aperçu du numéro 2014-5 de la ree (décembre 2014)

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Numéro 2014 EDITORIAL Les matériaux stratégiques : un enjeu pour la France Luc Rousseau ENTRETIEN AVEC Christian Bataille La transition énergétique www.see.asso.fr 5 ISSN 1265-6534 DOSSIERS Réseaux interconnectés : une optimisation technique et économique au service des transitions énergétiques en France et en Europe Par Dominique Maillard L'ARTICLE INVITÉ

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Cet aperçu permet de découvrir le sommaire et les principaux articles du numéro REE 2014-5 publié en décembre 2014 - Pour s'abonner, merci de vous rendre à la dernière page.

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Page 1: Aperçu du numéro 2014-5 de la REE (décembre 2014)

ÉNERGIE TELECOMMUNICATIONS SIGNAL COMPOSANTS AUTOMATIQUE INFORMATIQUE

Num

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014

EDITORIAL Les matériaux stratégiques :

un enjeu pour la FranceLuc Rousseau

ENTRETIEN AVEC Christian Bataille

La transition énergétique

www.see.asso.fr

5

ISSN

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34

DOSSIERS

Réseaux interconnectés : une optimisation technique et économique au service des transitions énergétiques en France et en Europe Par Dominique Maillard

L'ARTICLE INVITÉ

jphauet
Zone de texte
Cette aperçu gratuit permet aux lecteurs ou aux futurs lecteurs de la REE de découvrir le sommaire et les principaux articles du numéro 2014-5 de la revue, publié en décembre 2014. Pour acheter le numéro ou s'abonner, se rendre à la dernière page.
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REE N°5/2014 Z 1

La compétitivité de l’industrie française est un déterminant majeur de l’économie na-tionale ; dans un contexte de concurrence mondialisée, elle seule peut assurer à nos

concitoyens de disposer des progrès et du confort permis par le développement des technologies.

La compétitivité industrielle se joue sur de nombreux champs de contraintes ; parmi ceux-ci, celui des matières premières non énergétiques est peu connu mais repré-sente une complexité stratégique majeure. L’essor de notre industrie s’est fondé sur l’existence de matières de base au moment de la Révolution industrielle. Son dévelop-pement se poursuit maintenant dans un contexte où les matières premières minérales nécessaires aux multiples objets technologiques ne sont pas ou sont peu présentes sur le territoire national. Dans la maîtrise de sources exté-rieures, l’industrie doit aussi tenir compte de la capacité croissante des économies des pays émergents, souvent fournisseurs de matières premières, à transformer ces matières et à élaborer des produits de l’aval industriel. La Chine joue en la matière un rôle de premier plan.

Tous les secteurs industriels sont concernés : la produc-tion de biens matériels, les développements en matière de santé, les services de télécommunication, mais aussi la transition énergétique vers un mix nouveau dépendent de l’utilisation de propriétés originales de matières pre-mières minérales dont la production minière ou métal-lurgique est contrôlée par un nombre très réduit de pays ou d’acteurs concurrents. De la même manière que la France a su gérer la dépendance de son économie aux

producteurs de pétrole et de gaz, il est essentiel que nous apprenions à gérer la dépendance aux pays producteurs de terres rares ou de lithium.

Conscient de l’importance et de la complexité des enjeux, le Gouvernement encourage les échanges permettant de constituer une « Equipe de France » dans laquelle l’Etat et le monde économique ont des rôles complémentaires à jouer, et développe des actions d’accompagnement stra-tégiques : création du COMES, puis du Comité stratégique de filière « Industries extractives et première transforma-tion », développement d’une diplomatie économique intégrant les enjeux des matières premières minérales, soutien d’une recherche scientifique et technique per-mettant à l’industrie française de conserver une place de pointe technologique, diffusion d’une information aux entreprises, réflexions sur l’attractivité minérale du pays…

Les grands acteurs industriels du pays ont pris les moyens depuis longtemps de développer une stratégie d’approvi-sionnement, qui leur a permis de conserver ou de gagner des parts de marché ; il importe de partager cette straté-gie très largement dans le tissu français de PME, essen-tiel à notre compétitivité ; il nous appartient, ensemble, de diffuser le message ; je salue l’initiative de la REE qui contribue à cet enjeu national de premier plan.

Luc Rousseau, Vice-Président du Conseil Général de l’Economie

Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique

Les matériaux stratégiques : un enjeu pour la France

EDITORIAL LUC ROUSSEAU

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2 ZREE N°5/2014

sommaire1 EDITORIAL Les matériaux stratégiques : un enjeu pour la France

Par Luc Rousseau

2 SOMMAIRE

4 FLASH INFOS L’ARCEP autorise VDSL2 dans les répartiteurs du réseau d’Orange 5 Nouveaux fermions pour le calcul quantique6 On a marché sur Agilkia8 Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), les teneurs en

gaz à effet de serre dans l'atmosphère ont atteint en 2013 des niveaux records

9 Eoliennes offshore : la course au gigantisme se poursuit11 Lignine et bactéries13 Une belle cuvée de prix Nobel. Le Nobel de physique 2014,

un prix très « éclairant ». Les prix Nobel de chimie 2014 ouvrent la voie à la « nanoscopie optique »

16 A RETENIR Congrès et manifestations

18 VIENT DE PARAÎTRE La REE vous recommande

21 ARTICLE INVITÉ Réseaux interconnectés : une optimisation technique et économique

au service des transitions énergétiques en France et en Europe Par Dominique Maillard

27 LES GRANDS DOSSSIERS Les matériaux stratégiques Introduction : Haute technologie et matériaux stratégiques

Par Alain Liger30 Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES),

élément de politique industrielle Par Alain Liger

37 Terres rares : enjeux et perspectives 2014 Par Patrice Christmann

50 Le béryllium : un enjeu pour la qualité de la connectique. Besoins, ressources et risques Par Christophe Le Port-Samzun, Caroline Calvez

58 Les DEEE et le recyclage des métaux stratégiques en France Par Erwann Fangeat, Alain Geldron

67 DEEE : Orange veut favoriser l’émergence de nouveaux modèles d’éco-nomie circulaire favorisant le ré-emploi et les économies de ressources Par Gilles Dretsch

68 Devenir recycleur, la stratégie d’un groupe producteur de produits minéraux stratégiques Par Alain Rollat

p. 1

p. 27

p. 77

p. 123p. 21 p. 141

Photos de couverture © Ints - Fotolia.com © JCMa

Numéro 5 ĀþÿĂ

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REE N°5/2014 Z 3

MEA

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77 Quelques approches innovantes dans la prévention et la gestion des risques

Introduction : Prévention et gestion du risque. Quelques approches novatrices Par Tullio Joseph Tanzi, Jean Isnard

83 Huit idées reçues sur le(s) modèle(s) de l’erreur humaine de James Reason Par Justin Larouzée, Franck Guarnieri

91 Améliorer la sécurité et la sûreté de fonctionnement par l’ingénierie de système dirigée par les modèles Par Ludovic Apvrille, Yves Roudier

100 L’analyse du risque criminel : l’émergence d’une nouvelle approche Par Patrick Perrot

108 Réduction des risques de catastrophes naturelles. Impact des phénomènes de météorologie spatiale sur la gestion des tremblements de terre Par François Lefeuvre, Tullio Joseph Tanzi

115 Prévention des risques et gestion des crises. Opportunités et défis de l’utilisation des réseaux sociaux Par Caroline Rizza

123 GROS PLAN SUR … Le kWh mal traité - Deuxième partie : le contenu en CO2 du kWh

Par Jean-Pierre Hauet

134 RETOUR SUR ... La brillante histoire du laboratoire de physique des solides d’Orsay

Par Denis Jerome

141 ENTRETIEN AVEC... Christian Bataille, Député du Nord La transition énergétique

144 ENSEIGNEMENT & RECHERCHE Faire connaître et partager les cultures scientifique,

technique et industrielle : un impératif ! Par Maud Olivier

148 Echos de l’enseignement supérieur Par Bernard Ayrault

151 CHRONIQUE Du bon usage des controverses scientifiques…

Par Bernard Ayrault

152 LIBRES PROPOS Énergie et civilisation

Par Emile H. Malet

154 SEE EN DIRECT La vie de l'association

MEA'2015MORE ELECTRIC AIRCRAFT

4-5 February, 2015Toulouse - France

Organized by:

www.see.asso.fr/mea2015

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4 ZREE N°5/2014

FLASHINFOS

L’ARCEP autorise VDSL2 dans les répartiteurs du réseau d’Orange

Le développement de services d’accès à Internet à très haut débit, c’est-à-dire à plus de 30 Mbit/s selon les standards européens, requiert soit le déploiement de fibres optiques jusqu’au domicile du client (FTTH1), soit au moins la substitution d’une partie de la ligne de cuivre par de la fibre optique et le recours aux techniques VDSL, VDSL2 en particulier, sur le tronçon cuivre résiduel (FTTN2).

VDSL2 est une technique de transmission sur paire mé-tallique voisine d’ADSL. Toutes les deux exploitent une tech-nique de multiplexage fréquentiel mais VDSL2 utilise une bande beaucoup plus large (25 kHz – 12 à 30 MHz selon les profils) qu’ADSL2+ (25 kHz – 2,2 MHz) : l’augmentation de la bande de fréquences permet théoriquement d’aug-menter le débit transmis pour atteindre 100 Mbit/s dans le sens descendant, débit voisin de celui qu’offre une infras-tructure en fibre optique.

Mais cette performance ne peut être atteinte que sur des lignes courtes car l’affaiblissement d’une paire de cuivre croît comme la racine carrée de la longueur : pour des tron-çons de cuivre d’une longueur supérieure à 1,5 km (affai-blissement supérieur à 23 dB), ADSL2+ offre un meilleur débit que VDSL2. Cette technologie n’apporte donc une croissance potentielle du débit qu’à une petite partie des lignes de cuivre en France. De plus les techniques DSL et VDSL2 en particulier sont sensibles aux perturbations qui affectent les paires de cuivre, notamment celles résultant de la diaphonie entre les paires d’un même câble et le débit transmis peut s’en trouver réduit. En VDSL2, la technique dite de vectoring permet de réduire l’effet de ces perturba-teurs en tentant de les compenser : mais pour cela il faut les connaître et cela impose que ce soit le même organe

1 FTTH : Fiber To The Home. La fibre arrive jusqu’au domicile du client.

2 FTTN : Fiber To The Node. La fibre arrive jusqu’à un nœud inter-médiaire du réseau, le client reste desservi par une paire de cuivre.

émetteur qui injecte les signaux dans toutes les paires d’un même câble ou d’un même toron du câble.

Jusqu’à présent, en France, le développement du très haut débit ne se faisait qu’avec le déploiement de fibres en mode FTTH (en plus des infrastructures des réseaux câblés). D’autres pays européens ont fait des choix diffé-rents. En Belgique et en Allemagne où les réseaux câblés ont une couverture nationale, les opérateurs historiques ont lancé un large déploiement de VDSL2 sur la sous-boucle locale. Ainsi en Allemagne DT annonçait à la fin 2013 que 13,4 millions de foyers allemands étaient connectables à son offre VDSL2. Néanmoins en France depuis plusieurs années les conditions de déploiement du VDSL2 étaient en discussion sous l’égide de l’ARCEP. En effet le contexte français est complexe et caractérisé par :

contre 300 m en Allemagne, rendant moins performant l’usage du VDSL2 ;

par l’attractivité des conditions de dégroupage de la ligne de cuivre ; l’emploi du vectoring s’en trouve rendu difficile.

L’Autorité de régulation des communications électro-niques et de la poste (ARCEP) vient par deux décisions successives d’autoriser l’installation de systèmes VDSL2 sur les lignes de cuivre du réseau fixe d’Orange. La pre-mière de 2013 autorise l’utilisation de VDSL2 dans les répartiteurs de lignes (NRA3) sur les lignes directes, la deuxième de juin 2014 étend cette autorisation à toutes les lignes des NRAs. Ces décisions définissent le profil VDSL2 à appliquer par les opérateurs. Selon l’ARCEP, avec l’autorisation générale de VDSL2 à partir du NRA, ce sont 14,5 % des lignes de cuivre dont le débit pourrait dépas-ser 30 Mbit/s. Elles ne semblent donc pas remettre en cause la politique de déploiement de la fibre en mode FTTH, qui a fait consensus jusqu’à présent, au profit d’un

3 NRA : Nœud de raccordement d’abonnés. Point où se terminent les lignes d’abonnés en cuivre.

Figure 1: Spectre de fréquences de VDSL2 - Source Wikipédia.

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REE N°5/2014 Z 5

FLASHINFOS

mode FTTN. Pour que VDSL2 devienne un véritable concurrent de FTTH, il faudrait poursuivre la conversion de sous-répartiteurs (SR) en NRA et les connecter en fibre optique. Des opérations de ce type ont déjà été faites pour faire disparaître des zones desservies par des lignes très longues et améliorer la desserte ADSL. Mais les aménagements à faire dans ces sites sont coûteux : création d’espaces où les opérateurs peuvent placer leurs équipements, raccordement optique de ceux-ci, raccor-dement électrique… en général pour un petit nombre de clients à desservir. Il est donc peu probable que le FTTN se substitue ainsi au FTTH pour la fourniture de services à très haut débit en France.

Toutefois, l’ARCEP, considérant que l’installation de VDSL2 à la sous-répartition en mono-injection constitue, sous certaines conditions, une « demande raisonnable » d’accès à la sous-boucle locale, impose à Orange d’y répondre en y offrant la possibilité d’héberger des équi-pements d’autres opérateurs et en offrant des liens op-tiques entre NRA et SR. Le dégroupage à la sous-boucle n’est en général pas imposé par les régulateurs des pays qui s’appuient sur le VDSL2 pour assurer l’évolution vers le très haut débit. La concurrence y est assurée par des offres de gros dites « offres de bitstream ».

PC

Nouveaux fermions pour le calcul quantique

la REE 2014-4) postulait l’existence dans la physique théo-rique de fermions appelés « fermions de Majorana », par-ticules qui, à l’inverse des électrons et des positrons, sont leurs propres antiparticules. Présentée dans son ultime pa-

a pris beaucoup de temps pour être pleinement appréciée par la communauté des physiciens. Au lieu d’être demeu-rée une vielle idée, l’existence de ces fermions s’avère centrale dans quelques grands problèmes posés par la physique actuelle. Dans le contexte de la physique des hautes énergies, l’idée que les neutrinos puissent être des fermions de Majorana constitue une proposition dont la pertinence est très actuelle. Dans un domaine plus spé-culatif, les théories super-symétriques postulent que les bosons ont un super-partenaire de Majorana qui pourrait fournir une solution à l’énigme posée par la matière noire. Quelques expériences pour tester ces hypothèses sont en cours au grand collisionneur d’hadrons du CERN et pour-ront conduire à des résultats à plus ou moins long terme.

Les progrès et la maîtrise actuelle de la matière condensée permettent d’étudier des ensembles de parti-cules décrites par des modèles théoriques comme celui de Majorana. Ce sont des comportements phénoméno-logiques qui peuvent permettre de mettre en évidence des propriétés du modèle sans recourir à la physique des hautes énergies car ce ne sont pas des particules élémentaires qui sont en jeu. Ainsi des physiciens ont reproduit le comportement de fermions de Majorana à partir du mouvement coordonné d’un grand nombre d’électrons dans des solides supraconducteurs. Ces mou-vements compte tenu de leurs propriétés sont appelés quasi-particules de Majorana et ils possèdent des carac-téristiques de non-localité qui présentent un grand intérêt pour le calcul quantique. Ces deux aspects de ces quasi-particules sont décrits ci-après par deux expérimenta-tions très récentes.

Les fermions de Majorana dans des chaines magnétiques

Ali Yazdani et ses collègues de l’Université de Prince-ton et de l’Université du Texas à Austin ont décrit dans un papier4 publié en octobre 2014 dans la revue Science, l’étude d’un dispositif qui peut sous certaines conditions générer des fermions de Majorana à l’interface d’un supraconducteur et d’un aimant. Les supraconducteurs représentent un substrat possible pour que des états superposés d’électrons et de trous conduisent à la for-mation de fermions de Majorana. L’équipe de Yazdani s’est intéressée à la chaine magnétique d’atomes de fer se trouvant sur un supraconducteur en plomb refroidi à 1,4 °K. En utilisant la pointe polarisée d’un microscope à effet tunnel (STM) à balayage elle a démontré alors que la chaine était ferromagnétique.

Utilisant le STM pour mesurer le spectre d’énergie des électrons dans la chaine, elle a montré également que le fer se conduit comme un supraconducteur, phénomène connu comme « effet de proximité ». La supraconductivité des chaines de fer inclut des paires d’électrons évoluant sur des orbites hélicoïdales. Ce type d’appairage consti-tue un supraconducteur topologique et la théorie indique que des fermions de Majorana apparaissent à la fin de la chaine.

4 Observation of Majorana fermions in ferromagnetic atomic chains on a superconductor – Stevan Nadj-Perge, Ilya K. Drozdov, Jian Li, Hua Chen, Sangjun Jeon, Jungpil Seo, Allan H. MacDonald, B. Andrei Bernevig, Ali Yazdani – Science (2014).

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6 ZREE N°5/2014

FLASHINFOS

Pour les localiser Yazdani et ses collègues ont cherché un pic de polarisation nulle dans le spectre d’énergie des électrons de la chaine de fer. Le STM mesure la facilité avec laquelle un électron peut être ajouté ou enlevé de la chaine par application d’une barrière de potentiel entre la pointe et la chaine. Les fermions de Majorana étant une combinaison d’une particule négative et une anti-particule positive, ils ne peuvent se déplacer dans et hors de la chaine que quand un potentiel nul est appliqué à la pointe. Le balayage du STM sur la chaine a bien montré qu’il existait un pic de polarisation à chaque extrémité de chaine. L’expérience de Ali Yazdani a été saluée comme étant une contribution majeure à la mise en évidence de fermions de Majorana.

Des quasi-particules non localesDeux fermions de Majorana séparés spatialement

occupent un niveau d’énergie fermionique et peuvent représenter un qubit non local qui est « résistant à la dé-cohérence ». En septembre 2014, un papier5 de centres de recherche chinois et américain décrivait un dispositif de test de la non-localité des fermions de Majorana par des corrélations quantiques. Nous connaissons depuis longtemps l’intrication qui est une corrélation quantique forte démontrée expérimentalement dans les années 80. Il existe une un autre type de corrélation quantique dé-couverte en 2001 appelé la discorde quantique qui peut

5 Probing the non-locality of Majorana fermions via quantum cor-relations – Jun Li, Ting Yu, Hai-Qing Lin & J. Q. You – Beijing Com-putational Science Research Center, Beijing, China – Center for Controlled Quantum Systems and Department of Physics and En-gineering Physics, Stevens Institute of Technology, Hoboken, New Jersey 07030, USA (2014).

caractériser certains processus comme les transitions quantiques de phase. La non-localité intrinsèque des fermions de Majorana est précisément caractérisée par des corrélations de type discorde quantique. Le dispositif utilise un nanofil supraconducteur avec un couplage par spin, associé à un substrat supraconducteur. Une paire de fermions de Majorana a1 et a2 sont prévus pour apparaître aux deux extrémités du nanofil et on mesure les corrélations dans les boites quantiques QD1 et QD2 (figure 2). Quand les paires de fermions sont complète-ment séparées et non intriquées, ils peuvent présenter une discorde quantique persistante due à la corrélation non locale des fermions de Majorana ce que l’expérimen-tation a démontré.

Ces travaux, dont nous présentons seulement quelques aspects mais qui sont aujourd’hui très nombreux, montrent que les quasi-particules de Majorana peuvent apparaître dans des dispositifs supraconducteurs placés dans des champs magnétiques et que leur non-localité semble démontrée par l’expérience du laboratoire chinois et américain. Cela permet de penser que ces quasi-parti-cules pourraient constituer de nouveaux candidats qubits très intéressants car la non-localité des états superposés électron-trou semble beaucoup moins sensible au pro-cessus de décohérence qui demeure l’une des difficultés majeures pour la construction d’ordinateurs quantiques.

ML

On a marché sur Agilkia Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, ce

12 novembre 2014 à 16 h 34 m 54 s heure de Paris, un engin construit par l’homme s’est posé sur une comète qui évoluait à plus de 600 millions de kilomètres de la terre. C’est une grande victoire pour l’Agence Spatiale Européenne. Mais l’histoire avait commencé bien avant.

Cet été, la sonde Rosetta a été placée en orbite à une dizaine de kilomètres de la comète Churyumov-

Figure 1 : Supraconductivité topologique et fermions de Majorana dans des chaines atomiques ferromagnétique sur un supraconduc-

teur. Schéma de réalisation et de détection de la proposition de quasi-particule de Majorana : une chaine atomique ferromagné-

tique est placée sur la surface d’un supraconducteur et scannée par un microscopie à effet tunnel - Source : Ali Yazdani & Al.

Figure 2 : Montage expérimental utilisé pour démontrer la corrélation quantique entre une paire de boîtes quantiques

(quantum dots : QD) intermédiées par une paire de fermions de Majorana.

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REE N°5/2014 Z 21

Introduction

L e réseau de transport d’électricité est essentiel pour l’optimisation technique et économique du système électrique. Son rôle dépasse le seul cadre du transport de l’énergie électrique. Outil

de mutualisation tant des moyens de production que des profils de consommation, il permet d’utiliser au mieux la com-plémentarité des différentes sources d’énergie et de limiter le recours à des capacités supplémentaires de production. Il constitue un vecteur essentiel de la sécurité de l’alimentation électrique. RTE, par la mise en œuvre de mécanismes de marché et par la disponibilité de ses infrastructures, permet un accès aux sources d’énergie les plus performantes, en France et en Europe, un atout pour préserver l’activité écono-mique française. Enfin, en l’absence de capacités de stockage disponibles à la bonne hauteur – pour l’heure circonscrites au pompage hydraulique, le réseau de transport d’électricité est le meilleur instrument de flexibilité aujourd’hui disponible pour la valorisation des énergies renouvelables (ENR), éo-lienne et photovoltaïque.

Solidarité électrique : l’optimisation technique

Tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne. Côté production, certains disposent naturellement de condi-tions géographiques et climatiques favorables à l’installation d’énergie éolienne, solaire ou hydraulique. Ailleurs, une forte augmentation de la consommation a justifié l’installation de moyens thermiques, par exemple nucléaire. Enfin, historique-ment des centrales à gaz ou à charbon se sont construites près des endroits où ces ressources étaient disponibles.

De son côté, la consommation d’électricité dépend de nombreux facteurs : habitudes de vie, tissu industriel ou dy-namique de la démographie, etc.

Les équilibres entre zones productrices et zones consom-matrices d’électricité peuvent s’inverser au cours d’une jour-née, des saisons ou de l’année. Par exemple, les panneaux photovoltaïques installés sur les toits des pavillons dans les quartiers résidentiels produisent, en journée, une électricité qui pourra être exportée et utilisée là et au moment où elle est nécessaire, dans les bureaux et les principaux centres de

Réseaux interconnectés : une optimisation technique

et économique au service des transitions énergétiques en France et en Europe

L'ARTICLE INVITÉ DOMINIQUE MAILLARD Président du directoire de RTE Pilote du plan « Réseaux électriques intelligents » de la « Nouvelle France industrielle »

The roles and missions of TSOs go way beyond the implicit meaning of the term "power transmission". At the heart of the power system, we are responsible to keep the balance between supply and demand. By ensuring that we have the ability to fulfill this role on a daily basis, we provide our customers with economical, reliable and clean access to power supply.Operating the power system is all about optimization. Firstly, by mutualizing energy sources at the European level, RTE insures “power” solidarity between regions and enhance renewable energy sources contribution. Secondly, the market mechanisms that we are developing make it possible to use the most competitive energy sources in France and in Europe. This optimal use of resources call for close cooperation with our European counterparts. These mechanisms support security of supply and economic optimization of the system, while also facilitating other ways to consume power. Overall, we promote solutions to help making decisions based on physical and economic parameters, always seeking the most advantageous solution and ensuring grid operability.RTE is constantly seeking ways of remaining a step ahead of changes within the power system. In the energy transition context, French economic competitiveness also relies on optimal efficiency of the power system. Our ambition is to developing a smart transmission system to support tomorrow’s economy and energy landscape, in conjunction with our partners.

ABSTRACT

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22 ZREE N°5/2014

L'ARTICLE INVITÉ

consommation. En retour, ces zones résidentielles resteront alimentées la nuit tombée, grâce à une électricité provenant de zones plus éloignées. De même, une centrale thermique doit être régulièrement arrêtée pour des raisons de mainte-nance, modifiant le trajet des flux d’électricité autour d’elle. Le niveau des barrages évolue également au cours des saisons, ce qui modifie leur capacité à produire.

On comprend donc que les équilibres entre production et consommation d’électricité ne sont ni figés dans le temps, ni dans l’espace. C’est bien la mutualisation des moyens de pro-duction et la complémentarité des sources d’énergie à l’échelle d’un territoire, d’un pays et d’un continent qui permettent d’as-surer la livraison à tout instant et en tout point d’une électricité sûre et fiable. Madrid, Paris, Berlin sont trois villes européennes qui témoignent à la fois de conditions climatiques et de modes de vie différents. Solaire du Sud, vent du Nord, dîners à 22 h, 20 h ou 18 h, sont autant de facteurs qui permettent de gérer intelligemment la courbe de consommation.

Solidarité électrique et développement des ENR

Aujourd’hui, en modifiant la carte de la production d’élec-tricité, le développement des énergies renouvelables accen-tue la nécessité d'une meilleure solidarité électrique. Ainsi, le pourtour méditerranéen est propice au développement du photovoltaïque alors que les conditions de vent favorisent l’implantation de parcs éoliens terrestres dans le nord-est, le centre, la vallée du Rhône, et offshore au large des côtes normandes ou de la côte atlantique. Les zones de dévelop-pement des énergies renouvelables sont souvent éloignées du réseau existant et des centres de consommation. Par ail-

leurs, comme indiqué précédemment, leur production ne peut pas coïncider avec les besoins locaux de consomma-tion. Le réseau de transport d’électricité permet d’acheminer

Figure 1 : Les échanges commerciaux d’électricité entre la France et les pays frontaliers le 1er décembre 2014 - Source : RTE.

La France exportatrice en moyenne annuelle, importe régulièrement de ses voisins.

Figure 2 : Les échanges commerciaux avec l’Allemagne du 27 novembre au 1er décembre 2014 - Source : RTE.Les échanges commerciaux sont très variables au cours d’une même journée.

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REE N°5/2014 Z27

L’histoire de l’humanité est jalonnée par la découverte des propriétés et par l’utilisation successive de nouveaux produits minéraux : la taille du silex au paléolithique a permis la fabrication d’outils multipliant la capacité humaine et a été suivie de développements de plus en plus importants. Plus récem-ment, le développement de nouvelles technologies a permis au consomma-teur d’accéder à de nombreux outils et à de nombreux savoirs nouveaux. La mise au point de ces technologies a été rendue possible par le recours à un nombre d’élé-ments chimiques de plus en plus important.

De l’usage de quelques métaux principaux comme le fer, l’aluminium, le zinc, le plomb, le cuivre, le nickel (dont certains n’avaient pas d’usages 100 ans auparavant) dans les années 1950 voire 1970, le monde est passé à l’usage de presque tout le tableau de Mendeleïev : une véritable explosion ! Non seulement les terres rares (cérium, lanthane, néodyme, terbium, europium, yttrium, terbium, lu-tétium…), non seulement les éléments du groupe du platine (platine, palladium, rhodium, rhénium) sont venus s’insérer en quantités croissantes dans les produits technologiques que nous utilisons tous les jours, mais aussi le tantale, le tungstène, le lithium, le béryllium, l’antimoine, le germanium, le cobalt, le gallium, le graphite, l’indium, le ma-gnésium, le niobium, le tellure, sont entrés dans la danse.

Les usages concernés sont de plus en plus nom-breux ; un téléphone portable contient une cin-quantaine de produits minéraux différents, certains en très petite quantité, mais avec une fonctionna-lité difficilement remplaçable ; il en va de même pour les automobiles, pour les installations de pro-duction d’énergie, et pour pratiquement tous les objets technologiques.

L’industrie des semi-conducteurs a très tôt uti-lisé des éléments exotiques comme le germanium. Ses besoins se sont développés avec la miniaturi-sation des ordinateurs, avec les diodes électrolumi-nescentes ou les puces électroniques ; ils se sont

complexifiés avec les téléphones intel-ligents, les écrans tactiles, les écrans à diodes.

En matière de transports, l’aviation a innové pour alléger ses structures et ses réacteurs ; le développement de gros porteurs ayant une autonomie de plus en plus grande a amené les ingénieurs à trouver des solutions sans cesse plus innovantes ; la chimie du carbone y joue un rôle, mais aussi des alliages faisant appel à de nouveaux composants. Les secteurs de l’automobile et du ferro-

viaire ont vu une explosion similaire.Le monde de l’énergie et singulièrement des

énergies nouvelles est un autre exemple : les pan-neaux solaires, les éoliennes, le stockage de l’élec-tricité, les piles à combustible, le nucléaire.

L’industrie, et l’industrie française en particulier, se trouve donc dépendante d’un certain nombre de métaux souvent peu connus du grand public que l’on nomme « matériaux stratégiques » ou « matériaux critiques ». Encore faut-il savoir ce que recouvre cet adjectif : un métal stratégique pour l’industrie élec-tronique peut ne pas l’être pour une autres industrie (à ceci près que l’électronique est présente dans un nombre d’équipements et d’appareils croissant) ; la notion est éminemment dépendante du périmètre considéré – ce qui ne facilite pas l’action collective. L’Europe a développé le concept et finalisé une liste de 20 matières premières minérales « critiques » qui, en première approximation, peut s’appliquer aux enjeux de l’industrie française : antimoine, béryllium, borates, charbon à coke, chrome, cobalt, fluor, gallium, germanium, graphite naturel, indium, magnésite, magnésium, niobium, phosphates, pla-tinoïdes, terres rares légères, terres rares lourdes, silicium, tungstène.

La France n’a rien d’un eldorado minier mais elle possède néanmoins un réel potentiel pour plusieurs substances stratégiques pouvant contribuer au dé-veloppement de son industrie et éviter de trouver dans une situation de dépendance préjudiciable à ses intérêts économiques et stratégiques. Elle a au demeurant un passé minier et fut un producteur

LES GRANDS DOSSIERSIntroduction

Haute technologie et matériaux stratégiques

Alain Liger ingénieur général

des mines, secrétaire général

du COMES

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28 ZREE N°5/2014

métallique depuis les antiquités celtes et romaines. Les traces laissées par les anciennes exploitations et les indices superficiels connus témoignent du potentiel physique du territoire. La variation des conditions de prix depuis l’arrêt de certaines mines récentes laisse penser qu’il existe un potentiel éco-nomique sous nos pieds et le développement des techniques de reconnaissance minérale permet d’identifier et éventuellement d’en exploiter de nouvelles.

Le présent dossier de la REE vise à dresser un pa-norama de l’enjeu pour la France de ces matériaux stratégiques en le déclinant selon plusieurs aspects.

Un premier article, rédigé par l’auteur de ces lignes, vise à préciser la stratégie minérale arrê-tée par le Gouvernement français en avril 2010 et concrétisée par la mise en place en janvier 2011 du COMES (Comité pour les matériaux stratégiques), présidé par le Ministre de l’économie, de l’indus-trie et du numérique. Cet organe de dialogue et de proposition permet de réunir les différentes parties prenantes : administrations et organismes publics, utilisateurs, entreprises spécialisées dans l’exploi-tation, le traitement ou la récupération des métaux.

Patrice Christmann, du BRGM, aborde ensuite le problème spécifique des « terres rares », de la famille du lanthane, qui jouent un rôle essentiel dans beaucoup de technologies nouvelles des sec-teurs de l’énergie, des télécommunications ou de l’information. Toutes ces « terres rares » ne sont pas à proprement parler « rares » mais beaucoup jouent un rôle stratégique dans un nombre consi-dérable d’applications, telles que les aimants per-manents au néodyme-bore dopés au dysprosium, les ampoules basse consommation ou les écrans lumineux dopés à l’europium. En 2010-2011, de fortes tensions sont survenues sur le marché des terres rares dominé par la Chine et le monde a pris conscience de la nécessité de ne pas se placer dans une situation de dépendance excessive vis-à-vis de ce pays où les problèmes d’environnement liés à l’exploitation des terres rares sont au demeurant préoccupants. En France, le Gouvernement est soucieux que la transition énergétique ne nous conduise pas d’une situation de dépendance vis-à-vis des pays pétroliers vers une autre forme de dépendance vis-à-vis de fournisseurs de certains matériaux.

Christophe Le Port-Samzun et Caroline Calvez de NGK Berylco France traitent d’un métal qui n’est

pas à proprement parler rare mais qui n’en est pas moins stratégique : le béryllium. Le béryllium est largement utilisé en alliage avec le cuivre car il confère à ce dernier des propriétés mécaniques, électriques et thermique qui font du Cu-Be un al-liage aujourd’hui sans égal pour les applications en connectique dans tous les domaines de la vie cou-rante ou professionnelle. Le béryllium pose un pro-blème stratégique d’approvisionnement mais aussi de santé publique dans la mesure où il est classé cancérigène de catégorie 1B par le règlement euro-péen sur la classification, l’étiquetage et l’emballage. Les auteurs expliquent comment gérer ce risque et faire en sorte que le béryllium puisse continuer à être utilisé sans risque pour la santé publique.

Bien entendu, on imagine facilement qu’en ma-tière de matériaux stratégiques le recyclage consti-tue un axe d’action fondamental. Erwann Fangeat et Alain Geldron de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) exposent les politiques mises en œuvre sous l’égide des pou-voirs publics en France pour assurer la collecte et le recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). C’est ainsi que près de 500 000 t de DEEE ont été collectées et traitées en 2013 dans 200 centres habilités. Le taux de collecte (31 % en 2013) est appelé à croître et une attention particulière est portée à certains segments de mar-chés en forte croissance tels que les lampes à LED et les véhicules électriques.

Gilles Dretsch, d’Orange, apporte le témoignage de ce que peut faire un grand intervenant national en appui de cette politique publique.

Enfin Alain Rollat décrit le métier de recycleur, tel que le pratique à présent le groupe Solvay, notamment dans son usine de La Rochelle vers la-quelle sont acheminés des tonnages considérables de lampes à économie d’énergie, de batteries en fin de vie ou d’aimants permanents. Les techniques mises en œuvre sont des techniques de pointe afin de permettre notamment la discrimination des terres rares dont les propriétés physiques sont très voisines. En l’absence de ressources minières sur le territoire, de telles stratégies industrielles consti-tuent un atout important et une matérialisation des concepts de l’économie circulaire.

Ce panorama n’a pas l’ambition d’être exhaus-tif. Il faudrait notamment y ajouter les différents métaux utilisés dans les semi-conducteurs et l’élec-tronique (gallium, germanium, indium, etc.) et, in

LES GRANDS DOSSIERS Introduction

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Introduction LES GRANDS DOSSIERS

Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES), élément de politique industriellePar Alain Liger ................................................................................................................................................................ p. 30Terres rares : enjeux et perspectives 2014 Par Patrice Christmann .............................................................................................................................................. p. 37Le béryllium : un enjeu pour la qualité de la connectique Besoins, ressources et risquesPar Christophe Le Port-Samzun, Caroline Calvez ........................................................................................... p. 50Les DEEE et le recyclage des métaux stratégiques en FrancePar Erwann Fangeat, Alain Geldron ....................................................................................................................... p. 58DEEE : Orange veut favoriser l’émergence de nouveaux modèles d’économie circulaire favorisant le ré-emploi et les économies de ressourcesPar Gilles Dretsch ........................................................................................................................................................ p. 67Devenir recycleur, la stratégie d’un groupe producteur de produits minéraux stratégiquesPar Alain Rollat ............................................................................................................................................................. p. 68

LES ARTICLES

fine, à toutes les applications digitales. Il faudrait surtout y ajouter le lithium qui, dans l’état actuel des technologies, joue un rôle essentiel dans les batteries des véhicules électriques mais aussi dans les solutions de stockage qui sont une clé de la viabilité de la production d’énergies électriques intermittentes comme le solaire et l’éolien (batteries d’accumulateurs de type lithium-ion ou lithium-métal-polymère). Le lithium est produit dans un nombre limité de pays, le Chili, l’Australie, l’Argentine

et la Chine, la mise en valeur de sources nouvelles, par exemple les ressources connues en Bolivie, est

un enjeu industriel mondial.Il faudrait y ajouter également

des enjeux dans le domaine de la santé, qui, compte tenu de l’allon-gement de la durée de vie, devient un enjeu majeur de l’industrie mondiale ; le secteur de la défense est également dépendant de solu-tions technologiques centrées sur certains métaux stratégiques. Les matières premières sont au cœur de nos activités. Q

Alain Liger est ancien élève de Mines ParisTech et ingénieur général des mines. Il a tenu pendant 20 ans des positions opérationnelles et de responsa-bilité stratégique d’exploration-développement dans les groupes miniers BRGM et Billiton PLC. Depuis 2002, il a été successive-ment directeur régional de DRIRE (ministère de l’industrie) et de DREAL (ministère du développe-ment durable).Alain Liger a été nommé secré-taire général du COMES – Comité pour les métaux stratégiques – en février 2013. Il est également membre du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies.

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LES MATÉRIAUX STRATÉGIQUESDOSSIER 1

IntroductionLes années 2000 ont vu, au moins

en Europe, une prise de conscience de la fragilité de l’économie induite par la très grande dépendance des industries manufacturières à des sources d’approvi-sionnement étrangères. La concentration de la production de plusieurs métaux et minéraux dans un nombre limité de pays et la croissance fulgurante des consom-mations et importations chinoises, liée à son essor industriel et technologique, ont aidé cette prise de conscience.

C’est particulièrement le cas en France. La production minérale française, hors produits pour l’industrie de la construc-tion, est devenue très limitée au cours du vingtième siècle. L’industrie française importe donc la quasi-totalité de ses approvisionnements minéraux.

Les enjeux industriels et technolo-giques des métaux stratégiques, sou-vent peu connus du grand public ont fait l’objet d’une réflexion de l’Etat, présen-tée au Conseil des ministres du 27 avril 2010. Le communiqué indiquait que « l’accès à ces métaux dans de bonnes conditions est nécessaire pour assu-rer à l’industrie française les conditions de son développement et lui permettre

l’élaboration de produits plus vertueux et plus compétitifs ».

L’Etat arrêtait alors une stratégie minérale c’est-à-dire un plan d’action de long terme, portant sur :(I) le besoin de cerner la vulnérabilité

des différentes filières considérées ;(II) l’extension de la connaissance géo-

logique du territoire et de la mer de la zone économique exclusive fran-çaise (deuxième au monde) et le développement de nouveaux outils d’exploration ;

(III) une politique de recyclage des métaux stratégiques de la « mine urbaine » ;

(IV) enfin l’instauration d’un dialogue organisé entre l’Etat et les indus-triels concernés par la sécurité d’approvisionnement.

A la suite du Conseil des ministres du 24 avril 2010, le Premier ministre, la ministre de l’économie et le ministre de l’industrie signaient le 24 janvier 2011 le décret n° 2011-100 créant le Comité pour les métaux stratégiques (COMES).

Le COMES est un lieu de dialogue pri-vilégié entre les nombreuses branches industrielles et les nombreuses admi-nistrations concernées par la théma-

tique des métaux stratégiques. Le Comité stratégique de filière des indus-tries extractives et de première transfor-mation, créé en 2013, prend en charge les larges enjeux de la filière elle-même.

Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES)

Le COMES est présidé par le ministre chargé des matières premières, à la date de cet article le Ministre de l’éco-nomie, de l’industrie et du numérique, M. Emmanuel Macron.

Ses membres sont répartis en trois collèges : celui des administrations, celui des fédérations professionnelles et indus-trielles et celui des organismes techniques.

La composition du collège des admi-nistrations illustre la diversité des minis-tères concernés par la problématique des métaux stratégiques : outre le ministre chargé des matières premières, déjà cité, ce collège comprend les ministres chargés respectivement de l’économie, de l’industrie, de l’environnement, des affaires étrangères, de la recherche et de la défense ; il comprend en outre le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, le vice-président du conseil général de l’économie et le

Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES), élément de politique industrielle

Par Alain LigerIngénieur général des mines, secrétaire général du COMES

In 2010, an analysis of the economic risk of the reliance of industry upon outside mineral sources led the French Government to set up a mineral strategy; the Committee for strategic metals – COMES –

was subsequently created at the beginning of 2011.Within the COMES, a strategic dialogue takes place between the representatives of the many industry branches that are concerned by minerals and the various Ministries in charge; technical experts from Government agencies also participate in the debates. COMES workgroups discuss issues concerning industry needs and exposure, e.g. primary or secondary resources, circular economy targets or strategic metals substitution.The COMES debates inspired new Government actions such as creating a digital tool to help small and medium enterprises diagnose the strategic metals risks they are exposed to, reinterpreting exploration data of France towards strategic metals targets and setting a French language Internet portal describing mineral issues and data.

ABSTRACT

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Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES), élément de politique industrielle

délégué interministériel à l’intelligence économique.

De manière symétrique, la composi-tion des représentants des fédérations professionnelles et industrielles est co-hérente avec le fait que les enjeux des métaux stratégiques concernent, bien sûr, les industries extractives et métal-lurgiques, mais aussi, plus largement, tous les secteurs industriels français ; ce collège comprend bien sûr la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM) – mainte-nant l’Alliance des minerais, minéraux et métaux (A3M) – et l’Union des indus-tries chimiques (UIC) ; les fédérations représentant les « consommateurs » sont plus nombreuses : le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), la Fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC), la Chambre syndicale des producteurs d’aciers fins et spéciaux (SPAS), la Fédération des industries électriques et électroniques et de communication (FIEEC), le Grou-pement des industries de construction et activités navales (GICAN) et la Fédé-ration des industries mécaniques (FIM).

Enfin, le collège des organismes tech-niques comprend les organismes de l’Etat concernés : Agence de l’environ-nement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), Agence française de dévelop-pement (AFD), BRGM, et Institut fran-çais de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER).

Les travaux du COMES se déroulent essentiellement dans le cadre de plu-sieurs groupes de travail théma-tiques ; en tant que de besoin, les groupes de travail invitent ponctuelle-ment des représentants des ministres non membres du comité, des person-nalités qualifiées ou des représentants des entreprises du secteur à présenter leurs travaux ou leurs actions relatifs aux métaux stratégiques.

A partir de leur propre expérience et de ces contributions, les membres des groupes de travail peuvent être amenés à faire des recommandations d’actions publiques ou privées ; dans la plupart des cas, ces actions sont simplement intégrées, quelquefois sans référence au COMES, par les administrations par-ticipantes à leur programme d’action. Ni le COMES, ni son secrétaire général ne disposent en effet de budget d’in-tervention ni d’autorité sur les services de l’Etat, ni bien entendu sur les stra-tégies industrielles ; cette caractéris-tique essentielle renforce le besoin de consensus, de conviction, qui doit éma-ner des groupes de travail.

La sensibilisation des entre-prises aux fragilités de leur outil industriel

Un des premiers outils mis en place à la suite de la création du COMES est un outil d’analyse de la vulnérabilité des entreprises aux matières premières minérales stratégiques.

L’objectif de cet outil est de per-mettre, à chaque entreprise qui le sou-haite, de déterminer les métaux pour lesquels elle est exposée, de com-prendre les raisons de cette exposition pour développer des stratégies de sécu-risation concertées, entre secteurs et entre industries de taille très différente.

Il a été développé par la Direction générale de la compétitivité, de l’in-dustrie et des services – DGCIS - (qui a pris le nom de « Direction générale des entreprises – DGE » en septembre 2014) en collaboration avec les fédé-rations professionnelles participant au COMES. L’outil a été mis au point avec le conseil en environnement et développe-ment durable BIO Intelligence Service. Il a été conçu et a été testé par des entre-prises (grands groupes et PME).

L’outil est très modulable : il permet de définir librement le périmètre de l’analyse en définissant des systèmes

(secteur d’activité, application, chaîne de production, produit spécifique, com-posant…) adaptés à l’activité. La liste des matières qui approvisionnent le sys-tème choisi a été discutée par les partici-pants d’un groupe de travail du COMES afin d’assurer un compromis entre la couverture des besoins industriels et la difficulté de construire un modèle qui couvre toutes les situations ; elle com-prend les matières premières miné-rales suivantes : aluminium, béryllium, chrome, cobalt, cuivre, fer, lithium, nic-kel, niobium, platine, palladium, rho-dium, néodyme, dysprosium, tantale et titane.

L’outil travaille à partir de données synthétiques portant sur les substances de cette liste, analysées à l’aune de variables comme la stabilité politique des pays producteurs, le niveau de concentration de la production et des producteurs, l’existence d’entraves au libre commerce, la volatilité historique des prix et la part de production issue, en tant que sous-produits, d’autres pro-ductions minérales. La plupart des don-nées sont issues de tables de références internationales.

Pour chacun des « systèmes » défi-nis par l’utilisateur, un graphique per-met de visualiser les résultats sur deux axes : un axe « Risque d’approvisionne-ment » (indépendant de l’entreprise) de chaque matière présente dans le sys-tème et un axe « Vulnérabilité de l’entre-prise par rapport à ce risque (dépendant de l’entreprise). Un graphique global reprend les résultats des systèmes et les pondère avec le chiffre d’affaires de chaque système pour l’entreprise.

Le site internet de la DGE met cet outil d’autodiagnostic à disposi-tion des entreprises désireuses d’éva-luer le niveau de vulnérabilité de leurs approvisionnements en métaux straté-giques. Les fédérations professionnelles membres du COMES ont sensibilisé leurs adhérents à l’existence de l’outil.

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REE N°5/2014 Z77REE N°5/2014 Z 77

LES GRANDS DOSSIERS

Le risque nous accompagne dans notre vie de tous les jours

Toute l’histoire de l’huma-nité n’est faite que de risques, risques acceptés, risques pré-vus, risques refusés, risques surmontés, risques inconnus. Notre époque se caractérise par un fantastique dévelop-pement du savoir et de sa transmission sous toutes ses formes. Plus nous étendons notre savoir, plus ses fron-tières s’éloignent, plus il devient incommensurable et plus le risque inhérent à toute activité, à toute mise en œuvre de notre savoir s’étend.

... la société moderne est devenue une société du risque, dans le sens où elle s'emploie toujours plus à débattre des risques qu'elle a elle-même engendrés, à les prévenir et à y faire face ... (Ulrich Beck) [1].Maîtriser les risques, disposer d’outils pour avan-

cer dans l’innovation sans trop de crainte et avec des méthodes, voilà un des défis de notre temps. Mesu-rer la part des processus, la part des machines, la part de l’homme, la part du hasard dans la gestion du quotidien et la préparation du futur pour agir avec confiance, est une aspiration de tous.

... notre société aspire à une diminution des risques parce que nous devons protéger notre planète, nos enfants, les générations futures. Le risque est indissociablement lié à l'entreprise humaine et aux progrès technologiques, sani-taires, sociaux. La meilleure manière de se protéger c'est regarder le risque en face et se demander ... comment la science peut aider à la minimiser ... (Claude Allègre) [2].On trouvera dans la littérature maintes expli-

cations de la non existence du « risque zéro ». Se pose alors la question de l’évaluation de l’incertain. Les dernières décennies du XXe siècle sont en effet traversées par une prise de conscience accrue de la fragilité de la biosphère face à l'activité humaine et par une interrogation sur la capacité de la géné-

ration actuelle à mettre en œuvre un développement « durable ». Qu'il s'agisse de ressources naturelles non re-nouvelables ou d'atteintes à l'environnement sous forme de pollutions, le débat se structure désormais autour de quatre questions-clés :

-sionnel des problèmes, qui ne permet plus d'isoler la sphère économique et la

sphère naturelle et s'inscrit dans le phénomène général de la mondialisation ;

seulement entre les individus actuels mais aussi, ce qui est plus difficile encore, sans pénaliser les générations futures ;

-quences de comportements ou de choix actuels ;

de ces choix ou comportements mais aussi les préférences des générations futures.

Ces quatre aspects, et notamment les deux der-niers cités, se sont rejoints pour donner naissance au principe de précaution. Notion relativement ré-cente, il s’est d’abord développé en matière d'envi-ronnement. La Déclaration de Rio, en 1992 [3], l’a en effet défini ainsi :

« Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appli-quées par les Etats selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irré-versibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ».Le traité de Montréal, en 2000, traitant notam-

ment de la circulation des produits génétiquement modifiés, a ouvert le champ d'application du prin-cipe de précaution à tous les risques induits par cette catégorie de produits (risque sanitaire, social,

LES GRANDS DOSSIERSIntroduction

Prévention et gestion du risque Quelques approches novatrices

Tullio Joseph TanziInstitut Mines-Telecom Telecom ParisTech.

LTCI UMR 5141 CNRS

URSI commission F

Jean IsnardURSI commission F

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78 ZREE N°5/2014

Le principe de précaution s'applique lorsque les experts n'ont pas trouvé de consensus quant à l'inno-cuité d'une activité ou d'une technologie. Cela signifie que les autorités publiques ne doivent pas attendre de disposer de certitude scientifique pour prendre une décision. L'application tantôt trop rigide tantôt trop systématique de ce principe ne permet pas de dégager des critères généraux d'application. La di-mension du cas par cas tient donc une place centrale, et l'évaluation d'une situation restera toujours sou-mise à une appréciation subjective, confirmant ainsi que le risque zéro n'existe pas.

Cette notion à double tranchant, - mais définiti-vement nécessaire dans le cadre de notre société à modernisation rapide -, a fait son entrée au plus haut rang de l'ordre juridique français puisqu'elle a été introduite dans la Charte de l'environnement de 2004 et que celle-ci a été adossée à la Constitution en 2005. Et si, dans un premier temps, la règle était de le décrier en l'opposant fermement au progrès technique et à l'innovation, un récent rapport du Sénat de 2014 [4] vient, au contraire, adoucir les préjugés pour en faire justement, le principe du progrès. En effet, alors que « la France a peur de prendre des risques », il semble désormais néces-saire de dépasser ce stade sclérosant pour réaliser que la mise en place de mesures de précaution pro-portionnelles aux risques engagés permet de faire redémarrer la recherche et l'innovation.

Après tant d'ardeur et de ferveur autour de la légi-timité de son application, le principe de précaution semble vivre un retour aux sources en reprenant finalement le sens que semblait vouloir lui attribuer l'un de ses premiers parents Hans Jonas qui parlait à l'époque de « Progrès avec précaution » dans son ouvrage [5] publié en 1979.

L’impact du progrèsLes médias nous le rappellent quotidiennement,

nous vivons dans un monde où le risque est conti-nuellement présent. Aux risques de catastrophes naturelles (ouragans, cyclones, séismes, tsunamis, glissements de terrain, inondations, incendies de

-vité humaine (conflits armés, accidents industriels, accidents de transport, etc.) et, ce qui est relati-vement nouveau, les risques de modification et de falsification d'informations liées aux nouvelles technologies censées nous protéger. Toute société qui veut perdurer se doit d'identifier chaque type

de risque, de l'évaluer et de mettre en place les moyens à mettre en œuvre pour sa prévention et la gestion des périodes de crise.

Toutes les techniques de la communication et de l'information modernes telles que la localisation, la télédétection, les communications, les terminaux à technologie évoluée, le multimédia, la vidéo, les techniques avancées de l'informatique et des bases de données, les protocoles de sécurité, le traite-ment du signal, les protocoles de communication et de réseaux ... constituent une magnifique boîte à outils au service de l'ingénieur moderne [6] en général et plus spécialement pour celui qui évolue dans le domaine du risque.

Les télécommunications représentent un apport incontestable pour ceux qui ont en charge la ges-tion du risque. Elles autorisent la constitution de système de gestion en temps réel en favorisant l'échange d'information tant du point de vue de l’ac-quisition que de celui de la diffusion. Les réseaux de sécurité utilisés pour la protection du public et les secours en cas de catastrophes (PPDR) en sont un bon exemple. Le sujet de la mise en place de réseaux à large bande et à couverture nationale et internationale est en chantier pour longtemps encore. Il comporte plusieurs aspects et d'abord techniques, car l'accès au spectre de fréquences et l'interopérabilité des réseaux sont essentiels. Il y a ensuite l'aspect gestion des opérations et des moyens. Certains existent déjà qui fonctionnent et qu'il faut prendre en compte : salles de comman-dement (C4), interconnexion de ces moyens, etc.

... ne pas prévoir, c'est déjà gémir ... Léonard de VinciLes techniques de l'analyse spatiale constituent

un apport puissant pour l'aide à la décision en situa-tion critique dont un des attendus est la constitu-tion de tableaux de bord basés sur le raisonnement spatial [7] afin de permettre un raisonnement. La problématique porte à la fois sur la collecte des informations et leur distribution vers les hommes sur le terrain.

Les contraintes rencontrées sont importantes. Elles sont principalement dues au fait que l'on constitue des systèmes critiques utilisant une mul-tiplicité de sources de données hétérogènes issues de divers capteurs géographiquement répartis et intensivement distribués. La spatialisation de l'in-formation et le suivi dynamique de la spatialisation des sources mobiles, ainsi que le gigantisme des

LES GRANDS DOSSIERS Introduction

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Introduction LES GRANDS DOSSIERS

données à traiter représentent aussi une source de problème conséquent. Enfin la multidisciplinarité nécessaire à ce type d'approche constitue une dif-ficulté non négligeable.

L’objectif est d'obtenir des synthèses perfor-mantes et précises de la situation observée. La fusion de données permet de constituer des méta-indicateurs qualifiant l'évolution du phénomène observé. La fouille de données spatiales et les capacités de classification permettent d'extraire de l'information pertinente et utile pour l'aide à la dé-cision. Dans un environnement souvent dépourvu d'infrastructures et parfois hostile, un réseau fiable

-mation et pallier une éventuelle défaillance des moyens existants. Ce réseau devra disposer d'une grande souplesse pour supporter tous types de données (y compris vidéo), de capacités d'auto-configuration en fonction des besoins, d’une qua-lité de service adaptée à la demande et d'un haut niveau de sécurité. Il doit donc avoir des capacités de reconfiguration dynamique prenant en compte les informations de localisation des équipements.

Il est enfin nécessaire de créer, au-dessus de cette infrastructure ad hoc, une architecture lo-gique de transport, de traitement et d'affichage de l'information, et de redistribution des directives. Ces problématiques sont proches de celles déve-loppées en administration de réseau. La problé-matique porte sur le transport de l'information : les protocoles d'administration de réseau sont-ils adaptés à cette utilisation ? Quelles sont les carac-téristiques de réseaux nécessaires, comment repré-senter l'information (tableaux de bord, synthèse, utilisation d'avatars, intégration au sein de support cartographiques 2D, et 3D…) ?

Le traitement de l'information présente-lui aussi ses classes de problèmes. En premier lieu la distri-bution de l'intelligence entre les sites et les équipe-ments mobiles, en gardant à l'esprit l'optimisation des temps de réponse, ou encore la réduction de la quantité d'information à transmettre. Le tri et le filtrage de l'information en fonction de sa per-tinence et des utilisateurs visés, l'utilisation de bases de données d'historiques ou encore de mo-dèles dynamiques de comportement, le couplage avec des modèles en général. En résumé, la mise en place de ce type de système doit permettre de « procurer la bonne information, au bon moment, au bon endroit, à la bonne personne, pour la bonne

décision » et ensuite autoriser la redistribution in-telligente des diverses informations vers le terrain. De ce point de vue la gestion du risque devient un domaine particulier du système d'information où l’apport des TIC est primordial.

... les gens n’ont pas besoin de conseils, ils ont besoin de compréhension ... (H. Jackson Brown).

Présentation du dossierLe risque est un objet polysémique. Il présente

une série d’enjeux à la fois pour le scientifique et l’ingénieur. Il constitue un sujet complexe sur lequel il serait imprudent d’intervenir sans avoir la maîtrise des concepts sous-jacents : le danger serait alors de gérer les manifestations de façon superficielle sans vraiment influer sur les causes profondes. Il est donc très difficile de traiter du risque dans toutes ses représentations et ce dossier n’a pas la préten-tion de réaliser une couverture exhaustive.

L’article de Justin Larouzée et de Franck Guarnieri présente le risque vu du côté des sciences humaines. Il traite du facteur humain et de la sociologie du risque, à travers les travaux de James Reason sur l’erreur humaine. Cette approche s’inscrit dans une tendance qui a vu entre les an-nées 1950 et 1970 l’effort de gestion de sécurité d’abord se focaliser sur les facteurs techniques puis entre les années 1970 et 1990 sur les facteurs hu-mains (importance de l’erreur humaine dans les accidents) et enfin depuis les années 1990 sur les facteurs d'organisation.

La contribution de Ludovic Apvrille et d’Yves Roudier analyse les apports des techniques de preuve pour la prise en compte du risque dès la conception de systèmes critiques. Les auteurs montrent comment des exigences de sûreté et de

-vironnement permettant l’analyse de leur influence réciproque. L’article illustre ces différents points par des exemples relevant d’applications des domaines de l’automobile et des systèmes d’information.

L’analyse des risques trouve dans la lutte contre la criminalité un nouveau champ d’application. Cela nécessite non seulement de comprendre le phéno-mène criminel au travers de variables explicatives mais aussi de l’anticiper dans un futur plus ou moins lointain. Patrick Perrot présente l’approche aujourd’hui développée en matière d’anticipation en combinant à la fois des méthodes de prédiction et de prospective. En effet, alors que la première

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QUELQUES APPROCHES INNOVANTES DANS LA PRÉVENTION ET LA GESTION DES RISQUES DOSSIER 2

Introduction James Reason est un psychologue an-

glais essentiellement connu pour la pater-nité du modèle d'accidents dit « modèle du fromage suisse ». Ce modèle porte la thèse selon laquelle un accident dans un système sociotechnique découle de la combinaison malheureuse de conditions présentes dans l'organisation en amont de l'accident (dites « latentes ») et d'une situation dangereuse (souvent initiée par

une action humaine qualifiée d'« erreur active »). Ce modèle a contribué à une nouvelle compréhension des accidents (ou paradigme) dans le domaine des Safety Sciences [1]. En 2014, il est tou-jours cité et utilisé dans de nombreux domaines industriels. Pourtant, le de-gré de connaissance et de maîtrise du modèle par ses utilisateurs pose ques-tion [2,3,4]. Cet article aborde d'une manière originale ce fameux modèle

en discutant ce qu'il n'est pas. Pour ce faire, nous avons choisi de discuter huit « idées reçues ». Il fait suite à une analyse systématique des travaux de Reason (au nombre de 149), des publications d'autres chercheurs en lien direct avec le « modèle du fromage suisse » et de deux précieux entretiens avec James Reason, le 7 janvier 2014 et son prin-cipal collaborateur, James Wreathall, le 10 octobre 2014. Nous espérons fournir

Huit idées reçues sur le(s) modèle(s) de l’erreur humaine de James Reason

Par Justin Larouzée, Franck Guarnieri MINES ParisTech, PSL Research University, Centre de recherche sur les Risques et les Crises

This paper directed to engineers, researchers and PhD students concerned one way or another by the issues of industrial safety and needing to use the theories or work of the English psychologist James

Reason, theorist and practitioner of the global concept of human error. This paper, which requires additional rea-ding of James Reason’s essential works, intends to provide evidence to exceed eight preconceived ideas about the work of the latter, mainly directed to the etiological model of accidents known as "Swiss cheese model".

ABSTRACT

Figure 1 : Version populaire du modèle d’accident de Reason ou “Swiss Cheese Model”.

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QUELQUES APPROCHES INNOVANTES DANS LA PRÉVENTION ET LA GESTION DES RISQUESDOSSIER 2

des axes de réflexions qui permettraient une utilisation plus éclairée des travaux de cet auteur incontournable des Safety Sciences.

Après une brève présentation de l'au-teur et de ses travaux, nous aborderons des idées reçues concernant les ori-gines du modèle « du fromage suisse » (au nombre de trois), ses fondements théoriques (au nombre de trois) et ses usages possibles (au nombre de deux).

James Reason, ses travaux et ses modèles

James Reason est né en Angleterre en 1938. En 1967 il soutient sa thèse puis conduit de nombreuses recherches sur la désorientation sensorielle et le mal des transports. En 1977 il rejoint l'université de Manchester en tant que professeur de psychologie. La carrière scientifique de Reason (1967-2013) lui a valu de nombreuses reconnaissances (il est notamment Commandeur de l'ordre de l'Empire britannique).

James Reason est l'auteur de 128 ar-ticles et chapitres d'ouvrages collectifs et 21 livres (contribution quantitative-ment significative dans le champ des sciences du risque). Durant sa carrière, Reason a exploré cinq grands champs de recherche. Il consacre 15 années au phénomène du mal des transports avant de s'intéresser aux erreurs du quo-tidien. Après 10 années d'observation, il propose un classement de ces erreurs (ex : erreurs d'action ou de réflexion). La fin des années 1980 et la publica-tion du livre l'Erreur Humaine [5] sont marquées par des accidents tels que l'explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Les travaux de Reason ren-contrent ceux d'un ingénieur nucléaire américain (John Wreathall) et s'orientent vers la sécurité des systèmes industriels.

La collaboration du psychologue et de l'ingénieur produit un modèle normatif d'un système productif générique basé sur ses composantes principales (orga-

nisation, technique et opérateurs). Rea-son adosse sa classification des erreurs aux différentes « couches » du système pour expliquer les accidents industriels. A cette époque, les enquêtes sur les grands accidents, font émerger l'idée que l'acci-dent n'est pas uniquement imputable à l'erreur d'un opérateur (facteur humain). Ses origines remontent aux rouages des systèmes. James Reason fait alors évo-luer son modèle d'accident au gré de dif-férentes collaborations (et toujours avec John Wreathall) et participe à différents programmes industriels de recherche sur les erreurs, les accidents et leurs préven-tion. Ses travaux rencontrent un succès grandissant dans divers milieux indus-triels de 1990 à 2000.

En 2000, James Reason débute des travaux sur la réduction du risque en mi-lieu hospitalier. Il publie dans le pres-tigieux journal British Medical Journal (BMJ) une nouvelle représentation de son modèle [6]. Simplifié, celui repré-sente les défenses alignées d'un sys-tème comme des tranches de fromage suisse (figure 1). Chaque défense pré-sente des lacunes (trous du fromage) qui peuvent être le fait d'erreurs hu-maines, de problèmes techniques, de mauvaise maintenance ou de décisions managériales. Si les lacunes se com-binent (alignement des trous) un danger potentiel peut porter atteinte à l'intégrité (physique, économique ou structurelle) du système. C'est l'accident.

Idées reçues sur les origines du modèle

Cette section revient sur la genèse du modèle, ce qui a motivé sa création, les formes successives qu'il a connu dans son évolution (et dans le temps) mais aussi sur les différents acteurs de sa création. Si Reason a parsemé ses publications d'éléments de genèse, cette section se veut novatrice en sou-lignant une dimension fondamentale et négligée : l'alliance entre le psychologue

et le monde de l'ingénierie. Nous affir-mons que c'est cette alliance qui est à l'origine d'une représentation graphique (modèle) pragmatique et fonctionnelle, à même d'expliquer la popularité du modèle et des théories qu'il supporte.

Idée reçue n°1 : les travaux de Reason se limitent à la sécurité industrielle

S'il est essentiellement connu pour ses travaux sur les accidents industriels (notamment dans les domaines du nu-cléaire et de la sécurité aérienne) ou dans le milieu hospitalier, James Rea-son a traité de nombreux sujets durant sa carrière de psychologue [1]. Il rédige en 1967 une thèse sur la désorientation sensorielle et le mal des transports, elle sera suivie de la publication de nom-breux articles et deux livres sur le sujet. Au début des années 1970, il s'intéresse aux erreurs du quotidien (oublis, ratés dans la réalisation des actions, lapsus). Durant cette nouvelle période de re-cherche, Reason entreprend une taxino-mie des erreurs humaines. C'est la série d'accidents industriels de 1980 à 1990 qui l'amène à travailler sur les implica-tions des erreurs humaines dans la sé-curité industrielle. Jusqu'à la publication, en 2013, de son dernier livre, Reason a également travaillé sur les notions de culture, de rapport à la règle et de travail en équipe.

Idée reçue n°2 : il (n') y a (qu') un modèle de Reason

Il est courant de se référer au « modèle du fromage suisse » ou au « modèle de Reason » pour qualifier le modèle éti-ologique d'accidents organisationnels publié par Reason. Parler du « modèle de Reason » occulte cependant le fait qu'il existe, en réalité, des modèles de Reason. Cette pluralité s'exprime à deux niveaux, (1) James Reason a publié de nombreux modèles normatifs de l'er-reur humaine ne portant pas sur les

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GROS PLAN SUR ...

IntroductionDans une première partie, publiée dans le nu-

méro 2014-4 de la REE, nous avons traité du « Syn-drome de l’énergie primaire », mode d’agrégation statistique de différentes formes d’énergie (fos-siles, renouvelables, nucléaire) qui, s’il est détourné de sa finalité initiale, peut conduire à des conclu-sions abusives. Ce critère est aujourd’hui fréquem-ment utilisé pour « démontrer » que les usages de l’électricité conduisent à une surconsommation d’énergie alors que le développement de l’utilisation de l’élec-tricité va, en général et tout particulièrement dans notre pays, dans le sens d’une réduction des émissions de CO2 et de la dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles, d’une meilleure efficacité économique, d’une réduction du déficit commercial et d’une amélioration du confort et de la finesse de régulation.

A titre d’exemple, on peut rappeler que les diagnostics de performance énergétique des bâtiments (DPE), institués par le décret du 14 septembre 2006 et à présent rendus obliga-toires dans la plupart des transactions, doivent aujourd’hui comporter :

l’indication, pour chaque catégorie d’équipements, de la quantité annuelle d’énergie consommée ou estimée selon

une méthode de calcul conventionnel ainsi qu’une évaluation des dépenses annuelles ré-sultant de ces consommations ;

l’évaluation de la quantité d’émissions de gaz à effet de serre liée à la quantité annuelle d’énergie consommée ou estimée.

Or la méthode de calcul des consommations est celle de l’énergie primaire. Il s’ensuit que des logements chauffés aux énergies fossiles, le gaz en particulier, apparaissent plus perfor-

mants que les logements chauffés à l’électricité, même si les émissions en CO2 qu’ils occasionnent sont notablement supérieures (figure 1). Compte tenu de la primauté donnée au critère « énergie primaire », les logements chauffés au gaz, dont la durée de vie pourra atteindre 100 ans, se trouvent promus aux yeux du public aux dépens de solutions élec-triques tout aussi respectables.

Bien évidemment, si l’on veut faire du critère « émissions en CO2 » le critère principal, il faut s’entendre sur les mé-thodes utilisées pour le calculer et ne pas retomber dans les errements des calculs en énergie primaire. C’est là que les difficultés commencent et c’est l’objet de ce deuxième chapitre.

Le kWh mal traitéDeuxième partie : le contenu en CO2 du kWh

Jean-Pierre Hauet

Figure 1 : Exemple de diagnostic de performance énergétique (DPE) réalisé sur un logement RT 2012 chauffé au gaz. La performance affichée en termes d’énergie primaire est optimale mais les émissions de CO2 se situent à un niveau assez moyen.

Nota : On rappelle cependant que le DPE produit des données normatives et non des consommations réelles.

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124 ZREE N°5/2014

GROS PLAN SUR

La problématique du contenu en CO2 du kWhBilans, budgets et tableaux de bord

En France, comme dans bien d’autres pays, la réduction des émissions de CO2 est devenue l’une des composantes essentielles des politiques énergétiques et environnemen-tales. Les consommations d’électricité entraînent en effet des émissions de CO2 qui sont essentiellement fonctions du mode de production de l’électricité. Il est essentiel de savoir quelle est et quelle sera la responsabilité des différents usages de l’électricité dans le bilan en CO2 de la nation.

L’évaluation des contenus en CO2 des usages de l’élec-tricité est nécessaire pour dresser les bilans des émissions de gaz à effet de serre prévus par l’article L229-25 du Code de l’environnement. Elle intervient également, comme nous l’avons vu, dans l’établissement des diagnostics de perfor-mance énergétique des bâtiments. Elle pourrait également être prise en compte dans la fixation des coefficients de modulation rentrant dans le calcul de la consommation conventionnelle en énergie primaire des bâtiments nou-veaux qui est à la base de la RT 2012 (article 12 de l’arrêté du 26 octobre 2010).

A l’avenir, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte1 prévoit l’établissement d’une straté-gie nationale de développement à faible intensité de carbone s’appuyant sur la notion de « budget carbone ». Ce texte sti-pule notamment que :

« Le décret fixant la stratégie bas-carbone répartit le bud-get carbone de chacune des périodes mentionnées à l’ar-ticle L.222-0-1 par grands secteurs, notamment ceux pour lesquels la France a pris des engagements communautaires ou internationaux.

La stratégie bas-carbone décrit les orientations et les dis-positions d’ordre sectoriel ou transversal qui doivent être éta-blies pour respecter le budget carbone ».

La définition de contenus en CO2 du kWh par usage prend donc une importance accrue, non plus seulement pour éta-blir des bilans mais aussi pour arrêter des budgets ou des ob-jectifs annuels, par périodes successives, et par conséquent pour établir des feuilles de route et des tableaux de bord.

Un problème simple en apparence mais difficile à traiter

La question du contenu en CO2 du kWh est d’apparence simple et semble relever du bon sens, mais il n’en est rien.

On peut envisager la question à la production ou à la consommation.

1 Le « projet » cité ici est le texte disponible à la date de rédaction du pré-sent article, à savoir le texte du projet de loi tel qu'adopté en première lecture par l'Assemble nationale.

A la production, on sait que les centrales électriques sont plus ou moins émettrices de CO2 par kWh produit. Les facteurs d’émission couramment admis sont de 740 g/kWh pour les centrales à charbon les plus modernes, à technolo-gie dite ultra-supercritique, et de 370 g/kWh pour les cen-trales à gaz à cycle combiné les plus performantes. Pour le nucléaire et pour la plupart des énergies renouvelables, le facteur d’émission est pris égal à zéro.

Cependant, lorsqu’on raisonne en ACV (analyse en cycle de vie), on est conduit à majorer les facteurs d’émission di-recte du montant des émissions imputables au moyen de production considéré tout au long de son cycle de vie, de l’extraction des matières premières jusqu’au traitement de fin de vie (démantèlement, recyclage...).

La Base Carbone maintenue par l’ADEME2 propose en décembre 2014 les valeurs suivantes pour les contenus ACV en France continentale :

Les analyses ACV sont reconnues dans leur principe mais donnent parfois lieu à contestation.

Plus compliqué est le problème de la production combi-née chaleur et électricité : quelle part des émissions rattacher à l’électricité et quelle part à la chaleur ? Le problème est as-sez marginal en France car la production combinée y est peu développée mais des études faites dans les pays étrangers montrent que, selon les conventions adoptées, les résultats relatifs au facteur d’émission à la production peuvent varier considérablement. En appliquant quatre méthodes diffé-

3 sont parvenus à des résultants variant de 367 à 708 g/kWh.

Le problème est encore plus complexe au niveau de l’utilisation, lorsqu’on cherche à définir le contenu en CO2 d’un usage de l’électricité. En effet la mutualisation des res-sources induite par le raccordement au réseau de la quasi-totalité des consommateurs d’énergie électrique fait qu’à un instant donné, un certain nombre de moyens de production sont mobilisés pour assurer l’équilibre du réseau en fournissant la puissance nécessaire à la satisfaction des besoins. Sous les réserves qui précèdent, les facteurs d’émission des moyens de production sont connus. Par contre, ces moyens de production se mélangent entre eux pour satisfaire les diverses utilisations de l’électricité. En se plaçant du côté des utilisateurs, il devient

2 A présent « Centre de ressources sur les bilans de gaz à effet de serre » – http://bilans-ges.ademe.fr

3 Robert Harmsen and Wina Graus – How much CO2 emissions do we reduce by saving electricity? A focus on methods - Elsevier 2013.

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134 ZREE N°5/2014134 ZREE N°5/2014

❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱ RETOUR SUR

Denis Jerome Membre de l’Académie des sciences

IntroductionJacques Friedel, né en 1921, nous a quittés au mois d’août

2014. Avec lui a disparu, au terme d’une longue et brillante carrière scientifique, le dernier survivant des scientifiques éminents qui ont créé, il y a plus de 50 ans, le prestigieux Laboratoire de physique des solides (LPS) d’Orsay. C’est en effet en 1959 qu’André Guinier, Jacques Frie-del et Raimond Castaing ont uni leurs efforts et équipes de recherche pour bâtir un laboratoire qui a profondément marqué le renouveau de la recherche française dans l’après-guerre et dont nous souhaitons retracer brièvement l’histoire à l’occasion du décès de Jacques Friedel

Avant d’évoquer les conditions de la créa-tion puis de la réussite du LPS, rappelons qui étaient ses trois créateurs, dont les carrières scientifiques avaient suivi des voies originales et déjà prometteuses. André Guinier, le doyen de l’équipe (1911-2000), s’était engagé dans l’étude des rayons X à sa sortie de l’ENS et avait sou-tenu sa thèse juste avant la guerre ; il animait une équipe au sein du CNAM et la confiance de ses pairs au sein de l’Université lui valait d’être, à la Faculté des sciences, le vice-doyen, chargé du nouveau campus d’Orsay. Raimond Castaing (1921-1998), après l’ENS et l’agrégation en 1946, avait fait sa thèse à l’ONERA sous la direction de Guinier ; après avoir mis au point la microsonde Castaing, il y pilotait un groupe de recherche. Jacques Friedel, qui avait « fait Polytechnique » comme ses prestigieux ancêtres et commencé sa recherche dans le laboratoire du professeur Sir Nevill Mott (PhD à Bristol en 1952, prolongé par la thèse d’état en 1954), animait à l’Ecole des mines de Paris une équipe surtout dédiée aux propriétés mécaniques des cristaux et aux propriétés électroniques des impuretés dans les métaux.

Mentionnons ici, en les associant dans notre souvenir, que ces trois pionniers obtinrent tous les trois la médaille d’or du CNRS. Tous trois furent membres à l’Académie des sciences.

Ils ont également chacun présidé la Société française de phy-sique (SFP) et multiplié les prix et récompenses scientifiques.

La création du Laboratoire de physique des solides et le contexte scientifique

Les premières réflexions sur la création d’un laboratoire de physique des solides à Orsay remontent à 1958, à l’occa-sion d’une réunion regroupant le « père Rocard », comme on appelait affectueusement le directeur du Laboratoire de physique de l’ENS, Maurice Lévy qui y dirigeait le Labora-

toire de physique théorique, ainsi qu’André Gui-nier et Jacques Friedel. Yves Rocard souhaitait la construction d’un bâtiment pour l’ENS, proche de l’accélérateur linéaire d’Orsay alors en plein chantier. Dans ce bâtiment, une place serait af-fectée aux activités de recherche de trois profes-seurs de physique des solides venant d’horizons différents, André Guinier, déjà senior à l’époque et deux juniors, Raimond Castaing et Jacques Friedel.

Dans les années 50, l’activité scientifique reprenait après les années de guerre et ne pou-vait tenir dans un Paris limité à la Montagne Sainte Geneviève, avec l’ENS, Polytechnique et le Collège de France : comme l’exprimait Hubert Curien1, on devait faire respirer la phy-sique parisienne sans toutefois la faire éclater.

L’extension des bâtiments de l’ENS sur le campus d’Orsay fut décidée, comme annexe du Laboratoire de physique nucléaire et de phy-sique théorique de l’ENS, et c’est en son sein que fut créé le Laboratoire de physique des so-lides. Les trois fondateurs, dont les compétences étaient complémentaires, avaient bien compris l’intérêt de coopérer pour réussir, en évitant les disputes et en maintenant la cohésion, avec

mise en commun de l’ensemble des crédits universitaires au sein d’un laboratoire unique. On en était encore à la création du campus et il y avait fort à faire : ce n’était qu’un chantier boueux et Orsay était la seule Université de France non reliée

1 Discours d’Hubert Curien à l’Académie des sciences le 4 décembre 2001 prononcé lors de la célébration des 80 ans de Jacques Friedel.

La brillante histoire du laboratoire de physique des solides d’Orsay

André Guinier.

Raimond Castaing en 1994.

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REE N°5/2014 Z 135

La brillante histoire du laboratoire de physique des solides d’Orsay

à Paris par une route carrossable, selon André Guinier qui en sera le premier doyen !

Le laboratoire du 210, dont André Guinier fut le premier directeur, regroupait les activités d’imagerie et de rayons X, la physique des propriétés électroniques, magnétiques, méca-niques et plastiques des métaux et alliages. L’un des grands atouts du 210 fut de s’adosser dès ses débuts à un ensei-gnement de DEA de haut niveau en physique des solides : Guinier enseignait les structures cristallines, Lévy la méca-nique quantique, Aigrain les phénomènes de transport et Friedel la structure électronique. Ce fut le début d’un DEA moderne dont les cours, d’abord répartis entre Paris et Orsay, furent regroupés à Orsay dès 1960

Cet enseignement de DEA a joué un rôle fondamental dans les succès scientifiques du laboratoire. De nombreux étudiants pouvaient effectuer sur place le stage obligatoire d’un mois et il constituait un vivier d’étudiants de très haut niveau pour des thèses dans ses propres murs. Avec celui dispensé au CEA Saclay, Orsay fut alors, dans le cadre de l’université, le pre-mier enseignement de haut niveau en mécanique quantique et c’est Pierre-Gilles de Gennes qui l’assura à partir de 1961,

après avoir quitté les thèmes sur lesquels il travaillait à Saclay (antiferromagnétisme et diffraction de neutrons).

Le laboratoire associé au CNRS.En 1966, le laboratoire formait déjà un tout pour l’univer-

sité, mais vis-à-vis du CNRS chacune de ses composantes dépendait de commissions différentes du comité national, sans réelle harmonisation entre elles. Sur la suggestion de Guinier et Friedel2, Pierre Jacquinot, alors directeur du CNRS, accepta que le Laboratoire de physique des solides soit considéré comme une seule entité par le CNRS, à l’image de ce qu’il était à l’université : cette décision conduisit au laboratoire associé N° 2 (ou LA2) – le premier pour la phy-sique, et elle contribua à lancer en France la formule des laboratoires associés Université-CNRS, devenus plus tard uni-tés mixtes de recherche (UMR). Cette formule inaugurée à Orsay en 1966 ne se généralisa pas sans réticence dans le pays, les doyens des universités n’étant pas ravis de voir le CNRS entrer dans le jeu de la recherche universitaire. C’était cependant une formule particulièrement bien adaptée à la

2 J. Friedel, Graine de Mandarin, Editions Odile Jacob, p 226.

Le rayonnement de Jacques Friedel

Ce retour sur… le LPS évoque largement mais succinctement les contributions scientifiques de Jacques Friedel tout au long de sa longue et brillante carrière. Les lecteurs intéressés par des développements plus précis et complets se repor-teront avec intérêt aux témoignages et explications disponibles sur le site de la Société française de physique (www.sfpnet.fr ) qu’il présida en 1970.

Nous voudrions ici souligner l’importance des diverses responsabilités que Jacques Friedel exerça, en plus de la direction du LPS, et qui contribuèrent à son large et exceptionnel rayonnement. Nombreux sont ceux qui se souviennent de son enseignement, de ses conseils (combien de jurys de thèses ne présida-t-il pas !), toujours exercés avec une bienveillance et où la forte autorité morale

accompagnait l’impressionnante envergure scientifique.Directeur du LPS, Jacques Friedel présida aussi pendant un temps l’UER 3e cycle d’Orsay (où à la différence des

autres universités le découpage suivait les ordres d’enseignement et non pas le découpage disciplinaire). Membre éminent de la SFP, Jacques Friedel, fut à ses débuts (1982-1984) président de la Société européenne de physique (SEP/EPS), qu’il avait contribué à créer quand les blocs divisaient encore l’Europe. Membre de l’Académie des sciences, il en fut élu Président par ses pairs pour la période de 1992 à 1994 puis présida l’Institut.

Jacques Friedel appartenait à une famille de tradition protestante d’où est issue une longue lignée de scientifiques polytechniciens ; ceux-ci ont marqué la chimie, la cristallographie, la minéralogie et la géologie françaises : son arrière-grand-père Charles, son grand-père Georges et son père Edmond dirigèrent d’importants laboratoires et écoles ; cette histoire familiale, associant le cousin Charles Crussard, a fait en avril dernier l’objet d’un colloque sur Les Friedel, la chimie et les cristaux.

Le 12 juillet 2013, François Hollande avait remis à Jacques Friedel les insignes de Grand-Croix de la Légion d’Hon-neur ; aucun physicien depuis Branly, Langevin et de Broglie n’avait reçu cette très rare reconnaissance de la République envers ses savants.

Jacques Friedel en 2013.

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Député du NordENTRETIEN AVEC CHRISTIAN BATAILLE

REE : Monsieur le Député, quels sont selon vous les points forts du texte sur la transition énergétique que l’Assemblée nationale vient d’approuver en première lecture ?Christian Bataille : Cette loi est une loi de synthèse mais nous en avons connu d’autres qui étaient au moins aussi impor-tantes. Je pense en particulier à la loi NOME du 7 décembre 2010 dont Jean-Claude Lenoir était le rapporteur. La présente loi sur la transition énergétique se fo-calise en fait sur l’électricité et donc, par ricochet, sur l’énergie nucléaire. Elle permet au passage de faire le point sur ce que l’on peut attendre des énergies

alternatives. Mais je crois que son ap-port principal réside dans une approche nouvelle sur les bâtiments et sur leur rénovation thermique qu’il est urgent d’organiser. C’est un domaine où nous avons un retard considérable et la loi contribuera à le combler.

Cependant, cela ne suffit pas à faire de la loi un bon texte et je ne l’ai pas voté.

REE : Pourquoi avez-vous décidé de ne pas voter ce texte ?C. B. : Je ne suis pas un député fron-deur : sur les actes essentiels, je soutiens sans hésiter le Gouvernement. Mais ce texte cède à des effets de mode et on y remplace des analyses techniques par du vocabulaire. La « transition » est un mot qui ne blesse personne mais dire que nous vivons une période de tran-sition fait partie des « idées reçues » décrites par Flaubert. Ce texte manque de fond et c’est une compilation de me-

sures que l’on voudrait d’envergure et de propositions anodines.

Mais la vraie question reste celle-ci : sait-on où l’on veut aller ? La France, après les deux premiers chocs pétroliers, s’était donnée pour objectif de s’affranchir de sa dépendance énergétique et de trouver un

équilibre raisonnable entre formes d’éner-gie. On a rompu cet équilibre en mettant en cause la production d’électricité d’ori-gine nucléaire mais on se contente à pré-sent d’objectifs très généraux concernant les énergies renouvelables dont on sait qu’elles ne pourront pas prendre la relève au niveau escompté.

REE : Comment on est-on arrivé là ?C. B. : Le texte part malheureusement de prémisses qui sont fausses en tablant sur une baisse de la consommation élec-trique dans les 10 ans à venir alors que tout indique qu’elle va augmenter du fait des usages nouveaux tels que le véhicule électrique, les transports urbains, l’électro-nique, les consommations domestiques. L’électricité est une forme d’énergie com-mode, souple et porteuse d’avenir. C’est un contresens total de penser que cette énergie a un avenir révolu.

Nous avons donc besoin des sources d’approvisionnement performantes que sont les centrales nucléaires et c’est une erreur grave que de vouloir délibéré-

ment réduire, et de façon draconienne, la production nucléaire.

REE : Mais si l’on veut donner leur chance aux énergies alternatives, il faut bien leur réserver une place dans le mix électrique ? C. B. : C’est la théorie ! Aucune énergie de substitution n’est aujourd’hui mise en œuvre de façon convaincante en France. Regardez aussi le cas de l’Allemagne : les Allemands ont dépensé des sommes considérables sur l’éolien et le photovol-taïque avec comme résultat un retour du charbon et une augmentation des émissions de CO2. Aujourd’hui, on ne les entend plus sur le sujet et ils cherchent une porte de sortie. Mais nous, nous continuons comme si de rien n’était.

REE : On sent bien que le nucléaire est pour vous un point bloquant ? Pourquoi vous semble-t-il aussi crucial ?C. B. : Ce que prévoit la loi est grave pour l’avenir. En n’autorisant pas la con-struction de tranches supplémentaires, on va bloquer notre industrie nucléaire, et notamment AREVA, au moment où le marché mondial des centrales va con-naître un progrès spectaculaire. Nous sommes parvenus jusqu’à présent à rester dans ce marché, et à un très bon niveau, mais au moment où il s’apprête à redécoller, on empêche notre indus-trie d’en tirer bénéfice. Si la France n’est pas un terrain de démonstration, nous aurons du mal à nous maintenir.

Par ailleurs, on veut lutter contre l’ef-fet de serre mais on arrête le meilleur outil dont nous disposons. On n’a pas aujourd’hui de solution de substitution à la hauteur du problème posé. A nou-veau, regardez les Allemands qui avaient l’intention de développer une vaste in-dustrie des renouvelables mais qui sont

Une approche nouvelle de la rénovation thermique

des bâtiments

La transition énergétique

…mais le texte cède à des effets de mode

La consommation d’électricité va augmenter,

nous aurons besoin des centrales nucléaires

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contraints de revenir à des solutions du siècle passé.

Sur le long terme, nous avons le pro-gramme de génération IV et le projet de réacteur ASTRID. Nous sommes encore bien placés sur ce terrain et ASTRID reste financé pour quelques années. Nous bénéficions de l’antériorité mais les Chi-nois ont la puissance et si ASTRID doit être freiné, les efforts du CEA devien-dront inutiles ou profiteront aux concur-rents étrangers.

Donc il faut continuer à donner toutes ses chances au nucléaire, tout en re-connaissant qu’on ne pourra pas faire l’économie des énergies fossiles pour beaucoup d’usages.

REE : Cela nous amène au pétrole et au gaz de schiste. Quelle est votre position à leur sujet ?C. B. : C’est un sujet où l’information a été manipulée et contrefaite, dans le trop fameux film Gasland en particulier. Je considère qu’il n’y a aujourd’hui au-cun argument convaincant qui permette d’écarter la fracturation hydraulique. Mais les propriétés du gisement et les carac-téristiques de l’environnement en sur-face peuvent conduire au choix d’autres technologies. Il faut donc autoriser les recherches sur de nouvelles technologies telles que la fracturation par arc électrique, la stimulation à partir de gaz liquéfiés ou gélifiés ou la stimulation au propane. Tout cela est expliqué dans le rapport que j’ai publié avec Jean-Claude Lenoir1.

Nos besoins en hydrocarbures pour-raient être partiellement satisfaits à partir de notre sous-sol. La France a des ré-

1 NDLR : Les techniques alternatives à la facturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels – Christian Bataille, député et Jean-Claude Lenoir, sénateur – Les Rap-ports de l’OPECST – 27 novembre 2013.

serves, dans le Bassin parisien profond notamment, des études américaines l’ont montré. La France ne doit pas res-ter, comme elle l’est actuellement, dé-pendante du gaz russe. On peut certes regretter que l’on n’ait pas été capable de bâtir une coopération constructive avec la Russie mais c’est aujourd’hui un fait. L’Allemagne s’est mise en situation de dépendance vis-à-vis à de la Russie, sur ce point nous ne devons pas cher-cher à l’imiter.

REE : Revenons au projet de loi et aux grands objectifs qu’il comporte. Vous ne les partagez pas mais seront-ils atteints ?C. B. : Très franchement, je trouve que tous ces objectifs sont des mots et ils ne seront pas atteints en effet car les énergies alternatives n’apporteront pas la contribu-tion espérée. Le dossier Energie est en passe de devenir le plus mauvais dossier du Gouvernement. Le chômage ne peut être endigué mais dans l’énergie le Gou-vernement peut agir. Il devrait le faire de façon plus raisonnable et plus réaliste. REE : Quels seraient des objectifs raisonnables ?C. B. : On pourrait sans doute ralentir le nucléaire à la fin de la durée de vie des centrales actuelles, c’est-à-dire sans anticiper sur leur fermeture. Un objectif de 60 % de nucléaire dans la production

d’électricité en 2035 me semblerait rai-sonnable. Il pourrait s’accompagner d’un programme d’engagement mesuré de nouveaux réacteurs nucléaires consis-tant à lancer de façon progressive de nouveaux EPR à partir d’une certaine date, avec un rythme de croisière cor-respondant approximativement à un réacteur nouveau pour deux arrêtés. C’est évidemment un programme qu’il faudrait étudier et affiner.

REE : Vous êtes donc hostile à la fermeture de Fessenheim ?C. B. : L’autorité de sûreté a la capacité d’arrêter toute centrale si sa dangerosité venait être avérée. Cela n’est pas le cas, que je sache, pour Fessenheim et je vous renvoie au rapport parlementaire du sénateur Bruno Sido de juin 2011.

Fessenheim fonctionne bien, il n’y a pas de raison de l’arrêter et son apport en puissance garantie va être très utile dans les années qui viennent.

REE : Vous avez été à l’origine de la loi Bataille2 sur les déchets d’origine nucléaire. Où en est-on aujourd’hui ?C. B. : Je suis assez fier de cette méca-nique mise en place à partir de 1991 pour traiter de façon rationnelle le pro-blème essentiel des déchets. Les choses avancent et je suis confiant que le pro-jet de stockage géologique CIGEO3 se fera et que d’ici une dizaine d’années, les premiers colis commenceront à y être stockés. C’est un très gros inves-

2 Loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 rela-tive aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs.

3 Centre industriel de stockage géologique.

La recherche sur l’exploitation des gaz de schiste doit être

poursuivie

60 % de nucléaire en 2035 seraient un objectif raisonnable

On risque de bloquer notre industrie nucléaire au moment où le marché

redémarre

Fessenheim sera très utile dans les années qui viennent

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ENSEIGNEMENT & RECHERCHE

REE : Pourriez-vous rappeler brièvement pour nos lecteurs la genèse de cette mission par-lementaire que vous avez coprésidée avec le sénateur Jean-Pierre LELEUX.Maud Olivier : Patrick Bloche, a demandé à l’OPECST de réaliser une étude sur la culture scien-tifique et technique, jugeant que l’Office pourrait utilement poursuivre les réflexions déjà engagées, afin d’évaluer l’adéquation des dispositifs de dif-fusion de la culture scientifique aux objectifs qui lui sont donnés : accès de tous à la science et à la technologie, notamment pour susciter le plus grand nombre de vocations de chercheurs et d’ingénieurs chez les jeunes, établissement d’une confiance durable entre la communauté scientifique et les pouvoirs publics d’une part, avec la société civile d’autre part, pour favoriser une approche apaisée et efficace de questions controversées, comme les nanotechnologies et les OGM.

L’OPECST regroupe des parlementaires chargés d’éclairer l’action du Parlement en matière scientifique et technologique

REE : Votre rapport est particulièrement étoffé : il analyse la richesse et la variété, mais aussi la complexité, les défauts et insuffisances des actions entreprises, avant de formuler des recommandations. Pouvez-vous nous préciser vos impressions globales sur les atouts de notre pays face aux enjeux sociétaux des CSTI ?M. O. : En France, les cultures scientifique et technique, mais aussi in-dustrielle occupent une place importante. Elles concernent de nom-breux domaines d’emplois avec de grandes et belles industries ; nous avons des écoles de grande renommée, de nombreux prix Nobel et des chercheur-e-s reconnu-e-s ; les Françaises et les Français sont souvent au rendez-vous des débats contemporains, de façon parfois très controversée d’ailleurs.

Nous avons également la chance d’avoir en France, pour la diffusion de la culture scientifique, des acteurs, tout à la fois experts et militants. A tra-vers les musées comme le Palais de la Découverte, les nombreux centres de cultures scientifique, tech-nologique et industrielle (CCSTI), et les associa-tions d’éducation populaire, nous disposons d’une multitude d’acteurs, ayant des techniques d’inter-ventions diverses et complémentaires.

REE : La mission que vous avez conduite a tenu à s’informer directement sur ce qui se passe dans plusieurs pays voisins. Quelles sont les ex-périences et réalisations qui vous ont marquée

et qui seraient susceptibles d’inspirer en France les actions des pouvoirs publics ?M. O. : Dans tous les domaines, et quand nous rencontrons de-puis de trop nombreuses années des résistances importantes, il est fondamental d’aller voir les expériences qui marchent à l’étranger. C’est pourquoi nous sommes allés en Allemagne et que nous avons échangé avec des acteurs en Angleterre et au Québec.

Dans des pays comparables au nôtre comme l’Angleterre ou l’Allemagne, le journalisme scientifique est nettement plus développéEn Allemagne comme en Angleterre, j’ai été frappée du dévelop-

pement du journalisme scientifique, vecteur fondamental de diffu-sion de la culture scientifique au grand public. En Allemagne, l’offre est importante et diversifiée. On compte par exemple huit journaux scientifiques destinés aux enfants et des chroniques courtes et lu-diques qui sont diffusées dans les grands journaux.

Nous avons par ailleurs découvert le Science Media center anglais qui joue le rôle d’interface entre les chercheur-e-s et les journalistes. Grâce à une très importante base de données et de

Faire connaître et partager les cultures WGMIRXMÁUYIXIGLRMUYIIXMRHYWXVMIPPI

un impératif !Entretien avec Maud Olivier - Députée de l’Essonne

L e titre de cet entretien est celui d’un rapport parlementaire de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technolo-giques (OPECST), établi à la demande du président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée Natio-nale, Patrick BLOCHE. Comme il est d’usage, le président de l’OPECST d’alors, Bruno SIDO, a chargé de cette étude deux membres

de l’Office, Maud OLIVIER, députée, et Jean-Pierre LELEUX, sénateur, appartenant respectivement au groupe socialiste et au groupe UMP. Enregistré sous le N° 1690 à l’Assemblée Nationale et le N° 274 au Sénat, leur rapport est disponible auprès des librairies des deux assemblées au prix de 9,50 F (402 p, y compris les annexes) ou en accès libre sur leurs sites Internet.

REE remercie Madame Maud OLIVIER d’avoir accepté de répondre à ses questions sur ce thème des cultures scientifique, technique et industrielle (CSTI) qui lui tient à cœur comme très certainement aux lecteurs de la revue.

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ENSEIGNEMENT & RECHERCHE

contacts, il se charge d’apporter aux journalistes, de façon réactive, les informations ou les contacts liés à l’actualité. Si ce dispositif pèche par différents aspects, nous nous sommes inspirés de cer-tains points pour recommander que soit créé un centre de commu-nication scientifique au sein de l’Institut des Hautes études pour la science et la technologie.

REE : Vous formulez des recommandations précises afin que le corps enseignant puisse jouer, de la maternelle à l’université, un rôle décisif pour « faire connaître et partager les CSTI ». Quelles sont les plus importantes, à la fois réalistes et de mise en œuvre potentiellement rapide ?M. O. : Dans le domaine de l’éducation, et pour favoriser la démo-cratisation des cultures scientifique, technologique et industrielle, il faut que l’école en soit le vecteur principal. Pour cela, il faut mieux former les enseignants aux cultures scientifiques et à leur diffusion. Ainsi, nous proposons d’intégrer un enseignement spécifique des CSTI dans le cursus des étudiants des ESPE (et de le promouvoir dans la formation continue) : il faut faire intervenir la Fondation La main à la pâte, ou un acteur similaire, au moins une fois dans le cursus. Il faut également, et c’est en très bonne voie, que les com-pétences pédagogiques des futurs enseignants prennent une plus grande place dans les évaluations ; en particulier la pédagogie par l’expérimentation doit être renforcée.

Les établissements associés aux CSTI sont nombreux sur tous les territoires. Nous proposons de développer leurs liens avec les établissements scolaires, en nommant dans chaque établissement un référent pour les CSTI : celui-ci aurait en charge de coordonner les actions de partage des CSTI au sein de l’établissement et à l’ex-térieur, avec les autres acteurs (universités, associations, organismes de recherches, acteurs industriels).

Le corps enseignant, de la maternelle à l’université, est appelé à jouer un rôle essentiel, mais non exclusifPour inciter les enfants et leurs parents à participer aux débats sur

les enjeux scientifiques, nous proposons que soit organisé chaque année dans les établissements primaires et secondaires, un débat, fil rouge de l’année, sur le modèle des conférences de citoyens. Ce dispositif aurait plusieurs objectifs :

-mettre, en tant qu’éducateur, la connaissance de certains sujets scientifiques ;

citoyens aux débats scientifiques ;

nationaux émanant des mondes de la recherche et de l’entreprise.Autre exemple, au lycée, nous proposons qu’une initiation à la

recherche soit proposée aux élèves, en lien avec leur cursus (techno-logique, scientifique, littéraire ou économique et social).

REE : A propos de la réforme des rythmes scolaires, on a bien peu parlé des CSTI … Ne serait-ce pas là une excellente oc-casion de stimuler les actions de terrain, telles celles menées avec « Les petits débrouillards » et/ou « La main à la pâte » ? M. O. : De fait, notre rapport évoque cette question et rappelle que les élus, dans le cadre de l’organisation des activités périscolaires liées à la réforme des rythmes scolaires, ont besoin très rapidement de disposer des informations nécessaires pour choisir les acteurs de terrain compétents.

Pour ces raisons – et compte tenu du travail de cartographie des acteurs de terrain déjà entamé – il nous a paru opportun d’inclure les CSTI dans les attributions de l’OCIM (Office de coopération

Un établissement emblématique des CSTI : le Palais de le Découverte, créé en 1937 par Jean Perrin (www.palais-decouverte.fr).

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Les controverses et polémiques sont évidemment consubstantielles à la science qui se construit et s’élabore : l’un des mérites du premier ouvrage

qui inspire notre chronique est d’en dresser une liste fort éloquente. Aline Richard, direc-trice de la rédaction du mensuel La Recherche a eu raison de mobiliser une solide équipe de journalistes scientifiques et de spécialistes de sciences humaines (histoire ou sociologie es-sentiellement) pour évoquer quelques contro-verses, historiques ou peu connues, jalonnant depuis Galilée l’histoire des grandes décou-vertes. On retrouve avec grand plaisir des dé-bats, dont certains perdurent, comme l’origine – Newton ou Leibnitz ? – du calcul différentiel, mais dont beaucoup ont été tranchés définitive-ment comme la génération spontanée, la vitesse de la lumière ou la dérive des continents.

Ce recueil s’abstient à juste titre d’évoquer plusieurs séries de phénomènes qui sont à la marge des controverses : ainsi il n’est pas ques-tion des canulars tel le crâne de Piltdown ou le fameux article de Alain Sokal, ni des néga-tionnismes scientifiques, qui à l’image de ce qui se passe en histoire, rassemblent encore quelques opposants sectaires à la théorie de la relativité (pourtant sans doute utilisateurs de portables !) ou aux vertus des pratiques vacci-nales. Il n’évoque pas non plus les superche-ries, volontaires ou non, qui jalonnent l’histoire des sciences ; ainsi il ne parle pas des rayons N, artefact que le nationalisme des lorrains (N comme Nancy !) entretint à l’époque où Roentgen découvrait les rayons X de l’autre côté du Rhin, mais l’évocation de la mémoire de l’eau fait l’objet d’un exposé fort éloquent sur une aventure analogue. Ces phénomènes ont d’ailleurs été analysés avec brio par Alexandre Moatti dans ALTERSCIENCES (voir par exemple la REE 2013-2).

Pour le plaisir du lecteur il reste heureu-sement bien des questions pour lesquelles la science n’a pas ou pas encore tranché de façon indiscutable et convaincante : ainsi en est-il des dangers de la radioactivité (effet de seuil ou proportionnel ?), ou encore du réchauffement de la planète, avéré mais qui n’a pas encore désarmé tous les climato-sceptiques. Nicolas Chevassus-au-Louis rassemble d’ailleurs dans un ultime chapitre huit affaires à suivre, qui

sont autant de polémiques dans l’air du temps (par exemple les dangers possibles liés aux OGM, à l’exploitation des gaz de schiste, aux ondes électromagnétiques ou aux nanotechno-logies). On songe à Pasteur évoquant la géné-ration spontanée : ce n’est pas parce qu’elle est envisageable, qu’elle existe…

Le point commun à ces polémiques con-temporaines est inséparable de la perception sociétale de la science, laquelle a largement cessé d’être, pour le grand public, associée au

progrès. Ce n’est pas un hasard si force débats tournent autour de deux questions d’ailleurs cor-rélées : risque et danger d’une part, principe de précaution d’autre part, largement invoqué par les profanes. Ce sont précisément ces thèmes qu’aborde sous le titre à la fois ambitieux et mystérieux de Science et démocratie le second ouvrage aux sources de cette chronique.

Habituées à publier les travaux du Collège de France, les éditions Odile Jacob viennent de rassembler les conférences prononcées à l’au-tomne 2013 au colloque dans lequel, chaque

année, des professeurs en activité ou émérites de cette vénérable institution confrontent leurs réflexions avec d’éminents invités. Il y a donc une grande différence de ton entre les deux ouvrages : aux présentations essentiellement journalistiques de l’un correspondent des expo-sés satisfaisant avec brio aux critères usuels des universitaires.

Dans son introduction Serge Haroche, administrateur du Collège, pointe les relations de plus en plus conflictuelles entre science et société ; ensuite des spécialistes divers, scientifiques mais aussi historiens, juristes ou économistes, s’efforcent d’éclairer plusieurs thématiques concernant à la fois le savant et la cité. L’enjeu, comme le souligne Pierre Rosanvallon dans une synthèse conclusive pénétrante, concerne bien la gestion, démo-cratique et de long terme, de questions essen-tielles dans des économies avancées comme celle de notre pays.

Le rôle de l’expertise et les voies par les-quelles elle peut – et doit – inspirer les déci-sions de la puissance publique sont analysés de divers points de vue ; il s’agit in fine de convaincre l’opinion pour que celle-ci accepte, sans réticence, des évolutions globalement bénéfiques. L’horizon temporel, auquel les hommes politiques sont particulièrement sensibles, est toujours prégnant dès qu’il s’agit de mettre en œuvre à l’échelle d’un pays des orientations à fort contenu capitalistique et l’analyse économique bute sur les taux d’ac-tualisation à prendre en compte dès lors que les équipements ou les effets s’étalent sur des décennies ; ainsi en est-il de la transition éner-gétique, ou encore de la politique climatique ou de la politique de santé.

Au total nous avons 15 exposés, dont les termes mesurés et les argumentaires nuan-cés tranchent avec les slogans simplificateurs et irrationnels, contre lesquels s’élevaient déjà en 1992 les prestigieux signataires de l’appel d’Heidelberg. La variété des thèmes abordés, – des cellules souche au gaz de schiste –, comme la diversité des points de vue exprimés, – du juriste à l’homme de laboratoire –, rend vaine toute présentation de détail : le mieux est évidemment d’aller aux sources et de se préci-piter sur Science et démocratie ! Q

B. Ay.

CHRONIQUE

Du bon usage des controverses scientifiques…

Ouvrage collectif sous la direction d’Aline Richard et d’Hélène Le Meur

Les grandes controverses scientifiquesÉditions Dunod et La Recherche

mars 2014 - 166 p. - 14,50 F

Ouvrage collectif sous la direction de Pierre Rosanvallon,

avec une introduction de Serge HarocheScience et démocratie

Éditions Odile Jacob Collection Collège de France octobre 2014 - 330 p. - 25,90 F

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LIBRES PROPOS

Emile H. Malet Directeur de la revue Passages

E ntre mondialisation et civilisation, nous vi-vons un malaise social grandissant (chômage de masse parmi les jeunes générations), une économie déboussolée par l’anarchie

des flux financiers, la discordance entre le temps long de l’histoire – qui permet de prévoir et d’encadrer les grandes évolutions – et le temps court des jouissances consuméristes et, last but not least, le triomphe de la compassion des opinions publiques au détriment des valeurs universelles fondatrices de notre civilisation.

Comment s’étonner dès lors de la redistribution des cartes en faveur d’une Chine conjuguant les risques sous toutes les formes et se saisissant de toutes les opportuni-tés de développement et de son corollaire géopolitique : un Occident pâle et pétri de doute, se cherchant entre un principe de précaution qui neutralise l’innovation et une culture du zéro (pollution, responsabilité, engagement) et du parfait (santé, trans-parence, performance sexuelle, propreté). Parmi les rares sujets permettant une pos-sible remise à niveau de nos économies bêlantes, il y a l’énergie comme facteur de croissance et la transition énergétique pour gagner un pari de transformation industrielle et (peut-être) renouer avec une société de progrès.

La transition énergétique s’avère comme une étape nécessaire de transformation socio-économique et culturelle en vue d’améliorer l’état du monde et éviter les catastrophes écologiques. Dans ce registre modéré-ment optimiste, on peut penser qu’une transition éner-gétique raisonnée et raisonnable, où les besoins des hommes et les contraintes naturelles et technologiques seraient correctement objectivés, peut aider à mettre en route une nouvelle économie, industrielle et numérique, sociale et politique. À l’instar du développement durable qui, avant de devenir un concept galvaudé par la mode environnementale et instrumentalisé par le politique, a émergé comme un antidote écologique aux excès né-fastes d’un capitalisme financier sans foi ni loi et d’un consumérisme illimité.

Dans ce contexte, la transition énergétique peut favo-riser l’amorce d’un nouveau modèle de développement, promouvant autant la croissance et la prospérité que la

solidarité et la sobriété en permettant l’accès à l’énergie pour le plus grand nombre d’individus. Naturellement, et pour ce faire, une nouvelle grille d’approche doit mettre l’accent sur l’énergie comme facteur de croissance et de développement, sans négliger la préservation de l’envi-ronnement. Le challenge est immense, car il vient im-pacter tous les interstices de la mondialisation, tant dans ses asymétries économiques constatées entre pays émergents et économies stagnantes, voire en récession, que dans l’accentuation des inégalités et des pollutions qui viennent précariser la planète. Mais c’est aussi un challenge culturel qui s’appuie sur des acquis de civili-sation pour inscrire les innovations dans une filiation et une perspective de progrès.

Chaque pays est doté d’une situation particulière quant à la composition de son mix énergétique. Cette diversité dans la ressource implique une diversité équi-valente quant à la transition énergétique qu’il va s’agir de promouvoir aux couleurs nationales. Au sein de l’Union

européenne et du fait que les systèmes nationaux ne sont pas juridiquement et physiquement comptables, la transition énergétique empruntera des voies singu-lières. Mais cette singularité doit s’accom-moder de règles communes et d’une interdépendance à travers les réseaux

de transport des énergies. Qu’il s’agisse de la protection de l’environnement sous toutes ses formes, de la taxe carbone, de l’exploitation du gaz de schiste comme des réserves d’hydrocarbures off-shore, des interconnexions terrestres et maritimes, de la géothermie (à fort poten-tiel dans nos îles d’outre-mer) au solaire photovoltaïque si prometteur, bref de tout ce qui a trait à l’énergie dans le monde, la transition énergétique est une aubaine de développement si nous savons privilégier la coopération aux dépens des égoïsmes nationaux, la complémenta-rité des ressources à des rivalités marchandes, les régu-lations climatiques à la recherche de la rente maximale. Avec la transition énergétique, la mondialisation dispose d’une capacité d’agir contre le sous-développement, l’exclusion et la précarité. L’énergie est une ressource à potentialité politique et stratégique, elle est connectée à la richesse (et la pauvreté) des nations et aux évo-lutions des modes de vie et des comportements. Par sa diversité, c’est une ressource cosmopolite ! Si l’eau est une source naturelle de vie, l’énergie vient assurer

Énergie et

civilisation

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REE N°5/2014 Z 153

LIBRES PROPOS

le bien-être et pérenniser durablement une croissance soutenable avec l’équilibre des écosystèmes.

L’énergie est l’une des forces motrices de la mon-dialisation et, parmi ces forces, elle en est probable-ment l’expression la plus vitale dans la mesure où les incidences énergétiques sont dupliquées sur les batte-ments du monde. Les lois de l’énergie sont pluridiscipli-naires par essence et par structure, leurs applications se retrouvent dans l’ensemble des sciences (biologie, éco-logie, urbanisme, chimie, mathématiques et psycholo-gie). Les énergies nouvelles ont pour point d’application la nature sous toutes ses formes et visent à plus d’inclu-sion au sein des relations sociales et d’interdépendance dans les échanges commerciaux. Énergie, climat et rela-tions internationales dictent le tempo contemporain du développement durable.

La COP21 se tient à Paris en décembre 2015. L’énergie est une chance pour la France, un levier pour l’Europe et une stratégie de développement durable pour le monde dès lors qu’elle est modulée comme facteur de crois-sance et de bien-être. Ces trois perspectives peuvent se conjuguer et leur mise en œuvre s’avère synchronique d’une mondialisation qui n’irait pas à contretemps. Ce point est essentiel au regard de l’état de déconstruction socioculturelle du monde, notamment de l’étiolement des valeurs, des progrès de la spiritualité contrecarrée par une culture du pareil au même et de l’émergence abrupte de certains pays d’Asie et d’Amérique latine. Désormais, il fau-drait agir français en pensant monde et vice versa, car toute mise en acte implique une interconnexion de res-sources et de territoires, de réseaux sociaux et d’impacts sécuritaires et stratégiques, de technologies et de contraintes environnementales, d’égoïsme et d’altruisme.

L’écologie comme science envi-ronnementale est une absolue néces-sité. Sa contrepartie, que l’on pourrait qualifier d’ambiguïté écologique, met

à mal toute dynamique de croissance en évitant les risques, notamment industriel et technologique. C’est tout l’avantage des énergies nouvelles, y compris du nu-cléaire du futur, d’assumer concomitamment le risque et la croissance dans une démarche de transition. La transition énergétique participe d’une dynamique nou-velle et pourrait – avec le concours d’autres facteurs – contribuer à embellir la croissance sans nécessairement porter atteinte au paysage environnemental. L’énergie est un facteur de croissance au propre comme au figuré, comme ressource et comme transition. Par l’intercon-nexion entre l’économie, le social, l’environnement et la sécurité, le bien-être et les modes de vie, l’énergie est à même de mobiliser des rouages économiques vétustes en les adaptant au service de la croissance. L’énergie est un antidote au vieillissement de nos sociétés et un fac-teur d’irrigation planétaire du circuit économique. Sans jeu de mots, pourrait-on dire, parce qu’on n’a jamais fait avancer un corps sans énergie. Et notre chance, ce qui pourrait prévenir la mondialisation d’un naufrage socio-économique, tient à cette simple observation : le che-min de l’énergie est inépuisable et toujours à frayer pour favoriser l’accessibilité du plus grand nombre au circuit économique.

Face aux dérégulations économiques et à la paupé-risation sociale, l’énergie peut aider à une résilience de la France et de l’Europe vers une voie de croissance.

Elle permettra, si cette grande trans-formation énergétique est conduite dans une perspective équitable et durable, de rééquilibrer d’un point de vue économique une situation mon-diale pétrie d’inégalités et d’injustice. Elle pourrait en outre avoir un effet ré-ducteur sur les tensions et les conflits internationaux. Naturellement, c’est d’une énergie plus universelle qui requiert de la cohésion sociale, de l’in-novation et une coopération interna-tionale, que le monde a besoin pour assurer une transition vers le futur. Q

Emile H. Malet est docteur en sciences économiques, journaliste et essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la mondialisation, directeur de la revue Passages et du think tank ADAPes, Il est fondateur du Forum Mondial du Développe-ment Durable et éditorialiste de politiques étrangères sur les radios chrétiennes de France (RCF).Il vient de publier « Défendre la civilisation face à la mondialisation – Editions du Moment. »

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160 ZREE N°5/2014

Impression : Jouve - 53100 Mayenne Dépôt légal : décembre 2014

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Prochains Grands Dossiers Dossier 1 : Câbles et infrastructures optiques Dossier 2 : Les réseaux électriques intelligents

Prochain « Libres Propos » La pensée stratégique de la Chine classique : un enseignement pour l’Occident ? par Jean-Pierre Bessis

Une publication de la

Entre science et vie sociétale,les éléments du futur

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de favoriser et de promouvoir le progrès dans les do-maines : Énergie, Télécom, Signal, Composants, Auto-matique, Informatique.

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