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Chapitre I : La Famille : une institution en mutation
1. La Famille : une institution en mutation.
« On ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes »
[Proverbe juif]
1.1. Intérêt de l’étude de la Famille A mon sens, étudier la famille équivaut à prendre conscience de nos propres repères
familiaux. En effet, dans notre position de travailleurs sociaux, chargés de créer, nourrir et
entretenir le lien social, il est important de pouvoir différencier nos propres modèles familiaux
et d’apprendre à se montrer disponibles afin de découvrir et comprendre le milieu familial
dans lequel nous serons amenés à intervenir.
Je vois donc là une condition préalable à toute tentative d’action : apprendre à se
mettre à l’écoute de ce qui fait « sens » dans la famille du bénéficiaire auprès duquel nous
intervenons.
Il est important de bien garder en vue le principe de l’identité aux valeurs familiales :
le jeune déplace et reproduit les comportements, les mécanismes et les normes qu’il a connus
dans sa famille. Le passé est un bagage hérité dont il est impossible de se défaire et avec
lequel il est indispensable de conjuguer le présent.
Il m’apparaît dès lors essentiel de pouvoir poser un regard constructif et positif sur
toutes les situations familiales dans lesquelles nous serions amenés à interagir.
Ainsi, avant d’entrer plus en profondeur dans le sujet de ce mémoire, je vais donc
commencer par revenir sur les importantes mutations que cette institution a connu au fil du
temps.
Cette première partie sera donc consacrée à clarifier les principales notions liées à la
famille ainsi qu’à retracer brièvement l’évolution des différents modèles familiaux qui ont eu,
ou ont encore cours dans notre société.
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Chapitre I : Définitions de la famille
1.2. Définition de la Famille :
Je me suis tout d’abord attaché aux différents sens donnés au mot « famille ». Ma
recherche m’a permis de dégager deux définitions distinctes.
Ces deux définitions sont issues, d’une part, de la sociologie et, d’autre part, des
statisticiens.
a) Du point de vue des statisticiens :
Selon L’I.N.S.E.E1, la famille se
compose de l’ensemble des personnes
constitué soit par un couple avec ou
sans enfant soit par un adulte vivant
avec un ou plusieurs enfants (de moins de 25 ans) - famille dite monoparentale. Il n'est
donc pas précisé si le couple est marié ou non.
L’ I.N.S.E.E fait également une différence entre la famille et le
ménage. Ainsi, le ménage (groupe domestique) est l’ensemble des
personnes vivant sous le même toit, qu’ils aient ou non des liens de
parenté. Il peut y avoir une, deux, ou aucune famille dans un ménage.
Enfin, nous pouvons également différencier les familles au sens strict et les familles au
sens large. Les familles au sens large (parentèle) regroupent les personnes ayant un lien de
parenté et ne vivant pas nécessairement ensemble comme, par exemple, les grands parents et
leurs petits enfants.
b) Du point de vue de la sociologie : La famille est une Institution.
Il s’agit d’un ensemble de personnes unies par des liens de parenté2 qui peuvent être
des relations de mariage, de filiation ou encore de germanité.
1 Institut National de la Statistique et des Études Économiques 2 Il s’agit d’une triple relation : relation de mariage : l'alliance ; relation de filiation entre parents et enfants ; relation entre germains (frères et sœurs).
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Chapitre I : Les relations de parenté (alliance & filiation) variables selon les sociétés
Il est important de souligner que les relations de parenté sont essentiellement sociales,
et pas uniquement biologiques. Ainsi, dans le cas de l’adoption d’un enfant, la filiation n’est
pas biologique mais juridique.
Je peux donc en déduire que, dans la mesure où les relations de parenté peuvent être
sociales et pas seulement biologiques, d’une société à l’autre, d’une époque à l’autre, les
relations de parenté s’organisent différemment.
Ainsi, nous constatons, que selon les objectifs que la société assigne à la famille, celle-
ci s’organise selon des règles particulières.
C’est bien dans ce sens que la sociologie entrevoit la famille comme étant une
institution, c’est à dire un ensemble de règles. Ce sont ces règles qui conditionnent les
relations d'alliance mais aussi les relations de filiation.
c) Les relations de parenté (alliance et filiation) variables selon les sociétés :
Afin de me conforter dans l’idée que les relations de parenté pouvaient varier
considérablement selon les sociétés, j’ai entamé une petite recherche sur différents modes
d’alliances et de filiations dans des sociétés différentes.
- En matière d’alliance :
- Les Nuer Soudanais (régions du Nil) : Les Nuer acceptent le mariage entre femmes,
ce qui chez nous est illégal. Chez les Nuer, la filiation est patrilinéaire. Si une femme est
stérile, elle sera considérée comme un homme et ainsi, elle pourra se marier avec une autre
femme et assurer la poursuite de la lignée.
- Les Mossi du Yatenga : Les Mossi ont la particularité d’être polygames. Il y a
plusieurs raisons à ce mode de vie. D’abord pour des causes religieuses mais aussi pour des
raisons pratiques.
- La diversité des modèles familiaux- http://webetab.ac-bordeaux.fr/Etablissement/SudMedoc/ses/1998/secfam.htm
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Chapitre I : Les relations de parenté (alliance & filiation) variables selon les sociétés
En effet, les enfants ne sont jamais éduqués par leur mère naturelle mais par une des
autres femmes du père. Ainsi, une femme stérile peut également profiter des joies de la
maternité en élevant des enfants.
Au travers de ces deux exemples, je constate comment, d’une société à l’autre, les
règles d’alliance peuvent se révéler différentes. Il est cependant important de souligner que
certaines règles d’alliance se retrouvent dans toutes les sociétés. Pour les anthropologues, il
s’agit de règles universelles.
C’est le cas, par exemple, de l’exogamie. Il s’agit de l’obligation de former alliance
avec une autre famille.
Cette règle justifie le tabou de l’inceste et est liée à trois raisons : économique
(échanges entre les familles) ; politique (facteur de paix) et sociale (la société s’en retrouve
plus solidaire).
- En matière de filiation :
Ici aussi, j’ai pu me rendre compte que, selon les sociétés, les règles divergent. Trois
modèles de filiations tendent cependant à primer : patrilinéaire, matrilinéaire et bilinéaire.
- Matrilinéaire : Dans ce modèle, la filiation passe par la mère (c’est elle qui transmet
les biens et le nom de famille). La famille vit chez la mère. Le père social est l’oncle
maternel. Le géniteur est ignoré (c’est le cas des Moso)3
- Patrilinéaire : Ici, la filiation passe par le père, c’est donc l’inverse de la filiation
matrilinéaire, à cette différence que la mère n’est pas la tante paternelle, mais la génitrice
(comme chez les Nuer)4.
- Bilinéaire : Il s’agit d’une filiation assez rare qui passe par les deux parents et
combine les deux systèmes de filiation précédents.
L'individu obtient des aspects sociaux précis de chaque côté : nom de famille, droits,
devoirs, statuts, biens, culte des ancêtres, etc. (ce modèle de filiation se retrouve, par
exemple, chez les Touareg)5.
3 Il s’agit d’une des dernières sociétés de type matriarcal. Les Mosos vivent sur les hauts plateaux du Sud-Ouest de la Chine. - Les Moso : une civilisation qui va disparaître? http://www.voix-nomades.com 4 Nom d’une société du Soudan. 5 Les Illabakan (Niger) : une tribu touareg sahélienne et son aire de nomadisation - Bernus Edmond. Source Paris : ORSTOM, 1974 (Atlas des Structures Agraires au Sud du Sahara).
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Chapitre I : L’évolution de la Famille dans notre société
Bien que ces modèles soient relativement éloignés de ceux que nous connaissons, il
m’apparaissait utile d’être au clair avec la diversité des règles relatives à la famille. C’est en
effet, en prenant conscience du fait qu’il n’existe pas un modèle unique, que le professionnel
peut mieux percevoir ce qui, dans une famille, peut faire sens et ce, même si cela va à
l’encontre de ce qui lui a été proposé dans son propre modèle.
Il me semble primordial de pouvoir avoir une lecture des modèles rencontrés qui soit
le moins possible teintée par nos propres repères hérités.
C’est à ce prix que le travailleur social pourra parvenir à « s’émerveiller » de ce qui
« fait » une famille.
1.3. L’évolution de la Famille dans notre société :
Je me propose ici de revenir brièvement sur les différents modèles familiaux existant
ou ayant existé dans notre société.
Précisons directement que, la plupart du temps, ces modèles n’existent pas à « l’état pur ». Le
plus souvent, ils sont teintés différemment et empruntent des caractéristiques d’un autre
modèle.
Ajoutons encore que, si certaines familles conservent le même modèle toute leur vie,
d’autres peuvent passer de l’un à l’autre.
a) La famille traditionnelle (Patriarcale):
« La famille est plus importante que les individus qui la constituent ».
[Moses Isegawa - Extrait des Chroniques abyssiniennes]
C’est le modèle de famille existant originellement dans les milieux ruraux. Elle vit
essentiellement du travail de la terre, de l’artisanat et du commerce avec la ville.
La famille est une entité, c’est le « tout » et chacun œuvre en fonction d’un objectif commun :
la pérennité de la famille. La vie rurale est dure et la famille est soumise à des impératifs de
survie.
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Chapitre I : L’évolution de la Famille dans notre société
L’individualisme n’est pas de mise, le « je » n’existe que très peu et la vie de chacun
est réglée selon l’intérêt suprême de la famille.
Nous pouvons dégager les principaux rôles de celle-ci :
• fonction de reproduction (importance de perpétuer la lignée),
• fonction de socialisation (transmission de valeurs, normes, culture),
• fonction de production (assurer l’exploitation agricole, l’artisanat ou encore le
commerce),
• fonction de refuge et de protection (solidarité familiale très forte),
• fonction de transmission du patrimoine (culturel et économique).
Ce modèle est fortement hiérarchisé. Nous y trouvons la famille élargie (enfants,
parents, grands-parents, oncles, tantes, cousins, cousines) réunie sous le même toit.
Tous les membres gravitent autour du patriarche qui est le chef incontesté du clan.
C’est lui qui décide de tout et pour tous. Il demeure le garant du patrimoine économique (la
gestion de tous les biens et les décisions passant par lui) mais aussi des traditions et donc de la
reproduction des rapports sociaux au sein de la famille et de la société en général.
La mère est soumise à son mari. Elle a pour rôle : la procréation, la gestion du foyer,
élever les enfants en bas âge et éduquer des filles.
Dans ce type de famille, il y a de très nombreux enfants (mortalité infantile élevée).
Il est important de souligner que dans ce modèle, motivé par des objectifs de
reproduction et de survie, le bonheur, la liberté ou encore l’amour sont peu envisageables.
Partant de ces différents points et du fait que la sécurité est avant tout une sécurité
familiale (la famille prend en charge tous les membres de son clan sur le principe de la
solidarité familiale: assistance aux mourants, soins aux malades, charge des handicapés,
accueil des orphelins, éducation et socialisation des enfants,…), il apparaît impossible
d’envisager de laisser à l’abandon un enfant en dehors de la structure.
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Chapitre I : L’évolution de la Famille dans notre société
b) La famille nucléaire :
Avec l’avènement de l’industrialisation (les paysans migrent vers les villes pour fuir la
pauvreté et travailler dans les usines), du relâchement des différentes autorités
institutionnelles (politique, religieuse et sociale), les relations entre les enfants et les parents
évoluent jusqu’à basculer vers la confrontation des générations des années soixante.
Suite à la révolution industrielle, l’ancien modèle familial vole en éclats. La société
industrielle, en attirant les gens vers les grands centres urbains, provoque le démembrement
de la grande famille d'autrefois qui fait alors place à la famille nucléaire : le petit noyau
familial composé de la mère, du père et de deux ou trois enfants.
Cette famille dite nucléaire a, petit à petit, rompu les relations avec la parentèle et ses
relations avec la vie communautaire sont, le plus souvent, restreintes au minimum (par
opposition à l’ancien modèle, où la vie familiale était fortement liée à la vie sociétaire et où le
statut familial se confondait souvent avec le statut social).
Au lendemain de la révolution industrielle, s’opère une redéfinition des rôles entre les
hommes et les femmes. Les femmes ont lutté et se sont émancipées (notamment suite aux
événements de Mai’68).
Elles ont acquis leur indépendance financière et la contraception leur permet de
« maîtriser » le nombre et le moment des grossesses. Les décisions se font de manière plus
collective au sein des familles et il arrive même que les enfants soient consultés.
De plus, la famille n’est plus le premier lieu de socialisation. L’école, les clubs divers,
les médias (TV, magazines, …) ont pris le pas sur la famille.
Ce qui restera le plus grand changement, c’est le fait que les mariages ne sont
désormais plus des mariages de raison mais bien des mariages d’amour. Dans le même temps,
l’institution du mariage perd de son caractère sacré et on assiste à de plus en plus d’unions
libres.
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Chapitre I : L’évolution de la Famille dans notre société
L’augmentation des cas de divorces est bel et bien un signe montrant que ce qui
compte de plus en plus dans ces nouveaux modèles, c’est l’individu et non plus la famille
dans son entièreté.
L’objectif de ce nouveau modèle familial, reposant en grande partie sur
l’individualisme, est clairement d’être heureux (avec ce mythe du bonheur conjugal : le papa,
la maman, un garçon et une fille).
Emerge également le concept d’adolescence qui est la résultante de l’entrée dans le
monde du travail plus tardive, sous l’action combinée des études, de plus en plus longues et
du manque d’emplois. D’ailleurs, les enfants sont plus que jamais source d’investissement,
dans le sens où l’accès à la scolarité permet d’accéder à une position sociale valorisante.
Les enjeux sont bien différents des familles traditionnelles et la place de l’enfant s’en
trouve parfois fragilisée. Il peut être soumis à certaines formes de pression : le rêve de réussite
sociale, que les parents ont imaginé pour lui et auquel il doit tenter de faire face sous peine de
les décevoir, la séparation des parents, l’arrivée d’un nouveau conjoint ou de nouveaux frères
et sœurs, etc.
Je terminerai en précisant que la solidarité ne se situe désormais plus forcément au
sein même de la famille mais plus souvent à l’extérieur. La société, par le biais d’institutions
publiques ou privées, prend en charge les besoins jadis assumés par la solidarité familiale. On
parle d’une solidarité sociale.
c) Les nouveaux modèles familiaux :
D’autres types de structures familiales se développent suite à la famille nucléaire.
Apparaît le modèle de famille monoparentale6. La caractéristique étant qu’il n’y a, dans le
schéma familial, qu’un seul parent.
Se développent aussi les familles reconstituées. A la base, une personne ayant décidé
de fonder une nouvelle famille avec un autre partenaire. Cette nouvelle structure peut se
constituer avec des enfants issus d’une première union.
6 Monoparentale : famille constituée d'un seul adulte et d'au moins un enfant. L'enfant a pu être conçu hors des liens du mariage, les parents ont pu divorcer, ou l'un d'eux décéder.
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Chapitre I : Le rôle de socialisation de la famille
Ajoutons les familles mixtes : l’union entre des personnes dont les origines culturelles
et religieuses sont très éloignées. Enfin, à titre informatif, car elles sont encore fortement
minoritaires : les familles homoparentales.
1.4. Le rôle de socialisation de la famille :
« La famille sera toujours la base des sociétés ».
[Honoré de Balzac]
Il m’est apparu utile de bien m’imprégner des mutations de la famille car, si je
souhaite jouer mon rôle de « tisseur de lien social », il est indispensable de tenir compte du
phénomène de sociabilité auquel l’institution de la famille contribue. Car c’est bien d’un
important rôle de socialisation qu’il s’agit.
Or, il est un danger qui semble se profiler. Si jadis la famille jouait un rôle essentiel de
socialisation, l’individualisme croissant ne risque-t-il pas de fragiliser l’individu ?
Emile Durkheim, dans son analyse du suicide7, souligne largement l’importance du
lien social. Tout semble se passer comme si l’individu, en rupture de famille (qu’il s’agisse
d’un divorce, d’un décès ou d’un individu célibataire) était plus exposé au suicide. Pour Emile
Durkheim, la famille joue un puissant rôle d’intégration.
Et c’est donc bien dans la montée croissante de l’individualisme que semblerait se
situer le danger.
Comme il est désormais possible de changer de famille en fonction de son besoin de
liberté et d’épanouissement, le risque de désinsertion sociale est naturellement plus grand.
Emile Durkheim a mis en avant le fait que l’homme tendait constamment vers un plus
grand individualisme, mais il n’a jamais lié ce phénomène à un quelconque affaiblissement du
lien social. Pour lui, le danger réside plus dans le fait que l’individualisme peut être facteur
d’égoïsme et d’anomie8.
7 Émile Durkheim - Le Suicide. Essai de sociologie - 1897. 8 É. Durkheim utilise ce mot dans son livre sur les causes du suicide pour décrire une condition ou malaise dans les individus, caractérisée par l'absence ou la diminution des valeurs.
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Chapitre I : Le rôle de socialisation de la famille
Pour Vincent de Gaulejac, Professeur de Sociologie à l'UFR9 de Sciences Sociales de
l'Université de Paris, le danger de désinsertion sociale (l’individu perd, petit à petit ses
attaches : familles, amis, travail) est réel.
Il insiste sur le fait que la société porte un regard sur l’individu. C’est le phénomène
d’étiquetage. Si la cellule familiale est existante, l’individu s’y sentira soutenu, car celle-ci
l’intègrera, le rendra utile. Or, le danger réside dans l’absence du cadre familial. L’individu se
sentira seul et surtout inutile.
J’entrevois là une piste sérieuse sur laquelle doit s’articuler le travail de l’intervenant
social : le besoin de se sentir utile, de jouer un rôle dans la société.
Je me réfèrerai ici au cours de méthodologie de Mme Collin, et plus précisément aux
trois sphères de reconnaissance sociale définies par Axel Honneth10, philosophe et sociologue
allemand.
Pour Axel Honneth, l’image que chacun a de soi, de ses capacités et de ses qualités
dépend du regard d’autrui.
Il distingue trois principes de reconnaissance correspondant à trois sphères sociales : la
sphère de l’intimité, la sphère de la collectivité et la sphère des relations juridiques.
C’est au niveau de la sphère de la collectivité que se retrouve le sentiment d’estime de
soi. Le besoin de l’individu de pouvoir contribuer utilement à la société.
Ajoutons le sentiment de confiance en soi, existant dans la sphère de l’intimité et qui
est motivé par l’expérience des rapports affectifs forts, nourrissant les rapports familiaux et
amicaux.
Ainsi, on peut, dès lors, facilement concevoir qu’un jeune individu, coupé de ses liens
familiaux, ressente un profond sentiment d’inutilité, une mésestime de lui-même et un
manque de confiance et de valorisation personnelle.
9 UFR : Université Formation Recherche 10 Dossier : lutte pour la reconnaissance – Les conflits sociaux sont des luttes pour la reconnaissance – Sciences Humaines n°172 – Juin 2006
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Chapitre I : Importance du lien familial dans la construction du jeune
Sans pour autant dire que cela sera obligatoirement le cas, force est de constater que si,
l’enfant se construit et s’affirme au sein de sa famille, l’éloignement de celle-ci risque
d’entraîner une fragilisation de son estime personnelle et un sentiment de ne pas avoir un
« rôle » et une place dans la société.
C’est précisément un des axes majeurs sur lequel je souhaite développer ma réflexion :
Comment, en tentant de maintenir un lien familial, fusse-t-il symbolique, pouvons-nous aider
nos jeunes usagers à améliorer leur perception d’eux-mêmes et les aider à se construire sur
des bases solides, ancrées dans une bonne estime personnelle et un sentiment d’utilité ?
1.5. Importance du lien familial dans la construction du jeune :
Le lien familial est une donnée essentielle dans la construction identitaire de
l’individu. Avant d’intégrer nos institutions, l’enfant ou l’adolescent a acquis un bagage
hérité, en grande partie, de son vécu familial. La famille est, dès le plus jeune âge, un
déterminant essentiel du devenir de l’individu.
En effet, la cellule familiale constitue la source première d'éducation et de soins, ainsi
que le lieu de transmission des valeurs, de la culture et de l'information. Dans une lecture
sociologique, je peux dire de la famille qu’elle est le groupe social qui est responsable en
premier lieu de prendre en charge, protéger et socialiser les jeunes.
Il y a également lieu de bien dissocier l’enfance de l’adolescence, qui sont deux étapes
bien distinctes dans la vie d’un individu, et ne se définissent pas selon les mêmes critères.
Ainsi l’approche institutionnelle ne peut se jouer de manière similaire selon que l’éducateur
soit face à un enfant ou à un adolescent.
Je vais tenter ici de circonscrire brièvement l’importance des rôles joués par les
parents au cours de ces deux moments de la vie :
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Chapitre I : La famille l’enfant
1.5.1. La famille et l’enfant :
La relation entre les parents et l’enfant s’établit dès la naissance. Cette relation
concernera, dans un premier temps, d’avantage la maman. L’attachement du nouveau-né à
cette dernière est inné, selon John Bowlby, psychanalyste. Ce dernier a pu observer comment
l’enfant mettait en place différents mécanismes destinés à s’assurer de la présence affective de
sa mère. Selon lui :
« Le parent constitue la base sécuritaire de l’enfant dès sa naissance »11.
Tout au long de son développement, physique et psychique, l’enfant sera marqué par
l’héritage familial, tant au niveau des valeurs, que des normes et des rites.
Il y a lieu ici de définir les rôles joués par les parents en terme de fonctions parentales :
1.5.2. Les fonctions parentales : Comme je l’ai mis en avant plus avant, en amont de son arrivée dans nos institutions,
l’usager a, au contact de sa famille, acquis un bagage qui lui est propre. Ce bagage se
compose de normes, de repères et de valeurs. Il est étroitement lié au contexte et à
l’environnement dans lesquels sa famille est inscrite. L’ignorer c’est travailler en totale
incohérence.
Il m’apparaît donc, à ce stade de ma réflexion, essentiel de bien analyser et
comprendre les fonctions parentales, car se sont elles qui ont façonnés l’usager dans ce qu’il
est et dans ce qu’il pense.
La fonction parentale s’articule autour de deux fonctions complémentaires : la fonction
maternelle et la fonction paternelle. Comme je l’ai relevé dans le point de chapitre concernant
les différents modèles familiaux, ces fonctions n’ont pas les mêmes valeurs en fonction des
types de société. Cette partie de recherche se centrera donc exclusivement sur notre société,
où les rôles du père et de la mère ont, dans la théorie, la même importance.
11 J. Bowlby - Attachement et perte : I. «L’attachement » - Editions PUF, Paris, 1978.
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Chapitre I : La famille et l’enfant
a) Définition de la fonction parentale :
D’une manière générale, la fonction parentale se joue au niveau d’une prise en charge
quotidienne. Ces points de compétences se situent tant sur le développement des potentialités
individuelles, que sur le besoin d’épanouissement des enfants. Elle concourt grandement à la
construction des repères, des apprentissages et joue un rôle essentiel dans la socialisation. Elle
inscrit également l’enfant dans une filiation et contribue directement à la transmission des
valeurs. Enfin, ajoutons qu’elle occupe aussi une importante fonction de protection et de
solidarité.
Les fonctions maternelles et paternelles, comme je l’ai évoqué plus haut, sont
totalement complémentaires en ce sens que la première agit plus spécifiquement sur la
sécurité tandis que la seconde prépare à l’avenir, au risque et s’inscrit dans une préparation à
l’autonomie.
Petite précision, qui à mon sens, a son importance : il peut arriver que ces fonctions
soient indifféremment assumées par l’un ou l’autre parent. Ainsi, la mère peut assumer une
fonction paternelle et inversement même si, dans la majeure partie du temps, les fonctions
sont relativement bien inféodées à l’un et l’autre.
b) La fonction maternelle :
Cette fonction s’articule principalement autour des besoins fondamentaux. C’est ce qui
est communément appelé une fonction contenante qui, par sa permanence, contribue à
rassurer l’enfant, lui offrant la possibilité de se construire intérieurement. Cette fonction qui
prend corps dès la grossesse, dans le sens où déjà, la maman répond à tous les besoins de son
enfant, se poursuit, fort logiquement après la naissance.
Ainsi, en me référant ici aux théories de Winnicott, au travers du holding (manière
dont l’enfant est porté) et du handling (manière dont l’enfant est traité, manipulé), la maman
continue à offrir un environnement rassurant à son enfant.
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Chapitre I : La famille et l’enfant
Cette fonction maternelle correspond à un besoin fondamental de l’enfant. Pour mieux
le comprendre, je me référerai à la théorie de l’attachement développée par J. Bowlby12 (cette
théorie s’appuyait sur les recherches menées dans les années cinquante par René Spitz13, qui
démontra que des enfants abandonnés pouvaient se laisser mourir s’ils ne parvenaient pas à
établir un contact avec une figure d’attachement significative). Celui-ci, avance le fait que le
besoin de contact de l’enfant avec sa mère est un besoin primaire, tout aussi important que le
besoin alimentaire, et qui garantit son développement psychique et sa sociabilité. C’est, en
effet, au prix de l’acquisition de ce sentiment de sécurité que l’enfant pourra, par la suite,
explorer sereinement le monde extérieur.
A ce rôle essentiel, s’ajoute aussi celui, non moins important, joué dans l’ébauche de
l’apprentissage du langage.
C’est donc la relation à la maman, au travers de la fonction maternelle, qui construit
l’enfant dans toutes ses relations futures. Ainsi, le lien primaire d’attachement constitue la
base essentielle de sécurité permettant à l’enfant d’envisager de nouvelles expériences et de
développer des rapports sereins aux autres.
c) La fonction paternelle :
La fonction parentale est constituée de deux fonctions essentielles au bon
développement de l’enfant. Il s’agit des fonctions de « tiers séparateur » dans la dyade mère-
nourrison mais aussi de « porteur de l’interdit ». Je vais maintenant développer quelque peu
ces deux fonctions.
- La fonction de « tiers séparateur » :
Pour mieux appréhender l’importance du rôle joué par le père, je vais tout d’abord
revenir sur un autre concept développé par Winnicott qui est celui de « good enough mother »
(la mère suffisamment bonne). Ce concept induit que la maman ne se préoccupe pas
uniquement de son enfant et laisse une place pour le manque, fonction indispensable selon le
psychanalyste.
12 J. Bowlby - dans : « Le premier lien : théorie de l’attachement » - Editions Odile Jacob - 2003. 13 R. Spitz : psychiatre et psychanalyste américain.
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Chapitre I : La famille et l’enfant
Ainsi, il insiste sur la capacité « d’être seul » qui s’exercera tout d’abord en présence
de la mère. Cette fonction, bien exploitée, débouche sur ce que Winnicott appelle le « vrai
self » (par opposition au « faux self » se traduisant par une soumission de l’enfant à sa mère
exclusive et l’enfermant dans un état de dépendance). C’est sur cette base que l’enfant
développera son sentiment d’identité et de continuité d’être.
C’est ici qu’intervient le rôle du père. Il contribue à la séparation de la dyade maman-
nourisson, rendant les deux, progressivement, moins dépendants l’un de l’autre. Il est donc
essentiel que la mère laisse suffisamment de place au père pour qu’il puisse jouer son rôle de
tiers séparateur. « Le passage du désir de la mère qui vise la jouissance, au nom du père qui
ouvre au désir »14.
Ainsi, la fonction parentale permet la distance entre la mère et l’enfant de sorte que, ce
dernier, évolue vers l’autonomie. En ce sens, elle contribue à l’individuation.
« Le père n’est pas là pour répondre aux besoins immédiats de l’enfant. Son métier consiste à
éveiller le bébé, à le décontenancer pour l’obliger à réfléchir »15.
- La fonction de « porteur de l’interdit » :
Pour appréhender cette seconde fonction paternelle, il me faut ici me référer au
Complexe d’Œdipe mis en avant par la théorie freudienne.
Ce complexe trouve son origine dans la mythologie grecque. Pour situer brièvement le
contexte : Œdipe, enfant abandonné par son père, le Roi, grandit dans une famille de bergers.
Tout se passe pour le mieux jusqu’à ce que, l’Oracle lui prédise qu’il tuera son père et
épousera sa mère. Pour échapper à la prédiction, il prend la fuite. Un jour, il tue un homme
qui lui refuse le passage. Plus tard, ayant délivré les thébains, il épouse la reine Jocaste qui est
veuve. C’est alors que, devenu roi de Thèbes, il apprend que l’homme qu’il a jadis tué était en
fait son père et que, par conséquent, sa femme n’est autre que sa mère. La prédiction s’étant
réalisée.
14 D. Roquefort – Le rôle de l’éducateur : éducation et psychanalyse - Editions : L'Harmattan - 2000. 15 E. Lanez – Père, mère, à chacun son rôle - Revue Le point n°1201 - Septembre 1995
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Chapitre I : La famille et l’adolescent
Ce complexe, qui s’opère durant le stade phallique (vers 3 ou 4 ans), se caractérise par
des sentiments amoureux et un désir sexuel à l’égard du parent de sexe opposé, et un désir
diffus de tuer le rival, en l’occurrence le parent de même sexe. Ce phénomène entraîne un
processus d’identification nécessaire au développement affectif et social.
C’est dans ce processus que se situe l’importance du rôle paternel. Le père, en
affirmant l’intimité du couple parental, induit une renonciation au besoin de satisfaction des
besoins amoureux et hostiles. Les phénomènes engendrés, tels que l’acceptation de la
frustration à certaines pulsions et l’intériorisation des interdits, aideront l’enfant à résoudre
son complexe d’Œdipe.
Ainsi, pour en finir avec ce rapport au complexe d’Œdipe, il est important de relever le
fait que le rôle joué par le père est également d’instaurer la notion d’interdiction. L’enfant
attribuera donc au père les interdits, les obligations et les ordres. De ce fait, je peux avancer
que la fonction paternelle consiste aussi à poser une limite, un cadre moral nécessaire, selon la
pensée psychanalytique, à la construction de la personnalité.
1.5.3. La famille et l’adolescent :
Le cliché de l’adolescence vécue comme un passage difficile fait de doutes, de
contestations et d’incompréhensions de l’adulte est-il vraiment un cliché ? A mon sens, bien
que caricatural, il repose sur des bases réelles et qui feront l’objet, ici, d’un petit
développement.
L’entrée dans l’adolescence correspond à la transition du passage de l’enfant vers
l’adulte. Elle se caractérise par une perte de repères et une nouvelle quête identitaire.
Ce passage place l’individu dans une position de grande fragilité : les transformations
physiques et psychologiques engendrant angoisses et insécurités. A tout cela s’ajoute de
nouvelles pulsions sexuelles qui ne sont plus tournées vers le parent de sexe opposé mais vers
une personne extérieure. La concrétisation de son premier rapport amoureux amène un
nouveau statut à l’adolescent. Il n’est plus seulement l’enfant de ses parents, mais un être
existant en dehors de la cellule familiale et, potentiellement, capable de devenir lui-même un
homme ou une femme, voire un père ou une mère.
18
Chapitre I : La famille et l’adolescent
Ainsi, l’aboutissement de la rencontre sexuelle opère une sorte de scission de la
filiation et augure d’un sentiment d’appartenance à la société dans son ensemble et non plus
uniquement à un univers familial.
Si, jusqu’alors, la famille était perçue par l’enfant comme source de stabilité, les
profonds changements engendrés par le passage à l’adolescence vont fortement remettre en
cause l’équilibre familial. Les rapports parents/adolescents vont devoir se redéfinir.
Un des mécanismes typiques de l’adolescence est l’opposition. Le but de celle-ci étant
de s’affirmer en tant que sujet en se détachant de son statut d’enfant, pour qui le parent est le
référent incontestable.
Ce besoin d’individuation conduit parfois l’adolescent à adopter un comportement de
perpétuel révolté envers toutes formes d’autorité, cherchant à tester la solidité du cadre offert
par les adultes tout en ayant un besoin d’autonomie qui le pousse à rejeter ce cadre.
Ce qui ne veut pourtant pas dire qu’il faille renoncer à maintenir ce cadre car, même si
l’adolescent le rejette, il est important qu’il puisse s’y référer.
« Ce qui est important, c’est l’exemple de vie. En fait, le jeune attend beaucoup plus de
s’opposer à un adulte ferme, cohérent »16.
Ainsi, l’importance de l’environnement familial est essentielle. L’adolescent, dans son
attitude de rejet commence à se construire en tant qu’adulte. Au-delà de la difficulté que
peuvent éprouver les parents à subir cette perpétuelle contradiction, maintenir un cadre solide
et des limites claires, permettront à l’adolescent de se structurer.
Un second processus entre alors en ligne de compte : celui de l’identification. Si dans
l’enfance les parents sont perçus comme étant la référence, l’adolescence va les déchoir de ce
statut. Ils peuvent même être vus comme des modèles à fuir.
C’est à l’extérieur que l’adolescent va chercher de nouveaux modèles identificatoires.
C’est l’époque des copains et copines, aussi semblables que possible et dans lesquels il
pourra se reconnaître, s’identifier.
16 Fr. Dolto – « La cause des adolescents » - Editions Robert Laffont - 1988.
19
Chapitre I : Les limites de la famille
Ce processus identificatoire doit être un terrain propre à l’adolescent, il lui permet de
se démarquer des adultes et en ce sens joue un rôle structurant essentiel.
« Il ne faut pas que l’adulte flatte l’adolescent en lui disant : je vais faire ce que tu aimes, je
vais parler comme tu voudrais, je vais prendre ton vocabulaire. Ils (les adolescents)
s’inventent des onomatopées, un code, précisément pour faire la différence »17.
Ce phénomène d’identification permet à l’adolescent de se singulariser, de marquer sa
différence, son individualité par rapport aux normes parentales et sociétaires, et ce, grâce aux
normes du groupe auquel il appartient.
L’évolution de notre société est venue chambouler quelque peu la sortie de
l’adolescence. Les études de plus en plus longues, les réalités financières et la précarité de
l’emploi maintiennent bien souvent le jeune plus longuement chez ses parents, ce qui influe
sur la durée du passage de l’adolescence à l’âge adulte.
Toutefois, en se basant sur les propos de Françoise Dolto, je peux situer la sortie de
cette période lorsque l’adolescent se « réconcilie » avec ses parents en retrouvant en lui ce
qu’il possède d’eux.
Ajoutons que cette période de transition vers l’âge adulte peut également être
identifiée lorsque l’individu est capable de poursuivre ses projets personnels, fussent-ils en
désaccord avec les projets parentaux, et ce, sans la moindre culpabilité, dans le désir de vivre
pour lui-même.
1.6. Les limites de la famille :
Avant de poursuivre, il me paraît essentiel de poser un cadre à ma recherche. En effet,
même si je suis fortement influencé par le courant majoritaire qui reconnaît à la famille des
valeurs fondamentales, nécessaires et bénéfiques au bon développement de l’enfant, j’ai
pleinement conscience de certaines limites dangereuses. Ces limites me sont apparues, au fil
des ans, dans ma pratique professionnelle.
17 Fr. Dolto – « La cause des adolescents » - Editions Robert Laffont - 1988.
20
Chapitre I : Les limites de la famille
Je soulèverai ici une grande question : devons-nous, au nom du maintien du lien
familial, s’acharner à entretenir des relations qui pourraient se révéler destructrices pour
l’évolution et l’équilibre de l’enfant?
Malheureusement, force est de constater de que certaines situations de maltraitances
(psychologiques, physiques, sexuelles) demeurent, au-delà des idéaux de liens structurants,
des pièges redoutables pour l’enfant.
Il reste toutefois possible de servir de médiateur entre l’enfant et le (ou les) parent(s)
maltraitant(s).
Si la volonté de l’enfant est telle, j’entends par là que l’enfant est demandeur, et que
les parents sont également dans une optique familiale constructive, tenant bien entendu
compte de la législation et des décisions de justice, je pense sincèrement que le maintien des
relations reste constructeur.
Je vais me permettre ici de relater une expérience vécue dans le cadre de ma
profession et qui illustrera, je le pense, mieux mes propos :
Il y a cinq ans, durant les deux mois de grandes vacances, nous avons reçu en
placement d’urgence, au Centre d’Accueil, une fratrie composée de quatre frères et d’une
sœur. Les âges se suivaient de très près et, pour donner une fourchette, se situaient entre
quatre et douze ans.
Le placement était provisoire et faisait suite à une suspicion de maltraitance sur la
totalité des enfants. Nous ne disposions cependant que de peu d’informations, les enfants
semblaient équilibrés et, dans une certaine mesure, heureux de ces « vacances » improvisées.
Peu après, nous avons reçu un appel téléphonique de la maman demandant s’il était
possible de voir ses enfants. Nous avons relayé l’information à la Direction qui s’est
renseignée auprès de la Justice. Comme nous étions dans le cadre d’une suspicion, l’accord
nous a été donné, à la condition que les parents restent sur le site et sous la surveillance d’un
éducateur.
A leur arrivée, j’ai été saisi de malaise, le père était imposant et je n’ai pu
m’empêcher d’imaginer ce qu’il aurait pu faire à ses enfants. J’ai toutefois, sans doute assez
maladroitement, essayé de mettre de côté ces pensées afin de laisser le plus de marge possible
à la relation parents-enfants.
21
Chapitre I : Les limites de la famille
Rapidement, j’ai été séduit par les attentions de la maman et touché par les tentatives
un peu bourrues du père pour entrer dans le jeu avec ses enfants. Ceux-ci étaient
positivement ravis de voir leurs parents et, petit à petit, l’ambiance s’est détendue.
Mes appréhensions du début ont doucement laissé place à un questionnement plus
diffus : comment ces gens, en apparence si affectueux, pourraient-ils être maltraitants ? Une
fois encore, je laissais la place à des questionnements qui n’avaient pas lieu d’être et qui se
basaient sur mes propres repères moraux. Impossible pourtant de les évacuer totalement de
mon esprit.
L’après-midi s’étant remarquablement bien passée, nous avons convenu d’une
nouvelle visite le mercredi suivant et de communications téléphoniques journalières avec les
enfants. Les visites se sont alors enchaînées dans l’harmonie familiale complète, les parents
se montrant de plus en plus prévenants et ne cessant de couvrir leurs enfants de cadeaux et
d’affection.
Quelques temps après, un des garçons a commencé à me parler des violences qu’il
avait subies, puis ce fut au tour d’un de ses frères. Dans le même temps, l’enquête avait
évolué et les faits semblaient confirmés.
Ce qui n’a pas empêché les visites, les rires et les câlins. Une famille unie, au-delà des
frontières institutionnelles.
Au terme des vacances, les enfants ont été placés dans un autre centre et, c’est le
moins que nous ayons pu faire, nous avons transmis un rapport favorable aux visites
parentales.
Il m’est apparu que, si les parents souffraient de graves problèmes de gestion de leur
colère, ils n’en demeuraient pas moins des parents avant tout avec un réel bagage d’amour
pour leurs enfants. Il aurait été dommage de priver cette fratrie des liens irremplaçables qui
les unissaient malgré tout à leurs parents.
Simplement, la réalité nous imposait de placer un cadre protecteur autour d’eux, de
permettre aux parents de continuer à jouer leur rôle et de les sensibiliser dans le même temps
aux besoins de leurs enfants.
22
Chapitre I : Les limites de la famille
Je ne m’étendrai pas davantage sur ces situations extrêmes pour deux raisons.
La première est que, bien qu’étant une réalité avec laquelle nous pouvons être amenés
à composer, ces situations restent, somme toute, minoritaires.
Ensuite, ce travail est plus directement axé sur le lien symbolique, c’est-à-dire, sur la
façon dont nous pouvons permettre une relation constructive entre les parents et les enfants,
en tenant compte de la réalité de distance donc sans réel contact physique.
24
Chapitre II : Présentation de l’Institution où s’est construite la réflexion
2. Présentation de L’Institution où s’est construite la réflexion:
2.1. Localisation – Infrastructure
L’internat de l’enseignement spécialisé de
Saint-Mard se situe au sud de la Province du
Luxembourg, proche des frontières française et
luxembourgeoise.
Suite aux dégâts dus à un incendie dans
l’enceinte de l’Etablissement de l’Enseignement spécial
primaire et secondaire (où se trouvaient les bâtiments
de l’internat), les logements des enfants ont été répartis
sur plusieurs sites à Virton.
Sur le site même de l’école se trouvent deux groupes, celui des filles et celui des
puéricultrices « petits ». En ce qui concerne les filles, elles se répartissent selon leurs âges et
leurs affinités.
La seconde partie de l’internat est située à quelques minutes du centre-ville, rue du
Vieux Virton. Seuls les garçons y sont logés.
Un service de bus couvre la Gaume et le Centre Ardenne permettant aux enfants de se
rendre à l’internat et à l’école. Tandis que les pensionnaires français, eux, plus éloignés, font
appel aux services de taxis.
2.2. Population accueillie :
L’internat héberge toute l’année des élèves âgés de trois à vingt-et-un ans :
- fréquentant l’enseignement spécial primaire et secondaire de Saint-Mard,
- fréquentant toute école de l’enseignement spécialisé,
- fréquentant l’enseignement ordinaire mais ayant un frère ou une sœur dans
l’enseignement spécialisé.
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Chapitre II : Présentation de l’Institution où s’est construite la réflexion
Ces élèves de types 1, 2, 3, 4 et 8 présentent des difficultés :
- pédagogiques,
- comportementales,
- intellectuelles,
- d’adaptation sociale,
- motrices et psychomotrices.
Les jeunes fréquentant le Centre d’Accueil Permanent sont pratiquement tous logés à
l’Internat en semaine. Il s’agit cependant d’une population plus « mélangée ».
Les critères de groupes utilisés par l’Internat sont réduits, par la logistique et les
objectifs différents du Centre permanent, à une plus simple expression :
- Le groupe des Filles : s’y retrouvent des jeunes filles, majoritairement
adolescentes, ne présentant que peu, voire pas, de handicaps physiques
nécessitant des soins particuliers. Le choix s’effectue également en terme
d’autonomie.
- Le groupe des « Petits » : ce groupe se compose essentiellement d’enfants
(garçons et filles) présentant des handicaps plus importants nécessitant des soins
particuliers. Les différences d’âges peuvent y être plus importantes. Pour donner
un ordre d’idée, actuellement le plus jeunes a trois ans et le plus âgés a vingt ans.
Ce groupe est pris en charge par des puéricultrices.
- Le groupe des Garçons (dans lequel je travaille) : dans ce groupe, les âges
peuvent également varier fortement : allant de sept à vingt-et-un ans. Les enfants
et adolescents composant ce groupe sont également déterminés en terme
d’autonomie et les soins se limitent majoritairement à des changements de
couches et une aide aux soins corporels.
26
Chapitre II : fonctionnement
2.3. Fonctionnement :
Du lundi au vendredi, l’encadrement est assuré par des éducateurs, éducatrices et
puéricultrices ainsi qu’une infirmière et une assistante sociale.
Comme je l’ai développé ci-avant, les groupes sont établis selon l’âge, le sexe, le
degré d’autonomie personnelle et le type de difficulté ou de handicap rencontré.
Les activités proposées sont diverses et peuvent se répartir dans une des catégories
suivantes : activités sportives, manuelles, socioculturelles et ludiques.
Ces activités se déroulent aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’établissement.
Dès la fin des cours le vendredi, soit à 15h30, l’équipe du Centre d’Accueil Permanent
prend en charge les jeunes ne retournant pas en famille. L’arrivée de l’équipe se fait à 15h00,
une réunion préalable avec l’administrateur et l’assistante sociale, permet de relayer les faits
importants de la semaine. En période scolaire, l’équipe du Centre d’Accueil Permanent
termine ses prestations le lundi, après que les jeunes aient regagné l’école, et qu’une nouvelle
réunion de coordination, avec l’administrateur et l’assistante sociale, ait permis de faire
circuler l’information vers l’équipe de semaine.
J’ajoute que les périodes de vacances scolaires, de même que les jours fériés, sont
également pris en charge par le Centre d’Accueil Permanent.
Inévitablement, le travail poursuivi par le Centre d’Accueil Permanent se révèle
différent de celui effectué à l’Internat.
En effet, nous ne nous situons pas dans un cadre « scolaire », avec des contraintes horaires
plus importantes. Le contexte est davantage « familial ».
Nous disposons d’une plus grande souplesse au niveau du fonctionnement et le
« métissage » plus important des jeunes permet des échanges qui ne sont que peu, voire pas
possible dans le cadre du travail de semaine.
Cela permet un panel de possibilités et d’échanges plus vastes entre chacun. Ainsi par
exemple, les repas sont parfois le lieu d’une solidarité des plus âgés envers les plus petits.
27
Chapitre II : Objectifs généraux de l’équipe éducative
2.4. Objectifs généraux de l’équipe éducative : Il est important de préciser, bien que les objectifs liés au cadre scolaire soient plus
spécifiques à l’Internat, qu’il y a une logique commune entre les objectifs de la structure
de la semaine et celle du week-end :
- accompagner et gérer une population importante et hétérogène,
- assurer le suivi scolaire et collaborer avec les établissements d’enseignement,
- éduquer et sensibiliser les enfants au savoir-vivre, au rythme de la vie, à la
citoyenneté, aux médias, à la santé et à l’environnement,
- accompagner l’intégration des élèves de l’enseignement spécial orientés vers
l’enseignement ordinaire,
- aider à l’épanouissement des élèves peu adaptés aux exigences de la vie scolaire
et sociale.
2.5. Les activités :
Les activités se veulent variées et adaptées au maximum en fonction de l’envie des
usagers.
Elles se veulent un juste dosage de tout ce qu’il est possible de faire de ses mains
(bricolages, maquettes, puzzle,…), de son corps et de son esprit (sport, expression
corporelle,…). L’équipe éducative tâche, tant que possible, d’organiser de multiples sorties
(cinéma, exposition, journées sportives, …) dans la province et ailleurs. Cela dans l’intention
d’agrandir l’horizon de ces jeunes, de les socialiser, de mieux les intégrer et aussi dans le but
d’augmenter leur autonomie.
Dans ces activités, ainsi que dans la vie de tous les jours, l’équipe éducative tente
d’inculquer aux élèves des notions de politesse, de respect de soi et des autres, de ponctualité,
de savoir-vivre, de responsabilisation, etc.
Pour notre institution, l’importance des règles est vitale afin de vivre en société, en
respectant chaque membre de celle-ci en tant que personne.
28
Chapitre II : Objectifs vis-à-vis des usagers
Dans cette optique, les jeunes doivent prendre conscience de leur corps (hygiène,
posture, respect de soi) et doivent apprendre à maîtriser leur comportement (non-violence
envers soi, les autres et/ou les objets) et cela grâce à l’aide et au soutien de toute l’équipe
éducative.
Au niveau de l’Internat, les journées sont organisées selon un schéma répétitif, des
temps suffisamment longs sont prévus pour des activités mais aussi pour des moments plus
libres. Tout est envisagé selon un planning pensé en vue de structurer les élèves. De ce fait,
l’équipe éducative insiste sur l’importance du respect des horaires, des tâches et des
occupations qui leur correspondent le mieux. Selon les âges et les niveaux d’apprentissage, les
activités s’adaptent à chacun afin d’augmenter l’évolution positive de chacun.
Ici encore, il est important de souligner que le travail poursuivi dans le cadre du Centre
d’Accueil Permanent est moins développé en terme de schéma répétitif.
L’objectif est plus de proposer aux jeunes la possibilité de vivre, selon un rythme de
week-end, l’équivalent de ce qu’ils pourraient vivre dans un cadre familial.
2.6. Objectifs vis-à-vis des usagers :
Pour les enfants plus âgés, l’objectif n’est pas simplement la vie quotidienne. Il faut
tenir compte de leur avenir. Le personnel éducatif et l’assistante sociale doivent préparer
l’enfant en vue de sa sortie de l’internat. Pour se faire, il faut lui apprendre à acquérir une
autonomie de plus en plus grande. Ce sont des actes qui, plus tard, auront beaucoup
d’importance pour lui. L’équipe éducative doit lui donner la possibilité de mettre en pratique
ces actes et doit surtout lui faire confiance.
L’objectif final étant que le jeune se sente vraiment à l’aise dans la société.
Au niveau de l’Internat mais dans une certaine mesure aussi dans le cadre du Centre
d’Accueil Permanent, les objectifs relatifs aux enfants plus lourdement handicapés ne sont pas
les mêmes que ceux des autres groupes.
29
Chapitre II : Objectifs généraux de l’équipe éducative
Ainsi à l’Internat, le groupe d’enfants polyhandicapés possède son propre rythme de
vie, et ce, afin de respecter le besoin de calme et d’attention nécessaires à chacun de ces
enfants.
Des objectifs spécifiques sont développés pour ce groupe. Ils ne peuvent, en effet pas
être soumis aux mêmes objectifs d’autonomie que les autres groupes.
L’équipe éducative s’axe plus sur un travail d’apprentissage des gestes du quotidien.
Par exemple : manger avec des couverts, être propre à table, faire son lit, prendre sa douche,
s’habiller seul, etc. Ce sont des gestes élémentaires mais qui, pour eux, ne sont pas facilement
assimilables.
Cet apprentissage est un travail à long terme qui demande beaucoup de patience de la
part du personnel éducatif et paramédical.
Ce groupe composé majoritairement d’enfants de type 2 (autistes principalement) est
pris en charge par des puéricultrices. Elles organisent, dans la mesure du possible, des
activités adaptées (psychomotricité, jeux de pistes, jeux de groupes, dessins, activités
musicales) et propose également des sorties extérieures pour l’apprentissage et la socialisation
(restaurant, spectacles, sorties dans les grandes surfaces, dans des parcs animaliers, etc.).
A l’Internat, ces enfants sont toujours avec les mêmes puéricultrices, dans des locaux
connus sans trop de changement car il nous semble important qu’ils puissent bénéficier d’une
certaine stabilité propice à leur propre équilibre.
Néanmoins, des activités extérieures sont organisées comme je l’ai mentionné ci-
dessus.
Ce groupe utilise régulièrement un espace snoezelen qui favorise le développement
des cinq sens et la relaxation.
Dans le cadre du Centre d’Accueil Permanent, certains de ces enfants sont placés dans
le groupe des garçons, les autres restant dans le groupe des puéricultrices. Il s’agit tout autant
d’une décision que je qualifierai de « logistique » (les réalités organisationnelles) que d’une
volonté relevant de la socialisation ; cette dernière pouvant plus facilement s’appliquer à de
plus petits groupes et selon un horaire plus souple que celui de la semaine.
31
Chapitre III : place et rôle de l’éducateur dans l’accompagnement
3. Place et rôle de l’éducateur dans l’accompagnement :
Je me suis longuement interrogé sur le rôle de l’éducateur dans le cadre d’un
accompagnement en Institution. Lorsque l’usager, enfant ou adolescent est, de manière
temporaire ou prolongée, éloigné de sa cellule familiale et de tout le réseau social dans lequel
il a, jusqu’alors, évolué. Pour tenter d’entrevoir des réponses à ce questionnement, je me suis
largement inspiré du travail et des recherches de Guy Ausloos, notamment au travers de son
livre : « La compétence des familles »18. Cet ouvrage m’est apparu comme extrêmement
pertinent dans le cadre d’un travail privilégiant le lien familial.
Ainsi, pour Ausloos, l’éducateur n’a pas pour fonction de supporter le poids des
problèmes des familles mais d’activer le processus d’auto-résolution. Il avance, la compétence
des familles: elles ne peuvent se poser que des problèmes qu’elles sont en capacité de
résoudre (« nous avons besoin de vous pour faire notre travail, parce que vous avez
l’expérience, vous savez beaucoup, vous avez essayé de nombreuses solutions et vous avez
connu des échecs mais aussi des réussites. Avec votre collaboration, nous avons plus de
chance de faire du bon travail19 »).
Si nous prenons soin de les aider à découvrir « ce qu’elles ne savaient pas qu’elles
savaient », elles possèdent le potentiel nécessaire pour changer leur fonctionnement. Il prône
la possibilité d’offrir aux familles la chance de comprendre par elles-mêmes, plutôt que de
leur transmettre sa propre compréhension (« chaque fois que l’on apprend quelque chose à
une famille, on l’empêche de le découvrir »).
Or, je peux ici relever un point faible dans notre pratique régulière : le manque de liens
aux familles. Nous ne sommes, en effet, que très peu en relation avec les parents de nos
usagers. Si cela arrive, c’est de manière très informelle, dans le cadre d’un retour ou d’une
communication téléphonique. Les préoccupations des parents, dans ce cas, sont plus axées sur
des points concrets.
18 G. Ausloos – La compétence des familles : temps, chaos, processus - Editions Erès 2001. 19 G. Ausloos – La compétence des familles : temps, chaos, processus - p27 - Editions Erès 2001.
32
Chapitre III : L’accompagnement des adolescents
J’entends par là que lorsque nous avons un contact, les propos échangés sont de
l’ordre du bien-être de l’usager (« a-t-il bien dormi ? », « a-t-il suffisamment de vêtements
pour le week-end ? », « il a été malade à la maison, comment se porte-t-il ? »…), voire d’un
désaccord (« je n’ai pas récupéré l’entièreté de son linge », « mon fils est rentré griffé, que
s’est-t-il passé ? », etc.).
Il arrive, cependant que, dans le cas d’une rencontre au Centre d’Accueil Permanent,
nous puissions avoir une plus large conversation avec un parent, mais cela reste fort limité
dans les faits.
La majeure partie des contacts avec les familles est assumée par l’assistante sociale.
Celle-ci a en charge d’établir l’anamnèse sociale, mais aussi de rencontrer les familles en
fonction de leurs demandes ou dans le cas où, nous rencontrerions des difficultés, qui
nécessiteraient une réflexion des différents acteurs. C’est par elle que nous sommes informés
du mode de fonctionnement et des réalités de chaque famille.
Il y a donc une grande part de relations qui me semble manquantes dans un travail
efficient, et dans une approche plus systémique du rôle d’accompagnant. Je pense cependant
qu’une évolution en ce sens semble doucement se mettre en place, bien que cela reste pour le
moment très informel.
Dans une vision systémique de notre mission, ce manque de relation ne doit pas nous
empêcher, dans la mesure de nos possibilités, de prendre le plus possible en compte la
dimension familiale lors de nos pratiques d’accompagnement. C’est ce que je tente de faire au
quotidien, comme je me propose de le développer dans ma partie pratique.
3.1. L’accompagnement des adolescents :
3.1.1. Rôle parental symbolique :
Il est primordial de prendre en compte la dimension familiale dans le cadre d’un
travail d’accompagnement d’un adolescent. Comme je l’ai développé dans la partie consacrée
à l’adolescence, il apparaît qu’un jeune, par définition, est un individu fragilisé, en perte de
repères puisqu’il ne peut (veut) plus se référer au cadre parental. L’éloignement physique de
son environnement de vie risque, à plus forte raison, de le déstructurer davantage.
33
Chapitre III : L’accompagnement des adolescents
Nous ne devons pas essayer de nous substituer, en tant que tels, aux parents comme ce
put être le cas, à une époque pas si lointaine, où nous avons cru en l’idée que le soutien et le
rôle éducatif que la famille apporte à l’enfant pouvaient être remplacés par d’autres formes de
soutien social.
Ainsi, dans le domaine institutionnel, on est presque arrivé à croire qu’il serait
possible de suppléer aux liens et aux rôles familiaux sans trop affecter le parcours des enfants
placés.
Or, je pense l’avoir clairement mis en évidence : la famille est extrêmement difficile à
remplacer et que les liens et les rôles familiaux sont très précieux pour l’enfant, même lorsque
la cellule familiale éprouve des difficultés.
Le soutien, dont ont besoin les enfants et les adolescents, comprend la satisfaction des
besoins de base comme la nourriture, le logement, la protection, l’éducation, mais nous
savons aussi que les contextes où ces besoins de base trouvent leur réponse influencent le
développement. Le soutien n’a pas le même sens s’il est fourni dans un contexte institutionnel
que s’il se retrouve auprès des personnes les plus significatives pour le jeune: ses parents.
Mais face à la réalité institutionnelle, il convient d’agir au mieux des besoins de
l’usager.
Je pense que, sans vouloir se substituer aux parents, l’éducateur peut avoir à recourir à
un rôle réintroduisant la fonction maternelle, si l’usager ressent un besoin de sécurisation.
Dans le même ordre d’idée, il peut devenir, porteur d’une fonction paternelle que je
qualifierais de « symbolique ». En posant un cadre favorisant l’intégration de l’interdit et
l’accès au désir propre, il peut accompagner l’usager dans sa construction et le conforter dans
ses moments d’incertitudes. En tant que tel, l’éducateur devient en quelque sorte le dépositaire
du cadre et de la limite. Il est important que ce rôle soit assumé avec conviction, de sorte que
l’adolescent puisse s’y confronter.
Je me permettrais simplement de mettre un petit bémol à cette réflexion : si le besoin
de l’adolescent en terme de limites et de cadre est bénéfique pour lui, il faut éviter le piège du
règlement à outrance.
34
Chapitre III : L’écoute et l’accompagnement à la parole
Préalablement à toute pose de cadre, j’entrevois, tout d’abord la nécessité d’établir une
relation de confiance avec l’usager. Imposer, « d’entrée de jeu », risquerait fort de le
« braquer » et de placer l’un et l’autre dans une relation conflictuelle permanente.
Ensuite, je redoute le modèle qui pourrait se construire sur le respect des lois à toutes
forces. Imaginons une institution où se jouerait ce genre de rapport à l’autorité. Elle baignerait
certainement dans une relative tranquillité puisque pour chaque transgression s’ensuivrait une
sanction.
Malheureusement, elle ne serait plus dans un rapport d’échanges et d’ouverture sur
l’autre mais dans une dimension « dominant-dominés », où le travail entreprit se limiterait à
une relation hiérarchique et non pas circulaire, sans possibilité d’apprentissage mutuel.
Je dirais donc que, sans vouloir suppléer aux parents, l’éducateur peut être amené à
assumer des fonctions parentales.
Je situe bien cela en terme de fonction car cela se situe au niveau symbolique. Pour
que cette fonction puisse opérer, elle nécessite d’être incarnée. Je redéfinirais donc ce rôle en
ces termes : afin d’aider l’adolescent à se construire et à s’individuer, l’éducateur peut être
amené à assumer des fonctions parentales dans le sens où il va suppléer, pour un temps, à la
charge des parents.
Il m’apparaît très important de bien avoir conscience que ces fonctions ne sont que
symboliques, le piège étant de vouloir « remplacer » les parents. C’est pourquoi il peut être
utile de garder en mémoire cette réflexion de G. Ausloos :
« L’Institution est un coffre à outils dont les familles ont la clé »20.
A nous de bien jouer notre rôle « d’outil » pour aider l’usager à se construire et à se
structurer en attendant que la famille puisse ouvrir la serrure.
20 G. Ausloos – La compétence des familles : temps, chaos, processus - p27 - Editions Erès 2001.
35
Chapitre III : L’écoute et l’accompagnement à la parole
3.1.2. L’écoute et l’accompagnement à la parole :
Un autre axe de travail qui me semble essentiel dans l’accompagnement de
l’adolescent en institution, est l’aptitude à écouter (plus qu’à entendre) et à permettre à
l’usager de poser des mots sur ses maux.
L’adolescent est en proie à l’incertitude, au doute, et peut l’exprimer sous diverses
formes : repli sur lui-même, rejet de l’autorité, provocation, passage à l’acte,… Rarement il
sera à même d’exprimer spontanément, par la parole, ce qu’il ressent et privilégiera l’acte ou
l’attitude pour adresser son message.
Il est important de pouvoir donner du sens à ces comportements. Le psychanalyste
Joseph Rouzel parle de l’énonciation comme un point clé dans la pratique éducative. Il pose la
question suivante :
« Comment rendre à chacun la parole qu’il a à assumer ? »21
Si l’adolescent s’exprime dans la provocation, au-delà de l’aspect désagréable que cela
peut engendrer, il convient de lire cela en terme de communication : il s’exprime.
C’est le moyen d’expression qu’il a trouvé pour tenter de signifier quelque chose, à
nous d’essayer d’en dégager du sens. En ce sens, et même si dans le moment présent l’acte
limite les possibilités, revenir, une fois la tension apaisée, sur le comportement peut être
précieux. L’éducateur peut alors tenter, avec l’usager, de mettre des mots sur le malaise, de lui
fournir, notamment par le biais de la reformulation, la possibilité de verbaliser son mal-être.
J’ajoute, toujours dans une optique d’approche systémique, que l’observation des
différents signaux émis par l’adolescent peut parfois être mise en lien avec des événements
récents ou plus enfouis qui lui seraient arrivés.
21 J. Rouzel – Le travail d’éducateur spécialisé, éthique et pratique – Editions Dunod – Paris 2000.
36
Chapitre III : Renforcement de l’estime et de la confiance en soi
3.1.3. Renforcement de l’estime et de la confiance en soi :
Au travers de ce beau sous-titre optimiste, je souhaite faire émerger l’idée que
l’éducateur doit, entre autre choses, tenter d’amener l’adolescent à renforcer l’image qu’il a de
lui-même et qui, bien souvent, est affaiblie (tant parce que c’est un des phénomènes qui peut
survenir dans le déroulement de la période d’adolescence que par le fait d’être éloigné des
siens).
C’est précisément un des points sur lesquels j’ai basé la construction de ma réflexion
sur le « Petit Journal » (développé dans la partie pratique).
Je n’ai pas de solution miracle pour aider l’usager dans son processus de revalorisation
et de renforcement. Comme beaucoup certainement, je tente d’intégrer cet axe dans ma
pratique quotidienne et ce, en général, de façon spontanée.
En permettant à l’adolescent de prendre une place dans l’environnement où il évolue
(ici en l’occurrence le Centre d’Accueil Permanent), en le plaçant en situation d’acteur et non
pas de « perpétuel assisté » et en lui montrant que j’ai confiance en lui ainsi qu’en ses
capacités, j’essaie de lui offrir les moyens de se revaloriser, de se sentir utile. Lui donner des
responsabilités, des choix à opérer (tout en évitant de le laisser seul face à ces choix de sorte
qu’il ne se sente pas trop perdu) et l’aider à acquérir des compétences, me semblent des
démarches constructives dans une optique de renforcement de confiance et d’estime de soi.
De même, et c’est un des axes poursuivis par le « Petit Journal », l’engager dans des
projets m’apparaît comme pertinent car, se faisant, je lui montre qu’il est capable, qu’il est
utile et qu’il a réellement un rôle qui lui est propre et qui m’aide moi aussi. Je suis là pour lui
mais il est également là pour moi. J’ai tout autant besoin de lui qu’il n’a besoin de moi.
3.2. L’accompagnement des enfants :
Les besoins et les attentes des enfants, comme je l’ai développé plus avant, sont
différents de ceux des adolescents. Il convient donc d’envisager le travail effectué de manière
plus spécifique. Ici, ce ne sera pas tant l’aspect du rôle paternel qui sera mis en avant mais
bien, dans la fonction maternelle, tout ce qui pourra concourir à apaiser les craintes du jeune
usager.
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Chapitre III : L’accompagnement des enfants
L’éloignement de la famille pouvant être ressenti comme un abandon, il est important
que l’éducateur puisse, dans un premier temps, rassurer l’enfant en lui proposant un
environnement « cocoon ».
Par la suite, je pense qu’il faut voir cela comme une continuité, il est souhaitable
d’essayer de lui montrer qu’il a sa place dans l’institution mais qu’il a également sa place
dans sa famille. Et pour cela, tous les moyens développés dans la partie pratique de ce travail
peuvent concourir à garder un bon équilibre entre sa vie institutionnelle et son appartenance à
sa famille.
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Chapitre IV :
Partie pratique
Présentation des différents
Outils réfléchis dans une
Optique de maintien du
Lien familial
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Chapitre IV : Présentation des différents outils
4. Présentation des différents outils réfléchis dans une optique
de maintien du lien familial
Dans cette partie plus pratique, je vais présenter les différents outils et moyens que j’ai
pu mettre en place et ce, dans une optique de renforcer, voire renouer le lien familial entre les
usagers et leurs parents. Certains de ces outils ont été élaborés l’année dernière alors que je
faisais partie de l’équipe éducative de l’internat. Pour le reste, il s’agit de moyens mis en
place cette année, alors que j’occupe actuellement un poste d’éducateur au sein du Centre
d’Accueil Permanent.
Ce sont donc de « petites choses » réfléchies, pour la plupart collégialement, et qui
sont des réponses à ce qui nous apparaissait comme défaillant.
Il est important que je souligne ici la dimension géographique notable et spécifique à
l’enseignement spécial de Saint-Mard. En effet, comme je l’ai déjà abordé, nombre de nos
usagers proviennent des pays frontaliers. Il est souvent difficile pour les parents de les faire
revenir toutes les semaines. Ils passent donc plus de temps dans notre institution qu’en
famille.
4.1. Le cahier de communication :
Je commencerai par parler d’un moyen mis en place l’année dernière et qui semble
porter ses fruits. C’est l’aboutissement d’une réflexion menée conjointement avec une
éducatrice au sein du Groupe 6.
Le groupe 6 est composé d’adolescents souffrant de
diverses pathologies : autisme, trisomie, débilité moyenne à
sévère, psychoses, etc. Nombre d’entre eux sont originaires du
Bassin Parisien, les retours en famille sont donc réduits au
minimum. Certains retournent chaque week-end alors que
d’autres restent un week-end sur deux au Centre d’Accueil Permanent.
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Chapitre IV : Le cahier de communication
La difficulté rencontrée à notre niveau est que nous connaissons peu les parents. Dans
le meilleur des cas, à part quelques communications téléphoniques, nous ne les avons
rencontrés qu’une ou deux fois.
Il est donc difficile de pouvoir entretenir un lien avec des personnes que nous ne
connaissons que très peu. Nous avons décidé d’ouvrir notre réflexion en mettant en place un
système de cahier de communication.
Ce cahier sert donc dans un premier temps à échanger des informations concrètes,
« pratiques » avec les parents : prévenir qu’un enfant a été malade, qu’il faudrait lui mettre
plus de chaussettes dans son sac, qu’il a été anormalement nerveux durant la semaine, etc.
Il a également un autre but, plus subtil mais, à mon sens, très important : sensibiliser
les parents au vécu de leurs enfants. Leur communiquer les activités faites la semaine, les
bons et les mauvais moments, aide à permettre de les sensibiliser davantage à la vie en
institution de leurs enfants et leur offre des sujets de discussion et de partage avec eux.
Les jeunes usagers savent pertinemment que ce cahier les relie à leurs parents et j’ai
l’impression que cela change leur façon d’être au quotidien. Bien entendu, ils auront tendance
à faire moins de bêtises sachant qu’elles seront notifiées à leurs parents mais il me semble
également qu’ils se révèlent plus que jamais motivés dans les activités et dans la vie
quotidienne. Comme s’ils voulaient, au travers de nos communications, montrer à leurs
parents leurs progrès et les rendre fiers d’eux.
Bien sûr, tout cela reste difficilement quantifiable mais je suis convaincu que des
changements s’opèrent et j’ai pu constater une plus grande interaction grâce à ces carnets. Les
parents, même ceux qui se sont tout d’abord trouvés réticents, commencent à s’approprier cet
outil d’échanges et s’y livrent davantage.
Une triple satisfaction en découle : celle de pouvoir intéresser les parents à la vie de
leurs enfants chez nous, celle d’offrir aux parents et aux enfants des pistes de communication
lors des moments passés ensemble, et enfin, celle, non négligeable, de voir les jeunes
s’appliquer au quotidien dans l’espoir de satisfaire les attentes de leurs parents.
41
Chapitre IV : Les bricolages et les dessins
4.2. Les bricolages et les dessins :
J’ai également eu la possibilité, de travailler dans une équipe de deux puéricultrices au
sein du Groupe 7. Ce groupe se compose sensiblement de la même population que dans le
Groupe 6 mais la moyenne d’âge y est plus basse. J’y occupais une fonction de renfort c'est-à-
dire que je ne me substituais pas aux deux autres personnes mais complétais l’équipe.
Cette présence supplémentaire induit un gain de temps indéniable et potentiellement
très bénéfique. Une troisième personne permet aux enfants de pouvoir faire des choses plus
variées dans les mêmes périodes de temps.
C’est donc tout naturellement que j’ai pu développer avec ce groupe davantage
d’activités : jeux en extérieur, sorties organisées, bricolages et dessins.
Toujours dans une optique de sensibilisation des parents aux progrès et aux travaux
effectués par leurs enfants dans le cadre de l’Institution, j’ai commencé à orienter mes
bricolages vers les parents et la famille en général.
Ainsi, il nous est arrivé de dessiner nos familles, nos maisons, nos frères et sœurs. Les
enfants affectionnent tout particulièrement de pouvoir partager ces morceaux de leur existence
avec autrui. Ils s’y appliquent d’autant plus que j’envoie régulièrement les dessins aux
parents. Lorsque cela n’était pas possible, je les glisse dans les valises lors des retours en
famille.
Ce simple petit geste apporte une grande fierté aux enfants et permet aux parents de
voir à quel point, malgré les distances géographiques, leurs enfants restent très attachés à leur
milieu familial.
Dans le même ordre d’idée, il me paraît précieux, et ce,
même si cela est déjà réalisé dans le cadre scolaire, de « marquer
le coup » des fêtes telles que : fêtes des mères, des pères,
anniversaires,… A l’approche d’une de ces occasions, je réalise
un bricolage plus personnalisé à l’attention des parents.
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Chapitre IV : Le lien téléphonique
Le but de ces petits gestes, en apparence anodins, est double : il permet à l’enfant de
pouvoir continuer à se construire en tant que membre de sa famille, et ce, malgré
l’éloignement, mais il permet aussi aux parents de prendre conscience (sans porter de
jugements et prétendre que tous les parents ont besoin de cette aide) de l’importance qu’ils ont
aux yeux de leurs enfants.
4.3. Le lien téléphonique :
4.3.1. Dans la plupart des cas :
Un moyen plus direct de permettre aux enfants de maintenir un lien familial est bien
évidemment le téléphone. Cela nous semble évident. Lorsque nous avons envie de parler à
quelqu’un, il nous suffit de décrocher notre combiné et nous voici en relation avec la
personne.
Tout simple, certes, mais dans le contexte institutionnel cela ne l’est pas autant. Il faut
tenir compte du fait que certains parents (je ne fais pas ici, une fois encore, une généralité)
peuvent éprouver une sorte de culpabilité à laisser leurs enfants en internat.
Nous ressentons parfois cela lorsqu’ils sont contraints de s’entretenir avec nous au
téléphone. Ce sentiment peut être compréhensible : ils nous confient leurs enfants, nous
représentons ce qu’ils pensent ne pas savoir être. Certains se sentent diminués face à l’équipe
éducative à laquelle ils ont confié leurs enfants. J’insiste fortement sur le fait que c’est un
sentiment existant mais qui n’est pas forcément lié à tous les parents, loin de là.
Imaginons alors que ces parents vont tout mettre en œuvre pour éviter d’entrer en
contact avec nous, quitte à se priver du contact téléphonique avec leurs enfants.
Ajoutons que certains enfants n’ont pas le réflexe de demander à téléphoner à leurs
parents. A plus forte raison, dans le cadre très précis de ma profession, une partie des enfants
souffrent de pathologies lourdes et ne savent pas ou très peu s’exprimer verbalement.
Quant au professionnel, absorbé par ses tâches hebdomadaires, il ne pensera pas
forcément à mettre l’enfant et le parent en rapport. C’est pourtant sur ce point que j’ai
commencé depuis quelques temps à travailler.
43
Chapitre IV : Le lien téléphonique
Il m’apparaît précieux d’essayer de sensibiliser les enfants à la possibilité qu’ils ont de
demander à téléphoner à leurs parents (notamment pour les enfants ne parlant pas par le biais
d’un pictogramme symbolisant un téléphone), et sensibiliser également l’équipe éducative à
l’importance de ses rapports familiaux mais aussi les parents eux-mêmes.
Lorsqu’un enfant me semble triste ou cafardeux, je lui propose d’appeler « papa » ou
« maman ». C’est alors à moi d’entamer la conversation en expliquant que l’enfant a émis le
souhait de pouvoir discuter avec eux, qu’il souhaite se rassurer à leur contact et qu’eux, mieux
que nous, sont à même de l’épauler dans ses moments d’incertitudes.
Il y a toutefois lieu de réfléchir correctement aux incidences que peuvent entraîner des
relations téléphoniques. En effet, il m’apparaît impensable d’être présent dans le moment
d’intimité liant l’usager à sa famille. Je ne peux envisager mon action autrement qu’en
laissant l’entière liberté à l’enfant ou à l’adolescent. C’est pourquoi, une fois que j’ai établi le
contact avec le parent, je laisse le combiné à l’usager et quitte la pièce, estimant que ce
moment leur appartient pleinement et ne peut se vivre qu’hors ma présence physique.
Mais comment, dans cette optique, m’assurer de la pertinence de l’échange ?
Comment puis-je mesurer l’incidence du rapport échangé sur le jeune ? N’y a-t-il pas là un
risque potentiel de maltraitance ?
Il est alors utile d’anticiper, de prévoir, comme une éventualité, la possibilité d’un
rapport destructeur. La violence peut se révéler verbale et les mots sont, en certaines
occasions, extrêmement blessants.
- « Combien as-tu eu à ta rédaction ? »
- « 4 sur 10 »
- « tu es vraiment nul, jamais tu ne feras quelque chose de bien ».
Tout échange verbal, quel qu’il soit peut comporter une certaine forme de violence
dans le contenu, bien que ce ne soit pas toujours volontairement que la personne se révèle
blessante dans ses propos.
44
Chapitre IV : Le lien téléphonique
Pour essayer de prévenir ce genre de risques sans m’immiscer dans l’intimité de
l’échange, j’opère un travail en amont et en aval de la communication.
En discutant avec l’usager au préalable, j’essaye de le préparer à ce que pourrait être
l’échange téléphonique.
- « Que penses-tu que maman va te dire pour ta rédaction ? »
L’idée étant de placer l’usager dans une situation de questionnement sur ce qui risque
de se jouer dans la discussion de sorte qu’il y soit « préparé ».
Bien entendu cela doit se faire de manière discrète, sans se révéler trop intrusif ni
placer une pression excessive sur lui. Pour cela, je me repose également sur ce que je connais
de la relation existante. Il y a ce que je pourrais appeler des situations familiales « plus à
risque » pour lesquelles il convient d’être plus vigilant.
J’insiste sur le fait que tout cela se joue au cas par cas et dans l’informel. Je n’ai
aucune technique particulière d’approche et, bien souvent, c’est dans l’échange le plus simple
que j’espère être le plus efficace.
En complément du fait de placer l’usager en réflexion sur ce qu’il risque de
s’échanger, il m’apparaît tout aussi important de pouvoir discuter en aval du contact
téléphonique. Revenir sur ce qui s’est dit, sans pour autant chercher à violer le secret légitime,
est également une entreprise qui, bien que très utile, nécessite une certaine finesse. J’essaie
toujours de placer l’enfant ou l’adolescent en situation de vouloir partager par lui-même.
- « Cela t’a fait plaisir de pouvoir parler à maman ? Etait-elle contente de t’entendre ? »
Comme je l’ai évoqué, tout cela relève de l’informel et ne repose sur aucune technique
particulière. Je situe vraiment cela en terme de « feeling ». Concrètement, j’essaye de
percevoir dans l’attitude de l’usager les éventuels signes d’un malaise et tente de l’amener à
les extérioriser sans paraître trop intrusif.
Ici aussi, cela peut dépendre de multiples facteurs liés au contexte, à l’histoire
familiale, à l’attitude et aux ressentis que je peux avoir face au comportement de l’usager.
45
Chapitre IV : Le lien téléphonique
Ce que je viens de développer s’applique assez bien pour des enfants capables de
s’exprimer par la parole. Or ce n’est pas le lot de tous les usagers accueillis à Saint-Mard. Une
partie d’entre eux, de par le handicap, ne peut user du langage verbal. Dans ces cas plus
précis, comment nous positionnons-nous alors dans cette optique de maintien de lien par le
biais du téléphone ?
4.3.2. Dans les cas où l’usager ne parle pas :
Dans le Groupe 7, où j’ai eu l’occasion de développer certains outils, il y a un enfant
autiste qui ne parle pas du tout. Il est généralement très en retrait, dans cette fameuse bulle. Il
lui arrive de communiquer par le biais des pictogrammes.
Un soir où je l’ai trouvé cafardeux, j’ai appelé sa maman en lui expliquant la situation.
Elle a été surprise que je veuille lui passer son fils alors que celui-ci ne pourrait pas
interagir verbalement mais elle a accepté de discuter avec lui. Le garçon a rapidement
identifié la voix de sa mère et a commencé à sourire et à émettre des petits grognements de
satisfaction.
Depuis lors, encouragée par l’expérience, la maman prend régulièrement de ses
nouvelles et apprécie de discuter (je n’utiliserai pas ici le terme « monologuer » car il y a une
réelle interaction assez indéfinissable mais prégnante) avec son enfant au téléphone.
Je suis heureux de souligner que cette expérience tend à se généraliser dans
l’institution où je travaille. Je n’aurai pas la prétention de dire que je suis le seul à l’origine de
ce phénomène, d’autres collègues sont également fortement sensibilisés à cette problématique
de l’absence « physique » du lien familial et contribuent fortement au développement de ces
petites « stratégies » destinées à entretenir et à nourrir le lien qui unit l’enfant à sa famille.
Il faut savoir que les enfants ne seront pas les seuls bénéficiaires de ces réflexions.
Bien sûr, je pense l’avoir largement démontré, le profit est indéniable pour eux, mais il est
également bon de prendre conscience des avantages que nous pourrons également retirer de
tout cela.
46
Chapitre IV : Le Petit Journal
En dehors de la satisfaction de tenter d’œuvrer de la manière la plus efficiente
possible, il convient de penser aux avancées et aux progrès que ces jeunes pourront réaliser
grâce au soutien structurant de leurs cellules familiales.
Leur équilibre personnel s’en trouvant conforté, la réalité institutionnelle changera
probablement de visage et le travail ne sera certainement pas le même.
4.4. Le « Petit Journal » :
Le plus gros outil que j’ai eu la chance de pouvoir mettre en place est un « Petit
Journal » mensuel à destination des parents.
Ce projet a été construit dans une optique semblable à celle envisagée lors de la
création des cahiers de communication, à savoir permettre aux parents de se tenir informés de
ce que leurs enfants vivent au quotidien dans les deux structures de l’Institution.
Le « Petit Journal », bien que toujours au stade du développement, apparaît cependant
plus complet de par la formule utilisée. La volonté étant de laisser une place suffisante à tous
les enfants et adolescents présents.
La réflexion et la construction de cet outil feront l’objet d’un développement plus
poussé, car il m’apparaît chaque mois davantage, que ce moyen de communication est un liant
essentiel dans un travail efficient prenant en compte la dimension familiale.
4.4.1. Origines de la réflexion et mise en route :
4.4.1.1. L’origine de ce projet :
Pour faire rapidement l’historique de l’outil, il faut remonter à mon emploi précédent.
J’occupais alors le poste de responsable de la communication dans une entreprise de travail
adapté située à Weyler (Arlon). Dans la palette de mes attributions, j’avais entre autre, la
charge de servir de lien entre les travailleurs et la Direction. Il m’avait été demandé de
réfléchir à des moyens qui permettraient de réduire l’immanquable fossé entre les ouvriers et
les « Patrons ». Il est important de préciser que je n’agissais pas seul, j’avais la possibilité de
me référer à mes supérieurs mais aussi à des membres du Conseil d’Administration.
47
Chapitre IV : Le Petit Journal
La perspective de créer un petit journal apparut au terme de plusieurs réunions de
réflexion reprenant divers intervenants parmi lesquels des représentants des travailleurs.
La volonté était de permettre une valorisation des chantiers réalisés et du travail
pratiqué au sens large. Ainsi, nous décidions de mettre en avant tant les actions des ouvriers
que celles des employés.
La construction proprement dite de l’outil se fit, elle aussi, collégialement. Chacun
proposant et chaque proposition étant traitée de manière égale. La parution du premier
numéro fut un test et permis de réajuster le contenu en fonction des retours positifs ou
négatifs.
Petit à petit, avec toujours le même droit de regard de la part des divers intervenants,
l’outil s’est construit. Tenant toujours compte des avis de chacun et, cela est important à
préciser surtout dans le cadre d’une entreprise, toujours dans un cadre démocratique qui
devait permettre d’éviter la « récupération » du projet par la Direction.
Le public recevant les parutions se composait pour une grande part des familles mais
aussi du Conseil d’Administration, des entreprises environnantes et de certains élus locaux.
L’objectif majeur poursuivi étant la valorisation du travail fourni par chacun. Nous
tablions aussi, dans une moindre mesure, sur la possibilité aux yeux de l’extérieur, d’un
regard davantage neutre et moins suspicieux sur les possibilités réelles des travailleurs.
Nous espérions que cet outil aiderait chacun à se sentir pleinement acteur de son
quotidien dans l’entreprise et lui permettrait de renforcer sa propre estime personnelle,
notamment au regard de sa famille.
Avec le temps, les réévaluations régulières et les différents sondages opérés, nous
sommes parvenus à mettre au point une formule simple et relativement efficace qui
rencontrait assez bien nos attentes de départ.
J’occupais au sein de ce projet le rôle de rédacteur en chef et de coordinateur. Un
journaliste externe, qui nous éclairait de ses compétences, un chargé de mise en page et un
chroniqueur, m’étaient directement adjoints.
C’est en me basant sur cette expérience acquise dans ce cadre bien précis, que j’ai
proposé de mettre en route un petit journal de liaison au sein de mon Institution.
48
Chapitre IV : Le Petit Journal
4.4.1.2 La phase de réflexion :
La mise en place de ce genre d’outil ne pouvait pas se faire de manière trop
hasardeuse, un minimum de réflexion préalable s’imposait.
J’ai tout d’abord soumis ce projet à mon équipe de travail, dans le cadre d’une réunion.
La méthodologie que j’ai employée se voulait empreinte d’humilité. Je m’explique, il nous a
été clairement démontré, dans le cadre de la formation, que le meilleur moyen de fédérer des
gens à une cause est d’adopter une position basse, c’est-à-dire de permettre à chacun de
s’insérer dans le projet proposé un peu comme si il était co-auteur de l’idée. Le piège étant
d’apporter le projet comme en étant le seul instigateur, ce qui peut avoir comme conséquence
un sentiment de ne pas s’y sentir investi.
Le projet fut bien accueilli dans le sens où il apparaissait comme une réponse à une
réflexion qui s’était déjà mise en marche. Nous étions, en effet, de plus en plus conscients
d’un manque dans la relation « travail dans l’Institution » et « rapport à la Famille ».
Cependant, nous n’avions pas encore trouvé l’outil idéal. Je dis idéal car, même si à l’heure
actuelle, il est encore bien loin d’être au maximum de son utilisation, il semble que cette
petite parution est de plus en plus intégrée au sein des familles.
Le choix du titre du « Petit Journal » fut unanime : « La Passerelle ». Ce nom
symbolisant clairement ce que nous tentions d’effectuer, à savoir, servir de lien entre les
usagers et leurs familles.
Il fallait également décider du contenu, du format et de la fréquence de parution. Ces
différents points donnèrent lieu à une réunion de réflexion. Celle-ci fut composée
essentiellement de l’équipe éducative du Centre d’Accueil Permanent.
Nous pensions, en toute bonne foi, qu’il était plus simple, dans un premier temps, de
réfléchir à l’élaboration de l’outil en petit comité « soudé » et, dans un second temps
seulement, d’apporter ce projet construit aux collègues de l’Internat. C’est un des premiers
points « noirs » que je déplore et sur lequel je me dois d’être critique.
En effet, nous étions tous au clair avec le fait qu’il existe une scission réelle entre les
équipes de la semaine et du week-end.
49
Chapitre IV : Le Petit Journal
Or, malgré cette connaissance, il nous est apparu plus aisé de démarrer le projet seul
espérant ainsi, une fois le travail concrétisé, obtenir une adhésion de l’équipe de l’Internat. Ce
qui ne fut pas une réussite dans les faits.
A l’heure actuelle, il est toujours aussi difficile d’obtenir une participation franche et
volontaire de nos collègues qui ont eut l’impression de ne pas avoir été co-auteurs dans la
construction de l’outil.
Il en est ici, clairement, de ma responsabilité. Alors que j’ai soigneusement amené la
réflexion à mon équipe de travail, adoptant des stratégies d’approches réfléchies, je n’ai pas
su transposer ces mêmes stratégies à une autre équipe, les écartant de la phase préparatoire et
ne leur laissant comme possibilité que d’accepter ou de rejeter un outil, à la création duquel ils
n’avaient pas eu le choix de contribuer.
Quoi qu’il en soit, l’erreur étant commise, il m’est impossible de revenir dessus et
nous travaillons de plus en plus dans le sens d’une plus grande implication des éducateurs,
éducatrices et puéricultrices de l’Internat. Ce travail commence lentement à porter ses fruits.
En ce qui concerne le format, il est inutile de s’appesantir dessus. Disons simplement
que la formule fut choisie en terme de réalités techniques (la photocopie restant à ce jour le
moyen de duplication le plus aisé).
Enfin, le choix d’une parution mensuelle fut opéré dans le but de conserver le plus
d’interactivité possible avec le moment présent. Nous voulions pouvoir offrir, non pas en
temps réel mais de manière la plus rapide possible, le compte-rendu de notre quotidien.
Je préciserai ici que, dans une optique déontologique, nous avons préalablement
envoyé une lettre à chaque parent les informant de notre volonté de créer ce journal et
demandant leur accord pour l’utilisation de l’image de leurs enfants.
Bien sur, assumer une parution mensuelle est un défi au quotidien lorsque nous
prenons en compte les horaires de travail et les obligations de chacun mais la fréquence de
parution fut soutenue par tous pour les raisons que j’ai développées plus haut.
Il fut également convenu au cours de cette réunion de l’implication consensuelle de
chacun.
Cela me posait alors question car, sans définir clairement des attributions à chacun, je
craignais que, l’effet de l’attrait de la nouveauté passée, je ne me retrouve un peu seul face à
tout le travail qu’impliquait un tel projet.
50
Chapitre IV : Le Petit Journal
Or, dans les faits, il apparaît très nettement que chacun contribue largement et
harmonieusement à la rédaction mensuelle. Les sujets sont discutés en réunions ou autour
d’un café, les articles rédigés en sous-groupes, les photos sont apportées par tous et la parole
laissée aux jeunes est le fruit des sollicitations de toute l’équipe éducative. Bref, bien que nous
n’ayions pas clairement défini de rôles, attribués de manière plus formelle des tâches, il
apparaît que la volonté commune semble suffire à fédérer l’équipe dans un travail efficient et
soutenu.
Je le répète toutefois, l’outil est encore neuf et je n’ai pas le recul suffisant pour savoir
si cette assiduité pourra perdurer dans le temps ou si nous assisterons à un essoufflement des
« bonnes volontés ».
4.4.1.3 Les objectifs poursuivis :
Les objectifs sur lesquels nous avons basé notre phase de réflexion étaient doubles. Je
vais les reprendre ici.
� Le premier objectif, résolument tourné dans le sens du maintien du lien, devait offrir
l’occasion aux parents de suivre le vécu de leurs enfants, de leur (re)donner un rôle dont
certains s’étaient peut-être un peu départis ou avaient le sentiment d’en avoir été privé, mais
aussi de leur permettre d’envisager des sujets de discussions, de dialogue avec leurs enfants
pour les familles où la communication pouvait poser soucis.
Cet objectif entre ici directement en ligne de compte au niveau des outils élaborés,
dans le cadre de ma réflexion générale, sur les moyens de maintenir, renforcer, voire recréer
un lien familial. L’outil servant de moyen à la réalisation de cet objectif ayant l’avantage de
ne pas être freiné par des réalités géographiques.
� Le second objectif que nous voyions lié à la mise en œuvre de ce projet concernait
plus directement les usagers. Nous souhaitions permettre aux jeunes d’exprimer leurs
ressentis, leurs émotions dans l’ « ici et maintenant ». Mais aussi de se sentir, dans une
certaine mesure, valorisés aux yeux des autres.
51
Chapitre IV : Le Petit Journal
Nous le savons, un enfant ou un adolescent éloigné de son environnement familial
peut éprouver un appauvrissement de l’image qu’il a de lui-même, un sentiment d’inutilité et
des difficultés d’intégration sociale. Ceci étant très majoritairement lié à la rupture ou à la
fragilisation des liens d’attachement et d’appartenance.
Dans ce cadre d’éloignement, l’enfant ou l’adolescent vit une rupture dans l’équilibre
familial et le réseau social qui y est associé. Il lui faut alors apprendre à s’adapter à d’autres
normes, règles et valeurs que celles qu’il avait intégrées dans sa propre famille.
Bien sur, ce n’est pas l’implication dans une petite parution mensuelle qui peut pallier
à toutes ces difficultés, toutefois, nous espérions pouvoir renforcer l’estime des jeunes usagers
en leur offrant la possibilité de s’investir dans un projet valorisant et leur offrant la possibilité
d’une certaine autonomie et des responsabilités.
Ainsi, la parution du mois de janvier fut un grand moment d’échange constructif et
d’implications de la part des adolescents fréquentant le Centre d’Accueil Permanent. Alors
que je leur parlais des possibilités qu’ils avaient de « s’approprier » le « Petit Journal », Didier
me parlât d’un film visionné dans le cadre d’un cours de morale et qui avait fait écho au plus
profond de lui : « American History X ». Bien vite, d’autres jeunes gens commencèrent à
ébaucher l’idée de traiter de la problématique du racisme dans « La Passerelle ». Ils allaient
au-delà de mes espérances en s’insérant directement au cœur d’une problématique choisie par
eux et qui, dans leur présent, faisait sens.
Ils ont donc tout d’abord réfléchi à la manière d’aborder leur sujet. J’ai très largement
pu ressentir le degré d’implication de chacun et le fait qu’ils se sentaient pleinement
responsables de ce qu’ils projetaient. Ils décidèrent de commencer par mettre, chacun, sur le
papier ce qu’ils entrevoyaient dans la définition du racisme. Ce qui fut fait. Nous pûmes en
discuter tous ensemble et ce fut pour eux l’occasion de demander des précisions sur des
questionnements qu’ils se faisaient.
La rédaction et la mise en page du dossier se firent de manière collégiale et les
résultats furent à la hauteur du travail consenti. Nous eûmes beaucoup d’échos positifs de la
part des parents mais aussi des élèves externes qui eurent l’occasion de consulter la parution.
52
Chapitre IV : Le Petit Journal
Cependant, je déplore que l’expérience ne se soit pas encore renouvelée car nous
avions atteint là un palier supplémentaire dans l’implication et la valorisation de la parole des
usagers. La difficulté de ce genre de travail réside dans le temps que cela nécessite. Il est, en
effet, nettement plus simple de rédiger et de proposer le contenu nous-même que de demander
aux usagers de le construire.
C’est toutefois un autre point « noir » en l’état actuel des choses car, en procédant de
la sorte, nous limitons l’implication nécessaire à la rencontre du second objectif poursuivi, à
savoir : le renforcement de l’estime de soi par le biais d’une activité valorisante.
4.4.1.4. La mise en route :
Une fois la réflexion affinée, nous nous sommes lancé dans la mise en pratique. Nous
avons demandé et obtenu de la part de la Direction du matériel informatique et un accès à
Internet, de sorte de pouvoir offrir aux jeunes la possibilité de travailler sur le projet à nos
côtés. Nous souhaitions fortement une implication directe des usagers (entendons bien ici
que cette implication tient compte des réalités de handicaps).
La première parution sortie en décembre a été diffusée, en premier lieu, lors du souper
de Noël, regroupant les équipes éducatives du Centre d’Accueil Permanent, de l’Internat et les
enfants et adolescents de l’internat. Nous avions choisi cette date en pensant que nous
pourrions ainsi, dans un cadre festif, pouvoir mieux « vanter » l’intérêt de l’outil auprès de
nos collègues. Mais nous étions déjà dans l’erreur comme je l’ai expliqué plus haut. L’impact
ne fut pas signifiant.
Ce fut l’occasion cependant d’intéresser les jeunes usagers à cet outil pour lequel peu
d’entres eux avaient eu l’occasion de contribuer.
4.4.2 Moyens utilisés pour évaluer la pertinence de l’outil :
Ce « Petit Journal » étant encore un jeune projet, je n’ai pas énormément de recul pour
analyser l’impact qu’il peut avoir dans une optique de dynamique familiale. Toutefois, nous
avons déjà pu obtenir certains « retours » de la part des parents.
53
Chapitre IV : Le Petit Journal
J’ajoute que je n’ai pas encore, à ce jour, pu mettre en place de stratégies
suffisamment pertinentes pour pouvoir quantifier l’impact réel sur les cellules familiales.
Toutefois, pour tenter de mesurer l’efficience de l’outil mis en place, nous avons fait
parvenir aux parents, dès la seconde parution, un questionnaire portant sur les attentes de
ceux-ci. J’en reproduis le contenu ci-après.
Questionnaire envoyé à tous les parents dont les enfants fréquentent l’Internat et/ou le Centre
d’Accueil Permanent en janvier 2007
Afin d’être le plus en phase avec vos attentes concernant notre petite parution mensuelle, nous vous invitons à remplir et à nous retourner le petit questionnaire ci-dessous : 1. Trouvez-vous utile cette initiative de parution mensuelle ou estimez-vous que cela ne sert pas à grand-chose ? ……………………………………………………………………………………. ……………………………………………………………………………………. ……………………………………………………………………………………. 2. Que pensez-vous qu’il manque dans cette formule de journal et que vous souhaiteriez voir apparaître ? ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 3. Si nous ouvrions un « espace parents » dans le journal, aimeriez-vous y participer et si « oui » dans quelle(s) mesure(s) ? ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 4. Pensez-vous être mieux informé du quotidien de votre (vos) enfant(s) chez nous grâce à « La Passerelle » ? ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 5. Trouvez-vous que le format et la présentation actuelle du journal sont attractifs ? Et si « non » que proposeriez-vous comme format ? ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… Mr. /Mme. Parent de : ……………………………………………………………. Merci de prendre le temps de remplir ce petit questionnaire et de nous le retourner par le biais de votre (vos) enfant(s), de sorte que nous puissions être encore davantage à votre service.
54
Chapitre IV : Le Petit Journal
Nous n’avons pas reçu autant de réponses que nous l’aurions tout d’abord espéré.
Toutefois, des « retours » intéressants nous ont conforté dans l’idée que nous étions sur la
bonne voie, mais qu’une grande partie du chemin restait encore à parcourir pour que les
familles s’approprient pleinement cet outil.
Il apparaît dans les faits que les parents sont, en général, sensibles à la démarche
proposée. Ils apprécient de voir de facto ce que font et ce que vivent leurs enfants au sein de
l’Institution.
4.4.3. L’utilité de faire circuler l’information :
Nous commençons à recevoir de la part de certains parents, des propositions de
contributions, ce qui me paraît indispensable dans une optique d’évolution de l’outil.
Ainsi, à la question : « Si nous ouvrions un « espace parents » dans le journal,
aimeriez-vous y participer et si « oui » dans quelle(s) mesure(s) ? », plusieurs parents ont
proposé des témoignages sur leurs histoires familiales. Ces propositions sont d’autant plus
importantes à mon sens qu’elles peuvent se révéler motivantes pour d’autres parents plus
réticents.
En effet, je pense que l’implication apportée par les familles se situe à un autre niveau
que notre contribution que nous pourrions percevoir comme logique et justifiée de par notre
fonction d’accompagnant. Pour reprendre un précepte de Guy Ausloos : « l'information
pertinente est celle qui vient de la famille et y retourne »22. Ainsi, toujours selon le thérapeute,
le travailleur social n’a pas pour mission de « trouver les solutions » mais bien de faire
circuler l’information. Et Ausloos d’insister sur le fait qu’il n’est pas tant important de
recueillir des données, que de faire découvrir aux membres de la famille des choses « qu’ils
ne savaient pas qu’ils savaient ».23
Selon cette lecture, le journal m’apparaît encore plus pertinent mais également encore
plus perfectible. La parution « La Passerelle », nom réfléchit en terme de liant Famille-
Institution devra, dans une optique de plus d’efficacité, évoluer selon les attentes réciproques
de ceux pour lesquels elle a été créée.
22 G. Ausloos – « La compétence des familles : temps, chaos, processus » - p30 - Editions Erès 2001 - p 30. 23 G. Ausloos – « La compétence des familles : temps, chaos, processus » - p30 - Editions Erès 2001 - p 30.
55
Chapitre IV : Le Petit Journal
4.4.4. En terme d’évolution future :
J’ai commencé au travers des points précédent à souligner quelques pistes qui
permettraient à cet outil de se révéler davantage pertinent dans une optique de travail sur le
lien familial. Ces pistes sont lourdes en investissements de temps et d’énergie mais se
mettront doucement en place dans les mois à venir.
Un premier pas a été franchi récemment avec un nouvel, et plus performant, accès à
Internet au sein du Centre d’Accueil Permanent. Cela devrait permettre plus d’interactivité
dans la phase réflexion - recherche et collecte d’informations pour les sujets que souhaitent
aborder les plus grands. Nous devrions voir très prochainement arriver une imprimante qui
leur permettra encore plus d’efficacité en ce même sens.
Pour rester dans les évolutions techniques, nous sommes actuellement en réflexion
pour, tout en maintenant le format actuel, passer en résolution couleur ce qui sera un plus
esthétique indéniable.
Tout cela, bien qu’encourageant ne concerne cependant pas tant l’objectif familial
initialement visé.
Pour permettre une plus grande réactivité des familles, nous souhaitons impliquer
directement, dans les prochains numéros, plusieurs parents qui se sont proposés pour nous
offrir leurs témoignages.
Bien que nous ayons leur accord et qu’ils nous aient signifié leur volonté de participer,
rien n’a encore été défini en ce qui concerne la façon dont cela se réalisera. Pas tant que nous
laissions traîner par négligence, mais bien parce que la participation de ces personnes nous
apparaît comme trop importante en terme d’implication éventuelle des autres parents que pour
ne pas être réfléchie posément.
Le principe du « portrait » (interview de l’usager s’il en a la capacité ou illustration de
ses passe-temps, goûts, bricolages,…) personnalisé me semble également une chose à
reproduire. Le bénéfice se joue ici en individuel : l’usager est heureux et fier (cela peut, je
pense, concourir à renforcer l’image de soi et le sentiment d’utilité) d’être mis en avant dans
la parution. Je table sur le même type de sentiments du côté des parents.
56
Chapitre IV : La correspondance
Bien d’autres évolutions seront très certainement effectuées sur ce projet dans les mois
et, je l’espère, les années à venir. Ce « Petit Journal » m’apparaît, pour faire une métaphore,
comme une sorte de pâte à modeler qu’il ne tient qu’à nous de retravailler encore et encore
pour tendre au maximum vers ces nobles objectifs : de circulation des informations, de
valorisation des capacités, de renforcement de l’estime de soi et de renforcement ou maintien
du lien familial.
4.5. La correspondance
Si j’ai déjà évoqué les dessins et les bricolages, je pense utile de traiter quelque peu ici
de l’importance que peut revêtir la correspondance dans un dynamique de renforcement du
lien social. Car, si je peux aider l’usager à maintenir une relation écrite avec son cadre
familial, il est également très précieux de pouvoir lui permettre d’échanger avec d’autres
personnes.
Le concept de la correspondance est principalement utilisé par les jeunes adolescentes
qui cherchent, à un moment de leur développement, à découvrir de nouveaux horizons. Le
plus souvent,c’est au travers de magazines spécialisés que la jeune fille trouvera des « pairs »
potentiels avec qui entreprendre un échange écrit.
La correspondance est un échange de courrier généralement prolongé sur une longue
période. Le terme désigne des échanges de courrier personnels plutôt qu'administratifs24.
J’ai pu observer ce type d’échanges chez mes sœurs à une époque. Moi-même, dans
une moindre mesure, j’ai eu une période où j’ai pu ressentir le besoin « d’échanger » avec
d’autres jeunes de mon âge.
Cela m’apparaît, dans une volonté de renforcer le lien social, un outil très important.
C’est pourquoi, même si jusqu’ici cela n’a pas encore été très développé, je suis actuellement
en train de mettre en place une dynamique d’ouverture pour les jeunes sur les portes des
cultures du monde entier.
24 Source : Wikipédia
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Chapitre IV : Le Petit Journal
J’ai pris contact avec les web masters du site : « Etudiants du monde » qui servent
d’intermédiaires entres des adolescents qui souhaitent correspondre. La difficulté en ce cas,
étant de trouver des correspondants avec lesquels pouvoir échanger en français.
Le fait que nous ayons, depuis peu, équipé le Centre d’Accueil Permanent de matériel
informatique avec une connexion Internet nous permet davantage d’ouverture sur l’extérieur.
Si je souhaite une plus large ouverture sur le monde pour les usagers, je peux, dès lors
compter sur les techniques modernes pour m’aider à développer mes objectifs.
La correspondance, selon qu’elle soit dirigée vers la famille ou vers d’autres jeunes de
par le monde, ne se joue pas sur les mêmes niveaux.
Ainsi, dans le premier cas, elle est envisagée comme un moyen de plus de maintenir,
voire de renforcer le lien familial, en permettant au rédacteur de faire part à ses parents de son
vécu au quotidien. Elle contribue au processus d’implication consensuelle de l’un et l’autre
acteur dans leurs vécus respectifs.
Tant que cela est possible, il s’agira d’un outil très intéressant puisque, au-delà du fait
qu’il contribue à la dynamique de renforcement du lien familial, il implique également de
mettre en pratique la grammaire et l’orthographe.
Dans le second cas, s’il s’agit d’une ouverture sur l’extérieur, au-delà du lien familial,
c’est bien d’une dynamique de renforcement du lien social dont il s’agit. Ce faisant, nous
ouvrons les horizons de l’usager, lui permettant d’aller voir ailleurs ce qui se passe, ce qui se
vit et, éventuellement, de comparer tout cela avec ce qui se vit dans son entourage de vie
propre. Il y a là, quelque chose de très précieux que je souhaite exploiter davantage.
Je conclurai sur ce point en insistant sur l’important rôle social que peut générer ce
genre de démarche. Pouvoir se raconter, en dehors du cadre habituel, pouvoir échanger son
vécu, son ressenti, sont tant de points qui m’apparaissent enrichissants à exploiter dans un
travail de revalorisation de l’adolescent.
58
Chapitre IV : L’informatique : un autre outil de communication
4.6. L’informatique : un autre outil de communication.
Depuis quelques temps, nous avons commencé à nous équiper en matériel
informatique. Nous sommes encore amenés à développer davantage ces outils à la prochaine
rentrée.
Les intérêts d’utiliser l’informatique dans le contexte du Centre d’Accueil Permanent
sont nombreux. Je citerai, entre autres fonctions : l’utilisation comme outil de recherche pour
des travaux scolaires, pour le Petit Journal, à des fins de divertissements mais aussi dans
l’optique de communiquer avec l’extérieur.
Difficile, à notre époque, de composer sans Internet. Il est présent dans de très
nombreux foyers et les jeunes sont de plus en plus qualifiés et utilisent régulièrement cet outil.
C’est ce qui m’a amené à demander à ce que le Centre d’Accueil Permanent puisse bénéficier
de cette technologie.
Des outils tels que MSN sont de très précieuses passerelles sur l’univers social
existant, mais permet aussi de l’élargir. Selon le même principe que celui de la
correspondance, Internet est une porte sur d’autres cultures et sur d’autres personnes.
Certains usagers s’en servent d’ores et déjà pour communiquer avec leurs familles.
Cela sous-entend, bien évidement, que les familles soient équipées elles aussi.
Tout comme pour la correspondance, il s’agit d’un outil très récent et nous n’avons
pas encore eu l’opportunité de le développer au maximum.
Un dernier point que je souhaitais évoquer ici, concerne le projet de créer une radio
« web ». Celui-ci en est encore à l’état de réflexion mais nous avons d’ores et déjà le soutien
de la Direction.
Parmi les objectifs déjà envisagés, je citerai : offrir une activité technologique
originale et attractive, permettre une interaction avec les familles mais aussi l’entourage social
et sensibiliser les usagers aux possibilités offertes par la technologie moderne.
59
Chapitre IV : Situations vécues
4.7. Situations vécues dans le cadre de ma profession :
Si nous essayons de travailler sur divers outils permettant de maintenir le lien familial,
il nous arrive aussi, dans nos actes quotidiens, de travailler en ce sens. Je l’ai déjà souligné,
nous ne sommes malheureusement, pas suffisamment en contact avec les familles de nos
usagers mais, lorsque cela est possible, nous essayons de « faire avec ».
Je me propose ici de raconter une situation rencontrée dans le cadre de ma profession
où nous avons pu permettre à un adolescent d’à nouveau s’immerger dans une ambiance
familiale.
Je ne suis pas sûr que cette situation ait été envisagée de la meilleure manière qui soit
et je ne dispose pas du recul suffisant pour analyser clairement ce qui a été entreprit. Je ne
vais donc ici que relater ce que nous avons construit comme travail et ce qui semble en
ressortir en terme de premiers résultats.
Matthieu : adolescent en rupture de famille :
Matthieu est un jeune homme de 17 ans.
Ses parents étant tous les deux décédés, il a été placé chez sa sœur et son compagnon.
Suite à des situations conflictuelles répétées, le SAJ25 décide de le placer provisoirement, en
semaine à l’Internat et les week-ends au Centre d’Accueil Permanent. Il faut savoir que
Matthieu est scolarisé à l’enseignement spécial de Saint-Mard, en section « maçonnerie ».
Il a donc intégré le CAP au cours du mois de décembre 2006. Pour rappel, nous
fonctionnons en alternance avec deux groupes : « les grands » et « les petits ». Cette précision
pour expliquer le fait qu’un week-end sur deux, Matthieu se retrouvait le seul adolescent au
Centre.
Sa venue a coïncidé avec l’arrivée de Sébastien qui, bien que ayant déjà fréquenté
épisodiquement notre centre, vivait, lui aussi, une situation familiale difficile.
Bien qu’ils n’aient pas été très proches par le passé, la similitude de leur situation
respective les a rapproché de manière très visible. Ils sont vite devenus « inséparables » et
partageaient tout ou presque : chambre, vêtements, cd, etc.
25 SAJ : Service d’Aide à la Jeunesse.
60
Chapitre IV : Situations vécues
Unis dans le quotidien, j’ai eu l’impression qu’il se recréait quelque chose de l’ordre
de la solidarité familiale, chacun trouvant chez l’autre un appui solide.
Je précise que je suis ici dans un ressenti personnel qui n’est peut être pas le reflet de
la situation telle qu’ils la vivaient réellement. Toutefois, je pense que ma représentation se
base sur des éléments observables et je précise qu’elle a été confortée par des observations
similaires de mes collègues.
Or, dernièrement, Sébastien nous a quittés pour une autre institution. Son départ a été
un réel coup dur pour Matthieu qui se retrouvait à nouveau seul. Bien qu’il ait tenté de nous
cacher ses sentiments, nous avons fortement ressenti que cet événement l’avait touché au plus
profond de lui. L’assurance qu’il semblait avoir acquise au fil des mois s’effritait petit à petit.
Si je reprends cela sous une lecture de la période d’adolescence, je peux dire qu’il
n’avait plus de semblable à qui s’identifier, avec qui partager. Nous pouvons être les meilleurs
éducateurs du monde, nous resterons toujours des adultes et ce n’est pas forcément à un adulte
qu’un adolescent va chercher à s’identifier.
Matthieu avait une copine de son âge, fréquentant elle aussi l’enseignement spécial.
Elle venait occasionnellement au CAP pour le voir mais, suite à des problèmes de
comportement des deux jeunes gens, elles ne pouvaient momentanément plus venir qu’un
week-end sur deux, celui « des petits ».
La jeune fille, je l’appellerai Claire, ne rencontrant aucun problème dans son milieu
familial, nous avons essayé, en accord avec les parents de celle-ci, de permettre à Matthieu de
passer un week-end chez eux. Il s’agissait d’un test, personne ne pouvait savoir comment cela
se passerait.
Au retour de Matthieu, la maman nous a raconté que cela c’était remarquablement
bien passé. Le jeune homme s’était montré poli et très serviable. Elle marquait son accord
pour renouveler l’expérience. De son côté, l’adolescent était ravi de ce week-end « en
famille ».
61
Chapitre IV : Situations vécues
Nous avions toutefois quelques appréhensions. Nous craignions que l’apparente bonne
conduite de Matthieu ne durerait pas forcément sur le long terme et qu’il finirait pas
commettre des écarts de comportement.
Mais contre toute attente, le jeune homme est resté poli et serviable au-delà de nos
espérances.
En en discutant avec lui, il avoua volontiers que le fait de se sentir au sein d’une
cellule familiale soudée et heureuse lui donnait, quelque part, l’impression, non pas d’en faire
partie, mais d’y être bienvenu. Cela, selon ses dires, lui suffisait à se sentir mieux (d’ailleurs il
ne prenait plus ses médicaments « calmants » le soir lorsqu’il était chez Claire).
A l’heure actuelle, Matthieu est toujours résident chez nous et retourne régulièrement
dans la famille de sa copine. Toute se déroule pour le mieux, l’adolescent se comportant
toujours aussi bien, tant il apprécie ses moments.
J’ai conscience que cet environnement ne peut et ne pourra jamais se substituer
complètement à ce qu’il a pu connaître dans sa propre famille mais il me semble que nous
avons là, pu composer avec ce dont nous disposions. Nous avons travaillé avec ce que nous
avions comme moyens et le résultat, même s’il n’est pas facilement quantifiable, semble assez
bon. Matthieu et la famille de Claire semblant heureux de cette situation.
Reste que cela ne pourra pas durer dans le temps et que personne, à ce jour, ne peut
prédire l’avenir de cette relation.
Youssef : besoin de se sentir appartenir :
Nous avons accueilli tout récemment un jeune garçon de seize ans au Centre d’Accueil
Permanent. Bien qu’il fréquentait déjà l’Internat de semaine, nous n’avions jamais eu
l’occasion de le rencontrer. C’est moi qui travaillais le vendredi où il est venu pour la
première fois.
J’ai pour habitude, lors de premiers contacts, de ne pas me montrer trop invasif. Je
préfère largement laisser à l’usager l’occasion de s’habituer à ce nouvel environnement sans
trop lui donner l’impression d’être épié. Ainsi, je me montre tel que je suis, avec le reste du
groupe et lui laisse l’opportunité de décider du bon moment pour débuter la relation.
62
Chapitre IV : Situations vécues
J’ignore si cette façon de procéder est bonne ou mauvais, sans doute est-elle à mi-
chemin de ces deux extrêmes, toutefois, c’est ce que j’ai mis en place et qui semble
correspondre le mieux avec ma façon d’être dans ma pratique. Ainsi, je ne lui ai parlé que
sommairement, lui montrant simplement que j’étais là, disponible mais pas pressé. Nous
avons très peu échangé le premier jour mais j’ai pu l’observer discrètement et je ne doute pas
qu’il en a été de même de son côté.
Le dimanche, à ma reprise de service, mon collègue m’a confié que le jeune homme
était resté très discret et n’a pas forcément cherché le contact avec lui. Il semblait agir de la
même façon que moi.
A un moment donné de l’après-midi, alors que je me trouvais dehors avec quelques
adolescents, Youssef s’est mêlé à notre groupe. Il m’a entendu évoquer le fait que j’ai, à une
époque habité un village qui se trouvait être le sien. Nous avons donc pu amorcer doucement
une conversation faite, dans un premier temps, de banalités, mais qui petit à petit s’est
orientée vers plus de concret.
Ainsi, je me suis rendu compte que je connaissais un peu sa maman et certains des
compagnons que celle-ci avait eus. Je dois préciser ici que l’environnement familial n’est pas
des plus aisés. En effet, la maman gravite dans un univers marginal, ses fréquentations étant
essentiellement composées de gens très fragilisés socialement. Je n’en ai, bien sûr, fait aucune
mention au jeune homme. Simplement, le fait que je me montre à l’écoute, intéressé par son
histoire, l’a motivé à partager davantage.
Nous avons discuté une bonne heure tous les deux. Il m’a révélé ses craintes vis-à-vis
de sa place au sein de sa famille, des douleurs familiales liées au décès d’une de ses sœurs,
des moments tendres ou plus durs, etc. Bref, il avait en lui un grand besoin de mettre des mots
sur ses incertitudes, ses doutes. Ce n’est pas un exercice facile que celui d’écouter sans juger,
sans chercher à interpréter. Je n’ai pas la prétention d’avoir fait tout cela de manière optimale.
J’ai sans doute agi, malgré moi, avec en toile de fond mes valeurs propres et mes
réflexes hérités. Toutefois, l’échange a été enrichissant tant pour lui que pour moi et, au terme
de celui-ci, nous nous étions en quelque sorte « adoptés » mutuellement.
63
Chapitre IV : Situations vécues
Il avait trouvé en moi une oreille attentive et j’avais trouvé en lui une ressource à
mobiliser. Son besoin de se sentir appartenir à sa famille est apparu très prégnant dans notre
échange et je ne manquerais pas de travailler dans cette optique dans l’avenir.
65
CONCLUSION :
Pour terminer ma réflexion et afin de lui donner un maximum de sens, je me devais de
porter un regard critique sur la construction de ce travail.
Je souhaite donc revenir ici sur les principaux points sur lesquels j’ai mené ce
mémoire.
Le premier point concerne la structure proprement dite, c’est-à-dire le plan de travail.
Je dois reconnaître que j’ai assez bien dévié de mon « ossature » initiale. Au fur et à mesure
de mes lectures et de mes prises de notes je me suis rendu compte que je m’écartais de mes
idées de départ.
L’objectif majeur, à savoir : « comment pouvons-nous, dans le cadre de notre pratique
d’accompagnement, aider à restaurer, nourrir ou recréer le lien familial ? », est resté au
centre de mes préoccupations, mais j’ai choisi de m’orienter davantage sur les outils et les
moyens que sur les pratiques concrètes, je dirais « pratiques de terrain ».
Cela pour une raison que j’ai déjà abordée plus avant : nous ne sommes pas
suffisamment, et c’est un point que je déplore et sur lequel nous serons amenés à réfléchir
encore, en contact avec les familles de nos usagers. Les rapports à la famille sont
pratiquement entièrement pris en charge par l’assistante sociale, voir l’administrateur. Il est
très rare que nous soyons amenés à côtoyer des parents et si cela se fait, c’est généralement
dans le cadre de discussions très concrètes, basées sur les besoins immédiats ou les soucis
rencontrés avec les usagers.
Le second point sur lequel je souhaitais revenir concerne mes grands et beaux idéaux
initiaux. Je pensais naïvement, en démarrant ce travail que la réflexion liée à la pratique
entraînerait des changements spectaculaires, que, comme par magie, le fait de me poser ce que
je pensais être les bonnes questions, me permettrait d’obtenir les « bonnes réponses » qui
permettraient aux liens de se tresser et se renforcer de façon spectaculaire.
66
J’avais très clairement perdu de vue que nous n’étions pas là pour trouver des
solutions mais bien pour aider les familles à les trouver.
Ainsi, sûr de moi, je n’ai, dans un premier temps, cherché qu’à conforter ce qui
m’apparaissait être le bon chemin, me plaçant, par là même, mes propres œillères qui
m’empêchaient de voir ce qui se vivait réellement autour de moi.
Il m’a fallu lire et comprendre Ausloos pour parvenir à me positionner en chercheur
plutôt qu’en « découvreur » tout puissant.
J’ai, je l’espère, ainsi pu travailler plus dans une optique de faire circuler les
informations, d’aider les usagers à se poser les questions, à se sentir utiles et nécessaires, les
plaçant en position de m’aider.
J’ai tenté de ne plus apparaître comme l’adulte détenteur des solutions et de l’autorité
mais plutôt comme un outil dont les usagers peuvent se servir pour progresser, pour
apprendre. Car la notion d’apprentissage ne trouve son sens que si elle est partagée : je suis là
pour leur apprendre quelque chose, mais ils ont également des choses à m’apprendre. Je peux
les aider si, eux aussi, sont d’accords pour m’aider. C’est un rapport d’égal à égal et non pas
une relation hiérarchique.
Je pense qu’il faut en finir avec l’image de l’éducateur qui n’a pour vocation que de
« gardienner », de « fliquer » et de sanctionner.
Si je me permets de parler en ces termes, c’est parce que c’est une réalité que j’ai
rencontrée. Je ne souhaite pas ici faire de procès ni dénigrer certains collègues mais j’ai
rencontré des éducateurs qui avaient petit à petit mis de côtés les objectifs réels au profit
d’objectifs plus informels mais effectifs. Je n’ai pas de leçons à donner ni de conseils.
Je n’ai pas la prétention de pratiquer mon métier de manière efficiente. Toutefois,
j’essaye de faire de mon mieux, tout en gardant clairement à l’esprit que je suis là pour les
usagers, et que mon travail n’a de sens que s’il est directement orienté vers eux, et non pas
vers moi et mon éventuel confort.
Enfin, et ce sera le dernier point de cette conclusion, je suis heureux de voir qu’une
dynamique semble s’être mise en place, partiellement basée sur la réflexion liée à ce travail.
En effet, la mise en route du Petit Journal et les discussions dans l’informel sur
l’importance de maintenir les liens familiaux ont considérablement permis d’élargir notre
vision de la pratique à adopter dans le cadre de notre accompagnement au Centre d’Accueil
Permanent.
67
Nous parlons davantage en terme de famille et non plus d’individu. L’idée étant
clairement d’envisager notre pratique quotidienne en tenant compte du passé affectif de
l’usager. Ainsi, face à un changement de comportement ou à un quelconque signal d’alarme,
essayons-nous d’établir nos hypothèses en y incluant la donnée familiale.
En ce sens, l’approche systémique me semble être un outil précieux.
Malheureusement, je n’en possède que de petites bases, apprises au cours de ma formation. Il
en va de même pour certains de mes collègues fraîchement émoulus de l’école.
Il y a peut-être là une nouvelle réflexion à mener : est-il envisageable et selon quelles
modalités, de suivre une formation plus approfondie de l’approche systémique dans le cadre
de notre profession ? Cela fera, je l’espère le fruit d’une discussion à la rentrée prochaine. Je
sais d’ores et déjà que certains de mes collègues sont, eux aussi, intéressés par ce projet.
68
BIBLIOGRAPHIE :
� La diversité des modèles familiaux http://webetab.ac-bordeaux.fr/Etablissement/SudMedoc/ses/1998/secfam.htm
� Les Mosos : une civilisation qui va disparaître? http://www.voix-nomades.com
� Les Illabakan (Niger) : une tribu touareg sahélienne et son aire de nomadisation, Bernus Edmond. –Source Paris : ORSTOM, 1974 (Atlas des Structures Agraires au Sud du Sahara).
� Le Suicide - Essai de sociologie, Émile Durkheim - 1897.
� Lutte pour la reconnaissance – Les conflits sociaux sont des luttes pour la
reconnaissance Sciences Humaines n°172 – Juin 2006
� Attachement et perte : I. « l’attachement », John Bowlby - Editions PUF, Paris, 1978
� Le rôle de l’éducateur : éducation et psychanalyse, Daniel Roquefort Editions : L'Harmattan – 2000
� Père, mère, à chacun son rôle, Emilie Lanez - Revue Le point n°1201 – Septembre
1995
� La cause des adolescents, Françoise Dolto - Editions Robert Laffont – 1988
� La compétence des familles : temps, chaos, processus, Guy Ausloos - Editions Erès 2001
� Le travail d’éducateur spécialisé, éthique et pratique, Joseph Rouzel
Editions Dunod – Paris 2000
� La Famille incertaine, Louis Roussel, Editions Odile Jacob, Paris, 1999.
� Sociologie de la famille contemporaine, François de Singly Editions Nathan, Paris, 1993.
� Le Soi, le couple et la famille, François de Singly - Editions Nathan, Paris, 1996.
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