affaire ozgen et autres c. turquie

Upload: hakikat-adalet-hafiza-merkezi

Post on 04-Apr-2018

217 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    1/14

    CONSEILDE LEUROPE

    COUNCILOF EUROPE

    COUR EUROPENNE DES DROITS DE LHOMME

    EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

    DEUXIME SECTION

    AFFAIRE ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    (Requte no 38607/97)

    ARRT

    STRASBOURG

    20 septembre 2005

    DFINITIF

    20/12/2005

    Cet arrt deviendra dfinitif dans les conditions dfinies larticle 44 2 de laConvention. Il peut subir des retouches de forme.

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    2/14

    ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE 1

    En laffaire zgen et autres c. Turquie,La Cour europenne des Droits de lHomme (deuxime section), sigeant

    en une chambre compose de :MM. J.-P. COSTA,prsident,

    A.B. BAKA,I. CABRAL BARRETO,R. TRMEN,V. BUTKEVYCH,

    Mme D. JOIEN,M. D. POPOVI,juges,

    et de Mme S. DOLL,greffire de section,Aprs en avoir dlibr en chambre du conseil le 30 aot 2005,Rend larrt que voici, adopt cette dernire date :

    PROCDURE

    1. A lorigine de laffaire se trouve une requte (no 38607/97) dirigecontre la Rpublique de Turquie et dont trois ressortissantes de cet Etat,Mmes Dilsah zgen, Seniha zgen et Nurcihan Altnda ( lesrequrantes ), avaient saisi la Commission europenne des Droits delHomme ( la Commission ) le 20 aot 1997 en vertu de lancienarticle 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de lHomme et des

    Liberts fondamentales ( la Convention ).2. Les requrantes, qui ont t admises au bnfice de lassistance

    judiciaire, sont reprsentes par Me Sezgin Tanrikulu, avocat Diyarbakr.Le gouvernement turc ( le Gouvernement ) est reprsent par son agent.

    3. Les requrantes allguaient en particulier que leur proche parent Fikrizgen avait disparu suite son enlvement prtendument effectu par lesagents de lEtat et que les autorits navaient pas procd une enquteefficace en la matire. Elles se plaignent de la violation des articles 2, 3, 5, 6et 13 de la Convention.

    4. La requte a t transmise la Cour le 1 er novembre 1998, datedentre en vigueur du Protocole no 11 la Convention (article 5 2 duProtocole no 11).

    5. La requte a t attribue la quatrime section de la Cour (article 52 1 du rglement). Au sein de celle-ci, la chambre charge dexaminerlaffaire (article 27 1 de la Convention) a t constitue conformment larticle 26 1 du rglement.

    6. Par une dcision du 13 septembre 2001, la chambre (quatrimesection) a dclar la requte recevable.

    7. Tant les requrantes que le Gouvernement ont dpos desobservations crites sur le fond de laffaire (article 59 1 du rglement).

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    3/14

    2 ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    8. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifi la composition de sessections (article 25 1 du rglement). La prsente requte a t attribue

    la deuxime section ainsi remanie (article 52 1).

    EN FAIT

    9. Les requrantes, Dilah zgen, Seniha zgen et Nurcihan Altnda,sont nes respectivement en 1937, 1956 et 1961 et rsident Diyarbakr. Ilsagit respectivement de lpouse et des filles de Fikri zgen qui a disparudepuis le 27 fvrier 1997.

    I. LES CIRCONSTANCES DE LESPCE

    A. Les faits tels quexposs par les requrantes

    10. Le 27 fvrier 1997 vers 10 h, alors que Fikri zgen, g de soixante-treize ans, se trouvait une centaine de mtres de son domicile, devant lerestaurant Aiyan, quatre personnes en tenue civile, dont lune tenait untalkie-walkie, vrifirent son identit et le firent entrer dans une voiture

    blanche. La voiture tait une Renault immatricule 34 BHV 60.11. Le 28 fvrier 1997, la premire requrante sadressa au procureur de

    la Rpublique de Diyarbakr. Elle linforma de lenlvement de son mari enprcisant le numro dimmatriculation de la voiture et demanda treinforme de son sort. Le 5 mars 1997, le procureur indiqua que le nom deFikri zgen ne se trouvait dans aucun registre de garde vue.

    12. Le 6 mars 1997, les requrantes portrent plainte auprs duprocureur de la Rpublique de Diyarbakr contre les quatre personnes nonidentifies, responsables de lenlvement de Fikri zgen. Elles prtendirentque lenlvement de celui-ci tait le fait des forces de lEtat. Seniha zgendclara notamment devant le procureur quelle avait vu par hasard son preemmen dans une voiture par quatre personnes, dont lune portait un pistolet

    et tenait quelque chose qui ressemblait un talkie-walkie . Elle affirmaaussi que les gens qui se trouvaient sur les lieux de lincident lui avaientindiqu que les quatre personnes en question pouvaient tre des policiers.En raison de la foule prsente, elle ne serait pas en mesure de reconnatre les

    personnes qui ont enlev son pre.

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    4/14

    ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE 3

    B. Les faits tels quexposs par le Gouvernement

    13. Le Gouvernement affirme que Fikri zgen na jamais t plac engarde vue et que sa disparition nest nullement due aux actes des forces descurit de lEtat.

    C. Les mesures prises par les autorits turques afin de retrouverFikri zgen

    14. Le 13 mars 1997, le procureur de Diyarbakr ouvrit une instructionen ce sens et demanda par courrier aux parquets de diffrents districts, lagendarmerie et la direction de la sret de Diyarbakr, denquterdurgence afin de vrifier si Fikri zgen avait t plac en garde vue.

    15. Le mme jour, il demanda la direction de la sret dIstanbuldidentifier le propritaire de lautomobile immatricule Istanbul sous lenumro 34 BHV 60.

    16. Par des lettres du 17 mars et du 28 mai 1997, la gendarmerie deDiyarbakr informa le procureur que Fikri zgen navait jamais t plac engarde vue et quaucun renseignement navait t trouv sur lui ni sur lesquatre personnes qui seraient responsables de son enlvement.

    17. Par une lettre du 31 mars 1997, la direction de la sret deDiyarbakr informa le procureur que Fikri zgen navait fait lobjetdaucune garde vue dans ses locaux et que la plaque dimmatriculation34 BHV 60 tait celle dun camion de couleur blanche et de marque Ford.Les immatriculations semblables (comme BMV, DHV etc.) correspondaient des vhicules dautres marques et couleurs quune Renault blanche. Laditedirection prcisa quelle avait renseign lensemble des directions de lasret au niveau national ainsi que la gendarmerie de la rgion afin deretrouver la personne disparue.

    18. Par des notes dates des 14 avril, 20 mai, 10 juin 1997, 12 juin 1998,12 avril et 24 juin 1999, le procureur de Diyarbakr indiqua quune enquteconcernant la disparition de Fikri zgen tait en cours.

    19. A diverses reprises, les 22 mai, 5 aot 1997 et 18 fvrier 1998, leprocureur de Diyarbakr demanda de nouveau la gendarmerie et la

    brigade de la scurit publique de Diyarbakr de sassurer le plusrapidement possible du sort de Fikri zgen et denquter sur sonenlvement.

    20. Le 11 aot 1997, dans sa dposition recueillie par le commissariat deBalar, la deuxime requrante, Seniha zgen, fille ane de Fikri zgen,affirma que se trouvant une vingtaine de mtres du lieu de lincident, elleavait t tmoin de lenlvement de son pre et exposa que quatre personnesarmes en tenue civile tenant des talkies-walkies demandrent son pre sacarte didentit et le firent entrer dans une voiture blanche alors que celui-ci

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    5/14

    4 ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    se trouvait devant le restaurant appel Aiyan. La voiture tait une Renaultimmatricule 34 BHV 60.

    21. Le mme jour, la premire requrante, Dilah zgen, pouse deFikri zgen, dclara quelle navait pas assist lenlvement et quellenavait pas pu obtenir dautres renseignements. Elle ritra sa plainte contreles personnes responsables de lenlvement de son poux.

    22. Le 23 juin 1998, le parquet de Diyarbakr demanda la brigade de lascurit publique de lui prsenter un des membres de la famille zgen.

    23. Le 30 juin 1998, le commissariat de Balar indiqua que la famillezgen avait dmnag de ladresse indique au parquet sans toutefoislaisser leur nouvelle adresse. Le 12 aot 1998, le commissariat de Kulp fit lamme constatation.

    24. A lissue des recherches effectues, les forces de scurit tablirent

    que la nouvelle rsidence de la famille se trouvait Balar.25. Dans sa dposition recueillie au commissariat de Balar le

    5 octobre 1998, la requrante Seniha zgen dclara quelle avait vu elle-mme quatre inconnus, portant des armes et des talkies-walkies, vrifiant lacarte didentit de son pre et se prsentant comme des policiers, avant de lefaire monter dans la voiture.

    26. Dans sa dposition recueillie la mme date, la troisime requrante,Nurcihan Altnda, fille cadette de Fikri zgen, dclara quelle avait vu sonpre avec trois personnes dans une voiture blanche de marque Renault etimmatricule 34 BHV 60. Elle ne les avait pas vu monter dans la voiture.Elle affirma en outre quelle ne pourrait pas reconnatre ces trois personneset quelle navait pas vu sils taient arms ou sils tenaient des talkies-walkies en raison des vitres teintes de la voiture. Elle renouvela sa plaintecontres ces personnes non identifies.

    27. Le 5 octobre 1998, le commissariat de Balar adressa un courrierauquel taient annexes les dispositions des requrantes recueillies ladirection de la sret ainsi quau parquet de Diyarbakr les 11 aot 1997 et5 octobre 1998. Lenqute est toujours pendante devant le parquet deDiyarbakr.

    II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

    28. Le code pnal turc rprime toute forme dhomicide (articles 448 455) et de tentative dhomicide (articles 61 et 62). Il rige aussi eninfraction le fait pour un agent public de soumettre un individu la tortureou de mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour lesmauvais traitements). Les articles 151 153 du code de procdure pnalergissent les obligations incombant aux autorits quant la conduite duneenqute prliminaire au sujet des faits et omissions susceptibles deconstituer pareilles infractions que lon porte leur connaissance. Lesinfractions peuvent tre dnonces non seulement auprs des parquets ou

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    6/14

    ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE 5

    des forces de scurit, mais galement auprs des autorits administrativeslocales. Les plaintes peuvent tre dposes par crit ou oralement. Dans ce

    dernier cas, lautorit est tenue den dresser procs-verbal (article 151).29. Sil existe des indices qui mettent en doute le caractre naturel dun

    dcs, les agents des forces de lordre qui en ont t aviss sont tenus denfaire part au procureur de la Rpublique ou au juge du tribunal correctionnel(article 152).

    30. Le procureur qui, de quelque manire que ce soit, est avis dunesituation permettant de souponner quune infraction a t commise estoblig dinstruire les faits afin de dcider sil y a lieu ou non de lancerlaction publique (article 153 du code de procdure pnale).

    EN DROIT

    I. SUR LA VIOLATION ALLGUE DE LARTICLE 2 DE LACONVENTION

    31. Larticle 2 de la Convention nonce :

    1. Le droit de toute personne la vie est protg par la loi. La mort ne peut treinflige quiconque intentionnellement, sauf en excution dune sentence capitale

    prononce par un tribunal au cas o le dlit est puni de cette peine par la loi.

    2. La mort nest pas considre comme inflige en violation de cet article dans lescas o elle rsulterait dun recours la force rendu absolument ncessaire :

    a) pour assurer la dfense de toute personne contre la violence illgale ;

    b) pour effectuer une arrestation rgulire ou pour empcher lvasion dunepersonne rgulirement dtenue ;

    c) pour rprimer, conformment la loi, une meute ou une insurrection.

    A. Thses prsentes devant la Cour

    1. Les requrantes

    32. Les requrantes soutiennent que Fikri zgen a disparu aprs avoirt enlev par des personnes qui seraient des agents de lEtat. Ellesallguent quil existe dans le Sud-Est de la Turquie une pratique de disparitions qui emporte violation aggrave de larticle 2. Elles fontaussi observer labsence dune enqute adquate et efficace sur les

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    7/14

    6 ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    circonstances de lenlvement de celui-ci. Elles font valoir que leur plaintepnale porte auprs du parquet de Diyarbakr est reste sans effet et que

    dans cette rgion de la Turquie, le parquet est impuissant pour mener uneenqute sur les violations des liberts publiques commises par les forces delordre.

    2. Le Gouvernement

    33. Le Gouvernement fait observer que rien dans le dossier nautorise penser que le pre des requrantes a t enlev par des membres des forcesde scurit. Il affirme en outre quune enqute pnale effective et adquate at mene. Elle na toutefois malheureusement pas permis de dcouvrir lesauteurs de lenlvement de Fikri zgen ni lendroit o celui-ci se trouve.

    B. Apprciation de la Cour

    1. Considrations gnrales

    34. Larticle 2 de la Convention se place parmi les articles primordiauxde celle-ci et ne souffre aucune drogation. Avec larticle 3, il consacrelune des valeurs fondamentales des socits dmocratiques qui forment leConseil de lEurope. Lobjet et le but de la Convention, instrument de

    protection des tres humains, appellent galement interprter et appliquerlarticle 2 dune manire qui en rende les exigences concrtes et effectives

    (Avar c. Turquie, no 25657/94, 390, CEDH 2001-VII).35. Lorsque des allgations sont formules sur le terrain des articles 2 et

    3 de la Convention, la Cour doit se livrer un examen particulirementapprofondi ; pour ce faire, elle sappuie sur lensemble des lments que luifournissent les parties ou, au besoin, quelle se procure doffice (H.L.R.c. France, arrt du 29 avril 1997, Recueil des arrts et dcisions 1997-III,

    p. 758, 37).36. Le critre employer aux fins de la Convention est celui de la

    preuve au-del de tout doute raisonnable ; une telle preuve peut rsulterdun faisceau dindices, ou de prsomptions non rfutes, suffisammentgraves, prcis et concordants (Irlande c. Royaume-Uni, arrt du18 janvier 1978, srie A no 25, p. 65, 161). En matire dapprciation des

    preuves, la Cour a un rle subsidiaire jouer et elle doit se montrer prudenteavant dassumer celui dune juridiction de premire instance appele connatre des faits, lorsque les circonstances dune affaire donne ne le luicommandent pas (Tahsin Acar c. Turquie [GC], n o 26307/95, 216, CEDH2004-...).

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    8/14

    ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE 7

    2. Quant la disparition et la dtention de Fikret zgen

    37. Examinant la crdibilit gnrale des allgations des requrantes, laCour constate quelles se fondent essentiellement sur leurs propresdclarations et que ces dernires ne sont corrobores de faon prcise paraucun autre lment de preuve. Ainsi, la premire requrante na pas ttmoin des incidents allgus. La deuxime requrante indique avoir vu parhasard des inconnus faisant monter son pre dans une voiture. Elle nadonn aucune indication, ni aux autorits nationales ni la Cour, surlidentit des personnes qui lui auraient dit que ctait peut-tre les policiersqui avaient arrt son pre. La troisime requrante, qui ntait pas avec sasur, allgue avoir vu son pre dans une voiture avec trois autres personnes.La question de savoir si elle a not elle-mme limmatriculation de la

    voiture ou si elle a rpt ce que sa sur ane dclarait avoir vu nest pasclaire. Limmatriculation exacte suppose de la voiture en cause, indiquepar ces deux dernires requrantes, correspondait celle dun camion, et lesimmatriculations semblables correspondaient des vhicules dautresmarques et couleurs.

    38. Par ailleurs, la Cour relve que les allgations des requrantes sontdiscordantes, voire contradictoires sur certains points. Ainsi, la premirerequrante a indiqu que des policiers en civil, portant des armes et destalkies-walkies, avaient arrt son mari. La deuxime requrante a affirmquelle avait vu son pre prendre la voiture avec quatre personnes dont lune

    portait un pistolet et avait dans la main quelque chose comme un talkie-

    walkie . Devant le parquet, elle a dclar que ctait les personnes qui setrouvaient sur place qui avaient devin quil sagissait probablement despoliciers (paragraphe 12 ci-dessus). Dans sa dposition au commissariat,elle a indiqu quelle avait elle-mme tmoign que les quatre personnesstaient prsentes comme policiers (paragraphe 25 ci-dessus). Latroisime requrante indique seulement avoir vu son pre dans une voitureavec trois personnes.

    39. A partir des lments en sa possession, la Cour estime quelallgation selon laquelle Fikri zgen a t enlev et dtenu par des agentsde lEtat relve de lhypothse et de la spculation et ne sappuie pas sur deslments suffisamment dignes de foi. Dans ces conditions, elle constate

    quil nest pas tabli au-del de tout doute raisonnable que la responsabilitdu gouvernement dfendeur ait t engage dans lenlvement et ladisparition de Fikri zgen.

    40. En consquence, aucune violation de larticle 2 de la Convention nese trouve tablie cet gard.

    3. Sur le caractre des investigations menes

    41. La Cour rappelle que lobligation de protger le droit la viequimpose larticle 2, combine avec le devoir gnral incombant lEtat en

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    9/14

    8 ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    vertu de larticle 1 de la Convention de reconna[tre] toute personnerelevant de [sa] juridiction les droits et liberts dfinis [dans] la (...)

    Convention , implique et exige de mener une forme denqute officielleeffective lorsque le recours la force a entran mort dhomme (voir,mutatis mutandis, McCann et autres c. Royaume-Uni, arrt du27 septembre 1995, srie A no 324, p. 49, 161, etKaya c. Turquie, arrt du19 fvrier 1998, Recueil1998-I, p. 329, 105). Pareille enqute doit avoirlieu dans chaque cas o il y a eu mort dhomme la suite du recours laforce, que les auteurs allgus soient des agents de lEtat ou des tiers.Cependant, lorsquon prtend que des agents ou des organes de lEtat setrouvent impliqus dans lacte en cause, des exigences particulires peuventsappliquer quant leffectivit de lenqute (Tahsin Acar, prcit, 220).

    42. Le but essentiel de pareille enqute est dassurer la mise en uvre

    effective des dispositions de droit interne qui protgent le droit la vie et,lorsque le comportement dagents ou autorits de lEtat pourrait tre mis encause, de veiller ce que ceux-ci rpondent des dcs survenus sous leurresponsabilit (Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, 89, CEDH2002-VIII). La forme denqute qui permettra datteindre ces objectifs peutvarier en fonction des circonstances. Toutefois, quel que soit le modeemploy, les autorits doivent agir doffice, une fois que la question a t

    porte leur attention. Elles ne peuvent laisser un proche linitiative dedposer formellement une plainte ou de prendre la responsabilit de menerles investigations ncessaires (voir, mutatis mutandis, lhan c. Turquie[GC], no 22277/93, 63, CEDH 2000-VII, et Finucane c. Royaume-Uni,no 29178/95, 67, CEDH 2003-VIII).

    43. Lenqute mene doit galement tre effective en ce sens quelle doitpermettre de conduire lidentification et au chtiment des responsables(Our c. Turquie [GC], no 21594/93, 88, CEDH 1999-III). Il sagit ldune obligation non pas de rsultat, mais de moyens. Les autorits doiventavoir pris les mesures qui leur taient raisonnablement accessibles pour quefussent recueillies les preuves concernant lincident (Tanrkulu c. Turquie[GC], no 23763/94, 109, CEDH 1999-IV, et Salman c. Turquie [GC],no 21986/93, 106, CEDH 2000-VII). Tous dfauts de lenqute propres nuire sa capacit de conduire la dcouverte de la ou des personnes

    responsables peuvent faire conclure son ineffectivit (Akta c. Turquie,no 24351/94, 300, CEDH 2003-V).44. Une exigence de clrit et de diligence raisonnable est implicite

    dans ce contexte. Force est dadmettre quil peut y avoir des obstacles oudes difficults empchant lenqute de progresser dans une situation

    particulire. Toutefois, une rponse rapide des autorits lorsquil sagitdenquter sur le recours la force meurtrire peut gnralement treconsidre comme essentielle pour prserver la confiance du public dans lerespect du principe de lgalit et pour viter toute apparence de complicit

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    10/14

    ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE 9

    ou de tolrance relativement des actes illgaux (McKerr c. Royaume-Uni,no 28883/95, 114, CEDH 2001-III).

    45. Dans la prsente affaire, la Cour note que rien ne prouve que FikriOzgen ait t tu. Cela dit, les obligations procdurales voques plus hautstendent aux affaires relatives des homicides volontaires rsultant durecours la force par des agents de lEtat sans y tre limites. La Courestime que ces obligations valent aussi pour les cas o une personne adisparu dans des circonstances pouvant tre considres commereprsentant une menace pour la vie. Il faut admettre cet gard que plus letemps passe sans quon ait de nouvelles dune personne porte disparue,

    plus il est probable quelle soit dcde (Tahsin Acar, prcit, 226).46. Dans le cas prsent, il ressort du dossier que le procureur de la

    Rpublique, ds quil a t inform de la disparition, a entam une enqute.

    Il a entendu les trois requrantes. Afin de donner suite leurs allgationsselon lesquelles la victime aurait t dtenue par les membres des forces descurit, il a demand des renseignements aux autres parquets de la rgion,aux directions de sret et la gendarmerie. Il a aussi ordonnlidentification du propritaire du vhicule dont limmatriculation avait tindique par les requrantes. Il a rgulirement rappel la gendarmerie et la direction de la scurit de poursuivre les recherches sur le sort de Fikrizgen. Mme aprs le dmnagement de la famille zgen sans laisser leurnouvelle adresse, il les a fait retrouver et a poursuivi son enqute.

    47. Alors que lenqute peut passer premire vue pour conforme auxobligations que larticle 2 de la Convention impose aux autorits, la Courestime que la manire dont elle a t mene, une fois que les autorits ontt informes des soupons pesant sur les policiers en civil relativement ladisparition, ne saurait tre tenue pour exhaustive ou satisfaisante, ce pour lesraisons suivantes.

    Le procureur de la Rpublique saisi de laffaire na pas estim utiledidentifier et dentendre les personnes qui auraient pu avoir t tmoins delincident en cause. Or les requrantes avaient allgu devant le parquet queles faits allgus avaient eu lieu dans la rue devant un restaurant et que lestmoins de lincident auraient dit la deuxime requrante quil sagissait

    probablement de policiers qui avaient enlev son pre. De surcrot, les

    lments de preuve ne font pas apparatre que lon se soit employ au coursde lenqute vrifier si certaines quipes de policiers ou de gendarmesavaient dtenu Fikir zgen en omettant de linscrire dans les registres degarde vue.

    48. Dans ces conditions, la Cour conclut que les autorits internes nontpas men une enqute suffisante et effective sur la disparition de Fikirzgen. Il y a donc eu manquement aux obligations procdurales quiincombent lEtat au titre de larticle 2 de la Convention.

    49. Partant, larticle 2 de la Convention a t viol de ce chef.

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    11/14

    10 ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    II. SUR LES VIOLATIONS ALLGUES DES ARTICLES 3 ET 5 DELA CONVENTION

    50. La Cour rappelle avoir conclu quil ne se trouve pas tabli, au delde tout doute raisonnable, quun agent de lEtat ou une personne agissant aunom des autorits de lEtat ait t impliqu dans la disparition ou ladtention allgue de Fikri zgen, proche parent des requrantes(paragraphes 37-40). Ainsi, elle estime que les griefs des requrantes sontdpourvus de fondement factuel.

    51. Partant, il ny a pas eu violation des articles 3 et 5 de la Convention.

    III. SUR LA VIOLATION ALLGUE DE LARTICLE 13 DE LACONVENTION

    52. Les requrantes se plaignent davoir t prives dun recours effectifquant leurs griefs. Elles invoquent larticle 13 de la Convention, ainsilibell :

    Toute personne dont les droits et liberts reconnus dans la (...) Convention ont tviols, a droit loctroi dun recours effectif devant une instance nationale, alorsmme que la violation aurait t commise par des personnes agissant dans lexercicede leurs fonctions officielles.

    53. Selon la jurisprudence de la Cour, larticle 13 de la Conventiongarantit lexistence en droit interne dun recours permettant de se prvaloir

    des droits et liberts de la Convention, tels quils peuvent sy trouverconsacrs. Cette disposition a donc pour consquence dexiger un recoursinterne habilitant examiner le contenu dun grief dfendable fond surla Convention et offrir le redressement appropri, mme si les Etatscontractants jouissent dune certaine marge dapprciation quant lamanire de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. La

    porte de lobligation dcoulant de larticle 13 varie en fonction de la naturedu grief que le requrant fonde sur la Convention. Toutefois, le recoursexig par larticle 13 doit tre effectif en pratique comme en droit, en cesens particulirement que son exercice ne doit pas tre entrav de manireinjustifie par les actes ou omissions des autorits de lEtat dfendeur

    (Kaya, prcit, 106).Etant donn limportance fondamentale du droit la protection de la vie,

    larticle 13 impose, outre le versement dune indemnit l o il convient,des investigations approfondies et effectives propres conduire lidentification et la punition des responsables de la mort et comportant unaccs effectif du plaignant la procdure denqute (Kaya, prcit, 107).

    54. Au vu des preuves produites en lespce, la Cour a conclu quil napas t prouv au-del de tout doute raisonnable que des agents de lEtat ontarrt Fikri zgen ou taient autrement impliqus dans sa disparition.Toutefois, comme elle la dclar dans des affaires prcdentes, cette

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    12/14

    ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE 11

    circonstance ne prive pas ncessairement le grief tir de larticle 2 de soncaractre dfendable aux fins de larticle 13 (Kaya, prcit, 107, et

    Yaa c. Turquie, arrt du 2 septembre 1998,Recueil1998-VI, 113). A cetgard, la Cour relve que nul ne conteste que Fikri zgen a t victime dunenlvement et que lon peut, ds lors, considrer que les intresss

    prsentent un grief dfendable .55. Les autorits avaient donc lobligation de mener une enqute

    effective sur les circonstances de la disparition de Fikri zgen. Pour lesraisons exposes ci-dessus (paragraphes 41-49), lon ne saurait considrerquune enqute pnale effective a t conduite conformment larticle 13,dont les exigences vont plus loin que lobligation de mener une enquteimpose par larticle 2 (Kaya, prcit, 107). La Cour conclut ds lors queles requrantes ont t prives dun recours effectif quant la disparition de

    leur proche parent et donc de laccs dautres recours disponibles,notamment une action en rparation.

    Partant, il y a eu violation de larticle 13 de la Convention.

    IV. SUR LAPPLICATION DE LARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    56. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

    Si la Cour dclare quil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, etsi le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet deffacerquimparfaitement les consquences de cette violation, la Cour accorde la partielse, sil y a lieu, une satisfaction quitable.

    A. Dommage

    57. Les requrants rclament, en leur nom et en celui de Nevzat Sertazgen (fils de Fikri zgen), 35 000 livres sterling (GBP) (52 775,20 euros(EUR)) pour le dommage moral caus par la disparition de Fikri zgen,ainsi que par labsence dune enqute susceptible didentifier et de punir lesresponsables de cet acte.

    58. Le Gouvernement conteste les prtentions des requrantes ; il lestrouve sans fondement et exagres.

    59. La Cour note demble que la requte na pas t introduite au nomde Nevzat Serta zgen (paragraphe 1 ci-dessus). En consquence, ellerejette la demande au titre du dommage moral pour autant quelle estformule pour son compte (Tahsin Acar, prcit, 263).

    60. En ce qui concerne la demande pour le prjudice moral subi par lesrequrantes elles-mmes, la Cour rappelle que les autorits nont pas mendenqute effective sur les circonstances qui ont entour la disparition deFikri zgen, au mpris de lobligation procdurale que leur faisaient les

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    13/14

    12 ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    articles 2 et 13 de la Convention. Statuant en quit, elle alloue une sommetotale de 20 000 EUR aux requrantes, conjointement.

    B. Frais et dpens

    61. Les requrantes rclament au total 3 500 dollars amricains (USD)(2 906,74 EUR) qui inclut les honoraires pour le travail juridique, lescommunications tlphoniques, les frais de courrier et les traductions. Ellesfournissent les justificatifs.

    62. Le Gouvernement conteste ces prtentions.63. La Cour relve que les requrantes nont que partiellement russi

    tablir leurs griefs sur le terrain de la Convention et rappelle que ne peuventtre rembourss au titre de larticle 41 que les frais et dpens rellement etncessairement exposs. Statuant en quit et considrant le dtail des

    prtentions formules par les intresses, elle alloue celles-ci,conjointement, la somme totale de 2 500 EUR, moins les 4 100 francsfranais (FF) (625,04 EUR) perus du Conseil de lEurope au titre delassistance judiciaire.

    C. Intrts moratoires

    64. La Cour juge appropri de baser le taux des intrts moratoires sur letaux dintrt de la facilit de prt marginal de la Banque centrale

    europenne major de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, lUNANIMIT,

    1. Dit quil ny a pas eu violation matrielle de larticle 2 de laConvention ;

    2. Ditquil y a eu violation procdurale de larticle 2 de la Convention ;

    3. Dit quil ny a pas eu violation de larticle 3 et de larticle 5 de laConvention ;

    4. Ditquil y a eu violation de larticle 13 de la Convention ;

    5. Dita) que lEtat dfendeur doit verser aux requrantes, conjointement, dansles trois mois compter du jour o larrt sera devenu dfinitifconformment larticle 44 2 de la Convention, les sommessuivantes :

  • 7/30/2019 AFFAIRE OZGEN ET AUTRES c. TURQUIE

    14/14

    ARRT ZGEN ET AUTRES c. TURQUIE 13

    i. 20 000 EUR (vingt mille euros) pour dommage moral;ii. 2 500 EUR (deux mille cinq cent euros) pour frais et

    dpens, moins les 4 100 FF (625,04 EUR) perus du Conseil delEurope au titre de lassistance judiciaire;iii. tout montant pouvant tre d titre dimpt sur lesditessommes ;

    b) qu compter de lexpiration dudit dlai et jusquau versement, cesmontants seront majorer dun intrt simple un taux gal celui de lafacilit de prt marginal de la Banque centrale europenne applicable

    pendant cette priode, augment de trois points de pourcentage ;

    6. Rejette la demande de satisfaction quitable pour le surplus.

    Fait en franais, puis communiqu par crit le 20 septembre 2005 enapplication de larticle 77 2 et 3 du rglement.

    S. DOLL J.-P. COSTAGreffire Prsident