autorégulation, de briki & gernigon

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CHAPITRE 4. L’autorégulation des comportements en cours de performance (Par Walid Briki & Christophe Gernigon) Résumé introductif : La production d’une performance sportive peut s’apparenter à une sorte de flux d’actions et d’événements générateur de perceptions de progression, de régression ou de stagnation à l’égard de cet objectif. Ces perceptions sont en retour responsables d’émotions, de choix de buts et de comportements plus ou moins favorables à la performance. Ce chapitre a pour objet de présenter ces mécanismes d’autorégulation (Carver & Scheier, 1999, 2009) pour en envisager ensuite les applications au momentum psychologique, un phénomène sensible aux revirements de situation et familier des sportifs (e.g., Briki, den Hartigh, Hauw, & Gernigon, 2011). Mots-clés : Affects ; Autorégulation ; Boucle de feed-back ; Buts ; Discrépance ; Efforts ; Momentum psychologique ; Réactance psychologique ; Résignation apprise. La réalisation d’une performance sportive peut être définie comme une activité mise en œuvre en vue d’atteindre un but rendu difficile par le standard d’excellence visé et les obstacles environnementaux (e.g., éléments naturels, adversaires, événements négatifs) susceptibles d’entraver la progression de l’athlète vers son objectif. Cette activité s’apparente à une sorte de flux d’actions et d’événements plus ou moins favorables à l’obtention du résultat recherché. Au cours de celle-ci, le sportif peut donc avoir tour à tour l’impression de progresser vers le but à atteindre, de s’en éloigner ou tout simplement de stagner. Ces différentes impressions s’accompagnent d’émotions plus ou moins agréables (affects) et d’états motivationnels particuliers qui vont être à l’origine de comportements destinés à maximiser les chances de réussite : des comportements d’autorégulation. Quels sont les mécanismes impliqués dans la régulation des comportements et dans l'émergence des affects au cours de la performance ? En quoi ces mécanismes peuvent-ils inciter l’athlète à déployer beaucoup d'effort, ou à se relâcher, ou encore à changer de but en cours d’action ? Ce chapitre a pour objet de répondre à ces questions en présentant d’abord les principes qui sous- tendent les comportements d’autorégulation (Carver & Scheier, 1999, 2009) pour en envisager ensuite les applications à la performance sportive au gré de ses fluctuations, notamment au cours de périodes de franche progression ou de recul que l’on nomme phases de momentum (Briki & Gernigon, 2009 1 ). 1. Les processus d’autorégulation 1.1. L’autorégulation des comportements Selon la théorie de Carver et Scheier (e.g., 1999, 2009), l’autorégulation correspond aux « ajustements autocorrectifs permettant, si besoin, à un comportement de rester orienté vers son but initial » (p. 208). Ces ajustements seraient influencés par les informations rétroactives (feed-back) reçues à propos de notre évolution par rapport à un but à atteindre ou une situation à éviter (dans ce cas Carver et Scheier parlent d’anti-but). Ces informations rétroactives agissent au sein d’un mécanisme en boucle comprenant une entrée, une valeur de référence, une opération de comparaison 1 Ce chapitre et l’ensemble de nos productions relatives au momentum psychologique n’auraient pu voir le jour sans les supports matériel et humain de la Fédération Française de Tennis de Table et du Ministère de la Santé et des Sports auprès desquels nous tenons à exprimer notre gratitude.

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  • CHAPITRE 4. Lautorgulation des comportements en cours de performance (Par WalidBriki & Christophe Gernigon)

    Rsum introductif :

    La production dune performance sportive peut sapparenter une sorte de flux dactions etdvnements gnrateur de perceptions de progression, de rgression ou de stagnation lgard de cetobjectif. Ces perceptions sont en retour responsables dmotions, de choix de buts et decomportements plus ou moins favorables la performance. Ce chapitre a pour objet de prsenter cesmcanismes dautorgulation (Carver & Scheier, 1999, 2009) pour en envisager ensuite lesapplications au momentum psychologique, un phnomne sensible aux revirements de situation etfamilier des sportifs (e.g., Briki, den Hartigh, Hauw, & Gernigon, 2011).

    Mots-cls : Affects ; Autorgulation ; Boucle de feed-back ; Buts ; Discrpance ; Efforts ; Momentumpsychologique ; Ractance psychologique ; Rsignation apprise.

    La ralisation dune performance sportive peut tre dfinie comme une activit mise en uvreen vue datteindre un but rendu difficile par le standard dexcellence vis et les obstaclesenvironnementaux (e.g., lments naturels, adversaires, vnements ngatifs) susceptibles dentraverla progression de lathlte vers son objectif. Cette activit sapparente une sorte de flux dactions etdvnements plus ou moins favorables lobtention du rsultat recherch. Au cours de celle-ci, lesportif peut donc avoir tour tour limpression de progresser vers le but atteindre, de sen loignerou tout simplement de stagner. Ces diffrentes impressions saccompagnent dmotions plus ou moinsagrables (affects) et dtats motivationnels particuliers qui vont tre lorigine de comportementsdestins maximiser les chances de russite : des comportements dautorgulation.

    Quels sont les mcanismes impliqus dans la rgulation des comportements et dansl'mergence des affects au cours de la performance ? En quoi ces mcanismes peuvent-ils inciterlathlte dployer beaucoup d'effort, ou se relcher, ou encore changer de but en cours daction ?Ce chapitre a pour objet de rpondre ces questions en prsentant dabord les principes qui sous-tendent les comportements dautorgulation (Carver & Scheier, 1999, 2009) pour en envisager ensuiteles applications la performance sportive au gr de ses fluctuations, notamment au cours de priodesde franche progression ou de recul que lon nomme phases de momentum (Briki & Gernigon, 20091).

    1. Les processus dautorgulation

    1.1. Lautorgulation des comportementsSelon la thorie de Carver et Scheier (e.g., 1999, 2009), lautorgulation correspond aux

    ajustements autocorrectifs permettant, si besoin, un comportement de rester orient vers son butinitial (p. 208). Ces ajustements seraient influencs par les informations rtroactives (feed-back)reues propos de notre volution par rapport un but atteindre ou une situation viter (dans cecas Carver et Scheier parlent danti-but). Ces informations rtroactives agissent au sein dunmcanisme en boucle comprenant une entre, une valeur de rfrence, une opration de comparaison

    1 Ce chapitre et lensemble de nos productions relatives au momentum psychologique nauraient pu voir le joursans les supports matriel et humain de la Fdration Franaise de Tennis de Table et du Ministre de la Sant etdes Sports auprs desquels nous tenons exprimer notre gratitude.

  • et une sortie (voir Figure 1). Lentre correspond la perception de la situation dans laquellelindividu est impliqu, tandis que la valeur de rfrence reprsente le but adopt par celui-ci. Lafonction de comparaison consiste confronter lentre et la valeur de rfrence la suite de quoi uncart appel aussi discrpance peut tre dtect. La fonction de sortie correspond la rponse cette ventuelle discrpance en termes dajustement comportemental. Selon Carver et Scheier, il existedeux sortes de boucles rtroactives qui renvoient deux types dautorgulation. Une boucle rductricede discrpance (ou boucle de feed-back ngative) est active lorsque lon poursuit un but particulier.La sortie comportementale consiste alors rduire ou liminer la discrpance qui nous spare du butvis. Dans ce cas, la personne poursuit un but dapproche (Elliot & McGregor, 2001). Une boucled'agrandissement de discrpance (ou boucle de feed-back positive) est active lorsquil sagit de fuir lamenace que reprsente un anti-but. La sortie comportementale sert alors agrandir la discrpanceexistant entre la situation prsente et lanti-but viter. On dit aussi que lindividu poursuit un butdvitement (Elliot & McGregor, 2001). Ainsi, en acclrant pour rduire lcart qui le spare dunadversaire mieux plac que lui, un coureur va utiliser une boucle dinformation rtroactive ngativepour rguler sa vitesse. Mais en cherchant augmenter lcart qui le spare dun autre concurrent situderrire lui afin de se mettre labri de son ventuel retour, ce mme coureur va solliciter une bouclede rtroaction positive. Ce simple exemple illustre que les deux types de boucle peuvent tre activs demanire concomitante ou complmentaire.

    Figure 1: Reprsentation schmatique dune boucle de feed-back, adapte daprs Carver etScheier (1999, 2009).

    1.2. Lautorgulation des affectsToujours selon Carver et Scheier (1999, 2009), au niveau de la boucle de contrle des

    comportements sajoute un second niveau de boucle de contrle, spcifique aux affects. Cette secondeboucle de rtroaction informerait le systme de la vitesse, voire de lacclration, selon laquelle onprogresse vers le but. Elle est active simultanment et paralllement la boucle de rgulation descomportements avec laquelle elle interagit en exerant sur celle-ci une sorte de surveillance continue(monitorage). Dans ce systme de rgulation des affects, la valeur dentre serait la vitesse deprogression vers le but perue et la valeur de rfrence serait la vitesse de progression attendue.Lapparition dune discrpance rsultant de la comparaison entre ces deux valeurs entraneraitdiffrentes consquences affectives. Ainsi, tandis quune vitesse dvolution conforme aux attentesaurait des consquences affectives neutres, une vitesse de progression infrieure ou suprieure lavaleur de rfrence gnrerait des affects ngatifs (dsagrables) ou positifs (agrables),respectivement. En outre, Carver et Scheier postulent que plus la vitesse est perue comme changeantrapidement sous la forme dune acclration ou dune dclration, plus les affects associs cette

  • perception de vitesse subissent des changements abrupts, jusqu revtir les tonalits positives oungatives les plus extrmes.

    Carver et Scheier (2009) postulent que des gammes daffects diffrentes sont sollicites selonque la boucle de rtroaction qui les contrle est une boucle de rduction ou une boucledagrandissement de discrpance. En ce qui concerne la boucle rductrice, sapprocher du butpoursuivi plus rapidement que prvu peut aller jusqu entraner des affects extrmement positifs entermes denthousiasme et dexultation, tandis que progresser vers son but moins vite quespr peutentraner des affects ngatifs de frustration, de colre, et de tristesse. Par exemple, imaginons unjoueur de tennis de table devant jouer une finale contre un adversaire de mme niveau que lui. Cejoueur dont le but est videmment de gagner dbute le match en marquant les six premiers pointsdaffile. Le fait de mener demble 6-0 dans un match qui sannonait trs serr va entraner chez cejoueur des motions positives telles que de la satisfaction, de la joie, voire parfois de leuphorie. Onpeut aussi imaginer le scnario inverse o cest notre pongiste qui part la drive en ce dbut de matchdans lequel il sengageait relativement confiant. Dans ce cas, des motions ngatives risquent fortdapparatre sous la forme danxit, de dception, voire de dsespoir. Pour ce qui est de la boucledagrandissement, sloigner dune menace plus rapidement que prvu procure soulagement, srnitet satisfaction, tandis qucarter la menace moins vite que souhait engendre peur, culpabilit etanxit. Prenons lexemple dune quipe professionnelle de football voluant en Ligue 1 devantrencontrer en 16mes de finale de coupe de France une quipe amateure de Nationale. Lquipeprofessionnelle a clairement pour objectif de gagner la coupe de France et ce match contre une quipenettement infrieure ne constitue quune des tapes plutt accessible vers cet objectif. Nanmoins,tous les joueurs le savent, les quipes les moins huppes nont rien perdre dans ce genre deconfrontation et jettent souvent, sans complexe, toutes leurs forces dans la bataille. Il importe doncpour les favoris de se mettre labri de toute menace en prenant lavantage au score ds la premiremi-temps. Imaginons que lquipe de Ligue 1 marque trois buts ds la premire demi-heure de jeu. Lavoici donc soulage et sereine pour la suite de la rencontre. Mais imaginons quelle ne parvienne pas ouvrir le score qui reste vierge lissue de la premire mi-temps et mme pendant la seconde mi-temps. Plus le temps passe et plus lanxit, la peur de ne pas se qualifier, voire la culpabilit et lahonte de pitiner ainsi devant une quipe de niveau infrieur vont alors sinstaller.

    1.3. La gestion des butsLoin dtre linaire, le cheminement vers un but ressemble plutt un parcours chaotique,

    empruntant selon les circonstances des itinraires diffrents eux-mmes jalonns de sous-butsorganiss de manire hirarchique, mais parfois mutuellement incompatibles. Si pour un athlte,gagner une finale olympique peut reprsenter lobjectif ultime situ au sommet de la hirarchie desbuts, des buts de niveaux infrieurs tels que faire mieux que son principal rival lors des phasesqualificatives pour limpressionner, mais en prservant suffisamment de forces pour la finale, etc.constituent des buts intermdiaires possibles pour atteindre le but ultime. Outre laspect hirarchiquedu systme de buts, cet exemple illustre la prsence possible de conflits entre plusieurs buts. Toutindividu engag dans la poursuite dun objectif est donc un gestionnaire de buts multiples entrelesquels il doit chaque instant tablir des priorits, de manire consciente ou non consciente.

    Pour Carver et Scheier (1999, 2009) la gestion de ces priorits serait assiste par les processusaffectifs activs par la seconde boucle de contrle. Loccurrence dmotions positives telles quelexultation serait annonciatrice de latteinte imminente du but, quoi quil arrive, et autoriserait lapersonne moins se focaliser sur le but en question pour faire passer un autre but en tte des prioritsdu moment. Dans ce cas, le rgime adopt lgard du premier but est dit en roue libre . Un telrgime va, par exemple, pouvoir tre adopt par une quipe de sport collectif menant largement auscore quelques minutes de la fin dun match. Sa quasi certitude de victoire va lui permettre de seconsacrer davantage viter de faire des fautes stupides pouvant conduire la disqualification dunjoueur pour le prochain match de la comptition ou encore dconomiser ses efforts en vue dviter lesblessures ou de prserver un certain tat de fracheur pour la suite de la comptition. linverse,

  • lapparition dmotions ngatives telles que lanxit en lien avec un but important, mais nonprioritaire, jouerait un rle de signal destin inciter lorganisme attribuer immdiatement ce butune priorit plus leve en raison de lurgence de son accomplissement. Imaginons, par exemple, quenotre quipe de sport collectif possde une lgre avance au score et poursuive un objectif prioritairersolument orient vers lattaque pour accrotre son avance. Une srie dactions offensives deladversaire chouant de trs peu risquera fort de gnrer chez les joueurs de notre quipe quelquemotion ngative comme la peur de se faire rejoindre au score, voire de perdre le match. Ce signaldalarme motionnel va alors raviver la ncessit daccorder la priorit aux objectifs defficacitdfensive afin de sassurer la prservation de lavance acquise.

    Limportance du rle des affects dans la gestion des buts atteste du caractre souvent nonconscient, automatique, ractif et parfois mme irrationnel des mcanismes dautorgulation. Parconsquent, dans un domaine aussi charg motionnellement que la comptition sportive, cesmcanismes dautorgulation sont exacerbs au point dtre hypersensibles aux moindres variations deperformance et aux revirements de situation. Ces mcanismes se confondent alors avec un phnomnebien connu des sportifs, le Momentum Psychologique (MP).

    2. Le momentum psychologique

    En dpit de son origine latine, le terme momentum appartient au langage anglo-saxon courantdans lequel il dsigne une sorte dlan positif traduisant le fait de bnficier dune spirale ascendante,davoir le vent en poupe. Mais le momentum peut aussi faire rfrence un lan ngatif (momentumngatif) signifiant le fait dtre prcipit dans une spirale ngative.

    Bien que relativement peu tudi, le MP connat actuellement un regain dintrt auprs deschercheurs (voir Briki & Gernigon, 2009). On le dfinit comme une dynamique positive ou ngativedes rponses cognitives, affectives, motivationnelles, physiologiques et comportementales (et leurscouplages) la perception de progression ou dloignement vis--vis d'une issue apptitive ouaversive (Gernigon, Briki, & Eykens, 2010, p. 397). Ce phnomne rsulte donc des perceptions devitesse et de variations de vitesse (i.e., acclrations et dclrations) selon lesquelles les actionsdiriges vers un but sont accomplies (Adler, 1981 ; Markman & Guenther, 2007). Lensemble desconceptualisations thoriques labores sur le MP soulignent quun certain nombre de variablespsychologiques, considres comme impliques dans le phnomne, sont influences par la maniredont les individus se rapprochent ou sloignent du but atteindre (Adler, 1981 ; Gernigon et al.,2010 ; Markman & Guenther, 2007 ; Vallerand, Colavecchio, & Pelletier, 1988). La prcipitation dunvnement ou dune srie dvnements (Taylor & Demick, 1994) influencerait la perception quunacteur progresse vers son but (Vallerand et al., 1988), laquelle serait responsable des changementspositifs ou ngatifs aux plans cognitif, physiologique, affectif et comportemental (Taylor & Demick,1994 ; Vallerand et al., 1988). De plus, ces changements seraient dautant plus faciles dclencherque la situation serait perue comme tant importante (Markman & Guenther, 2007). Avant deprsenter de manire plus dtaille les manifestations du MP, intressons-nous dabord sesdterminants.

    2.1. Les dterminants du momentum psychologiqueDes donnes qualitatives collectes partir dentretiens de sportifs commentant leurs

    expriences de momentum ont permis didentifier une grande diversit dvnements potentiellementdclencheurs du phnomne (Jones & Harwood, 2008 ; Taylor & Demick, 1994) ainsi que lesmcanismes-mmes du dclenchement du MP (Briki, den Hartigh, Hauw, & Gernigon, 2011).

    Certaines recherches ont tent dinventorier les dclencheurs potentiels du MP (Jones &Harwood, 2008 ; Taylor & Demick, 1994). Pour Taylor et Demick (1994), ceux-ci peuvent tre

  • catgoriss en facteurs internes (e.g., auto-satisfaction, tats psychologiques, fatigue),environnementaux (e.g., configuration ou histoire du score, actions dcisives, comportementsadverses, dcisions darbitre) et sociaux (e.g., cohsion dquipe, influences de lquipe dirigeante,influences du public). La diversit des dterminants du MP tmoigne de la complexit du phnomne. cette complexit due au nombre important de variables candidates au statut de dclencheur de MP, ilfaut ajouter celle relevant des innombrables interactions que peuvent tisser ces variables entre elles,que ce soit de manire convergente ou conflictuelle. En somme, le dclenchement du MP ne peut treimputable un dterminant potentiel considr isolment, mais plutt une situation se droulant dansun contexte global ayant un sens particulier pour lindividu (Vallerand et al., 1988). Autrement dit,extirp de son contexte, un vnement potentiellement dclencheur de MP pourrait ne pas tre perucomme tel. Par exemple, en basket-ball, revenir galit de score en marquant dix points conscutifsna certainement pas la mme signification pour les joueurs que marquer dix points conscutifs alorsque leur quipe mne dj de vingt points.

    Si la comprhension du dclenchement du MP ne peut se satisfaire dinventaires dedclencheurs potentiels, il importe de sintresser la dynamique dmergence du phnomne. Dansune analyse qualitative dinterviews dathltes confronts aux vidos de leurs propres expriences demomentum, Briki, den Hartigh, Hauw et Gernigon (2011) ont mis en vidence trois sortes demcanismes dclencheurs du MP que sont la dissonance entre une situation tablie et des vnementsinattendus, la confirmation dune situation nouvelle et la perturbation du flux de pense en cours deperformance.

    Le mcanisme de dissonance sest avr tre le principal dclencheur du MP positif comme duMP ngatif. Il correspond la perception dun dcalage entre une situation considre comme tablieet un vnement contradictoire cette situation, survenant de manire inattendue. Ainsi, un MP positifa de fortes chances de se dclencher chez un joueur en difficult qui, contre le cours du jeu, marquesoudainement une srie de points dcisifs. En revanche, un MP ngatif apparatra trs probablementchez le joueur assez confiant dans sa victoire, mais qui se met commettre une srie de fautes. Dansces deux cas, le caractre contradictoire la situation tablie de lvnement nouveau gnre uneperception de changement, parfois radical, dans la perception de la vitesse dvolution lgard du butvis. Ce mcanisme de dissonance est parfaitement compatible avec lhypothse de Carver et Scheier(1999, 2009) selon laquelle les changements daffects surviendraient la suite de variations rapides(i.e., acclration ou dclration) de la vitesse.

    Le mcanisme de consonance, quant lui, implique une perception de consistance (cohrence)entre des vnements anticips et la situation prsente. Un exemple recueilli par Briki, den Hartigh,Hauw et Gernigon (2011) lors dune phase de MP ngatif en natation illustre ce cas de figure. Comptetenu du nombre important de courses qualificatives auxquelles il avait particip, un nageur craignait deconnatre une possible fatigue musculaire lors de la comptition la plus importante. Au cours de cettecomptition, ce nageur sest dcourag ds lapparition des premiers signes de fatigue. Autrement dit,la moindre confirmation dattentes relatives une situation fait cho ces attentes, prcipitant ainsi laconfiance en soi et les comportements qui en rsultent dans une direction conforme ces attentesinitiales. Ceci confirme les rsultats des travaux de Jones et Harwood (2008) qui ont notammentmontr le caractre dterminant dattentes defficacit leves ou faibles dans le dclenchement dunMP positif ou ngatif, respectivement.

    La perturbation du flux de pense est un mcanisme qui se rfre lirruption de pensesnfastes pour la performance, alors que lathlte tait focalis sur des penses positives, utiles saperformance. Par exemple, Briki, den Hartigh, Hauw et Gernigon (2011) ont observ ce phnomne entennis de table. Un joueur sappliquait excuter ses actions le plus efficacement possible (buts dematrise-approche) lorsque, alors que sa victoire tait toute proche, des penses voquant une possibledfaite ont surgi et ont occup de manire indfectible la totalit de son attention, gnrant unefocalisation accrue sur le rsultat final et lvitement des erreurs, ainsi que de lanxit. On retrouvedans cet exemple lhypothse de Carver et Scheier (1999, 2009) selon laquelle loccurrence dunemotion est associe un changement de but prioritaire.

  • Pour rsumer, les dterminants du MP peuvent correspondre de multiples facteurs qui pourjoueur leur rle de dclencheur devront revtir une signification particulire selon le contexte etlhistoire des vnements dans lesquels les actions se droulent (Gernigon et al., 2010 ; Vallerand etal., 1988). Lmergence du MP rsulte donc dune dynamique pouvant comprendre des phases tellesque la perception dune dissonance entre une situation tablie et des vnements inattendus, laconfirmation dune situation nouvelle et la perturbation du flux de pense. Si la vision dun MPsinscrivant dans une dynamique peut donc sappliquer ses modes de dclenchement, elle peutgalement apporter un clairage sur le dveloppement de ses manifestations.

    2.2. Les manifestations du momentum psychologiqueLe phnomne de MP est reprable au travers de manifestations cognitives, affectives,

    motivationnelles et comportementales (Taylor & Demick, 1994) pouvant se traduire en termes deperceptions de contrle, de confiance en soi, de motivation, d'nergie dploye et de synchronisme desactions (Vallerand et al., 1988). Selon Adler (1981), ces manifestations peuvent se dvelopper demanire graduelle le momentum est alors dit placide ou de manire abrupte le momentum estexplosif. Compte tenu de la nature dynamique du MP, de rcentes recherches ont examin la maniredont certaines de ses manifestations se dveloppent en cours de performance sportive relles (BrikiBriki, den Hartigh, Hauw, & Gernigon, 2011 ; Briki, den Hartigh, & Gernigon, 2011) ou virtuelles(Gernigon et al., 2010).

    A partir de mesures rtrospectives rptes ou continues, Briki et ses collaborateurs (Briki, denHartigh, & Gernigon, 2011 ; Gernigon et al., 2010) ont examin la dynamique de certains contenusaffectifs et cognitifs du MP. Les rsultats de leurs recherches ont montr que des variablespsychologiques telles que lanxit comptitive, la confiance en soi (Briki, den Hartigh, & Gernigon,2011 ; Gernigon et al., 2010) et les buts daccomplissement2 poursuivis par les athltes (Gernigon etal., 2010) subissaient des variations importantes au cours du dveloppement de MP positifs oungatifs. Lanxit comptitive diminuait et la confiance en soi augmentait durant les expriences deMP positif (Briki, den Hartigh, & Gernigon, 2011 ; Gernigon et al., 2010), tandis que ces mmesvariables montraient des patrons inverses au cours de phases de MP ngatif (Gernigon et al., 2010). Ence qui concerne les buts daccomplissement, une baisse de limplication dans les buts de matrise-vitement (i.e., intention dviter de faire des erreurs) et dans les buts de performance-vitement (i.e.,intention dviter dtre moins bon que les autres) (Gernigon et al., 2010) taient enregistres lors desphases de MP positif. En revanche, en cours de MP ngatif, le niveau dimplication dans les buts dematrise-vitement augmentait (Gernigon et al., 2010).

    Dans leur tude qualitative du momentum, Briki, den Hartigh, Hauw et Gernigon (2011) ontrapport que les expriences de MP positif taient associes des perceptions positives telles quecelles de prendre lascendant sur l(es) adversaire(s) ou de contrler la situation, tandis que lesexpriences de MP ngatif taient accompagnes de perceptions ngatives telles que celles dedcrocher et de se sentir domin par l(es) adversaire(s) ou encore de perdre ses sensations motrices.Au plan cognitif, les expriences de MP positif taient associes des penses positives commelanticipation de la victoire, tandis que les expriences de MP ngatif taient accompagnes de pensesngatives telles que lanticipation de la dfaite. Au plan affectif, des motions positives telles que lajoie et le plaisir taient enregistres en cours de momentum positif et des motions ngatives comme ledplaisir et lanxit se dveloppaient en cours de momentum ngatif. Au plan comportemental, le MPpositif tait associ une augmentation des efforts, mais aussi des phases de relchement de cesefforts. Le MP ngatif tait lui aussi associ des phases de surcrot deffort et des phases derelchement. Les manifestations comportementales ainsi observes prsentent donc une certainesimilarit entre le MP positif et le MP ngatif, similarit apparente qui ne rsistera pas lanalyse desdynamiques propres aux manifestations de chaque type de MP.

    2 Pour une dfinition et un dveloppement du concept de but daccomplissement, voir le chapitre de Boich etGernigon consacr la motivation dans le prsent ouvrage.

  • En fait, le droulement du MP positif commence par un surcrot deffort prolong destin assurer lascendant sur l(es) adversaire(s), puis se termine par un certain relchement destin prserver son nergie pour sassurer de pouvoir aller jusquau bout de lpreuve de manirevictorieuse. Le MP ngatif, quant lui, dbute par un bref accroissement des efforts, destin luttercontre le dcrochage par rapport l(aux) adversaire(s), puis se poursuit aussi par un relchementcorrespondant, cette fois, un comportement rsign de renoncement tout effort jug vain. Si onconsidre ensemble ces dynamiques comportementales et les motions observes lors de MP positif etlors de MP ngatif, on saperoit que la phnomnologie du MP ainsi rvle est compatible avec lemodle de lautorgulation de Carver et Scheier (1999, 2009) expos prcdemment. Ainsi, ensituation de momentum positif, les motions positives issues de la perception dune vitesse deprogression vers le but (la victoire) suprieure la vitesse de progression attendue avertiraientlathlte sur le fait que ses propres standards de vitesse de progression sont dpasss, ce quilautoriserait adopter sans grand risque un rgime de fonctionnement en roue libre, plus conome deson nergie. En situation de momentum ngatif, les motions ngatives manant du jugement que lavitesse de progression vers le but est infrieure la vitesse de progression attendue joueraient le rlede signal dalarme incitant lathlte produire davantage defforts pour tenter de rtablir une vitessede progression conforme son standard. Puis si ces efforts ne parviennent pas rduire la discrpancevis--vis de ce standard ou pire, si cette discrpance saccrot, le but peut tre peru commedfinitivement hors datteinte, ce qui entrane son abandon pur et simple. Selon Carver et Scheier(1999) ce modle offre une voie dinterprtation supplmentaire lassociation de la thorie de laractance et la thorie de la rsignation apprise propose par Wortman et Brehm (1975). Selon lathorie de la ractance (Brehm, 1972), une perte de contrle sur une situation entrane une tentative dercuprer ce contrle, tant que celui-ci semble encore rcuprable. La rsignation apprise (Seligman,1975), quant elle, se caractrise par un patron motionnel, motivationnel et comportemental ngatifen rponse une croyance dincontrlabililt acquise par exprience (voir Gernigon, 2005, pour unerevue dtaille). Par consquent, lutter dans un premier temps contre le momentum ngatif puis cesserses efforts en guise de renoncement peut sexpliquer par la succession de phases de ractance et dersignation. La phase de ractance peut tre maintenue aussi longtemps que lathlte espre encorepouvoir gagner, puis une fois ses esprances vanouies, la phase de rsignation sinstalle sous la formedu relchement des efforts (Briki, den Hartigh, Hauw, & Gernigon, 2011).

    Une diffrence marquante entre les dynamiques du MP positif et du MP ngatif tientgalement la dissymtrie de leurs patrons dvolution. Gernigon et al. (2010) ont compar lesractions de pongistes des scnarios dvolution de score symtriquement inverss : graduellementascendants (momentum positif) versus graduellement descendants (momentum ngatif). Ces auteursont observ que lanxit comptitive diminuait progressivement tout au long du scnario ascendant,tandis quelle augmentait de manire brutale en dbut de scnario descendant pour ne plus varierensuite. En ce qui concerne lanxit comptitive donc, le MP positif sest dvelopp selon unedynamique placide tandis que le MP ngatif a rvl une dynamique explosive (Adler, 1981). Cettedissymtrie est conforme celle que Kahneman et Tversky (1979) ont observ en conomie entregains et pertes. Selon la thorie des perspectives propose par ces auteurs, il est plus douloureux deperdre un bien quil est agrable dobtenir ce bien. Au dautres termes, la fonction de valeur des biensest plus abrupte pour les pertes que pour les gains. Dune manire gnrale, ce patron dissymtriqueconforte lide avance par Baumeister, Bratslavsky, Finkenauer et Vohs (2001) que les vnementsngatifs ont un plus fort impact psychologique que les vnements positifs.

    En rsum, les manifestations du MP semblent sadresser diffrentes sphres, cognitive,affective, motivationnelle et comportementale. lintrieur de ces sphres, les variables sensibles aumomentum apparaissent voluer tout au long du dveloppement du phnomne selon des dynamiquesspcifiques au MP positif et au MP ngatif.

    Conclusion

  • Ce chapitre a permis de montrer que les comportements et les affects taient respectivementrguls en cours de performance par deux types de boucles de feed-back renseignant les individus surla distance les sparant du but atteindre (ou de la situation viter) et sur la vitesse de progression(ou dloignement) par rapport au but vis (ou la situation viter). La boucle de contrle des affectsjoue galement un rle important dans la gestion des priorits concernant les buts multiples et parfoiscontradictoires quun athlte peut avoir poursuivre pour atteindre son objectif ultime. Ces principesissus de la thorie de lautorgulation de Carver et Scheier (1999, 2009) sappliquent toutparticulirement au momentum psychologique, un phnomne dynamique sensible aux revirements desituation et dont larne sportive est familire (e.g., Briki & Gernigon, 2009).

    Les travaux cherchant amliorer la comprhension des comportements dautorgulation et dumomentum psychologique en cours de performance connaissent un essor rcent. Nanmoins, nousmanquons encore de recherches dont le but serait de tester lefficacit de stratgies mentalespermettant de mieux sapproprier le MP, autrement dit dapprendre optimiser les phases de MPpositif et se librer des phases de MP ngatif. Par consquent, il est aujourdhui hasardeux davancerdes conseils prescriptifs pour les entraneurs et pour les athltes. En ltat actuel des connaissances surce sujet, nous pouvons seulement mettre quelques hypothses. Compte tenu du rle des affects dansles mcanismes dautorgulation, il est probable que les techniques de contrle motionnel3 lorsquelles ont fait lobjet dapprentissage et dentranement spcifiques puissent influencerpositivement le comportement des athltes en cours de performance. Il en va de mme pour lestechniques de fixation des objectifs (voir Gernigon, 1998) qui devraient rendre les butsdaccomplissement moins permables aux influences des motions caractristiques de chaque type deMP.

    Rsum conclusif :

    En comptition, les comportements et les affects peuvent tre envisags comme respectivementrguls par deux types de boucles rtroactives renseignant les individus sur la distance les sparant dubut atteindre (ou de la situation viter) et sur la vitesse de progression (ou dloignement) parrapport au but vis (ou la situation viter). La boucle de contrle des affects joue galement un rleimportant dans la gestion des priorits concernant les buts multiples et parfois contradictoires quunathlte peut avoir poursuivre pour atteindre son objectif ultime. Ces principes issus de la thorie delautorgulation de Carver et Scheier (1999, 2009) sappliquent tout particulirement au momentumpsychologique, un phnomne dynamique sensible aux revirements de situation et dont larnesportive est familire (e.g., Briki & Gernigon, 2009).

    Lectures conseilles :

    Briki, W., & Gernigon, C. (2009). Momentum psychologique : Le pouvoir de l'lan. In Y. Paquet(Ed.), Psychologie du contrle : aspects thoriques et applications (pp. 227-246). Bruxelles :De Boeck.

    Carver, C. S., & Scheier, M. F. (2009). Processus de contrle, autorgulation, et affect. In Y. Paquet(Ed.), Psychologie du contrle : aspects thoriques et applications (pp. 207-225). Bruxelles :De Boeck.

    Gernigon, C., Briki, W., & Eykens, K. (2010). The dynamics of psychological momentum in sport:The role of ongoing history of performance patterns. Journal of Sport & Exercise Psychology,32, 377-400.

    3 Voir dans le prsent ouvrage le chapitre de Julien Bois concernant les mthodes de prparation mentale et celuide Marjorie Bernier relatif lapproche mindfulness.

  • Des questions pour mieux retenir :

    Identifiez les diffrentes boucles de feed-back qui, selon Carver et Scheier (1999, 2009), sontimpliques dans la rgulation des affects et des comportements. Prsentez schmatiquement leur modede fonctionnement.Quels mcanismes gouvernent la gestion des priorits de buts selon Carver et Scheier (1999, 2009) ?Illustrez votre propos avec des exemples de situations sportives.Quelles dynamiques le momentum psychologique positif et le momentum psychologique ngatifprsentent-ils respectivement ?

    Des questions pour mieux rflchir :

    En quoi le phnomne de momentum psychologique peut-il tre considr comme une illustration dela thorie de lautorgulation de Carver et Scheier (1999, 2009) ?