôt la tyrannie de l’argent règne partout. Tout est pensé, évalué, structuré, conçu par rapport à l’argent. Y compris l’imagination, les perspectives, le sens. Et les formations politiques suivent le mouvement, se vidant d’elles-mêmes de toute alternative au diktat financier et au dogme matérialiste. Comment, dans ces conditions, aspirer à rêver, oser, se projeter, entreprendre ? Face à ce pouvoir total, il est l’heure de sanctuariser les droits humains fon-damentaux. Aux droits à la liberté et à l’égalité qui devraient être inaltérables, s’ajoute un droit à la dignité – davantage que de fraternité – dont j’observe la re-vendication aussi bien en France qu’au Chili ou en Inde. Ces droits assurent à l’individu d’être un individu, c’est-à-dire d’être sujet créateur et transformateur du monde. Alors, le principe même de sa reconnaissance comme « sujet » pourra être garanti. Et les raisons de croire en l’avenir seront revivifiées. » ■

ALAIN TOURAINE SOCIOLOGUE

« L’individu, reconnu sujet, permettra de regarder l’avenir autrement »

« Tout est pensé, évalué, structuré, conçu par rapport à l’argent. Y compris l’imagination, les perspectives, le sens. »

CHRISTIAN STREIFF ANCIEN PRÉSIDENT DE PSA

EMMANUELLE DUEZ ENTREPRENEURE, THE BOSON PROJECT ET WOMEN’UP

«Qu’est-ce qu’entreprendre ? C’est croire en ses rêves, c’est prendre des risques, c’est créer à partir de rien. C’est tout autre chose que d’être gestionnaire. Gérer et créer sont en effet deux activités très différentes. Entreprendre, c’est être heureux. Le vrai moteur, c’est

l’accomplissement de soi. Mais cela n’est pas si simple. Car être heureux dans l’entreprise ne va pas de soi. Avant de chercher le « quoi ? » qui vous rendra heureux, il vous faudra trouver le « comment ? ». L’entrepreneu-riat est un sacerdoce, une philosophie de vie, une façon de se réaliser, un acte de création. C’est pourquoi tout le monde ne peut pas devenir entrepreneur, celui qui « se réalise en créant ».Il faut transformer l’entreprise pour en faire un lieu d’épanouissement pour les hommes. Et cette transformation doit être opérée de l’inté-rieur, à partir des particules élémentaires de l’entreprise, à savoir les collaborateurs. Ce postulat se base sur un constat : la jeune génération aspire à très court terme à être tout simplement heureuse. C’est ce qui la distingue de la génération antérieure, celle de nos parents, inscrite dans une logique sacrificielle par rapport au travail, sans doute parce qu’elle parvenait à se projeter à plus long terme dans une entreprise. Peut-être savait-elle qu’elle ne serait pas à proprement parler heureuse dans l’entreprise, mais que celle-ci lui apporterait suffisamment de sécurité matérielle et psychologique sur le long terme pour pouvoir prétendre à trouver le bonheur hors de l’entreprise. Pour la génération actuelle, la sécurité matérielle et sur le long terme n’existe plus. La pro-jection pour une vie professionnelle, pour une carrière entière dans une même entreprise, n’est plus possible.La génération des vingtenaires et trentenaires a intégré la précarité et le court-termisme dans son mode de fonctionnement. Le besoin d’être heureux est donc beaucoup plus prégnant, plus criant, plus impératif. Et on attend de l’entreprise qu’elle permette d’accéder au bonheur beau-coup plus rapidement en devenant un lieu d’accomplissement person-nel et professionnel presque immédiat. Il faut donc aider l’entreprise à devenir ce lieu de « kiffe », il faut l’amener à remettre le bonheur de ses collaborateurs au centre de son modèle économique, il faut tout à la fois transformer les modèles managériaux, les modèles de leadership, les organigrammes et la raison d’être de l’entreprise dans la société, pour être pourvoyeuse de bonheur pour ses collaborateurs. L’objectif n’est pas de leur faire plaisir, mais bien de retenir les meilleurs talents dans un contexte mondialisé de guerre des compétences et de pousser les collaborateurs à s’engager au sein et au service de l’entreprise.Pourvoyeuse de bonheur : c’est bien là en effet tout là son objet social. Car qui dit bonheur en entreprise dit performance additionnelle, même si cela semble cynique. Cette aspiration au bonheur ne peut se départir d’une quête de sens. La génération que l’on désigne « Y », est de plus en plus en recherche de signification à sa propre action et à celle de l’entreprise pour laquelle elle travaille. Elle se pose deux questions fon-damentales : « À quoi je sers ? » et « À quoi sert mon entreprise ? » Ces interrogations permettront in fine de transformer l’entreprise pour en faire un lieu de réalisation pour le capital humain, sachant que l’objectif d’une entreprise est de demeurer un objet économique rentable. » ■

« Je sais, maintenant, où est la vérité de la vie »

RUPTURES LEÇONS DE VIE BONHEUR

« Mésestimer l’essentiel de ce qui “fait la vie” appauvrit indiscutablement l’exercice de la responsabilité de patron. »

« Transformer l’entreprise pour en faire un lieu d’épanouissement »

« Il faut aider l’entreprise à devenir un lieu de “kiffe”. »

«A u déclin progressif des subventions publiques s’est substituée une formidable montée en puis-sance d’instruments alternatifs, notamment du mécénat privé, qui a compensé l’érosion. Il y a une vingtaine d’années, lorsque la manne de l’État suf-

fisait à contenter tout le monde, le mécénat était considéré comme une intrusion inadmissible de la sphère privée dans le domaine pu-blic. Certes, les attaques portées contre ces dispositifs demeurent. Mais heureusement, les mentalités ont considérablement évolué. Le mécène n’est plus jugé comme un opportuniste fiscal, mais comme un donateur généreux, précieux, et même capital pour continuer de faire vivre des actions sociales, environnementales, éducationnelles, ou culturelles indispensables au territoire.Cette évolution, qui concerne jusqu’aux salariés des établissements culturels, a été rendue possible parce que l’État l’a favorisée grâce à des discours et à des prises de position explicites, et parce que les directions des établissements ont fait preuve de toute la rigueur nécessaire pour encadrer déontologiquement cet apport complémentaire. Dans les an-nées 1990, les musées étaient impuissants dans le domaine des acqui-sitions et assistaient à une véritable hémorragie du patrimoine. Dans le domaine de la peinture impressionniste, il devenait de plus en plus dif-ficile de faire face à une inflation vertigineuse et spéculative des prix de vente. Sans la loi Aillagon, aucun musée français n’aurait pu poursuivre sa politique d’acquisition des trésors nationaux.Après les grandes entreprises, et particulièrement celles du CAC 40, les plus à même d’investir ou de créer une fondation, le travail de promo-tion du mécénat doit se porter sur les PME et les ETI. Elles constituent un potentiel considérable et donc un relais de croissance, et on peut y élaborer des actions singulières et extrêmement utiles. En effet, parce qu’elles sont davantage ancrées dans leur territoire, plus en lien avec le tissu socio-économique local, fortement portées par la personnalité d’un patron identifiable et stable, enfin rapportées à une proximité non seulement géographique mais aussi managériale et humaine, ce qu’on peut y bâtir en matière de mécénat peut rayonner dans, comme autour de l’établissement. Notamment avec les salariés, que l’on associe plus aisément et rend acteurs des initiatives. La pérennisation du mécénat dans sa globalité, comme à l’échelle de l’entreprise, est d’ailleurs en grande partie conditionnée à la capacité offerte aux collaborateurs de s’identifier au projet. Et je mesure combien, dans ce domaine, la muta-tion fut grande, ces vingt dernières années.Au début, l’engagement de l’entreprise résultait – ou était perçu comme tel – souvent d’un « caprice » du patron. Puis les directions ont pro-fessionnalisé leur démarche, et réclamé des contreparties pour leurs salariés (participation à des vernissages, gratuité des places, etc.) grâce auxquelles ces derniers se sont sentis associés à un projet d’entreprise. Et ce projet est d’autant plus mobilisateur qu’il fait l’objet d’une com-munication adaptée – ni trop ostentatoire, ni trop discrète – et s’inscrit dans la durée, c’est-à-dire avec fidélité et persévérance. À ces condi-tions, l’entreprise saisit tout l’intérêt qu’elle peut en retirer, en termes de personnalité, d’image, de réputation et de mobilisation de son per-

sonnel. Le mécénat est une chance et un espoir non seule-ment pour la société mais aussi pour les entreprises.Ceci étant, malheureusement trop de citoyens ou de déci-deurs, y compris politiques, considèrent encore la culture comme superfétatoire – ce qui pénalise le mécénat cultu-rel. Et l’évolution dans les choix des modes d’action des mécènes a entraîné une chute importante du soutien à la création artistique. Or, la culture n’est pas secondaire : elle est au contraire principale, car elle accompagne nos vies, les nourrit et les embellit. Le mécénat culturel aujourd’hui est, le plus souvent, associé à toutes les autres formes de mécé-nat. Ainsi, ce qui relève de l’artistique pur croise des enjeux d’éducation, de recherche, d’ouverture aux jeunes des ban-lieues, de partage dans les prisons, etc. Et en abordant ses fa-cultés d’intégrer, de sustenter, de réhabiliter l’existence, on traite le mot culture à travers l’ensemble de ses trésors. » ■

MÉCÉNAT

HENRI LOYRETTE PRÉSIDENT DE L’ADMICAL

« L’art ? Un produit de première nécessité »

« Le mécénat culturel est associé à toutes les autres formes de mécénat ; l’artistique pur croise les enjeux d’éducation, la recherche, l’ouverture aux jeunes des banlieues, etc. »

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LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

La Russie dirigée par Boris Eltsine adhère au conseil de l’Europe. Embargo de l’UE sur les ventes de viande bovine britannique, à la suite de la maladie de la vache folle (encéphalopathie

spongiforme bovine), début d’une crise européenne sur le thème du principe de précaution. Accord sur le « pacte de stabilité » européen, par lequel les pays candidats à la monnaie unique s’engagent à respecter une discipline monétaire rigoureuse.

Krach du rouble et défaut de la Russie sur sa dette. Le 4 septembre, Larry Page et Sergeï Brin, deux étudiants, lancent le moteur de recherche Google, inspiré de la grandeur mathématique googol (10

puissance 100). Victoire de la France à la Coupe du Monde de Football. Le 23 septembre, la Fed et les principales banques d’investissement américaines évitent une crise financière majeure, dix ans avant 2008, en sauvant in extremis le hedge fund Long Term Capital Management.

La gauche emporte les élections législatives après la dissolution ratée de Jacques Chirac : la France adopte les lois Aubry sur les 35 heures, payées 39 ; France Télécom est privatisé. Un clone de brebis,

Dolly, est présenté au Royaume-Uni. Tony Blair devient Premeir minsitre, au nom du New Labour. Crise économique majeure en Asie. En décembre, au sommet de Kyoto sur l’écologie, 160 pays décident une réduction de 5,2 % des émissions de gaz à effet de serre, à l’horizon 2012.

Le 1er janvier, naissance officielle de l’euro, seulement comme monnaie scripturale, qui vaut exactement la parité avec le dollar, en décembre. Aux États-Unis, abrogation du Glass-Steagall Act de 1933,

organisant notamment la séparation des métiers bancaires. Double OPE de la BNP sur la Société générale et Paribas. Totalfina rachète Elf. Poursuite des privatisations, avec Aérospatiale, qui fusionne avec Matra. Renault rachète Dacia et s’allie avec le japonais Nissan.

1996 19981997 1999▼ ▼▼ ▼

«La France entre-pre ne ur ia le souffre d’une classe politique t o t a l e m e n t déconnectée de la vie éco-

nomique et de la réalité des entreprises. Un aréopage miné par l’hyperprofes-sionnalisation, gangrené par les lo-giques de carrière, de réélection, de sta-tut social, de représentation publique, par la faute desquelles l’intérêt général est relégué. En témoigne quelque trajec-toire qui permet de démarrer à 28 ans aux commandes de la mairie de Neuilly et de finir à l’Élysée. La compréhension de l’enjeu entrepreneurial souffre éga-lement d’un système qui propulse aux responsabilités politiques une majorité de fonctionnaires, dont le statut et les facilités d’exercice les isolent des réali-tés et, simultanément, écartent du jeu tout le reste de la population. Fonction-naires dont il faut par ailleurs recon-naître, aussi bien dans les rangs des éta-blissements publics qu’aux plus hauts postes de l’État, une qualité d’ensemble et un sens de l’intérêt général indiscu-tables, et même enviés à l’étranger, y compris aux États-Unis.Ce contexte étouffe les singularités –  facultés d’inventivité, d’innovation notamment  – des entrepreneurs fran-çais, surtout il maintient dans l’impasse les expérimentations et l’ensemble des solutions qui pourraient sortir le pays de sa torpeur. En effet, ce cénacle fonction-naire ne connaît que centralisation et ja-cobinisme, il est paralysé par la réalité de la mondialisation qui impose pourtant une dextérité intellectuelle et une agilité organisationnelle pour y concourir avec succès et y repérer toutes les opportu-nités, il est infecté par les réflexes tech-

nocratiques, archaïques et uniformisants qui dominent toute autre logique –  numérique, décentralisée, mo-

derne, responsabilisante. L’examen du traitement social du chômage et des politiques d’emploi l’illustre. Et ceux qui veulent bousculer l’édifice ne sont pas entendus. L’heure est à réinventer le fonctionnement de la vie politique, pour que ceux qui la pilotent reflètent la photographie identitaire, éthique, culturelle, professionnelle, mais aussi l’immense variété des intelligences qui caractérisent le pays.Autres facteurs clé de cette transforma-tion : les entrepreneurs que le parcours réussi de créateur et de développeur au bénéfice des emplois et du territoire a enrichis personnellement, doivent être

honorés. Ils doivent aussi s’impliquer davantage dans le débat public et dans l’ensemble des strates de la société, afin de montrer la réalité de leur travail et ainsi amener l’opinion publique à cas-ser ses préjugés. Leur réputation ne doit pas être victime de celle des apparat-chiks de certaines grandes entreprises, affranchis de véritable risque, li(gu)és les uns aux autres par des intérêts personnels communs, et bénéficiaires de rémunérations totalement abusives. L’endogamie de ces fonctionnements doit être combattue, la gouvernance doit être redéfinie, la transparence des décisions de rémunération doit être appliquée, le pouvoir des assemblées générales doit être élargi. À ces condi-tions, l’exemplarité de ces dirigeants sera revitalisée, et les entrepreneurs seront clairement distingués au sein de l’opinion publique.La France est une surdouée qui s’ignore. Elle regorge d’atouts et de talents, et j’observe l’existence d’une grande envie d’entreprendre, d’une formidable énergie jusque dans les sec-teurs social et associatif. Tout cela doit faire l’objet d’une intensive promotion. Il est donc indispensable de travail-ler sans relâche à montrer les beautés de l’acte entrepreneurial, fondé sur le partage, la réciprocité et la progression des émotions au fur et à mesure que les combats, les conquêtes et les réa-lisations se succèdent. C’est, effective-ment, d’autant plus essentiel dans une société que dominent matérialisme et individualisme. L’enthousiasme, l’in-connu, l’indépendance, le plaisir de se lever chaque matin avec énergie, celui d’impulser sans cesse, celui de cumuler d’extraordinaires souvenirs collectifs et de laisser une empreinte derrière soi, sont consubstantiels à l’aventure de bâtisseur. Et puis surtout, surtout, il y a la liberté. Entreprendre, c’est vivre et être en vie. » ■

«Le changement est déjà là, sous nos pieds, mais nous manquons de repères pour nous y adapter. C’est comme si un pilote plongeait à la limite du décrochage avec les pieds déjà vers l’avant mais le cerveau encore en arrière. Nous vivons une époque de profonde rup-

ture, des plaques tectoniques ébranlent la France et l’Europe, l’individua-lisme croissant, dopé aux technologies numériques, signant cette rup-ture. Ces nouveaux outils ont disloqué le système, comme en son temps le chemin de fer, nous sommes déjà dans un monde nouveau, mais nous ne l’avons pas encore accepté. Quelle organisation nous permettra de vivre dans ce monde nouveau ? Émergent très fort une demande de bien vivre ensemble et en parallèle la tentation du repli. En réalité, personne ne connaît le schéma final : ce qui compte, c’est la route. Il faut revoir l’organisation de la vie politique. L’Union Européenne doit se préoccuper des questions régaliennes et en France, nous devons renoncer au jacobinisme, descendre de notre arrogance diri-giste, déconcentrer les pouvoirs publics. Fini les organisations verti-cales, l’autorité publique doit « s’horizontaliser », se rapprocher des bassins d’innovation. Les espaces où nous pourrons avancer sont les ensembles régionaux… et l’ensemble mondial.Au-delà de cette rupture politique, il faut engager également une rup-ture sociale et économique. Plutôt que d’empiler les lois, détruisons-les pour les reconstruire. Simplifions par exemple le Code du travail… nous sommes suradministrés. Finalement nous sommes à ce point charnière et enthousiasmant où les outils du progrès sont entre nos mains. Qu’allons-nous en faire ? Le progrès n’avance pas en ordre, il y a des avancées et des reculs. Attelons-nous déjà à ce cancer de cette jeunesse quittant la France. Cette génération Y a simplement l’impres-sion de « partir ailleurs », mais en réalité ce sont autant de forces vives qui manquent au pays. Or, le don collectif participe de manière déter-minante à la marche du progrès. » ■

«Le système éducatif français souffre de son incapacité à se réformer, il est paralysé par l’incapacité d’aborder sans sectarisme des problématiques aussi essentielles que la nature du métier d’enseignant, la méthode de sélection, les cursus de formation, le type de culture

scolaire, l’avenir du baccalauréat, etc. Ce système est aussi prisonnier d’un dogme : la société française confie sans limite à l’école la responsa-bilité de définir le destin social des individus. Presque nulle part ailleurs on n’observe une telle indexation du devenir personnel sur l’envergure du diplôme. Dès lors, l’enjeu des inégalités et des injustices scolaires de-vient d’autant plus considérable que la situation ou l’opinion des vaincus sont reléguées : les catégories sociales qui tirent le meilleur bénéfice de la capacité du système à les conforter et à les reproduire n’ont guère de propension à le réformer.L’autorité de l’institution s’est épuisée, on ne croit plus avec la même innocence ni à la nation ni au progrès ni à la science ; le mécanisme de promotion sociale des catégories des élites populaires vers l’enseigne-ment a décliné. Résultat, l’enseignant ne se sent plus empli du même devoir à l’égard de la société. La vocation telle qu’elle se définissait n’est plus ; place à une conception professionnelle du métier : « on » ne donne plus sa vie à l’école, on n’exerce plus au nom de sa foi en la Répu-blique, on recherche une satisfaction professionnelle. Or le politique est incapable d’« aider » au passage de la vocation à la profession.La problématique du contenu de la « mission » des enseignants est endémique. Et les manifestations refusant l’étiquette de pédagogues ou d’éducateurs, désolent. Ce refus de la responsabilité éducative est

inacceptable : il appartient à l’école – et plus largement aux services publics – de participer, même modestement, à colmater la brèche, puisque la société n’assure plus suf-fisamment ses responsabilités en matière d’éducation. Ce qui exige concomitamment de ne pas abandonner les enseignants à leur sort et de les armer dans ce sens.L’école républicaine autrefois avait un projet moral et éducatif : sous-jacent à l’apprentissage de savoirs, il s’agissait de former un individu à se maîtriser, à commu-niquer, à être responsable, bref à se construire. Ce projet moral a disparu. Chacun revendique une école équitable, juste, productrice de bons professionnels, mais personne n’est en mesure de dessiner l’essentiel : le « type d’indi-vidu » que l’on souhaite faire éclore. La communauté juvénile est confrontée au monde des savoirs et des évaluations. Le corps enseignant dénonce avec raison la décomposition des liens familiaux, la bêtise médiatique, une anomie généralisée ; mais, dépourvu de projet éduca-tif, concentré sur la performance et l’apprentissage des enfants, il contribue in fine à ce qu’il dénonce ! La société gagnerait à produire de jeunes adultes intellectuellement curieux, qui ont confiance en eux et dans les autres. Les jeunes sont unanimes : ils confient à l’école le soin de les préparer à être performants, et à leur entourage celui de les former en tant qu’individus.Que voulons-nous que nos enfants sachent et maî-trisent ? Savoir être et savoir penser : voilà à quoi l’école doit former en premier lieu. Il est capital d’apprendre aux enfants à devenir de futurs acteurs de la démocratie. Or, comment y parvenir dans un système éducatif à ce point non démocratique, et qui n’accorde ni droit ni leçon de

vie collective aux apprentis ? Pour cela, encore faudrait-il réintroduire ce qui manque cruellement : la notion de droits et de devoirs. Une bonne école, c’est une « communauté d’adultes » qui prend en charge une « communauté d’élèves » ; ce n’est pas une juxtaposition d’heures de cours saucissonnées sans cohérence, ni lien ni sens entre elles.Plus la société se désocialise, plus l’école a le devoir de fabriquer des sujets « acteurs » et responsables. Le drame est que les élèves ont sou-vent compris que ce qui est vraiment intéressant dans la vie et utile à leur construction d’homme est inaudible dans l’enceinte scolaire. Plu-tôt que l’esprit critique, l’école développe une forme de désillusion pes-simiste… Elle a vocation à résister, mais aussi à former des résistants. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’isoler les jeunes des désordres et des passions du monde, mais simplement de les rendre plus intelligents pour com-prendre le monde et y trouver, à partir de raisonnements autonomes, une place. Voilà vers quoi devraient converger l’ensemble des chantiers de réforme du système éducatif. » ■

«Les bonheurs qui forment le « sel de la vie » ont en commun une extraordinaire simplicité. Les

faits qui nous frappent et demeurent en souvenir sont souvent incarnés par un détail, qui devient le signe et le point d’ancrage de l’ensemble du souvenir que l’on fige sur une image. Ce peut être le bruit du bouchon retiré de la bouteille de vin qui concentre le moment où, face au coucher de soleil et dans la douceur de l’été, on est rassemblés entre amis au sommet d’une colline déserte qu’on a at-teint après quelques heures de marche. C’est le principe de la fameuse made-leine de « l’enfant » Proust, sur le goût de laquelle sont polarisés toutes sortes d’autres événements et un fort contexte émotionnel : le rituel de la fin de journée, les marches de l’escalier qui grincent, le plaisir de rendre visite à la grande-tante, la chambre qui sent le renfermé, la tasse de thé, l’odeur du tilleul, etc.Les « vrais » plaisirs sont gratuits, intimes, simples, et ne sont pas ceux que la société gratifie « socialement » ou valorise pécuniairement. Est-il plus difficile aujourd’hui qu’hier de prendre conscience de ces bonheurs simples ? Les conditions de l’existence seraient-elles devenues si abrutissantes qu’elles obstrueraient ces dispositions ? Je ne le pense pas. Tout, en réalité, est ques-tion d’éducation. On récolte ce que l’on sème. S’il est expliqué aux enfants et aux adolescents que l’expression ultime de la joie est de posséder la der-nière tablette numérique à la mode, ou qu’il suffit de désirer pour obtenir, alors effectivement s’imposent d’aussi gro-tesques qu’épouvantables désillusions.Apprendre à repérer, à ressentir, à goû-ter les émotions prend racine à l’école et dans la famille. Or les parents mani-festent une telle anxiété pour l’avenir de leurs enfants qu’ils se focalisent aveuglément sur l’obtention des di-plômes au détriment de l’essentiel : la personnalité et le bien-être. Au point que l’adolescent rêveur capable de se laisser distraire par un vol de papillon est systématiquement rabroué. Quant à l’école, et en dépit d’initiatives isolées

qu’il faut saluer, elle n’est pas program-mée ni organisée pour faire émerger de tels profils. Le système scolaire mais aussi social reconnaît bien davantage la faculté de rédiger une copie sans fautes d’orthographe que l’imagination cou-chée sur la feuille.Le « sel commun de la vie », c’est comme une grande et même vague sur l’écume de laquelle depuis les tréfonds de l’Histoire chacun dépose son subs-trat intime. Cette grande vague, qui fait avancer en commun l’humanité, n’em-pêche pas chacune des infimes vague-lettes propres à l’intériorité émotion-nelle de tout individu, d’être « elle », d’être « unique ». Cette vaguelette si personnelle, qui nous fait naître et aller jusqu’à notre mort, concentre tout ce que nous possédons de conscience de nous-mêmes et tout ce que, de cette conscience de nous-mêmes, nous sommes disposés à répandre et à parta-ger pour faire sens commun.Chaque individu dispose de la capa-cité de percevoir ce qui peut lui faire du bien, même imperceptiblement. Y compris celui que l’on imagine dépos-sédé de cette faculté. Et même dans les malheurs les plus destructeurs, il est possible de trouver une éclaircie. Primo Levi n’écrivit-il pas comprendre le plai-sir infini à dérober un morceau de pain lorsqu’on était détenu dans les camps de la mort ? Vivre, finalement, c’est faire de chaque épisode de son existence un trésor de beauté et de grâce qui s’ac-croît sans cesse, tout seul, et où l’on peut se ressourcer chaque jour. » ■

«N ous ne vivons pas une crise mais un changement de paradigme : nous sommes arrivés au bout du système. Nous quittons un monde, un autre est à construire. L’évolution est marquée de ponctua-tions, nous y sommes et pourtant pas assez outil-

lés pour y voir clair, car nos gênes évoluent plus vite que nos représenta-tions culturelles. Et d’ailleurs, au cours de l’évolution, il n’existe pas de rupture totale, nous demeurons ainsi encore de grands singes ! C’est vrai, nous ne savons pas vers quoi nous allons mais nous avons intérêt à partir parmi les premiers pour participer à l’élaboration de ce monde nouveau.Il semble en France que les vieux modes de pensée perdurent : des études montrent que 40 % des métiers actuels vont être bouleversés par l’arrivée des automates, et pourtant notre pays demeure le moins robotisé du monde. Regardons ce qui se passe au Japon, les autochtones « considèrent » leurs robots, ils portent sur eux le même regard que sur leurs animaux. Tout cela aura des conséquences sur l’emploi. Et faire croire à nos chômeurs que nous allons revenir au système précédent, c’est le pire des mensonges. Les grèves récurrentes et corporatistes, quel archaïsme majeur ! Ces grands garçons défenseurs de leurs prés carrés n’ont pas compris que le monde avait changé, ils attendent tou-jours sous le sapin de Noël le petit train, la petite voiture…Deux mots clés émergent pour nous guider vers ce futur inconnu : tout d’abord l’adaptabilité. Il faut se former tout le temps, sans cesse réap-prendre à apprendre. Autre enjeu : l’équité plutôt que l’égalité, car elle prend en compte l’engagement pour la collectivité. La génération Y, qui a grandi avec les technologies numériques, est très habituée à travailler en mode projet, elle montre de l’appétence pour le travail collaboratif et solidaire. A fortiori, on peut attendre beaucoup de la génération Z. » ■

JEAN-MARIE CAVADA DÉPUTÉ EUROPÉEN

PASCAL PICQ PALÉOANTHRO- POLOGUE

« La France, une surdouée qui s’ignore »

« Descendons de notre arrogance dirigiste »

« On peut attendre beaucoup de la Génération Z »

RÉINVENTER RUPTURES DROITS ET DEVOIRS SE RESSOURCER

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DENIS PAYRE FONDATEUR DE BUSINESS OBJECTS, CROISSANCE PLUS, NOUS CITOYENS

« Entreprendre, c’est être en vie. »

« L’école a vocation à former des résistants »FRANÇOIS DUBET SOCIOLOGUE

FRANÇOISE HÉRITIER ANTHROPOLOGUE ET ETHNOLOGUE

« Savoir être, savoir penser, rendre plus intelligents pour comprendre le monde et être de futurs acteurs de la démocratie : voilà à quoi l’école doit former. »

« Apprenons à cultiver les plaisirs simples qui font le bonheur vrai »

« Les parents si anxieux pour l’avenir de leurs enfants se focalisent sur l’obtention des diplômes au détriment de l’essentiel : la personnalité et le bien-être. »

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30 VISIONS D’AVENIR I 1514 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

Le troisième millénaire est fêté dans le monde entier, grâce au succès du passage informatique à l’an 2000, malgré la crainte d’un bogue géant surla datation. Les Bourses sont

euphoriques, en pleine bulle Internet (qui éclatera en 2001) : AOL rachète Time Warner et le 4 septembre 2000, le CAC 40 atteint son plus haut historique avec 6 922,33 points. L’ONU lance l’initiative Global Impact pour concilier mondialisation et droits de l’homme.

300 millions d’Européens accèdent à « l’euro dans les poches », avec l’introduction le 1er janvier des billets et des pièces qui remplacement les monnaies nationales. La faillite de

l’opérateur américain de télécommunications WorldCom accélère le krach de la bulle Internet. Élection de Luiz Inacio Lula da Silva, candidat du Parti des travailleurs, au Brésil. Début de la crise argentine. En décembre, faillite d’Enron, géant du trading de pétrole américain.

Le 1er janvier, la Grèce intègre la zone euro : une mauvaise idée ! La première édition de Wikipédia sur Internet est lancée. Le 11 septembre 2001, une attaque suicide avec des avions détruit

les tours jumelles du World Trade Center à New York (2 973 morts) et précipite le monde dans la guerre contre le terrorisme. L’après-guerre froide a commencé : les États-Unis bombardent l’Afghanistan et s’engagent dans une lutte sans merci contre « l’axe du mal ».

Début des bombardements aériens américains et britanniques sur l’Irak de Saddam Hussein, dix ans après la première guerre du Golfe, cette fois sans mandat de l’ONU en raison notamment

de l’opposition de la France. Aux États-Unis, la loi Sarbanes-Oxley, en réponse aux scandales Enron et Worldcom, criminalise les manipulations comptables. France Telecom annonce des pertes records de 20,7 milliards d’euros et Vivendi Universal de 23,3 Mds.

2000 20022001 2003▼ ▼▼ ▼

«L’état de la planète et de la biodiver-sité est tel que nous ne devons leurrer personne :

nous allons souffrir. Mais les raisons d’espérer sont réelles. À condition de gagner le combat contre la cupidité et l’indifférence, car là réside le terreau de tous les maux – égoïsme, individua-lisme, machiavélisme, agressivité de toutes sortes, maltraitance des femmes, perte des repères, etc. À condition aussi de réencadrer la notion des temps, longs et courts. Or en la matière, scien-tifiques et acteurs contemporains de la politique et de l’économie ne partagent clairement pas la même. Voilà bien le hiatus : les pratiques humaines anéan-tissent aujourd’hui de manière instan-tanée ce qui a prospéré pendant des millions d’années. Certains des actes de l’homme vont empoisonner la bio-diversité dans et sur plusieurs dizaines voire centaines et milliers d’années. C’est le cas des déchets spatiaux ou nucléaires, mais aussi du climat dont le dérèglement connaît ses premières ma-nifestations. Et la grande difficulté est justement de faire prendre conscience qu’il faut juguler aujourd’hui des com-portements dont les conséquences, irréversibles, vont très au-delà de notre espérance de vie.Antoine de Saint-Exupéry affirmait que « l’homme se découvre devant l’obstacle ». Aujourd’hui, l’humanité fait face à des écueils considérables, elle conserve un espoir inébranlable en leur résolution,

mais elle ne partage pas suffisamment pour y parvenir. « La technologie va nous sauver de tout, pense-t-on communé-ment. Grâce à elle, nous pourrons reconstituer ou parer à tout ce que nous détruisons. » Cette croyance issue du mythe prométhéen a peu à peu innervé les consciences,

jusqu’à celles de personnalités ou de scientifiques que l’on croyait robustes face à la tentation du déni. Or, on ne peut traiter aucun enjeu mettant en scène l’homme et son environnement sans préalablement explorer les condi-tions d’une « ré-entente » de l’homme avec lui-même. Trop souvent cette exi-gence est négligée ou écartée. La faute incombe en premier lieu à une confu-sion de l’être et de l’avoir ; le consumé-risme nous a peu à peu donné l’illusion que nous étions au travers de ce que nous possédions, au risque de provo-quer des désordres insolubles.L’humanité entière est condamnée à vivre et donc à s’entendre avec elle-même. Elle doit accepter de mesurer systématiquement les bienfaits et les

méfaits de ses actes, et en évaluer l’irré-versibilité des conséquences. Tout cela sans cécité, ni illusions, sans tricher et sans fausses certitudes. Elle doit enga-ger un réveil, et ce réveil ne peut résul-ter que d’un grandissement intérieur personnel simultanément partagé par l’ensemble des communautés. Or ce grandissement, c’est-à-dire cette appré-hension d’un « sens » et d’une respon-sabilité inédits, cette capacité à s’auto-nomiser des tentations et des pressions souvent délétères de « groupe », sont difficilement envisageables sans une dimension spiritualiste proportion-née –  le spiritualisme, qui énonce des valeurs spirituelles et morales, ne signi-fiant nullement religion.« Connais-toi toi-même et aime-toi toi-même si tu veux connaître et aimer l’autre. » Tout ce qui est entrepris doit l’être en étant arrimé à une espérance et à une perspective. Quoi qu’on crée ou qu’on produise, il faut le faire « avec conscience », c’est-à-dire la conscience de l’autre – humain, végétal, animal. Ainsi « travaillée », la conscience n’est plus ruine de l’âme. Et dans ce do-maine la science et les technologies, les connaissances et la communication, in  fine « l’intelligence », constituent de formidables atouts pour tuer l’obs-curantisme. Et cela commence dans l’éducation familiale et scolaire.Je ne crois pas à la bonté, surtout spon-tanée ; je crois davantage au pragma-tisme, et surtout à une faculté propre à l’homme : celle de garder l’espoir, dont il nourrit sa capacité à infléchir les dé-rives. Rien n’est fini. Particulièrement chez les femmes et les enfants, les rai-sons d’espérer sont réelles. À condition que l’humilité se substitue à l’arrogance. Le mathématicien Cédric Villani place l’homme dans son environnement exactement comme l’astrophysicien Hubert Reeves situe la Terre dans l’uni-vers : à la fois « quelque part » et « nulle part », c’est-à-dire jamais dans une place privilégiée ou dominante. Cette dimension du spiritualisme doit dicter notre existence. » ■

«Les leçons qu’enseigne le Chemin de Compostelle sont innom-brables. Et pré-cieuses. Car il

est une parabole de la vie. Il confère à la solitude une valeur particulière-ment élevée : elle devient un compa-gnon bien davantage qu’un adversaire. On est face à soi, face à ses question-nements, face à ses limites. Et on se rapproche de soi. À l’avancée très lente de la marche s’ajoute la descente

dans l’opinion qu’on a de soi et que les autres ont de vous. À mesure qu’il se diminue, le pèlerin se sent plus fort et même presque invincible. La toute-puissance n’est jamais loin de la plus complète ascèse. On prend conscience que l’inféodation aux biens matériels est une mani-festation de faiblesse. Le dépouillement et l’humilité, dans lesquels on finit par être tota-lement immergé, pro-duisent le sentiment vertigineux qu’en réalité on n’a besoin de presque rien pour vivre sereine-ment. Le dessein est de s’affranchir le plus pos-sible du monde afin de s’approcher au plus près de soi.On met à distance cer-taines de ses peurs. On apprend à hiérarchiser

ses priorités, à distinguer l’essentiel de la futilité, son discernement répond à des critères plus exigeants, « vrais », et davantage conformes à ce que l’on « est ». Le Chemin prépare à la liberté parce qu’il invite à s’affranchir des carcans non seulement matériels, mais aussi constitués des exigences sociales, des responsabilités profes-sionnelles qui font écran. Lorsque le Chemin a bien préparé le pèlerin, lorsqu’il l’a bien « vidé », ce dernier jouit comme jamais de la liberté. Et une fois revenu dans le « monde réel » ne s’en départit pas. Car il a circons-crit, pour toujours, l’essentiel.Un pèlerin est un point à l’horizon sur un minuscule chemin et au sein d’un espace immense. Il passe son temps à se voir de loin à travers l’autre, car au contraire de son quotidien habituel qu’il traverse tel un myope se heur-

tant à chaque obstacle formé par un mur, un bureau, un trafic, ou un inter-locuteur, le pèlerin saisit l’opportunité de regarder très loin devant lui et de manière extrêmement nette. Et ce qu’il voit en premier lieu, c’est la place qu’il occupe dans le monde contemporain et dans l’histoire du monde, c’est-à-dire une place infiniment petite et infiniment éphémère. Mais il éprouve aussi un délicieux orgueil à n’être rien, d’où il extrait a contrario un sentiment presque de puissance. Ainsi, de se re-tourner et d’apercevoir, au loin, un col de montagne que l’on a franchi deux jours plus tôt par la seule endurance de ses jambes et de son mental, rend fort. L’infiniment petit devient extrême-ment grand…Le Chemin révèle également que, peu à peu, le fonctionnement entier du corps devient conscient. Dans notre quotidien, on déjeune « parce que c’est l’heure » ; sur le Chemin, « quand on a faim ». Ainsi débarrassé des codes sociaux et des conditionnements de toutes sortes, on revient à l’authenticité du corps et de l’esprit, dans le sillon de laquelle on réinscrit son rythme. L’expé-rience ne déçoit jamais. « Le Chemin est toujours le plus fort » : ce sentiment de soumission est agréable, car il ne résulte pas d’un acte hiérarchique exercé par une autorité humaine, mais émane d’un appel mystérieux qui étrangement in-vite le pèlerin à engager avec le Chemin un dialogue et une relation hors normes. Malgré tout ce qu’il charrie d’entraves physiques ou d’occasions de découra-gement et de renoncement, le Chemin tient toujours ses promesses.L’homme prend aussi conscience qu’il est lui-même un déchet. Le Chemin est à l’image de la vie : il traverse des en-droits magnifiques et d’autres sordides et massacrés. Cette confrontation aux dégâts du système économique mon-dial et de la folie financière terrifie. Bien sûr, arpenter le Chemin ne propose pas de solution. Mais il expose à cet indi-cible et offre de prendre conscience autrement, profondément, durable-ment de ces dégâts… Tous les pèlerins n’épousent pas les mêmes convictions en matière politique ou économique ; en revanche ils ne peuvent que parta-ger un constat commun, à partir duquel chacun d’eux, en fonction de ses réfé-rents idéologiques personnels, pose un diagnostic et une interprétation. Pour toutes ces raisons, si l’ensemble des décideurs – politiques, économiques – accomplissaient le Chemin, sans doute les finalités de l’économie seraient-elles moins virtuelles et davantage humaines. » ■

CONSCIENCE TERRE-MÈRE FINALITÉS

GILLES BOEUF OCÉANOGRAPHE, PRÉSIDENT DU MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE

« Nous allons souffrir, mais les raisons d’espérer sont réelles »

« L’Homme doit d’abord se ré-entendre avec lui-même avant de se ré-entendre avec l’ensemble du vivant. »

« Le couple intensité-sérénité doit s’imposer à celui de l’excitation-dépression qui traverse les univers politique, médiatique, financier et sportif. »

«Nous sommes à un tournant. Un grand tournant qui s’opère avec l’avène-ment de la modernité, formidable mouvement d’émancipation. Car la modernité est une double émanci-pation, à l’égard du politique d’une part et du religieux d’autre part. Mais

cette émancipation s’opère aussi vis-à-vis de la nature, de la pla-nète. En même temps qu’on largue la nature, on se dégage de tout discernement sur la nature des activités, en termes de bénéfices et de pertes générés. Pourtant nous connaissons les risques qu’elles comportent et les dégâts qu’elles provoquent. Mais les forces d’addiction qui s’opposent à la véritable prise en compte des en-jeux écologiques et environnementaux sont bien réelles. Nous ne sommes plus dans un rapport de Terre-mère, rapport de filiation, où les êtres humains ne sont pas dans la nature, mais bel et bien de la nature. Nous sommes le peuple de la terre, vulnérable sur une planète elle-même vulnérable. Il faut donc se tourner vers le concept d’énergie positive et entendre véritablement le sens du mot amour.Nous souffrons d’addictions fortes, profondes : de l’argent, du

pétrole et de la vitesse, qui remplissent des fonc-tions émotionnelles très importantes, car elles sont des fonctions d’excitation qui donnent le sentiment d’être vivants. On ne peut répondre à ces addictions que par une énergie au moins égale et de préférence supérieure. Cette énergie se trouve dans l’amour et la joie de vivre, dans la vie positive. Ce qui caractérise la joie de vivre est un couple formé par l’intensité et la sérénité, opposé à celui formé par l’excitation et la dépression qui traverse les univers politique, médiatique, finan-cier et même sportif. Il s’agit de construire un imaginaire positif autour de la sobriété heureuse développée par Pierre Rabhi. L’enjeu réside dans le bien-vivre, dans la qualité d’être individuelle et collective supérieure. Il nous faut donc dévelop-per une énergie créatrice suffisante pour s’oppo-ser aux forces d’addictions dont nous souffrons.Il n’y a de possibilité de mieux aimer cette planète que si la famille humaine apprend dans le même temps à mieux s’aimer elle-même. Il existe un rapport étroit entre le mal-être et la démesure sur le plan sociétal. La société ne semble connaître que deux sentiments : l’euphorie et la panique, symptômes de la psychose maniaco-dépressive. Les acteurs socio-économiques perdent alors tout contact avec la réalité. Il faut que la repré-sentation du désir de la transformation soit supé-rieure au statu quo. C’est seulement si l’humanité apprend à mieux s’aimer elle-même qu’elle peut comprendre qu’elle se doit de mieux aimer les

écosystèmes nourriciers sans lesquels elle se saurait survivre. Mais si elle demeure dans la détestation d’elle-même, elle est au pire dans un rapport de détestation, au mieux de chosification, de pur contrôle, de pure maîtrise de la nature et de la planète.De la bonne gestion de notre maison terrienne dépend notre sur-vie. Il n’y a donc d’avenir pour notre économie que si on la réin-tègre à l’écologie d’une part, et dans l’éthique d’autre part. Il faut refaire de l’économie une science morale et reposer la question fondamentale sur la nature de nos activités. Sont-elles bénéfiques ou nuisibles pour les humains et leur environnement ? Il faut aussi réinventer des indicateurs de richesse qui posent la question des bénéfices et des nuisances. Et envisager la problématique sociale que questionne notre développement, en lien avec les sujets éco-nomiques et écologiques consubstantiels. » ■

PATRICK VIVERET PHILOSOPHE

« Réapprenons le sens du mot amour »

JEAN- CHRISTOPHE RUFINÉCRIVAIN, MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

« Ah ! si tous les décideurs faisaient Compostelle… »

« À mesure qu’il se diminue, le pèlerin se sent presque invincible. La toute-puissance n’est jamais loin de la plus complète ascèse. »

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«L’ une des leçons du xxe siècle est qu’à vouloir la démocratie sans l’économie de marché, on obtient le totalitarisme. Il existe une « véri-té » et une « grandeur » du libéralisme. Il a été l’ennemi du fascisme et du communisme,

il honore l’initiative privée et la capacité d’entreprendre. Certes, il n’est pas exempt de défaillances et d’excès, mais toute idéologie visant à s’en passer pour administrer et planifier connaît la sta-gnation économique et la tyrannie politique. Dépassons l’hubris et sachons reconnaître les vertus, même imparfaites, du libéralisme. Leszek Kolakowski (1927-2009), l’un des penseurs de la dissidence d’Europe centrale, énonçait en 1978 une identité politique que je fais mienne : être conservateur-libéral-socialiste. Trois mots pour désigner autant de caractéristiques aux conte-nus indispensables, même incontournables, et qu’il est absurde de vouloir dresser frontalement les unes contre les autres. Non seulement elles sont compatibles, mais elles se nourrissent mu-tuellement. Le conservatisme signifie conserver certains rites et traditions, et s’impose d’autant plus qu’il appelle à protéger une terre dont nous épuisons les ressources ; le libéralisme promeut l’initiative privée et la capacité d’entreprendre, d’oser, de créer, de « faire ». Quant à la redistribution, elle est nécessaire pour assurer une justice et solidifier la société.Quitter le xxe siècle et ouvrir le xxie siècle « avec intelligence », c’est prendre acte des particularismes heureux de ce trident et y puiser ce qu’il contient de meilleur pour l’humanité des individus et celle de la collectivité. Comment sinon pourrons-nous faire face aux dégâts de cette consommation incontrôlée qui tend à devenir le visage de l’être, de ces nouvelles technologies qui mettent tout et instantanément à disposition, de cet environnement qui donne l’illusion que nous pouvons « cultiver notre culture » en nous af-franchissant de l’essentiel : le détour, l’ascèse, l’effort, le recul, la distance pour savoir et comprendre ?À ce titre, la lecture exerce un rôle déterminant. La connexion des nouvelles technologies signifie en premier lieu le rapport à ses contemporains. C’est un univers communicationnel où le présent est hégémonique et où l’échange est perpétuel. Allumer un ordina-teur, c’est entrer en contact, coûte que coûte, avec les contempo-rains. Et c’est ce qu’enfants et adolescents accomplissent dès qu’ils ferment la porte de leur chambre, au détriment d’une lecture tran-quille. Tout cela prépare une dangereuse et angoissante insépara-tion. Ouvrir un livre, c’est au contraire couper le contact avec ses

contemporains.La lecture instaure une re-lation de rupture d’avec le présent, grâce à laquelle on s’échappe du réel. Elle est une activité solitaire pro-prement asociale, qui ré-clame isolement et silence. Le livre est un objet, l’écran déroule des flux. Lire sur un écran est un sport de glisse, lire un livre, c’est suivre un chemin. » ■

L’ESSENTIEL

ALAIN FINKIELKRAUTPHILOSOPHE, MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

« Ouvrons le XXIe siècle avec intelligence »

« Dépassons l’hubris et sachons reconnaître les vertus, même imparfaites, du libéralisme. »

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LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

Le 1er mai, l’Union européenne s’élargit à dix ex-pays du bloc de l’Est, portant le nombre de ses membres de 15 à 25. Nouvelles règles prudentielles du Comité de Bâle sur les risques bancaires,

dites Bâle II, censées contrôler les risques pris sur les marchés financiers. Le 4 février, le réseau social Facebook est lancé par Mark Zuckerberg, un étudiant d’Harvard. Il atteint le milliard d’utilisateurs au débutde la décennie 2010.

Mittal Steel, le numéro un mondial de l’acier, d’origine indienne, lance une OPA hostile sur le groupe Arcelor pour un montant de 18,6 milliards d’euros. Alan Greenspan, qui s’interroge

sur « l’exubérance irrationnelle des marchés financiers » qu’il a largement alimentée par une politique monétaire laxiste, est remplacé par Ben Bernanke à la tête de la Fed. Crise de la grippe aviaire en Chine. Condamnation à mort et pendaison de Saddam Hussein.

Forum social mondial à Porto Allegre au Brésil. Entrée en vigueur du protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Décès du pape Jean-Paul II, remplacé par Benoît XVI.

Le 25 août, l’ouragan Katrina dévaste le sud-est des États-Unis. Son coût est généralement estimé à plus de 100 milliards de dollars, ce qui en ferait la catastrophe naturelle la plus chère de l’histoire américaine, loin devant l’ouragan Andrew de 1992.

Flambée des prix de l’alimentation et de l’énergie. Le monde serait, selon les experts, en train de vivre le peak oil, le sommet de la production. Début de l’exploration des ressources

non conventionnelles, comme les gaz de schiste. Nicolas Sarkozy élu président de la République. La fermeture de fonds de BNP Paribas accélère la crise des subprimes aux États-Unis : interventions massives des banques centrales durant l’été pour rassurer les marchés, en vain.

2004 20062005 2007▼ ▼▼ ▼

«P resque 2 millions (1,9) de jeunes Français sont estam-pillés NEET (ni en emploi, ni en études, ni en forma-tion), et nombre d’entre eux sont des « décrochés ». En premier lieu, il leur manque du sens individuel et collectif. Qu’est-ce que le sens ? C’est d’abord une

direction. Où va-t-on ? Que cherche-t-on ? Quel horizon se donne-t-on ? Y répondre est essentiel pour mobiliser son énergie intellectuelle, physique, émotionnelle. Mais cela ne suffit pas ; il faut également inves-tir cette direction d’une « signification », à travers laquelle on se rap-proche de soi-même et de ce que l’on attend de l’existence. Or face à cette question, une large partie de la jeunesse et, au-delà, de la société française, est désarmée. Enfin, lorsqu’on est parvenu à apporter une ré-ponse, même provisoire, il faut travailler à incarner ce sens dans sa vie quotidienne. L’accomplissement du sens résulte dès lors d’un chemin long et cahoteux, dont nombre de jeunes s’écartent ou sont chassés. Il faut donc les accompagner.L’affaiblissement de la plupart des intermédiations (institutions pu-bliques, syndicats, partis politiques, école) elles-mêmes en panne de signification, et d’incarnation, ne peut qu’obstruer cette espérance de

sens. Elles payent le tribut d’un fossé devenu insup-portable entre la grandeur des principes professés –  discours généreux, républicain méritocratique, responsabilisant – et la médiocrité des pratiques ef-fectives. Ce fossé a creusé un abîme de défiance, et ces canaux historiques de transmission d’un capital social partagé sont discrédités. Comment s’étonner alors de voir prospérer une génération d’«  orphe-lins », dont les comportements, les codes sociaux et les aspirations échappent à leurs aînés, une généra-tion qui semble venue de nulle part ? Cette génération a été symboliquement livrée à elle-même, et on ne peut pas dire que notre société lui offre une place de choix : la moitié des 20 % de Français les plus pauvres a entre 16 et 29 ans ! La responsabilité collective est d’accompagner cette jeunesse vers l’identification d’un horizon individuel et collectif. Elle contribue à l’édification du monde de demain, mais ne le sait pas encore. Elle peut et doit prendre son destin en main, de façon consciente et responsable, et ainsi devenir citoyenne et actrice de la société.Pour cela, il faut revaloriser ce que le système édu-catif, enclin à trier une élite remarquablement com-pétente techniquement mais dépourvue de créativité, de vision et d’intelligence des situations, étouffe : la confiance en soi – le sentiment que je peux satisfaire mes besoins et poursuivre mes désirs de façon auto-

nome –, le respect de soi – le sentiment que j’ai les mêmes devoirs ET les mêmes droits que les autres – et l’estime de soi – le sentiment que j’ai une contribution singulière, même modeste, à apporter à la socié-té. Réconciliation avec soi-même –  pour dépasser la schizophrénie  –, avec les autres – pour promouvoir la réciprocité et la justice – et avec le monde – pour lutter contre la peur de l’avenir : voilà à quoi nous devons œuvrer pour juguler le décrochage. Pour cela réinventons des espaces de co-apprentissage, d’échange et de « co-naissance », des espaces de fraternité. Car sinon, nous devrons faire face au désengagement et au repli des citoyens, et donc au dépérissement de tout ce qui « fait » que nous « faisons société ». Ce désengagement pourrait être sournois et invisible, il pourrait aussi prendre la forme d’un chaos si les frustrations et les contestations de ceux qui se sentent « mal nés », laissés-pour-compte, méprisés, et confinés à être spectateurs de leur existence, se radicalisent et se « coalisent ». La compétition économique génère de la souffrance et marginalise. Et pourtant, elle est présentée comme rationnelle et performante. Mais un modèle qui a pour seule perspective commune la croissance du PIB et la réduction des déficits, qui détruit économiquement, socialement, hu-mainement au moins autant qu’il crée de la richesse, est-il performant ? Un modèle qui, par le truchement d’une solidarité étatique désincar-née, maintient sous perfusion une population qu’il place lui-même en dehors du jeu économique et social est-il rationnel ? Imagine-t-on les progrès si tant de personnes désœuvrées, jeunes ou moins jeunes, investissaient leur énergie, leur intelligence, leurs trésors d’inventivité dans une activité, quelle qu’elle soit, porteuse de sens à leurs yeux ? Il n’y a motivation que s’il y a désir, et il n’y a désir que s’il y a possibilité d’investir son intelligence. » ■

«Dans les sociétés traditionnelles, le sentiment de confiance naît du simple fait d’appartenir à un groupe restreint. Dans les sociétés modernes, en revanche, s’impose la multiplicité des relations sociales à travers lesquelles potentiellement la

confiance doit émerger. Ces liens tissés sont moins forts qu’au sein d’un groupe restreint. D’après les travaux du sociologue américain Mark Granovetter, ces liens dits faibles ont néanmoins plus d’impor-tance que les liens dits forts. En termes d’emplois et de carrières professionnelles, ils seront en effet davantage vecteurs de nouvelles rencontres et d’opportunités.La confiance n’est pas innée. Tout au moins, pas fondamentalement. Elle relève d’une construction, y compris dans les groupes rapprochés, tel le foyer. Elle s’éprouve, se construit à travers la construction de liens, d’abord au sein de la famille, puis tout au long du parcours scolaire et

professionnel. Au fur et à mesure que l’on avance dans l’existence, la confiance se construit, se ren-force, se nourrit. Cette construc-tion progressive doit s’effec-

tuer en s’écartant de la peur de l’échec, qui paralyse. En effet, l’échec construit l’individu, le pousse à grandir. Or la société française, et a for-tiori son système éducatif qui ne sanctionne qu’une forme d’intelligence, ne reconnaît pas ce droit à l’échec. Celui-ci est essentiel, puisqu’il est partie intégrante de toute prise de risque.Notre société est par ailleurs caractérisée par une forme d’immobilisme, dans un contexte de pessimisme collectif nourri par l’impuissance des élites à opérer tout changement, par la mondialisation, par la crise et par la financiarisation de l’économie. Ce contexte pousse l’individu à prendre les armes, à se saisir de son destin. Cette énergie individuelle positive renforce le sentiment de confiance en soi, en l’autre, en l’ave-nir. Comme un paradoxe, cette confiance individuelle ne renforce pas le sentiment de confiance collective en l’avenir et en nos institutions. Celle-ci ne sera restaurée qu’à la condition que la classe politique mène de profondes et ambitieuses réformes et propose un projet politique mobilisateur qu’elle conduira jusqu’à son terme. Le gouvernement doit s’engager pour transformer radicalement la société.Deux grandes réformes semblent indispensables, essentielles, impéra-tives. Celle des retraites, avec le recul de l’âge de la retraite et l’instaura-tion d’un régime uniforme. Et celle du système éducatif. Plusieurs pistes doivent être explorées : refonte du statut des enseignants, augmentation des effectifs, développement des enseignements individualisés et ins-tauration d’un système d’évaluation de l’école dans sa capacité à faire réussir l’élève. Ces réformes permettront à la société d’entamer sa mue et de restaurer un climat de confiance collective. » ■

«Le capitalisme est un mode de production et d’organisation de la société qui a beau-coup servi l’huma-

nité. En deux siècles et demi, il a fait progresser l’espérance de vie moyenne de 35 à plus de 80 ans, alors qu’il avait fallu dix-huit siècles pour passer de 25 à 38 ans. Mais aujourd’hui, ce capitalisme connaît des dérives. Il faut le réguler pour servir le bien commun et assu-rer une redistribution qui permette un développement inclusif prenant en compte les plus vulnérables. Le capi-talisme doit aussi être soutenable, en produisant de manière performante et en préservant les ressources. L’éco-nomie n’est pas une fin en soi mais un moyen au service de la liberté et de la dignité des hommes, ainsi que du lien social. De fait, nous devons fixer des limites au marché et l’empêcher de devenir totalitaire. Tout ne peut pas s’acheter ou se louer : les diplômes, la nationalité, les mères porteuses. Cer-taines activités doivent être tenues hors de la sphère marchande. D’autres doivent être accessibles à tous dans le domaine des services publics ou des biens de première nécessité.Bien que la conjoncture mondiale soit compliquée, je ne crois pas à la thèse de la grande stagnation. Il existe des sources de croissance nombreuses et puissantes dans le xxie siècle, même si la population mondiale se stabilise pro-gressivement et que les ressources sont rares : la montée des nouvelles classes moyennes des pays du Sud, l’économie numérique, l’économie des seniors, l’économie verte. Dans le domaine de l’écologie, la Chine ou les États-Unis sont dans une logique de développe-ment, d’investissement et d’innovation, tandis que l’Europe reste enfermée dans une logique malthusienne de réglemen-tation et de fiscalité. Les percées tech-

nologiques, les produits et les emplois de l’économie verte se retrouvent donc en Californie et à Pékin.Au-delà d’un mode de production capitalistique qui montre des limites et nécessite des changements, la crise française est également profondément politique. Les responsables politiques et syndicaux sont en porte-à-faux. Le débat public entre les citoyens et leurs élus n’existe plus. Par exemple, les grandes infrastructures en construc-tion, outre le fait qu’elles doivent être évaluées et sélectionnées avec soin et financées de manière innovante compte tenu des contraintes de nos finances publiques, doivent surtout être débat-tues pour être acceptables pour la popu-lation. Il faut utiliser pour cela les méca-nismes de la démocratie participative, facilités par les nouvelles technologies. Les responsables politiques doivent se remettre en question, ce qui ne sera pas facile. Cela interviendra sous la pression des citoyens qui sont de plus en plus en avance sur leurs dirigeants.La France dispose désormais de cinq ans pour se réformer ou pour s’effon-drer en entraînant l’euro et le grand marché dans sa chute. Si les réformes continuent à ne pas être faites, la vio-lence et le populisme se déchaîneront, faisant naître un risque réel de révolu-tion. Il n’y a aucune fatalité au déclin de la France. Il ne dépend que des Français de réinventer un modèle économique et social qui leur soit propre tout en étant performant dans la mondialisa-tion, comme l’ont fait avant eux les Ca-nadiens et les Suédois, les Allemands, les Américains ou les Espagnols. Nous disposons pour cela de tous les atouts ; seuls manquent la volonté et l’espoir. Cessons d’avoir peur du monde pré-sent. Cessons de cultiver l’illusion délétère d’un retour aux «  trente glo-rieuses  ». Construisons la France et l’Europe du xxie siècle ! » ■

«L’a p p r é -ciation de la violence n ’ e s t j a m a i s o b j e c -

tive. La violence ressentie est toujours très différente de celle que l’on fait subir. On peut d’ailleurs être violent sans même s’en rendre compte. De nombreux sujets doivent nous obli-ger à nous saisir d’un miroir et à nous regarder. Il est intéressant à ce titre de se pencher sur la façon dont la société

française vit ce qui est dénommé ter-rorisme islamique ou islamisme. Elle se focalise sur ce qu’un petit groupe fait subir au nom de l’islam en oubliant que sa violence peut être considérée comme une réponse à ce que nous avons fait subir à ceux qui se récla-ment de l’islam. Il est difficile d’avoir une pensée objective, mais la réalité est celle-là : nous-mêmes n’avons-nous pas semé les ferments de cette violence au nom de notre religion ? Bref, la vio-lence n’est jamais à sens unique.Il faut par ailleurs se méfier du sens des mots. Parfois, on en abuse. Par

NICOLAS BAVEREZ ÉCONOMISTE, HISTORIEN ET AVOCAT

ERIC DE MONTGOLFIER ANCIEN MAGISTRAT

« Cessons d’avoir peur du monde présent »

« La violence n’est jamais à sens unique »

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« Il n’y a motivation que s’il y a désir, et désir que s’il y a possibilité d’investir son intelligence. »

MONIQUE DAGNAUD SOCIOLOGUE

« Le pessimisme ambiant pousse l’individu à se saisir de son destin »

exemple, la morale est-elle une vio-lence ? J’ai davantage le sentiment qu’il s’agit d’une nécessité qui « contraint ». Mais cette nécessité de la contrainte doit être rattachée à l’intérêt général. L’autorité dans la société, dans l’entre-prise, est un mal nécessaire. Cependant, le pouvoir et l’autorité qu’il exerce sont d’autant plus violents que ce pouvoir est faible. Dès lors s’agit-il encore d’une vio-lence ? Ainsi, une contrainte s’exerce sur l’enfant à le « pousser » à l’école, à lui dispenser une éducation, à faire en sorte que plus tard il pourra vivre en société et servir celle-là. Il s’agit alors d’une vio-

lence bénéfique, nécessaire pour ame-ner à la collectivité des comportements acceptables. La civilisation et la collecti-vité contiennent la violence. C’est ce qui permet même de les définir. Mais la violence vient vite. La tentation de la violence est immense. Parfois, d’au-cuns font semblant de se battre pour éviter d’avoir à se battre. On évite toute forme de conflit alors que justement ce conflit peut parfois être utile. On simule l’opposition, la lutte, la violence. Or, la société a également besoin d’autorité, à condition que celle-ci s’exerce dans un contexte démocratique.

Il ne faut pas simplement s’interroger sur la violence symbolique, sous-ja-cente, presque invisible, par rapport à ces formes de violence qui, telles celles dites conjugales, explosent en nombre et sont faciles à percevoir. Mais elles sont une réponse à d’autres formes de violence que sont la misère, l’exclusion et la pauvreté, moins évidentes. Le ma-gistrat doit toujours entendre les deux parties, même lorsque la société est plu-tôt encline à n’en entendre qu’une. Je me suis toujours refusé à ignorer ce qui peut pousser un délinquant à agir. Il est une extrême violence que notre société

fait subir : celle de refuser d’entendre les causes et les raisons des violences qu’elle-même affronte.Notre époque est celle d’une société totalement égocentrique. La notion de respect de l’autre s’effrite. Nous ne reconnaissons plus l’autre comme un interlocuteur valable. Or il n’y a pas de société sans les autres, sans le vivre-ensemble. Les gens ne sont heureux de faire ce qu’ils font que s’ils en com-prennent la finalité, et si on respecte leur travail et ce qu’ils sont dans leur indivi-dualité. Voilà ce que devrait être un pro-jet de société pour toute la société ». ■

« L’échec construit l’individu et le pousse à grandir. »

« Employer le passé pour innover est déterminant dans la constitution d’un sens, plus sûr rempart à la barbarie. »

« Bâtir un rêve d’avenir est aussi essentiel que conserver la mémoire »

« L’écriture est une manière – parmi d’autres, comme les médias – d’offi-

cialiser la mémoire. Écrire peut tout changer [avec la publication chez Odile Jacob de Je me souviens puis de Sauve-toi la vie t’appelle, le neuropsychiatre relate, soixante-quatre ans plus tard, son enfance de petit juif raflé par la Gestapo, ndlr]. Enfant, j’étais « chose » : on m’a arrêté, enfermé, persécuté, poussé à m’évader, on a brisé ma famille ; en écrivant, je n’étais plus « chose » mais « moi », et ainsi j’ai pu reprendre un peu possession de mon monde intime. Je suis redevenu « sujet » de ma parole.La mémoire est plurielle : biologique, affective, sociale, sémantique, d’images, etc. Une forme de mémoire empêche l’évolution de la création : celle dite des « perroquets », fondée sur une répéti-tion mécanique de ce qui a précédé, pri-sonnière de son passé, et donc dépour-vue d’esprit d’innovation. Cette logique sclérosante, qui amène les théories à se

transformer en dogmes et exhorte l’individu à la médiocrité pour s’assurer la moins mauvaise des situations, domina aussi bien au

sein du bloc communiste que dans le Japon d’avant la tragé-die de Hiroshima. Et, même en France, elle est toujours

aussi puissante dans nombre de domaines professionnels.

Ainsi, on peut davantage espérer faire carrière dans les métiers scientifiques

si l’on sait répéter la voix du maître ou intégrer les critères à partir desquels son travail pourra être produit

dans une revue scientifique.

Alors qu’émettre une innovation « dé-range », et donc exclut desdites revues et entrave la progression hiérarchique.« Si on oublie le passé, on répète le passé. » Ce postulat est-il systématique ? Je ne crois pas. Conserver la mémoire est es-sentiel, mais proposer, bâtir, partager un rêve d’avenir l’est tout autant. Ces deux items sont indissociables si l’on veut donner les moyens de nourrir l’exis-tence du plus sûr rempart à la barbarie : le sens. Sens sans lequel la vie est réduite à la quête, au plaisir, à la consommation aussi aveugles qu’immédiats. Comme chez les drogués. Là encore, l’innova-tion intervient de manière prépondé-rante. Employer le passé pour innover, à l’instar des romans de Jorge Semprun, est déterminant dans la constitution de ce sens et de ce rêve d’avenir. Il n’y a pas d’existence sans avoir préalablement saisi l’intérêt qui la nourrit. D’où, d’ail-leurs, la responsabilité de stimuler chez les enfants et les adolescents la néces-sité de fertiliser cet intérêt. Selon plusieurs témoignages, Adolf Hit-ler aurait déclaré à propos des Juifs : « On peut les tuer tous ; qui se rappelle du génocide arménien ? » Se taire signifie être complice des négationnistes. Pour autant, dire ne doit pas se transformer en inculpation, ou en règlement de comptes. « Je suis heureux, car chacun de mes livres sera comme un revolver braqué sur la tête d’un Allemand », s’exclama Primo Levi lorsque ses ouvrages furent traduits outre-Rhin… La moins mau-vaise méthode consiste à chercher à comprendre les racines et les méca-nismes de la barbarie, et à s’affranchir des dogmes stéréotypés dans lesquels on enferme volontiers des événements aussi indicibles que l’extermination d’une population. On apporterait alors une vraie innovation… » ■

S’AFFRANCHIR

BORIS CYRULNIK NEUROPSYCHIATRE

« Notre société fait subir une extrême violence : celle de refuser d’entendre les causes et les raisons des violences qu’elle-même affronte. »

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En septembre, la chute de la banque américaine Lehman Brothers déclenche une crise financière mondiale sans équivalent depuis 1929. Les Bourses s’effondrent : le Dow Jones, après

son historique à 13 680,19 points en 2007, passe sous les 10 000 points. Les États-Unis et l’Union européenne mettent en place des politiques de soutien massif du secteur bancaire. La récession mondiale s’enclenche, les cours du pétrole chutent de près de 60 % en trois mois.

Un tremblement de terre en Haïti, le 12 janvier 2010, d’une magnitude de 7 à 7,3, ravage la capitale Port-au-Prince et fait plus de 230 000 morts. C’est le pire séisme depuis deux cents ans en

Amérique. Georges Papandréou, le Premier ministre grec, présente son plan de redressement des finances sur trois ans : il prévoit de ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB dès 2012, mais ne convainc pas. Début de la crise des dettes souveraines dans la zone euro.

Élu en novembre 2008, Barack Obama, premier président noir à la Maison Blanche, succède à George W. Bush. Suppression de la publicité entre 20 heures et 6 heures sur les chaînes

publiques françaises. Alors que le chômage flambe, Nicolas Sarkozy lance le « grand emprunt » de 35 milliards d’euros. Le 9 octobre 2009, début de la crise grecque lorsque le pays annonce qu’en 2009 son déficit pourrait s’établir entre 10 % et 12 % de son PIB.

Printemps arabes : à la suite de la crise économique, des manifestations éclatent en Afrique du Nord à la fin de 2010. Les révolutions tunisienne et égyptienne provoquent la démission des présidents

Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011, et Mohammed Hosni Moubarak, le 11 février 2011.Oussama ben Laden, chef du réseau jihadiste Al-Qaïda, est débusqué et tué le 2 mai 2011 par un commando américain, alors qu’il vivait caché au Pakistan.

2008 20102009 2011▼ ▼▼ ▼

«Le bonheur constitue une question perma-nente pour l’homme moderne depuis l’Antiquité grecque,

puisqu’il résulte de la nature même de l’être humain. Qu’est-ce qu’un être humain ? Une réalité corps-esprit uni-fiés, au centre de laquelle évoluent, au même niveau, d’un côté la conscience de soi, de l’autre le désir, tous deux s’interpellant et se nourrissant indéfec-tiblement. L’être humain est en désir permanent de satisfaction.Nous cherchons des contenus de désir de plus en plus enrichissants. Le plus essentiel d’entre eux est la relation à autrui. Elle donne contentement et joie,

fonde tous les autres plaisirs, et sécrète le plus important : la justification de vivre, puisqu’on accède à la satisfaction à la seule condition qu’elle soit entéri-née par quelqu’un d’autre. Autrui est un sujet comme nous, il est au centre. Il est même un centre, égal à chacun des autres. Tout individu gravite autour de, et existe grâce à tous les autres centres. La vraie satisfaction

humaine n’est donc pas ce que le capi-talisme ou le libéralisme encouragent : l’évaluation d’autrui, l’emploi d’autrui, l’exploitation d’autrui, la domination sur autrui. Et c’est pourquoi il est capi-tal de renverser son rapport domina-teur et instrumentalisant à autrui en un rapport de reconnaissance. Le bonheur est certes conditionné à l’estime de soi et à une joie de vivre intérieure, mais aussi à la reconnaissance de sa valeur par autrui et à la reconnaissance, par soi, de la valeur d’autrui. Cette réci-procité fonde l’amitié et l’amour, mais aussi la coopération et la construction d’actes résultant de la satisfaction de vivre un bonheur commun. N’est-ce pas l’un des desseins de toute entre-prise ? Et ce thème est éminemment politique : n’oublions pas qu’en 1789 les révolutionnaires inclurent, dans une version finalement non retenue de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le « droit de l’être humain à connaître le bonheur ».Pour toutes ces raisons, le thème du bonheur est donc indissociable de

l’aventure entrepreneuriale. Car celle-ci interroge des ressorts aussi essentiels que la considération de l’autre, le sens et l’expression de la responsabilité, le par-tage des valeurs – et celles notamment dans lesquelles s’inscrivent les manières de produire, de financer, de manager, de rémunérer, etc. – vers lesquels converge la joie de la création partagée. Ne peut-on pas attendre de chaque salarié qu’il donne le meilleur de lui-même dès lors qu’il a pour l’autre, dépendant de sa propre tâche, un profond respect ? Chercher à instaurer une réciprocité à la fois intelligente et donatrice peut même constituer une parade aux difficultés, car de son application résultent une mo-bilisation, une réactivité, une créativité collectives salvatrices. L’entreprise peut donc, à ces conditions, revendiquer être une identité vivante, elle invite chaque salarié à se sentir cocréateur et coac-teur de ses avenirs, autant personnel que commun, elle devient un collectif d’individus qui décident de créer, de fa-briquer, de vendre, d’être récompensés ensemble, et donc sont habilités à déci-der du destin de l’entreprise. Bien sûr, l’entreprise n’est pas « amour », mais elle peut être œuvre commune.Reconnaissons que le sens procuré par l’activité de l’œuvre entrepreneuriale ne peut suffire face aux injonctions, implacables, du marché et de la guerre économique. Le risque pour le créa-teur est de « basculer », c’est-à-dire de renoncer à son idéal, à son exigence, à son intégrité originels et de multiplier les compromis pour s’assujettir exa-gérément à ces injonctions. Et alors ce qui fondait le sens même de son action entrepreneuriale se vide, et l’intéressé devient un simple acteur de la guerre économique dans laquelle il ne peut que se perdre puisqu’il n’est pas naturelle-ment et intrinsèquement armé pour y figurer. La plus sûre riposte à ce spectre a pour nom philosophie.Grâce à elle, qu’on peut résumer à « la réflexion sur les conduites le mieux à même de nous mener à l’accomplisse-ment », l’entrepreneur peut sortir de l’enfermement et ne pas « se » réduire à un simple agent économique, il peut conserver sa liberté intérieure, il peut travailler à maintenir la signification de ce qu’il conçoit, il peut mettre la dis-tance nécessaire pour assurer sa pro-tection, il peut engager avec lucidité les révolutions nécessaires – aussi doulou-reuses voire sacrificielles soient-elles. Bref, à cette condition, il se retrouve comme individu humain. Et se recrée. Vive donc la philosophie ! » ■

«N’y a-t-il pas un décalage entre notre société qui change à toute vitesse

et l’offre politique ? Le vrai débat porte sur la relation que doivent exercer les ci-toyens par rapport au pouvoir et sur les modes d’exercices du pouvoir dans une société en profonde mutation. Il semble que nous soyons entrés dans une rup-ture salutaire. Nous ne sommes pas en crise, mais bel et bien en métamorphose. En effet, si nous traversions une époque de crise, nous retrouverions au sortir de celle-ci une situation ex ante. Bien au contraire, il faut s’attendre à trouver une société transformée, née d’une révolu-tion dont nous sommes bien incapables de mesurer les forces.La nature profonde de la société fran-çaise s’appuie sur le triptyque « Un prince, une religion, un peuple ». Or la société de demain sera tout l’inverse : elle sera horizontale. Mais notre offre politique continue de se proposer dans un schéma dominant-dominé. Or, en peu de temps, il est possible de changer l’offre politique, à condition d’accepter que le rôle d’un décideur politique ne soit pas d’être au-dessus d’une com-munauté territoriale ou nationale, mais d’être au cœur de cette communauté. Par ailleurs, cette révolution est sans doute l’une des plus compliquées à opé-rer pour les hommes politiques fran-çais. Ils demeurent enfermés dans l’idée qu’ils gèrent un territoire et qu’à l’inté-rieur de ce territoire leur pouvoir est de maîtriser la circulation des hommes, des idées, des capitaux et des marchan-dises. Mais la mondialisation a fait voler

les frontières en éclats. Plus personne n’est à même de capter les flux, a for-tiori financiers. La géopolitique s’est transformée. Si l’on ne parvient plus à maîtriser les frontières, les menaces se rapprochent. La question pour le politique n’est plus de savoir quelle puissance territoriale il doit construire, mais bien plus la manière de rendre ce territoire attractif pour les talents et les capitaux du monde entier.L’offre politique d’aujourd’hui est stu-pide. Parce que notre système n’est pas représentatif. Où sont les représentants des créateurs de richesses ? Où sont les représentants des précaires et des chô-meurs ? Notre système stigmatise, il ne représente pas. En outre, les décideurs politiques sont aveuglés par le court-termisme. Nous sommes entrés dans une démocratie d’émotions et non plus de convictions. Il faut donc restaurer le sens critique. L’erreur politique majeure des gouvernants est de vouloir diriger les peuples par des émotions, alors qu’on ne peut les stabiliser que par des convictions. Les dirigeants politiques n’entendent pas le rappel à l’ordre des citoyens pour qui une vision est essen-tielle, fondamentale. Car sans vision, pas de projet, et sans projet, pas de mobilisation. Or quand un peuple ne croit plus en rien, il est prêt à croire à tout. Les dirigeants demeurent encore obsédés par la seule conquête du pou-voir, sans projet de société. Il n’y a plus d’idéal, seulement des calculs et des « petits » comportements d’hommes et de femmes qui lorgnent ce pouvoir. Sans perspective d’espérance portée par le politique, on exacerbe les peurs. Alors qu’il suffirait de renverser ces peurs pour les transformer en énergie posi-tive. De sortir de la société des peurs et du mépris pour entrer dans une société de valorisation de la créativité et de re-connaissance des talents. L’enjeu priori-taire est donc de réinventer la société et le politique. » ■

«S’ interroger sur le rapport des Français au politique oblige à explorer deux aspects. D’abord, la nature même de ces rapports avec la sphère politique. Il s’agit ensuite d’envisager les chemins de la réinven-tion du politique qui retrouverait la confiance des

Français. Les partis politiques constituent l’institution politique la plus touchée par la défiance. Ce sentiment est gigantesque et frappe toutes les démocraties européennes, mais notre pays est sans doute celui qui en souffre le plus. D’ailleurs, cette défiance se transforme en phénomène de rejet. Et de nouvelles attitudes se font jour : celle de dégoût du politique. Et même, osons le mot, de « haine ».Que font les Français de ce dégoût du système politique ? Deux débou-chés s’ouvrent à eux. Le premier consiste en un retrait provisoire ou définitif de la vie politique. Certains citoyens considèrent que, puisque

le système ne les intéresse plus, ils ne s’exprime-ront plus. Et décident alors de se dégager de la sphère politique pour investir la sphère sociale et des relais de proximité, davantage dignes de confiance. Car si aujourd’hui la défiance est ressentie vis-à-vis du haut, des élites, des corps dirigeants, la confiance l’est davantage au sein du bas de notre société, famille et TPE/PME en tête. Les partis politiques ne remplissent plus leur rôle d’imagination politique et d’élabora-tion du vivre-ensemble, mais sont bel et bien devenus essentiellement des machines à déli-vrer des investitures.Le second comportement consiste à demeurer intégré au système politique, mais à développer une forme de politisation négative. Certains Français se tournent vers des organisations qui possèdent cette capacité à politiser, à instru-mentaliser le rejet de la politique, et pas seule-ment aux extrêmes. Le phénomène se distille dans l’ensemble des forces politiques et exhorte à la plus grande vigilance, en ce qu’il constitue une très profonde contestation de la démocratie représentative, pluraliste, libérale. Cette démo-cratie, détrompons-nous, n’est pas un acquis. Et l’on voit poindre à l’horizon un possible hiver de la démocratie.

Quelle que soit la bouderie dont font part les électeurs dans les en-quêtes d’opinion, l’élection présidentielle reste, pour eux, décisive. Dans l’intervalle qui sépare de cette échéance, cette haine du poli-tique devrait faire place à de nouveaux comportements. Les récentes élections européennes en sont la preuve. Elles ont été marquées par une très forte abstention, qui correspond à des comportements de sortie du système, mais qui contient également une très importante dimension protestataire. Et les abstentionnistes doivent être pris en compte. Peut-être sont-ce eux qui influeront sur le résultat de la pro-chaine élection présidentielle.Un autre comportement consiste pour le citoyen à s’exprimer, à prendre la parole. Face à ce mouvement qui vient d’en bas, pourtant, le politique ne réagit pas véritablement. Sauf peut-être dans ce phénomène nou-veau qu’est l’organisation de primaires, qui devrait s’imposer, appelant les électeurs à faire connaître leur opinion. La société des citoyens plus ou moins organisée cherche à prendre la parole, notamment à l’échelle locale. D’ici à la présidentielle, ce monde citoyen doit se structurer pour ajouter un surcroît de représentativité à la démocratie verticale. Afin d’articuler la défiance d’en haut avec la confiance d’en bas. » ■

«La prise en compte par la société de la pauvreté s’est considérablement dégradée depuis quelques années. En cause ? En premier lieu la crise, qui encourage au repli sur soi et à défendre son pré carré. La considéra-tion des différences de trajectoires de vie, d’un modèle

économique excluant, de l’enjeu du vivre-ensemble s’est délitée. Les phénomènes de rejet des populations singulières – pauvres, étrangères – dominent les débats. Auparavant, des initiatives comme celles d’Alynéa et du Samu social, qui luttent contre la grande pauvreté, étaient massi-vement saluées ; aujourd’hui, on les montre du doigt. Jusqu’à fulminer contre les aides et subventions. L’opinion publique s’autorise désormais à proclamer ce qu’elle s’interdisait hier. Il n’y a plus de retenue dans la parole, or la retenue contribue à la salubrité des relations humaines et sociales. Des digues ont lâché, qui ont déversé des discours inadmis-sibles. Récemment, apprenant la nature de notre activité, l’acheteur d’un véhicule que nous cédions n’a pas hésité à vomir sur elle : « Ras-le-bol de financer des associations qui s’occupent des feignants, des étrangers et des inutiles ! » « On » continue d’avoir de la considération pour les gens en grande souffrance, mais elle est anémiée par le fait qu’ils sont

pris en charge par une solidarité nationale à laquelle « on » contribue. Et lorsque ces gens sont étrangers, l’interrogation s’enflamme. Voilà la nouvelle réalité. Si on ne se préoc-cupe pas d’y apporter des correctifs, la socié-té court à la catastrophe.Cette dégradation du regard porté par le citoyen sur la pauvreté produit de nombreux enseignements. Il est de plus en plus difficile de vivre collectivement, la société s’est laissée envahir par une peur et un sentiment d’insé-curité irrationnels, et elle crève de solitude. Pour preuve, les solidarités de voisinage se dissolvent au point que l’on peut laisser un voisin de palier gésir dans son appartement pendant deux ans. D’autre part, celui qui ne répond pas aux critères de performance est rejeté. « À quoi sert-il ? », s’interroge-t-on. Et dès lors, « À quoi sers-je ? », se demande-t-il. Ce grave questionnement n’aurait pas lieu d’être si la « place de chaque homme au sein de la société » était sanctuarisée. Or il n’a jamais été aussi prégnant, et les modèles éco-nomiques concourent à son exacerbation. La

disparition progressive de métiers qui assuraient à des publics peu instruits d’occuper cette fameuse « place », ou le niveau de qualifica-tion démesuré exigé pour en exercer d’autres, l’illustrent. Bientôt il n’y aura presque plus de caissiers ou de péagistes, et les rares encore en fonction devront brandir une licence universitaire pour être recru-tés ! Ce mouvement dit de progrès destiné à porter toujours plus haut la rentabilité et l’excellence est synonyme de marginalisation pro-grammée de pans entiers de la société.Il faut mettre en œuvre de quoi accueillir ces « exclus de la perfor-mance », et travailler en profondeur pour faire admettre que la « va-leur » d’un trader millionnaire n’est pas supérieure à celle d’un modeste ouvrier, car ce dernier d’une part est « debout » grâce à son emploi, d’autre part fait peut-être preuve d’un altruisme précieux dans son en-tourage. Le modèle économique et consumériste dissout la cohérence de la société parce qu’il crée des inégalités abyssales. Il fracture donc la mise en lien. Comment, dans une société qui place sur un piédes-tal les trajectoires financières et matérielles les plus inaccessibles et y conditionne le vocable « réussite », le modeste citoyen peut-il ne pas se sentir médiocre, rejeté, même « raté » et humilié ? Or la vraie réussite se mesure à d’autres critères : la générosité, le sens de l’autre, et des actes de solidarité grâce auxquels on se bonifie et on cultive l’estime de soi. Si nous parvenons à réhabiliter cette « valeur » universelle, nous aurons accompli un grand pas vers la régénération du vivre-ensemble. » ■

LE BONHEUR LES ÉLUSLES CITOYENS LA RÉGÉNÉRATION

ROBERT MISRAHI PHILOSOPHE

« La philosophie, meilleur compagnon des entrepreneurs »

« Le bonheur est conditionné à la reconnaissance de sa valeur par autrui et à la reconnaissance, par soi, de la valeur d’autrui. »

« L’enjeu est d’articuler la défiance d’en haut (politique) avec la confiance d’en bas (famille et PME). »

« Quand un peuple ne croit plus en rien, il est prêt à croire à tout. Il est donc l’heure de réinventer la société et le politique. »

« Des signaux de confiance, notamment en l’entreprise, doivent se substituer à la haine du politique »PASCAL PERRINEAU POLITOLOGUE

JEAN-PAUL DELEVOYE PRÉSIDENT DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

« Nous ne sommes pas en crise, mais en métamorphose »

« Des digues ont lâché, il n’y a plus de retenue dans la parole. Or, la retenue contribue à la salubrité des relations humaines et sociales. »

« Regardons les pauvres autrement »JÉRÔME COLRATPRÉSIDENT DU SAMU SOCIAL ET DIRECTEUR D’ALYNÉA

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30 VISIONS D’AVENIR I 2120 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

La découverte du boson de Higgs est annoncée le 4 juillet 2012 par le Cern. La Grèce obtient de la zone euro une aide publique de 130 milliards d’euros ainsi que l’effacement de 107 milliards

de dettes, lui évitant la faillite et une sortie de l’Union monétaire. Athènes est en contrepartie soumise à une austérité stricte, imposée par la troïka (UE, FMI, BCE) sur fond de violentes manifestations. Facebook entre en Bourse avec une valorisation de 104 milliards de dollars.

Après la révolution à Kiev, et le référendum d’autodétermination en Crimée, Vladimir Poutine annonce que la République de Crimée et la ville de Sébastopol deviennent deux nouveaux sujets de la Fédération de

Russie. Début de la guerre du Donbass en Ukraine. Le 8 août, les États-Unis entament la guerre contre l’État islamique en Irak. Le 3 novembre : ouverture du nouveau World Trade Center, à New York. En décembre, Béji Caïd Essebsi est investi président de la République tunisienne.

Signé en janvier avec la CFDT et FO, l’accord sur la sécurisation de l’emploi est une première victoire politique pour Hollande et un pas vers la réforme du marché du travail. Le 6 juin, les premières révélations

d’Edward Snowden contre la NSA créent un scandale mondial sur la dérive sécuritaire de l’espionnage américain, qui écoute même ses principaux alliés. Le modéré Hassan Rohani remporte le 15 juin l’élection présidentielle en Iran. En France, les « bonnets rouges » font tomber l’écotaxe.

Le 7 janvier, un attentat terroriste à Paris décime la rédaction de Charlie Hebdo qui avait publié des caricatures de Mahomet. En trois jours sanglants, la France entre dans un état de guerre, avec 17 morts et 11 blessés.

Le dimanche 11 janvier, 4 millions de Français bouleversés manifestent au nom de la liberté et de la laïcité en présence de près de 40 chefs d’État. 14 janvier : Charlie Hebdo en kiosque avec à la une Mahomet tenant une pancarte « Je suis Charlie » et ce titre qui dit tout : « Tout est pardonné ».

2012 20142013 2015▼ ▼▼ ▼

«A vec l’émergence des NBIC (nanotechnologies, bio-technologies, informatique et sciences cognitives) nous vivons une révolution sans précédent. Ces ou-tils permettent de nous changer nous-mêmes et de transformer notre destin biologique : du jamais vu

dans l’histoire de l’humanité. Nous pouvons désormais modifier notre ADN, notre génome pour une poignée de dollars. Et les implants céré-braux, c’est pour demain. Les dirigeants de Google, les chercheurs de la Silicon Valley parlent déjà d’un « homme augmenté ». De puissants leviers sont en train de déferler, autorisant des projets fous dans un contexte de concurrence internationale. Et il semble que nous les accep-tions de façon aveugle.Ce vertige transhumaniste n’est précédé d’aucune réflexion éthique. Ne renouvelons pas ce que nous avons vécu avec la révolution numérique, ce tsunami qui est passé sans aucune réflexion préalable… Cette révolution semble pourtant bien anecdotique par rapport à ce qui nous attend. Mais comment mener ces interrogations éthiques alors que surgissent plu-sieurs obstacles ? À commencer par cette tendance humaine de toujours vouloir du « plus », du « mieux ». Car oui, ce besoin forcené de plus et de mieux est collé à notre biologie cérébrale. Nous sommes tous des trans-humanistes, même si nous ne connaissons pas ce mot. Nous acceptons la technologie de façon aveugle : le cœur artificiel, nous sommes pour.

Les implants cérébraux permettant de soigner la maladie de Parkinson, nous sommes pour… Personne ne pose la question de la limite de notre pouvoir démiurgique.Si on nous propose de vivre deux cent cinquante ans en bonne santé, nous dirons oui, nous sommes tous prêts à devenir un homme 2.0. Le rêve transhu-maniste n’est pas contredit, ni interro-gé. Autre difficulté pour ériger des bar-rières : nos exigences éthiques changent au fil du temps et des progrès. La fécon-dation in vitro et la pilule ont été rejetées par l’Église catholique au début, mais ces progrès sont désormais totalement acceptés… Aurions-nous imaginé pos-sible et acceptable des greffes du visage ? En réalité, ce qui aujourd’hui nous appa-raît monstrueux, demain nous semblera acceptable, et même désirable. Et plus encore, obligatoire par la loi. Pratiquer une réflexion éthique se révèle difficile, car l’éthique est un concept élastique.Les NBIC, outre l’effet qu’elles auront de plus en plus sur notre destin biolo-

gique, vont entraîner la multiplication des robots travaillant à la place de l’homme. Cela aura des conséquences terribles. La fusion entre l’intelli-gence artificielle et la robotique va entraîner la disparition d’une quantité de métiers. Dans quelques décennies, le monde s’organisera autour de robots et de métiers à destination de personnes douées, qualifiées, inno-vantes. Mais que fera-t-on des personnes peu douées, pas innovantes, mal formées, lentes ? C’est un enjeu de formation. Bill Gates s’est dit affolé par l’absence de réflexion sur ces sujets.Contrairement à l’Asie et aux États-Unis (particulièrement la Californie) fonçant tête baissée dans les NBIC et les projets démiurgiques qu’elles portent, la France et l’Europe défendent des valeurs «  bio-conserva-trices ». En France nos hommes politiques sont même technophobes, mais soyons lucides : nous ne convaincrons pas l’Asie et les États-Unis de devenir conservateurs. Alors que fait-on ? Acceptons-nous d’être déclassés, de devenir les Amish du xxie siècle en défendant nos valeurs ? Renonçons-nous à nos valeurs ? Et comment peser sur ce débat si nous ne sommes pas nous-mêmes acteurs dans ces technologies ? » ■

«De quoi la s o c i é t é f r a n ç a i s e souf f re- t-elle ? En premier lieu –  et depuis

déjà longtemps – de son enfermement dans le « présentisme ». Plus encore que de douter de leur avenir, les Fran-çais peinent à l’imaginer, à l’espérer, et simultanément à tirer les enseigne-ments du passé avec sagacité. Alors ils vivent dans l’actualité et se figent sur le présent. La France est également orphe-line des grandes idéologies de gauche. Même la social-démocratie – les vio-lences urbaines en Suède en mai 2013 le démontrent – est à bout de souffle, affai-blie par l’érosion de ses piliers : le mou-vement ouvrier, la puissance syndicale, l’État-providence.Ce délitement s’inscrit dans un phé-nomène plus large : le déclin, parfois la quasi-disparition, des grandes média-tions du passé, accélérée par le dévelop-pement réticulaire d’Internet. Citons la

presse, en proie à une crise structurelle profonde, mais aussi l’Église catholique ; nonobstant les manifesta-tions de masse rejetant le principe du mariage pour tous, l’influence de cette institution historiquement si omniprésente dans le fonctionnement de la société connaît en France une chute que je crois irré-versible. En Espagne, pour-tant frappée par une crise politique et économique d’une tout autre ampleur, la société existe, manifeste, revendique. Elle « vit ». Tout comme dans certains pays du Proche-Orient ou du Maghreb, la capacité d’indignation y est intacte, une part significative des

citoyens aspirant à une démocratie qui reconnaisse l’individu dans sa per-sonne, mais aussi dans sa contribution à la collectivité. En France, la faculté de produire des mouvements sociaux susceptibles de revitaliser l’espoir est anémique. Car la France est de moins en moins en situation de débattre avec elle-même. Les causes sont multifactorielles. L’une d’elle, paradoxalement, tient à la confiance, encore vive, des Français pour leur système politique et ses partis. La foi dans l’État, la nécessité de l’État,

le besoin d’État, restent élevés au sein de la population, d’autant plus que l’ef-facement des médiations intermédiaires crée l’appel à une relation directe avec l’État. Ils sont si élevés qu’en définitive l’État surplombe, aujourd’hui comme hier, la société elle-même, et qu’il en est attendu qu’il la transforme, la refonde, la relance. Cette prééminence du rôle de l’État est une caractéristique très française, enracinée dans une longue histoire. La crédibilité de l’État et du système politique fait l’objet de forts doutes, mais ceux-ci sont loin d’avoir culminé et atteint le point de non-re-tour. Même affaiblis, le tissu politique et celui des médiations intermédiaires as-surent le maintien des conceptions tra-ditionnelles de la démocratie – quand bien même la montée en puissance du Front national et la porosité croissante de son idéologie avec celle d’un pan entier de la droite classique constituent une dérive préoccupante. La résigna-tion continue de dominer, même si l’on observe des manifestations extrêmes et radicales de contestation. L’espé-rance, même faible, demeure plus forte que la désillusion. Mais cette situation n’est pas sans conséquence : lorsque la population pense État avant de penser société et que l’État est affaibli voire menacé, les citoyens font corps pour défendre ce qui assure encore leurs acquis. Un phénomène qui concerne en premier lieu les classes moyennes, car souvent elles ont accédé à une situation qu’elles ont plus que d’autres peur de devoir abandonner.Sur une planète désormais multipo-laire et qu’ordonne l’émergence de nouveaux ensembles et de nouveaux rapports de force, la France et donc les Français peinent à se situer dans les grands changements géopolitiques et géoéconomiques du monde. Et ce constat, aggravé par le déclin relatif de la langue française, accentue le double sentiment d’inquiétude et de préca-rité. Nourrir une perspective d’avenir devient difficile –  et pourtant néces-saire. Mais cette exigence n’est pas impossible : en dépit d’une bureau-cratie excessivement pénalisante et d’une jeunesse de plus en plus désen-chantée, fracturée et scindée entre ceux qui sont tournés vers le monde et ceux qui, ne le comprenant pas, s’en sentent exclus et se recroquevillent, le pays dispose de grandes ressources, il innove, il se développe dans et malgré la crise. Les raisons de garder espoir ne manquent pas. » ■

«La scène politique est caractérisée par un fossé entre la mise en scène des affronte-ments et la réalité des

débats ; ces derniers rassemblent sou-vent une quasi-unanimité. Longtemps en France, on a cru que l’efficacité démocratique impliquait la destruction de l’opposition… ce qui n’est jamais qu’une vision totalitaire. Or, en démo-cratie, il n’y a de bon match que s’il met en jeu deux équipes performantes. Ces deux clans rivaux doivent pouvoir manifester autant leurs différences que leurs convergences – par ailleurs nom-breuses : sur l’économie de marché, les droits humains, le respect de l’environ-nement.L’enjeu véritable, qui transcende la dualité des systèmes participatif et représentatif, porte sur la démocratie des flux de populations. Car si les élus sont devenus aussi conservateurs, c’est parce qu’ils sont des sédentaires dans un monde de mobilité. Qui connaît le mieux le phénomène de la mondialisa-tion ? Les « grands patrons » d’entre-prises et les dirigeants d’ONG. Interro-gez les élus français sur la réalité de la planète… Et que dire de leurs homolo-gues américains ? Nombre d’entre eux ne disposent même pas de passeport !Ces différences d’appropriation de la mondialisation constituent un lourd obstacle et démontrent une inégalité face à la démocratie de la mobilité. Les élus, issus du (et enfermés dans le) « local » peinent à penser la société dans ce nouveau paradigme de la mon-dialisation et de la mobilité. D’où la né-cessité de recomposer la cartographie politique afin que les territoires, les habitants et les élus fassent sens pour répondre à des enjeux qui dépassent totalement leur périmètre. Généra-lisons les territoires politiques de la proximité, y compris en découpant nos villes, et favorisons des territoires de projets.La démocratie est une culture de « stock ». Hier un stock d’hommes, que les élus administraient au gré des terri-toires – ville, département, région, na-tion – en vue d’organiser des affronte-ments et de cristalliser des solidarités à même de permettre le changement so-cial. Mais aujourd’hui, sous le joug de la mobilité et du flux humain, la démocra-tie risque de devenir un simple stock d’hectares. Organiser la démocratie dans un tel contexte est compliqué. La France, extraordinairement conserva-trice, empile des découpages. Reste que certains font sens, notamment dans les milieux populaires où les notions de

commune, de département et de proxi-mité protègent. N’oublions pas que seuls les puissants disposent du pouvoir de se protéger par eux-mêmes.L’échelon départemental semble le mieux adapté aux injonctions de la modernité si on lui donne d’autres res-ponsabilités que sociales. Et écartons de la démocratie ces satanées « com-munautés de communes » qui ne sont d’aucune résonance dans l’esprit des citoyens. La société plus horizontale et mobile a besoin d’une démocratie locale repensée. En France, raisonnons métropoles et villes/départements. Depuis la Révolution française, les citoyens ont l’habitude d’habiter dans des départements. La plupart de leurs repères, notamment administratifs, y sont circonscrits. Leur découpage répond à une logique géographique, puisque la majorité d’entre eux envi-ronnent une ville principale et struc-turent les services publics. Le dépar-tement constitue souvent un territoire identitaire, notamment pour les mi-lieux populaires fortement concernés par l’action sociale. Certaines villes-dé-partements (Lyon, Marseille-Aix) ont saturé leurs territoires, mais la grande majorité en sont bien loin. L’initiative de Michel Mercier et de Gérard Collomb à Lyon [le président du Conseil général du Rhône et le président du Grand Lyon ont convenu de la naissance, le 1er janvier 2015, de la Métropole de Lyon, ndlr] est donc logique. Peut-être même devrons-nous regarder plus loin, et dessiner une seule grande région Lyon-Aix-Marseille. Avec 10 millions de personnes, elle possé-derait une taille « mondiale ». Faire vivre les citoyens dans des territoires qui donnent du sens à leur existence : voilà ce qui devrait dicter l’architecture administrative et politique. » ■

«L’ avenir économique est et sera construit par l’homme. Par sa bonne santé, sa personnalité, son intelligence, sa psychologie. L’humain est au cœur de toutes les activités sociales et économiques. C’est le capital le plus précieux qu’il faut protéger

et accompagner afin qu’il puisse s’épanouir. Pour cela, le corps, répon-dant à des besoins élémentaires, doit être préservé en priorité. Puis, la qualité de la formation de l’individu lui permettra d’avoir une vision pleine et entière. La compétence qu’il acquiert lui permettra de remplir sa mission. Mais au-delà de ses fonctions, l’homme est aussi un être com-plexe, de frontières, au sein duquel il y a un mystère qui est sa spiritualité. Le mystère d’une personne ne se résout pas à ses performances intel-lectuelles, professionnelles sociales ou sportives. Au fond, à l’intérieur de chaque homme, il y a quelque chose qui n’est pas quantifiable. C’est le spirituel qui fait la richesse de l’individu.L’homme à également une responsabilité par rapport à son environne-ment. Je remarque que le discours sur l’écologie a changé. Auparavant, il était catastrophiste. Agir sur l’environnement résultait ni plus ni moins de la sauvegarde de la création, l’homme était accusé d’être le plus grave des prédateurs. Tout le malheur pouvait être résumé dans la première page de la Bible. Mais il faut également lire la page deux ! Elle explique que l’homme doit préserver sa terre et la transmettre à ses enfants. Certes, l’homme est coupable de maux, comme la déforestation sauvage qui est à l’œuvre en Amérique du Sud, mais il est également un acteur du renou-veau. Aujourd’hui, la parole écologique est plus large et tend à prendre en compte l’humain. Il a désormais toute sa place. Cette terre est notre terre nourricière. Nous sommes donc liés à elle. Elle nous aime et nous l’aimons ; nous devons donc veiller sur elle. Il faut que les hommes se comportent de façon harmonieuse avec la nature. » ■

«Il existe en France des freins culturels qui entravent le dy-namisme d’ensemble. L’un d’eux est tout particulièrement problématique : les Français n’apprécient pas les patrons… En cause, un rejet ou tout au moins une relation suspecte voire coupable à l’argent. Précisons tout de même que le sa-

laire moyen des entrepreneurs en France se situe entre 4 500 et 4 800 eu-ros par mois. Or l’argent n’est pas sale, il faut au contraire le respecter, car on peut le partager et il permet d’aider… Et même s’ils sont copieusement rémunérés, cessons de stigmatiser les dirigeants des grands groupes mondiaux. Ces patrons du CAC 40 sont nos capteurs de la croissance mondiale. Quelle hérésie de penser que la France pourrait faire de la croissance toute seule ! Elle doit au contraire s’inscrire dans la croissance mondiale et pour cela accepter les règles internationales, y compris en matière de rémunération. Le « grand patron » est un produit rare… Or à quoi assiste-t-on aujourd’hui ? À une délocalisation des comités exécutifs de ces entreprises leaders, usées par l’opprobre dont ils sont l’objet. C’est particulièrement préoccupant, y compris parce que leur activité assure 80 % de celle des ETI, PME et TPE industrielles françaises.Notre classe politique, c’est un drame ! Elle dirige l’Hexagone comme s’il était une multinationale alors qu’il n’est qu’une ETI. La France n’est plus une grande puissance mondiale, sa taille correspond à celle d’une province chinoise. Je plaide pour des réformes fortes, par exemple sur la durée du travail et notamment jusqu’à quarante ou quarante-cinq heures par semaine. Chez Ricol Lasteyrie, il nous arrive en période de « rush » de travailler quatre-vingt-dix heures par semaine… S’en porte-t-on mal ? Quant au Cice, rien n’est plus stupide. Car qui en sort grand gagnant ? La grande distribution. Il fallait baisser les charges sociales de toutes les entreprises. Ayons le courage d’un Gerhard Schröder, arrêtons de nous laisser pénaliser et ralentir par la peur de la rue et des syndicats.Pour faire progresser la France, il est urgent et essentiel de s’appuyer en premier lieu sur la R&D, sur nos capacités d’innovation, et dans ces domaines travailler à ne rien laisser partir hors du territoire. Également convaincre les comités exécutifs de revenir dans leur patrie d’origine, et tirer profit de la dynamique et des relais que constituent ces véritables capteurs de croissance. Et enfin prendre des mesures qui donnent « confiance » à la communauté financière. Il y a urgence. » ■

MGR PHILIPPE BARBARIN ARCHEVÊQUE DE LYON

RENÉ RICOL PRÉSIDENT DE RICOL LASTEYRIE

« L’homme est aussi acteur du renouveau »

« 45 heures par semaine ? »

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« Les élus sont des sédentaires dans un monde de mobilité »

« N’oublions pas que seuls les puissants disposent du pouvoir de se protéger par eux-mêmes. »

« Nous sommes tous prêts à devenir un homme 2.0 »

LAURENT ALEXANDRE MÉDECIN, FONDATEUR DE DOCTISSIMO ET DE DNA VISION

« Ce qui aujourd’hui nous apparaît monstrueux, demain nous semblera acceptable, et même désirable. »

« La France est de moins en moins en situation de débattre avec elle-même. »

« Une France sclérosée, mais qui a des raisons d’espérer »MICHEL WIEVIORKA SOCIOLOGUE

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LE TOUR DU MONDE DE L’INNOVATIONDe la veste GPS pour les touristes en ville à l’écran tactile pliableChaque semaine, La Tribune vous propose de partir à la découverte des petites et grandes innovations qui annoncent l’avenir.

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7HELSINKI – FinlandeQuand l’écriture sur clavier remplace l’écriture manuscriteÉducation. Les enfants de demain sauront-ils écrire à la main, avec un stylo ? En auront-ils même besoin ? Dès la rentrée 2016, les cours d’écriture manuscrite pour les écoliers finlandais deviendront optionnels et seront remplacés par l’apprentissage de l’écriture sur clavier. Constatant que la graphie à la main est de moins en moins pratiquée, l’Office national de l’Éducation, à l’origine de cette révolution, estime désormais que « des aptitudes pour taper de manière fluide sur un clavier sont

une priorité nationale ». L’annonce suscite le scepticisme dans de nombreux pays, mais elle a été bien accueillie en Finlande, un pays réputé pour ses bons résultats scolaires. S.R.

6 BRATISLAVA – SlovaquieUne balise intelligente pour retrouver ses objets perdusObjets connectés. Qui n’a jamais perdu ses clés, oublié un sac ou égaré une écharpe ? Si l’on s’en rend compte trop tard, difficile de les retrouver… Une start-up slovaque a mis au point le « Tageme lost & found ». Cette balise intelligente ressemble à un porte-clés qui s’accroche facilement à n’importe quel objet ou vêtement. Elle est dotée d’un QR code que l’on scanne avec un smartphone pour accéder au contact du propriétaire. Ainsi, si vous perdez vos clés, il suffit à la personne qui les retrouve de numériser le

QR code, grâce à la technologie sans contact NFC, et de vous joindre pour vous les rendre. L’objet sera disponible à la vente courant janvier. S.R.

5 ABUJA – NigériaUn système de paiement mobile sans InternetM-commerce. Jusqu’à présent, les m-paiements se font à partir de smartphones connectés à Internet pour transférer de l’argent. La start-up nigériane Cube est sur le point de révolutionner le m-commerce grâce à un nouveau système qui permet de payer par carte bancaire avec n’importe quel téléphone, sans connexion Internet. Et ce, grâce à un module carré qui s’insère au téléphone via sa prise audio et fonctionne avec une connexion GSM. Une application s’ouvre automatiquement. Le propriétaire peut entrer un montant, préciser le motif du paiement et donner le téléphone à son débiteur. Celui-ci glisse sa carte dans le module

carré et confirme le règlement à l’aide d’un code secret. Cube sera lancé courant janvier. Le module sera gratuit. La start-up récupèrera 2 % sur chaque transaction. S.R.

10 TOKYO – JaponL’écran du futur sera flexibleTechnologie. Un autre fantasme de science-fiction va devenir réalité. La société japonaise Semiconductor Energy Laboratory (SEL) vient de mettre au point une technologie d’écran pliable. Flexible, l’interface tactile s’adapte en fonction de la courbure. Baptisé « Foldable Display », cet écran de 8,7 pouces pour une résolution de 1 080 x 1 920 pixels se plie en trois endroits, ce qui lui permet de passer d’un format tablette à celui d’un smartphone. L’image, d’une qualité comparable aux tablettes

actuelles, s’adapte au format choisi. Fin et léger, l’écran peut se plier plus de 100 000 fois, selon les constructeurs, sans altérer la qualité de l’image. S.R.

3 AUSTIN – États-UnisUne application pour partager son électricitéSolidarité. Aux États-Unis, 40 millions de personnes vivent dans la pauvreté énergétique. L’entrepreneur Georges Koutitas a eu l’idée de créer Gridmates, une plate-forme qui permet de fournir de l’électricité à un ami, à une personne dans le besoin ou à une association via un système peer-to-peer. Chaque donateur peut choisir ceux auxquels il va fournir de l’électricité et le montant d’énergie associé. Gridmates se charge ensuite du transfert entre les opérateurs électriques qui débitent les kilowatts offerts sur la facture du donneur et les crédite au bénéficiaire. En échange,

les généreux donneurs reçoivent des conseils de Gridmates pour réduire leur consommation d’énergie. Le concept pourrait bientôt s’étendre au gaz et à l’eau. S.R.

2 MEXICO – MexiqueUn GPS 3D pour les aveuglesHandicap. Pour favoriser l’autonomie et le confort des aveugles pendant leurs déplacements, le designer industriel Jorge Trevino Blanco a mis au point Discover, un GPS pour les non-voyants qui modélise l’environnement en 3D. Semblable à une grosse télécommande, l’outil est doté d’une petite caméra qui analyse les alentours et les reproduit en 3D. Une fois identifiés, les obstacles à venir (trottoirs, poteaux, autres passants…) apparaissent en relief sur une plaque

représentant le trajet. En posant son doigt sur cette plaque en 3D, la personne aveugle peut ainsi anticiper les difficultés. Cet objet original est toujours en phase de recherche de financements. S.R.

PLUS D'ACTUALITÉS ET D'INFOGRAPHIES SUR LATRIBUNE.fr

SÉLECTION RÉALISÉE PAR SYLVAIN ROLLAND

@SylvRolland

9 SYDNEY – AustralieUne veste GPS pour les touristes en villeTourisme. Plus besoin de garder les yeux rivés sur un plan, ni même sur son smartphone. Désormais, les touristes pourront être guidés par leur propre vêtement. L’entreprise australienne Wearable Experiments a mis au point la veste Navigate, dotée d’un navigateur GPS relié à une application mobile et de bandes lumineuses. L’utilisateur doit renseigner sa destination sur l’application. Les instructions s’inscrivent alors sur le bout des manches éclairées par des Led, et des vibrations indiquent la direction

à prendre. Une façon design et moderne de se promener dans une ville inconnue. Seules Sydney, New York et Paris ont été adaptées à cette technologie. S.R.

1 SANDPOINT – États-UnisLes routes solaires, un rêve américainÉlectricité. Hier connue pour la chasse au caribou, Sandpoint, localité perdue au fond des Rocheuses, le sera désormais pour une idée surprenante : la route solaire. L’histoire commence en 2006, lorsque la famille Brusaw se met à développer dans son garage un panneau solaire nouvelle génération. À la différence des capteurs traditionnels, ce prototype ultrarésistant présente une texture proche du bitume. Chiffres à l’appui, les Brusaw ont prouvé que son utilisation, sur les routes américaines, pourrait générer trois fois plus d’électricité que la production actuelle de tous les États-Unis… Si certains croient encore l’idée folle, d’autres

crient au génie : déposée sur le site de financement participatif Indiegogo, l’idée a fait exploser le compteur de la plate-forme. Après plus d’une décennie d’expérimentation, les Brusaw, avant de faire briller les routes, ont fait briller nos yeux.

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8 TAÏWANBistro, la gamelle connectée avec reconnaissance facialeAnimaux. Comment être certain que votre chat se nourrit correctement, surtout pendant votre absence ? La société taïwanaise 42ark a développé une gamelle intelligente et connectée, baptisée Bistro, capable de gérer le régime alimentaire du matou à distance. Cette gamelle high-tech est équipée d’une caméra, d’un système de reconnaissance faciale et d’une balance pour délivrer la juste quantité de nourriture et

d’eau, selon les besoins physiologiques de l’animal. Le propriétaire peut ensuite consulter les graphiques et recevoir une alerte en cas de modification inquiétante des habitudes alimentaires, généralement synonyme d’une maladie. S.R.

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4 LYON – FranceLe Big Data façonne les villes de demain Smart City. Plus économe en énergies, plus respectueuse de nos ressources, plus sécurisée, plus agréable à vivre... La ville du futur est pleine de promesses, que le Big Data compte bien tenir. Car habiter une ville intelligente, ce n’est pas seulement avoir affaire à une technologie de pointe chaque jour. Ce n’est pas seulement vivre de façon plus rapide, plus pratique ou plus ludique. C’est d’abord tenter de vivre mieux. En 2025, nous serons 4,3 milliards de citadins. Une expansion qui induit directement celle de nos consommations en eau et en énergie, mais aussi celle de notre production de déchets, et de notre impact global sur l’environnement. Sans compter l’amoindrissement de nos ressources naturelles.

Et heureusement, les initiatives, sous formes de start-up, d’applis mobiles et d’équipements urbains, ne cessent de fleurir. Parce que l’avenir se prépare aujourd’hui.

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I 2322 ILA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

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DÉFIS 2015

PAR JEAN-CHRISTOPHE CHANUT ET FABIEN PILIU «J e changerai tout ce qui

bloque, empêche, freine et nuit à l’égalité et au progrès et de ce point de vue, je prendrai tous les risques  », a déclaré le 5 janvier le chef de l’État lors de

sa rentrée sur France Inter. Débattu au Par-lement à partir du 26 janvier, le projet de loi pour la croissance et l’activité porté par Emmanuel Macron, le ministre de l’Écono-mie, prévoit notamment d’assouplir le travail le dimanche et en soirée, de mieux contrôler les sociétés d’autoroutes, de libéraliser le transport par autocar, de moderniser les pro-fessions réglementées du droit, de profes-sionnaliser les prud’hommes, de favoriser l’épargne salariale et de simplifier l’actionna-riat salarié.« Je suis confiant au sujet de son adoption. C’est une loi de liberté et une loi de progrès, notamment car les salariés qui vont être concernés vont être volontaires et davantage payés », a poursuivi

François Hollande évoquant l’assouplis-sement du travail dominical en dépit des protestations de l’aile gauche de la majorité et d’une par-tie des syndicats de salariés.

Des réformes, oui, mais comment ?François Hollande a prévenu : pour sortir l’économie française de l’ornière et réduire le chômage, il prendra tous les risques ! Des réformes, le gouvernement en mène, avec la loi Macron sur l’activité ou sur le fonctionnement du marché du travail, mais à son rythme et sans trop bousculer les Français.

FRANCE

Avec cette loi, l’exécutif frappe-t-il un grand coup ? « Ce n’est pas la loi du siècle », a ensuite convenu François Hollande, rappelant sur le point précis du travail dominical qu’il y a déjà « beaucoup de monde qui travaille le dimanche ». Le chef de l’État a raison. S’il peut heurter certaines sensibilités, notamment à gauche, le projet de loi Macron n’est pas franchement révolutionnaire. Il ne menace pas le modèle social français. De ce point de vue, le plafon-

nement des allocations familiales en fonction des revenus intégré au budget 2015 et voté cet automne par le Parlement fut bien plus déstabilisant. Au nom de la lutte contre le chômage, le chef de l’État est-il décidé à agir avec plus de vigueur ? Oui… et non. Tout dépend du sens que l’on entend donner au mot « réforme ». Valérie Pécresse, l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, demande à Fran-çois Hollande de « l’audace » en « cassant »

les 35 heures et en instituant le contrat de travail unique. Ce à quoi le Président a indi-rectement répondu, lors de son intervention du 5 janvier : « Faut-il tout démolir pour qu’il n’y ait plus de modèle français ? Ce n’est pas mon choix. » Une façon de répondre à ceux qui attendent, en 2015, au nom de la lutte contre le chômage, une remise en cause de fond en comble du fonctionnement du marché du travail.

LA POLITIQUE DES PETITS PAS, « À LA CHIRAC »

Pas de grand chambardement donc à attendre pour cette année. Plutôt une pour-suite de la politique des petits pas, moins spectaculaire, certes, de ce que souhaiteraient la Commission européenne, nos voisins alle-mands ou encore l’OCDE, qui n’ont de cesse d’exhorter la France à mener « des réformes structurelles, certes douloureuses, mais néces-saires », selon la formule consacrée et… écu-lée. Des réformes, la France en mène, mais à son rythme.« Il ne faut jamais bousculer la France », aimait à répéter Jacques Chirac. François Hollande semble avoir fait sien cet adage, qu’il s’agisse de la réforme territoriale, de la fiscalité des entreprises, de l’assouplissement des règles régissant le marché du travail, etc. L’année 2015 va donc plutôt se caractériser par un

approfondissement et une concrétisation de la politique de l’offre définie par le président de la République, il y a tout juste un an.Le choc de simplification sera amplifié. « Il est urgent d’agir en ce sens. La complexité peut décourager les investisseurs étrangers de s’im-planter en France », a expliqué Pascale Pérez, la directrice des affaires corporate du groupe Mars, lors du colloque «  La France se réforme » organisé le 12 janvier à Bercy par le Trésor. « La France a encore des efforts à faire dans ce domaine, car la compétition est rude avec ses voisins européens », a prolongé Christophe de Maistre, le président de Siemens France, rappelant l’épaisseur croissante du Code du travail.Très attendu par les chefs d’entreprise, le fameux pacte de responsabilité – et les 41 mil-liards, sur trois ans, d’allégements sur les prélèvements qui l’accompagnent, soit plus de deux points de PIB – entre dans les faits cette année. Ainsi, petite révolution silen-cieuse, depuis le 1er janvier, avec l’entrée en application de la réforme des allégements de cotisations sociales patronales pour les salaires inférieurs à 1,6 Smic, ajoutée à la baisse des cotisations patronales d’allocations familiales, le dispositif « zéro charge patro-nale » au niveau du Smic, annoncé le 8 avril 2014 par Manuel Valls, devient une réalité. Du moins pour les cotisations patronales relevant de la Sécurité sociale (soit environ 30 points). Il restera toujours à l’employeur à s’acquitter des cotisations pour les retraites complémen-taires, l’assurance chômage, etc.Une réforme importante qui devait améliorer la compétitivité des entreprises françaises, notamment des TPE, et contribuer à freiner encore l’évolution du coût de la main-d’œuvre. Déjà, au troisième trimestre 2014 grâce aux premiers effets du crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice), le coût horaire du travail s’établissait à 35,6 euros, en hausse de 0,5 % sur un an, contre une progression de 1,3 % pour l’ensemble de la zone euro et de 2,2 % pour l’Allemagne. Mieux, dans l’indus-trie manufacturière, la France fait mieux que l’Allemagne avec un coût horaire de 36,8 euros, en hausse de 0,6 % sur un an, contre 37,9 euros outre-Rhin, en progression de 2,3 % sur un an.

LA RÉFORME DU MARCHÉ DU TRAVAIL AVANCE MASQUÉE

L’autre révolution silencieuse en cours concerne le marché du travail. Là aussi, Fran-çois Hollande a choisi la méthode douce, ce qui n’était pas le choix initial de son premier ministre Manuel Valls ou de son ministre de l’Économie Emmanuel Macron, qui seraient davantage adeptes du passage en force.À l’origine, avec son projet de loi, Emmanuel Macron souhaitait aller très loin. On le savait très tenté d’introduire des règles remettant en cause la référence à la durée légale hebdo-madaire de 35 heures, afin de laisser à la négo-ciation d’entreprise le soin de fixer par accord le seuil de déclenchement des heures supplé-mentaires. Il voulait aussi inclure dans son projet de loi des dispositions modifiant les règles actuelles régissant le contrat de travail à durée déterminée pour ouvrir la voie au contrat de travail unique. Il aurait également souhaité revoir les dispositions relatives à la revalorisation du Smic afin de freiner son évolution. Mais sur chacun de ces points, il a dû s’autocensurer, le président de la Répu-blique ayant dit « niet » : on ne touche pas à ces sujets, sous peine de déclencher une bronca dans les rangs de la majorité.En revanche, dans l’avant-projet de loi, il était prévu d’accueillir, dans un chapitre consacré au résultat de la négociation en cours entre le patronat et les syndicats sur le dialogue social en entreprise, la question des seuils sociaux. Tout comme devaient figurer des évolutions possibles de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 relatif à « la sécurisation de l’emploi », trans-

formé en loi en juin 2013. Tout ceci a disparu. Mieux, Manuel Valls s’est soudainement rap-pelé qu’il avait un ministre du Travail, Fran-çois Rebsamen, compétent pour traiter des questions relatives à l’emploi. Ainsi, finale-ment le Premier ministre a annoncé que le résultat, positif ou négatif, de la difficile négo-ciation en cours sur le dialogue social – qui doit normalement s’achever dans les jours qui viennent – serait repris dans une loi auto-nome « que portera François Rebsamen ». Il y aura donc cette année, quoi qu’il arrive, une réforme des seuils sociaux et des institutions représentatives du personnel en entreprises. Quasiment une première depuis les lois Auroux de 1982.Mieux, François Hollande pourrait bien enterrer en douceur la question des 35 heures légales. Actuellement, depuis l’accord natio-nal interprofessionnel (ANI) du 11 janvier

2013, les entreprises rencontrant de grandes « difficultés conjoncturelles » ont la possibilité de conclure avec les syndicats un accord – majoritaire – prévoyant une baisse des rémunérations et/ou une augmentation du temps de travail en échange du maintien des emplois. Ces accords sont valables pour deux ans et sont encadrés par de très nombreux garde-fous. Trop, pour le patronat qui apporte pour preuve que seuls… cinq textes de ce type ont été conclus. Le Medef veut donc revoir les conditions de signature de ces accords qui permettent d’augmenter éven-tuellement la durée du travail sans avoir à rémunérer des « heures sup ». Sa grande demande est également d’étendre le champ du possible pour la signature de tels accords.En d’autres termes, ils ne devraient plus être réservés aux seules entreprises « en grande difficulté conjoncturelle ». Il conviendrait de

François Hollande lors de son allocution des vœux, au Palais de l’Élysée, le 31 décembre 2014. Assis devant une table qui n’est pas celle de son bureau habituel, et ostensiblement vide de tout dossier… © AFP PHOTO / POOL / IAN LANGSDON.

Un chômage endémiqueDemandeurs d’emploi de catégorie A et de catégories A, B et C en France.

Source : Pôle emploi

2 000 000Jan.

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Jan.2012

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3751 900

2169 000

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3279 500

Une croissance raplaplaCroissance en France, en % du PIB

Source : Insee

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2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

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2 2,1

0,3 0,3 0,4

provisoire

rendre possible leur conclusion également dans des entreprises qui prévoient ou veulent anticiper des difficultés à venir… C’est-à-dire, in fine, la quasi-totalité des entreprises. Or, on sait Emmanuel Macron et Manuel Valls sensibles à ce discours et aux arguments du Medef. D’autant plus que certains écono-mistes proches de l’actuelle majorité tiennent à peu près le même discours. Il s’agirait là d’une façon souple de contourner la législa-tion des 35  heures tout en bloquant les salaires. Or, le Premier ministre a annoncé qu’il « réunirait à Matignon en janvier les par-tenaires sociaux pour voir ensemble quelles amé-liorations nous pouvons apporter ».De fait, depuis la loi Larcher de 2007, tout projet de modification du code du travail doit d’abord faire l’objet d’une négociation entre partenaires sociaux. De deux choses, l’une : soit patronat et syndicats trouvent un terrain d’entente pour faire évoluer ces accords de maintien de l’emploi, ce qui ne sera pas facile ; soit, en cas d’échec, le gouvernement a les mains libres pour légiférer. Il aura alors toute latitude pour étendre le champ des accords de maintien de l’emploi… à condition de trou-ver une majorité. Mais les défections à attendre sur sa gauche seront peut-être com-pensées par un apport de voix sur sa droite. Si c’est le cas, on tiendrait là la grande réforme de 2015…Cette stratégie sera-t-elle payante pour l’exécutif ? Les fruits de ces réformes seront-ils cueillis avant 2017, permettant ainsi à François Hollande d’être un candidat sérieux à sa succession ? Rien n’est moins sûr. « Les réformes produisent leurs effets sur l’activité beaucoup plus rapidement quand elles sont lancées en période de croissance. Sinon, il faut attendre souvent plus de cinq ans », expli-quait Pierre-Olivier Beffy, chef économiste chez Exane, lors du colloque organisé par le Trésor. ■

Plus de 1 % de croissance, un pari hasardeux !En dépit de la dépréciation de l’euro et de la chute des cours du brut, la plupart des indicateurs sont dans le rouge. Si atteindre 1 % de croissance est envisageable, dépasser cet objectif semble mal parti. Et le chômage ne devrait pas reculer cette année.

F rançois Hollande est un adepte de la méthode Coué. Début 2013, le

président de la République annonçait l’inversion de la courbe du chômage pour la fin de l’année. Cet objectif ne fut pas atteint, tant s’en faut. Sa crédibilité en a terriblement souffert. En 2013, toujours, une légère embellie de la croissance au deuxième trimestre, pouvait-elle se prolonger au deuxième semestre ? L’Élysée, Matignon et Bercy annoncèrent immédiatement la reprise. Les statistiques doucheront vite leur enthousiasme.Le chef de l’État modère désormais ses accès de volontarisme, mais ne renonce pas à l’optimisme. Lors de sa rentrée médiatique, le 5 janvier 2015, François Hollande a une nouvelle fois joué le matamore en laissant entendre que dépasser la prévision de croissance du gouvernement n’était pas un objectif irréalisable. Pour mémoire, le budget 2015 a été bâti sur une prévision de croissance de 1 %, prévision qu’un certain nombre d’économistes remettent en question.

L’attitude de François Hollande s’explique facilement.

La seconde partie de son quinquennat est déjà entamée. Si son bilan en matière de chômage est mauvais, ses chances de conserver le pouvoir en 2017 sont nulles. Or, le marché de l’emploi est actuellement bloqué. En novembre et sur un an, le nombre de personnes sans emploi en catégorie A en France métropolitaine a bondi de 5,8 % pour atteindre 3,48 millions de personnes. Au total, plus de 6,17 millions de personnes étaient inscrites en novembre à Pôle emploi dans les catégories A, B, C, D et E en France et dans les DOM.Sachant qu’une croissance de 1 % est insuffisante pour absorber les 800 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, que les sureffectifs restent importants – l’Observatoire français des conjonctures économiques les estiment à 250 000 actuellement –, l’ambition élyséenne est compréhensible. Son pari peut-il réussir ? Comme l’a rappelé le président de la République, les entreprises profitent actuellement de la dépréciation de l’euro face au dollar et du repli des cours du brut et de certaines matières

premières. Depuis mai, le cours de la monnaie unique a cédé 14 %. Quant à ceux du brut, ils ont chuté de 50 % sur la même période ! Composé de 24 matières premières, l’indice de référence S&P GSCI a chuté de 30 % en 2014, clôturant le mois de décembre au plus bas depuis mars 2009. En partie grâce à ces stimuli, le PIB tricolore devrait progresser de 0,3 % au premier et au deuxième trimestre selon l’Insee, fixant à 0,7 % l’acquis de croissance à la fin juin.Mais sans ces facteurs exogènes, la reprise est fragile. Amorcée en 2013, la politique de l’offre ne peut seule relancer l’activité. La montée en puissance du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) et la mise en place des allégements de cotisations patronales prévues par le Pacte de responsabilité au 1er janvier, à la même date, ne sont pas des leviers assez puissants pour relancer l’investissement et restaurer la confiance des dirigeants. Même les dirigeants d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui sont les entreprises ayant le mieux résisté à la crise, ont le moral

en berne. Selon l’Observatoire Banque Palatine des PME-ETI, seuls 14 % des dirigeants interrogés ont confiance dans la capacité de rebond de l’économie française. Un pourcentage très en dessous de la moyenne observée depuis le début de l’année (20 %). « Si l’amélioration de leurs perspectives de demande à l’automne se poursuit, leurs dépenses pourraient plus franchement accélérer. À l’inverse, si la confiance des chefs d’entreprise rechutait, leur attentisme pourrait peser plus encore sur leurs décisions de dépenses », anticipe l’Insee.Tant que les carnets de commandes seront vides, ou presque, que l’exportation ne sera qu’une éventualité pour la plupart des entreprises – seules 120 000 sur trois millions exportent chaque année –, celles-ci continueront à limiter leurs embauches. Il ne manquerait plus que les ménages décident d’épargner et non plus de consommer. C’est ce que prévoit justement la dernière enquête de conjoncture sur le moral des ménages publiée par l’Insee. Si tel devait être le cas, François Hollande pourrait encore rater son pari. ■ F. PILIU

41 milliards d’euros, c’est le montant, sur trois ans, des allégements sur les prélèvements liés au pacte de responsabilité.

I 2726 ILA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

DÉFIS 2015

PAR ROMARIC GODINL’ année 2014 a été celle

de la déception pour l’économie de la zone euro. La reprise tant attendue n’est pas venue. Pire même, l’activité économique s’est affaiblie, après

un premier trimestre encourageant. Au troi-sième trimestre, la croissance des trois grands pays de la zone, Allemagne, France et Italie, ont été proches de zéro (0,2 %, 0,3 % et - 0,1 % respectivement). L’ensemble de la zone euro n’a progressé que de 0,2 %. Sept ans après le début de la crise finan-cière, la zone euro a semblé encore faire du surplace. Au point qu’elle est devenue « l’homme malade du monde », inquiétant les organisations internationales et les diri-geants des pays tiers qui voient dans l’apa-thie de l’Union économique et monétaire un poids lourd à traîner pour le reste de l’économie mondiale.L’année 2015 sera-t-elle celle de la reprise ? Plusieurs signes peuvent le laisser penser et plusieurs conditions le font espérer. Depuis octobre, les indicateurs avancés se redressent et sont revenus dans le vert. L’indice composite des acheteurs (les res-ponsables des achats) PMI de l’institut de conjoncture Markit, pour la zone euro en janvier, s’est ainsi amélioré en un mois de 51,1 à 51,4. En Allemagne, l’indice Ifo du cli-mat des affaires s’est fortement redressé en novembre et décembre. Les conditions sont, il est vrai, meilleures pour les exportateurs européens, notamment avec l’accélération de la baisse de l’euro, alimentée par le dif-férentiel de politique monétaire et de crois-sance entre les États-Unis et la zone euro.L’économie étatsunienne a progressé de 4,6 % au troisième trimestre et la Réserve fédérale américaine s’est clairement engagée dans un processus de « normalisation » de sa politique monétaire, avec une sortie pro-grammée de sa politique de rachats de titres et une hausse possible des taux. Au moment même où la BCE envisage d’entrer dans l’assouplissement quantitatif et a ramené ses taux à un niveau plancher, 0,05 %. Logi-quement, l’euro s’est donc effondré, passant de 1,36  dollar au 1er  juillet à moins de 1,18 dollar en ce début d’année. Soit un recul

La zone euro, « l’homme malade du monde »Malgré la reprise américaine et un climat plus favorable avec la baisse de l’euro et des prix du pétrole, la croissance européenne restera insuffisante en 2015. Tous les regards sont désormais tournés vers la Banque centrale européenne et la mise en œuvre d’une politique d’assouplissement quantitatif.

EUROPE

de près de 15 % et un niveau jamais vu depuis 2006. Tout cela améliore mécaniquement la compétitivité des produits de la zone euro sur les marchés mondiaux.

DES CONDITIONS DE REPRISE INSUFFISANTES

D’autant que cette baisse de l’euro s’accom-pagne d’une baisse du prix du pétrole et de l’énergie. Avec un baril de brut de la mer du Nord désormais en dessous de 50 dollars, les coûts des entreprises sont nettement réduits. Enfin, le mouvement de consolida-tion budgétaire, s’il n’a pas disparu, s’est réduit dans de nombreux pays, notamment à la périphérie. L’austérité a marqué le pas en Espagne, en Italie, en Grèce et au Portu-gal. La politique budgétaire française est moins centrée sur la réduction du déficit. À cela s’ajoute une lente mais sûre améliora-tion des conditions de crédit, une réduction

de l’écart des taux demandés par les banques entre les pays périphériques et le centre de la zone euro et une politique monétaire très accommodante. Bref, toutes les conditions de la reprise sont là.Pourtant, cette « reprise » pourrait bien, cette année comme lors de la précédente, être faible et, pour tout dire, insuffisante. Certains prévisionnistes tablent ainsi encore sur une croissance qui sera infé-rieure à 1 % l’an prochain. C’est le cas de ceux de Goldman Sachs, qui estiment que la croissance de la zone euro ne devrait pas dépasser 0,9 % en 2015. Les experts de la Commission européenne et de la BCE sont plus optimistes et tablent sur des crois-sances de 1,8 % et 1,6 % respectivement. Mais les deux institutions ont revu large-ment à la baisse ces prévisions lors de leurs dernières estimations. Et quoi qu’il en soit, ces chiffres restent globalement très faibles.Pourquoi ? La première raison réside dans la conjoncture mondiale. La zone euro a mis en place une stratégie économique fon-dée sur les exportations. Mais, même ren-dus meilleur marché par la baisse de l’euro, les produits européens ne pourront se vendre que s’ils trouvent preneurs. Autre-ment dit, s’il y a une demande. Or, les conditions ne semblent pas réellement réu-nies pour qu’il existe un dynamisme de cette demande mondiale. Il convient de ne pas oublier que si le prix du pétrole baisse, c’est d’abord le signe d’une anticipation de ralentissement de la croissance mondiale. Certes, la croissance étatsunienne peut aider, mais elle demeure fragile et incer-taine. La Chine, longtemps moteur de la demande, notamment en biens d’équipe-ment, ralentit et a entamé son «  grand virage » vers une économie plus équilibrée entre demande intérieure et extérieure. Bref, sa demande va manquer de dyna-misme. Le Japon reste englué dans l’apathie et ne peut guère aider la zone euro. Enfin,

les grands pays émergents seront soit péna-lisés par la hausse des taux américains et du dollar, soit, comme la Russie, par la baisse du prix du pétrole. Bref, si les expor-tations européennes s’améliorent, leur pro-gression sera nécessairement faible. D’au-tant que, pour plusieurs pays de la région, la part des exportations dans le PIB n’est pas suffisante pour soutenir la croissance.

LA CONSOMMATION DES MÉNAGES, MOTEUR POUSSIF

Or, la demande intérieure reste atone en zone euro. Certes, la consommation aug-mente en Allemagne. Mais cette accrois-sement demeure réduit au regard de la situation du marché de l’emploi outre-Rhin. Alors que, en décembre, le chômage en Allemagne était au plus bas depuis la réunification, les ventes au détail n’ont crû en 2014, selon l’Office fédéral des sta-tistiques Destatis, que de 1,1 % à 1,3 %. Une progression nettement insuffisante pour créer une croissance soutenue et jouer favorablement sur le reste de la zone euro. Ailleurs, la consommation tient tant bien que mal en France, entame un certain rat-trapage en Espagne, mais reste faible en Italie. Là aussi, comme pour les exporta-tions, la consommation des ménages demeure un moteur poussif. D’autant que, là non plus, les conditions ne sont pas radieuses. On ignore encore l’effet à moyen et long terme des actions terro-ristes en France. Par ailleurs, en Italie comme en France, le chômage a fortement progressé. De l’autre côté des Alpes, il a atteint en décembre 13,4 % de la popula-tion active. Rappelons également que, malgré sa baisse, il reste à 23,7 % en Espagne. Difficile dans ces conditions d’espérer compter sur la consommation.Restent deux leviers possibles : l’investis-

sement et les États. A priori, le premier levier est tout aussi atone que les autres. D’abord parce que les moyens d’investir sont faibles. Les marges reculent partout et l’inflation faible commence à peser lourd. Depuis octobre 2013, la hausse des prix à la consommation est inférieure à 1 %, et est même devenue négative en décembre. Sur-tout, l’inflation sous-jacente, qui exclue les prix de l’énergie et de l’alimentation, est comprise, depuis cette date, entre 0,7 % et 1 % par an. Cela obère naturellement toute envie d’investir, notamment dans l’outil industriel. Les prix à la consommation des produits industriels ont ainsi affiché des baisses annuelles au cours de onze des quinze derniers mois… En novembre, ils ont reculé de 0,7 %.

DES « ABENOMICS » À L’EUROPÉENNE ?

Mais parmi les raisons qui empêchent l’investissement, il y a aussi le manque de perspectives. Pourquoi investir lorsque la demande des ménages et du reste du monde demeure faible ? À quoi bon miser sur une croissance future lorsque l’on sait que la construction institutionnelle de la zone euro maintient durablement le risque d’un retour de l’austérité et réduit l’inves-tissement public ? Comment ne pas se montrer prudent quand cette longue période d’inflation faible menace de se muer en déflation ?Reste donc l’option de la relance. L’idée a été avancée au début du second semestre 2014, notamment par le président de la BCE Mario Draghi dans son discours devenu fameux de Jackson Hole (Wyo-ming). Il y proposait des « Abenomics » à l’européenne pour sortir du marasme éco-nomique, fondés sur trois piliers : une poli-tique monétaire très agressive, des « réformes structurelles » et une relance au niveau européen. Ce programme est resté lettre morte et même la BCE n’ose plus l’évoquer. Berlin a mis un veto de fait à toute véritable relance. Le seul geste dans ce sens est le « plan d’investissement » lancé par Jean-Claude Juncker en juin prochain. Ce plan espère pouvoir générer 315 mil-liards d’investissements en deux ans, mais principalement par des investissements privés, sans vrai apport public et avec des garanties portant uniquement sur un quin-zième de l’objectif visé. Bref, l’effet sur la conjoncture restera faible.Quant aux États membres, leur marge de manœuvre est réduite. La logique du semestre européen ne permet guère de déga-ger des marges de manœuvre. Tout juste, comme dans les cas français et italiens, peut-on suspendre temporairement une consoli-dation trop rapide. Mais la menace de nou-velles coupes budgétaires persiste. Quant à ceux qui pourraient agir parce qu’ils sont à l’équilibre budgétaire – et à qui Mario Draghi a demandé d’agir –, autrement dit les Alle-mands, ils ont refusé de changer de politique budgétaire. Le ministre fédéral allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, n’a pas voulu abandonner son objectif d’équilibre pour le budget fédéral. Sa seule concession est déri-soire : une augmentation de l’investissement public allemand de 10 milliards d’euros à partir de 2016 et sur trois ans, si cela ne remet pas en cause l’équilibre budgétaire… Pas assez pour peser positivement sur la conjoncture européenne.La croissance de l’Union est donc condam-née à rester faible. Voire pire, car si les conséquences économiques et sociales de la stratégie d’austérité sont encore en par-tie responsables de la situation d’apathie de l’économie européenne, les consé-quences politiques restent à venir. Le rejet des alternatives de la part des gouverne-ments en place fait monter des mouve-ments politiques nouveaux qui réclament

des politiques différentes. Mais une partie de la zone euro, notamment l’Allemagne, résiste à cette volonté.

VERS UN ASSOUPLISSEMENT QUANTITATIF

La tension entretenue par Berlin autour du « Grexit », de l’éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro en cas de victoire le 25 janvier de Syriza, le parti de la gauche radicale, oppo-sée à l’austérité, montre combien cette situa-tion est explosive. Or, en 2015, plusieurs élections importantes vont avoir lieu, notam-

ment en Espagne en fin d’année, où un autre parti anti-austérité, Podemos, devrait mettre fin au bipartisme traditionnel. Ces incerti-tudes vont aussi peser sur l’activité.Face à ces doutes et ses faiblesses, la BCE se retrouve donc seule pour redynamiser la zone euro. Désormais, il semble que le lan-cement d’un programme d’assouplissement quantitatif (QE, de quantitative easing) incluant des rachats massifs d’obligations d’État soit inévitable. Certains pensent que ce programme pourrait intervenir dès la réu-nion du 22  janvier, mais les élections grecques pourraient en repousser l’annonce à la réunion suivante, six semaines plus tard,

Le 15 novembre 2014, Pablo Iglesias (au centre), entouré de dirigeants de l’organisation, est intronisé secrétaire général de Podemos dans un théatre de Madrid. Podemos est une fomation politique de la gauche radicale, issue du mouvement des Indignés. Elle conteste fortement la politique d’austérité du gouvernement espagnol de centre-droit.© AFP PHOTO / DANI POZO

Un syndrome de déflation à la japonaiseTaux d’inflation dans la zone euro à 18, en rythme annualisé.

Source : Eurostat

Dec.2014

Nov.2014

Jan.2014

Jan.2013

Jan.2012

Jan.2011

Jan.2010

Jan.2009

Jan.2008

Estimation-0,2%

Provisoire0,3%

3,2%

-1%

0%

1%

2%

3%

4%

5%

Une reprise trop molleCroissance dans la zone euro, en % du PIB

Source : OCDE

2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014-5

-4

-3

-2

-1

0

1

2

0,5

-4,5

2 1,6

-0,7 -0,5

Prévision

0,8

le 5 mars. Après l’échec de son programme de Jackson Hole, la BCE ne peut plus faire l’économie d’une mesure forte pour tenter de redresser la croissance et de relancer l’économie. Mais le « QE » à l’européenne passera sans doute par une voie étroite.Selon un document récent publié par le quo-tidien néerlandais Het Financieele Dagblad, le QE pourrait prendre l’une de ces trois formes : soit un rachat d’obligations en pro-portion de l’actionnariat de la BCE réalisé par la BCE directement, soit le même rachat réalisé par les banques centrales nationales, soit enfin le rachat des seules dettes d’État notées AAA, autrement dit avant tout de dette allemande. Ces options tentent de limi-ter les achats de titres risqués et de rassurer la Bundesbank. En réalité, la plupart des éco-nomistes ne comptent guère sur ce QE pour relancer l’économie européenne. L’effet sur la confiance sera sans doute faible et réduit par les précautions prises par la BCE pour rassurer l’Allemagne. Quant à l’effet sur les marchés et sur l’euro, il ne sera pas négli-geable, mais il ne règle pas le problème de la demande. Le QE ne sera pas la solution miracle. Peut-être permettra-t-il seulement de contenir le risque de déflation.Le monde va donc devoir faire avec une zone euro faible. Or, cette faiblesse alimente celle de la croissance mondiale qui, en retour, alimente l’apathie européenne. Un cercle vicieux que seule l’Europe pourrait briser. Mais la divergence radicale entre l’Allemagne et plusieurs autres États membres empêche désormais la zone euro de prendre les mesures nécessaires pour sortir du marasme. ■

La Banque Postale Asset Management, société de gestion du FCP LBPAM ACTIONS DIVIDENDES EUROPE, vous informe des modifi cations suivantes qui seront apportées au FCP à compter du 21 janvier 2015 :

1/ Modifi cation de l’objectif de gestion :Pour plus de clarté, l’objectif de gestion du FCP sera modifi é comme suit :Rédaction actuelle : «L’objectif de gestion du FCP est d’offrir une performance liée aux marchés actions de l’Espace Economique Européen et de la Suisse en mettant l’accent sur le rendement via l’exposition sur des valeurs que nous jugeons capables de verser des dividendes élevés et pérennes.»Nouvelle rédaction : «L’objectif de gestion du FCP est de sélectionner des valeurs européennes que la société de gestion juge capables de distribuer des dividendes élevés et réguliers, sans contrainte liée à un indice, tout en cherchant à réduire la volatilité du portefeuille.»

2/ Modifi cation de la part actuelle / Création d’une part RLa part actuelle du FCP sera renommée part ID et deviendra une part plus particulièrement destinée aux personnes morales avec un minimum de souscription de 1 000 000 euros.Concomitamment, il sera procédé à la création d’une part R destinée plus particulièrement aux personnes physiques.

Les caractéristiques de ces 2 parts seront les suivantes :

Les autres caractéristiques du FCP demeureront inchangées.

Vous retrouverez la totalité de ces informations dans les documents d’information clé pour l’investisseur et le prospectus de LBPAM ACTIONS DIVIDENDES EUROPE qui seront mis à jour en date du 21 janvier 2015 et disponibles à compter de cette date sur le site internet www.labanquepostale-am.fr (1).

(1) Coût de connexion selon le fournisseur d’accès.

AVIS FINANCIERINFORMATION à l’attention des porteurs du FCP LBPAM ACTIONS DIVIDENDES EUROPE

(code ISIN : FR0010711085)

LA BANQUE POSTALE ASSET MANAGEMENTsociété de gestion de portefeuille ayant obtenu l’agrément AMF n° GP 95015

34 rue de la Fédération - 75737 Paris cedex 15S.A. à directoire et conseil de surveillance au capital de 5 099 733 euros - RCS : Paris B 344 812 615

MODERNISATION ASCHER VINCENT, ASSOCIÉ AU DÉPARTEMENT COMMERCE DE CUSHMAN & WAKEFIELD

« IL N’Y A PAS DE RAISON QUE LES CHAMPS-ÉLYSÉES SE FIGENT » S’étendre en hauteur ou en largeur, rénover ses galeries, s’équiper de nouvelles technologies... L’avenue des Champs-Élysées, l’artère la plus chère d’Europe parcourue chaque année par 20 millions de touristes, s’interroge sur son futur. Le comité des Champs-Élysées a récemment sollicité l’architecte Jean-Paul Viguier pour imaginer son avenir. Les détails analysés par Vincent Ascher, associé au département Commerce du cabinet Cushman & Wakefield.

LA TRIBUNE — Pourquoi l’évolution de la valeur locative des espaces commerciaux fluctue-t-elle autant aux Champs-Élysées ?Il est rare de voir plus de quatre ou cinq transactions par an, puisqu’il existe 130 unités commerciales. Le droit français diffère du droit anglo-saxon. Sur la 5e Avenue à New York, le rythme des transactions est plus élevé. Le cadre juridique français conduit au renouvellement et la conservation des enseignes sur leur emplacement d’origine.Cela dit, nous observons une croissance linéaire et constante des valeurs locatives depuis cinq ou six ans pour les zones A. Il faut prendre en considération les formats. Les boutiques des Champs-Élysées sont considérées comme des « flagships » (des magasins-amiraux) mais leur taille est assez faible par rapport à la 5e Avenue ou à certaines villes d’Asie. On trouve cinq unités supérieures à 2 000 m2 et une seule supérieure à 5 000 m2 (l’espace convoité par les Galeries Lafayettes occupe environ 8 000 m2, ndlr).

Si les prix augmentent, quelle tactique l’emportera ? Des boutiques plus petites avec des objets en démonstration vendus ensuite sur Internet ou de très grands magasins, moins nombreux, mais proposant des services nouveaux ?Les deux stratégies coexistent selon

le positionnement des enseignes, l’image qu’elles veulent véhiculer. Les enseignes grand public et fast fashion, les enseignes renouvelant fréquemment les collections, comme Zara, vont plutôt opter pour de grandes surfaces, et les plus haut de gamme chercheront des formats plus petits. La situation des Champs-Élysées avec des pieds d’immeubles pour les commerces et des bureaux en étage limite les possibilités d’extension. Cela pose donc des questions sur l’avenir des Champs-Élysées d’un point de vue commercial. À Londres, notamment à New Bond Street, la tendance est à la récupération d’étages supérieurs pour les transformer en espaces de vente.

Sur les Champs-Élysées, faudrait-il augmenter la hauteur des immeubles ?Les immeubles de bureaux sont considérés par certaines entreprises comme relativement obsolètes par rapport aux standards internationaux. Peut-être qu’un axe de développement serait en effet d’étendre la surface commerciale par rapport aux bureaux. Des réflexions en ce sens ont déjà été lancées sur certains immeubles. Il faudrait aussi remettre en valeur des terrasses pour les rendre exploitables, sur le modèle des rooftops, « les toits-terrasses » new-yorkais tout en conservant la cohérence

architecturale. Cela commence à se faire à Paris avec le toit du BHV ou le restaurant Le Perchoir. Que faire des galeries des Champs-Élysées ?Il est vrai qu’elles ne sont pas forcément valorisées comme elles le pourraient. Un travail d’amélioration architecturale serait intéressant. C’est l’une des réflexions de l’architecte Jean-Paul Viguier qui a travaillé sur l’épaisseur de l’avenue, pas seulement sur son axe. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit aussi d’un lieu de vie où les gens travaillent et habitent, même s’il y a de moins en moins de résidents.L’autre aspect du renouvellement concerne les terrasses de café et de restaurants relativement mal intégrées au paysage urbain.

Ensuite, il y a une réflexion intéressante sur le trafic routier pour faire coexister les cars de touristes, les voitures des riverains, etc. Le dernier sujet, ce sont les espaces verts. Une « forêt connectée » a été évoquée avec l’idée d’intégrer le jardin des Tuileries dans la perspective, pour en faire un lieu d’exposition. Des balises de géolocalisation envahissent les rues commerciales. Si c’est le cas entre la Concorde et la place de l’Étoile, comment l’investissement sera-t-il réparti ?Londres a sauté le pas. Paris, à ma connaissance, non. Il y a une question de société derrière cela. Cela soulève une autre problématique : faut-il considérer les Champs-Élysées comme un

centre commercial à ciel ouvert ? Je n’ai pas la réponse !

Quel sera l’impact de la création de nouvelles zones touristiques à Paris pour les Champs-Élysées ?Difficile d’apporter une réponse précise alors que le débat politique et économique est en cours. Mais les touristes étrangers qui visitent les grands magasins du boulevard Haussmann pendant la semaine ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui vont sur les Champs-Élysées. En outre, cette avenue est une vitrine, touristes et Français y viennent le dimanche en partie pour consommer mais pas seulement, les promeneurs ne sont pas obligatoirement acheteurs. L’ouverture dominicale pourrait être aussi pour les enseignes l’occasion de communiquer différemment car le client est moins pressé que les autres jours de la semaine et est plus enclin à la découverte de nouveaux concepts. Dans les zones touristiques, le chiffre d’affaires généré le week-end est généralement supérieur aux autres jours. Par ailleurs, élargir les zones touristiques permettrait de désengorger ces zones. Le Marais — également une zone touristique — en est un bon exemple, la concentration y est très importante. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR MARINA TORRE

ENTREPRISES I 29

LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

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Pendant que les Champs-Élysées réfléchissent à leur avenir, Regent Street a déjà engagé une mue numérique, à l’image de la capitale britannique. Pas moins de 1 milliard de livres doit être investi sur vingt ans pour moderniser cette rue, et assurer la rentabilité des magasins face au e-commerce.

Sur ses façades grises, Regent Street a revêtu ses atours de Noël. En cette fin novembre 2014, la foule attend la fin de semaine pour s’agglutiner dans ces immenses «  boutiques-amirales » qui font la renom-

mée de l’artère londonienne. Plus que le style géorgien de cette perspective créée au début du XIXe siècle par l’architecte John Nash. Si le lèche-vitrines tel que nous le connaissons a pris son envol ici, sous les colonnades du Quadrant, c’est aussi là qu’il se réinvente. Car deux cents ans après sa naissance, Regent Street devient e-commerçante, voire m-com-merçante. Elle est la première rue à s’être dotée d’une application mobile connectée à des puces électroniques dissimulées le long de sa célèbre courbe.De quoi donner des idées à l’avenue des Champs-Élysées, où l’association des com-merçants a réuni historiens, urbanistes et commerçants, le 24 novembre, pour réfléchir à l’avenir de l’artère parisienne (lire l’entretien ci-contre). Sa cousine britannique a entamé une cure de jouvence en 2004. Elle n’en est qu’à la moitié du parcours et n’a pas lésiné sur les moyens pour ce ravalement. Montant de l’investissement prévu  : 1 milliard de livres !Il faut dire qu’elle bénéficie d’un soutien de taille, puisque ses murs appartiennent principalement au Domaine royal (« Crown Estate »). L’administrateur des actifs royaux en gère les immeubles sur plus d’un kilo-mètre de façade, ce qui en fait la plus grande surface de l’Ouest londonien détenue par un seul propriétaire. Comme le Trésor impose de « maximiser ses atouts pour le bénéfice du contribuable », rien d’étonnant à ce que ce joyau soit mis à disposition pour des opéra-tions commerciales. Cette année par exemple, les illuminations sont sponsorisées par le dis-tributeur des films « Une nuit au Musée »...

Et les glaces Mag-num y ont fêté leur anniversaire lors de l’un des dimanches estivaux où la circu-lation automobile est bloquée.Outre des travaux, le milliard de livres finance des initia-tives comme l’appli-

cation mobile citée plus haut. Uniquement disponible sur le système d’exploitation d’Apple, et pas encore traduit en chinois, ce service vise à guider les visiteurs selon leurs goûts, tout en leur proposant des promotions lorsqu’ils passent devant un magasin partenaire. « Aucune donnée privée n’est exigée, aucune information n’est conservée, assure Chelsea Peterson, représentante du « Crown Estate ». Nous ne savons donc pas qui des 60 000 personnes l’ayant téléchargée sont Londoniens et lesquels sont étrangers. »Reste que la cible privilégiée des commer-

çants provient bien des pays émergents, qu’ils soient moyen-orientaux, sud-améri-cains ou chinois. Le futur visa simplifié que concocte le gouvernement de David Came-ron doit permettre d’en attirer de nouveaux dans la capitale britannique : ceux qui se contentaient jusque-là du visa Schengen pour un tour des capitales du continent. Raison de plus pour leur dérouler le tapis rouge. « Le site Internet de Regent Street est déjà traduit en chinois, et nous sommes présents sur les réseaux sociaux populaires en Chine, comme Wechat », explique Chelsea Peterson.Déjà, « nous voyons surtout des Japonais, des Chinois et des gens du Moyen-Orient, mais assez peu de Londoniens », confirme, dans la boutique Karl Lagerfeld, une vendeuse fran-çaise, venue comme beaucoup de compa-triotes parfaire son anglais en travaillant dans un magasin londonien. Le lieu, récemment ouvert par le designer de Chanel, se donne une touche moderne avec des mini-iPads suspendus aux tringles qui diffusent des images de défilés. Quand leur batterie n’est pas déchargée...

UN MUSÉE EN PLEIN AIR

Côté high-tech, le modèle se trouve quelques mètres plus bas, dans l’ancien cinéma occupé par Burberry. Là, des écrans exposent en taille réelle les pièces choisies par les clients via des clips de mannequins arborant les modèles sur les podiums, histoire d’éviter de passer en cabine les jours d’affluence. Quant aux vendeurs, écouteur vissé à l’oreille et écran tactile collé à la main, ils sont aux aguets. L’un explique que sa tablette lui sert surtout à vérifier dans le stock si un produit est disponible. Une autre vendeuse propose

de commander un article sur place pour une livraison à Paris. Pour un client qui souhai-terait essayer avant d’acheter, elle scanne une puce électronique RFID placée sur une étiquette, trouve la référence, et vérifie que l’une des boutiques parisiennes dispose bien d’un exemplaire. Avant d’en noter la réfé-rence avec un antique stylo sur une tout aussi ancienne carte de visite en papier.La technologie ne s’est pas infiltrée partout. Les touristes perdus recherchent encore les plans affichés aux croisements clés. Pour trouver le réseau wi-fi, mieux vaut se rendre dans les cafés des rues piétonnes adjacentes annexées par Regent Street. Ces lieux sont dédiés aux pauses, par contraste avec l’artère principale qui ne s’arrête jamais, même pas le dimanche.À Heddon Street par exemple, le chef vedette Gordon Ramsay vient d’inaugurer un restau-rant. Dans un recoin de passage ayant servi de décor à la pochette de l’album du chanteur David Bowie trône l’iconique cabine télé-phonique qui figure aussi sur la photo. Une anecdote mise en avant dans la prochaine version de l’application Regent Street. Tout comme le parcours culturel qui fait découvrir les treize œuvres d’art installées dans la rue et ses dépendances.« C’est plus qu’une rue, c’est une destination », s’exclame Chelsea Peterson en vantant l’astuce. Car il faut bien trouver de nou-velles façons d’attirer les visiteurs afin qu’ils passent plus de temps à déambuler sur ces trottoirs bondés, et un peu moins à faire leurs emplettes en ligne. La décoration intérieure des boutiques suit la même logique, comme ce bar à gin au premier étage du magasin pour hommes Hackett, ou le restaurant-gale-rie d’art Sketch, accessible uniquement sur rendez-vous et dont les trois salles changent

leurs spectaculaires décors tous les ans pour faire revenir les connaisseurs. Un lieu où tout est à vendre, des tableaux aux tasses de thé. Bientôt, dans l’université de Westminster, un cinéma ouvrira ses portes. Un mouvement à rebours des Champs-Élysées, où les salles obscures ont tendance à fermer.

UNE ADRESSE MONDIALE À PRIX D’OR

De même, quand le nombre de magasins augmente sur l’artère parisienne, passant de quelque 130 en vingt ans, ils diminuent chez sa rivale anglaise. Mais ils prennent plus de place. C’est stratégique pour les enseignes qui se sont offert le luxe d’une présence sur le « Mile of Fashion ». Elle y coûte en 2014 près de 2,5 fois moins qu’une adresse sur les Champs-Élysées – la plus chère d’Europe avec une valeur locative de 13 300 euros du mètre carré en moyenne, selon le cabinet Cushman & Wakefield. Mais ici, la valeur se mesure à la place occupée en « zone A », c’est-à-dire au plus près de la vitrine, sous les yeux des passants. À Regent Street, elle vaut 5 500 euros par mètre carré et par an. Les nou-veaux arrivants ajoutent une prime lors de l’emménagement, soit par exemple 5 mil-lions d’euros déboursés par Hackett, qui a remplacé Ferrari aux numéros 193-197.Sous la pression d’un prix trop élevé qui a condamné sa rentabilité, l’illustre Dickins & Jones y a fermé ses portes en 2006, remplacé depuis par la filiale de Gap, Banana Republic. Désormais, les marques « vont et viennent » sans qu’un espace reste longtemps inoccupé, pointe la porte-parole. Pour les multinationales

Regent Street, la rue connectée, défie les Champs-Élysées

REPORTAGE

PAR MARINA TORRE

@Marina_To

Londres revêt ses plus beaux atours, à Noël. Pour s’en mettre plein les mirettes et s’adonner au plaisir du shopping, le Hamleys Toy Store, le plus grand magasin de jouets du monde, est une adresse incontournable sur Regent Street.© STUART C. WILSON/GETTY IMAGES)

5 500 euros le mètre carré, c’est la valeur locative moyenne des magasins situés sur Regent Street, contre 13 300 euros sur les Champs-Élysées.

capables d’en supporter le coût, le but consiste avant tout à y être pour exis-ter dans l’esprit d’un consommateur au pouvoir d’achat élevé. Y voisinent ainsi les Français Longchamp et Vilebrequin, avec le géant espagnol Zara (Inditex), mais aussi H&M ou les Américains Hol-lister, Anthropologie, et bien sûr Apple qui, pour son premier temple high-tech

européen, a investi une ancienne église.De même, griffes de luxe et enseignes plus bas de gamme s’y côtoient, même si la rue tient à se distinguer d’Oxford Street, plus populaire, mais dont le prix au mètre carré est relativement plus élevé. Signe de la rivalité entre les quar-tiers : pas question d’étendre la couver-ture de l’application Regent Street à la

toute proche mais plus rock & roll zone de Carnaby. Là, «  les visiteurs sont plus jeunes. À Regent Street, ils viennent pour les “lagship store’’, avec un passage obligé au magasin de jouets Hamleys où je ne mets plus les pieds depuis l’enfance », confie la Londonienne Chelsea Peterson.Dans la ville, d’autres lieux s’adressent historiquement à un public plus huppé,

comme New Bond Street ; ou bien s’y spécialisent : à Covent Garden, plusieurs groupes de luxe ont choisi d’y décli-ner leur offre beauté, comme Chanel, Dior, l’incontournable Burberry et son salon dédié, sans caisse fixe mais ultra-connecté, ou encore un « laboratoire » de la marque Clinique, lui aussi doté de gadgets numériques. ■

Des protège-cahiers au porte-chéquier, en passant par les matelas à langer, les revêtements de sols... et les centrales nucléaires ! Les films PVC souples de Travyl (Basse-Normandie) sont employés dans bien des industries. «Quand j’ai repris la société il y a sept ans, nous réalisions 87% de notre chiffre d’affaires dans le secteur de la papeterie, presque exclusivement sur le marché français. Aujourd’hui, notre expertise est mobilisée dans la puériculture, les objets publicitaires et par les industriels, et un cinquième de nos revenus proviennent de l’export», se réjouit Luc Chavany, le PDG de Travyl, qui a réalisé près de 6 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014. Pour mener à bien sa diversification, cette société normande basée à Biéville-Quetieville a fait appel à Bpifrance. «Dès la reprise de Travyl, Bpifrance nous a accompagnés, en apportant sa garantie sur notre montage financier. Cela a été un gros coup de pouce pour conclure l’opération avec nos banques.» Ensuite, Bpifrance

a accordé à Travyl deux aides remboursables, de 100.000 euros chacune. «Nous avons également été admis au sein du réseau Bpifrance Excellence, qui nous permet d’échanger avec d’autres entrepreneurs innovants. Etant implantés au fin fond du Pays d’Auge, nous n’aurions pas eu si facilement accès à autant de contacts avec des industriels comme des institutionnels», sourit Luc Chavany. En 2015, il envisage de développer son offre à destination des industries du nucléaire. Il a d’ailleurs rejoint l’association Nucléopolis, qui concentre les expertises dans le nucléaire médical et civil en Basse-Normandie. Cette année, il entend aussi accélérer à l’international, notamment en Afrique. Et pourquoi pas, de solliciter une aide à l’export de Bpifrance. «Nous avons noué une relation de proximité avec les équipes de Bpifrance. Elles sont abordables et réactives. Elles ne laissent aucune question sans réponse !» Travyl emploie 30 salariés en France.

Travyl, des films à succès

avec eT

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Luc Chavany, le PDG de Travyl

© T

ravy

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Pour la première fois, le 31 décembre 2014, les Champs-Élysées ont été le théâtre d’un formidable spectacle d’animation festive, pour le plus grand plaisir des Parisiens et des touristes. © CITIZENSIDE/JALLAL SEDDIKI

MÉTROPOLESI 3130 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

Maladie d’Alzheimer, maladie de Parkin-son… D’ici à 2030, le nombre de malades doublera si aucun remède n’est trouvé. Dans

ce domaine des neurosciences, l’Aquitaine entend être à la pointe au niveau mondial. Elle rassemble déjà 650 chercheurs de haut niveau. Et, avec Neurocampus, qui va réunir à l’été 2016 sur 15 000 m² l’Institut des mala-dies neurodégénératives (IMN), l’Institut interdisciplinaire de neurosciences (IINS) et une partie du Bordeaux Imaging Center (BIC), elle va disposer d’un outil, qui va lui permettre de franchir un nouveau cap. Ce sera un « carrefour » des neurosciences qui va regrouper 450 chercheurs spécialisés. Neu-rocampus devrait créer des synergies et inci-ter les différentes équipes à travailler davan-tage ensemble sur des projets d’envergure. « L’objectif est de faire de l’Aquitaine l’une des grandes places des neurosciences sur la scène internationale », lance Alain Rousset, le pré-sident de la Région Aquitaine.

L’investissement du conseil régional dans Neurocampus est à la hauteur des ambitions : pas moins de 65 millions d’euros, dont 20 mil-lions pour l’accompagnement des projets des chercheurs. « Neurocampus va donner une visi-bilité internationale à Bordeaux dans les maladies neuropsychiatriques et neurodégénératives », met en avant Pier-Vincenzo Piazza, directeur de recherche à l’Inserm et coordinateur du projet. Directement connecté au Neurocentre Magendie et à la plate-forme génomique fonc-tionnelle, dans un écosystème particulière-ment riche, à proximité de l’Inserm et du CHU de Bordeaux, il va permettre d’optimiser les interactions entre chercheurs et cliniciens en neurologie, neurochirurgie, rééducation et innovation thérapeutique.« En Europe, Bordeaux fait déjà partie des tout premiers centres dans les neurosciences. Ce n’est pas un hasard si l’école européenne de neuros-ciences a été installée ici », fait remarquer Daniel Choquet, directeur de l’Institut interdiscipli-naire de neurosciences. Le projet Neurocam-pus est l’aboutissement d’une rencontre, impulsée par le conseil régional, le 21 mai 2007, avec tous les acteurs régionaux du sec-

teur pour bâtir une stratégie de développe-ment des neurosciences en Aquitaine. Ensuite, la Région a créé plusieurs outils pour stimuler la recherche, en construisant notam-ment l’institut consacré au transfert de la recherche clinique et l’Institut des maladies neurodégénératives. Dans le même temps, la Région a contribué à fédérer les chercheurs en structurant, par exemple, l’ensemble des services en imagerie au sein du BIC et a attiré des chercheurs de haut niveau du monde entier grâce au développement de chaires d’accueil. Aujourd’hui, le BIC est une plate-forme chef de file au niveau européen pour la mise à disposition des technologies d’image-rie en haute résolution.

UN TRAITEMENT AVANT L’ÉCLOSION DE LA MALADIE

Les résultats sont là. L’Aquitaine s’est fait remarquer par des travaux de niveau mondial dans les neurosciences. « Par exemple, sur Alzheimer, grâce aux professeurs Hélène Amiéva et Jean-François Dartigues, nous sommes désor-mais capables de définir chez une personne, dès l’âge de 50 ans, si elle a un risque de développer la maladie. Quant à Parkinson, nous sommes tout proches de révéler ce qui est la cause de la mort des neurones, ce qui ouvrira la porte à des pistes thé-rapeutiques dans quelques années », révèle Erwan Bézard, directeur de l’IMN.En effet, concernant Parkinson, des scienti-fiques bordelais de l’IMN ont découvert que l’injection de petites quantités dans le cer-veau d’animaux de la forme humaine « malade » d’une protéine, nommée alpha-synucléine, déclenche la neurodégénéres-cence, associée à la maladie de Parkinson. De quoi laisser espérer que l’on puisse bientôt retirer de l’organisme ce qui véhicule la pathologie. Reste à vérifier que ces résultats sont bien transposables à l’Homme. C’est une des grandes avancées de l’année concernant les maladies neurologiques. Cette recherche a reçu en 2014 le prix du meilleur travail scientifique par l’American Neurological

Association. Dans la même lignée, le grand prix de la Fondation de France a été attribué à Erwan Bézard.Conséquence du dynamisme de la recherche bordelaise, « nous assistons déjà à un bond en avant des start-up dans les biotech médicales. Les grands groupes pharmaceutiques ne sont pas insensibles à nos travaux. Cela va aussi renforcer notre attractivité économique dans le secteur, sou-ligne Alain Rousset. Les enjeux dépassent la recherche fondamentale. Ils sont sociétaux. Il devient urgent, à l’heure où la population euro-péenne vieillit, de guérir des maladies comme Par-kinson ou Alzheimer. »Pour l’heure, les essais cliniques pour lutter contre Alzheimer ont échoué. Cela étant, les scientifiques bordelais sont parvenus à dimi-nuer le nombre de plaques amyloïdes – le marqueur de la maladie – chez le patient, mais sans endiguer le développement de la maladie. Pour accélérer encore la recherche, Solange Ménival, vice-présidente du conseil régional d’Aquitaine en charge de la santé, a signé le 17 décembre avec Jon Darpón, ministre de la Santé d’Euskadi, un protocole d’entente santé visant à favoriser les échanges sur les maladies chroniques.Il s’agit d’unir les forces des deux régions. « Euskadi a mis en place un dossier médical, avec un suivi très pointu de 2,5 millions de Basques atteints d’une maladie chronique (Alzheimer…) vivant à domicile, qui pourrait être utile à nos chercheurs en neurosciences. Et, vice-versa », explique Solange Ménival. « Ce partenariat devrait nous permettre d’aller chercher des fonds européens, afin d’aboutir, à terme, à des transferts de technologie et au développement d’un nouveau tissu industriel dans le secteur », glisse l’élue. Au regard de toutes ces avancées, « un traitement curatif est espéré d’ici à vingt ans, mais cinq à dix ans pour soigner les symptômes non traités aujourd’hui », dévoile Erwan Bézard. À ce moment-là, les tests cognitifs permettront de déterminer les individus susceptibles de déve-lopper la maladie. C’est l’ambition première des chercheurs bordelais dans les neuros-ciences : traiter les personnes, avant même qu’elles ne deviennent des malades. ■

Neurocampus, centre mondial des neurosciencesDébut décembre, la première pierre du pôle Neurocampus, qui va concentrer les talents dans les neurosciences, a été posée à Bordeaux. Avec cet outil, et 65 millions d’euros d’investissements, la capitale de l’Aquitaine entend gagner en visibilité et affirmer à l’international son excellence dans la recherche contre les maladies du cerveau.

BORDEAUX

Alain Rousset, le président du conseil régional d’Aquitaine, pose la première pierre du bâtiment Neurocampus, future grande place des neurosciences sur la scène internationale, à Bordeaux, le 1er décembre 2014.© N. CESAR

PAR NICOLAS CÉSAR À BORDEAUX

@Nico33news

29 JANVIER 2015

ÉDITION 2015 - PARIS

L’INTERNETMOBILE

LE RENDEZ-VOUS

DE L’INNOVATION NUMÉRIQUE

DANS LA BANQUE

www.inbanque.com

On prétend qu’elle est la ville d’Inde où la qualité de vie est la meilleure. Mais avec ses slums (bidon-villes) rendus triste-ment célèbres au

cinéma, elle n’est que 116e dans le classe-ment des villes les plus agréables au monde publié par The Economist. Bombay (« Mumbai » dans la langue locale) est un immense paradoxe. Sur la colline de Tardeo, le milliardaire Mukesh Ambani vit dans sa tour Antilia de 27 étages tandis qu’à ses pieds, les gens dorment dans la rue.Celle qui était jusqu’au début des années 2000 une caricature de ville-champignon voit aujourd’hui sa croissance démogra-phique ralentir. Pire, au sud, dans ses quar-tiers historiques qui n’étaient qu’un archi-pel de sept îles à l’époque de la reine Victoria, la population a baissé de 7  % en dix ans, l’« Island City », comme on l’ap-pelle ici, compte aujourd’hui moins de 3 millions d’habitants, dans une agglomé-ration péninsulaire qui en compte 21, un plafond qui a maintenant peu de chances d’être dépassé, affirment les spécialistes. Les élus de Bombay, eux, refusent cet état de fait.C’est ainsi qu’à la faveur des élections générales dans l’État du Maharashtra, au mois d’octobre dernier, une quantité invraisemblable de projets sont ressortis des cartons. Le Parti du Congrès a subi une déroute et le Bharatiya Janata Party (BJP), désormais aux commandes, entend faire de la capitale sa vitrine. Bombay va-t-elle connaître un sursaut ? C’est fort possible, car le pouvoir fédéral, incarné depuis le printemps 2014 par le Premier ministre, Narendra Modi, est du même bord poli-tique. Or ce dernier se fait fort de relancer les grands travaux, partout en Inde.À Mumbai, cette nouvelle donne pourrait bien remettre en piste le nouvel aéroport, programmé de l’autre côté de la baie qui sépare la péninsule du continent. Son coût, estimé à 1,9 milliard d’euros, devrait être financé par un partenariat public-privé. Gelé depuis six ans, le Trans-Harbour Link, un pont de 22 km destiné à desservir ce futur aéroport a, par ricochet, des chances de se réveiller lui aussi (1,2 milliard d’eu-ros). Alors que la filiale asiatique de la RATP a mis en service une première ligne de métro aérien en juin, les travaux démar-reront à l’automne prochain sur la ligne 3, censée irriguer la mégapole en souterrain, du nord au sud, à l’horizon de 2020. En outre, on parie sur la relance de la ligne 2, abandonnée l’an passé faute de foncier dis-ponible, ainsi que sur le lancement d’une ligne 4, elle aussi souterraine.En attendant que le Chief Minister du Maharashtra fraîchement élu, Devendra Fadnavis, 44 ans, arrête ses choix, la maire de la ville, en poste depuis septembre, Sne-

hal Ambekar, 42 ans, s’apprête à boucler son nouveau plan d’urbanisme. Pour ce faire, la Municipal Corporation of Greater Mumbai (MCGM) s’inspire du savoir-faire français. C’est le groupe d’ingénierie Egis, filiale de la Caisse des dépôts, qui a été chargée il y a trois ans de redessiner Bom-bay à l’horizon de 2025. Remise de copie en avril prochain.« Bombay a d’abord besoin de clarifier sa gou-vernance, car la cohabitation de la ville et de l’État crée une grande confusion dans les arbi-trages techniques et financiers, explique Gil-duin Blanchard, directeur général d’Egis India. Ensuite, il lui faut un plan local d’urbanisme établissant des règles pré-cises, quartier par quartier. Toute la diffi-culté consiste à fixer une valeur pertinente au floor space index (FSI), version indienne du coefficient d’occupation des sols. Offi-ciellement, ce ratio a été fixé à 1,33 à Mum-bai. Mais dans les faits, il est aujourd’hui supérieur à 4 dans les quartiers les plus congestionnés. Résultat : avec un FSI très faible comparé à Paris (3), New York (15) ou Singapour (25), la capitale financière de l’Inde est la troisième ville la plus dense au monde (Singapour est 181e, Paris 663e et New York 830e), car la population indienne se caractérise par sa capacité à s’entasser. Dans les bidonvilles, où vit un Bombayite sur deux, chacun doit se débrouiller avec moins d’un mètre carré ! Corollaire  : le marché résidentiel est le 12e plus cher du monde, avec un prix moyen de 20 millions de roupies (260  000 euros) pour un deux-pièces.

LA NÉCESSITÉ DE BOUSCULER LES HABITUDES INDIENNES

« La ville s’est développée sans aucune cohé-rence d’ensemble, car les pouvoirs publics, les promoteurs immobiliers et la mafia ont tou-jours été de mèche », raconte un urbaniste local, sous le sceau de l’anonymat. Dans cette organisation informelle, les bidon-villes ont été instrumentalisés, pour deve-nir générateurs de capital : la ville vend les terrains des bidonvilles à un cartel d’une petite dizaine de promoteurs, en échange de droits à construire que ces derniers uti-lisent pour bâtir ailleurs. « À l’arrivée, on se retrouve avec des immeubles de 30  étages flambant neufs et désespérément vides, au milieu des mangroves. Pendant ce temps-là, les habitants des bidonvilles, eux, ne bougent pas », s’insurge notre urbaniste.Selon Egis, la solution passe par de nou-velles façons de faire la ville, au risque de bousculer les habitudes indiennes. Les 700 hectares de friches que les autorités por-tuaires viennent de rendre à la municipa-lité, tout au long de la côte est d’Island City, offrent de belles perspectives. À condition de ne pas reproduire les erreurs du passé, comme ce monorail de 19 km inauguré début 2014, qui ne mène nulle

part, entre Chembur et Wadala. Ou comme Bandra Kurla Complex, ce nou-veau quartier d’affaires où se sont instal-lées de nombreuses banques et presque tous les diplomates de la ville, non loin de l’aéroport actuel. « On dirait une cité des années 1970 et elle n’est même pas desservie par les transports publics », s’esclaffe l’ar-chitecte Saket Sethi.Certains rêvent de verdir Bombay, à l’image de l’architecte Alan Abraham, qui s’est inspiré de la Coulée verte du sud de Paris pour échafauder un projet de couver-ture de toutes les voies ferrées. Sur un linéaire de 114 km, celui-ci imagine des jardins et des pistes cyclables qui feraient respirer la mégapole, tout en recousant le tissu urbain. « Bombay est coupée en deux par un réseau ferroviaire nord-sud qui oblige les gens à toutes sortes d’acrobaties pour cir-culer dans le sens est-ouest. Plus de dix per-sonnes meurent chaque jour en franchissant les rails, rappelle-t-il. En construisant des dalles, on résoudrait le problème de la sécurité, on ferait disparaître le bruit des trains et on réduirait la pollution automobile en encoura-geant les transports alternatifs. »

Tout est question de patience. « Les pro-jets peuvent être validés, ils peuvent ensuite être bloqués pendant des années, sans que personne ne sache pourquoi », déplore Éric Dussiot, représentant en Inde du bureau d’études et d’ingénierie Arep. L’agence d’architecture et d’urbanisme, filiale de la SNCF, a été chargée en 2009 de redessiner Chhatrapati Shivaji Terminus, la célèbre gare victorienne de Mumbai, pour en faire une plate-forme multimodale. Cinq ans après, aucun coup de pioche n’a encore été donné. ■ STÉPHANE PICARD, À BOMBAY

Bombay en quête d’un nouveau souffle

La capitale financière de l’Inde perd des habitants dans ses quartiers historiques, mais le nouveau gouvernement régional entend relancer les grands projets pour enrayer le phénomène. La municipalité, elle, s’apprête à adopter un nouveau plan d’urbanisme conçu par des Français.

ASIE

« Bombay s’est développée sans

aucune cohérence d’ensemble, car les

pouvoirs publics, les promoteurs

immobiliers et la mafia ont toujours été de

mèche », raconte un urbaniste local,

sous le sceau de l’anonymat. © DR

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MICHEL DIDIERPrésident de Coe-Rexecode

En présence de notre invité

Sur le thème

Jeudi 29 janvier 2015 de 8h30 à 10h(Accueil café à partir de 8h)

Maison des Travaux Publics3, rue de Berri - Paris 8e

« LA FRANCE EN 2015 : PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES, MARGES DE MANOEUVRE, RISQUES »

VISIONS I 3332 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FRLA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

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ROBERT J. SHILLERPRIX NOBEL 2013 D’ÉCONOMIE ET PROFESSEUR D’ÉCONOMIE À L’UNIVERSITÉ DE YALE

IL A COÉCRIT AVEC GEORGE AKERLOF « ANIMAL SPIRITS : HOW HUMAN PSYCHOLOGY DRIVES THE ECONOMY AND WHY IT MATTERS FOR GLOBAL CAPITALISM ».

Huit ans après le krach boursier de 1929, en 1937, la situation prend un virage catas-trophique, l’acti-vité rechute lour-

dement. La reprise ne sera possible que grâce à une dynamisation écono-mique considérable, engendrée par la Seconde Guerre mondiale, conflit qui coûtera la vie à plus de 60 millions de personnes. À l’heure où surviendra enfin la reprise, la majeure partie de l’Europe et de l’Asie ne sera plus qu’un tas de ruines.Bien que le contexte mondial actuel soit sans commune mesure avec l’horreur de cette période, plusieurs parallèles peuvent être avancés, no-tamment par rapport à l’année 1937. Aujourd’hui comme à l’époque, les citoyens sont depuis longtemps dé-çus, et pour beaucoup plongés dans la détresse. Ils s’inquiètent désormais bien plus de leur avenir économique à long terme. Or, cette inquiétude est susceptible d’engendrer de graves conséquences.

LE TEMPS DE LA « NOUVELLE NORMALITÉ »

L’impact de la crise financière de 2008 sur les économies ukrainienne et russe pourrait, par exemple, avoir en fin de compte contribué au conflit qui y fait rage depuis peu. D’après le Fonds monétaire international, l’Ukraine et la Russie ont toutes deux enregistré une croissance spectaculaire entre 2002 et 2007 : au cours de ces cinq années, le PIB réel par habitant a augmenté de 52 % en Ukraine et de 46 % en Russie. Cette dynamique appartient désormais au passé : la croissance du PIB réel par habitant n’a atteint que 0,2 % en Ukraine l’an dernier, pour seulement 1,3 % en Russie. Le mécontentement suscité par cette déception pourrait bien en partie expli-quer la colère des séparatistes ukrai-niens, l’irritabilité des Russes, ainsi que les décisions d’annexion de la Crimée et de soutien des séparatistes de la part du président russe Vladimir Poutine.Il existe un nom au désespoir qui ali-mente cette colère apparue depuis la crise financière –  et pas seulement

en Russie et en Ukraine  – à savoir le terme de « nouvelle normalité », formule popularisée par le fonda-teur du géant obligataire PIMCO, Bill Gross, en référence à l’érosion des perspectives de croissance éco-nomique à long terme. Le désespoir observé après 1937 avait conduit à l’émergence de nouveaux termes similaires, parmi lesquels celui de « stagnation séculaire », évoquant un malaise économique sur le long terme. Le terme « séculaire » nous vient du latin saeculum, qui signifie « génération » ou « siècle. » Celui de « stagnation » a pour connotation une sorte de marasme, véritable ter-reau des menaces les plus virulentes. À la fin des années 1930, les peuples s’inquiétaient également du mécon-tentement observé en Europe, qui avait d’ores et déjà contribué à l’avè-nement au pouvoir d’Adolf Hitler et de Benito Mussolini.Un autre terme apparu comme sou-dainement dominant aux alentours de 1937 fut celui de « sous-consom-mationnisme » –  théorie selon la-quelle l’inquiétude des populations serait susceptible de conduire les in-dividus à épargner de manière exces-sive, dans un souci d’anticipation de lendemains difficiles. Or, le volume d’épargne souhaité par les individus excède les opportuni-tés d’investissement disponibles. Par conséquent, le désir d’épargner ne s’ajoute pas à l’épargne globale en direction de la création de nouvelles entreprises, de la construction et de la vente de nouveaux immeubles, etc. Bien que les investisseurs puissent pro-céder à une surenchère quant aux prix des immobilisations existantes, leurs efforts d’épargne ont pour seul effet de ralentir l’économie. « Stagnation sécu-laire » et « sous-consommationnisme » sont autant de termes trahissant un pessimisme sous-jacent, lequel, en dé-courageant la dépense, contribue non seulement à la fragilité de l’économie, mais suscite également colère, intolé-rance et potentiel de violence.Dans son ouvrage majeur intitulé « Les conséquences morales de la croissance économique », Benjamin M. Friedman a présenté nombre d’exemples de si-tuations dans lesquelles le déclin de la croissance économique avait fait naître – de manière variable et plus ou

moins rapide – l’intolérance, le natio-nalisme agressif, et la guerre. Il en conclut que « la valeur d’une élévation du niveau de vie ne réside pas seulement dans les améliorations concrètes qu’elle génère dans l’existence des individus, mais également dans la manière dont elle façonne l’identité sociale, politique, et en fin de compte morale d’un peuple ».

LE BESOIN UNIVERSEL DE « L’ESTIME DE SOI »

Certains affirment douter de l’impor-tance de la croissance économique. Pour beaucoup, nous serions peut-être trop ambitieux, et aurions davan-tage intérêt à vivre une existence plus agréable et plus divertissante. Peut-être ont-ils raison. Mais la véritable problé-matique réside dans l’estime de soi, ainsi que dans les processus de com-paraison sociale, dont le psychologue Léon Festinger a expliqué qu’ils consti-tuaient une tendance universelle chez l’être humain. Beaucoup s’en défen-dront probablement, mais nous pas-sons nos vies à nous comparer les uns aux autres, et aspirons à gravir l’échelle sociale. L’individu n’appréciera jamais pleinement ses nouvelles opportunités de loisirs si celles-ci semblent signifier son échec par rapport aux autres.L’espoir de voir la croissance écono-mique favoriser la paix et la tolérance se fonde sur la propension des indi-vidus à se comparer aux autres non

seulement dans le présent, mais égale-ment par rapport aux souvenirs qu’ils ont de certaines personnes –  parmi lesquelles leur propre être – au cours du passé. Pour citer Friedman, « à l’évidence, il est impossible que la majorité des individus s’en sorte mieux qu’autrui. Mais il est toujours possible pour la plu-part des individus de vivre une existence présente plus prospère que leur existence passée, et c’est là précisément ce que signi-fie la croissance économique ».Le risque existe de voir les sanctions qui ont été imposées à la Russie, en rai-son de ses agissements en Ukraine de l’Est, engendrer une récession à travers l’Europe et au-delà. Ainsi pourrait-on aboutir à un monde de Russes mécon-tents, d’Ukrainiens mécontents et d’Eu-ropéens tout aussi mécontents, dont la confiance et le soutien à l’endroit d’institutions démocratiques pacifiques seraient voués à s’éroder. Bien que certains types de sanctions à l’encontre d’agressions internatio-nales semblent nécessaires, il nous faut demeurer attentifs aux risques associés aux mesures extrêmes ou punitives. Nous aurions tout intérêt à nous entendre sur la fin des sanctions, à intégrer plus pleinement la Russie (et l’Ukraine) à l’économie mondiale, tout en combinant ces démarches à des poli-tiques économiques expansionnistes. Toute résolution satisfaisante du conflit actuel n’exigera pas moins que cela. ■

© Project Syndicate

Sommes-nous en 1937 ?Comme en 1937, le pessimisme règne en Europe, après plusieurs années de crise. Il alimente les tensions géopolitiques qui, elles-mêmes, affectent la croissance et contribuent au pessimisme. Stagnation séculaire et sous-consommationnisme : jusqu’où faire le parallèle entre notre présent et cette période funeste ?

RÉTROSPECTIVE

© D

R

Adolf Hitler passant en revue des groupes en uniforme du parti nazi, pendant le rassemblement géant de Nuremberg, en 1937, en Allemagne.© BERLINER

VERLAG/ARCHIV

VU DE BRUXELLES

L’après-Charlie sera-t-il européen ?

ÀBruxelles aussi, il y a eu d’abord l’émotion. Le soir des attentats, sur la place de Luxembourg à côté du Parlement,

une petite foule émue communiait silencieusement à la lueur de longues bougies blanches. Le peuple du quartier européen, assistants, lobbyistes, fonctionnaires, mélangés pour l’occasion à des dessinateurs venus saluer les amis de Charlie. Pas d’huiles. Pas de discours. Moments suspendus qui se sont prolongés dimanche dans un Thalys plein d’anonymes venus manifester à Paris… pour le quart du tarif normal. Le lundi à Strasbourg, où siégeait le Parlement, « Charlie » figurait en tête de l’agenda. Le député français Alain Lamassoure voulait faire du 11 janvier « la date de naissance de l’Europe des peuples… unie par nos valeurs et contre la haine », tandis que la socialiste Pervenche Berès demandait que l’on décerne le Prix Sakharov à Charlie Hebdo. Que restera-t-il dans quelques mois de cette immense émotion et du désir de donner un sens européen à ces événements ? Si le 11 janvier a bel et bien fait date pour tout le Continent, le 7 janvier sonne comme un défi sinon un reproche. Passée l’unanimité face à la barbarie, la complexité a repris le dessus. Faute de savoir par où reprendre le fil d’une politique cohérente, les ministres de l’intérieur qui se sont rencontrés le 11 à Paris, ont renoncé à remettre

cela le 16 janvier, de peur de n’avoir rien de concret à annoncer. C’est peu dire qu’une Europe de la lutte antiterroriste et de la sécurité a du mal à prendre forme. En presque quatre ans, elle n’a pas réussi à permettre l’échange des informations sur les passagers des compagnies aériennes entre polices européennes. Le texte est

bloqué par le Parlement. À l’instar de la nouvelle réglementation sur la protection des données personnelles. Le sursaut créé par l’attentat contre le Musée juif à Bruxelles n’avait pas réussi à relancer la négociation. Ce bras de fer autour de la durée maximale de détention des données, mené au nom de la défense des libertés publiques, semble dérisoire au regard de la montée des périls.À présent, le président Juncker veut élargir la focale. Il promet une « stratégie européenne sur la sécurité intérieure » sur laquelle il a demandé un rapport attendu en février… après le prochain sommet des chefs d’État.Jusqu’à présent, l’Union européenne est cantonnée d’arbitre entre liberté publique et sécurité et de vigie, à l’image Gilles de Kerchove qui tient le compte des 3 000 jeunes Européens revenus du djihad en Syrie, en Libye et ailleurs. Le coordinateur de la lutte antiterroriste depuis 2007 ne cesse de mettre en garde ces derniers mois contre la montée des périls. IntCent, le centre de renseignement adossé au service d’action extérieure, n’a pas de capacité de renseignement propre. En 2015, cependant, le programme européen d’observation spatiale Copernicus devrait prendre un tour plus concret avec le lancement du premier satellite, Sentinel. Un timide début. Ce sera quoi qu’il en soit plus dans la coordination que dans la centralisation de l’action que l’Union européenne peut apporter la preuve de son utilité. À présent elle va également devoir administrer la preuve que les libertés sur lesquelles elle s’est construite ne sont pas une source de danger. Comme après chaque attaque, la question du rétablissement des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen est revenue sur la table, par la voix du ministre espagnol de l’intérieur. Un serpent de mer qui risque de ne pas replonger de sitôt.Mais dans les événements de ces derniers jours se joue bien autre chose que l’équilibre entre pouvoirs européen et nationaux. Sans réponse efficace au péril terroriste, Bruxelles comme les gouvernements nationaux, sont exposés à une autre menace : celle du populisme. Les Français du Front national et les Britanniques de UKIP s’en sont donné à cœur joie à Strasbourg, dénonçant l’Europe ouverte à tous les vents. ■

C’EST PEU DIRE QU’UNE EUROPE DE LA LUTTE ANTITERRORISTE ET DE LA SÉCURITÉ A DU MAL À PRENDRE FORME.

NOUS CRÉERONS PLUS DE VALEUR EN REMETTANT L’HOMME AU CENTRE

AU CŒUR DE L’INNOVATION

L’Innovation des Lumières !

FLORENCE AUTRETCORRESPONDANTE À BRUXELLES

RETROUVEZ SUR LATRIBUNE. FR SON BLOG « VU DE BRUXELLES »

DR

Le retour à la performance, à l’innovation, au bien-être, donc à une meilleure cohésion et performance

sociale, économique, passe par plus de respect de l’humain. C’est valable dans tous les métiers et en premier lieu, ceux qui sont vecteurs de lien, ceux qui contribuent, facilitent, optimisent, financent… la création de liens avec des publics.Parce que ce sont ces métiers qui impactent le plus rapidement notre quotidien. C’est, pour n’en citer que certains, et de manière non exhaustive, les technos, les médias, les opérateurs culturels, les producteurs de contenus, les marketeurs, les designers, les architectes, les marques, les acteurs de la mobilité, de l’Internet des objets, les chercheurs, le monde de l’enseignement, celui de la finance… Mais aussi et surtout dans un pays jacobin, les institutions et les politiques.Comment s’y retrouver dans cet inventaire à la Prévert ? Comment appréhender cette apparente complexité ? Peut-être, justement en acceptant de ne pas s’y retrouver, parce que l’innovation est l’affaire de tous et au premier chef de cette « communauté » numérique. Nous sommes dans un monde qui doit réapprendre à gérer de plus en plus de complexité, de diversité, de contribution de partage.Devinez quoi ? La technologie et l’innovation nous permettent de réconcilier ce qui semble épars.

Mais comme toujours, l’enjeu est de revenir à l’essentiel, à la materia prima, à l’homme. Être attentif à l’humain dans nos approches d’innovation, c’est favoriser une innovation orientée homme, orientée usage.Une innovation qui doit être là pour nous aider à mieux travailler ensemble, à mieux vivre ensemble, à mieux-être, tout court. Car mieux travailler

ensemble, c’est créer de la valeur nouvelle. Nouvelle parce qu’additionnelle, mais nouvelle aussi parce que jamais créé jusqu’à aujourd’hui. Nouvelle aussi et surtout parce qu’elle remet l’homme au centre.Et c’est cette vision de l’innovation, une Innovation des Lumières, que la France peut sans aucun doute porter. Pour cela, Il faut aider ses acteurs à se mettre en configuration ouverte, de partage et de collaboration. Il faut accélérer le chemin vers l’innovation dans tous ces métiers, en sortant d’une logique qui reste, malgré les bouleversements technologiques, trop « silotée » et séquentielle.La plupart de ces métiers sont en pleine mutation et savent qu’ils ne peuvent plus créer de valeur et d’innovation s’ils ne sortent pas de cette logique. Et s’ils n’en sortent pas, si cette transformation ne se fait pas, leurs publics (citoyens, collaborateurs, clients…) individus les y inciteront.La ruse de l’histoire, c’est que les hommes sont souvent en avance par rapport aux organisations dans lesquels ils évoluent, et comme des neutrinos, ils peuvent traverser la matière, les silos et les murs qui les contraignent et induire un mouvement de progrès.Nous sommes nombreux à ne pas nous sentir l’âme de pigeons, d’exilés, d’indignés, ou de déplumés ! Nous sommes tout simplement des Français, citoyens du monde qui croyons résolument que l’imagination et les idées gouvernent le monde. Nous croyons à la formidable capacité que nous avons tous, et tous ensemble, à innover et à créer de la valeur.Nous croyons à la cocréation, à la co-élaboration, à la puissance des idées surtout quand elles sont partagées. Nous croyons que ces dernières sont les clés pour innover. Nous pensons que notre monde et notre pays généreront plus d’innovation et de valeur en remettant l’homme au centre. L’Homme au centre de la Cité, l’Homme au centre de l’entreprise, organe social de référence aujourd’hui dans cette Cité.Le faire, c’est réinitialiser un mouvement vers l’innovation, vers la croissance, vers le mieux travailler et vivre ensemble. ■

DR

La Tribune 2, rue de Châteaudun, 75009 ParisTéléphone : 01 76 21 73 00. Pour joindre directement votre correspondant, composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffres mentionnés entre parenthèses.

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MONDHER ABDENNADHER MAITRE DE CONFÉRENCE À SCIENCES POFONDATEUR DE L’ASSOCIATION TOLÈDE (DIVERSITÉS ET DIALOGUE DES CULTURES), COFONDATEUR DU MOUVEMENT DES NAPOLÉONS (WWW.LESNAPOLEONS.COM)ORGANISATEUR DE L’INNOVATIVE COMMUNICATIONS SUMMIT (VAL D’ISÈRE, DU 14 AU 17 JANVIER 2015).

GÉNÉRATION34 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 16 JANVIER 2015 - NO 115 - WWW.LATRIBUNE.FR

CAMILLE FREISZ

Au service de la santé 2.0La cofondatrice de Valwin déploie des solutions numériques pour les pharmaciens et les patients. Une première étape pour cette entrepreneure de 30 ans, qui veut injecter de nouvelles technos dans le suivi médical.

Zone d’influence : #Pharmacie, #Santé, #Big Data, #Création d’entreprise

2017Valwin fédère

1 000 pharmacies et étend ses services à d’autres spécialités

médicales.

TIME LINECamille Freisz

Novembre 1984 Naissance

à Boulogne-Billancourt.

2007Commence à travailler

en pharmacie.

Septembre 2011Chef de projet

chez Vidal.

Décembre 2012Soutient sa thèse

en pharmacie à l’université Paris Sud XI.

Mars 2013Cofonde Valwin

Juillet 2014Finalise une première

levée de fonds de 320 000 euros.

Septembre 2014Rejoint le Startup

Leadership Program.

PAR PERRINE CREQUY

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LIE

JOUR

NELAméliorer le suivi médical

des patients grâce au nu-mérique, c’est son dada. Camille Freisz, 30 ans, s’y emploie à travers Valwin, la société qu’elle préside et

qu’elle a cofondée il y a un an avec Jonathan Winandy et Alexis Gueganno. «  Nous sommes un éditeur de logiciels d’e-santé, qui aide les pharmaciens à avoir de la visibilité sur Internet, en valorisant leurs spécialités comme les produits vétérinaires ou l’homéopathie, par exemple. Les échanges avec les patients sont simplifiés  », précise la pimpante entrepre-neure. Une trentaine d’officines basées à Paris, Strasbourg, Annecy ou Nantes ont déjà recours à ses services. «  Une dizaine d’autres vont rejoindre la plate-forme ce mois-ci. » Rieuse et volubile, Camille Freisz dé-taille l’ambition de Valwin avec une préci-sion chirurgicale. «  Nous voulons aider les pharmaciens à devenir le référent santé vers le-quel on se tourne quand on a une question. Sa-vez-vous que les forums en ligne spécialisés – y compris les plus connus  – contiennent 70 % d’informations erronées ? Et que l’intoxication médicamenteuse est la première cause d’hospi-talisation en France, avant les accidents de la route ? » Elle insiste : pas question d’assimi-ler Valwin à une simple vitrine en ligne pour les pharmacies. « Nous nous sommes donné une mission d’éducation thérapeutique des pa-tients, avec des fiches rigoureuses et précises. » À l’avenir, elle aimerait que sa plate-forme ré-unisse les médecins, les infirmières et tous les autres professionnels de santé autour du patient, pour un suivi partagé. L’idée lui tient à cœur : elle en a fait son sujet de thèse, qui a donné lieu à l’édition d’un carnet de

consultations, enrichi de conseils pratiques et d’un porte-ordonnances pour faciliter le suivi des patients en cancérologie à l’Hôpi-tal Percy, la structure d’instruction des ar-mées, basée à Clamart.Du particulier au général, elle ambitionne que Valwin puisse épauler aussi les cher-cheurs en quête de statistiques. « Notre tech-nologie permet d’anonymiser les données. De quoi intéresser les sociétés savantes qui veulent utiliser les mégadonnées pour leurs études. »Les projets foisonnent. Mais priorité au re-crutement d’un commercial, et au lance-ment d’une première application mobile, en février. Elle permettra d’envoyer à son phar-macien la photo de son ordonnance, pour que l’ensemble de la prescription soit pré-paré lors du passage à l’officine.Camille Freisz a l’habitude d’enfourcher plusieurs chevaux de bataille simultané-ment. Depuis ses 17 ans, cette passionnée d’équitation suivait ses cours et travaillait pour financer ses études… et payer la pen-sion de son cheval. « J’ai travaillé dans une quinzaine de pharmacies, grandes et petites, en ville ou en zone rurale. Au début, ma mission se limitait à ranger les stocks, puis après quelques années, j’ai pu délivrer des médicaments au comptoir », sourit la jeune femme, qui a aussi occupé des postes temporaires de guiche-tière de banque, serveuse, conductrice de tracteurs, animatrice en accrobranche et as-sistante vétérinaire. Jeune, elle rêvait de soi-gner les animaux, mais à l’issue de son Deug de biologie, son classement (36e) ne lui per-met pas d’accéder à cette filière. Contrainte à la volte-face, elle s’oriente vers la pharma-cie, afin d’ouvrir un jour une officine. Pour arrondir les fins de mois, elle effectue des

missions à la Junior Entreprise de la faculté. L’une d’elles la conduit chez Vidal, éditeur de l’encyclopédie de médicaments bien connue des médecins. Elle est chargée d’in-dexer des posologies. Elle y est finalement recrutée comme chef de projet, chargée de la relation avec les éditeurs qui diffusent la base de données sous forme logicielle. « De son propre chef, Camille est entrée en contact avec chaque éditeur pour s’enquérir de la façon dont notre base Vidal était intégrée chez chacun d’eux. Elle est une battante, une fonceuse, qui prend des initiatives et qui cherche à comprendre précisément les choses », se souvient Gaspard Desgeorge, directeur du département Pro-fessionnels de santé chez Vidal.« Je ne connaissais rien au développement Web et j’avais besoin d’en savoir plus pour dialoguer efficacement avec les éditeurs. Alors, je me suis rapprochée de nos équipes techniques », expose Camille Freisz. Parmi ces développeurs se trouvait Jonathan Winandy, cofondateur de Valwin : « Camille se distinguait par sa curio-sité et sa pluridisciplinarité. Et elle avait déjà cette colossale capacité de travail qui lui permet aujourd’hui de développer l’entreprise tout en s’acquittant de la paperasse sans aucun retard, même pour les dossiers complexes. Elle est ou-verte mais sait se faire respecter dans l’équipe ». Parmi les sept personnes qui composent Valwin, Camille Freisz est la seule femme. Et tout le monde l’appelle « patronne ». Pour autant, nombreux sont ceux qui la trouvent encore trop humble, presque timide, voire tendre. Mais elle se soigne ! Notamment en suivant les formations du Startup Leader-ship Program, qu’elle a rejoint pour six mois en septembre dernier. Responsable parisien de ce programme international, Xavier Mi-lin salue son engagement : « Camille a tou-jours le sourire, même dans des situations diffi-ciles. Elle est tout le temps dans l’action, et elle partage volontiers son expérience. »Ce que confirme Mehdi Amour, le cofonda-teur de CompareAgences et de MiinuteApp, qui a participé au projet Scientipôle Initia-

tives avec Camille Freisz : « Camille est d’une bienveillance rare. Elle ouvre son carnet d’adresses et conseille. Elle est un tourbillon d’énergie et de fraîcheur, capable de présenter son projet au pied levé devant des pointures, et de susciter l’enthousiasme chez chacun. » Pour sa première levée de fonds, de 320 000 eu-ros, Camille Freisz a convaincu Éric Pé-rouse, pharmacien entrepreneur et investis-seur  : «  Camille est courageuse, travailleuse acharnée. Elle a une bonne vision des besoins de son marché, et elle a déjà prouvé sa capacité à faire évoluer Valwin. » Lui connaissait bien son père, disparu dans un accident de voi-ture quand elle avait deux ans. Mais elle a découvert sur le tard, bien après avoir débu-té ses études en pharmacie, les travaux de son père, qui a écrit un dictionnaire de réfé-rence sur les articles médico-chirurgicaux. Au regard de son propre parcours dans le domaine de la santé, choisi presque fortui-tement, elle juge la coïncidence étonnante. Et elle conclut : « J’avais ça dans le sang. » ■

MODE D’EMPLOI• Où la rencontrer ? IRL (« In Real Life ») de préférence. « Je préfère échanger autour d’un café à Paris, ou lors des rencontres du Club Digital Santé, tous les deux mois. Mais je suis aussi joignable via Twitter. »

• Comment l’aborder ? Simple. « J’apprécie l’honnêteté et la franchise. Je ne m’arrête pas à la première impression. Je m’intéresse à de nombreux sujets, et à tous ceux qu’on me présente avec passion. »

• À éviter ! Ne pas tenir ses engagements. « Il y a des gens toxiques dans le business comme dans la vie. Des hypocrites, des jaloux, des bavards qui font perdre du temps. Qu’ils restent à distance ! »

FRANCK FERRAND 6H25 CAROLINE ROUX 7H25

DANIEL COHN-BENDIT 7H55 JEAN-PIERRE ELKABBACH 8H20

NATACHA POLONY 8H35 NICOLAS CANTELOUP 8H40

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JULIE 6H - 9H LAURENT CABROL LA MÉTÉO

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*Médiamétrie 126 000 Radio – Novembre-Décembre 2014 – Lundi-Vendredi – 6-9h – Cadres : Chefs d’entreprises, cadres, professions intellectuelles supérieures.Audience Moyenne, Ranking sur l’ensemble des 16 stations commerciales