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DOSSIER Déverrouiller la recherche L’open access : évolution et enjeux PLEINS FEUX SUR La bibliothèque d’histoire de l’art de la Fondation Custodia ACTUALITÉS Bacon / SGBM / Nouveaux déployés Ar ( abes ) ques JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015

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DOSSIER

Déverrouiller la rechercheL’open access : évolution et enjeuxPLEINS FEUX SUR • La bibliothèque d’histoire de l’art de la Fondation Custodia

ACTUALITÉS • Bacon / SGBM / Nouveaux déployés

Ar(abes)quesJUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015

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2 Ar(abes)ques N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015

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(Sommaire)

04 Le libre accès : quo vadis ?Jean-Claude Guédon

08 Réseaux sociaux de la recherche et openaccess : les perceptions des chercheursChristine Okret-Manville

10 Bibliothèques garanties 100 % open accessFrançois Cavalier

12 Open access : une révolution dansles compétences des bibliothécaires ?Sabrina Granger

14 La bibliométrie au service de l’open accessSolenn Bihan / Stéphane Harmand

16 Vers un «livre libre» ? Les voies du ebooken open accessSébastien Respingue-Perrin

18 Episciences.org, un nouveau modèlede revue scientifiqueChristine Berthaud

19 L’accès ouvert et la consultation nationalesur le numériqueMarin Dacos

21 Archives ouvertes et droit d’auteurCarine Bernault

(Dossier) DÉVERROUILLER LA RECHERCHEL’open access : évolution et enjeux

(Pleins feux sur…)

(Actualités)

28 (Portrait)

Labibliothèqued’histoire de l’artde la FondationCustodia

N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015

Ar(abes)ques

Ar(abes)quesREVUE TRIMESTRIELLE DE L’AGENCE BIBLIOGRAPHIQUE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR227 avenue Professeur Jean-Louis Viala CS 84308 - 34193Montpellier cedex 5T. 04 67 54 84 10 / F. 04 67 54 84 14 - www.abes.frDirecteur de la publication : Jérôme KalfonCoordination éditoriale et secrétariat de rédaction :Béatrice Pedot ([email protected])Comité de rédaction : Dominique Esmenjaud, Christine Fleury, Marion Grand-Démery,Philippe Le Pape, Béatrice Pedot, Maryse Picard, Marie-Pierre Roux.Conception graphique : Anne Ladevie (http://anneladevie.com)Impression : Pure Impression

Couverture : Chains / No chainsPhot. Stéfan / Flickr (CC BY-NC-SA 2.0)https://www.flickr.com/photos/st3f4n/5023612525Revue publiée sous licence Creative Commons CC BY-ND 2.0 (Paternité - Pas demodifications)sauf pour les images qui peuvent êtres soumises à des licences différentes ou à des copyrights.

Les opinions exprimées dans Arabesques n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.

ISSN (papier) 1269-0589 / ISSN (web) 2108-7016

Alorsque lespremières revues scientifiquesen libre accès paraissaient il y a 25 ans,force est de constater que les contours de

l’open access sont loin d’être stabilisés. Lesmodèles évoluent au fil des ans et les échangesautour de la voie « verte » ou «dorée » sont plusque jamais d’actualité.Si les différentes approches constitutives de cedossier pointent des avancées certaines, ellessoulignent aussi de nombreux obstacles à sur-monter comme, entre autres, les critères d’éva-luation de la recherche, le financement de lacommunication scientifique, les modalités dedépôt dans des archives ouvertes et, bien évi-demment, le contexte juridique encore tropcontraignant oumal appréhendé.De surcroît, l’open access modifie en profon-deur les relationsdesbibliothèquesavec lemondede la recherche : au-delà de lamise à dispositionet du signalementde ressources, elles ont désor-mais un rôle de plus en plus explicite à jouer enamontpour sensibiliser les chercheurs et appor-ter leur expertise surdes terrains aussi bien tech-niques que juridiques.Undébat «ouvert» pournourrir « la grande conversation scientifique»,chère à Jean-Claude Guédon !

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03N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015Ar(abes)ques

L’open access, pourquoi ?

(Éditorial)

Le discours revient comme une litanie : lesbibliothèques sont exsangues ; nombred’entre elles, contraintes de continuer d’ac-quérir chaque fois plus cher les bouquetsoù figurent des titres incontournables, ont

été conduites à renoncer aux titres nécessaires,mais (encore?) absents de ceux-ci. Les établisse-ments, et leurs bibliothèques, se voient ainsi pri-vés de la possibilité de choisir, donc de forger unepolitique documentaire. Moins achetés et moinsvisibles, les titres « isolés» sont conduits à rejoin-dre les gros bouquets ou à périr, renforçant ainsi latendance à la concentration de ce « joli petit mar-ché captif».Pourquoi petit? Comparé à d’autres industries, c’estun marché de niche. Au regard de l’ensemble dessommesconsacréesà la recherche (matériels, salaires,fonctionnement), le coût de la communication scien-tifique est très bas, aux alentours de 2% selon cer-tains analystes. C’est peu au regard des enjeux, tropau regard des prix pratiqués et de leur envol.

Pourquoi les prix s’envolent-ils ? Il s’agit d’unmar-ché de produits non substituables (un résultat derecherche, un article scientifique, ne peut être rem-placé par un autre). On ne peut doncmiser sur l’au-torégulation d’unmarché qui, par construction, estnon concurrentiel. Et ce d’autant moins que laconcurrence entre auteurs-chercheurs, dans lacourse à «publier ou périr», est entre ses mains.Pourquoi s’arrêter là ? Les budgets des bibliothèquesn’augmentent plus et les transferts des dépensesvers les bouquets ont probablement atteint leurslimites. Cette source de profit, basée sur lemodèle« lecteur-payeur», a atteint un palier. Au départrejeté par les éditeurs, lemodèle «auteur- payeur»,prôné par certains défenseurs du libre accès, estapparu commeune belle opportunité, une nouvellesource de profit. Car s’il coexiste avec le modèlelecteur-payeur, il conduit à payer une nouvelle fois,cette fois-ci pour publier. Ainsi l’open access pour-rait-il devenir un cheval de Troie dont les soldatsse nommeraient APC (Article Processing Charges,ou frais de publication). Cette source de profit (passi nouvelle) présente l’avantage de la dispersion.Autant il est relativement aisé de repérer les dépensesdocumentaires qui se concentrent pour l’essentiel

dans les bibliothèques, autant les frais de publi-cation peuvent être facturés et payés par de multi-ples acteurs : laboratoires, établissements, biblio-thèques, services de communication, voire sortirde la poche de l’auteur. Difficile, voire impossible,d’identifier dans ces conditions le « total cost ofownership», (coût total d’acquisition). Diviser pourmieux régner, la formule n’est pas nouvelle, maistoujours efficace.Revenons au coût total de publication (acquisitionplus APC). Les prix seraient-ils moindres si l’on«déprivatisait» la publication scientifique? Oui, sila réappropriation par lemonde académiquemain-tenait les niveaux de performance d’aujourd’hui.

Non, si l’augmentation du coûtde revient absorbait la différenceavec le prix. La marge bénéfi-ciaire – certes déraisonnable,nous l’avons vu – des acteursprivés pourrait disparaître sanspour autant profiter à l’ensem-ble du système.

Alors pourquoi l’open access?Les enjeux vont bien au-delà dela question du prix ou des coûts

agrégés de publication et d’acquisition. L’openaccess est surtout une réponse à des besoins fonc-tionnels de faire de la science. En agrégeant descontenus, en liant les publications avec les donnéesde la recherche et à bien d’autres objets, les tech-nologies duweb sémantique, qui n’en sont qu’à leurdébut, permettent la construction de nouveauxsavoirs.Si, au prétexte de la protection du droit des basesde données, la lecture assistée par ordinateur per-mise par les technologies de text et data miningétait soumise à un contrôle préalable par les ayantsdroit, on passerait du contrôle de la publication aucontrôle de l’ensemble de la chaîne de la produc-tion de savoirs. Lire, écrire, sont des actes indis-sociables de la construction de la pensée. S’il fautdemander l’autorisation pour lire, cela revient d’unecertaine façon à ne penser que sur autorisation.La véritable justification du libre accès ne serait-t-elle pas justement de garantir la possibilité de lirepar tous les moyens, connus ou encore inconnus,d’aujourd’hui et de demain ?

Jérôme KalfonDirecteur de l’Abes

L’open access est surtout une réponse à desbesoins fonctionnels de faire de la science.

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4 Ar(abes)ques N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 201504

Le libre accès aux publications de recherche a étémotivé par deux facteurs indépendants l’un del’autre : d’une part, le numérique naissant se prê-tait à l’expérimentation de revues en ligne, dont lespremières remontent à environ 1989 ; de l’autrecôté, la crise liée à la croissance très rapide du coûtdes périodiques scientifiques a rendu aux biblio-thèques l’espoir de revues moins chères, au fonc-tionnement plus souple et efficace. Elle les a aussiconduites à réexaminer leur rôle dans ce nouveaucontexte, et l’exemple de collections d’articles enlibre accès, comme ArXiv de Paul Ginsparg, en phy-sique des hautes énergies, permettait d’imaginerle développement de tels dispositifs dans chaquebibliothèque.

UN PEU D’HISTOIRELe mouvement en faveur du libre accès est relié,bien évidemment, au développement d’initiativesvisant à promouvoir cette approche, mais il en dif-fère aussi en prenant une forme à la fois plus ins-titutionnelle et politique. Déjà en 1995, l’Associationof Research Libraries (ARL) aux États-Unis avaitpublié une brochure qui comprenait l’interventionde plusieurs chefs de file du libre accès, en parti-culier Paul Ginsparg, Stevan Harnad et AndrewOdlyzko. Diverses idées se mirent alors à circulergrâce à plusieurs listes de discussion disponiblessur Bitnet ou Internet.Le choc décisif eut lieu en 2001. L’année d’avant,le prix Nobel Harold E. Varmus, un temps directeurdes National Institutes of Health (NIH) aux États-Unis, et des chercheurs tels Michael Eisen (UCBerkeley) et Patrick O. Brown (Stanford), avaientlancé une pétition – la Public Library of Science(PLoS) – pour exiger des maisons d’édition qu’ellesmettent les articles de recherche en accès libre, auplus tard six mois après leur publication ; sinon, lessignataires de la pétition s’engageaient à ne plussoumettre leurs manuscrits à ces revues. Des dizainesde milliers de chercheurs signèrent, mais les pra-tiques de soumission, fortement affectées par desméthodes d’évaluation fondées sur le facteur d’im-pact, ne furent guère touchées par ce mouvementde protestation. En août 2001, PLoS se transfor-mait en maison d’édition et, en décembre 2002, laGordon and Betty Moore Foundation octroyait 9 mil-lions de dollars à PLoS. Partiellement en réactionà l’échec de la pétition de PLoS, le Open Society

Institute (OSI), maintenant connu sous le nom deOpen Society Foundations (OSF), organisa une réu-nion à Budapest au début de décembre 2001. Cetteréunion de 13 personnes comprenait Michael Eisende PLoS et Stevan Harnad, ainsi que l’auteur deces lignes. Peter Suber, également présent, a jouéun rôle fondamental dans la rédaction d’un mani-feste connu sous le nom de Budapest Open AccessInitiative (BOAI) qui parut le 14 février 2002.À Budapest, Stevan Harnad fut à peu près le seulà soutenir l’idée de l’auto-archivage des publica-tions par les auteurs ; l’opinion dominante penchaitfortement en faveur de la création de revues ou dela conversion de revues électroniques existantesen libre accès. Seule sa ténacité permit de main-tenir cette option dans le manifeste et c’est fort heu-reux car sans la stratégie de l’auto-archivage, connuedepuis sous le nom de « voie verte », il n’est pas sûrque le mouvement du libre accès aurait survécu ;inversement, sans revues en libre accès, il n’estpas sûr non plus que celui-ci aurait obtenu le degréde visibilité qui a assuré sa survie. Le démarrageen trombe des premières revues de PLoS démon-trait que le libre accès permettait de lancer unenouvelle revue en deux ou trois ans au lieu des septà dix ans requis pour une revue traditionnelle. Laleçon ne fut pas perdue pour les grandes maisonsd’édition, et ce d’autant plus que Jan Velterop, undes 13 premiers signataires du BOAI, dirigeait alorsBiomed Central et allait bientôt (2005) travaillerchez Springer pendant trois ans.

UNE FAÇON DE VOIR L’ÉVOLUTIONDU «GOLD» : DU BIG DEAL AUX APCLa carrière de Jan Velterop peut utilement consti-tuer un fil d’Ariane pour suivre l’accueil du libreaccès par les maisons d’édition, en particulier lesmultinationales de l’édition scientifique. Fin affai-riste, Velterop a souvent agi en pionnier au sein dediverses maisons d’édition, tout en maintenant uncontact étroit avec le mouvement du libre accès.Son objectif général peut être déchiffré ainsi :convertir les maisons d’édition au libre accès touten préservant leur position centrale ou dominantedans le système de la communication scientifique,ce que certains en France appellent un peu pudi-quement, ou par litote, le rôle de « médiation » desmaisons d’édition. Velterop révèle ainsi les étapeset moments qui ont accompagné l’évolution des

Les évolutions de l’open access soulèvent de nombreuses questions éthiques et politiques. Point de vueengagé de Jean-Claude Guédon, un des précurseurs du libre accès aux publications scientifiques, sur sonhistoire et ses enjeux.

Le libre accès : quo vadis ?(Dossier… DÉVERROUILLER LA RECHERCHE)

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maisons d’édition : après avoir collaboré à la miseau point des bouquets de revues (Big Deal), il aexpérimenté le premier grand plan d’affaires de lapublication en libre accès chez Biomed Central avecles «Article Processing Charges» (APC), qui demeurecentral jusqu’à nos jours. La réaction générale desmaisons d’édition était alors de faire la sourde oreilleà ce message, ou d’en rire. L’exemple de BiomedCentral a été déterminant pour la mise au point dela stratégie financière de PLoS One environ deuxans plus tard.L’arrivée de Velterop chez Springer coïncide avecla nouvelle stratégie de cette maison d’édition : le«open choice» grâce auquel elle offrait à tout auteurla possibilité de « libérer » son article en payant unesomme, souvent assez coquette, se justifiant commecorrespondant à l’APC des revues en libre accès.Cet ajout au plan d’affaires des revues avec abon-nements a constitué la base des « revues hybrides» ;or, celles-ci sont souvent critiquées par le fait queles articles libérés réduisent d’autant le nombred’articles offerts par la revue par abonnement, sansque cette réduction diminue le coût des abonne-ments. Springer n’a fait qu’inventer un nouvellesource de revenus à ses revenus traditionnels.

• Des stratégies fondées sur des modèlescommerciaux…La trajectoire de Jan Velterop illustre une façon d’ex-plorer les possibilités du libre accès dans la pers-pective d’un avantage pour les maisons d’édition,dans le but de préserver leur rôle et leur capacitéde contrôle dans la chaîne allant des auteurs auxlecteurs. Velterop a toujours su tenir un double dis-cours : avec le Big Deal, il avait permis aux mai-sons d’édition de défendre cette pratique en invoquantla réduction du coût par titre des abonnements. Bienentendu, le fait que les bibliothèques ne pouvaientplus gérer de collections était passé sous silence.Avec les « APC », le double discours se déploie toutaussi aisément : ce modèle économique offre effec-tivement des revues en libre accès, ce qui peutavantager l’ensemble des chercheurs s’ils ont uneconnexion Internet adéquate ; en revanche, les fraisde publication retombent sur les chercheurs, leslaboratoires, ou, le cas échéant, épuisent des fondsdestinés à ce genre d’opération par les universités,les bibliothèques, ou même les organismes sub-ventionnaires. La Grande-Bretagne s’est engagéeà grande échelle dans cette opération. Mais les APCexigés se situent à des niveaux élevés et, de ce fait,constituent une barrière économique d’un nouveaugenre pour les pays ou les institutions pauvres etles recherches non subventionnées. Enfin, le modèleéconomique fondé sur des APC touche massive-ment les sciences humaines, moins financées queles sciences de la nature, l’ingénierie ou les sciencesmédicales. Bref, la voie dorée avec APC se révèle

profitable pour les maisons d’édition, mais elle sou-lève de nouvelles difficultés pour les communautésscientifiques, en particulier en renforçant les iné-galités qui existent entre pays, domaines ou insti-tutions.Avec les revues hybrides, parfois présentées commeun mécanisme permettant graduellement aux mai-sons d’édition de passer en douceur au « gold avecAPC », on découvre l’invention rusée d’une nou-velle manière de récupérer des fonds d’organismessubventionnaires et d’institutions de recherche (oude leurs bibliothèques). De plus, la création desrevues hybrides permet d’envisager l’existenceimmobile d’un ensemble mixte de publications qui

s’appuie sur les revues existantes et qui peut durerindéfiniment. Malheureusement pour cette pers-pective, plusieurs organismes subventionnaires ontmaintenant refusé de payer pour des revues hybrides,ou ont imposé de strictes conditions, par exempleen plafonnant les sommes consacrées à ce type de« libération ».Après une phase de refus du libre accès, les mai-sons d’édition, en particulier les multinationales,ont vite compris qu’il leur était bien plus avanta-geux d’influencer l’évolution du libre accès en offrantdes solutions où ces avantages sont habilementdosés au sein d’un ensemble de stratégies qui pré-servent et même accroissent leur pouvoir. Une partiede ce pouvoir s’exprime désormais par la possibi-lité de développer des revenus supplémentaires etd’augmenter les profits, comme il sied à toute com-pagnie qui doit rendre des comptes à ses action-naires ou investisseurs.M

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(CCBY-SA2.0

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• … aux plateformes internationales contrôléespar les chercheursPour autant, il existe aussi toute une large frangede revues en libre accès qui sont libres pour les lec-teurs (par exemple dotées de licences CC-BY) etgratuites pour les auteurs. Des plateformes inter-nationales se sont constituées autour de tels pro-jets, les deux plus importantes venant d’Amériquelatine avec Scielo et Redalyc. Ils offrent des solu-tions où des subventions publiques sont compati-bles avec la liberté éditoriale et la qualité des revuespubliées, par exemple en s’appuyant résolumentsur une structure multinationale. Ils rappellent aussique le coût de la communication scientifique esttrès bas comparé aux coûts de la recherche horspublication, environ 2 % du total. Personne nedemande à la recherche scientifique de développerdes plans de financement fondés sur des modèlescommerciaux : le numérique permet d’imaginer unsystème de communication entre scientifiquesintégré à la chaîne de travail propre à la rechercheet contrôlé par les communautés de recherche.C’est précisément l’enjeu du libre accès, lorsqu’ilplace les chercheurs au centre de ses objectifs. Lescommunautés de recherche peuvent s’organiserautour de plateformes puissantes ou commencerà repenser la communication scientifique sous laforme de méga-revues, à la manière de PLoS One.Et si les APC disparaissent, la question des revues« prédatrices » disparaît aussi : un mode de finan-cement sans risque – l’auteur paye tout, y comprisles profits – engendre des comportements inac-ceptables.

LA VOIE «VERTE» : DES DÉPÔTSINSTITUTIONNELS À ENCOURAGERPerçu au début comme une stratégie probléma-tique, en particulier à cause des contraintes impo-sées par le droit d’auteur et la façon dont les droitssont transférés aux maisons d’édition, l’auto-archi-vage a été rapidement repris par les bibliothèques.Les dépôts institutionnels se sont multipliés et leuront permis d’offrir une vitrine institutionnelle quipouvait soutenir leur volonté de se projeter dans lemonde du savoir, mais, ce faisant, les besoins spé-cifiques des chercheurs n’ont pas toujours été aucœur de ceux qui concevaient ces nouveaux dis-positifs de recherche. Rapidement, il est apparuque, laissés à eux-mêmes, les dépôts institution-nels n’attiraient qu’une petite fraction des docu-ments publiés, de l’ordre de 15 à 20 %, et, parconséquent, ne pouvaient guère répondre auxbesoins généraux des chercheurs.En réaction à cette situation, de nombreuses insti-tutions ont tenté d’instaurer une politique obliga-toire de dépôt. Mais les chercheurs, presque parinstinct, résistent à tout ce qui est obligatoire, mêmesi on leur démontre que c’est à leur avantage. Pour

réussir à obtenir un consensus sur ce sujet, il fauténormément de discussions, d’éducation, et desexemples probants. Tout ceci existe, mais les résul-tats restent mitigés.

• Des constats encore modérésTandis que OpenDOAR recense 2 874 dépôts ins-titutionnels au 1er mai 2015, une autre base de don-nées, le Registry of Open Access Repositories (ROAR),situé à l’université de Southampton, dénombre 4009dépôts institutionnels. Mais au niveau des politiquesinstitutionnelles, les chiffres sont beaucoup plusmodestes. Roarmap, par exemple, indique 482 poli-tiques d’institutions de recherche, ce qui ne repré-sente qu’environ 12 % de ces institutions ; de plus,nombre de ces politiques ne font qu’encourager ledépôt, sans réellement l’exiger. La politique de l’uni-versité de Liège mérite d’être soulignée : un certainnombre de procédures pour les promotions et lesattributions de fonds s’appuie exclusivement sur lesdocuments présents dans Orbi, le dépôt institu-tionnel de l’université, ce qui encourage très forte-ment les chercheurs à y déposer leurs publications.Mais dans un pays comme la France où l’évalua-tion des chercheurs s’effectue au niveau national,et non au niveau de l’institution, ce genre de pra-tique n’est pas facilement applicable, sauf à érigerHal dans ce rôle national.Les politiques adoptées par divers organismes sub-ventionnaires de la recherche ont eu un très grandimpact sur l’évolution des dépôts institutionnels.Les exigences de dépôt qu’ils formulent sont sou-vent les premières que rencontre une bonne pro-portion de chercheurs, ce qui, évidemment, facilitela compréhension du libre accès.Dans le domaine de la santé, ces exigences sontapparues assez vite puisque, aux États-Unis, lesNational Institutes of Health ont lancé ce mouve-ment et une loi dans ce sens a été votée au Congrèsdes États-Unis à la fin de 2008. Plus rapide encore,le Wellcome Trust (Royaume Uni) avait une poli-tique de dépôt obligatoire dès 2006. En 2014, laCommission européenne, dans le cadre du pro-gramme de financement Horizon 2020, a égale-ment établi une politique de dépôt obligatoire pourles publications émanant de son financement etune infrastructure – OpenAIRE – a été mise en placepour les accueillir.

• Des modalités de dépôts à faciliteret encouragerLes dépôts institutionnels ont joué un rôle essen-tiel pour le développement du libre accès, mais leurprogrès – des millions d’articles sont maintenantdisponibles pour toutes et tous – demeure un peudécevant : ils ne sont guère perçus comme indis-pensables par les chercheurs et les obligations dedépôt sont plutôt considérées comme des agace-

(Dossier… DÉVERROUILLER LA RECHERCHE)

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7N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015Ar(abes)ques

Une version intégrale decet article, complété pardes notes, est disponible surle site de l’Abes, rubrique«Arabesques n° 79».

ments par beaucoup d’entre eux. Les règles dedépôt que les maisons d’édition s’ingénient à mul-tiplier et, à l’occasion, à varier sans préavis, consti-tuent autant d’obstacles supplémentaires pour deslaboratoires qui ont bien d’autres choses à faire qued’étudier des contrats complexes à la lumière dece que permet la loi locale de droits d’auteurs. Parailleurs, la fouille de documents et de données parordinateurs n’est pas toujours possible quand lesmaisons d’édition elles-mêmes insistent pourconserver le document de référence et veulentcontrôler la fouille électronique de ces archives.Enfin, les bibliothèques, soumises à de fortescontraintes budgétaires, ne disposent pas toujoursdes ressources nécessaires pour aider les cher-cheurs à déposer la bonne version de leurs articlesdans le bon format. Bref, dans leur configurationactuelle, les dépôts institutionnels ne remplissentqu’une petite partie des besoins réels des cher-cheurs, surtout lorsque ceux-ci fonctionnent demanière isolée, ce qui explique partiellement pour-quoi l’obligation de déposer est importante. De plus,il leur manque deux éléments essentiels : d’unepart, il leur faut apprendre à fonctionner en réseaupour offrir des ressources documentaires impor-tantes ; d’autre part, il leur faut apprendre à créerde la valeur symbolique pour que les chercheurs,en déposant, aient le sentiment qu’ils sont en traind’accomplir quelque chose de positif pour leur car-rière, leur visibilité et leur prestige. Bref, les dépôtsinstitutionnels doivent évoluer en offrant des ser-vices qui ressemblent à ceux offerts par les revues,ou les complètent.

CONCLUSIONPosons un petit problème : comment se fait-il quele virus Ebola, découvert dans les années 70, etdont la létalité extrême a vite été repérée, n’ait pasfait l’objet de plus d’études, de plus de recherches ?

Serait-ce parce que les ressources financières desAfricains sont faibles et que la recherche se portesur des sujets soit plus lucratifs, soit plus directe-ment d’intérêt pour les pays où se loge une majo-rité des chercheurs ? Comment oriente-t-on larecherche sur certains sujets et pas sur d’autres ?La réponse dépend en partie de l’économie poli-tique des revues, de leurs modes de concurrence,et des décisions éditoriales qui se déploient dansun climat de compétition intense organisé autourdu facteur d’impact. Or, la science fonctionne sur-tout au niveau des articles, au niveau des théorieset des concepts, au niveau des idées et des don-nées, et non au niveau des revues. Gérer tout cecipar une compétition entre revues, compétition enfin de compte fondée sur le profit, ne paraît pas lamanière la plus assurée ou évidente de produire dela recherche de qualité.Les luttes autour du libre accès s’organisent autourde ces enjeux d’orientation et de qualité de larecherche. Selon que l’on place au centre soit leschercheurs et la recherche, soit les maisons d’édi-tion et leurs revues, on obtient des résultats trèsdifférents. Actuellement, le front est très élastiqueet le risque de voir le libre accès repris en main parles grandes maisons d’édition à leur avantage aaugmenté ces dernières années, comme le montrele cas de la Grande-Bretagne. Mais si les commu-nautés scientifiques et le monde des bibliothèqueset des organismes subventionnaires se montrentsoucieux de nourrir la « grande conversation scien-tifique » de manière rationnelle, alors le libre accèsbien conçu apparaîtra naturellement comme lelevier le plus puissant pour atteindre cet objectif.

Jean-Claude GuédonProfesseur de littérature comparée,

Université de Montré[email protected]

L’Open Access Week,lancée en 2007, est

un événement internationalannuel du monde scientifiquemarqué par l’organisationde multiples conférences,séminaires ou annoncessur le thème du libre accès.

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(Dossier… DÉVERROUILLER LA RECHERCHE)

08 Ar(abes)ques N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015

des données et déplorent l’éparpillement des infor-mations qu’ils contiennent. Ces réseaux sont éga-lement perçus comme présentant des risques decaptation des données en raison de leur caractèreprivé et sont parfois perçus comme complexes etchronophages.

LE DÉPÔT EN LIBRE ACCÈS À ENCOURAGER70 % des répondants connaissent l’open access.Alors que 41 % déposent leurs publications dansdes archives ouvertes, en grande majorité sur Halet ses collections satellites (Hal-SHS, Tel…), 10 %optent pour des archives institutionnelles. Les rai-sons pour lesquelles les chercheurs ne déposentpas donnent une idée des obstacles freinant la pro-gression de l’open access. Au premier rang de ceux-ci, la méconnaissance du monde du libre accès,puis le manque de temps, un déficit d’informationsur les possibilités d’auto-archivage permises parles éditeurs, les stratégies de publications qui fontprivilégier la parution dans des revues prises encompte pour l’évaluation des carrières, les habi-tudes de publication (chercher une revue en openaccess pour publier n’est pas un réflexe) et l’ergo-nomie des archives, parfois jugée insuffisammentintuitive.

La soumission dans des revues en open access estpratiquée par une faible marge des répondants(11%) et semble étroitement dépendante de la com-munauté d’appartenance. Ainsi en sciences de lavie, les dépôts se font de façon privilégiée dans desrevues de ce type en raison de l’importance de l’éva-luation par les pairs.De nombreux commentaires laissés par les cher-cheurs expriment leur souhait de voir encouragerl’open access au niveau national et européen pardiverses voies : une très forte incitation (voire obli-gation) à déposer en libre accès les publicationsfinancées sur fonds publics, une révision des cri-tères d’évaluation des carrières pour prendre encompte la publication en libre accès, l’encourage-ment à l’auto-archivage et le développement del’édition en libre accès.

Réseaux sociaux dela recherche et open access :les perceptions des chercheursAu printemps 2014, une étude a étémenée par le consortium Couperin auprès des chercheurs pour connaîtreleur perception de l’open access et des réseaux sociaux de la recherche. Aperçu des résultats.

1698 chercheurs assez représentatifs en termesde genre, âge et répartition disciplinaire1 ontrépondu au questionnaire, démontrant l’intérêt quesuscite cette thématique dans le monde acadé-mique français.

DES OUTILS AU POTENTIEL MAL MAÎTRISÉLes réseaux sociaux de la recherche sont des outilslargement connus et utilisés par les chercheursayant répondu à l’enquête : 60 % des répondantsles connaissent et 42 % les utilisent. ResearchGate(65 %) et Academia.edu (24 %) sont les plus fré-quemment cités. Ils sont avant tout utilisés pourdévelopper la diffusion et le partage d’informationset accroître la visibilité du chercheur. Ils constituentl’un des multiples moyens d’échanges destinés àfaciliter la communication entre eux.Toutefois, ces réseaux apparaissent comme desoutils à potentiel important mais encore mal maî-trisé. Certains chercheurs formulent des doutes surla fiabilité des informations qu’ils diffusent, men-tionnent le manque de fonctionnalités qu’ils pro-posent, l’insuffisante clarté de leur politique d’usage

[1] Des regroupementsdisciplinaires ont étéeffectués afin de faciliterl’analyse. S. Vignier, M. Joly,C. Okret-Manville, Réseauxsociaux de la rechercheet Open Access. Perceptiondes chercheurs. Étudeexploratoire, nov. 2014, p.11.

MaryCrand

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DES PERCEPTIONS DIFFÉRENTESSELON LES DISCIPLINES

De façon générale, les archives ouvertes sontperçues très favorablement pour assurer la pro-tection, la pérennité des publications et les diffuserefficacement. Mais cette vision n’est pas partagéede façon unanime par toutes les communautésacadémiques. Un regard disciplinaire permetd’esquisser différents profils.Ainsi en mathématiques et informatique, les cher-cheurs possèdent une bonne connaissance desréseaux sociaux de la recherche, mais les utilisentpeu et privilégient les archives ouvertes pour la dif-fusion de leurs travaux (61 %). Les sciences de lamatière s’impliquent également beaucoup dans lesarchives ouvertes.A contrario, les sciences humaines et sociales (horsdroit économie gestion) connaissent et utilisent fré-quemment les réseaux sociaux de la recherche,qu’ils estiment plus visibles que les archives ouvertespour faire connaître leurs travaux. Les sciences dela vie et les sciences de l’ingénieur présentent unprofil de même type.Les disciplines droit économie gestion et arts langueset lettres accordent en revanche la majorité de leurssuffrages aux réseaux sociaux de recherche pourla visibilité de leurs travaux et pour la protection et

la pérennité de leurs données, ce qui surprend carcette enquête montre qu’ils ne connaissent globa-lement pas les politiques d’utilisation des donnéesde ces réseaux…

Les réponses et commentaires des chercheurslaissent transparaître que ni les dépôts d’archivesouvertes ni les réseaux sociaux de la recherche neleur semblent satisfaisants à eux seuls. Ils dessi-nent en creux les contours d’un outil dédié à l’openscience, couvrant l’ensemble du processus de publi-cation, du dépôt en passant par l’évaluation par lespairs pour aboutir à la mise en ligne, mais offrant éga-lement des services complémentaires afin de créerun environnement spécifique dans lequel le chercheurtrouverait tout ce qui lui permettrait de conduire sesrecherches dans les meilleures conditions.

Christine Okret-ManvilleDirectrice adjointe, SCD Université Paris-Dauphine

[email protected]&

Les deux axes majeurs de l’openaccess : le green et le goldLe paysage de l’open access reposeprincipalement sur deuxmodèles. Toutd’abord le «green», ou la «voie verte» :c’est l’auto-archivage des publicationsdes chercheurs dans des archives insti-tutionnelles, nationales ou d’établisse-ment.Cettevoie reste lemodèleparexcel-lence du libre accès.Si le contenu n’a jamais été publié dansune revue éditoriale, il peut alors êtredéposé immédiatement dans l’archiveouverte. Si le contenu a déjà été publiépar un éditeur, celui-ci peut égalementle libérer pour le rendre accessible gra-tuitement. Toutefois, afin que les utili-sateurs continuentdesouscrireauxabon-nementscourants, leséditeursappliquentsur les contenusunepérioded’embargoqui varie, bien souvent en fonction dudomaine concerné, de 6 mois à 2 ans.

On trouve ensuite le «gold» ou la «voiedorée» : c’est la publication directe parune instance éditoriale de titres en accèslibre. Il peut s’agir ici denouveaux titrescréésdirectement enopenaccessoubiende titrespubliés jusqu’alorsdans le cadred’unmodèle commercial classiqueetqui«passent» en parution open access.

La dérive de la voie dorée :le modèle «auteur-payeur»Aujourd’hui toutefois, legold se confondde plus en plus avec le modèle auteur-payeur : l’auteur doit ainsi s’acquitter detaxes auprès de son éditeur afin de voirson contenuproposé en accès immédiatet gratuit pour le lecteur dès sa publica-tion. Ces frais imposés au chercheur(connus pour les revues sous le nomd’«APC» - Article Processing Charges)peuvent s’élever jusqu’à plusieursmilliers d’euros par publication. Selon

Jean-Claude Guédon, cemodèle est uneversion pervertie du standard originellequel doit rester «gratuit en amont etlibre en aval».

Freemium, un modèle hybrideUn dernier modèle vient compléter cepaysage complexe : il s’agit du modèle« freemium». Déjà bien connu des usa-gers du numérique grâce aux réseauxprofessionnels LinkedIn ou Viadeo, ilpropose des services de base gratuits etdes fonctions avancées payantes pourses utilisateurs «premium». Par exem-ple, la revue électronique européennede géographie Cybergeo offre un accèsgratuit au formatHTMLdes articles tan-dis que l’accès auxversionsPDFet ePubsont payants.

Marion Grand-DémeryAbes

ENTRE GREEN, GOLD & FREEMIUM

L’étude exploratoire ainsi que les données brutesde l’enquête peuvent être téléchargées à l’adresse :www.couperin.org/groupes-de-travail-et-projets-deap/open-access/286-open-access/1214-reseaux-sociaux-de-la-recherche-et-open-access

POUR EN SAVOIR PLUS

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La contribution des bibliothèques à l’open accessest une activité encore assez récente qui s’intègredans une démarche plus générale d’extension dupérimètre de l’action des bibliothèques : le mouve-ment de fond qui opère le passage de l’activité d’ac-quisition de documents produits par le système édi-torial traditionnel à celle de collecte de matériauxpour la recherche et de gestion des productionsintellectuelles de l’Université est un déplacementtectonique qui redessine les périmètres et lesmodalités d’action de la bibliothèque comme la hié-rarchie de ses priorités et de ses compétences.Quand on fera l’histoire de cette transition permisepar le numérique – encore à ses débuts, nous levoyons bien – il est possible que l’on date ce pas-sage lors de la mise en place des archives ouverteset du rôle nouveau que les bibliothèques y ont pris,pratiquement dès le début. De fait, le moment car-dinal de cette transition n’est pas, comme on pour-rait le penser, l’irruption et le développement rapidedes ressources électroniques, même si la consti-tution de cette offre a profondément modifié le rap-port à la collection. Observons que rien ne changevraiment dans le modèle ; les bibliothécaires fontce qu’ils savent faire : acquérir une documentationsur la base d’abonnements, forfaitaires le plus sou-vent, qu’ils délivrent à la communauté de leurs usa-gers. Une chose, néanmoins, change radicalementet fait vaciller le système : les bibliothèques ne sontplus propriétaires de ces ressources, mais titulairesd’un droit d’accès et d’usage, ce qui fragilise leurbase traditionnelle.

UNE INITIATIVE DE LA RECHERCHERELAYÉE PAR LES BIBLIOTHÈQUESMais le vrai changement de posture vient de lacontribution à la collecte, au signalement, à la dif-fusion, promotion et conservation des produits dela recherche au premier rang desquels figurent lespublications. L’initiative en la matière ne vient pas,en France, du monde des bibliothèques, mais decelui de la recherche et de ses services d’appui.Le Centre de communication scientifique directe(CCSD / CNRS) prend rapidement une avance dansce domaine en visant, dès le début, la création d’uneapplication de niveau national, à la différence dece qui se passe dans pratiquement tous les pays

étrangers. Il est sain que l’initiative soit issue desmilieux de la recherche, même si le dépôt des publi-cations dans des répertoires d’archives ouvertesprogresse lentement dans le milieu des chercheurssouvent sceptiques, sinon méfiants, à l’égard desgrands outils collectifs et de tout ce qu’ils assimi-lent – à tort en l’occurrence quand il s’agit de déposerleurs articles dans celles-ci – à du travail « admi-nistratif ». Les bibliothécaires ont vite vu l’intérêtdes archives ouvertes et le rôle qui pouvait être leleur. Souvent, les premières initiatives sont partiesdu corpus des thèses, publications directementgérées par les bibliothèques et pour ainsi dire « àleur main »; les premiers répertoires d’archivesouvertes gérées par les bibliothèques étaient desrépertoires de thèses, ce qui n’était pas la meilleurefaçon d’aborder le monde des chercheurs tant lathèse peut être méjugée par eux qui n’ont d’yeuxque pour l’article paru dans une revue à comité delecture. Comme souvent à chaque étape de la rela-tion chercheur/bibliothécaire, nous nous heurtonsà une différence d’approche fondamentale, le biblio-thécaire parlant « collectif, transversal et partagé »au chercheur qui lui répond « singulier, commu-nautaire et spécifique ». Le bibliothécaire doit doncapprendre à « débrayer » ses outils pour coller auxattentes et pratiques.En France, les répertoires d’archives ouvertes sontde deux types : il s’agit soit de « vues » sur Hal1 (lagrande majorité), soit de plateformes indépendantes,les archives ouvertes d’établissement (AIE) commeen gèrent Dauphine, Sciences Po, l’Institut nationalpolytechnique de Toulouse, l’Ifremer, etc. Dans ledeuxième cas, les établissements ont fait le choixde gérer en direct leur archive ouverte et de l’adapteraux besoins de la politique éditoriale de leurs ins-titutions comme aux priorités des chercheurs. Ainsi,l’archive ouverte Spire2 de Sciences Po est-ellecapable de réaliser, pour chaque centre de recherche,l’extraction automatique des listes de publicationsdemandées par les organismes d’évaluation.

UN PROTOCOLE D’ACCORD À CONSOLIDERLe protocole d’accord sur les archives ouvertes,signé en septembre 2012 entre universités et orga-nismes de recherche, comprend plusieurs élémentsimportants : il affirme la volonté de développer et

Bibliothèques garanties100% open accessLe développement des archives ouvertes signe une étape clé dans les relations entre le monde de larecherche et celui des bibliothèques. Décryptage.

[1] Hal permet l’ouvertured’une page sous le label del’institution qui fait les dépôts.[2] http://spire.sciencespo.fr

(Dossier… DÉVERROUILLER LA RECHERCHE)

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promouvoir l’open access en France au travers d’unoutil à vocation nationale ; il souligne la responsa-bilité des chercheurs dans la construction d’un nou-veau dispositif de communication scientifique(scholarly communication) ; il reconnaît enfin lapluralité du paysage en matière d’archives ouvertes,c’est-à-dire la capacité des établissements d’en-seignement et de recherche à construire leur proprearchive ouverte et à pousser leurs publications dansle répertoire national.Trois ans après, le constat est amer : Hal n’a pasobtenu les moyens humains nécessaires à son déve-loppement ; les outils de structuration et de régu-lation des rapports entre les producteurs/clients del’archive sont encore à construire (cf. le rapportBauin3). Le système marche difficilement et lesarchives ouvertes d’établissement se développe-ront très certainement à l’avenir pour de multiplesraisons, notamment pour leurs capacités à s’adapteraux critères locaux d’éditorialisation et valorisation.

LA « VOIE DORÉE » EN QUESTIONSNous n’avons évoqué ici que ce qu’il est convenud’appeler « la voie verte » (green open access) quiconsiste à collecter et diffuser des publications –preprints et postprints – en leur appliquant les règlesd’embargo élaborées par les éditeurs.Concernant l’autre manière de développer l’accèslibre, la « voie dorée » (gold open access) s’ac-compagne des fameux APC (Article processingcharges) à payer par l’auteur ou son institution pourune publication directe en open access via l’en-tremise d’un éditeur. La discussion fait rage autourde ce système qui, comme le fait remarquer très

justement la Direction de l’Information scientifiqueet technique du CNRS dans un rapport récent4,n’est pas équivalente et interchangeable sans coûtsupplémentaire avec le modèle de l’abonnement.Dans le cadre de cette « voie dorée», la bibliothèquen’a quasiment aucune part et le chercheur gère endirect sa publication avec l’éditeur. Toutefois, lesquestions d’archivage pérenne et de stockage despublications demeurent posées. Il n’est pas du toutcertain qu’à l’avenir ce modèle adopté par leRoyaume-Uni et les Pays-Bas devienne majoritaireet moins encore qu’il devienne la modalité pré-pondérante de la communication scientifique enaccès libre. Il semble que nous, chercheurs et biblio-thécaires, avons été instruits des déboires liés à dessituations de dépendance à l’égard de monopoles.L’Internet est d’abord le territoire du divers et dulocal réticulé. Ne nous fourvoyons pas dans degrands systèmes propriétaires et œuvrons plutôtpour le développement soutenable réparti et maî-trisé de la communication scientifique dans lequelles producteurs et leurs services de soutien conser-vent une capacité d’initiative et d’autonomie.L’avenir du métier de bibliothécaire est dans la pro-motion de dispositifs de ce type auxquels les biblio-thèques doivent contribuer par des campagnes desensibilisation, des projets concrets impliquant deschercheurs et une expertise sans faille dans lesmodalités techniques et juridiques de gestion detels systèmes.

François CavalierDirecteur de la Bibliothèque de Sciences Po Paris

[email protected]

[3] L’open access à moyenterme : une feuille de routepour Hal, rapport de SergeBauin, chargé de mission pourle libre accès, DIST/CNRS,septembre 2014 :http://corist-shs.cnrs.fr/Rapport_HAL_DIST_2014[4] Financer la publicationscientifique : « le lecteur»et /ou « l’auteur », évolutions,alternatives, observations de laDIST : http://www.cnrs.fr/dist/z-outils/documents/Distinfo2/DISTetude3.pdf

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[1] Dominique Cotte,Dominique Lahary,Françoise Genova,Fabien Gandon, Jean Dufour,Christophe Willaert, et al.,«Les métiers, entre traditionset modernité»,Documentaliste-Sciencesde l’Information, Vol. 50(2013), p. 42–59.

Il semble possible d’esquisser une typologie descompétences sans pour autant nier le caractèrelabile de celles-ci. Une compétence s’acquiert, seconsolide et peut aussi s’altérer, voire disparaître,et ce, à l’échelle macro (celle du service, voire del’établissement ou d’un réseau) comme à l’échellede l’individu.

TYPOLOGIE ET CARACTÉRISATIONDES COMPÉTENCESLes catégories ci-dessous s’appuient sur la classi-fication établie par Dominique Cotte, dans un articletraitant de l’évolution des métiers de l’information1.Le propos est moins de dresser une liste exhaus-tive de savoir-faire et de savoir-être que de définirun cadre plus général pour les appréhender.

• Compétences dites «classiques» : elles prolongentdes pratiques antérieures. L’évolution peut être dictéepar des changements d’outils sans remettre en causeles rôles et fonctions déjà en place. On peut citerl’expertise éditoriale, venant en soutien à d’autrestypes de compétences : par exemple, afin de pouvoirfournir aux publiants un soutien sur les autorisationsde diffusion accordées par les éditeurs de leur disci-pline et d’anticiper les possibles évolutions des modèleséconomiques des revues, il faut en amont recenser leséditeurs sur lesquels travailler en priorité dans undomaine. On peut aussi citer les aptitudes en matièrede médiation et de transfert de compétences.

• Compétences dites «mutantes» : le changementde perspective résultant de l’open access est suffi-samment notable pour que le cadre d’intervention desprofessionnels s’en trouve modifié. Le signalementconstitue une illustration de cette dynamique detransposition. En effet, il est toujours question derecourir à des standards et des normes afin degarantir une interopérabilité maximale entre sys-tèmes d’information. Mais le signalement des don-nées produites par les chercheurs requiert le recoursà des schémas descriptifs devant tenir compte ducaractère plus labile et plus hétérogène que celui de

la documentation acquise. Il faut traiter des arti-cles, voire des jeux de données, mais égalementintégrer des informations relatives aux financementsdes projets de recherche ayant un impact direct surle type de diffusion des données à prévoir. Sur un planorganisationnel, les bibliothécaires ont certes déjà l’ex-périence du travail en réseau. Mais il s’agit désormaisd’être en capacité d’animer des réseaux composésde profils encore plus variés, relevant parfois destructures très éloignées tant géographiquementqu’institutionnellement. La logique d’unité de servicese trouve modifiée puisqu’il s’agit de travailler auquotidien et, dès le début du projet, avec une largepalette d’acteurs. En outre, même s’il s’agit du modeopératoire dominant depuis les années 1990, lescompétences en gestion de projet évoluent aussidu fait de leur changement d’échelle. L’objectif estde dépasser la logique d’établissement pour s’inscriredans un cadre national, voire international.

• Compétences dites « innovantes » : le dévelop-pement du libre accès appelle, notamment de la partdes bibliothécaires, l’acquisition de nouvelles com-pétences juridiques. Certes, les projets open accessne sont pas les seuls à mobiliser un savoir juridiqueen bibliothèque. Mais, dans ce cadre, les professionnelssont amenés à intégrer à leur analyse les enjeuxinhérents aux modes de production de la recherche.Par ailleurs, ces compétences juridiques sont appeléesà s’inscrire dans une pratique plus quotidienne excé-dant le périmètre du comité de pilotage d’un projet,car il devient nécessaire pour les bibliothécairesd’apporter aux auteurs un renseignement juridiquede premier niveau. Il ne s’agit pas de se promouvoirjuriste, mais d’acquérir un socle de compétences pourorienter l’usager. Au sein des établissements concer-nés, l’adoption du dépôt électronique des thèsesavait déjà permis aux bibliothécaires de s’initier à laprise en charge de ces questions juridiques. Enfin, siles bibliothécaires ont acquis des méthodes pourmieux comprendre les usages documentaires deschercheurs, il leur faut désormais travailler sur lemodus operandi des auteurs en fonction de leur

Le développement d’actions en faveur de l’open access constitue-t-il une révolution ou une évolution commeune autre pour les professionnels des bibliothèques ? Quelle est la part de compétences nouvelles ? Peut-onparler de compétences spécifiques au libre accès ?

Open access : une révolutiondans les compétencesdes bibliothécaires ?

(Dossier… DÉVERROUILLER LA RECHERCHE)

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[2] Florence Muet,Jean-Michel Salaün,Stratégie marketing desservices d’information –Bibliothèques et centresde documentation,Éditions du Cerclede la Librairie, 2007.

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discipline et de leur unité de recherche puisque la situa-tion locale a aussi un impact sur leurs pratiques. Il s’agitde caractériser des types de données, d’identifier etd’analyser des processus, des outils et des acteurs.

DES COMPÉTENCES SPÉCIFIQUES ?Les compétences qu’on pourrait labelliser « libreaccès» ne s’enracinent pas dans la seule technique.Certes, les questions de protocoles et de formats, laconception et la gestion de workflows rendus plus com-plexes en raison du caractère évolutif des docu-ments traités (preprints, postprints, etc.) font pencherdu côté de la technique et des outils. Mais la connais-sance du cadre politique et juridique du libre accèsest tout autant indispensable. Inversement, descompétences techniques dites « classiques » ou«mutantes» s’avèrent incontournables. La questionest finalement moins celle du caractère novateurdes compétences que celle de leur organisation ausein d’un service. Moins évoquées que les compé-tences techniques ou relevant de l’information scien-tifique et technique, les compétences managérialessont pourtant centrales puisqu’il s’agit d’articulertrois régimes de compétences sur le court, le moyenet le long terme, tout en tenant compte du caractèredynamique de chacune d’elles.

QUEL POSITIONNEMENT POURLES BIBLIOTHÉCAIRES ?La question du niveau de spécialisation à atteindre dansun domaine n’est finalement qu’un dérivé de la ques-tion de la légitimité. S’il ne s’agit pas d’un question-nement propre aux projets open access, le phénomènesemble accentué par la plus grande diversité desprofils des acteurs et par le type de collaborations

induites. En effet, si des liens entre unités de rechercheet bibliothèques existent déjà (notamment dans ledomaine de la politique documentaire et des ser-vices), il ne s’agit plus, dans le cadre de projets openaccess, de consulter régulièrement les chercheurs, maisd’aboutir à une collaboration directe.Or le positionnement du service documentaire dépendplus fortement encore des forces en présence parmiles services partenaires. Il n’est pas possible de livrerune réponse univoque, mais les outils et la méthodologiedu marketing des services documentaires, tels quedéfinis par Jean-Michel Salaün2, constituent autant deressources. Le propos n’est pas de circonscrire les enjeuxliés aux actions open access à des questions de com-munication, mais les outils issus du marketing peu-vent faciliter le processus d’analyse du servicedocumentaire et, de fait, l’aider à clarifier son posi-tionnement par rapport aux services partenaires au seinet à l’extérieur de l’établissement.

La question des compétences s’inscrit au cœur desproblématiques d’organisation du travail et a égale-ment un impact fort en termes de positionnement parrapport aux services partenaires impliqués dans lesprojets open access. L’acquisition de compétencesspécialisées, qu’elles soient plus ou moins « inno-vantes », constitue un challenge pour les bibliothé-caires et repose sur la capacité à les organiser au seind’un service afin de tenir compte de leur caractèreplastique et de positionner l’ensemble d’une struc-ture documentaire au sein d’un établissement, deréseaux nationaux, voire internationaux.

Sabrina GrangerResponsable de l’Urfist de Bordeaux

[email protected]

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duelle et constitue une grille d’analyse permettantde dresser une cartographie, une meilleure connais-sance des chercheurs et de leurs pratiques, deleurs réseaux et collaborations.Bien sûr, ce travail est plus aisé dans certaines dis-ciplines que dans d’autres. Cependant, lorsqu’ilest possible comme dans le domaine de la biologie-santé, il constitue une opportunité pour les pro-fessionnels des bibliothèques. Comme l’a soulignéChristophe Dutheil4, les analyses bibliométriquespermettent de détecter des tendances, d’identifierles auteurs en pointe sur un sujet donné et lesrevues les plus appréciées, bref de jouer un rôlede veille pour identifier les stratégies de publica-tions. De la veille au pilotage, il n’y a qu’un pas :en d’autres termes, elle peut nous aider à faire deschoix pour mieux suivre les évolutions d’une com-munauté, mieux la servir, mieux valoriser sa pro-duction.

COMMENT PILOTER L’OPEN ACCESSDANS SON ÉTABLISSEMENT ?Les études bibliométriques permettent d’ores etdéjà de mesurer la progression de l’open accessdans les disciplines biomédicales au niveau inter-national. Il semblerait donc logique de transposerla même méthodologie pour des études à l’échelled’un établissement.Ce n’est malheureusement pas si simple ! Les basesbibliographiques ou bibliométriques pertinentesprésentent en effet le défaut majeur de très malréférencer les chercheurs et leurs affiliations, cequi pénalise toute analyse bibliométrique au niveauindividuel ou local. En préalable à toute étude, ilest donc indispensable d’améliorer ce référence-ment : soit par un travail de correction a posteriorides données, réalisé manuellement par chaqueétablissement, donc de manière imparfaite, fasti-dieuse et empirique ; soit par l’utilisation systéma-tique a priori de référentiels par les chercheurseux-mêmes (Orcid, ISNI), ce qui est encore uto-pique à ce jour.Pour améliorer le référencement et la visibilité inter-nationale des établissements français, le Centrehospitalier universitaire régional de Lille vient jus-tement en réponse de développer un outil inno-

Le domaine biomédical, avec la prédominanced’articles très formatés et une offre éditorialeconcentrée entre les mains de quelques éditeursinternationaux, se prête particulièrement bien auxanalyses bibliométriques. L’open access y a deplus fait une percée fulgurante ces cinq dernièresannées, sous la forme de revues en libre accès1.Pourquoi ne pas mettre à profit cette configurationpour renouveler la réflexion sur le sujet ?

BIBLIOMÉTRIE ET OPEN ACCESS,UNE ASSOCIATION CONTRE NATURE ?Le développement de l’open access pose en effetla question des choix de diffusion, notamment entrevoies verte et dorée, et des objectifs, donc du pilo-tage de la recherche. Or, la bibliométrie proposedes outils et des méthodes pour quantifier et car-tographier les publications. Tandis que se dessi-nent de nouveaux modèles éditoriaux, les outilsbibliométriques peuvent de fait nous apporter lesmoyens d’accompagner cette période de transitionet non de la subir. Dans ce cadre, la bibliométriepeut être mise au service de l’open access.Compte tenu de l’aura sulfureuse qui entoure labibliométrie, quelques rappels ne sont pas inutiles :comme l’a souligné Yves Gingras2, la bibliométriene saurait se réduire à l’évaluation de la rechercheou au classement des universités. De plus, la valeurd’un chercheur s’évalue avant tout de manière qua-litative par la lecture de sa production. La biblio-métrie est une «méthode de recherche qui consisteà utiliser les publications scientifiques et leurs cita-tions comme indicateurs de la production scienti-fique et de ses usages »3, ce qui autorise desapplications variées, à condition de s’en tenir à uneméthode rigoureuse et transparente. L’adéquationà l’objet, c’est-à-dire la pertinence des indicateursutilisés, constitue un préalable indépassable : labibliométrie ne se pense que dans le cadre d’unediscipline et de ses spécificités (source des don-nées, mode de diffusion des résultats de la recherche,nombre de chercheurs composant la communautéconcernée, variété linguistique, etc.). De même,seule la prise en compte d’une palette d’indicateursdifférents permet de transcrire la réalité d’un domaine.Ainsi la bibliométrie dépasse l’évaluation indivi-

La bibliométrie au servicede l’open accessÀ l’époque de la fièvre de l’évaluation, certains acteurs peuvent être tentés par l’image d’une rechercheécartelée entre open access et bibliométrie qui, tels chevalier blanc et chevalier noir, s’affronteraient sous lesoleil de la production scientifique. Accepter ce dilemme serait cependant faire fausse route en oubliant lecontexte spécifique de chaque discipline, la structuration de ses publications.

[1] Keiko Kurata, TomokoMorioka, Keiko Yokoi,Mamiko Matsubayashi,«Remarkable Growth of OpenAccess in the BiomedicalField: Analysis of PubMedArticles from 2006 to2010», Plos One, 2013,http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0060925

[2] Yves Gingras,Les dérives de l’évaluationde la recherche : du bonusage de la bibliométrie,Liber, 2014.

[3] Ibid.

[4] Christophe Dutheil,«Utiliser les donnéesbibliométriques pour laveille», Archimag, 2014,n° 273, p. 29-30.

(Dossier… DÉVERROUILLER LA RECHERCHE)

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[5] Patrick Devos, SolennBihan, Sigaps/Sampra,présenté lors de la journéed’information ADBU«Bibliométrie, scientométrieet métriques alternatives»,01/04/2015,http://adbu.fr/competplug/uploads/2015/04/SIGAPS-SAMPRA_vuSB.pdf

[6] Un mémoire Enssibest en cours de préparationsur cette thématique.

[7] Pierre-Étienne Caza,Quels sont les périodiquesessentiels ?, ActualitésUQAM, 16/03/2015,www.actualites.uqam.ca/2015/bibliotheques-revision-des-abonnements-aux-periodiques

[8] Annaïg Mahé, OdileHologne, Mathieu Andro,«Estimation des dépensesde publication de l’Inradans un modèle théoriqueGold Open Access»,Documentaliste-Sciencesde l’information, vol. 51,2014/4, p. 71-79.

[9] Paul Thirion,Bibliométrie et open accessà ULG, présenté lors de lajournée d’information ADBU«Bibliométrie, scientométrieet métriques alternatives»,01/04/2015,http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/179971

vant, Sampra5, qui relie de manière fiable les publi-cations d’un établissement à leurs auteurs et ren-voie automatiquement ces données corrigées auWeb of Science, pour consolider le profil des orga-nisations et des auteurs. Pour ce faire, Samprademande une validation des publications par leschercheurs eux-mêmes (cf. schéma). Cet outil estactuellement en déploiement à l’université de Lille 2Droit et Santé, site pilote, ce qui nous permet d’en-visager quelques expérimentations audacieuses6.Une fois que nous aurons isolé, grâce à Sampra, lecorpus des publications de notre établissement,nous pourrons facilement l’analyser dans InCites,l’outil d’analyse du Web of Science, mais aussi dansPubmed, grâce à l’identifiant des notices, afin deprocéder à toutes les comparaisons possibles. Larigueur de la méthode et la pertinence des indica-teurs actées, nous pouvons aussi envisager de com-parer ce corpus à celui d’autres bases, des archivesouvertes notamment, pour peu que des référentielscommuns nous le permettent (DOI, identifiants dechercheurs Orcid, ResearcherID, IdRef…).Le cadre posé, il reste à définir différents axesd’études qui présentent un intérêt soit pour le pilo-tage de la recherche, soit pour le pilotage de la docu-mentation, soit pour le conseil personnalisé auxchercheurs. En voici une liste, non exhaustive.• Conseil personnalisé aux chercheurs : pour accom-pagner les chercheurs vers davantage de produc-tion en open access, il faut pouvoir définir la partde celle-ci dans un domaine, avec la répartition finepar spécialité, l’évolution dans le temps, les canauxde publications privilégiés. C’est une base d’appuiindispensable pour adapter la communication et lapédagogie et guider légitimement les chercheursdans le paysage éminemment complexe et mou-vant de l’open access.

• Pilotage de la documentation : l’offre documen-taire ne saurait plus se résumer à l’acquisition deressources électroniques payantes, elle devra aussiinclure des ressources gratuites qui présentent unintérêt pour les chercheurs de l’établissement. Leursélection passera par une analyse non seulementdes statistiques d’usage, mais aussi des statistiquesde production de l’établissement, c’est-à-dire desarticles écrits et cités par nos chercheurs7.• Pilotage de la recherche : les données récoltéesdans les deux champs précédents donneront unevision fine du comportement des chercheurs vis-à-vis de l’open access et permettront d’évaluer l’im-pact réel des campagnes d’incitation. Ces analysesseront à compléter par des études de coûts qui per-mettront de définir une politique en matière de finan-cement des frais de publications ou de soutien audépôt dans une archive ouverte adaptée8.

En conclusion, la mutation actuelle de l’informationscientifique due à l’open access est l’occasion idéalepour les bibliothèques de se réapproprier une connais-sance précise des modes de publications et ainside renouveler leur rôle. Des expériences commecelle de l’université de Liège, célèbre pour son enga-gement précoce en faveur de l’open access, nousappellent à sortir des analyses préformatées issuesd’outils commerciaux9. Repenser la bibliométriegrâce à la rigueur de sa méthode et à la richesse deses données peut être l’instrument de cette recon-quête.

Solenn BihanSCD Université Lille 2, Services aux chercheurs

[email protected]

Stéphane HarmandADBU, Commission recherche

[email protected]

Extraction des donnéesdu Web of ScienceCore Collection

Renvoi de la listedes publications validées

Consolidationdes adresses

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2 Validation parles chercheurs.Analyses locales.

PRINCIPES DE SAMPRA : les phases 1 et 2 correspondent à la partie du processus gérée par Sampra.Source : Patrick Devos.

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(Dossier… DÉVERROUILLER LA RECHERCHE)

de fermeture. On rappellera à ce sujet le documentLes 10 commandements à l’éditeur d’ebooks : pourune offre idéale4, rédigé par la cellule ebook deCouperin, ou encore la Charte des bonnes pratiquespour l’édition scientifique numérique 5, rédigée parBSN 7. On y trouve le vœu de favoriser l’interopéra-bilité, de standardiser les données et les URL.L’éditeur est également invité à rendre publique saposition concernant le dépôt en archive ouverte.De nombreux projets et expérimentations concrètesémergent pour constituer une offre hétérogène, sus-citée par des acteurs variés. Les ouvrages concer-nés sont avant tout académiques, mais pas uni-quement. Tous ont en commun de reposer surdifférents modèles économiques venus du Net,rompant avec l’économie traditionnelle du livre.Ainsi, le projet Unglue6, pour lequel un partenariata été signé avec De Gruyter, utilise le crowdfundingpour « libérer » des ouvrages.Autre modèle, le Freemium. En France, l’acteurmajeur en est OpenEdition Books7. Une partie dufonds est en consultation libre en HTML. L’accès auxservices est payant (liseuse, ePub, PDF…). Le restedu fonds est en accès dit « exclusif » : les biblio-thèques paient pour accéder à ce titre. Le contratsigné entre le diffuseur et les éditeurs vise à accroî-tre l’offre open (50 % des contenus en accès Free-mium). Le tiers des revenus, issus des ventes auxcollectivités, finance les services.Les bibliothèques sont appelées à jouer un rôle impor-tant dans le développement de l’offre d’ebooks enopen access, grâce à une approche fine du marché,ciblant les ouvrages de recherche.En Grande-Bretagne, le Jisc pilote un programmede diffusion en open access des monographies ensciences humaines et sociales. Il s’agit d’évaluer l’im-pact du libre accès sur les ventes, les usages et lescitations. Un comité de sélection désigne des édi-teurs. Les ouvrages retenus sont disponibles en PDFet en licence Creative Commons. L’éditeur com-mercialise les versions imprimées et les autres for-mats. Les ouvrages sont ensuite disponibles sur dif-férentes plateformes, dont le Directory of Open AccessBooks (DOAB).Knowledge Unlatched8 est un organisme sans butlucratif qui coordonne la « libération » d’ouvragessous droits. L’éditeur fixe un prix pour mettre en

Couperin a organisé en juin 2014 sa SeptièmeJournée sur le livre électronique autour du thème«Livre électronique et open access»1, afin de met-tre en lumière les causes de la faiblesse historique del’offre dans ce domaine et de trouver des solutions.

FREINS JURIDIQUES ET ÉCONOMIQUESCertes, une offre éditoriale de livres électroniques«accessibles» existe. Springer a récemment lancéun pilote de livres en open access, fondé sur le modèlede l’auteur-payeur2. Mais pourquoi tant de retard parrapport aux revues ? Les «Lignes directrices», rédi-gées par la Commission européenne dans le cadred’Horizon 2020, ciblent les revues comme seul typede publications soumis à l’obligation de diffusion enopenaccessdans le cadre d’un financement de l’Unioneuropéenne : «L’article de revues est le type de publi-cation scientifique évaluée par les pairs le plus usité.[…]Toutefois, les bénéficiaires sont fortement encou-ragés à fournir un libre accès àd’autres types depubli-cations […], par exemple les monographies»3. Lesmonographies académiques restent un objet édito-rialement flou, en marge de la publication scientifiqueet mal pris en compte par l’évaluation des pairs, et, àla différence des revues, la plus-value apportée parl’éditeur est très importante. Ainsi, si en théorie, l’au-teur est toujours libre de négocier les conditions d’ex-ploitation lors de la signature du contrat d’édition, lespratiques restent encadrées par des protocoles asso-ciant les représentants des ayants droit.Ces facteurs expliquent le poids des questions liéesà la propriété littéraire et artistique et les faibles margesde manœuvre des politiques incitatives de la rechercheen la matière. La publication en open access «gold»est pour l’instant limitée à l’édition à compte d’au-teur. Ordinairement, l’éditeur y verra un risque dansl’exploitation de son ouvrage. Cela est encore plusvrai pour la « voie verte » et le dépôt sur une based’archive. Le cycle d’exploitation étant plus long, ilest difficile de jouer sur les durées d’embargo, à ladifférence des revues.

UNE OFFRE ÉMERGENTE REPOSANTSUR L’ÉCONOMIE DU NETOn ne peut admettre que le livre soit condamné à res-ter une sorte d’angle mort de l’open access. Il s’agittoutd’abordd’encourager le secteuràsortir des logiques

Vers un « livre libre » ?Les voies du ebook en open access

L’ebook est-il inconciliable avec l’open science ? L’offre actuelle de livres numériques en open access estsurtout constituée d’ouvrages tombés dans le domaine public. Le contraste avec les revues est frappant.Causes et remèdes.

[1] http://jle-couperin.sciencesconf.org/resource/page/id/1[2]www.springeropen.com/books[3] Horizon 2020, Lignesdirectrices pour le libre accèsaux publications scientifiqueset aux données de recherchedans Horizon 2020,11 décembre 2013.[4] www.couperin.org/relations-editeurs/bonnes-pratiques/293-les-10-commandements/599-les-10-commandements-de-lediteur-de-books-pour-une-offre-ideale[5]www.bibliothequescientifiquenumerique.fr/?Charte-des-bonnes-pratiques-pour-l[6] https://unglue.it[7]http://books.openedition.org[8]www.knowledgeunlatched.org

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accès libre un ouvrage, les coûts de publication sontensuite pris en charge collectivement par les biblio-thèques adhérentes. Quand le montant du prix estatteint, l’ouvrage est libéré. Son succès dépend doncdu nombre de bibliothèques s’engageant à créer ceteffet de levier. Aujourd’hui, plus de 300 bibliothèqueset 13 éditeurs se sont associés. Les ouvrages sontdiffusés sur les plateformes d’Oapen, d’HathiTrustet de la British Library.

ACCOMPAGNER ET MOBILISERLA COMMUNAUTÉ ENSEIGNANTEIl existe également des initiatives locales pour uneédition native en open access. Ainsi les Presses uni-versitaires de Montréal (PUM) et les bibliothèquesont un projet visant à publier en libre accès des mono-graphies pour valoriser la recherche. Dix ouvragesdu fonds des PUM sont retenus d’un commun accordavec les bibliothèques. Les PUM produisent la ver-sion numérique aux formats PDF et ePub, en plusdes versions imprimées (seules ces dernières sontvendues). Les bibliothèques versent aux PUM uneaide financière.Bien sûr, la recherche est un terrain plus favorableque la pédagogie. Toutefois, s’il faut se livrer à un essaide prospective, les initiatives les plus prometteusesviendront sans doute de ce dernier domaine, où leslacunes de l’offre éditoriale sont notables. En France,le ministère de l’Enseignement supérieur et de laRecherche, l’ADBU et l’Observatoire numérique del’enseignement supérieur projettent de rendre large-ment accessibles des manuels à l’échelle nationale.Les structures les plus novatrices placent l’ensei-gnant au cœur des projets. Mais pour cela, un accom-pagnement éditorial est nécessaire, dans le cadred’une demande faite par une institution académique.L’offre de la plateforme d’OpenClassrooms9 mêlefourniture de contenus et service d’ingénierie péda-

gogique, liant tous les types de ressources : moocs,cours rédigés pour le Web et ebooks. L’accès est soitgratuit en ligne, soit payant pour bénéficier d’un suivipédagogique, télécharger les cours ou imprimer à lademande. Ce projet laisse entrevoir les possibilitésdu livre enrichi et de l’hybridation des contenus tex-tuels et multimédias.L’idéal serait d’encourager la création par les ensei-gnants-chercheurs de livres nativement ouverts etlibres. Cela existe dans le secondaire, comme Sésa-Math10. Dans ce projet «communautaire », les ensei-gnants-auteurs rédigent eux-mêmes de la docu-mentation et des manuels en s’appuyant sur unéditeur partenaire.

CONCLUSION : LES NOUVELLES VOIESDE L’OPEN ACCESS ?L’édition d’ebooks en open access passe soit par lalibération des droits d’exploitation, soit par une publi-cation native. Dans tous les cas, un partenariat avecun éditeur est nécessaire pour accéder à son fondsou utiliser ses compétences techniques. L’arrivée denouveaux acteurs sur le marché de l’édition, pureplayers et agrégateurs, bouscule le cycle d’exploita-tion traditionnel du livre. La diversité des supports etdes droits permet de concevoir des modes d’exploi-tation différents (PDF, streaming, imprimé…). Lesbibliothèques jouent alors un rôle central de procu-ration et de coordination des projets qui mobilisentéditeurs, comités de lecture, institutions et auteurs.Dans le prolongement de sa Septième Journée surle livre électronique, Couperin a déjà mis en œuvredes projets de partenariats pour la libération de livres.

Sébastien Respingue-PerrinDirecteur adjoint,

Bibliothèque de l’université Évry Val d’EssonneResponsable Cellule ebook de Couperin

[email protected]

Steve

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CBY-NC-N

D2.0) Sitting on History, une

sculpture de Bill Woodrow.

[9] http://openclassrooms.com[10] http://www.sesamath.net

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(Dossier… DÉVERROUILLER LA RECHERCHE)

Le numérique favorise des modes depublications plus rapides, plus acces-sibles ; il a permis aussi l’émergencede l’open access et la mise en placede nouveauxmodèles comme les épi-revues.

Larechercheestunprocessuscumu-latif qui s’appuie notamment surles connaissancesétablies. Lecher-

cheurnepeutpas travaillerde façon iso-lée du reste de sa communauté scienti-fique : il abesoin,d’unepart,deconnaîtreles résultats des recherchesmenées pard’autres chercheurspourque lui-mêmepuisse avancer et, d’autre part, il devrasoumettre sespropres résultats à ses col-lègues et les partager. La revue acadé-mique est le mode classique de publi-cation des résultats scientifiques,mais,surtout, elle apporte des garanties devalidité des résultats publiés grâce à unprocessusd’évaluationpar lespairs (peerreview).

Un contexte déterminantLa production des revues scientifiquesrepose sur un travail spécifique quiconsiste à organiser les échanges entrele comité éditorial de la revue, garantdesa qualité scientifique, les auteurs quirédigent et proposent les articles, et lesrelecteurs qui commentent les papierset recommandent leurpublication, leurmodification ou leur rejet. Des éditeursspécialisésassurenthabituellementcettefonction, tout enveillant à la réputationdes titres qu’ils hébergent. Les revuesscientifiques étant l’un des matériauxde base de l’activité de recherche, ceséditeurs se trouvent de fait en situationdemonopolepour ladiffusiondesrevuesreconnues. Leprixdesabonnements esten constante augmentation, situationcritiquebienconnuedesbibliothécaires,à quoi s’ajoute la pression financièrecrééepar lemodèleéconomiquedesAPC(Article Processing Charges).C’est dans ce contexte,marquépar l’exi-gence de validation par les pairs des

publications, par l’emprise économiquedes grands éditeurs, mais aussi par lespossibilités offertes par le numériqueenmatière d’archivage et demise à dis-position des documents, que se déve-loppent les épi-journaux.Depuis 2001, le Centre pour la commu-nication scientifique directe1 (CCSD)propose, à l’ensemblede lacommunautéscientifique, l’archive ouverte Hal2

(connectée à ArXiv3). On peut y dépo-ser (dans le respectdes règles juridiques)des documents déjà publiés dans desrevues scientifiques, donc évalués parlespairs,maisaussidespré-publications,soumisesounonpourpublicationdansdes revues.

Des épi-revues àEpisciences.orgLesépi-revues se construisent au-dessusdes archives ouvertes ; c’est pourquoi,en2012, leCCSD,associéà l’InstitutFou-rier et à l’Inria, développe et administreEpisciences.org4, plateforme d’héber-gement de revues scientifiques en libreaccèsdisposantdesmoyens techniquesd’examen par les pairs.Les épi-revues sont des revues électro-niques en libre accès, composées d’arti-clessoumisviaundépôtdansunearchiveouverte tellequeHal,ArXiv.Ces articlessont immédiatement consultables enaccès ouvert, sans attendre les résultatsde l’évaluationpar lespairs.À l’issueduprocessusde relecture, l’articlepeut êtrevalidépour lapublicationdans la revue.La version définitive, si elle est diffé-rentede celle soumise sur l’archive, seraajoutéeà lapremièreversionavec le labelde la revue.Desépi-comitésoucomitésscientifiques,composésd’experts reconnusdans leurdiscipline, stimulent la créationdecomi-tés de rédaction susceptibles d’organi-ser denouvelles épi-revues, et deveillerà leurs contenuset à leurqualité.Actuel-lement il existe deux épi-comités : Epis-ciences-IAM5 (Informatics andAppliedMathematics) et Episciences-Maths6.

Parce que la forme de la publicationscientifiquepeutvarier, Episciences.orgest uneplateformemodulable qui offreà chaque revue la possibilité de déciderde ses propres règles de gestion concer-nant aussi bien les auteurs des articles,les rédacteurs, les relecteurs…Pourmet-tre enœuvre sa politique et sonmodèlede fonctionnement, le rédacteur enchefdispose d’une grande variété de fonc-tionnalités paramétrables qu’il choisitd’activer ou non. En outre, ces revuesbénéficient d’un environnement tech-nique sécurisé surdes serveurspublics.Quatre revues7 sontdéjàdisponibles surEpisciences.org :onpeutciter,parexem-ple, JDMDH(JournalofDataMiningandDigital Humanities) qui est unnouveautitre, alorsqueDMTCS (DiscreteMathe-matics&TheoreticalComputer Science)existait auparavant et a migré complé-tement sur laplateforme.D’autres titressont en cours de fabrication.

Les épi-revues cherchent donc à valori-ser les fonds en open access (green etgold) tout en constituant un modèleouvert de publication scientifique. Ilssont unmodèle émergent, qui tente derépondreauxexigencesdes revuesscien-tifiques et au défi économique de leurédition et de leur diffusion. Ce modèlerepose et ne peut fonctionner que surl’engagement de la communauté scien-tifique. Il doit donc la convaincre de sapertinence, de sa rigueur et de sa per-formance, alorsmêmeque laqualité dutravail des individus etdes équipes s’ap-précie aussi à travers la réputation desrevues dans lesquelles ils publient.

Christine BerthaudDirectrice du CCSD

[email protected] l’équipe Episciences.org

[email protected]

EPISCIENCES.ORG, UN NOUVEAU MODÈLE DE REVUESCIENTIFIQUE

[1] http://ccsd.cnrs.fr[2] https://hal.archives-ouvertes.fr[3] http://arxiv.org[4] http://episciences.org[5] http://episciences.org/page/epiiam[6] http://episciences.org/page/epimath[7] http://episciences.org/page/journals

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L’accès ouvert et la consultationnationale sur le numérique

En septembre 2014, le Premier ministre a saisile Conseil national du numérique1 pour organiserune concertation citoyenne sur les enjeux liés auxtransformations numériques : « Je souhaite [...]que le Conseil national du numérique mène uneconcertation [...] pour recueillir et analyser les aviset contributions des citoyens et des acteurs de lasociété civile, associatifs, économiques et institu-tionnels sur les besoins et les démarches à adopteren matière de numérique, notamment en ce quiconcerne le développement économique, l’inno-vation, les droits et libertés fondamentaux ».

UNE CONTRIBUTION COMMUNE BSN 4ET BSN 7Les membres des segments 4 et 7 de la Bibliothèquescientifique numérique (BSN) ont saisi cette oppor-tunité pour proposer des évolutions législatives per-mettant de développer l’accès ouvert. Le segment 4(BSN 4) traite de l’accès ouvert, quelle que soit la voiequi y mène, c’est-à-dire les archives ouvertes oul’édition électronique ouverte. Le segment 7 (BSN7)travaille sur les questions d’édition électronique : il anotamment publié une charte des bonnes pratiquespour l’édition numérique scientifique et initié uneenquête sur les coûts éditoriaux des revues.Il existe une forte coopération entre BSN4 et BSN7.Ils s’apprêtent à lancer en commun une étude sur les

nouvelles formes d’édition. Ils ont donc décidé de par-ticiper ensemble à la consultation lancée par leConseil national du numérique en déposant unecontribution intitulée Généraliser l’accès ouvert àtous aux résultats de la recherche financée sur fondspublics 2, publiée dans son intégralité page suivante.Les membres de BSN 4 et de BSN 7 s’y exprimentà titre individuel.La première partie de la contribution a pour objectifde «mettre en place un dispositif légal qui garantissela diffusion en accès ouvert des résultats de larecherche financée totalement ou partiellement surfonds publics». Dans cette optique, elle propose unedéfinition des documents qui devraient être concernéspar le dispositif légal : les textes issus de recherchesfinancées sur fonds publics. Elle veut, à la fois,«empêcher d’empêcher » la diffusion en accès ouvertpar les chercheurs et créer une obligation de dépôtimmédiat dans une archive ouverte. La deuxièmepartie a pour objectif d’ «assurer des conditions opti-males de diffusion des publications scientifiques», denombreux obstacles s’opposant actuellement à l’usage,à la citation et à la diffusion des textes scientifiquesfinancés par l’État.Cette contribution est également l’occasion de stabiliserle vocabulaire français dans le domaine de l’accès ouvert.En effet, l’anglais «open access» a été initialementtraduit par «libre accès». Malheureusement, «ouvert»et « libre» n’ont pas du tout le même sens. En effet,il est nécessaire de distinguer la diffusion ouvertedes textes, c’est-à-dire sans barrière technique ou com-merciale à l’accès, de la diffusion des textes souslicence libre, permettant des réutilisations plus oumoins larges, selon la licence adoptée par l’auteur –le modèle de licence libre le plus connu étant leslicences Creative Commons. La contribution privi-légie l’accès ouvert, moins difficile à atteindre que l’accèslibre, tout en encourageant l’adoption des licences libres.

D’AUTRES CONTRIBUTIONSSUR LE MÊME SUJETLa contribution des groupes BSN 4 et BSN 7 estproche, dans ses objectifs et les modalités de miseen œuvre proposées, de celle déposée par le consor-tium Couperin3. Se référant aux initiatives des Étatsen Allemagne, Argentine, Italie et Espagne, cette

« Ambition numérique », la consultation lancée l’automne dernier par le Premier ministre, a recueilli17678 contributions émanant de plus de 2300 contributeurs. Gros plan sur la participation commune deBSN4 et BSN7 à cette concertation.

[1] Le Conseil national dunumérique est une commissionconsultative, créée par l’État,qui a pour mission de formulerde manière indépendanteet de rendre publics des avis etdes recommandations sur toutequestion relative à l’impactdu numérique sur la sociétéet sur l’économie.[2]http://contribuez.cnnumerique.fr/debat/109/avis/3055[3]http://contribuez.cnnumerique.fr/debat/109/avis/3174

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dernière appelle à une évolution législative compor-tant un droit et un devoir («mandat») de dépôt enarchives ouvertes. L’université Paris Ouest NanterreLa Défense a déposé une contribution allant exac-tement dans le même sens4. De son côté, le collectifSavoirsCom1 a déposé une contribution proposantd’élargir la problématique à l’«open science»5, c’est-à-dire à l’ensemble des données et processus de larecherche, et au libre accès, c’est-à-dire à une dif-fusion des résultats sous licence libre.Trois autres contributions, issues du secteur privé,prennent acte des progrès de l’accès ouvert, mais mani-festent des inquiétudes. Ces contributions, notammentcelle du Groupement français de l’industrie de l’in-formation (GFII)6, appellent à un dialogue concerté

avec le secteur privé, à une définition du périmètreconcerné, à des expérimentations, à la prise encompte de la diversité des modèles et des coûts dutravail réalisé par les éditeurs7.

Alors que le rapport Reda8 propose des évolutions pro-gressistes et, pour l’essentiel, indispensables à l’échelleeuropéenne, la consultation du Conseil national dunumérique montre que la France s’interroge enfin surla façon dont le droit pourrait favoriser l’accès ouvert.C’est une opportunité unique qu’il faut saisir.

Marin DacosDirecteur du Centre pour l’édition électronique ouverte

Coordinateur de BSN [email protected]

GÉNÉRALISER L’ACCÈS OUVERT À TOUS AUX RÉSULTATSDE LA RECHERCHE FINANCÉE SUR FONDS PUBLICS

[4]http://contribuez.cnnumerique.fr/debat/109/avis/2921[5]http://contribuez.cnnumerique.fr/debat/109/avis/2947[6]http://contribuez.cnnumerique.fr/debat/109/avis/3375[7]http://contribuez.cnnumerique.fr/debat/109/avis/3266[8]https://juliareda.eu/le-rapport-reda-explique/

Texte intégral de la contribution commune BSN 4 et BSN 7 dans le cadre de la consultation nationale sur le numérique.

�Mettre enplaceundispositif légal qui garantissela diffusion en accès ouvert des résultats de larecherche financée totalement ou partiellementsur fonds publics.Il s’agit de répondre aux besoins de la communauté scienti-fique et de la société, exprimés notamment dans la Déclarationde Berlin de 2003 sur l’open access. Il s’agit également de semettre en conformité avec le nouveau code de la recherche de2013, qui stipule que «La recherche publique a pour objectifs[…] le partage et la diffusion des connaissances scientifiques endonnant priorité aux formats libres d’accès». Il s’agit, enfin, desuivre la recommandation européenne du 17 juillet 2012« relative à l’accès aux informations scientifiques et à leurconservation». Cette démarche a pour objectif de préciser lesdroits et devoirs des auteurs dans le cadre de l’édition derecherche à l’heure du numérique, dans le respect des condi-tions d’exploitation éditoriale de leur production scientifique.� Définir légalement les textes de recherches qui sont finan-cées totalement ou partiellement sur fonds publics en tant quel’ensemble des objets éditoriaux qui font l’objet d’une évaluationdans le cadre de la carrière du chercheur, en particulier les arti-cles de périodiques et les thèses ; l’extension du dispositif aulivre de recherche, également concerné, devra faire l’objetd’études et d’expérimentations préalables à l’échelle natio-nale et internationale. On définira le texte de recherchecomme étant le texte définitif, c’est-à-dire le contenu de la ver-sion éditée, le manuscrit accepté pour publication, à savoir laversion évaluée, révisée et corrigée, à l’exception de la miseen forme qui est la marque matérielle de l’éditeur.�Rendre légalement impossible la cession exclusive des textesde recherches totalement ou partiellement financés sur fondspublics, afin de permettre leur diffusion en accès ouvert.

� Créer une obligation de dépôt immédiat dans une archiveouverte (nationale, institutionnelle ou thématique) et de dif-fusion en accès ouvert dans un délai conforme aux recom-mandations européennes des textes de recherches financéestotalement ou partiellement sur fonds publics, que ce soitpar l’auteur, par son institution de rattachement ou par l’édi-teur.�Encourager la diffusion des textes de recherches qui sont finan-cées totalement ou partiellement sur fonds publics sous deslicences permettant leur réutilisation.� Faire en sorte que le cadre législatif ne soit pas un frein à l’ex-ploration de nouveauxmodèles éditoriaux et économiques pourl’édition scientifique.

� Assurer des conditions optimales de diffusiondes publications scientifiques.� Prohiber les mesures techniques de protection (MTP) dontla finalité ou l’effet est d’empêcher la copie privée, la citation,ou de limiter l’usage à un seul terminal ou à un seul type desupport.�Créer une exception au code de la propriété intellectuelle pourle text and data mining (TDM) portant sur les données et lespublications produites par la recherche sur fonds publics, àl’exclusion de toute exploitation commerciale.� Libérer les usages dans les cadres pédagogiques et derecherche. Aujourd’hui, l’exception pédagogique et de rechercheau code de la propriété intellectuelle est inapplicable. La miseen place d’une licence légale pour la pédagogie et la recherchenous semblerait une solution nécessaire.

Lesmembres de BSN 4 (groupe travaillant sur l’open access)et BSN 7 (groupe travaillant sur l’édition scientifique),

s’exprimant à titre individuel

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21N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015Ar(abes)ques

[1] Cet article constituela version abrégée d’un texteintitulé «Le rôle du droitd’auteur dans ledéveloppement de l’openaccess via les archivesouvertes», rédigé pourle colloque international :«Libre accès et recherchescientifique: vers de nouvellesvaleurs », nov. 2014, Tuniset disponible dans Hal SHS(n° 01120188).[2] www.budapestopenaccessinitiative.org/translations/french-translation[3]www.sparc.arl.org/resources/authors/addendum-2007[4] Public Law 113-76,Division H section 527,www.gpo.gov/fdsys/pkg/PLAW-113publ76/pdf/PLAW-113publ76.pdf

Le droit d’auteur est incontournable lorsque l’onévoque l’open access. Les travaux scientifiquesprésentés sous forme d’articles ou d’ouvrages sontgénéralement des œuvres originales et les cher-cheurs sont donc des auteurs, titulaires de droitssur leurs créations. Dès lors, l’exploitation de cespublications suppose l’accord de ces auteurs. Avantle développement de l’open access, cet accord étaittraditionnellement formalisé par un contrat d’édi-tion confiant au seul éditeur le rôle de publier l’œuvreet de la diffuser aux lecteurs. Avec l’open access,ces pratiques évoluent, l’éditeur peut lui-mêmecommuniquer l’œuvre de manière « ouverte » oubien permettre le dépôt du texte dans une archive.Le droit d’auteur est également incontournablelorsque l’on aborde l’autre «volet » de l’open access :l’utilisation de l’œuvre rendue accessible. L’Initiativede Budapest pour l’accès ouvert2 proclame en effetque l’« accès libre » à la littérature scientifiqueimplique certes « sa mise à disposition gratuite surl’Internet public », mais aussi la possibilité pour lelecteur d’exploiter l’œuvre « sans barrière finan-cière, légale ou technique autre que celles indis-sociables de l’accès et l’utilisation d’Internet ». Ilest ajouté plus loin que « la seule contrainte sur lareproduction et la distribution, et le seul rôle ducopyright dans ce domaine, devrait être de garantiraux auteurs un contrôle sur l’intégrité de leurs tra-vaux et le droit à être correctement reconnus etcités ».

ACCÈS AUXŒUVRES SCIENTIFIQUESET DROIT D’AUTEURLe droit d’auteur peut à la fois constituer un obs-tacle au libre accès et devenir un outil pour en favo-riser le développement. Si l’on souhaite donner toutson sens à l’open access, il faut diffuser en accèsouvert les travaux actuels, futurs mais aussi passés.Or pour ces derniers, l’obstacle au libre accès viendragénéralement des contrats conclus par les auteursavec les éditeurs. Très souvent, ces contrats accor-dent à l’éditeur une exclusivité d’exploitation del’œuvre, et cela sur support « papier » comme pourune exploitation en ligne, pour le monde entier etpour toute la durée des droits. Le chercheur estalors privé de la possibilité d’exploiter lui-même sacréation sauf à négocier avec l’éditeur un avenantau contrat, ce qui n’est sans doute pas impossible

mais pour le moins laborieux. Ici, le droit d’auteurpeut donc être un obstacle au libre accès et toutdépendra du rapport de force entre l’auteur et sonéditeur.Cette question du rapport de force est égalementimportante lorsque l’on aborde le cas de la diffu-sion des œuvres actuellement publiées. L’auteurpeut alors faire le choix du libre accès en décidantde publier son article dans une revue qui autori-sera en parallèle le dépôt dans une archive ouverte,parfois après une période dite d’embargo assurantà l’éditeur une exclusivité de quelques mois. Toutdépend donc de la volonté du chercheur et de sacapacité à trouver un éditeur « conciliant ».Mais l’étude des différentes situations rencontréesdans plusieurs pays montre que si l’open accessdépend de la seule volonté des chercheurs, sondéveloppement risque d’être freiné. Un chercheurisolé face à un éditeur puissant et prestigieux peuthésiter à défendre sa volonté de favoriser le libreaccès. Face à un contrat type adressé par unemaison d’édition, il est parfois bien difficile pour lenon-juriste de savoir comment négocier et quoinégocier. Certes, des clauses types sont parfois pro-posées afin que les auteurs puissent les soumettredirectement à leurs éditeurs : on peut citer, parexemple, les actions de Sparc (Scholarly Publishingand Academic Resources Coalition)3. Mais il resteensuite toujours à négocier avec l’éditeur.D’autres voies ont donc été explorées pour assurerl’essor de l’open access. Il peut ainsi constituer unecondition du financement de la recherche. Parexemple, aux États-Unis, la section 527 duConsolidated Appropriations Act de 2014 prévoitque toute agence fédérale soumise à cette loi et quiinvestit plus de 100 millions de dollars dans larecherche doit s’assurer que les travaux ainsi financéssont librement accessibles en ligne au plus tard12 mois après la date « officielle » de publication4.D’autres législateurs ont adopté une approche dif-férente et ainsi en Allemagne, depuis le 1er janvier2014, l’auteur dispose d’un « droit d’exploitationsecondaire ». Il peut « rendre publiquement acces-sible [sa] contribution dans la version acceptée dumanuscrit, après un délai de 12 mois suivant sapremière publication, toute fin commerciale étantexclue». Ce dispositif s’applique lorsque cette contri-bution scientifique est « née d’une activité de

Archives ouvertes et droit d’auteurQuelle est la place du droit d’auteur lorsque l’open access se réalise via les archives ouvertes ? Carine Bernault,professeur de droit privé à l’université de Nantes, envisage ici la question de l’accès auxœuvres scientifiques,puis celle de l’ «utilisation» desœuvres ainsi rendues accessibles, dissociant de la sorte les deux «pieds» surlesquels repose l’open access1.

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recherche financée au moins pour moitié par desressources publiques et publiée dans une collec-tion périodique paraissant au moins deux fois paran »5. Ici, le droit d’auteur est donc bien un « outil »au service de l’open access.

« UTILISATION » DESŒUVRESSCIENTIFIQUES ET DROIT D’AUTEURL’open access, implique, on vient de le voir, queles travaux scientifiques soient accessibles gratui-tement en ligne, sans restriction. Mais il ne s’arrêtepas là. Si l’on reprend le texte de l’Initiative deBudapest pour l’accès ouvert, il s’agit aussi de per-mettre «à tout un chacun de lire, télécharger, copier,transmettre, imprimer, chercher ou faire un lienvers le texte intégral de ces articles, les disséquerpour les indexer, s’en servir de données pour unlogiciel, ou s’en servir à toute autre fin légale, sansbarrière financière, légale ou technique autre quecelles indissociables de l’accès et l’utilisationd’Internet ».Dans cette logique, open access signifie « libre »accès, mais aussi « libre » utilisation. Or, juridique-ment, l’un ne va pas nécessairement avec l’autre.Un article déposé dans une archive ouverte estaccessible gratuitement. En revanche, s’il n’estaccompagné d’aucune licence, il ne sera pas libre-

ment exploitable. Seules les exceptions au droit d’au-teur déterminées par la loi applicable permettrontde se livrer à certaines exploitations. Par exemple,au regard du droit français, il sera possible de faireune copie de l’œuvre pour un usage privé, de brefspassages du texte pourront être cités à des fins «cri-tique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’in-formation»6 et des extraits pourront également êtreutilisés pour l’enseignement ou la recherche7. Mais,au-delà, toute exploitation sera en principe subor-donnée à l’accord exprès de l’auteur. Il faut bienmesurer les limites qu’impose une telle situation.Par exemple, on discute beaucoup, en ce moment,de l’intérêt du text mining ou du data mining pourla recherche scientifique. Il s’agit ainsi d’ «explorerde manière automatique une masse de donnéespour en extraire un savoir ou une connaissance,pour identifier un lien entre plusieurs informationsjusqu’alors considérées comme indépendantes»8.Or, une telle pratique suppose d’extraire, copier,exploiter les données fouillées et cela impliqued’obtenir le consentement du titulaire des droits surl’œuvre fouillée. À défaut d’exception au droit d’au-teur permettant de tels actes, la solution la plussimple pour autoriser de telles recherches consistealors à associer à l’œuvre diffusée en libre accèsune licence autorisant ces exploitations.

(Dossier… DÉVERROUILLER LA RECHERCHE)

[5] Loi du 1er oct. 2013relative à l’utilisation desœuvres orphelines et épuiséeset à une autre modificationde la loi sur le droit d’auteur,Bundesgesetzblatt, n° 59,8 octobre 2013, p. 3728.Traduction proposée parH. Gruttemeier, «Point sur lelibre accès en Allemagne»,http://openaccess.inist.fr/?Point-sur-le-Libre-Acces-en[6] Art. L. 122-5, 3°, a)du code de la propriétéintellectuelle.[7] Art. L. 122-5, 3°, e)du code de la propriétéintellectuelle.[8] Carine Bernault,Jean-Pierre Clavier,Dictionnaire de droit dela propriété intellectuelle,Ellipses, 2e éd., 2015.

Creative Commons guidant les contributeurs, d’après La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix.

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23N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015Ar(abes)ques

Au-delà même du data ou text mining, pour rendreles œuvres en libre accès librement utilisables, ilfaut donc les accompagner de licences détermi-nant les usages autorisés. Les licences les plusconnues sont sans doute les Creative Commons quioffrent plusieurs options différentes allant de laseule exigence de la mention du nom de l’auteuren cas d’exploitation de l’œuvre à l’interdiction desmodifications ou des exploitations commerciales.Il appartient ainsi à chaque chercheur qui déposeson œuvre dans une archive de l’associer, ou non,à une licence qui déterminera les actes d’exploita-tion autorisés. Là encore, si l’objectif de l’open accessest de permettre à la fois l’accès et la réutilisationdes travaux scientifiques, on peut se demander quelsmoyens mettre en œuvre pour l’atteindre. L’examendes œuvres disponibles dans diverses archivesouvertes montre que les pratiques sont très hété-rogènes et que toutes les œuvres en libre accès nesont pas librement exploitables, loin de là.Se pose alors la question du rôle des archivesouvertes. Elles peuvent tout d’abord, et c’est sansdoute le minimum, informer les chercheurs quidéposent leurs travaux de l’intérêt des licences tellesque les Creative Commons. Elles peuvent mêmeles inciter à utiliser une telle licence. Mais unearchive peut aussi adopter sa propre licence quisera alors appliquée à toutes les œuvres qui y sontdéposées. Ainsi, l’archive de l’université Harvard,appelée Dash9, prévoit que les internautes peuventutiliser, reproduire, distribuer, les articles pourmener une étude personnelle, enseigner (ce qui

inclut la possibilité de distribuer des copies del’œuvre aux étudiants), pour mener des recherches(ce qui inclut notamment le text et data mining).Ces actes sont autorisés à condition notammentque l’internaute ne se livre à aucune exploitationcommerciale de l’article et que le nom de l’auteursoit toujours associé à son œuvre10.

CONCLUSIONOn constate une évolution du sens donné à l’«openaccess », dans la pratique tout au moins. Dansl’Initiative de Budapest, il est question de permettrela «disposition gratuite sur l’Internet public » destravaux scientifiques mais aussi leur utilisation. Cesobjectifs concernent toute la « littérature (scienti-fique) des revues à comité de lecture ». Or, il fautconstater que de nombreuses œuvres disponiblesdans les archives ouvertes ne sont pas exploitablesau-delà des seules exceptions au droit d’auteur pré-vues par les lois applicables. L’accès ouvert se réduitalors à un accès gratuit. On peut penser que ce« quasi » open access constitue déjà un progrès.On peut aussi regretter ce qui peut apparaître commeun compromis. Mais peut-être est-ce le prix à payerpour faire « bouger les lignes » en attendant de voirs’imposer à l’échelle planétaire l’open access telque conçu dans la déclaration de Budapest11 ?

Carine BernaultProfesseur à l’université de Nantes

Directrice de l’Institut de recherche en droit privé[email protected]

La Direction de l’information scientifique et tech-nique du CNRS vient de publier en avril dernier uneétude consacrée à L’édition de sciences à l’heurenumérique : dynamiques en cours (2015).Après un panorama complet du marché de l’édi-tion scientifique, l’étude se penche sur les évolu-tionsmajeures de cemarché, les nouveaux axes destratégie des grands éditeurs privés (gold openaccess, plateformes de services). La dernièrepartie pointe le rôle des politiques publiques pourassurer l’équilibre nécessaire entre grands éditeursscientifiques et écosystème de la recherche.

Quelques chiffres extraits de l’étudeLe marché mondial de l’édition scientifique derecherche est estimé à 12,8 milliards d’euros. Les

services numériques représentent enmoyenne60%des chiffres d’affaires (75% pour les grandséditeurs). Lemarché est dominé par 12 grands édi-teurs dont les quatre premiers publient 50,1%desrevues à facteur d’impact et affichent un nombremoyen de 1500 revues à leur catalogues, alors queseuls 2%des éditeurs publient 100 titres ou plus.Les éditeurs ont entrepris une conversion généra-lisée de leurmodèle éditorial en gold open access :la création de nouvelles revues en open accessreprésente désormais près de 80% des nouveauxtitres lancés sur le marché. L’investissement parles grands éditeurs du champ du gold open accessest indissociable de leur volonté d’être à terme dessociétés de service,monétisant les usages de leursplateformes en ligne.

À NOTER

[9]https://osc.hul.harvard.edu/dash/[10] Voir l’ensembledes conditions au point 3des «Terms of Use for DashRepository» :https://osc.hul.harvard.edu/dash/termsofuse.[11] Voir en ce sens : Dix ansaprès l’Initiative de Budapest :ce sera le libre accès pardéfaut, § 2.1 : «Hiérarchiserles priorités et mettre en placedes stratégies implique dereconnaître que l’accès “gratis”est supérieur à l’accès payant,l’accès “gratis” sous licencelibre étant lui-même supérieurau seul accès “gratis”, et,enfin, l’accès sous licence librede type CC-BY ou équivalenteest préférable à un accès sousune licence libre qui serait plusrestrictive. Il faut mettre enœuvre ce que l’on peut quandon peut. Nous ne devrions pasretarder la mise en œuvre dulibre accès “gratis” au prétextede viser l’accès sous licencelibre, mais nous ne devrionspas nous limiter non plusau libre accès “gratis” si nouspouvons obtenir des licenceslibres »,www.budapestopenaccessinitiative.org/boai-10-translations/french

POUR EN SAVOIR PLUSL’intégralité de l’étude est consultable en ligne sur : www.cnrs.fr/dist/z-outils/documents/Distinfo2/DISTetude2%20(2).pdf

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Dans un petit hôtel particulier parisien duXVIIIe siècle, situé à côté de l’Assembléenationale, se trouve l’une des plus impor-tantes collections privées de dessins anciensau monde. Gérée par la Fondation Custodia,elle a été constituée par le connaisseur etcollectionneur néerlandais Frits Lugt (1884-1970). En transférant leur collection et leurfortune à la Fondation, les époux Lugt surentgarantir la pérennité de leur patrimoine. Denos jours, cette maison est le centre dyna-mique de nombreuses activités qui ont pourmission essentielle de « servir l’histoire del’art ». Dans cet esprit, la bibliothèque deconservation, riche de 130000 ouvrages, estouverte à tout amateur d’art qui souhaiteconsulter ses livres ou ses périodiques.

FRITS LUGT,UN COLLECTIONNEUR ÉCLAIRÉTout jeune déjà, le petit Frits passait sesjournées au Rijksmuseum d’Amsterdampour étudier les dessins des maîtres hol-landais de l’Âge d’or. Cette passion précoce,assortie d’un intérêt relatif pour l’école,engagea ses parents à l’envoyer parfaireson éducation dans les grandes capitaleseuropéennes. Lugt a commencé, jeunehomme, à collectionner. Une fois marié, ila poursuivi sa collection exceptionnelled’œuvres sur papier tout en rédigeant lescatalogues des fonds de dessins des écolesdu Nord que les grandes institutions fran-çaises comme le Petit Palais ou le muséedu Louvre lui confièrent en raison de l’acuitéde son regard et de la méticulosité de sontravail. Mais en parallèle, Lugt a égalementaccompli à l’échelle européenne un vastetravail de recherche sur les marques de col-lection, ces petits signes apposés depuis leXVIe siècle par certains collectionneurs surleurs feuilles. Son ouvrage de référence : LesMarques de collections de dessins & d’es-tampes, paru en 1921 et suivi du Supplémenten 1956, en constitue le témoignage inégalé.Passionné par le monde de l’art et des col-lectionneurs, Lugt a par ailleurs publié en

1938 le premier volume de son Répertoiredes catalogues de ventes publiques.

LA FONDATION CUSTODIAET SA COLLECTIONCréée par Lugt en 1947, la Fondation perpé-tue son œuvre depuis sa disparition en 1970.Elle collectionne, publie, soutient des projetsscientifiques dans le domaine de l’histoire del’art, poursuit la recherche des marques decollection1, restaure, organise des expositionset accueille des lecteurs dans sa bibliothèque.

La collection d’art en quelques chiffres• 8 000 dessins du XVe au XXIe siècle :italiens, français, hollandais, flamands…de Léonard de Vinci, Barocci, Bruegel,Rubens, Rembrandt, Watteau ou Ingres… ;• 15 000 estampes : dans des tirages d’uneexceptionnelle qualité, de Lucas de Leyde,Rembrandt, Van Dyck, Goya, Parmigianino,Andreani… ;• 450 peintures de Ruisdael, Saenredam,Guardi, Michallon, Corot… ;• 55 000 lettres autographes de Titien,

24 Ar(abes)ques N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015

(Pleins feux sur…)

La bibliothèque d’histoire del’art de la Fondation Custodia

Le grand escalier, orné de tableaux, de l’hôtel Turgot qui héberge la Fondation Custodia.

Depuis le 1er avril 2015, la bibliothèque d’histoire de l’art de la Fondation Custodia a rejoint le Sudoc. Uneoccasion pour retracer l’origine de cette fondation et de présenter le fonds et les évolutions de sabibliothèque.

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25N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015Ar(abes)ques

Michel-Ange, Rembrandt, Ter Borch,Poussin, Ingres, Manet, Gauguin… ;• 2 000 livres anciens comme l’Académiede l’Espée (Thibault), le Voyage pittoresque(Saint-Non), l’Emblemata amatoria (Heinsius)…Ces œuvres sont consultables sur rendez-vous. Considérée comme l’une des plusbelles au monde, la salle de consultationaccueille les chercheurs et les amateursd’art dans l’intimité de l’hôtel Turgot et réunitdes conditions de confort et de réflexionidéales.

LE FONDS DE LA BIBLIOTHÈQUEDans l’hôtel Lévis-Mirepoix, attenant à l’hôtelTurgot, la Fondation Custodia organise sesactivités publiques, jusqu’en 2013 sousl’égide de l’Institut néerlandais, dont FritsLugt avait été l’instigateur.Avec ses 130 000 volumes, la bibliothèqueest l’une des bibliothèques spécialisées enhistoire de l’art les plus importantes enFrance. Son fonds reflète la richesse et lesthèmes de la collection d’art.Particulièrement étendu pour les arts gra-phiques, exhaustif pour l’art des écoles duNord de l’Âge d’or, il est principalementconstitué de monographies, de périodiques,de catalogues d’expositions et de collec-tions dans le domaine des beaux-arts occi-dentaux de 1450 à 1900.Il est complété par un ensemble conséquentd’études sur les miniatures indiennes, latopographie et l’art danois, les portraitsminiatures, l’histoire des collections et descollectionneurs et l’histoire du livre illustré.La politique d’acquisition s’étend jusqu’ànos jours en ce qui concerne les œuvressur papier des Pays-Bas.En 2005, le fonds Van Hasselt, du nom del’ancien directeur de la Custodia, très richeen matière d’art espagnol et danois est venuenrichir la bibliothèque. Le grand historiende l’art James Byam Shaw a également léguéson importante bibliothèque, renforçant nosrayons italiens.

UN TRÉSOR LONGTEMPS CACHÉPendant de nombreuses années, la biblio-thèque n’a été connue que par d’heureuxinitiés. Depuis quelques années, la direc-tion et l’équipe de la bibliothèque ont déve-loppé des initiatives pour mieux la faireconnaître et l’inscrire dans le réseau fran-çais afin qu’elle contribue pleinement à samission de « servir l’histoire de l’art», chèreà Frits Lugt. L’ancien système intégré degestion de bibliothèques a été remplacé par

Koha et une nouvelle brochure a été éditéepour informer le public « cible ». Des coo-pérations avec les professeurs d’histoire del’art sont par ailleurs en cours de dévelop-pement et le fonds des livres anciens a étésignalé dans le Short Tit le CatalogueNetherlands.Depuis novembre 2014, les lecteurs sontaccueillis dans les nouvelles salles installéesau quatrième étage de l’hôtel Lévis-Mirepoix,dans un appartement haussmannien rénovéà cet effet et où ils disposent de monogra-phies d’artistes hollandais et flamands enlibre accès. La salle de lecture est ornée detableaux du XVIIe siècle de notre collection.

LE DÉPLOIEMENT DANS LE SUDOCDepuis quelques mois, nous sommes enplein déploiement dans le Sudoc. Le choixde faire partie de ce catalogue collectif a étémûrement réfléchi. Les dimensions et lemodèle de notre bibliothèque ressemblenten effet très peu aux grandes bibliothèquesuniversitaires ; en outre, nos documents nesont jamais prêtés. Néanmoins, le catalo-gage partagé, la visibilité de l’ensemble denotre fonds auprès de la communauté scien-tifique française, ainsi que le bénéfice descontacts interprofessionnels nous ontconvaincus de franchir le pas.

Les premières notices ont déjà été créées etdes exemplaires signalés, mais, pour l’ins-tant, les chargements réguliers ne sont pasencore opérationnels et l’exemplarisationautomatique est en préparation.À partir de l’été 2015, la Terra Foundation,spécialisée dans l’art américain, intégreral’hôtel Lévis-Mirepoix. Son déploiement dansle Sudoc, il y a quelques années, a montréqu’il existait bel et bien une place dans leréseau pour les bibliothèques privées spé-cialisées.

Wilfred de BruijnResponsable de la bibliothèque

[email protected]

Vues de la bibliothèque, installée au quatrième étage de l’hôtel Lévis-Mirepoix, attenant à l’hôtel Turgot.

� Site web de la Fondation Custodia :http://fondationcustodia.frÀ partir de ce site, vous pouvez notammentvousabonnerà lanewsletterde laFondation.� Catalogue en ligne de la bibliothèque :http://biblio.fondationcustodia.fr

&POUR EN SAVOIR PLUS

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[1] Consultables sur la base de donnéesen ligne : www.marquesdecollections.fr

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26 Ar(abes)ques N°79 JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2015

(Actualités…)

Au sein de la documentation électro-nique, les éditeurs occupent une placefondamentale puisqu’ils disposent desmétadonnées nécessaires à la gestiondes accès auxdocumentspar lesusagers.Le projet Bacon a été conçu pour favo-riser le partagede cesmétadonnées aveclesacteursdusystèmequienont lebesoin.

Le socle : les basesde connaissanceLesbasesdeconnaissancesontdesdépôtsde métadonnées permettant la gestionde l’accès auxdocuments électroniques.Associées à un résolveur de lien, ellessont utilisées par les bibliothèques afindepermettre à l’usagerdedisposer, selonses droits, du document qu’il cherche àconsulter.Il existe deux types debases de connais-sance : les bases de connaissance com-merciales (ExLibris, Proquest…), qui four-nissent à la fois un certain nombre demétadonnées et les outils qui permet-tentde les exploiter ; lesbasesdeconnais-sance nationales (KB+, Bacon…) qui ontpour vocation non pas de remplacer lesbases commerciales, mais d’améliorerla qualité des métadonnées qu’ellescontiennent.En effet, les bases de connaissance com-merciales actuelles n’intègrent pas oumal (couverture, exactitude) lesdonnéescorrespondant aux ressources en languefrançaise. Il ne s’agit pas ici de leur faireporter la responsabilité de cet état defait : celui-ci résulted’unmanquedecohé-sion des informations partagées par lesacteurs du circuit de la documentationélectronique en raison de l’absence denorme venant organiser ces échangesde métadonnées.

Une recommandation :KBARTOr, depuis 2010, une recommandationaétéélaborée.Elleporte lenomde«Know-ledgeBasesAndRelatedTools» (KBART,

basesdeconnaissanceetoutils associés)1 .KBARTpréconiseun formatdans lequelles éditeurs pourront décrire, puis met-tre àdisposition lesmétadonnéesnéces-sairesà lagestiondesaccèsauxressources.Elle aavant toutété conçuepour lesméta-donnéesdepériodiques,maisunesecondeversion (2014) a permis de l’élargir auxlivres électroniques. Concrètement, ils’agit pour l’éditeur de produire desfichiers tabulés, contenant l’ensembledes ressources disponibles sur sa plate-forme, et autant de fichiers qu’il a d’of-fres commerciales. L’enjeu,pour labiblio-thèqueayant souscrit à l’unedecesoffres,est depouvoir alimenterdirectement lesoutils dont elle dispose avec les méta-données dont elle a besoin.

Un service : BaconAinsi, Baconpeut être défini commeunentrepôt contenantdesmétadonnéesderéférence, exposées sous licence CC0(transfert dans ledomainepublic) et per-mettant d’améliorer, d’un point de vuequalitatif et quantitatif, le signalementde la documentation électronique pourl’enseignement supérieur et la rechercheen France. Cependant, cette définitionne considère que la partie émergée del’iceberg.Enamontdu service, la démarcheBaconpermet de sensibiliser les éditeurs auxavantages apportés par la recomman-dationKBART. Produire de tels fichiersaugmente la visibilité de leur produc-

tion éditoriale auprès de l’ensemble desacteurs susceptibles de souscrire auxoffres commerciales qu’ils proposent.Par ailleurs, parce qu’ils disposent desmétadonnéesnécessaires à la réalisationdes fichiersKBART, qui sont lesmêmesque celles utilisées pour la réalisationdeleursplateformes,nousavons fait le choixde les inciter à produire ces fichiers enleur proposant notre expertise dans ledomaine. À ce jour, neuf éditeurs2 ontaccepté de s’engager dans la démarcheet 16 fichiers ont été intégrés à la basede données.

Par le projet Bacon, l’Abes poursuit samission de signalement de la docu-mentation en facilitant l’accès aux res-sources électroniques et en favorisant lavalorisationdespublicationsacadémiquesfrancophones. Le travail mené jusqu’àprésent doit être poursuivi, avec pourobjectif d’impliquer toujours plus d’édi-teurs dans le projet, y compris les édi-teurs étrangers dont les ressources sontacquises par les bibliothèques de l’en-seignement supérieur et de la recherchefrançais.

Cyril LeroyGestionnaire des métadonnées, Abes

Alors que le projet Bacon (BAse de COnnaissanceNationale) est désormais dans les starting-blocks,

rappel des grands principes régissant samise enœuvre.

Les rouages de Bacon

[1] www.niso.org/workrooms/kbart[2] Il s’agit de Cairn, Classiques GarnierNumérique, Droz, Éditions Francis Lefebvre,Érudit, Numdam, Numérique Premium,OpenEdition, Persée.

: LA ROUE TOURNE !Après 15 numéros d’Arabesques réalisés avec brio, Béatrice Pedot,notre prestataire pour le suivi éditorial et le secrétariat de rédactionde la revue, prend une retraite bienméritée. L'Abes ayant décidéd'internaliser à nouveau ces fonctions, le relais est transmis à compterdu prochain numéro (n° 80) à Marion Grand-Démery.

Contact : [email protected]

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SGBM : les contours du chantier

Àce stade du projet, rappelons lestrois objectifs principaux du Sys-tème de gestion de bibliothèque

mutualisé (SGBM) : fournir un systèmede gestion locale mutualisé aux biblio-thèquesdes établissementsmembresduréseau Sudoc ; proposer, le cas échéant,un outil de découverte local associé ausystème de gestion ; garantir l’articula-tion entre le SGBMet les systèmesnatio-naux de signalement administrés parl’Abes pour les bibliothèques

OrganisationNeufétablissementspilotessesontenga-gés à porter ce projet depuis son origine:Université de Bordeaux, service decoopérationdocumentaire;Universcience,Cité des sciences et de l’Industrie ; Uni-versité Blaise Pascal, Clermont-Ferrand;UniversitéduHavre ;UniversitédeLille3;UniversitéduLittoralCôted’Opale ;Biblio-thèque interuniversitairedeMontpellier;Université Paris-Descartes ; Universitéfédérale de ToulouseMidi-Pyrénées.L’équipeprojet est composéepour l’Abesd’undirecteurdeprojet, dedeuxchefsdeprojets (fonctionnel et informatique), deplusieursexpertsde l’Agence intervenantponctuellement en soutien; d’un chef deprojet par établissement pilote.L’organisation du projet est construiteautourdehuitcommissions reflétant l’en-sembledesproblématiques transversalesliéestantauxressourcesimpriméesqu’auxressources électroniques : Acquisition ;Migration ;Workflow-articulation avecd’autres environnements ; Intégration ;Circulation;Découverte ;Formation-docu-mentation ; Coûts.Parailleurs,sixateliersthématiquestrans-versauxsesontréunisàplusieursreprisespourconduire leprojetet répartir lesacti-vitésdans l’équipe :Appeld’offres ;Fichede site ; Modèle économique; Planifica-tion ;Communication;Marché.PrécisonsqueleprojetétantmenéselonuneapprocheAgile, denouveauxatelierspourront êtrecréésencasd’identificationdenouveauxbesoins.46 établissements sont signataires dugroupement de commande.

Modalités juridiquesAfin de faire émerger des offres quiconviennent à tousau regarddesbesoinsexprimés, c’est la formule complexe dudialogue compétitif qui a été choisie. Àl’issue de ce dialogue compétitif – qui sedéroulera sur une année au cours delaquelle les fournisseurs retenus aprèsunepremière sélection seront amenés àdialoguer lors d’auditions menées parchacunedes commissionsmentionnéesci-dessus–,uncontratmulti-attributairessera défini. C’est ensuite au sein de cetaccord-cadreque lesétablissements signa-taires pourront choisir d’entrer dans legroupement de commande lorsqu’ils lesouhaiteront.

Modalités techniquesAprès avoir recensé les fonctionnalitésattenduespour lamise enœuvreduSGBet défini leur classement (prioritaire ou

non), les commissions sont chargées deconcevoir les «caspratiques»qui serontsoumis aux fournisseurs. Ainsi, au tra-vers de 70 cas pratiques, déclinaisonsdes fonctionnalités du futur SGBMdansune situation réelle, chaque prestataireretenu pourra exposer la manière dontsonsystèmerépondrait auxbesoinsexpri-més par le réseau.

RÉSEAU SUDOC� Bibliothèque de la Fondation Custodia(Paris)

� Bibliothèque de l’Institut de managementet de communication interculturels (Paris)

RÉSEAU STAR� École des hautes études en sciences sociales� École nationale supérieure de techniquesavancées Paris Tech

� École nationale d’ingénieurs de Saint-Étienne� Institut de physique du globe (Paris)

RÉSEAU STEP� Institut national des sciencesappliquées de Toulouse

� Arts et Métiers Paris Tech� École centrale de Lyon� École nationale supérieurede Rennes

RÉSEAU CALAMES• Bibliothèque de la Maison AsiePacifique (Aix-MarseilleUniversité)

� SCD de l’université Charles-de-Gaulle Lille3

CALENDRIER DES PROCHAINES ÉTAPES18/06/2015 : commission d’appel d’offre n° 1 : élimination des candidats non admis

à poursuivre leur participation au dialogue compétitif sur des critères financiers et techniques.

01/07/2015 au 20/05/2016 : auditions et phases de tests.

Juin 2016 : commission d’appel d’offre n° 2 : décision d’attribution de l’accord cadre.

Automne 2016 : premier marché subséquent.

Début 2017 : début de la phase de ré-informatisation des sites pilotes.

Contact : [email protected]

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NOUVEAUX DÉPLOYÉSLes réseaux de l’Abes s’étoffent encore cette année : deux établissementsrejoignent le Sudoc et deux autres Calames. Par ailleurs, les réseaux Staret Step ont reçu chacun quatre nouveaux établissements fin 2014.

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Quelles sont vos fonctions actuelles au sein du SID2 deGrenoble ?Je suis responsable du systèmed’informationdocumentaire auservice interétablissements de la documentation 2 (SID 2)Grenoble 2 et 3. Celui-ci dessert les universités Pierre-Mendès-France (Droit-Économie-Sciences humaines et sociales) et Sten-dhal (Langues et Littératures) et comprend la bibliothèque uni-versitaire (BU) Droit-Lettres ainsi que 10 bibliothèques decomposante. CorrespondanteStar pour l’université Pierre-Men-dès-France, je suis également chefdeprojet pour lamise enplaced’un portail Hal sur le périmètre de la Comue Grenoble Alpes.

Quelles sont les étapesqui vous semblent lesplus importantesdans votre parcours professionnel ?Archiviste-paléographe, je suis arrivée à Grenoble en 1998.Mesfonctions ont beaucoup évolué dans le temps et j’ai eu la chancede travailler dansunebibliothèquequi a connudeux importantschantiers de restructuration ; cela a été l’occasion de repensernotre fonctionnement, notre rapport au public, les services quenousproposons, autantde réflexionspassionnantes ! J’ai notam-mentparticipé à la réorganisationdu libre accès et j’ai égalementgéré les collections numériques pendant quelques années.La coopération avec les autres services communs de documen-tation (SCD) du site (SICD 1 Grenoble et SCD de Savoie) est unfacteur très motivant. Par exemple, la mise en place d’un col-lège doctoral unique et le passage aux thèses numériques pourles universités deGrenoble et de Savoie nous ont permis de tra-vailler ensemble et de coopérer avec les services des universi-tés. Il en est de même avec la mise en place du portail Hal de laComue Grenoble Alpes.Enfin, ces prochains mois, la fusion des universités Joseph-Fourier, Pierre-Mendès-France et Stendhal impliquera de faitcelle des services interétablissements de coopération docu-mentaire (SICD) : encore une belle aventure en perspective !

Àquand remontent vos premiers contacts avec l’Abes et dansquel contexte ?J’ai assisté au déploiement du Sudoc en 2001 à la BU Droit-Lettres,maismespremiers contactsdirects avec l’Agence remon-tent à 2009, lorsque nous avons préparé le passage des thèsesau format numérique. Nous avons beaucoup apprécié l’accom-pagnement de l’Abes lors de la mise en place de ce projet.

Participez-vous à un groupe de travail spécifique au sein del’Agence ?Non, je n’en ai pas encore eu l’occasion.

Quels sont d’après vous les défismajeurs à relever par l’Abesdans les prochaines années ?Un des enjeux principaux, à mon sens, est la construction debases de connaissance fiables, cohérentes et surtout mutuali-sables, partageables. Le projet Bacon et le hub demétadonnéessont particulièrement intéressants.Dans lemêmeordred’idées,il sera indispensable de travailler sur des référentiels (IdRef),sur le web de données et la « frbérisation » des catalogues.L’Abes aura également un rôle important à jouer pour la miseen valeur et le libre accès à la production scientifique (notam-ment via les référentiels, mais pas seulement) ; un des futursaxes de travail sera sans doute le signalement et la descriptiondes données de la recherche. Là encore, la coopération entre lesgrands organismes (comme par exemple, avec le Centre pourla communication scientifique directe, CCSD) me semble unélément essentiel.

Qu’appréciez le plus dans votre vie professionnelle ?Ce que je trouve particulièrement motivant est de travailler auservice du public. Autre source d’enthousiasme : l’implicationdes collègues, l’entraide, la coopération. La variété des activités,l’évolution constante dumétier sont également des atouts pré-cieux.

Qu’est-ce qui vous énerve le plus ?Ce serait plutôt une frustration ! Ne pas être toujours capablede répondre auxbesoins ou aux attentes des lecteurs (sur le plandocumentaire ou sur le plan des services) me contrarie énor-mément.

Si l’Abes était un animal, d’après vous ce serait ?L’Abesme fait penser à une ruche où les abeilles produisent unmiel nourrissant au prix d’un gros travail de coordination !

Votre expression favorite ?«Et rien n’est tel que le rêve pour engendrer l’avenir», VictorHugo.

LucieALBARETConservateur au SID2Grenoble 2 et 3

(Portrait)

Une rubrique pour vous présenterla diversité des professionnels quiconstituent les réseaux de l’Abes.