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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 1 ASPECTS ECONOMIQUES DE LEFFICACITE EXTERNE DE LEDUCATION AU SENEGAL Borel FOKO, Francis NDEM* Nicolas REUGE** Octobre 2004 Résumé : L’utilisation des taux de rendements sociaux et privés pour planifier l’éducation peut contribuer à l’amélioration de l’efficience de la dépense publique et au développement économique du Sénégal. Les investissements dans l’enseignement supérieur (tel qu’ils sont faits fait actuellement) semblent au-delà du nécessaire et peu rentables aux plans individuel et agrégé. La rentabilité de l’enseignement technique ou de l’enseignement primaire est avérée, et dans une certaine mesure, celle des autres niveaux d’enseignement. Les filières techniques et professionnelles sont à développer davantage. La structure actuelle des coûts unitaires, trop favorable à l’enseignement supérieur ne semble pas économiquement pertinente. En dépit d’une forte expansion de l’activité économique depuis le milieu des années 1990, on note une progression du chômage entre 1994 et 2001. Si de toute évidence le chômage a une composante cyclique, il tient aussi à un excès d’offre de formation, principalement dans l’enseignement supérieur, mais surtout à une « inadéquation qualitative » de l’offre à la demande de travail. Ceci interpelle davantage le système éducatif qui en plus d’assurer une scolarisation primaire complète à tous les jeunes du pays, se doit de réguler les flux d’élèves vers la partie haute du système et améliorer la qualité de l’enseignement, notamment au supérieur (identifier quelles filières développer), en se référant aux demandes du marché du travail. / / / *Analystes de politiques éducatives à l’UNESCO/BREDA (Bureau régional de l’UNESCO pour l’éducation en Afrique), Unité de suivi de Dakar. ** Membre de l’équipe d’experts analystes de politiques sectorielles en éducation, Pôle de Dakar Correspondances : [email protected] /[email protected]/[email protected]/www.poledakar.org Note : Les éléments développés dans ce papier ne reflètent pas nécessairement le point de vue de l’UNESCO. Les auteurs remercient Mathieu Brossard, du Pôle de Dakar, pour ses nombreuses suggestions et l’intérêt qu’il a accordé à ce papier, mais restent les seuls responsables de toute erreur résiduelle qu’il pourrait contenir.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 1

ASPECTS ECONOMIQUES DE L’EFFICACITE EXTERNE DE

L’EDUCATION AU SENEGAL

Borel FOKO, Francis NDEM*

Nicolas REUGE**

Octobre 2004

Résumé : L’utilisation des taux de rendements sociaux et privés pour planifier l’éducation peut contribuer à l’amélioration de l’efficience de la dépense publique et au développement économique du Sénégal. Les investissements dans l’enseignement supérieur (tel qu’ils sont faits fait actuellement) semblent au-delà du nécessaire et peu rentables aux plans individuel et agrégé. La rentabilité de l’enseignement technique ou de l’enseignement primaire est avérée, et dans une certaine mesure, celle des autres niveaux d’enseignement. Les filières techniques et professionnelles sont à développer davantage. La structure actuelle des coûts unitaires, trop favorable à l’enseignement supérieur ne semble pas économiquement pertinente. En dépit d’une forte expansion de l’activité économique depuis le milieu des années 1990, on note une progression du chômage entre 1994 et 2001. Si de toute évidence le chômage a une composante cyclique, il tient aussi à un excès d’offre de formation, principalement dans l’enseignement supérieur, mais surtout à une « inadéquation qualitative » de l’offre à la demande de travail. Ceci interpelle davantage le système éducatif qui en plus d’assurer une scolarisation primaire complète à tous les jeunes du pays, se doit de réguler les flux d’élèves vers la partie haute du système et améliorer la qualité de l’enseignement, notamment au supérieur (identifier quelles filières développer), en se référant aux demandes du marché du travail. �

*Analystes de politiques éducatives à l’UNESCO/BREDA (Bureau régional de l’UNESCO pour l’éducation en Afrique), Unité de suivi de Dakar. ** Membre de l’équipe d’experts analystes de politiques sectorielles en éducation, Pôle de Dakar Correspondances : [email protected] /[email protected]/[email protected]/www.poledakar.org Note : Les éléments développés dans ce papier ne reflètent pas nécessairement le point de vue de l’UNESCO. Les auteurs remercient Mathieu Brossard, du Pôle de Dakar, pour ses nombreuses suggestions et l’intérêt qu’il a accordé à ce papier, mais restent les seuls responsables de toute erreur résiduelle qu’il pourrait contenir.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 2

I. Introduction On peut juger de l’efficacité d’un système éducatif dans sa capacité à atteindre les objectifs qu’il s’est fixés, compte tenu des ressources, des modes d’organisation et de gestion qu’il a utilisés. Etant donné que le système éducatif contribue à la production du capital humain, son efficacité peut être appréciée à deux niveaux. S’il s’agit de juger dans quelle mesure le système parvient à offrir ses services (couverture et acquisitions scolaires, formations civiques, cognitives et qualifiantes) au plus grand nombre d’individus, on parle d’efficacité interne. Par contre, l’efficacité externe de l’éducation s’intéresse d’une part à la performance des formés quand ils ont quitté la sphère éducative et sont entrés dans leur vie d’adulte sociale et productive. Il est alors question de juger dans quelle mesure les produits de l’école trouvent effectivement un emploi qui correspond au mieux à leur profil, y tirent des avantages individuels, susceptibles de compenser les coûts liés au temps passé dans le système éducatif. D’autre part, l’efficacité externe, du point de vue agrégé, peut être appréciée à travers la contribution du système de l’éducation et de la formation au développement économique et social du pays. En suivant la théorie du capital humain, on suppose que la production et l’acquisition de ce capital doivent être considérés comme un investissement. Par ailleurs, les nouvelles théories de la croissance économique suggèrent que l’investissement en capital humain est collectivement rentable, de part l’efficacité de la force de travail, et les externalités positives qu’il génère. De ce fait, les gains économiques et sociaux attendus pour la collectivité (développement humain et social au sens large) vont bien au delà des seuls gains individuels. Ces externalités sont assimilables à une sorte de « savoir faire collectif », donc à une information profitable à la collectivité, issue de l’activité d’individus (mieux éduqués), mais que ceux-ci ne peuvent garder pour eux-mêmes. La théorie économique suggère qu’en cas d’existence d’externalités, l’agrégation des intérêts individuels peut s’éloigner de l’optimum social. Par exemple, certains individus peuvent avoir tendance à investir moins en éducation qu’il ne serait souhaitable collectivement ; chacun ayant intérêt à bénéficier (sans doute à un coût négligeable par le jeu des externalités) des connaissances des autres individus (mieux formés). Ainsi, la présence d’externalités justifie pour certains l’intervention de l’Etat sinon dans l’économie ou du moins, dans la régulation ou la prise en charge du système éducatif, pour maximiser les gains collectifs. Dans cette perspective, il est utile de repréciser des critères d’allocation de ressources publiques entre niveaux d’éducation et types d’éducation considérés comme variables économiques sensées orienter les choix individuels et/ou collectifs en matière d’éducation. Au Sénégal, la lutte contre la pauvreté est au centre des politiques de développement préconisées par le gouvernement et il est souhaitable que le système éducatif contribue à la réalisation de ce défi qu’est la réduction de la pauvreté à moyen terme. Par conséquent, le système éducatif, en utilisant de la manière la plus efficiente les ressources qui lui sont allouées, devrait créer des conditions pour que l’investissement en capital humain soit rentable aussi bien au niveau individuel qu’au niveau de la collectivité. En effet, s’il faut traiter les dépenses publiques

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d’éducation comme un investissement qui doit rentrer en concurrence avec des ressources rares, l’éducation doit se justifier, du point de vue collectif, par son apport à la production nationale. Dans une étude récente sur des pays à faibles revenus, Mingat et Suchaut (2000) montrent que les pays ayant obtenu une meilleure croissance économique étaient ceux qui avaient le plus développé, auparavant, leur système éducatif (forte couverture scolaire). Cependant, les pays qui avaient « investis au-delà du nécessaire » dans l’éducation post-primaire n’avaient pas eu une meilleure croissance que les pays qui avaient accordé une forte priorité au cycle primaire. Dans le cas du Sénégal, il importe d’apprécier le niveau et la qualité actuelle de la main d’œuvre, ainsi que sa répartition selon les niveaux terminaux d’éducation. Ensuite, on devra examiner si la production des diplômés du post-primaire est au delà de ce qui serait attendu compte tenu du niveau de développement du pays. C’est alors qu’il se dégagera un argumentaire solide pour explorer certains critères pertinents pour guider l’allocation des ressources disponibles entre niveaux et type d’éducation et de formation de sorte à contribuer au développement économique et social à moyen terme. Sans méconnaître la dimension sociale des effets externes de l’éducation au plan individuel ou pour la société (amélioration des conditions de vie et de l’insertion sociale des populations, développement sanitaire et politique du pays, transition démographique, etc.), nous restreignons volontairement le champ de ce papier à la seule dimension économique de l’efficacité externe. Spécifiquement, les questions que nous allons aborder sont les suivantes :

o Quelle est la structure de l’économie sénégalaise et comment se distribuent les types d’emplois offerts entre les secteurs moderne et informel ?

o Quelle est la distribution par niveau d’éducation des produits de l’école qui arrivent sur le marché du travail ?

o Ces produits arrivent-ils à s’y employer ? La main d’œuvre correspond t-elle aux besoins de l’économie en qualité ? Le système éducatif produit-il au-delà du nécessaire, dans le cycle d’enseignement supérieur en particulier ?

o De quels profils a besoin le secteur de l’emploi formel ? o Les investissements éducatifs sont-ils « financièrement » rentables (tant au plan

collectif qu’au plan individuel) ? Peut-on estimer la sensibilité de la demande de scolarisation à l’inefficience interne du système éducatif ?

II. Des critères économiquement pertinents pour orienter l’allocation des

ressources entre niveaux et types d’éducation Après lecture des objectifs poursuivis dans le Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP, 2002), il ressort que le gouvernement du Sénégal est conscient du rôle que peut jouer le capital humain dans une perspective de réduction de la pauvreté à moyen terme1. Une contribution du secteur de l’éducation et de la 1 Entre autres axes stratégiques retenus dans le DSRP, les trois suivants interpellent directement ou indirectement le spécialiste de l’éducation : [i) créer les conditions d’une croissance économique forte, équilibrée et mieux répartie, ii) accélérer la mise en place d’infrastructures de base pour renforcer le capital humain et iii) réduire les disparités selon le genre dans l’enseignement primaire et secondaire].

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formation à la croissance économique nécessaire à la réduction de la pauvreté consiste sans aucun doute à produire du capital humain en quantité et en qualité, en adéquation avec les besoins de l’économie, et de réduire les disparités sociales en capital humain afin que les plus défavorisés puissent s’intégrer dans la société, contribuer à la croissance globale et échapper ensuite à la trappe de pauvreté. Des analyses empiriques (sur données individuelles d’enquêtes ménages ou dans des modèles de croissance) convergent pour souligner qu’une éducation primaire complète et de qualité raisonnable constitue l’investissement formel minimal en capital humain pour produire des alphabètes durables et créer les conditions d’une croissance économique future. Dans cette perspective, il est sans doute pertinent d’identifier dans quelle mesure la structure actuelle des scolarisations et l’allocation des ressources entre les différents niveaux éducatifs est compatible avec la stratégie de moyen terme de réduction de la pauvreté. Dans un pays à faible revenu (dont les ressources sont spécialement contraintes), l’allocation des ressources vers les niveaux d’éducation post primaire mérite d’être éclairée par des critères économiques d’ « efficience externe » de la dépense publique. Une démarche classique suggère d’utiliser la structure des taux de rendements sociaux de l’éducation (Mingat et Tan, 1996) et des taux de rendements privés comme critères d’allocation des ressources publiques entre niveaux (élémentaire, moyen, secondaire général et supérieur dans le cas du Sénégal) et types (général, technique et professionnel) d’éducation. Cette démarche suppose que les taux de rentabilité privée sont sensés guider les choix individuels en matière d’éducation, tandis que les taux de rentabilité sociale permettent aux pouvoirs publics de décider de leurs investissements et de leur politique. Ceci a comme implication théorique de conduire à l’expansion des formes d’éducation ayant des taux élevés de rentabilité sociale et à contrôler celles dont les taux se révèlent faibles ; exiger des frais d’acquisition du capital humain pour les formations pour lesquelles la rentabilité privée est avérée, etc. Sans méconnaître les insuffisances et le caractère « mécanique » d’une telle approche, il n’en demeure pas moins qu’elle constitue une base factuelle solide pour orienter les choix politiques. Ceci dit, sur la base d’informations suffisamment récentes et représentatives au plan national, nous conduirons des estimations de taux de rendements sociaux et privés pour le Sénégal.

Commençons par aborder les deux questions suivantes :

o Le système éducatif produit-il des formés en nombre suffisant ou en surnombre, par rapport aux capacités d’insertion qu’offre le marché du travail ? Sur le plan de l’efficacité externe, le système éducatif doit éviter à la fois la pénurie de main d’œuvre et le gaspillage des ressources (chômage des plus éduqués -qui coûtent cher- engendrant éventuellement une fuite des cerveaux et/ou une grogne sociale).

o Les formés ont-ils les qualifications recherchées sur le marché du travail ?

Ces questions méritent d’être abordées dans une perspective temporelle de court ou moyen terme. Le planificateur a en effet besoin de savoir si compte tenu d’une part

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de l’évolution anticipée de la structure et du taux de croissance de l’économie, et d’autre part de l’évolution de l’équilibre probable sur le marché du travail, le système de l’éducation et de la formation sera en mesure de répondre aux besoins de l’économie en main d’œuvre en quantité et en qualité ou types de formations. Cet exercice prospectif s’inscrit plus dans une perspective macroéconomique globale2 ; c’est pourquoi, nous optons pour une approche rétrospective en examinant, sur la décennie écoulée, quelle a été l’adéquation du capital humain produit avec la structure de l’économie. Cette approche, en dépit de ses limites (tournée vers le passé, mais un passé récent), est néanmoins instructive pour juger des espaces de liberté pour asseoir des politiques futures en vue d’aligner la production du capital humain avec les demandes de l’économie.

Examinons tout d’abord comment a évolué la structure de l’économie sénégalaise pendant la décennie écoulée, la structure et les qualifications de la population active, leur répartition entre les secteurs moderne et informel de l’économie, le taux de chômage, la productivité de la force de travail, ainsi que le taux d’analphabétisme. Les données mobilisées dans le cadre de cette étude sont de sources diverses : le World developpement indicateurs 2003 de la World Bank ; des données d’enquêtes nationales [Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages (ESAM 1 de 1994/1995) ; et ESAM-QUID (enquête unifiée sur les indicateurs de développement de 2001)]. III. Une économie duale, tertiarisée et en expansion, marquée par une hausse

de la productivité dans l’industrie et l’agriculture, ainsi que par l’amélioration du stock de capital humain

Pour mieux apprécier l’impact de la situation de l’économie réelle sur le marché du travail, il est sans doute nécessaire d’aller au delà d’une simple description de l’évolution des taux de croissance pour s’intéresser au cycle économique. En effet, i) un ralentissement de la croissance n’est pas synonyme d’une contraction de l’activité, en référence à la capacité de production de l’économie et ii) selon des résultats empiriques, on s’attend à ce que le taux de chômage soit contra cyclique à la production nationale. Cela dit, le PIB réel a régulièrement enregistré des fluctuations conjoncturelles autour d’une tendance haussière. Vers la fin des années 80, le Sénégal a connu pendant près de 6 années une contraction de l’activité économique et est rentré en récession à partir de 1992. Cette phase de contraction de l’activité est historiquement la plus longue que le Sénégal ait connue au cours des 40 dernières années (elle aura duré 6 années, de 1988 jusqu’en 19943), puisque la contraction de la fin des années 70 n’aura durée qu’au plus 5 années, si on néglige le bref retournement de conjoncture entre

2 Les exercices de prévision de besoins en main d’œuvre nécessitent un profond diagnostic de l’économie dans l’instant présent et une bonne dose de croyances sur son évolution à moyen terme. A partir d’un taux de croissance anticipé de l’économie, on en déduit les évolutions requises des valeurs ajoutées sectorielles. Des valeurs ajoutées sectorielles, on peut déduire le supplément de main d’œuvre requis pour chaque secteur, moyennant certaines hypothèses structurelles sur les fonctions de productions sectorielles. In fine, une autre hypothèse sur la composition même de la main d’œuvre est nécessaire pour fournir un signal au système éducatif et de formation, sur les produits à mettre sur le marché du travail à chaque période du temps. 3 Le cycle économique aura duré une dizaine d’années, à partir de 1984, avec une période d’expansion jusqu’en 1988.

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1978 et 1979. Au creux de la dépression en 1994, le PIB réel se situait à environ 5,3% en dessous de son niveau potentiel.

Graphique 1 : Evolution de l’écart conjoncturel au Sénégal, entre 1960 et 2001

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PIB

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Sources : Banque Mondiale (World developpement indicators de 2003) et calculs des auteurs.

La reprise économique est survenue après la dévaluation du franc CFA, et le taux de croissance du PIB est passé de -2,2% en 1993 à +2,9% en 1994. L’économie connaît une forte expansion depuis la fin des années 90, avec un taux de croissance proche de 6%, en moyenne annuelle, et supérieur au taux de croissance démographique, estimé à 2,5% environ entre 2000 et 2001 (Tableau 1). La structure du PIB est restée à prédominance tertiaire, avec une contribution du secteur des services au dessus des 55% du PIB. La contribution du secteur primaire à la richesse intérieure est restée stable ces dernières années, autour de 18%, tandis que celle du secteur industriel augmentait de 6 points entre 1994 et 2001, de 21 à 27%. Tableau 1 : Evolution de la structure de l’économie, de la population active, de la

productivité apparente globale du travail et du taux d’analphabétisme (1994-2001)

1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

PIB (milliards de Fcfa constants de 1987) (1) 1 524,7 1 604,4 1 686,2 1 773,6 1 874,7 1 971,0 2 081,3 2 201,0

Taux de croissance du PIB (%) 2,9 5,2 5,1 5,2 5,7 5,1 5,6 5,7 Contributions sectorielles au PIB (%)

Services 60,2 58,8 56,8 57,9 58,2 56,4 55,0 55,2

Industrie 21,0 21,5 22,6 23,0 24,3 25,5 26,9 26,9

Agriculture 18,8 19,7 20,6 19,1 17,5 18,0 18,2 17,9

Population active* (milliers) (2) 3 602,2 3 700,9 3 806,8 3 920,2 4 036,2 4 152,4 4 263,7 4 376,0Productivité apparente globale

(000 Fcfa de 1987 par actif) (1)/(2) 423,3 433,5 443,0 452,4 464,5 474,7 488,2 503,0

Taux d’analphabétisme (15 ans et +) 68,1 67,2 66,3 65,4 64,4 63,5 62,6 61,7

* Elle comprend toutes les personnes employées et les individus au chômage qui recherchent des emplois Sources des données : Banque Mondiale (World development indicators 2003) et calculs des auteurs

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La population active a progressé au rythme de 2,8% en moyenne entre 1994 et 2001, pour atteindre le chiffre de 4,4 millions en 2001. Sur la même période, les gains de productivité ont été sensibles ; le produit moyen par personne active a augmenté d’environ 18,8%, soit de 2,5% en moyenne annuelle. En francs CFA constants de 1987, la productivité apparente du travail est passée de 423 000 francs CFA (1 181 US$ de 1995) en 1994 à environ 503 000 francs CFA (1 403 US$ de 1995) en 2001. Cet indicateur fournit une mesure grossière4 de la contribution du facteur travail (et de façon large celle du capital humain) à la performance économique globale. L’analyse des données issues des enquêtes ménages ESAM 1 (1995) et QUID (2001) montre que le secteur de l’emploi formel est à prédominance non agricole. Ce secteur possède une forte valeur ajoutée (celles des industries et des services au sens large) et concentre peu d’actifs : 10,3% en 2001 contre 5,7% des actifs occupés en 1995 (tableau 2). Avec une faible valeur ajoutée résultant de l’effort de près de 90% [52,5 + 37,2] de la population active (en 2001), la productivité moyenne par actif dans le secteur informel ne peut qu’être modeste. Cela dit, en distinguant les secteurs à forte productivité de la main d’œuvre de ceux qui le sont moins, on peut réduire l’économie sénégalaise à deux principaux secteurs : un secteur traditionnel (agriculture et secteur informel) à faible productivité de main d’œuvre, constitué essentiellement d’entreprises individuelles et d’activités indépendantes et un secteur « moderne » regroupant des sociétés privées et parapubliques, ainsi que les services non marchands de l’administration publique, d’ONGs5, d’organismes internationaux ou de représentations diplomatiques, etc. Tableau 2 : Evolution de la population active occupée dans les secteurs informel ou moderne

de l’économie sénégalaise, entre 1995 et 2001

1995 2001 Secteurs d’activité (effectifs en milliers) Nombre d’emplois (%) Nombre d’emplois (%)

Secteur informel agricole 1 622,9 60,2 1 640,0 52,5 Secteur informel non agricole 918,5 34,1 1 163,0 37,2

Secteur de l’emploi formel (moderne) 154,6 5,7 320,4 10,3

Ensemble 2 696,0 100 3 123,4 100 Sources : Calculs des auteurs sur la base des données de l’ESAM 1 et du QUID de 2001

Dans ce contexte de dualité de l’économie, la plupart des théoriciens de l’économie du développement6 évoquent un schéma de développement qui consisterait en i) des gains de productivité dans le secteur traditionnel (à prédominance agricole), ii) au développement du secteur moderne plus productif suivi iii) d’une mobilité progressive du « surplus de main d’œuvre » du secteur traditionnel vers le secteur moderne. Dans le cas du Sénégal, la composition sectorielle de la population active a changé, la part de la population active occupée dans le secteur traditionnel a baissé de 4,6 points entre 1995 et 2001. Dans le même temps, la part de la population

4 C’est plutôt le produit marginal du facteur travail qu’il faudrait considérer. 5 Organisations Non Gouvernementales 6 Notamment Arthur Lewis, cité par Assidon (1992)

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active dans le secteur informel agricole a baissée d’environ 8 points au profit du secteur informel non-agricole (+3,1 points) et du secteur moderne (+4,6 points). Le capital humain doit jouer un rôle important dans cette « mobilité » de la force de travail du secteur traditionnel vers le secteur moderne généralement à forte intensité capitalistique et à emplois qualifiés (l’idéal serait donc que cette force de travail soit « qualifiée » et à même de s’accommoder de l’innovation technologique). Toujours entre 1995 et 2001, la proportion des actifs agricoles a baissée de 60,4 à 53% ; celle des actifs industriels a baissé de 3 points environ, de 14,2 à 11,3% tandis que la proportion de la main d’œuvre tertiaire augmentait, de 25,4 à près de 37%. Ces chiffrent suggèrent l’existence de gains de productivité dans l’industrie et dans l’agriculture qui contrebalancent largement7 la baisse de productivité dans le secteur tertiaire8. Le taux d’analphabétisme a baissé de près de 7 points entre 1994 et 2001, ce qui suggère qu’il y aurait eu une contribution non négligeable du secteur de l’éducation et de la formation à la performance économique globale sur la période. Un zoom de la distribution des emplois selon le secteur d’activité en 2001, montre que le secteur agricole est le principal pourvoyeur d’emplois, avec 53% des emplois (tableau 3). Le secteur tertiaire en général suit avec près de 36% des emplois. Le secteur industriel n’offre qu’à peine 11,3% du total des emplois. Dans le secteur informel, l’essentiel des emplois est « offert » dans l’agriculture (58,5%) et le commerce (17%). Dans le secteur « moderne », on trouve une prépondérance du secteur tertiaire marchand (33%) et du secteur industriel (24%) sur l’administration publique (16,5%) ou les services sociaux offerts par le privé (17%). Tableau 3 : Distribution des emplois, en milliers, par secteur d’activité, en 2001

Secteur formel* Secteur informel* Total* Secteurs d’activité Nombre

d’emplois % Nombre d’emplois % Nombre

d’emplois %

Agriculture 13,6 4,2 1 639,6 58,5 1 653,2 52,9 Mines /carrière 4,9 1,5 17,0 0,6 21,9 0,7 Production/transformation 57,0 17,8 164,2 5,9 221,2 7,1 Construction 16,3 5,1 94,3 3,4 110,6 3,5 Transport 17,0 5,3 67,7 2,4 84,7 2,7 Commerce/vente 22,8 7,1 475,3 17,0 498,1 15,9 Services 65,3 20,4 206,3 7,4 271,6 8,7 Education/santé 54,7 17,1 8,0 0,3 62,8 2,0 Administration 53,0 16,5 1,1 0,0 54,1 1,7 Autre 15,9 5,0 129,3 4,6 145,2 4,6

Total 320,4 100 2 803,0 100 3 123,4 100 *Les nombres d’emplois sont exprimés en milliers Source : Calculs des auteurs à partir des données du QUID de 2001

7 Puisque i) la productivité apparente globale du travail a augmenté, ii) la part du PIB industriel a augmenté, iii) la part du PIB agricole est restée stable. 8 La productivité moyenne du travail dans le secteur tertiaire en 1995 était de 1,6 fois supérieure à celle du secteur industriel. En 2001, la situation est inversée : la productivité moyenne du travail est 1,5 fois plus élevée dans l’industrie que dans les services.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 9

• Un capital humain qui augmente progressivement en quantité

Comment a évolué la structure de la qualification (formelle) de la population potentiellement active (les personnes âgées de 10 ans et plus) entre 1995 et 2001 ? Cette population regroupe les personnes occupées, les chômeurs, ainsi que les personnes inactives9. Le tableau 4 compare les structures des qualifications (appréhendées par le niveau d’étude le plus élevé atteint par les individus) de la population active, estimées à sur la base des enquêtes ménages. On suppose que la population potentiellement active comprend des anciens « produits » du système de l’éducation et de la formation et que la structure des qualifications dans la population potentiellement active change au gré de l’évolution de la structure des profils des sortants du système pendant la période. Cela dit, on note une augmentation du stock de capital humain entre 1995 et 2001. En effet, les individus n’ayant aucune formation formelle, ou n’ayant pas achevé le cycle primaire constituent 82% de la population potentiellement active en 2001, contre 85% en 1995. En outre, la proportion des individus potentiellement actifs titulaires du CFEE10 ou n’ayant pas achevé l’enseignement moyen a connu une forte augmentation (+3,5 points). Sur la période, la proportion des diplômés de l’enseignement technique au sein de la population potentiellement active a triplé, celle des diplômés de l’enseignement supérieur général a été multipliée par plus que 2. Cette évolution d’ensemble transparaît à travers la baisse du taux d’analphabétisme soulignée plus haut. Cependant, de nombreux sénégalais, potentiellement actifs, n’ont reçu aucune qualification formelle. Par conséquent, les progrès accomplis semblent insuffisants. Des politiques doivent être envisagées pour améliorer davantage la dotation en capital humain des individus susceptibles d’offrir leurs services sur le marché du travail. Tableau 4 : Evolution de la structure de la qualification formelle des « sortis » du système de

l’éducation et de la formation avant 1995 ou avant 2001

1995 2001 Niveau terminal de scolarisation1/

(%) (%) Aucun ou Primaire incomplet* 85,4 82,4 Primaire complet ou Moyen incomplet* 6,9 10,4 Moyen complet ou Secondaire incomplet* 2,5 3,7 Secondaire complet 0,6 0,9 Technique – Professionnel 0,4 1,2 Supérieur général 0,5 1,2 Autre 3,7 0,3

Ensemble 100 100 1/ Population âgée de 10 ans ou plus. Le mode de découpage de la variable « niveau d’éducation » est dicté par le souci de comparaison des résultats des deux enquêtes. * N’ont pas accédé à la dernière année du cycle d’étude Sources : Calculs des auteurs à partir des données de l’ESAM 1 et du QUID de 2001

La situation actuelle conduit-elle à un déséquilibre structurel (entre volume, qualité de l’offre et volume, exigences de la demande) sur le marché du travail ? Autrement 9 Les chômeurs sont des individus sans emploi, mais qui sont « activement » à la recherche du travail. 10 Certificat de fins d’études élémentaires

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 10

dit, dans quelle mesure la population potentiellement active arrive i) à s’employer ? ii) au quel cas, quels types d’emplois les actifs occupent-ils ? IV. Les « produits » du système de l’éducation et de la formation arrivent-ils à

s’employer sur le marché du travail ?

IV.1. Perspectives quantitatives globales

Il s’agit ici d’apprécier la capacité d’absorption de la population active (ceux qui exercent au moins une activité rémunérée, de même que les chômeurs, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas d’emploi mais recherchent activement du travail) par le marché du travail, ainsi que le degré de « prise en charge » de la population inactive par la population active. Les indicateurs utilisés pour décrire la situation sont le taux de chômage (rapport de l’effectif des chômeurs par la population active), le taux d’activité (rapport de la population active par la population potentiellement en âge de travailler, c’est-à-dire la population active à laquelle on ajoute les personnes inactives). Puisque la situation de chômage des individus, indépendamment de la situation conjoncturelle de l’économie (plutôt favorable ces dernières années), est souvent perçue comme un signe d’ « inefficacité externe » de l’école, il sera utile de cibler les catégories de population (en terme de niveau d’instruction) qui présentent le taux de chômage le plus élevé et/ou qui contribuent le plus au chômage national. Encadré 1 : Calculer la contribution d’une catégorie de population au taux de

chômage sur le plan agrégé

On considère une partition de la population active en M sous-groupes. Si mT désigne le taux de chômage calculé sur le sous-groupe m, alors, on peut obtenir le taux de chômage T (dans la population active globale)

par l’expression ����M

=mmm T*d=T

1 ; où md désigne la part de la population active qui appartient au sous-

groupe m. La contribution mC du sous-groupe m au taux de chômage national est donnée par l’expression

TT

*d=C mmm , ce qui constitue un outil de ciblage des sous-groupes qui sont les plus rationnés, en termes

d’emplois, sur le marché du travail.

• Une progression du chômage, à des rythmes variés selon le niveau d’éducation des actifs

On note, pour l’ensemble de la population active, une progression du chômage (de 8 à 14%) et une légère baisse du taux d’activité (de 56 à 54%) entre 1995 et 2001 (voir tableau 5). Ceci suggère i) que le nombre de personnes « inactives » a augmenté, par rapport à la population active, ii) que le marché du travail a absorbé peu d’individus en âge de travailler sur la même période. Au delà de cette situation moyenne, il est utile d’examiner le taux de chômage selon le plus haut niveau d’étude atteint. Ainsi, une première analyse permet de cibler les niveaux d’études pour lesquels le taux de chômage est exceptionnellement élevé. En 1995, en dehors du groupe des individus n’ayant pas reçu une éducation primaire complète (ou n’ayant jamais été à l’école), les taux de chômage au sein des autres groupes de population sont bien au dessus de la moyenne nationale (8%).

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 11

Tableau 5 : Evolution du taux de chômage et du taux d’activité entre 1995 et 2001, selon le

plus haut niveau d’étude

1995 2001

Niveau terminal de scolarisation Taux d'activité

(%)

Taux de chômage

(%)

Contribution au chômage global (%)

Taux d'activité

(%)

Taux de chômage

(%)

Contribution au chômage global (%)

Aucun ou primaire incomplet* 59 6 67,1 54 12 69,3 Primaire complet ou Moyen incomplet* 46 21 19,3 48 26 17,0 Moyen complet ou Secondaire incomplet* 43 23 6,8 52 27 7,0 Technique – Professionnel 84 24 2,1 65 24 1,9 Secondaire complet 52 19 1,8 70 25 2,7 Supérieur général 91 10 1,3 72 16 1,8 Autre 13 14 1,6 56 14 0,3

Ensemble 56 8 100 54 14 100 * N’ont pas accédé à la dernière année du cycle d’étude Source : Calculs des auteurs à partir des données de l’ESAM 1 et du QUID de 2001 Cependant, le taux de chômage a doublé dans le groupe des individus n’ayant pas reçu une éducation primaire complète et a progressé, avec une ampleur moindre, chez les diplômés du post-primaire. Toutefois, en dehors des diplômés du supérieur (avec un taux de chômage d’à peine 2 points au dessus de la moyenne nationale en 2001 mais en forte progression, de 60% en 6 ans), les autres diplômés du post-primaire connaissent encore une difficile insertion sur le marché du travail. Les principaux éléments abordés pus en haut dans ce papier sont repris sous forme synthétisée dans le tableau 6 en annexe.

• Chômage volontaire ou involontaire ? Chômage structurel ?

En 2001, plus de 9 chômeurs sur 10, quelque soit leur niveau d’instruction, estiment que leur situation de non emploi est due à une indisponibilité de travail11. Même si nous ne disposons pas d’éléments factuels pour conclure si l’indisponibilité de travail dont il est question signifie que la demande de travail est insuffisante par rapport à l’offre (chômage involontaire), ou que l’offre n’est pas de qualité pour répondre à la demande (chômage structurel), nous pouvons néanmoins utiliser des arguments de nature subjectives pour éclairer le sujet. On pourrait chercher dans la situation de chômage (de ceux ayant été à l’école) des explications i) dans la sphère éducative (arguments de surproduction des formés, qui auraient éventuellement des qualifications peu recherchées sur le marché du travail) ou ii) dans la situation macroéconomique globale. La première hypothèse semble peu probable, dans la partie basse du système (le Sénégal a besoin -et se doit- de développer son capital humain en quantité, notamment l’éducation de base, pour booster et consolider la croissance économique, créatrice d’emplois). Cependant, une gestion rigoureuse des flux des diplômés de la 11 On pourrait soutenir l’idée que la hausse du taux de chômage, accompagnée d’une baisse du taux d’activité traduit un découragement de la part des chercheurs d’emplois. Ceci se justifie dans la mesure où on montre que la durée de chômage peut être plus ou moins longue.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 12

partie haute du système (formations techniques, secondaires et supérieures) peut contribuer à réduire le déséquilibre quantitatif sur le marché du travail et améliorer l’efficience de la dépense éducative. En effet, on peut supposer que « l’indisponibilité de travail » signifie que le chômage serait plutôt involontaire. Cela dit, les individus souhaiteraient obtenir un emploi, quel qu’il soit, et s’ils n’arrivent pas à en obtenir, c’est que d’une part, ils sont bien trop nombreux par rapport à l’offre d’emploi disponible. D’autre part, cela pourrait signifier que le système produit peu de formés en qualité (peu d’individus qui achèvent le cycle primaire, peu de formés dans la partie haute du système avec les qualifications recherchées sur le marché du travail). Dans la partie basse du système, l’offre existe en quantité, mais certainement pas en « qualité », raison pour laquelle elle ne trouve pas à s’employer. Les sénégalais connaissent alors une combinaison de chômage involontaire associé à une bonne dose de chômage structurel. S’agissant de la deuxième hypothèse, il est du ressort des politiques macroéconomiques, exogènes au secteur de l’éducation et de la formation, d’agir pour réduire le déséquilibre sur le marché du travail (politiques de relance conjoncturelles ou réformes structurelles, même si on peut anticiper que l’emploi soit peu élastique au produit, en raison de la faible capacité d’absorption du secteur moderne). Toutefois, pour saisir cette opportunité, les individus ont besoin de disposer d’un minimum de capital humain pour être « filtré » par le marché du travail et contribuer significativement à la croissance et au développement économique du pays.

• La durée de chômage peut être longue et à chômage donné, un groupe contribue d’autant plus au chômage national qu’il constitue une proportion importante de la population active

Lorsqu’on distingue dans la population active les groupes qui « accentuent le plus le déséquilibre » constaté en terme quantitatif sur le marché global du travail, on se rend compte que la situation de chômage de ceux qui n’ont jamais accédé à la dernière année du cycle primaire est la principale cause de chômage sur le marché global du travail. En 1995, par exemple, bien qu’ayant le taux de chômage le plus faible (6%), ils contribuent à près de 67% au taux de chômage agrégé (8%). Ceci s’explique par l’ampleur du poids démographique de ce groupe qui comprend 88% [8×67,1/6] de la force de travail (actifs occupés plus chômeurs). Cet « effet de structure » est encore plus prononcé en 2001, puisque ce groupe contribue à lui seul à 69% du déséquilibre quantitatif sur le marché du travail. Les données ci-dessus présentées pour 2001 concernaient en fait l’ensemble de la force de travail en 2001 (données de stock), dont la plupart sont « sortis » du système de l’éducation et de la formation avant 2001. En examinant spécifiquement la situation d’emploi des individus ayant mis un terme à leurs études entre 2000 et 2001 (données de flux), on observe que 32% de ces 63 000 individus ont pu obtenir un emploi l’année suivante, 21% sont en quête d’un emploi, 48% sont inactifs.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 13

Tableau 6 : Statut des sortants du système éducatif entre 1999/2000 et 2000/2001, sur le marché du travail, en 2001

Statut sur le marché du travail (%) Niveau terminal de scolarisation

Employés Chômeurs Inactifs Ensemble Taux de

chômage (%)

Primaire incomplet 31 10 59 100 25 Primaire complet ou Moyen incomplet 35 21 45 100 37 Moyen complet ou Secondaire incomplet 33 30 37 100 48 Technique – Professionnel 40 41 19 100 51 Secondaire complet 17 57 26 100 77 Supérieur général et autre 40 37 23 100 48

Ensemble 32 21 48 100 40 Source : Calculs des auteurs à partir des données du QUID de 2001

Le taux moyen de chômage parmi ces « nouveaux produits de l’école » culmine à 40%, avec une valeur de 25% chez les individus ayant abandonné leurs études avant la fin du primaire. L’augmentation du taux de chômage avec le niveau d’éducation semble cohérente i) avec la réalité d’une structure des emplois peu favorables à l’insertion des plus éduqués ou ii) avec l’hypothèse d’un salaire de réservation allant croissant avec le niveau d’éducation (les plus éduqués sont plus exigeants tant en type d’emploi et en termes de rémunération que ceux qui le sont moins). Ces observations confirment que la tendance globale d’un marché de travail étroit pour accueillir les diplômés du post primaire l’est particulièrement pour les « nouveaux produits » de l’école12. On peut bien sûr supposer que cette situation est conjoncturelle et est susceptible de s’améliorer, puisque la durée de chômage peut être plus ou moins longue (le taux de chômage chez les « nouveaux produits de l’école » est de 26 points supérieur au taux de chômage pour l’ensemble de la population active âgée de 10 ans ou plus), ou qu’il existe une dose minimale de chômage frictionnel, occasionné par le temps nécessaire à la prospection et aux arbitrages entre offres d’emplois, au passage d’un emploi à un autre, etc. Compte tenu du contexte macroéconomique qui est plutôt favorable (économie en expansion), on est amené à se demander si l’offre de travail n’est pas (trop) excédentaire. Nous nous restreignons au cas de l’offre de formés au niveau de l’enseignement supérieur pour apporter quelques éléments de réponse à cette question. Dans cette perspective, une approche comparative internationale semble intéressante.

• Le système éducatif produit en fait assez de diplômés dans le supérieur compte tenu du niveau de développement économique du pays

Au cours des 10 dernières années, le nombre d’étudiants pour 100 000 habitants est resté suffisamment proche de 300. En comparaison à certains pays de la sous-region, ce chiffre semble élevé même s’il demeure en dessous de celui de la Côte d’ivoire (368 en moyenne entre 1992 et 1994). Ce chiffre se situe autour de 93 au Burkina Faso, de 102 au Mali, de 213 au Bénin et de 270 au Togo13. En fait, le Sénégal produit plus

12 On évalue ici le taux d’insertion moyen annuel (entre 2000 et 2001) des produits de l’école dans les emplois. 13 Les chiffres sont des moyennes sur la période 1992-1996 pour le Bénin, le Burkina, le Togo et le Mali.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 14

d’étudiants par rapport à ce qui serait attendu compte tenu de son niveau de niveau de développement (graphique 2). La mise en relation du nombre d’étudiants pour 100 000 habitants avec le niveau de PIB par tête (exprimé en dollars internationaux courants) d’une centaine de pays dans le monde (dont une trentaine en Afrique) suggère que le chiffre de 297 étudiants pour 100 000 habitants (en 1994) est au dessus des 224 étudiants pour 100 000 habitants qui seraient prédits pour un pays de même niveau de revenus14. Graphique 2 : Relation entre PIB par tête et couverture dans le supérieur général, vers 1995

0

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0

MarocAlgérieTunisie

Namibie

BotswanaMaurice

Afrique du Sud

Mauritanie

Tanzanie

MalawiEthiopie

Mozambique

Zambie

Erytrée

OugandaLesotho

Zimbabwé

Congo RDC

Comores

Madagascar

Tchad

GambieMali Burkina

Bénin

SENEGAL Togo

Côte d'Ivoire

Guinée

3

4

5

6

7

8

9

6,0 7,0 8,0 9,0 10,0 11,0

PIB par habitant en dollars internationaux (en logarithme)

Nom

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d'ét

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our 1

00 0

00

Hab

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s (en

loga

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e)

Source : Graphique réalisé à partir des données du World developpement indicators de 2002 0 : Pays d’une région autre que l’Afrique Le graphique suggère que la couverture éducative dans l’enseignement supérieur i) est croissante avec le niveau de développement (une augmentation de la richesse nationale rend possible, du point de vue fiscal, une augmentation de l’offre de formation à ce niveau d’éducation. Aussi, elle exige une offre de travail hautement qualifiée pour les besoins du secteur moderne) mais ii) elle a tendance à se saturer pour des pays à de stades de développement relativement avancés (l’élasticité de l’offre de formation au supérieur diminue en moyenne de 0,5% lorsque le revenu par habitant s’accroît de 1% : la mobilité de la main d’œuvre vers les segments les plus productifs de l’économie est de moins en moins forte à mesure que l’excédent de main d’oeuvre du secteur traditionnel s’amenuise). En outre iii) la couverture éducative dans l’enseignement supérieur dans les pays d’africains est en moyenne moins élevée que dans des pays d’Asie ou d’Amérique latine de même niveau de revenu. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les demandes sur le marché du

14 La relation estimée s’écrit Ln (Etudiants pour 100 000 habitants) = -14,8 + 4,6 Ln (PIB par tête PPA) – 0,23 [Ln(PIB par tête PPA)]2- 0,76 Afrique + 0,28 Europe ou Amérique du Nord (112 observations ; R2=83%)

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 15

travail ne sont nécessairement pas les mêmes en Afrique que dans ces régions du monde (les emplois sont en moyenne plus agricoles en Afrique). Lorsqu’on limite l’analyse aux seuls pays africains, l’excédent de production est encore plus manifeste (il est de l’ordre de 80 étudiants pour 100 000 habitants, soit près de 6 500 étudiants). Ces analyses ont surtout une valeur illustrative et indiquent tout de même un « sur dimensionnement » de l’enseignement supérieur sénégalais par rapport aux besoins de l’économie, même si d’un point de vue micro, l’expansion de certaines filières peut être souhaitable. Deux hypothèses sont en fait sous-jacentes à ces analyses : i) pour des pays situés à un même niveau de développement et dans un contexte géographique donné, les structures de qualifications recherchées sur le marché du travail sont plus ou moins les mêmes ; ii) l’ensemble des diplômés du supérieur contribuent à la création de la richesse nationale, ce qui suppose l’absence de chômage. Sous ces hypothèses somme toute heureuses15, on se rend compte que ces diplômés sont peu productifs dans l’ensemble, puisque avec moins de diplômés du supérieur pour 100 000 habitants le pays arriverait, en moyenne, à obtenir le même niveau de revenu, soit 1 191 $ par tête (en parité des pouvoirs d’achats) ou à se hisser au niveau de pays qui paraissent performants comme la Guinée, la Gambie, le Togo ou le Lesotho. Pour le Sénégal, l’excédent de 73 étudiants pour 100 000 habitants correspond en 1994 à 6 245 étudiants en trop, sur les 24 081 étudiants que comptait le Sénégal en 1994, ce qui signifie en creux qu’à priori (avant même qu’elle ne parvienne sur le marché de l’emploi), un peu plus du quart de la production au niveau de l’enseignement supérieur ne trouvera pas de débouché. L’argument d’une offre qui créerait sa propre demande est trop court. On comprend alors qu’il y ait des arguments pour i) réduire la production des formés dans la partie haute du système (pour des raisons à la fois d’efficacité externe et d’efficacité économique) ou ii) améliorer la qualité de l’offre de formés à ce niveau d’enseignement (si possible à tous les niveaux d’enseignement) en ligne avec les demandes de l’économie.

• Diversifier l’offre éducative dans l’enseignement supérieur ; Développer des formations immédiatement valorisables sur le marché du travail

Pour améliorer la productivité globale des diplômés du supérieur, en dehors de l’option qui consisterait à contrôler la quantité de ceux-ci qui sortent du système éducatif (pour idéalement accéder au marché du travail), il est aussi possible de vérifier si les sortants du système ont les qualifications recherchées sur le marché du travail (amélioration de la qualité de l’offre de travail). Si tel n’est pas le cas, il pourra être question de modifier la structure de qualification formelle des produits de l’école (substitution partielle en faveur de formations qualifiantes comme l’enseignement technique et la formation professionnelle) ou (substitution entre 15 Les produits de l’école parvenant à s’insérer dans la vie économique du pays, cette situation ne peut qu’améliorer l’efficacité externe du système éducatif, même si les questions de l’adéquation avec l’emploi ou du niveau de « productivité » de ces formés sont aussi déterminantes et valent la peine d’être examinées.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 16

types de formations dispensés à l’enseignement supérieur). On souhaite susciter une réflexion sur ces questions dans la suite de ce papier. Ici, nous dressons uniquement l’évolution récente des effectifs étudiants publics par type de formation (tableau 7). Tableau 7 : Evolution de la répartition des étudiants du supérieur public selon le

type de formation, entre 2000 et 2002

1999/2000 2001/2002 Filières Effectifs % Effectifs % Lettres et sciences sociales 19 720 72 22 249 73

Dont lettres et sciences humaines Sciences économiques et de gestion Sciences juridiques et politiques Autre

12 611 (64%)3 341 (17%)2 883 (15%)

885 (4%)

-

14 194 (64%) 3 093 (14%) 3 934 (18%) 1 028 (5%)

-

Sciences et techniques 7 531 28 8 176 27 Dont Mathématiques et informatique Médecine et sciences biomédicales Autre

3 824 (51%)3 021 (40%)

686 (9%)-

4 251 (52%) 3 247 (40%)

678 (8%) -

Ensemble 27 251 100 30 425 100 Source : Consolidés à partir des données du Rapport économique et financier du PDEF (2002)

Il se dessine une certaine inertie dans la répartition des étudiants entre les différentes filières. A priori, le système produit en moyenne à peine 40 diplômés de sciences et techniques pour 100 diplômés en lettres et sciences sociales. Dans cette dernière catégorie, les deux tiers environ (64%) sont constitués, ex-ante, de diplômés en lettres et sciences humaines. La proportion des diplômés en sciences économiques ou en gestion semble diminuer au profit des diplômés en sciences politiques. Même si l’enseignement supérieur semble surdimensionné par rapport au marché du travail, la progression du chômage au sein des diplômés du supérieur ne tient pas à ce seul problème. Comme on le verra au point V de ce papier, ce chômage a une forte composante structurelle, ce qui nécessite alors un réexamen de la structure l’offre de formation au niveau de l’enseignement supérieur. Des mesures spécifiques doivent être envisagées pour changer progressivement la structure de l’offre des formés au niveau de l’enseignement supérieur (mise en place de critères sélectifs à l’entrée, mesures progressives d’orientation des étudiants vers des filières encore moins développées ou dont les produits sont de plus en plus sollicités sur le marché du travail16, etc.).

• Pour une régulation et une gestion planifiée des flux des élèves à divers niveaux du système éducatif national

Des efforts de régulation des flux des élèves vers la partie haute du système doivent permettre d’aligner la production des formés avec les besoins de l’économie. Il serait donc souhaitable d’examiner des options telles la réduction des taux de transition entres cycles, des mesures désincitatives de la demande d’éducation dans la partie haute du système (augmentation des coûts directs de formation pour les individus).

16 Ceci implique de rechercher des créneaux porteurs pour les diplômés du supérieur. Des enquêtes de suivi professionnel des sortants des différentes filières aideraient à progresser dans l’intelligence de ces questions.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 17

Ces options doivent bien sûr être couplées avec de mesures visant le développement de centres de réinsertion et de formation professionnelle, de promotion de l’auto-emploi, etc. Des travaux (Benhabib et Spiegel, 1994) ont montré que dans les pays à faible revenu, le capital humain contribue à la croissance économique essentiellement à travers la capacité de la force de travail à importer les technologies des pays développés17. Les enseignements à tirer pour la politique éducative du Sénégal sont les suivantes : i) limiter la production des « plus éduqués » (qui connaissent un chômage en forte progression) semble impérative, ii) le système doit surtout améliorer la qualité globale de son système éducatif (faire de la scolarisation primaire universelle et de qualité une priorité, développer l’enseignement technique professionnel, restructurer l’enseignement supérieur). Explorons maintenant quelques facteurs déterminants dans la probabilité individuelle de chômage.

IV.2. Des facteurs explicatifs de la probabilité d’être en chômage en 2001

On a observé que le chômage affecte différemment les individus, selon leur niveau d’éducation. Cette description est insuffisante, dès lors que les individus n’ont pas les mêmes caractéristiques, et que celles-ci sont susceptibles d’affecter la probabilité de participation au marché du travail. Pour cerner l’impact intrinsèque de chacune de ces caractéristiques, y compris les disparités de dotation en capital humain, nous modélisons la probabilité pour un actif d’être au chômage, en 2001.

Encadré 2 : Bref aperçu sur la démarche

X est un vecteur des caractéristiques individuelles (sexe, âge, statut matrimonial, zone de résidence, niveau d’éducation, etc.), Y la variable dichotomique égale à 1 si l’individu est en chômage et 0 sinon. On suppose que la probabilité pour un actif d’être au chômage, étant donné ses caractéristiques, est )Xb(F=)X=Y(P 1 ; b étant un vecteur de paramètres à estimer et F une fonction de répartition normale ou logistique selon le cas. Pour chaque variable catégorielle, une catégorie sert de référence à laquelle est comparée chacune des autres catégories. Les paramètres sont estimés par la méthode du maximum de vraisemblance. Nous optons pour une modélisation logistique. Pour des paramètres ib statistiquement significatifs, le chiffre )b(Exp i exprime le risque relatif de chômage si l’individu possède la caractéristique iX plutôt que la catégorie de référence. Avant d’estimer le modèle, on a vérifié si par exemple les plus éduqués résident plus souvent en zone urbaine (où l’on trouve la majorité des emplois modernes) ou si les moins éduqués se retrouvent plus souvent en milieu rural. Le test statistique de cette relation causale indique une très faible liaison du niveau d’éducation vers le milieu de résidence18. On peut donc conduire l’estimation de la probabilité d’être en chômage en incluant le milieu de résidence dans la liste des variables explicatives, sans biaiser la structure des paramètres estimés pour le niveau d’éducation.

17 Ce fût le cas de certains pays de l’Asie du Sud-est qui se recrutent aujourd’hui parmi les pays à revenus élevés. 18 La mesure statistique de la liaison du milieu de résidence vers le niveau d’éducation est nulle ; celle du niveau d’éducation vers le milieu de résidence est égale à 0,02 ; la mesure symétrique vaut 0,008.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 18

Tableau 8 : Modélisation de la probabilité d’être en chômage, en 2001

Caractéristiques individuelles Risque relatif de chômage (Odds ratio)

Probabilité marginale

Constante - - Age 1,03*** +0,003*** Age au carré 1,00*** -0,0001***

Urbain (référence = rural) 4,39*** +0,16***

Homme (référence = femme) 0,48*** -0,07***

Chef de ménage 0,59*** -0,04***

Célibataire (référence = marié au moins une fois) 1,66*** +0,05*** Niveau d'éducation (référence = Aucun)

Primaire incomplet 1,53*** +0,04***

Primaire complet 1,59*** +0,05***

Moyen incomplet 1,96*** +0,08***

Moyen complet 1,92*** +0,08***

Secondaire incomplet 2,27*** +0,10***

Technique/ professionnel 1,64*** +0,06***

Secondaire complet 1,53*** +0,05***

Supérieur 1,08 (ns) 0,01 (ns)

Autre 1,54 (ns) 0,05 (ns)

*** paramètre significatif à 1%, paramètre non significatif (ns) ; Modélisation logistique : 22 334 observations (individus âgés de 10 à 65 ans) ; Log pseudo vraisemblance : 7 952,4 ; Pseudo R2 =15% ; Significativité globale : Wald chi2 (15)=1 880,4 Source : Calculs des auteurs sur la base des données du QUID de 2001

On observe sur la base du modèle précédent que toutes choses égales par ailleurs, le risque de chômage diminue avec l’âge. Ce constat épouse le cycle de vie des individus. En effet, pendant leur jeune âge, les individus sont plus souvent comptabilisés dans la population active et le sont de moins en moins lorsqu’ils deviennent âgés, en partance à la retraite (s’ils ont pu travailler) ou découragés de chercher du travail, et sont alors exclus de la population active. Le risque relatif de chômage est sensiblement divisé par deux chez les hommes ou les chefs de ménages : les obligations familiales contraignent les hommes ou les chefs de ménage à rechercher des sources de revenus pour subvenir aux besoins de leurs familles. D’ailleurs, les célibataires participent moins au marché du travail que les individus mariés, à autres caractéristiques égales. Toutefois, les différentiels de probabilité de chômage chez les hommes (par rapport aux femmes), chez les chefs de ménage (par rapport aux individus qui ne le sont pas) ou chez les personnes célibataires (par rapport aux personnes mariées) sont quantitativement limités. Le chômage est plus présent en milieu urbain qu’en milieu rural. Il est estimé que le risque relatif de chômage est multiplié par plus que 4 pour un individu résidant en milieu urbain, par rapport à un individu résidant en milieu rural, à autres caractéristiques égales. L’argument de l’exode rural ne fonctionne plus. Les résultats de l’analyse économétrique se rapprochent de ceux de l’analyse descriptive (cf. tableau 5) pour ce qui est des variables de niveau d’éducation : toute chose égales par ailleurs, les individus n’ayant aucun diplôme semblent moins exposés au chômage que ceux qui en possèdent. Le risque de chômage semble augmenter dans un premier temps jusqu’à l’enseignement secondaire incomplet,

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 19

pour décroître par la suite. A son pic, le risque de chômage est multiplié par plus que 2 (pour les individu qui quittent le second cycle du secondaire sans avoir obtenu le Baccalauréat). In fine, le risque de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur n’est pas significativement différent de celui des individus sans aucun diplôme. On verra au point V ci-après que cet avantage des individus sans aucun diplôme par rapport aux diplômés, en termes de participation au marché du travail, tient de la prédominance des emplois informels. C’est pourquoi, il sera utile d’examiner séparément le profil des emplois selon le niveau de capital humain des actifs, en distinguant le secteur de l’emploi formel du secteur informel. V. Quelle adéquation entre niveau d’éducation et type d’emploi ? Des

questions d’équilibre « qualitatif » du marché du travail

• Une étroite correspondance entre niveaux d’éducation et types d’emplois occupés

L’analyse de l’équilibre sur le marché du travail en « quantités » a montré l’existence d’un chômage non négligeable. De plus, elle a souligné une forte contribution des individus n’ayant reçu aucune éducation, ou du moins, ceux ayant de faibles niveaux d’éducation, à la situation globale de chômage. L’analyse de l’efficacité externe doit aussi s’intéresser à la situation des actifs occupés, en examinant la correspondance entre niveaux d’éducation des actifs et type d’emplois occupés. Cet exercice pose la question de l’adéquation de l’emploi occupé au type de formation (formelle) reçue et débouche sur la question du déséquilibre structurel sur le marché du travail. En l’absence d’informations sur la catégorie socioprofessionnelle des actifs, dans le QUID de 2001, on se limite à une simple analyse de la répartition des actifs selon le niveau d’éducation et l’activité principale (tableau 1 en annexe), sachant qu’une analyse plus solide sera conduite sur les données de l’ESAM 1 de 1995. En 2001, 59% des actifs n’ayant aucun diplôme (ils ne sont jamais allés à l’école ou ne sont jamais parvenus en fin de cycle primaire) exercent des emplois agricoles, tandis que plus des trois quarts (76%) des diplômés de l’enseignement supérieur exercent des professions « libérales » (dans l’administration, l’éducation et la santé, ainsi que dans le secteur des services). Le quart de ceux ayant atteint tout au plus la classe de 4ième du cycle moyen exercent eux aussi des professions libérales ; ce chiffre est de 61% pour les diplômés de l’enseignement technique professionnel et de 59% pour les titulaires du baccalauréat. Les données de 1995 (tableau 5 en annexe) vont globalement dans le même sens, puisqu’elles expriment une dépendance (statistique et significative) entre le niveau d’éducation des actifs et le type d’emploi occupé19. La relation n’est sans doute pas « contre intuitive » : les cadres supérieurs sont essentiellement des bacheliers ou des diplômés de l’enseignement supérieur ; les diplômés du cycle moyen (BEPC/BEFM)20 exercent plus souvent des professions « intermédiaires » (que des postes d’employés) ; les titulaires du CFEE sont plus souvent des « employés » ; tandis que les individus sans aucun diplôme sont

19 L’outil statistique d’analyse factorielle des correspondances a été utilisé pour dégager les grandes lignes d’association entre niveau d’éducation et type d’emploi. 20 Brevet de fins d’études moyennes

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 20

essentiellement des indépendants agricoles ou non agricoles, ou de simples ouvriers. Au-delà de cette relation globale, il existe un déséquilibre structurel, en termes « qualitatifs », sur le marché du travail.

• Une inadéquation de l’offre de travail à la demande, avec pour corollaire un déséquilibre « structurel » sur le marché du travail

Pour illustrer ce déséquilibre, nous avons mis en regard, pour les 2 696 022 actifs occupés, le type d’emploi occupé avec le niveau d’éducation. Les 19 919 actifs dont le niveau d’étude n’est pas connu (non déclaré), ainsi que les 2 380 actifs dont le type d’emploi n’est pas connu ont été exclus à ce niveau de l’analyse. Cette troncature de l’échantillon ne biaise pour autant pas le « bilan qualitatif » de l’équilibre sur le marché du travail. En effet, comme on peut l’apercevoir sur le graphique en annexe, on peut raisonnablement supposer que les individus n’ayant pas déclaré leur type d’emploi se distribuent aléatoirement entre les niveaux d’éducation21. Le tableau 9 ci-après dresse un bilan qualitatif global du marché du travail en 1995 pour la seule population active qui est effectivement occupée. Tableau 9 : Bilan qualitatif global de l’équilibre sur le marché du travail, en 1995

Distribution des actifs « sortis » du système éducatif Distribution des emplois occupés

Niveau de sortie du système Nombre % Type d'emploi Nombre %

Indépendants agricoles, de l'élevage ou de la forêt 1 027 321 38,4

Indépendants non agricole 546 674 20,5AUCUN diplôme 2 407 475 90,0

Ouvriers 929 148 34,8CFEE* 155 973 5,8

Employés 88 508 3,3 BEPC ou BFEM (Brevet de fins

d’études moyennes)* 50 293 1,9

AUTRES diplômes 1 402 0,1 Professions intermédiaires 24 957 0,9

CAP* (enseignement technique et formation professionnel) 15 134 0,6

BACCALAUREAT 17 139 0,6

LICENCE ou PLUS 26 308 1,0

Cadres supérieurs 57 116 2,1

Ensemble des actifs 2 673 724 100 Ensemble des emplois 2 673 724 100

*CFEE : Certificat de fins d’études élémentaires ; BEPC : Brevet des études du premier cycle de l’enseignement post primaire ; BFEM : Brevet de fins d’études moyennes ; CAP : Certificat d’aptitude professionnelle. Source : Estimations des auteurs à partir des données de l'ESAM 1

21 Inversement, les actifs n’ayant pas révélé leur niveau d’éducation sont proches du profil moyen. Par conséquent, la distribution des actifs selon le type d’emploi est sensiblement la même que la distribution des actifs n’ayant pas déclaré leur niveau d’éducation, selon le type d’emploi. Par conséquent, éliminer ces actifs de l’analyse ne biaise pas le bilan « qualitatif » du tableau 9.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 21

Ce bilan présente les grandes correspondances entre niveaux d’éducation et types d’emploi. Toutefois, il ne prétend pas résoudre la question de l’adéquation formation/emploi dans son entièreté (il faudrait bien sûr contrôler l’expérience des individus ou considérer leur premier emploi). Par ailleurs, le tableau 9 ne prétend pas dresser une étroite correspondance entre niveau d’éducation et type d’emploi. Par exemple, 24% des individus titulaires d’un BEPC ou d’un BEFM sont des cadres supérieurs ; 14% des bacheliers sont des indépendants agricoles (synonyme d’une « sur-éducation ») ; de même que 19% des titulaires d’un CAP et 8% des diplômés de l’enseignement supérieur (tableau 5 en annexe). Le tableau qui précède peut être analysé d’un point de vue résolument « normatif » : on peut ainsi s’attendre à ce que la totalité des individus sans aucune éducation occupent l’ensemble des emplois d’indépendants agricoles ou non agricoles, et des emplois d’ouvriers ; et qu’à la limite, que les individus titulaires du CFEE n’occupent pas les mêmes emplois que les individus sans aucun diplôme, bref, en se situant dans une optique d’adéquation formation/type emploi (sans aucune considération des aspects financiers). D’autres aspects peuvent aussi être analysés. Cela dit, on constate un déséquilibre structurel sur le marché du travail. Les individus n’ayant aucun diplôme semblent « obligés » de « répondre » aux offres d’emplois d’ouvriers. Si on pense que pour une raison ou une autre, les emplois d’ouvriers doivent être consacrés aux individus diplômés, alors les demandeurs de ce type de travail ne retrouveront pas la totalité des profils recherchés. La limite de l’analyse est qu’elle examine la situation d’activité de plusieurs cohortes, de sénégalais22, l’idéal étant de pouvoir se limiter aux seuls « sortants » du système éducatif. Toutefois, la démarche met en évidence l’ampleur du déséquilibre structurel dans la partie basse du système. Sur ce plan, on suggère que le système éducatif améliore davantage l’accès du plus grand nombre de jeunes sénégalais, à l’enseignement primaire de base, et leur rétention jusqu’en fin de cycle et si possible jusqu’à l’obtention du CFEE23. Il se dégage par ailleurs une bonne adéquation entre le niveau d’éducation et le type d’emploi occupé pour les diplômés de la partie « haute » du système de l’éducation et de la formation. On pourrait même penser que les diplômés du secondaire et du supérieur sont en nombre insuffisant par rapport aux postes de cadres supérieurs qui leurs sont destinés (1,6% des actifs occupés ont au moins le Baccalauréat, tandis que 2,1% des emplois sont occupés par des cadres supérieurs). Cependant, puisqu’il y a une proportion non négligeable de chômeurs au sein des individus les plus éduqués (cf. tableau 5), c’est une surproduction de diplômés du supérieur en qualité insuffisante qu’on devrait une fois de plus souligner, puisque certains sont au chômage alors que potentiellement, ils pouvaient travailler s’ils avaient les qualifications recherchées par le marché du travail pour les postes de cadres 22 On peut restreindre l’analyse à la cohorte nouvellement arrivée sur le marché du travail. Du fait d’obtenir les mêmes résultats pour ce qui est de l’équilibre structurel du marché du travail, nous avons préféré présenter un « bilan en stock », dès lors que la première option ne concerne que 32% des individus de la cohorte de référence. 23 Cette conclusion est sans doute valable pour 2001 (même s’il y a eu de légères évolutions entre 1995 et 2001 : i) les individus sans aucun diplôme ne représentent plus que 83% de la population active en 2001 contre 88% en 1995, ii) l’économie s’est légèrement développée, la population occupée dans le secteur informel agricole a baissée de 60 à 53% de l’ensemble des emplois).

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 22

supérieurs. Nombre d’entre eux sont sans doute obligés de s’orienter vers le secteur informel. Il est ainsi estimé que 14%24 des diplômés du supérieur ou à la limite, près du quart [1-(1,6/2,1)] des actifs titulaires au minimum du baccalauréat ne peuvent trouver un emploi de cadre supérieur (ce pour quoi ils sont censés avoir été préparés) parce qu’ils n’ont pas le profil recherché sur le marché de l’emploi formel25. Au total, certains individus sans aucun diplôme sont au chômage parce qu’ils n’ont aucune qualification formelle de base (pour occuper par exemple des emplois d’ouvriers) tandis que des individus parmi les plus éduqués sont au chômage parce qu’ils sont bien trop nombreux et/ou n’ont pas les qualification requises pour s’insérer dans le secteur moderne de l’économie.

• Les chances individuelles d’emploi dans le secteur formel varient d’un niveau d’éducation à un autre ; Le secteur informel apparaît comme une « seconde chance » aux individus qui désirent travailler mais ne peuvent pas intégrer le secteur formel, ainsi qu’aux individus parmi les plus âgés

La situation présentée dans le tableau 9 (cf. supra) montre bien qu’au-delà de l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail, à un moment donné, les plus éduqués ont tendance à se retrouver dans le secteur de l’emploi moderne, les moins éduqués étant condamnés à exercer dans le secteur informel. On serait tenté d’estimer la probabilité qu’a un individu de travailler dans le secteur formel, compte tenu de ses caractéristiques (capital humain notamment) et lorsqu’il « décide de travailler26 ». Pour cela, on estime un modèle séquentiel en deux étapes. La première consiste à estimer la probabilité inconditionnelle qu’a un actif d’être occupé ; dans la deuxième il s’agit d’estimer la probabilité individuelle de travailler dans le secteur formel, conditionnellement à la probabilité de ne pas être en chômage. L’analyse est conduite uniquement sur un échantillon d’hommes dès lors qu’il est prouvé que les comportements des hommes et des femmes diffèrent sur le marché du travail27.

Selon les estimations présentées au tableau 10 ci-après, les résidents du milieu urbain ont une forte probabilité de travailler dans le secteur formel. Ceci peut s’expliquer par les différences d’opportunités qu’ont les individus de travailler dans ce secteur, selon qu’ils résident en milieu urbain ou pas, le milieu urbain étant mieux développé économiquement que ne l’est le milieu rural. Le milieu urbain est en effet plus propice au développement du secteur formel (industries, activités tertiaires, administrations publiques ou privées). Les urbains engagés sur le marché du travail avaient en 1995, au point moyen, une probabilité de travailler dans le secteur formel de 15 points supérieure à celle des ruraux de mêmes caractéristiques (diplôme, âge). Les urbains n’échappent pour autant pas au secteur informel. On estime qu’en 1995, 24 Voir Tableau 5 en annexe 25 On sait déjà (cf. supra) que l’essentiel des diplômés du supérieur est constitué à plus de 70% de diplômé en lettres et sciences sociales dont les 2/3 en lettres et sciences humaines. De plus, la production des diplômés est d’un quart supérieur à ce qui serait attendu pour un pays de même niveau (et structure) de revenu que le Sénégal. 26 Selon une pratique courante en économie du travail (théories de recherches d’emploi), on peut supposer que la décision de travailler ou d’être en chômage dépend de choix individuels (l’individu peut préférer rester en chômage si le gain attendu lui semble inférieur à son minimum vital ou psychologique, ce que les économistes appellent « revenu de réservation »). Ceci tient aussi lorsque l’individu arbitre entre travailler dans le secteur formel ou informel, en fonction des gains espérés, et d’autres paramètres. 27 Les femmes par exemple sont parfois contraintes d’interrompre leurs activités pendant les périodes prénatales, ou pour des congés de maternité. Leur salaire devient ainsi un piètre indicateur de leur productivité individuelle.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 23

la probabilité de travailler dans le secteur informel n’était que de 9% inférieure à celle des ruraux de mêmes caractéristiques.

Tableau 10 : Modélisation de la probabilité d’être employé dans le secteur formel, conditionnellement à la probabilité de ne pas être au chômage, pour un actif (homme âgé de 15 à 55 ans), en 1995 et en 2001

Situation en 1995 Situation en 2001 Coefficient Probabilité

marginale1 Coefficient Probabilité marginale1

Constante -5,92*** - -3,52*** - Urbain/ rural (référence) 1,35*** +14,7%*** 0,89*** +17,9%*** Age 0,18*** +14,2%*** 0,08*** +1,6% *** Age au carré -0,002*** -0,02%*** -0,001*** -0,02%***

AUCUN Diplôme Référence - Référence - CFEE 0,99*** +15,4%*** 0,56*** +13,3%*** BEPC ou BEFM 1,58*** +36,4%*** 1,20*** +36,5%*** CAP (Technique et professionnel) 1,85*** +48,1%*** 1,72*** +57,2%*** BACCALAUREAT 1,89*** +49,9%*** 1,57*** +51,9%*** LICENCE ou plus 1,92*** +50,5%*** 1,78*** +59,3%*** Autres diplômes 1,14*** +21,8%** 0,45* 10,8% (ns)

Corrélation de sélection -0,56*** -0,02 (ns)

5 481 observations dont 800 censurées (individus au chômage) Wald chi2 (9) : 879,14*** Probabilité moyenne estimée : 4%

10 742 observations dont 1 507 censurées Wald chi2 (9) : 1 709,31*** Probabilité moyenne estimée : 10,9%

1Variation de la probabilité de travailler dans le secteur formel lorsque l’individu possède le diplôme, par rapport à ceux qui ne le possèdent pas. * significativité à 10% ; ** à 5% ; *** à 1%. Estimations par maximum de vraisemblance. Sources : Estimations des auteurs sur la base des données de l’ESAM1 et de l’enquête QUID de 2001

Comme on pouvait l’anticiper, la probabilité d’être employé dans le secteur formel augmente avec le niveau d’éducation, quelque soit le milieu de résidence (voir graphique 3). Si la probabilité de travailler dans le secteur formel s’est légèrement accrue en milieu rural, entre 1995 et 2001, elle a diminué en milieu urbain.

Graphique 3 : Simulation de la probabilité (en %) d’être employé dans le secteur formel en 1995 et en 2001, selon le niveau d’éducation et le milieu de résidence, pour les hommes qui ont « choisi » de travailler

0

20

40

60

80

100

AUCUN CFEE BEPC ouBEFM

CAP BAC LICENCEou plus

Formel urbain (1995) Formel rural (1995)Formel urbain (2001) Formel rural (2001)

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 24

Toutefois, les diplômés de l’enseignement technique conservent une probabilité élevée (environ 85%) d’intégrer le secteur de l’emploi formel. Symétriquement, les individus sans aucun diplôme sont effectivement « condamnés » dans le secteur informel28. Il a été suggéré plus haut dans le texte, que ceux-ci doivent accéder à une formation formelle minimale pour améliorer à la fois leur situation et accroître la productivité de ce secteur qui demeure modeste. VI. Le rendement économique des investissements éducatifs au Sénégal Dans les points précédents, l’efficacité externe a été abordée en examinant plus ou moins en détails les équilibres sur le marché du travail, en quantité (chômage) et en qualité (déséquilibre structurel entre offres et demandes de travail), ainsi que les évolutions qui se sont dessinées ces dix dernières années. Au-delà de ces deux aspects, l’analyse économique de l’efficacité externe doit estimer la rentabilité financière des investissements éducatifs, aussi bien pour la collectivité que pour les individus. En effet, selon la théorie du capital humain, la mise en regard des taux de rendements de l’éducation avec un taux de référence (taux de rentabilité plancher des investissements physiques par exemple) peut justifier une allocation des ressources plus ou moins en faveur de l’éducation (ou en défaveur des biens physiques, investissements alternatifs). La littérature invite malgré tout à une utilisation prudente des taux de rendement privés et sociaux comme critères « mécaniques » d’allocation de ressources entre niveaux et types d’éducation. Du point de vue sociétal, les critiques soulevées concernent l’impertinence des hypothèses qui légitiment l’estimation des taux de rendement sociaux, dans un contexte de pays en développement. En effet, 1) on relie habituellement les gains à la productivité en faisant l’hypothèse que les salaires sont mis à égalité avec le produit marginal du travail, par le jeu d’un marché de l’emploi parfaitement concurrentiel, avec salaires suffisamment flexibles.

Mais on sait que dans la majorité des pays en développement, ces marchés sont plus ou moins segmentés, et que, dans le secteur moderne, les équilibres se font davantage sur les quantités (avec rationnement de l’offre de travail) que sur les salaires, ceux-ci n’étant par ailleurs pas toujours le reflet du produit marginal des travailleurs. En outre, 2) il est possible que ces taux sous-estiment les bénéfices générés par la scolarisation pour un pays, à cause des externalités qui sont insuffisamment valorisées pour êtres prises en compte dans les calculs. Enfin, 3) des théories rivales à la théorie du capital humain remettent en cause le lien étroit entre éducation et rémunération (théorie du filtre notamment développée par Arrow), puisque d’autres facteurs tels la valeur individuelle et l’origine socioéconomique conditionnent à la fois le niveau d’éducation et de rémunération (les individus qui ont de plus grandes aptitudes ou qui viennent de milieux privilégiés peuvent se distinguer tant à l’école que sur le lieu de travail).

En dépit de ces limites, ces taux peuvent fournir des informations utiles pour orienter l’allocation des ressources. Ils doivent être complétés par des taux de rendement 28 Les estimations pour le secteur informel sont conduites pour les hommes âgés de 10 à 65 ans.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 25

privés, qui possèdent une limite évidente s’ils doivent être utilisés comme critères d’allocation des ressources. Les arguments soulevés, du point de vue privé, concernent l’imprécision de la prévision de la structure des rémunérations dans la moyenne période, étant donné que la rentabilité de l’éducation a tendance à baisser à mesure du développement des pays et la possibilité que certains individus fondent leurs choix sur des critères non économiques (en considérant l’éducation comme un bien de consommation et non d’investissement, tel que supposé par la théorie sur le capital humain).

VI.1 Le rendement social des investissements éducatifs

VI.2.1 Les coûts de formation

Sur la base des données du QUID (2001) ont été estimés les coûts directs liés à la formation (frais d’écolage, coûts d’uniformes, dépenses en fournitures scolaires, frais de cantines et de transport, etc.) à la charge des familles. Elles ont été ramenées à leur niveau de 1995 par simple déflation par l’indice du niveau général des prix (voir tableau 11). Par ailleurs, les coûts unitaires publics ont été estimés (grossièrement) sur la base de données financières disponibles (statistiques scolaires et universitaires de 2001/2002). Les estimations ont ensuite été corrigées de la dépréciation nominale de la monnaie. Tableau 11 : Coûts unitaires publics de formation et coûts directs à la charge des

ménages par niveau d’enseignement, en CFA de 1995

Coûts directs unitaires (base annuelle)

Coûts unitaires publics estimés

Niveau d'enseignement Total

En % du coût dans le

supérieur Total

En % du coût dans le

supérieur Préscolaire 62 035 37 - - Primaire 6 029 4 31 918 4 Moyen 30 261 18 68 481 9 Secondaire 37 683 22 125 490 17 Technique – professionnel 103 872 61 655 624 88 Supérieur 169 484 100 743 271 100

Sources : QUID de 2001 et estimations des auteurs ; Annuaire des statistiques scolaires et universitaires (de 2001/2002) ; World developpement indicators de 2003.

Les coûts unitaires directs de formation à la charge des ménages atteignaient 19% des coûts unitaires publics au niveau de l’enseignement primaire (44% à l’enseignement moyen, 30% au secondaire, 16% à l’enseignement technique et 23% au supérieur). De manière générale, les coûts directs à la charge des ménages ont tendance à augmenter rapidement entre le primaire et l’enseignement moyen pour se stabiliser jusqu’à l’enseignement secondaire, niveau à partir duquel ils s’accélèrent à nouveau pour les individus scolarisés dans l’enseignement supérieur. Les coûts unitaires publics progressent à un taux constant entre le primaire et l’enseignement secondaire, pour s’accélérer par la suite.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 26

Sur la base de ces coûts, et des revenus d’actifs âgés de 10 à 65 ans, il est possible de conduire une estimation des taux de rendements sociaux des investissements éducatifs. Cette estimation est fondée sur une analyse coûts/avantages fréquemment utilisée en analyse de choix entre projets d’investissements (encadré 3). Six profils29 âges/gains ont été construits, correspondant à une estimation transversale des flux annuels moyens de revenus des individus, de chaque niveau d’éducation, sur l’ensemble de leur vie active. Pour un niveau d’éducation donné, ces gains sont comptabilisés (grossièrement) comme des avantages liés à l’éducation. Les coûts comprennent les manques à gagner (revenus des individus dont le niveau d’éducation est immédiatement inférieur), ainsi que les coûts privés et publics. Encadré 3 : L’analyse coûts/avantages Le principe est qu’il est rationnel de mobiliser des ressources pour un niveau d’éducation lorsque la )VAN( valeur actualisée des bénéfices futurs liés à cet investissement, nette des coûts (directs et manques à gagner) qui lui sont associés n’est pas négative. Si on se place dans la théorie du capital humain où l’on considère l’éducation comme un bien d’investissement, il est alors utile de comparer le taux d’actualisation retenu dans le calcul de la VAN au coût moyen d’opportunité en investissements alternatifs (en montants et de durée équivalents), notamment des investissements en bien physiques. Pratiquement, on fixe à 10% ce coût moyen d’opportunité (taux de rentabilité requis des investissements physiques), et le taux d’actualisation )r( retenu est celui qui est juste nécessaire pour que la VAN soit nulle. L’analyse coûts/avantages étant conduite entre deux niveaux d’éducation successifs, r est un taux de rendement marginal (il exprime la rentabilité sociale de l’investissement supplémentaire pour produire des formés d’un niveau d’éducation donné, par rapport au bénéfice « social » obtenu grâce aux formés du niveau immédiatement inférieur).

VI.2.2 Le niveau et la structure des taux de rendements sociaux

• Une rentabilité structurellement élevée pour l’enseignement élémentaire

Les investissements éducatifs socialement les plus rentables sont ceux effectués dans le cycle élémentaire. Le taux de rendement social estimé pour le Sénégal en 1995 est proche de ceux que Psacharapoulos et Patrinos estiment pour le Sénégal en 1985, pour l’Afrique subsaharienne et les pays du monde à faible revenu en 2002 (tableau 12). En comparaison aux taux estimés pour les autres niveaux et types d’éducation, la rentabilité de l’enseignement élémentaire indique que davantage de ressources éducatives doivent être allouées à ce sous secteur du système éducatif (priorité à l’enseignement élémentaire dans les arbitrages intra sectoriels). En outre, le niveau particulièrement élevé de ce taux de rendement [de 14 points au dessus du taux de référence] témoigne encore d’un sous-investissement en capital humain à ce niveau d’éducation30. 29 Ils correspondent aux 6 niveaux terminaux de scolarisation : « aucun diplôme ; niveau élémentaire ; niveau moyen ; diplôme d’enseignement technique ou professionnel, Baccalauréat et diplôme d’enseignement supérieur général». 30 En 2001, on a estimé à 82% la proportion d’individus âgés de plus de 10 ans qui n’ont aucun diplôme ou qui n’ont jamais achevé le cycle primaire. En 2002, 53% des jeunes d’une classe d’âge achevaient le cycle élémentaire, l’objectif de scolarisation primaire universelle devant être à 100%.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 27

Tableau 12 : Structure des taux de rendements de l’éducation au Sénégal (en 1985 et 1995), en Afrique subsaharienne et dans les pays du monde à faibles revenus en 2002

Taux de rendements sociaux de l’éducation Primaire Secondaire Supérieur

Sénégal (1985) 23,0% 8,9% ND*

Primaire Moyen Technique/ professionnel Secondaire Supérieur

Sénégal (1995) 24,1% 16,2% 16,9% 10,5% -

Afrique subsaharienne (2002) 25,4% 18,4% (secondaire) 11,3% Pays du monde à faible

revenu (2002) 21,3% 15,7% (secondaire) 11,2%

*ND : Non disponible Sources : Psacharapoulos et Patrinos (2002) pour les données de 1985 et 2002 ;

Estimations des auteurs d’après les données de l’ESAM 1 de 1994/1995

• L’enseignement technique se distingue de l’enseignement moyen

La rentabilité de l’enseignement technique (16,9%) est d’un point au dessus de celle de l’enseignement moyen (16,2%). Ceci étant, il serait socialement justifié d’accorder une priorité à l’enseignement technique au moins aussi importante qu’à l’enseignement moyen. Ces arguments penchent donc pour un développement de l’enseignement technique et la formation professionnelle, et des mesures incitatives pour orienter davantage de jeunes vers ce type de formation. D’ailleurs, il se trouve que la couverture éducative au niveau de l’enseignement technique au Sénégal en 2001 (61 élèves techniciens pour 100 000 habitants) est inférieure à la moyenne pour 22 pays d’Afrique sub-saharienne dont les données sont disponibles (163 élèves techniciens pour 100 000 habitants)31. Une solide politique de régulation des flux dans le système pourrait être articulée autour des taux de transition primaire/Moyen ; primaire/formation professionnelle ; Moyen/secondaire technique ; de sorte à contenir le flux des diplômés qui accèdent au cycle secondaire général et qui seront candidats pour une admission dans l’enseignement supérieur (qui produit déjà des formés au-delà du nécessaire).

• Si la rentabilité de l’enseignement secondaire général est modeste, celle de l’enseignement supérieur n’est cependant pas prouvée

Les investissements éducatifs sont peu rentables pour l’enseignement secondaire. Le taux de 10,5% est peu éloigné du taux de référence (10%). Par ailleurs, les investissements dans l’enseignement supérieur (tel qu’ils sont faits actuellement) sont non seulement au-delà du nécessaire, mais ne s’avèrent pas socialement rentables. D’un point de vue technique, la VAN de ces investissements est négative. Pour améliorer l’efficience de ces investissements, une option est de réduire les coûts unitaires publics (qui sont 4,4 fois plus élevés que les coûts privés estimés) ou d’accroître les dépenses de transferts des ménages vers l’Etat. Les ressources publiques ainsi économisées devront être réparties entre les autres niveaux et type d’enseignement (avec une priorité à l’enseignement primaire et à l’enseignement

31 Ce chiffre est de 24 au Niger, de 31 en Gambie, de 77 au Ghana, de 155 au Burkina Faso et de 378 au Bénin.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 28

technique). D’autres mesures désincitatives de la demande de scolarisation dans le supérieur doivent être contrastées du coût politique qu’elles peuvent induire.

VI.2 Les rendements privés de l’éducation

VI.2.1 Description globale des disparités de revenus selon le niveau d’éducation

La dualité de l’économie sénégalaise et surtout la prédominance du secteur informel, en termes d’emplois, sur le secteur formel, nous conduit à analyser séparément le rendement privé des investissements éducatifs pour des individus exerçant dans l’un ou l’autre de ces secteurs. On se place dans un contexte de marché de travail segmenté, ce qui suppose que les compartiments du marché du travail se différencient par les comportements des différents acteurs, donc que les revenus s’y déterminent de façon différente. Ils sont souvent administrés dans le secteur formel, mais restent suffisamment proches de prix concurrentiels dans le secteur informel. Dans le secteur formel, la productivité individuelle du travail sera assimilée au salaire mensuel, étant donné que la plupart des individus de ce secteur (98% en 1995 et 93% en 2001) sont salariés ou payés à la tâche. Mais dans le secteur informel, le salaire sous-estime fortement le revenu individuel. En 1995, à peine 6% des actifs de ce secteur sont salariés, 60% environ étant des travailleurs indépendants (contre 52% en 2001). La productivité des individus sera assimilée au revenu brut tiré d’activités indépendantes (secteur primaire, entreprises individuelles non agricoles). Les transferts reçus, de même que les revenus de propriété et ceux tirés de coopératives ne seront pas pris en compte dans le revenu total des individus exerçant dans le secteur informel. Nous mobilisons les données de l’ESAM 1 pour conduire l’analyse des rendements privés de l’éducation. Le tableau ci-après illustre la distribution des revenus selon le sexe et le niveau de diplôme. Tableau 13 : Salaires et revenus moyens mensuels dans les secteurs formel et informel en

francs CFA courants de 1995, selon le plus haut diplôme

Secteur de l'emploi formel Secteur Informel Diplôme le plus élevé

Hommes* Femmes* Ensemble* Revenu mensuel* du chef de ménage1

Aucun 102 313 77 535 98 224 102 875 CFEE 166 698 105 167 158 793 359 448 BEPC/BEFM 249 432 117 322 216 201 183 885 CAP 258 963 100 255 202 388 475 698 Baccalauréat 371 946 231 369 344 104 380 761 Licence ou plus 367 915 190 453 331 573 185 883 Autre 581 308 191 283 396 735 -

Ensemble 217 127 126 484 199 322 199 322 1 comprend le revenu des tâcherons, les revenus de l’agriculture, de la chasse, de la cueillette, de l’élevage, la rémunération des salariés du secteur informel. *Les estimations portent uniquement sur les observations non censurées (revenus non nuls) ; sur des individus âgés de 15 à 55 ans pour le secteur formel et de 10 à 65 ans pour le secteur informel. Source : Estimations des auteurs à partir des données de l’ESAM 1

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 29

En termes de rendement supposé du niveau d’éducation, le tableau 13 met en évidence un accroissement du salaire mensuel jusqu’au Baccalauréat dans le secteur formel. Les diplômés de l’enseignement technique professionnel gagneraient moins que les titulaires d’un BEPC ou d’un BEFM. Ce qu’il faut noter, et qui est pour le moins surprenant, c’est que les diplômés de l’enseignement supérieur percevraient mensuellement un salaire inférieur de 4%, en moyenne, par rapport aux bacheliers. Pour ne pas conclure hâtivement à la non rentabilité privée de l’enseignement supérieur, on peut justifier ce constat par divers facteurs (la qualité des données -les salaires déclarés-, le mélange de cohortes -on n’a pas tenu compte du niveau d’expérience des individus-, la sélection des observations, etc.). S’agissant de la sélection des observations, rien ne dit que les salaires observés sont représentatifs des salaires de l’ensemble des individus travaillant dans le secteur formel. Ces biais seront corrigés lors de l’estimation des taux de rendements. Les femmes gagnent significativement moins que les hommes de même niveau d’éducation. Ce résultat a été prouvé dans diverses études. En outre, le rendement des investissements éducatifs ne semble pas le même dans la population globale que chez les femmes. D’autres études (Pscharapoulos et Patrinos, 2002) ont montré qu’en moyenne dans le monde, les rendements de l’éducation sont plus élevés chez les hommes au cycle primaire (rendement de 20% contre 13% chez les femmes), mais que l’inverse se produit au cycle secondaire (18% contre 14% chez les hommes). Ceci étant, nous limitons l’analyse de la rentabilité privée de l’éducation à la seule population des hommes (dans le secteur formel) et des chefs de ménages (dans le secteur informel). Dans le secteur informel, on observe globalement une évolution en zig-zag des revenus des chefs de ménage selon le niveau d’éducation, contrairement à ce qui est observé dans le secteur formel. Les diplômés de l’enseignement technique seraient les « plus productifs » dans ce secteur où l’emploi se développe essentiellement à travers les activités indépendantes. Ils paraissent alors mieux préparés à l’auto-emploi (19% d’entre eux sont des travailleurs indépendants non agricoles32). C’est le contraire de ce qui est observé dans le secteur formel où les diplômés de l’enseignement technique (dans leur ensemble) semblent moins productifs que les titulaires du BEPC ou du BFEM33. Ici encore, les chefs de ménages n’ayant aucun diplôme sont « les moins productifs », comme quoi un capital humain minimal est nécessaire pour améliorer la productivité individuelle dans les activités indépendantes, ce que d’autres études ont démontré.

32 Voir tableau 5 en annexe 33 Il ne s’agit que d’une tendance, puisqu’on ignore les effets de l’expérience et du secteur d’activité sur les gains et plus encore, on suppose « grossièrement » que le niveau de salaire (ou de revenus) est un indicateur de la productivité du travail des individus. Cette dernière hypothèse est moins vraisemblable dans le secteur formel.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 30

VI.2.2 Le niveau et la structure des taux de rendements privés de l’éducation au Sénégal

Le modèle de gains de Mincer (197434) suppose que les salariés sont rémunérés à leur productivité marginale et que celle-ci augmente avec le capital humain accumulé qui prend deux formes : i) l’investissement en éducation formelle qui débouche sur un diplôme et ii) l’investissement en formation sur le lieu de travail, essentiellement l’expérience accumulée au cours du temps dans l’exercice d’une activité professionnelle. Le rendement d’un niveau d’éducation peut alors être estimé à partir de données sur les revenus d’individus dont le niveau de capital humain diffère. L’encadré ci-après présente le modèle des gains élargi à d’autres variables susceptibles de rendre compte des disparités de revenus entre individus. La technique d’estimation est présentée.

Encadré 4 : Modélisation des rendements privés d’éducation

On postule une forme semi-logarithmique pour l’équation des gains :

iji

J

=jjmi

M

=mm

K

=kkikii

*i u+X+M+D+E+E+=)Y(Ln ���

15

14

13

2210 ηηηηηη (1)

*iY est le revenu (ou le salaire) individuel ;

iE le nombre d’années d’expérience professionnelle ;

1=Dki si l’individu i possède le diplôme kD et 0 sinon ; M le milieu de résidence ;

jiX le secteur d’activité de l’activité principale

iu est un terme aléatoire supposé gaussien (on suppose que le revenu est distribué selon une loi log normale). Les paramètres η sont à estimer.

Puisqu’on n’observe le « vrai salaire *iY » d’un individu que s’il est non nul (ou si l’individu n’est pas au

chômage), le modèle (1) est dit sélectionné sur la base du statut des individus sur le marché du travail, ce qui introduit un biais dans l’estimation des paramètres, si on se limite à l’équation des salaires des seules personnes qui travaillent. L’estimation du modèle (1) doit donc prendre en compte le mécanisme de sélection des observations (équation 2). Z étant une variable binaire égale à 1 si l’individu travaille (et déclare un revenu non nul) et 0 si l’individu est chômeur, la probabilité que l’individu travaille peut être modélisée ainsi qu’il suit :

)bX(=)=Z(P iφ1 (2) ; avec 1=Z si 0>v+bX ii et 0=Z sinon.

))(,(N)vu( ii 10 � ,

2

ρσρσσ

est gaussien bivarié ; ρ désigne le coefficient de corrélation entre iu et iv .

iX désigne un vecteur de caractéristiques individuelles b est un vecteur de paramètres à estimer ϕ (resp. φ) désigne la fonction densité (resp. de répartition) de la loi gaussienne réduite. Compte tenu de (2), l’équation des gains est un modèle de type « Tobit » qui peut être estimé par la méthode du maximum de vraisemblance ou selon la méthode de Heckman en deux étapes. Pour ce faire, i) on estime le

modèle probit (2) et construit la variable )bX(

)bX(= ^

i

^

ii

^

φ

ϕλ (ratio inverse de mills), ii) qui est ensuite incluse parmi

les regresseurs de l’équation (1). On peut alors expliquer le logarithme du revenu, sur le seul échantillon des individus qui travaillent ( 1=Z ), par la technique des moindres carrés ordinaires (MCO). Les rendements sont ainsi estimés sans biais (Voir Greene (2000), chapitre 20, Par. 20.4 pour plus de détails).

34 Cité par Arestoff (2000)

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 31

VI.2.2-1 Les taux de rendement dans le secteur de l’emploi formel

Si on doit conduire l’estimation des taux de rendements uniquement sur l’échantillon des salariés du secteur formel, on doit corriger le biais de troncature de l’échantillon de la population active à la seule population qui travaille dans le secteur formel. En effet, si la décision individuelle de travailler dans les secteurs formel ou informel résulte d’arbitrages entres niveaux de rémunérations dans l’un ou l’autre secteur, alors la non prise en compte de ce phénomène est susceptible de biaiser l’estimation de la rentabilité privée de l’éducation. Il est alors primordial de tester si le choix entre le secteur formel et le secteur informel n’est pas aléatoire. Ceci revient à estimer, pour des individus dans une situation de « chômage d’attente »35, quel serait leur niveau de productivité s’ils étaient effectivement employés dans le secteur formel. La méthode de Heckman (cf. encadré 4) est utilisée à cette fin.

• Une grande hétérogénéité des salaires individuels dans le secteur formel

Les disparités de niveaux de capital humain expliquent, en moyenne, 40% des disparités de rémunérations des hommes de 15 à 55 ans dans le secteur formel, ce qui traduit une forte hétérogénéité des salaires individuels. Tableau 14 : Modélisation des gains individuels dans le secteur formel, échantillon

d’hommes âgés de 15 à 55 ans, en 1995

Modèles « standards » Modèle avec contrôle de biais de sélection

Modèle 1

(Mincer standard) Modèle 2 Modèle 3

Constante 8,73*** 8,49*** 9,73*** Expérience1 0,15*** 0,15*** 0,11*** Expérience au carré -0,002*** -0,002*** -0,001** AUCUN (référence) - - - CFEE 0,49*** 0,46*** 0,26 (ns) BEPC ou BFEM 1,04*** 1,00*** 0,74*** CAP 1,11*** 1,08*** 0,77*** BACCALAUREAT 1,39*** 1,36*** 1,05*** LICENCE ou plus 1,39*** 1,35*** 1,01*** Autres diplômes 0,69** 0,66** 0,49 (ns)

Urbain - 0,22 (ns) - Administration publique - 0,16* - Coefficient de sélection (affectation dans

le secteur formel) - - -0,33*

R2 40,2% 40,8% 40,8% 684 observations ; significativité à 1% (***), à 5% (**) ou à 10% (*). Paramètre non significatif (ns). * AUCUN : aucun diplôme ; CFEE : Certificat de fins d’études élémentaires ; BFEM : Brevet de fins d’études moyennes 1 approximé par l’écart entre l’âge et 15 ans. Estimations par les MCO Source : Estimations des auteurs sur la base des données de l’ESAM 1

35 Ils sont susceptibles d’être employés dans le secteur moderne. En 1995, 32% des chômeurs seraient dans cette situation : ils ont un diplôme au moins égal au CFEE.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 32

Dans le modèle standard dérivé de Mincer (1974), la rémunération mensuelle augmente avec le capital humain sous forme d’expérience accumulée sur le lieu de travail, mais avec une vitesse décroissante : ce capital humain souffre d’un certain degré d’obsolescence (la rentabilité marginale de l’expérience est importante en début de carrière, mais diminue avec le temps pour se saturer vers la cinquantaine). A diplôme et expérience donnés, au sein d’un même secteur institutionnel (administration ou entreprises), les revenus ne diffèrent pas significativement entre le milieu urbain et le milieu rural. Les salaires nominaux, souvent administrés, sont les mêmes que l’individu exerce en milieu urbain ou non. Même si il est estimé que les employés de l’administration perçoivent une rémunération supérieure à celle des individus de même niveau de capital humain employés dans le secteur privé formel, ce différentiel de gains est quantitativement limité, et faiblement significatif (au seuil de 10%).

• Une rentabilité maximale pour les diplômés de l’enseignement technique et de la formation professionnelle travaillant dans le secteur formel

Sur la base du modèle 1, on peut estimer la structure des taux de rendements marginaux privés de l’éducation. On considère ici les « taux nets » puisqu’on tient compte des coûts privés de formation. Ces coûts sont constitués de coûts directs liés à la formation (frais d’écolage, coûts d’uniformes, dépenses en fournitures scolaires, frais de cantines et de transport, etc.) et des coûts d’opportunité : pour un individu ayant le diplôme k , il s’agit du produit du revenu moyen des individus possédant le diplôme immédiatement inférieur (k -1) par le nombre d’années d’études effectuées en plus pour obtenir le diplôme k . Ceci dit, le taux de rendement marginal privé du diplôme k par rapport au diplôme k -1 ( 1--k/kR ) se calcule comme le rapport du supplément de revenu perçu à la somme des coûts directs et d’opportunité36.

36 Sur la base de l’encadré 4, on exprime le taux de rendement marginal du diplôme k par rapport au diplôme k-1 par

l’expression suivante : )]+ELnY(exp()/C(+[*N)exp(

=Rkkk/k

kkk/k 2121

1--2

1-1-

1-331- σ

ηη.

k/kN 1-- désigne le nombre d’année d’études supplémentaires pour obtenir le diplôme k ; kC les coûts directs

(annuels moyens) correspondants ; 1-kELnY est le revenu moyen des individus ayant le diplôme k-1 ; 2σ la variance de la distribution des salaires (sous forme logarithmique). Nous avons retenus le nombre d’années idéales pour des individus qui ne connaissent pas de redoublement ; soit 6 pour le primaire ; 4 pour le BEPC/BEFM ou le CAP par rapport au CFEE ; 3 pour le BAC par rapport au BEPC/BEFM et 3 pour la licence par rapport au BAC. L’enseignement technique comprend en fait deux cycles, mais dans l’enquête ESAM 1, l’information portait sur l’ensemble des deux cycles (sous la désignation CAP), nous avons alors supposé que les individus qui accèdent à l’enseignement technique effectuent en moyenne 4 années de plus que ceux qui quittent l’école après le CFEE. Le taux de rendement exprime une relation inverse au nombre d’année d’études, et par conséquent, des redoublements élevés ont pour effet de réduire les rendements privés (ceci découle du fait que les coûts directs et d’opportunité augmentent avec les redoublements, toutes choses égales par ailleurs). Il est toujours possible de prendre en compte l’incidence des redoublements sur les taux de rendements.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 33

Tableau 15 : Taux de rendements privés dans le secteur de l’emploi formel, en 1995

Taux de rendements privés de l’éducation estimés « à la Mincer »

CFEE/AUCUN* BEPC ou BFEM/ CFEE* CAP/CFEE* BAC/

BEPC ou BEFM* LICENCE/BAC*

11% 18% 20% 14% 0,05% * AUCUN : aucun diplôme ; CFEE : Certificat de fins d’études élémentaires ; BFEM : Brevet de fins d’études moyennes ; BAC : Baccalauréat ; Licence : Licence ou plus Source : Estimations des auteurs sur la base des données de l’ESAM 1

En référence au coût d’opportunité de référence de 10% (taux de rentabilité requis des investissements physiques), les investissements privés en éducation sont économiquement rentables, dans le secteur formel, jusqu’au Baccalauréat. Toutefois, les rendements sont d’abord croissants jusqu’à l’enseignement moyen ou l’enseignement technique, pour être décroissants par la suite. C’est dire que le Sénégal connaît un sous investissement en éducation et en formation dans la partie relativement basse du système éducatif, et notamment dans l’enseignement technique et la formation professionnelle. Par ailleurs, du point de vue privé, il semble peu rationnel d’investir en capital humain au delà du Baccalauréat pour les individus qui souhaitent s’employer dans le secteur de l’emploi formel. L’enseignement technique assure la rentabilité maximale des investissements éducatifs. Après le cycle élémentaire, il serait par conséquent plus rationnel pour les individus de s’orienter vers l’enseignement technique et la formation professionnelle. Elle permet d’accroître les revenus de 21% dans le secteur formel en termes bruts37 et de 20% en termes nets. Au total, en plus d’avoir le plus de chances d’intégrer le secteur de l’emploi formel, leur formation leur assure une rentabilité une fois plus élevée que le taux de référence. L’Etat devrait davantage encourager et développer ce type de formations. Une bonne régulation des flux dans la transition au cycle post primaire pourrait permettre d’orienter de plus en plus de jeunes vers ces formations.

• Les salaires sont cependant peu rigides à la hausse dans le secteur formel, même pour les individus les plus éduqués

Des facteurs non observées affectant l’orientation des individus vers le secteur formel agissent négativement sur le niveau attendu des rémunérations : la sélection des individus n’est par conséquent pas aléatoire. Les hommes, de mêmes caractéristiques que ceux actuellement occupés dans le secteur formel mais qui travaillent dans le secteur informel se refusent d’avoir des emplois faiblement rémunérés dans le secteur formel. De même, les individus désirant travailler dans le secteur formel, pour une raison ou une autre, sont « obligés » de diminuer leur salaire de réservation. Cette sélection est bien plus défavorable aux titulaires du certificat de fins d’études élémentaires. Au total, opter pour le secteur formel ne doit plus être une panacée pour ceux qui veulent avoir des rémunérations substantielles, au dessus de leur productivité réelle : les individus qui y sont employés gagnent moins que ce qu’ils auraient souhaité gagner, compte tenu de leur niveau d’éducation. Il se révèle 37 En faisant fi des coûts directs de formation.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 34

une fois de plus le problème du déséquilibre structurel entre l’offre et la demande de travail. Les individus « surestiment » leur productivité potentielle alors qu’en réalité elle serait en dessous des attentes des entrepreneurs. Une autre raison de la faiblesse des salaires réels peut être imputée au mécanisme de fonctionnement de ce secteur : les prix pratiqués dans ce segment du marché sont-ils proches de prix concurrentiels ?

VI.2.2-2 Les rendements dans le secteur de l’emploi informel

La situation des actifs occupés dans le secteur informel âgés de 10 à 65 ans est particulière : ils s’agit pour la plupart d’individus n’ayant aucun diplôme38. Ceci rend difficile l’estimation de la fonction des gains dans la mesure où on dispose d’assez peu d’éléments factuels (peu de variance dans le niveau d’éducation des actifs) pour dériver un profil de revenus selon le niveau de diplôme. Le modèle des gains, une fois contrôlés les biais de troncature de l’échantillon, n’explique que 10,2% de la variance des revenus. C’est dire que les revenus sont encore plus hétérogènes dans ce secteur que dans le secteur moderne.

• Des gains quantitativement importants dans le secteur informel urbain

Il est estimé que les actifs exerçant dans le secteur informel urbain gagnent, à expérience et diplôme donnés, plus du double [=Exp(0,92)] du revenu de leurs homologues du secteur informel rural, de mêmes caractéristiques (tableau 16). Ces disparités des gains, peu significatives dans le secteur formel, se révèlent par contre quantitativement importantes dans le secteur informel. Tableau 16 : Modélisation des gains individuels dans le secteur informel, échantillon

d’hommes âgés de 10 à 65 ans, en 1995

Constante 9,12*** Expérience1 0,08*** Expérience au carré -0,001*** CFEE 1,01*** BEPC ou BEFM 1,76*** CAP 1,95*** BACCALAUREAT 2,39*** LICENCE 2,39** Autres diplômes -0,14 (ns)

Urbain 0,92*** Coefficient de sélection (affectation dans le

secteur informel) -1,06***

Significativité à 1% (***) ou à 5% (**) ; Paramètre non significatif (ns). 1 approximé par l’écart entre l’âge et 10 ans ; R2 : 10,2% ; 1 383 observations ; Estimations par MCO Source : Estimations des auteurs sur la base des données de l’ESAM1

38 En 1995, 94% des hommes âgés de 10 à 65 ans travaillant dans le secteur informel n’ont aucun diplôme ; 4% sont titulaires du CFEE ; 0,8% possèdent le BEPC ou BFEM ; 0,3% le CAP ou le BAC et 0,6% la licence.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 35

• Des taux de rendements considérables dans le secteur informel, et une rentabilité spécialement importante pour l’enseignement technique

Dans ce segment du marché, les rendements dépassent les 25%, même si les diplômés de l’enseignement supérieurs ne semblent pas gagner plus que les bacheliers de mêmes caractéristiques (expérience et milieu de résidence). La structure des taux de rendement est présentée dans le tableau ci-après : Tableau 17 : Taux de rendements privés de l’éducation dans le secteur informel, en 1995

Taux de rendements privés dans le secteur informel (estimés à la Mincer)

CFEE/AUCUN* BEPC ou BFEM/ CFEE* CAP/CFEE* BAC/

BEPC ou BEFM* LICENCE/BAC*

29% 27% 38% 29% - * AUCUN : aucun diplôme ; CFEE : Certificat de fins d’études élémentaires ; BFEM : Brevet de fins d’études moyennes ; BAC : Baccalauréat ; Licence : Licence ou plus Source : Estimations des auteurs sur la base des données de l’ESAM 1

Le tableau précédent conduit à des conclusions importantes sur le niveau et la structure même des taux de rendements privés de l’éducation. Le niveau élevé des taux de rendement témoigne du faible niveau de capital humain en qualité utilisé dans ce secteur (la quasi totalité des hommes employés dans ce secteur n’ont aucun diplôme). On anticipe que ces taux devront baisser à mesure du développement du capital humain et du développement économique du Sénégal, étant donné que ce segment du marché du travail fonctionne selon des mécanismes proches de l’équilibre concurrentiel. La structure des taux de rendement fait état d’une rentabilité quantitativement importante pour l’enseignement technique, ce qui nous rapproche davantage des résultats obtenus dans l’approche comparative globale des revenus selon le niveau d’éducation. Trois autres points peuvent être soulignés : 1) L’étroitesse de l’emploi moderne a pour conséquence d’élever la probabilité individuelle de travailler dans le secteur informel. Cependant, les individus doivent reconnaître qu’il vaut mieux accéder au marché de l’emploi, même informel, avec un minimum de capital humain et que 2) S’il leur est possible d’aller au-delà du cycle primaire, il semble rationnel d’opter pour une formation technique ou professionnelle qui pourrait être bénéfique à un double titre : ce choix permet, à terme, d’accroître leur probabilité de travailler dans le secteur de l’emploi formel et 3) même lorsqu’ils s’orientent vers le secteur informel (activités indépendantes), ils gagnent significativement plus que leurs homologues titulaires du BEPC/BEFM.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 36

VI.2.3 Des rendements privés sensibles au degré d’efficience interne du système éducatif, surtout dans le secteur informel

Le coefficient d’efficacité interne est estimé à 72% en 200239 pour le cycle élémentaire. Cela signifie grosso modo qu’en moyenne, un nouveau entrant au cycle élémentaire devrait attendre 8,3 [6/0,72] années (au lieu de 6) pour être en mesure de terminer le cycle, si les règles de passage entre grades, et les taux de redoublement restent inchangés. Il en découle qu’une faible efficience interne d’un niveau d’éducation, ayant pour effet d’allonger le nombre d’années idéales pour terminer le cycle, agit négativement sur les taux de rendements. Le taux de rendement privé du primaire baisse de 3 points (de 11 à 8%) pour les individus qui parviennent à travailler dans le secteur formel, par rapport à la situation où le coefficient d’efficacité interne est de 100% (pas d’allongements inutiles des coûts directs ou d’opportunité). Dans le secteur informel, le taux de rendement du primaire chute encore plus (de 29 à 21%). Cela dit, un bon degré d’efficience interne peut stimuler la demande de scolarisation (notamment au niveau de l’enseignement élémentaire), et en vue de progresser vers la scolarisation primaire universelle, la réduction du pourcentage de redoublants40 (qui se situe à 14% en 2002) ne peut être que bénéfique pour le système et pour le développement du secteur informel en particulier, qui a plus que jamais besoin d’une main d’œuvre au minimum alphabétisée pour son décollage. Ces conclusions restent valables pour les autres niveaux d’éducation. Si on suppose par exemple que le degré d’efficience reste le même que dans le cycle élémentaire (bien qu’il soit sensiblement réduit dans l’enseignement secondaire 2nd cycle41), on observe toujours une chute prononcée des taux de rendements dans le secteur informel, mais modérée dans le secteur de l’emploi moderne. Toutefois, la forte sensibilité du taux de rendement pour les diplômés de l’enseignement technique à l’inefficience interne du système éducatif est hautement remarquable (tableau 18). Tableau 18 : Sensibilité des taux de rendements à l’inefficience du système éducatif

Variations1 des taux de rendements privés par rapport à une situation idéale d’efficience parfaite (absence de redoublements ou d’abandons) en points de pourcentage Secteur

D’activité CFEE/AUCUN* BEPC ou BFEM/CFEE* CAP/CFEE* BAC/

BEPC ou BEFM* LICENCE/BAC*

Formel -3 -5 -6 -4 0 Informel -8 -8 -11 -8 -

1 Hypothèse : le coefficient d’efficacité interne reste égal à 0,72 dans les différents cycles Source : Estimations des auteurs sur la base des données de l’ESAM 1

39 D’après UNESCO/BREDA et Pôle de Dakar [2004], P. 33. Ce coefficient se définit « grossièrement » comme étant le nombre de non redoublants en dernière année d’un cycle (multiplié par la durée de ce cycle) divisé par la somme des effectifs scolarisés dans tout le cycle. 40 Il constitue avec le taux de survie en dernière année les principaux facteurs déterminants du niveau d’efficience interne d’un niveau d’éducation 41 Le coefficient d’efficacité interne se situe à 59% pour l’enseignement secondaire 2nd cycle en 2002 (D’après le Rapport économique et financier du PDEF, P. 47)

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 37

VII. Synthèse et remarques conclusives 1. L’économie Sénégalaise est en expansion depuis la fin des années 1990, marquée par le développement progressif du secteur moderne, qui compte 10% des emplois en 2001 contre à peine 6% six années plus tôt. Cependant l’économie reste duale avec un secteur informel à faible valeur ajoutée qui emploie l’essentiel de la main d’œuvre (90%). Dans une double perspective de développement économique et de réduction de la pauvreté, le système éducatif sénégalais, en tant que secteur contribuant à la production du capital humain, se doit de s’assurer que la main d’œuvre produite correspond aux besoins de l’économie en quantité mais aussi en qualité. C’est sur ces plans qu’on peut juger de l’efficacité externe du système. 2. Ceci conduit le planificateur de l’éducation à s’intéresser au devenir de ses produits, à déceler les secteurs porteurs, ainsi que les goulots d’étranglement de la main d’œuvre, afin d’adapter son offre à la demande. Comme toute entreprise, cette activité est consommatrice de ressources, raison pour laquelle, les choix en termes d’allocation de ressources entre niveaux et types d’éducation doivent être rationalisés sur la base de critères privilégiant l’efficience de la dépense éducative. 3. En dépit des progrès significatifs enregistrés ces dix dernières années dans la production du capital humain à travers notamment la baisse du taux d’analphabétisme des adultes et la baisse du pourcentage de la population potentiellement active n’ayant aucune qualification formelle (de 85% en 1995 à 82% en 2001), 83% de la population active n’a aucune qualification formelle en 200142. Entre 1995 et 2001, la proportion des diplômés des autres niveaux d’enseignement au sein de la population potentiellement active a augmenté si bien qu’on est emmené à conclure à une augmentation du stock de capital humain. Toutefois, des politiques doivent continuer de viser une amélioration de la dotation en capital humain des produits que le système éducatif met sur le marché du travail (les individus n’ayant aucune qualification formelle constituent 85% des actifs occupés en 2001). 4. En dépit des progrès enregistrés sur le plan de la quantité, les produits de l’école éprouvent de plus en plus de peine à s’employer, et la question qui se pose est de savoir si la production n’est pas excédentaire (au-delà des capacités d’absorption du marché du travail) ou si l’expansion de l’offre en quantité ne l’a pas aussi été en qualité. Sur le plan de la quantité, on a noté que i) les individus n’ayant aucun diplôme sont les moins exposés au risque de chômage et que ii) celui-ci a tendance à augmenter avec le niveau d’éducation, effets qui sont partiellement imputables à l’étroitesse du secteur de l’emploi moderne. 5. Dès lors, des causes du chômage des individus, il fallait discriminer entres facteurs d’ordre macroéconomique (conjoncture économique par exemple) et facteurs imputables à des inefficacités dans la planification des ressources humaines. L’économie étant en expansion, s’il existe des facteurs d’ordre macroéconomique, leur importance doit sans doute être limitée. Ceci dit, la progression du chômage

42 Voir tableau 6 en annexe pour un récapitulatif des principaux résultats

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 38

présage qu’en cas de retournement de conjoncture43, la situation risque d’être encore plus préoccupante. Ainsi, les véritables causes sont à chercher au niveau des politiques sectorielles. Sur la base d’une analyse comparative internationale, on a observé que le Sénégal produit assez de diplômés dans le supérieur (excédent de 73 étudiants pour 100 000 habitants, soit un peu plus de 6 000 étudiants) compte tenu de son niveau de développement économique. Il s’est ainsi dessiné des arguments en faveur de la réduction du nombre de formés à ce niveau d’enseignement, ou des arguments pour améliorer la qualité de la formation à ce niveau en ligne avec les demandes de l’économie. 6. La qualité considérée à ce niveau est perçue en terme de qualifications des produits de l’école issus de l’enseignement supérieur. On a cependant constaté une certaine inertie dans la structure de l’offre à ce niveau d’éducation, avec une prédominance des diplômés en lettres et sciences sociales (plus de 70% de l’ensemble des diplômés) sur les diplômés en sciences et techniques. Dans un contexte de chômage croissant chez les plus éduqués (et de durée de chômage avant le premier emploi souvent supérieure à une année pour 1 actif sur 5), le statut quo n’est pas une option. Certainement y aurait-il lieu d’explorer d’autres formes de formations et développer des filières pour l’instant embryonnaires. En amont, des mesures de régulation et de gestion planifiées des flux d’élèves doivent être expérimentées (critères sélectifs à l’entrée dans le cycle d’enseignement supérieur, réduction des taux de transition entres cycles du système éducatif, mise en application de mesures désincitatives de la demande d’éducation dans le post primaire couplées avec le développement de centres de réinsertion professionnelle, etc.). 7. Dans l’état actuel des choses, l’excès d’offre des formés et la concurrence pour les emplois formels obligent certains d’entre eux à s’orienter vers le secteur informel et à occuper des emplois en dessous de leurs qualifications (situation qui concerne 14% des universitaires ou près de 25% des bacheliers et diplômés de l’enseignement supérieur). Il s’agit là d’un signe d’inefficacité externe de l’éducation, synonyme de « sur éducation » ou de déséquilibre structurel entre offre et demande. Dès lors que les coûts unitaires (directs ou publics) de formation dans le supérieur sont considérables (en moyenne 25 fois plus élevés que les coûts unitaires dans l’enseignement élémentaire), on comprend que ce déséquilibre structurel ne peut qu’être une source de gaspillage de ressources aussi bien des familles que de l’Etat. Ce déséquilibre touche aussi les individus n’ayant aucune éducation qui, trop nombreux, se discutent les mêmes emplois avec les individus possédant un CFEE (26% de ceux-ci étant au chômage). Les progrès vers la scolarisation primaire universelle essayeront d’améliorer l’adéquation formation/emploi dans la partie basse du système éducatif. 8. Ces mesures visant le renforcement du capital humain des individus sans aucune éducation permettront à terme d’obtenir les gains de productivité recherchés dans le secteur informel, puisque dans la situation courante, les

43 Toute économie, après une phase d’expansion plus ou moins longue, connaît une phase de contraction débouchant éventuellement sur une récession, mécanismes que le prévisionniste, sans être pessimiste, doit anticiper.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 39

individus sans aucune qualification formelle sont condamnés à s’y employer. Les gains de productivité dans ce secteur contribueront à la fois au développement économique et à la réduction de la pauvreté. 9. Les diplômés de l’enseignement technique bénéficient particulièrement d’une probabilité élevée de travailler dans le secteur formel. Cette probabilité atteint 85% dans le secteur formel en milieu urbain. En général, elle se situe à 57 points au dessus de la probabilité moyenne des individus qui ont un diplôme d’enseignement général. Ceci étant, on s’attend à ce que des mesures visant le développement de formations qualifiantes et de l’enseignement technique/formation professionnelle aient des effets multiplicateurs au plan macroéconomique (ces diplômés ont certes des chances élevés d’intégrer le secteur formel. Toutefois, ceux d’entre eux qui travaillent dans le secteur informel se sont révélés les plus productifs de ce secteur, notamment dans les activités indépendantes). 10. Progresser dans ces réflexions nécessite d’aller au-delà d’arguments subjectifs pour examiner si de tels investissements peuvent être « financièrement » rentables. La demande d’éducation étant le fait des individus, il importe de vérifier dans quelles mesures, les choix individuels seront en ligne avec ce qui est souhaitable au plan collectif. L’analyse est plutôt concluante : l’enseignement technique et la formation professionnelle assurent les taux de rendements maxima au niveau individuel. Ils se situent à 20% et à 38% respectivement dans les secteurs formel et informel. Il y a donc des arguments solides pour davantage encourager et développer ce type de formation. 11. L’expansion de cette filière peut se faire au détriment de l’enseignement supérieur, étant donné que les diplômés de ce niveau d’enseignement ne gagnent pas significativement plus que les bacheliers de même niveau d’expérience professionnelle ou travaillant dans un même secteur institutionnel (à cause de l’inadéquation de l’offre à la demande, les revenus des diplômés de l’enseignement supérieur ont tendance à s’aligner sur ceux des bacheliers, et les années supplémentaires ne semblent pas rentables). Même employés dans le secteur informel, les diplômés de l’enseignement supérieur ne semblent pas plus productifs que les bacheliers. 12. Une priorité suffisante doit toujours être accordée à l’enseignement primaire. En effet, les individus qui disposent d’un capital humain, fût-il minimal (CFEE) sont mieux équipés, par rapport à ceux qui n’en ont pas, lorsqu’ils accèdent sur le marché du travail. Dans le secteur formel, lorsqu’ils arrivent à s’y employer, les seconds perçoivent un salaire de 40% inférieur à celui des diplômés du cycle élémentaire. Dans le secteur informel (où la concurrence est encore plus rude), les individus titulaires d’un CFEE gagnent en moyenne près de 3 fois plus que les individus n’ayant aucun diplôme ou n’ayant jamais été à l’école. Les individus sans diplôme ne sont avantagés que du point de vue de la participation au marché du travail (l’essentiel des emplois étant informels), mais aucunement en termes de retour financier. Cette situation, si elle s’installe durablement ne peut que renforcer la

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 40

paupérisation de ces populations, les maintenant en dessous du seuil de pauvreté monétaire. 13. L’amélioration de l’efficience interne du système éducatif peut permette de stimuler la demande de scolarisation à divers niveaux d’éducation, notamment pour les populations qui en sont actuellement exclues et que le système doit scolariser (notamment au niveau de l’enseignement élémentaire) dans l’atteinte des objectifs conjoints EPT/OMD44 relatifs à l’éducation. La réduction du pourcentage de redoublants (estimé à 14% en 2002) ne pourra qu’être bénéfique pour le système et pour le développement du secteur informel en particulier, qui a plus que jamais besoin d’une main d’œuvre au minimum alphabétisée pour son décollage. Ces mesures peuvent être étendues à l’ensemble du système, en particulier à l’enseignement technique et à la formation professionnelle, types d’enseignements qui s’avèrent économiquement rentables. 14. La structure actuelle des coûts unitaires, plus que favorable à l’enseignement supérieur, ne trouve pas de justification du point de vue économique (les investissements éducatifs dans cet ordre d’enseignement sont au-delà du nécessaire et se révèlent socialement non rentables). La faible rentabilité privée et la non rentabilité sociale des investissements dans l’enseignement supérieur convergent alors pour souligner que des utilisations alternatives peuvent être faites des ressources qui lui sont disproportionnellement allouées. Les ressources économisées trouveront meilleur usage dans d’autres cycles d’enseignements (le cycle élémentaire, l’enseignement technique et la formation professionnelle devant être prioritaires dans les arbitrages intra sectoriels). 15. Si ces choix en matière d’allocation de ressources sont faits, il reste à mettre comportements et choix individuels avec ce qui est souhaitable au plan collectif : faire en sorte que les individus formulent une demande plus accrue pour l’enseignement technique et la formation professionnelle. Cela implique davantage de sensibilisation des populations sur la rentabilité privée de cette formation, ou des mesures facilitant l’accès aux ressources (pas de rationnement de crédits excessifs) ou réduisant la contribution des ménages, notamment celle des ruraux ou des pauvres. 16. Dans certains cas, les avantages économiques des options ici proposées doivent être contrastés des coûts politiques qu’elles induisent. En outre, l’éducation est source d’effets externes considérables, et la dimension sociale des investissements éducatifs mérite elle aussi d’être analysée. Même si ce n’est pas le point qui a été abordé ici, il est plus ou moins prouvé que les effets sociaux de l’éducation sont spécialement importants pour l’enseignement élémentaire (à travers ses impacts sur la rétention de l’alphabétisation à l’âge adulte, sur la réduction de la pauvreté, sur la santé de la mère et de l’enfant, sur la régulation des naissances, qu’il s’agit aussi d’un facteur de cohésion sociale, etc.). Cela dit, une allocation des ressources favorable à l’enseignement élémentaire est bénéfique à plusieurs niveaux (individuel, collectif) et génère des effets externes positifs pour la collectivité toute entière.

44 Education Pour Tous/ Objectifs du Millénaire pour le Développement.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 41

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voie de développement, Dial, DT/2000/11 Assidon E. (1992), Les théories économiques du développement, La découverte DPRE Sénégal (2002), Rapport économique et financier du PDEF (rapport provisoire de

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Greene W. (2000), Econometric analysis, fourth edition, Printice hall international editions

Guellec D. et Ralle P. (1996), Les nouvelles théories de la croissance, La découverte

Gurgand M. (1999), Sait-on mesurer le rôle économique de l’éducation ? une confrontation des résultats empiriques micro et macroéconomiques, Crest

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 42

Annexes Tableau 1 : Répartition des actifs selon le type d’emploi (effectivement occupé) et le niveau

d’instruction, en 2001

Aucun diplôme

Primaire complet et

Moyen incomplet

Moyen complet et Secondaire incomplet

Technique/ formation

professionnelle

Secondaire complet

Supérieur général Autre Total

Agriculture 58,7 26,2 16,5 2,6 7,4 2,8 53,3 53,0 Mines/ carrière 0,7 0,6 0,7 0,0 1,2 0,4 0,0 0,7

Production/ transformation 6,6 11,6 7,8 12,6 8,9 6,6 10,6 7,1

Construction 3,2 7,2 4,7 4,6 1,3 1,9 6,7 3,5 Transport 2,7 3,4 1,2 4,2 1,2 3,0 3,1 2,7

Commerce/ vente 15,8 20,3 18,0 10,3 16,2 5,2 13,8 16,0 Services 7,2 16,5 18,2 21,3 20,9 19,2 2,3 8,7

Education/ santé 0,4 4,1 14,9 20,7 19,6 30,5 6,0 2,0 Administration 0,2 3,9 14,2 18,5 18,5 26,2 1,5 1,7

Autre 4,5 6,1 3,9 5,2 4,7 4,2 2,7 4,6 Ensemble 100 100 100 100 100 100 100 100

Source: Calculs des auteurs à partir des données du QUID de 2001

Tableau 2 : Répartition des actifs selon la principale activité et le diplôme le plus élevé, en 1995

Aucun CFEE BEPC/ BFEM CAP Bac Licence

et + Autre ND Ensemble

Membres exerçant dans les corps légistes ; cadres supérieurs de l’administration publique

0 0 0 1 2 8 0 0 0

Directeurs de sociétés, gérants d’entreprises 0 0 0 2 5 5 0 3 0

Professions intellectuelles et scientifiques 1 3 23 32 40 57 30 10 2

Professions intermédiaires 1 4 14 7 14 9 8 2 1 Employés d’administration 0 5 8 20 15 9 29 6 1 Personnel des services et vendeurs 1 5 5 3 2 1 0 2 1 Agriculteur, ouvrier de l’agriculture et

de pêche 65 24 12 5 2 6 0 42 60

Artisans et ouvriers des métiers 10 25 10 10 2 0 13 11 11 Conducteurs d'installation de

machines, de véhicules et ouvriers d’assemblage

1 2 1 2 0 0 0 2 1

Ouvriers et employés non qualifiés 21 28 19 14 13 3 19 18 21 Forces armées et police 0 4 8 3 3 2 0 3 0 Ensemble 100 100 100 100 100 100 100 100 100 CFEE : certificat de fin d’études élémentaires ; BEFM : Brevet de fin d’études moyennes ; CAP : Certificat d’aptitude professionnelle ; Bac : Baccalauréat ; Autre : Autres diplômes ; ND : Diplôme non déclaré Sources : Calculs des auteurs à partir des données de l’ESAM 1

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 43

Tableau 3 : Répartition des actifs selon la situation dans la profession et le diplôme le plus élevé, en 1995

1

Aucun CFEE BEPC/BFEM CAP Bac Licence et + Autre ND Ensemble

Tâcheron 1 4 1 1 1 1 0 4 2 Indépendant 60 34 17 18 9 8 0 42 56 Employeur 1 1 2 2 5 3 19 0 1 Salarié 7 31 65 72 78 86 68 32 11 Aide familial 24 14 7 3 5 0 0 14 23 Stagiaire 0 1 3 3 2 1 0 0 0 Apprenti 6 13 3 0 0 0 13 5 6 Autre 1 2 2 0 1 1 0 3 1 Ensemble 100 100 100 100 100 100 100 100 100 CFEE : certificat de fin d’études élémentaires ; BEFM : Brevet de fin d’études moyennes ; CAP : Certificat d’aptitude professionnelle ; Bac : Baccalauréat ; Autre : Autres diplômes ; ND : Diplôme non déclaré Source: Calculs à partir des données de l’ESAM 1

Tableau 4 : Répartition des actifs selon la branche d’activité et le niveau d’instruction, en 1995

Aucun CFEE BEPC/BFEM CAP Bac Licence et + Autre ND Total

Agriculture, élevage et forêt 64 22 12 4 2 4 13 37 59 Pêche 1 2 2 0 1 1 8 3 1 Extraction 0 0 1 0 1 0 0 0 0 Fabrication de produits alimentaires,

boissons et tabacs 3 3 2 1 2 3 10 1 3

Fabrications de tissus, de cuir et d’articles en tissus 3 9 4 1 0 0 0 3 4

Fabrications et réparation d’ouvrages en bois 2 2 0 0 3 0 0 2 2

Fabrication de papiers ; imprimerie et édition 0 0 2 2 0 1 0 0 0

Fabrication de produits chimiques 0 1 1 2 1 1 0 0 0 Fabrication de matériaux de

construction 0 0 1 0 0 0 0 0 0

Fabrication et réparation de machines et d’ouvrages en métaux 3 6 3 5 4 3 13 4 3

Fabrication d’articles divers 0 1 1 0 2 1 19 1 1 Eau, électricité et gaz 0 1 1 3 7 1 10 1 0 B.T.P 2 6 2 2 3 3 0 7 2 Commerce 14 17 12 13 11 4 0 12 14 Restaurants et hôtels 1 2 3 3 0 2 0 1 1 Transports et communications 2 5 3 13 3 8 0 3 2 Banques et établissements financiers 0 0 2 4 5 2 0 0 0 Assurances 0 0 0 2 0 2 0 0 0 Autres services marchands 2 6 11 11 12 12 9 8 3 Services domestiques 3 3 1 0 1 0 0 3 3 Administrations publiques 0 10 33 33 39 44 18 16 3 Administrations privées 0 1 3 0 0 7 0 0 0 Organisations internationales et

ambassades, consulats 0 0 0 1 3 1 0 1 0

ND 0 0 0 0 0 0 0 0 0 Ensemble 100 100 100 100 100 100 100 100 100 CFEE : certificat de fin d’études élémentaires ; BEFM : Brevet de fin d’études moyennes ; CAP : Certificat d’aptitude professionnelle ; Bac : Baccalauréat ; ND : Diplôme non déclaré Source : Calculs des auteurs à partir des données de l’ESAM 1

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal 44

Tableau 5 : Répartition des actifs selon le groupe socio économique et le diplôme le plus élevé, en 1995

Aucun CFEE BEPC/ BFEM CAP Bac licence

et + Autre ND Ensemble

Indépendant non agricole 20 27 13 19 14 8 19 23 20 Indépendant agricole, élevage et forêt 42 12 7 3 0 4 0 23 38

Cadre supérieur 0 3 24 36 44 67 30 13 2 Profession intermédiaire 0 4 12 6 14 9 8 2 1 Ouvriers 35 40 21 14 8 2 13 32 35 Employés 2 13 21 22 20 11 29 8 3 ND 0 1 2 0 0 0 0 0 0 Ensemble 100 100 100 100 100 100 100 100 100 CFEE : certificat de fin d’études élémentaires ; BEFM : Brevet de fin d’études moyennes ; CAP : Certificat d’aptitude professionnelle ; Bac : Baccalauréat ; ND : Diplôme non déclaré Source : Calculs des auteurs à partir des données de l’ESAM 1

Graphique 1 : Visualisation des grandes « correspondances » entre niveau d’éducation des

actifs et groupe socioéconomique, en 1995

Indépendant non agricole

indépendant agricole, de l'élévage ou des

forêts

Cadre supérieur

Profession intermédiaire

Ouvriers

Employés

Type d'Emploi non déclaré

Aucun

Cepe BEPC / BEFM

CAP

Baccalauréat

Licence et plus

Autre

Diplôme non déclaré

-1,5

-1

-0,5

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

-1 0 1 2 3 4 5

-- axe F1 (87 %) -->

Correspondances entre Niveau d'éducation et Type d'emploi

Légende : point modalité du type d’emploi occupé

point modalité du niveau d’éducation Sous l’hypothèse que ces points soient biens « illustrés » sur le graphique,

La proximité de deux points modalités d’une même variable sur le graphique signifie qu’à l’intérieur des groupes définis par chacune de ces modalités, la répartition des individus selon les modalités de l’autre variable est grosso modo la même.

La proximité de deux points modalités des deux variables signifie en gros que les individus qui prennent l’une des modalités prennent aussi l’autre modalité et vice-versa. Par exemple, les travailleurs indépendants sont essentiellement des individus n’ayant aucun diplôme.

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Aspects économiques de l’efficacité externe de l’éducation au Sénégal

Tableau 6 : (Synthèse) Evolutions dans la qualification formelle de l’offre de travail ; dans structure de la population active entre 1995 et 2001 ; contributions au chômage national et répartition des actifs entre les secteurs moderne et informel de l’économie sénégalaise, en 2001

Sources : Estimations des auteurs à partir des données de l’ESAM 1 et du QUID de 2001/ La population de référence, par souci de comparaison avec les données de l’ESAM1ou plus. On rappelle ici que près de 5% des emplois sont occupés par des enfants de 6 à 1* dont 51% dans diverses administrations (administration publique, privée, organisations inte

puis 49% dans le secteur tertiaire (commerce ; transport ; autres services marchands).

Sans qualification

(Jamais scolarisé ou jamais parvenu en fin de

cycle élémentaire)

---------------------------85,4% (en 1995)

82,4%(en 2001)

---------------------------87,6 (en 1995)

82,7% (en 2001)

---------------------------

12%

---------------------------

69,3%

---------------------------------89,3% (en 1995)

84,8% (en 2001)

CFEE ;

BEPC/BEFM;

Secondaire incomplet

----------------9,4% (1995)

14,1% (2001)----------------

9,2% (1995)

12,8% (2001)----------------

26%

----------------

24,0%

-------------------7,7% (en 1995)

11,0% (2001)

Baccalauréat ;

Enseignement Supérieur ;

‘Autres’

----------------4,8% (1995)

2,4% (2001)

----------------2,6% (1995)

3,0% (2001)

----------------

18%

----------------

3,9%

----------------2,4% (en 1995)

2,8% (2001)

Niveaux de « qualification formelle » de l’offre de travail en 20011/

Poids dans la population âgée

de 10 ans ou plus

Poids dans la population active

totale

Taux moyen de chômage dans le groupe en 2001

Contribution au chômage

national en 2001

Agriculture informelle

(52,5%)

Emplois offerts dans les différents secteurs

de l’économie sénégalaise en 2001

Niveau terminal d’éducation

Poids dans la population active

occupée de 10 ans ou plus

Secondaire Technique ;

Formation professionnelle

---------------- 0,4% (1995)

1,2% (2001)

---------------- 0,7% (1995)

1,5% (2001)

----------------

25%

----------------

2,7%

---------------- 0,6% (en 1995)

1,4% (2001)

Industr

(2,5%

Secteur informel (89,7% des emplois)

Secteur informel non

agricole

(37,2%)

Secteur formel (10,3%)

45

1 de 1995, est âgée de 10 ans 0 ans.

rnationales, ambassades, etc.) ;

Services* (6,8%)

Agriculture (0,45%)

Autres (0,55%)

ies )