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CNFPT INSET ANGERS
L’ACCOMPAGNEMENT DES MAJEURS VULNERABLES : PLACE ET ACTIONS DES SERVICES SOCIAUX DES DEPARTEMENTS, EN LIEN AVEC LEURS PARTENAIRES
4 et 5 décembre 2012 Synthèse
S
Sommaire
Introduction ................................................................................................................. 3
La vulnérabilité, une notion inscrite dans un contexte philosophique et anthropo-juridique ....................................................................................................................... 4
La vulnérabilité, fragilité universelle ou fruit des inégalités ? ..................................................................... 4 Approche libérale versus approche sociale de la vulnérabilité ................................................................... 4 L’impossible approche « socio-civile » de la vulnérabilité ? ........................................................................ 5
Le bilan en demi-teinte de la réforme du 5 mars 2007 .................................................... 6
Objectifs de la loi du 5 mars 2007 .............................................................................................................. 6 Pour une déjudiciarisation des mesures de protection et une meilleure prise en compte de l’inté rêt de la personne ................................................................................................................................... 6 Pour une maîtrise de l’incidence financière des mesures de protection ........................................ 6
Le regard critique de la cour des comptes et des Départements sur les conséquences de la réforme de
2007 .......................................................................................................................................................... 6 Un dispositif social qui n’a pas trouvé son public et a exclu des publics fragiles ............................. 6 Un dispositif plus onéreux que prévu .......................................................................................... 7
Recommandations stratégiques de la cour des comptes et de l’ANCASD ................................................... 7
Des pratiques départementales d’accompagnement à l’impératif de coopération avec la justice et la médecine ................................................................................................... 8
Des pratiques d’accompagnement en construction.................................................................................... 8 Diversité des organisations mais choix prioritaire de la délégation de la MASP .............................. 8 De la constitution d’un cadre interne d’intervention au développement des dynamiques partenariales ..................................................................................................................................... 8
Pour une coopération renforcée au service des majeurs vulnérables ......................................................... 9 Entre les services sociaux et les médecins, une coopération parfois complexe ............................... 9 Les acteurs judiciaires, interlocuteurs quotidiens des services sociaux des Départements ............ 10 La « réciprocité des interventions » comme fondement de l’accompagnement des majeurs vulnérables...................................................................................................................................... 10
Les voies de la participation de l’usager : le contrat, la co-construction et la contrainte 12
La participation des usagers au service, un moyen « d’améliorer ces petites choses qui gênent la vie ». .. 12 Contractualisation et « empowerment » des usagers, socle de l’accompagnement ? ............................... 12 La contrainte, une dimension inhérente à tout accompagnement ? ......................................................... 13
Conclusion .................................................................................................................. 15
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
3
Introduction
Dans la continuité d’une rencontre consacrée il y a deux ans au thème des
enjeux pour les Départements de la réforme juridique des majeurs1, le Centre
national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a organisé à l’Institut
national spécialisé d’études territoriales (INSET) d’Angers les 4 et 5 décembre 2012, un colloque relatif à la place et au rôle des services sociaux
départementaux dans l’accompagnement des majeurs vulnérables , en lien
avec leurs partenaires.
Alors que la loi du 5 mars de 2007 a institué le Département comme « chef de
file » de l’accompagnement des majeurs vulnérables, les divers acteurs réunis
à cette occasion (services sociaux des Départements, services mandataires,
médecins et infirmiers, magistrats…) ne se sont pas bornés au bilan de la
réforme de la protection juridique des majeurs et ont développé des réflexions
stratégiques dont la vocation est d’améliorer l’accompagnement de demain.
Dans ce cadre, les échanges ont porté sur les pratiques et les retours
d’expérience des Départements dans la mise en œuvre des mesures
d’accompagnement, la participation des usagers à l’accompagnement et l’impératif de coopération entre acteurs des champs social, médical et
judiciaire. Par ailleurs, l’accompagnement social ne pouvant faire l’économie
d’une démarche réflexive, ces deux jours ont été l’occasion de nombreux
détours conceptuels propres à nourrir des pratiques écartelées entre d’une
part, des questionnements d’ordre éthique, politique et philosophique, et
d’autre part, le pragmatisme de l’action et l’urgence des situations.
1 « Réforme de la protection juridique des majeurs : quels enjeux pour les Départements ? », 25 et 26 mars 2010, CNFPT-INSET Angers.
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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La vulnérabilité, une notion inscrite dans un contexte philosophique et anthropo-juridique
Alors que la notion de « vulnérabilité » a tendance à réifier un phénomène
social de grande ampleur correspondant à une réalité multiforme, l’intervention
de Benoit Eyraud, sociologue spécialiste de la protection des majeurs, a
permis de rendre compte de la variété des acceptions et de la diversité des
approches dont la vulnérabilité fait l’objet.
La vulnérabilité, fragilité universelle ou fruit des inégalités ?
Selon Benoit Eyraud, la notion de vulnérabilité renvoie à deux acceptions principales. D’une part, la vulnérabilité renvoie à l’expérience universelle
de la souffrance et de moments de vulnérabilité qui émaillent un parcours de
vie. D’autre part, la vulnérabilité renvoie à l’expérience d’inégalités,
sociales ou de santé. Dans le premier cas, la vulnérabilité relève d’une prise
en charge ordinaire et de la responsabilité individuelle. Dans le deuxième cas,
la collectivité comporte une responsabilité dans la réduction spécifique des
inégalités entre les groupes sociaux.
Ainsi, ces deux acceptions se sont incarnées dans des modes de
régulation juridique différents. De manière générale, alors que le droit civil
d’inspiration libérale a considéré davantage la vulnérabilité comme expérience
transversale à la condition humaine, les droits sociaux se sont constitués pour
répondre à une vulnérabilité issue des inégalités.
Approche libérale versus approche sociale de la vulnérabilité
Deux approches à la fois rivales et complémentaires de la vulnérabilité ont
constitué une tension structurante des sociétés démocratiques : l’approche
libérale et l’approche sociale.
L’approche libérale repose sur les droits subjectifs, l’individu prime sur le
collectif, tandis que l’approche sociale met avant le collectif qui décide d’un
certain nombre de droits et de créances octroyés à l’individu. Alors que
l’approche libérale s’appuie sur la contractualisation, la propriété – matérielle
et de soi – et considère la liberté individuelle de la personne comme
inaliénable, l’approche sociale repose sur la définition de statuts sociaux et la
redistribution de la production collective des richesses.
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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D’un point de vue juridique, l’approche libérale de la vulnérabilité s’est
traduite sous la figure du droit civil tandis que l’approche sociale se
matérialisait par le développement régulier des droits sociaux2.
Mettant en jeu un usage étendu de la notion de contrat, le droit civil repose sur
la présomption d’autonomie de la personne et la liberté individuelle,
uniquement bornées par les limites de l’ordre public, de la famille et de la
raison. Dans ce cadre, la vulnérabilité répond dans la mesure du possible à un
souci de discrétion, de prise en charge par la famille ou le médecin, et place
une frontière forte entre l’espace intime et l’espace public. A contrario les
droits sociaux et la prise en charge collective de la vulnérabilité supposent une
objectivation catégorielle et une quantification de la vulnérabilité. L’ayant droit
bénéficiant de la prise en charge publique est ainsi pensé au travers d’une
moyenne calculée à partir des finances publiques, du savoir des médecins et
des commissions habilitées. Au regard des créances qui lui sont accordées, la
collectivité bénéficie par ailleurs d’un droit de regard et d’un pouvoir de
contrainte sur l’ayant droit.
L’impossible approche « socio-civile » de la vulnérabilité ?
Pour Benoit Eyraud, le moment des « trente glorieuses » a correspondu à
un moment d’espoir d’articulation des logiques civiles et libérales ,
d’unions du contrat et du statut, de la responsabilité individuelle et de la
responsabilité collective.
La carence la plus manifeste de la loi du 5 mars 2007 est selon lui d’avoir
tenté de synthétiser ces deux logiques rivales et complémentaires. En effet, en
introduisant une frontière étanche entre logiques sociales et logiques
libérales, le législateur empêcherait de penser selon Benoit Eyraud
l’imbrication de ces logiques dans les pratiques professionnelles et s’éloigne
des réalités de terrain faites d’interpénétrations et de discontinuité des
parcours de vie.
2Même si le champ d’intervention du droit civil et des droits sociaux n’est pas identique, le droit civil régulant les relations interpersonnelles tandis que les droits sociaux correspondent aux règles entre individus et collectivité, Benoit Eyraud considère que ces deux types de droit entrent en conflit ou en complémentarité sur le sujet de la vulnérabilité
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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Le bilan en demi-teinte de la réforme du 5 mars 2007
Objectifs de la loi du 5 mars 2007
Pour une déjudiciarisation des mesures de protection et une meilleure prise en
compte de l’intérêt de la personne
Patrick Vermeulen, président de section à la Cour des comptes explique que, partant du postulat d’une « sur-judiciarisation » des mesures de
protection, le législateur de 2007 a mis fin à la saisine d’office du juge des
tutelles et a établi une distinction entre le volet judiciaire des mesures de
protection et le volet social, décliné en mesures d’accompagnement.
Par ailleurs, la loi du 5 mars 2007 a réaffirmé les principes de nécessité, de
subsidiarité et de proportionnalité des mesures de protection. Dans ce cadre,
la durée des mesures de protection a été soumise à révision tous les cinq ans
tandis que les Mesures d’accompagnement social personnalisé (MASP) – à la
charge des Départements – doivent organiser de façon contractuelle et
graduée l’accompagnement à la gestion des prestations sociales.
Pour une maîtrise de l’incidence financière des mesures de protection
Afin de maîtriser l’évolution des coûts des mesures de protection et
d’accompagnement, la réforme prévoyait un renforcement de la participation
financière du majeur, une uniformisation des modes de financement des
mesures de protection et une répartition simplifiée des financements entre les
bailleurs publics. Dans ce cadre, le Département finance les MASP et les
Mesures d’accompagnement judiciaire (MAJ) pour les personnes bénéficiaires
d’allocations dont ils ont la charge.
Le regard critique de la cour des comptes et des Départements sur les conséquences de la réforme de 2007
Un dispositif social qui n’a pas trouvé son public et a exclu des publics fragiles
Laurence Palierne, de l’Association nationale des cadres de l’action sociale des Départements (ANCASD), souligne la faible montée en charge des
MASP3. Parallèlement, la déjudiciarisation des mesures de protection attendue
n’a pas eu lieu, le nombre de mesures judiciaires ne cessant de cro ître4
malgré une sous-dotation du partenaire judiciaire.
En outre, les personnes âgées percevant de petites retraites et les jeunes de
moins de 25 ans ont été exclus du dispositif alors que ceux-ci sont souvent
3Les MASP étaient au nombre de 3173 en 2009 malgré des prévisions initiales de l’ordre de 9800 à 13 000 pour la
première année 4137 954 en 2007, 175 782 en 2009 et 181 279 en 2010 selon le rapport de la Cour des comptes
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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dépourvus de prestations sociales. Par ailleurs, la moitié des 700 000
bénéficiaires de mesures de protections civiles risque de ne plus être protégée
après la révision des mesures, dont la date d’échéance est fixée au
31 décembre 2012.
Un dispositif plus onéreux que prévu
Le volet social de la réforme de 2007 représente une charge
supplémentaire pour les Départements de 47 millions d’euros en 2011 –
uniquement pour les MASP – contre 21 millions d’euros selon les prévisions
initiales. Parallèlement, les MAJ qui devaient diminuer ne cessent d’augmenter
et représente un coût supplémentaire. En outre, les efforts de recrutements
ont pesé aussi bien sur les budgets des conseils généraux que sur ceux des
tribunaux.
Dans cette configuration, Laurence Palierne note l’écart considérable entre
l’augmentation de la précarité et la faible mobilisation du dispositif MASP. Elle
s’interroge aussi bien sur la pertinence des modalités d’intervention
individuelle que sur l’éventualité d’une collaboration avec l’Etat concernant les
publics relevant de sa compétence.
Recommandations stratégiques de la cour des comptes et de l’ANCASD
Pour pallier au relatif échec du volet social de la réforme de 2007, la cour des comptes et l’ANCASD, recommandent de mettre en place un suivi de
l’évolution quantitative des MASP et de leur intégration aux dispositifs
sociaux existants ainsi qu’une évaluation conjointe – par les services
départementaux et judiciaire – relative à la place et à l’articulation des MAJ
avec les MASP. Par ailleurs, ils préconisent la mise en œuvre d’études
démographiques prospectives relatives aux populations vulnérables.
Dans ce contexte de réforme imparfaite de la protection juridique des majeurs,
« il y autant de projets de service que de Départements » constate Laurence
Palierne. En effet, les conseils généraux ont développé, en fonction des
configurations territoriales et du degré d’investissement politique dans leur
rôle de « chef de file », des organisations et des pratiques d’accompagnement
diverses. Par ailleurs, ils sont confrontés à un défi de poids : coordonner une
véritable coopération au service des majeurs vulnérables.
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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Des pratiques départementales d’accompagnement à l’impératif de coopération avec la justice et la médecine
Des pratiques d’accompagnement en construction
Diversité des organisations mais choix prioritaire de la délégation de la MASP
Les échanges ont été l’occasion de mettre en lumière des disposi tifs
organisationnels divers. Ainsi, Bernadette Chapey explique que le conseil général d’Ille-et-Vilaine a fait le choix d’une déconcentration des services
reposant sur les principes de cohérence départementale et de
management de proximité. Dans ce cadre, les responsables des Centres
départementaux d’action sociale (CDAS) sont légitimes pour prendre toute
décision et constituent le bras armé du Département sur le territoire en
matière d’accompagnement des majeurs vulnérables. A contrario, Françoise Esnault, du conseil général des Landes, motive la centralisation d’une
instance de protection des majeurs vulnérables par la volonté d’assurer
un suivi des situations préoccupantes et d’offrir un cadre d’intervention
global aux professionnels.
81 % des Départements ont fait le choix de la MASP avec gestion
déléguée face à la complexité de la gestion des prestations, les obstacles
administratifs ou comptables ou encore le cumul des réformes. Comme le
rappelle Chantal Trillaud, le conseil général des Deux-Sèvres est l’un des sept Départements gérant la MASP en régie directe. Elle explique que ce choix
d’un mode de gestion minoritaire procède d’une volonté politique d’assumer un
véritable rôle de chef de file de l’accompagnement des majeurs vulnérables et
fait état de la complexité de mise en œuvre d’une telle démarche qui requiert
un travail étroit avec les caisses débitrices de prestations sociales.
De la constitution d’un cadre interne d’intervention au développement des
dynamiques partenariales
Alors qu’Yves Abibou, directeur de Ressources et développement, a mis en
exergue la nécessité d’établir un projet de service, déclinaison des objectifs
politiques du Département à l’échelle d’un service et moyen de clarifier le
cadre d’intervention des travailleurs sociaux, Anne Morvan-Paris, directrice de
la famille et de l’action sociale au conseil général du Morbihan, a rappelé le
caractère indispensable de l’implication des élus dans la stratégie
d’accompagnement des majeurs ainsi que la nécessité de les sensibiliser à
leur rôle et à leur responsabilité.
En ce sens, la démarche du conseil général du Haut-Rhin, expliquée par
Catherine Mercklé, responsable de l’unité de la protection des majeurs,
apparaît exemplaire. Suite à la validation par l’assemblée départementale du
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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Haut-Rhin de la nécessité d’une approche politique et intégrée en faveur des
majeurs vulnérables, son service a mené une mission d’étude transversale et
multi-professionnelle sur l’approche de la vulnérabilité et la prise en charge
des majeurs en situation de vulnérabilité. Cette démarche réflexive –
interrogation des notions de vulnérabilité, d’autonomie, de précarité – et
transversale aux services a permis la constitution d’une culture commune de
la vulnérabilité et l’établissement d’un référentiel technique orienté vers
l’action (évaluation des situations, méthodologie des interventions…).
De la même manière, Françoise Esnault a décrit la mise en place d’un
protocole interne aux services du conseil général des Landes, déclinant les
procédures de prise en charge et d’orientation des majeurs vulnérables et
accompagné d’une variété d’outils au service des travailleurs sociaux et des
partenaires judiciaires et médicaux (rapport type de signalements accompagné
d’une notice explicative, fiche navette pour les échanges avec les tribunaux,
mise à disposition d’une liste de médecins-experts, information systématique
des travailleurs sociaux par les médecins…).
A partir de l’établissement d’un projet de service et d’un cadre
d’intervention à la fois conceptuel et technique, les conseils généraux
sont ainsi mieux armés pour entretenir une coopération certes complexe
mais indispensable avec les autorités judiciaires et les professionnels de
santé.
Pour une coopération renforcée au service des majeurs vulnérables
Entre les services sociaux et les médecins, une coopération parfois complexe
Au travers de ses « vignettes cliniques », le docteur Vasseur a illustré par le
récit les bienfaits pour les majeurs vulnérables de la coopération : de la
prévention de l’abus de faiblesse par la mutualisation des énergies des
travailleurs sociaux, du médecin, du procureur et des forces de police au
déblocage de situations de maltraitance par l’action conjointe des intervenants
sociaux, des services de tutelle et du personnel médical, la coopération est
propre à dénouer des situations apparemment inextricables.
Pourtant, les obstacles à cette coopération sont nombreux : alors que
l’absence d’un réseau territorial des médecins-experts, le coût dissuasif des
honoraires de l’expert5 et la désertification médicale de certains territoires
constituent autant de freins à la protection des majeurs vulnérables,
Emmanuel Vasseur plaide pour la formalisation de conventions entre
associations mandataires et médecins et la mise à disposition d’un temps
médical au sein des hôpitaux pour les expertises.
Danièle Dipoko, de la cellule de protection des personnes du conseil général
de la Loire, souligne pour sa part le manque de coopération des médecins au
nom d’un « sacro-saint secret médical ». Or, elle rappelle que le signalement
5 La prise en charge deses honoraires, dont le cout s’élève à 160 euros, faitrégulièrement l’objet de litiges entre le majeur vulnérable, la justice et les services sociaux des Départements
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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d’un travailleur social envoyé au procureur de la République n’a aucune valeur
sans le certificat médical du médecin-expert qui dispose en la matière d’un
pouvoir déterminant. Elle en appelle consécutivement à une position
d’ouverture de l’Ordre des médecins. A ce titre, une infirmière présente dans
la salle revendique la position d’interface entre médecins et travailleurs
sociaux des personnels infirmiers, susceptibles de retranscrire aux services
sociaux les conséquences d’un diagnostic sans entamer le secret
professionnel.
Les acteurs judiciaires, interlocuteurs quotidiens des services sociaux des
Départements
Comme l’a signalé Laurent Sochard, responsable du pôle enfance à L’INSET,
les échanges de la salle avec Géraldine Bercovici, juge des tutelles à Angers
et avec Marianne Descorne, juge des tutelles à Périgueux, ont pris « des airs
de consultation juridique », révélant ainsi les fortes attentes des intervenants
sociaux vis-à-vis de la justice et la vivacité de leurs questionnements.
Plusieurs collectivités, comme en témoignent les expériences des conseils
généraux du Haut-Rhin et des Landes, ont établi des protocoles avec les autorités judiciaires, permettant ainsi de délimiter leurs cadres
d’intervention respectifs, de faciliter le partage des informations et
d’institutionnaliser des temps de rencontre entre des acteurs en lien
permanent.
Pour autant, face aux attentes des travailleurs sociaux, Marianne Descorne précise que « les juges ne sont pas omnipotents », rappelant la disparition de
leur saisine d’office et les limites de leur intervention induites par le
principe de liberté individuelle.
Alors qu’un membre du public regrette que les services sociaux ne bénéficient
que rarement d’un retour du parquet concernant les dossiers qu’ils engagent,
Marianne Descorne reconnaît que les autorités judiciaires ne disposent pas
des moyens humains et financiers nécessaires pour procéder à un retour
systématique. Pour favoriser le partage d’informations, elle rappelle
néanmoins l’existence de fiches navette et explique comment procéder à une
communication informelle auprès des travailleurs sociaux au moment de
l’accompagnement de la personne protégée. Géraldine Bercovici recommande
pour sa part d’apporter un soin particulier à la constitution des dossiers pour
favoriser leur prise en compte et la célérité de leur instruction.
La « réciprocité des interventions » comme fondement de l’accompagnement
des majeurs vulnérables
Tandis que les interventions des acteurs judiciaires et médicaux ont dévoilé
les freins et les horizons d’une coopération nécessaire, Michel Pucheu,
directeur d’un service mandataire au Pays basque, a présenté un projet qui
signe la volonté d’un territoire de mutualiser les énergies des acteurs de
terrain sur la base d’une « réciprocité des interventions ». Partant du constat
que la multitude des intervenants complexifie la compréhension de
l’accompagnement et que celui-ci repose sur une base relationnelle, les
porteurs du projet ont fait le choix de croiser les regards des intervenants et
d’établir un cadre d’intervention qui scinde en plusieurs parties cette dernière
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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et inventorie la variété des difficultés de la personne protégée. Au travers de
rencontres entre acteurs mandataires et représentants des Départements, les
responsabilités de chacun ont été délimitées, une commission d’évaluation a
été mise sur pied et les conditions de la circulation des informations ont été
formalisées pour améliorer la qualité de l’accompagnement.
La réussite de l’accompagnement et de la protection des majeurs impose une
coopération des travailleurs sociaux avec les acteurs judiciaires et médicaux
mais aussi des acteurs sociaux entre eux. Plus encore, la réussite de
l’accompagnement réside sur une participation des usagers prévue par loi qui
revêt une dimension paradoxale et se décline à plusieurs niveaux.
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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Les voies de la participation de l’usager : le contrat, la co-construction et la contrainte
Comme le souligne Aude Lagneau, mandataire judiciaire en charge d’une
étude sur la participation des usagers au sein de l’Union départementale des
associations familiales (UDAF) du Maine-et-Loire, la participation de
l’usager dans l’action sociale n’a pas d’existence en soi . En effet, elle
s’inscrit dans un rapport – asymétrique – entre personnes et dans un
rapport au pouvoir, lequel est incarné par les travailleurs sociaux. Elle peut
être un moyen de mobiliser mais ne se déploie qu’au travers de dispositifs
institués. Dans ce cadre, comment mettre en œuvre la « participation à
l’accompagnement », notion paradoxale et condition pourtant nécessaire à la
réussite de l’accompagnement ?
La participation des usagers au service, un moyen « d’améliorer ces petites choses qui gênent la vie ».
Eric Lesouef, directeur de l’Association départementale d’éducat ion et
d’insertion (ADEI) de Charente-Maritime, a mis en œuvre au sein de sa
structure des groupes d’expression et des enquêtes de satisfaction, moyens
d’identifier les points forts et les points d’amélioration du service rendu aux
usagers, de communiquer sur l’organisation du service et d’expliquer les droits
et les devoirs de chacun. Ces outils, au-delà de leur intérêt en termes de
valorisation des usagers, ont permis de leur faire prendre conscience de la nécessité de l’inscription du tuteur dans un cadre organisationnel large.
Par ailleurs, ils ont également permis de révéler aux responsables du service
l’importance accordée par les usagers à l’accueil physique et téléphonique , à
la première rencontre et d’apporter des réponses organisationnelles au
message exprimé par les usagers.
Contractualisation et « empowerment » des usagers, socle de l’accompagnement ?
Le dispositif MASP repose sur la contractualisation comme principe moteur de l’accompagnement social6. Pour Yves Abibou, le processus de
contractualisation constitue la pierre angulaire de l’accompagnement et
doit dessiner des solutions en collaboration avec l’usager. Il suppose à la fois
son consentement et le renforcement de sa capacité à agir par un travail de
qualification, de développement de ses compétences et de sa conscience
critique mais aussi de son engagement dans l’action. L’accompagnement
passe alors par la capacité d’aider la personne à formuler son problème, à
6Hormis pour la MASP de niveau 3 dite contraignante, très peu usitée par les travailleurs sociaux qui considèrent pour la plupart qu’elle entre en contradiction avec le travail d’accompagnement social
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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définir ses objectifs et sa solution ainsi que ses besoins d’accompagnement.
Dans cette perspective, il est légitime de refuser un mauvais contrat, tandis
que d’un bon contrat découlera naturellement la réussite de
l’accompagnement. Selon Yves Abibou, trois contrats se cachent derrière
chaque contrat d’accompagnement : un contrat professionnel et relationnel qui
établit un cadre d’intervention et des relations de confiance ; un contrat social
ou politique, qui inscrit le travailleur social comme tiers entre l’usager et la
collectivité afin d’évacuer les tensions interpersonnelles ; un contrat
institutionnel – ou « projet de service » – qui doit faire preuve de clarté pour
contribuer à la qualité de l’accompagnement.
Dans une perspective analogue, l’Agence nationale de l’évaluation et de la
qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM),
par la voix d’Elise Gatesoupe, recommande d’informer de manière optimale
les usagers sur le contrat et l’accompagnement, de susciter une co-
construction des objectifs de l’accompagnement et de permettre aux usagers
de s’exprimer en cas de désaccord relatif à la mesure d’accompagnement.
Advocacy France, association d’usagers en santé mentale, souhaite au travers
du paradigme de l’ « empowerment »7, aller plus loin et réunir les conditions
d’une véritable participation des usagers à leur accompagnement. Pour ce faire, son représentant Robert Deutsch revendique une authentique
participation des usagers aux instances et concertations à l’origine des
textes législatifs et réglementaires. Par ailleurs, Advovacy France souhaite
dans le cadre des mesures de protection l’application des principes
d’accompagnement à l’autoreprésentation et à la prise de décision ainsi
qu’une vigilance accrue dans la sélection des accompagnateurs et les
éventuels conflits entre accompagnants et accompagnés.
Si les notions de « contrat », de « collaboration » et de « co-construction » ont
été au cœur des débats relatifs à l’accompagnement social, la dimension de
contrainte de toute mesure sociale, et par là même celle de maltraitance, sont
également apparues à de nombreuses reprises lors des échanges, témoignant
ainsi de l’ambivalence et de la complexité de l’accompagnement des majeurs
vulnérables.
La contrainte, une dimension inhérente à tout accompagnement ?
Pour Benoit Eyraud, la contrainte est présente dans tout travail
d’accompagnement. Si depuis les années 1980, les politiques sociales tentent
d’introduire la notion de contrat dans un objectif de reconnaissance des
usagers comme sujet et visent à donner une épaisseur constructive aux
notions d’adhésion et de consentement, le contrat d’accompagnement
demeure dans une large mesure fictif et asymétrique.
Cette dimension contraignante se traduit dans les pratiques ordinaires des
travailleurs sociaux, comme l’illustre l’exemple de la contrainte de toilette
quotidienne imposée aux personnes âgées qu’évoque Marie-Cécile Jaboeuf
7Terme traduit par « pouvoir agir » ou capacitation en français.
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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du conseil général de Loire-Atlantique. Face à cette injonction normative, quid
de la liberté individuelle ? Benoit Eyraud concède que le conflit entre le
respect de la liberté individuelle et les normes élémentaires du vivre-
ensemble correspond à un fragile équilibre de l’accompagnement et de la
bientraitance. Une préoccupation relayée par Michel Pucheu qui évoque la
subjectivité inhérente aux pratiques des travailleurs sociaux, qui ajoutent à un
système de valeurs sociétales un système de valeurs personnel. A cet égard,
Emmanuel Vasseur explique que pour éviter toute dérive subjective
susceptible d’être attentatoire à la personne, il avait pris l’habitude de confier
à ses collaborateurs les coordonnées de trois confrères chargés de le
raisonner en cas d’urgence.
Pour Yves Abibou, l’imposition d’une contrainte, inhérente à la mesure
d’accompagnement, ne doit pas effrayer les travailleurs sociaux. En effet, est -
ce que l’autonomie et la vie ordinaire ne correspondent pas à l’acceptation quotidienne de contraintes ? En revanche, la problématique de l’équilibre
entre bientraitance et maltraitance, au cœur des activités médico-
sociales, doit selon lui faire l’objet d’un investissement pluridisc iplinaire
et d’une meilleure prise en considération par les conseils généraux.
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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Conclusion
Du point de vue de Muriel Rousseil, ces deux journées riches de débats ont
témoigné « aussi bien du chemin parcouru que du chemin à parcourir » en
matière d’accompagnement des majeurs vulnérables. Récemment intronisés
« chefs de file » de cet accompagnement, les conseils généraux ont été
sommés, comme le signale Jean-Pierre Teycheney, consultant à Ressources
et développement, de développer des compétences et une pert inence
d’approche mises en lumière par les témoignages des acteurs territoriaux.
Plus encore, à l’heure de ce que Laurent Sochard qualifie de « repli
institutionnel pour des raisons économiques », il est du devoir des
Départements, de la justice et de la médecine de coopérer dans le respect des
professionnalités et des responsabilités de chacun. Cette coopération a été
entamée et nécessite désormais d’être entretenue et étendue, selon Jean-
Pierre Teycheney. Dans cette perspective, de nombreux intervenants ont
rappelé l’impératif d’investissement politique, à l’échelle locale et nationale,
dans le cadre du phénomène grandissant de la vulnérabilité des majeurs.
La vulnérabilité des majeurs constitue un phénomène complexe, soumis à des
causalités et à des manifestations diverses – économiques et sociales,
psychologiques, psychiatriques –, traversé par des dynamiques et des
logiques paradoxales ou rivales – approche libérale et approche sociale,
participation et contrainte – et en proie à la subjectivité des praticiens. En
cela, la densité des travaux aura permis de nourrir une praxis de
l’accompagnement et les divers échanges ont été autant de preuves d’une
capacité à agir des professionnels au travers d’une « éthique de la
responsabilité ».
L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires – 4 et 5 décembre 2012
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Actes du séminaire national : L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires
Edité par l’INSET - rue du Nid de Pie - CS 62020 - 49016 Angers Cedex – 02 41 22 41 22 www.cnfpt.fr Directeur de publication : Patrick DEBUT, directeur de l’INSET d’Angers Chef de projet : Muriel ROUSSEIL, responsable coordonnateur des Politiques d’autonomie du Service des pôles de compétences solidarité, cohésion sociale et enfance Appui au projet : Laurent SOCHARD, responsable coordonnateur des Politiques enfance du Service des pôles de compétences solidarité, cohésion sociale et enfance Communication - diffusion : Laurence RABASSE, chargée de communication, INSET d’Angers Assistante : Sandie CAHIER Couverture de l’événement et conception-rédaction : AVERTI © Décembre 2012 CNFPT/INSET D’ANGERS
Séminaire national : L’accompagnement des majeurs vulnérables : place et action des
services sociaux des départements, en lien avec leurs partenaires
4 et 5 décembre 2012
© CNFPT INSET Angers
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