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UNE AFFAIRE CLASSÉE AU XIV E SIÈCLE ESSAI EMMANUELLE DUPONT

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UNE AFFAIRE CLASSÉE AU XIVE SIÈCLE

ESSAI

EMMANUELLE DUPONT

15.58

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (130x204)] NB Pages : 194 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,055 mm) = 12.67 ----------------------------------------------------------------------------

Une affaire classée au XIVe siècle Essai

Emmanuelle Dupont

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Préface

Les faux documents sont aussi anciens que l’écriture. Il existe à ce sujet, au temps de Charlemagne, un antécédent fameux que nous livre un historien contemporain1 :

« Les bureaux pontificaux sont de grands spécialistes de faux en écriture. Falsification de documents, fabrication de fausses chartes : à Rome, on ne recule devant aucun mensonge pour renforcer la diplomatie. Le chef-d’œuvre date justement du VIIIè siècle, et sera utilisé au cours des négociations avec Charlemagne, c’est la fausse Donation de Constantin. A une date que l’historien de l’Eglise Eugen Ewig situe aux alentours de 774-778, la chancellerie pontificale fabrique une fausse charte de l’empereur Constantin, qui, au début du IVe siècle, avant de s’installer à Constantinople, aurait donné au pape Silvestre le gouvernement de Rome, de l’Italie et de la partie occidentale de l’empire. Ce document est utilisé par Hadrien Ier, puis par Léon III pour légitimer leurs revendications sur les ex-territoires byzantins de l’Italie. Curieusement, une fraude aussi énorme ne soulève ni

1 Georges Minois : « Charlemagne ».

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soupçons ni protestations. Elle ne sera dénoncée que sept siècles plus tard, en 1440, par l’humaniste Lorenzo Valla, dont la Declamatio ne sera imprimée qu’en 1517 par le luthérien Ulrich von luthérien Ulrich von Hütten. ».

Au décours d’une recherche sur Jean, seigneur de Thil-en-Auxois, connétable de Bourgogne en 1345, j’avais accumulé des informations sur une famille princière, celle des Châteauvillain, qui est liée de très près à celle du connétable. Ce sont les incohérences du discours officiel sur la descendance de ce dernier qui m’ont amenée à entamer une seconde recherche dont le résultat m’a semblé assez étonnant pour en faire l’objet de cet ouvrage.

Jean, sire de Thil, est mort vers 1355 et un héritier mineur lui a succédé, nommé Jean également. Ce dernier sera donc seigneur de Thil-en-Auxois, puis héritera du fief important de Châteauvillain en Champagne dont il prendra le nom.

Notre récit se situe durant la Guerre de Cent ans. Le désastre de Poitiers en septembre 1356, a entraîné la mort de beaucoup de grands seigneurs, proches du roi Jean le Bon, dont celle du jeune sire de Châteauvillain.

Cette défaite a une autre conséquence : des bandes de soldoyers, débauchés après la bataille, se répandent dans les campagnes avec leurs armes et entretiendront la désolation dans le royaume de France avant que Charles V ne mette fin à ce désordre. C’est dans ce cadre que survient l’épisode, mille fois raconté dans la chronique Bourguignonne, de la prise en 1366 de la forteresse de Thil-en-Auxois par un détachement de routiers, mené par le « Petit d’Arby » et de la mise à rançon de la dame de Thil.

Cependant le récit qui nous est fait de l’épisode par les historiens ne concorde pas avec les textes rédigés à l’époque.

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L’identité de la dame de Thil semble en conséquence bien floue et plus encore celle du mineur qui serait son fils, celui-là même qui héritera vers 1389 de la seigneurie de Châteauvillain.

Le connétable Jean de Thil aurait épousé Jeanne de Châteauvillain en Champagne vers 1345. Le frère de Jeanne est Jean, seigneur de Châteauvillain, qui est donc mort à la bataille de Poitiers en 1356, sans avoir encore été marié.

Jeanne aurait ainsi hérité Châteauvillain de son frère. De son mariage avec Jean de Thil serait né un fils, héritier des deux terres, Jean de Thil-Châteauvillain, que nous appellerons Johannis de Thillio pour le différencier de Jean de Thil, connétable de Bourgogne. La réalité de ce mariage constitue une vérité intangible que toutes les sources autorisées présentent comme une certitude.

Johannis de Thillio a certes hérité des deux domaines, mais notre recherche met en évidence une filiation beaucoup moins simple que la tradition ne l’indique.

Il existe en fait un texte et un seul qui affirme la filiation de Johannis de Thillio. Ses contemporains, puis les généalogistes à leur suite ont tous considéré la réalité de son état civil sur la foi de ce seul document dont les commentateurs du XIXe siècle ont relevé le caractère « bizarre ». Il s’agit du testament de Marie de Châteauvillain, sœur de Jeanne, dont le lecteur pourra prendre connaissance au fil de ces pages.

Si ce mariage n’a pas existé, qui donc est Johannis et comment a-t-il pu hériter de Châteauvillain ? Ce sont les petits rébus que je me suis attachée à essayer de résoudre, rébus qui mettent en scène un personnage célèbre. Il s’agit d’Arnaud de Cervole, chef de Grandes Compagnies, dont la mort violente et inexpliquée pourra prendre du sens au travers de ce récit.

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Prologue Arnaud de Cervole

Cette histoire est celle de la descendance de Jean, sire de Thil-en-Auxois, qui fut connétable de Bourgogne au 1345. Les faits se situent au début de la guerre de Cent Ans, au moment où des Compagnies de Routiers sèment la terreur et la désolation dans les campagnes de France. Nous allons présenter un de leurs chefs, Arnaud de Cervole, dont le rôle dans notre histoire se trouve déterminant.

Arnaud de Cervole, dit l’Archiprêtre, compte parmi les plus puissants des capitaines des armées privées qui pullulent au temps de Jean le Bon, au milieu du XIVe siècle. Parti d’un statut obscur, il va se trouver un des principaux chefs de Compagnies et Jean le Bon s’appuiera aveuglément sur les soldoyers que Cervole met à sa disposition. L’appui qu’il apportera au roi a un prix et Cervole recevra en abondance un bien toujours précieux, l’or, dont il disposera en abondance.

C’est la Guerre de Cent ans qui est à l’origine de sa carrière étonnante.

Dans l’armée féodale classique, la guerre est organisée par le très ancien système appelé « service d’ost », service militaire

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qui est dû par chaque vassal à son suzerain. Un système pyramidal de vassalité fait du roi de France le suzerain en dernier ressort de tous les seigneurs des plus grands fiefs. Au moment où se noue notre histoire, lors de la bataille de Poitiers en 1356, le roi a demandé l’aide de tous ses grands vassaux qui se sont rendus à l’ost royal avec leurs propres vassaux.

Les seigneurs du XIVe siècle, malgré des interdictions royales intervenues depuis cent ans, ne se privent pas de poursuivre des guerres privées sans demander son avis au roi. Ils convoquent leurs vassaux, de préférence vers le mois de mai quand l’herbe haute permet de nourrir les chevaux. Des chevauchées, chacune en principe limitée à quelques jours, peuvent avoir lieu jusqu’à ce que le fourrage fasse défaut, en automne ; les seigneurs et leur suite rentrent passer l’hiver dans leurs châteaux où ils reçoivent les ménestrels en attendant la saison suivante.

Les combattants ne sont qu’à peine défrayés de leurs dépenses mais une bataille victorieuse apporte, outre la gloire, des retombées avantageuses sous la forme de rançons. Ces rançons sont exigées du vaincu dans les tournois, comme à la guerre. C’est une affaire d’honneur de s’en acquitter et, plus le personnage vaincu est important, plus la rançon est élevée. Le roi de France, Jean le Bon, a été fait prisonnier par les Anglais au cours de la bataille de Poitiers et ceux-ci entendent monnayer au prix fort ce captif royal. Jean le Bon n’élèvera aucune objection quand les Anglais évalueront à trois millions d’écus le prix de sa rançon, ce qui en faisait le personnage le plus important de la chrétienté et lui rendait donc grand honneur2 ! Loin de s’inquiéter de la difficulté de

2 Lors du traité de Brétigny en 1360

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réunir une telle somme, il était au contraire très fier du chiffre de cette rançon.

Après les défaites de Crécy en 1346 et de Poitiers en 1356, ce sont donc les Anglais vainqueurs qui dorénavant exigent des rançons au montant exorbitant. Cet argent ne restera pas sur place mais sera expatrié outre-Manche, faisant les Anglais riches pour plusieurs générations.

Le début de la Guerre de Cent Ans se passe ainsi dans un contexte de défaites cinglantes essuyées par l’ordre chevaleresque ancien dont toutes les références sont balayées et qui ne s’en relèvera pas. Les seigneurs féodaux, obligés de vendre leurs biens pour trouver le rare numéraire leur permettant de recouvrer la liberté, se retrouvent ruinés. Ils sont aussi déconsidérés, pour s’être montrés incapables d’assurer leur mission de défense de la population.

Au moment même où le service d’ost s’essouffle après les défaites de Crécy et de Poitiers, les rois et les princes ont le plus grand besoin de disposer de troupes permanentes, car la guerre a perdu son caractère intermittent.3

Ils s’adressent alors à des chefs de bandes et concluent avec eux des contrats à durée déterminée, renouvelables en cas de besoin. La démarche est ancienne, mais les effectifs de mercenaires étaient limités et ceux-ci avaient l’habitude de retourner dans leur pays après services rendus.

Dès avant la bataille de Poitiers et durant les années suivantes, le recrutement de mercenaires a pris des proportions qui ne seront plus maîtrisées. Il s’agit d’Anglais,

3 A son avènement, Jean le Bon a tenté de créer une véritable armée royale en lieu et place des troupes seigneuriales, peu disciplinées. Les barons, vassaux et arrière-vassaux sont intégrés dans des compagnies. Cependant cette armée est insuffisante.

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de Navarrais, de Bretons, Gascons, Allemands etc… Au moment du traité de Brétigny, en 1360, lorsque la paix rend inutiles ces troupes composées de soldoyers, c’est-à-dire de combattants rémunérés au moyen d’une solde, ceux-ci vont être débauchés sur place. Au lieu de rentrer chez eux, ces soldats vont vivre sur le pays, comme ils le faisaient en temps de guerre, en rançonnant, pillant, violant.

Ces mercenaires licenciés, livrés à eux-mêmes, se constituent en petits groupes qui fonctionnent sur le mode de sociétés secrètes. Ils ont leur hiérarchie, leurs codes, leurs règlements très stricts et obéissent fidèlement à leurs chefs aussi longtemps que ces derniers leur procurent de quoi vivre en abondance. Ils sont armés, organisés et en situation de force car les autorités du pays vont se révéler impuissantes à rétablir l’ordre. On leur donne le nom de routiers, car ils appartiennent à une route, c’est-à-dire à une troupe. Ces groupes de routiers errent dans le pays en se livrant à la mise à sac systématique des ressources locales, quand elles sont facilement accessibles. Le pouvoir central n’a pour seule ressource que de renforcer les murailles des villes et des châteaux où se réfugient les gens du plat pays. Au lendemain de la bataille de Poitiers, c’est l’anarchie qui s’installe.

Les gens de Compagnie

Matthieu Villani, dans son « Histoire de Florence » nous décrit les gens de Compagnie recrutés en 1360 par le marquis de Montferrat qui les fait venir en Italie pour lutter contre Galéas Visconti. Villani décrit des « Anglais », qui sont aussi appelés en France « les Bretons de l’Archiprêtre » sans que leur nationalité soit toujours clairement définie :

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« Ardents et cupides, familiarisés au meurtre et à la rapine, ils étaient prompts à saisir le fer, car ils se souciaient peu de leurs personnes ; mais, quand il s’agissait de combattre, ils s’empressaient d’obéir à leurs chefs, bien que dans les campements, à cause de leur audace imprudente, ils se dispersassent sans ordre, de manière à recevoir facilement de gens courageux dommage et honte.

Leur armure se composait d’une cuirasse, de brassards, de cuissards, de jambières, de dagues et d’épées solides, d’une lance, arme dont ils se servaient volontiers, même à pied, et chacun d’eux avait un ou deux pages, selon ses ressources. Aussitôt qu’ils avaient déposé leurs armes, les pages s’occupaient de les polir, de telle sorte que, au moment de la lutte, elles brillaient comme des miroirs, ce qui donnait aux guerriers un aspect plus redoutable. D’autres étaient archers, avec des arcs d’ifs et longs ; toujours prêts à obéir, ils maniaient cette arme avec une grande habileté.

En général, ils combattaient à pied et donnaient aux pages leurs chevaux à garder ; ils se formaient en files presque rondes, et tenaient la lance par le milieu, comme on le fait avec les pieux pour attendre le sanglier. Ainsi disposés et serrés, ils s’avançaient à pas lents, lances basses, contre l’ennemi en poussant des cris terribles, et il était difficile de pouvoir les rompre. Comme l’expérience le démontre, ils étaient plus propres à chevaucher de nuit et à piller qu’à tenir la campagne, plus heureux par la lâcheté des Italiens que par leur courage. Ils avaient des échelles composées de plusieurs morceaux, dont le plus grand était de trois échelons, et tous s’adaptaient l’un à l’autre à la façon d’une pompe, de manière qu’ils seraient montés sur la plus haute tour. »

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La première trace que nous ayons d’Arnaud de Cervole, dit l’« Archiprêtre » date de 1352. C’est un reçu par lequel il donne quittance au trésorier des guerres du roi pour les gages de vingt hommes d’armes et de soixante sergents à pied qu’il a tenus en sa Compagnie4. Cervole est donc un capitaine de soldoyers, semblable en cela à tous les capitaines qui servent un roi ou un prince avec un certain nombre de compagnons à leur solde, compagnons qu’ils ont eux-mêmes recrutés, d’où le nom de Compagnie.

Après la bataille de Poitiers à laquelle il a participé, Arnaud de Cervole prend à sa solde une partie de ces groupes de mercenaires que la fin des combats a laissés sans emploi. Il réunit ainsi plusieurs bandes disparates où se trouvent, à côté de soldats de métier, des asociaux, des criminels, ainsi que des petits nobles désargentés, qui vont se mettre à ses ordres. A leur tête, il mène dès 1357 ses forces armées hors de France en Provence,5 où a lieu une guerre entre différents prétendants au pouvoir. Cervole se fait payer en florins d’or les ravages qu’il commet en Provence puis se fait payer également son départ.

Après avoir mis à sac la Provence, il revient en France en rançonnant au passage le pape à Avignon « qui lui fit délivrer quarante mille écus pour départir la campagne »6. C’est à la suite de cette opération de force que fut recommencée l’édification des fortifications de la ville, telles que nous les voyons aujourd’hui.

4 Bibliothèque nationale, collection Clairembaut, vol. 26, f°1941. 5 La Provence sera annexée à la France en 1486. 6 Froissart : « Grandes chroniques de France », t.1, p. 373

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Froissart nous montre Cervole dînant chez le pape

« Quand l’Archiprestre et ses gens si eurent robé tout le pays, le pape et le clergé firent traiter à l’Archiprestre ; et vint, sur bonne condition, en Avignon et la pluspart de ses gens : et fut aussi révéremment reçu, comme s’il eût été fils au roi de France et disna plusieurs fois delez le pape et les cardinaux ; et lui furent pardonnés tous ses péchez : et au départir on lui livra quarante mille écus pour délivrer à ses compaignons. Si se départirent ses gens çà et là mais toujours tenoient la route dudit Archiprestre. »

Traduction : « Quand l’archiprêtre et ses gens eurent pillé tout le pays, le pape et le clergé proposèrent un traité à l’Archiprêtre ; et il vint, avec un sauf-conduit, en Avignon avec la plupart de ses gens ; et il fut reçu avec autant de révérence que s’il eût été fils du roi de France et dîna plusieurs fois chez le pape et les cardinaux ; et lui furent pardonnés tous ses péchés ; et à son départ, on lui donna quarante mille écus, pour les distribuer à ses compagnons. Ainsi ses gens s’éparpillèrent çà et là, mais restaient toujours aux ordre de l’Archiprêtre ».

Lorsque Cervole revient de Provence, le roi Jean le Bon le fait recommander à la comtesse Marguerite de France7, épouse du comte de Flandres8. Les terres de Marguerite, en Nivernais, sont menacées par les troupes anglaises et navarraises qui occupent le Berry et la Puisaye. Marguerite lui offre de l’argent pour ses services, mais Cervole veut un titre officiel.

7 Fille du roi Philippe le Long, femme de Louis de Mâle, comte de Nevers et de Flandre. 8 Le comte de Flandres est vassal du roi de France pour l’Artois et les Flandres.

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Le dauphin, futur Charles V, qui a pris le titre de Régent durant la captivité de son père en Angleterre, le nomme donc Conseiller et Lieutenant du roi « en toutes les parties de Berry et en Nivernois » où il arrive à la fin de l’année 1357.

Nous avons dit que les exactions des soldoyers du roi de France ne le cèdent en rien à ceux du roi d’Angleterre. A Nevers, les habitants se rebellent contre les soldats de Cervole en qui ils reconnaissent quelques-uns de ceux qui ont pillé les alentours et vont même tenir Cervole prisonnier quelques jours. Celui-ci leur promet tout ce qu’ils veulent, puis, libéré, fait massacrer bon nombre de ces bourgeois qu’il était censé protéger et décrète une lourde imposition générale à titre d’amende.

La comtesse Marguerite s’étant plainte au dauphin de ces procédés, celui-ci, en juillet 1359 accorde aux habitants de Nevers son pardon pour leur rébellion contre ce représentant de son autorité, annule les indemnités exigées par Cervole et lui retire à la fin de l’année 1359 son titre de Lieutenant général en pays du comté de Nevers et en Berry.

Le dauphin n’a pas apprécié son comportement et ne veut plus entendre parler de lui. Cervole n’est plus évoqué par la chronique pendant plus d’un an, mais il garde en otage dix forts du Nivernais9, forts dont la garnison, peuplée de ses hommes, met le pays alentours en coupe réglée. Les rapports qu’il entretient avec les Compagnies anglaises et navarraises stationnées dans les provinces voisines sont opaques. Quelques-unes sont à ses ordres car la chronique 9 Cervole, en prévision de cette sanction, avait « mis en sa main » dix forts relevant de son ancien commandement. Prétendant qu’une grande somme d’argent lui était due, il déclarait vouloir garder ces forts jusqu’à ce que satisfaction lui soit donnée.

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évoquera souvent « les bretons de l’Archiprêtre ».

En 1361, quelques mois après la fin de sa captivité en Angleterre, le roi Jean lui rend la faveur royale. En échange de seize mille royaux d’or, (seize mille florins), Cervole abandonne tous les châteaux qu’il avait pris en otage et reçoit des lettres de rémission qui le mettent, lui et cinq cents des siens, à son choix, à l’abri de toute poursuite. C’est ainsi que les choses se règleront par la suite entre Cervole et les autorités du royaume.

Arnaud de Cervole, dit l’Archiprêtre, est donc lui-même chef de Compagnie, un des chefs les plus importants, en relations suivies avec tous les autres capitaines des Compagnies. Froissart nous indique : « Il connaissait bien les compagnons, pourquoi à sa prière, on faisait bien certaines choses pour lui. »10

C’est ainsi que Cervole met ses Compagnies à la disposition du roi de France, Jean le Bon, qui utilise les gens de l’Archiprêtre ou les Bretons de l’Archiprêtre pour ses projets en rémunérant grassement leur chef. Les Anglais et les Navarrais soldent aussi leurs Compagnies ; dans l’esprit du roi, celles de Cervole lui sont nécessaires et celui-ci aura toujours son soutien.

Cependant la fortune de Cervole va tourner avec l’avènement au trône de France de Charles V, fils de Jean de Bon, en 1364. Charles V n’aime pas Cervole et ses Compagnies. Il considère qu’il l’a trahi plusieurs fois et il « éructe de rage11« à sa simple évocation.

Le comportement de Cervole à la bataille de Brignais en

10 Froissart, édit. Buchon, t. II, p. 408 11 Froissart

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1362, où la noblesse française a subi une défaite retentissante et honteuse en face des routiers, n’a pas amélioré le jugement que le dauphin porte sur lui. Cervole y conduisait ses routiers pour le roi de France, mais des collusions ont eu lieu entre routiers de bords opposés, il y a sans doute eu trahison et le rôle de Cervole dans cette affaire n’est pas clair. Il en a été de même à la bataille de Cocherel en 1364 où Cervole, au service du roi de France, a refusé de se battre avec ses Compagnies contre celles du roi de Navarre, arguant de liens personnels vis-à-vis de ses adversaires qui l’empêchaient de participer au combat.

Avant même Brignais, le roi de France, devenu conscient de l’impact catastrophique de ces Compagnies sur l’économie française, avait cependant tenté d’acheter leur départ plutôt que de risquer des batailles. Plusieurs projets ont été mis en œuvre, dès 136212, pour les emmener en Espagne. Ils s’y rendront, sans Cervole, mais en reviendront aussitôt.

Les gens de l’Archiprêtre.

En 1362, le comte de Transtamare va attirer en Espagne les Routiers, qui se font payer pour ce faire la somme de cent mille florins ; dans un traité complémentaire, le comte de Transtamare écrit : « Item, nous mettrons tout notre pouvoir, sans fraude et sans mauvais engin, à emmener avec nous hors du dit royaume l’Arceprestre et aussi à mettre hors dudit royaume tous les gens dudit Arcepestre, sans jamais y retourner pour faire guerre. ».

Le texte laisse entendre que le gouvernement royal rangeait l’Archiprêtre et ses gens dans la même catégorie que les capitaines de Brignais et leurs bandes. Cervole aurait 12 « Traité de Paris du 13 août 1362, Archives Nationales, section historique, J, carton 603, pièce 58

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été le chef occulte d’une bonne partie de ces compagnies ou, tout au moins il était reconnu comme tel. Les routiers partiront vers l’Espagne mais les uns s’arrêteront en route avant les Pyrénées et les autres en reviendront rapidement.

Dès son avènement, Charles V travaille avec le pape pour tenter d’envoyer hors de France ces Compagnies qui ravagent les campagnes et les petites villes aux défenses insuffisantes.

Seuls en effet leurs chefs peuvent décider les routiers à les suivre et le statut de Cervole, comme peut-être d’ailleurs celui de Du Guesclin, est celui d’un chef reconnu et obéi par une bonne partie de tous ces gens d’armes. C’est à ce seul titre qu’ils peuvent prétendre conduire les routiers hors de France, en leur promettant des pillages profitables ailleurs.

Un an plus tard, le roi et le pape ont payé des fortunes en florins et en francs d’or pour décider capitaines et chefs des Compagnies à faire mouvement vers d’autres cieux.

Du Guesclin, en août 1365, reçoit du Trésor royal une avance de 30 000 florins d’or « pour lui aider à mener en Grenade » les routiers qui voudraient le suivre. Passant par la Bourgogne, Avignon, puis Montpellier, il a effectivement emmené en Espagne « les Compagnies qui étaient es partie de Bretagne, de Normandie, et de chartrain, et ailleurs es basses marches »13, sur lesquels il a autorité. Un autre chef de routiers, Seguin de Badefol, qui tenait le Mâconnais, a été empoisonné à peu près au même moment par le roi de Navarre à qui il demandait de payer ce qu’il lui devait. Il s’agit donc d’un mouvement général des autorités pour mettre fin au phénomène des Compagnies.

13 Note de M. Charrière, sur la Chronique de Cuvelier. T.2, p.393

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Cette année-là, Cervole a été chargé, au début de l’été, d’emmener les troupes de routiers qui infestent l’Est de la France en croisade en Hongrie où le roi du pays aurait demandé de l’aide contre les Ottomans. Cervole, avec ses troupes, a tenté de partir vers l’est pour aller à la croisade proposée par le pape, mais les villes de Strasbourg, puis de Bâle lui ont refusé le passage du Rhin. Les routiers sont restés à proximité en vivant sur le pays.

C’est après cet échec que le pape a proposé une nouvelle croisade contre les Infidèles. Cervole est chargé de centraliser les troupes en Mâconnais.

A noter que, lorsque les troupes de Cervole convergent vers Mâcon, la décision14 du pape n’était pas encore prise entre un départ en croisade vers l’Espagne contre les Maures jusqu’à Grenade ou vers la Turquie. A la fin du mois de mars 1366, les troupes du roi de Castille Pierre le Cruel sont mises en déroute par celles du roi d’Aragon, aidées des Compagnies de Du Guesclin. Celles-ci sont payées et licenciées, ce qui signifie que le roi d’Aragon n’a plus besoin des Compagnies que Cervole aurait pu amener. Le pape accepte alors la proposition du comte Amédée de Savoie d’utiliser cette armée pour secourir le fils de l’empereur de Byzance15, Jean Paléologue et partir en croisade contre les Turcs. Il s’agit dorénavant de passer par le nord de l’Italie pour aller s’embarquer sur les galères vénitiennes ou génoises et se rendre outre mer.

On lira en encadré le témoignage du bailli de Chalon qui rend compte à son maître, le duc de Bourgogne, des

14 Grandes Chroniques de France, T.6, p.241 15 Constantinople est tombé aux mains des Turcs en 1453 et l’empereur Constantin sera tué sur la brèche au cours de l’assaut.

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mouvements engagés par les troupes de Cervole jusqu’au vingt-cinq mai 1366.16 Mais les troupes de Cervole vont arrêter brutalement leur mouvement à cette date, pour une raison que le bailli ne connaît pas encore.

Le témoignage du bailli de Chalon17 : « Pour les despens dudit bailli et de plusieurs gens d’armes et nautoniers qui estoient avec luy, faiz à Tounuz, dès le lundi XVIIIe jour du mois de may MCCCLXVI, jusque le XXVe jour dudit mois suivant, auquel lieu il fut envoiez de par Mgr le duc et y fut envoiez pour faire passer les gens d’armes des Compaignes, qui estoient au roiaulme, qui disaient qu’ils voulaient passer en l’empire et vuidier le roiaulme. »

La Saône représente la frontière orientale du royaume de France. Passer la Saône, c’est quitter celui-ci et entrer dans le Saint Empire Romain. Alors que son armée campe en attendant de faire mouvement et de passer la Saône, donc de vuidier le royaume, Arnaud de Cervole est tué à Glaizé, près de Mâcon, le 25 mai 1366 par « un cavalier de sa route18 » après l’échange de paroles injurieuses.

Nous avons vu que les tentatives pour emmener les routiers hors de France s’étaient soldées par des échecs coûteux puisqu’ils revenaient régulièrement après s’être fait payer leur départ. Il n’était pas certain, lors de cette dernière croisade, qu’ils accepteraient d’embarquer sur des galères vénitiennes avec une perspective de retour peut-être aléatoire.

16 Comptes du bailli de Chalon 17 Archives de Côte d’Or, B, 3568, f°6, v° 18 Le Parvus Thalamus, Montpellier, 1840 p. 372