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/230 ARCHÉOLOGIE D’UN SAVOIR-FAIRE : LE MONTAGE CORÉEN SOUS LA DYNASTIE JOSEON (1392-1910) MEEJUNG KIM Restauratrice de peintures asiatiques, British Museum, Londres Depuis les années 1970, le montage des peintures et calligraphies extrême- orientales, longuement resté mystérieux, est l’objet d’un intérêt croissant en Asie comme en Europe et aux États-Unis 1 . Le montage traditionnel chinois a en effet suscité les travaux de Claire Illouz 2 et plus récemment de Camille Schmitt 3 . Appliqué au Japon, le montage a donné lieu aux travaux de recherches de Hajime Yamamoto, Masako Koyano, Paul Wills, Takemitsu Oba 4 comme de Iwataro Oka 5 . En Corée, cette question n’a véritablement été élucidée qu’en 2008, à l’occasion d’un colloque et d’une exposition orga- nisés à Séoul 6 . Ce fut également l’occasion de montrer les différences et les similitudes que l’on trouve dans les montages chinois, coréens et japonais, jusqu’alors réduits au rang de simples artisanats. Menés au cours de ces dernières années, les travaux d’inventaires de l’art coréen, non seulement en Asie, mais aussi aux États-Unis et en Europe, ont été publiés sous la forme de catalogues de musées qui se sont avérés particulière- ment utiles dans cette perspective : les peintures et calligraphies (coréennes) s’y trouvent bien souvent reproduites avec leurs montages : au-delà de l’utilité 1 Je tiens ici à remercier Claude Laroque et Valérie Lee de m’avoir invitée à participer à la journée d’études organisée par leurs soins le 10 octobre 2014. Mon intervention est en liens étroits avec le sujet que je traite dans le cadre de mon mémoire de doctorat, dirigé par le Professeur Antoine Gournay à l’Université Paris-IV Sorbonne : le montage des peintures coréennes à l’époque de la dynastie Joseon. 2 ILLOUZ, Claire (1985) ; (1998) 3 SCHMITT, C. (2003) ; (2005) ; (2006) ; (2011) ; le colloque international organisé conjointement par l’Institut National du Patrimoine et le musée Cernuschi, a réuni les 19 et 20 mars 2009 restaurateurs et conservateurs sur le thème de la peinture chinoise, de sa restauration et de la recherche en Europe et en Chine. 4 YAMAMOTO, Hajime (1974), OBA, T. (1976) ; NISHIKAWA, K. (1977) ; KOYANO, M. (1979) ; OBA, T. (1985) ; WILLS, P. & PICKWOAD, N. (1985) 5 OKA, I. (2011) 6 Musée National du Palais de la Corée (2008)

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ARCHÉOLOGIE D’UN SAVOIR-FAIRE : LE MONTAGE CORÉEN SOUS LA DYNASTIE

JOSEON (1392-1910)MEEJUNG KIM

Restauratrice de peintures asiatiques, British Museum, Londres

Depuis les années 1970, le montage des peintures et calligraphies extrême-orientales, longuement resté mystérieux, est l’objet d’un intérêt croissant en Asie comme en Europe et aux États-Unis 1. Le montage traditionnel chinois a en effet suscité les travaux de Claire Illouz 2 et plus récemment de Camille Schmitt 3. Appliqué au Japon, le montage a donné lieu aux travaux de recherches de Hajime Yamamoto, Masako Koyano, Paul Wills, Takemitsu Oba 4 comme de Iwataro Oka 5. En Corée, cette question n’a véritablement été élucidée qu’en 2008, à l’occasion d’un colloque et d’une exposition orga-nisés à Séoul 6. Ce fut également l’occasion de montrer les différences et les similitudes que l’on trouve dans les montages chinois, coréens et japonais, jusqu’alors réduits au rang de simples artisanats.

Menés au cours de ces dernières années, les travaux d’inventaires de l’art coréen, non seulement en Asie, mais aussi aux États-Unis et en Europe, ont été publiés sous la forme de catalogues de musées qui se sont avérés particulière-ment utiles dans cette perspective : les peintures et calligraphies (coréennes) s’y trouvent bien souvent reproduites avec leurs montages : au-delà de l’utilité

1 Je tiens ici à remercier Claude Laroque et Valérie Lee de m’avoir invitée à participer à la journée d’études organisée par leurs soins le 10 octobre 2014. Mon intervention est en liens étroits avec le sujet que je traite dans le cadre de mon mémoire de doctorat, dirigé par le Professeur Antoine Gournay à l’Université Paris-IV Sorbonne : le montage des peintures coréennes à l’époque de la dynastie Joseon.

2 ILLOUZ, Claire (1985) ; (1998)3 SCHMITT, C. (2003) ; (2005) ; (2006) ; (2011) ; le colloque international organisé conjointement

par l’Institut National du Patrimoine et le musée Cernuschi, a réuni les 19 et 20 mars 2009 restaurateurs et conservateurs sur le thème de la peinture chinoise, de sa restauration et de la recherche en Europe et en Chine.

4 YAMAMOTO, Hajime (1974), OBA, T. (1976) ; NISHIKAWA, K. (1977) ; KOYANO, M. (1979) ; OBA, T. (1985) ; WILLS, P. & PICKWOAD, N. (1985)

5 OKA, I. (2011)6 Musée National du Palais de la Corée (2008)

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que représente ce type de documents, la prise en considération du montage de la part du photographe (ou de l’éditeur) et non pas seulement de la pein-ture, témoigne bien d’un changement de mentalité.

Certes, la voie avait été ouverte par la publication du livre pionnier de Robert Van Gullik, en 1958 7, mais la plus grande partie de l’ouvrage était consacrée à la Chine ; la question de la Corée restait secondaire. L’un des exemples choisis par l’auteur, afin d’analyser la question des rouleaux sus-pendus chinois d’époque archaïque, était celui d’une bannière ornementale en soie coréenne ; nommée mongumchok, ce type de bannière était utilisé pour les danseurs lors des banquets royaux, à l’époque Joseon (1392-1910), en Corée. On sait que la musique dansée était alors influencée par celle de la dynastie Tang (618-907). Il est bien vrai que ce livre avait vu le jour alors même que la Corée venait de subir des bouleversements historiques donnant lieu, notamment, à un phénomène de perte presque totale des traditions comme de l’artisanat : le montage des peintures n’est rien d’autre que l’une de ces formes ruinées par l’histoire du XXe siècle. Dans la mesure où les peintures coréennes, dans leur immense majorité, ont été remontées soit à la façon japonaise, soit à la manière chinoise, le travail visant à reconstituer leur mon-tage traditionnel prend une dimension littéralement archéologique.

Remontages japonais et chinois : quelques exemplesBien souvent, ce sont les peintures bouddhiques du royaume de Goryeo (918-1392) qui ont été remontées à la japonaise : de fait, elles furent collectionnées par les Japonais à partir du XVIe siècle, étant particulièrement appréciées par ces derniers. Un bon exemple de ce genre de remontage est une œuvre dans une collection particulière (fig. 1). Il s’agit d’un format de rouleau vertical dit butsu hyogu (en Japonais), employé pour les œuvres de la plus haute qua-lité. Deux bandes horizontales dites ichimonji en soie beige situées en haut et en bas de la peinture, se trouvent encadrées par une soie verte nommée chumawashi, elle-même encadrée par une soie de couleur jaune d’or. Les trois différentes soies ainsi employées se nomment les sandan-hyogu. Sty-listiquement, ce type de rouleau suspendu japonais trouve son origine en Chine, et en particulier dans la dynastie Song (960-1279). C’est – semble-t-il – durant l’époque Muromachi (1333-1573) qu’il fut introduit grâce aux échanges commerciaux 8.

7 Van Gulik, Robert Hand (1958)8 Ibid., p. 123.

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Fig. 1. Montage de type butsu hyogu, Le Quatrième Roi de l’Enfer, fin de la dynastie Goryo, peinture sur soie, H. 62 ; L. 45 cm, New York, collection privée

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Nous connaissons deux exemples de ce genre de remontage au sein des collections du Musée Guimet à Paris (fig. 2, 3). Chaque montage, de type yamato, est particulièrement répandu pour le décor intérieur au Japon. S’inspirant du style chinois d’époque Ming (1368-1644), il fait son apparition au Japon à l’époque Edo (1603-1868). Deux bandes horizontales (dites ichi-monji) sont placées dans les parties supérieure et inférieure de la peinture. Chacun des quatre côtés est cerné par un large encadrement jaune d’or (dit chumawashi), les parties haute et basse étant agrémentées de motifs déco-ratifs. Là encore, trois soies différentes sont utilisées. La différence majeure entre ces deux exemples tient au traitement des bandes verticales latérales (dites hashira), très étroites dans la composition qui représentent des feuilles de vigne et des grappes de raisin (fig. 3). On trouve généralement ce type de montage, nommé rimpo hyogu, dans les chambres servant à la cérémonie du thé, et il s’applique le plus souvent à des calligraphies de moines ou de pein-tures à l’encre comme les paysages.

Mais les peintures bouddhiques coréennes ont pu aussi être remontées à la manière chinoise, comme en témoigne une œuvre appartenant au British Museum de Londres et dont le thème est celui du gardien du temple (fig. 4). Ayant été encadrée, il n’est pas facile de distinguer l’origine du style de la mon-ture mais le procédé de remontage, y compris les matériaux utilisés, sont bien connus en Chine. Un autre exemple est celui d’une peinture de lettrés intitulée Bambou au vent et qui se trouve conservée au Metropolitan Museum de New York (fig. 5). On remarque la couleur blanc crème appliquée aux peintures de grand format. Les parties haute et basse (dites tian tou et di tou en chinois) ainsi que les deux bords gauche et droit (dits bian) forment l’encadrement de la peinture. À la différence du style japonais, les éléments décoratifs de la monture restent sobres afin de favoriser l’appréciation de l’œuvre au centre.

Avant d’en venir aux méthodes permettant de s’approcher au plus près du montage traditionnel coréen, nous voudrions citer un témoignage recueilli au cours de nos investigations. Nous avons en effet eu l’occasion de nous entrete-nir avec des monteurs de peinture en Corée qui affirment utiliser une manière traditionnelle. Certains d’entre eux ont même eu l’occasion de monter un paravent conservé au British Museum selon un style désigné comme étant d’Insa-dong (fig. 6). 9 En réalité, le résultat n’est rien d’autre qu’un mélange de style coréen et japonais, car ces monteurs ont été imprégnés, depuis l’occu-pation, par un type de montage japonais. Au sein des mêmes collections se trouve d’ailleurs un rouleau coréen (fig. 7) dont le montage a été considéré

9 Insa-dong désigne le quartier de Séoul connu pour le commerce d’antiquités et les ateliers de monteurs.

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Fig. 3. Montage de type rimpo hyogu, Feuilles de vignes et grappes de raisin, 16ème siècle, dynastie Yi ou Joseon, peinture sur soie, H. 32 ; L. 27 cm, Paris, Musée Guimet © Musée Guimet, Paris, Distr. RMN-Grand Palais/ Jean-Yves et Nicolas Dubois

Fig. 2. Montage de type yamato hyogu, Avalokiteçavara à la lune, dynastie Gorio, peinture sur soie, H. 105 ; L. 58 cm, Paris, Musée Guimet, © Musée Guimet, Paris, Distr. RMN-Grand Palais/ Jean-Yves et Nicolas Dubois

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comme étant également coréen par certains spécialistes. En fait, seule la peinture est coréenne et c’est probablement ce qui donne l’origine de l’erreur au sujet de la question de son montage : ce genre d’œuvre était en effet monté sous forme de paravents. Le format du remontage de la peinture apparaît ainsi comme incompatible avec cette dernière.

Fig. 4. Montage chinois sous forme de panneau, Virupaksa, 1796-1820, peinture sur soie, H. 300 ; L. 200 cm, Londres, © The British Museum

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Fig. 5. Montage chinois monochrome, Yi Jeong (1541-1626), Bambou au vent, peinture sur soie, H. 223 ; L. 66 cm, New York, The Metropolitan Museum of Art © Mary Griggs Burke collection, Gift of the Mary and Jackson Burke Foundation, 2015

Fig. 6. Paravent coréen à huit panneaux (détail), Livres et autres objets savants, 19e siècle, encre et peinture sur soie, H. 50 ; L. 140 cm, Londres © The British Museum

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Fig. 7. Rouleau suspendu coréen, Paons, 16e siècle, peinture sur soie, dimensions inconnues, Londres © The British Museum

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L’authentique montage coréen : de rares témoignagesLes montages que nous venons de citer entrent en contradiction avec les témoignages que nous avons réunis, notamment les textes anciens, décri-vant parfois avec une grande précision les opérations de montage, de reliure, de fournitures, de dépenses, ou encore l’origine des matériaux utilisés. De ce point de vue, l’une des sources les plus fascinantes reste les Uigwe de la cour royale 10 qui se trouvent aujourd’hui conservés dans plusieurs centres d’archives en Corée 11. D’un autre côté, ce genre de documents traite du cas particulier des peintures des collections royales, que ce soient des portraits de dignitaires, des paravents bien spécifiques, ou encore des rouleaux sus-pendus et horizontaux.

Il arrive que l’on puisse établir des croisements entre ces documents-là et certaines œuvres qui nous sont parvenues, comme le montre une pein-ture à caractère décoratif intitulée Les cinq Pics (fig. 8). Conservée au British Museum, elle était montée sur un rouleau suspendu à la japonaise. Comme le nom l’indique, elle a pour sujet un paysage symbolique prenant une forme quasi-symétrique : apparait une cascade dont l’eau semble se répandre sous forme de vagues et embruns dans la partie inférieure. En réalité, la composi-tion est incomplète puisque les motifs du soleil et de la lune, tronqués, appa-raissent systématiquement dans ce genre d’œuvres symboliques, réservées aux cérémonies royales.

Or, grâce aux documents d’archives, nous savons que ce type de peintures était monté en paravent à plusieurs panneaux 12 ou encore en sapyeong, sorte de « panneau-chevalet » (fig. 9) : dans ce dernier cas la peinture encadrée se trouve présentée sur un socle, sur une hauteur totale d’environ 1,90 mètre. Il n’en reste que trois exemples en Corée, mais, grâce aux recueils protocolaires, il est possible de préciser la structure et les matériaux employés pour ce genre d’objets ainsi que la manière dont ils étaient utilisés. Ils servaient en réalité à la présentation des portraits royaux dès lors qu’ils venaient d’être exécutés par le peintre, de sorte que la cour puisse les examiner. La meilleure preuve d’une exposition sur ce que nous nommons ici des « panneaux-chevalets »

10 Recueils de protocoles des rites, cérémonies et événements de la cour du royaume de Joseon (1392-1910), en sino-coréen, les Uigwe (의궤, 儀軌) qui enregistrent et décrivent par des textes et illustrations les protocoles sur les rites, cérémonies et événements de la famille royale.

11 On peut notamment les consulter aux archives Jangseogak à Seongnam, à celles de Kyujanggak de Séoul ainsi qu’au Musée national du Palais de la Corée.

12 Une trentaine d’exemples ont été conservés, noyamment au Musée national du Palais de la Corée et à celui du Musée Leeum, qui est considéré comme la meilleure version : ce paravent est constitué de huit panneaux qui forment la structure de cette peinture sur soie.

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Fig. 8. Les « cinq Pics », 1800, peinture sur soie, H. 155. L. 117 cm, Londres, © The British Museum

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Fig. 9. Page d’Uigwe (1901), H. 44 ; L. 32 cm, Seongnam © Archives Jangseokak

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Fig. 10. Un couple de jeunes mariés, anonyme, photographie ancienne (avant 1901), lieu de conservation inconnu

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nous est procurée par les petites poulies au revers, par lesquelles devaient être déroulées les peintures lors de leur présentation.

Indépendamment des sources, nous connaissons de rares exemples d’œuvres ayant conservé leurs montages d’origine, notamment certains por-traits de la fin de la dynastie Joseon. C’est ce que nous avons tenté de prouver au sujet du Portrait de Chae Che-Gong attribué à Yi Myong-gi (vers 1760-1820), dont il existe plusieurs exemplaires 13. Il va sans dire que ce sont là des témoi-gnages exceptionnels dans la mesure où ils peuvent servir de référence en vue d’une reconstitution, tout du moins pour certains types d’œuvres : on doit pouvoir imaginer que des portraits de cour exécutés vers le milieu du XVIIIe siècle avaient un montage présentant une semblable configuration. L’hypothèse est d’autant plus digne de foi que le contexte confucianiste, qui prévalait alors, vouait aux images des ancêtres une forme de culte allant de pair avec l’idée de conservation.

La dernière source documentaire qui – semble-t-il – n’a encore jamais sus-cité d’études, est la photographie ancienne, antérieure à l’occupation, c’est-à-dire avant 1910. Il existe en effet des témoignages prenant la forme de portraits en extérieur comme en intérieur, dont l’arrière-plan est enrichi de paravents qui pour la plupart présentent des motifs de pivoines (fig. 10). Là encore, nous sommes en présence de témoignages extrêmement précieux, révélant un type bien particulier de montage pour certaines peintures, quoiqu’à l’extrême fin de la dynastie Joseon.

Ainsi, en mettant bout à bout ces données fragmentaires, on devrait pou-voir se représenter un peu mieux ce à quoi ressemblait le montage coréen tra-ditionnel avant qu’il ne soit presque entièrement perdu. Pour autant, il n’est pas certain que l’on puisse restituer aussi bien l’apparence originelle des pein-tures bouddhiques (tant elles ont été remontées) que les portraits de cour, mieux documentés et parfois même miraculeusement conservés comme tels.

Pour citer cet article : Meejung KIM, « Archéologie d’un savoir-faire : le montage coréen sous la dynastie Joseon (1392-1910) », dans Claude Laroque (dir.), Autour des papiers asiatiques, actes des colloques D’est en Ouest : relations bilatérales autour du papier entre l’Extrême-Orient et l’Occident (organisé le 10 octobre 2014) et Papiers et protopapiers : les supports de l’écrit ou de la peinture (orga-nisé le 30 octobre 2015), Paris, site de l’HiCSA, mis en ligne en février 2017, p. 230-243.

13 KIM, Meejung (2014)

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