antoine de saint exupéry développe une conception du sacré q

Upload: aniarn

Post on 16-Oct-2015

6 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

literature

TRANSCRIPT

Antoine de Saint Exupry dveloppe une conception du sacr qui savre radicalement oppose aux conceptions traditionnelles

Antoine de Saint Exupry dveloppe une conception du sacr qui savre radicalement oppose aux conceptions traditionnelles. En effet, contrairement la vision dun sacr comme transcendance qui descend sur terre et fait de la ralit une manation de nature infrieure, Saint Exupry voit dans le sacr une construction humaine et non un Absolu permettant chaque homme de slever vers un niveau suprieur. En ce sens, la conception qua Saint Exupry du sacr plonge ses racines chez Nietzsche pour qui le dpassement de lindividu et la ralisation de lhomme en un surhomme que Saint Exupry nomme Homme passe par son lvation vers un niveau suprieur, grce la discipline et la ferveur inculques par le chef.

Ce niveau suprieur de mode dtre au monde quil convient datteindre que lon pourrait galement qualifier de proccupation spirituelle rejoint alors la rflexion platonicienne sur la ralit idale qui se cache derrire les apparences la faon de llphant cach par le boa dans Le Petit Prince par exemple : cest ce que Saint Exupry appelle "le sens des choses".

Cependant la diffrence du platonisme cette ralit suprieure nest pas donne mais construite : il ne sagit pas dune Vrit en soi ou dun Absolu prexistant, mais dune cration dordre intellectuel, dune opration de lesprit. Dieu nat du dsir de lui qua lhomme : cest la dmarche consistant le chercher qui le cre ; cest linvention de Dieu qui lui permet en quelque sorte dexister... Ainsi, mouvement vers le sacr et sacr se confondent dans le sens o cest llan crateur et la dmarche qui rendent rels et ralisent le sacr et Dieu. Le sacr perd alors son caractre transcendantal et toute dimension verticale.

Loin dun Absolu immuable et ternel, Saint Exupry emprunte donc un vocable religieux Dieu pour dsigner un Absolu en ralit relatif lhomme et qui na pas grand rapport avec la religion : nous avons montr quil se rapproche par l du pragmatisme de James, introduit et vulgaris en France par Bergson.

Le critrium de la Vrit devient alors son utilit pratique et celle-ci se voit subordonne laction qui donne sens aux choses. Laction nest pas un moyen mais un but en soi, puisque cest la dmarche qui cre le sacr et non le sacr qui dtermine la dmarche : "seule compte la dmarche" ; en ce sens, lexistence passe avant lessence, lexistence devient lessence et cest pourquoi la pense de Saint Exupry a pu parfois tre annexe par le courant existentialiste, qui y a vu un prcurseur dune "littrature du travail et de loutil".

Mais cette interprtation savre rductrice en ce quelle provient dune mauvaise comprhension de la notion daction chez Saint Exupry. En effet, au terme daction, Saint Exupry prfre souvent ceux doeuvre ou dchange quil emploie dailleurs comme des synonymes. Laction permet de schanger contre loeuvre cre et dchapper ainsi son destin tragique et la mort par son inscription dans loeuvre ("Je respecte dabord ce qui dure plus que les hommes"). Mais il ne sagit pas de tomber dans de faux changes, ni de confondre change et possession, limage du vaniteux et du businessman du Petit Prince par exemple. Le vritable change est sacrifice qui permet de sinscrire dans la communaut : "Lacte essentiel a reu un nom. Cest le sacrifice". Saint Exupry opre ds lors une distinction entre suicide et sacrifice, le premier consistant prcisment se retrancher de la communaut et apparaissant comme une parodie de sacrifice, tandis que le second est don et donne en retour accs plus grand que soi.

Le sacrifice permet daccder au sacr ; laction est donc elle-mme oriente par la communaut et ne peut se comprendre que dans un cadre collectif : le sacr sinscrit donc dans la dimension horizontale de la communaut. Le dpassement de lindividu vers un niveau de conscience suprieur ne prend de sens que dans un cadre collectif o les hommes se sentent responsables les uns des autres.

La communaut que Saint Exupry appelle aussi civilisation ou Empire se dfinit par le patrimoine spirituel qui relie les hommes entre eux. Contre la menace du rgne de la masse qui fait primer la quantit sur la qualit spirituelle du groupe et qui juxtapose les individus au lieu de les relier les uns aux autres, dune part, et contre le danger de la dsunion et de la division, dautre part, qui minent la communaut, limage, selon lui, du sectarisme gaulliste et de son idologie partisane, Saint Exupry cherche un principe unificateur Dieu comme "clef de vote et commune mesure" de la communaut.

Dieu devient donc un simple principe heuristique, une incarnation pdagogique commode dune abstraction complique chez un homme dailleurs athe. Dieu est la notion fconde et laque qui organise le monde et sert ainsi de repre : il sagit dun langage caractre religieux mais vid de toute religiosit le sacr atteignant alors ici le niveau zro de la transcendance.

Dieu reprsente la Vrit parfaite et globale, somme des vrits partielles, provisoires et relatives. Saint Exupry rejoint ici Hegel, pour qui lerreur nest pas linverse et le ngatif de la vrit, mais une vrit particulire et incomplte : lerreur est une vrit courte vue, tandis que la Vrit suprme est totalit qui englobe lensemble des points de vue. Dieu est donc llment ultime qui noue en gerbe toutes les vrits infrieures, cest--dire limites. Il sagit pour Saint Exupry darriver les formuler en "systme conceptuel"

Mais le sacr nest pas un point de vue privilgi qui runit les diverses vrits particulires et qui supprime les contradictions qui restent irrductibles. Il ne sagit ni de les nier, ni de raliser une synthse, ni de les dpasser pour atteindre luniversel mais de les articuler : le systme conceptuel est ainsi la structure intellectuelle organisant la coexistence de contradictions inconciliables tout en restant pourtant cohrente limage de larbre dont Saint Exupry dveloppe la symbolique et qui parvient combiner, englober et agencer en son sein bref, subsumer des lments pars et radicalement opposs.

La difficult consiste donc darriver trouver une formulation "qui absorbe, sans en rien refuser, [toutes les] vrits la fois" et de parvenir crer un langage qui puisse articuler ces contradictions : "Quand les vrits sont videntes et absolument contradictoires, tu ne peux rien, sinon changer ton langage".

Le pome se dploie comme un rseau et a pour but de convertir le lecteur en lui proposant sa structure propre et en le situant un certain point de vue do voir le monde sous un autre angle ; le pome permet de faire coexister diffrentes vrits sans les mlanger ni les dpasser, mais en les reliant et en les articulant. Le sacr sincarne alors et surgit dans cette formulation par le langage du systme conceptuel : le langage acquiert ainsi une valeur performative, "Car Dieu dabord est sens de ton langage et ton langage sil prend sens te montre Dieu".

Dire le systme conceptuel, cest donc le raliser et le faire advenir. Dire le systme conceptuel, cest atteindre le sacr. Saint Exupry dcouvre alors la ncessit de "fonder ce nouveau langage qui absorbera les contradictions" non un langage ordinaire qui savre "source de malentendus" mais un langage qui soppose la langue courante, cest--dire par dfinition un langage potique : "Je crois tellement fort la vrit de la posie", affirme-t-il dans ses Carnets.

Ds lors, plus la proccupation relative au sacr se fait jour chez Saint Exupry et dans ses oeuvres, plus son criture va tendre vers un ple potique.

Saint Exupry va donc semployer fonder une nouvelle langue qui volue peu peu du roman que constituent Courrier Sud et dans une moindre mesure Vol de nuit en passant par Terre des hommes, sorte dessai, et Le Petit Prince, oscillant entre conte et mythe un chant lyrique dinspiration biblique avec Citadelle sorte de testament posthume rest inachev, la fois qualifi de "Bible" et de "pome" par Saint Exupry lui-mme.

Tandis quil sloignait de lesprit du christianisme, Saint Exupry semble en avoir en revanche conserv un certain got de la lettre et intgre cette esthtique son texte ; Citadelle devient ainsi le lieu dpanouissement dun nouveau langage entendu comme manifestation du sacr, dont la lecture est "marche vers Dieu qui seule peut te satisfaire car de signes en signes tu Latteindras [...] Lui le sens du livre dont jai dit les mots". Citadelle quitte la narration au profit dune parole recentre sur elle-mme : la tournure biblique de Citadelle tmoigne de ce souci de redonner toute sa place au langage ; cest une clbration de la Parole.

La Parole soppose au langage qui savre "source de malentendus". En effet, si Saint Exupry opre une critique radicale du langage, il ne se rsigne pas pour autant se taire : "les obscurits de mon style comme la contradiction de mes noncs ntaient point consquences dune caution incertaine ou contradictoire ou confuse mais dun mauvais travail dans lusage des mots".

Cest donc au langage usuel et habituel que Saint Exupry songe lorsquil le dclare foncirement inapte ; il convient alors de recourir une langue autre que la langue courante celle-ci tant en ralit perfectible par le travail du style : "cest la qualit de ton style qui garantira seule la qualit de tes dmarches".

Pour Saint Exupry, des mots les plus ordinaires et les plus quelconques, le pote peut faire jaillir lmotion la plus intense par un emploi inventif la mise en relation des mots : cest ce quil appelle "lopration divine" du style.

Cette "qualit du style" tant recherche par Saint Exupry sest forme au contact de deux grandes figures : Gide, dune part, qui apparat comme une sorte dan et de mentor et Breton, dautre part, qui fait office danti-modle et dont nous avons mis en vidence le rejet trs net de la part de Saint Exupry.

Le refus du surralisme ne sarrte pas l cependant : Saint Exupry va surtout construire et dvelopper une thorie de limage lexact oppos de celle que propose le surralisme qui lenvisage comme un choc produit par la juxtaposition dlments opposs duquel jaillit ltincelle potique.

Au contraire, Saint Exupry voit dans limage la runion de deux contraires qui ralise le systme conceptuel : "limage analogique se fonde sur la facult former synthse, runir les diverses parties dun tout". Limage tire sa valeur non pas de lun ou de lautre des deux lments conjugus pour la former, mais de lunivers nouveau quils parviennent crer. Ainsi, limage de la rose comme "fte un peu mlancolique" englobe la fois lclosion et ltat de la fleur qui se fane : il sagit ici de la runion de diffrents tats en un seul univers qui fdre, unifie et subsume ces diffrents tats.

Surgie des profondeurs de linconscient, limage est "pige" et "civilisation o je tenferme" : limage rvle un ensemble de rapports, une structure de relations et affirme par l sa supriorit face au concept.

Cest pourquoi Saint Exupry choisit trs souvent dassocier des images aux dveloppements didactiques dans le sens o ces dernires en clairent les enjeux et perspectives, en compltent et en prcisent le sens.

Limage prolonge en effet et commente le concept. Mais il ne sagit pas dune reformulation du concept sous une forme potique, dune rptition : limage ne se contente pas de prciser le concept, elle le module. Limage permet de corriger limprcision propre labstraction (qui est une gnralisation).

Il y a donc une approximation progressive au plan de limage par rapport une fixation peu prs dfinitive de lnonc conceptuel quelle corrige car limage nest jamais close sur elle-mme mais doit se comprendre par rapport au dcalage quelle introduit vis--vis du concept quelle complte.

Limage renvoie aussi aux dessins du Petit Prince, qui navaient encore pas fait lobjet dtude part entire et notamment dans leur rapport avec le texte. Nous avons montr quil stablit une sorte de dialogue entre le texte et les dessins : le texte est la fois commentaire et manation du dessin, le texte va vers le dessin autant quil en vient, il lui prexiste et en dcoule en mme temps ; quant aux images, elles sont illustres par le texte et illustration de celui-ci. Un double mouvement invers sinstaure alors : le texte renvoie aux dessins et les dessins renvoient au texte ; ce phnomne de va-et-vient leur permet de se complter lun lautre : la lecture linaire et analytique se superpose le dessin, qui se prsente comme une saisie densemble, immdiate et synthtique. Le mode de fonctionnement du dessin apparat donc ici similaire celui de limage potique situe dans le corps du texte, dans le sens o, consciemment ou pas, Saint Exupry dveloppe le caractre potique non dans limage ou le dessin lui-mme mais dans la reformulation et le dcalage ventuel qui est alors cr avec lnonc conceptuel ou textuel.

Lcriture cinmatographique laquelle nous nous sommes intress avec ltude du film Anne-Marie rvle un phnomne similaire. Le film prsente un caractre largement artificiel cause de ce que nous avons appel "surcommentaire rcursif", cest--dire cause dun phnomne dinsistance et de rptition en boucle des mmes informations : les gestes deviennent ainsi un commentaire des dialogues, qui eux-mmes commentent la situation laquelle est parfois encore accentue par la mise en scne, le jeu des acteurs ou la musique de fond. Tandis que tant limage potique que le dessin introduisent un dcalage relatif par rapport lnonc conceptuel ou textuel, dans Anne-Marie, linverse, il semble bien souvent que les paroles ne font que redoubler limage prsente lcran, lui donnant ainsi un caractre redondant. Ainsi, si limage finale du Petit prince, par exemple, constitue une interprtation de la scne et ajoute alors des informations au discours, en revanche, quand Anne-Marie dclare apparemment ravie "Que je suis heureuse !", cela ne produit aucun dcalage et napporte aucune information supplmentaire ; cette affirmation duplique et rpte lidentique le message visuel de faon verbale.

Enfin, Saint Exupry qui professait une vritable passion pour la chanson a toujours t attentif au rythme et la musicalit de ses textes. On constate alors que la parole exuprienne oscille entre deux ples rythmiques : dun ct, une expression courte et lapidaire ; de lautre, un style ample et majestueux. Mme si le premier se retrouve plutt au dbut de son oeuvre, tandis que le second se dveloppe plutt vers la fin, notamment avec Citadelle, les deux sont le plus souvent mls selon une logique particulire : situes des endroits souvent stratgiques du texte (comme louverture ou la fermeture de chapitre, par exemple), on note la prsence de sentences choc rsumant et synthtisant lenseignement souvent sous forme dalexandrins et qui fonctionnent comme des balises attirant lattention du lecteur. On dcouvre alors lune des fonctions du rythme chez Saint Exupry, qui est de mettre en valeur certains lments. Lalternance entre priodes longues et priodes courtes permet de dgager lessentiel : les priodes longues sont souvent consacres laspect narratif des choses, tandis que les priodes courtes font sens. Lalternance entre rythme long et rythme court reprend donc en fait exactement le mme fonctionnement que celui que nous avons mis en vidence lors de ltude de la fonction de limage : la manire du "concetto" du sonnet, laphorisme reprend un dveloppement en lui rajoutant un supplment dintensit, une nouvelle interprtation qui donne alors de la profondeur au propos.

Saint Exupry dveloppe ainsi une mystique du langage, qui affirmant sa croyance en lunit religieuse du monde tend raliser le sacr par la formulation dun systme conceptuel articulant les contradictions des vrits incompltes, provisoires et partielles, qui renonce aux oprations intellectuelles pour se confier plutt lenchantement des images et leur pouvoir conjuguer des lments antinomiques et les runir en un mme univers, qui substitue au raisonnement logique la foi en la force de lanalogie, en la vertu des dessins et de la musicalit de la phrase, et qui remplace en en esprant autant de rigueur et plus dnergie cratrice encore un langage us et prim par une expression dordre potique.