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L’Archéologie en mouvement. Hommes, objets, espaces et temporalités – 23-25 juin 2010 NOUVELLES QUESTIONS ET NOUVELLES APPROCHES EN PALÉOANTHROPOLOGIE Antoine BALZEAU* * Histoire naturelle de l’Homme préhistorique, UMR7194 La paléoanthropologie est une discipline en constante mutation. Les connaissances sur l’évolution de l’Homme, et les interprétations qui en découlent, se modifient au fur et à mesure des découvertes, particulièrement nombreuses, et parfois inattendues, au cours des trois dernières décennies. Par ailleurs, de nouvelles approches interdisciplinaires ont permis d’élargir le champ des possibilités méthodologiques et analytiques, offrant accès à de nombreuses données inaccessibles auparavant. Nous retraçons ici le cadre actuel de la discipline, discutons des questions en suspens et évoquons ainsi quelques pistes d’avenir en paléoanthropologie. L’histoire des Hommes s’est donc étendue dans le temps. Les premiers homininés connus datent de sept millions d’années, les plus anciennes migrations hors du continent africain vers l’Eurasie remontent à deux millions d’années et nous savons depuis peu que plusieurs espèces d’Hommes, au moins quatre, ont vécu en même temps jusqu’à il y a quelques dizaines de milliers d’années. Le cadre de ces événements s’est également élargi dans l’espace. L’Afrique a aussi été habitée à l’ouest de la vallée du Rift par les plus anciens homininés, l’Asie a vu passer les Néandertaliens, et, toujours vers l’Est, l’île de Florès a été colonisée par des Hommes qui n’avaient pas peur de se mouiller les pieds. Ces quelques exemples illustrent combien les spécimens mis au jour récemment ont bouleversé notre compréhension de l’évolution de nos prédécesseurs et ont causé l’émergence de nom- breuses nouvelles questions sur toutes les périodes de notre préhistoire. Pour tenter d’y répondre, de nouvelles approches ont été développées. La paléogéné- tique a connu des développements méthodologiques très rapides et aujourd’hui nous informe selon une nouvelle perspective des relations entre Néandertaliens et Hommes modernes en Europe. Le perfectionnement d’outils mathématiques autorise maintenant des traitements complexes de très nombreuses données morphométriques, notamment en morphométrie géométrique. Enfin, les méthodes d’imagerie connaissent un important essor en paléoanthropologie. Elles ont récemment permis des avancées innovantes pour la préservation des spécimens fossiles et des collections ostéologiques de populations actuelles, mais ont aussi ouvert de nouvelles perspectives en termes de présentation mu- séographique et d’analyses scientifiques. Elles autorisent l’enregistrement virtuel des spé- cimens, apportent de nouvelles données sur leur histoire diagénétique et taphonomique et rendent possible la caractérisation de structures morphologiques internes inédites. Incon- testablement, « l’anthropologie virtuelle » est un outil supplémentaire dans notre éventail de possibilités analytiques, mais aussi pour les conservateurs, avec des contraintes liées aux particularités du matériel étudié. Cependant, il reste à réfléchir sur l’optimisation de la préservation, la gestion et le développement de ces nouvelles collections numériques tout en favorisant leur exploitation scientifique.

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Page 1: Antoine BALZEAU* La paléoanthropologie est une discipline en

L’Archéologie en mouvement. Hommes, objets, espaces et temporalités – 23-25 juin 2010

Nouvelles questioNs et Nouvelles approches eN paléoaNthropologie

Antoine Balzeau*

* Histoire naturelle de l’Homme préhistorique, UMR7194

La paléoanthropologie est une discipline en constante mutation. Les connaissances sur l’évolution de l’Homme, et les interprétations qui en découlent, se modifient au fur et à mesure des découvertes, particulièrement nombreuses, et parfois inattendues, au cours des trois dernières décennies. Par ailleurs, de nouvelles approches interdisciplinaires ont permis d’élargir le champ des possibilités méthodologiques et analytiques, offrant accès à de nombreuses données inaccessibles auparavant. Nous retraçons ici le cadre actuel de la discipline, discutons des questions en suspens et évoquons ainsi quelques pistes d’avenir en paléoanthropologie.L’histoire des Hommes s’est donc étendue dans le temps. Les premiers homininés connus datent de sept millions d’années, les plus anciennes migrations hors du continent africain vers l’Eurasie remontent à deux millions d’années et nous savons depuis peu que plusieurs espèces d’Hommes, au moins quatre, ont vécu en même temps jusqu’à il y a quelques dizaines de milliers d’années. Le cadre de ces événements s’est également élargi dans l’espace. L’Afrique a aussi été habitée à l’ouest de la vallée du Rift par les plus anciens homininés, l’Asie a vu passer les Néandertaliens, et, toujours vers l’Est, l’île de Florès a été colonisée par des Hommes qui n’avaient pas peur de se mouiller les pieds. Ces quelques exemples illustrent combien les spécimens mis au jour récemment ont bouleversé notre compréhension de l’évolution de nos prédécesseurs et ont causé l’émergence de nom-breuses nouvelles questions sur toutes les périodes de notre préhistoire.Pour tenter d’y répondre, de nouvelles approches ont été développées. La paléogéné-tique a connu des développements méthodologiques très rapides et aujourd’hui nous informe selon une nouvelle perspective des relations entre Néandertaliens et Hommes modernes en Europe. Le perfectionnement d’outils mathématiques autorise maintenant des traitements complexes de très nombreuses données morphométriques, notamment en morphométrie géométrique. Enfin, les méthodes d’imagerie connaissent un important essor en paléoanthropologie. Elles ont récemment permis des avancées innovantes pour la préservation des spécimens fossiles et des collections ostéologiques de populations actuelles, mais ont aussi ouvert de nouvelles perspectives en termes de présentation mu-séographique et d’analyses scientifiques. Elles autorisent l’enregistrement virtuel des spé-cimens, apportent de nouvelles données sur leur histoire diagénétique et taphonomique et rendent possible la caractérisation de structures morphologiques internes inédites. Incon-testablement, « l’anthropologie virtuelle » est un outil supplémentaire dans notre éventail de possibilités analytiques, mais aussi pour les conservateurs, avec des contraintes liées aux particularités du matériel étudié. Cependant, il reste à réfléchir sur l’optimisation de la préservation, la gestion et le développement de ces nouvelles collections numériques tout en favorisant leur exploitation scientifique.

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L’Archéologie en mouvement. Hommes, objets, espaces et temporalités – 23-25 juin 2010

archéologie et rituels

Philippe Barral*, Martine Joly** et Patrice MéNiel**

* Laboratoire Chrono-environnement, UMR6249** ARTeHIS Archéologie, Terre, Histoire, Sociétés, UMR5594

Mots-clés : Sanctuaires, Lieux de culte, Dépôts, Rites, Sacrifices, Territoires, Mutations, Âge du Fer, Époque romaine, Taphonomie, Chronologie, Culture matérielle

L’approche des sanctuaires et lieux de culte de la fin de la Protohistoire et de la période antique, longtemps cantonnée à l’étude des textes antiques et des objets remarquables, a connu une véritable mutation ces dernières années. Cette évolution est liée à la fois à un élargissement du champ de l’étude et à de nombreuses innovations ou approfondis-sements méthodologiques, tant du point de vue de l’approche des lieux et structures à vocation cultuelle, que de l’analyse des vestiges mobiliers associés aux gisements.1. Un champ d’investigation qui s’est considérablement élargi ces dernières années : pour la fin de l’âge du Fer tout au moins, les manifestations cultuelles ne sont plus cantonnées aux seuls sanctuaires, mais sont désormais régulièrement mises en évidence dans d’autres catégories de sites : habitats ruraux, habitats agglomérés, grottes, avens, etc. Sur les sites complexes, des espaces dévolus aux pratiques religieuses, sont de mieux en mieux identi-fiés. La notion même de fait cultuel s’est élargie et étoffée et regroupe des vestiges plus ou moins structurés et des assemblages mobiliers que l’on dénomme, faute de mieux, dépôts particuliers. L’identification du fait symbolique ou cultuel repose sur l’observation d’une ou plusieurs anomalies, dans la disposition des restes, dans la composition de l’ensemble, dans sa localisation, qui permettent d’exclure l’hypothèse domestique. Le caractère inha-bituel ou exceptionnel du rassemblement reste un critère majeur (amas d’amphores, ou d’ossements animaux, par exemple), mais des assemblages a priori anodins peuvent être lus comme dépôts particuliers, par analogie avec ceux observés dans des lieux de culte bien identifiés en tant que tels. Le jeu des comparaisons ethnographiques et de l’inter-prétation anthropologique joue ici pleinement son rôle. Les allers-retours entre les textes antiques disponibles et les données archéologiques peuvent s’avérer fructueux, comme le montre l’émergence, assez récente, du concept de banquet, appliqué à la fin de l’âge du Fer, pour des sites d’ailleurs assez divers.2. Pendant longtemps, les sanctuaires ont été appréhendés de façon fragmentaire, ponc-tuelle et en rupture avec leur environnement d’occupation local et micro-régional. Des exemples récents (Mirebeau, en Côte-d’Or, Mandeure, dans le Doubs) montrent l’intérêt de fenêtres d’investigation larges au sein desquelles différentes approches complémentaires (prospections géophysiques, télédétection, dont LiDAR, prospections systématiques au sol, transects géoarchéologiques etc) vont être mobilisées pour percevoir les sanctuaires dans leur intégralité et appréhender l’articulation entre ces sites et le tissu d’occupation qui les environne. La prise en compte du contexte géoarchéologique et paléoenvironnemental au sens large figure également parmi les préoccupations nouvelles, pour cette catégorie de sites.

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3. Faute de sites suffisamment bien conservés et stratifiés, l’étude des sanctuaires s’est longtemps limitée à une appréhension globale, synchronique, débouchant sur une vision statique, sans profondeur temporelle des gisements et manifestations associées. L’analyse de sites complexes et stratifiés débouche sur une perception dynamique des gisements et pratiques rituelles. Plusieurs exemples récents montrent en particulier que cette catégorie de sites constitue un réservoir remarquable pour étudier dans le détail les mutations de la fin de l’âge du Fer et des débuts de l’époque romaine, dans toute leur complexité, que l’on évoque l’organisation des sites elle-même, ou leur architecture ou encore les modalités et la composition des dépôts (apparition de la pratique de la jactatio stipis, par exemple, apparition des ex-voto figurés). Ce type d’approche, qui permet de caractériser la trajectoire des sites dans la longue durée, nécessite de nombreuses études spécialisées, dont le croisement et l’intégration est rendue possible par l’utilisation d’outils d’analyses statistiques et spatiales. 4. L’étude des ensembles mobiliers et restes enfouis ou épandus repose sur deux analyses conjointes, celle des contextes eux-mêmes (nature, insertion stratigraphique, taphonomie, etc.) et celle des restes conservés. De ce point de vue, les problématiques, dans chaque spécialité, se sont notablement étoffées et complexifiées, au fur et à mesure de la construc-tion de référentiels de qualité et de l’affinement des outils méthodologiques. Il est possible de souligner par exemple les progrès importants, ces dernières années, dans l’étude des assemblages d’objets manufacturés en métal (typo-chronologie, etc). De façon générale, l’affinement des chronologies de la fin de l’âge du Fer a bénéficié sans aucun doute des avancées dans la connaissance de la culture matérielle induites par les recherches sur les sanctuaires, qui livrent des séries conséquentes d’objets.5. Enfin, une nouvelle approche consiste à considérer les lieux de culte dans leurs relations avec le monde extérieur, car il s’avère que, notamment dans le domaine des sacrifices animaux, le sanctuaire n’est pas un lieu refermé sur lui-même ; c’est ce que révèlent les complémentarités qui apparaissent, sur certains sanctuaires urbains (comme à Mandeure ou sur l’oppidum du Titelberg au premier siècle avant notre ère, mais on peut en percevoir des prémices sur des sites plus anciens, comme à Acy-Romance au IIe avant), entre les dépôts d’ossements conservés dans l’espace sacré et ceux enfouis dans l’habitat. Ces rela-tions permettent d’aborder, entre autres, la question du statut des viandes et des rapports entre pratiques sacrificielles et contraintes économiques.

rôle des processus Naturels daNs la coNstitutioN des sites paléolithiques

Pascal BertraN*, Arnaud leNoBle** et Jean-Baptiste Mallye**

* INRAP** PACEA De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement, Anthropologie, UMR5199

Mots-clés : Taphonomie, Processus de formation des sites paléolithiques

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Tous les sites archéologiques ont subi, à des degrés divers, des transformations après leur abandon par l’Homme sous l’influence des processus biologiques, géomorphologiques et pédologiques. Ces transformations peuvent aller d’une simple disparition de la matière organique en milieu oxydant à une érosion et une redistribution complète des vestiges. Dans la grande majorité des cas, le site se trouve dans un état de dégradation intermé-diaire entre ces deux pôles ; l’enjeu de l’analyse est alors de déterminer quelles limites doit-on donner à l’interprétation archéologique du matériel récolté, soit en raison de la perte d’intégrité de la série lithique et osseuse (altération, tri hydraulique, etc.), soit à cause du déplacement des vestiges, soit encore parce que des mélanges d’industries se sont produits. L’analyse taphonomique est donc un préalable à l’étude archéologique d’un site et permet de tester le bien-fondé d’une étude palethnologique menée sur la distri-bution spatiale des vestiges, mais aussi de vérifier les biais susceptibles d’affecter l’étude techno-économique des séries. Dans le cas de sites stratifiés, l’analyse taphonomique per-met également de mettre en lumière les éventuels mélanges d’industries et par là même, d’évaluer la pertinence des séries archéologiques utilisées pour répondre à des questions de définition ou d’évolution des cultures préhistoriques. L’analyse taphonomique utilise des approches dérivées de la géologie, de la paléontologie et de l’archéologie, chacune éclairant une facette des transformations subies par le niveau archéologique. La confron-tation de ces différentes approches permet d’élaborer un scénario plausible de l’histoire du site depuis son abandon par les Hommes jusqu’à sa fouille. Ces approches s’appuient en grande partie sur des référentiels actualistes concernant l’action des différents processus biologiques et géomorphologiques ; ils sont principalement établis à partir d’expériences en milieu naturel ou en laboratoire. L’étude de l’altération nécessite quant à elle une analyse géochimique des sites. Sur bien des aspects, la taphonomie appliquée à l’étude des sites préhistoriques apparaît être encore à un stade de balbutiement et de grands développements sont attendus avec la multiplication des expériences et des études de sites. Ce domaine de recherche, bien que répondant à des questionnements anciens, reste à l’heure actuelle une spécificité française et apparaît novateur sur la scène internationale.

Site formation proceSSeS: the role of natural agentS

Key Words: Taphonomy, Palaeolithic site formation processes

All archaeological sites have undergone modification after abandonment due to biological, geological, and pedological processes. Modification ranges from simple oxidation of organic matter to full erosion and redistribution of the remains. Most of the cases, the site is in an intermediate state of degradation. As a consequence, the aim of the taphonomic analysis is to determine the limits we have to ascribe to the archaeological interpretation, either because of lost of lithic or bone assemblage integrity (weathering, hydraulic sorting…), or because of artefact displacement, or else because of assemblage mixing. Taphonomy ap-pears to be a prerequisite to site investigation through testing the validity of a palaeoethno-graphic analysis of the spatial distribution of the remains, and checking the potential bias that may affect the techno-economic study of the assemblage. In stratified sites, taphonomy makes it possible to enlighten artefact mixing and, hence, to evaluate the suitability of the

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assemblages to solve issues about definition and evolution of prehistoric cultures. Geolo-gy, palaeontology, and archaeology combine to understand site modification. Comparison between the lines of evidence provided by each discipline allows proposition of a plausible scenario for site history from abandonment by humans to excavation. Analysis rests mainly on actualistic data on modification induced by biological and geological processes. These are derived from experiments in laboratory or natural environments, while study of weathering needs geochemical analysis of the site. In many ways, taphonomy is still a young science, and significant developments are expected to emerge from multiplication of experiments and site studies.

le teMps court eN archéologie

André BillaMBoz*

* Landesamt für Denkmalpflege, Hemmenhofen

En archéologie, la maîtrise du temps est une question primordiale et rares sont les mé-thodes qui autorisent une saisie de haute résolution. Dans ce sens, la dendrochronologie avec la datation directe des structures d’habitat sur la base de la précision calendaire a provoqué une véritable révolution. Outre la définition de chronologies indépendantes de l’étude typologique (chrono-typologie vs typo-chronologie), l’étude plus exhaustive des données dendrochronologiques a conduit à l’établissement de la dendroarchéologie. Dé-sormais, l’analyse de grandes séries de bois dans le cadre de l’archéologie palafittique permet l’approche d’un temps court que d’autres méthodes tributaires de la stratigra-phie ne peuvent aborder. La définition chronologique de haute résolution s’exprime par exemple dans la date de construction de la maison et de ses réparations qui donnent une appréciation de sa durée d’utilisation, dans le développement des villages au fil des géné-rations, dans la dynamique et la cyclicité des habitats.Par le lien du matériau ligneux, la résolution chronologique se retrouve également dans l’étude environnementale, avec en premier lieu la question de l’approvisionnement en bois et de ses phases de transformation pour les besoins de la construction, de la fabrica-tion des outils et des ustensiles. L’âge des arbres utilisés et leurs variations de croissance reflètent la structure des peuplements exploités, autorisant ainsi une modélisation des premières formes de l’économie forestière. L’évolution de la forêt, dans ses phases de régénération et de dégradation, est le reflet de l’impact de l’activité humaine et du déve-loppement démographique. Enfin, l’analyse des cernes débouche sur la climatologie. Dans une démarche semblable à celle de la météorologie, la reproduction des observations ponctuelles permet de définir les conditions de climat dans leur caractère évènementiel ou leur cyclicité. Avec la référence dendroécologique, l’étude des variations annuelles voire saisonnières du climat sera d’un grand recours pour la compréhension du développement

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des sociétés agricoles dans le passé. Outre l’analyse des cernes de croissance, il s’agit d’impliquer d’autres méthodes susceptibles d’appréhender le temps court en contexte ar-chéologique (par ex. : étude de dépôts laminés ou de phénomènes biologiques de courte échéance).A ceci s’ajoute la considération d’aspects écologiques tels que les effets des vols de hanne-tons. La répercussion des dommages causés dans la canopée des chênaies sur la formation du cerne permet de suivre l’extension et le mouvement des populations dans leur cycle de reproduction en liaison avec les variations climatiques et les changements du milieu. L’étude précise de contextes régionaux permet toutefois de mieux relativiser l’impact du climat sur l’occupation humaine en fonction de la vulnérabilité des terroirs et des stra-tégies de subsistance définies dans les choix de société. Sans oublier le long terme de l’évolution naturelle et humaine, l’archéologie du temps court se rapproche davantage de la démarche historique, avec une meilleure appréciation des ruptures opérées à cette échelle de temps. Au regard du potentiel de la dendroarchéologie, il reste à souligner la pauvreté relative de l’enseignement et de la formation spécialisée. A la suite d’une pre-mière génération de dendroarchéologues ‘formés sur le tas de bois archéologique’, qui va prendre le relais ? Avec le développement de la logistique d’étude et la conjoncture de recherche actuelle, il semblerait que la donne soit plutôt dans la main des naturalistes. La complexité de la problématique du bois, de sa production en forêt à sa dernière utilisation par l’homme nécessite une approche de plus en plus diversifiée, ce qui implique justesse et doigté dans la combinaison des études relevant des sciences humaines et naturalistes ainsi que dans la constitution des programmes et des équipes de recherche.

de la coMplexité des sociétés paléolithiques

François BoN* et Boris valeNtiN**

* TRACES Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés,UMR5608** ArScAn Archéologies et Sciences de l’Antiquité, UMR7041

Le titre de cette communication et le thème qui nous a été confié nous entraînent peut-être à côtoyer cette « archéologie de l’extrême » évoquée dans l’argumentaire du col-loque. De fait, tenter de reconstituer des organisations sociales paléolithiques, autrement qu’en des termes très généraux, est un sacré pari : en règle générale, ces organisations se fossilisent mal, tous les archéologues le savent bien et, pour la période concernée, les contextes que l’on pourrait a priori considérer comme les meilleurs terrains d’enquête (sépultures, architectures, etc.) sont particulièrement rares.Dès lors, on court le risque de décréter que ces sociétés, dont il ne subsiste plus beau-coup de « signes extérieurs de complexité » sont des sociétés « simples ». Faut-il alors

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plaider pour qu’elles gravissent quelques barreaux sur l’échelle (toute théorique) de la complexité ? C’est plutôt la critique de cette opposition courante et réductrice – simple versus complexe – que nous nous proposons d’entamer à travers l’évocation des sociétés du Paléolithique récent européen.

archéoBotaNique, taxoNoMie Biologique et catégories culturelles

Laurent BouBy*, Marie-Pierre ruas** et Jean-Frédéric terral*

* CBAE Centre de Bio-Archéologie et d’Écologie, UMR5059** Archéozoologie et Archéobotanique, UMR7209

La carpologie n’a véritablement pris sa place dans le paysage de l’archéologie française que depuis une trentaine d’années. Cette spécialité appliquée à des restes archéobota-niques se fonde sur l’observation macro- et microscopique des caractères morphologiques et anatomiques des graines, fruits et autres éléments provenant de la transformation de l’inflorescence, permettant généralement leur détermination au rang de l’espèce, parfois seulement du genre ou de la famille.Les résultats obtenus permettent aujourd’hui de dresser un tableau acceptable de l’évolu-tion chronologique des plantes économiques dans notre pays depuis les débuts de l’agri-culture. Ils alimentent dorénavant des bases de données qui permettront une approche plus ambitieuse de la dynamique spatio- et chrono-culturelle des relations entre les socié-tés et leurs ressources végétales.Depuis peu, de nouveaux outils issus de la biologie et de la paléobiologie sont investis par les archéobotanistes afin notamment d’accéder à une résolution taxinomique plus fine, aux rangs de la sous-espèce et des variétés, ou des groupes de variétés, en se fondant sur les catégories établies par la biologie et l’agronomie modernes. Ces outils relèvent de la morphométrie et de la paléogénétique. Nous développerons plus particulièrement ici les résultats obtenus par la morphométrie au sujet des fruits et notamment de la vigne (Vitis vinifera).L’accès au domaine infra-spécifique est riche de perspectives en archéologie, tant les rela-tions peuvent être étroites entre types variétaux, sociétés, espaces et usages économiques. Les cépages proposent un parfait exemple d’un patrimoine biologique constituant l’assise emblématique, souvent pluriséculaire, des viticultures régionales. Chercher à appréhen-der la dynamique de la diversité infra-spécifique, revient à s’intéresser aux orientations de la production, aux phénomènes de spécialisation, de diversification, et aux échanges culturels et économiques qui les sous-tendent. De telles pistes sont ouvertes par la mor-phogéométrie en ce qui concerne l’olivier, la vigne et récemment en test pour les cerisiers.Par ailleurs, les investigations sur le matériel archéobotanique conduisent à interroger en retour les catégories fondées sur la systématique établies par la biologie ainsi que les

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modèles de l’archéologie. La primeur accordée par l’agronomie moderne aux variétés culti-vées, et en particulier aux formes clonales en arboriculture, n’oblitère-t-elle pas une partie de la diversité historique ? Dans quelle mesure le lien étroit, classiquement établi par l’ar-chéologie et l’histoire ancienne, entre origine de l’arboriculture et naissance de l’urbanisa-tion en Méditerranée ne masque-t-il pas des pratiques alternatives et moins spécialisées, éventuellement plus anciennes, et non sans importance économique et culturelle pour les sociétés agraires ? Au-delà de ce débat, c’est la nature et la chronologie des phénomènes de domestication et l’ensemble des relations entre sauvage et cultivé qu’il faut considérer. Cela ne saurait se faire efficacement sans un recours rigoureux aux référentiels biologiques et ethno-historiques et à leur analyse interdisciplinaire.

pour uNe archéologie des oBJets et des iMages

Catherine BreNiquet*

* CHEC Centre d’Histoire « Espaces et Cultures », EA1001

Mots-clés : Archéologie, Démarche et validation du raisonnement, Lecture illustrative, Structu-ralisme, Sciences cognitives

Au temps de ses origines, à la Renaissance, l’archéologie fut avant tout une discipline de l’objet, du bel objet même, vases, statues, médailles antiques. Elle construisit son savoir sur l’approfondissement de la connaissance de ces objets sur la base du commentaire historique ou stylistique, au détriment de la compréhension du site archéologique qui les portait. Plusieurs ruptures successives permirent l’émergence d’autres approches, pour la plupart articulées aux grands paradigmes du moment et au souci de valider le rai-sonnement sur des bases jugées scientifiques ou objectives : la découverte du contexte, l’invention du social, l’introduction d’une archéologie de laboratoire. Objets et images devinrent les témoins privilégiés d’un mode de vie passé. Mais derrière l’efficacité de ces démarches, ne peut-on pas déceler un déficit conceptuel ? Objets et images furent-ils jamais considérés comme des « documents », porteurs d’un sens qui leur serait propre, et pas uniquement justiciables d’une lecture illustrative ? Un premier pas en ce sens fut fait par l’archéologie préhistorique avec l’acceptation de la très haute antiquité de l’art, un autre avec l’avènement des lectures structuralistes qui faisaient jaillir le sens des œuvres sans apport extérieur. Un troisième fut l’émergence des approches cognitives. En dépit des avancées exceptionnelles que de tels développements firent faire à l’archéologie, ils ne furent ni généralisés, ni même acceptés par l’ensemble de la communauté scientifique.On se propose donc d’explorer les acquis et les faiblesses des mécanismes de l’interpré-tation des objets et des images, et partant, de tenter un essai prospectif sur le chemin qui reste à parcourir, notamment en direction des théories et concepts indispensables, non

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pas pour aborder la matérialité de ces données ce qui est à peu près acquis, mais bien les mentalités des hommes qui nous les ont léguées. Cet essai ne prétend pas à l’universalité, mais sera nourri de l’expérience personnelle d’un chercheur dont l’objet d’étude – la Mé-sopotamie « archaïque » – se positionne à mi-chemin entre les sociétés préhistoriques et les « grandes » civilisations de l’écrit.

archaeology, objectS, imageS

Key Words: Archaeology (approach, control of thought process), Illustrative readings, Struc-turalism, Cognitive sciences

At its beginnings, during the Renaissance, archaeology developed as a discipline whose focus was above all the object, the art object really, such as vases, statues, antique coins. It developed its knowledge of these objects with historic and stylistic commentaries rather than by looking at the archaeological context from which they came. Several successive breaks, mostly associated with key paradigm shifts and hopes to valid the hypothesis, helped bring about new approaches: the discovery of the meaning of context, the development of the social, the advent of the laboratory-based archaeology. Objects and images became the privileged witnesses of ancient ways of life. However doesn’t such an efficacious approach mask a conceptual shortcoming? Were objects and images in and of themselves ever consi-dered as “documents”, carrying their own meaning, and not just answerable to an illustra-tive use? A first step in this direction was taken by Prehistory when it accepted the very old antiquity of art, and another was set in motion when structuralist readings brought out the works’ meanings without the support of exterior documentation or matter. A third step was the emergence of cognitive archaeology. Despite the great advances that such approaches brought to the field of archaeology, they were neither generalised, nor even accepted by the entire scientific community.The aim of this paper is to review the strengths and weaknesses of the interpretative mecha-nisms in archaeology regarding objects and images. We shall attempt to look ahead towards necessary theories and concepts, not to examine actual material results since these are pretty much givens, but rather to understand the mentalities of those who have bequeathed us such an understanding. Without pretending to universality, this paper emanates from one researcher’s personal experience with the study of “archaic” Mesopotamia which is positio-ned half way between prehistoric societies and the “great” writing civilisations.

orgaNisatioN politique et archéologie

Patrice BruN* et Dominique Michelet**

* ArScAn Archéologies et Sciences de l’Antiquité, UMR7041** Archéologie des Amériques, UMR8096

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L’archéologie du politique est un champ de la recherche qui a été longtemps considéré, en France du moins, comme difficile d’accès, faute de référents théoriques (ou modèles) ad hoc, de méthodes d’analyse adaptées, voire de marques claires, dans le registre archéo-logique, de cette dimension de la vie en société. S’il est vrai que la partition entre organi-sations sociales et systèmes politiques est parfois floue – ce qui est parfaitement naturel – l’archéologie de la sphère du politique proprement dit suscite un nombre croissant de travaux. L’analyse des avancées enregistrées et des difficultés persistantes dans ce do-maine peut être menée à partir de l’examen de trois grands chantiers. Les formes d’orga-nisations politiques qui ont vu le jour dans le passé – à des dates bien plus anciennes que ce que l’on admettait, il y a encore peu de temps et, en tout cas, bien avant la naissance des États – sont à redéfinir constamment, et pas seulement du seul fait que la complexité des systèmes qui ont existé s’accorde mal avec les typologies simples, voire plus détaillées, successivement utilisées. Par ailleurs, à côté des marqueurs matériels traditionnellement mobilisés pour reconstituer les structures politiques, quelques champs nouveaux commen-cent à s’ouvrir et se développeront certainement à l’avenir comme, par exemple, l’étude des relations de parenté via la bioanthropologie. L’étude des dynamiques politiques est le second chantier à scruter.C’est à l’archéologie, et à elle seule, qu’il revient d’abord de tracer les formes d’émergence du politique au sein des sociétés pré- et protohistoriques. Au-delà des schémas d’évolu-tion par lesquels sont passées telle et telle régions, c’est le pourquoi et le comment des apparitions, disparitions et transformations des systèmes politiques qu’il faut interroger, en tenant compte de la tension permanente entre processus et agents (ou acteurs). Finale-ment, l’archéologie des structures politiques et de leur fonctionnement aux périodes plus récentes ne peut faire l’économie d’une explicitation des relations qu’elle doit entretenir avec l’histoire et les sources écrites concernant celles-ci. La synthèse proposée illustrera les points de discussion retenus avec des exemples concrets empruntés à l’archéologie mondiale.

l’espace teMporaireMeNt apprivoisé : étude de cas (ouzBékistaN, chiNe)

Frédérique BruNet* et Corinne deBaiNe-FraNcFort*

* ArScAn Archéologies et Sciences de l’Antiquité, UMR7041

Mots-clés : Asie centrale, Xinjiang (Chine), Ouzbékistan, Néolithique, Protohistoire, Antiquité, Peuplement, Territoire, Oasis, Irrigation, Optimum climatique, Désertification, Agropasteurs sé-dentaires, Chasseurs-cueilleurs, Pastoralisme, Nomadisme

Key Words: Central Asia, Xinjiang (China), Uzbekistan, Neolithic, Protohistory, Antiquity,Settlement pattern, Subsistence practices/Subsistence strategy, Oasis, Irrigation, Cli-matic optimum, Desertification, Sedentary farmers, Hunter-gatherers, Pastoralism, Nomadism

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L’Asie centrale se répartit en deux espaces géoculturels qui façonnent le mode de vie des populations : les steppes et les oasis. Nos recherches, sous-tendues par de grandes ques-tions historiques, sont menées en équipes pluridisciplinaires et en coopération internatio-nale. Elles ont en commun la prise en compte de vastes territoires, sur la longue durée, et des problématiques liées à l’étude des évolutions de milieux sensibles.Deux études de cas – l’une en Ouzbékistan (désert du Kyzyl Kum), l’autre en Chine (Xin-jiang, désert de Taklamakan) – exemplifient notre démarche : tester au Xinjiang l’hypothèse de l’existence de peuplements agricoles anciens et examiner en Ouzbékistan les sociétés de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs en voie de néolithisation, en comprendre la diversité et l’évolution dans des environnements aujourd’hui totalement désertiques, dans les deltas, le long de cours fossiles et autour des paléolacs visibles sur les images satellitaires ; tenter, dans les deux cas, d’élucider les modalités et les mécanismes de ces peuplements en les replaçant dans l’évolution de leur environnement (optimum climatique, désertification, dé-placement des cours et des deltas, évolution naturelle et/ou anthropique des oasis et des ripisylves (tugaï) et de construire des macro-séquences chrono-culturelles (du Néolithique à l’Antiquité). Pour cela, il s’agit d’étudier les différents modes d’occupation, de gestion et de mise en valeur des territoires par la localisation des sites archéologiques en relation avec le réseau hydrographique ancien (cartographié par télédétection et intégré dans un SIG) et par la collecte (prospections et fouilles) de données sur l’évolution des pratiques culturelles, économiques, dont celles agricoles par irrigation, et plus généralement des modes de vies nomades à sédentaires et des organisations sociales .La comparaison de ces occupations entre elles, le croisement des différentes échelles d’ob-servation et la connaissance de la dynamique des cultures et des civilisations dans les aires culturelles concernées permettent de dresser une histoire des choix opérés par les sociétés pour apprivoiser de manière plus ou moins durable un environnement fragile et instable, de dégager des constantes et des variables de changement et de susciter de nouvelles interrogations sur la nature socioculturelle à l’échelle locale, régionale et « in-ternationale » : en Ouzbékistan, l’émergence du Néolithique puis des grands ensembles chalcolithiques proto-urbains, de l’Age du bronze urbanisé, puis des empires achéménide, hellénistique et kouchan ; au Xinjiang, la genèse et l’émergence de l’Age du bronze et ses liens avec les franges steppiques, puis les relations avec les Empires (Achéménides, Zhou, Han et Kouchans).

archéologie orieNtale et Néo-évolutioNNisMe, les liMites d’uNe déMarche

Pascal ButterliN*

* Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

L’archéologie orientale a été un terrain privilégié pour l’application des théories néo-évo-lutionnistes au cours des années 1980-1990. Cette approche n’a pas résisté à la sévère critique en cours de l’archéologie post processuelle qui tente de trouver de nouveaux

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outils heuristiques afin de faire sortir la discipline d’un véritable biais méthodologique que l’on qualifiera de néo-orientaliste. Pour sortir de ce biais, on propose quelques pistes de recherches destinées à dépasser le problème et à bâtir des bases nouvelles pour sortir, moins de l’évolutionnisme lui-même que de l’orientalisme.

eNtre collecte et culture : les Matières preMières tiNctoriales

Dominique cardoN*

* CIHAM Centre Interuniversitaire d’Histoire et d’Archéologie Médiévales, UMR5648

C’est toute la palette des couleurs du spectre que peut fournir la multitude des plantes, animaux et champignons à colorants : de quoi teindre vêtements et textiles de tous usages, la peau, les cheveux, les aliments. Teintures et colorants naturels font partie intégrante du patrimoine mondial : l’utilisation de plantes (et, dans une moindre mesure, de coquillages marins et de coccidés) pour en extraire des couleurs est un domaine de savoirs que l’on retrouve dans toutes les civilisations. Son ancienneté est de mieux en mieux mise en évi-dence par les découvertes archéologiques, qui nous indiquent que la recherche de plantes à colorants a dû aller de pair avec celle des plantes comestibles et médicinales et que, tout au long de l’histoire, les teintures ont eu une importance majeure dans les échanges culturels et économiques entre différentes régions du monde.Grâce à une trentaine d’années de progrès dans les méthodes d’identification des colo-rants organiques sur les documents archéologiques, principalement textiles, il est possible de mieux comprendre les stratégies de sélection, de collecte, de production et d’échanges mises en œuvre par de nombreuses civilisations anciennes pour assurer leur approvision-nement en matières premières colorantes.Ce champ de recherche impose des collaborations interdisciplinaires étroites entre archéo-logues, botanistes, entomologistes, malacologistes et chimistes, en plus du recours évident aux sources écrites, pour les civilisations historiques ; aux enquêtes anthropologiques, auprès de peuples pratiquant encore des procédés de teinture anciens ; à l’archéologie expérimentale, qui permet de valider la pertinence des hypothèses suggérées par les ré-sultats d’analyses.Cette approche interdisciplinaire sera illustrée par les résultats de travaux récents, sur des fouilles archéologiques menées tant en France qu’en Egypte et en Asie Centrale, et concer-nant des périodes s’étendant de la préhistoire au Moyen Âge.

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du MiNerai à l’oBJet : uNe lecture MultidiscipliNaire de la Matière

Philippe dillMaNN* et Philippe FluziN**

* SIS2M Service Interdisciplinaire sur les Systèmes Moléculaires et les Matériaux, UMR3299** IRAMAT Institut de Recherches sur les Archéomatériaux, UMR5060

L’originalité de notre approche depuis la création du premier Laboratoire « Métallurgies et Cultures » (1991) consiste à rassembler une communauté scientifique multidisciplinaire réelle (archéologues, historiens, ethnologues, géologues, métallurgistes, physicochimistes, corrosionistes...) autour d’une unique problématique diachronique (des débuts de la mé-tallurgie aux époques médiévales) et multiculturelle.La restitution des chaînes opératoires en métallurgie (matériaux et procédés) à partir de « la lecture structurale et analytique » multi échelle (macro-micro) de la matière (struc-tures-vestiges archéologiques et historiques). Cela concerne l’élaboration (métallurgie ex-tractive-réduction du minerai), la transformation (post réduction-épuration ; mise en forme des demi-produits et/ou des objets), l’utilisation (réparations, recyclage), l’organisation des productions, la circulation et le vieillissement du métal. Ce que l’on peut schématiquement résumer par la formule du « minerai à l’objet ». Cette architecture scientifique qui instaure une liaison aussi étroite que possible entre la fouille et le laboratoire a fait école au niveau national et international ce qui pourrait indiquer sa pertinence. Elle implique en effet de très nombreuses collaborations tant en France (16 UMR et 13 Utés) qu’à l’étranger (25 Utés ou instituts). Ces recherches innovantes sont associées à divers programmes structurants (4 GDR, 2 ANR, 4 CEA, 2 PNRC, 3 PCR, 1 PPF, et 2 Européens-Culture). Elles font intervenir plusieurs conventions et partenariats interinstitutionnels (CEA, Ministère de la Culture, DRASSM, INRAP, Synchrotron SOLEIL) et mettent en œuvre 4 plateformes métallurgiques et expérimentales (dont 2 à l’étranger) et une plate forme analytique à partir de la mutualisation de nos moyens lourds avec le CEA (Service Interdisciplinaire sur les Systèmes Moléculaires et les Matériaux / Laboratoire Archéomatériaux et Prévision de l’Altération).Nous montrons comment le « spectaculaire » peut surgir de mobiliers archéologiques ano-dins et sans grand prestige médiatique. Ils ne brillent pas, sont souvent corrodés, bref ils ne sont pas beaux au point qu’ils étaient fréquemment ignorés et pas toujours conservés (scories, chutes informes, oxydes, etc.). La valeur scientifique pluridisciplinaire de « l’ob-jet » n’est donc pas uniquement liée à son apparence extérieure. En outre la pluridiscipli-narité réelle commence, si possible, au niveau de la stratégie de fouille. Il convient en effet d’avoir des notions de ce que l’on peut trouver afin de savoir que chercher et où ! Ainsi la répartition spatiale de certains déchets permet d’identifier précisément des aires de travail spécialisées et leur intensité même en l’absence de structures (grillage, gromps, battitures qui localise une zone de martelage…). Par ailleurs il est essentiel d’étudier l’ensemble des vestiges métallurgiques afin de caractériser les activités et réaliser un échantillonnage réellement représentatif (qui servira aux fouilles ultérieures de la matière). Il convient de ne pas faire l’impasse sur l’existence de déchets exotiques qui peuvent parfois traduire des

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essais, des ratés et échecs qui sont souvent très difficiles à identifier. En outre, compte tenu de l’hétérogénéité intrinsèque de l’échantillon inhérente aux processus physicochimiques d’élaboration en phase solide (sidérurgie directe) il faut absolument procéder à une étude analytique intégrale de l’objet afin d’éviter de graves erreurs d’interprétation (examen mi-cro de l’ensemble macro). Enfin les hypothèses issues des diverses investigations doivent être confrontées à la réalité fonctionnelle des activités et des gestes techniques à l’aide de travaux ethnoarchéologiques et/ou expérimentaux (plateforme).Pour nous, le système objet (objet matière-objet fonction), traduction physique d’un sys-tème intellectuel, doit être considéré comme un ensemble complexe d’informations dont la valeur documentaire globale est tributaire des possibilités et limites des moyens d’ob-servation et du niveau de connaissance de l’observateur.L’éventail des méthodes d’investigation archéométrique ne cesse de croître au fur et à mesure des progrès techniques et scientifiques et nous contribuons à partir des archéo-matériaux à cette évolution (microsondes photoniques). Cependant, au préalable à toute analyse, il convient absolument d’adopter une démarche extrêmement rigoureuse et adap-tée à ce que l’on cherche en fonction de la nature des matériaux étudiés (hétérogénéité relative). Il est donc indispensable de rappeler certains principes :– chaque méthode à un coût non négligeable et nécessite des compétences qui doivent

être pérennisées (rien ne sert d’acquérir des matériels si on n’a pas les moyens d’en assurer le fonctionnement et la jouvence sur le long terme). Il faut à tout prix éviter la dilution des moyens humains et financiers,

– la pluridisciplinarité réelle et interactive exclut de fait un fonctionnement du laboratoire selon un mode prestation de service. Rien ne sert en effet de compiler des données dont la pertinence est mal évaluée et dont les interprétations sont rendues impossibles voire erronées dans le cadre d’un isolement disciplinaire,

– chaque méthode à ses limites propres (incertitudes) et aucune n’est totalement uni-verselle pour répondre aux multiples souhaits d’une communauté multidisciplinaire. Le résultat d’une mesure ne fait donc pas automatiquement sens,

– les protocoles mis en œuvre doivent tenir compte des multiples sources de contami-nation et adopter une démarche parfaitement hiérarchisée (du plus simple au plus compliqué et du macroscopique au microscopique)...

Pour éviter ces travers nous avons choisi au sein de l’IRAMAT (UMR5060) de mutualiser en réseau et en partenariat élargi (CEA / Synchrotron SOLEIL…) tous nos moyens humains et matériels (plateformes). Ainsi nous disposons d’un vaste potentiel analytique (microcopies métallographique et pétrographique, MEB-EDS, spectrométrie de masse à couplage induc-tif par ablation laser, Micro spectrométrie Raman, fluorescence X portable, microdiffraction et microfluorescence X sous générateur à anode tournante , rayonnement synchrotron…).Nos programmes intègrent donc cette synergie de moyens et de compétences avec une approche multi échelles (comme pour les stratégies de fouilles pluridisciplinaires) totale-ment hiérarchisée et réversible (macro-micro-macro ; du millimètre au micromètre, voire au nanomètre, avec les techniques de caractérisation de pointe basées sur l’utilisation des sondes photoniques sous rayonnement synchrotron). Les outils d’analyses d’images et de traitements statistiques complètent l’exploitation des résultats interprétés collectivement.Par ailleurs la valeur systémique de l’objet ne se circonscrit pas à la seule étude de notre passé ; les vestiges archéologiques portent en leur matière une quantité impressionnante

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d’informations très utiles aux préoccupations actuelles et de notre avenir ! Le « docu-ment  » archéologique est aussi « éprouvette scientifique » aux débouchés multiples ; amélioration des protocoles de conservation des multimatériaux, calibration du vieillisse-ment-corrosion à long terme, analogues permettant de tester la mise au point de procédés d’inertage de déchets hautement toxiques afin de minimiser les risques environnemen-taux, comportement pluri-séculaire de certains métaux lourds en fonction des milieux, es-timation des cinétiques de pollutions, anomalies structurales permettant la mise au point de nouveaux matériaux (nanomatériaux élaboré par mécanosynthèse), mise au point de nouveaux protocoles et méthodes analytiques…L’archéologie est donc le pivot de collaborations multidisciplinaires particulièrement nom-breuses et fécondes. Elle peut jouer un rôle fondamental de catalyseur dans la création de nouveaux foyers d’innovations scientifiques et techniques dépassant et enrichissant respectivement chacune des disciplines concernées. Nos travaux témoignent concrètement que l’archéologie est un véritable trait d’union entre le passé, le présent et l’avenir dans la mesure où dès la fouille elle doit favoriser une synergie dynamique des compétences interdisciplinaires !Nous proposons d’illustrer, à partir d’une sélection très restreinte d’exemples innovants, cette philosophie de la recherche pluridisciplinaire, la hiérarchisation de nos protocoles, les méthodologies mises au point, le traitement des données…Nous aborderons notamment les aspects suivants :– remise en cause des limites chronologiques et géographiques de l’usage des différents

procédés sidérurgiques (direct et indirect) en relation avec les théories diffusionnistes,– identification des vestiges caractéristiques des différentes étapes des chaînes opératoires,– caractérisation quantitative et qualitative du métal en circulation (corrélations conte-

nant-contenu) des premiers âges du fer aux époques médiévales à partir d’un très vaste corpus (plus de 600 sites sur le territoire métropolitain, 170 en Europe et 20 dans le bassin méditerranéen ; soit plus de 32 000 objets traités). Organisation des productions et de la consommation en fonction de la chronologie et de la géographie,

– discrimination des procédés et détermination de l’origine géographique des objets (d’où vient le métal ?) à partir de la micro analyse (majeurs-traces) des inclusions piégées dans le métal,

– rôle du métal dans l’architecture médiévale,– optimisation des traitements de protection du patrimoine,– vieillissement corrosion ; études des analogues archéologiques pour la prévision de la cor-

rosion à long terme. Application au confinement et à l’inertage des déchets toxiques…

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l’archéologie FuNéraire

Henri duday*

* PACEA De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie, UMR5199

Pendant des décennies, l’archéologie funéraire s’est préoccupée de l’architecture des tombes, des épitaphes et des mobiliers d’accompagnement beaucoup plus que des défunts eux-mêmes et de leurs squelettes. Dans le même temps, les anthropologues biologistes dé-veloppaient à partir de ceux-ci le discours de leur propre discipline, se préoccupant fort peu d’aider à l’interprétation du site où ils avaient été mis au jour. Parce que les archéologues n’étaient pas formés à l’Ostéologie humaine, parce que les anthropologues ne connais-saient pas les problématiques archéologiques, les restes humains étaient en quelque sorte traités comme des documents extrinsèques dont l’étude était rejetée en annexe ou même publiée dans une revue spécialisée. C’est pourtant en fonction et autour du cadavre que se sont ordonnés les gestes que l’archéologie funéraire a pour objectif de restituer.Depuis une trentaine d’années s’est développée en France une approche nouvelle qui place le défunt au centre du discours sur la Mort dans les sociétés anciennes. L’essor de cette archéothanatologie a largement bénéficié du développement de l’archéologie pré-ventive : des progrès considérables ont été acquis grâce à la création d’un véritable corps professionnel d’archéologues formés à l’anatomie et à la taphonomie du cadavre. L’ana-lyse se fonde sur les modalités de la décomposition du corps, sur la restitution de la posi-tion initiale de celui-ci, sur le micro-milieu au sein duquel s’est opérée la putréfaction… La finalité se situe bien dans le domaine des sciences de l’homme et de la société alors que les paramètres pris en compte relèvent du champ de la biologie. Pour des raisons d’éthique bien compréhensibles, il est impossible de procéder à des expérimentations sur le cadavre humain ; les observations de fouille doivent de ce fait se substituer à celles-ci, dans tout cas favorable où l’on connaît les conditions initiales du dépôt et où l’on peut en analyser les incidences taphonomiques sur le déplacement des ossements. En ce sens, tout fouilleur de sépulture est à la fois un archéologue dont la charge première est de comprendre le site sur lequel il travaille mais aussi un chercheur fondamentaliste qui se doit de contribuer à l’enrichissement des référentiels et des méthodes de la discipline.

appréheNder les teMps aNcieNs daNs la très loNgue durée

Christophe Falguères*

* Histoire naturelle de l’Homme préhistorique, UMR7194

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Aujourd’hui, la géochronologie participe à part entière à l’étude pluridisciplinaire des sites préhistoriques et les méthodes de datation contribuent pleinement à l’élaboration des cadres chronologiques qui accompagnent les diagrammes montrant l’évolution de l’espèce humaine. La « très longue durée » en préhistoire remonte à environ 6 ou 7 mil-lions d’années (Ma) où les plus anciens restes fossiles d’homininés ont été exhumés au Tchad et au Kenya. Par la suite, quelques étapes importantes ont été datées par différents types de méthodes toutes fondées sur la radioactivité naturelle dans les sédiments et les échantillons fossiles, en association avec le paléomagnétisme et la biochronologie. Ces étapes correspondent à la sortie de l’Homme d’Afrique, il y a environ 1,8 Ma, avec les plus anciens témoignages d’une occupation humaine en Eurasie sur les contreforts du petit Caucase à Dmanisi en Géorgie. Cette étape est fondamentale pour le peuplement de l’Eurasie. Quelques thématiques de recherche d’importance se posent également en terme de chronologie comme par exemple le décalage de près d’1 Ma qui existe entre les premiers bifaces façonnés en Ethiopie, il y a 1,5 Ma, et les plus anciens bifaces qui datent en Europe de 600 à 700 ka. Les recherches sur les voies de migrations qui ont présidé aux peuplements de certaines régions sont également abordées par la chronologie et ainsi participent à la compréhension de l’évolution humaine en travaillant à une échelle fine exigée par l’importance de cette reconstitution.Les domaines d’applicabilité des méthodes de datation et l’aptitude des supports à être datés définissent la faisabilité des datations sur les sites préhistoriques. Depuis une ving-taine d’années, les progrès effectués dans le domaine de la géochimie associés aux nou-velles techniques hautement efficaces de micro-échelles, d’analyses in situ utilisant l’abla-tion laser par ICPMS ainsi que les spectromètres de masse multicollecteurs permettent une approche plus précise et plus rigoureuse qui font progresser les datations en général surtout pour une période comme le Pléistocène inférieur où très peu de points de repères chronologiques sont utilisables.

ForMatioN des sols et usages sociaux : l’historicité des terres Noires urBaiNes

Mélanie FoNdrilloN*

* CITERES Centre Interdisciplinaire CItés, TERritoires, Environnement et Sociétés, UMR6173

Mots-clés : Stratifications, Caractérisation, Géoarchéologie, Terres noires, Ville

Amorcée après-guerre sur des sites d’Europe du Nord-Ouest, l’étude des stratifications en contexte urbain a considérablement été développée dans le courant des années 1980, avec l’essor de la géoarchéologie intra-site. Dans une problématique de caractérisation des occupations passées, influencée par les questionnements des Préhistoriens dont elle hérite, l’analyse des sols archéologiques repose sur le postulat que les propriétés physiques d’une

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strate témoignent de l’activité qui l’a produite.Tout particulièrement en milieu urbain, la question fonctionnelle prend une acuité remar-quable avec les « terres noires », épaisses séquences de sols énigmatiques, en apparence homogènes et humifères. Communes aux villes de passé romain, ces stratifications peu-vent matérialiser près d’un millénaire d’occupation urbaine, des IIIe-IVe aux Xe-XIIe siècles. L’appréhension géoarchéologique des ces dépôts permet de mettre en lumière l’ensemble des phénomènes dépositionnels et post-dépositionnels qui ont concouru à leur production et à leur transformation. Là où des études interdisciplinaires sont conduites, les résultats révèlent la diversité des dépôts. Plus largement, cette tranche de sol témoigne de la conti-nuité urbaine au Bas-Empire et au haut Moyen Âge, sous-tendant l’hypothèse, maintenant étayée, d’un paysage urbain diversifié.

Site formation proceSSeS and land uSeS: hiStorical value of dark earth depoSitS

Stratification research in urban context really started in the 1950’ and was significantly en-larged in 1980’s in Northern Europe with the development of geoarchaeological approach. When dealing with the characterization of human activity, grasped for a long time in pre-historic researches, analysis of archaeological soils is based on the hypothesis that different human activities produce different types of deposits recorded in the stratigraphy.Especially in urban context, the functional aspect has to deal with dark earth, a thick and enigmatic deposit common in towns of Roman origin. These soil layers appear as homoge-neous and humic, and represent some ten centuries of urban land use from 3rd-4th to 10th-12th cent. Geoarchaeological approach brings to light depositional and post-depositional processes in their accumulation and transformation. Where interdisciplinary researches are led, dark earth layers appear to result from diverse activities, not solely agricultural. More widely, these strata show evidence for urban continuity in Late Antiquity and Early Middle Ages, which involve the idea of a diversified urban landscape.

archéologie et aNthropologie des relatioNs hoMMe-aNiMal

Laure FoNtaNa*

* LAMPEA Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique, UMR6636

Identifier la place et le rôle des animaux dans les sociétés préhistoriques et historiques en étudiant les vestiges d’origine animale conservés dans les occupations humaines ré-vélées par l’archéologie est le dessein de l’archéozoologie. Or, le statut symbolique, social et économique de l’animal, propre à chaque culture, ne nous est pas accessible à un même niveau selon les sociétés, les régions du monde, les périodes chronologiques et

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les espèces animales. Par exemple, la nature et la rareté des restes exhumés dans les sites préhistoriques réduisent l’objectif initial, principalement à la connaissance du statut économique de l’animal, via l’étude des ressources animales exploitées par les sociétés de chasseurs-cueilleurs. La diversité des contextes, la multiplication des collections fauniques, l’évolution des disciplines archéologiques, dont l’archéozoologie, ont pourtant modifié la nature et élargi la gamme des questions adressées à ce type de vestiges, considérés de-puis longtemps comme détenteurs d’informations essentielles à la compréhension des systèmes culturels. La conséquence en fut la production d’analyses archéozoologiques et de publications dont les champs d’investigation ont progressivement recouvert ceux de l’étude des autres vestiges, certaines questions étant en partie communes à celles d’autres disciplines de l’archéologie.Cette présentation propose d’exposer les conséquences d’une telle évolution dans notre conception de l’étude des relations Animal-Sociétés, dans nos méthodes d’étude des ves-tiges archéologiques et dans les résultats produits. À partir de l’exemple de l’étude des sociétés paléolithiques et mésolithiques de l’Europe de l’ouest, nous montrerons que la difficulté de franchir le seuil de la multidisciplinarité (et ses conséquences en termes de connaissance) est due à une conception de l’étude des sociétés en archéologie ainsi qu’à des pratiques disciplinaires, qui elles, ont peu évolué. En effet, on peut souligner la rareté des questions communes et la persistance d’interrogations cloisonnées : les nouvelles données, n’étant pas sollicitées pour documenter une question commune, peuvent dif-ficilement susciter des questions transverses. Certaines études alternatives récentes, qui ont tenté de formuler des questions communes et les interrogations transverses qui en découlent, seront présentées afin d’illustrer l’enjeu d’une telle perspective globale.

ageNt-Based Models For geNeratiNg aNd uNderstaNdiNg aN “archéologie eN MouveMeNt”

Timothy kohler*

* Washington State University

Key Words: Agent-Based Modeling, Neolithic, Village Formation, Social Evolution

How do we combine in a single model data on climatic variability, the effects on production of that variability, and a decision model about how humans should locate themselves on that lands-cape? I report on a decade-long effort, the “Village Ecodynamics Project” (http://village.anth.wsu.edu/) that has built such a model and compared it to the abundant demographic and sett-lement data for the period from AD 600 for an 1,800 km2 area in southwestern Colorado, USA.

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Our most important findings include:1. that movement into and out of our area is conditioned more by low-frequency changes in temperature than by high-frequency changes in precipitation,2. that “aggregation” (the process of village formation out of smaller, earlier hamlets) seems to be connected primarily to regional population size and incidence of violence,3. that within each of the two population cycles that we can discern in our local record, there is a detectable tendency towards increasing movement towards locations that are optimal with respect to satisfying household-level needs for calories, protein, water, and fuelwood.I close by reviewing current directions for model development, which focus on developing methods by which groups of households can form and collaborate on these landscapes, in competition with other similar groups. The eventual goal is to model the process of “social evolution”—the appearance of increasingly large social and political groups that we see in this record, and in most other parts of the early Neolithic world, through time.

Modéliser la chroNologie

Philippe laNos*

* IRAMAT Institut de Recherches sur les Archéomatériaux, UMR5060

Mots-clés : Datation, Chronologie, Statistique bayésienne, Modélisation, Information, Incertitude

La multiplication des données chronologiques fournies aussi bien par les laboratoires de datation que par les fouilles et l’analyse des mobiliers, durant les dernières décennies, pose la question de leur traitement selon des méthodes efficaces et reproductibles, ceci dans le but de construire des chronologies fiables, autrement dit de quantifier au mieux la suc-cession des événements dans le temps. Il s’agit tout à la fois de caler les événements sur l’échelle du temps calendaire et d’estimer la durée des phénomènes étudiés, en prenant en compte toutes les incertitudes. Il existe donc un réel besoin de disposer d’outils d’analyse des données chronologiques.Depuis une vingtaine d’années, des archéologues, des archéomètres et des statisticiens collaborent au développement de tels outils. Par exemple, les outils de l’analyse facto-rielle des données permettent d’aborder la question. Les travaux menés au sein de l’UMR CITERES, à l’Université de Tours, avec Philippe Husi, dans le domaine de la chrono-typo-logie, s’appuient en effet sur une analyse factorielle des contextes archéologiques et sur la construction d’un modèle de régression où le temps est écrit comme fonction des coor-données factorielles. Par ailleurs, une autre branche des statistiques a donné naissance à de nombreuses applications à la chronologie : il s’agit de l’analyse bayésienne (du nom du mathématicien Bayes, 1702-1761) dont les éléments de base sont de deux types :

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1. les données chronologiques X (ce sont les observations : par exemple âges 14C avec erreurs standard), exprimées sous la forme de variables aléatoires qui suivent une loi d’échantillonnage f(X|q) dépendant de paramètres q,2. les paramètres q (par exemple les temps calendaires) qui sont inconnus mais sur lesquels on dispose d’une connaissance préalable (par exemple une contrainte stratigraphique et une courbe de calibration qui permet de relier l’âge à la date calendaire), dite a priori, exprimée sous la forme d’une distribution de probabilité π(q). La formule de Bayes permet alors d’exprimer la distribution de probabilité de q, dite a posteriori, conditionnellement aux données observées, soit π(q|X) = f(X|q) . π(q), à une constante de normalisation près. Ainsi, nous pouvons déterminer les dates calendaires d’un ensemble de datations radio-carboniques quand on dispose d’une information a priori sur la datation relative imposée par la stratigraphie.On voit au passage qu’il est possible, via cette approche, de combiner des informations quantitatives (avec leurs incertitudes) avec des informations qualitatives (ici l’ordre sé-quentiel). La distribution a posteriori permet de résumer l’ensemble des connaissances (des incertitudes) sur la variable d’intérêt : ici le temps calendaire q. Le succès de cette approche repose sur la facilité avec laquelle il est possible d’incorporer plusieurs sources de données et de connaissance dans des modèles qui peuvent être très complexes, et sur la capacité à prendre en compte les sources de variabilité et d’incertitude intervenant aussi bien sur les données que sur les paramètres de la modélisation. Les inférences et les prédictions produites par cette modélisation s’expriment alors sous une forme probabiliste qui synthétise et résume nos connaissances sur l’ensemble des événements étudiés.Dans la pratique, l’analyse bayésienne demande une grande puissance de calcul : elle n’a été rendue possible que grâce au développement récent du calcul numérique (méthodes MCMC : Monte Carlo par chaînes de Markov) et de l’informatique. La mise en œuvre de l’approche bayésienne en chronologie remonte aux années 90 (cf. travaux précurseurs de Buck et al.). Elle a donné naissance à des logiciels tels que BCal (Buck et al., Univ. de Sheffield, UK), OxCal (Bronk Ramsey, Univ. d’Oxford, UK), RenDate (Lanos et Dufresne, IRAMAT-CRPAA, Univ. Rennes 1 et Bordeaux 3), pour en citer quelques-uns. Les toutes premières applications ont porté sur la calibration des âges 14C (conversion des âges en dates calendaires), puis sur le traitement de séries de datations 14C prises dans des sé-quences stratigraphiques. Les applications sont maintenant variées et vont dans le sens de l’intégration de données chronologiques de plus en plus nombreuses, d’origine va-riées (radiocarbone, TL/OSL, archéomagnétisme, chrono-typologie, etc.), appartenant à des contextes stratifiés multiples (diagrammes de Harris), et présentant des contraintes de corrélation chronologique plus ou moins fortes (basées sur les similarités de faciès). Les modèles bayésiens proposés font intervenir les notions de contemporanéité, de succes-sion (basée sur la stratigraphie ou sur des critères d’évolution), de « fait » appelé encore « ensemble d’événements dépendants », ou encore de phases ou ensemble d’événements indépendants mais limités dans le temps selon des contraintes elles-mêmes paramétrables a priori (modélisation bayésienne dite hiérarchique). Ces modèles ouvrent la voie à l’étude de sites archéologiques pour lesquels on ne dispose que de données chrono-typologiques et stratigraphiques, c’est-à-dire sans datations « de laboratoire ». Des modèles encore plus complexes peuvent faire intervenir des relations avec la profondeur sédimentaire (ce sont les modèles âge-profondeur mis en œuvre dans les études paléoenvironnementales ;

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cf. logiciels tels que OxCal, RenCurve…), ou encore avec des mesures physiques comme en archéomagnétisme (enregistrement de la variation séculaire du champ magnétique terrestre ; cf. logiciel RenCurve). D’autre part, les développements en cours portent sur une meilleure prise en compte de la pertinence des datations : l’approche bayésienne offre cet avantage d’apporter des solutions très convaincantes aux problèmes posés par l’existence de données aberrantes (outliers) : datations qui sortent du lot, datations qui contredisent une contrainte stratigraphique. Enfin, des recherches utilisant l’outil bayésien sont menées pour apporter une solution alternative au problème de la synchronisation de séries de mesures comme en dendrochronologie (variation annuelle des largeurs de cerne d’arbres) ou en magnétostratigraphie (séquences d’inversions de polarité du champ magnétique terrestre).Les applications de la modélisation bayésienne à la chronologie n’en sont sûrement qu’à leur début. Il existe une demande importante de la part de la communauté archéologique en ce domaine, un besoin d’outils pour construire des scénarios historiques vérifiables (qui énoncent à la fois les données, les relations utilisées, les a priori placées sur les pa-ramètres) et fiables (la règle de Bayes nous en donne les moyens). Toutefois, la mise en œuvre de ces outils nécessite des compétences en statistiques qui ne sont pas à la portée de tous les utilisateurs. De ce point de vue, la mise à disposition de logiciels libres n’est pas sans danger. Aussi, il semble évident que la modélisation chronologique devient une spécialité à part entière de l’archéométrie et des archéosciences, un lieu de développement méthodologique et d’interfaçage entre disciplines, en l’occurrence entre les statistiques et l’archéologie, qui doit être intégré dans des problématiques historiques bien posées.

la ModélisatioN de l’iNForMatioN spatio-teMporelle

Bastien leFeBvre*, Xavier rodier** et Laure saligNy***

Réseau ISA : Information Spatiale et ArchéologieGDR 3359 MoDyS : Modélisation des dynamiques spatiales* TRACES Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés, UMR5608** CITERES Centre Interdisciplinaire CItés, TERritoires, Environnement et Sociétés, UMR6173*** Maison des Sciences de l’Homme de Dijon, UMS2739

Les sciences historiques sont indissociables du temps ; en archéologie cette notion re-couvre plusieurs pratiques comme l’élaboration de la chronologie relative à l’échelle de la fouille, l’établissement de datations avec des granularités différentes selon les mé-thodes appliquées, l’étude diachronique de lieux et de territoires. Les multi-temporalités à l’œuvre se distinguent plus ou moins nettement entre le temps hétérogène et lacunaire des sources mobilisées, et le temps plus continu du discours historique, oscillant entre

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courte et longue durée.Comme archéologues, notre ambition est de travailler sur les processus de transforma-tions des phénomènes historiques spatio-temporels à travers l’observation des héritages, des inerties, des trajectoires et des dynamiques inscrits dans la spécificité du temps long de la formation de l’espace. Appliquée à l’archéologie urbaine depuis plusieurs années, la modélisation de l’information spatio-temporelle que nous proposons est le fruit d’un travail collectif.Dès les premiers temps de l’archéologie urbaine dans le courant des années 1960, l’ob-servation des changements de la topographie historique a reposé sur la caractérisation des objets constituant le paysage urbain dans un espace support, selon une approche résolument fonctionnelle de la ville. Ce modèle comparatiste se fondait sur les modes de classification archéologique et la culture des bases de données relationnelles. Avec l’arri-vée dans nos disciplines des systèmes d’information géographique dans les années 1990 et 2000 et l’appropriation par les archéologues de certains concepts de la géographie, les propriétés spatiales des objets historiques ont été intégrées dans les recherches centrées sur l’analyse archéologique des processus de formation des villes. Cependant, dans ces approches spatio-temporelles, le temps reste assujetti à l’espace puisqu’il est le plus sou-vent considéré comme un simple attribut affecté aux objets topographiques. De nouvelles approches doivent permettre une analyse conjointe du temps et de l’espace. L’enjeu est la réappropriation du temps par les archéologues/historiens dans l’analyse des dynamiques spatiales.Pour l’étude de la fabrique de la ville dans la longue durée, l’objet historique (OH) consti-tue l’unité analytique de l’espace urbanisé ancien permettant de décrire la totalité de l’information reconnue : il s’agira par exemple d’une église, d’un cimetière, d’une habita-tion, d’un marché, etc. Chaque objet historique est défini comme une unité distincte des autres de manière univoque par ses propriétés fonctionnelle (usage social, interprétation), spatiale (localisation, étendue et morphologie) et temporelle (datation et chronologie). Les objets historiques sont ensuite déconstruits selon ces trois dimensions fondamentales  : leur interprétation en entité fonctionnelle (EF) à l’aide d’un thésaurus adapté, leur loca-lisation et leur emprise en entités spatiales (ES), et leur datation ou leur durée en entités temporelles (ET). Loin de séparer et d’analyser distinctement les fonctions, l’espace et le temps, cette modélisation permet de réaliser un analyse approfondie qui met en évidence des dynamiques spatiales et des rythmes de transformation.Les analyses et les interprétations que nous proposons sont issues de l’application de cette modélisation des informations archéologiques à trois échelles d’analyse distinctes – la fouille, le quartier et la ville – à Tours. Nous insisterons sur les différentes catégories d’information obtenues à partir du modèle, tout en soulignant la spécificité des sources mobilisées et les travers que ces dernières introduisent dans l’analyse. Nous montrerons également la valeur heuristique de la démarche sur les processus d’élaboration du raison-nement archéologique. Surtout, cette approche multi-scalaire nous permettra d’insister sur la nécessaire complémentarité de telles approches afin de saisir au mieux la complexité des phénomènes archéologiques.

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espaces MariNs/espaces NoMades : l’adaptatioN de l’hoMMe daNs les archipels de patagoNie

Dominique legoupil*

* ArScAn Archéologies et Sciences de l’Antiquité, UMR7041

L’adaptation de l’homme dans les archipels de Patagonie renvoie à un phénomène uni-versel même s’il peut paraître paradoxal : l’homme, ce mammifère terrestre, a toujours fini par explorer et s’approprier un domaine qui n’était pas le sien et dans lequel il lui est difficile de survivre, la mer. La Patagonie est emblématique de ce mouvement qui, comme dans l’Arctique, s’est déroulé dans des conditions extrêmes, et à un moment —le milieu de l’Holocène—où la pression démographique était très faible… Sans pouvoir répondre au pourquoi, difficile à atteindre, il convient d’établir le comment : comment des chasseurs-cueilleurs nomades se sont-ils installés dans ce milieu marin dangereux ? Quelles furent leurs réponses à un environnement riche mais aléatoire ?C’est à cette tâche que se sont consacrées, depuis près d’un siècle et demi, des recherches françaises, pionnières dans la région. L’archéologie a aujourd’hui succédé à l’ethnologie, les deux méthodes étant complémentaires. Ces recherches ont présenté dès l’origine un caractère encyclopédique, l’étude de l’homme étant menée parallèlement aux observa-tions sur son environnement, comme en témoignent les sept volumes de la Mission Scien-tifique du Cap Horn publiés entre 1887 et 1891. Elles convergent vers un constat : les sociétés sont comme les hommes : « toutes parentes, toutes différentes ».

paléocliMats et sociétés: du local au gloBal

Michel MagNy* et al.

* Laboratoire Chrono-Écologie, UMR6565

Au cours des 30 dernières années, le domaine palafittique subalpin, au nord et au sud des Alpes, a connu un développement remarquable des recherches paléoenvironnementales. Les données accumulées et les expériences acquises offrent aujourd’hui l’opportunité de s’interroger sur les stratégies de recherche, ainsi que sur les relations qui ont pu exister entre l’histoire du climat et celle des premières sociétés agricoles du Néolithique et de la Protohistoire. Elles offrent également de précieuses références pour évaluer tout à la fois les processus et l’amplitude du réchauffement climatique qui affecte nos sociétés contemporaines.

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peupleMeNt et territoire daNs la loNgue durée : 20 aNs d’expérieNce pour de Nouvelles perspectives

Laure NuNiNger*, Frédérique BertoNcello**, François Favory*, Jean-Luc Fiches***, Jean-Jacques girardot****, Claude rayNaud***, Lena saNders***** et Hélène MathiaN*****

* Laboratoire Chrono-Environnement, UMR6249** CEPAM Centre d’Etudes Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge, UMR6130*** Archéologie des Sociétés Méditerranéenne, UMR5140**** ThéMA Théoriser et Modéliser pour Aménager, UMR6049 / MSHE C.-N. Ledoux USR3124***** Géographie Cités, UMR8504

Mots-clés : Système de peuplement, Réseaux d’habitat, Territoires, Mutations, Longue durée, Analyse multivariée, Hiérarchie, Typologie

Dans les années 80, le développement des programmes de prospection-inventaire a permis de totalement renouveler nos connaissances des modes d’occupation du sol en permettant d’envisager un habitat dans son contexte environnemental et territorial, à l’échelle micro-régionale, voire régionale. Passées les phases d’enregistrement et d’analyse cartographique de l’occupation du sol, l’engouement occasionné par la multiplication des données ainsi collectées a ensuite fréquemment fait place au désarroi devant l’indigence des données de prospection archéologique et les difficultés rencontrées pour les analyser et les interpréter. Utiliser ce type de données pour mieux comprendre les dynamiques so-cio-environnementales qui ont contribué à modeler nos territoires, est toutefois un enjeu qui guide, depuis plus de 20 ans, un collectif de chercheurs dans une entreprise de longue haleine visant à extraire le maximum d’informations de ces données modestes et très hé-térogènes. Ce travail, mené dans le cadre du GDR 954 « Archéologie de l’espace rural mé-diterranéen dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge » (CRA CNRS, Valbonne,1990-1993), de deux programmes européens Archaeomedes I (1992-1994) & II (1996-1998), d’une ACI et d’une ANR Archaedyn I (2005-2007) & II (2009-2011) se situe dans une approche quantitative et résolument spatiale. De fait, il implique une réflexion approfondie sur les interactions entre lieux d’habitat, ou plus généralement entre lieux où l’on enregistre une activité passée, qui dépasse la relation binaire entre un site archéologique et l’espace géo-graphique qui le contient (cf. occupation du sol). Dans ces conditions, le collectif s’est atta-ché à caractériser les établissements (c’est-à-dire les lieux où des individus se sont installés pour développer une activité), non pas dans leur singularité (typologie descriptive), mais dans leur positionnement relatif les uns par rapport aux autres (typologie hiérarchique). Ce cadre théorique est à l’origine du concept de « réseau d’habitat » qui est ici considéré comme l’objet d’étude permettant d’appréhender les dynamiques territoriales dans la lon-gue durée. C’est donc la perception des relations qu’entretiennent avec leur environne-ment un groupe d’habitats interconnectés, et non pas des habitats pris individuellement, qui constitue le fondement de nos travaux. Si les problématiques abordées, l’organisation socio-économique et politique d’une part et les interactions homme-milieux d’autre part,

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ne sont pas nouvelles, ce modèle est innovant car il permet d’envisager l’intégration de ces deux perspectives pour aborder les questions de durabilité, de résilience et d’innovation des anthroposystèmes.Après avoir présenté les concepts et explicité les hypothèses générales sur lesquelles se fondent les travaux des collectifs successifs, nous nous focaliserons sur la méthode utilisée pour caractériser les établissements et leur relations. Cette présentation sera l’occasion de synthétiser les résultats des expériences menées depuis plus de 20 ans sur de multiples bases de données, dans plusieurs micro-régions en France et à l’étranger, pour différentes périodes et à plusieurs échelles de temps et d’espace. On s’intéressera en particulier à la robustesse des critères utilisés pour la caractérisation de l’habitat et à la façon dont ils structurent l’information pour montrer l’apport des approches comparatives dans l’éla-boration de nouvelles connaissances sur les systèmes de peuplement passés. Enfin, on montrera en quoi ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives :1. pour effectuer une analyse intégrée de corpus de qualité variable (ANR Archaedyn),2. pour prendre en compte le facteur humain dans la modélisation prédictive en archéolo-gie (PHC Van Gogh Introducing the human (f)actor in predictive modelling for archaeology 2010-2011),3. pour envisager l’étude des mutations du système de peuplement dans la très longue durée en utilisant le cadre expérimental de mondes artificiels étudiés dans un processus dynamique (ANR TransMonDyn, 2011-2014).

teMps des vestiges et MéMoire du passé : traces, eMpreiNtes, paliMpsestes

Laurent olivier*

* Musée d’Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye

Dans la tradition occidentale, l’idée d’archéologie procède de la notion grecque d’archaio-logia. Archaiologia, ou discours sur les choses anciennes : pour les Grecs, l’archéologie se définit avant tout comme l’exposé des origines. Alors que l’histoire a pour ambition de dire ce qui s’est passé, l’archéologie a pour objet de montrer de quoi était fait le passé. Ou, pour le dire autrement : si l’histoire traite des événements, l’archéologie s’occupe de la mémoire du passé. Ce sont là deux perspectives tout à fait différentes, bien qu’elles portent l’une et l’autre sur un même sujet ; à savoir ce que nous pouvons savoir du passé. Aussi, ce ne sont pas tant par leurs objectifs que par leurs matériaux que l’histoire et l’archéologie divergent. Au contraire de l’histoire, qui s’érige en elle-même comme une dé-marche d’enquête spécifique, l’archéologie n’a d’existence que par les objets, ou les restes matériels, à partir desquels elle doit construire un savoir. Les Romains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, qui, au lieu d’archéologie, parlaient, eux, d’antiquités (antiquitates). Depuis ses origines, l’archéologie procède de la collection ; elle est dédiée aux restes de choses,

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ou plus exactement aux ruines, aux débris : aux déchets de l’histoire. Tout était déjà dit, donc, avant même que l’archéologie ne prenne cet essor extraordinaire qu’elle devait connaître aux XIXe et XXe siècles. Il est frappant de constater combien la discipline archéologique s’est développée dans la perspective gréco-romaine tracée par cette archéologie des antiquités. Car l’archéologie s’est constituée à partir d’une accumu-lation d’objets : c’est parce que l’on a découvert de nouveaux vestiges du passé, que l’on n’avait pas identifiés jusqu’alors en tant que tels, que de nouveaux pans de « l’histoire des origines » se sont imposés. L’irruption de ces nouveaux objets du passé s’est accélérée au XIXe siècle, pour prendre une allure massive dans les années 1850-1860, où l’essentiel du champ actuel de l’archéologie s’est mis en place. On a d’abord découvert les vestiges d’une humanité « d’avant l’histoire », qui a imposé la reconnaissance d’un « âge de la Pierre » ayant largement précédé l’antiquité classique. Très rapidement, la prolifération des découvertes a imposé l’évidence de l’existence d’une « Protohistoire » située entre la Préhistoire et la civilisation romaine ; tandis que, dans le monde méditerranéen, s’agençait la succession des grandes civilisations pré-classiques. Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’extension de l’archéologie à de nouvelles périodes chronologiques s’est effectuée de la même manière : c’est parce que les fouilles ont apporté une masse nouvelle de matériaux des périodes médiévales et modernes que l’archéologie de ces époques a pu se constituer. Depuis une dizaine d’années, un processus analogue se dessine actuellement pour l’ar-chéologie de la période contemporaine, voire du passé très proche du XXe siècle. Pourtant, on ne fait pas de l’Histoire avec des pierres et des tessons : on ne fait que raconter des histoires. Est-ce à dire que l’archéologie est définitivement condamnée à l’inconsistance ? Oui, si nous persistons à vouloir faire de l’archéologie cette discipline para-historique qu’elle n’a pas vocation à être. Non, si l’on considère que l’objet de l’ar-chéologie échappe fondamentalement à l’histoire, qu’il est rebelle à toute inscription dans l’histoire. Car ce ne sont pas les événements du passé, ni même les choses du passé tel qu’il était jadis qui constituent le matériau de l’archéologie : c’est la mémoire des choses matérielles. « La nature aime à se cacher » dit Héraclite, qui ajoute, toujours mystérieux : «  si l’on n’attend pas l’inattendu, on ne le trouvera pas, car il est difficile à trouver ». En effet, le passé est caché dans les restes archéologiques qui, du coup, ne disent pas nécessairement ce que leur apparence formelle semble vouloir signifier. Nous devons re-chercher ces signes qui constituent, par excellence, le matériau de l’archéologie. Un indice, un signe : dans le langage médical, on appelle cela un symptôme. Un symptôme est non seulement un signal, mais c’est surtout une manifestation qui s’exprime, dans le visible, pour quelque chose qui agit dans le non visible. De cela nous devons comprendre ceci : les vestiges archéologiques ne sont pas les témoins de l’histoire du passé, ce sont au contraire les témoins de l’existence, au présent, d’une mémoire active du passé. L’archéologie doit être repensée comme une discipline qui serait spécifiquement à l’écoute de ces symptômes de la mémoire matérielle que sont les vestiges archéologiques. Le nœud de la compréhension de la construction de cette mémoire enfouie, ou cachée, se trouve dans l’appréhension des mécanismes de répétition, ou de réitération. A chaque fois, en effet, qu’une forme est créée dans la matière, elle est en fait reproduite. La répétition introduit, en soi, la transformation, dans la mesure où l’acte de création est, fondamenta-lement, un acte de négociation : ce qui vient doit trouver sa place juste parmi tout ce qui l’entoure et qui a été créé avant lui. C’est pourquoi les formes évoluent : graduellement

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leur morphologie se transforme ; tandis que l’organisation de leur squelette, demeure, mal-gré des transformations parfois spectaculaires. Cette structure fondamentale des formes est ce que nous pourrions appeler la structure typologique ou iconologique des créations ou des représentations matérielles. L’étude des transformations des objets produits au cours du temps consiste à élaborer cette paléontologie des formes.Est-ce à dire, dans ces conditions, qu’il faille abandonner la perspective historique fonda-trice de l’archéologie, laquelle vise à restituer la réalité matérielle du passé ? Certainement pas. En fait, la méconnaissance fondamentale du fonctionnement des « objets-mémoire » que sont les vestiges archéologiques pousse la discipline archéologique vers une forme d’histoire archaïque. C’est paradoxalement la dimension historiciste de l’archéologie qui l’empêche depuis toujours de se constituer en discipline véritablement historique. Elle ne le peut pas, car, comme elle assimile les vestiges du passé à des témoignages explicites de la réalité des temps anciens, elle se trouve dépourvue de la possibilité d’en faire des objets d’histoire en tant que tels ; c’est-à-dire des objets qui interrogent l’histoire ou, plus exactement, qui la mettent en question.La réponse à ce problème est d’ordre théorique ; c’est-à-dire qu’il faut à l’archéologie trouver son objet véritable. Cet objet n’est pas le passé, mais ce qu’il convient d’appeler les sujets du passé : si l’histoire cherche à reconstituer ce qui s’est passé, l’archéologie dit ce qui est arrivé aux « existants » du passé. Par existants, il faut entendre les êtres et les choses qui constituent l’univers matériel des collectifs humains. L’archéologie examine, dans la diversité des échelles du temps et de l’espace, comment ces existants ont « pris » les événements du passé ; c’est-à-dire comment, selon les statuts et les héritages divers dont ils procèdent, ils ont reçu ces évolutions et comment, à l’inverse, ils ont contribué à les construire. Dans cette configuration, l’archéologie n’est plus la simple illustration ma-térielle de l’histoire, mais elle devient au contraire un champ d’observation privilégié sur le monde, qui enrichit l’histoire de toute la diversité des trajectoires individuelles développées par les sujets de l’univers matériel.

iNdustries extractives : des techNiques aux paléopollutioNs

Christophe petit*

* ARTéHIS Archéologie, Terre, Histoire, Sociétés, UMR5594

La lecture des archives paléoenvironnementales des exploitations minières du Morvan (France) : conséquences historiques et environnementales

Les recherches initiées par le Centre Archéologique Européen de Bibracte ont permis de décrypter les archives paléo-environnementales, en particulier les paléo-pollutions mé-talliques associées aux exploitations minières dans le Morvan, au coeur du pays éduen

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(Monna et al. 20041). La première étude associant palynologie et géochimie, concernait la tourbière du Port-des-Lamberts (Nièvre). Opérée en complément de la détermination des concentrations en éléments traces métalliques, l’analyse pollinique nous renseigne sur l’évolution du couvert végétal au cours du temps, tandis que la mesure des isotopes du plomb, sorte d’empreinte digitale chimique, nous informe sur l’origine des polluants. Une fois datés par radiocarbone, ces signaux géochimiques et paléobotaniques conservés dans la colonne de tourbe peuvent être transcrits en terme historique. La concomitance des réponses palynologiques et géochimiques ont permis de démontrer que le signal que nous analysions était d’origine locale, et non globale. Les polluants stockés étaient essen-tiellement d’origine locale, puisque les pollutions métalliques étaient contemporaines de défrichements sélectifs mis en évidence sur les diagrammes palynologiques par une chute de la représentation du hêtre dont le bois devait être particulièrement recherché pour son pouvoir calorifique et pour les boisages miniers. Les profils en concentration et en compo-sition isotopique du plomb révélaient la présence d’émissions de polluants anthropiques dès la fin de l’Age du Bronze dans cette région, c’est-à-dire bien avant la fondation de l’oppidum celtique de Bibracte. Pendant la période éduenne, les flux contaminants étaient importants, probablement du fait d’une exploitation minière plus soutenue. Durant le Ier siècle ap. J.-C., le signal géochimique traduit un net recul du travail du métal, le site de Bibracte ayant été effectivement abandonné au profit d’Autun, éloigné de plus d’une ving-taine de kilomètres. L’attractive richesse minérale du Morvan avait donc très probablement compté pour les premières populations protohistoriques.L’inventaire cartographique des traces géomorphologiques laissées par ces exploitations (grandes tranchées…) et la cartographie des principales anomalies métalliques identifiées sur le haut-Morvan (corpus du BRGM) confirme que le Morvan a fait l’objet d’une large exploitation pour ses richesses métalliques.L’analyse de nouvelles séquences de tourbe réparties sur l’ensemble du massif du Morvan a permis de nuancer ces premiers résultats : le développement de la paléométallurgie pourrait être diachrone à l’échelle même d’un petit massif métallifère. Il faudra donc, spa-tialiser cette histoire de la métallurgie issue des archives environnementales, l’étendre à d’autres massifs afin de reconstituer une histoire de la production de métal à l’échelle européenne intégrant à ces archives naturelles la documentation culturelle que nous livre l’archéologie depuis longtemps. On devrait alors traiter le corpus des productions métal-liques afin de mettre en lumière des spécificités régionales, traduction probable d’approvi-sionnement en minerais et des savoir-faire différents.De plus, sans détailler le calendrier des exploitations minières, cette approche conduite sur le Massif du Morvan permet de dégager un diagnostic environnemental surprenant : plus de la moitié des apports anthropiques en plomb ont eu lieu sur le site avant le XVIIe siècle, et près d’un quart avant le début de notre ère. L’étude de cet héritage de plomb pourrait permettre à l’avenir de mieux cerner le comportement sur le long terme de nos contami-nations actuelles. Les pollutions doivent être analysées sur le temps long. La reconstruction des interactions entre les civilisations passées et leur environnement pourrait donc per-mettre à l’avenir de mieux cerner le comportement sur le long terme de nos contamina-tions actuelles et d’en évaluer l’héritage.L’homme a depuis plus de 3 000 ans exploité du minerai dans cette région, certainement de façon artisanale, mais la pollution qui en résulte et qui est stockée dans les sols, atteint

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des valeurs très élevées (plus de 3 µg/cm2). La persistance des polluants métalliques dans l’environnement n’est pas encore complètement élucidée, car les processus bio-géochi-miques sont complexes, cependant les sols actuels conservent en héritage cette pollution ancienne. Cette longue histoire des exploitations minières anciennes reste à écrire afin de mieux cerner le risque éco-toxicologique actuel de ces environnements finalement très anciennement perturbés par les actions humaines et dont nous devons gérer l’héritage.

1 Monna, F., Petit, C., Guillaumet, J.-P. et al. (2004) History and environmental impact of mining activity in celtic aeduan territory recorded in a peat bog. Environmental Science and Technology, 38, 3, 665-673

Équipe de recherche : Isabelle Jouffroy-Bapicot**, Estelle Camizzuli*, Benoit Forel*, Mareva Gabillot*, Claude Gourault*, Jean Paul Guillaumet*, Rémi Losno***, Fabrice Monna*, Claude Mordant*, Christophe PETIT*, Hervé Richard*** ARTéHIS Archéologie, Terre, Histoire, Sociétés, UMR5594** Laboratoire Chrono-environnement, UMR6249*** LISA Laboratoire Inter-universitaire des Systèmes Atmosphériques, UMR7583

l’écoNoMie, eNtre oBJets et textes : le cas de la docuMeNtatioN MycéNieNNe (grèce, BroNze réceNt)

Françoise rougeMoNt*

* ArScAn Archéologies et Sciences de l’Antiquité, UMR7041

L’économie des sociétés de l’âge du Bronze en Grèce est pour l’essentiel étudiée presque uniquement d’après les témoignages archéologiques. Si la Crète connaît, dès le Minoen Moyen II (ca. 1800-1700 av. J.-C.), une puis deux écritures, hiéroglyphique et linéaire A – qui coexistent pour un temps mais restent toutes les deux non déchiffrées –, des textes apparais-sent, dans des niveaux datés, pour les plus anciens, à Cnossos, de ca. 1450 av. J.-C., rédigés en grec au moyen d’un syllabaire, sur des tablettes d’argile qui présentent des analogies nombreuses avec les textes cunéiformes du Proche Orient. Ces textes sont des documents économiques inventaires de magasins, listes de personnel, listes d’offrandes, enregis-trements de parcelles de terrains, documents fiscaux, comptabilité liée aux récoltes de céréales, à la production d’huile, de parfums, de tissus, d’objets métalliques, etc. Pour une période de 250 ans environ, jusqu’à la destruction finale des palais, l’historien de l’écono-mie mycénienne se trouve dans une situation documentaire privilégiée qui lui permet de confronter témoignages épigraphiques et archéologiques.

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De cette confrontation ressortent des informations complémentaires, mais parfois aussi contradictoires, au moins en apparence; en fait, dans bien des domaines, les deux corpus documentaires ne se recoupent pas, ou pas entièrement : d’abord, les tablettes ne docu-mentent que l’économie des palais, laissant dans l’ombre bien des aspects de la vie éco-nomique des particuliers, des communautés locales ou des sanctuaires, qui ne sont connus qu’à travers le prisme de leurs rapports avec l’administration des palais, ainsi que tous les secteurs de la vie économique qui n’intéressent pas le palais ou échappent à son contrôle. Ensuite, elles ne se sont conservées que dans des contextes de destruction par incendies, si bien que l’on ne possède, pour chaque archive, que quelques mois ou au mieux une année de la documentation économique produite par les scribes palatiaux. Enfin ce sont des brouillons de pièces comptables et la documentation définitive ainsi que les textes de référence, qui ont sans doute existé, étaient sans doute rédigés sur des supports, papyrus ou parchemin, qui n’ont résisté ni au passage du temps, ni aux incendies qui ont détruit les palais.En dépit de ces limites et à condition de ne pas tomber dans le piège d’un certain nombre d’illusions documentaires, cette situation permet de saisir, au travers du contrôle écono-mique exercé par les palais sur une partie de la vie économique des territoires dominés par eux, un tableau nuancé, quoique lacunaire, des activités et des rapports économiques entretenus par les palais et certaines catégories des populations dirigées par eux.

autour de l’oBJet – eNtre cogNitioN et Matériaux

Agnès rouveret*

* ArScAn Archéologies et Sciences de l’Antiquité, UMR7041

Mots-clés : Analyses physico-chimiques des matériaux, ES LARCHEOLOGIE TIQUEUR et poly-chromie, Archéologie de l’art antique et histoire de l’histoire de l’art, Imagination, Archéologie et rhétorique antiques

Imaginaire, symbolique et matérialité

On prendra comme fil directeur le thème de l’imaginaire de la couleur dans le monde gréco-romain pour montrer qu’à chaque étape de la redécouverte archéologique de l’anti-quité classique depuis l’époque moderne une certaine image de l’ « antiquité en couleur » s’est forgée autour de l’œuvre absente : imaginaire du tableau perdu et reconstruit par les peintres de la Renaissance à partir des ecphraseis de Philostrate ou de Lucien, polémiques au XVIIIe siècle sur la valeur des peintures murales de Pompéi et d’Herculanum ou débats sur la polychromie des temples grecs au siècle suivant. Les découvertes spectaculaires réalisées dans les trente dernières années associées aux nouvelles méthodes d’analyse des

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L’Archéologie en mouvement. Hommes, objets, espaces et temporalités – 23-25 juin 2010

pigments et des matériaux ainsi qu’aux ressources de l’analyse des images ont modifié radicalement notre vision de cette antiquité en couleur Ainsi dispose-t-on d’une gamme très variée de peintures pariétales, de reliefs et de sculptures, de décors architecturaux de facture très dissemblable en fonction des contextes qui sont aussi autant de textes à déchiffrer.Pour s’en tenir au domaine pictural, même si les tableaux de la tradition classique restent toujours inconnus, on constate grâce aux découvertes archéologiques que dès la fin du IVe siècle avant notre ère, les peintres disposaient d’un nombre étendu de techniques des-tinées à rendre l’apparence colorée, le mouvement complexe des figures dans l’espace et la représentation des éléments d’un paysage. Toutes ces innovations techniques reposent sur une observation minutieuse de la perception des couleurs et des volumes dont des échos très significatifs se trouvent dans les œuvres philosophiques de Platon et d’Aristote. C’est aussi dans ce contexte que se définissent au début du IIIe siècle avant notre ère les premières formes d’une histoire systématique des arts sur laquelle la découverte récente d’un recueil d’épigrammes attribuées au poète Posidippe de Pella jette un regard inédit. Or, dans ces premières théories de l’art, parmi les critères d’évaluation de l’œuvre d’art figurent l’emploi de la couleur et la capacité à construire de images en relation avec un spectateur idéal grâce à la faculté imaginative qui jette un pont entre l’artiste (ou l’écri-vain) et son public. Ainsi les découvertes récentes de l’archéologie en textes comme en objets d’art nous entraînent-elles vers une exploration inédite de certains aspects cognitifs dans l’antiquité classique dans une démarche interdisciplinaire où l’objet et le texte sont indissolublement liés.

This talk focuses on the representation and imaginary perception of colour in the Greco-Roman world. It will be argued that from the Renaissance onwards every “discovery” of an-tiques goes along with a specific way to imagine a coloured version of ancient monuments and artefacts: ancient masterpieces reconstructed by modern painters using Philostratus’s or Lucian’s ecphraseis, controversy about the artistic value of the mural paintings from the Ve-suvian cities, Pompeii and Herculanum, discovered in the XVIIIth century or discussions about the polychromatic decorations of the Greek temples in the next century. The amazing ar-chaeological discoveries made in the past 30 years, the new highly sophisticated methods of analysis of pigments and materials and the new resources from computerized imagery radi-cally modify our vision of this “Antiquity in full colours”. We have now at our disposal a great variety of mural paintings, sculptures, architectural decorations which show a vast range of technical achievements related to the various contexts for which they were built and which constitute a kind of text to decipher and interpret. If we limit our examples to ancient pain-ting, the famous pictures are still missing but the recent discoveries have demonstrated that the painters from the second half of the IVth century B.C. could use various and numerous techniques regarding the colors, the complex movements of figures in the space and the re-presentation of landscapes. These technical innovations are based on a keen observation of the subjective perception of colors and geometrical volumes. Some very significant echoes of these experiments can be found in some of Plato’s and Aristotle’s treatises.In the same historical context, a literature specialized in art criticism is elaborated in the first decades of the IIIrd century B.C. The recent discovery of a papyrus containing 112 epigrams

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attributed to Posidippus of Pella provides further evidence for the definition of some major critical concepts elaborated for visual arts in the Aristotelian tradition. It can be argued that among the main criteria applied to the classification of great painters and sculptors were the use of color and the capacity of building images in interplay with an ideal viewer. The psychological disposition which allows this communication is called phantasia (imagination).The purpose of this talk is to analyze some of these issues in the cognitive aspects of the realization and perception of ancient artefacts through a cross examination of texts and archaeological evidence.

techNologie et cogNitioN

Valentine roux*

* Préhistoire et Technologie, UMR7055

L’archéologie cognitive a pour ambition de contribuer à la question de la nature de l’Homme et des sociétés en proposant des études sur les capacités cognitives dévelop-pées par les groupes culturels au cours des âges. Parmi elles, les études sur les habiletés techniques y ont une place de choix. Elles permettent d’aborder différentes questions dont celle des habiletés développées par les inventeurs des techniques à l’origine de nouvelles lignées d’objets, parmi lesquels on trouve les premiers homininés. Cette question s’inscrit dans un ensemble de recherches menées à l’échelle internationale sur les mécanismes évolutifs de la culture matérielle. Son étude implique une forte interdisciplinarité. En effet, d’un point de vue méthodologique, si les vestiges archéologiques sont un témoin direct des performances de ceux qui en sont à l’origine, en revanche leur interprétation en termes de compétences nécessite de faire appel à un savoir situé à l’extérieur de l’archéologie, en l’occurrence un savoir développé par les sciences du mouvement, la neuropsychologie, l’ethnologie ou encore la primatologie. Les expérimentations de terrain sont le lieu par excellence des recherches interdisciplinaires sur le sujet.

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darwiN et l’archéologie préhistorique

Marie soressi*

* ArScAn Archéologies et Sciences de l’Antiquité, UMR7041 et Max Planck Institute for Evolutionary Anthroplogy

Cette communication sera l’occasion de discuter comment la Préhistoire a mis à profit les travaux de Charles Darwin et de ses successeurs. Charles Darwin a non seulement proposé une nouvelle vision de la diversité et de l’évolution du monde vivant mais il a aussi initié une réflexion sur l’influence des « instincts sociaux » et de la « civilisation » sur l’évolution de l’homme. Il a également contribué à poser les fondements de la modernité scientifique en établissant le matérialisme et l’antifinalisme comme deux principes méthodologiques fondamentaux des sciences de la nature. Plusieurs thèmes seront abordés, dont l’origine de l’homme et sa place dans le monde des vivants, l’évolution des civilisations et la notion de complexité, l’anthropocentrisme et enfin la distinction entre les faits et les valeurs.

Esquisse extraite du “First Notebook on Transmutation of Species”, Charles Darwin, 1837, conservé au Natural History Museum de Londres

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la déMarche archéologique : des terraiNs aux iNterprétatioNs

Stéphane verger*

* AOROC Archéologies d’Orient et d’Occident et textes anciens, UMR8546

L’archéologie actuelle procure deux sentiments contradictoires  : l’émerveillement et l’étouffement. Émerveillement devant les possibilités presque infinies offertes par des pro-cédures scientifiques toujours plus fines, donnant accès à des informations qui, il y a peu de temps encore, relevaient de l’utopie archéologique  : voir les micro-reliefs à travers le couvert boisé, reconnaître les traces d’événements traumatiques mineurs comme majeurs (une vague anormale sur le lac de Neuchâtel ou l’attaque trisannuelle des hannetons), reconstituer la composition des boissons ou des parfums, dater à la saison près (suivre les réparations d’une maison année après année) …Etouffement devant l’accroissement exponentiel de la documentation : sur les plus consi-dérables des chantiers actuels, on atteint aujourd’hui le demi-million de caisses de matériel recueilli en 5 ans (comme à Yenicapı, le chantier du métro d’Istanbul). Impuissance face aux destructions de toute nature, dont on a maintenant les moyens de quantifier les effets décennie après décennie (par le monitorage géophysique régulier des sites sensibles dans les milieux de forte érosion agricole, par exemple). Sentiment d’impuissance aussi face aux destructions massives et irrémédiables engendrées par le trafic d’antiquités, qui prend aujourd’hui des allures elles-mêmes industrielles ...Ces deux sentiments s’appliquent indistinctement à toutes les archéologies. Prenons quelques exemples  : d’un côté, l’amoncellement des caisses non étudiées dans des ré-serves pleines n’est pas le propre de l’archéologie préventive ; de l’autre, les procédures scientifiques et les méthodes les plus pointues peuvent être expérimentées sur des chan-tiers d’urgence, dans un partenariat entre laboratoires de recherche et services ou sociétés de fouilles préventives ; mais c’est aussi dans de grands bastions traditionnels de l’archéo-logie classique monumentale, comme aujourd’hui à Pergame, que peuvent être élaborées des stratégies innovantes d’exploration du territoire ; et c’est encore l’effort infatigable de générations de bénévoles qui est à l’origine de quelques-unes des avancées les plus impor-tantes de l’archéologie anthropologique du rite en milieu celtique… Il faudrait recenser systématiquement ces cas d’archéologies « à fronts renversés » qui mettent en pièce les préjugés sur les rôles respectifs des différents secteurs et des différentes spécialités de l’archéologie actuelle dans l’innovation scientifique. Et en définitive faire une histoire de l’archéologie actuelle qui serait celle des transferts de compétences entre les différentes archéologies, qu’il est d’ailleurs, en fin de compte, toujours plus difficile de distinguer les unes des autres.