analyseur du fordisme et du toyotisme

23
Actes du GERPISA N°9 161 VOLVO-UDDEVALLA, ANALYSEUR DU FORDISME ET DU TOYOTISME Michel Freyssenet * * CNRS Paris, IRESCO-CSU.

Upload: slaheddine-dardouri

Post on 30-Sep-2015

16 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Analyseur Du Fordisme Et Du Toyotisme

TRANSCRIPT

  • Actes du GERPISA N9 161

    VOLVO-UDDEVALLA,ANALYSEUR DU FORDISME ET DU TOYOTISME

    Michel Freyssenet*

    * CNRS Paris, IRESCO-CSU.

  • Actes du GERPISA N9 162

    SOMMAIRE

    1. LES PRINCIPES FONDATEURS DU SYSTME INDUSTRIEL ACTUELET LEUR REMISE EN CAUSE PAR L'ORGANISATIONUDDEVALLIENNE

    2. COMMENT COMPRENDRE QUE LES MONTEURS PUISSENTMMORISER DES OPRATIONS D'ASSEMBLAGE NOMBREUSES ETVARIES ?

    3. COMMENT PEUT-ON APPORTER CHAQUE STATION DE MONTAGEFIXE LA TOTALIT DES PICES NCESSAIRES L'ASSEMBLAGED'UN VHICULE ?

    4. COMMENT COMPRENDRE QUE LE MONTAGE COMPLET EN POSTEFIXE PUISSE DEMANDER MOINS DE TEMPS QUE LE MONTAGE SURUNE CHANE MANUELLE OU PARTIELLEMENT AUTOMATISE ?

    4.1. L'quilibrage des postes de travail4.2. La monte en cadence et le changement de volume de production horaire4.3. La diversification du produit4.4. Les variations de l'effectif4.5. Les arrts de fabrication4.6. Quelle sont les conditions sociales runir pour obtenir du montage holiste en poste fixe

    les performances potentiellement suprieures qui sont les siennes ?

    5. LES POTENTIALITS DE PERFORMANCE GLOBALE

    5.1. L'investissement initial5.2. Le cot de lancement des vhicules5.3. Le pilotage par l'aval5.4. Les cots indirects5.5. La diversification du produit5.6. La qualit5.7. L'amlioration du produit5.8. Le rapport au client

    6. QUELLE EST LA NATURE DU SYSTME UDDEVALLIEN ? "UNERGRESSION TECHNIQUE", "UN CUL DE SAC DE PRODUCTIVIT"?OU BIEN UNE VOIE NOUVELLE POSSIBLE POUR PENSER ETDVELOPPER AUTREMENT L'AUTOMATISATION?

  • Actes du GERPISA N9 163

    Lvaluation des performances de lusine Volvo dUddevalla, caractrise par le montagecomplet de vhicules en station fixe par deux quatre ouvriers, se heurte deux difficults. Lesdonnes disponibles sont insuffisantes, soit parce que le contexte ne se prte plus ou pas encore ce que Volvo livre les informations ncessaires, soit parce que ces dernires nont pas trecueillies en leur temps. La deuxime difficult tient au fait que le systme tait en cours, nonseulement de mise au point, mais aussi proprement parler de dcouverte par ses propresconcepteurs41.

    Seule certitude, les temps de montage taient devenus Uddevalla infrieurs ceux raliss surchane classique pour le mme modle dans lusine-mre de Torslanda. Cela nautorisecependant pas considrer ce mode de montage industriellement intressant, voire suprieur.On peut estimer que les performances de Torslanda ntaient pas fameuses et que faire un peumieux ntait gure difficile. La rfrence pertinente est le temps obtenu par les constructeursjaponais pour un vhicule quivalent, et qui serait, si lon en croit les rsultats de ltude IMVP,deux fois plus court. Quand bien mme, les temps dUddevalla auraient approch ceux de laToyota-Cressida, il faudrait encore montrer que les possibilits de gains supplmentaires deproductivit taient importantes pour justifier de revisiter cette usine ferme.

    Bien que placs en situation dinformation insuffisante pour discuter utilement des rsultats etdes potentialits dUddevalla, nous ne sommes cependant pas dpourvus de moyens pertinentsde rflexion. Un de ces moyens consiste analyser les problmes de la chane classique (ouplus exactement dit du montage additif en ligne mobile) que le montage holiste en station fixedUddevalla rsoud, et dvaluer les avantages structurels de ce dernier mode de montage parrapport aux inconvnients et problmes qui lui sont propres. Cette faon de raisonner nest pasune mthode par dfaut. Quand bien mme disposerions-nous des donnes indispensables pourcalculer les performances dUddevalla, nous devrions de toute faon rechercher les raisons deces performances et explorer les limites et les potentialits du systme, et donc mener lanalyseprcdente.

    En procdant analytiquement de la sorte, il est possible de montrer que lon peut parvenir desperformances suprieures grce au montage holiste en station fixe, sous certaines conditionssociales, comme toute performance. Ce faisant, nous avons dcouvert, et ce nest pas lemoindre mrite du cas tudi, que lusine dUddevalla tait porteur de principes industrielsoriginaux de porte gnrale, et quelle fonctionnait du mme coup comme analyseur dufordisme et du toyotisme, et de ce qui unit et diffrencie ces deux modles productifs.

    Uddevalla, par sa conception holiste du travail et son organisation de la production en parallle,fait apparatre la communaut de principes industriels que partagent le fordisme et le toyotisme, savoir ladditivit et la production en ligne, et en mme temps leur diffrence, qui rside dansla faon dont ils mettent en oeuvre ces principes. Le toyotisme se montre alors comme unsystme dinnovations techniques, organisationnelles, gestionnaires et sociales, qui tendenttoutes limiter les consquences des problmes structurels de la production additive en lignedans un march de renouvellement et de varit, sans pour autant remettre en cause les principesindustriels qui sont lorigine de ces problmes.

    41Voir les textes ci-dessus de Kajsa Ellegard, Tomas Engstrom et Lennart Nilsson La rforme du travail

    industriel. Principes et ralits de la planification de lusine de montage automobile Volvo Uddevalla etdElsie Charron et Michel Freyssenet Lusine dUddevalla dans la trajectoire de Volvo.

  • Actes du GERPISA N9 164

    La mise en vidence des paradigmes de la production uddevallienne permet de penser leurapplication dautres tches que les oprations manuelles, dautres activits que le montage et dautres branches dactivits conomiques que lautomobile. Cest en cela quil est porteurdun modle industriel possible sous certaines conditions macro-conomiques et politiques,comme tout modle.

    Loin dtre un retour lartisanat ou un no-artisanat, Uddevalla peut sanalyser comme unautre processus dautomatisation, pouvant donner naissance une autre forme socialedautomatisation, et apporter une solution aux problmes defficacit et de contenu du travailconstatables dans les ateliers automatiss42.

    1. LES PRINCIPES FONDATEURS DU SYSTEME INDUSTRIEL ACTUELET LEUR REMISE EN CAUSE PAR LORGANISATIONUDDEVALLIENNE.

    Le systme productif actuel, quels que soient les modles industriels dans lesquels il seconcrtise (fordien, toyotien...), repose, aussi bien dans ses phases manuelles que dans sesphases automatises, sur trois principes: la standardisation, ladditivit et la fluidit.

    La standardisation et linterchangabilit des pices ont permis de supprimer le travail long etqualifi dajustage et de mettre en oeuvre les deux principes suivants. La dcomposition duprocessus de production en oprations lmentaires a t faite dans le but de recomposer ceprocessus par addition squentielle des oprations lmentaires selon le principe de lconomiemaximale de temps. La mise en ligne et en cycle du processus de production a permis de rduireles temps non-productifs de certaines manutentions, dalimenter le flux en pices l o et quandil faut, et de spcialiser les oprateurs ou les machines dans un nombre limit doprations,vitant une formation longue pour les premiers et des rglages permanents pour les secondes.

    Sil est admis que les deux derniers principes dadditivit et de fluidit, ont clairement leurorigine dans la recherche de lconomie de temps, despace et dinvestissement humain, ils setrouvent cependant justifis a posteriori par des arguments dimpossibilit pratique de faireautrement, tout particulirement aujourdhui. On aurait dmontr que les oprateurs ne seraientpas en mesure de mmoriser et deffectuer efficacement des oprations diversifies au-del dunnombre trs limit, et mme quils ne souhaiteraient pas du tout quil en soit autrement, letravail rptitif leur laissant au moins la possibilit de penser autre chose. Logistiquement, lalimite serait galement vite atteinte si lon voulait monter un vhicule en un ou plusieursmodules. On ne peut imaginer en effet de crer autour de chaque station de montage ou danschaque atelier un magasin complet de pices. Enfin, on considre volontiers quelautomatisation enlve au dbat sa pertinence, les machines nayant pas dtats dme. On peutleur faire faire les oprations dans lordre qui se rvle le plus productif, sans avoir seproccuper de savoir si elles ont un sens pour elles. De plus, la conduite et la premiremaintenance des installations automatises requireraient de par la nature de lautomatisation dela rflexion, de limagination et des connaissances varies, et les oprateurs ne seraient plussous contrainte de temps.

    Certes, reconnat-on, ces principes industriels sappliquent particulirement une production demasse uniforme, mais le systme toyotiste a su les adapter efficacement une productiondiversifie et changeante.

    42Michel Freyssenet. Processus et formes sociales dautomatisation. Le paradigme sociologique. Sociologie du

    Travail , Paris, 4/92.

  • Actes du GERPISA N9 165

    Le systme uddevallien43 remet en question les impossibilits pratiques donnes commejustification aux principes dadditivit et de fluidit: la mmorisation et la ralisation, sans erreuret dans des temps allous, dun montage complexe par quelques individus voire un seul,lapprovisionnement en pices des postes de travail fixes sans encombrement et immobilisationscoteuses. Ce faisant, il dpasse les problmes structurels du fordisme dont les innovationstoyotiennes ne font, la rflexion, que limiter les consquences. Il ouvre enfin une voie desolution aux difficults rencontres par le processus et la forme actuels dautomatisation.

    Il est possible, en effet, nous disent les concepteurs dUddevalla, de sappuyer sur lescomptences cognitives ordinaires des individus pour quils trouvent, sans quun ordre demontage soit prescrit sous forme de check list, quelles pices doivent tre assembles etcomment, pour autant que celles-ci leur soient prsentes regroupes selon la logiquefonctionnelle du produit dans des casiers conus pour cela. De fait, dans la vie courante, chacunest capable de grer des situations complexes trs rapidement. Les mmes ouvriers affects surles chanes rparent eux-mmes leur voiture, construisent leur maison, ou ont des activitssyndicales ou culturelles. Il ny a pas a priori de raison pour que les capacits quils mobilisentl disparaissent, le seuil de latelier tant franchi.

    Il nest nul besoin de mettre disposition de chaque quipe montant des vhicules complets unmagasin entier de pices avec leurs variantes. Il suffit de leur apporter sur des chariotsfiloguids la totalit des pices dont ils ont besoin pour monter le vhicule command. Sixchariots portant des casiers tagres suffisent pour contenir et prsenter dune manireintelligible toutes les pices dun vhicule haut de gamme.

    Les deux solutions sont logiquement lis. Un approvisionnement des pices dun vhicule sansordre ou dans un ordre ne permettant pas de comprendre comment il se monte serait sansintrt. Il faut quil y ait concordance entre la manire dassembler, la disposition des pices surles casiers, et leur dnomination-description administrative.

    Ces deux solutions non seulement remettent en cause ce que lon a fini par considrer commedes impossibilits pratiques, mais surtout elles suppriment les problmes structurels du modlefordiste et toyotiste qui en limitent les performances. Enfin, le systme uddevallien revient prconiser une autre dmarche dautomatisation, consistant automatiser en priorit lamanutention, le stockage et la gestion, laissant aux oprateurs ce qui est la fois, pour linstantcomplexe et coteux automatiser, et ce qui fait la qualit du produit.

    Pour avancer dans lanalyse et lvaluation des principes industriels qui ont sous-tendulorganisation de la production et du travail de lusine dUddevalla, il nous faut rpondre auxquestions suivantes:

    - comment comprendre que les monteurs puissent mmoriser des oprations nombreuses etvaries?

    - comment peut-on alimenter des postes fixes avec toutes les pices ncessaires au montagedun vhicule?

    - comment comprendre que le montage en poste fixe puisse demander moins de temps que lemontage en ligne?

    43Uddevalla nest pas la gnralisation des principes de lorganisation de Kalmar. Il y a au contraire une rupture

    conceptuelle entre ces deux usines. Il faut la connatre pour ne pas reporter sur Uddevalla des analyses qui nevalent que pour Kalmar.

  • Actes du GERPISA N9 166

    - comment comprendre que la performance globale puisse tre suprieure sans recourir auxcercles de qualit, au kaizen etc...

    - comment automatiser une production fonde sur une conception holiste du travail ?

    2. COMMENT COMPRENDRE QUE LES MONTEURS PUISSENTMEMORISER DES OPERATIONS DASSEMBLAGE NOMBREUSES ETVARIEES?

    Cela parat premire vue peu comprhensible, quand on connat la frquence des erreurs desouvriers sur chane, ralisant de 5 10 oprations au maximum, alors que le montage completdune Volvo 740 ou 940 implique plus de 600 rfrences de pices, ncessitant chacuneplusieurs oprations, avec une varit suprieure celle des modles des gammes basses oumoyennes.

    Et pourtant les oprateurs nont pas de check-list, ni dordre de montage impos. Leur temps deformation lassemblage du quart dun vhicule ne dpasse pas quatre mois. En deux jours,tout en travaillant, ils acquirent la connaissance dune variante nouvelle.

    Aujourdhui, dans le travail la chane, la mmorisation est rendue inutilement difficile etncessairement limite. Les pices sont dsignes par des codes numriques et non par desmots qui leur donnent sens. Lordre dans lequel elles doivent tre places sur le sous-ensembleou le vhicule nest pas fond sur la logique intelligible de la structure et du fonctionnement duproduit. Les oprations effectuer nont pas de liens entre elles, car elles sont distribues entreles postes de travail en fonction du temps quelles demandent pour tre excutes et du temps decycle choisi, qui ne doit tre ni dpass par la somme des temps opratoires lmentaires ni tresous-utilis. La mmorisation ne peut donc sappuyer sur aucun vecteur cognitif. La structure etle fonctionnement de la voiture et de ses diffrents organes, ainsi que de leurs nombreusesvariantes, sont masqus par le systme technique et administratif existant.

    Les consquences sociales dun tel systme et le cot conomique de ces consquences ne sontplus dmontrer et calculer. Les inconvnients proprement productifs ne sont pas moindres.Ils conduisent tous rduire la flexibilit de la production et la qualit du travail, ds que lademande devient plus fluctuante et varie.

    La solution toyotiste, pour redonner un sens au travail et un support au dploiement delintelligence des travailleurs, et ainsi essayer dobtenir deux une plus grande motivation, aconsist tenter de leur faire intrioriser les principes mmes dconomie de temps et de fluxtendu, en leur demandant de les mettre eux-mmes en oeuvre. Les ouvriers japonais nonseulement apprennent quilibrer eux-mmes leur chane, mais ils ont le faire en atelier trsfrquemment. Leur rmunration et leur promotion sont lies leur capacit rduire les tempsstandards, quilibrer entre eux leurs postes de travail, identifier les causes des dfauts et desarrts de production et rechercher des solutions. Il a t possible ainsi pendant plusieursdcennies dobtenir deux une polyvalence des chanes et un rythme de changement et dediversification de la production qui ont stupfait les constructeurs nord-amricains et europens.Le travail nen a pas pour autant chang de nature. Et les constructeurs japonais reconnaissentaujourdhui que les jeunes nen veulent plus. Le modle toyotiste semble bien rencontrer deslimites productives, sociales et politiques, qui amnent certains dirigeants japonais regarderles expriences europennes et particulirement sudoises44.

    44Un nouveau toyotisme? Actes du GERP ISA, Paris , n8, Dcembre 1993.

  • Actes du GERPISA N9 167

    La voie sudoise des annes soixante-dix a t inverse. Plutt que de procder une fuite enavant dans la logique des principes dadditivit et de fluidit, elle a consist relcher lemprisede la ligne et du temps de cycle, en sectionnant la premire et en augmentant le second. Si elle aproduit des rsultats conomiquement intressants, elle a t finalement dcevante du point devue des travailleurs. Pas plus que chez Toyota, la nature mme du travail navait t en effetchange chez Volvo. Accentus par les travailleurs eux-mmes chez Toyota ou relchs dansleur application organisationnelle chez Volvo, les mmes principes restaient cependant envigueur. La nouveaut radicale dUddevalla est de rompre dfinitivement avec le principe dedcomposition-recomposition selon lconomie des temps lmentaires.

    La dmarche uddevalienne pour rendre intelligible le travail de montage a consist mettre jour la logique de structuration et de fonctionnement du vhicule assembler, et faire de cettelogique laxe de rorganisation du montage. Le produit guide ainsi lui-mme son propremontage et donne la possibilit au monteur danticiper mentalement sur ce quil doitlogiquement trouver comme pices45.

    Le dcoupage du vhicule est dabord spatial, selon deux axes perpendiculaires crant un ctdroit et un ct gauche, un avant et un arrire, un dessus et un dessous. Loprateur a ainsi unepremire reprsentation du vhicule, sous la forme dun clat, comme si les pices taientmises plat au sol selon ces deux axes, reprsentation facilite par le caractre symtrique de lavoiture. La rpartition des pices et des sous-ensembles entre les six chariots qui les contiennentet leur prsentation dans chaque chariot reproduisent cette spatialisation. Et de fait la structuredu vhicule tait perceptible en regardant seulement les chariots et les casiers que ces chariotsportaient.

    Ensuite, les pices sont classes par souches correspondant de grandes fonctionsperceptibles ou des ensembles physiques importants. La souche dlimite un contexte, avecses contraintes. Dj au sein de ces souches , le monteur sattend trouver logiquement uncertain nombre de fonctions particulires et de groupes de pices indispensables lensembleconcern. Sur chaque chariot, il y a une ou plusieurs souches.

    Les fonctions particulires remplies par ou localises dans ces ensembles sont assures par despices en rapport les unes avec les autres, avec une prcision donne et une place dtermine.Ces pices peuvent tre ainsi classes par familles , dfinies la fois par la fonction quellesremplissent, le type dassemblage qui les unira et leur position sur le vhicule.

    Les pices ont ds lors chacune une identit intelligible, descriptible verbalement et visuellementsur des cartes, et dsignable par des mots qui font sens, ct des codes numriques.

    Les pices et les familles sont ensuite ranges selon un modle de croissance aboutissant lasouche, donnant chacune une place temporelle dans un processus de montage holiste etorganique, laissant donc la possibilit de modifier lordre des oprations, pourvu que lastructure et la cohrence de lensemble soit assures. Ainsi une discordance entre la dispositionsur le casier et le montage permet de reprer rapidement une pice errone ou manquante.

    De lclat du vhicule la pice lmentaire, on change chaque fois dchelle dans laposition, la description, et la dsignation, comme on passe dune carte au 250.000me unecarte au 10.000me. Le classement des cartes forme un atlas gographique dassemblage,dans lequel il est possible daller du tout la partie pour revenir au tout, dans lespace et dans letemps.

    45Kajsa Ellegard, Tomas Engstrm, Lennart Nilsson, Texte ci-dessus.

  • Actes du GERPISA N9 168

    Les souches, les familles et les pices peuvent avoir des variantes correspondant des variantesdu vhicule ou des options. Sur les cartes sont alors traces des pistes de variantes, quipeuvent conduire modifier le montage de lensemble, voire du vhicule, si la variante estdune grande porte. Ces variantes, loin dtre une complication supplmentaire et parfois unesouffrance, remplissent une fonction heuristique. Les diffrences permettent de mieuxcomprendre les fonctions essentielles et communes remplies par une pice ou une famille depices.

    La mmorisation, on le voit, na pas dans ce mode de montage le mme objet et les mmessupports cognitifs que dans le montage en ligne cadence. Au lieu dtre une fonction spare mobiliser, la mmoire est partie intgrante dune intelligence du produit et de ce qui en fait laqualit. A vrai dire, le problme ne se pose mme plus en terme de mmorisation dun nombreplus ou moins grand doprations, mais dapprentissage dun processus de montage. Il estintressant de noter dailleurs que les concepteurs dUddevalla eux-mmes nont dcouvert quepetit petit et grce aux ouvriers quil ne sagissait plus de dterminer la part dun vhiculequun ouvrier tait capable de monter dans des temps industriels. Dans leurs rves les plusaudacieux au cours de llaboration du projet, ils ne pensaient pas quil serait possible dedpasser le montage dun quart dune voiture par monteur, compte tenu du nombredoprations faire. Bien que rcusant la problmatique de la mmorisation dans laquelle lestenants de la chane de montage enferment le dbat, ils en restaient cependant encoreprisonniers.

    Le travail change de nature. Tout en restant inscrit dans des temps allous par type de vhicule,le montage devient une activit qui permet aux monteurs dapprhender intellectuellementlensemble du produit et du processus dassemblage. Ils peuvent oprer des choix et desarbitrages quand lordre des oprations et au temps consacrer chacune delles, compte tenudalas divers. Ils sont en mesure de percevoir rapidement et de rectifier avec pertinence lesdfauts produits par eux-mmes ou par les fournisseurs, parce quils voient dans leur travailmme les interfrences, les incohrences, les impossibilits et les consquences non seulementponctuellement mais aussi globalement pour le vhicule. Ils constatent les ajustages, lespositionnements, les assemblages de pices insuffisamment ou mal penss la conception, nonpas en fonction de la vue troite et tronque que loprateur de chane a du produit et qui limiteconsidrablement sa possibilit de penser une amlioration dune manire pertinente, mais enfonction dune comprhension de la logique du produit lui permettant de proposer desmodifications qui tiennent compte des consquences dommageables quelles peuvent avoir dunautre point de vue.

    3. COMMENT PEUT-ON APPORTER A CHAQUE STATION DE MONTAGEFIXE LA TOTALITE DES PIECES NECESSAIRES A LASSEMBLAGEDUN VEHICULE?

    Il tait videmment exclu dinstaller autour de chaque station un magasin complet de pices.Cest mme cette impossibilit qui est donne comme justification au maintien de la chane. Avrai dire, la diversification du produit et la polyvalence des chanes ont pos un problmesrieux dencombrement. Il ntait pas rare, il y a peu encore, de voir des casiers, des caisses etdes containers rangs sur trois profondeurs. Il a fallu trouver des solutions techniques etorganisationnelles, que nous verrons plus loin, pour rendre compatible le montage en ligne etlaccroissement de la varit de pices monter chaque poste.

  • Actes du GERPISA N9 169

    La solution trouve Uddevalla consiste apporter automatiquement sur des chariots filoguidsdune part une caisse peinte et dautre part les pices et les sous-ensembles correspondants, etcela la demande des quipes de montage transmise par le rseau informatique de lusine etgre par le systme informatis de gestion du magasin et de la production. La noria deschariomoteurs de lusine classique est remplace par deux flux de chariots filoguids, lun pourles caisses, lautre pour les casiers de pices. Lautomatisation de ces manutentions simposait.Les demandes manant des quipes ne stalent pas rgulirement dans le temps. Il aurait fallusoit disposer de nombreux caristes pour rpondre immdiatement aux demandes simultanes etdonc les avoir en sous-emploi le reste du temps, soit introduire une planification delapprovisionnement des postes qui aurait enlev de la souplesse au systme. Enfin lamanutention napporte aucune valeur ajoute46.

    La prparation des casiers et des chariots nest pas lapplication, proprement parler, duprincipe du Kit lchelle industrielle. Les pices ne sont pas places dans les casiers et sur leschariots pour limiter avant tout lencombrement et ne sont pas accompagnes dun mode demontage. On a vu que leur disposition et leur prsentation selon des principes cognitifs sontessentielles pour permettre aux ouvriers de les assembler.

    La possibilit dun montage complet par quelques ouvriers se joue donc la prparation deschariots. Est-ce que le travail non qualifi limin du montage ne rapparat pas cette phase duprocessus? Les prparateurs ne sont-ils pas contraints deffectuer le travail fastidieux de remplirles casiers partir de check list, avec dautant moins dautonomie et de possibilit dinitiativeque le placement sur les chariots doit tre trs rigoureux sous peine de gner la comprhensiondu monteur et que toute pice manquante ou errone gnrera un dplacement magasin-atelier?

    De fait le problme sest pos durement la premire anne de fonctionnement de lusine.Essentiellement proccup par la reconceptualisation du travail de montage, lquipe-projetdUddevalla ntait pas alle jusqu sinterroger sur le travail des prparateurs. De plus, ladirection de Volvo, pensant se donner des gardes-fous, a prfr que le travail de prparationsoit effectu de manire classique, cest--dire partir de liste administrative des picesncessaires chaque vhicule. Les difficults sont venues de l: erreurs, retards, tensions avecles monteurs, temps relativement longs de prparation. Les monteurs sont alls jusqudemander de faire eux-mmes la prparation des chariots.

    Les prparateurs ont alors reu la mme formation au montage que les monteurs. Il fallait aussirorganiser le magasin selon les principes holiste et heuristique du montage. Il devait lui-mmereproduire spatialement latlas gographique du montage, tre un clat des vhicules, danslequel les prparateurs puissent se dplacer comme dans un paysage qui a du sens, quirenseigne par sa structure mme, qui permet de trouver immdiatement la pice quil faut parcequil est logique quelle soit l o on la cherche. Une rorganisation tait en cours au momentde la dcision de fermeture. Les erreurs taient devenues peu frquentes et ntaient plus unproblme entre le magasin et les ateliers.

    Est-ce-que en revanche, le temps ncessaire pour remplir les chariots au magasin central nestpas suprieur au temps de manutention des pices pour alimenter les bords de chane?

    Quelques caristes alimentent un tronon de chane en caisses contenant de quelques dizaines quelques centaines dexemplaires dune mme pice. A Uddevalla, les caisses restent aumagasin. Les prparateurs se dplacent dans les alles et prlvent les pices une une pour lesmettre ensuite sur les chariots commands par les quipes de montage. Spcialiss dans une

    46Kajsa Ellegard, Tomas Engstrm, Lennart Nilsson. Texte ci-dessus.

  • Actes du GERPISA N9 170

    partie du vhicule et donc dans une partie du magasin selon la nouvelle organisation, ilseffectuent deux-mmes un circuit optimisant leurs dplacements. Lautomatisation du stockagedes pices linstar de celui des caisses peintes taient ltude, ainsi que celle du prlvementde certaines dentre elles dans les rayonnages et les containers.

    Le temps de prparation par vhicule qui tait vis au moment de la fermeture correspondaitselon nos informations et nos calculs aux temps de manutention pour un vhicule de gammeinfrieure dun constructeur franais.

    4. COMMENT COMPRENDRE QUE LE MONTAGE COMPLET EN POSTEFIXE PUISSE DEMANDER MOINS DE TEMPS QUE LE MONTAGE SURUNE CHAINE MANUELLE OU PARTIELLEMENT AUTOMATISEE?

    Le montage en ligne, parcellis et cadenc, prsente cinq problmes structurels: lquilibragedes postes de travail, la rorganisation des tches et des temps chaque changement de volumede production journalire, ladaptation des temps opratoires la varit du produit, laraffectation des oprateurs en fonction des absences, les arrts de chane dus des alas defabrication ou des pannes de machine.

    Le temps thorique de montage, ou temps gamme, correspond la somme des tempsncessaires pour effectuer les micro-mouvements exigs par chacune des oprationslmentaires dans lesquelles a t dcompos le travail de montage, somme augmente destemps de repos. Il est obtenu partir de tables de correspondance entre mouvements et temps,sans observation.

    Ce temps thorique est calcul pour la variante moyenne du modle mont par des ouvriersmoyens aux mmes performances, en nombre juste ncessaire pour une production journaliredonne et stabilise, ne connaissant pas darrt.

    La ralit nest videmment jamais celle-l. Les variantes sont nombreuses et leur pondrationvariable dun jour sur lautre. Les ouvriers ont des ges, des caractristiques et descomptences diffrentes et donc des rythmes de travail ingaux. Leffectif ne peut jamaiscorrespondre au nombre strictement ncessaire, en raison des absences de natures diverses, despersonnes former, des variations de charge, des pertes dengagement, des pertesdenchanement, des pannes et des retouches. La production journalire varie en fonction ducycle de vie du produit, des fluctuations de la demande au cours de ce cycle, et des arrts queconnat lactivit, quils soient dus des pannes, des accidents, des runions, des grves ou desruptures dapprovisionnement.

    Un coefficient, appel rendement de latelier, est introduit pour rendre compte de lcart entrele calcul thorique et la ralit prvisible. Or cet cart peut tre considrable, vidant de sens letemps gamme. Il nest pas rare quil atteigne en effet 50% de ce temps. Il comprend destemps non travaills, communs toutes sortes dorganisation, comme les pauses payes et lestemps de dlgation syndicale. En revanche, il est constitu aussi par des pertes de temps, dontlampleur dpend de la rigidit ou de la souplesse du systme technico-organisationnel face auxdiffrents types dalas.

    Lanalyse des temps rels de montage a t faite par Christophe Midler la fin des annessoixante-dix lorsquil comparait conomiquement le travail sur chane et le travail poste

  • Actes du GERPISA N9 171

    fixe47. Il a montr alors quils dpendent de limpossibilit technique dquilibrer compltementles postes de travail de la chane, et des temps de gestion des diffrentes types de perturbationpar rapport au rgime moyen stabilis qui a servi de base au calcul des temps thoriques. Cestemps de gestion sont eux-mmes dpendants des modes de rgulation mis en oeuvre, modeslis lorganisation technique des postes de travail, mais aussi au niveau de polyvalence desouvriers et aux critres de gestion des ateliers. Son analyse comparative a port sur trois typesde perturbations: les variations de la demande, la diversification du produit, labsentisme. Elledoit tre complte aujourdhui par un quatrime type de perturbations: les pannes et incidents,qui lpoque avaient peu dimportance, le montage tait compltement manuel, mais quimaintenant avec linsertion de tronons automatiss affectent considrablement le rendement deschanes de montage.

    4.1. Lquilibrage des postes de travail

    La chane repose sur la dcomposition du processus de montage en oprations lmentaires afinde dfinir par recomposition des postes de travail, ayant un espace-temps identique. En rglegnrale, la longueur des postes sur une mme chane est identique. Le temps darrt ou dedfilement chaque poste, appel temps de cycle, est gal la production horaire divise par 60minutes.

    La recomposition du processus partir des oprations lmentaires consiste faire en sorte quele temps de cycle soit pleinement utilis chaque poste. Cest ce que lon appelle lquilibragede la chane. Do lattribution aux diffrents postes doprations qui peuvent navoir aucunlien entre elles. Toutefois la rpartition des oprations doit rpondre dautres exigences quilimitent les possibilits dune rpartition indiffrencie. Certaines oprations ne peuvent treeffectues quaprs que dautres aient t ralises, ou bien ne peuvent ltre qu certainspostes, parce quelles demandent des quipements particuliers. Do le dcoupage de la chaneen tronons et ltablissement pour chaque tronon dun graphe des antriorits.

    Ces diffrentes contraintes empchent de parvenir un quilibrage parfait. Le temps de cycle nepeut tre pleinement utilis tous les postes. A linverse, il peut dans quelques cas rares ne passuffire pour raliser des oprations indissociables. Il peut aussi tre volontairement dpasspour ne pas crer un poste supplmentaire qui serait sous-engag. Il y a donc un cart entre letemps de cycle et le temps opratoire thorique chaque poste. La somme de ces carts sajouteau temps thorique global, le temps gamme, et constitue une perte appele pertedengagement.

    Les diffrents dcoupages admissibles peuvent tre conomiquement compars en fonction despertes dengagement quils gnrent. Le lancement dun vhicule au montage consiste doncessentiellement rechercher le dcoupage qui va minimiser les pertes dengagement. Ces

    47Christophe MIDLER. Lorganisation du travail et ses dterminants. Enjeux conomiques et organisationnels

    des rformes de restructuration des tches dans le montage automobile. Thse de 3me cycle en gestion.Universit de Paris 1 Panthon-Sorbonne. 1980. p177. Lauteur montre notamment que la valeur donne aucoefficient de rendement datelier est videmment essentielle pour tout calcul de rentabilit dun projet et pourtoute comparaison entre projets. Il est tabli sur la base des carts observs dans des organisations du travailcomparables existantes, si possible dans la mme usine et pour un type de vhicule de mme segment degamme. En labsence et vraisemblablement en raison de limpossibilit de disposer de techniques de calculformalises du rendement de latelier, le coefficient retenu est souvent qualifi de pari, signifiant par l quilsagit plus dun niveau dcart atteindre que de la prise en compte de tous les facteurs qui vont influer sur cetcart. Pour cette raison, la comparaison entre projet se fait habituellement rendement gal, coulant de ce faitds le dpart tout projet organisationnel radicalement nouveau dont le mrite essentiel est prcisment de rduiretrs sensiblement lcart, et cela dautant plus que le temps thorique est gnralement plus lev.

  • Actes du GERPISA N9 172

    dernires doivent tre augmentes dans cette logique du temps des remplaants prvus pourpermettre aux ouvriers de chane de prendre les repos auxquels ils ont droit.

    Le systme toyotien a cherch rduire au maximum les pertes dengagement, en apprenantaux oprateurs quilibrer eux-mmes en quipe leurs postes de travail et en confiant auxcontrematres la charge de pousser les oprateurs le faire et le faire eux-mme en cascontraire. Les oprateurs sont en effet les mieux placs pour savoir comment amliorerlquilibrage et dcider rapidement de lappliquer. Encore faut-il que les oprateurs acceptent dele faire. Les conditions pour y parvenir ont t chez Toyota une conjoncture historique, unmode dencadrement et un systme de salaire48.

    Le problme de lquilibrage des temps ne se pose pas, ou alors de manire trs diffrente, avecle montage parallle en poste fixe de vhicules complets. Il nest pas ncessaire de dfinir unvhicule moyen. Le groupe de deux ou quatre ouvriers qui monte un vhicule a en chargecollectivement le montage complet dans un temps allou selon la variante. Chacun na pas et nepeut avoir faire que sa part de vhicule: le quart ou la moiti suivant le mode de montagedcid par lquipe. Si un quart ou une moiti se trouve tre un peu plus long monter, ou biensi un oprateur est un peu moins expriment, le ou les autres monteurs interviennent pour tenirdans les temps. Une quipe, qui met un peu plus de temps avec une variante mieux quipe,noblige pas aligner les autres sur son temps de production ou trouver des moyens pourcombler les temps morts.

    4.2. La monte en cadence et le changement de volume de production horaire

    Le travail de dcoupage est, on vient de le voir, long et complexe sur une chane. Il est fait chaque lancement de vhicule, cest--dire une frquence plus grande depuis les annessoixante-dix, tant donn le renouvellement acclr des modles impos par la concurrence etles attentes de la clientle. Le dcoupage doit tre galement repris chaque changement deproduction horaire. La frquence de ces changements varie en fonction de la demande et de lapolyvalence des chanes, dune fois par an une fois par mois. A chaque fois, un agenttechnique est mobilis pendant plusieurs jours. La longueur du redcoupage empche aussi desadapter immdiatement la demande et donc oblige soit trop produire ou soit rallonger lesdlais de livraison.

    Les oprateurs doivent apprendre chaque fois les nouvelles oprations faire leur poste detravail et les raliser immdiatement durant le nouveau temps de cycle. Avant quils yparviennent, il faut les doubler, soit en recourant des intrimaires, soit en faisant appel dupersonnel indirect. Ce moment est trs important, car se joue alors le compromis entre lesoprateurs et lencadrement sur la norme de travail. Que ce dernier soit oblig par lattitude desoprateurs de maintenir certains postes doubls, et le temps de montage en seraconsidrablement accru et deviendra une rfrence pour de futurs redcoupages49.Si lademande du ou des modles baisse et si la production horaire doit tre diminue, le personneltemporairement surnumraire doit tre affect d'autres activits utiles.

    Le systme toyotien l aussi a essay de limiter ces inconvnients, inhrents au montage enligne, parcellis et cadenc. Lors de la monte en cadence, contrematres et quipes de travailredfinissent, sur la base de temps standards assez lches calculs par les services techniques,des temps opratoires toujours plus serrs. Les oprateurs sont incits sentraider dun poste un autre. La polyvalence des personnes et des chanes permet de maintenir le mme temps de

    48 Actes du GERPISA , n8, op.cit.49Christophe MIDLER. op.cit.

  • Actes du GERPISA N9 173

    cycle lorsque la demande dun modle augmente ou baisse. Les pertes de temps et les cotssupplmentaires dus la chane ne peuvent cependant tre totalement limins.

    Avec le montage parallle en station fixe de vhicules complets, la monte en cadence lors dunlancement dun vhicule peut seffectuer progressivement la fois au niveau de chaqueoprateur et au niveau de latelier par adjonction de postes. La ngociation de la norme deproduction peut tre tale dans le temps, alors que sur chane elle doit tre dcide rapidement.Ladaptation la variation de la demande se fait facilement par ouverture-fermeture de certainesstations de travail, sans avoir modifier le travail des oprateurs de lensemble de lateliercomme sur une chane, et sans que la productivit soit affecte. Lorsque les commandesbaissent, le personnel surnumraire, ayant une comptence largie, peut tre plus facilementaffect, sans formation supplmentaire, des tches de prparation, dentretien oudadministration. Lorsque les commandes sont ponctuellement plus nombreuses, le passage en2x8 peut se faire sur quelques stations par exemple. Lajustement la demande peut tremillimtrique, alors quelle est grossire avec la chane.

    4.3. La diversification du produit

    Avec le renouvellement acclr des modles et les variations plus frquentes de la demande,laugmentation du nombre de variantes et doptions a t un facteur puissant de stagnation ou demoindre progression de la productivit du travail la chane et de baisse de la qualit. Ladiversification du produit est la troisime cause dcart entre le temps gamme et le temps rel demontage.

    Le temps gamme a t tabli pour un vhicule moyen. Quand passe un vhicule dune variantebas de gamme avec peu dquipements, les ouvriers auront moins doprations faire. Celase traduira par des pertes dengagement. A linverse sil passe une variante haut de gamme, letemps de cycle est insuffisant pour raliser les oprations supplmentaires. Soit les oprateursdescendent alors la chane puis la remonte en essayant de rattraper le temps perdu sur les autresvhicules plus simples, mais il faut pour cela que le mixage des variantes selon les tempsdengagement des oprateurs soit possible, ce qui nest pas toujours le cas, car les ateliers depeinture ou la tlerie ont dautres impratifs de mixage. Soit on introduit dans le temps gammeune marge de manoeuvre permettant de faire face aux oprations supplmentaires. Soit enfin,on prvoit une personne qui vient donner un coup de main lorsque passe un vhicule pluscharg; une personne prleve dans la main-doeuvre indirecte a lavantage de ne pas trecomptabilise dans le rendement aux yeux de lencadrement. Mais dans tous les cas, on a despertes dengagement.

    A laccroissement des carts de temps opratoires dun vhicule un autre d ladiversification du produit, analys par Christophe Midler, il faut aussi ajouter laugmentationdes temps de dplacements, sans valeur ajoute et les erreurs. Les fournisseurs internes ouexternes amnent dans un magasin central ou dcentralis les bennes ou les casiers remplis depices ou de sous-ensembles. L, des caristes alimentent les bords de chane, au fur et mesuredes besoins. Lidal de faire alimenter directement et sans stockage intermdiaire les bords dechane par les fournisseurs nest ralis que pour quelques lments. Ensuite les oprateursprennent dans les prsentoirs les pices dont ils ont besoin. Avec la diversification du produit,le nombre de prsentoirs et de casiers a augment, ncessitant souvent de les mettre sur troisprofondeurs. Le temps de dplacement sest accru tant pour les fournisseurs et les caristes quepour les oprateurs. Aujourdhui, en moyenne les dplacements de loprateur reprsentent10% de son temps de travail. Cela allonge son temps dengagement, sans quil y ait valeurajoute supplmentaire.

  • Actes du GERPISA N9 174

    Le systme toyotiste a recherch des moyens pour limiter laccroissement des pertes de temps.La coopration entre oprateurs au sein des quipes de travail, leur formation la rpartitionconomique des tches entre eux ont permis dattnuer les diffrences brutales de charge detravail dun vhicule un autre. Les pertes de temps en dplacement ont t diminues enrduisant la taille des caisses et des stocks en bord de chane, en alimentant les postes plusfrquemment, en prparant des sous-ensembles et en les encyclant, en mettant en place desservantes portant les petites pices usuelles qui accompagnent les oprateurs ou sur lesquellesils sont embarqus.

    La diversit du produit ne cre pas ces problmes avec le montage parallle en station fixe. Unevariante qui demande plus de temps pour tre monte na pas de rpercussion sur le temps demontage de vhicules plus simples. Le temps allou est simplement augment pour cettevariante. Ainsi le temps opratoire peut tre ajust au temps effectivement ncessaire, sansrecourir une moyenne jamais adapte et crant de ce fait des tensions. Les oprateurs ont, dechaque ct de leur station de travail, porte de mains, les casiers de pices dont ils ont besoinpour le vhicule quils montent. Au lieu de se dplacer chaque cycle et parfois plusieurs foisdans un cycle vers les diffrentes caisses pour prendre les pices, ils saisissent les pices djgroupes dont ils ont besoin, et les amnent en bloc l o ils effectuent leur travail.

    Les erreurs et les oublis, dans le travail la chane, dus au manque de temps pour les vhiculesspciaux ou trs quips et la difficult de mmoriser des oprations spcifiques, sans lien entreelles et peu frquentes, pnalisent la production, par la mauvaise qualit et par les retouches effectuer. Les erreurs et les oublis en poste fixe apparaissent loprateur soit par des picesrestantes sur le casier soit par une impossibilit de montage. Ils peuvent tre rectifis dans lecours mme du travail par le mme oprateur, ou par appel au magasin pour un change.Lattente ventuelle nest pas pnalisante dans la mesure o loprateur peut faire autre chose enattendant, alors que sur chane tout erreur ou oubli implique lintervention dau moins unepersonne supplmentaire. La perte de temps est accrue, comme on le verra plus loin, quand destronons automatiss sont introduits sur les chanes.

    4.4. Les variations de leffectif

    Dans une usine classique, leffectif rel peut tre infrieur leffectif thorique dans 80% desjournes de production50. Et pourtant la production est ralise, sans quil y ait pour autantacclration des cadences. La solution est de disposer dun personnel de rserve occup despostes non enchans do il puisse tre retir et affect aux postes enchans sans titulaires. Levolume de ce personnel va dpendre du nombre de postes hors chane, de leur autonomie enstocks amont et aval possibles, de leur surcapacit par rapport aux besoins moyens, et de lapolyvalence de ce personnel. Il sagit le plus souvent de postes de prparation ou de retouche.La diminution des stocks et la suppression des retouches en bout de chane diminuent le nombrede remplaants possibles. Latelier est en permanence en sous ou en sur-effectif, se traduisant laussi en baisse de rendement. Lanalyse faite par Christophe Midler montre que cette baissepeut tre cache en imputant le temps du personnel supplmentaire aux dpenses de formation la polyvalence ou au contrle qualit, ou bien encore en recourant de la main-doeuvreindirecte.

    Le systme toyotien na pas, semble-t-il, trouv de moyens diffrents de ceux imagins par lesautres constructeurs pour limiter les consquences productives des absences: contraintes ouincitations diverses au prsentisme et polyvalence des oprateurs pour faciliter lesremplacements ventuels. Les pratiques des contrematres pour que le personnel de

    50Christophe MIDLER, op.cit.

  • Actes du GERPISA N9 175

    remplacement soit le moins possible imput leur secteur paraissent sensiblement les mmesque celles mentionnes plus haut51.

    Alors que dans le cas du montage en ligne, le remplacement des absents est indispensable pourque la production se fasse, il est possible dans le cas du montage en parallle de ne pas procderau remplacement, le reste de la production pouvant se faire. Dans ce cas, la non-production serareporte sur les vhicules qui sont au plan de production mais qui nont pas fait lobjet dunecommande ferme. Le personnel est parfaitement polyvalent. Les ouvriers peuvent passer dunequipe une autre sans problme.

    4.5. Les arrts de fabrication

    Depuis lintroduction de tronons automatiss dans les ateliers de montage au cours des annesquatre-vingt, les alas de fabrication et les pannes de machines sont devenus une causeimportante de perturbations52 de la production en ligne.

    Les pannes proprement techniques, si elles ont pu tre trs pnalisantes au dbut delautomatisation du montage, ne reprsentent plus quune proportion trs faible des tempsdarrt de chane aujourdhui. Les micro-arrts sont gnralement facilement absorbs par le faitque les temps de cycle des machines sont infrieurs aux temps de cycle des postes manuels. Enrevanche, le mauvais placement des pices sur les sous-ensembles assemblerautomatiquement est une cause darrts frquents et parfois longs, en raison du manque detolrance des machines automatises tout ce qui nest pas rigoureusement en place. De mme,loubli dune pice ou sa dfectuosit, comme son mauvais positionnement, ne peuvent plustre immdiatement rectifis comme cela est possible sur une chane entirement manuelle, oles oprateurs rectifient ce qui les empche deffectuer les oprations qui sont les leurs. Lesarrts ainsi provoqus sont dautant plus longs, que le conducteur de linstallation automatiseest souvent dans lincapacit de connatre leurs causes en raison de lopacit de linstallation, etdautant plus pnalisants quil est amen, pour cette raison, intervenir en aveugle et excuterdes manoeuvres qui entranent souvent une dtrioration progressive du produit, de la machineet de loutillage. Pour absorber ces arrts, des stocks tampons doivent tre ajouts. Pour rduireles temps darrt, il est souvent fait appel aux ouvriers dentretien alors que le fonctionnementde la machine nest pas en cause.

    On connat les solutions toyotiennes pour limiter les arrts de chane. Au lieu de procder desinterventions rapides pour relancer la production et de reporter plus tard le traitement enprofondeur des causes, on prfre des arrts longs pour liminer sans retard ces causes, afinque lalas ou la panne ne se reproduise pas, et ainsi obtenir une monte en fiabilit constante.Cette stratgie repose sur une implication des ouvriers dans la dtection et le traitement desdfauts, obtenue par un systme de salaire et de promotion fonde sur la participation lamlioration de la productivit, soit au sein des quipes de travail, soit dans des structures adhoc.

    Mises part les pannes trs rares des chariots filoguids ou des visseuses rglage automatiquedes couples de serrage, la production Uddevalla ntait pas perturbe par des problmestechniques. Elle la t en revanche dans une premire phase par le systme de gestioninformatis et par les erreurs commises dans la prparation des casiers et des chariots. On a vu

    51 Actes du GERPISA , n8, op.cit.52Michel FREYSSENET, Jean-Claude THENARD. Choix dautomatisation, efficacit productive et contenu

    du travail. Cahiers de recherche du GIP Mutations Industrielles , Paris, n22,Dcembre 1988.

  • Actes du GERPISA N9 176

    prcdemment la solution trouve ces problmes, dans lesprit mme des principes cognitifsau fondement de la conception de lusine.

    4.6. Quelles sont les conditions sociales runir pour obtenir du montageholiste en poste fixe les performances potentiellement suprieures quisont les siennes?

    En conclusion, on peut dire que les carts entre les temps thoriques et les temps rels sontstructurels dans le cas du montage en ligne et que leur ampleur est souvent masque par despratiques de rgulation au niveau de latelier, consistant transfrer les pertes de temps surdautres postes budgtaires. Les moyens utiliss pour rduire ces carts ont souvent eu deseffets pervers, en raison de linterdpendance de toutes les phases du systme. Les mthodestoyotiennes se sont rvles plus efficaces, mais nont pas russi pour autant les supprimer.Surtout les difficults actuelles du modle semblent indiquer que les mthodes employesrencontrent des limites organisationnelles et sociales, obligeant rintroduire des stocks, donner de lautonomie aux quipes, allger la pression la dtection des dfauts et laproductivit53.

    Le temps de montage en poste fixe peut-il encore tre rduit? Ny a-t-il pas des limites? Ellessont celles de lactivit manuelle, que lon soit sur chane ou sur poste fixe. Mais alors que lonsait que lon peut aujourdhui difficilement rduire encore plus les temps de cycle et les pertesde rendement dans le cas du montage en ligne, que ce que les constructeurs japonais ont pufaire, les marges paraissent encore grandes pour le montage complet manuel en poste fixe. Toutdabord, la moiti seulement du personnel dUddevalla avait eu le temps dapprendre monterla moiti dun vhicule. Deux ateliers sur cinq seulement taient quips de portiques permettantle montage deux ouvriers. Or, cest ce niveau de comptence et cette organisation qui se sontrvls les plus efficaces. Enfin, la norme de production tait encore discuter et ngocier.Elle avait t fixe au niveau du temps thorique (gamme+objectif de rendement) du montagesur chane du mme vhicule, parce que ctait lobjectif fix par la Direction de Volvo, celle-cine pensant pas quil soit possible de faire mieux que sur chane. Lobjectif ntait pas fond surce qui tait rellement possible. Aprs la dcision de fermeture, le personnel a amliorsubstantiellement les rsultats pour dmontrer les possibilits du systme.

    Cest l que se situe la condition sociale la ralisation des performances potentielles dumontage holiste en poste fixe. La direction de lusine doit ngocier le temps allou pour chaquemodle et variante, car elle ne dispose plus de moyens matriels (techniques et organisationnels)pour imposer un rythme de travail. Il lui faut donc instaurer des relations professionnellestelles que les exigences de comptitivit et dacceptabilit du rythme de travail soient renduescompatibles.

    Si ce qui prcde est pertinent, est-ce que pour autant la production holiste, rflexive disentnos collgues sudois, peut avoir un avenir industriel? Le montage selon les principes du flux etde la recomposition additive des oprations naurait-il pas lavantage essentiel de permettrelautomatisation, alors que le montage en poste fixe partir des pices ncessaires apportesautomatiquement et cognitivement ordonnes et prsentes rendrait ce passage lautomatisation impossible? Nous verrons plus loin comment on peut imaginer uneautomatisation partir des principes uddevalliens.

    5. LES POTENTIALITES DE PERFORMANCE GLOBALE 53 Actes du GERPISA, n8, op.cit.

  • Actes du GERPISA N9 177

    La mthode de raisonnement applique au temps de montage est utilisable pour les autresaspects de la performance dune usine ou dune firme. On sait que ces aspects, rarement pris encompte dans les comparaisons inter-entreprises, sont plus importants que les ratios deproductivit physique.

    Les entreprises et les modles quelles incarnent sont compars en fonction des temps demontage, observs pour un vhicule moyen, en priode stabilise de production. Une firmepeut prsenter des ratios infrieurs dautres et tre nanmoins globalement plus performante,si les temps de lancement de vhicule sont plus rapides, si lajustement la demande peut treinstantan, si toute modification ninduit pas un travail indirect coteux, si les cots defonctionnement sont plus bas...

    5.1. Linvestissement initial

    Linvestissement initial est nettement plus faible que dans une usine classique, tant en surfacequen quipements. Lquipement se rduit des portiques, du petit outillage, des chariotsfiloguids et manuels, des casiers, un magasin de pices, un stockage automatis de caisses,des banc-tests pour les contrles, un atelier de finition peinture, et un systme informatis degestion des pices. Aucun travail de gnie civil nest ncessaire pour faire passer des fluides oudes chanes tablier.

    Surtout, il nest pas ncessaire de construire demble une usine de grande capacit, imposepar la structure mme du montage en ligne et par les conomies dchelle recherches. Le pointmort tant bas, des units de 100 200 vhicules/jour sont rentables. Celles-ci ont lavantage desupprimer des surcots directs et indirects (parfois supports par la collectivit) gnrs par laconcentration.

    De mme, tout agrandissement ne peut tre quun doublement de capacit dans le cas de la lignede montage, alors quil peut se limiter une zone-quipe, cest--dire quatre portiques, dansle cas du montage en station fixe. Laugmentation de capacit peut suivre laugmentation de lademande, alors quavec le montage en ligne il faut faire un pari sur la demande venir.Inversement les rductions de capacit peuvent se faire dune manire progressive, alors quellene peut tre que brutale dans une usine classique.Le systme toyotien ne semble pas avoirinvent de solution particulire ce problme structurel de la production en ligne. Comme lesautres constructeurs, les constructeurs japonais sont contraints dtre en surcapacit lorsque lademande baisse, et de fermer brutalement une usine ds que le seuil de rentabilit est par tropdpass.

    5.2. Le cot de lancement des vhicules

    Le lancement dun vhicule dans une usine produisant en ligne implique des tudes et destravaux plus ou moins importants selon le redcoupage des postes quil ncessite, lesprparations hors chane que lon prvoit et les automatisations que lon souhaite introduire. Ilest loccasion pour modifier le process afin de mieux ladapter une production de varit et lecas chant la population des ouvriers. Pour ce faire, les constructeurs japonais ont longtempsprivilgi la ligne unique de montage polyvalente avec une main-doeuvre prpare grer ladiversit et les alas, alors que les constructeurs europens notamment ont eu recours plusfrquemment une ligne dcoupe en tronons organiss en arte de poisson et disposant deprparation hors chane, afin de donner de lautonomie, attnuer les effets des alas, etpermettre aux oprateurs de mieux matriser la diversit. Dans des usines rcentes, Toyota en

  • Actes du GERPISA N9 178

    vient cette dernire formule, la prcdente ntant plus accepte par les travailleurs et servlant finalement coteuse54.

    Avec la production en parallle, le lancement dun vhicule se rduit, sauf si cest loccasiondintroduire de nouvelles automatisations, au perfectionnement de loutillage et aux temps deredistribution des pices dans le magasin, dadaptation de leur prsentation dans les casiers etsur les chariots, et de formation du personnel aux diffrences du nouveau modle par rapport auprcdent. Lexprience est de plus ici totalement cumulative, tant pour la rorganisation quepour le personnel, qui se forme largement lui-mme. Il nest pas ncessaire de tout reprendre.

    On sait que la premire anne de lancement dun vhicule est dcisif pour sa rentabilit. Onestime que durant cette anne-l, un client qui ne peut tre satisfait immdiatement est un clientqui se tourne vers la concurrence. Do limportance de russir le lancement. Or bien souvent,dans une usine classique, la monte en cadence rencontre des difficults et les dlais delivraison ne sont pas respects durant cette priode. Tout problme qui na pu tre anticipentrane en effet une perturbation de lensemble ou oblige des rgulations temporairescoteuses. Les constructeurs japonais testent leur process en vrai grandeur jusqu ce quils lematrisent compltement avant de commercialiser le premier vhicule, ce que les autresconstructeurs commencent juste de faire. Toutefois certains problmes ne se manifestent qupartir dune certaine cadence de production, et donc aprs le lancement commercial du vhicule,et cela est vrai pour tous les constructeurs.

    La production en parallle na pas a priori le mme type de difficults. La livraison de certainsvhicules peut tre retarde par la monte en comptence moins rapide de certaines quipes,mais pas la livraison de tous les vhicules.

    5.3. Le pilotage par laval

    Ne mettre en production que ce qui est command par le client et pouvoir le livrer sans dlai estun rve de tout constructeur. Le temps ncessaire la fabrication des pices, le cot deschangements doutil et la production en flux ont impos lindustrie automobile uneplanification longtemps rigide des vhicules monter. Nombre dinnovation japonaises ont eupour but de rduire cette rigidit inhrente au travail en ligne et de tendre vers lajustementquotidien du plan en fonction des dernires commandes: kanban, flux tendus et synchrones,changement rapide doutil par pr-rglage hors site, chane et ouvriers polyvalents, etc...Cependant, le pilotage par laval rencontre une limite structurelle: la modification de lordre defabrication des voitures nest plus possible une fois que les vhicules sont engages dans leflux. Sil y a modification, et cela arrive souvent, ce nest pas pour mieux rpondre aux attentesdu client, mais au contraire en raison de perturbations intervenues au sein du flux: rupturesdapprovisionnement, erreurs dencyclage, blocages, etc..., qui empchent de tenir lesengagements pris ou de rduire plus les dlais de livraison.

    Le montage en poste fixe permet de faire passer les commandes fermes avant les vhicules auplan de production. Une commande urgente peut tre mise en production dans le dlai deprparation des chariots et dans les limites de disponibilit des pices ncessaires au magasin etdu temps de livraison par les fournisseurs en cas de stocks insuffisants. Le kanban estparticulirement adapt et applicable au montage en parallle pour viter les rupturesdapprovisionnement comme les stocks qui dorment. Il est possible dinterrompre, cela sestfait Uddevalla, le montage de certains vhicules pour assembler en urgence des voitures dontla livraison sans dlai est imprieuse. Le changement de production ne dure pas plus de deux 54 Actes du GERPISA n8, op.cit.

  • Actes du GERPISA N9 179

    minutes deux personnes, les autres manutentions se faisant en temps masqu. Le vhiculepeut tre livr au bout de trois heures, si six membres dune quipe sy consacrent.

    5.4. Les cots indirects

    Le systme toyotien a fait de la chasse aux dpenses non indispensables une des cls de sarussite, au point davoir t dnomm lean production: notamment grce la prise en chargepar la main doeuvre directe de certaines activits relevant dautres fonctions dans lentreprise,rduction de la ligne hirarchique (qui toutefois a t moins importante quon ne la dit55)...

    Le montage holiste en parallle devrait entraner des cots indirects structurellement plus bas.Un examen systmatique est faire. Mentionnons titre illustratif quelques aspects. Si laformation initiale est plus longue, elle seffectue en produisant. Elle na pas besoin dtrereprise compltement chaque lancement de modle, introduction de variantes ou changementde temps de cycle. La hirarchie peut tre rduite deux niveaux, comme cela a t le cas Uddevalla la dernire anne: les quipes et leur porte-parole, un chef datelier et le directeur delusine. De par sa structure, le montage en ligne impose un plus grand nombre de niveaux decoordination, indpendamment de toute proccupation de contrle du travail qui surajoutegnralement dautres niveaux. La gestion de production na pas besoin dtre une lourdemachine devant faire respecter le film quelle a tabli et veiller constamment la fluidit de laproduction. Le systme sauto-rgule en principe facilement. Il nest pas ncessaire de procder de longues et coteuses tudes pour rechercher lorigine de dysfonctionnements ou pourdimensionner des stocks tampon.

    5.5. La diversification du produit

    La production additive en ligne impose des limites la diversification du produit, et auxcombinatoires possibles. Les difficults que provoquent certaines variantes ou options sur leschanes conduisent mmes les faire monter ou pr-assembler en module, tant les arrts dechane ou les retouches quelles entranent cotent chers.

    Les limites la diversification semblent pouvoir tre repousses plus loin, avec le montage enstation fixe. Au cot dtude et de gestion prs, une option peut tre ajoute au montage sansque cela perturbe le flux ou les monteurs, les variantes remplissant une fonction heuristique,comme on la vu. Il nest pas besoin dquipements nouveaux ni de rtudier lquilibrage despostes. Une commande spcifique personnalise est envisageable, et a t ralise Uddevalla.

    Surtout, la diversit peut ne pas tre seulement dapparence ou ntre que ce qui est perceptiblepar lacheteur moyen, comme lont conue jusqu prsent les constructeurs japonais. Cetteconception de la diversit simpose bien sr pour faire des conomies dchelle sur les pices etles organes pour lesquels cela est possible commercialement. Mais elle simpose aussi en raisondes limites physiques propres au montage en ligne nonces plus haut. Si la premire causereste valable quelque soit le mode de montage, la deuxime joue beaucoup moins avec laproduction en parallle, et devrait offrir la possibilit dune diversit plus substantielle cotgal.

    5.6. La qualit

    55 Actes du GERPISA , n8, op.cit, p.124.

  • Actes du GERPISA N9 180

    Suivant le mode de montage adopt, les conditions de la qualit et surtout la nature de la qualitchangent.

    Sur chane, lautocontrle est une contrainte supplmentaire que loprateur doit intrioriserpour tre en mesure den respecter la procdure formelle. Il semble que les constructeursjaponais allgent la pression en ce domaine en rintroduisant le contrle qualit et les retouchesau bout de chaque tronon de ligne56. Avec le montage en poste fixe, loprateur prouve lui-mme la correction de ses actes par les difficults quil rencontre ou non dans les oprationssuivantes quil a faire. Il peut identifier du mme coup les causes de ses erreurs et lessupprimer immdiatement si cela est dans son pouvoir et sil en a les moyens, ce qui estrarement le cas sur chane.

    La diffrence la plus importante rside vraisemblablement dans la nature de la qualit et de sescritres. Au lieu de porter seulement sur des points considrs comme essentiels, la qualit peuttre apprhende aussi globalement, la somme de contrles formellement et ponctuellementpositifs ne garantissant pas en effet automatiquement une qualit globale. Il ne suffit pas que laqualit soit respecte sur des points dment rpertoris. Elle doit rsulter dun tout cohrent etajust.

    5.7. Lamlioration du produit

    Nombre de modifications du produit rsultent de la ncessit de simplification pour faciliter lemontage en flux, sans quelles accroissent la qualit ou quelles apportent des prestationssupplmentaires pour le client. Elles peuvent mme avoir un effet inverse. La trs grandeflexibilit dun monteur permet dintroduire une amlioration, mme si le montage en est un peuplus compliqu.

    Il est souvent reproch aux suggestions mises par les oprateurs sur chane ou par lesconducteurs dinstallations automatises concernant le produit et le process, de ne pas prendreen compte les consquences que lapplication de leurs suggestions pourraient avoir sur dautreslments du vhicule ou les impossibilits de montage quelles entraneraient. De fait, avec lemontage en ligne, loprateur ou le conducteur ne peut avoir une vue densemble. Cettelimitation intellectuelle devrait disparatre logiquement avec le montage fixe et complet.

    Les monteurs devraient mme avoir un avantage sur le bureau dtudes. Au cours de la vie duvhicule, ils peuvent avoir une vue densemble et systmatique de toutes les variantes etoptions, de leurs incohrences ventuelles, que les ingnieurs dtudes perdent souvent aprs laphase de conception, ne serait-ce que parce que souvent ce ne sont pas les mmes qui tudientles variantes.

    5.8. Le rapport au client

    Dans une usine classique, il apparat dun intrt commercial incertain que les clients viennentregarder comment les voitures sont montes. Il semble encore plus irralisable, voireimpensable, quun client puisse venir voir assembler la voiture quil a command. Le client na connatre sa voiture quune fois termine et contrle, livre par le service commercial.

    Avec le montage en station fixe, il est possible de dire au client quand sa voiture sera monte etde linviter suivre lopration, sil en a le loisir. Cela se faisait Uddevalla. Les quipes detravail peuvent rencontrer ainsi certains futurs utilisateurs des vhicules quelles construisent et 56 Actes du GERPISA , n8, op.cit, p.55.

  • Actes du GERPISA N9 181

    ainsi tre responsabilises par rapport ces derniers. Limpact publicitaire de telles pratiquessemble trs important.

    La connaissance des clients, de leurs contraintes, de leurs exigences et de leurs souhaits peutnon seulement amener les monteurs plus dattention sur tel ou tel point ou aspect du vhicule,mais aussi voir les modifications qui pourraient tre apportes la conception du produit. Celien direct avec le client devrait renforcer encore leur capacit de dialogue non subordonn avecle bureau dtude, et en faire des interlocuteurs utiles pour les services marketing. Nonseulement, ils auraient une perception globale du vhicule, des variantes et des volutions, maisen plus ils pourraient connatre directement certaines attentes dune partie de la clientle.

    6. QUELLE EST LA NATURE DU SYSTEME UDDEVALLIEN? UNEREGRESSION TECHNIQUE, UN CUL DE SAC DE PRODUCTIVITE?OU BIEN UNE VOIE NOUVELLE POSSIBLE POUR PENSER ETDEVELOPPER AUTREMENT LAUTOMATISATION?

    Rgression technique, cul-de-sac, telles sont les expressions utilises par les ingnieurs-mthodes de Renault la fin des annes soixante-dix pour parler des quelques expriences detravail en module tentes dans cette firme, dans la ligne des ralisations sudoises, ainsi que lerapporte Christophe Midler dans la thse cite57. Les mmes expressions reviennentaujourdhui propos dUddevalla dans la bouche de nombreux responsables de firmesautomobile.

    Les modules taient alors prsentes comme un retour latelier dautrefois, comme un dangerpour la productivit long terme et pour lquit sociale, comme un systme dont lesperformances ne sont pas valuables et surtout comme bloquant le processus inluctable delautomatisation. Le retour un montage fixe et complet aurait empcher dacqurir lexpriencencessaire pour automatiser, car on ne pourrait le faire quen dcomposant les oprations selonla logique de lconomie de temps comme on le fait actuellement.

    On sait combien lautomatisation ralise dans les annes quatre-vingt par les constructeurseuropens et amricains na atteint les objectifs viss de productivit et de qualit, quand elle yest parvenue, quaprs bien des difficults, des modifications et des mises au point longues etcoteuses en investissements, en pertes de production et en rductions deffectif prmatures.Ces constructeurs ont voulu alors, en automatisant des oprations apparemment simpleseffectues par de la main doeuvre directe non qualifie, augmenter dun coup la productivit etla qualit. Mais ils lont fait sans que leurs ingnieurs aient une connaissance et une matrisesuffisantes des paramtres prendre en compte en situation de production relle. Le rsultat at inverse celui escompt, au point quil na pas t pour rien dans les difficults financiresde ces constructeurs durant les annes quatre-vingt. Ces derniers sont revenus depuis plus deralisme, voire mme ils dsautomatisent dans certains cas. Ils nont pas pour autant remis enquestion la priorit la rduction de la main doeuvre directe qui est au fondement de leurstratgie dautomatisation.

    Les constructeurs japonais ont t dans lensemble moins prsomptueux et de ce fait plusconomes de leurs investissements. Ils ont automatis pas pas, au fur et mesure quilsmatrisaient, non seulement la technologie, mais surtout tous les aspects des oprationsconcrtes en situation de production pleine cadence. Ils nen partagent pas moins toujours la

    57Christophe MIDLER, op.cit, p.177.

  • Actes du GERPISA N9 182

    philosophie productive consistant automatiser dabord les oprations directes de fabrication etde montage.

    Le systme uddevallien nest pas un systme artisanal, ni le retour un travail naturel, commecertains de ses dfenseurs lont imprudemment qualifi. Il a pour condition la standardisation etlinterchangabilit des pices, principe quil partage avec les autres modles industrielsexistants. Surtout, il doit tre analys, nous semble-t-il, comme une autre stratgiedautomatisation. Sont automatises en effet toutes les oprations sans valeur ajoute, savoirles manutentions et la gestion. En revanche ce qui est complexe, coteux et prmatur automatiser, savoir la prparation et le montage de vhicules de plus en plus quips et varis,est laiss pour linstant en manuel.

    Toutefois, si ce systme devait rester fig dans cette rpartition entre le manuel et lautomatique,il aurait peu davenir dans un contexte conomique rgi par les rapports capitalistes, ou il nepourrait survivre, et encore temporairement, que dans une production de niche. Comment lesprincipes holistes pourraient tre appliqus la conception de lautomatisation du montage et dela production en gnral? Les recherches sur les conceptions du travail et les schmasorganisationnels qui sont matrialiss par les machines commencent peine tre reconnuescomme recevables et pertinentes et faire lobjet de programmes publiques de recherche. Il estdonc encore tt pour apporter une rponse dveloppe la question prcdente. On peuttoutefois entrevoir des lments de rponse.

    On sait que les difficults rencontres dans la mise au point des installations automatises et lesrsultats dcevants dans un premier temps et moyennement satisfaisants aujourdhuiproviennent de ce que les installations sont conues, dans leur architecture mcanique etinformatique, pour rduire au maximum les temps darrts dus des dysfonctionnements, partir dun nombre dtermin lavance dincidents imagins comme pouvant se produire. Lesincidents non prvus sont plus importants et frquents que ce qui avait pu tre pens. Lesinterventions rapides des conducteurs et dpanneurs pour relancer au plus vite la productionamne reporter plus tard et faire traiter par dautres les causes premires desdysfonctionnements58. Une conception holiste du travail applique la conception desinstallations automatises conduirait penser ces dernires de telle sorte que leurs conducteurssoient en mesure matriellement et cognitivement de reprer et de participer lanalyse descauses premires des alas de fabrication et des pannes-machine. Cest en crant les conditionstechniques et organisationnelles dune intelligence densemble du produit et du processusautomatis pour les conducteurs dinstallations, sur le modle de ce qui a t fait pour lemontage manuel Uddevalla, que lon peut esprer voir se dvelopper une formedautomatisation socialement anthropocentre, et senclencher un processus social rel etdurable dinversion de la division de lintelligence du travail. On a analys ailleurs lesconditions sociales et politiques pour quun tel mouvement ait des chances de se dvelopper59.

    58Michel Freyssenet, art. cit.59Ibidem

  • Actes du GERPISA N9 183

    Conclusion. Faut-il rexaminer lhistoire industrielle?

    Si ce qui prcde a quelque pertinence, le cas dUddevalla pose de trs nombreux et importantsproblmes la reprsentation de lhistoire industrielle que nous nous sommes construits.

    En effet, la rflexion, rien nempchait laube du XXme sicle de concevoir de la mmefaon la production: approche cognitive, et approvisionnement en une seule fois de toutes lespices du vhicule assembler. Comment a-t-on t conduit considrer comme une videnceles ncessaires dcomposition/recomposition et fluidification du processus productif pouraccrotre la productivit? Pour rpondre cette question, il faut au pralable expliquer les gainsde productivit considrables qui ont t raliss, si ces deux principes ntaient pas essentielles la production industrielle.

    Des trois principes fondateurs du systme industriel actuel, on peut se demander si lastandardisation des pices et aujourdhui des procdures de leur conception na pas t et nestpas le plus important, les deux autres tant plus des principes de disciplinarisation de la maindoeuvre et de recours des salaris non ou moins qualifis, que des principes visantfondamentalement et directement rduire les cots.

    Le modle toyotiste, si on le considre comme tant la recherche pragmatique des causespremires des dysfonctionnements en impliquant les ouvriers dans cette recherche, nest pasall jusqu la remise en cause des principes productifs qui apparaissent lorigine dun grandnombre de ces dysfonctionnements. Il a contenu la dynamique organisationnelle, technique etsociale quil pouvait engendrer. T.Ohno aurait oubli un sixime pourquoi! Le toyotisme aessay de rduire les consquences conomiques des problmes structurels de la productionadditive en ligne. La pression exerce sur les salaris pour y parvenir amne Toyota faireaujourdhui quelque peu machine arrire, en allgeant la charge. Le systme uddevallien, en sefondant sur des principes cognitifs et sur la production en parallle, supprime les problmesstructurels que le toyotisme na pas cherch analyser et dpasser. On peut penser alors quilcontient, paradoxalement eu gard la fermeture de lusine dUddevalla, les potentialits duneplus grande efficience productive, sous certaines conditions sociales.