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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL LXI – 2015 – CNRS Éditions, Paris ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2015) PATRICK JACOB * FRANCK LATTY ** ARNAUD DE NANTEUIL *** En dépit des critiques dont il est régulièrement l’objet, l’arbitrage transnational relatif à l’investissement continue de connaître des développements nombreux, dont l’intérêt dépasse largement le cercle des spécialistes de la matière. Au titre de l’année 2015, une trentaine de décisions ont été rendues publiques, qui se répar- tissent, outre plusieurs ordonnances procédurales, en douze décisions au fond 1 et trois sur le quantum 2 , dix décisions portant exclusivement sur la compétence et la recevabilité 3 , six décisions sur des demandes d’annulation 4 , auxquelles il faut ( * ) Professeur à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. ( ** ) Professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre La Défense, directeur du CEDIN. ( *** ) Professeur à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne. 1. CIRDI, Hassan Awdi e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015 ; CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc., e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015 ; CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015 ; CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015 ; CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015 ; CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015 ; CIRDI, Lao Holdings NV c. Laos, n° ARB(AF)/12/6, décision sur le fond, 10 juin 2015 ; CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015 ; CIRDI, Dan Cake SA c. Hongrie, n° ARB/12/9, décision sur la compétence et la responsabilité, 24 août 2015 ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015 ; CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015 ; CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence du 25 novembre 2015. 2. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corporation c. Canada, n° ARB(AF)/074, sentence du 20 février 2015 ; CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentences du 9 avril 2015 ; CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre 2015. 3. CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015 ; CIRDI, Muhammet Çap et Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, n° ARB/12/6, décision sur l’exception d’incompétence, 13 février 2015 ; CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015 ; CPA (CNUDCI), Detroit International Bridge Company c. Canada, n° 2012-25, sentence sur la compétence, 2 avril 2015 ; CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015 ; CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyon- kezelö Zrt c. Hongrie, n° ARB/12/3, sentence du 17 avril 2015 ; CIRDI, Ping An Life Insurance Company of China c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015 ; CIRDI, Guardian Fiduciary Trust Ltd c. Macédoine, n° ARB/12/31, sentence du 22 septembre 2015 ; CIRDI, Grupo Fransisco Hernando Contreras SL c. Guinée équatoriale, n° ARB(AF)/12/2, sentence sur la compétence, 4 décembre 2015 ; CIRDI, Société civile immobilière de Gaëta c. Guinée, n° ARB/12/36, sentence du 21 décembre 2015. 4. Comité ad hoc CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, décision sur la demande d’annulation, 7 janvier 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Iberdrola Energia, SA c. Guatemala, n° ARB/09/5, décision sur la demande d’annulation, 13 janvier 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Tza Yap Shum c. Pérou, n° ARB/07/6, décision sur la demande d’annulation, 12 février 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision sur la demande d’annulation, 14 juillet 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c. ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL LXI – 2015 – CNRS Éditions, Paris CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART • CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART • CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL LXI – 2015 – CNRS Éditions, Paris

ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2015)

Patrick JacOB*

Franck LATTY**

arnaud de nanteuiL***

En dépit des critiques dont il est régulièrement l’objet, l’arbitrage transnational relatif à l’investissement continue de connaître des développements nombreux, dont l’intérêt dépasse largement le cercle des spécialistes de la matière. Au titre de l’année 2015, une trentaine de décisions ont été rendues publiques, qui se répar-tissent, outre plusieurs ordonnances procédurales, en douze décisions au fond 1 et trois sur le quantum 2, dix décisions portant exclusivement sur la compétence et la recevabilité 3, six décisions sur des demandes d’annulation 4, auxquelles il faut

(*) Professeur à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.(**) Professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre La Défense, directeur du CEDIN.(***) Professeur à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne.1. CIRDI, Hassan Awdi e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015 ; CPA (CNUDCI),

Khan Resources Inc., e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015 ; CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015 ; CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015 ; CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015 ; CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015 ; CIRDI, Lao Holdings NV c. Laos, n° ARB(AF)/12/6, décision sur le fond, 10 juin 2015 ; CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015 ; CIRDI, Dan Cake SA c. Hongrie, n° ARB/12/9, décision sur la compétence et la responsabilité, 24 août 2015 ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015 ; CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015 ; CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence du 25 novembre 2015.

2. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corporation c. Canada, n° ARB(AF)/074, sentence du 20 février 2015 ; CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentences du 9 avril 2015 ; CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre 2015.

3. CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015 ; CIRDI, Muhammet Çap et Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, n° ARB/12/6, décision sur l’exception d’incompétence, 13 février 2015 ; CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015 ; CPA (CNUDCI), Detroit International Bridge Company c. Canada, n° 2012-25, sentence sur la compétence, 2 avril 2015 ; CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015 ; CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyon-kezelö Zrt c. Hongrie, n° ARB/12/3, sentence du 17 avril 2015 ; CIRDI, Ping An Life Insurance Company of China c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015 ; CIRDI, Guardian Fiduciary Trust Ltd c. Macédoine, n° ARB/12/31, sentence du 22 septembre 2015 ; CIRDI, Grupo Fransisco Hernando Contreras SL c. Guinée équatoriale, n° ARB(AF)/12/2, sentence sur la compétence, 4 décembre 2015 ; CIRDI, Société civile immobilière de Gaëta c. Guinée, n° ARB/12/36, sentence du 21 décembre 2015.

4. Comité ad hoc CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, décision sur la demande d’annulation, 7 janvier 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Iberdrola Energia, SA c. Guatemala, n° ARB/09/5, décision sur la demande d’annulation, 13 janvier 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Tza Yap Shum c. Pérou, n° ARB/07/6, décision sur la demande d’annulation, 12 février 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision sur la demande d’annulation, 14 juillet 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c.

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ajouter trois décisions sur des demandes de réexamen ou de révision 5, et cinq décisions sur des demandes de récusation 6. Rapporté aux cinquante-trois nouvelles affaires enregistrées par le CIRDI dans l’année, ce bilan quantitatif confirme la vitalité de l’arbitrage d’investissement.

Parmi ces décisions, certaines retiendront l’attention d’un large public. Les contempteurs du système se rassureront quelque peu en constatant que les demandeurs se heurtent bien souvent aux obstacles de la compétence et de la recevabilité. Tel fut le cas, même si la décision du tribunal n’avait pas encore été publiée à l’heure où ces lignes étaient écrites, dans l’affaire Philipp Morris, alors que la mise en cause par l’industrie du tabac des mesures australiennes visant à « neutraliser » les paquets de cigarettes pour des motifs de santé publique avait provoqué de vives inquiétudes 7. De même, les décisions d’incompétence rendues dans les affaires Postová Banka 8 ou Ping An 9 soulageront les États européens (et l’Union européenne) qui craignaient que les mesures adoptées pour faire face à la crise économique et financière qui les a frappés à partir de 2008 soient passées au crible de leurs engagements au titre des traités d’investissement. À l’inverse, des décisions telles que celle rendue en l’affaire Clayton, que l’arbitre dissident n’a pas hésité à qualifier d’« intrusion into the environmental public policy of the State » 10, ne manqueront pas de continuer à animer les débats.

Les critiques parfois sévères portées contre l’arbitrage d’investissement ne sont d’ailleurs pas sans influence. Elles peuvent être endossées par les arbitres, comme ceux de l’affaire Giovanni Alemanni, pour qui « at a time at which the system of investment arbitration is under sustained criticism, both from inside and from outside (even though much of this criticism is unjustified or exaggerated), tribunals are under a duty to keep under regard the cost efficiency of the proceedings before them » 11. Mais elles peuvent également être entendues par les États, à l’heure de négocier de nouveaux traités d’investissement. C’est ainsi que la nouvelle approche proposée par l’Union européenne continue de faire son chemin. Celle-ci consiste à substituer progressivement au mécanisme d’arbitrage un tribunal doté de juges permanents et d’un mécanisme d’appel. Présentée par la Commission aux négocia-teurs américains dans le cadre des discussions sur le Partenariat transatlantique

Equateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Tulip real Estate Netherlands development BV c. Turquie, n° ARB/11/28, décision sur la demande d’annu-lation, 30 décembre 2015.

5. CIRDI, Perenco Ecuador Ltd. c. Équateur, n° ARB/08/6, décision sur la demande de réexamen, 10 avril 2015 ; CIRDI, Venezuela Holdings, BV, e.a. c. Venezuela, n° ARB/07/27, décision sur la demande de révision, 12 juin 2015 ; CIRDI, Tidewater Inc., Tidewater Investment SRL, Tidewater Caribe, CA, et al. c. Venezuela, n° ARB/10/5, décision sur la demande de révision, 7 juillet 2015.

6. CIRDI, Highbury International AVV, Compañía Minera de Bajo Caroní AVV, et Ramstein Trading Inc. c. Venezuela, n° ARB/14/10, décision sur la demande de disqualification de B. Stern, 9 juin 2015 ; CIRDI, Fábrica de Vidrios Los Andes, CA et Owens-Illinois de Venezuela, CA c. Venezuela, n° ARB/12/21, décision sur la demande de disqualification de la majorité du tribunal, 16 juin 2015 ; CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV, et al. c. Venezuela, n° ARB/07/30, décision sur la demande de disqualification de la majorité du tribunal, 1er juillet 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Total SA c. Argentine n° ARB/04/01, décision sur la demande de récusation de T. Cheng, 26 août 2015 ; CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV, ConocoPhillips Hamaca BV, ConocoPhillips Gulf of Paria BV c. Venezuela, n° ARB/07/30, décision sur la demande de disqualification de M. Yves Fortier, QC, 15 décembre 2015.

7. CPA (CNUDCI), Philipp Morris c. Australie, n° 2012-12, sentence sur la compétence et la receva-bilité du 17 décembre 2015 (http://www.pcacases.com/web/view/5).

8. CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015.9. CIRDI, Ping An Life Insurance Company of China c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril

2015.10. Opinion dissidente de D. McRae, jointe à CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-

04, sentence sur la compétence et la responsabilité du 17 mars 2015, § 49.11. CIRDI, Giovanni Alemanni et autres c. Argentine, n° ARB/07/8, ordonnance sur la cessation de

la procédure, 14 décembre 2015, § 19.

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sur le commerce et l’investissement, cette proposition a déjà trouvé sa voie dans l’Accord de libre-échange Canada-Union européenne, amendé en février 2016 pour l’intégrer 12.

Cette nouvelle approche indique tout à la fois une certaine défiance vis-à-vis de l’arbitrage d’investissement et la volonté de maintenir un système interna-tional de règlement des différends permettant à un investisseur de se plaindre d’une violation par l’État d’accueil de ses engagements internationaux. Le droit des investissements ne devrait donc pas cesser d’apporter son obole au développement du droit international général, dont cette chronique s’efforce de rendre compte 13. Comme chaque année, les décisions rendues en 2015 seront envisagées à travers le prisme des sources du droit international (I), du droit de la responsabilité (II) et du droit du contentieux (III) 14.

I. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL

L’arbitrage pour les litiges opposant investisseurs étrangers et États repose très majoritairement sur des instruments tirés de la source conventionnelle (traités bilatéraux ou plurilatéraux de protection des investissements ; accords de libre-échange comportant un chapitre y relatif). Il n’est dès lors guère surprenant que ce contentieux intéresse le droit des traités. À vrai dire, hormis des questions ponctuelles touchant, en 2015, à l’adoption des traités 15, à leur entrée en vigueur provisoire 16 et à leur dénonciation 17, ce sont surtout les règles d’interprétation des articles 31 et suivants de la Convention de Vienne qui font l’objet de développe-ments récurrents dans les décisions arbitrales 18. Cette chronique s’en fait chaque

12. La proposition du 12 novembre 2015 est accessible sur le site de la direction du commerce de la Commission européenne (http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2015/november/tradoc_153955.pdf). Pour son insertion dans l’Accord économique et commercial global Union Européenne/Canada, voir Commission européenne, AECG : l’Union européenne et le Canada s’entendent sur une nouvelle approche en matière d’investissements dans l’accord commercial, communiqué de presse du 29 février 2016 (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-399_fr.htm).

13. Pour une présentation de l’objet de la présente chronique, voir cet Annuaire, 2008, pp. 467 et s.14. La première partie de cette chronique a été rédigée par Franck Latty, la deuxième par Patrick

JacOB et la troisième par Arnaud de nanteuiL. Les décisions arbitrales citées ci-après sont toutes dispo-nibles sur le précieux site « Investment Treaty Arbitration » [http://www.italaw.com].

15. Voir CIRDI, Muhammet Çap et Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, n° ARB/12/6, décision sur l’exception d’incompétence, 13 février 2015, §§ 224 et s., qui illustre le caractère expéditif de la procédure d’adoption de nombre de traités d’investissement (conclusion sans négociations à l’occasion d’une courte visite diplomatique du premier ministre…).

16. CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 327-343.

17. Au sujet de la dénonciation de la convention de Washington par le Venezuela, régie par la lex specialis de cet instrument, voir CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015, §§ 56 et s., § 64, et le commentaire de Benjamin RÉMY in JDI, 2016, pp. 215 et s.

18. CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015, §§ 602 et s., § 819 ; CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, §§ 142 et s. ; CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015, §§ 155-156 ; CIRDI, Venezuela Holdings, BV, et al c. Venezuela, n° ARB/07/27, décision sur la demande de révision, 12 juin 2015, §§ 3.1.2 et s. ; CIRDI, Grupo Fransisco Hernando Contreras SL c. Guinée équatoriale, n° ARB(AF)/12/2, sentence sur la compétence, 4 décembre 2015, § 136. Plus spéci-fiquement, sur la mise en œuvre des articles 31 et suivants en cas de contradiction entre les différentes versions linguistiques d’un traité, voir CIRDI, Muhammet Çap et Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, n° ARB/12/6, décision sur l’exception d’incompétence, 13 février 2015, §§ 93 et s., §§ 134 et s. et §§ 210 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, décision sur l’annulation, 7 janvier 2015, §§ 84 et s. ; CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 476 et s. ; et sentence Renée Rose Lévy précitée, §§ 164 et s. Sur la prise en

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année l’écho, au risque d’une certaine répétition 19. Le millésime 2015 n’étant guère révolutionnaire en ce domaine 20, l’accent sera ici mis sur des questions plus i nsolites découlant de sources un peu moins routinières du droit international. Pour cette même raison la coutume 21 et les principes généraux de droit 22 ne feront l’objet que de développements incidents dans les lignes qui suivent 23. Le choix a été fait pour cette livraison d’insister sur une certaine spécificité du contentieux transnational par rapport au contentieux classique de droit international public, qui s’exprime à travers la manière dont les tribunaux se saisissent des actes unila-téraux étatiques (A), des actes institutionnels de diverses natures (B) et des normes issues de sources censées être « auxiliaires » mais qui ne le sont pas tant, à savoir la jurisprudence et la doctrine (C).

compte de la pratique subséquente des parties au traité, voir CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 407-410. Sur l’interprétation authentique provenant de la Commission de libre-échange de l’ALENA, voir CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, §§ 429 et s.

19. Voir aussi l’ouvrage récemment publié de trinh Hai Yen, The Interpretation of Investment Trea-ties, Leiden, Martinus Nijhoff, 2014, 384 p.

20. Au titre de la mise en œuvre de l’article 31 de la Convention de Vienne, deux sentences d’incom-pétence retiennent tout de même l’attention en raison du soin apporté par les tribunaux à la motivation de leur raisonnement, en référence aux principes d’interprétation des traités, toutes deux insistant sur le fait que l’opération d’interprétation ne se limite pas à un simple exercice linguistique : voir CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015, §§ 281 et s., l’insistance sur l’article 31 s’expliquant sans doute par le résultat inédit, mais fort convaincant, auquel le Tribunal aboutit au sujet d’une disposition conventionnelle sur la définition de l’investissement pourtant très classique (pour le Tribunal, une liste non exhaustive d’opérations économiques constitutives d’un investissement reste limitée par la teneur des différentes catégories qu’elle contient). Voir aussi CIRDI, Ping An Life Insurance c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015, §§ 164 et s. et §§ 203 et s., où se posait la question de la compétence temporelle du Tribunal dans le contexte de la succession de deux traités d’investissement entre la Chine et la Belgique, la clause de règlement des différends du second ayant un champ d’application plus étendu que celle du premier, sous l’empire duquel le différend avait émergé. Le Tribunal a interprété la clause du second traité comme ne s’étendant pas au différend de l’espèce (voir le commentaire Benjamin RÉMY précité, pp. 208 et s., pour qui le Tribunal « a conforté sa lecture de la lettre de la disposition à l’aide [de la] présomption selon laquelle l’auteur d’une règle est un être rationnel »).

21. Concernant le droit international coutumier des investissements étrangers, voir CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, §§ 104 et 152 ; CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 484 et s. ; CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, §§ 433 et s. Pour des études récentes de la question, voir Gérard cahin, « Droit international coutumier et traités d’investissement – Aspects méthodologiques », in Mélanges offerts à Charles Leben. Droit international et culture juridique, Paris, Pedone, 2015, pp. 17-44 ; Patrick dumBerry, The Formation and Identifica-tion of Rules of Customary International Law in International Investment Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2016.

22. S’agissant des principes généraux de droit au sens de l’article 38 du Statut de la Cour inter-nationale de Justice, voir CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre 2015, §§ 192 et s., §§ 231 et s. (obligation de limiter le dommage) et plus implicitement CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence du 25 novembre 2015, § 179 (proportionnalité). De nombreuses sentences se réfèrent à des « principes » dont la source (principe général de droit, coutume… ou autre) demeure incertaine. Voir CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 147 et CIRDI, Ping An Life Insurance c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015, §§ 167 et s. (non rétroactivité) ; CIRDI, Hassan Awdi, e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015, § 29 (présomption d’innocence) ; CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015, §§ 469 et s. (estoppel) ; CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015, §§ 63-65 (sécurité juridique) ; CIRDI, Niko Resources Bangladesh Ltd. c. Bangladesh Petroleum Exploration and Production Company Limited et Bangladesh Oil Gas and Mineral Corporation, n° ARB/10/11 et ARB/10/18, décision sur la mise en œuvre de la décision sur la demande de paiement, 14 septembre 2015, § 115 (intérêts composés) ; CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c. Equateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, §§ 262 (absence de réclamation pour autrui) et 272 (protection des investissements).

23. Sur le droit coutumier en matière de responsabilité internationale de l’État, voir infra, II.

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A. Actes unilatéraux des États

De nombreux États ont adopté des codes ou des lois de promotion de l’inves-tissement étranger dans lesquels sont insérées des dispositions prévoyant le règle-ment par l’arbitrage des litiges entre l’État concerné et les investisseurs. Depuis la fameuse affaire SPP c. Égypte 24, plusieurs tribunaux se sont reconnus compétents sur le fondement de ce qui a été considéré comme une offre d’arbitrage contenue dans le droit interne.

Formellement interne, la norme (généralement législative) qui contient le consentement de l’État à l’arbitrage est fonctionnellement internationale, ce qui a conduit plusieurs tribunaux à ranger ces dispositions dans la catégorie des actes unilatéraux internationaux, quand d’autres ont paru plus réticents à accepter cette idée 25. L’intérêt de la classification n’est pas académique. Elle répond en premier lieu au besoin d’identifier les règles que les arbitres emploieront pour interpréter ces dispositions dont la rédaction est parfois ambiguë : règles d’interprétation de l’ordre juridique national d’ancrage de la disposition interne (l’interprétation faite par les tribunaux nationaux ayant alors un poids significatif), ou règles d’interprétation des actes unilatéraux tirées du droit international général, qui n’excluent pas la prise en compte de certaines données internes. La jurisprudence en la matière est loin d’être fixée 26, tant il est vrai que la question brouille la ligne de séparation entre l’ordre juridique international et l’ordre interne.

La sentence Venoklim, dans laquelle est examiné le désormais fameux article 22 de la loi vénézuélienne sur l’investissement, ne s’est guère encombrée de ces subti-lités. Le Tribunal s’est contenté de qualifier la loi d’acte unilatéral de l’État (sans préciser sa nature interne ou international), qu’il a entendu interpréter selon des techniques (interprétation de la disposition dans son contexte, au vu des circons-tances de son adoption et sa finalité) dont la généalogie est passée sous silence 27. Le Tribunal s’est contenté de puiser dans les décisions d’autres tribunaux rendues au sujet de la même disposition ce qu’il a jugé pertinent pour parvenir à son tour à la conclusion selon laquelle le texte ne suffisant pas à fonder sa compétence. En ce sens, la sentence n’apporte rien à la théorie des actes unilatéraux internationaux ; elle renseigne au mieux sur le poids des précédents 28, voire sur l’œcuménisme des techniques interprétatives.

Cette solution très fonctionnelle est peut-être finalement préférable à celle de la sentence PNG, qui, à trop vouloir justifier son interprétation, a emprunté des chemins qu’on pourra juger accidentés. La société requérante prétendait fonder la compétence du Tribunal arbitral sur la loi sur la promotion de l’investissement adoptée en 1993 par la Papouasie Nouvelle-Guinée, dont l’article 39 renvoie, en cas de différend relatif à un investissement étranger, à l’application de la loi d’incor-poration dans l’ordre national de la convention de Washington sur le CIRDI. Afin de déterminer si la disposition comportait l’offre d’arbitrage de l’État (la réponse sera négative in fine), le Tribunal s’est attaché à définir la nature de la norme, qu’il a qualifiée d’« hybride » en ce qu’elle trouve ses racines dans l’ordre juridique national de l’État mais produit potentiellement ses effets en droit international 29. Le Tribunal en a déduit qu’un régime interprétatif lui-même hybride y était associé :

24. CIRDI, SPP c. Égypte, n° ARB/83/4, décision sur la compétence, 14 avril 1988.25. Voir l’état de la question dans cette chronique, cet Annuaire, 2010, p. 626 ; 2011, p. 433 ; 2012,

p. 618 ; 2013, p. 439 ; 2014, p. 562.26. Voir CIRDI, PNG Sustainable Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle-Guinée,

n° ARB/13/33, sentence du 5 mai 2015, §§ 259 et s.27. CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015, § 91.28. Voir infra, C.29. Sentence PNG, §§ 264-265.

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« interpretation of those provisions must also be approached from a hybrid perspec-tive, taking into account both that State’s domestic law on statutory construction and international law. Where the principles of interpretation under the State’s domestic law conflict with international law principles, international law principles will ordi-narily prevail, although this is an issue that must be resolved on a case-by-case basis, in light of the nature of the conflict. In general, the relevant rules of international law would be sui generis, reflecting the character of unilateral acts, but the Vienna Convention’s provisions will often be applicable by analogy. » 30

Cette sentence constitue une nouvelle manifestation de « l’amour des hybrides » 31 qui s’épanouit dans le contentieux transnational d’investissement ; elle témoigne de manière splendide que « du point de vue de son office », le juge CIRDI se sent à la fois juge interne et juge international, au point de s’arroger ici le pouvoir de brasser les normes et les techniques interprétatives provenant d’hori-zons différents 32. La sentence est de nature à raviver les plaies à peine fermées du débat sur la nature des contrats d’État, dans la mesure où elle interroge sur l’ordre juridique d’ancrage de ces actes hybrides, et partant sur l’existence d’un ordre juridique transnational lui-même hybride comportant, en sus de techniques interprétatives propres, des règles relatives à la validité ou aux conséquences de la violation des normes mixtes du droit des investissements. « Ne recourt-on pas trop vite à la facilité du sui generis parce que l’on saisit mal toute l’extension des concepts dont on dispose, ainsi que leur capacité à couvrir des champs nouveaux au fur et à mesure qu’ils se présentent ? », s’est interrogé, non sans raison, Charles Leben 33. Plutôt que de concevoir un zébrâne, le Tribunal aurait été mieux inspiré de mettre à profit l’élasticité du droit international, en distinguant parmi la vaste catégorie des actes unilatéraux internationaux ceux dont la nature législative justifierait que soit pris en considération, à des fins d’interprétation, leur écosystème national 34. Sa solution eût été la même ; son fondement peut-être un tantinet moins fantaisiste.

B. Actes unilatéraux institutionnels

Si les actes des organisations internationales ne sont pas mentionnés dans la nomenclature quasi officielle que constitue l’article 38 du Statut de la CIJ, nul ne conteste qu’ils font bien partie des « sources du droit international » contem-porain. L’arbitrage transnational en matière d’investissement y recourt d’ailleurs à certaines occasions (1). Il est toutefois d’autres types d’actes institutionnels,

30. Ibid., § 265.31. Charles LeBen, « La responsabilité de l’État sur le fondement des traités de promotion et de

protection des investissements », cet Annuaire, 2004, p. 693, au sujet de la perception qu’a une partie de la doctrine de la nature des contrats d’État ou de la responsabilité de l’État sur le fondement des traités d’investissement.

32. Voir Mathias FOrteau, « Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne, juge international, ou l’un et l’autre à la fois ? », in Le procès international : liber amicorum Jean-Pierre Cot, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 95 et s.

33. Charles LeBen, op. cit., p. 693.34. Voir CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février

2013, §§ 82-86 (cette chronique, cet Annuaire, 2013, p. 439), où le Tribunal voit dans les offres d’arbitrage contenues dans les lois nationales un nouveau type d’acte unilatéral international : l’acte unilatéral adopté librement mais dans le cadre d’un traité (la Convention de Washington) prévoyant cette liberté d’action. Cf. la distinction opérée par la CDI entre les actes unilatéraux selon qu’ils sont adoptés « dans le cadre et sur le fondement d’une habilitation expresse du droit international » ou bien « dans l’exercice de la liberté des États d’agir au plan international » (CDI, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer des obligations juridiques, Ann. CDI, 2006, A/61/10, § 176, et cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 626 et s.).

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d’origine privée, qui trouvent une place tout autant, sinon plus, remarquable dans ce contentieux (2).

1. Les actes des organisations internationales

Quelques décisions arbitrales rendues en 2015 font appel à du droit dérivé produit par diverses organisations internationales. On aura quelque réticence à faire figurer les projets d’articles de la Commission du droit international (CDI)et leurs commentaires 35 au sein de cette catégorie. Certes, la CDI est un organe subsidiaire de l’Assemblée générale de l’ONU. Les textes qu’elle adopte, à plus forte raison s’ils sont incorporés à une résolution de l’Assemblée 36, constituent d’un point de vue formel des normes dérivées de l’Organisation. D’un point de vue matériel, ils ressortissent néanmoins davantage à un moyen auxiliaire de détermi-nation des règles de droit qu’à la catégorie des actes unilatéraux des organisations internationales ; c’est d’ailleurs bien à ce titre que les tribunaux d’investissement y recourent. Dans cette veine, on citera simplement pour mémoire la référence à la Résolution 1803 (XVII) de 1962 sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, qui permet à l’arbitre dissidente de l’affaire Quiborax de réaffirmer en ouverture de son opinion, ce qui n’est guère contesté, que les États ont le pouvoir souverain d’exproprier dès lors qu’ils respectent certaines conditions, dont celle de l’« indemnisation adéquate » 37.

On relèvera surtout que divers textes émanant de la Banque mondiale, auquel le CIRDI est institutionnellement rattaché, viennent ponctuellement nourrir les décisions des tribunaux ou des comités d’annulation. La sentence Electrabel de 2015 cite par exemple un rapport de la Banque mondiale sur la privatisation du secteur gazier et électrique en Hongrie et au Kazakhstan, ainsi qu’un rapport de l’Agence internationale de l’énergie de 1999 consacré à la Hongrie, afin de montrer que lorsque la société requérante s’est implantée dans cet État, elle ne pouvait ignorer certains changements qu’emporterait pour les opérateurs l’adhésion de l’État d’accueil à l’Union européenne. Le comité ad hoc de l’affaire Kiliç Insaat s’est pour sa part appuyé sur un « background paper » 38 adopté par le Conseil administratif du CIRDI pour préciser l’état de la jurisprudence concernant l’excès manifeste de pouvoir 39.

Mais le cas le plus intéressant est sans doute celui des Principes directeurs (« Guidelines ») de la Banque mondiale sur le traitement des investissements (1992) 40. Ce texte à valeur incitative – les États membres sont invités en préam-bule à considérer les Guidelines comme des « paramètres utiles » – contient tout une série de recommandations concernant l’admission, le traitement des investisse-

35. Citant par ex. les Articles de 2001 sur la responsabilité de l’État et leurs commentaires sur la ques-tion de l’attribution, voir CIRDI, Tulip Real Estate Netherlands Development BV c. Turquie, n° ARB/11/28, décision sur la demande d’annulation, 30 décembre 2015, §§ 184 et s. Voir aussi, parmi de nombreux autres exemples, CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, § 153 ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, §§ 382, 524, 556, et 562.

36. Cas de la Résolution A/56/83 du 12 décembre 2001 dans laquelle l’Assemblée « prend note des articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite présentés par la Commission du droit international, dont le texte figure en annexe à la présente résolution, et les recommande à l’attention des gouvernements, sans préjudice de leur adoption éventuelle ou de toute autre mesure appropriée ».

37. Affaire Quiborax, opinion dissidente de B. Stern, § 8.38. Background Paper on Annulment For the Administrative Council of ICSID, 10 août 2012.39. Comité ad hoc CIRDI, Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision sur la demande d’an-

nulation, 14 juillet 2015, § 54. Voir aussi Comité ad hoc CIRDI, Iberdrola Energia, SA c. Guatemala, n° ARB/09/5, décision sur la demande d’annulation, 13 janvier 2015, opinion dissidente de J. L. Shaw, § 15.

40. Voir la présentation du texte et la traduction en français annexée par Patrick JuiLLard, cet Annuaire, 1992, pp. 779 et s.

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ments, leur expropriation et le règlement des différends. Vingt-trois ans après son adoption, les sentences Quiborax et Tidewater se sont toutes deux appuyées sur le texte, notamment l’article IV relatif à l’expropriation, afin de déterminer le montant de l’indemnisation due à l’investisseur. La sentence Tidewater a ainsi reconnu que les Principes directeurs « provide reasonable guidance as to the content of the standard chosen by the States Parties to the BIT as the standard of compensation to be applied in cases of lawful compensation, where the investment constituted a going concern at the time of the taking » 41. Plusieurs extraits de l’article IV sont par la suite reproduits in extenso concernant le critère de la juste valeur marchande, le moment et la manière de déterminer cette valeur, ainsi que la définition de l’entreprise en activité (« going concern ») et de la méthode des flux de trésorerie actualisés (« discounted cash flow ») 42, sur lesquels le Tribunal s’appuiera pour déterminer l’indemnisation due à l’investisseur. Plus discrètement, la sentence Quiborax relève que le texte (invoqué par les deux parties) indique qu’en matière d’expropriation la valeur du marché d’un investissement peut être déterminée « for a going concern with a proven record of profitability, on the basis of the discounted cash flow value » 43. L’article IV est ainsi mobilisé tantôt pour initier le raisonnement des arbitres – avant qu’ils relèvent que plusieurs tribunaux ont retenu une solution analogue 44, ou inversement pour « renforcer une conclusion » à laquelle le tribunal est parvenu par d’autres moyens (à l’aide de la jurisprudence et de la doctrine en l’occurrence) 45, tantôt de manière autonome, en tant qu’élément du « standard de compensation » 46. Force est alors de constater que les Principes remplissent bien l’une des fonctions que leur principal promoteur leur avait assignée : « Les juges et les arbitres peuvent également s’y référer pour trancher les futurs différends relatifs aux investissements », écrivait I. Shihata dès 1993 47. La soft law a donc indiscutablement sa place dans l’arbitrage d’investissement, ainsi qu’en témoigne tout autant l’usage qui y est fait de certains actes privés transnationaux.

2. Les actes institutionnels « transnationaux »

Cela a déjà été relevé : les normes de l’International Bar Association occupent dans le contentieux arbitral d’investissement une place étonnante pour qui est davantage familier du contentieux classique de droit international public 48. Cette association de droit privé, fondée à New York en 1947 et siégeant aujourd’hui à Londres, est au sens du droit international une organisation non gouvernementale – elle bénéficie du statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU. Elle regroupe des barreaux, des sociétés de droit et des praticiens du monde entier. Elle s’est fixé parmi ses missions celle de promouvoir de manière générale le droit et la justice au niveau international 49, au service de laquelle l’association exerce une activité normative importante en proposant diverses directives rela-tives à l’arbitrage, à la médiation, ainsi que des bonnes pratiques destinées à ses membres institutionnels et tout une série de standards concernant la profession

41. CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, § 152.42. Ibid., §§ 157-158.43. Art. IV, § 6, i, des Principes directeurs, cité in CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA

c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, § 344.44. Ibid., et sentence Tidewater, §§ 152-153.45. Sentence Tidewater, § 140.46. Ibid., § 155.47. Ibrahim Shihata, Legal Treatment of Foreign Investment, Leiden-Boston, Martinus Nihoff, cité

par Dominique carreau et Patrick JuiLLard, Droit international économique, Paris, Dalloz, 2013, p. 445, n° 1182.

48. Voir cette chronique, cet Annuaire, 2011, p. 578, note 333 ; 2013, pp. 477-478 ; 2014, p. 572.49. Voir l’art. 1er de la Constitution de l’IBA, en ligne sur [www.ibanet.org].

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juridique. Le rattachement de ces normes à la source formelle de la « doctrine » n’est guère satisfaisant, au vu de leur fonction purement opérationnelle. La catégorie des « actes unilatéraux transnationaux » 50 identifiée par D. Carreau et F. Marrella semble à cet égard davantage pertinente.

Dans l’arbitrage d’investissement, les Directives de l’IBA relatives aux conflits d’intérêt dans l’arbitrage international sont tout particulièrement mentionnées dans les décisions relatives aux demandes de récusation 51, soit parce qu’elles sont devenues une « référence » 52, soit parce qu’elles constituent un « instrument très utile, en tant qu’il reflète un consensus transnational sur la matière » 53. Leur portée normative doit toutefois être relativisée. Même si leur respect par les arbitres est examiné, les Directives ne sont que des standards privés de nature indicative 54 ; elles ne sont donc pas obligatoires en tant que telles 55. Leur violation n’aura en somme valeur que d’indice du conflit d’intérêt dans lequel se trouve un arbitre, ce qui n’exclut pas que les critères en soient renforcés, au motif fort convaincant que l’arbitrage d’investissement met en jeu des intérêts publics 56, ce qui requiert une irréprochabilité des arbitres.

Il faut enfin comprendre que ces règles privées extrêmement sophistiquées ne sont invoquées et, dans une certaine mesure, mises en œuvre dans l’arbitrage d’investissement qu’en raison du déficit normatif du système d’arbitrage concerné (celui de la Convention de Washington notamment) sur la question des conflits d’intérêt 57 ou sur d’autres questions régulées minutieusement par l’IBA comme la production de documents 58. En témoigne le fait que lorsque le Règlement d’arbi-trage CIRDI régit une question discutée (l’obligation de divulgation dans l’affaire Conoco), l’invocation des Directives de l’IBA est jugée peu pertinente 59.

Quoi qu’il en soit, le rôle des directives de l’IBA dans le contentieux d’inves-tissement, dont les États eux-mêmes n’hésitent pas à se prévaloir dès lors qu’elles servent leurs demandes de récusation d’arbitre 60, montre qu’il y a tout lieu de ne pas négliger la place des « actes unilatéraux transnationaux » dans le droit inter-national contemporain. Rien n’exclut d’ailleurs que l’arbitrage d’investissement

50. Voir Dominique carreau et Fabrizio marreLLa, Droit international, Paris, Pedone, 2012, 11e éd., pp. 287 et s.

51. Sont également employées dans l’arbitrage d’investissement les règles de l’IBA sur l’administra-tion de la preuve dans l’arbitrage international. Voir CPA (CNUDCI), South American Silver Limited c. Bolivie, n° 2013-15, ordonnance procédurale n° 7 sur la production de documents, 21 juillet 2015, passim, spéc. § 4, où le Tribunal dit qu’il « may refer to the IBA Rules when deciding on document production requests ».

52. CIRDI, Highbury International AVV, Compañía Minera de Bajo Caroní AVV, et Ramstein Trading Inc. c. Venezuela, n° ARB/14/10, décision sur la demande de récusation de B. Stern, 9 juin 2015, § 76.

53. Comité ad hoc CIRDI, Total SA c. Argentine n° ARB/04/01, décision sur la demande de récusation de T. Cheng, 26 août 2015, § 98, traduction libre (« un instrumento muy útil, en cuanto reflejan un consenso transnacional sobre la materia »).

54. Voir Régis BiSmuth (dir.), La standardisation internationale privée, Bruxelles, Larcier, 2014, 248 p.

55. Affaire Total SA, § 98. Sur la mise en œuvre du standard, voir §§ 118 et s.56. CIRDI, Highbury International AVV, Compañía Minera de Bajo Caroní AVV, et Ramstein Trading

Inc. c. Venezuela, n° ARB/14/10, décision sur la demande de récusation de B. Stern, 9 juin 2015, § 84.57. Ibid., § 76, où il est précisé que les directives de l’IBA ont prospéré en l’absence de normes juri-

diques allant au-delà de l’énonciation de principes généraux.58. CPA (CNUDCI), South American Silver Limited c. Bolivie, n° 2013-15, ordonnance procédurale

n° 7 sur la production de documents, 21 juillet 2015, passim. Voir aussi l’ordonnance n° 8, § 23 et CIRDI, Churchill Mining PLC et Planet Mining Pty Ltd c. Indonésie, n° ARB/12/14 et 12/40, ordonnance procédurale n° 17, 2 juin 2015, § 7 et ordonnance procédurale n° 18, 6 juillet 2015, § 7.

59. CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV, ConocoPhillips Hamaca BV, ConocoPhillips Gulf of Paria BV c. Venezuela, n° ARB/07/30, décision sur la demande de récusation de M. Yves Fortier, QC, 15 décembre 2015, § 37 (« More relevant in this context is the continuing obligation of arbitrators in ICSID cases under Rule 6(2) of the ICSID Arbitration Rules »).

60. Ibid.

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continue de s’ouvrir à la production normative d’autres associations profession-nelles 61 ou scientifiques issues de la « société civile » 62. Plusieurs d’entre-elles se sont d’ailleurs saisies de questions de droit des investissements, à l’image de l’Institut de droit international 63 ou de l’International Law Association 64. Ces organisations privées à vocation « législative » n’ont certes pas le pouvoir de faire le droit international ; la qualité et l’adéquation au contentieux d’investissement des normes qu’elles sécrètent sont néanmoins susceptibles de faire évoluer la disci-pline. On peut en tout état de cause s’interroger sur la pertinence, en ce début du XXIe siècle, de la théorie classique des sources du droit international qui ne laisse aucune place aux sources privées hors leur intégration trompeuse dans la catégorie de la doctrine 65.

C. Des sources pas si auxiliaires : la jurisprudence et la doctrine

Si, selon le fameux article 38 du Statut de la CIJ, elles sont censées constituer des « moyens auxiliaires de détermination des règles de droit », force est de constater que dans le contentieux transnational d’investissement la jurisprudence (1) et la doctrine (2) concourent à la fixation de la norme de manière sans doute plus déterminante (dans ce qu’en révèle en tout cas la motivation des décisions) que dans le contentieux interétatique classique 66.

1. La jurisprudence

La production arbitrale de 2015 – mais cela n’a rien de spécifique à ce millésime – fourmille de références à des décisions juridictionnelles antérieures, qui dans la plupart des affaires ne manquent pas d’influer sur les réponses apportées par les arbitres. La mesure précise de l’autorité de la source jurisprudentielle demeure cependant un exercice très délicat. La distinction entre la jurisprudence d’investis-sement (a) et la jurisprudence internationale qui lui est exogène (b), toutes deux à l’œuvre dans l’arbitrage transnational, est un moyen de décomposer le problème.

a) Jurisprudence arbitrale en matière d’investissement

Le principe rappelé encore en 2015 est celui de l’absence de rule of precedent : les arbitres ou les membres de comités d’annulation du CIRDI ne sont pas tenus de suivre les décisions antérieures 67. Néanmoins, dans l’arbitrage transnational,

61. Voir CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, § 393, où le Tribunal se réfère aux « Definition Standards for Mineral Resources and Mineral Reserves » publié par le Canadian Institute of Mining, Metallurgy and Petroleum pour identifier la pratique en matière d’indemnisation dans le secteur minier.

62. Voir Catherine keSSedJian, Le droit international collaboratif, Paris, Pedone, 2016, pp. 17 et s.63. Voir la Résolution de Tokyo de 2013 intitulée « Aspects juridiques du recours à l’arbitrage par un

investisseur contre les autorités de l’État hôte en vertu d’un traité interétatique ».64. L’ILA a créé, en 2015, un comité international chargé de travailler sur le thème « Rule of Law and

International Investment Law », dont la direction est assurée par August Reinisch. À noter qu’un groupe de travail de l’ILA sur la pratique et la procédure des tribunaux internationaux (2002-2010) a adopté des principes dont les tribunaux arbitraux d’investissement pourraient utilement faire usage (Principes de Burgh House « on the independence of the international judiciary » ; Principes de La Haye « on ethical standards for counsel appearing before international courts and tribunals »).

65. Voir, dans un autre domaine, Franck Latty, « La diversité des sources du droit de l’Internet », in SFDI, Internet et le droit international, colloque de Rouen, Paris Pedone, 2014, pp. 49-64.

66. En ce sens, au sujet de la jurisprudence, voir Arnaud de nanteuiL, Droit international de l’inves-tissement, Paris, Pedone, 2014, p. 126.

67. Voir par ex. CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015, § 565 ; Comité ad hoc CIRDI, Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision

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les précédents consacrés, à plus forte raison s’ils débouchent sur une jurisprudence unitaire, exercent une pression palpable sur les formations de jugement (i). Les décisions juridictionnelles qui n’ont pas encore accédé à ce rang ne sont pas pour autant dépourvues de tout poids (ii).

i) La pression jurisprudentielle

Si l’on admet que la répétition invariable de précédents forme une jurisprudence, force est de constater que le phénomène demeure assez circonscrit dans l’arbitrage d’investissement. Il y a certes dans ce contentieux des interprétations assez ferme-ment établies en raison de leur répétition, sur lesquelles les tribunaux a rbitraux 68 ou les comités ad hoc 69 s’appuient de manière assumée. Le Tribunal réuni dans l’affaire Niko Ressources s’est ainsi fondé sur la « jurisprudence constante » selon laquelle les intérêts accompagnant l’indemnisation devraient être composés 70. Mais le fait que d’autres tribunaux, sur la même question, ne distinguent qu’une simple « pratique récente » 71 ou « a growing tendency » 72 illustre néanmoins toute la difficulté qu’induit l’identification du phénomène jurisprudentiel. Sous cette réserve, l’existence d’une jurisprudence établie constitue une pression juridique que les arbitres ne peuvent ignorer. Elle est telle que dans l’affaire René Rose Lévy, le Tribunal est allé jusqu’à réaffirmer que :

« unless there are compelling reasons to the contrary, it has a duty to follow solutions established in a series of consistent cases, comparable to the case at hand, but subject of course to the specifics of a given treaty and of the circumstances of the actual case. By doing so, it will meet its duty to contribute to the harmonious development of investment law and thereby to meet the legitimate expectations of the community of States and investors towards certainty of the rule of law. » 73

Ce devoir de suivre la jurisprudence – que plusieurs tribunaux avaient établi avant lui, quand d’autres refusaient de le reconnaître 74 – se heurte néanmoins à un obstacle de taille : dans le droit des investissements coexistent diverses séries de précédents contradictoires, ces tendances jurisprudentielles antagonistes concer-nant en premier lieu des questions structurelles de la matière, comme la définition

sur la demande d’annulation, 14 juillet 2015, § 49. Voir cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 695 et s. ; 2010, pp. 628 et s. ; 2011, p. 545 ; 2012, p. 620 ; 2013, p. 442 ; 2014, p. 563.

68. Voir par ex. CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 147, note 171 (exigence de possession de l’investissement à la date critique).

69. Voir, sur l’interprétation de l’article 52 de la Convention de Washington, Comité ad hoc CIRDI, Tza Yap Shum c. Pérou, n° ARB/07/6, décision sur la demande d’annulation, 12 février 2015, §§ 81 et s., §§ 101 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, décision sur l’annulation, 7 janvier 2015, §§ 74 et s.

70. CIRDI, Niko Ressources Bangladesh Ltd. c. Bangladesh Petroleum Exploration and Production Company Limited et Bangladesh Oil Gas and Mineral Corporation, n° ARB/10/11 et ARB/10/18, décision sur la mise en œuvre de la décision sur la demande de paiement, 14 septembre 2015, §§ 148 et s. Voir aussi CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, § 524 et infra II, B.

71. CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc., e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015, § 425. Au sujet du partage des coûts de l’arbitrage, voir cette sentence, § 115 et CIRDI, PNG Sustainable Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle-Guinée, n° ARB/13/33, sentence, 5 mai 2015, § 402, où est constatée, à l’inverse, l’absence de pratique claire et uniforme.

72. CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentence du 9 avril 2015, § 65.

73. CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 76 (la formule reprend, sans la citer, celle employée par le tribunal l’affaire Saipem, n° ARB/05/07, sentence sur la compétence du 21 mars 2007, § 67). À relever qu’en note de bas de page, l’un des arbitres marque sa « slightly different view » sur ce point.

74. Voir notamment cette chronique, cet Annuaire, 2012, p. 620.

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de l’investissement 75 ou le contenu du standard de traitement juste et équitable 76. À propos de ce dernier, la sentence Mamidoil a ainsi relevé que les sentences et décisions invoquées par les parties avaient une portée limitée en l’absence de « jurisprudence constante » 77. Les arbitres ont prétendu développer leur propre interprétation… à l’appui de laquelle ils ont pourtant cité des précédents soigneuse-ment sélectionnés. De fait, les tribunaux n’ont rarement d’autre choix que de s’ins-crire, parfois à leur corps défendant, dans un courant plutôt qu’un autre – même si dans de rares cas, ils peuvent prendre le soin de s’abstenir de se prononcer, ce qui est généralement le signe d’un désaccord entre les arbitres 78. Toujours est-il que l’existence d’un nombre important de précédents semble parfois dispenser un tribunal de motiver substantiellement son choix : il se dira en accord avec l’un ou l’autre courant, sans nécessairement expliquer pour quelle raison les précédents opposés lui paraissent moins pertinents 79. L’existence d’un courant majoritaire 80 que le tribunal choisit de suivre, sera tout de même de nature à constituer un commencement d’explication. Une autre pratique consiste à occulter les contro-verses en sélectionnant à titre de motivation les seuls précédents qui servent la démonstration menée par le tribunal 81.

ii) Le poids des décisions antérieures

Les parties en litige devant les tribunaux d’investissement n’hésitent pas à se prévaloir, parfois de manière indigeste, de solutions rendues dans des affaires plus ou moins similaires 82. En l’absence de jurisprudence, voire de tendance jurispru-dentielle, sur la question examinée, quelle est l’autorité de ces décisions ?

La connexité entre deux affaires est manifeste lorsqu’elles impliquent un même État défendeur, dont les mêmes mesures (adoptées par exemple dans le cadre d’une politique d’expropriation) sont contestées. La solution donnée par le premier tribunal, qui n’est pas encore un précédent, mais un simple « antécédent » 83, est

75. Exposant le débat jurisprudentiel sur la définition de l’investissement, voir CIRDI, Société civile immobilière de Gaëta c. Guinée, n° ARB/12/36, sentence du 21 décembre 2015, §§ 207 et s. ; CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015, §§ 352 et s.

76. CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015, §§ 382 et s.

77. CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015, § 603.

78. CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015, § 359. Le Tribunal ne se prononce pas sur la question de savoir s’il faut suivre l’approche subjective ou l’approche objective pour définir l’investissement, dès lors qu’en tout état de cause il s’est reconnu incompétent en application du traité d’investissement.

79. Voir CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015, § 386, note 773 : « To the extent necessary, the Tribunal disagrees with the finding of the Tribunal in Biwater Gauff that the autonomous fair and equitable […] standard and the minimum standard of treatment are ‘not materially different’ ».

80. CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, § 435 (au sujet de l’interprétation du standard coutumier de traitement juste et équitable) ; CIRDI, Grupo Fransisco Hernando Contreras SL c. Guinée équatoriale, n° ARB(AF)/12/2, sentence sur la compétence, 4 décembre 2015, §§ 139 et s. (au sujet du « Salini Test »).

81. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, §§ 91 et s., 129, 204 et s., 221, 237-238, 247, 291, 297, 330, 334, 618.

82. Voir CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 75 : « In support of their positions, both Parties have relied on previous decisions or awards, either to conclude that the same solutions should be adopted in the present case or in an effort to explain why this Tribunal should depart from a solution reached by another tribunal ».

83. Niki aLOuPi et Caroline kLeiner, « Le précédent en droit international : technique pré-normative ou acte normatif ? », in SFDI, Le précédent en droit international, colloque de Strasbourg, Paris, Pedone, 2016, p. 25. Les auteures notent que l’événement-antécédent ne devient précédent que rétrospectivement, « au moment où il est utilisé comme tel ».

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alors systématiquement invoquée par la partie au second litige qui y trouvera des arguments au soutien de sa position. Diverses décisions rendues en 2015 montrent que la prise en considération de l’antécédent a fait l’objet d’appréciations variables. Le Tribunal de l’affaire von Pezold a ainsi estimé que la décision rendue dans l’affaire Funnekotter, dans laquelle le Zimbabwe avait indiqué qu’il était prêt à envisager la restitution en tant que mode de réparation de l’expropriation des fermiers blancs, constituait « a case particularly relevant » pour son analyse 84. Il serait toutefois hâtif de conclure que l’affaire Funnekotter s’est muée en précédent dès lors que ce n’est pas la décision arbitrale qui a été prise en considération, mais le comportement à l’instance de l’État défendeur, en lien implicite avec le principe d’estoppel.

Deux antécédents contradictoires peuvent par ailleurs surgir d’une même affaire, lorsque sont mis dos-à-dos une décision arbitrale majoritaire et une opinion dissidente jointe 85. Certes formellement, la première constitue le vrai antécédent ; mais le précédent pourra naître de la seconde si c’est elle qui sert de modèle par la suite. Il ne suffit pas toujours d’être majoritaire pour avoir définitivement raison – d’ailleurs la qualité de certaines opinions vaut bien celle des sentences avec lesquelles elles s’inscrivent en faux. C’est ainsi que plus de dix années après l’affaire Tokios Tokelés 86, à l’occasion de laquelle Prosper Weil avait rédigé une opinion dissidente − très remarquée mais restée sans suite − fondée sur une définition objective de l’investisseur protégé au sens de la Convention de Washington, le Tribunal de l’affaire Venoklim s’est inscrit dans le sillage de l’arbitre français en se déclarant incompétent ratione personae à l’égard d’une société contrôlée par des ressortissants de l’État défendeur 87.

Plus intéressante encore est l’affaire Muhammet Çap dans laquelle le Tribunal s’est senti libre de donner une interprétation de la clause de règlement des diffé-rends du traité d’investissement conclu entre la Turquie et le Turkménistan radi-calement contraire à celle antérieurement retenue par le tribunal de l’affaire Kılıç au sujet de la même disposition 88. Le Tribunal a bien noté, au terme de son analyse, que « in any event there is no precedent in international arbitration and although previous decisions may be influential or even persuasive, they do not bind other tribunals or exonerate other tribunals from deciding issues on the specific facts and evidence of each case » 89. Pour autant, les arbitres se sont efforcés d’expli-quer pourquoi ils se sont démarqués de l’interprétation de leurs collègues. Bien que, par courtoisie arbitrale sans doute, ils ont prétendu qu’il n’était ni utile ni opportun de donner leur avis sur la décision antérieure, ils ont ni plus ni moins pointé une erreur de fait débouchant sur une erreur de droit commise par leurs prédécesseurs : confronté à plusieurs versions linguistiques d’un traité, le Tribunal avait considéré que la version russe était celle d’origine, alors que les éléments de preuve apportés dans l’affaire Muhammet Çap ont montré qu’il n’en était rien 90.

84. CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, § 707.85. CIRDI, Perenco Ecuador Ltd. c. Équateur, n° ARB/08/6, décision sur la demande de réexamen,

10 avril 2015, §§ 81 et s., où est présentée l’opinion dissidente de G. Abi-Saab dans l’affaire ConocoPhilips. Le Tribunal exprime son désaccord avec cette approche, sans la motiver, mais relève qu’en tout état de cause « the type of situation which so concerned Professor Abi-Saab is simply not present in the present case » (§ 86).

86. CIRDI, Tokios Tokelés c. Ukraine, n° ARB/02/18, décision sur la compétence, 29 avril 2004.87. CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015. Se référant à

l’opinion dissidente, voir § 155. Voir Mathilde FraPPier, « Développements récents sur la qualité d’inves-tisseur protégé des personnes morales », Cahiers de l’arbitrage, 2015/4, p. 697.

88. CIRDI, Kılıç İnşaat İthalat İhracat Sanayi ve Ticaret Anonim Şirketi c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision sur l’art. VII.2 du 7 mai 2012 et sentence du 2 juillet 2013.

89. CIRDI, Muhammet Çap et Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, n° ARB/12/6, décision sur l’exception d’incompétence, 13 février 2015, § 275.

90. Ibid., § 274.

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Le Tribunal de l’affaire Electrabel, pour sa part, a motivé autrement sa dissidence avec la sentence invoquée par une des parties : notant que sa décision « might be considered to be at variance with the recent award in EDF v. Hungary », il s’est contenté de relever que, chargé de juger l’affaire au vu des arguments présentés par les parties à l’instance, il ne saurait être influencé « by the result of a different arbitration, where an investor’s claim appears to have been formulated differently and decided on different arguments and evidence » 91.

Paradoxalement, ces affaires témoignent du poids des simples antécédents dans la pratique arbitrale. En premier lieu, à la solution juridictionnelle antérieure s’at-tache une sorte d’autorité « naturelle » – certes fragile et réfragable – qui s’explique par « l’effort supplémentaire » que requerrait le fait de « ne pas faire comme » 92. Aussi, même si tous n’admettent pas explicitement qu’il leur faut « pay due regard to earlier decisions of international tribunals » 93 ou qu’ils « respec[t] and see[k] guidance from legal opinions and interpretation expressed by learned colleagues » 94, les tribunaux arbitraux sont conduits à examiner les décisions déjà rendues (à plus forte raison si elles ont eu l’heur d’accéder à la dignité de précédent) et à les discuter, ne serait-ce que par respect du principe du contradictoire et de l’obligation de motivation. Même si les arbitres des affaires Muhammet Çap et Electrabel ont refusé, respectivement, de faire des affaires Kiliç et EDF des précédents à suivre, au moins se sont-ils sentis obligés d’expliquer les raisons qui les ont poussés à s’en démarquer, qui en relevant l’erreur commise par le tribunal antérieur, qui en s’appuyant sur le principe d’effet relatif de la chose jugée. La particularité des circonstances entourant chaque cas sera également un élément décisif 95, notam-ment en matière de traitement national où chaque affaire présente un contexte factuel et réglementaire propre 96. Mais les arbitres devront en tout état de cause justifier le fait qu’ils ne suivent pas une solution déjà donnée à un problème simi-laire. À défaut de règle du précédent, il existe une attente que le tribunal examine les décisions antérieures pertinentes, qui conduit certains tribunaux consciencieux à passer en revue des séries d’affaires, de manière finalement assez semblable à la démarche des juges de Common Law soumis au stare decisis 97. Un comité ad

91. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence, 25 novembre 2015, § 225. Voir. CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyonkezelö Zrt c. Hongrie, n° ARB/12/3, sentence du 17 avril 2015, § 76.

92. Niki aLOuPi et Caroline kLeiner, op. cit., p. 15.93. CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 76.94. CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence

du 30 mars 2015, § 565.95. Voir CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre

2015, §§ 553-554, où le Tribunal note qu’il est fréquent dans les affaires d’investissement de retenir le taux LIBOR pour fixer les intérêts dus, mais au vu des circonstances de l’espèce (utilisation de l’euro comme monnaie, simplicité du calcul) choisit de retenir le taux EURIBOR. Voir aussi CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyonkezelö Zrt c. Hongrie, n° ARB/12/3, sentence du 17 avril 2015, §§ 178, 182, 184 ; CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, § 313 ; CIRDI, PNG Sustainable Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle-Guinée, n° ARB/13/33, sentence, 5 mai 2015, § 413. Relevant que l’instrument à interpréter est distinct de ceux ayant donné lieu à des décisions arbitrales, ce qui limite l’autorité des précédents, voir ibid., §§ 295 et s.

96. CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, § 694. Voir Claire créPet-daigremOnt, « La similarité des circonstances au titre de l’obligation de traitement national », Cahier de l’arbitrage, 2015/4, p. 697.

97. CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015, §§ 230 et s., 296 et s. ; CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyonkezelö Zrt c. Hongrie, n° ARB/12/3, sentence du 17 avril 2015, §§ 172 et s. ; CIRDI, Ping An Life Insurance c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015, §§ 186 et s., §§ 214 et s. Voir aussi CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, §§ 274 et s. On notera qu’au paragraphe 240, le Tribunal arbitral a entamé son analyse des liens entre une mesure étatique et l’investisseur étranger en citant l’affaire Methanex, dont l’approche retenue par les arbitres est présentée comme étant « a sound basis for deliberation in this case ».

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hoc a noté que la sentence dans laquelle une « non-binding interpretation of an ambiguous provision differs from how that provision has been interpreted earlier » 98 n’encourt pas l’annulation pour excès manifeste de pouvoir. En revanche, on peut penser qu’une sentence ne répondant pas à l’argumentation d’une partie fondée sur une décision antérieure souffrirait d’un manque de motivation – certes en soi inapte à constituer un « défaut de motif » viciant la sentence au sens de l’article 52 de la Convention de Washington 99.

Peut-être pour compenser la frilosité des comités ad hoc du CIRDI qui refusent d’employer leur pouvoir d’annulation des sentences « in order to achieve unifor-mity of case law » 100, on relèvera l’ambition à peine déguisée de certains tribu-naux de marquer l’évolution du droit des investissements avec leur décision ; de « faire précédent » en somme, ambition dont la réalisation ne dépend pas d’eux, au demeurant, si ce n’est par la force et la qualité de leur verbe. Le Tribunal de l’affaire von Pezold a ainsi affiché sa volonté de combler la lacune de la jurispru-dence arbitrale à propos de l’état de nécessité 101. Tel est encore le cas du Tribunal de l’affaire Postová banka, qui, bien que s’étant déclaré incompétent en vertu du traité d’investissement applicable, a consacré plusieurs pages à établir son incom-pétence subsidiaire au regard de la Convention de Washington. Cette « générosité » de moyens a vraisemblablement ici pour fonction souterraine de faire barrage à certaines décisions arbitrales qui ont vu dans la détention de dettes souveraines des investissements relevant de la compétence du CIRDI 102. En retenant de manière motivée la solution contraire – quoiqu’occultant la discussion sur les décisions qu’il entend neutraliser 103, le Tribunal veut sans doute faire date et influer sur les décisions futures de ce contentieux en pleine expansion, et à tout le moins dissuader les détenteurs de dettes souveraines de prendre la voie de l’arbitrage transnational d’investissement 104. Il est vrai que certaines décisions arbitrales ont bénéficié d’un tel retentissement qu’elles sont devenues des jalons du droit des investissements : le Tribunal de l’affaire Clayton a ainsi consacré le « Waste Management standard » en tant que quintessence même (« epitome ») du standard minimum de traitement 105. Ce qui n’était au départ qu’un antécédent est devenu un précédent faisant autorité 106.

b) La jurisprudence des autres juridictions internationales

En 2015 de nouveau, fréquentes sont les décisions arbitrales qui se sont réfé-rées à divers aspects de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice. À

98. Comité ad hoc CIRDI, Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision sur la demande d’annu-lation, 14 juillet 2015, § 99.

99. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c. Equateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, § 64.

100. Décision Kiliç Insaat c. Turkménistan, § 118.101. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 647

et s. Voir infra II, A.102. Voir notamment CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine,

aff. n° ARB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011.103. CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015,

§§ 360-371. Le Tribunal conclut que « the element of contribution to an economic venture and the existence of the specific operational risk that characterizes an investment under the objective approach are not present here » (§ 371).

104. Voir Julien cazaLa, « Crise de la dette souveraine grecque et arbitrage en matière d’investisse-ment », Cahiers de l’arbitrage, 2015/5, p. 697.

105. CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, §§ 588-589.

106. Concernant le « Salini Test », voir par ex. CIRDI, Grupo Fransisco Hernando Contreras SL c. Guinée équatoriale, n° ARB(AF)/12/2, sentence sur la compétence, 4 décembre 2015, §§ 139 et s.

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titre d’exemple, on notera ici un renvoi à l’arrêt Diallo pour justifier qu’en principe l’observation de la manière dont les juges nationaux appliquent leur droit étatique renseigne davantage le juge international que les arguments des parties sur ce point 107 ; là une référence à l’affaire Certaines terres à phosphate à Nauru, pour justifier que le tribunal suive une approche substantielle et non par trop formaliste dans son analyse des réclamations présentées au niveau interne 108. Tel tribunal se réfère à l’affaire des Essais nucléaires pour établir l’obligation de bonne foi 109 ou à l’affaire ELSI pour déterminer la teneur de l’obligation de protection et sécurité constantes 110, quand tel comité ad hoc retient, affaire des Ressortissants polonais à Dantzig à l’appui, qu’un principe fondamental du droit international interdit à un État de se prévaloir de son droit interne pour échapper à ses obligations inter-nationales 111. L’affaire des Concessions Mavrommatis a également fait l’objet d’une attention toute particulière dans la sentence Ping An Life Insurance, le Tribunal ayant pris la peine de présenter le litige entre la Grèce et le Royaume-Uni avec force détails et de citer in extenso de longs passages de l’arrêt de 1924, pour mieux en critiquer certains aspects par la suite 112. La manière dont la CIJ a interprété son propre statut en ce qui concerne l’autorité des mesures conservatoires 113 ou encore la procédure de révision de ses arrêts 114 est également susceptible d’orienter les tribunaux arbitraux.

L’arrêt rendu par la Cour permanente de Justice internationale (CPJI) dans l’affaire de l’Usine de Chorzów reste une référence récurrente dans les décisions arbitrales abordant la question de la réparation 115. Dans l’affaire Quiborax, c’est même à partir de l’exégèse, sur plusieurs pages, de cette décision que la majorité du Tribunal va parvenir à la conclusion qu’en matière d’expropriation dont l’illi-céité repose sur des raisons autres que l’absence d’indemnisation, il lui revient de quantifier les pertes subies à la date de la sentence et non de l’expropriation 116.

107. CPA (CNUDCI), Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, n° 2009-23, décision préliminaire 1B, 12 mars 2015, § 140. Se référant à l’opinion du juge Greenwood dans la même affaire au sujet du quantum de l’indemnisation, voir CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc., e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015, § 410.

108. Décision Chevron Corporation, § 158.109. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du

16 septembre 2015, § 589.110. CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015, § 450.

Examinant l’affaire ELSI, ainsi que les affaires Barcelona Traction et Diallo, voir CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 319 et s. Concernant la définition du différend (affaires des Concessions Mavrommatis et de l’Application de la convention sur la discrimination raciale), voir CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 168. Sur le principe de la compétence-compétence (affaire des Pêcheries), voir CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, § 341.

111. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c. Equateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, § 84, note 65.

112. CIRDI, Ping An Life Insurance c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015, §§ 174 et s.113. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du

16 septembre 2015, § 579. Voir contra, par ex., CIRDI, PNG Sustainabble Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle Guinée, n° ARB/13/13, décision sur la demande de mesures provisoires, 21 janvier 2015, §§ 102 et s. où le Tribunal ne se réfère qu’à la jurisprudence des tribunaux d’investissement, sans égard pour celle de la CIJ qui l’a pourtant inspirée. Voir cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 712 et s. ; 2011, pp. 582-583.

114. CIRDI, Tidewater Inc., Tidewater Investment SRL, Tidewater Caribe, CA, e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, décision sur la demande de révision, 7 juillet 2015, § 35 ; CIRDI, Venezuela Holdings, BV, e.a. c. Venezuela, n° ARB/07/27, décision sur la demande de révision, 12 juin 2015, §§ 3.1.16 et s.

115. Voir entre autres sentence Quiborax, §§ 326-327 ; CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre 2015, § 365 ; CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc. e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015, §§ 370 et s. ; CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentence du 9 avril 2015, § 27.

116. Sentence Quiborax §§ 371-377. Voir aussi sentence Tidewater, §§ 129 et s.

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On notera que ce n’est qu’après être parvenu à cette conclusion que le tribunal cite, abondant dans le même sens, les décisions de tribunaux arbitraux d’investissement, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la doctrine. On notera encore que c’est aussi en partie sur son analyse différente de l’affaire de l’Usine de Chorzów que repose la dissidence de Brigitte Stern exprimée dans son opinion jointe à la sentence 117. Les rédacteurs de l’arrêt de 1928 n’ont sans doute jamais imaginé que leurs formules ciselées seraient encore citées in extenso et feraient couler autant d’encre à près d’un siècle de distance.

Outre que les précédents interétatiques sont susceptibles de fournir des solu-tions fort pratiques pour résoudre les litiges d’investissements 118, la fonction de ces références aux décisions de la Cour mondiale est argumentative. L’autorité morale de sa jurisprudence rejaillit ainsi sur la décision arbitrale qui s’en inspire ou s’appuie dessus. Incidemment, ces références – auxquelles s’ajoutent des renvois à la juris-prudence de la Cour européenne des droits de l’homme 119, à l’organe d’appel de l’OMC 120, à des tribunaux interétatiques ad hoc 121 – contribuent à désenclaver le contentieux d’investissement. Elles sont la manifestation la plus immédiatement visible de l’ancrage de l’arbitrage d’investissement dans le droit international général et, partant, de l’unité de ce champ normatif. Il n’en demeure pas moins que, loin d’être systématique, cet appel à la jurisprudence internationale demeure souvent tributaire du pédigrée ou de la fibre plus ou moins « internationaliste publiciste » des membres des tribunaux arbitraux – de moins en moins souvent composés d’individus qui ne s’y entendent guère en droit des gens, fort heureusement 122.

2. Doctrine

Les décisions arbitrales qui manient la source doctrinale du droit international affluent. La pensée des auteurs, ou plus prosaïquement leur présentation de l’état de la jurisprudence ou leurs commentaires à ce sujet, sont ainsi mobilisés à des fins de motivation par les arbitres, les parties en litige étant les premières à mettre sous les yeux des tribunaux les écrits censés servir leur cause 123. Si les « docteurs » du droit des investissements tiennent, d’un point de vue quantitatif, le haut du pavé,

117. Voir spé. §§ 14 et s.118. Partant de la jurisprudence interétatique avant de se référer à ses déclinaisons dans l’arbitrage

transnational, voir CIRDI, Ping An Life Insurance c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015, §§ 169 et s.

119. Sentence Quiborax, §§ 437, 558, 580 ; CIRDI, Venezuela Holdings, BV, e.a. c. Venezuela, n° ARB/07/27, décision sur la demande de révision, 12 juin 2015, § 3.1.15 ; Comité ad hoc CIRDI, Tulip Real Estate Netherlands Development BV c. Turquie, n° ARB/11/28, décision sur la demande d’annulation, 30 décembre 2015, §§ 146-152 ; CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence, 25 novembre 2015, § 179 ; CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, § 259.

120. Sentence Tidewater, § 293 (au sujet du principe d’effectivité).121. CIRDI, Ping An Life Insurance c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015, § 169 (affaire

de l’Île de Palmas) ; sentence Quiborax, § 557 (référence au Tribunal de l’affaire du Rainbow Warrior, au sujet de la satisfaction).

122. À noter que la proposition de la Commission européenne de nouveau système juridictionnel de règlement des litiges entre investisseurs et États présentée en septembre 2015 [http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2015/september/tradoc_153807.pdf] prévoit que les membres du Tribunal de première instance et du Comité d’appel « shall have demonstrated expertise in public international law » (article 9, § 4, et article 10, § 7, du projet de la Commission sur le traité transatlantique).

123. Voir par ex CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre 2015, § 556, où le Tribunal « agrees with the comments » d’un auteur cité par le demandeur. Notant que le « 1996 Freshfields Lecture » de S. Schwebel a été « profusely cited by the Parties », voir Comité ad hoc CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, décision sur l’annulation, 7 janvier 2015, § 118.

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874 arbitrage transnational et droit international général

la doctrine internationaliste généraliste n’est pas pour autant délaissée 124. La sentence Quiborax a également fait une place à un Restatement de l’American Law Institute, ce qui témoigne, si besoin était, du rôle de certaines sociétés savantes dans la formation du droit 125. La doctrine institutionnelle produite par la CDI mérite également d’être mentionnée : ne sont pas tant visés ici ses travaux de codification – qu’il serait trompeur de réduire à la catégorie de la « doctrine des publicistes les plus qualifiés », en raison de leur lien étroit avec la formation de la coutume – que ses études sur des thèmes particuliers, notamment celle, fameuse, sur la fragmen-tation du droit international dont une décision de comité ad hoc s’est fait l’écho 126.

La doctrine citée est très majoritairement celle publiée en anglais, bien plus accessoirement en français 127 ou espagnol (dans les sentences rédigées dans cette dernière langue) 128. La part dominante qu’y occupent les auteurs « occidentaux » est telle qu’il est tentant d’y voir un certain reflet du déséquilibre des rapports de force politiques, économiques… et juridiques entre pays du Nord et pays du Sud. La livraison arbitrale de 2015 confirme en tout état de cause qu’une œuvre et son auteur sortent du lot : le commentaire de la Convention de Washington par Chris-toph Schreuer (et alii, mais les co-auteurs sont souvent oubliés par les arbitres) 129, que plusieurs décisions qualifient à juste titre de « leading authority » 130, son auteur principal étant à son tour présenté comme un « leading commentator » 131. Ses nombreux autres écrits sont d’ailleurs fréquemment cités in extenso 132 ou présentés comme étant de nature à exprimer à eux-seuls la position de « la doctrine » 133. Les expertises fournies par l’intéressé aux parties de certaines affaires sont aussi parfois citées, sans gêne apparente, comme contribuant à fixer le droit 134. L’on sait que dans le cercle « premium » du droit des investissements, il n’est pas rare qu’une seule et même personne exerce, souvent en même temps, de multiples fonctions

124. Voir CIRDI, Niko Resources Bangladesh Ltd. c. Bangladesh Petroleum Exploration and Produc-tion Company Limited et Bangladesh Oil Gas and Mineral Corporation, nos ARB/10/11 et ARB/10/18, déci-sion sur la mise en œuvre de la décision sur la demande de paiement, 14 septembre 2015, §§ 117 et s., où le Tribunal se réfère successivement à F. A. Mann, M. Whiteman et Ch. Rousseau (voir aussi §§ 123 et s.) ; CPA (CNUDCI), Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, n° 2009-23, décision préliminaire 1B, 12 mars 2015, § 142 (référence au Law of Nations de J. L. Brierly) ; Comité ad hoc CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, décision sur l’annulation, 7 janvier 2015, § 118 (Freshfields Lecture de 1996 de S. Schwebel) ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, § 378 (ouvrages de M. Sørensen et de G. Schwartzenberger).

125. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, § 202. Voir supra B, 2, au sujet des directives de l’IBA.

126. CIRDI, Tulip Real Estate Netherlands Development BV c. Turquie, n° ARB/11/28, décision sur la demande d’annulation, 30 décembre 2015, § 88, au sujet du principe d’intégration systémique exprimé par l’article 31, § 3, c), de la Convention de Vienne de 1969.

127. La doctrine française a plus facilement droit de cité lorsqu’un arbitre du tribunal est lui-même francophone (voir par exemple CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015, § 370, où E. Gaillard est cité en français dans le texte anglais de la sentence, l’arbitre B. Stern étant vraisemblablement à l’origine de l’inclusion de la citation) ou lorsqu’elle s’exprime en anglais (voir Comité ad hoc CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c. Equateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, § 51, où le Tribunal s’appuie sur un article en anglais de P. Mayer).

128. Voir CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, § 525.129. Christoph Schreuer, Loretta maLintOPPi, August reiniSch et Anthony SincLair, The ICSID

Convention. A Commentary, Cambridge, Cambridge University Press, 2e éd., 2009.130. CIRDI, PNG Sustainabble Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle Guinée,

n° ARB/13/13, décision sur la demande de mesures conservatoires, 21 janvier 2015, § 108.131. Ibid., § 400.132. Ex. : CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24,

sentence du 30 mars 2015, § 642 ; CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, § 694.

133. CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, § 362.134. Ibid., §§ 494 et 519 (au sujet de la définition des mesures arbitraires).

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arbitrage transnational et droit international général 875

(expert, conseil, arbitre, membre de comité ad hoc… et commentateur ou auteur) 135, ce qui contribue à brouiller quelque peu les repères…

Quoi qu’il en soit, la déférence des tribunaux arbitraux à l’égard des travaux du Professeur Schreuer – « son » Commentaire en premier lieu – est manifeste 136. Les renvois y sont fréquents lorsqu’il s’agit d’interpréter telle ou telle disposition de la Convention de Washington au vu de la jurisprudence, dont il fait état 137. Au-delà, les déductions mêmes de l’auteur sont revêtues d’un poids particulier. Dans l’affaire Daimler par exemple, le Comité ad hoc commence par présenter la position du professeur autrichien (« On the issue of whether the award would be affected by a contradiction in the reasoning between the award and the separate opinion, Prof. Schreuer states that : […] »), avant de relever que trois décisions de la CIJ « support the above conclusion » alors même qu’elles lui sont antérieures 138. Il n’est pas rare que le Commentaire de Schreuer soit ainsi présenté comme une source à part entière du droit international, par exemple dans l’affaire PNG pour déterminer l’état du droit des mesures conservatoires 139, dans l’affaire Perenco au sujet de la procédure de rectification des sentences 140, ou dans l’affaire Kiliç Insaat où ses avertissements sur le danger qu’il y a à s’aventurer sur le terrain de l’examen des motifs dans le cadre de la procédure d’annulation sont dûment notés par le comité ad hoc 141. Mutatis mutandis, l’ouvrage semble remplir aux yeux de certains tribunaux les mêmes fonctions que les commentaires de la CDI accompa-gnant ses projets d’articles, auxquels les tribunaux d’investissement se réfèrent facilement 142. La comparaison a toutefois ses limites. Alors que les projets d’articles et les commentaires qui les accompagnent sont rédigés par la CDI et doivent se lire conjointement, le commentaire de la Convention de Washington provient d’une source privée, disjointe, et n’est investi que de la réputation doctrinale de ses auteurs et de la qualité de son contenu.

Plus généralement, devant les tribunaux d’investissement il n’y a rien que d’habituel à ce que la doctrine soit citée en renfort de la jurisprudence pour fixer

135. Voir cette chronique, cet Annuaire, 2014, p. 571. À noter que le professeur Schreuer apparaît dans le cru 2015 comme membre de Comité ad hoc dans l’affaire CIRDI, Tulip Real Estate Netherlands Development BV c. Turquie, n° ARB/11/28, décision sur la demande d’annulation, 30 décembre 2015.

136. CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 167 (au sujet de la distinction entre la date du différend et la date des événements ayant abouti au différend) ; CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, § 242 (sur la provenance étrangère des fonds de l’investissement).

137. CIRDI, Hassan Awdi, e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015, § 528. Se référant au commentaire du règlement d’arbitrage de la CNUDCI, voir CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argen-tine, sentence du 9 avril 2015, § 112 ; CIRDI, Société civile immobilière de Gaëta c. Guinée, n° ARB/12/36, sentence du 21 décembre 2015, §§ 218, 232.

138. Comité ad hoc CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, décision sur l’annulation, 7 janvier 2015, §§ 110-111. Citant la jurisprudence au renfort de positions doctrinales, voir aussi CIRDI, Niko Resources Bangladesh Ltd. c. Bangladesh Petroleum Exploration and Production Company Limited et Bangladesh Oil Gas and Mineral Corporation, n° ARB/10/11 et ARB/10/18, décision sur la mise en œuvre de la décision sur la demande de paiement, 14 septembre 2015, §§ 128, 138 et s. et 151 et s. (au sujet des intérêts composés).

139. CIRDI, PNG Sustainabble Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle Guinée, n° ARB/13/13, décision sur la demande de mesures conservatoires, 21 janvier 2015, §§ 104 et s.

140. CIRDI, Perenco Ecuador Ltd. c. Équateur, n° ARB/08/6, décision sur la demande de réexamen, 10 avril 2015, § 64.

141. Comité ad hoc CIRDI, Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision sur la demande d’annulation, 14 juillet 2015, § 62.

142. Voir par CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 686 et s. ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, § 382 ; CIRDI, Ping An Life Insurance c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015, §§ 170, 182.

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876 arbitrage transnational et droit international général

la norme 143, ou du moins indiquer le courant jurisprudentiel majoritaire 144, voire pour présenter de manière synthétique l’état du droit sur une question donnée 145 – ce que le Comité ad hoc de l’affaire Occidental Petroleum appelle le « status quaestionis » 146. La discipline est jeune, foisonnante, parfois incertaine ou confuse. Elle est propice à la prise de hauteur académique dont elle se nourrit en retour. Une fois que les normes seront stabilisées dans la jurisprudence, il est d’ailleurs probable que la source doctrinale perdra en importance.

Dans diverses affaires, les tribunaux se réfèrent à des écrits d’auteurs pointant l’importance de certaines questions – ainsi des recherches sur l’intégration des droits de l’homme dans le droit des investissements 147 – ou décryptant des problèmes complexes – par exemple les travaux de Michael Waibel sur la dette souveraine 148. La doctrine joue alors son rôle classique de clarification du droit. Dans d’autres cas, elle aide à orienter la solution du tribunal. Par exemple, dans l’affaire Tidewater, le Tribunal note que « [s]cholars also have insisted on the necessity to distinguish expropriation illegal per se and expropriation only wanting compensation to be considered legal », distinction qui guidera la solution du Tribunal 149. De même, pour calculer l’indemnisation due à l’investisseur, le Tribunal de l’affaire Khan Resources s’est dit « mindful of the comments » contenus dans un ouvrage consacré aux dommages-intérêts dans le droit des investissements internationaux 150. En ce domaine, la doctrine économique est même occasionnellement citée 151.

Mais le recours aux auteurs peut parfois être révélateur d’une certaine forme de paresse argumentative, lorsque les tribunaux se bornent à se référer à « la doctrine » sans plus de précision 152, ou s’accrochent à des sources doctrinales de « seconde main » plutôt que de manier eux-mêmes les sources brutes, par exemple lorsqu’ils renvoient au passage d’un ouvrage qui commente une décision arbitrale interprétant une disposition de l’ALENA 153, ou lorsqu’ils citent des auteurs qui citent eux-mêmes la CIJ 154… Le cas est différent lorsque l’auteur cité est – au

143. Voir CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 147, note 171 (au sujet de la date d’acquisition de l’investissement) ; CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, §§ 156-157 (au sujet de l’expropriation) ; CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015, § 370 (définition de l’investissement).

144. CIRDI, Niko Resources Bangladesh Ltd. c. Bangladesh Petroleum Exploration and Production Company Limited et Bangladesh Oil Gas and Mineral Corporation, n° ARB/10/11 et ARB/10/18, décision sur la mise en œuvre de la décision sur la demande de paiement, 14 septembre 2015, § 101.

145. CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, § 387 (sur le traitement juste et équitable) ; CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, § 681 (sur la restitution).

146. Comité ad hoc CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Produc-tion Company c. Équateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, § 260.

147. CIRDI, Tulip Real Estate Netherlands Development BV c. Turquie, n° ARB/11/28, décision sur la demande d’annulation, 30 décembre 2015, § 86, note 57 et § 90.

148. Sentence Postová banka, §§ 320 et 364.149. CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, § 136. Sont cités

les travaux de plusieurs spécialistes du droit des investissements (Salacuse, Wälde et Sabahi, Ripinski et Williams, Marboe).

150. CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc., e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015, § 410. Voir aussi CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 813 et s.

151. CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentence du 9 avril 2015, § 91.

152. CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, § 523 ; CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc. e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015, § 425.

153. Voir CPA (CNUDCI), Detroit International Bridge Company c. Canada, n° 2012-25, sentence sur la compétence, 2 avril 2015, § 303.

154. Sentence Niko Resources, § 68 (au sujet de la fonction des mesures conservatoires). Dans la même sentence, on trouve des références à des sources doctrinales de seconde main (§ 117).

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moment de la parution de son texte – juge à la Cour internationale de Justice, dont il commente un arrêt à la rédaction duquel il a contribué. On se rapproche alors d’une certaine forme d’interprétation authentique 155.

Le mélange des genres (doctrinal et juridictionnel) s’accentue lorsque la mobili-sation de la source doctrinale, sans impact sur le litige, s’apparente à une forme de promotion des écrits de l’un des arbitres du tribunal 156. Il est de bonne guerre qu’en passant, une partie rappelle à un arbitre sa contribution à la littérature juridique sur un point qui sert son argumentation. La décision arbitrale qui s’y réfère à titre de motivation superfétatoire laisse en revanche la vague impression que ses rédacteurs ont fait montre d’une certaine forme d’immodestie, de la part de l’arbitre-auteur, et de connivence, des deux autres. Le péché demeure toutefois véniel à côté d’une autre forme de transgression, heureusement rare : celle de l’arbitre (ou du membre de comité ad hoc) qui profite de sa fonction juridictionnelle pour livrer dans une opinion individuelle une « somme » doctrinale. Ainsi de José Luis Shaw, membre du Comité ad hoc de l’affaire Iberdrola, qui a marqué sa dissidence en produisant une opinion d’une centaine de pages, dans laquelle plusieurs paragraphes sont consacrés à la théorie générale du droit, moult auteurs, dont Aristote et Kelsen étant convoqués pour alimenter un discours par trop logorrhéique… Nul doute que l’arbitrage en matière d’investissement soulève de passionnantes questions théoriques. La publi-cation universitaire est le support pour disserter dessus, non l’acte juridictionnel.

II. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE

Au cours de l’année 2015, sur les douze décisions et sentences au fond rendues publiques, huit ont retenu la responsabilité de l’État défendeur et six se sont pronon-cées sur la réparation due à ce titre 157. À ces décisions, il faut encore ajouter les trois sentences prononcées sur le quantum 158 pour avoir un aperçu de la pratique arbi-trale de l’année en matière de responsabilité internationale. Au-delà de ces aspects

155. Voir aussi, dans un registre comparable, Comité ad hoc CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, § 65, où est cité un article tardif de A. Broches, rédacteur de la Conven-tion de Washington ; et CIRDI, Tulip Real Estate Netherlands Development BV c. Turquie, n° ARB/11/28, décision sur la demande d’annulation, 30 décembre 2015, §§ 184, 187, où est cité un ouvrage sur le droit de la responsabilité de l’État publié par l’ancien rapporteur spécial de la CDI sur cette question.

156. CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyonkezelö Zrt c. Hongrie, n° ARB/12/3, sentence du 17 avril 2015, §§ 146 (note 101) et 156 (note 106) ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, § 330 (note 356).

157. Quatre sentences ont conclu à l’absence de responsabilité de l’État défendeur : CIRDI, Mami-doil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015 ; CIRDI, Lao Holdings NV c. Laos n° ARB(AF)/12/6, décision sur le fond du 10 juin 2015 ; CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015 ; CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence du 25 novembre 2015. Sur les huit décisions et sentences ayant retenu la responsabilité de l’État défendeur, six d’entre elles se prononcent immédiatement sur la réparation : CIRDI, Hassan Awdi, e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015 ; CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc. e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015 ; CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015 ; CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015 ; CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015 ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015. Les deux autres tribunaux qui ont retenu la responsabilité de l’État défendeur ont renvoyé la question de la réparation à une phase ultérieure : CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015 ; CIRDI, Dan Cake SA c. Hongrie, n° ARB/12/9, décision sur la compétence et la responsabilité, 24 août 2015.

158. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corporation c. Canada, n° ARB(AF)/074, sentence du 20 février 2015 ; CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal

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statistiques, le cru 2015 est marqué, outre les discussions récurrentes sur la question de l’attribution d’un comportement ou la prise en compte des dommages moraux, par des développements intéressants concernant l’état de nécessité, les modes de réparation les mieux adaptés au contentieux de l’investissement ou encore le calcul des indemnités dues. De manière classique, les tribunaux qui se prononcent sur ces questions font un usage abondant des Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicites adoptés par la Commission du droit international et dont l’Assemblée générale de l’ONU a pris note en 2001 159. Ce texte est en effet considéré par les arbitres comme la codification du droit international coutumier, et il est jugé applicable par analogie aux relations entre une personne privée et un État 160. Cela n’empêche toutefois pas certains tribunaux de privilégier les règles spéciales conte-nues dans le traité qu’ils appliquent 161 ou de se dispenser de la mention des Articles pour trancher certaines questions 162. Davantage qu’une spécialisation des règles de responsabilité applicables au contentieux de l’investissement, ce phénomène, rapporté au mouvement d’ensemble, tend plutôt à indiquer une assimilation par le droit des investissements des règles générales. Les situations dans lesquelles les solutions résultant de l’application des Articles sont délibérément écartées compte tenu des spécificités de la matière demeurent en effet rares 163.

A. Engagement de la responsabilité

De façon classique, la responsabilité de l’État d’accueil d’un investissement résulte d’un fait internationalement illicite, qui peut être constaté lorsqu’un comportement attribuable à l’État viole une obligation internationale pesant sur lui et ne peut être justifié par aucune circonstance excluant l’illicéité 164. Le cru 2015 n’apporte guère d’éléments nouveaux s’agissant des règles qui entourent l’identifi-cation des violations – dont on sait qu’elles peuvent être multiples 165, continues 166

SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentence du 9 avril 2015 ; CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre 2015.

159. Texte reproduit in Ann. CDI, 2001, vol. II, partie 1, pp. 26 et s., et annexé à la Résolution 56/83 de l’Assemblée générale des Nations Unies.

160. CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité du 17 mars 2015, § 307 ; CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentence du 9 avril 2015, §§ 23-27.

161. CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015, §§ 317 et s., s’agissant de l’attribution à l’État défendeur des comportements d’une entreprise d’État.

162. CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, not. §§ 904 et s. s’agissant de la question des dommages moraux, et §§ 907 et s. s’agissant des intérêts.

163. Voir toutefois, infra, outre le traitement de la question de l’attribution dans l’affaire Al Tamini, la discussion par le Tribunal de l’affaire Quiborax de la possibilité d’octroyer une satisfaction dans le contentieux transnational ou encore le choix fait par les tribunaux d’augmenter les sommes dues à titre de réparation d’intérêts composés, dont la portée pourrait dépasser ce seul type de contentieux.

164. Pour un état des lieux complet, voir Franck Latty, « Conditions d’engagement de la responsabilité de l’État d’accueil de l’investissement », in Charles LeBen (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, Paris, Pedone, 2015, pp. 415-461.

165. Constatant une pluralité de violations, voir CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 430-433 ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, §§ 288-306 ; CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 522 et s. Se contentant au contraire de constater l’existence d’une expropriation, sans juger utile de se prononcer sur les autres violations invoquées, voir CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, §§ 147-150. On se conten-tera ici d’indiquer que ce choix, lorsque les arbitres prennent la peine de le justifier, dépend de l’influence du constat d’une pluralité de violations sur la détermination du préjudice et/ou du fait que le demandeur a sollicité, en sus d’une indemnité financière, un jugement déclaratoire (sur ce point, voir infra B, 2).

166. Pour une application particulière, voir CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corporation c. Canada, n° ARB(AF)/074, sentence du 20 février 2015, spé. § 32, évaluant le préjudice

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ou composites 167 – d’une obligation – qui doit être internationale lorsque c’est la responsabilité internationale de l’État qui est recherchée 168. Il apporte en revanche des précisions intéressantes en matière d’attribution et, surtout, d’état de nécessité.

1. Attribution

À moins d’être saisi d’une demande mettant directement en cause une « collec-tivité publique » ou un « organisme dépendant d’un État contractant » pour lequel ce dernier a accepté la compétence du CIRDI en application de l’article 25, alinéa 3, de la Convention de Washington 169, les arbitres saisis doivent déterminer si les mesures mises en cause par le demandeur peuvent être qualifiées d’étatiques 170. Ils se réfèrent alors le plus souvent pour ce faire aux Articles de la CDI, dont les dispositions relatives à l’attribution ont une nouvelle fois été largement mobilisées en 2015.

C’est d’abord le cas de l’article 4, qui indique que « le comportement de tout organe de l’État est considéré comme un fait de l’État d’après le droit interna-tional ». Si l’attribution à l’État de l’ensemble des comportements de ses organes ne fait guère de difficulté, l’identification précise desdits organes peut être, à l’usage, délicate. Ce n’est certes pas le cas lorsque ce sont les agissements des autorités exécutives ou des forces de police qui sont en cause, quand bien même le traité perti-nent n’en dirait mot 171. La solution n’est pas plus discutée s’agissant des comporte-ments adoptés par les différentes unités constitutives d’un État fédéral. Le Tribunal de l’affaire Clayton a ainsi usé d’un langage imagé pour rappeler le principe d’unité de l’État du point de vue de l’ALENA et plus largement du droit international. Ainsi, tout en admettant que, parfois, « the left hand does not know what the right hand is doing », le Tribunal a souligné que « for the purposes of State responsibility the combined impact of its left hand and right hand can be determinative even if

résultant d’un fait illicite continu alors que, situation originale, tant les mesures jugées illicites que l’investissement perdurent. Voir aussi CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité du 17 mars 2015, §§ 258-282, spéc. §§ 267-270, qualifiant certaines décisions contestées de faits instantanés à effets continus et non de fait continus, de sorte que les demandes portant sur ces décisions sont forcloses en application de l’article 1116 de l’ALENA ; CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015, §§ 395-396, acceptant de prendre en compte des mesures antérieures à l’entrée en vigueur du traité dans la mesure où elles ont été maintenues par la suite.

167. CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, §§ 592-595, qui ne se réfère pas aux travaux de la CDI mais souligne que les comportements du Canada doivent être pris « as a whole ».

168. Comp. CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, § 437, soulignant que toute erreur dans l’application du droit interne ne constitue pas une violation du standard minimum international et CIRDI, Occidental Petroleum Corpora-tion et Occidental Exploration and Production Company c. Equateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, confirmant qu’une violation des attentes légitimes de l’investisseur peut résulter de la violation du contrat qui le liait à l’État.

169. Pour un nouvel exemple, voir CIRDI, Pluspetrol Perú Corporation and others c. Perupetro SA, n° ARB/12/28, sentence du 21 mai 2015.

170. Encore faut-il identifier clairement les mesures en cause et déterminer si une question d’attribu-tion se pose véritablement. Voir CIRDI, Dan Cake SA c. Hongrie, n° ARB/12/9, décision sur la compétence et la responsabilité du 24 août 2015, §§ 158-160, écartant la question de l’attribution du comportement d’un liquidateur judiciaire à l’État dans la mesure où le comportement susceptible de constituer une violation du droit international est une décision du juge interne, dont il ne fait aucun doute qu’elle constitue une mesure étatique.

171. CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015, § 344. Voir aussi CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 443-444, qui range parmi les organes de l’État, dont tous les comportements accomplis à titre officiel lui sont attribuables, le président, les ministres, les gouvernements provinciaux, l’armée, la police mais aussi la banque centrale.

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the actions of either in isolation do not rise to the level of a breach » 172. La solution était moins balisée s’agissant du comportement d’une autre entité ayant joué un rôle important dans cette affaire : la Commission d’examen conjoint (joint review panel), dont le rapport négatif sur les conséquences environnementales du projet du demandeur était à l’origine de son rejet par les autorités canadiennes. Bien que cette commission ne fut pas composée d’agents publics, et alors même qu’elle n’a pas été considérée comme un organe aux fins d’application de certaines règles de droit administratif canadien, le Tribunal y a vu un organe du Canada au sens du droit international de la responsabilité. Après avoir rappelé le commentaire de la CDI selon lequel un État « ne saurait, pour se soustraire à sa responsabilité du fait d’une entité qui agit véritablement en tant qu’un de ses organes, se contenter de dénier ce statut à l’entité en cause en invoquant son droit interne » 173, le Tribunal s’est appuyé sur un faisceau d’indices, structurels 174 et matériels 175, pour considérer cette commission comme un organe au sens de l’article 4 176. Cette sentence vient ainsi confirmer que la notion d’organe comprend mais ne se réduit pas aux entités qualifiées comme telles par le droit interne mais peut couvrir d’autres entités dont les caractéristiques structurelles et matérielles révèlent leur appartenance à l’organisation de l’État 177. Elle revêt ainsi une signification autonome en droit international de la responsabilité.

Cette notion se distingue alors difficilement de celle d’entité habilitée à exercer des prérogatives de puissance publique, dont l’article 5 des Articles de la CDI conduit à rapporter à l’État les comportements accomplis en cette qualité 178. Cette dernière notion a tout de même été mobilisée, de façon quelque peu détournée, par le Tribunal de l’affaire Al Tamini. Pour déterminer si la décision d’une entreprise d’État de mettre un terme au contrat qui la liait à l’investisseur pouvait être attri-buée au Sultanat d’Oman, le Tribunal s’est en effet appuyé d’abord sur le texte du traité liant cet État aux États-Unis d’Amérique. Suivant ce traité, « a Party’s obligations under this Section shall apply to a state enterprise or other person when it exercises any regulatory, administrative, or other governmental authority delegated to it by that Party ». Le Tribunal y a vu une lex specialis selon laquelle les comportements des entreprises d’État ne sont attribuables à un État défendeur que si et dans la mesure où ils sont accomplis dans l’exercice de prérogatives de puissance publique. Pour le Tribunal, cette règle pourrait s’écarter en partie de celles résultant du droit international coutumier codifiées par la CDI. En effet, d’un côté, elle exclurait l’attribution à l’État du comportement d’entreprises d’État sur la base du contrôle exercé sur elles 179. Mais, de l’autre, elle serait analogue, sinon

172. CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité du 17 mars 2015, § 593.

173. Commentaire de l’article 4, § 11, des Articles de la CDI, cité dans la sentence Clayton, § 315.174. Sentence Clayton, §§ 308 et 314, remarquant que la commission est instituée par des organes de

l’État pour évaluer un projet déterminé et que ses membres sont tous nommés par des organes de l’État.175. Ibid., §§ 308-310, soulignant que la Commission exerce une fonction publique (« functions of a

governmental nature ») en évaluant les projets au regard de la réglementation environnementale avant la délivrance par les autorités de permis et qu’elle bénéficie à cette fin de pouvoirs exorbitants et d’immunités.

176. Ibid., §§ 315-320.177. À titre subsidiaire, les arbitres ont jugé que la recommandation de cette entité avait, quoi qu’il en

soit, été reprise par les autorités canadiennes, ce qui en faisait une mesure étatique sur la base de sa recon-naissance et de son adoption par ces autorités en application de l’article 11 des Articles (ibid., §§ 321-324).

178. Sur ce point, voir CIRDI, Hassan Awdi, e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015, §§ 322 et 343, s’agissant de l’autorité roumaine en charge des privatisations (Romanian Authority for State Assets Recovery, AVAS), qualifiée d’organe de l’État au sens de l’article 4, alors que les prédécesseurs de cette entité avaient été appréhendés sous l’angle de l’article 5 par un autre tribunal arbitral (CIRDI, Noble ventures Inc. c. Roumanie, ARB/01/11, sentence du 12 octobre 2005, §§ 68 et s.).

179. CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015, §§ 320-322 et 336 et s. C’est alors au contrôle de l’article 8 des Articles que semble faire allusion le Tribunal

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identique, à celle qui figure à l’article 5 des Articles de la CDI 180. Comme en l’espèce l’entreprise en cause ne disposait d’aucune prérogative de puissance publique, son comportement ne saurait être rapporté à l’État, sans qu’il soit nécessaire de rechercher d’éventuelles instructions, directives ou contrôle des organes de l’État tendant à ce que ce comportement soit accompli. Le Tribunal s’inscrit donc dans la veine tracée par celui de l’affaire UPS 181. Les dispositions conventionnelles rapportant à l’État les comportements accomplis par les entreprises d’État dans l’exercice de prérogatives de puissance publique auraient donc non seulement pour objet de reprendre la règle codifiée à l’article 5 des Articles mais aussi d’exclure l’application à ces entités des autres dispositions de ce texte, et en particulier des articles 4 et 8. On peut toutefois douter qu’il existe « une véritable contradiction » entre le traité et le droit international général sur cette question ou qu’il soit possible de « discerner dans l’une de ces dispositions l’intention d’exclure l’autre », conditions mises à l’application du principe lex specialis par la CDI 182. Du moins ce raisonnement s’inscrit-il dans la tendance consistant à cantonner la portée des obligations souscrites en matière d’investissement aux comportements accomplis par l’État en tant que souverain.

En dehors de ce cas particulier, les arbitres en reviennent au droit interna-tional général tel que codifié par la CDI. Ils admettent alors qu’à défaut d’exercer des prérogatives de puissance publique, voire de prendre en charge des fonctions étatiques, une entité qui n’est pas un organe de l’État pourrait encore agir sur les instructions, les directives ou le contrôle d’un tel organe (article 8) ou voir son comportement reconnu et accepté par l’État comme étant le sien (article 11) 183. La question a été abordée, de façon très classique dans le contentieux de l’investisse-ment, s’agissant du comportement d’une société commerciale dans laquelle l’État défendeur détenait une participation minoritaire. Compte tenu de sa structure et de ses fonctions, il n’était pas question de voir dans ce partenariat public-privé un organe de l’État. Sa décision de promouvoir l’ouverture d’un casino concurrent à celui du demandeur ne pouvait davantage être attribuée au Laos, faute de preuves indiquant qu’elle avait été prise sur les instructions des organes de l’État 184. Mais ce raisonnement a également été mis en œuvre s’agissant d’une situation qui, pour être moins familière au contentieux de l’investissement 185, fait écho à l’affaire du Personnel diplomatique tranchée par la Cour internationale de Justice en 1980. Dans cette affaire von Pezold, les nombreux déboires des investisseurs avaient commencé à se cristalliser lorsque des manifestants avaient envahi les fermes qu’ils détenaient et exploitaient au Zimbabwe 186. Le Tribunal a toutefois refusé de voir dans ces comportements des faits de l’État. Comme la Cour internationale de Justice, le Tribunal a d’abord estimé que l’implication générale du gouvernement ne suffisait pas à établir que cette invasion avait été menée sur ses instructions ou

puisqu’il indique, dans une note, que l’entreprise en cause ne saurait être qualifiée d’organe dès lors qu’elle n’agit que dans le domaine commercial (ibid., note 677).

180. Ibid., §§ 323 et s., où le Tribunal souligne que l’article 5 n’est pas directement applicable, et qu’il pourrait exister des différences entre les prérogatives de puissance publique qu’il mentionne (govern-mental authority) et les regulatory, administrative or other governmental authority du traité, mais que le travail de la CDI fournit un guide utile afin de distinguer les actes commerciaux des actes souverains. Comp., CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, § 135, assimilant une disposition analogue à l’article 5.

181. Tribunal ad hoc CNUDCI, United Parcel Service c. Canada, sentence du 24 mai 2007, § 59, pt. 4 et §§ 72-79.

182. Commentaire de l’article 55, § 4, des Articles de la CDI.183. Pour une application subsidiaire de cette disposition, voir supra, note 177.184. CIRDI, Lao Holdings NV c. Laos n° ARB(AF)/12/6, décision sur le fond, 10 juin 2015, §§ 66 et

s., spé. §§ 81-85.185. Voir toutefois CIRDI, Tradex Hellas c. Albanie, ARB/94/2, sentence du 29 avril 1999, §§ 158 et s.186. Pour la présentation plus complète des faits, voir infra, 2.

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son contrôle directs. À la différence de la Cour, toutefois, il a jugé que les encoura-gements apportés par la suite par le gouvernement aux occupants ne suffisaient pas davantage à établir que l’État avait reconnu et accepté leurs comportements comme étant les siens, suivant la formule reprise à l’article 11 des Articles de la CDI 187. Les différences factuelles entre les deux situations peuvent expliquer que le Tribunal se démarque de la solution retenue par la Cour, qui n’est d’ailleurs pas mentionnée. Mais la rigueur dont fait preuve le Tribunal au stade de l’attribution est en partie compensée, et s’explique sans doute, par son analyse des obligations primaires pesant sur l’État. En effet, pour le Tribunal, en n’empêchant pas l’inva-sion et l’occupation de la propriété des demandeurs, le Zimbabwe a manqué à son obligation de protéger l’investisseur et est dès lors tenu de réparer l’ensemble des dommages qui ont résulté de ces agissements 188. S’agissant d’un contentieux essen-tiellement réparateur, la question de l’attribution n’apparaît donc pas comme déci-sive. La réparation ne varie guère selon que le comportement est ou non attribué à l’État, dès lors qu’un fait étatique connexe peut être considéré comme la cause du préjudice subi par l’investisseur 189.

2. Circonstances excluant l’illicéité

Après avoir connu des développements aussi abondants qu’erratiques dans le contexte de la crise argentine, l’argument de l’état de nécessité s’est invité dans celui, non moins complexe et dramatique, de la réforme agraire menée à marche forcée par le Zimbabwe entre 2000 et 2003, renouvelant pour partie les questions soulevées 190.

Pour rappel, le Zimbabwe a hérité du régime raciste de Rhodésie du Sud une situation qui voit la minorité de sa population blanche détenir et exploiter l’immense majorité des terres cultivables. Cette situation a été entérinée par les Accords de Lancaster House qui ont permis l’indépendance du Zimbabwe en 1980, la reconnaissance de la propriété des fermiers blancs étant admise en contrepartie de leur abandon du pouvoir. Mais, dès ces Accords, une réforme agraire permettant une redistribution des terres moyennant compensation était prévue. Celle-ci a connu un commencement d’exécution avant que diverses difficultés conduisent à son enlisement. Ce blocage a suscité l’ire d’une partie de la population, qui avait fait de cette réforme la condition de son soutien au gouvernement de Robert Mugabe. Cette colère s’est transformée en fureur après le rejet par référendum en 2000 d’un projet de révision constitutionnelle prévoyant l’expropriation sans compensation

187. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 448-449. Voir CIJ, Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amé-rique c. Iran), arrêt du 24 mai 1980, Rec. CIJ, 1980, §§ 56-79, où la Cour considère, d’abord, que l’attaque de l’ambassade et des consulats des États-Unis par des « militants » n’est pas imputable à l’Iran faute d’instructions en ce sens mais que sa responsabilité est engagée pour manquement à son obligation de protéger ces locaux, ensuite, que les organes de l’État iranien « ayant approuvé ces faits et décidé de les perpétuer, l’occupation continue de l’ambassade et la détention persistante des otages ont pris le caractère d’actes dudit État ».

188. Ibid., § 444 pour le principe, et §§ 593 et s. pour le constat de la violation de l’obligation de protéger résultant de l’obligation de protection et de sécurité pleines et entières, § 818 pour les conséquences en terme de réparation : « the damage caused by the Settlers/War Veterans is not directly attributed to the Respondent. However […] the Respondent failed to prevent the Invasions and the subsequent damage to the Claimants’ Estates […]. Therefore, the Respondent is liable for the consequences of those Invasions ».

189. À titre de comparaison, on peut souligner le rôle joué par l’opération d’attribution dans l’affaire du Personnel diplomatique, la CIJ concluant que l’affaire qui lui est soumise « est unique et d’une gravité toute particulière parce qu’en l’occurrence ce ne sont pas seulement des individus privés ou des groupes d’individus qui ont agi au mépris de l’inviolabilité d’une ambassade étrangère ; c’est le gouvernement de 1’État accréditaire lui-même qui l’a fait » (arrêt précité, § 92).

190. Pour un bilan jusqu’ici, voir Franck Latty, op. cit., pp. 451-455.

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des fermiers blancs. Les « anciens combattants de la libération » ont alors envahi et occupé les terres, retenant, molestant ou tuant certains de ces propriétaires, sans que l’État ne fasse rien pour empêcher ces débordements. Bien au contraire, il enté-rina rapidement la situation en adoptant une loi de réforme agraire accélérée dont l’objet fut de priver les fermiers blancs de leurs titres de propriété sans compensa-tion 191. Des investisseurs étrangers, protégés par des TBI, étant en cause, il n’était pas difficile de voir dans ces mesures une expropriation illicite. Non seulement ces investisseurs avaient été privés de leurs titres de propriété sans la moindre compensation, mais, de l’avis du Tribunal, cette expropriation n’avait pas suivi une procédure régulière, était discriminatoire et ne poursuivait pas réellement un but d’intérêt public 192. L’affaire ne devait toutefois pas s’arrêter là, le Zimbabwe invoquant l’état de nécessité dans lequel il se trouvait en tant que circonstance excluant l’illicéité des mesures adoptées. L’argument avait été écarté d’un revers de main en 2009 par le Tribunal de l’affaire Funnekotter, qui s’était contenté d’indiquer que le Zimbabwe n’avait pas indiqué en quoi la situation à laquelle il faisait face l’aurait empêché de compenser la perte subie par les demandeurs 193. L’ouvrage est remis sur le métier en 2015, avec un luxe de précision qui peut s’expliquer par le raffinement des arguments de l’État défendeur ou par la volonté à peine dissimulée du Tribunal de l’affaire von Pezold de faire jurisprudence.

Ce tribunal a d’abord considéré que l’excuse de nécessité pouvait être soulevée par l’État défendeur. Elle est en effet admise en droit international général, comme l’indique l’article 25 des Articles qui constitue l’expression du droit coutumier en la matière, et le silence des traités en cause sur ce point ne peut être compris comme une volonté d’exclure la possibilité de l’invoquer 194. Il jugea néanmoins que les conditions strictes exprimées à l’article 25 du texte de la CDI pour pouvoir admettre cette circonstance excluant l’illicéité n’étaient pas réunies en l’espèce. D’abord, les mesures en cause n’avaient pas été adoptées pour protéger un intérêt essentiel de l’État d’un péril grave et imminent mais pour permettre au gouvernement de se maintenir au pouvoir malgré la fronde d’une partie de la population qui avait constitué jusqu’ici son principal soutien 195. Ensuite, l’État n’a pas démontré que sa passivité puis la mise en œuvre de la politique de réforme agraire accélérée consti-tuaient les seuls moyens permettant de faire face à la situation. Non seulement un État peut et doit faire face à ce type de troubles, mais il existait des moyens alternatifs pour remédier à la situation, tels que le déploiement des forces de police ou la solution avancée par le Royaume-Uni, qui proposait en 2000 de financer une réforme agraire négociée 196. Encore, le Zimbabwe ne saurait invoquer l’état de nécessité dès lors que les mesures en cause constituaient une discrimination raciale non justifiée, et portaient donc « gravement atteinte à un intérêt essentiel […] de la communauté internationale dans son ensemble » 197. Enfin, les autorités zimba-

191. Pour une présentation détaillée des faits, on se reportera utilement, outre la sentence, à Daniel Compagnon, « La prétendue réforme agraire au Zimbabwe. À qui profite le crime ? », Études, 2003, n° 3, pp. 197-207 et, pour une approche moins critique de la position de l’État zimbabwéen, Nancy andrew et Wilbert SadOmBa, « Zimbabwe : la ‘soif de terres’ aux origines du mouvement des anciens combattants », Critiques internationales, 2006, n° 2, pp. 125-144.

192. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 499-503.

193. CIRDI, Bernardus Henricus Funnekötter c. Zimbabwe, n° ARB/05/6, sentence du 22 avril 2009, § 106.

194. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 624 et 658.

195. Ibid., §§ 626-632, où le Tribunal discute la mise en cause d’un intérêt essentiel, en se concentrant alors sur la question de l’ordre public, puis §§ 633-637, où il aborde l’existence d’un péril grave et imminent en semblant cette fois prendre en compte la situation économique.

196. Ibid., §§ 638-646.197. Ibid., §§ 647-657.

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bwéennes avaient non seulement contribué à la survenance de la situation qu’elles tentaient d’invoquer mais l’avaient provoquée par leur politique de soutien aux anciens combattants suivie de la mise en œuvre de la réforme agraire accélérée 198.

Il est difficile de se prononcer dans le cadre de cette chronique sur le fond de l’affaire. Cela n’empêche toutefois pas de mettre en lumière certains éléments saillants du raisonnement suivi par les arbitres.

D’abord, s’agissant spécifiquement de l’état de nécessité, le passage en revue de l’ensemble des conditions, pourtant cumulatives, posées à l’article 25 n’éclaire guère le raisonnement suivi. On peine ainsi à identifier exactement le péril pris en considération, le raisonnement du Tribunal oscillant entre le trouble à l’ordre public résultant de l’invasion des terres, la menace pour la stabilité économique du pays liée à la réforme agraire, voire la tension plus générale résultant du blocage initial de cette réforme. On croit tout de même comprendre que l’éventuelle situation de nécessité résulterait de ce blocage et des invasions et occupations de terres qui ont suivi. Cette situation faisait-elle peser un péril grave et imminent sur un intérêt essentiel de l’État (ordre public ou intérêt économique) ? On ne répond guère à cette question en se contentant d’affirmer que le but des mesures en cause était en réalité de permettre au gouvernement de se maintenir au pouvoir à la veille d’élections. Le Zimbabwe a-t-il contribué à la survenance de cette situation ? On obscurcit le raisonnement en glissant de l’invasion et de l’occupation des terres à la mise en œuvre de la réforme agraire accélérée, qui constitue la réponse de l’État à la situation et non la situation elle-même. Pris dans son ensemble, le raisonne-ment du Tribunal semble toutefois indiquer qu’il considère que le Zimbabwe a pris prétexte de la tension bien réelle qui existait pour adopter des mesures contraires à ses engagements internationaux.

Ensuite, l’approche du Tribunal apporte un éclairage qui ne manquera pas d’intéresser les internationalistes sur l’une des conditions mises à l’invocation de l’état de nécessité, qui n’avait jusqu’ici été abordée ni dans le contentieux arbi-tral 199, ni, à notre connaissance, dans d’autres branches du droit international. Selon l’article 25, paragraphe 1, b) des Articles, l’état de nécessité ne peut justifier un fait qui porte « gravement atteinte à un intérêt essentiel […] de la communauté internationale dans son ensemble » 200. Et le Tribunal d’en déduire que, quoi qu’il en soit des autres conditions, l’état de nécessité ne saurait exclure l’illicéité d’une mesure contraire à l’interdiction des discriminations raciales, qui constitue une obligation erga omnes et traduit donc « un intérêt essentiel […] de la communauté internationale dans son ensemble ». L’examen de cet argument est particulière-ment intéressant. Il conduit en effet à faire produire des effets à la qualification d’une obligation comme erga omnes, ce qui n’est pas si fréquent. L’interdiction de la discrimination raciale pouvant être considérée comme telle, elle ne saurait être contournée par l’invocation de l’état de nécessité. Le Tribunal va même jusqu’à envisager de qualifier l’interdiction des discriminations raciales comme norme impérative, avant d’y renoncer sans que son raisonnement sur ce point soit d’une parfaite limpidité 201. Quoi qu’il en soit de ce dernier point, le Tribunal se trouve

198. Ibid., §§ 660-667.199. Le Tribunal le relève, ibid., § 647.200. Le commentaire de l’article 25 des Articles ne met en lumière aucun précédent en ce sens, voir

§§ 17-18.201. D’un côté, le Tribunal indique que le comportement du Zimbabwe entre également dans le cadre

de l’article 26 des Articles, qui exclut la possibilité de justifier un comportement « qui n’est pas conforme à une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général » (sentence Von Pezold, § 657) et, même, que la communauté internationale était habilitée à réagir à une politique de discrimination raciale suivant les articles 49 à 54 des Articles (ibid., § 665). Mais de l’autre, il affirme qu’il est inutile de se prononcer sur le caractère impératif de l’interdiction des discriminations raciales (ibid., § 657) et,

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conduit à déterminer non seulement si les mesures zimbabwéennes constituent une expropriation illicite ou un traitement injuste et inéquitable mais si elles sont constitutives d’une discrimination raciale. Il estime alors que les mesures en cause étaient bien fondées sur des critères raciaux 202 et qu’elles n’étaient pas justi-fiées : alors que la réforme agraire envisagée dès 1979 et mise en œuvre jusqu’en 2000 pouvait être perçue comme une discrimination nécessaire et proportionnée à l’objectif de correction du passé colonial, tel n’était pas le cas des mesures adoptées à partir de 2000. En effet, la passivité de l’État face aux invasions des terres des fermiers blancs et la mise en œuvre de la réforme agraire accélérée constituent selon les arbitres des mesures particulièrement agressives fondées sur la race et dont l’objectif était davantage de répondre à des pressions politiques que de réparer le déséquilibre issu de l’héritage colonial 203. Ce raisonnement place ainsi le Tribunal dans la peau d’un organe de protection des droits de l’homme, sans pour autant qu’il éprouve le besoin de se référer à la pratique de ces organes.

B. Contenu de la responsabilité

« C’est un principe de droit international, voire une conception générale du droit, que la violation d’un engagement comporte l’obligation de réparer » 204. Cette conception générale du droit explique que les tribunaux arbitraux se prononcent sur la réparation après avoir constaté l’existence d’un fait internationalement illi-cite 205. Cette étape décisive est à l’origine de nombreuses difficultés factuelles mais aussi juridiques, qui concernent aussi bien le dommage réparable que l’étendue ou les modalités de la réparation 206. Certaines de ces difficultés reflètent les débats récurrents sur la nature de la responsabilité internationale. Ainsi, même si le contentieux de l’investissement est avant tout réparateur, même si les tribunaux arbitraux n’ont pas pour fonction « to punish the Parties » 207, la volonté de « condem-ning the actions of the offending State » 208 affleure dans certaines décisions.

1. Le dommage réparable

a) Le lien de causalité

À défaut de constituer une condition d’engagement de la responsabilité, l’exis-tence d’un dommage relié au fait illicite par un rapport de causalité est détermi-

plus loin, que les exceptions et dérogations envisageables à cette interdiction, telles que la pratique des discriminations positives, font douter de son appartenance à la catégorie des normes de jus cogens (ibid., § 738). On remarquera toutefois que l’interdiction des discriminations raciales est citée par la CDI parmi les rares exemples de normes dont le caractère impératif est clairement accepté et reconnu (commentaire de l’article 26 des Articles, § 5).

202. Alors que le Zimbabwe soutenait que les fermiers visés l’étaient en tant que colons ou héritiers des colons, les mesures affectent également les fermiers blancs qui, comme les demandeurs, ont acquis ces terres par la suite, à l’exclusion des fermiers noirs ayant fait pareille acquisition.

203. Ibid., §§ 647-657.204. CPJI, Usine de Chorzów, arrêt du 13 septembre 1928, série A, n° 17, p. 29.205. Voir notamment CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal

SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentence du 9 avril 2015, §§ 22-27, qui s’appuie sur le droit international général, et notamment sur ce dictum, pour fonder son pouvoir de se prononcer sur la réparation dans le silence des textes applicables.

206. Voir Mathieu raux, « Les conséquences de la responsabilité internationale de l’État d’accueil de l’investissement », in Charles LeBen (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, op. cit., pp. 463 et s.

207. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, § 561.

208. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, § 916.

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nante à l’heure de se prononcer sur la réparation. Les tribunaux qui délaissent cette question au stade de l’établissement de la responsabilité doivent donc s’y confronter au stade de la détermination de la réparation due 209. Tel fut le cas du Tribunal de l’affaire Suez et al., qui a octroyé plus de 400 millions de dollars aux demandeurs en raison du préjudice résultant du traitement injuste et inéquitable dont ils avaient fait l’objet de la part de l’Argentine. À la différence d’autres affaires, ce n’est pas la volatilité du marché en cause qui rendait cette évaluation diffi-cile 210 mais l’analyse de l’enchaînement causal. Le Tribunal avait en effet considéré au stade de l’établissement de la responsabilité que l’Argentine avait soumis les demandeurs à un traitement injuste et inéquitable en refusant à l’entreprise de distribution d’eau dans laquelle ils avaient investi de réviser ses tarifs à la hausse dans le contexte de la crise économique grave qui frappait le pays et en particulier suite à la dévaluation du peso. Il lui revenait à présent de déterminer la part prise par ce fait internationalement illicite dans la faillite de l’entreprise en cause. Que serait-il advenu de cette entreprise si l’Argentine s’était comportée en régulateur raisonnable ? Un accord aurait-il été trouvé entre le régulateur et l’opérateur ? Cet accord aurait-il permis à l’opérateur de poursuivre son activité malgré la situation de crise économique ? Et, si oui, dans quelles conditions ? Échafaudant un scénario qu’il juge vraisemblable, le Tribunal considère que certaines mesures auraient pu permettre de sortir l’entreprise concessionnaire de la situation délicate dans laquelle la crise l’avait plongée et condamne donc l’Argentine à réparer les pertes subies par les demandeurs en tenant compte des fonds qu’ils ont engagés pour faire face à la liquidation de leur entreprise mais aussi de la valeur que conservait la concession en 2001 et des ressources qu’elle aurait encore pu générer malgré la crise 211.

Ces analyses causales sont pour le moins délicates et impliquent de nombreux arbitrages à partir de faits complexes qui, combinés aux difficultés d’évaluation du préjudice 212, rendent peu prévisibles les solutions adoptées au stade de la répa-ration, alors même que les montants en jeu sont (très) importants. D’un point de vue quantitatif, la prise en compte du dommage moral est sans doute moins décisive. Elle n’en constitue pas moins un enjeu intéressant sur le plan du droit international.

b) Le dommage moral

Pour la troisième fois seulement, à notre connaissance, des investisseurs se sont vu octroyer une compensation financière au titre de la réparation du dommage moral qu’ils avaient subi du fait des agissements de l’État d’accueil de leur inves-tissement. Il faut dire que les faits de l’affaire von Pezold se prêtaient particuliè-rement à la reprise de la solution inaugurée par la sentence Desert Line 213. En

209. CIRDI, Dan Cake SA c. Hongrie, n° ARB/12/9, décision sur la compétence et la responsabilité, 24 août 2015, § 161, renvoyant à la phase ultérieure du quantum la question de savoir si les décisions du juge interne sont à l’origine de la liquidation de l’entreprise dans laquelle le demandeur avait investi après avoir conclu qu’elles étaient constitutives d’un traitement injuste et inéquitable. Voir aussi CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence du 25 novembre 2015, §§ 116-121.

210. Voir infra, 2.211. CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine,

n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentence du 9 avril 2015.212. Dont elles se distinguent d’ailleurs mal, voir infra, 2.213. CIRDI, Desert Line Projects LLC c. Yemen, n° ARB/05/17, sentence du 6 février 2008, §§ 289-291,

cette chronique, cet Annuaire, 2008, p. 501. Il faut ajouter à ce précédent la sentence Al-Kharafi rendue sur le fondement de l’accord d’investissement de la Ligue des États arabes. Cette sentence octroie au demandeur 30 millions de dollars au titre de la réparation de son préjudice moral, qui viennent s’ajouter aux 905 millions de dollars de préjudice économique, constitués essentiellement par un manque à gagner.

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effet, selon son témoignage admis par le tribunal, l’un des investisseurs et ses collaborateurs avaient été violemment pris à partie, humiliés, menacés de mort à plusieurs reprises et kidnappés lors de l’invasion puis de l’occupation des terres que les demandeurs détenaient et exploitaient au Zimbabwe. Bien que le Tribunal ait jugé que ces agissements n’étaient pas directement attribuables à l’État 214, ses manquements répétés à son obligation de protéger l’investisseur présent sur son territoire justifiaient l’octroi à ce dernier d’un million de dollars au titre de la réparation de son préjudice moral 215.

Compte tenu des circonstances de l’affaire, cette solution ne laisse pas néces-sairement augurer un élargissement des situations dans lesquelles les arbitres pourraient admettre la réparation des dommages moraux des investisseurs, bien que ces derniers se soient engouffrés dans la brèche créée par la sentence Desert Line en sollicitant de plus en plus régulièrement les tribunaux à cette fin. En effet, le Tribunal a rappelé que la réparation d’un dommage moral ne pouvait être octroyée que dans des circonstances exceptionnelles. Il a alors repris les condi-tions strictes, dégagées par la sentence Lemire dans lesquelles pareille réparation est envisageable, qui tiennent à la gravité tant de la violation constatée que des conséquences qui en résultent 216. Appliquant ce même raisonnement, deux autres tribunaux ont d’ailleurs refusé d’octroyer à des investisseurs réparation pour le prétendu dommage moral consécutif au harcèlement dont ils alléguaient avoir fait l’objet de la part de leur État d’accueil en vue de les empêcher d’obtenir réparation de l’expropriation, quant à elle illicite, qu’ils avaient subie 217.

La sentence von Pezold confirme toutefois deux des enseignements de l’af-faire Desert Line. D’une part, le fait qu’une société peut obtenir réparation du dommage moral résultant des agissements dont ses dirigeants et/ou employés ont été victimes. Il s’agit là d’une protection par ricochet, le dommage n’étant pas à proprement parler celui de la société demanderesse mais des personnes physiques qui agissent pour son compte, protection qui se justifie non seulement par une volonté de réparer « but also of condemning the actions of the offending State » 218. D’autre part, l’idée selon laquelle les difficultés d’évaluation du dommage moral ne doivent pas conduire à le laisser sans réparation, qui amène le Tribunal à

On hésite toutefois à y voir un précédent dans la mesure où elle est peu motivée sur la question du préju-dice moral. Ce préjudice consiste en réalité en une perte de réputation et ce sont des violations du droit interne qui en sont à l’origine, de sorte que le tribunal n’ancre pas son raisonnement dans le droit de la responsabilité internationale (Tribunal ad hoc, Mohamed Abdulmohsen Al-Kharafi & Sons Co. c. Libye et autres, sentence du 22 mars 2013, §§ 368-369).

214. Sur les faits et leur attribution, voir supra, A, 1.215. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015,

§§ 918-921.216. CIRDI, Joseph Charles Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, sentence du 28 mars 2011, § 333,

cette chronique, cet Annuaire, 2011, pp. 559 et s., qui considère que la réparation du dommage moral n’est possible a) qu’en cas de « physical threat, illegal detention or other analogous situations in which the ill-treatment contravenes the norms according to which civilized nations are expected to act », b) si ce comportement cause une « deterioration of health, stress, anxiety, other mental suffering such as humil-iation, shame and degradation, or loss of reputation, credit and social position » et c) si « both cause and effect are grave or substantial ».

217. CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 904-916, considérant que l’illicéité d’une partie des mesures en cause n’est pas établie tandis que certains compor-tements arbitraires n’atteignent pas le niveau de gravité justifiant la réparation du dommage moral ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, §§ 615-619, considérant que l’illicéité du comportement ayant provoqué le prétendu dommage moral n’est pas établie et que, quand bien même elle le serait, les circonstances exceptionnelles dans lesquelles un tel dommage peut être réparé ne sont pas réunies.

218. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, § 916. Comp. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, n° ARB06/3, sentence du 6 mai 2013, §§ 289 et s., cette chronique, cet Annuaire, 2013, p. 460.

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octroyer à deux des demandeurs 219 exactement le même montant (un million de dollars) que celui qui avait été fixé dans l’affaire Desert Line. Et, comme dans cette dernière affaire, ce montant, pour important qu’il puisse paraître, demeure minime au regard de l’indemnisation du dommage matériel 220. Mais, de l’avis du Tribunal, « it appropriately reflects the wrongfulness of the actions that occurred » 221.

Ces deux éléments, et les justifications qui les accompagnent, confirment ainsi la dimension punitive qui s’attache à la réparation du dommage moral dans le contentieux de l’investissement. Il s’agit ainsi moins de réparer le dommage moral que de sanctionner les comportements étatiques d’une particulière gravité 222. Nul doute en effet que la qualification du comportement du Zimbabwe comme viola-tion d’une obligation erga omnes (l’interdiction des discriminations raciales) et la violence des agissements des manifestants ont joué un rôle important dans l’approche du tribunal s’agissant d’apprécier l’existence d’un dommage moral.

2. La réparation

a) L’étendue de la réparation

« Le principe essentiel […] est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vrai-semblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis » 223. Le dictum de la Cour permanente de Justice internationale dans l’affaire de l’Usine de Chorzów est connu et systématiquement convoqué par les tribunaux à l’heure de statuer sur la réparation. Pourtant, malgré son apparente clarté, sa mise en œuvre divise les arbitres. La tension se cristallise autour de la distinction entre la compensa-tion due pour une expropriation licite et la réparation d’une expropriation illicite. L’enjeu pratique de cette distinction tient essentiellement à la date d’évaluation du préjudice subi, spécialement lorsque la valeur de l’investissement s’est accrue entre la date de l’expropriation et celle du prononcé de la sentence 224. Fréquents sont en effet les traités qui prévoient que la compensation d’une expropriation doit refléter la valeur de l’investissement à la date de cette expropriation. Mais, à la suite de la sentence ADC 225, de nombreux tribunaux ne voient là qu’une règle relative à la compensation qui doit accompagner une expropriation pour qu’elle soit licite, qui ne serait donc pas applicable lorsqu’il s’agit de réparer une expropriation illicite. En ce cas, le droit international général impliquerait de se placer à la date de la sentence afin de replacer le demandeur dans la situation dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de fait illicite 226. La distinction paraît donc claire. Deux éléments viennent toutefois l’obscurcir.

219. Celui du demandeur-personne physique qui se trouvait sur le territoire zimbabwéen (Heinrich von Pezold) et une société demanderesse qui cherchait réparation du dommage moral résultant des agis-sements dont ses salariés avaient été victime.

220. Le préjudice matériel subi par l’ensemble des demandeurs est évalué par le Tribunal à plus de 190 millions de dollars, même s’il privilégie la restitution en nature comme mode de réparation approprié (sur ce point, voir infra, 2).

221. Ibid., § 924.222. Mathieu raux y voit une forme de satisfaction pécuniaire davantage qu’une indemnisation du

préjudice moral, op. cit., pp. 478-482.223. CPJI, Usine de Chorzów, arrêt du 13 septembre 1928, série A, n° 17, p. 47.224. Pour une présentation de la question, voir Pierre-Marie duPuy et Yannick radi, « Le droit de

l’expropriation directe et indirecte », in Charles LeBen (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, Paris, Pedone, 2015, pp. 410-412.

225. CIRDI, ADC Affiliate Limited, e.a. c. Hongrie, n° ARB/03/16, sentence du 2 octobre 2006, § 481.226. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015,

§§ 756-764 ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, §§ 325-330 et 370-378. Voir toutefois CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela,

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Le premier concerne la qualification même d’une expropriation comme illicite. Après d’autres, le Tribunal de l’affaire Tidewater a ainsi considéré qu’une expro-priation dont le seul défaut est de ne pas – encore – avoir donné lieu au versement d’une compensation n’en est pas pour autant illicite : sa licéité peut être rétablie par le seul effet de cette compensation, même décidée ex post par un tribunal. Celle-ci doit donc être calculée en appliquant le standard conventionnel, i.e. en évaluant la juste valeur de marché de l’investissement à la date de l’expropriation 227. Le but avoué est alors d’éviter que le droit de l’État d’exproprier, non contesté dans son principe, se trouve affecté par l’octroi à l’investisseur d’une réparation supérieure à celle dont il aurait bénéficié dans le cadre du processus normal d’expropriation. On pourrait toutefois objecter que c’est permettre à l’État de faire le pari de ne pas compenser, cette illicéité « transitoire » n’étant alors pas réparée, même si la perspective de supporter les coûts d’un arbitrage défavorable constitue sans doute une incitation non négligeable 228.

Cette approche s’inscrit dans une interrogation plus large portant sur les risques de dérive en matière d’évaluation du préjudice 229. Celle-ci apparaît égale-ment à la lecture des discussions qui ont opposé les arbitres de l’affaire Quiborax. Alors que la majorité s’est appuyée sur le dictum de l’Usine de Chorzów pour retenir que le préjudice résultant d’une expropriation illicite devait être évalué à la date du prononcé de la sentence et en tenant compte des données disponibles à cette date 230, l’arbitre dissidente, qui avait également participé à la sentence Tidewater, a insisté sur une dimension selon elle trop négligée du dictum de la CPJI selon lequel la réparation doit seulement « rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé » si le fait illicite n’avait pas été commis. En insistant sur cet adverbe, B. Stern entend lutter contre la dérive spéculative qu’elle perçoit dans le calcul des indemnités dues pour violation du droit international des investissements. Il ne s’agit pas de remettre en cause le fait que la victime doit être replacée dans la situation qui aurait été la sienne si le fait illicite ne s’était pas produit, mais de revoir l’approche adoptée pour déterminer quelle aurait été cette situation. En effet, certains tribunaux tendent à intégrer des données postérieures à l’expro-priation pour déterminer la situation qui aurait existé, les prenant en compte pour augmenter le montant dû en cas d’accroissement de la valeur de l’investissement mais allant parfois jusqu’à les écarter en cas de diminution de cette valeur 231. Pour

n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 647-648, qui s’appuie sur le standard conventionnel de compen-sation après avoir pourtant constaté que l’expropriation en cause était illicite (§ 426). Voir aussi CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre 2015, §§ 362-366, appli-quant la technique de la réparation intégrale en dehors d’une situation d’expropriation.

227. CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, §§ 129-146, spé. § 141 : « An expropriation only wanting fair compensation has to be considered as a provisionally lawful expropriation, precisely because the tribunal dealing with the case will determine and award such compensation ».

228. Outre ses propres frais, le Venezuela est ainsi condamné dans cette affaire à verser 2,5 millions de dollars au demandeur en remboursement d’une partie des frais de représentation qu’il a dû engager pour obtenir compensation (ibid., §§ 610-616).

229. Ibid., § 161.230. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du

16 septembre 2015, §§ 325 et s., spé. § 370, la majorité se prononce sur la base d’une évaluation des réserves minières de la concession en cause (qui en permettaient l’exploitation jusqu’en 2039), avant de déterminer son rythme annuel d’exploitation, et donc la quantité de produits commercialisables, le prix auquel ces produits auraient été vendus (en tenant compte des fluctuations du marché) et les coûts d’exploitation ainsi que les fluctuations monétaires pour fixer l’indemnité due à 48 millions de dollars, correspondant à 30 millions de bénéfices perdus sur 2004-2013 plus intérêts et à la perte de bénéfices espérés sur la période 2013-2039, chiffrée à 18 millions en tenant compte de l’aléa.

231. CPA (CNUDCI), Hulley Enterprises Limited (Chypre), Ioukos Universal Limited (Ile de Man), Veteran Petroleum Limited (Chypre) c. Russie, n° AA 226, AA 227 et AA 228, sentences du 18 juillet 2014, §§ 1763-1769. Voir cette chronique, cet Annuaire, 2014, pp. 588-589.

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B. Stern au contraire, les arbitres ne doivent pas replacer le demandeur dans la situation qui aurait existé à la date de la sentence si le fait illicite n’avait pas été commis mais dans la situation dont on pouvait penser à la date du fait illicite qu’elle aurait existé à la date de la sentence si ce fait n’était pas survenu 232. Tout ceci est fort complexe mais, en matière de réparation plus encore qu’ailleurs, le diable se niche bien souvent dans les détails.

Il faut en effet admettre que, malgré les subtils raisonnements déployés par les arbitres pour convaincre qu’« il ne s’agit pas de choisir un montant arbitraire, mais d’appliquer des principes qui, à tout le moins, permettront au lecteur de [la sentence] de saisir les facteurs qui auront conduit [le Tribunal] à arrêter tel ou tel montant » 233, l’évaluation du préjudice est loin d’être une science exacte. Or, même incompressibles, les incertitudes qui entourent cette évaluation paraissent d’autant plus difficiles à admettre que les montants en jeu s’élèvent. Tel était le cas, on s’en souvient, dans la sentence rendue en l’affaire Ioukos, qui semble d’ailleurs, autant que le raisonnement de la majorité, constituer la véritable cible des critiques de l’arbitre dissidente de l’affaire Quiborax 234. La décision du comité d’annulation de l’affaire Occidental Petroleum l’illustre à nouveau. Après avoir constaté, comme le soutenait l’arbitre dissidente, que le Tribunal avait à tort réparé le préjudice résultant de la perte de l’intégralité d’un investissement alors que le demandeur n’en possédait plus que 60 %, ce comité a ainsi pris l’initiative de diminuer la somme due par l’Équateur de 700 millions de dollars ! 235

S’ajoutent à ces sommes des intérêts qui, à la différence de la pratique qu’iden-tifiait la CDI en 2001, sont désormais systématiquement composés dans l’arbitrage d’investissement 236. Peuvent encore alourdir la note finale les coûts d’arbitrage et de représentation, la règle selon laquelle la partie qui succombe doit les supporter, parfois perçue comme une manifestation du principe de réparation intégrale, tendant à s’imposer 237.

b) Les formes de la réparation

Le mode de réparation privilégié dans le contentieux de l’investissement demeure sans aucun doute la compensation par équivalent, autrement dit l’in-

232. Opinion dissidente de B. Stern jointe à CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015.

233. Selon la formule de Christopher Greenwood dans sa déclaration sous CIJ, Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt du 19 juin 2012, citée par CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc., e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015, § 410.

234. Opinion dissidente de B. Stern, §§ 52-56.235. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company

c. Équateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, § 586.236. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corporation c. Canada, n° ARB(AF)/074,

sentence du 20 février 2015, § 170 ; CIRDI, Hassan Awdi, e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015, §§ 518-519 ; CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc. e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015, §§ 422-426 ; CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 927-953 ; CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, §§ 203-209 ; CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentence du 9 avril 2015, § 65 ; CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 942-953 ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, §§ 513-526 ; CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre 2015, §§ 538-560.

237. Soulignant ce lien, CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre 2015, §§ 598-613, spé. § 599. Voir CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentence du 9 avril 2015, §§ 110-115, considérant que cette méthode reflète le principe de réparation intégrale mais s’en démarquant au profit d’un partage des coûts compte tenu des circonstances de l’affaire. Sur la répartition des coûts, voir infra III, E.

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demnisation. Bien que le rôle des modes non pécuniaires de réparation puisse être qualifié d’« anecdotique » en ce domaine 238, il arrive que les tribunaux y aient recours, comme ce fut le cas en 2015 s’agissant de la restitution et de la satisfaction.

L’affaire von Pezold confirme le regain d’intérêt pour la restitution dans le contentieux de l’investissement. On sait qu’il s’agit du mode de réparation privi-légié en droit international général 239 mais qu’il n’occupe qu’une place margi-nale dans l’arbitrage transnational, pour des raisons qui vont de la réticence des demandeurs à poursuivre leur relation avec l’État d’accueil de l’investissement aux hésitations des arbitres à adresser une injonction de faire à ce dernier en passant par l’impossibilité matérielle d’assurer la remise en l’état 240. Ces motifs n’ont pas empêché les consorts von Pezold de solliciter la restitution de la pleine propriété des terres dont ils avaient subi l’expropriation du fait du Zimbabwe, ni le Tribunal de la leur accorder. Après avoir passé en revue de multiples sources doctrinales et jurisprudentielles relatives à la restitution en droit international général puis dans le contentieux de l’investissement, les arbitres ont en effet considéré qu’un tribunal CIRDI était parfaitement en mesure d’octroyer une réparation non pécu-niaire, et donc une restitution, à moins qu’un traité d’investissement particulier n’en dispose autrement 241. Faisant alors application du droit international général, ils ont jugé que la restitution devait être privilégiée, à moins d’être « matériellement impossible » ou d’imposer « une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de la restitution plutôt que de l’indemnisation » 242. Tel n’était pas le cas en l’espèce, de l’avis du Tribunal. La restitution ne serait pas matériellement impossible dans la mesure où, d’une part, les fermes expropriées existent et sont d’ailleurs pour une bonne part restées en possession des demandeurs qui ont seule-ment perdu leur titre de propriété et où, d’autre part, les difficultés résultant de l’occupation d’une partie de ces fermes par des tiers ne sont pas insurmontables, même si des tensions sont susceptibles d’apparaître au stade de la mise en œuvre de la restitution. Elle ne serait pas davantage disproportionnée, la portée de la sentence étant limitée à la situation des demandeurs et n’impliquant donc pas une remise en cause générale de la réforme agraire 243. Point n’est dès lors besoin de répondre à l’argument des demandeurs selon lequel la restitution s’imposerait comme mode de réparation de la violation d’une norme impérative : les règles ordinaires du droit de la responsabilité suffisent à octroyer aux demandeurs une restitution en nature 244.

Sans doute y a-t-il lieu de se féliciter du développement de la restitution, qui permet de sortir le contentieux de l’investissement de sa dimension essentiellement indemnitaire. Le raisonnement suivi par le Tribunal soulève toutefois certaines interrogations, liées au traitement des deux causes d’exclusion de ce mode de répa-ration envisagées à l’article 35 des Articles de la CDI. À s’en tenir à une conception

238. Mathieu raux, op. cit., p. 486.239. Article 34 des Articles de la CDI.240. Mathieu raux, op. cit., p. 486.241. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, spé.

§§ 700 et 709.242. Suivant les termes de l’article 35 des Articles.243. Sentence Von Pezold, §§ 725-733 et 734-735.244. Les demandeurs soutenaient que le comportement du Zimbabwe était constitutif d’une discrimi-

nation raciale injustifiée, donc d’une violation d’une norme impérative du droit international, si bien que la restitution s’imposerait quoi qu’il en soit en vertu de l’obligation de ne pas reconnaître une situation créée par la violation grave d’une norme impérative (article 41 des Articles). Le Tribunal ne se prononce pas sur la question, dès lors que, quoi qu’il en soit de la qualification de la violation, la restitution n’est ni impossible ni disproportionnée. Il remarque toutefois que la possibilité de dérogations et d’exceptions à l’interdiction des discriminations raciales, manifestées notamment par la pratique des discriminations positives, fait douter de son caractère impératif (ibid., § 738), pourtant reconnu par la CDI (commentaire de l’article 26 des Articles, § 6).

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stricte de l’impossibilité matérielle, réduite à la destruction définitive de l’investis-sement en question, il eût été plus cohérent d’intégrer les risques de conflits liés à la nécessité d’expulser les occupants des terres restituées aux demandeurs au titre de l’analyse de proportionnalité. Certes, le Tribunal ne néglige pas complètement ces risques. Mais son raisonnement aurait quoi qu’il en soit conduit à ne pas en tenir compte dès lors qu’ils ne rendent pas matériellement impossible la restitution 245. Pourtant, un État ne devrait-il pas être en « droit de refuser le concours de la force armée [pour assurer l’exécution d’un titre], tant qu’il estime qu’il y a danger pour l’ordre et la sécurité » et à la seule condition de compenser pécuniairement le préju-dice subi 246 ? Le Tribunal admet finalement cette éventualité puisqu’il finit tout de même par déterminer la valeur qu’auraient les propriétés en cause à la date de la sentence si elles n’avaient pas été expropriées. Le rôle de cette évaluation est en effet double : déterminer l’indemnité complémentaire qui doit être versée aux demandeurs en plus de la restitution afin de leur offrir une réparation intégrale ; prévoir l’indemnité qui devra leur être versée dans l’hypothèse où le Zimbabwe ne se conformerait pas à son obligation secondaire de restitution dans les 90 jours qui suivent le prononcé de la sentence 247. L’État peut donc encore décider de privilégier la réparation par équivalent plutôt que la restitution en nature.

Outre la restitution en nature, la satisfaction est parfois envisagée dans le contentieux de l’investissement. Elle est d’ailleurs admise dans cette affaire Von Pezold, le Tribunal ayant accédé sans la discuter à la demande de jugement décla-ratoire formulée par les requérants à titre de réparation, sans que cela change grand-chose à l’affaire dans la mesure où le constat de l’illicéité constituait quoi qu’il en soit une étape normale du processus arbitral 248. Le Tribunal de l’affaire Quiborax s’est en revanche attardé sur ce mode de réparation. Les demandeurs cherchaient à obtenir de lui un jugement déclaratoire constatant l’illégalité non seulement de l’expropriation dont ils avaient fait l’objet mais aussi, de manière autonome, des manœuvres entreprises par la Bolivie pour tenter de les empê-cher de recouvrer leurs droits par la suite. Le Tribunal a rejeté cette demande, considérant que ni les procédures criminelles intentées contre le requérant, ni le comportement de la Bolivie dans le cadre de l’arbitrage, ni même le fait de ne pas avoir respecté l’ordonnance en indication de mesures conservatoires demandant la suspension desdites procédures criminelles ne constituaient des violations du traité d’investissement en cause, de la Convention de Washington ou du principe général de bonne foi. Il a toutefois profité de cette occasion pour préciser ses vues sur la question. Tout en admettant que des mesures de satisfaction puissent être accordées par des tribunaux CIRDI, les arbitres ont insisté sur le fait que le conten-tieux investisseur-État ne saurait être assimilé trop rapidement au contentieux interétatique. Certaines mesures, telles les excuses, seraient ainsi inadaptées dans ce contexte, tandis que certains dommages (tels ceux résultant d’actes de harcèle-

245. Ibid., § 733, soulignant en conclusion qu’« in any event, the possibility of conflict would not prevent restitution in this case as it does not constitute material impossibility ».

246. On aura reconnu ici le raisonnement suivi par le Conseil d’État dans l’affaire Couitéas, qui l’avait conduit à engager la responsabilité sans faute de l’État pour les dommages résultant du refus, justifié par un risque de trouble à l’ordre public, de prêter le concours de la force publique à un propriétaire qui entendait faire évacuer les occupants des terres dont il avait été reconnu propriétaire en Tunisie (Conseil d’État, 30 novembre 1923, Couitéas, Lebon, p. 789).

247. Sentence Von Pezold, § 755. Voir CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, §§ 566 et s., où le Tribunal privilégie, à la demande de l’État défendeur, la restitution mais envisage une indemnisation à défaut de restitution dans les 90 jours, cette chronique, cet Annuaire, 2013, pp. 462-463.

248. Sentence Von Pezold, § 957. Voir aussi CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 430-433, le Tribunal poursuivant l’examen des réclamations du demandeur après avoir constaté une expropriation au motif que le demandeur a sollicité un jugement déclaratoire.

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ment ou de menaces) seraient mieux réparés par des mesures d’indemnisation 249. On peut comprendre le souci du Tribunal de ne pas braquer davantage la Bolivie qui percevait cette demande comme punitive. Le Tribunal juge d’ailleurs utile de préciser que « [its] mandate is to resolve the dispute before it, not to punish the Parties » 250. Son raisonnement trouve en outre un soutien dans les Articles de la CDI, dont l’article 33 rappelle que les dispositions relatives au contenu de la respon-sabilité sont « sans préjudice de tout droit que la responsabilité internationale de l’État peut faire naître directement au profit d’une personne ou d’une entité autre qu’un État ». Ceci étant, cette solution contraste assez largement avec la position d’autres tribunaux qui ont vu dans le constat de l’illicéité une mesure de satisfaction à même de compenser le dommage moral subi par les investisseurs 251 et, surtout, laisse sans conséquence la violation des mesures conservatoires indiquées par le Tribunal, dont il rappelle pourtant, non sans hésitation, le caractère obligatoire.

III. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT DU CONTENTIEUX INTERNATIONAL

L’arbitrage en matière d’investissement, au regard du dynamisme évident dont il est animé, constitue sans doute l’un des secteurs dans lequel le droit du conten-tieux international trouve le plus à s’épanouir et à se développer. Au point même que l’on est en droit de se demander si la dimension contentieuse n’est pas en train de prendre le pas sur les questions substantielles, les problèmes d’ordre procédural étant aujourd’hui bien plus fréquents dans la pratique que les questions de fond 252. Afin d’évoquer aussi largement que possible les questions soulevées par la pratique arbitrale au cours de l’année 2015, l’accent sera placé sur la compétence des tribu-naux arbitraux (B), les incidents de procédure (C), la question du droit applicable (D) et celle de la répartition des coûts de procédure (E). Avant cela, néanmoins, il paraît intéressant de se pencher brièvement sur quelques règles fondamentales de procédure qui ne sont pas propres à l’arbitrage transnational, mais qui présentent certaines singularités dans ce contexte (A).

A. La réaffirmation de quelques règles fondamentales du droit du contentieux international

Malgré la singularité des affaires qui se déploient devant eux, les tribunaux arbitraux s’intègrent assez aisément dans le droit du contentieux international. Ils ne manquent donc pas de réaffirmer certains principes plus ou moins bien ancrés au sein de ce dernier, ou d’employer certaines techniques juridictionnelles qui lui sont bien connues, à l’instar par exemple de l’économie de moyens : plusieurs tribu-naux ont ainsi considéré qu’il n’était pas nécessaire d’examiner tous les arguments présentés par les parties, si certains d’entre eux étaient suffisants pour trancher

249. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, §§ 544-596, spé. §§ 554-559.

250. Ibid., § 561.251. Voir cette chronique, cet Annuaire, 2011, p. 564. Voir également Mathieu raux, qui va jusqu’à

considérer que « la satisfaction pourrait bien être le seul mode de réparation adéquat du préjudice moral », tout en envisageant que cette satisfaction prenne une forme pécuniaire (op. cit., p. 480).

252. À ce sujet, voir Arnaud de nanteuiL (dir.), L’accès de l’investisseur à l’arbitrage. Réflexions sur la procéduralisation du droit de l’investissement, Paris, Pedone, 2015, 216 p.

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l’affaire soumise dans un sens ou dans un autre 253. Dans un autre registre, la ques-tion du statut des décisions préliminaires s’est posée dans plusieurs affaires, mais n’a pas toujours reçu une réponse univoque : généralement, les tribunaux jugent qu’une décision préliminaire n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée et qu’elle est donc comme telle susceptible d’être modifiée par le tribunal dans la suite de l’instance 254. Sans doute cette solution justifie-t-elle, dans son prolongement, qu’un tribunal se considère habilité à modifier une ordonnance procédurale qui est dépourvue, il est vrai, de caractère définitif 255. La question des opinions jointes s’est également posée à plusieurs reprises et a donné lieu à des développements intéres-sants : saisi d’une demande en annulation fondée notamment sur des prétendues contradictions entre le raisonnement de la majorité et celui de l’arbitre dissident, un comité ad hoc a ainsi tenu à rappeler qu’une telle contradiction – outre le fait qu’elle n’était pas établie en l’espèce – n’était pas de nature à affecter la sentence et à lui faire encourir l’annulation dans le cadre du CIRDI 256. S’appuyant sur la pratique internationale, dont la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, le Comité jugea donc qu’une opinion séparée n’était aucunement de nature à fonder une contestation contre une décision adoptée par la majorité de la formation de jugement 257. Il se peut même qu’une opinion donne lieu à une réponse de la part de la majorité, dans l’hypothèse où cette dernière aurait pu y avoir accès avant d’adopter la version définitive de la sentence 258. Cette dernière possibilité est sans doute plus spécifique mais le rôle conféré aux opinions séparées et leur absence d’effet sur la chose jugée est sans doute un principe qui dépasse de très loin le seul cadre de l’arbitrage transnational.

D’autres questions ponctuelles du droit du contentieux ont été récemment soulevées avec une acuité particulière devant les tribunaux arbitraux. Ainsi, notamment, du problème de la preuve, qui peut être particulièrement délicat dans l’hypothèse de l’allégation d’un dommage futur. Dans l’affaire Mobil Investment c. Canada, une décision initiale avait jugé le Canada responsable d’une violation du droit international mais la société demanderesse devait encore faire la preuve du

253. CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015, §§ 247 et 350 ; CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentence du 9 avril 2015, § 57. Voir encore CIRDI, Muhammet Çap et Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, n° ARB/12/6, décision sur l’exception d’incompétence, 13 février 2015, § 282. Cette pratique n’est toutefois pas systématique, certains tribunaux prenant un soin particulier à répondre à l’ensemble des arguments soulevés devant eux alors même que leur examen n’est pas nécessaire pour trancher le litige, voir notamment CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015.

254. CPA (CNUDCI), Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, n° 2009-23, décision préliminaire 1B, 12 mars 2015, §§ 6 et 185. Certaines décisions sont néanmoins plus ambiguës, et semblent marquer une déférence certaine vis-à-vis des décisions même préliminaires, voir CIRDI, Perenco Ecuador Ltd. c. Équateur, n° ARB/08/6, décision sur la demande de réexamen, 10 avril 2015, § 43.

255. CIRDI, Churchill Mining PLC and Planet Mining Pty Ltd c. Indonésie, n° ARB/12/14 et 12/40, ordonnance procédurale n° 15, 12 janvier 2015, § 23.

256. Comité ad hoc CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, décision sur l’annulation, 7 janvier 2015, §§ 107 et s. On doit ici simplement indiquer que d’assez nombreuses décisions d’annulation ont été rendues en 2015, mais sans apporter de grand changement au droit du contentieux international. Pour cette raison, elles ne sont que mentionnées ici et ne font pas l’objet d’une analyse dans les limites de la présente chronique : il s’agit des décisions Iberdrola Energia, SA c. Guatemala, n° ARB/09/5, décision sur la demande d’annulation, 13 janvier 2015 ; Tza Yap Shum c. Pérou, n° ARB/07/6, décision sur la demande d’annulation, 12 février 2015 ; Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision sur la demande d’annulation, 14 juillet 2015 ; Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015 ; Tulip real Estate Netherlands development BV c. Turquie, n° ARB/11/28, décision sur la demande d’annulation, 30 décembre 2015.

257. Daimler c. Argentine, ibid., §§ 111 et s.258. CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la

responsabilité, 17 mars 2015, §§ 734 et s.

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dommage dont elle demandait l’indemnisation. Ce dernier était réputé constitué par l’engagement de dépenses imposées par le Canada, en contradiction avec la prohibition des exigences de performance 259. Il importait donc d’établir la preuve que les dépenses en question n’auraient pas eu lieu sans la mesure canadienne afin d’établir qu’elles constituaient en effet un préjudice. Au regard du caractère relativement prospectif du dommage, les arbitres exigèrent donc la preuve d’une « certitude raisonnable » et non absolue 260. C’est là le signe de ce que le standard de preuve peut s’adapter à la nature particulière du préjudice allégué. Ce n’est là, au fond, que l’expression de la liberté des moyens de preuve dans le procès interna-tional, et de la marge de manœuvre confortable dont jouissent les tribunaux dans leur appréciation 261. Rien ne s’oppose ainsi au recours à des experts linguistiques ou au témoignage d’une personne ayant participé à la rédaction du modèle de TBI ayant servi de base pour la rédaction du traité applicable afin d’en déterminer la signification exacte, même si ce ne sont que des éléments parmi d’autres 262. Un tribunal a également fait appel au témoignage d’un professeur renommé de rela-tions internationales, au sujet des invasions de fermes possédées par des fermiers blancs au Zimbabwe au début des années 2000, événement déterminant pour se prononcer sur le fond du litige 263. En outre, le décès d’un témoin avant l’audience empêche évidemment son audition mais ne s’oppose nullement à ce qu’un témoi-gnage plus ancien recueilli auprès de lui soit utilisé par le tribunal 264. Ce ne sont là que des illustrations tirées d’espèces particulières, mais elles permettent d’attester la grande liberté des tribunaux arbitraux en matière de preuve. Sur l’ensemble de ces questions, il est certain que les solutions demeurent assez largement tributaires des textes applicables et des règlements de procédure. Mais dans l’ensemble, aussi bien ces textes que la pratique dégagée sur leur fondement ne semblent guère éloi-gnés des principes adoptés par les autres juridictions internationales.

B. La compétence du tribunal arbitral

Les questions de compétence devant les tribunaux arbitraux sont désormais légion, puisqu’elles constituent pour les défendeurs un moyen, souvent efficace, de mettre un terme prématuré à une procédure. Ce sont aussi parfois autant d’occa-sions pour les tribunaux arbitraux de faire progresser le droit du contentieux inter-national sur la question de la compétence à la fois ratione voluntatis (1), ratione personae (2) et ratione temporis (3). On doit simplement indiquer à titre liminaire qu’un tribunal a eu l’occasion cette année d’affirmer que, dans l’examen de sa compétence, il n’avait pas à tenir compte des éventuelles alternatives contentieuses ouvertes, ou non, à l’investisseur : le fait qu’il n’existe pas d’autre recours que l’arbi-trage, en particulier, ne constitue pas un motif devant inciter le tribunal à retenir

259. Sur cette disposition, voir Franck Latty, « Discrète mais envahissante : la clause de libre exploi-tation », RGDIP, 2015 n° 1, pp. 179-195.

260. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corporation c. Canada, n° ARB(AF)/07/4, sentence du 20 février 2015, §§ 32, 52-53.

261. Voir Carlo SantuLLi, Droit du contentieux international, Paris, Montchrestien, 2015, 2e éd., pp. 565 et s.

262. CIRDI, Muhammet Çap et Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, n° ARB/12/6, décision sur l’exception d’incompétence, 13 février 2015, spé. §§ 213 et s., 222 et s., 227 et s.

263. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 110 et s.

264. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, § 97.

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sa compétence : l’argument d’un déni de justice en ce sens n’est pas déterminant devant un tribunal arbitral 265.

1. La compétence ratione voluntatis : le consentement à la compétence

La compétence d’un tribunal arbitral ne peut être établie que si la volonté des parties en ce sens est elle-même prouvée : il en va ainsi en droit international général comme dans le droit de l’investissement 266. Ce truisme pour tout observa-teur même très lointain du monde de l’arbitrage dissimule en réalité des situations parfois fort complexes. Mais l’examen de cette condition est également pour les tribunaux l’occasion de réaffirmer des points plus ou moins bien établis. On sait ainsi que dans l’hypothèse d’un litige sur le fondement d’un traité de protection des investissements, il est généralement considéré que le consentement de l’État se trouve exprimé dans le traité et celui de l’investisseur dans la requête d’arbitrage : ainsi la condition du double consentement écrit dans le cadre du CIRDI se trouve-t-elle relativement aisée à remplir 267. À cet égard, il faut rappeler dans le même cadre que l’enregistrement d’une requête par le Secrétariat du Centre ne constitue pas un gage de compétence, cette dernière reposant sur des éléments autonomes et l’enregistrement n’étant qu’une mesure purement administrative 268. En outre, dans la continuité du principe bien connu du droit international général suivant lequel l’État ne peut invoquer son droit interne pour justifier la méconnaissance d’une norme internationale, un État partie à une procédure ne peut exciper de sa propre loi pour échapper à la compétence d’un tribunal arbitral à laquelle il aurait consenti par ailleurs 269.

Ce sont là des éléments si fermement établis qu’il n’est pas nécessaire d’y insister. Certaines hypothèses rencontrées dans la pratique peuvent néanmoins s’avérer plus délicates, comme celle de l’existence de plusieurs supports d’expres-sion du consentement du côté de l’État. On peut songer au cas d’un consentement exprimé à la fois dans un traité et dans une loi, dont seule la seconde était initia-lement invoquée par le requérant. La modification ultérieure de la requête pour prendre en compte également le consentement de l’État dans le traité est-elle alors possible ? A priori, rien ne semble s’y opposer, notamment dans le cadre de l’article 40, paragraphe 1 du Règlement d’arbitrage du CIRDI, qui admet la modi-fication d’une requête dans les limites de l’objet du différend et, précisément, du consentement des parties 270. Confronté à ce cas de figure, le Tribunal de l’affaire Venoklim avait pourtant jugé qu’en pareille hypothèse, l’invocation du consente-ment dans le traité ayant été postérieure à l’invocation de la loi nationale, le TBI ne pouvait plus constituer une source autonome de consentement : il devait être examiné en conjonction avec la loi nationale initialement invoquée 271. Cette solu-tion, dont le Tribunal insiste pour rappeler qu’elle est propre à l’espèce, ne devrait sans doute pas être généralisée. En l’occurrence, il est vrai que la loi nationale invo-quée au départ faisait elle-même référence au TBI, si bien que les deux instruments

265. CIRDI, Ping An Life Insurance Company of China c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015, §§ 207-209.

266. CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, § 228.

267. CIRDI, Grupo Fransisco Hernando Contreras SL c. Guinée équatoriale, n° ARB(AF)/12/2, sentence sur la compétence, 4 décembre 2015, § 105.

268. CIRDI, Menzies Middle East and Africa SA et Aviation Handling Services International Ltd. c. Sénégal, ARB/15/21, ordonnance procédurale n° 2, 2 décembre 2015, § 109.

269. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, §§ 83-84.

270. CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015, § 123. 271. Ibid., § 129.

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pouvaient être considérés en lien l’un avec l’autre. Mais la solution ne manque pas de rigueur, d’autant qu’elle aboutira au refus de la compétence du Tribunal alors même qu’elle aurait sans doute été établie sur le fondement du traité. La question se pose alors de savoir si cette approche particulièrement stricte était justifiée, ce qui n’est pas certain. Il est entendu qu’un traité ou une loi constituent en droit de l’investissement des fondements autonomes de compétence dès lors qu’ils traduisent l’un et l’autre le consentement de l’État. On ne voit donc pas ce qui justifierait que l’un des deux consentements soit subordonné d’une quelconque manière à un autre : il est bien entendu qu’une clause compromissoire dans un traité constitue un consentement suffisant.

Lorsqu’il est exprimé dans une loi, le consentement doit néanmoins ne laisser la place à aucun doute dans sa formulation. Dans le cas contraire, un consentement exprès peut être requis sans quoi la compétence du tribunal devrait être rejetée : a priori, dans le cadre du CIRDI, aucune forme particulière autre que l’écrit n’est exigée si bien qu’un tel consentement pourrait être admis même s’il figurait dans un document d’information sur l’accueil des investissements étrangers ou encore sur un site Internet 272. Cette dernière remarque, assurément, a de quoi surprendre. Il est vrai que le droit de l’arbitrage est particulièrement peu formaliste, c’est même là son intérêt principal, et qu’il repose dans une très large mesure sur la volonté des parties. On ne manquera pas toutefois de remarquer au sujet d’une telle solu-tion qu’elle va sans doute assez loin en termes d’absence totale de formalisme. En assimilant une publication électronique à l’écrit exigé par la Convention de Wash-ington, cette sentence ne fait certes que s’adapter à l’époque, qui rendait une telle évolution inévitable. Mais admettre que la référence au CIRDI sur un site Internet ou un document de promotion constitue une acceptation de compétence relève sans doute d’une interprétation particulièrement large de la notion de consentement. On pourrait assurément arguer qu’une telle mention est sans doute de nature à faire naître des « attentes légitimes » chez des investisseurs étrangers et qu’elle pour-rait pour cette raison constituer un élément important dans leur choix d’investir sur le territoire de l’État considéré. Mais d’un autre côté, on pourrait juger qu’une telle mention dans des documents d’information ne traduit pas nécessairement la conscience des services de l’État d’assumer un engagement d’une telle ampleur. Sans aucun doute l’enjeu d’un document à destination des opérateurs économiques étrangers destiné à les attirer n’est pas le même que celui d’un traité de protection des investissements. Ce dernier vaut engagement juridique, pas le premier. Les préoccupations exprimées par l’un et par l’autre ne seront pas les mêmes : stric-tement juridiques pour le traité, elles viseront davantage à défendre une vision positive de l’État dans le cas d’un document d’information. En définitive, donc, c’est sans doute accorder beaucoup d’importance à des documents qui sont souvent marqués par une logique de « marketing » bien plus qu’une logique économique ou juridique. En tout état de cause, un consentement exprimé de cette manière devrait assurément l’être de manière très ferme et absolument dénuée de toute ambiguïté pour être valable en droit international. En l’espèce, il faut d’ailleurs préciser que le Tribunal n’a pas jugé le consentement de l’État constitué à travers ces documents promotionnels.

2. La compétence ratione personae : la question de la nationalité des sociétés

Au-delà du problème du consentement, un tribunal ne peut être compétent qu’à l’égard des personnes qui ont effectivement consenti à sa compétence et qui sont

272. CIRDI, PNG Sustainable Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle-Guinée, n° ARB/13/33, sentence, 5 mai 2015, § 369.

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couvertes par l’instrument juridique constituant l’engagement juridictionnel. La question se pose plus particulièrement au sujet des sociétés et de leur nationalité, qui ne va pas sans soulever des interrogations importantes en droit international. On sait en effet que l’article 25 de la Convention de Washington n’accepte les requêtes que lorsqu’elles sont présentées contre un État par le ressortissant d’un autre État. Dès lors, donc, que l’investissement est réalisé au terme d’une opération un tant soit peu complexe impliquant comme véhicule une société de la nationalité de l’État d’accueil, il se peut que cette condition ne soit pas jugée respectée. Or, la question de la nationalité des sociétés demeure essentiellement réglée par des normes de droit interne, si bien que les tribunaux arbitraux sont fréquemment amenés à faire application du droit national sur cette question, tout en rappelant qu’ils n’ont bien entendu pas vocation à se substituer aux autorités locales : le rôle d’un tribunal arbitral est de prendre acte de la nationalité d’une société en vertu des critères définis par le droit interne applicable 273. Une décision d’un tribunal à ce sujet est d’ailleurs d’une portée limitée : elle n’est valable qu’au titre de l’espèce dans le cadre de laquelle elle est dégagée et n’est pas en elle-même opposable aux autorités nationales 274. Il appartient alors aux arbitres d’appliquer dans ces limites les critères de nationalité prévus par le droit interne : il peut s’agir du critère du siège, comme en droit français 275 ou de celui de la propriété ou du contrôle, comme en droit vénézuélien 276. Dans la première hypothèse, la présence d’un siège en France doit s’analyser comme une présomption de nationalité française – qui dans l’affaire SCI de Gaëta était une condition sine qua non de la compétence personnelle du Tribunal – pouvant être renversée par des preuves contraires. En l’occurrence, l’absence d’assemblées générales régulièrement réunies en France, l’absence d’immeuble possédé par la société sur le territoire français et l’absence de toute présence en France en dehors d’un compte en banque, contrebalancée par une activité très intense et de multiples possessions sur le territoire de l’État d’accueil aura raison de la nationalité de la société requérante 277. Dans le même ordre d’idée, si le droit applicable reconnaît le critère du contrôle, alors le fait que la société requérante, malgré un siège à l’étranger, soit détenue exclusivement par des nationaux de l’État d’accueil s’oppose à la compétence du tribunal arbitral 278. Les investisseurs doivent donc être prudents notamment lorsqu’ils procèdent à des transferts d’actifs entre plusieurs structures de différentes nationalités : le risque est alors de transformer l’investissement protégé par le traité en investissement d’un État tiers, ce qui s’oppose à la compétence personnelle du tribunal arbitral 279.

3. La compétence ratione temporis : applicabilité temporelle du traité et compétence du tribunal dans le temps

La compétence temporelle des tribunaux arbitraux a pu soulever quelques difficultés par le passé, en raison d’une tendance à la confusion entre l’applicabi-lité dans le temps de l’instrument fondant la compétence des arbitres (traité, loi, contrat…) et la compétence temporelle. Il se peut que l’une et l’autre soient en effet dégroupées : saisi sur le fondement d’un traité, un tribunal peut en effet être

273. CIRDI, Société civile immobilière de Gaëta c. Guinée, n° ARB/12/36, sentence du 21 décembre 2015, § 135. Pour l’application du droit interne par les tribunaux arbitraux, voir infra, D.

274. Ibid., § 136. 275. Ibid., § 141.276. CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015, § 142. 277. Société civile immobilière de Gaëta c. Guinée, §§ 167-180. 278. Venoklim Holding BV c. Venezuela, §§ 144 et s.279. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company

c. Équateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, § 264.

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compétent pour appliquer autre chose que ce seul traité. Réciproquement, même si le traité n’est pas applicable ratione temporis à certaines questions, il se peut que la compétence des arbitres à leur égard soit établie sur un autre fondement. En d’autres termes, et même si l’une et l’autre coïncident dans la très grande majorité des cas, la compétence du tribunal dans le temps et l’applicabilité temporelle de l’instrument fondant cette compétence ne sont pas nécessairement liées 280.

On aurait pu craindre que la sentence Levy c. Pérou ait elle-même versé dans cette confusion, en jugeant que l’absence de compétence temporelle du Tribunal reposait sur le principe de non-rétroactivité des traités 281. Ce faisant, elle faisait reposer une conclusion relative à la compétence du Tribunal sur une règle rela-tive à l’applicabilité d’une norme. Néanmoins, un tel rapprochement se justifiait en l’espèce puisque la demande était effectivement fondée exclusivement sur la violation des dispositions du traité : « where the claim is founded upon an alleged breach of the Treaty’s substantive standards, a tribunal’s jurisdiction is limited to a dispute between the host state and a national or company which has acquired its protected investment before the alleged breach occurred » 282. Le lien se justifiait donc pleinement sur le plan juridique, mais la référence à la non-rétroactivité ne doit pas être mal interprétée : elle doit impérativement se lire en conjonction avec cette précision. En l’occurrence, la question de l’applicabilité du traité au différend étant déterminante, le Tribunal ne pouvait être compétent que si le traité était en vigueur au moment de la cristallisation de ce dernier. Le Tribunal a d’ailleurs pris soin en cette affaire de bien indiquer que la « date critique » – celle à laquelle le traité devait être en vigueur pour que le Tribunal soit compétent pour les réclamations sur son fondement – était constituée par le moment de la naissance du litige, qui peut être différent de celle des premiers actes litigieux 283. On aura bien entendu décelé l’ombre des Concessions Mavrommatis en Palestine derrière cette remarque : le Tribunal ne manquera d’ailleurs pas de citer cet illustre précédent en considérant que la date critique est caractérisée par la naissance du différend, au sens de cette définition classique. Cette remarque est importante car elle permet de justifier la compétence du Tribunal, via l’applicabilité du traité, pour des investissements ou même des actes litigieux antérieurs à son entrée en vigueur.

Cette affaire montre bien que le principe de non-rétroactivité n’est pas sans subtilité. De manière sans doute plus claire et incontestable, ce même principe implique en règle générale qu’un traité ne puisse être applicable à un investisse-ment qui n’existe plus au moment de son entrée en vigueur. Telle était la ques-tion soulevée dans l’affaire Al-Tamimi, impliquant un investissement sous la forme de deux contrats. L’un d’entre eux avait été dénoncé unilatéralement par l’État en juin 2008, alors même que le traité était entré en vigueur le 1er janvier 2009. Il apparaissait donc que le traité ne lui était pas applicable. Néanmoins, les arbitres jugèrent en cette affaire que les parties s’étaient comportées, à partir de juin 2008, exactement comme si le contrat était toujours en vigueur. Ce n’est qu’en février 2009 que l’État signifia au cocontractant, pour la seconde fois donc, que le contrat était rompu avec effet immédiat. Le Tribunal considéra donc que cette seconde date, postérieure à l’entrée en vigueur du traité, devait être considérée comme celle de la fin de l’investissement, permettant donc d’établir sa compétence

280. Sur cette question, voir notamment Jean matringe, « La compétence ratione temporis et l’appli-cabilité du traité dans le temps », in Charles LeBen (dir.), La procédure arbitrale relative aux investisse-ments internationaux : aspects récents, Paris, LGDJ/Anthémis, 2010, pp. 45 et s., et Arnaud de nanteuiL, « Application des traités dans le temps et compétence ratione temporis des tribunaux arbitraux », Gaz. Pal., 13 au 15 décembre 2009, pp. 33 et s. Voir également cette chronique, cet Annuaire, 2010, pp. 620 et s.

281. CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 147. 282. Ibid., § 146. 283. Ibid., § 167.

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temporelle 284. Sans doute eût-il été préférable, afin d’éviter le risque de confusion qui vient d’être évoqué, de préciser qu’une telle compétence était fondée pour ce qui était des réclamations tirées du traité et uniquement pour elles, sans quoi rien ne justifierait le lien entre applicabilité du TBI et compétence du Tribunal arbitral.

Le Tribunal en charge de l’affaire Ping An a d’ailleurs clairement conservé à l’esprit cette subtilité, en écartant des débats la question de la rétroactivité, qui effectivement n’était pas en cause : dans cette affaire, deux TBI successifs avaient été signés en 1986 et 2009, le second remplaçant le premier. Mais le traité de 1986 ne prévoyait de compétence du CIRDI que pour les réclamations liées à l’expro-priation, ce qui n’était pas le cas de celles en cause en l’espèce, alors que la clause compromissoire du texte de 2009 incluait l’ensemble des demandes possibles. Le requérant entendait donc saisir le Tribunal arbitral sur le fondement du traité de 2009, mais pour des comportements antérieurs à cette date. L’investisseur esti-mait donc que ces faits étaient contraires au traité de 1986, tout en fondant la compétence des arbitres sur le traité de 2009 285. Tout pourrait porter à croire qu’il s’agissait alors d’un problème de rétroactivité du second traité. Mais en écar-tant ce concept, le Tribunal arbitral fit acte de rigueur, ce qu’il faut saluer 286. La rétroactivité eut en effet été pertinente s’il avait été question d’appliquer le traité de 2009 à des faits antérieurs. Mais la seule disposition de ce second traité invoquée par le requérant était en réalité la clause compromissoire : il n’était pas question d’appliquer les dispositions substantielles du traité de 2009 à des faits survenus avant son entrée en vigueur. L’établissement de la compétence du Tribunal sur le fondement de la clause devait donc se faire à la date de l’examen, soit à un moment par définition postérieur à l’entrée en vigueur du traité de 2009. Il n’était donc pas question de rétroactivité, et c’est à raison que le Tribunal aura écarté le concept. Le problème était en réalité un problème d’interprétation de la clause compromissoire du traité, afin de déterminer si ses rédacteurs avaient entendu y inclure les litiges portant sur des faits contraires au traité de 1986, qui ne pouvaient pas être soumis à l’arbitrage en vertu de celui-ci en raison de la rédaction étroite de sa propre clause juridictionnelle. En jugeant le contraire, et en écartant donc leur compétence, les arbitres n’ont rien fait d’autre qu’interpréter le traité sur le fondement duquel ils étaient saisis : cette décision soulève donc sur ce point des questions relatives à l’interprétation des traités – en l’occurrence d’interprétation du consentement – plus qu’à leur application dans le temps. L’incompétence n’est donc pas seulement ratione remporis, elle est aussi – et peut être surtout – ratione voluntatis.

C. Incidents de procédure

La compétence du tribunal arbitral a beau être établie sur les fondements classiques du droit du contentieux, il se peut que l’instance soit émaillée d’obstacles l’empêchant de se poursuivre régulièrement. Ces obstacles peuvent être liés au comportement de la partie demanderesse (1) mais aussi à la question de la bifur-cation entre différentes phases de l’instance (2), à celle de l’intervention de tiers à l’instance (3) ou encore à une demande de prononcé de mesures provisoires (4).

284. CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence, 3 novembre 2015, spéc. §§ 292-293.

285. CIRDI, Ping An Life Insurance Company of China c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015, §§ 203 et s. Voir également supra.

286. Ibid., § 218.

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1. La question de l’abus de procédure

La question des « mains propres » n’a jamais reçu une réponse univoque en droit international, tant elle est contestée dans son principe même. Mais elle réapparaît régulièrement dans l’arbitrage transnational, le plus souvent sous la forme de l’« abus » d’un requérant empêchant le tribunal de statuer sur la demande qui lui est soumise 287. C’est exactement de cette manière que la question a été abordée dans l’affaire Renée Rose Levy c. Pérou, mais dans laquelle le Tribunal n’a pas tranché le point de savoir si l’abus du demandeur devait être sanctionné au stade de la compétence ou de la recevabilité 288. Le problème de l’abus, ici, était strictement indépendant de celui de la légalité de l’investissement à laquelle il est parfois rattaché 289. La requérante avait en effet acquis une société de droit péruvien dont elle estimait que les droits avaient été bafoués. Le différend était né en 2007 et Mme Lévy, de nationalité française, entendait prouver qu’elle avait acquis la société porteuse de l’investissement avant cette date – qui était en l’espèce matérialisée par la publication d’une résolution par une municipalité péruvienne. Cette preuve était indispensable à l’établissement de la compétence temporelle du Tribunal, dans la mesure où la société en question était de nationalité péruvienne et ne pouvait donc comme telle présenter une requête arbitrale. Mais cette compétence se heurtait en réalité à une double difficulté, qui était en même temps révélatrice de l’abus de la demanderesse : d’une part, celle-ci estimait posséder la société depuis 2005, mais il fut établi que les documents présentés au soutien de cette prétention étaient en réalité antidatés 290 ; d’autre part, il fut prouvé que la société avait été acquise avant la survenance du différend, mais à peine quelques jours avant et alors que la requérante ne pouvait pas ignorer la publication imminente de la résolution consti-tuant l’acte de naissance du litige 291. Sur ce dernier point, le Tribunal n’aura pas manqué de prendre soin de rappeler que le seul fait de réorganiser une société aux fins de bénéficier d’un traité d’investissement n’est pas en soi prohibé par le droit international 292. Mais une telle manœuvre à quelques jours d’un différend dont la survenance imminente est connue constitue, aux yeux des arbitres, un abus 293.

Sans aucun doute, le fait que des documents antidatés lui aient été présentés aura pesé dans le choix du tribunal 294. On peut également comprendre qu’une restructuration précipitée dans des circonstances telles que celles de l’espèce, alors que la naissance du litige était une simple question de jours, constitue un « abus » du système. Sans doute une telle conclusion est-elle également à mettre en lien avec l’obligation générale de bonne foi procédurale parfois rappelée par les tribunaux arbitraux 295. L’abus est en effet fort utile lorsqu’il s’agit de caractériser l’illicéité de la conduite d’un sujet qui exerce un droit qu’il détient pourtant et dont l’exercice n’est en principe aucunement illégal. L’abus permet alors d’introduire l’illicite là où en principe il ne figure pas. En rappelant qu’une restructuration n’est pas en soi

287. Il se peut aussi que la théorie des mains propres, sans être mentionnée comme telle, soit évoquée en référence à un principe général de bonne foi procédurale, ce qui est plutôt cohérent avec son traitement juridique sous l’angle de l’abus. Voir CIRDI, Hassan Awdi, e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015, § 212.

288. CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 181. 289. Voir cette chronique, cet Annuaire, 2014, pp. 603-604.290. Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, §§ 153 et s.291. Ibid., §§ 188, 189. 292. Voir, à ce sujet, Stephen JaguSch, Anthony SincLair et Manthi wickramaSOOriya, « Restruc-

turing Investments to Achieve Investment Treaty Protection », in Meg kinnear et al. (eds.), Building International Investment Law. The first 50 years of ICSID, La Haye, Kluwer, 2015, pp. 175-190.

293. Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, § 191. 294. Voir particulièrement le paragraphe 194.295. CIRDI, Hassan Awdi, e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015, § 212.

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interdite sauf à ce qu’elle soit précisément abusive, le tribunal arbitral se plaçait bien sur ce terrain. Il s’exposait alors néanmoins à la critique qui peut être adressée à l’abus en général, lequel revient à introduire une dose sérieuse de subjectivité dans l’examen de la licéité du comportement d’un sujet. Lorsqu’il est encadré par des conditions – comme c’est le cas du droit de saisir un tribunal arbitral – l’exercice d’un droit ne peut être que légal s’il respecte ces conditions et illégal dans le cas inverse. L’abus vient briser le manichéisme que l’on rencontre souvent en droit – un comportement est conforme ou contraire à la règle – en ouvrant la possibilité que l’exercice d’un droit dans le respect des conditions prévues pour cela soit, malgré tout, illégal. Cela ouvre donc des perspectives un peu dangereuses puisque les conditions posées à l’exercice du droit ne sont plus les seules garanties de la légalité de cet exercice. La question de savoir ce qui permet de dire que l’exercice est abusif est alors particulièrement délicate et semble conférer au juge un pouvoir excessif 296. Ces critiques sont classiques mais elles n’en sont pas moins pertinentes. Sans doute amènent-elles en réalité à s’interroger sur la question de savoir s’il faut persister à voir dans la restructuration d’entreprise aux fins de bénéficier d’un traité un « droit » qui doit être garanti et dont seul l’abus serait sanctionné : poser des conditions à ce type de pratique, courante dans la vie des affaires, permettrait sans doute de garantir ce droit des investisseurs tout en assortissant son exercice d’une certaine sécurité juridique. Mais continuer à ne voir dans ces pratiques rien d’autre que de l’optimisation pourrait conduire à terme à protéger des pratiques répréhensibles, en cette matière comme en d’autres.

2. La question de la bifurcation

La question de la bifurcation est rarement abordée dans cette chronique 297, parce qu’elle ne fait pas toujours l’objet de développements intéressants de la part des tribunaux. La bifurcation désigne en effet la séparation et le traitement successif entre les différentes phases de l’instance – compétence, fond, indemni-sation – ou plus généralement le simple fait de traiter à part une question parti-culière. Il se peut qu’elle ne soit pas adoptée par le tribunal, qui décide de traiter ensemble toutes ces questions. Mais lorsqu’elle est accordée, elle l’est rarement sur le fondement d’explications détaillées : tout porterait à croire qu’il ne s’agit que d’une mesure d’administration de l’instance sans grande conséquence pour les parties. Mais une telle conclusion serait bien entendu hâtive : traiter séparément la compétence et le fond, par exemple, signifie le doublement de l’ensemble des aspects de la procédure (échanges d’écritures, phase orale, mémoire post-audiences, etc.) et donc autant d’augmentation de la durée et du coût de l’instance. La question de la bifurcation peut donc s’avérer hautement sensible, et mérite en certaines hypothèses un examen attentif de la part des arbitres. La bifurcation, en règle générale, est accordée lorsque les différentes questions de compétence, de fond ou de réparation soulèvent chacune suffisamment de difficultés pour nécessiter d’être traitées séparément. Cela suppose donc d’établir cette nécessité, ce qui fait peser sur les parties une « charge de persuasion », moins lourde que la charge de la

296. Les tenants de la théorie de l’abus de droit expliquent alors généralement que l’abus se définit comme l’exercice d’un droit dans un but autre que celui pour lequel il a été assigné à son détenteur. Le Dictionnaire de droit international public dirigé par Jean SALMON définit ainsi l’abus de droit comme l’« [e]xercice par un État d’un droit, d’un pouvoir ou d’une compétence d’une manière ou dans un but qui ne correspondent pas aux finalités de ce droit, de ce pouvoir ou de cette compétence, par exemple dans le but d’échapper à une obligation internationale ou d’obtenir un avantage indu ». C’est donc la finalité poursuivie qui serait le critère essentiel, ce qui ne règle qu’une partie du problème car il est alors nécessaire d’établir quel est le but poursuivi par celui qui exerce un droit, ce qui n’est pas une mince affaire.

297. Voir néanmoins cet Annuaire, 2013, p. 468.

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preuve qui pèse sur les plaideurs au moment de l’examen véritable de leurs posi-tions : il s’agit donc plus simplement d’établir prima facie les éléments en faveur de la bifurcation 298. Le tribunal doit ensuite fonder sa décision d’accorder ou non la bifurcation au regard du double besoin d’efficacité du règlement du litige et de réduction des difficultés posées aux arbitres 299. Il se peut aussi que la bifurcation soit accordée dès lors que l’une des parties avance au soutien de sa prétention des arguments suffisamment complexes pour justifier, aux yeux du tribunal, la nécessité d’un examen à part 300. À l’inverse, il est possible que l’examen de la compétence ne puisse se faire sans un empiètement sur les questions de fond : une telle hypothèse entraînerait assurément un refus de la bifurcation pour des raisons évidentes d’intégrité de la procédure 301. En outre, la bifurcation entraînant un alourdissement de l’instance, il importe de se livrer à une forme de bilan coûts/avantages : si celui-ci est défavorable, il se peut que la bifurcation soit refusée. Un tribunal doit en effet bien peser les raisons le poussant à prendre une décision qui n’est pas anodine pour les parties et la séparation des questions doit être pleine-ment justifiée sur le plan objectif compte tenu des conséquences qu’elle emporte 302.

Il faut d’ailleurs souligner d’une manière générale la très grande latitude dont jouissent les arbitres pour traiter cette question. Il est ainsi possible d’isoler une question des autres, sans qu’il s’agisse nécessairement de compétence, de fond ou de réparation, si elle soulève des difficultés particulières : ainsi par exemple du problème de la falsification de certains documents par l’investisseur, dont l’impor-tance est telle pour la suite du litige qu’un tribunal peut décider de l’examiner isolément 303. Il en va de même de la question des coûts, qui peut soulever des difficultés suffisamment importantes pour faire l’objet d’une analyse à part, surtout lorsque les sommes en jeu sont élevées 304. Mais il faut voir également que la déci-sion de bifurquer est elle-même un facteur d’accroissement des coûts si bien que le tribunal peut être amené à en tenir compte dans la répartition de ces derniers 305.

3. Les tierces interventions

Les règlements d’arbitrage prévoient généralement la possibilité pour les arbitres d’accepter l’intervention d’une tierce partie, lorsqu’une telle intervention est de nature à leur prêter assistance dans le traitement de questions particulière-ment délicates. Dans le cadre du CIRDI, la possibilité pour les tiers de soumettre des propositions d’intervention a été interprétée, de manière assez peu contestable,

298. CIRDI, Churchill Mining PLC and Planet Mining Pty Ltd c. Indonésie, n° ARB/12/14 et 12/40, ordonnance procédurale n° 15, 12 janvier 2015, § 25.

299. Ibid., §§ 26-27. 300. CIRDI, Menzies Middle East and Africa SA et Aviation Handling Services International Ltd. c.

Sénégal, ARB/15/21, ordonnance procédurale n° 2, 2 décembre 2015, § 111. 301. CIRDI, Société civile immobilière de Gaëta c. Guinée, n° ARB/12/36, sentence du 21 décembre

2015, § 97. 302. CIRDI, United Utilities (Tallinn) BV et Aktsiaselts Tallinna Vesi c. Estonie, n° ARB/14/24,

ordonnance procédurale n° 2, 17 juin 2015, not. § 29. 303. Dans l’ordonnance n° 15 dans l’affaire Churchill Mining PLC and Planet Mining Pty Ltd c.

Indonésie, le Tribunal a ainsi confirmé la bifurcation de l’analyse de la question de la falsification de documents invoqués à titre de preuve par le demandeur.

304. Voir CPA (CNUDCI), Detroit International Bridge Company c. Canada, n° 2012-25, sentence sur les coûts, 17 août 2015.

305. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence, 25 novembre 2015, § 235. En l’occur-rence, le Tribunal a jugé que l’accroissement des coûts lié à la bifurcation justifiait que les parties les assument à égalité. Toute autre répartition aurait sans doute fait peser un poids excessif sur l’une des deux parties au regard de l’importance du montant total en jeu.

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comme une possibilité d’envoyer des mémoires d’amici curiae 306. La marge d’appré-ciation du tribunal est alors pratiquement absolue et il importe d’insister sur le fait que le tiers intervenant ne doit certainement pas être considéré comme une partie mais doit demeurer en tout état de cause extérieur à l’instance 307. Il faut en outre noter que la pratique des tribunaux semble avoir fait émerger quelques critères objectifs d’acceptation des soumissions d’amici curiae, même si la liberté des arbitres demeure le principe. Deux critères essentiels semblent ainsi mis en avant : d’une part, le caractère utile de l’intervention, qui dépend en grande partie des qualités intrinsèques du soumissionnaire ; d’autre part, l’enjeu d’intérêt général sous-tendu ou non par l’affaire, qui s’accompagne d’une exigence plus ou moins grande de transparence. Ces deux critères ont été, en tout cas, déterminants dans l’affaire Phillip Morris c. Uruguay dont les médias du monde entier se sont fait l’écho. Le producteur de tabac ayant attaqué une réglementation sanitaire sur le fondement d’un TBI, l’affaire a de nouveau mis sur le devant de la scène la question de l’articulation entre protection des investissements et réglementation dans le sens de l’intérêt général. Le Tribunal a donc considéré que l’enjeu d’intérêt public était tel qu’il nécessitait la plus grande transparence. Ayant en outre reçu des demandes d’intervention de la part de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Organisation panaméricaine de la santé, il n’aura pas eu de mal à considérer que les demandes émanaient d’organismes dont la compétence était réputée et que leur intervention pourrait assurément s’avérer fort utile 308. L’une et l’autre ont donc été admises.

4. Le prononcé de mesures conservatoires

À l’instar de toute juridiction, un tribunal arbitral dispose systématiquement du pouvoir de prononcer des mesures provisoires, en vertu du règlement de procé-dure qui lui est applicable 309. Les conditions à réunir pour prononcer des mesures de cette nature sont alors généralement prévues par les textes applicables, mais certaines interprétations récentes ont permis d’en éclairer la signification. L’on sait ainsi que le pouvoir d’ordonner des mesures provisoires suppose que la compétence du tribunal soit établie prima facie, c’est-à-dire qu’aucun obstacle évident à l’exer-cice de sa juridiction n’apparaisse au grand jour 310. Sans doute est-il également nécessaire, sans préjuger du fond, que la demande apparaisse crédible de prime abord 311. En revanche, une demande de mesures conservatoires doit être rédigée de manière suffisamment précise : ainsi une demande tendant à faire prononcer contre l’État une interdiction de toute mesure « de nature à aggraver le différend » est beaucoup trop large et imprécise pour qu’il puisse y être donné suite 312. Sur ce dernier point, peut-être pourrait-on considérer que l’obligation de ne pas aggraver le dommage constitue un principe général du droit de la responsabilité, dont la réaffirmation dans une mesure provisoire serait tout simplement sans intérêt sur

306. CIRDI, Philip Morris Brand SARL, e.a. c. Uruguay, n° ARB/10/7, ordonnance procédurale n° 3, 17 février 2015, § 21. Voir cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 718 et s. ; 2011, p. 587 ; 2012, p. 649 ; 2013, pp. 480 et s.

307. Ibid., § 22. 308. Ibid., § 28. Pour l’Organisation panaméricaine de la santé : même affaire, ordonnance procé-

durale n° 4, 24 mars 2015.309. Voir cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 712 et s. ; 2011, pp. 582 et s. ; 2014, pp. 609 et s.310. CIRDI, PNG Sustainable Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle Guinée, n° ARB/13/13,

décision sur la demande de mesures provisoires, 21 janvier 2015, §§ 118 et s. Également CIRDI, EuroGas Inc. et Belmont Resources Inc. c. Slovaquie, n° ARB/14/14, ordonnance procédurale n° 3 sur la demande de mesures provisoires, 23 juin 2015, §§ 71 et s.

311. PNG Sustainable Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle Guinée, § 120. 312. Ibid., §§ 148 et s.

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le plan juridique 313. Sur le fond, les conditions d’urgence et de nécessité sont clas-siques mais appréciées assez strictement par les tribunaux arbitraux. Cette rigueur s’explique assez aisément par le fait qu’à ce stade de l’instance, la compétence n’est établie que provisoirement et rien n’exclut qu’en définitive le tribunal se juge incompétent 314. Il est donc compréhensible que les mesures de cette nature ne soient octroyées que de manière exceptionnelle. C’est le cas, en particulier, d’une constitution de réserve des coûts (security for costs), qui ne peut être octroyée que de manière tout à fait exceptionnelle : l’une des rares hypothèses d’octroi d’une mesure de cette nature concernait une partie insolvable, financée par un tiers, et qui avait par le passé fait preuve d’une très nette mauvaise volonté à acquitter le paiement de ses dettes 315.

De même, les arbitres prennent particulièrement soin de ne pas dénaturer les mesures provisoires, comme ils peuvent y être incités par les parties : ainsi dans l’affaire Niko c. Bangladesh, la requérante réclamait le prononcé d’une mesure de security for cost afin de garantir le paiement effectif d’une somme due en vertu d’un accord entre les parties. De son point de vue, il s’agissait de mesures provisoires qui devaient être prononcées dès lors que les conditions d’urgence et de nécessité étaient réunies. Cette argumentation ne fut, toutefois, pas retenue : le Tribunal considéra en effet que l’objet de la demande n’avait rien de conservatoire. Il s’agissait bien au contraire de faire exécuter une obligation qui avait été affirmée par le passé et sur laquelle aucune menace particulière ne pesait : la question relevait donc en réalité du fond et non pas des exceptions préliminaires. Puisqu’il ne s’agissait pas d’une demande de mesures conservatoires, il n’y avait donc pas lieu d’examiner les conditions à remplir pour de telles mesures 316. C’est ici une intéressante illus-tration d’une tentative de dénaturation face à laquelle la réaction du Tribunal doit être saluée. Mais il se peut aussi que les arbitres ne fassent pas grand cas des mesures provisoires : ainsi le Tribunal en charge de l’affaire Quiborax n’a-t-il tiré aucune conséquence de la violation de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires, ce qui est tout à fait regrettable 317. Une telle décision revient en effet à remettre en cause la raison d’être fondamentale de ces mesures et il faut souhaiter qu’il ne s’agisse là que d’un cas isolé.

D. Droit applicable : la question du droit interne

La question du droit applicable au litige peut soulever des difficultés d’une grande complexité, surtout lorsque ce droit implique des éléments tirés du système juridique interne de l’un des États en lien avec le contentieux 318. Cette application s’impose d’évidence en certaines hypothèses, notamment lorsqu’il s’agit de vérifier

313. On doit néanmoins préciser que l’atténuation du dommage est généralement présentée comme une obligation de la victime, dont il n’est pas certain qu’il s’agisse d’ailleurs d’une stricte obligation juri-dique. Voir le commentaire de l’article 31 des Articles de la CDI in James CRAWFORD, Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, Paris, Pedone, 2003, p. 246. En revanche, du côté de l’État respon-sable, l’obligation de ne pas aggraver le dommage causé pourrait être rattachée à la fois au maintien de l’obligation de respecter l’engagement violé (article 29) et à l’obligation de cessation de l’illicite (article 30).

314. C’est ce qui s’était passé dans l’affaire PNG Sustainable Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle Guinée : après avoir prononcé des mesures provisoires dans sa décision du 21 janvier 2015, le Tribunal se déclara incompétent dans une sentence du 5 mai 2015.

315. EuroGas Inc. et Belmont Resources Inc. c. Slovaquie, § 122. 316. CIRDI, Niko Ressources Bangladesh Ltd. c. Bangladesh Petroleum Exploration and Production

Company Limited et Bangladesh Oil Gas and Mineral Corporation, n° ARB/10/11 et ARB/10/18, décision sur la mise en œuvre de la décision sur la demande de paiement, 14 septembre 2015, spé. § 70.

317. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, §§ 576 et s. Voir supra, II, B, 2.

318. Voir notamment cette chronique, cet Annuaire, 2014, pp. 573 et s.

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la légalité interne de l’opération d’investissement 319. Dans ce dernier cas, il importe alors d’articuler cette question avec celle de l’existence de l’investissement : la léga-lité s’apprécie au regard du droit national, mais l’existence de l’investissement doit être analysée à la lumière des critères fixés par le droit international, à commencer par le traité de protection s’il en est un 320. Néanmoins les deux questions peuvent être étroitement liées : l’existence de l’investissement au sens du droit interna-tional peut supposer l’existence d’une société, question qui ne peut être réglée que par référence au droit de l’État d’accueil relatif aux conditions de formation des sociétés commerciales 321.

Mais il se peut aussi que l’applicabilité du droit local ne soit pas expressément prévue : un tribunal peut alors décider de s’y référer s’il y a pour lui une nécessité à le faire dans l’examen du respect des normes internationales. Il se peut ainsi que la violation des lois internes par l’État constitue un élément déterminant pour identifier une violation du traitement juste et équitable ou de l’obligation de respect des engagements 322. À l’inverse, il est possible que le respect du droit interne constitue un élément essentiel pour confirmer la licéité internationale du comportement de l’État : ainsi l’invocation de l’état de nécessité (au sens du droit international) par un gouvernement pouvait-elle trouver une oreille attentive chez les arbitres lorsqu’une situation d’état d’urgence était décrétée en droit interne, en conformité avec les procédures et règles prévues par le droit national 323. Dans cette affaire toutefois, l’absence d’état d’urgence en droit interne aura constitué un élément important pour les arbitres dans leur rejet de l’argument de nécessité par l’État défendeur. En pareille hypothèse, le traité joue alors pleinement son rôle de « traité parapluie », qui vient conférer aux engagements internes (pris par l’État dans ses propres lois) une dimension internationale, puisque c’est en droit international que les conséquences de leur respect ou de leur violation sont tirées. On doit simplement constater que cet effet du traité est à double sens : via le traité, la violation du droit interne peut être qualifiée d’acte internationalement illicite mais il est aussi possible qu’à l’inverse un acte conforme au droit interne soit jugé, pour cette raison, conforme au droit international.

La question qui se pose alors, qui est au reste la même qu’au sujet des contract et treaty claims, est bien entendu celle de la compétence 324 : à quel titre l’arbitre international saisi sur le fondement d’un traité pourrait-il connaître du droit interne dans les mêmes conditions que le juge national, auquel il est nécessaire-ment amené à se substituer en partie ? La réponse n’est pas si simple. Quand bien même le traité prévoirait explicitement une obligation pour l’État de respecter le droit interne (soit de manière générale, soit dans le cadre de l’expropriation par exemple), il n’est pas certain que cela soit suffisant pour fonder la compétence du tribunal arbitral. La chose, en réalité, est rendue possible par la distinction entre l’instrument fondant la compétence et le droit applicable. Comme il a été rappelé au sujet de la compétence temporelle, l’un et l’autre ne coïncident pas nécessai-

319. CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015, §§ 380 et s. Voir également pour un pur raisonnement de droit national destiné à établir la légalité interne de l’investissement, CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence, 3 novembre 2015, §§ 299 et s.

320. CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyonkezelö Zrt c. Hongrie, n° ARB/12/3, sentence du 17 avril 2015, § 75.

321. CIRDI, Grupo Fransisco Hernando Contreras SL c. Guinée équatoriale, n° ARB(AF)/12/2, sentence sur la compétence, 4 décembre 2015, §§ 171 et s., §§ 209 et s.

322. CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 513 et s. et §§ 590 et s.

323. CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence, 28 juillet 2015, § 624. 324. Pour un refus d’exercice de la compétence pour les réclamations purement contractuelles, voir

Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, § 363.

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rement. Ainsi que l’indiquait le Tribunal arbitral dans l’affaire Mamidoil : « the applicability of a rule as a matter of substance is distinct from the issue of whether an international treaty can, in a given case, be the basis for a claim and establish a respondent State’s consent to arbitration » 325. En l’occurrence il n’était pas ques-tion de droit interne, mais du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE), invoqué par l’investisseur au titre du droit applicable au fond alors qu’il avait saisi le tribunal sur le fondement d’un TBI. Les arbitres, en l’espèce, acceptèrent l’applicabilité partielle du TCE au regard de l’accord des parties à ce sujet 326. Partant, un tribunal arbitral saisi sur le fondement d’un traité peut être amené à appliquer d’autres normes que celles tirées de ce dernier, et rien ne s’oppose à ce que certaines de ces normes soient, précisément, issues du droit national.

Mais il est également possible que l’instrument fondant la compétence du tribunal prévoie expressément l’applicabilité du droit interne, à laquelle les arbitres doivent alors se résoudre, comme c’est l’usage dans l’arbitrage commercial. On doit d’ailleurs constater que certaines instances, même devant le CIRDI, présentent une évidente proximité avec certaines affaires privées, dès lors qu’il s’agit d’un contentieux contractuel impliquant non pas l’État lui-même mais une personne de droit public chargée d’une mission de nature commerciale. En pareille hypo-thèse, la présence d’un sujet de droit public permet la compétence du CIRDI mais il est alors possible que le droit interne soit désigné comme le droit applicable par le contrat et que le droit international n’ait qu’un rôle très marginal à jouer 327. C’est là un rappel, certainement pas inutile, du fait que l’arbitrage d’investisse-ment est certes fermement ancré dans le droit international (public) mais qu’il est aussi l’héritier plus ou moins direct des techniques d’arbitrage développées entre personnes privées. Cela étant dit, on ne peut manquer de constater dans l’appli-cation du droit national une certaine disparité des pratiques, suivant la plus ou moins grande familiarité que les membres du tribunal entretiennent avec le droit en question. Certains d’entre eux déploient ainsi d’importants efforts afin de percevoir les subtilités du droit interne pour évaluer la licéité du comportement de l’État à sa lumière 328. C’est particulièrement vrai lorsque les questions soulevées impliquent des problèmes de hiérarchie des normes et d’application dans le temps des révisions constitutionnelles impliquant pour les arbitres, à leur corps défendant, de se glisser dans les vêtements du juge interne 329. Mais il peut en aller de même lorsqu’il s’agit de déterminer la nationalité du requérant, qui ne peut pas toujours être confirmée par un simple examen prima facie : en pareil cas il est indispensable de revenir aux textes du droit national et d’en faire purement et simplement application 330. Il importe en outre de préciser que l’application du droit interne par renvoi du droit international suppose de trancher la délicate (et ancienne) question de l’articulation des normes tirées de l’un et l’autre des deux systèmes juridiques – problème bien

325. Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, § 275. 326. Ibid., § 278. 327. CIRDI, Pluspetrol Perú Corporation and others c. Perupetro SA, n° ARB/12/28, sentence du 21 mai

2015, § 114. C’est là toutefois une hypothèse assez exceptionnelle dans l’arbitrage d’investissement. En règle générale, l’application du droit interne n’est pertinente que pour certaines questions, notamment de nature contractuelle, mais n’est certainement pas exclusive de celle du droit international ; voir CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015, § 153 pour une application du droit national à une question particulière de transfert d’action effectivement soumise à ce droit, dans le cadre d’un contentieux par ailleurs soumis essentiellement au droit international.

328. Voir par exemple CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc., e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015, §§ 297 et s. Voir en particulier les paragraphes 309 et s. pour déterminer si l’expropriation est caractérisée au sens du droit mongol.

329. CIRDI, Perenco Ecuador Limited c. Équateur, n° ARB/08/6, décision intermédiaire sur la demande reconventionnelle relative à l’environnement, 11 août 2015, §§ 319 et s.

330. Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, §§ 270 et s.

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connu dans le cadre de l’article 42 de la Convention de Washington 331. La solution la plus simple, en l’absence d’indication dans les instruments applicables, est alors sans doute de retenir une application « thématique », à savoir d’appliquer aux différentes questions le droit le plus pertinent : ainsi la légalité de l’investissement peut-elle être traitée au regard du droit interne mais la question des conséquences de la responsabilité de l’État pour violation du droit international ne peut qu’être analysée à la lumière de ce dernier 332.

Quel que soit le fondement de l’application du droit interne, néanmoins, il faut souligner de la part des arbitres une certaine déférence vis-à-vis des normes nationales, qui sans doute masque parfois un certain malaise dès lors qu’il s’agit d’appliquer des règles d’un système juridique qui leur est pleinement étranger. Il en va singulièrement ainsi lorsqu’il s’agit d’appliquer ou de tirer les conséquences de décisions des juridictions internes 333. Les tribunaux arbitraux en particulier réaffirment très fermement l’idée suivant laquelle ils ne sont pas des organes d’appel ou de cassation des décisions adoptées par les juridictions suprêmes des États, dont ils ne peuvent connaître que dans des circonstances exceptionnelles liées à l’existence d’un déni de justice 334. Au-delà de cette posture de principe, les tribunaux n’hésitent pas néanmoins à engager la responsabilité des États pour des actes imputables à leurs juridictions dès lors que ces actes constituent une violation des standards de protection prévus par le droit international applicable : il se peut même qu’un tribunal arbitral considère que la mauvaise application de la loi interne par un juge national constitue une violation du traitement juste et équitable 335. En pareille hypothèse, si l’arbitre international n’est pas un juge d’appel des juridictions nationales, il y ressemble tout de même, et plus qu’un peu.

E. Répartition des coûts

L’allocation des coûts de procédure et des frais de représentation des parties n’est pas anodine dans le contentieux transnational. On sait en effet que les sommes en jeu peuvent être importantes et il est désormais acquis que la répartition de la charge constitue pour les arbitres un levier régulièrement activé pour tirer les conséquences du comportement global des parties pendant la procédure. La marge d’appréciation des tribunaux à ce sujet est régulièrement soulignée 336, même si c’est parfois pour justifier une certaine incertitude dans la pratique à ce sujet 337. Cette liberté d’action entraîne parfois des dérives étonnantes, à l’instar de ce tribunal ayant décidé de partager les coûts à égalité, jugeant qu’il était « juste » de procéder ainsi 338. Il est vrai qu’en l’espèce un tel partage ne soulevait pas de contestation

331. Sur cette question, au sein d’une foisonnante littérature, voir notamment Michael reiSman et Mahnoush arSanJani, « Applicable Law under the ICSID Convention : The Tortured History of the Interpretation of Article 42 », in Meg kinnear et al. (eds.), Building International Investment Law. The first 50 years of ICSID, op. cit., pp. 3-11.

332. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, §§ 91, 142 et s. et 520 et s.

333. CIRDI, Hassan Awdi, e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015, §§ 326-327. 334. Ibid. § 436 ; voir également Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie,

§ 764 ou CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, § 535. 335. CIRDI, Dan Cake SA c. Hongrie, n° ARB/12/9, décision sur la compétence et la responsabilité,

24 août 2015, spé. §§ 127, 136, 141-142. 336. CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du

16 septembre 2015, § 301 ; CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 963 et s. Voir aussi cette chronique, cet Annuaire, 2014, p. 608, note 339.

337. CIRDI, Guardian Fiduciary Trust Ltd c. Macédoine, n° ARB/12/31, sentence du22 septembre 2015, § 149.

338. Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, § 625.

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particulière, mais il est toujours préférable de proposer au moins un commencement de fondement juridique pour éviter de laisser penser que la décision n’est prise qu’en pure équité. Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui largement confirmé que la marge de manœuvre reconnue aux tribunaux leur permet d’introduire toutes sortes de paramètres dans la détermination de l’allocation des coûts. Suivant un principe assez largement partagé, c’est au perdant qu’il revient d’assumer les frais de procédure (costs follow the event) 339, mais plusieurs paramètres viennent en nuancer l’application. Notamment, si l’une des parties a succombé mais seulement partiellement, il n’est pas rare qu’elle n’ait à assumer qu’une partie de la totalité des coûts de procédure 340, voire que les coûts soient partagés si chaque partie avait partiellement raison 341. Il se peut aussi que la particulière gravité des violations reprochées à l’État conduise à faire peser sur lui la totalité non seulement des coûts de procédure mais également des frais de représentation de l’investisseur 342. De la même manière, l’usage d’un mécanisme à des fins purement dilatoires peut être sanctionné à ce stade de la procédure : ainsi la demande de révision déposée par le Venezuela dans l’affaire Venezuela Holdings ayant été jugée sans autre but que de retarder encore un peu les possibilités d’exécution de la sentence au fond, c’est sur l’État qu’il a été décidé de faire peser la totalité des montants impliqués par la procédure 343. Dans la même veine, il est certain que l’abus de procédure, lorsqu’il est constaté, entraîne des conséquences sur l’allocation des coûts 344. Enfin, des complexités inhérentes à certaines affaires peuvent entrer en ligne de compte, puisqu’elles ont pour effet d’allonger l’instance et donc d’en accroître le prix pour les parties. Ainsi pour justifier un partage à égalité, le Tribunal dans l’affaire Electrabel a constaté que la bifurcation avait eu des effets sur le coût total de la procédure, qu’il n’appartenait pas à une partie de supporter plus qu’une autre. Mais c’est surtout l’intervention de la Commission européenne qui, dans cette affaire, aura été pour le Tribunal « a hugely complicating factor » dont les parties se devaient de partager les conséquences financières 345. Cette dernière remarque montre bien, au reste, comment la question des coûts, qui est en apparence une simple question administrative, est souvent l’occasion pour les tribunaux de tenir compte d’éléments périphériques à l’instance ou de se fendre comme ici d’une critique en règle – au surplus assez transparente – d’une institution désireuse de défendre ses préroga-tives et d’empiéter d’autant sur celles des arbitres.

339. CIRDI, Hassan Awdi, e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015, § 529 ; CPA (CNUDCI), Khan Resources Inc. e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015, §§ 431 et s. Il se peut aussi que le principe ne soit pas ouvertement mentionné mais qu’il soit tout de même appliqué : Comité ad hoc CIRDI, Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision sur la demande d’annulation, 14 juillet 2015, §§ 199 et s., ou encore CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, n° ARB/11/33, sentence, 3 novembre 2015, §§ 480 et s.

340. Comité ad hoc CIRDI, Tza Yap Shum c. Pérou, n° ARB/07/6, décision sur la demande d’annu-lation, 12 février 2015.

341. CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, § 212.342. CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence, 28 juillet 2015, §§ 986

et s., spé. § 1007. 343. CIRDI, Venezuela Holdings, BV, e.a. c. Venezuela, n° ARB/07/27, décision sur la demande de

révision, 12 juin 2015, §§ 4.16-4.17. 344. CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015,

§§ 201-202. L’abus de procédure de la part de l’investisseur justifie ici que lui soit imputée la totalité des coûts ainsi qu’une part importante des frais de représentation de l’État.

345. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence du 25 novembre 2015, § 234.

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