alain - théorie de la connaissance des stoïciens

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  • 8/14/2019 Alain - Thorie de la connaissance des Stociens

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    mile Chartier (Alain) (1891)

    La thoriede la connaissance

    des StociensAvec annotations et traductions de Bertrand Gibier

    Un document produit en version numrique par Bertrand Gibier, bnvole,professeur de philosophie au Lyce de Montreuil-sur-Mer (dans le Pas-de-Calais)

    Courriel:[email protected]

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Bertrand Gibier, bnvole,professeur de philosophie au Lyce de Montreuil-sur-Mer (dans le Pas-de-Calais),[email protected], partir de :

    Alain (1868-1951)

    La Thorie de la connaissance des Stociens (1891)Avec annotations et traductions de Bertrand Gibier

    Une dition lectronique ralise partir du livre dAlain (mile Chartier)(1891), La Thorie de la connaissance des Stociens, Paris, PUF, 1964, 73 pages.Avec annotations et traductions de Bertrand Gibier, fvrier 2003.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition complte le 27 fvrier 2003 Chicoutimi, Qubec.

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 3

    ALAIN

    LA THORIEDE

    LA CONNAISSANCEDES STOCIENS

    PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE1964

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 4

    Table des matires

    Introduction au texte [BG]

    Note sur la prsentation du texte [BG]

    Tableau de transcription du grec [BG]Glossaire [BG]

    Table des matires de Louis Goubert

    LA THORIE DE LA CONNAISSANCE DESSTOCIENS

    Chapitre IChapitre II

    Chapitre III

    Chapitre IV

    Chapitre V

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 5

    Introduction au texte

    Retour la table des matires

    Cette tude a constitu en 1891 le diplme dtudes suprieures 1 deltudiant mile Chartier 2, qui nest pas encore Alain. Elle porte sur la thoriede la connaissance des Stociens, et principalement sur la question de la repr-sentation. Ce mmoire fut rdig pour la fin de la deuxime anne dcole

    Normale et remis Georges Lyon3

    .Le manuscrit se compose de quarante-deux demi-feuilles de papier colier

    couvertes au recto dune criture fine et espace, lencre noire.

    Alain ne semble pas stre particulirement appuy sur les commentateurs.Il ignore par exemple compltement louvrage de Franois Ogereau qui venaitde paratre quelques annes auparavant, Essai sur le systme philosophiquedes Stociens, ou encore les travaux de Flix Ravaisson 4. Il ne mentionneZeller, Stein ou Bonhffer que pour les rvoquer, prfrant rechercher direc-tement la comprhension de la conception stocienne auprs des textesanciens.

    Il sest trouv conduit pour son sujet utiliser principalement SextusEmpiricus (Contre les mathmaticiens, livre VII) et Diogne Larce, et quel-

    1 Ce qui correspondrait pour aujourdhui son mmoire de matrise.2 Il a vingt-trois ans.3 qui lon doit un certain nombre de travaux sur la philosophie anglaise.4 Cependant, il nest exclu ni quil les ait lus, ni quil y ait puis des lments, en parti-

    culier des citations.

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 6

    que peu les Premiers Acadmiques de Cicron. Bien des passages constituentdes paraphrases de leurs uvres.

    Ce mmoire se compose de cinq chapitres :I. une introduction prsentant le sujet et la mthode suivie ;II. lexamen de la distinction entre la vrit et le vrai ;III. la dfinition de la notion dephantasia ;IV. lanalyse de laphantasia katalptik ;V. un bilan concernant la porte de cette conception.

    Voici le passage deHistoire de mes penses (Lcole) o Alain revient surses tudes et son travail sur les Stociens :

    Je faisais cependant ma besogne dcolier. Assez bien, non pas trs bien.Mais je pratiquais ma mthode de lire de bout en bout et de ne pas fairedextraits. Je lus Platon entirement et presque tout Aristote. Jentrai dans lesouvrages de Kant, et je reconnus aussitt lirrprochable matre dcole. Mais

    je perdis bien du temps en tapage et invectives ; sans compter le jeu de cartes,qui occupait une partie de nos nuits. Je crus alors que javais la passion dujeu ; il nen tait rien. Je mamuse aisment de tout.

    Ce qui sclaircit en moi, dans ces trois annes, ce fut, il me semble, unedoctrine de la volont. Aristote y contribua, car je le compris de telle manireque linvention, par individuel dveloppement, ft mise au-dessus de lintel-lect. Cette ide est dans le Dieu dAristote, mais la condition quon aper-oive, dans cette uvre confuse, de grands degrs qui lvent lesprit, partirdu dieu moteur ou physique, et en passant par lintellect, jusqu lesprit lui-mme. Emport par cette posie rustique (car le style dAristote, quand il nestpas mutil par les copistes, est de premire beaut) jaurais presque oubliPlaton. Lagneau, que je vis souvent pendant ces trois annes, stonna de ce

    changement, je le sentis bien ; mais ce ntait pas un homme conseillertmrairement.

    La suite naturelle dAristote se trouve dans les Stociens. Cette philo-sophie, toute en fragments, et souvent nigmatique, me donna loccasion duseul travail drudition que jaie fait de ma vie. En ce temps-l les recueils destextes stociens ntaient pas encore dusage. Je me donnai le travail dechercher les Stociens dans un bon nombre douvrages ennuyeux. Cest alorsque jappris que Diogne Larce nest ni ennuyeux ni mal compos. SextusEmpiricus fut moins ais dpouiller. Il y avait pire. Cest alors que je pris legot de lire vritablement, au lieu de me borner vrifier une citation daprsZeller. Selon mon opinion ce temps perdu est la matire de nos penses. Et jecommenai alors de souponner pourquoi je navais pu apprendre lhistoire ;cest que je ne lavais connue quen rsum. Ainsi elle ne remuait rien enmoi ; jen ignorais les vritables ressorts. Je veux dire ce propos que jai ludepuis, et plus de trois fois sans rien passer, les Mmoires de Saint-Simon,ceux de Retz, et leMmorial de Sainte-Hlne, sans compter dautres mmoi-res de moindre importance. Et enfin jai su et connu des parties de lhistoire.

    Il faut maintenant que jexplique ce que jai trouv dans les Stociens. Nonpas seulement cette fire rsignation que lon sait, qui est comme un enivre-ment de pouvoir. Certes ce nest pas peu. Mais cette doctrine en suppose une

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 7

    autre, qui mette au-dessus des disputes la fonction de vouloir. Car la doctrinede la ncessit, ou du destin, qui est videmment une partie de toute sagesse,ne manque pas de tout envahir ds que lon a perdu de vue les raisons assezcaches qui font comprendre que le destin tout seul nest plus rien. Car, disentles malheureux, il ne dpend point de moi de me rsigner ; je suis toujours ceque je peux tre. Or cette ide a tu plus dun esprit ; je lvitai toujourscomme on chappe un coup mortel, mais je ntais pas assur desquiver sibien dans la suite tant que je neus pas regard aux racines de lide.

    Aristote est tout libert ; mais par cela mme que la libert est cache aufond de la nature, peut-tre alors ny peut-on croire. Un dieu, mme libre, esttoujours un pril pour la libert de chacun ; je dis un dieu extrieur. LesStociens, il me semble, ont serr de plus prs, cherchant ce que serait laconnaissance mme du monde sans la volont de connatre. Et leurs formulessont bien frappantes quoique trs obscures. Car cherchant, ctait lobjet despolmiques en ce temps-l, le critre de la vrit, ils disaient que la vrit estdans la tension mme, ou le ton, de la volont qui la cherche ; ajoutant, com-

    me pour redoubler le paradoxe, que le sage ne se trompe jamais, mme quandil dit le faux. Cela est violent. Un de leurs exemples ma clair lide par soncontraire ; car ils disaient quun fou qui crie en plein jour quil fait jour, netient pas la vrit pour cela. Tout le reste est deviner. Car que la mainouverte, et puis ferme, et puis serre, et puis serre encore par lautre main,reprsente avec force les degrs de la connaissance, ce nest toujours quuneinvitation rflchir. Et ce qui pour moi faisait scandale en ce temps-l, cestque je voyais que des gens prtention de penser touchaient ces textes sans sebrler. Depuis jai compris que le souci premier de presque tous tait detrouver une philosophie nouvelle, ce qui supposait que les anciennes sontseulement critiquer. Je nai jamais cru pour ma part quil ft possible detrouver une philosophie nouvelle ; et javais assez de retrouver ce que lesmeilleurs avaient voulu dire ; cela mme cest inventer dans le sens le plus

    profond, puisque cest continuer lhomme. Mais avant que jeusse biencompris cette immense ide de Hegel, que tout est vrai dans les doctrines, etquil faut en prendre le train et llan quoi quon veuille penser ou chercher, ilme suffisait de formules mouvantes comme des proverbes pour me fairecreuser sur le lieu mme daprs cette ide fulgurante que tout est vrai et quetout semble faux. Jappliquai donc les maximes stociennes nos connaissan-ces modernes, par exemple lastronomie copernicienne, et je reconnus alorsnombre de fous qui disaient le vrai. Mais quoi les reconnatre ? ceci,pensais-je, quils croient avoir le vrai ; au lieu que celui qui sait ne prend jamais son ide que comme un moyen pour saisir de plus prs le monde.Comme je voyais que ceux qui savent la gomtrie croient savoir quelquechose, alors quils ne tiennent quun moyen de savoir, merveilleux la vrit,mais qui veut aussi quon lapplique. En quoi je ne faisais quexpliquer

    limage saisie et saisissante qui tait finalement le signe du vrai pourZnon et Chrysippe. Cest la mme chose que de dire que lnergique recher-che est le signe du vrai. Jai retrouv cette doctrine dans Descartes, qui certesne la pas prise l. Et Descartes ma paru l-dessus plus obscur que lesStociens, et peut-tre volontairement obscur. Car, chose digne de remarque, ily a accord en tous les temps entre les marchands de vrits pour rfuter dehaut ce quils ont nomm le Volontarisme ; et cest bien une sorte de maladie leurs yeux.

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    NOTE SUR LAPRSENTATION DU TEXTE

    Retour la table des matires

    Ce texte a t initialement publi par les Presses Universitaires de France(1964) sous la direction de Louis Goubert. Nous en sommes videmmentredevable.

    Cependant il ne nous a pas paru souhaitable de la reprendre intgralement.Nous en proposons une nouvelle prsentation. Nous avons transcrit enalphabet latin ce qui tait originellement en grec (voir la table de transcription

    ci-dessous). Nous avons galement revu les traductions des citations et destermes grecs. Nous avons choisi de les placer lintrieur du texte entrecrochets. Nous ne traduisons pas les passages qui se trouvent traduits parChartier immdiatement avant ou aprs ; de mme nous vitons de reproduire chaque fois la traduction lorsque le terme se trouve traduit proximit.

    Enfin dans le texte et dans les notes, tout ce qui est entre crochets droitsconstitue des ajouts de notre part.

    Nous avons procd quelques corrections (coquilles) par rapport autexte.

    Bertrand GIBIER.

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 9

    TABLEAU DETRANSCRIPTION DU GREC

    Retour la table des matires

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 10

    GLOSSAIRE

    Retour la table des matires

    De faon ne pas surcharger le texte, nous donnons ici une fois pourtoutes la traduction de certains termes frquents :

    Altheia : vrit ;Dianoia : pense (discursive), rflexion ;Epistm : science ;Hgemonikon : partie directrice de lme, principe dirigeant 1 ;

    Logos : raison, discours ;Phantasia (pluriel :phantasiai) : reprsentation 2 ;Phantasia katalptik : reprsentation cataleptique, ou comprhensive 3 ;Psukh : me ;Sma (pluriel : smata) : corps ;Tekhn : connaissance technique 4 (scientifique).

    1 Alain emploie loccasion la gouverne pour traduire ce terme.2 Ou encore parfois : impression.3 Aussi : reprsentation (ou impression) cognitive.4 Aux divers sens de cet adjectif. Tekhn est traduit en latin par ars. Le terme est prcis

    dans le chapitre II, p.19.

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 11

    TABLE DES MATIRESDONNE PARLOUIS GOUBERT

    Retour la table des matires

    I. INTRODUCTION.a) Le problme stocien de la connaissance : les conditions de

    la certitude.b) Les sources, principales et secondaires.c) La mthode ; synthse et analyse ; pourquoi la seconde est

    prfrable.

    II. LA VRIT ET LE VRAI.a) Le tmoignage de Sextus Empiricus.b) La vrit diffre du vrai.

    En nature. En structure. En valeur.

    III. DE LA REPRSENTATION EN GNRAL.

    A) Le tmoignage de Sextus Empiricus.a) Les spcifications indiques par Sextus Empiricus.b) Ces spcifications semblent de valeur ingale.

    B) Essai de restitution de la doctrine ; reprsentation et partiegouvernante.

    a) La partie gouvernante.b) La reprsentation semble moins donne que construite.c) La reprsentation serait la forme gnrale de lactivit

    psychique.C) Double objection.

    a) La reprsentation et limageb) La reprsentation et limaginaire.

    D) Double preuve.a) La reprsentation et lexprimable discursif.b) Reprsentation, affirmation, comprhension, pense.

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 12

    E) Conclusion : la reprsentation est activit.a) Le rejet du passivement .b) La reprsentation, activit de la pense, est perceptive et

    discursive.

    IV. DE LA REPRSENTATION COMPRHENSIVE.

    1 Les discriminations de Sextus Empiricus.A) Ce que nest pas la reprsentation comprhensive.

    a) Reprsentation non persuasive.b) Reprsentation accidentellement vraie.

    B) Ce quest la reprsentation comprhensive.a) Les caractres intrinsques.b) Labsence dobstacle.

    2 Restitution de la doctrine.

    A) Le problme.a) Elle est moins reue que cre.b) Est-elle la fois perceptive et discursive ?

    B) Reprsentation comprhensive et perception.a) Cest la reprsentation unique et discernable dun objet lui-

    mme unique et discernable.b) Sa particularisation est toujours incompltement ralise.c) Elle nest pas comprhensive absolument, mais plus ou

    moins comprhensive.d) Elle est donc poursuite ininterrompue des particularits

    dans la perception.C) Reprsentation comprhensive et discours.

    a) Sa particularisation nexclut pas le discours.

    b) Elle est systmatique.c) Elle reste conforme la raison.d) Elle est dune exactitude scientifique.

    3 Le critre stocien de la vrit.A) Le critre en lui-mme.

    a) La reprsentation, comprhensive joint au sensiblelintelligible.

    b) Car elle est spcification et division.B) Sa raison dtre.

    a) Percevoir exactement, cest comprendre.b) La diversit nest saisie que par lunit que lesprit lui

    donne.

    C) Reprsentation comprhensive et volont.a) Toute reprsentation est quelque degr comprhensive.b) Car percevoir, cest affirmer et vouloir.c) La reprsentation comprhensive, critre dune vrit qui

    est progrs et tension.D) Pourquoi la vrit diffre du vrai

    V. SIGNIFICATION DURABLE DU STOCISME.

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 13

    A) Le stocisme et les doctrines.a) Stocisme et spinozisme : la reprsentation comprhensive

    et lide adquate ; le conatus et la tension.b) Stocisme et logicisme : le monde des essences et la vrit

    du sensible.c) Le stocisme transcende matrialisme et spiritualisme en

    faisant de lesprit une activit et de cette activit unmouvement.

    d) Les innovations du stocisme : Platon et lide ; Aristote etla forme ; les stociens et la science du sensible comme tel.

    B) La triple leon des stociens.a) Ils proposent au psychologue une thorie motrice de la

    connaissance.b) Ils ont dfini dans la reprsentation comprhensive le

    critre moderne de la vrit.

    c) Leur conception de la vrit nous met en garde contre ledcouragement sceptique.

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    I

    Retour la table des matires

    Il nest pas sr que les stociens se soient jamais pos la question,aujourdhui classique, de lorigine des ides ; aussi rechercher avec Zeller 1sils sont sensualistes, les rapprocher, comme la fait Stein 2, de Hobbes et de

    Locke, ou au contraire faire deux des innistes , avec Bonhffer3

    , cestpeut-tre voir leur philosophie travers les habitudes tyranniques de notrepense moderne, et par l sexposer en mconnatre le vritable esprit. Nousntudierons donc pas, dans la philosophie stocienne, les multiples problmesque soulve une thorie moderne de la connaissance, mais seulement celui queles stociens ont eux-mmes explicitement pos, et, au moins en prtention,rsolu : comment une connaissance vraie est-elle possible ? Nous ne cher-

    1 [Il sagit ddouard Zeller, auteur de La Philosophie des Grecs considrs dans leur

    dveloppement historique ( Die Philosophie der Griechen in ihrer geschichtlichenEntwicklung, Leipzig, 1880). Une premire partie sera traduite par mile Boutroux(1877, 1882) second ensuite par Gustave Belot (1884). La partie concernant le Stocisme

    na jamais t traduite en franais. Alain a certainement tir des importantes notes de cetouvrage un certain nombre de citations dauteurs anciens dont louvrage de Zeller estriche. Il ne parat pas ncessaire de supposer, comme Louis Goubert dans sa prface, que le jeune philosophe lut bon nombre douvrages fastidieux, obscurs et pniblementaccessibles pour en extraire les citations quil utilisa dans son mmoire . On retrouve laplupart des citations dans les commentateurs, y compris parfois dans le mme dcoupage.Il ne fait cependant aucun doute quil ait travaill directement les textes qui suit la lettrepour les commenter.]

    2 [Ludwig Stein, Die Erkenntnisslehre der Stoa ( La thorie de la connaissance duPortique), Berlin, 1886-1888.]

    3 [Adolf Bonhffer, Epiktet und die Stoa, 1890.]

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 15

    cherons pas dans nos textes une thorie complte de la connaissance, maisseulement une thorie de la certitude.

    Quoique, des trois parties 1 de la philosophie stocienne, ce soit la moralequi nous ait t le mieux conserve, il nous reste nanmoins de la logique stocienne un grand nombre de prcieux fragments ; sans doute, chez lesstociens postrieurs dont nous avons les uvres, tels que Snque, pictte,Marc-Aurle, la logique est sacrifie la morale, et nous sommes obligs dejuger presque entirement la logique stocienne daprs ses adversaires, ou surle tmoignage de compilateurs indiffrents. Cicron, outre le rsum de ladoctrine stocienne quil nous donne au livre I des Acadmiques, consacre lelivre II presque entier du mme ouvrage faire exposer par Lucullus, daprsAntiochus dAscalon, la thorie stocienne de la certitude, que lui-mmerfutera ensuite ; seulement il nest pas sr quAntiochus dAscalon nait pasmodifi la doctrine primitive ; aussi ne peut-on se servir des Acadmiquesquavec prudence. Plutarque nous a conserv un grand nombre de formulesstociennes, non pas tant dans ses deux ouvrages de polmique : Adversus

    stocos de communibus notitiis2

    ,et : De stocorum repugnantiis3

    , qui visentsurtout la morale stocienne, que dans leDe Placitis philosophorum4, que cetouvrage soit de Plutarque de Chrone ou dun Plutarque postrieur. SextusEmpiricus, outre quil parle incidemment plusieurs reprises de la logiquestocienne dans sesHypotyposes pyrrhoniennes, a consacr une notable partiede son livre A pros logikhous5 (Adv. math.6, VII), exposer et rfuter lathorie stocienne de laphantasia katalptik [reprsentation comprhensive].Les renseignements donns par Diogne Larce, au livre VII de ses Vies desphilosophes, sont moins tendus et moins mthodiquement ordonns, maisviennent en partie de Diocls de Magnsie, auteur dun Peri binphilosophn7, et qui parat avoir vcu au temps dAuguste ou de Tibre(Ueberweg 8, I, p. 22). On ne sait rien de certain sur les sources o a puis

    Stobe. Il parat probable que Plutarque et lui ont copi un mme compilateurantrieur (v. Thiaucourt 9, thse latine), duquel on ne sait rien. Toutefois lesfragments de la logique stocienne que lon retrouve dans le Florilegium, etsurtout dans les Eclogae,Semblent, vu leur concision, et souvent leur obscu-rit, reproduire plutt la primitive doctrine stocienne quune doctrine dgn-re, plus conciliante, plus clectique, et plus oratoire.

    Il faut joindre ces sources principales un grand nombre dauteurs qui neparlent des stociens quincidemment, auteurs dune autorit trs ingale, etdont les derniers interprtes du stocisme (Stein, Die Erkenntnisslehre derStoa ; Pearson, Fragments of Zeno and Cleanthes), semblent bien navoir1 [La logique, la physique et la morale.]2 [Des notions communes contre les stociens.]3 [Des contradictions des stociens.]4 [Des opinions des philosophes.]5 [Contre les logiciens.]6 [Contre les mathmaticiens.]7 [Sur la vie des philosophes.]8 [Friedrich Ueberweg, Grundriss der Geschichte der Philosophie (Esquisse dhistoire de

    la philosophie), 1863-1866.]9 [Travaux sur Cicron.]

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 16

    nglig aucun. Le livre de Galien, De placitis Hippocratis et Platonis1, nousrenseigne surtout sur la morale des stociens, pourtant aussi sur leur logique.LHistoria philosophica2, attribue tort ce mme Galien ; les uvres dePhilon le juif, des Alexandrins Plotin et Proclus, des commentateurs Chalci-dius, Simplicius, Olympiodore, Themistius, Syrianus, Joannes Philopon3,Clment dAlexandrie, Alexandre dAphrodise, la Cit de Dieu de saintAugustin, le De natura hominis4 de Nemesius, la Praeparatio evangelica5dEusbe, tous ces ouvrages ont t mis contribution par Stein et Pearson.

    Pour tirer une doctrine cohrente de ces documents pars, deux mthodesse prsentent. Lune, quon pourrait appeler synthtique, dtermine a prioriles diffrents points de la question, et examine comment les stociens ont traitchacun deux ; cette mthode a lavantage de fournir un plan net, mais elle alinconvnient dimposer nos philosophes des questions quils ne se sontpeut-tre pas poses, des distinctions quils nont peut-tre point song faire.Lautre mthode, quon pourrait appeler analytique, consiste prendre ladoctrine telle quelle nous est donne, et faire autant que possible un tout

    rationnel de tous ces lments pars.Si nous navions conserv de la logique stocienne que de courts frag-

    ments sans aucun lien, la premire mthode serait la seule possible : il faudraitbien grouper ces fragments sous quelques chefs principaux, dtermins apriori. Mais puisque nous avons de Sextus un expos suivi et, comme nous leverrons, mthodique, de la thorie de la certitude des stociens, il nous sembleque nous avons l un moyen de grouper les textes le moins artificiellementpossible, et sans aucune ide prconue.

    Ainsi nous tudierons le texte de Sextus, en le commentant et en lclai-rant au moyen des autres textes dont nous disposons.

    1 [Des Opinions dHippocrate et de Platon.]2 [LHistoire philosophique.]3 [Jean Philopon.]4 [De la nature de lhomme.]5 [La Prparation vanglique.]

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 17

    II

    Retour la table des matires

    Sextus 1 expose dabord la distinction qutablissaient les stociens entreh altheia [la vrit] et to althes [le vrai] (38) ; la vrit et le vrai diffrent etmme sopposent trois points de vue, ousiai te kai sustasei kai dunamei [parla substance, par la structure et par la fonction 2].

    1 Ousiai [par la substance]. La vrit est un sma [un corps], le vrai estasmaton [incorporel]. Le vrai est asmaton, car le vrai est un axima [unnonc 3], qui est lui-mme un lekton [un exprimable], donc un asmaton. La vrit au contraire est un sma, car elle est la science qui fait apparatreles choses vraies comme vraies , epistm pantn althn apophantik (39) ;or toute epistm [science] est une forme de lhgemonikon, et lhgemonikonest un sma.

    2 Sustasei [par la structure] (40). Le vrai est une proposition simple etisole ; la vrit au contraire, puisquelle est epistm, est sustmatik[systmatique 4] ; elle est athroisma pleionn [multiplicit de beaucoup dechoses (vraies)] ; il y a le mme rapport entre le vrai et la vrit quentre un

    citoyen et le peuple tout entier (41).1 [Alain va suivre fidlement la prsentation que donne Sextus Empiricus dans Adversus

    mathematicos, VII, 38 sqq. (texte parallle pour le dbut dans les Hypotyposespyrrhoniennes, II, 80 sqq.) de la conception stocienne. Alain met entre parenthses lesrfrences aux paragraphes du texte.]

    2 [Ou : par lessence, par la constitution et par la puissance.]3 [Ou : une proposition.]4 [Qui forme un tout systmatique.]

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    3Dunamei [par la fonction 1]. Le vrai ne suppose pas ncessairement lascience ; par exemple un fou peut trs bien dire to althes [le vrai], parexemple dire : il fait jour, alors quil fait jour, sans avoir pour cela la sciencedu vrai (epistm althous). La vrit au contraire est une science, et le sagequi possde cette science oupote pseudetai kan pseudos legi [ne se trompejamais mme sil dit le faux] ; car mme, alors quil dit le faux, sa disposition(diathesis) est bonne (41). Un mdecin qui trompe son malade pour le sauver,un gnral qui imagine de bonnes nouvelles pour encourager ses soldats,pseudos men ti legousin, ou pseudontai de, dia to m apo ponras gnmstouto poiein [disent, certes, quelque chose de faux, mais ils ne se trompentpas, car ce nest pas par un mauvais tat de leur pouvoir de connatre quils lefont]. Un grammairien qui fait un solcisme comme exemple soloikismon menpropheretai, ou soloikizei [profre bien un solcisme, mais il ne commet pasde solcisme], car ce nest pas par ignorance du langage correct quil la fait.De mme le sage, cest--dire celui qui possde la science des choses vraies,oudepote pseusetai, dia to m ekhein tn gnmn pseudeisugkatatithemenn[ne se trompe jamais, car il na pas un pouvoir de connatre donnant sonassentiment au faux]. Il faut donc juger le vrai et le faux non daprs leursimple nonciation, mais daprs la diathesis [disposition] de celui qui parle.

    Cette distinction entre h altheia [la vrit] et to althes [le vrai] est tout fait trangre la philosophie moderne, ce point quelle est peu prsintraduisible ; de plus leurs caractres respectifs sont faits pour nous surpren-dre. Que la vrit soit quelque chose de matriel, cela peut encore se compren-dre en soi : ce serait un des axiomes dun matrialisme absolu. Mais le vrai estasmaton [incorporel] ; il faut donc admettre que la philosophie stocienneadmet, en face du sma, et se distinguant de lui, sinon sopposant lui,quelque chose qui correspond ce que toute philosophie dualiste appellelesprit. Un texte de Simplicius (in Aristot. catg. 2, 3 a) confirme cette

    induction : ta de legomena kai lekta ta nomata estin, hs kai tois Stikoisedoxe [les signifiables et les exprimables sont les penses, comme aussi lesstociens lont cru]. La liaison entre le lekton asmaton [lexprimableincorporel] et ce que nous appelons la pense rsulte aussi dun autre passagede Sextus (Math., VIII, 11) : les stociens distinguent dans toute affirmation, lesmainon [signifiant] qui est la voix (phn). Le tugkhanon [le porteur dunom 3], qui est lobjet de laffirmation et le smainomenon [signifi], qui estauto to pragma to hup hauts dloumenon (par la voix) ; kai hou hmeis menantilambanometha, t hmeterai paruphistamenou dianoiai [la chose mmequi est manifeste par la voix, et dont nous ne saisissons la ralit quau fondde la notre pense], mais que les Barbares ne comprennent pas, quoique notrevoix frappe leurs oreilles. De ces trois lments de toute affirmation, deux

    sont des smata, ce sont la voix et lobjet ; le troisime, to smainomenonpragma kai lekton [la chose signifie et lexprimable], objet de la dianoia,comme il est dit expressment, est asmaton [incorporel] ; et cest dans cetlment incorporel que sont le vrai et le faux : hoper althes te gignetai h

    1 [Ou : puissance. Alain propose plus loin (p. 20) de traduire par valeur .]2 [Sur les catgories dAristote.]3 [Tugkhanein onomatos tait lexpression courante pour porter un nom ; tugkhanon est

    le sujet qu porte le nom, le rfrent.]

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    pseudos [ce qui se trouve tre vrai ou faux]. Comme on le voit, rien neressemble plus une analyse moderne du jugement o lon montrerait que sonessence, aussi bien que la vrit et lerreur quil renferme, nest pas dans unobjet matriel, mais dans laffirmation mme de lesprit.

    Mais alors, en quel sens la vrit peut-elle tre un sma ? Est-ce parcequtant, comme ils le disaient aussi, sustmatik [systmatique], elle a, enquelque sorte plus de corps, au sens mtaphorique du mot ; elle serait alorsune science organise, elle aurait comme une ralit solide, durable ; lasma-ton althes [lincorporel vrai] serait une vrit isole, ne faisant pas corps avecles autres. Il faut renoncer interprter le mot sma comme une mtaphore. Sila vrit est un corps, cest parce quelle est une forme ( ps ekhon [unemanire dtre]) de lhgemonikon, qui lui-mme est un corps, au sens propredu mot.

    Nous retiendrons, de cette distinction encore incomprhensible, ce princi-pe gnral ; quelle que soit la nature de lasmaton althes, du moins la vrit

    relle, dont la possession est le privilge du sage, et qui correspond la certi-tude vritable, est smatik [corporelle], non pas mtaphoriquement, mais ausens prcis du mot.

    La seconde distinction est plus facile saisir. Nous faisons une diffrenceentre une proposition vraie isole en quelque sorte de nos autres ides, et aucontraire une vrit qui est relie dans notre esprit un trs grand nombredautres, qui fait partie dun systme ; possder une vrit, au sens fort dumot, cest bien vraiment la faire ntre, lui donner une place et un rle dans lesystme de nos ides. Nul doute dailleurs que cette conception de la vritcomme un tout systmatique dont chaque partie, cest--dire chaque proposi-tion, reoit de toutes les autres sa stabilit, ne soit bien stocienne. La vritable

    tekhn ne consiste pas pour les stociens, dans une suite de prceptes, maisdans un systme dides soutenu et fortifi par une sorte dexerciceintellectuel. Olympiodore, in Platonis Gorgiam1, pp. 53, 54 :Znn de phsinhoti tekhn esti sustma ex katalpsen suggegumnasmenn [Znon, quant lui, a dit que la connaissance technique est un systme de comprhensions 2exerces ensemble] et Sextus,Math., II, 10 : pasa toinun tekhn sustma estiex katalpsen suggegumnasmenn [ainsi toute connaissance technique est unsystme de comprhensions exerces ensemble]. Mme le mot suggegumnas-menn [exerces ensemble] introduit dans cette conception de la tekhn lidemoderne dhabitude, ce qui fait mieux comprendre ce que la vrit ainsidfinie a, par rapport un althes [vrai] isol, de stabilit, de force, de vivanteralit.

    On comprend par suite que laltheia diffre de lalthes par la dunamis[fonction], ou, comme nous dirions, par la valeur. Une vrit isole ne fait pasla science ; qui narrive-t-il pas, par une sorte de hasard heureux, dmettreune proposition vraie ? La vrit relle nest pas constitue par une ouplusieurs propositions vraies ; elle est une, une manire dtre de lesprit, et de

    1 [Sur le Gorgias de Platon.]2 [Saisies comprhensives.]

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    III

    Retour la table des matires

    Aprs avoir pass en revue les critres proposs par les diverses coles,Sextus arrive la thorie stocienne, et il consacre un long passage lexposer(227-261).

    Les stociens donnent pour critrium de la vrit phantasia katalptik(227). Sextus explique dabord le sens qua pour eux le motphantasia.

    Znon dfinissait la phantasia une empreinte dans lme : tupsis enpsukhi. Clanthe commentait cette dfinition en prenant tupsis au senslittral, une empreinte en creux et en relief, telle que celle que la cire reoitdun cachet : kata eisokhn te kai dia tn dakulin ginomenn tou kroutupsin (228).

    Chrysippe pensait que cette interprtation tait insoutenable (atoponhgeito [il a pens absurdement]) ; en effet, si lon sen tient cette figuregrossire, comment expliquer que lme puisse recevoir en mme temps deux

    empreintes diffrentes, comme il arrive quand elle peroit la fois un triangleet un carr ? Selon lui, Znon avait dit tupsis pour heteroisis [modifi-cation] ; do cette nouvelle dfinitionphantasia estin heteroisisen psukhi[la reprsentation est une modification dans lme], on peut concevoirmaintenant que lme puisse prouver la fois pampltheis heteroiseis [detrs nombreuses modifications], de mme que la mme masse dair est frappedans le mme moment par les sons les plus varis, sans que ces sons sedtruisent les uns les autres (229-231).

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    Cette dfinition parut encore incomplte dautres stociens. En effet(232) il peut y avoir heteroisis en psukhi [modification dans lme] sansquil y ait phantasia : par exemple, si mon doigt reoit un coup, il en rsultebien une modification de ltre vivant (heteroisis en psukhi), mais on nepeut la nommer phantasia, puisquil est admis que celle-ci ne peut existerdans une partie quelconque de ltre vivant, mais seulement dans la partie decet tre qui pense et qui commande : epeiper oude peri ti tukhonti merei tspsukhs ginesthai tautn sumbebken, alla peri ti dianoiai monon kai tihgemoniki [car enfin il advient la reprsentation de se produire non pasauprs dune partie de lme prise au hasard, mais auprs de la penseseulement et de la partie directrice]. Do cette dfinition plus prcise :phantasia estin heteroisisen hgemoniki [la reprsentation est une modifi-cation dans la partie directrice].

    La diffrence quil y a entre psukh et hgemonikon est dailleurs mieuxexplique encore par dautres philosophes de la mme cole (alloi de apo tsauts hormmenoi [mais dautres (Stociens) sefforant dchapper lamme (objection)]). Le motpsukh a deux sens (234) ; lun gnral (sunekhontn holn sugkrisin [ce qui maintient le compos en un tout]), lautreparticulier : kat idian to hgemonikon [proprement la partie directrice]. Ainsiquand nous disons que lhomme est compos dun corps et dune me, dont lamort est la sparation, nous dsignons par le mot me (psukh), en particulierlhgemonikon. De mme quand nous distinguons les biens de lme des biensdu corps, nous ne dsignons pas toute la psukh comme sopposant au corps,mais seulement cette partie de lme qui est lhgemonikon.

    Quelques-uns (tines) ont fait aux stociens lobjection suivante (237) :lhorm [la tendance 1], la sugkatathesis [lassentiment], la katalepsis [lacomprhension] sont, elles aussi, des modifications de lhgemonikon, etpourtant elles diffrent de laphantasia ; car celle-ci est une affection de lme,un tat, tandis que les premires sont bien plutt des actions : h men gar peisis tis n hmetera kai diathesis, hautai de polu mallon energeiai tineshmn huprkhon2. Les stociens, pour chapper cette objection, ajoutent leur dfinition ce nouveau commentaire (239) ; quand nous disons que laphantasia est une modification de lhgemonikon, nous lentendons katapeisin [passivement], non kata energeian [activement].

    Les stociens nont pas encore ainsi prvenu toute objection. En effet,quand lhgemonikon se nourrit et crot (trephetai kai auxetai) il est modifikata peisin [passivement] ; cette modification nest pourtant pas une phan-tasia. Il faut donc ou bien que les stociens admettent que laphantasia est untat particulier, sui generis : idima peisen... hoper diennokhe tn poioutndiathesen [un tat particulier de passion, celui prcisment qui se distingue

    1 [Ou : linclination, limpulsion.]2 Le texte de Fabricius donne, entre les mots mallon [plutt] et energeiai [actions] les mots

    h hormai [les tendances], que Bekker (Berlin, 1842) met entre crochets. Ils sont en effetinintelligibles, de ce fait seul quune de ces manifestations psychiques qui, selon ce texte,seraient plutt des energeiai que des hormai, est prcisment lhorm, et que, de plus, ilny a pas opposition, mais au contraire analogie de sens entre horm et energeia.

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    de tels tats] (240) ; ou quils entendent que la phantasia est un tat rsultantou bien de la prsence des objets, ou bien dtats affectifs particuliers ennous : ginesthai toi kata tn ektos prosboln h kata ta en hmin path[assurment elle se produit en conformit avec limpression extrieure ouconformment ce qui est en nous une affection] (241).

    Telles sont, conclut Sextus, les difficults que prsente la dfinition de laphantasia des stociens : h men phantasia kata tous apo ts stoas houtdusapodotos esti [assurment la reprsentation selon ceux du Portique estainsi difficile dfinir] (241).

    Sextus, dans cette exposition, fait preuve, comme on le voit, dun certainsouci de lexactitude historique : la dfinition de la phantasia est prsentedans ses dveloppements successifs ; toutefois chacune de ces modificationsde la dfinition primitive ne doit pas galement nous intresser. Tout dabordil est difficile de savoir si la dernire objection (240) nest pas de Sextus lui-mme, comme aussi la rponse quil y fait (241) ; il ne dit pas, comme il la

    fait jusquici tines [quelques-uns]..., et il semble parler en son propre nom ; deplus elle est un commencement de rfutation, puisquelle rduit les stociens deux alternatives, et nous savons que le dilemme est larme familire deSextus.

    Le kata peisin [passivement] ajout par les stociens, pour distinguer laphantasia des energeiai [actions] de lme (237-239), mrite plus dattention,bien que, comme nous le verrons, il soit un peu difficile concilier avecdautres tmoignages, et quil apporte la dfinition de la phantasia unerestriction qui empche de comprendre certains caractres bien tablis de laphantasia. Nous admettrons donc quil est possible que cette restriction ait tpose par quelque stocien postrieur, et provoque par les attaques des scep-

    tiques, et quelle peut ne pas tre conforme la pure doctrine.Il nen est pas de mme de cette transformation qui consiste remplacer

    psukh par hgemonikon : elle est visiblement provoque par quelqueargument sophistique fond sur le sens trs vague du mot psukh. Nul douteque Chrysippe nentendt dj ce mot au sens de hgemonikon ; selon Sextusil comparait la psukh une masse dair, et concluait : hout kai tohgemonikon poikils phantasioumenon analogon ti touti peisetai [ainsi lapartie directrice dans laquelle apparaissent plusieurs reprsentations varies,est analogue cela 1] ; ce qui montre que pour Chrysippe, la dfinition de laphantasia est bien dj heteroisis hgemoniku [modification de la partiedirectrice].

    Lexactitude de cette dfinition mme ne saurait tre mise en doute ; car letmoignage de Sextus est sur ce point daccord avec ce que nous dit DiogneLarce daprs Diocls de Magnsie (VII, 50) : phantasia de esti putsis enpsukhi, toutestin alloisis, hs ho Khrusippos en ti dudekati peri psukhshuphistatai... epei anendekton esti pollous tupous kata to auto peri to autoginesthai [mais la reprsentation est une empreinte dans lme, cest--dire

    1 [Une masse dair que plusieurs sons traversent sans se confondre.]

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    Lhgemonikon nest pas une matire inerte, une sorte de rceptacle desimpressions ; il est essentiellement actif, il est un pneuma [souffle] (Diog.,VII, 156 : tn psukhn... einai to sumphues hemin pneuma [lme est unsouffle qui nous est connaturel], cest--dire, pour conserver au mot son sensvague, un mouvement de matire subtile, plus subtile encore que ce que londsigne dordinaire parpneuma (leptomeresteron ti pneumatos [quelque chosede plus subtil quun souffle], Sext. Pyrrh., II, 70). Ce mouvement cre tout cequi se passe en nous : Plut., Plac., IV, 21 : ts psukhs antaton meros tohgemonikon, to poioun tas phantasias, kai sugkatathseis, kai aisthseis, kaihormas [la partie directrice est la partie la plus noble de lme, celle quiproduit les reprsentations, les assentiments, les sensations et les tendances].Son action se manifeste mme dans laisthesis [sensation], comme on le voitpar ce texte de Plutarque, et plus explicitement dans Diogne L., VII, 52 :aisthesis de legetai kata tous Stikous to te aph hgemonikou pneuma [estappele sensation, daprs les Stociens, le souffle provenant de la partiedirectrice]. Ainsi tout ce qui se passe en nous est une forme de lhgemonikon.

    Laphantasia est une modification de lhgemonikon ; tant donn ce quenous savons de lhgemonikon peut-on traduire par le mot reprsentation laphantasia ainsi dfinie ? Beaucoup de philosophes modernes seraient tentssans doute de le contester : la reprsentation, diraient-ils, est donne lesprit,et non construite par lui ; ils opposeraient ainsi au monisme stocien ledualisme de la reprsentation et de lacte, celle-l perptuellement changeante,celui-ci toujours identique ; mais observons que pour les stocienslhgemonikon nest rien danalogue un acte immatriel ; il est lacteconcret ; le mouvement rel ; or on ne peut concevoir un mouvement rel quedans ltendue, et par suite toute forme de ce mouvement rel est reprsen-tation ncessairement. On voit que lunit de lme stocienne est jusquprsent incontestable, et que la dfinition que Chrysippe donnait de laphanta-

    sia, quelque degr quil ait dailleurs analys cette dfinition mme, nimpli-que pour nous aucune contradiction.

    Si la dfinition de la phantasia est : une modification de lhgemonikon,comme tout ce qui se passe en nous est une forme de lhgemonikon, laphantasia doit tre la forme gnrale de tous les faits psychiques ; sans quoi ladfinition de Chrysippe demanderait quelque restriction.

    Or il semble rsulter de deux textes, que phantasia avait dans la philoso-phie stocienne un sens beaucoup plus restreint. Selon Diocls (Diog. L., VII,50) les stociens distinguaient phantasia et phantasma [fantasme] : lephantasma est une simple apparence, telle que celles qui se prsentent

    lesprit pendant le sommeil ; la phantasia est une tupsis en psukhi, uneempreinte dans lme, cest--dire une reprsentation produite dans lme parun objet rellement existant : diapherei de phantasia kai phantasma ; phantasma men gar esti doksis dianoias hoia ginetai kata tous hupnous ; phantasia de esti tupsis en psukhi [il y a une diffrence entre lareprsentation et le fantasme ; en effet, le fantasme est une vision de la pensetelle quil sen produit dans le sommeil ; mais la reprsentation est uneempreinte dans lme].

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    Nous trouvons une autre distinction dans Plutarque (Plac., IV, 12) : Chry-sippe distinguaitphantasia, phantaston [reprsent],phantastikon [apparitionfantastique], phantasma [fantasme 1]. La phantasia est un tat de lme quinous fait connatre, outre lui-mme, sa cause (lobjet) : pathos en ti psukhi

    ginomenon endeiknomenon heauto kai to pepoikos [un tat se produisantdans lme, nous faisant connatre et lui-mme et ce qui la provoqu] ; parexemple, si nous percevons le blanc par la vue, nous pouvons dire quil existeen dehors de nous, sous cette apparence, quelque chose de blanc qui produiten nous le blanc : hoti hupokeitai leukos, kinoun hmas homois [est donncomme substrat le blanc qui nous communique un mouvement semblable lui] ; et le nom dephantasia vient du motphs [lumire], car la lumire, elleaussi, se montre elle-mme, et en mme temps les choses quelle claire :hauto deiknusi, kai ta alla ta en auti periekhomena [elle fait voir et elle-mme et ce quelle enveloppe en elle]. Le phantaston est ce qui produit laphantasia, et en gnral tout ce qui cause une impression dans lme : pan hoti duntai kinein tn psukhen, tout esti phantaston [tout ce qui peut mouvoirlme, cela est le reprsent]. Le phantastikon est un mouvement sansraison, cest--dire qui nest produit dans lme par aucun phantaston, paraucun objet (diakenos helkusmos [attraction vide]). Le phantasma estlobjet non existant vers lequel nous porte ce mouvement : telles sont lesfuries quOreste croit voir dans son dlire.

    Toutefois, dans ces deux textes, le sens du motphantasia est certainementplus restreint quil ne ltait dans la pense des stociens ; le mot de phantasiane pourrait selon ces deux textes sappliquer quaux reprsentations qui cor-respondent un objet rel. Or nous lisons dans ce mme passage de Dioclsdont nous venons de citer une partie, et quelques lignes plus bas : tn de phantasin kat autous hai men eisin aisthtikai, hai d ou aisthtikai ;aisthtikai men hai di aisthtriou h aisthtrin lambanomenai ; oukaisthtikai de hai dia ts dianoias kataper tn asmatn, kai tn alln tnlogi lambanomenn [parmi les reprsentations, selon eux, les unes ont uncaractre sensoriel, les autres non ; ont un caractre sensoriel celles qui sontperues par un ou plusieurs sens ; nont pas de caractre sensoriel cellesproduites par la pense, comme celles des incorporels et de tout les autresobjets apprhends par la raison]. Ce texte prouve que les stociensemployaient le motphantasia, mme quand lme ne peroit pas par les sensun objet existant rellement, et que le mot convient mme aux asmata[incorporels]. Cest ce qui est confirm par un texte de Sextus (Math., VIII,409) o non seulement les asmata sont prsents comme tant desmodifications de lhgemonikon, mais o de plus le verbe phantasimai [sereprsenter] est employ pour dsigner le mouvement de lhgemonikon qui

    cre en labsence de lobjet : enia de toiautn ekhei phusin, tou hgemonikouep autois phantasioumenou kai oukh hup autn, hopoia esti ta asmata lekta[mais certaines choses ont la mme nature, la partie directrice se lesreprsentant parce quelle les a en vue et non parce quelle en reoit leffet ;tels sont les exprimables incorporels].

    1 [Franois Ogereau (Essai sur le systme philosophique des Stociens, V, p. 117, 1885)

    donne le terme de fantme pour traduire cet objet de pure apparence, sans ralit,imaginaire (des ombres).]

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    Nous savons de plus, par Diogne (VII, 49) que les stociens considraientla thorie de la phantasia comme devant prcder logiquement toutes lesautres, non seulement parce que le critrium de la vrit tait du genrephantasia, mais encore parce quune thorie de laffirmation, de la compr-hension, de la pense en un mot, suppose une thorie de laphantasia : areskeitois Stikois ton peri phantasias kai aisthses protattein logon, kathoti tokritrion, hoi h altheia tn pragmatn ginsketai, kata genos phantasia esti,kai kathoti ho para sugkatatheses, kai ho peri katalpses kai noses logosproagn tn alln, ouk aneu phantasias sunistatai [les stociens se plaisent mettre au commencement la thorie de la reprsentation et de la sensation :dune part le critre par lequel la vrit des choses est reconnue rentre dans legenre de la reprsentation ; dautre part la thorie de lassentiment, commecelle de la comprhension et de lintellection, qui prcde tout le reste, ne peuttre labore indpendamment de la reprsentation].

    Quant la restriction kata peisin [passivement] que, selon Sextus (v.

    not. p. 22), certains stociens apportaient la dfinition de Chrysippe, nousavons le choix entre la considrer comme une altration de la doctrineprimitive, provoque par un argument sophistique ou admettre quephantasia prenait parfois, dans le dtail de la doctrine, un sens restreint quidsignait particulirement une de ses espces ; de mme, dans les deux textesque nous avons cits, de Diocls et de Plutarque, le mot phantasia prend unsens plus particulier, et se distingue alors de phantasia,phantaston, etc. : cestainsi quun philosophe idaliste, aprs avoir pos que tout est ide, peut trsbien employer ce mme mot ide dans son sens ordinaire, et lopposer dautres mots : perception, sensation, sentiment.

    Rien ne nous empche donc de maintenir limportante conclusion

    laquelle la dfinition de Chrysippe nous a conduits ; tout en nous estheteroisishgemoniku [une modification de la partie directrice], et par suitetout en nous estphantasia ; la diversit de nos tats reoit son unit rigoureusedu mouvement matriel qui les constitue, et de la forme ncessaire de cemouvement, qui est la reprsentation ; il ny a pas, dans notre vie mentale,deux principes sopposant irrductiblement lun lautre, la sensation etlide, le corps et lincorporel : ces oppositions se rsolvent en des diff-renciations de laphantasia.

    Nous avons vu dj que laphantasia peut tre aisthtik [sensorielle] ounon ; cest--dire se conformer ou non un objet extrieur qui frappe nossens, elle peut tre aussi logik [rationnelle] (Sext.,Math., VIII, 70) : lekton dehuparkhein phasi to kata logikn phantasian ; logikn de einai phantasian,kath hn to phantasthn esti logi parastsai [est exprimable, disent-ils, cequi se conforme la reprsentation rationnelle ; est rationnelle la reprsen-tation dont le reprsent est manifest par le discours]. Comme, selon Diogne(VII, 50), les reprsentations non aisthtikai [sensorielles] sont luvre de ladianoia, et sont en mme temps asmata [incorporelles] et objets de la raison(... ouk aisthtikai de hai dai ts dianoias, kathaper tn asmatn kai tnalln tn logi lambanomenn [sont non sensorielles celles produites par lapense, comme celles des incorporels et de tout les autres objets apprhends

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    IV

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    Quest-ce maintenant que cette phantasia katalptik qui est pour lesstociens le critrium de la vrit ? Sextus en dveloppe analytiquement la

    dfinition : nous navons qu le suivre pas pas.Sextus distingue dabord, daprs les stociens (242-247) diverses espces

    dephantasiai ; ce passage justifie encore le sens trs gnral que nous avonsattribu au motphantasia : une proposition comme celle-ci : les astres sont ennombre pair, est encore pour les stociens une phantasia ; il y a plus, larunion de deux propositions contradictoires, telles que : il fait jour et lesoleil ne luit pas, est unephantasia apithanos [non convaincante] il est vrai mais une phantasia. Ainsi pour les stociens les propositions les plusabstraites, qui nous semblent pouvoir le moins saccompagner dune reprsen-tation, sont desphantasiai ; comment ne pas admettre quils ont accept avectoutes ses consquences, la clbre formule aristotlicienne 1 : ouk esti nosis

    aneu phantasias [il ny a pas de pense (abstraite) sans reprsentation(image)] ?

    Parmi les reprsentations qui sont vraies (247), les unes sont cataleptiques,les autres non. Nest pas cataleptique toute reprsentation qui se produit kata

    1 [Aristote,De lme, III, 7, 431a16.]

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    pathos1 [passivement] un fou 2 et un malade peuvent avoir des reprsentationsvraies, mais on ne peut pas dire quelles soient cataleptiques, car cest pourune raison extrieure, et par hasard, quelles sont vraies.

    La reprsentation cataleptique est celle qui porte la marque et commelempreinte dun objet existant rellement, et conforme la nature de lobjet ;qui est telle enfin quelle ne saurait tre, si elle venait dun objet non existant :katalptik de estin h apo huparkhontos kai kat auto to huparkhonenapomemagmen kai enapesphragismen, hopoia ouk han genoito apo mhuparkhontos [mais est comprhensive celle qui est produite par une choseexistante et qui est imprime et grave en conformit avec la chose existante,de telle manire quelle ne se saurait tre produite par quelque chose qui napas dexistence].

    Chacune des parties de cette dfinition a sa raison dtre. Dabord (249) toapo huparkhontos ginesthai [ce qui est produite par la chose existante] ; carles visions des fous, qui ne correspondent rien, ne sont pas katalptikai

    [comprhensives]. En second lieu : kat auto to huparkhon [en conformitavec la chose existante] ; car il est des phantasiai qui correspondent unobjet, mais qui ne lui ressemblent pas exactement : cest ainsi quOresteprenait lectre pour une Erinnye. La reprsentation cataleptique doit aussi(250) tre modele sur lobjet, afin quelle moule avec une exactitudescientifique (tekhniks) toutes les particularits de lobjet : hina pantatekhniks ta idimata tn phantasin anamatttai [avec une prcisiontechnique, la reprsentation est imprime avec toutes leurs particularits], carcest l le but de quiconque veut saisir lobjet tel quil est : hoi katalpsin poioumenoi tn hupokeimenn, pasin opheilousi tois idimasi autnepiballein [ceux qui font lpreuve de la comprhension des ralits prsentessont tenus de sappliquer toutes les particularits de ces mmes ralits].

    Enfin, la dernire partie de la dfinition : hoia ouk han genoito apo mhuparkhontos [telle quelle ne se saurait tre produite quelque chose qui napas dexistence] (252), est dirige spcialement contre les sceptiques de lanouvelle Acadmie : en effet ceux-ci pensent quon peut trouver deuxreprsentations identiques (indiscernables), ce que nient les stociens : hoi apots stoas ouk hupeilphasi kata panta aparallakton tina eurethsesthai [ceuxdu Portique pensent quil est impossible de trouver une reprsentationtotalement indiscernable dune autre] ; ils prtendent que celui qui a unephantasia katalptik, saisissant par dfinition la diffrence cache qui ladistingue des autres, ne peut la confondre avec aucune autre ; au lieu que lesAcadmiciens prtendent quon peut trouver une reprsentation fausse,indiscernable (aparallakton) de la reprsentation cataleptique.

    Tel est, conclut Sextus, le critrium de la vrit quont propos les anciensstociens. Des stociens plus rcents ont ajout : to mden ekhousan enstma

    1 Le sens de ces deux mots est assez vague ; nous verrons plus loin en quel sens on peut les

    entendre ; du moins ne pouvons-nous pas entendre, comme Fabricius,pathos [passion] ausens de disposition morbide ; il ne sagit pas ici des hallucinations dun malade, mais,au contraire des reprsentations vraies, quil ne peut manquer davoir, certainsmoments.

    2 [Voir le texte dAlain, extrait deHistoire de mes penses, donn en introduction.]

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    [le fait de ne comporter aucun obstacle] qui ne renferme en elle aucunobstacle, aucune impossibilit. En effet, disent-ils, il peut arriver quon ait unereprsentation cataleptique, et quune circonstance extrieure nous empchedy croire : ainsi quand Hercule ramne Alceste Admte, Admte reoitdAlceste une reprsentation cataleptique laquelle nanmoins il ne croit pas ;car il sait quAlceste est morte, que les morts ne ressuscitent point, et quonest quelquefois la dupe de fantmes. Ainsi, quelque claire et frappante que soitla reprsentation cataleptique, cela ne suffit pas encore pour quelle nousprenne en quelque sorte aux cheveux et nous entrane laffirmation : il fautencore quelle nimplique aucun obstacle : mden enstmaekhousan (257).

    Ainsi, lhomme qui veut avoir une connaissance exacte doit commepoursuivre hors de lui-mme cette phantasia, tout de mme quun homme qui la vue ne donne quune reprsentation peu distincte, arrte sur elle sonregard, suse les yeux, fait tout pour rendre cette reprsentation certaine etfrappante, et semble chercher en elle-mme de quoi justifier son affirmation :hs en tauti keimenn thern tn ts katalpses pistin [comme sil pensait

    que la fiabilit de la comprhension reposait l-dessus].Que si (259) on veut nier que la reprsentation cataleptique soit le

    critrium de la vrit, comme on ne peut le nier que daprs une autrephantasia, lon prouve soi-mme ce que lon nie ; car la nature nous fournitune lumire pour la connaissance de la vrit ; cette lumire, cest la puissancemme de la sensation et de laphantasia qui en rsulte : ts phuses hoionei pheggos hmin pros epignsin ts altheias tn aisthtikn dunaminanadouss kai di auts ginomenn phantasian [la nature nous a donn lafonction sensorielle et la reprsentation qui en provient, comme notreflambeau pour la reconnaissance de la vrit]. Celui qui veut nier que cettepuissance naturelle existe ressemble un homme qui, en admettant lexistencedes diverses couleurs, refuserait la vue toute existence ou toute valeur : demme, admettre quil existe des objets, et accuser derreur la reprsentationsensible par laquelle nous les connaissons, cest le comble de la folie.

    De ce long passage de Sextus nous pouvons tirer tout dabord cetteimportante conclusion : la vrit dune reprsentation pour les stociens, nersulte pas de sa conformit de fait avec lobjet. En effet, un fou peut avoirdaventure (kata tukh [par hasard]) une reprsentation vraie ; mais cettereprsentation nest pas cataleptique, cest--dire critrium de la vrit ; deux reprises, Sextus nous a mis sous les yeux cette sorte de paradoxestocien ; or comment peut-on entendre quun fou ait une reprsentation vraie,sinon en ce sens vulgaire, que cette reprsentation est conforme celle de tousles autres hommes : cest le seul sens que puisse avoir lexpression : conforme

    avec lobjet, si lon veut parler dune conformit constate en fait. Lareprsentation cataleptique nest pas cataleptique, cest--dire vraie au sensphilosophique du mot, pour une raison extrieure : on ne la reoit pas toutefaite du dehors (kata pathos = passivement), et par hasard (ek tukhs houtsumpesousan [qui se sera rencontre simplement par hasard]) ; cest doncquelle est telle de par lactivit de lesprit ; quelle rsulte dune diathesis[disposition], quelle est une forme de lhgemonikon ; en un mot la repr-sentation est cataleptique par sa manire dtre et le mot cataleptique exprimeun caractre intrinsque de laphantasia.

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    Peut-tre sera-t-on tent dopposer cette conclusion les premiers mots dela dfinition donne par Sextus : apo huparkhontos kai kata to huparkhon [parlobjet prsent et en conformit avec lobjet prsent]... Et certes il est bien vraique la reprsentation cataleptique vient de lobjet et est conforme lobjet ;mais ce nest pas parce quelle vient dun objet et quelle y est conformequelle est cataleptique, cest au contraire parce quelle est cataleptique quelon peut tre certain quelle vient de lobjet et quelle est conforme lobjet.Ce qui prouve que ce caractre de vrit objective est bien intrinsque laphantasia, cest que, daprs Sextus, les acadmiciens soutenaient que cecaractre intrinsque pouvait appartenir aussi des reprsentations cres parlimagination soit dans un tat morbide, soit dans le rve.

    Ainsi les stociens prtendaient que certaines reprsentations portent enelles un caractre, une diffrenciation intrinsque, qui fait quon peut tre srquelles viennent dun objet rellement existant et quelles sont conformes cet objet.

    De quelle nature est donc cette diffrenciation ? Se confond-elle aveclune ou lautre des diffrenciations dont nous avons dj parl ; en dautrestermes, la reprsentation cataleptique est-elle simplement aisthtik[sensorielle], ou simplement logik [rationnelle], ou nest-elle pas lun etlautre ? Cest ce que nous demanderons la dfinition que nous a donneSextus, et qui est dailleurs mot pour mot reproduite, pour ne citer quun texte,par Diogne citant Diocls (VII, 50) : noeitai de h phantasia h apohuparkhontos kai kata to huparkhon enapomemagmen kai enapesphra-gismen, hoia ouk han genoito apo m huparkhontos [on conoit ici lareprsentation comme celle qui a t imprime et grave par lobjet prsent eten conformit avec lobjet prsent, telle quelle ne se serait pas produite enlabsence de lobjet].

    Quune telle phantasia soit aisthtik, cest ce quil est impossible demettre en doute : elle nest pas luvre de la dianioa en labsence de lobjet ;au contraire elle est modele sur lobjet. Nous savons mme par Sextus quelest ce caractre intrinsque qui rvle, en quelque sorte, la prsence de lobjet, travers la phantasia : la phantasia doit modeler, dessiner en quelque sortetous les idimata [particularits] de lobjet ; elle doit nous le montrer danstoute sa particularit, cest--dire discernable de tout autre : ce qui caractrisetoute reprsentation objective, cest donc son absolue particularit, sonabsolue htrognit par rapport toutes les autres. Tel est le postulatstocien : il ny a pas dans la nature deux choses semblables. (Acad., II, 26) :stoicum est quidem... nullum esse pilum omnibus rebus talem, qualis sit pilus

    alius, nullum granum [en fait il est stocien de dire quil nexiste aucun poil,en tout point pareil, un autre poil, ni aucun grain de bl]. Ce postulat a unegrande importance ; si cest le propre de tout objet rellement existant dentre semblable aucun autre, une reprsentation qui sera elle aussiparticulire, discernable de tout autre, ne pourra correspondre qu un objetexistant rellement ; labsolue particularit est donc un caractre intrinsquede laphantasia, et qui est en elle une marque certaine de lobjet rel.

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    Cela bien constat, si nous voulons comprendre comment ce caractre estconnu, nous sommes arrts par une double difficult. La reprsentationcataleptique doit dessiner, accuser, en quelque sorte, toutes les particularits,tous les dtails de lobjet ; mais comment saura-t-on quelle accuse tous lesdtails, puisquon ne connat pas lobjet lui-mme ; de plus notre reprsen-tation doit tre discernable de tout autre ; mais comment en tre sr, avantdavoir compar cette reprsentation avec toutes les autres, ce qui estimpossible. Il ne faut donc pas concevoir cette particularit de la reprsen-tation comme jamais ralise ; et en effet nous voyons, par deux passages desAcadmiques (II, 16 et 18) que les stociens admettaient quen fait il y a deschoses qui paraissent semblables ; ce quils prtendaient, cest quon peuttoujours dcouvrir entre ces objets quelque diffrence, attendu quils sont enralit, absolument discernables ; de ce quil est difficile de les distinguer, ilne faut pas conclure quils soient semblables (16) ; lexprience nous apprendquavec le secours de lhabitude, nous arrivons saisir des diffrences entredes objets qui nous avaient dabord paru semblables : an non videmus hoc usuevenire, ut quos nunquam putassemus a nobis internosci posse, eos,

    consuetudine adhibita, tam facile internosceremus, uti ne minimum quidemsimiles viderentur[ne constatons-nous pas par lexprience quil est des gens(jumeaux) que jamais nous naurions pens pouvoir distinguer les uns desautres et que, grce lhabitude, nous parvenons distinguer si aismentquils nous paraissent ne pas avoir mme la moindre ressemblance] (18).

    Il faut donc conclure quune reprsentation ne peut pas tre dite aisthtikabsolument, mais seulement plus ou moins aisthtik quune autre, et lareprsentation cataleptique devra ltre de plus en plus indfiniment : endautres termes ce qui peut nous prouver quune reprsentation donne corres-pond vraiment un objet, cest que nous pouvons y dcouvrir indfinimentdes particularits nouvelles, et par suite la distinguer de tout autre repr-sentation qui nous apparatrait comme semblable elle. On voit que lareprsentation cataleptique suppose un progrs, un effort, une sorte depoursuite du particulier, de la dernire diffrence, qui est comme le fondementde notre certitude que notre reprsentation recle en elle : hs en tautikeimenn tn ts katalpses pistin [dans ce qui est en elle repose la fiabilitde la comprhension].

    Puisque tel est le caractre de laphantasia katalptik, il semble quelle nepuisse pas tre logik ; le particulier est en effet le contraire de la raison ;tendre de plus en plus au particulier, cest rduire nant les conceptsgnraux sur lesquels la raison opre. Et pourtant il est impossible dadmettreque la reprsentation cataleptique ne ft pas pour les stociens logik en mmetemps quaisthtik.

    En effet la vrit, nous lavons vu, est pour les stociens une science ; elleest sustmatik [systmatique] ; or si la reprsentation cataleptique est seule-ment aisthtik, il ny a plus de vrit que du particulier ; et alors comment lavrit peut-elle tre un systme ? Des reprsentations particulires, cest--dire irrductibles toute ide gnrale, peuvent se juxtaposer, mais nonsorganiser. Il faut donc admettre que la reprsentation cataleptique participeen quelque faon au logos : cest ce que nous confirment des preuves directes.

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    Diog. L. (VII, 47) nous dit : autn te tn epistmn phasin h katalpsinasphal, h hexin en phantasin prosdexei, ametaptton hupo logou [quant la science elle-mme, disent-ils, elle est ou bien une comprhension assure,ou bien une manire dtre dans la rception des reprsentations inbranlablepar le raisonnement]. La science est donc une manire dtre de nos reprsen-tations qui les justifie en quelque sorte, pour lesprit, et assure aux yeux de laraison la permanence de leur vrit (ametaptton hupo logou [inbranlable parle raisonnement]). Ainsi la reprsentation cataleptique devra non seulementtendre embrasser tout le particulier de lobjet, mais encore rester conforme la raison. Cest ce quexprime nettement la dfinition stocienne de lamataio-ts [le srieux 1] que nous trouvons au passage de Diogne dj cit (VII, 47) :amataiotshexis anapherousa tas phantasias epi ton orthon logon [le srieuxest une manire dtre qui rapporte les reprsentations la droite raison].Nous tirerons de cette simple dfinition cette conclusion, que, si les stociensnavaient pas admis quon pt en mme temps rendre nos reprsentations deplus en plus rationnelles, et les particulariser de plus en plus, cet tat delesprit qui consiste rationaliser ses reprsentations les rendrait aussi de plus

    en plus asmatoi [incorporelles], les loignerait du particulier, du sma, en quiest la vrit relle, qui est le privilge du sage, et ils nauraient pas appel untel tat de lesprit (hexis [une manire dtre]), lamataiots, cest--dire lapossession dune vrit non abstraite et vaine, mais concrte et solide.

    Ce caractre essentiel de la reprsentation cataleptique nest-il donc pasexprim par la dfinition que nous a donne Sextus ? Cest que nous avons jusquici nglig un mot qui ne peut avoir une mdiocre importance : lareprsentation cataleptique ne doit pas seulement modeler toutes les particula-rits de lobjet, elle doit le faire tekhniks [scientifiquement]. On sait ce quesignifie tekhn pour les stociens (v. n. p. 19) : il ne faut pas mettre sous cemot le sens vague dexactitude, de prcision, de savoir-faire ; une tekhn cest

    un systme dides, sustma ek katalpsen [un tout systmatique decomprhensions] ; et tekhniks ne peut par suite signifier autre chose que systmatiquement ; et sans chercher dans ce mot un quivalent de cequest aujourdhui la connaissance scientifique, dont les procds sont dureste si mal dfinis et si peu analyss, demandons-nous seulement ce que cepeut tre que connatre systmatiquement les diverses particularits dunobjet, sinon les rattacher au systme de nos ides, cest--dire faire entrerchacune delles dans une ide dj acquise, en un mot, au sens le plus simpledu mot, la comprendre. Si donc la reprsentation cataleptique nous faitconnatre les particularits dun objet tekhniks, cest quelle nous les faitconnatre de telle faon quelles soient comprises, en mme temps queconnues, comme se rattachant un systme dides, une tekhn. Commentsoutenir donc que la dfinition donne par Sextus de laphantasia logik (kathhn to phantasthen esti log parastsai [celle daprs laquelle il est possibleque le reprsent soit manifest dans un discours]), ne sapplique pas lareprsentation cataleptique ?

    Si maintenant nous voulons, non plus constater, mais comprendre, il fautnous demander si ce caractre dintelligibilit convient la reprsentationmme. Cest en vain, dira-t-on, que les stociens essaient de synthtiser dans1 [Ou : la gravit, la rigueur.]

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    la phantasia le sensible et lintelligible : lintelligible nest pas dans la repr-sentation ; que lon comprenne ou non les lments que lon en peroit, elleest toujours perue la mme ; lintelligibilit reste quelque chose dextrieur elle ; ce nest pas elle qui nous fait comprendre ses lments : elle ne peut trela source des ides, mais seulement lobjet des ides : la vrit supposetoujours deux termes irrductibles, le sujet et lobjet.

    Sans vouloir prtendre que les stociens ont donn de cette importantequestion une solution dfinitive, nous devons du moins essayer de deviner lesraisons quils avaient de la rsoudre comme ils ont fait.

    Les stociens ont remarqu quune reprsentation ne nous est pas donneavec tous ses dtails, et que lhabitude ou lexercice nous en rvlent sanscesse de nouveaux (Acad., II, 7) : quam multa vident pictores in umbris et ineminentia quae nos non videmus ! Quam multa, quae nos fugiunt in cantu,exaudiunt in eo genere exercitati [quelle multitude de dtails voient lespeintres dans les ombres et dans les reliefs que nous, nous ne voyons pas !

    Quelle multitude de nuances, qui nous chappent dans un chant, entendentparfaitement ceux qui sont exercs !] ! Quest-ce quun peintre habile, sinonun homme qui connat les lois de la lumire et des ombres, qui connat lesgenres et les espces des couleurs, en un mot qui a une connaissance techni-que de la lumire et de ses modifications ? Peut-on dire quun peintre peutpercevoir les nuances diffrentes dune tendue colore sans les comprendre ?Supposons quil peroive du rose, du bleu, et du vert dans un horizon que lecommun des hommes voit gris ; il ne peut percevoir ces trois couleurs que silles nomme, cest--dire sil les rattache des espces et des genres decouleur quil connat dj, cest--dire sil fait rentrer chaque nuance du grisdans un systme, dans une tekhn des couleurs ; il est impossible de sparer laperception dune couleur de lintellection de cette couleur ; la reprsentationde lhorizon, sous le regard du peintre qui la scrute, devient intelligible, cest-

    -dire, chacun de ses lments prend un nom, un sens pour lui ; et en mmetemps que chaque lment prend ce nom et ce sens, il commence vritable-ment dexister on ne peut distinguer percevoir et comprendre ; car percevoir,cest percevoir quelque chose, et ce quelque chose nexiste quen tant quil aun nom, quil a un sens pour nous, quil se rattache un systme didesacquises. Ainsi la reprsentation cataleptique, en mme temps quelle accuseles particularits de lobjet, nous les fait comprendre : non seulement le parti-culier nest pas antithtique lide, il nest que par lide.

    On nous reprochera davoir pris, avec les stociens, un exemple trop peuscientifique. Si lon veut maintenant appliquer la mme analyse aux procdsplus rigoureux de la science moderne, on arrivera au mme rsultat. Un savantobserve un phnomne trs complexe, par exemple la formation dunetrombe : quel est son but : avoir du phnomne une reprsentation complte,cest--dire ne ngliger aucune de ses particularits ; dira-t-on que toute sascience lui est inutile, et quun ignorant, avec autant dattention, pourrait fairecette observation tout aussi bien que lui ? Non, car une foule de particularitschapperont lignorant, parce que, comme lon dit, il nen comprend paslimportance ; ou, pour parler le langage philosophique, parce quil na pas unsystme dides acquises, dans lequel rentreront les diverses particularitsobserves : si le savant saisit les changements de temprature imperceptiblespour tout autre, cest parce que ces changements ont pour lui un sens ; sil

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    tation de la vie, si elle est le soutien de tous nos tats, si elle est la vie mme,elle nest pas une puissance que nous puissions notre gr exercer ou retenir ;elle nest pas libre, elle est un acte ncessaire. Cest donc illusion de croireque nous avons le pouvoir de suspendre notre jugement ; notre vritablepouvoir, si lon veut que le mot pouvoir ait un sens (ut sit aliquid in nostrapotestate [pour que quelque chose soit en notre pouvoir]), notre vritablepouvoir nest pas la facult ngative de ne pas juger et de ne pas agir ; il estcet acte continu par lequel la fois en nous comprenant nous nous faisons etnous valons, acte qui ralise cette multiplicit de plus en plus riche qui estnotre vie concrte, et cette intelligibilit de plus en plus parfaite qui est lafois notre raison et notre vertu (Acad., II, 12).

    Sil en est ainsi, la reprsentation cataleptique est bien le critrium de lavrit, mais non la vrit mme ; puisque toute reprsentation implique unecertitude quelque degr, si lon veut que le mot vrit ait un sens, il fautmettre la vrit dans le progrs vers le particulier sous la loi de lintelligible ;rien nest vrai ni faux en soi ; Chrysippe a crit un ouvrage contre ceux qui

    croient quil existe des choses vraies et des choses fausses : pros tousnomizontas kai pseud kai alth einai (Diog. L., VII, 197) ; une reprsen-tation nest ni vraie ni fausse en soi ; Znon disait quelle ntait ni bonne nimauvaise : eamque neque in rectis neque in pravis numerabat[et il ne comp-tait la comprhension ni parmi les choses correctes ni parmi les chosesdfectueuses 1] (Acad., I, 11) ; elle tait pour lui un milieu entre la science etlignorance (Sext.,Math., VII, 151) : epistmn kai doxan... katalpsin de tnmetaxu toutn [la science et lopinion... la comprhension tient le milieu entrelune et lautre]. (Acad., I, 42) : inter scientiam et inscientiam comprehen-sionem collocabat [entre la science et lignorance il plaait la compr-hension] ; la phantasia katalptik ne peut pas simmobiliser, rester elle-mme, sans cesser dtre le critrium de la vrit ; elle est indiffrente en tant

    qutat : la vrit cest le mouvement vers le plus vrai , malgr et enquelque sorte travers la rsistance du sensible : elle est un effort contre unobstacle, elle est un tonos [tension] ; tn epistmn... ntina phasin en ton kaidunamei keisthai [la science... quel que soit son objet, disent-ils, rside dans latension et la puissance] (Stob., Ecl., II, 128).

    Nous pouvons maintenant comprendre ce que signifient les trois caractresde laltheia [la vrit] qui la distinguent, pour les stociens, de to althes [duvrai]. Laltheia est un sma en ce sens quelle poursuit sans cesse le parti-culier, la ralit objective, le corporel 2 ; elle est sustmatik (4), parce quellefait comprendre ce particulier, quelle le fait rentrer dans le systme desides ; enfin celui qui la possde ne peut pas se tromper car elle ne rsulte

    point dune affirmation isole, elle est une diathesis [disposition] permanente,tant un tonos [tension].

    1 [Autrement dit, il relguait la comprhension parmi les choses indiffrentes, ni bonnes ni

    mauvaises, la diffrence de la science qui est un bien.]2 Seul le corporel peut saisir (aptesthai) le corporel.

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    V

    Retour la table des matires

    Si maintenant nous voulons examiner cette thorie au point de vuemoderne, nous aurons chercher : dabord sil existe une analogie entre elle etquelque faon de penser plus moderne ; ensuite si nous pouvons tirer de sontude quelque claircissement nos ides actuelles, quelque solution auxproblmes tels que maintenant nous les posons.

    Cest le plus souvent aux dpens de lexactitude historique que lon tablitune comparaison entre deux philosophies, surtout quand lune est ancienne etlautre moderne. Il est certain que la philosophie stocienne prsente avec lespinozisme des analogies singulires ; et toutefois il nous semble que ces

    analogies sont tout extrieures. On est tent par exemple de rapprocher letonos [tension] des stociens du conatus in suo esse perseverandi [la tendance persvrer dans son tre], qui est, lui aussi, lessence de chaque tre. Mais letonos est quelque chose de matriel ; le conatus est au contraire, en tant quilse confond avec lme mme, une ide, ou mieux une formule abstraite, unedfinition. De plus le tonos implique une ide deffort, de tendance, devouloir ; la force du conatus cest la force mme de la dfinition dun tre quisubsiste telle quelle est par une sorte dinertie rationnelle ; pour les stociensla vie cest le changement, le progrs perptuel ; pour Spinoza, la vie cest

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    limmobilit dans le rationnel, cest lternit dune dfinition qui na pas deraison intrinsque de devenir autre quelle est. De mme il ny a quuneanalogie apparente entre la reprsentation cataleptique et lide adquate ; eneffet, dune part il nest jamais dit dans lthique quune ide puisse tre plusou moins adquate. En second lieu, la reprsentation qui est pour les stociensle critrium de la vrit, est prsente dans lthique, sous le nomdimaginatio, comme le contraire de lide adquate, et comme la cause delide inadquate, quon lappelle erreur ou passion. Spinoza a fait unephilosophie de labstrait, de limmobile, de lternel ; les stociens nous ontlaiss une philosophie du concret, de leffort, et du progrs.

    Si cest se mprendre que vouloir rapprocher la doctrine des stociens dunintellectualisme tel que celui de Spinoza, cest se mprendre encore plus quevoir en eux des logiciens, au sens moderne du mot. Leur thorie de lacertitude, nous lavons vu, est psychologique avant tout. Quant la logiqueformelle, dont les oprations, pour tre autre chose quun jeu desprit, suppo-sent deux postulats, dabord quun concept gnral, dfini dans sa compr-

    hension et son extension, est quelque degr vrai, en outre, que dans un espritqui possde la science, un mme concept peut rester identique lui-mme,cest--dire en quelque sorte immobile, quelle valeur peut-elle avoir pourdes philosophes pour lesquels il ny a de science vritable et relle que duparticulier, et pour qui la vrit mme nest pas quelque chose dacquis et depossd, mais un indfini progrs ? Ce qui fait de la vrit un sma, cest lapoursuite du plus particulier ; si lon dfinit un concept, si on en dtermine lecontenu, on arrte en quelque sorte cette poursuite, on se contente de ce quelon sait actuellement ; cest en ce sens que le concept (phantasia) au senslogique du mot est un asmaton lekton [exprimable incorporel] 1. Ce concept(ennoma [concept], ennoia [notion]) peut tre vrai ou faux, cest--direintelligible ou contradictoire, au regard de la raison ; on peut lenchaner dautres concepts par la division et la dduction. Sans doute cette organisationlogique des concepts est dun grand secours la vrit mme : lhorikon[dfinition] (Diog., VII, 42) sertpros epignsin ts altheias, dia gar ennointa pragmata lambanetai [ reconnatre la vrit, car cest au moyen desnotions que les objets sont saisis] ; en organisant les concepts sous la loi dulogos, la logique ralise une des conditions de la vrit relle, qui consiste nonseulement dcouvrir de nouvelles particularits, mais encore les compren-dre, les faire rentrer dans un concept, les nommer : sans des conceptsorganiss, on ne peut vraiment rien saisir : dia gar ennoin, etc. ; et il y atoujours dans la vrit relle deux parties (Diog., VII, 83) : h men ti ekastonesti tn ontn skopei ; h de, ti kaleitai [lune examine ce quest chacun destres, lautre comment il se nomme].

    Mais la logique na de valeur quen rapport avec la connaissance vraie, eten tant quelle concourt la former. Considre en elle-mme, elle nest quuninstrument dexposition et de rfutation : eukhrstotatn de phasin einai tn peri tn sullogismn therian ; to gar apodeiktikon emphainein, hoper

    1 Le lekton [lexprimable] est unpros ekhon [manire dtre], non de lhgemonikon, mais

    dune de ses dpendances ; du mme coup il cesse dtre un sma, parce que ce qui fait lesma, cest non pas linertie, mais le contraire, la force qui circule rapidement dans toutesles directions et distend les parties.

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    sumballesthai polu pros diorthsin tn dogmatn, kai taxin kai mnmn toepistatikon katalmma emphainein [dun excellent usage, disent-ils, est lathorie concernant les syllogismes ; en effet elle rend manifeste ce qui estdmontrable ; en quoi prcisment elle contribue beaucoup rectifier lesopinions ; la fois ordre et mmoire, elle met en vidence la fermet de lacomprhension scientifique] (Diog., VII, 45) ; ouk alls te (h tidialektiki) oxun, kai agkhinoun kai to holon deinon, en log phansesthai tonsophon [non autrement (que par la dialectique), dune perspicacit, dunesagacit desprit et dune habilet totalement hors de pair sur le plan de laraison, se montrera le sage] (Diog., VII, 48). Comment en effet discuter etprouver si lon ne dfinit pas, cest--dire si lon nimmobilise pas lesconcepts ? Mais on ne discute plus alors sur des concepts rels et en quelquesorte vivants ; on est donc amen par la discussion fausser sa propredoctrine : Cicron nous rapporte (Acad., II, 6) que les stociens reprochaient Antipater de discuter avec lAcadmie.

    On ne peut pas dire non plus que ce systme soit un matrialisme : un tel

    nom convient-il un systme selon lequel la reprsentation est construite parnous, et pour qui la pure matire nexiste pas plus que la pure pense ? Laphilosophie stocienne nest pas si simple quelle puisse rentrer dans un cadretout fait ; comme tout systme vraiment crateur et original, elle dfie touteclassification. On peut seulement la caractriser en montrant sa place dans ledveloppement de la pense grecque.

    Pour Platon la ralit vritable, objet de la connaissance vraie, cestlide ; une chose est ce que lon affirme quelle est, et rien de plus : ellenexiste par suite quen tant quelle participe telle ou telle ide ; quant sonexistence particulire, elle est une limite inconcevable, un pur non-tre auregard de lesprit.

    Aristote, tout en maintenant quil ny a de science que du gnral,reproche Platon davoir fait rsider lexistence dans de pures abstractions ; ilenseigne que ltre vritable cest le particulier, le concret ; ltre vritable estune synthse de la matire et de la forme, ralise par le mouvement ; mais ilobjective, il ralise cette conception, bien plus explicitement que Platon naobjectiv ses ides , et est ainsi amen raliser aussi les abstractions quecette conception suppose, le premier moteur et lacte pur ; en sorte quilsexpose coup sr au reproche que lui-mme a fait Platon, et que Platon nemritait peut-tre pas.

    Les stociens ont renonc tudier lesprit en tant quesprit et la matireen tant que matire : ctait renoncer la mtaphysique ; aussi bien les

    attaques des coles sceptiques devaient ramener la philosophie sur la terre, etla faire comme se recueillir et se ramasser. Les stociens ont abandonn cesdeux inconciliables notions : le pur sensible et le pur acte ; ils ont vu que, pourexpliquer que lacte cre une ralit matrielle, il fallait le rendre lui-mmeconcret, en faire un mouvement ; ils sont ainsi arrivs constituer lme enune unit vivante : lme a des reprsentations parce quelle est elle-mmeconstructive de reprsentations, tant un mouvement matriel. Ils ont comprisque la synthse de lun et du multiple ne pouvait tre ralise que par lemouvement ; mais ils ont renonc ce quon pourrait appeler la mtaphysiquedu mouvement ; ils ont ramen linvitable conception du mcanisme univer-

  • 8/14/2019 Alain - Thorie de la connaissance des Stociens

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    mile Chartier (1891), La Thorie de la connaissance des Stociens 41

    sel sa condition subjective : la ncessit o nous sommes, pour nousreprsenter, de construire notre reprsentation avec des mouvements. Il nesagit donc, pour les stociens, ni dune mtaphysique de lobjet, dpassant lareprsentation, ni dune mtaphysique du sujet, rejetant la reprsentation, maisdune physique de lme, au sens ancien, cest--dire dune tude de lmedans sa vie concrte, dune analyse des faits psychiques aboutissant retrou-ver dans chacun deux lunit fondamentale dun mouvement simple.

    De cette vigoureuse tentative pour fonder la certitude, ne reste-t-il rien quipuisse guider un esprit moderne, plus soucieux dclaircir ses ides que dedonner une formule approche de linconcevable Absolu ? Nous sommes loinde le croire. Tout dabord la thorie stocienne de la reprsentation, nenconsidrer que lextrieur, puisque le dtail ne nous en est pas connu, aboutitdu moins cette importante conclusion, dont la psychologie moderne ne peutque sinspirer si elle veut faire la thorie de la perception et de limagination :toute reprsentation est construite par un mouvement de nous, et cemouvement en est le soutien et la ralit.

    De plus leur critrium de la vrit serait encore aujourdhui, ce quilsemble, le meilleur que lon pt opposer une cole sceptique qui, reprenantles arguments toujours spcieux de la nouvelle Acadmie, soutiendrait quilny a aucun moyen de distinguer la reprsentation relle de la reprsentationimagine. Il faut, nous tant donne une reprsentation, que nous ayons unmoyen de nous assurer quelle correspond quelque chose dextrieur nous,quelle nest pas une cration de limagination. Or supposons que je rencontreun cheval ail ; je commence par douter quil existe rellement ; car je ne saispas comment un cheval peut avoir des ailes ; je ne me fais pas une ide exactede la faon dont elles se rattachent son systme osseux et son systmemusculaire ; aussi je porte mon attention sur le point o laile sattache aucorps ; je tue, si je puis, lanimal, je le dissque, et par des dcouvertes

    successives, je me rends compte de mieux en mieux du phnomne quimavait dabord surpris. Do vient que je procde ainsi ? Cest que ce qui megarantit lexistence relle de tout objet, cest la possibilit de mexpliquer demieux en mieux lunion des lments dont il se compose : un objet rel estcomme une mine inpuisable dinconnu, dans laquelle nous pouvons pntrerautant que nous le voulons,