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ACTION SUR LES DETERMINANTS SOCIAUX DE LA SANTE : TIRER DES ENSEIGNEMENTS DES EXPERIENCES ANTERIEURES Document de travail préparé pour la Commission des Déterminants sociaux de la santé Mars 2005 Organisation mondiale de la Santé Secrétariat de la Commission des Déterminants sociaux de la santé http://www.who.int/social_determinants/en/ Courriel : [email protected]

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ACTION SUR LES DETERMINANTS SOCIAUX DE LA SANTE : TIRER DES ENSEIGNEMENTS DES EXPERIENCES ANTERIEURES

Document de travail préparé pour la Commission des Déterminants sociaux de la santé

Mars 2005

Organisation mondiale de la Santé Secrétariat de la Commission des Déterminants sociaux de la santé

http://www.who.int/social_determinants/en/ Courriel : [email protected]

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Commission des Déterminants sociaux de la Santé

Le présent document a été préparé pour la première réunion de la Commission des Déterminants sociaux de la Santé, par l’Equipe d’Equité en matière de Santé de

l’OMS, Bureau de l’Assistant au Directeur général, Module des Preuves et Informations pour les Politiques, OMS, Genève. Les principaux rédacteurs sont Alec

Irwin et Elena Scali. Des contributions précieuses ont été fournies par les autres membres du secrétariat de la Commission, en particulier Jeanette Vega et Orielle

Solar. Toute erreur ne peut être imputée qu’aux rédacteurs principaux.

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TABLE DES MATIERES RESUME ANALYTIQUE…………………………………………………………….. 4 LISTE DES ABREVIATIONS………………………………………………………… 7 INTRODUCTION…………………………………………………………………….. 8 1. APERCU HISTORIQUE…………………………………………………………… 10

1.1. Fondements d’une approche sociale de la santé……………………… 10 1.2. Les années 1950 : accent sur les campagnes axées sur les

technologies de la santé et les campagnes ciblées spécifiquement sur les maladies……………………………………………………………….

1.3. Les années 1960 et le début des années 1970 : l’émergence des approches à assise communautaire……………………………………...

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1.4. La cristallisation d’un mouvement : Alma-Ata et les soins de santé primaires……………………………………………………………………

14

1.5. Au lendemain d’Alma-Ata : « Une bonne santé à peu de frais »……. 16 1.6. L’émergence des soins de santé primaires sélectifs ………………...... 23 1.7. Le contexte politico-économique des années 1980 : le néo-

libéralisme………………………………………………………………… 26

1.8. Les années 1990 et au-delà : contestation des paradigmes et changement des rapports de pouvoir…………………………………...

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1.8.1. Débats sur le développement et la mondialisation………………. 30 1.8.2. Signaux mitigés en provenance de l’OMS………….…... 31 1.8.3. Les approches DSS au niveau des pays……………………...….. 33

1.9. Les années 2000 : dynamique croissante et nouvelles opportunités... 44 2. LE PASSAGE AU NIVEAU SUIVANT : LA COMMISSION DES

DETERMINANTS SOCIAUX DE LA SANTE………………………………… 46

2.1. Buts de la CDSS………………………………………………………... 46 2.2. Questions clés pour la CDSS…………………………………………. 47

2.2.1. L’ampleur du changement : définition des points d’entrée……….. 47 2.2.2. Anticipation d’une résistance potentielle aux messages de la

CDSS – et préparation stratégique……………………………….. 52

2.2.3. Identification des alliés et des opportunités politiques……………. 58 2.2.4. Preuves, processus politiques et « scénario » de la CDSS………... 64

CONCLUSION………………………………………………………........................... 65 REFERENCES………………………………………………………............................. 69

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RESUME ANALYTIQUE

Aujourd’hui, il existe une opportunité sans précédent pour améliorer la santé dans certaines des communautés les plus pauvres et les plus vulnérables au monde. Elle consiste à s’attaquer aux causes fondamentales de la maladie et des inégalités en matière de santé. Les plus puissantes de ces causes sont les conditions sociales dans lesquelles les gens vivent et travaillent, dénommées les déterminants sociaux de la santé (DSS). Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) définissent l’actuel programme de développement mondial. Les OMD reconnaissent l’interdépendance de la santé et des conditions sociales et offrent une opportunité pour promouvoir les politiques sanitaires qui s’attaquent aux causes sociales des souffrances humaines injustes et évitables. La Commission des Déterminants sociaux de la santé (CDSS) s’est engagée à prendre la direction de ce processus. Toutefois, en vue d’atteindre ses objectifs, la CDSS doit tirer parti des expériences des tentatives antérieures pour pouvoir talonner l’action sur les DSS. Le présent document vise à répondre aux trois questions suivantes : 1) Pourquoi les efforts précédents visant à promouvoir les politiques sanitaires concernant les déterminants sociaux de la santé ont-ils échoué ? 2) Pourquoi estimons-nous que la CDSS peut faire mieux ? 3) Que peut apprendre la Commission des expériences antérieures – négatives ou positives – qui puisse accroître ses chances de réussite ? Fermement affirmées dans la Constitution de l’OMS de 1948, les dimensions sociales de la santé ont été éclipsées au cours de l’ère ultérieure de la santé publique qui a été dominée par les programmes verticaux basés sur la technologie. Les déterminants sociaux de la santé et la nécessité d’une action intersectorielle destinée à leur prise en charge ont fortement refait surface dans le Mouvement de la Santé pour Tous sous la houlette de Halfan Mahler. L’action intersectorielle sur les DSS était au cœur du modèle des soins de santé primaires complets proposé pour alimenter le programme de la Santé pour Tous, suite à la conférence d’Alma-Ata en 1978. Au cours de cette période, certains pays à faible revenu ont fait des progrès importants en améliorant les statistiques de la santé des populations par le biais d’approches impliquant une action sur les déterminants sociaux clés. Mais, rapidement, une version réduite des soins de santé primaires, dénommée « soins de santé primaires sélectifs » a pris de l’influence. Le modèle des soins de santé primaires sélectifs mettait l’accent sur un petit nombre d’interventions efficaces en termes de coûts et accordait peu d’importance à la dimension sociale. L’exemple le plus important de soins de santé primaires sélectifs a été la stratégie GOBI (suivi de la croissance, réhydratation par voie orale, allaitement maternel et vaccination) promue par l’UNICEF dans sa « révolution pour la survie de l’enfant ». La différence d’approche entre les SSP complets et les SSP sélectifs pose des questions stratégiques pour la CDSS. A l’instar des autres aspects des soins de santé primaires, l’action sur les déterminants a été affaiblie par le consensus économique et politique néolibéral dominant dans les années 1980 et au-delà, avec son accent sur la privatisation, la déréglementation, la réduction du rôle des Etats et l’ouverture des marchés. Sous

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l’ascendant prolongé des variantes du néo-libéralisme, les actions de l’Etat visant à améliorer la santé par le biais de la prise en compte des inégalités sociales sous-jacentes se sont révélées non faisables dans beaucoup de contextes. Les années 1990 ont été marquées par l’influence grandissante de la Banque mondiale dans la politique de santé mondiale, avec des messages contradictoires en provenance de l’OMS. Toutefois, au cours de cette période, des progrès scientifiques importants ont été réalisés en matière de compréhension des DSS, si bien que vers la fin des années 1990, plusieurs pays, en particulier en Europe, ont commencé à concevoir et mettre en œuvre des politiques sanitaires innovantes pour améliorer la santé et réduire les inégalités en matière de santé par le biais d’actions sur les DSS. Ces politiques ciblaient différents points d’entrée. Les plus ambitieuses visaient à modifier les régimes d’inégalités dans la société au moyen de mécanismes redistributeurs de portée étendue. Moins radicaux, les programmes palliatifs visaient à protéger les populations défavorisées contre des formes spécifiques de risque et de vulnérabilité liés à leur faible statut socioéconomique. Les années 2000 ont été marquées par un changement d’orientation dans la politique de santé mondiale. La santé figure plus que jamais au premier rang des préoccupations de développement internationales et les parties prenantes reconnaissent de plus en plus le caractère inapproprié des stratégies de santé qui omettent de tenir compte des causes sociales de la maladie et du bien-être. La dynamique pour une action sur les dimensions sociales de la santé est en cours de formation. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement ont été adoptés par 189 pays lors du Sommet du Millénaire organisé par les Nations Unies en 2000. Ils fixent des objectifs ambitieux concernant l’élimination de la pauvreté et de la faim ; l’éducation ; l’autonomisation des femmes ; la santé infantile ; la santé maternelle ; la lutte contre les épidémies ; la protection de l’environnement ; et le développement d’un partenariat mondial équitable, objectifs devant être atteints à l’horizon 2015. Les OMD ont créé un climat favorable pour une action multisectorielle et ils ont mis en exergue les rapports entre la santé et les facteurs sociaux. Un nombre croissant de pays mettent en œuvre les politiques DSS, mais il est urgent d’étendre cette dynamique aux pays en développement dans lesquels les effets des DSS sont les plus dévastateurs pour le bien-être des gens. C’est dans ce contexte que la CDSS entamera ses travaux. Sur la base de l’enquête historique, quatre domaines clés sont mis en exergue dans lesquels les membres de la CDSS doivent prendre des décisions stratégiques au début de leur processus. 1) La première concerne l’ampleur du changement que la Commission cherchera à promouvoir et les points d’entrée appropriés en matière de politique. A ce niveau, la CDSS aura à faire face à sa propre version du choix entre les soins de santé complets et les soins de santé sélectifs, choix auquel étaient confrontés les responsables de la santé publique dans les années 1980. La CDSS aura besoin de critères d’évaluation pour identifier les points d’entrée appropriés en matière de politique pour les divers pays/partenaires. 2) Une résistance potentielle aux messages de la CDSS peut être anticipée de la part de différents partenaires, avec lesquels la Commission devrait chercher à s’engager de manière proactive. La

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Commission aura besoin d’identifier un ensemble de « gains rapides » pour elle-même et pour les dirigeants politiques nationaux qui adoptent un programme DSS. Les membres de la Commission auront besoin de développer une stratégie pour le dialogue avec les institutions financières internationales, en particulier la Banque mondiale. 3) La CDSS tirera aussi parti des opportunités politiques exceptionnelles. En effet, elle se positionnera au sein des processus nationaux et mondiaux liés aux OMD. Des alliances avec la communauté des affaires et la société civile sont possibles, mais les intérêts rivaux devront être contrôlés. L’opportunité et les limites des arguments économiques en faveur des politiques DSS restent à être clarifiées, et ces arguments soulèvent des questions de déontologie plus importantes. 4) En plus de preuves solides, la Commission a besoin d’un « scénario » convaincant et d’une appropriation collective des déterminants sociaux de la santé, «scénario» dans lequel les preuves peuvent être intégrées et communiquées. Quelle histoire la CDSS veut-elle raconter à propos des conditions sociales et du bien-être des gens ? Grâce aux réponses à ces questions, la Commission prendra la tête d’un effort mondial pour protéger les familles vulnérables et garantir la santé des générations futures en s’attaquant à la maladie et à la souffrance au niveau de leurs racines.

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LISTE DES ABREVIATIONS

AIS : Action intersectorielle pour la santé CBHP : Programmes de santé à assise communautaire CCSS : Caja Costarricense del Seguro Social (Costa Rica) CDSS : Commission des déterminants sociaux de la santé CMS : Commission sur la Macroéconomie et la santé DSRP : Document de stratégie de réduction de la pauvreté DSS : Déterminants sociaux de la santé E.-U. : Etats-Unis d’Amérique FMI : Fonds monétaire international G-8 Groupe des 8 pays les plus industrialisés GHLC : Good Health at low cost (Fondation Rockefeller) GOBI: Suivi de la croissance, réhydratation par voie orale, allaitement

maternel, vaccination. IFI: Institutions financières internationales MS: Ministère de la Santé OMC: Organisation mondiale du Commerce OMD: Objectifs du Millénaire pour le Développement OMS: Organisation mondiale de la Santé ONG: Organisation non gouvernementale ONU: Organisation des Nations Unies PAS: Programme d’ajustement structurel PPTE: Initiative Pays Pauvres Très Endettés PSR: Programme de santé rural (Costa Rica) RSS : Réforme du secteur de la santé R-U : Royaume-Uni SPT : Santé pour Tous SSP : Soins de santé primaires SSPS : Soins de santé primaires sélectifs UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’Enfance WHA : Assemblée mondiale de la santé ZAS : Zone d’action sanitaire

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ACTION SUR LES DETERMINANTS SOCIAUX DE LA SANTE : TIRER DES ENSEIGNEMENTS DES EXPERIENCES ANTERIEURES

INTRODUCTION Aujourd’hui, la santé figure au premier plan des préoccupations de développement internationales, et les inégalités en matière de santé entre et au sein des pays ont fini par figurer au cœur des intérêts de la communauté internationale i, ii, iii, iv. Une opportunité sans précédent existe pour améliorer la santé de certaines des communautés les plus pauvres et les plus vulnérables au monde – si des approches sont choisies qui soient à même de s’attaquer aux causes réelles des problèmes de santé. Les plus puissantes de ces causes sont les conditions sociales dans lesquelles les gens vivent et travaillent, lesquelles sont connues sous le nom de déterminants sociaux de la santé (DSS). Les déterminants sociaux reflètent la situation de différentes personnes dans « l’échelle » sociale du statut, du pouvoir et des ressources. Les événements montrent que la plus grande partie du fardeau mondial des maladies et l’ensemble des inégalités en matière de santé sont causés par les déterminants sociaux v, vi. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) reconnaissent cette interdépendance entre la santé et les conditions sociales. Le cadre des OMD montre que, à moins de réaliser des progrès substantiels en matière de réduction de la pauvreté, de sécurité alimentaire, d’autonomisation des femmes et d’amélioration des conditions de vie dans les bidonvilles, beaucoup de pays ne pourront pas atteindre les objectifs relatifs à la santé vii, viii. Et si aucun progrès n’est réalisé en matière de santé, les autres OMD resteront aussi hors d’atteinte. Aujourd’hui, un programme de développement international défini par les OMD fournit une opportunité déterminante pour promouvoir les politiques sanitaires qui s’attaquent aux causes sociales des souffrances humaines injustes et évitables. La Commission des Déterminants sociaux de la Santé (CDSS) s’est engagée à se placer à la tête de ce processus. Mais, en vue d’atteindre ses objectifs, la CDSS doit tirer des enseignements de l’histoire. Dans les années 1970 et 1980, la stratégie mondiale de la Santé pour Tous mettait l’accent sur la nécessité de tenir compte des déterminants sociaux, mais ces recommandations étaient rarement traduites en politiques effectives. De forts messages concernant les DSS ont refait surface au milieu des années 1990, mais une fois encore, la mise en œuvre des politiques a peu prospéré dans les pays en développement dans lesquels les besoins sont les plus considérables. Il est essentiel de comprendre les raisons de ces frustrations pour pouvoir planifier une stratégie efficace pour la CDSS. En guise d’apport au processus d’élaboration de cette stratégie, le présent document vise à mettre en exergue les trois questions voisines suivantes :

1. Pourquoi les efforts précédents visant à promouvoir les politiques sanitaires concernant les déterminants sociaux ont-ils échoué ?

2. Pourquoi estimons-nous que la CDSS peut faire mieux ?

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3. Que peut apprendre la Commission des expériences antérieures – négatives ou positives – qui puisse accroître ses chances de réussite ?

La première partie de la présente étude passe en revue les plus grands efforts précédents qui ont tenté de tenir compte des déterminants sociaux, et elle met un accent sur les contextes politiques qui ont marqué ces efforts. La deuxième partie identifie une série de questions stratégiques clés sur la base des antécédents et elle définit les facteurs devant permettre à la CDSS de favoriser une action efficace. La question de la terminologie nécessite d’être clarifiée au départ. L’un des principaux messages de la Commission est que les politiques et les interventions qui vont bien au-delà du secteur sanitaire traditionnel devraient être interprétées comme faisant partie d’une solide politique sanitaire. « Politique sanitaire » n’est pas l’équivalent de « politique de soins de santé ». Dans les pages qui suivent, des termes comme « politiques DSS » et « approches DSS » sont utilisés comme une sténographie qui permet de gagner du temps. Ces termes renvoient aux politiques de santé qui tiennent compte des déterminants sociaux de la santé.

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1. APERCU HISTORIQUE 1.1. Fondements d’une approche sociale de la santé La reconnaissance du fait que les facteurs sociaux et environnementaux ont une influence déterminante sur la santé des gens est ancienne. Les campagnes d’assainissement du 19e siècle et la plus grande partie du travail des pères fondateurs de la santé publique moderne traduisaient la prise de conscience du puissant rapport existant entre le rang social des gens, leurs conditions de vie et leurs résultats en matière de santé. Rudolf Virchow (1821-1902) a posé la question : « Ne trouvons-nous pas chaque fois que les maladies de la population sont dues aux imperfections de la société ? ix » Des recherches épidémiologiques récentes ont confirmé la place centrale que les facteurs sociaux et environnementaux occupent dans les principaux progrès en santé des populations qui ont été enregistrés dans les pays industrialisés à partir du début du 19e siècle. Les analyses de McKeown ont révélé que la plus grande partie de l’importante réduction contemporaine de la mortalité due aux maladies infectieuses comme la tuberculose s’est effectuée avant la mise au point de thérapies médicales efficaces. En fait, les principaux moteurs de la réduction de la mortalité étaient les changements de régimes alimentaires et des conditions de vie x. La Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, élaborée en 1946, montre que les fondateurs de l’Organisation voulaient que l’OMS aborde les causes sociales des problèmes de santé, ainsi que les défis de fournir des soins médicaux curatifs efficaces. La Constitution donne la célèbre définition suivante que la santé « est un état de complet bien-être physique, mental et social » (non souligné dans le texte), identifiant le but de l’Organisation comme étant « d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible » de cet état xi. Les fonctions principales de l’Organisation sont, entre autres, de travailler avec les Etats membres et les organisations spécialisées compétentes « pour favoriser… l’amélioration de la nutrition, du logement, de l’assainissement, des loisirs, des conditions économiques et de travail, ainsi que de tous les autres facteurs de l’hygiène du milieu », comme requis pour réaliser des progrès en matière de santé. La Constitution de l’OMS prévoit ainsi une intégration bénéfique des approches à la santé biomédicales/technologiques et sociales, bien que cette unité ait souvent été impossible à réaliser au cours de l’histoire ultérieure de l’Organisation. 1.2. Les années 1950 : accent sur les campagnes axées sur les technologies de la

santé et les campagnes ciblées spécifiquement sur les maladies La Constitution de l’OMS prévoit une place pour un modèle de la santé lié à de grands engagements concernant les droits humains. Toutefois, le contexte de l’après Deuxième guerre mondiale marqué par la Guerre froide et la décolonisation a entravé la mise en œuvre de cette vision et favorisé une approche basée plus sur les technologies de la santé réalisées par le biais de campagnes comportant une empreinte « militariste » xiii. Plusieurs facteurs historiques ont favorisé cette démarche. L’un de ces facteurs était la série des principaux progrès de la recherche sur les médicaments qui ont produit une kyrielle de nouveaux antibiotiques, vaccins

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et autres médicaments pendant cette période, instillant aux professionnels de la santé et au grand public le sentiment que la technologie détenait la réponse aux problèmes de santé du monde. Cet essor a aussi suscité la monté de l’industrie pharmaceutique moderne, appelée à devenir non seulement une source de profits scientifiques, mais aussi une force politique dont le pouvoir de pression a de plus en plus infléchi les politiques de santé aux niveaux national et international. L’autre changement majeur intervenu dans le contexte politique était le retrait temporaire de l’Union soviétique et d’autres pays communistes des Nations Unies et des organisations spécialisées de l’ONU en 1949. Suite au retrait de l’Union soviétique, les organisations de l’ONU, dont l’OMS, ont été plus fortement soumises à l’influence des Etats-Unis d’Amérique. Malgré le rôle clé des Etats-Unis d’Amérique dans la formulation de la Constitution de l’OMS, les responsables américains étaient à l’époque réticents à privilégier un modèle social dont les contours idéologiques n’étaient pas appréciés dans le contexte de la guerre froide. Pendant cette période et par la suite, les modèles de soins de santé dans le monde en développement ont été influencés par la dynamique du colonialisme. Les systèmes de santé créés dans les régions d’Afrique et d’Asie colonisées par les puissances européennes s’intéressaient presque exclusivement aux élites coloniales et étaient focalisées sur les soins curatifs de haute technologie dans une poignée d’hôpitaux urbains. Peu d’intérêt était accordé à la santé publique en général et aux quelques services s’occupant des habitants des bidonvilles ou des zones rurales. Beaucoup d’anciennes colonies ont accédé à l’indépendance dans les années 1950 et 1960 et institué leurs propres systèmes nationaux de santé. Malheureusement, ces systèmes étaient souvent calqués sur les modèles qui existaient à l’époque coloniale. Sur le papier, les stratégies de santé d’après les indépendances reconnaissaient la nécessité d’étendre les services aux populations rurales et défavorisées ; mais en pratique, la majorité des financements publics et des financements des donateurs internationaux destinés à la santé continuait à bénéficier aux établissements de soins curatifs basés dans les villes. Au cours de cette période, certains pays à faible revenu ayant récemment accédé à l’indépendance dépensaient plus de la moitié de leur budget national de santé à faire fonctionner un ou deux luxueux « palais de santé » - des hôpitaux de haute technologie dotés des équipements dernier cri, avec un personnel composé de médecins formés en Occident et se préoccupant des besoins de santé de l’élite urbaine xiv. Au cours de cette période, la santé publique internationale se caractérisait par la prolifération de programmes « verticaux » - campagnes étroitement circonscrites, mues par la technologie et ciblant des maladies spécifiques comme le paludisme, la variole, la TB et le pian. Ces programmes étaient considérés comme étant très efficaces, et dans certains cas, ils offraient l’avantage de comporter des cibles aisément mesurables (nombre de vaccinations réalisées, etc.). Mais, de par leur nature, ils avaient tendance à ignorer le contexte social et son rôle en matière de réalisation du bien-être ou de survenue de la maladie. A l’instar des soins de santé centrés sur l’hôpital, ils avaient tendance à ignorer les plus importants problèmes de santé de la majorité de la population (en particulier les ruraux pauvres). Les

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campagnes verticales initiées pendant cette période ont produit une poignée de réussites notoires dont l’éradication de la variole. Toutefois, les limites de cette approche ont été mises au jour par des échecs comme la campagne OMS/UNICEF pour l’élimination du paludisme dans le monde. La campagne anti-paludisme, lancée au milieu des années 1950, tablait une fois de plus sur la technologie – en l’occurrence la pulvérisation à grande échelle de l’insecticide DDT pour tuer les vecteurs que sont les moustiques. Ce gigantesque programme s’est avéré un échec coûteux xv. 1.3. Les années 1960 et le début des années 1970 : l’émergence des approches à

assise communautaire A partir du milieu des années 1960, il était évident dans plusieurs régions du monde que les modèles de santé publique dominants ne satisfaisaient pas aux besoins les plus urgents des populations pauvres et défavorisées (la majorité des populations des pays en développement). Par la force des choses, les communautés locales et les agents de soins de santé ont cherché des alternatives aux campagnes anti-maladies verticales et à l’accent mis sur les soins curatifs basés dans les centres urbains. C’est ainsi qu’est né un intérêt nouveau pour les dimensions sociale, économique et politique de la santé. Pendant les années 1960 et au début des années 1970, les agents de santé et les animateurs communautaires dans un certain nombre de pays ont uni leurs forces pour inaugurer ce qui a fini par s’appeler les programmes de santé à assise communautaire (CBHP) 14. Ces initiatives privilégiaient la participation communautaire et l’autonomisation des communautés dans la prise de décisions de santé et elles plaçaient leurs efforts dans un cadre de droits humains qui liait la santé aux besoins plus généraux d’ordre économique, social, politique et environnemental. L’importance de la technologie médicale de haut de gamme était minimisée, ainsi que la confiance aux professionnels de la santé chevronnés. Au lieu de cela, l’on a pensé que des agents de santé communautaires recrutés localement pouvaient, avec une formation limitée, assister leurs voisins à faire face à la majorité des problèmes de santé courants. L’éducation pour la santé et la prévention des maladies figuraient au cœur de ces stratégies. Les agents de santé ruraux de Chine (connus sous le nom de « médecins aux pieds nus ») étaient l’exemple le plus célèbre. C’était « un déploiement divers d’agents de santé villageois qui vivaient au sein des communautés qu’ils servaient, privilégiaient les soins de santé ruraux et non urbains, les services de soins préventifs plutôt que curatifs et associaient les médecines occidentale et traditionnelle xvi». Les initiatives à assise communautaire ont aussi prospéré au Bangladesh, au Costa Rica, au Guatemala, en Inde, au Mexique, au Nicaragua, aux Philippines, en Afrique du Sud et dans d’autres pays. Dans certains cas, ces initiatives tenaient directement compte non seulement des déterminants sociaux et environnementaux de la santé, mais aussi des questions sous-jacentes que sont les structures politico-économiques et les rapports de pouvoirs. Dans certains pays d’Amérique latine, les méthodes de sensibilisation et d’information de l’éducateur brésilien Paulo Freire ont été adaptées

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à l’éducation et à la promotion de la santé. Aux Philippines, certains groupes appliquaient « l’analyse structurale » à assise communautaire par laquelle les membres de la communauté identifiaient les causes sociales et politiques de leurs problèmes de santé. « Ces méthodologies d’autonomisation sont devenues les outils servant à aider les groupes de personnes défavorisées à réaliser un ‘diagnostic communautaire’ de leurs problèmes de santé, analyser la multiplicité des causes et planifier des actions correctives stratégiques » par des voies novatrices. 14 En Amérique centrale, en Afrique du Sud et aux Philippines, des alliances libres composées de programmes de santé à assise communautaire se sont progressivement transformées en mouvements sociaux associant les programmes de santé, de justice sociale et des droits de l’homme. Werner et Sanders affirment que dans plusieurs cas (le renversement du régime dictatorial de Somoza au Nicaragua, la résistance au régime d’apartheid en Afrique du Sud ainsi que l’affaiblissement et la chute effective du régime autoritaire de Ferdinand Marcos aux Philippines), les mouvements de santé à assise communautaire ont contribué à jeter les bases du changement politique et du renversement effectif des régimes despotiques. 14 En revanche, Cueto affirme que les mouvements anti-impérialistes qui ont existé dans beaucoup de pays en développement et l’érosion du prestige des Etats-Unis d’Amérique suite aux revers enregistrés au Vietnam ont aidé à créer les conditions favorables à l’émergence mondiale de ces modèles de santé parallèles au cours de la fin des années 1960. 16 Des expériences de CBHP qui, au départ, étaient indépendantes, locales ou nationales, ont fini par acquérir un profil international croissant et une autorité cumulée au début des années 1970. Certaines ONG et organisations missionnaires internationales, en particulier la Christian Medical Commission, ont joué un rôle important en promouvant les modèles à assise communautaire sur le terrain et en disséminant l’information concernant leur réussite. xvii Dès le début des années 1970, on s’est rendu de mieux en mieux compte que les approches des soins de santé mues par la technologie n’avaient par pu améliorer considérablement la santé des populations dans beaucoup de pays en développement, alors que des résultats positifs étaient enregistrés dans certaines localités grâce aux programmes à assise communautaire. Certains intellectuels de renom, des planificateurs en santé publique et des experts en développement ont commencé à plaider en faveur de l’adoption générale d’une approche de la santé qui soit documentée par les pratiques et les priorités des programmes CBHP. Au nombre de ces personnalités, l’on comptait des dirigeants de l’OMS. En 1975, Lenneth Newel, Directeur de la Division du Renforcement des Services de Santé à l’OMS, a publié l’ouvrage intitulé Health by the People, qui présente des histoires à succès concernant une série d’initiatives de santé à assise communautaire lancées en Afrique, en Asie et en Amérique latine. L’ouvrage préconise une prise en compte très forte des dimensions sociales de la santé, affirmant que : « Nous disposons d’études qui démontrent que beaucoup parmi les ‘causes’ des problèmes de santé courants proviennent des couches de la société même et qu’une approche sectorielle stricte de la santé est inefficace ; en outre, d’autres actions étrangères au domaine de la santé ont peut-être plus d’effets que les interventions sanitaires au sens strict xviii». La même année, l’OMS et l’UNICEF publiaient un rapport commun faisant l’examen d’Approches nouvelles pour satisfaire

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les besoins en santé essentiels dans les pays en développement. Le rapport soulignait les échecs des programmes verticaux anti-maladies qui tablaient sur les solutions technologiques et ignoraient l’appropriation par les communautés. Le rapport mettait l’accent sur le fait que les facteurs sociaux comme la pauvreté, un logement inapproprié et l’analphabétisme étaient les causes véritables qui sous-tendent les causes immédiates de morbidité dans les pays en développement xix. Cette nouvelle approche de l’action sanitaire a trouvé un puissant champion en la personne de Halfdan Mahler, médecin danois et vétéran de la santé publique qui devint Directeur général de l’OMS en 1973. Mahler était un dirigeant charismatique ayant des convictions morales profondes pour qui « la justice sociale était un saint mot ». xx Il était révolté par les inégalités mondiales en matière de santé et par les souffrances évitables qu’enduraient des millions de pauvres et de personnes marginalisées. Ayant participé à des campagnes verticales anti-maladies en Amérique latine et en Asie, Mahler était convaincu que ces approches ne pouvaient pas résoudre les problèmes de santé les plus importants, et qu’un accent excessif sur les technologies curatives dénaturait beaucoup de systèmes de santé dans les pays en développement. Concomitamment à l’expansion des services de soins de santé essentiels en faveur des communautés défavorisées, il était nécessaire d’engager une action pour aborder les déterminants non médicaux afin de résorber les inégalités en matière de santé et atteindre l’objectif de la « Santé pour Tous d’ici l’an 2000 », comme l’avait proposé Mahler à l’Assemblée mondiale de la Santé de 1976. « La Santé pour tous », avait-il déclaré, « implique la levée des obstacles à la santé – c’est-à-dire, l’élimination de la malnutrition, de l’ignorance, de l’eau de boisson contaminée et des logements insalubres – presque qu’autant que le fait la solution des problèmes purement médicaux xxi». 1.4. La cristallisation d’un mouvement : Alma-Ata et les soins de santé primaires Ce nouveau programme prit la vedette à la Conférence internationale sur les soins de santé primaires parrainée par l’OMS et l’UNICEF à Alma-Ata au Kazakhstan en septembre 1978. 3000 délégués provenant de 134 pays et 67 organisations internationales ont pris part à la conférence d’Alma-Ata qui est devenue un événement marquant dans l’histoire de la santé publique moderne. La déclaration de la conférence adoptait l’objectif de Mahler de la « Santé pour Tous d’ici l’An 2000 », avec pour moyen les soins de santé primaires (SSP). L’adoption de la stratégie SPT/SSP a marqué la résurgence énergique des déterminants sociaux comme préoccupation de santé publique. Le modèle SSP tel que formulé à Alma-Ata « affirme explicitement la nécessité d’adopter une stratégie de santé exhaustive qui, non seulement fournit des services de santé », mais en plus, aborde les « causes sociales, économiques et politiques sous-jacentes de la mauvaise santé » (souligné dans le texte)14. Beaucoup d’éléments de l’approche SSP ont été formulés par le modèle chinois des « médecins aux pieds nus » et d’autres expériences de santé à assise communautaire accumulées au cours de la décennie précédente. La déclaration d’Alma-Ata présentait les SSP dans un double éclairage. D’une part, en tant que niveau de soins

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fondamental au sein d’un système de santé reconfiguré pour privilégier les besoins de santé essentiels de la majorité, les SSP étaient « le premier niveau de contacts des individus, de la famille et de la communauté avec le système national de santé xxii». Mais les SSP étaient aussi une philosophie du travail sanitaire en tant que volet du « développement social et économique général de la communauté 14». Cueto identifie trois principes clés de la philosophie des SSP. La première est « la technologie appropriée » : c’est-à-dire l’engagement à transférer les ressources de santé des hôpitaux urbains pour satisfaire les besoins essentiels des populations rurales et des populations défavorisées. La deuxième est une « critique de l’élitisme médical », impliquant un recours réduit aux médecins et aux infirmiers hautement spécialisés et une mobilisation accrue pour que les membres de la communauté assument des responsabilités en matière de travail sanitaire. La troisième composante essentielle des SSP est une association explicite entre la santé et le développement social. « Le travail sanitaire était perçu non pas comme une intervention isolée et de courte durée, mais comme volet d’un processus d’amélioration des conditions de vie » 16. Logiquement, les SSP incluaient, entre autres piliers, l’action intersectorielle en vue d’aborder les déterminants sociaux et environnementaux de la santé. La déclaration d’Alma-Ata précisait que les SSP « font intervenir, outre le secteur de la santé, tous les secteurs et domaines connexes du développement national et communautaire, en particulier l’agriculture, l’élevage, la production alimentaire, l’industrie, l’éducation, le logement, les travaux publics et les communications, et requièrent l’action coordonnée de tous ces secteurs». Pendant le règne de Mahler, l’OMS a reconfiguré son organigramme et une importante partie de son programme autour de la Santé pour Tous au moyen des SSP. Ainsi, le travail sanitaire, dans le cadre de l’objectif SPT, intégrait régulièrement, du moins en théorie, une intervention intersectorielle pour tenir compte des déterminants sociaux et environnementaux de la santé. Pendant les années 1980, à mesure que la dynamique axée sur la SPT se développait, le concept d’action intersectorielle pour la santé (AIS) prit de plus en plus d’importance, et une unité spéciale fut créée au sein de l’OMS pour s’attaquer à ce thème. En 1986, l’OMS et la Fondation Rockefeller ont co-parrainé une consultation majeure sur l’AIS au Centre de Conférences Bellagio xxiii de cette Fondation, et des discussions techniques sur l’AIS ont eu lieu à la 39e Assemblée mondiale de la Santé. Les débats de l’Assemblée mondiale de la Santé (WHA) comprenaient des groupes de travail sur les inégalités en matière de santé, l’agriculture, la production alimentaire et la nutrition ; l’éducation, la culture, l’information et les styles de vie ; et l’environnement, y compris l’eau et l’assainissement, l’habitat et l’industrie. xxiiv A partir du milieu des années 1980, les DSS ont aussi fait l’objet d’un intérêt accru dans le mouvement naissant de promotion de la santé. La Première Conférence Internationale sur la Promotion de la Santé – co-parrainée par l’Association canadienne de la Santé publique, le Ministère canadien de la Santé et du Bien-Etre et l’OMS – s’est tenue à Ottawa en novembre 1986. La conférence a adopté la Charte d’Ottawa sur la Promotion de la Santé, qui identifie huit déterminants clés (« prérequis ») de la santé : la paix, un abri, l’éducation, la nourriture, un revenu, un

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écosystème stable, des ressources durables, la justice sociale et l’équité. L’on a souligné que ce large éventail de facteurs favorisants fondamentaux ne pouvaient pas être abordés uniquement par le secteur de la santé, mais qu’il nécessitaient une action concertée de la part des diverses administrations de l’Etat, ainsi que de la part des organisations non gouvernementales et bénévoles, du secteur privé et des médias

xxv. A la suite d’Ottawa, une série de conférences internationales de promotion de la santé ont amplifié les messages contenus dans la Charte et cherché à former un mouvement durable xxvi. 1.5. Au lendemain d’Ama-Ata : « Une Bonne santé à peu de frais » Les années qui ont suivi la Conférence d’Alma-Ata n’étaient pas en général favorables au progrès de la santé dans les communautés pauvres et marginalisées, pour les raisons que nous examinerons plus bas. Toutefois, un certain nombre de pays en développement sont devenus des exemples de bonne pratique pendant cette période. Ils ont pu améliorer leurs indicateurs sanitaires et renforcer l’équité par le truchement de programmes dans lesquels l’action intersectorielle sur les déterminants de la santé occupait une place prépondérante. « Une Bonne santé à peu de frais » (GHLC) était le thème d’une conférence parrainée par la Fondation Rockfeller en avril-mai 1985. Les actes de la conférence qui ont été publiés sont devenus une référence majeure pour les débats sur le point de savoir comment stimuler des améliorations durables en matière de santé dans les pays en développement.xxvii La conférence a examiné minutieusement le cas de trois pays (Chine, Costa Rica et Sri Lanka) et d’un Etat de l’Inde (Kerala) qui avaient réussi à obtenir des résultats plutôt bons en matière de santé (tels que mesurés par les statistiques concernant l’espérance de vie et la mortalité infantile), malgré leur faible PIB et la modicité de leurs dépenses de santé par tête d’habitant, en comparaison avec les pays à revenu élevé. Les cas de GHLC sont encore très cités lorsque les analystes souhaitent donner des exemples de progrès en matière de santé dans les pays en développement, et en particulier pour montrer comment la politique, dans les secteurs non sanitaires, peut améliorer la situation de la santé. La question de savoir quels facteurs ont le plus contribué au succès de ces pays a continué à préoccuper ces analystes – de même que la question connexe portant sur le point de savoir pourquoi les autres pays, aux niveaux de revenu similaires, ont en tant de difficultés à répliquer ces réalisations. Une génération plus tard, les questions soulevées dans « Une Bonne santé à peu de frais » restent pertinentes, et il convient certainement d’examiner en profondeur certaines des stratégies mises en œuvre par deux pays GHLC, stratégies qui ont aidé à réaliser leur statut de modèle de bonne pratique. Nous étudions ci-après deux pays GHLC et un troisième pays, Cuba, qui ne faisait pas partie de l’étude, mais qui a mis en œuvre des politiques de santé publique similaires. Notre objectif particulier est d’examiner comment ces pays ont utilisé les politiques intersectorielles abordant les déterminants de la santé comme outils clés pour améliorer les indicateurs sanitaires et, en particulier, satisfaire les besoins des groupes de populations vulnérables.

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Le Costa Rica En 1988, l’Organisation panaméricaine de la Santé définissait le Costa Rica comme étant une « nation non industrialisée en développement aux indicateurs de santé comparables à ceux enregistrés quelques années auparavant par certains grands pays industrialisés xxviii». Entre 1970 et 1983, le pays a réduit la mortalité totale de 40% et la mortalité infantile de 70% xxix. L’engagement à réaliser une couverture nationale en matière de soins de santé et l’existence de services sociaux essentiels ont contribué de manière significative à la réalisation de ce statut. Une loi adoptée en 1971 garantissait des soins médicaux et l’hospitalisation au titre de la sécurité sociale en faveur de toute la population. Indépendamment du niveau des salaires, tous les travailleurs ont adhéré au régime des prestations de sécurité sociale prévu par la Caja Costaricense del Seguro Social (Caisse costaricienne de sécurité sociale ou CCSS), financée par le biais des fonds publics et des contributions obligatoires des salariés. La CCSS était l’un des divers moyens d’action fondé sur les politiques de solidarité nationale et de couverture en faveur des plus pauvres. La CCSS a piloté plusieurs grandes interventions de santé publique : les campagnes de vaccination ont été multipliées contre des maladies comme la rougeole et la diphtérie ; l’approvisionnement en eau potable et le traitement des eaux usées ont été étendus, notamment dans les zones rurales. La réduction de deux tiers de la mortalité infantile enregistrée dans les années 1970 est due à la stratégie concertée du Costa Rica qui aborde simultanément un éventail de facteurs d’ordre médical, infrastructurel et social xxx. Le Programme de Santé rural (PSR), lancé en 1973, et le Programme de Santé communautaire urbain de 1976 ont presté des soins de santé primaires consistants et multiformes. Pris ensemble, ces programmes ont accru l’accès aux services médicaux à environ 60% de la population – urbaine et rurale à la fois – en 198030. A la naissance de la CCSS, moins de 20% de la population rurale avait accès à des services de santé minimum. xxxi La PSR avait identifié les domaines de très grande nécessité et formé les agents de santé communautaires à consulter les foyers dans leurs ressorts respectifs en vue d’améliorer les pratiques sanitaires, l’assainissement et la vaccination des enfants. Au cœur de cette action figurait une approche des soins de santé primaires qui prévoyait un large éventail de services aux usagers (ex : vaccination, nutrition, planification familiale et soins dentaires) ; les activités de santé environnementale (ex ; eau de boisson potable, amélioration du logement rural, évacuation des excréments) ; et les services d’appui complémentaires (ex : éducation pour la santé, collecte des données et promotion de l’organisation des communautés29). Le PSR a considérablement développé les services au point qu’à la fin des années 1970, les services de santé couvraient plus de 60% de la population rurale, tandis que tous les indicateurs de santé s’amélioraient énormément à l’échelle nationale29,31. Le Programme de Santé communautaire urbain, calqué sur le PSR, visait à améliorer les conditions de vie des habitants des bidonvilles. En l’espace de trois années après sa création en 1976, le programme avait touché 57% de la population urbaine. A la fin de la décennie, cette initiative avait réussi à étendre la

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vaccination à 85-90 pour cent de la population urbaine ; l’évacuation des excréments dans les zones urbaines avait cru de 60 à 96 pour cent et 100% de la population urbaine avait accès à l’eau potable29. Les analystes du succès du pays ont souligné le solide lien politique que le Costa Rica fait entre la santé et l’éducation. Les connaissances concernant la santé sont perçues comme un volet essentiel de l’éducation à tous les niveaux, et le système éducatif a délibérément été utilisé comme un forum pour la promotion de la bonne santé. Le système d’enseignement secondaire gratuit et obligatoire, en vigueur depuis 1869, a été étendu pour intégrer l’enseignement intermédiaire gratuit et renforcer le système universitaire en 1949. En raison de l’accroissement de la scolarisation des enfants au cours des années 1940 et 1950, la proportion des filles qui arrivaient au terme de leurs études primaires est passée de 17% en 1960 à 65% en 1980. Cette tendance s’avère avoir été le moteur de la chute considérable de la mortalité infantile au cours des années 1970 30. Le Sri Lanka Le Sri Lanka a fait d’énormes progrès en matière d’indicateurs sanitaires après son accession à l’indépendance en 1948, malgré l’incapacité du pays à réaliser une croissance économique soutenue xxxvii. Son système de soins de santé primaires bien développé et gratuit pour les populations a contribué énormément à l’obtention de gains de santé pour la population xxxiii. Simultanément, des stratégies favorables à l’équité par le biais de plusieurs secteurs sociaux ont joué un rôle majeur en améliorant les résultats en matière de santé32. Dans le domaine de l’agriculture, l’autosuffisance en matière de production du riz et d’autres denrées alimentaires essentielles était une priorité pour ce pays nouvellement indépendant. « La stratégie agricole des gouvernements successifs… a diversifié l’agriculture traditionnelle au moyen de variétés à rendement élevé, augmenté la production totale et stimulé les revenus des agriculteurs ». Dès le début des années 1980, ce programme avait réduit les disparités entre régions et classes sociales, fournissant de l’aide à certains des groupes les plus pauvres, à l’instar des paysans riziculteurs, dans le cadre d’un effort national visant à satisfaire les « besoins essentiels » de toute la population. Pendant plusieurs décennies, un programme de rationnement des aliments a assuré la fourniture du riz et de plusieurs autres aliments de base à des prix subventionnés ou stabilisés à tous les foyers par le truchement d’un réseau de coopératives. En conséquence, entre 1956 et 1963, la consommation moyenne de calories de la population dans son ensemble a augmenté de 40% 32. Des efforts concertés pour accroître et améliorer le parc immobilier rural ont abouti à une configuration, une conception et une qualité améliorées du logement rural xxxiv. Entre temps, la santé et le bien-être des salariés, en particulier les femmes et les jeunes, étaient abordés à travers une série de lois sur le travail adoptées au cours des années 1950. Ces lois contiennent des dispositions limitant la semaine de travail à 45 heures et accordent des congés annuels obligatoires et un congé-maladie payés. Le développement d’un réseau de services de transports publics

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abordables par voie ferrée et par route a augmenté l’accès de la population rurale aux services de soins de santé essentiels. En 1978, 70% des naissances au Sri Lanka ont eu lieu dans des hôpitaux, des cliniques et des maternités 32. L’éducation gratuite pour tous a été réalisée depuis l’indépendance par le biais d’un réseau d’établissements d’enseignement primaire, secondaire et tertiaire. Dès 1980, l’éducation pour la santé et l’activité physique étaient incluses dans les programmes d’enseignement. A partir de 1945, tous les étudiants bénéficiaient d’un déjeuner gratuit. Un important accroissement de la scolarisation des filles dans les années 1950 et 1960 a pratiquement éradiqué les écarts d’alphabétisation entre les garçons et les filles et abouti à une acceptation généralisée de la planification familiale et à la chute du taux de natalité dès le début des années 1960. 32 Les analystes ont estimé que tout cet éventail d’actions intersectorielles était favorisé par le régime politique national et la culture de participation de la société civile. L’environnement politique dynamique prévalant au Sri Lanka permettait à la majorité des ruraux pauvres de s’assurer un degré considérable de redistribution des richesses nationales et les avantages de la protection sociale. Les femmes se sont impliquées dans le processus politique bien avant l’indépendance du pays, contraignant l’élite politique à donner suite à leurs préoccupations. La priorité élevée accordée à la santé maternelle et infantile dans les années 1930 et 1940 en est le résultat. La popularité des dirigeants politiques, en particulier pendant les deux décennies ayant précédé l’indépendance, se fondait sur leur capacité à obtenir un large éventail de services publics en faveur de l’électorat, services parmi lesquels la santé et l’éducation avaient une haute priorité. Un vaste et dynamique secteur non gouvernemental faisait efficacement pression en faveur des préoccupations politiques, économiques et sanitaires. Des groupes comprenant des sociétés de développement rural au niveau des villages et des associations féminines s’activaient dans le lancement des campagnes de santé publique, à l’instar de la campagne anti-TB34. Cuba Le Cuba post-révolutionnaire était un exemple de « bonne santé à peu de frais » qui n’a pas pu tenir jusqu’à l’avènement du programme de la conférence de 1985. Le profil sanitaire de la population cubaine ressemble très fortement à celui des pays riches comme les Etats-Unis d’Amérique et le Canada qu’à celui de la plupart des autres pays d’Amérique latine xxxv. Si Cuba avait presque réalisé l’un des niveaux de mortalité les plus enviables dans le monde en développement dès la fin des années 1950, d’autres baisses significatives de mortalité furent réalisées suite à la révolution socialiste de 1959. La révolution mit les ressources médicales et de santé publique à la portée des secteurs anciennement marginalisés de la société. En réorientant la richesse nationale vers la satisfaction des besoins essentiels, le niveau de vie des groupes sociaux les plus défavorisés s’était amélioré malgré le déclin des performances économiques du pays dans les années 1960 et 1970. Les écarts entre ruraux et citadins en matière de santé et les déterminants sociaux du pays étaient réduits car l’Etat investissait davantage de ressources nationales dans les zones rurales xxxvi. En 1959, le taux de mortalité infantile du pays était de 60/1000

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naissances vivantes et l’espérance de vie était de 65,1 ans. Dès le milieu des années 1980, Cuba avait réalisé un taux de mortalité infantile de 15/1000 et l’espérance de vie des femmes était de 76 ans xxxvii. Les principes d’universalité, d’accès équitable et de contrôle gouvernemental guidaient les politiques sanitaires du Cuba post-révolutionnaire, politiques qui se focalisaient sur la réalisation de l’équité sociale par le biais de la fourniture gratuite des services nécessaires, y compris les soins médicaux, les tests pour diagnostics et les vaccins pour les 13 maladies à prévention vaccinale. La politique de santé publique cubaine accorde la priorité à la promotion de la santé et aux activités de prévention, à la décentralisation, à l’action intersectorielle et à la participation communautaire ; elle contient une approche locale des soins de santé primaires qui existe au sein d’un système de consultation et d’orientation/recours organisé pour des soins plus spécialisés. Au niveau local, les médecins et les infirmiers vivent au sein des communautés qu’ils servent et fournissent non seulement des diagnostics cliniques et des traitements, mais aussi une éducation communautaire concernant les questions de santé générale et les déterminants non médicaux de la santé35. Cuba a fait des progrès en matière de prise en compte des déterminants sociaux de la santé, en appliquant les mêmes principes de base que sont l’universalité, l’accès équitable et le contrôle gouvernemental. L’éducation a été une priorité nationale. Le gouvernement avait lancé des campagnes d’alphabétisation massives peu après la révolution, nationalisant toutes les écoles privées et rendant l’enseignement libre et accessible à tous. Par la suite, des programmes ont été mis en place pour s’assurer que les adultes bénéficiaient d’une instruction du niveau du CM2 au moins36. Le taux d’alphabétisation de Cuba est de 96,7%, ce qui est remarquable au regard du fait qu’avant la révolution, un quart des Cubains étaient analphabètes et un dixième semi-analphabètes35. La période post-révolutionnaire fut aussi marquée par des campagnes visant à améliorer les normes d’hygiène et d’assainissement dans les zones urbaines par un accroissement de l’accès à l’eau potable au moyen de l’extension du réseau d’acqueducs35,36. Dès le début, les débats sur les politiques sanitaires et sociales du Cuba post-révolutionnaire étaient marquées d’une coloration politique et polémique. Les critiqueurs du système cubain signalaient les restrictions imposées aux droits individuels et la stagnation généralisée de l’économie sous le régime socialiste. Les défenseurs de la cause cubaine répliquaient quant à eux que l’engagement de Cuba en faveur de la justice sociale et des soins de santé primaires pour tous permettaient au pays de limiter les préjudicies sanitaires associés à l’embargo économique prolongé xxxviii. Pendant que les régions GHLC et des pays comme Cuba se signalaient par un éventail de cadres politiques et de stratégies de santé publiques différents, la « Bonne santé à peu de frais » affirmait qu’il était possible de trouver des éléments d’un profil commun parmi les pays en développement qui avaient fait des progrès exceptionnels en matière de santé. Un analyste a identifié xxxix « cinq facteurs sociaux et politiques communs » d’importance spéciale qui sont :

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• l'engagement historique en faveur de la santé en tant qu’objectif social ; • l’orientation pro-développement qui a été imprimée à la protection sociale ; • la participation communautaire dans les processus décisionnels relatifs à la

santé ; • la couverture universelle des services de santé en faveur de tous les

groupes sociaux (équité) ; et, • les liens intersectoriels en faveur de la santé.

Dans le domaine de l’AIS, les secteurs les plus cruciaux étaient : 1) garantir une consommation suffisante d’aliments pour tous, y compris les groupes les plus socialement vulnérables, et 2) l’éducation des femmes. Le thème de l’éducation/alphabétisation des femmes en tant que déterminant de la santé a servi par la suite de raison d’être aux campagnes de promotion de la santé dans plusieurs pays en développement. xli

Paradoxalement, au moment où le document « Une Bonne santé à peu de frais » était publié, plusieurs des régions sous examen - y compris le Costa Rica et le Sri Lanka – étaient sous le coup des changements économiques et politiques mondiaux qui constituaient une menace pour les progrès réalisés en matière de santé des populations et qui sont salués dans ce document (voir infra). Les décennies suivantes ont révélé la vulnérabilité aux chocs extérieurs et aléas de la politique intérieure de certaines des politiques qui avaient permis à ces pays de devenir des modèles pour l’amélioration de la santé des populations et de l’équité en matière de santé. Le message de la GHLC était à la fois encourageant et profondément exaltant pour les responsables sanitaires des pays en développement. D’une part, l’étude confirmait que des gains de santé considérables étaient possibles dans les pays présentant un PIB par tête d’habitant relativement faible. Mais d’autre part, les conditions sociales et politiques favorables qui s’avèrent avoir contribué au succès des pays GHLC étaient précisément, comme le montre la liste figurant plus haut, celles que la majorité des pays en développement n’avaient pas remplies ou n’avaient pas été en mesure de remplir. Beaucoup de ces pays manquaient d’un engagement séculaire en faveur de la santé en tant qu’objectif social ; d’une tradition de participation communautaire démocratique ; et de l’équité en matière de couverture des services de santé (voire d’une ferme volonté politique de s’y employer). Peu de politiques de développement nationales pouvaient objectivement être décrites comme étant orientées vers une protection sociale largement partagée. Ainsi, sur les cinq facteurs sociaux et politiques identifiés par Rosenfield comme étant communs aux pays GHLC et expliquant leur réussite, celui qui, vraisemblablement, était le plus à la portée des décideurs des pays en développement était le dernier, à savoir les liens intersectoriels pour l’action sur les déterminants de la santé. Cela étant, l’engagement formel en faveur de l’AIS est devenu un volet des cadres officiels des politiques sanitaires de beaucoup de pays en développement dans les années 1980. Toutefois, le bilan des résultats effectifs établi sur la base de la mise en œuvre de l’AIS était décevant. En effet, malgré la haute

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attention accordée à l’action intersectorielle dans la Déclaration d’Alma-Ata, les discussions techniques des Assemblées mondiales de la Santé (WHA), le mouvement de promotion de la santé et « Une Bonne santé à peu de frais », l’AIS visant à aborder les déterminants sociaux et environnementaux de la santé s’est avérée, en général et dans la pratique, le maillon le plus faible des stratégies associées à la Santé pour Tous

xlii. Pourquoi ? En partie, parce que beaucoup de pays avaient essayé d’appliquer l’AIS à l’exclusion de tous les autres facteurs sociaux et politiques identifiés dans la liste qui figure plus haut. Ces facteurs favorisants sont, dans une large mesure, interdépendants et ils se renforcent mutuellement. Ainsi, les chances de réussite de l’AIS varient en fonction de la solidité des autres piliers ; d’un large engagement en faveur de la santé comme objectif social et politique collectif ; de l’élaboration de politiques de développement économiques destinées à promouvoir la protection sociale ; de l’autonomisation et de la participation des communautés ; et de l’équité en matière de couverture des services de santé. Dans les pays où ces objectifs n’ont pas fait l’objet d’un engagement sérieux, l’AIS a aussi échoué. Les analystes ultérieurs ont identifié d’autres raisons pour lesquelles l’AIS n’a pas été en mesure de « décoller » dans beaucoup de pays au lendemain d’Alma-Ata et de la GHLC. L’un des problèmes était les preuves et le mesurage. Les décideurs des autres secteurs se plaignaient du fait que les experts en santé étaient souvent incapables de fournir des preuves quantitatives concernant les impacts sanitaires spécifiques attribuables aux activités des secteurs non sanitaires comme la politique en matière de logement, de transport, d’éducation, de production alimentaire ou d’industrie. 42 A un niveau plus avancé, au-delà de l’incapacité à fournir des données pour des cas précis, il persistait une profonde incertitude méthodologique quant au point de savoir comment mesurer les conditions et processus sociaux et d’évaluer avec exactitude leurs effets sur la santé. Le problème se compliquait du fait de la complexité inhérente à ces processus et du fait du décalage fréquent entre l’initiation des politiques sociales et l’observation de leurs effets sur la santé des populations. Les experts en mesurage n’étaient pas parvenus à une solution claire concernant les problèmes méthodologiques que sont l’évaluation et l’attribution dans les contextes sociaux où, par définition, les conditions des essais cliniques contrôlés ne pouvaient être déterminées (ces problèmes restent cruciaux pour la formulation de la crédibilité des politiques DSS aujourd’hui ; ils seront le centre d’intérêt du Réseau des Savoirs CDSS sur les preuves et le mesurage). Au cours des années 1980, l’AIS s’est aussi élevée contre les structures gouvernementales et les processus budgétaires mal adaptés aux approches intersectorielles. Une étude a identifié les problèmes suivants :

• les barrières étanches entre des administrations gouvernementales ; • les programmes intégrés sont souvent perçus comme étant une menace aux

budgets spécifiquement consacrés à des secteurs, à l’accès direct des secteurs aux donateurs et à l’autonomie fonctionnelle des secteurs ;

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• la faible position qu’occupent les secteurs de la santé et de l’environnement dans plusieurs gouvernements ;

• l’existence d’une poignée seulement d’incitations économiques destinées à appuyer l’intersectorialité et les initiatives intégrées ; et,

• les priorités gouvernementales qui sont souvent définies par convenance politique, et non à la suite d’une analyse rationnelle xliii.

Les incertitudes quant aux preuves et à la dynamique intra-gouvernementale ne constituaient, toutefois, qu’une partie du problème. De plus grandes tendances de la santé mondiale et de l’environnement des politiques de développement ont contribué à faire échouer les efforts visant à mettre en œuvre les politiques sanitaires intersectorielles. Un facteur décisif a été le passage rapide, de la part de beaucoup d’organismes donateurs, d’autorités sanitaires internationales et de pays, de l’ambitieuse vision qu’Alma-Ata avait des soins de santé primaires, vision qui intégrait l’action intersectorielle sur les DSS comme étant une préoccupation centrale, au modèle étroit que sont les « soins de santé primaires sélectifs ». 1.6. L’émergence des soins de santé primaires sélectifs Désormais, les coûts potentiels et les conséquences politiques d’une version pleinement opérationnelle des SSP étaient devenus alarmants pour certains pays. Les SSP sélectifs ont été rapidement proposés, au lendemain de la conférence d’Alma-Ata, comme étant une option plus pragmatique, financièrement viable et politiquement exempte de menaces14,xliii. Plutôt que d’essayer de renforcer simultanément tous les aspects des systèmes de santé ou de transformer les rapports de pouvoir social et politique (objectif probablement louable mais nécessairement de long terme), les défenseurs des SSP affirmaient que, au moins dans le court terme, les efforts devraient se concentrer sur un nombre réduit d’interventions efficaces en termes de coûts visant à s’attaquer aux principales causes de mortalité et de morbidité d’un pays ou d’une région. En effet, les SSP sélectifs éliminaient les dimensions sociales et politiques de la vision originelle des SSP. Les théoriciens des SSP sélectifs les présentaient comme étant une stratégie « provisoire » à mettre en œuvre d’urgence pendant que les pays s’attelaient à rassembler des ressources plus importantes et obtenir l’engagement politique nécessaires pour des SSP complets44. Mais, dans plusieurs pays, le modèle provisoire a effectivement supprimé les SSP complets conçus comme un objectif de longue durée. Les SSP sélectifs se focalisaient particulièrement sur la santé maternelle et la santé infantile considérées comme des domaines pour lesquels une poignée d’interventions simples pouvaient drastiquement réduire la maladie et les décès précoces. L’exemple le plus patent de SSP sélectifs était la stratégie pour la réduction de la mortalité infantile connue sous l’appellation de « GOBI » – abréviation de suivi de la croissance, thérapie de réhydratation par voie orale, allaitement maternel et vaccination. En se concentrant sur une application à grande échelle de ces interventions dans les pays en développement, affirmaient les auteurs de cette stratégie, l’on pouvait réaliser des progrès rapides en matière de réduction de la

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mortalité infantile, sans avoir à attendre l’achèvement des processus, nécessairement interminables, de renforcement des systèmes de santé (ou à fortiori un changement structurel de la société). Les quatre interventions GOBI « s’avéraient faciles à suivre et à évaluer. Mieux, ils étaient mesurables et avaient des cibles claires ». L’on prévoyait que ce modèle pourrait plaire à de potentiels bailleurs de fonds, ainsi qu’aux dirigeants politiques assoiffés de résultats rapides, car « des indicateurs de réussite et de comptes pouvaient être produits plus rapidement » qu’avec les espèces de processus sociaux complexes qui étaient associés aux SSP complets16. La stratégie GOBI devint la pièce maîtresse de la « révolution de la survie de l’enfant » promue par l’UNICEF dans les années 1980. xlv Sous le règne de son ancien Directeur exécutif, Henry Labouisse, l’UNICEF avait co-parrainé la conférence d’Alma-Ata et soutenu la majeure partie du travail de base pour la formulation de la stratégie originelle des SSP. L’arrivée de Jim Grant à la tête de l’organisation en 1979 (l’année qui a suivi la conférence d’Alma-Ata) a été le signal d’un changement fondamental dans la philosophie de l’UNICEF. A l’instar de Halfdan Mahler, Grant était un leader charismatique. Mais contrairement à Mahler qui était convaincu que les organisations internationales avaient une mission de leadership moral pour la justice sociale, Grant avait le sentiment que les institutions internationales « devraient donner le meilleur d’elles-mêmes avec des ressources limitées et des opportunités politiques de courte durée », travaillant dans le cadre des contraintes politiques existantes, plutôt que de succomber à des visions utopiques. Ceci revenait à renoncer aux ambitions de transformations sociales d’envergure pour se concentrer sur des interventions limitées mais réalisables16. Cette approche solidement circonscrite et ptagmatique a été inscite dans la stratégie GOBI. Celle-ci s’est avérée efficace dans plusieurs pays en matière de réduction de la mortalité infantile. Mais elle constituait un abandon dramatique de la vision originelle d’Alma-Ata, en particulier concernant l’action intersectorielle sur les déterminants sociaux et environnementaux de la santé. Des composantes additionnelles ayant un caractère plus multisectoriel (planification familiale, éducation des femmes et compléments alimentaires) ont été ajoutés plus tard, en théorie, à la stratégie GOBI originelle ; mais ces idées supplémentaires ont été ignorées dans beaucoup de pays. En effet, dans la pratique, la stratégie GOBI était même plus limitée que son acronyme, car beaucoup de pays restreignaient leurs campagnes de survie infantile à la thérapie de réhydratation par voie orale et à la vaccination14. Le choix très limité d’interventions ciblées principalement sur les femmes en âge de procréer et les enfants en dessous de 5 ans « visait à améliorer les statistiques sanitaires, mais il abandonnait l’accent mis par Alma-Ata sur l’équité sociale et le développement des systèmes de santé 38». Le destin de l’effort Santé pour Tous et les conséquences du passage des SSP complets aux SSP sélectifs ont été à l’origine d’une littérature abondante et souvent polémique14, xlvi, xlvii, xlviii, xlix. Pour les pourfendeurs des SSP sélectifs, y compris récemment Magnussen et al, : « l’approche sélective ignore le contexte général du développement et les valeurs qui sont inscrites dans le développement équitable des

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pays. Elle n’aborde pas la santé comme un état qui va au-delà de l’absence de maladie ; un état de bien-être, y compris la dignité ; et comme un état qui incarne l’aptitude à être un membre fonctionnel de la société. En conjugaison avec l’absence d’un contexte de développement, le modèle sélectif ne reconnaît pas le rôle de l’équité sociale et de la justice sociale pour les bénéficiaires des interventions médicales fondées sur la technologie 38». Cueto, en résumé, déclare que pour ses critiques, les SSP étaient une stratégie « étroitement technocentrique » qui ignorait les déterminants sociaux sous-jacents de la santé, le contexte du développement et ses subtilités politiques et ressemblait de ce fait, aux programmes verticaux16. Pour leur part, les défenseurs de l’approche sélective objectent que les SSP complets et la vision d’Alma-Ata dans son ensemble, bien qu’ils soient revêtus d’un langage moral que nul ne peut critiquer, étaient dès le départ techniquement vagues et financièrement irréalistes, donc impossibles à mettre en œuvre. Les sens multiples de l’expression « soins de santé primaires » minaient son pouvoir. Comme le fait remarquer Cueto : « Dans sa version plus radicale, les SSP étaient complémentaires à une révolution sociale. Pour certains, cela était négatif et Mahler était à blâmer pour avoir fait de l ‘OMS, une organisation naguère technique, une organisation politisée ». D’autres personnes croyaient que Mahler était « naïf d’espérer des changements de la part des bureaucraties conservatrices des pays en développement », et qu’il avait surestimé de beaucoup la capacité d’une poignée d’experts clairvoyants et des projets communautaires ascendants à produire des changements durables. Entre temps, l’importante marginalisation politique et l’impotence des ruraux pauvres n’étaient pas suffisamment compris des défenseurs des SSP. De même, les défenseurs de la vision d’Alma-Ata avaient tendance à donner un caractère romantique et idéaliste aux « communautés » dans l’abstrait, accordant peu d’attention à leur fonctionnement effectif16. Ces débats ont des effets qui vont bien au-delà du contexte historique précis des années 1980 pour soulever des questions pertinentes aujourd’hui – y compris pour la Commission des Déterminants sociaux de la Santé. Sans doute, la grande force et la faiblesse fatale des SSP complets tenaient au fait qu’ils constituaient, de beaucoup, plus qu’un modèle pour la prestation des services de soins de santé. Les SSP et la Santé pour Tous tels que présentés à Alma-Ata constituaient un ambitieux projet de transformation sociale, guidé par un idéal d’autonomisation des populations et des communautés défavorisées, dans le cadre d’un modèle de « développement dans un esprit de justice sociale ». 22 Avec ces valeurs en jeu, il est très peu surprenant que les débats passionnés sur le sens et l’héritage de la Santé pour Tous se poursuivent aujourd’hui. Une question que doit résoudre la CDSS est la version du problème incarné par les figures emblématiques que sont Mahler et Grant, à savoir : soit se concentrer sur les concepts très forts comme la justice sociale, soit s’intéresser à des concepts moins forts (mais aussi moins menaçants) comme l’équité ou l’efficacité. Le choix ne porte pas seulement sur la langue, mais il implique aussi différents niveaux d’engagement avec des processus politiques et des propositions d’action très différentes (voir infra, section 2.2.1.).

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L’émergence des SSP sélectifs en tant qu’alternative à la vision d’Alma-Ata au début des années 1980 n’était pas un accident. C’était plutôt la traduction logique d’un changement plus important dans les rapports de pouvoir et les doctrines économiques qui prévalaient au niveau mondial. Ce changement avait des effets significatifs sur la santé et en particulier sur la capacité des Etats à élaborer des politiques de santé tenant compte des déterminants sociaux. Pour comprendre pleinement les échecs de l’action intersectorielle sur les DSS (et la stratégie d’Alma-Ata dans son ensemble), nous devons placer l’antagonisme « SSP contre SSPS » dans ce contexte élargi. 1.7 Le contexte politico-économique des années 1980 : le néo-libéralisme

Les années 1980 ont connu l’émergence et la domination du modèle économique et politique dénommé « néolibéralisme » (pour l’accent qu’il met sur la « libéralisation » ou l’ouverture des marchés) ou le « consensus de Washington » (ses principaux promoteurs – le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international – étant basés à Washington D.C). L’origine et l’évolution historiques du modèle néolibéral ont été débattus en détail ailleurs1,li. Le cœur de la vision néolibérale était (et est) la conviction que les marchés libérés de l’ingérence des Etats « sont les meilleurs et les plus efficaces fournisseurs de ressources en matière de production et de distribution » et partant, les mécanismes les plus efficaces de promotion du bien général, y compris la santé50. L’implication de l’Etat dans l’économie et dans les processus sociaux devrait être minimisée, car les processus pilotés par l’Etat sont, par définition, source de gaspillage, d’ennui et sont hostiles à l’innovation. L’Etat-providence, d’après le modèle néo-libéral, interfère avec le fonctionnement ‘normal’ du «marché» et de ce fait, il gaspille forcément les ressources et produit de mauvais résultats. 50 Logiquement, un objectif de politique global devrait consister à réduire le rôle de l’Etat dans les secteurs clés (dont la santé) dans lesquels sa présence conduit à des échecs. En revanche, une liberté maximale doit être accordée aux acteurs du marché qui, par la poursuite de leurs intérêts propres, génèreront plus rapidement la croissance économique et créeront des richesses - préalables clés de l’amélioration du bien-être de tous. Mieux que toute autre forme de redistribution gérée par l’Etat, les processus du marché peuvent seuls être crédités de la capacité de distribuer les bénéfices de la croissance économique à travers les couches de la société. Un postulat essentiel de l’orthodoxie économique néolibérale des années 1980 et 1990 était que, étant donné que la croissance économique est la clé d’un développement rapide et en fin de compte, d’une vie meilleure pour tous, les pays devraient rapidement et rigoureusement appliquer des politiques pour stimuler la croissance, en se souciant peu des conséquences sociales à brève échéance. Si des politiques d’amélioration de la croissance comme les réductions des dépenses sociales publiques pouvaient impliquer « une souffrance de courte durée » pour les communautés défavorisées, cette souffrance serait plus que compensée par le « gain à long terme » que ces politiques produiraient en créant un climat d’investissement favorable et en accélérant le développement économique.

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Au cours des années 1980, le néolibéralisme connut une promotion réussie à l’échelle nationale dans les pays riches par des dirigeants comme Ronald Reagan aux Etats-Unis d’Amérique, Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et dans l’Allemagne d’Helmut Kohl. Sur le terrain du développement international, le néolibéralisme fut imposé par des Etats donateurs par le biais des programmes bilatéraux, mais surtout par le truchement des activités de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. La longue récession économique des années 1980 et la crise connexe de la dette des pays en développement ont poussé beaucoup de pays à faible revenu et de pays à revenu intermédiaire à deux doigts d’un effondrement économique. Ces événements ont été le contexte dans lequel les puissants Etats du Nord et les institutions financières internationales (IFI) pouvaient intervenir directement dans les économies de plusieurs pays en développement, exigeant que ces pays restructurent leurs économies selon les prescriptions néolibérales en vue d’être admissibles au rééchelonnement de leurs dettes et à l’octroi continuel de l’aide51. Les doctrines néolibérales ont affecté la santé par le biais de deux mécanismes principaux : 1) les réformes du secteur de la santé entreprises par beaucoup de pays à faible revenu et à revenu intermédiaire à partir des années 1980 ; et 2) les vastes programmes économiques d’ajustement structurel imposés à un grand nombre de pays comme préalable au rééchelonnement de la dette, à l’accès à de nouveaux prêts de développement et aux autres formes d’aide internationale. A ces instruments de propagation du modèle néolibéral s’ajoutait un troisième dispositif, particulièrement important à partir du milieu des années 1990 : les accords commerciaux internationaux et les règles établies par des institutions comme l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), créée en 1995. Les réformes néolibérales du secteur de la santé (RSS) des années 1980 visaient à résoudre les problèmes structurels des systèmes de santé, notamment : la nécessité de définir des limites aux dépenses du secteur de la santé et d’utiliser plus efficacement les ressources ; la mauvaise gestion des systèmes ; le faible accès des pauvres aux services de santé, malgré la rhétorique des SSP ; et la mauvaise qualité des services dans beaucoup de pays et régions lii, liii. Malheureusement, dans beaucoup de cas, les réformes mises en œuvre n’ont pas pu résoudre ces problèmes et dans certains cas, elles les ont plutôt aggravés. Si les promoteurs des réformes reconnaissaient qu’elles devraient être « sensibles au contexte, » en pratique, les RSS avaient tendance à adopter un ensemble limité de mesures supposées être valables partout 53. Les éléments du programme RSS étaient les suivants :

• accroître la présence du secteur privé dans le secteur de la santé, par le biais de stratégies comme l’encouragement des options privées pour le financement et la fourniture de services de santé, ainsi que la fourniture des services nécessaires par contrat ;

• la séparation des fonctions de financement, d’acquisition et de fourniture de services ;

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• la décentralisation (souvent en l’absence de mécanismes de régulation et de gestion avisée aux niveaux sous-nationaux auxquels des responsabilités étaient dévolues) ;

• l’accent sur l’efficacité (et non l’équité) comme premier critère de performance pour les autorités sanitaires nationales, tout en réduisant simultanément les ressources humaines et financières du secteur de la santé, au point que l’exercice de gestion avisée est devenu de plus en plus difficile à réaliser.

L’efficacité des mesures RSS a été largement discutée, mais les preuves de ses effets négatifs ont été visibles dans beaucoup de pays. Dans ces pays, les capacités de gestion avisée des gouvernements en matière de santé étaient affaiblies suite à la mise en œuvre des réformes. Une étude récente des RSS en Amérique latine conclut que les réformes n’ont pas pu atteindre leurs objectifs officiellement fixés consistant à améliorer les soins de santé et réduire l’inéquité en matière de santé ; en effet, beaucoup de processus RSS « ont produit des résultats contraires : une inéquité en hausse, une efficacité moindre et une insatisfaction élevée, sans une amélioration de la qualité des soins liv». Par ailleurs, les réformes ont atteint des objectifs non officiels qui peuvent avoir été plus importants. La décentralisation a permis aux gouvernements centraux de « décharger » les coûts du secteur de la santé aux autorités des échelons régional, étatique et local et d’utiliser les économies subséquentes au niveau national pour continuer à rembourser les dettes extérieures. La privatisation a créé des opportunités lucratives pour les OSSI (Organisations de soins de santé intégrés) basées aux Etats-Unis d’Amérique, ainsi que pour les compagnies d’assurance-maladie privées impatientes de pénétrer les marchés latino-américains. Les processus engagés en Afrique et en Asie ont connu des problèmes différents, mais généralement, ils ont aussi produit des résultats décevants. Une étude comparative détaillée des processus RSS initiés au Ghana, en Inde, au Sri Lanka et au Zimbabwe a conclu que les programmes de réformes étaient « mal conçus par rapport aux contextes des pays en développement » et « très déconnectés de la réalité des systèmes de santé et de l’environnement socio-politique général [des pays] » ; entre temps, « la faisabilité politique des réformes était hautement contestable, en particulier dans les pays asiatiques ».lv La foi dans les effets, par essence bénéfiques, de la dynamique du marché qui sous-tend les propositions de réformes était vaine dans les pays en développement ayant de faibles capacités réglementaires et administratives, car en réalité « l’Etat moderne doit avoir davantage plus de forces et de capacités que ses prédécesseurs archaïques pour pouvoir tirer parti des effets vertueux du marché sans avoir à souffrir de ses effets secondaires, » y compris les effets pervers sur l’équité lvi. Les mêmes hypothèses qui constituent les processus RSS étaient « bien consignées » dans les programmes d’ajustement structurels macroéconomiques (PAS) mis en œuvre par beaucoup de pays en Afrique, en Asie et en Amérique latine sous la direction des IFI. D’ordinaire, les PAS comprenaient les composantes suivantes : la libéralisation des politiques commerciales (par l’élimination des tarifs douaniers et

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autres restrictions sur les importations) ; la privatisation des services publics et des sociétés d’Etat ; la dévaluation de la monnaie nationale ; et l’abandon de la production des aliments et des marchandises pour la consommation locale au profit de la production de biens destinés à l’exportation14,51. Pour comprendre les conséquences des modèles économiques néolibéraux sur les efforts visant à aborder les DSS, il est nécessaire de rappeler l’impact des programmes d’ajustement structurel sur la dépense consacrée au secteur social dans beaucoup de pays. Un principe central des PAS était la réduction importante des dépenses publiques, signifiant dans beaucoup de cas, des réductions drastiques des budgets du secteur social. Ces réductions touchaient des aspects d’importance clé, y compris l’éducation, les programmes de nutrition, l’eau et l’assainissement, les transports, le logement et diverses formes de protection sociale et de filets de sécurité, en plus des dépenses directes consacrées au secteur de la santé. Avec des budgets publics en chute brutale, l’on pouvait difficilement envisager d’aborder les facteurs sociaux et environnementaux ayant une incidence sur la santé, mais en plus, les supports existants étaient éliminés. Les subventions alimentaires, par exemple, ont été réduites dans beaucoup de pays, tandis que les contrôles des prix des produits de base étaient levés. En outre, beaucoup de PAS exigeaient des coupes importantes et brutales de la masse salariale publique. Les licenciements brusques ont poussé des masses de personnes au chômage, sans filets de sécurité et avec peu de chance de trouver un emploi formel dans le secteur privé dans beaucoup de cas. Les effets négatifs pour la santé des individus, des familles et de communautés entières ont été documentés. Dans certains pays, en particulier en Afrique australe, la déstabilisation de la société et l’insécurité subséquente ont contribué à l’émergence de la faim, à la multiplication des conflits armés et à la propagation rapide du VIH/SIDA – les pauvres, les femmes et les autres groupes socialement défavorisés subissant la plus grande part du préjudice lvii. Comme conséquence des PAS et du malaise économique mondial, la dépense en faveur du secteur social de beaucoup de pays s’est effondrée au cours des années 1980, avec des effets négatifs sur l’état de santé des communautés vulnérables. Dans les 37 pays les plus pauvres au monde, la dépense publique consacrée à l’éducation a chuté de 25% dans les années 1980, tandis que la dépense publique affectée à la santé chutait de 50 %lviii. Les PAS étant exécutés au prix d’énormes souffrances humaines, l’on était en droit de supposer que leur capacité à induire une croissance économique accrue, leur raison d’être officielle, serait énorme. Malheureusement, ce n’était pas le cas. Beaucoup parmi les pays à faible revenu qui avaient appliqué les PAS, en particulier en Afrique, réalisèrent une petite ou aucune amélioration du taux de croissance de leur PIB ou d’autres indicateurs économiques clés suite à l’ajustement. Ainsi, la « souffrance de courte durée » provoquée par les programmes était pire que ce qui avait été anticipé par les institutions financières internationales, tandis que « le gain à long terme » ne réussissait pas à se concrétiser dans beaucoup de cas14,51. Dans l’ensemble, la réduction des effectifs des personnels du secteur public et la libéralisation des marchés requis par le modèle de développement néolibéral ont créé les conditions susceptibles d’être favorables à une action systématique visant à

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améliorer la santé par le biais d’une intervention sur les déterminants sociaux. Ces conditions étaient, toutefois, avantageuses pour les profits des entreprises, pour les prêteurs et les investisseurs de l’hémisphère Nord, pour certaines élites des pays en développement et pour les IFI elles-mêmes. Dans la majorité des cas, les pays ont continué à rembourser leur dette extérieure, même après avoir réduit considérablement leurs dépenses intérieures consacrées au secteur social. 1.8 Les années 1990 et au-delà : contestation des paradigmes et changement des relations de pouvoir 1.8.1 Débats sur le développement et la mondialisation Les prescriptions économiques néo-libérales ont continué à être largement appliquées au cours des années 1990. Toutefois, au fur et à mesure que l’on progressait dans la décennie, ces modèles étaient de plus en plus remis en cause dans les pays en développement, et par un nombre croissant d’organismes internationaux et d’autres entités des pays du Nord. L’on a beaucoup débattu du succès et de l’échec de l’orthodoxie économique contenue dans les PAS, et les critiques à l’encontre des institutions financières internationales se sont multipliées au cours de la décennielix,lx,lxi. Ces critiques se sont amplifiées lorsque les pays de l’ex-bloc soviétique ont commencé à ressentir les effets sociaux et sanitaires des programmes « de thérapie de choc » conçus pour faire passer rapidement ces sociétés de l’économie planifiée à l’économie de marchélxii,lxiii. Une série de crises économiques locales et régionales intervenues au cours de la décennie ont mis en évidence les faiblesses du nouvel ordre économique et la vulnérabilité des pauvres et des personnes marginalisées face aux fluctuations économiques que les acteurs mondiaux semblaient ne pas pouvoir ou vouloir prévenir. Les critiques qui en ont résulté ont contribué à faire en sorte que le mouvement de protestation sociale et politique gagne de plus en plus de l’ampleur et occupe le devant de la scène internationale lorsque des dizaines de milliers de manifestants ont interrompu la réunion de l’Organisation mondiale du Commerce à Seattle aux Etats-Unis en 1999, donnant lieu, de ce fait, à une période pendant laquelle d’importantes manifestations de rue ont accompagné les principales réunions des institutions financières et commerciales internationales ainsi que les forums tels que le G-8. Le concept de mondialisation était au centre de ces contestations. Les manifestants et les critiques dénonçaient la menace perçue d’un ordre économique mondial dominé par les sociétés transnationales et la volatilité des flux de capitaux flottants dont l’instabilité pouvait avoir des effets dévastateurs sur les économies nationales et le bien-être des pauvres et des communautés vulnérables. D’autres commentateurs ont insisté sur les avantages de l’intégration économique et technologique progressive, et ont fait valoir que le dynamisme d’une économie mondiale libéralisée pouvait sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté, de la faim et du désespoir. Il y a eu confrontation d’opinions divergentes sur ce qu’est, ou devrait être la mondialisation dans les médias, les ouvrages scientifiques, les forums internationaux et les débats entre décideurslxiv,lxv,l

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Les institutions internationales qui étaient l’objet de bon nombre de débats subissaient elles-mêmes des transformations. Secouées par une vague sans précédent de critiques intellectuelles et la colère populaire, les institutions de Bretton Woods et les entités telles que le G-8 ont commencé à repenser leurs missions respectives – ou tout au moins à changer de rhétorique. Pour résoudre plus efficacement le problème de la dette auquel font face bon nombre de pays en développement, la Banque mondiale et le FMI ont lancé l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) en 1996, et, par la suite, le programme PPTE « renforcé ». Les programmes PPTE accordaient de manière parcimonieuse des formes structurées d’allègements de la dette à plus de 40 pays parmi les plus pauvres (dont la majorité se trouve en Afrique), dont les gains pouvaient largement être consacrés aux dépenses des services sociaux de base comme la santé et l’éducation. Pour davantage soutenir les efforts en vue de la réduction de la pauvreté, la Banque mondiale et le FMI ont introduit en décembre 1999, le Document de stratégie de la réduction de la pauvreté (DSRP) en tant que « nouvelle approche pour résoudre le problème de la pauvreté dans les pays à faible revenu, sur la base de leurs propres stratégies servant de cadre pour l’aide au développement »lxviii. Si le DSRP a été considéré comme une nouvelle impulsion aux efforts de développement et de lutte contre la pauvreté, certains se demandent si en fait il ne constitue pas une « nouvelle version » de l’ajustement structurel. Les débats se poursuivent sur la valeur du modèle du DSRP. Les données jusqu’ici disponibles laissent cependant penser que les DSRP tendent à négliger les principales questions liées à la santé68, et un rapport de l’OMS publié en 2002 relève que rien ne montre que le processus a permis d’accroître de manière significative l’engagement des dépenses dans les domaines de la santé et de l’éducationlxix. Une évaluation des DSRP de 23 pays pauvres très endettés, faite en 2003, montre que beaucoup reste à faire pour intégrer les politiques de santé appropriées dans les stratégies de réduction de la pauvretélxx. Dans la plupart des DSRP évalués, l’on a constaté qu’il n’y avait pas de données-pays sur la répartition des maladies, la liste des maladies dominantes, les principaux problèmes du système de santé. Par ailleurs, seulement un petit nombre de DSRP provisoires contenaient des mesures visant à inclure de manière explicite l’intérêt des pauvres dans la conception des politiques de santé ; en fait, la majorité n’a pas adopté une approche explicite en faveur des pauvres. En outre, l’on se souciait de moins en moins à la nécessité que la répartition des dépenses de santé réponde mieux aux besoins des pauvres. 1.8.2 Signaux mitigés en provenance de l’OMS L’on a enregistré vers la fin des années 1980 et au début des années1990 un déclin du pouvoir de l’OMS, l’effectivité de la maîtrise de la santé dans le monde étant passée aux mains de la Banque mondiale. D’une part, cette situation est due au fait que celle-ci dispose des ressources financières beaucoup plus importantes ; en 1990, ses prêts dans les secteurs de la population et de la santé dépassaient l’ensemble du budget de l’OMSlxxi. D’autre part, elle s’explique par le fait que la Banque a élaboré un cadre politique global pour la santé, qui fixe de plus en plus les termes du débat international, même pour ses détracteurs. Demeurant à plusieurs égards ouvert aux critiques, le modèle de la Banque en politique de santé, tel que présenté dans

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l’édition de 1993 du Rapport sur le développement dans le monde : investir dans la santé est intellectuellement solide et cadre avec l’orthodoxie économique et politique dominantelxxii. Malgré sa perte d’influence, l’OMS a mené divers types d’activité au cours de cette période. D’importants travaux axés sur l’avenir ont été initiés par plusieurs groupes en son sein ou en collaboration avec elle. Certains ont mis l’accent sur les déterminants sociaux et environnementaux. Par exemple, dans certaines régions, en particulier d’Europe, des actions visant à résoudre les problèmes relatifs à l’équité et aux déterminants sociaux de la santé se sont poursuivies dans le cadre d’un engagement ferme à atteindre l’idéal de Santé pour Tous. L’ Initiative spéciale de l’OMS sur l’équité (1995 – 1998), basée à son siège à Genève, a clarifié la notion d’équité en matière de santé, en spécifiant que celle-ci est principalement liée à la position que l’on occupe sur l’échelle sociale, par conséquent, à l’étendue du pouvoir politique, économique et sociallxxiii,lxx. Malgré le fait qu’elle a produit des œuvres intellectuelles de qualité, l’initiative a perdu de sa vigueur à cause des querelles de personnes et des luttes politiques. Elle a été suspendue en 1998. De 1994 à 1997, l’OMS a financé le groupe de travail sur le rôle de la santé dans le développement. Présidé par M. Branford Taitt et composé d’autres principaux décideurs, ainsi que des responsables de santé publique, ce groupe de travail a étudié les politiques mondiales de développement et leurs implications sur la santé, en relevant les effets de la condition sociale sur la santé, et a fait valoir que pour le choix des politiques en matière de développement économique, l’impact sur la santé des populations vulnérables doit être le principal critère. Le groupe de travail sur le rôle de la santé dans le développement a produit entre autres un Mémoire de l’OMS pour le Sommet mondial sur le développement social de 1995 à Copenhague. Ce document étudie « les tendances vers la privatisation et l’économie de marché », qui caractérisent « la mondialisation du système économique ».Il fait valoir que les efforts visant à promouvoir la croissance économique doivent se faire avec « plus d’équité dans l’accès aux avantages du développement, l’inéquité ayant des effets néfastes sur la santé ». Il souligne en outre le fait que les problèmes de santé peuvent être « plus efficacement résolus par une collaboration intersectorielle » visant à s’attaquer aux facteurs tels que la pauvreté, le chômage, la discrimination à l’égard des femmes et l’exclusion socialelxxv. Malheureusement, l’influence sur le terrain de ce groupe de travail n’a pas été à la mesure de la force morale de ses arguments. Il a proposé une série de recommandations importantes, mais ne dispose pas de mécanismes de mise en œuvre et de suivi. Aucune démarche systématique n’a été entreprise en vue de choisir des pays pilotes ou partenaires pour appliquer les conseils du groupe de travail au niveau décisionnel, et en mesurer les résultats. Au sein de l’OMS même, aucune structure n’a été prévue pour mettre en œuvre les conclusions du groupe de travail, et les leçons tirées n’ont eu que peu d’influence mesurable sur le travail de l’organisation au niveau des pays et sur la concertation avec les Etats membres.

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Au milieu des années 1990, l’OMS a déployé de grands efforts en vue de réinterpréter et de redynamiser la stratégie de Santé pour Tous dans le cadre de l’initiative Santé pour tous au 21e sièclelxxvi. La redynamisation de cette stratégie supposait que l’on redouble d’efforts pour promouvoir des actions intersectorielles, en tant qu’élément principal des stratégies de santé publique. Ainsi, dix ans après l’événement historique qu’avaient été les consultations techniques sur les actions intersectorielles pour la santé, organisées par l’Assemblée mondiale de la santé en 1986, une autre initiative de l’OMS dans ce domaine a été lancée. Cette initiative a donné lieu à une série de documents scientifiques importants et à l’évaluation de l’expérience des actions intersectorielles pour la santé aux niveaux national et mondial, ce qui a permis l’organisation en 1997 d’une grande conférence internationale à Halifax en Nouvelle Ecosse. L’existence de l’initiative sur les actions intersectorielles pour la santé atteste du fait que l’on continue de reconnaître l’importance des déterminants sociaux et environnementaux de la santé et les difficultés auxquelles les pays font face pour résoudre les problèmes y relatifslxxvii. L’arrivée de Gro Harlem Brundtland à la tête de l’OMS en 1998 a apporté de profonds changements dans le plan d’action institutionnel de l’organisation. Elle avait parmi ses priorités une nouvelle initiative sur le paludisme (Faire reculer le paludisme), une campagne mondiale de lutte contre le tabac et une nouvelle conception des systèmes de santé. Bruntland a le mérite d’avoir beaucoup contribué à restaurer la crédibilité de l’OMS pour ce qui est des débats internationaux sur le développement. Toutefois, il a fallu un prix pour que ce renouveau intervienne, ainsi que des sacrifices dans des domaines d’importance pour la capacité de l’organisation à promouvoir des actions sur les déterminants sociaux de la santé. Par exemple, l’on a considérablement revu à la baisse les ambitions de la Santé pour tous au 21e siècle. Dans le domaine de la santé et du développement, la création de la Commission sur la macroéconomie et la santé présidée par Jeffrey Sachs avait été initiée par Brundtland. Le principal argument défendu par cette Commission n’était pas nouveau, mais en illustrant par des chiffres l’idée selon laquelle le mauvais état de santé des pauvres coûtait d’énormes sommes d’argent à l’économie mondiale, elle a attiré l’attention des décideurs. En estimant en dollars les avantages économiques potentiels de l’amélioration de la situation sanitaire des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, elle a donné une nouvelle dimension à la santé en tant que problème de développement. Parce qu’elle a réfléchi en termes de coûts-efficacité, en considérant la santé du point de vue de sa rentabilité, elle pourrait apparaître plus réaliste, pragmatique et proche du monde réel que les précédentes initiatives de l’OMS telles que celle du Groupe de travail sur le rôle de la santé dans le développement qui a débattu des valeurs éthiques et invoqué « le courage d’y prêter attention »lxxviii. 1.8.3 Les approches DSS au niveau des pays Plusieurs pays ont réalisé d’énormes progrès au cours des années 1990 et au début des années 2000, concernant les dimensions sociales de la santé.

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Les efforts actuels visant à identifier et résoudre le problème des inégalités en matière de santé lié aux facteurs sociaux se sont directement inspirés du rapport canadien Lalondelxxix (1974) et du rapport britannique Blacklxxx (1980). Le rapport Black a eu peu d’impact immédiat au Royaume-Uni qui était alors gouverné par le Parti conservateur du Premier Ministre Margaret Thatcher, dont les dirigeants ont rejeté les recommandations de ce rapport en le qualifiant d’utopique. Toutefois, le document a suscité beaucoup d’intérêt chez quelques membres de la communauté scientifique. Elle a inspiré un certain nombre d’enquêtes nationales comparables sur les inégalités en matière de santé dans les pays tels que la Hollande, l’Espagne et la Suède. Les spécialistes en santé publique et les responsables politiques de plusieurs pays ont commencé à explorer les voies et moyens d’aborder les problèmes soulevés dans ces études, même si l’action est restée entravée par les changements au niveau du pouvoir politique (par exemple en Espagne). Entre-temps, les effets néfastes de la condition sociale sur la santé ont été progressivement clarifiés, en particulier grâce aux données des études Whitehall sur l’état de santé comparé des fonctionnaires britanniques, études menées par Sir Michael Marmotlxxxi,lxxx. Au Canada, une recherche interdisciplinaire remarquable, financée par l’Institut canadien des recherches avancées, a réuni au début des années 1990 des experts issus des secteurs de la santé publique et d’autres sciences sociales et de la nature, en vue d’étudier ensemble « les déterminants de la santé des populations ». L’objectif n’était pas seulement de développer les connaissances scientifiques, mais d’identifier les moyens de répondre efficacement à la question suivante : « Que peut-on faire pour améliorer la santé dans un pays démocratique ? ». Les principales conclusions et recommandations du groupe publiées sous le titre Pourquoi certaines personnes sont en santé et d’autres pas ? ont été au centre des débats au Canada et dans d’autres payslxxxiii. A partir du milieu des années 1990, le terme « déterminants sociaux » de la santé devient de plus en plus utilisé. Tarlov était parmi les premiers à utiliser ce terme de manière systématique. Il identifia quatre catégories de déterminants en matière de santé : les facteurs génétiques et biologiques, les soins médicaux, les habitudes de santé et « les caractéristiques sociales du milieu de vie ». Parmi celles-ci, observe-t-il, « les caractéristiques sociales prédominent ».6L’utilisation de ce terme s’est généralisée avec la publication d’une série d’ouvrages importantslxxxiv. Les chercheurs ont exploré la question de savoir comment la condition sociale et les processus sociaux pourraient influencer la manière dont un individu perçoit la maladie, ainsi que la question controversée qui porte sur le point de savoir si les inégalités économiques et sociales par elles-mêmes pourraient être considérées comme intégrant l’état de santé de tous les membres de la société, de sorte qu’à chaque niveau de revenu, l’on puisse s’attendre à ce que les sociétés plus égalitaires présentent un meilleur état de santé que celles qui le sont moins, à travers ses différentes composantes socioéconomiqueslxxxv,lxxx. Etant de plus en plus conscient du fait que les déterminants sociaux de la santé ont de lourdes conséquences sur les politiques publiques, l’on s’est efforcé de traduire les résultats scientifiques pertinents dans un langage accessible aux décideurs et au grand publiclxxxvii.

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Les progrès les plus rapides ont été réalisés dans un certain nombre de pays d’Europe occidentale où vers la fin des années 1990 et au début des années 2000, des efforts se sont multipliés en vue d’appliquer une politique systématique pour faire face au problème des inégalités en matière de santé et des déterminants sociauxlxxxviii. Dans certains cas, en particulier en Suède, l’on a procédé à une réorientation radicale de la politique de santé publique vers une approche sociale. Au Royaume-Uni, l’arrivée au pouvoir en 1997 d’un gouvernement travailliste plus soucieux d’équité en matière de santé, a déclenché une vague de nouvelles recherches et d’innovations politiques qui ont placé le pays à l’avant-garde des efforts en vue de s’attaquer aux déterminants sociaux de la santé et réduire les inégalités dans ce domaine. Hors de l’Europe, l’Australie, le Canada et la Nouvelle Zélande sont les pays qui ont fait mieux en matière de recherche et d’action politique concernant la dimension sociale de la santé, même s’il y a eu des oppositions entre une approche basée sur les déterminants sociaux de la santé et les stratégies fondées sur les modèles de santé et de soins plus individualisés et axés sur le marchéllxxxix,xc. Toutefois, des efforts visant à résoudre les problèmes liés aux déterminants sociaux de la santé n’ont pas connu de succès que dans les pays à revenu élevé. Au cours des années 1990, un certain nombre de pays en développement ont commencé à mettre en œuvre des politiques et à mener des interventions prometteuses en vue de s’attaquer aux fondements sociaux de la santé. Afin de donner un aperçu des différents types d’approches mises en œuvre, des obstacles rencontrés et des solutions proposées, des efforts qui ont commencé à être déployés autour des déterminants sociaux de la santé, nous allons étudier l’évolution de la situation dans un certain nombre de pays depuis les années 1990. Pour étudier et comparer les politiques et programmes nationaux sur les déterminants sociaux de la santé, il faut établir une typologie permettant de les regrouper de manière cohérente, en faisant ressortir leurs similitudes et différences, et le cadre suivant a été conçu à cet effet. S’appuyant sur les travaux de Diderichsen, Evans et Whitehead (2001)xci , Mackenbach et al (2002) xcii et d’autres travaux, ce cadre classe les politiques en matière de déterminants sociaux de la santé selon leurs points d’entrée, c’est-à-dire l’étape de la production sociale de la maladie/du bien-être où elles cherchent à intervenir. Pour percevoir les rapports entre ces stratégies, il faut considérer l’image d’une « chaîne de production sociale » des mécanismes liés qui font en sorte que la stratification sociale sous-jacente conduise à une répartition inéquitable des avantages en matière de santé et qu’en retour, la mauvaise santé des populations détermine leurs chances et positions socioéconomiques. Dans cette chaîne, il y a quatre principaux points où peuvent intervenir les politiques :

• En essayant de diminuer la stratification sociale elle-même, c’est-à-dire « les inégalités de pouvoir, de prestige, de revenu et de richesse liées aux différentes positions socioéconomiques »92 ;

• En essayant de faire en sorte que les populations désavantagées s’exposent moins aux facteurs de risque pour leur santé ;

• En essayant de réduire la vulnérabilité des populations défavorisées face aux risques encourus pour leur santé ;

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• En intervenant par des soins de santé pour réduire les inégalités en ce qui concerne les conséquences de la mauvaise santé et prévenir l’aggravation de la situation socioéconomique des personnes désavantagées qui tombent malades.

D’une certaine manière, ces quatre points d’entrée représentent quatre niveaux de « radicalité » entre les politiques possibles en matière de déterminants sociaux de la santé. Le premier niveau concerne les programmes qui visent à changer la hiérarchie socioéconomique elle-même par le biais des mesures de redistribution. Le deuxième et le troisième illustrent des stratégies intermédiaires plus modestes visant à protéger les groupes défavorisés contre les conséquences négatives de leur position sociale sur leur santé, par exemple, en améliorant les conditions de travail ou en réduisant le taux de consommation du tabac au sein des groupes à faible revenu. Le quatrième porte sur les stratégies de soins médicaux conçues pour réparer les préjudices en termes de santé que les forces sociales font subir aux populations vulnérables, une fois que le mal est déjà fait, et vise à empêcher que la maladie ne compromette davantage le statut socioéconomique de ces populations. La classification des politiques et interventions selon ces quatre points d’entrée doit être associée à une autre qui opère une distinction entre les programmes destinés à assurer une couverture universelle et ceux qui visent des groupes spécifiques au sein de la population. Conçus sur la base de la typologie qui vient d’être esquissée, plusieurs programmes nationaux ayant pris corps vers la fin des années 1990 sont assez évocateurs. Pour les besoins de la présente étude, nous en avons choisi quatre cas parmi bon nombre qui méritent d’être étudiés. Nous l’avons fait : 1) pour illustrer les points d’entrée identifiés ci-dessus ; 2) parce que des leçons pourraient être tirées non seulement des contenus actuels des politiques, mais aussi des processus politiques par lesquels elles interviennent. Pour choisir les exemples, nous avons été guidés par l’existence et l’accessibilité de plusieurs documents sur le contexte politique. La Suède : une stratégie nationale globale de santé publique Vers la fin des années 1990, la Suède a lancé une stratégie nouvelle et novatrice de santé publique basée sur le modèle des déterminants sociaux. Ce qui est révélateur est que cette stratégie ne définit pas ses objectifs en termes de statistiques sur la morbidité et la mortalité. Les objectifs nationaux de santé sont fixés en ciblant plutôt les déterminants sociaux et environnementaux de la maladie. Le but de la stratégie est surtout de « créer des conditions sociales qui assurent une bonne santé sur une base d’égalité pour l’ensemble de la population »xciii. L’équité en matière de santé constitue un objectif majeur et explicite de la politique de santé publique en Suède. La stratégie vise à changer le mode de stratification sociale qui génère des inégalités en matière de santé, en cherchant au niveau intermédiaire, à se pencher sur les facteurs de risque et de vulnérabilité spécifiques aux groupes désavantagés. Cette politique est basée sur 11 objectifs concernant les déterminants de la santé les plus importants, à savoir:

1 La participation et l’influence dans la société 2 La sécurité économique et sociale

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3 Les conditions de vie saines et favorables pendant l’enfance et l’adolescence 4 Une vie professionnelle plus saine 5 Un milieu et des produits sains et sans danger 6 Des soins médicaux et de santé qui assurent plus activement une bonne santé 7 Une protection efficace contre les maladies transmissibles 8 Une sexualité sans risque et une bonne santé génésique 9 L’augmentation de l’activité physique 10 De bonnes habitudes alimentaires et une alimentation saine 11 La réduction de l’utilisation du tabac et de l’alcool, une société sans drogues

illicites et une réduction des effets néfastes de l’exagération des jeux de hasard.

Les six premiers objectifs sont liés aux facteurs structurels alors que les cinq autres « concernent le choix du mode de vie qu’un individu peut infléchir, mais qui, en grande partie dépend de l’environnement social. La responsabilité pour l’atteinte de ces objectifs, incombe à différents secteurs et instances dans la société », parmi lesquels les municipalités, les conseils des comtés, les organisations bénévoles, en plus des autorités publiques90. Le programme comprend des stratégies pour réduire la discrimination au niveau du logement et l’isolement social, accroître la participation aux saines activités de loisir, canaliser les ressources vers les écoles nécessiteuses, réduire le chômage et mettre fin à la discrimination contre les immigrants en matière d’emploi. Cette approche vise essentiellement à renforcer les conditions qui améliorent la santé dans la société, qui à leur tour amélioreront la santé des individus, en particulier des personnes les plus vulnérables. Cette stratégie est basée à la fois sur la culture traditionnelle suédoise et sur un modèle gouvernemental de prise de décisions basé sur des faitsxciv. La Suède s’intéresse depuis longtemps aux principales données statistiques sur sa population. Depuis le XVIIIe siècle, le gouvernement conserve les archives sur les naissances, les décès et les causes de mortalité, ce qui a permis au pays de disposer d’une base de données solide sur les tendances et les causes structurelles en matière de santé. La nouvelle politique de santé publique a porté des fruits grâce à un processus politique consultatif dans lequel se sont engagés les représentants de tous les principaux partis politiques suédois et de la société civile. Les chercheurs, les politiques, les conseils de comtés, les municipalités et les prestateurs de soins de santé ont demandé que des mesures soient prises au sujet des causes sociales des problèmes de santé et que les orientations et les objectifs nationaux soient fixés. Cette idée avait aussi bénéficié de l’appui des syndicats et des organisations non gouvernementales. La disponibilité des données fiables montrant l’existence et les types de disparités en matière de santé a beaucoup contribué à accroître la pression en faveur des actions. Un membre du secrétariat qui soutient la mise en œuvre des politiques signale qu’au cours du processus d’élaboration de celles-ci, des questionnaires avaient été envoyés aux différents services publics pour étudier comment les activités dans leur secteur

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influencent la santé publique. En partant du point de vue des déterminants sociaux de la santé, par opposition à celui des maladies, il était devenu plus facile aux services n’intervenant pas directement dans le domaine, de penser aux conséquences de leurs activités sur la santé. Ainsi, dès le départ, d’autres secteurs avaient été étroitement impliqués dans le processus d’élaboration de la politique. Pendant la préparation, la circulation et la revue des documents de travail, ils ont pu donner leur avis à la commission. La participation de la société civile avait aussi été encouragée. Ses organisations ont reçu les documents de travail pour observations et la plupart ont apporté des contributions importantes94. Royaume-Uni : coordination des politiques nationale et locale pour résoudre le problème des inégalités en matière de santé Les recommandations du rapport Black de 1980 ont eu peu d’impact en Grande-Bretagne pendant les années (1979 – 1997) où le Parti conservateur était au pouvoir. Au cours de cette période, la fracture sociale décrite par Black en matière de santé s’était considérablement élargie. Vers la fin des années 1990, les Anglais nés des parents ayant un emploi reposant sur une formation poussée avaient une espérance de vie supérieure de pratiquement 10 ans par rapport à ceux dont les parents avaient un emploi non qualifié. Les petits progrès réalisés pour « combler ce fossé », pendant les dernières années du règne du parti conservateur, n’ont pas suffi pour inverser la tendance. Pendant le règne du régime conservateur, il y a eu une augmentation des inégalités de revenu et une explosion du nombre de familles ayant un faible revenu. Entre 1998 et 1999, 14,3 millions de personnes (soit un quart de la population totale) et 4,4 millions d’enfants (soit un enfant sur trois) vivaient dans des ménages recevant moins de la moitié du revenu national moyenxcv. Arrivé au pouvoir en 1997, le Premier Ministre Tony Blair du Parti travailliste a fait des inégalités en matière de santé une priorité nationale. Un mois après sa prise de fonctions, Blair a publiquement reconnu le lien entre la pauvreté et la santé (un lien que les responsables du précédent régime n’avaient pas voulu admettre). Le régime travailliste désigna Sir Donald Acheson à la tête d’une commission d’enquête indépendante sur les inégalités en matière de santé, chargée « d’identifier les domaines prioritaires pour des actions futures … en vue de réduire les inégalités »xcvi. Publié en 1998, le rapport Acheson fait une synthèse générale des données scientifiques sur une gamme variée de sujets établissant un lien entre les conditions sociales et la santé, et présente 39 recommandations. Parmi celles-ci, la commission d’enquête a mis en exergue trois qu’elle a considérées comme particulièrement vitales :

1. Toute politique susceptible d’influencer la santé doit être évaluée du point de vue de son impact sur les inégalités en matière de santé ;

2. La plus grande priorité doit être accordée à la santé des familles ayant des enfants ;

3. Des mesures doivent davantage être prises pour réduire les inégalités de revenu et améliorer le niveau de vie des ménages pauvres.

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Ainsi, la commission d’enquête indépendante a mis un accent particulier sur les actions politiques visant à réduire les inégalités de revenus et de ressources dans la société, afin de résoudre à la base le problème des inégalités en matière de santé (voir point d’entrée No 1 ci-dessus). Le gouvernement a pris des mesures pour aligner sa politique sur les principales recommandations du rapport Acheson. Le document intitulé Reducing health inequalities : an agenda for action (Réduire les inégalités en matière de santé : Plan d’action), publié en 1999, donne un aperçu des efforts du gouvernement dans un certain nombre de domaines, à savoir :

• Relever les niveaux de vie et résoudre le problème des bas revenus par l’augmentation des avantages sociaux et l’introduction du salaire minimum ;

• Mettre l’accent sur l’éducation et le développement de l’enfant dès la petite enfance, par exemple en créant des services préscolaires « pour un bon départ » dans les zones désavantagées ;

• Renforcer l’emploi en créant des mécanismes spécifiques d’assistance sociale pour les groupes prioritaires ;

• Créer des communautés en bonne santé par des initiatives de régénération dans les zones désavantagées, y compris les zones d’action sanitaire95,xcvii.

En 2001, le Secrétaire d’Etat à la santé a annoncé deux objectifs nationaux majeurs pour la réduction des inégalités dans le domaine de la santé d’ici 2010. Le premier est défini en termes de population-cible déterminée en fonction des professions ou des classes sociales tandis que l’autre l’est géographiquement, en termes de zones désavantagées. Ces objectifs consistent : 1) à réduire de 10% au moins l’écart de mortalité entre le groupe des travailleurs manuels et le reste de la population ; et 2) à réduire de 10% au moins l’écart entre la cinquième région ayant l’espérance de vie à la naissance la plus faible et le reste de la populationxcviii. Il était admis que pour les atteindre, des actions doivent être menées à tous les niveaux et services de l’Etat, au-delà des limites habituelles des responsabilités. C’est ainsi qu’une évaluation multidisciplinaire conduite par le Trésor public a eu lieu entre mi-2001 et mi-2002, en vue d’examiner comment coordonner à cet effet le travail des services et programmes gouvernementaux et comment réduire efficacement les inégalités en matière de santé par les dépenses publiquesxcix. Dans l’ensemble, la stratégie gouvernementale visant à réduire les disparités en matière de santé par des actions sur les déterminants sociaux est particulière, en ce sens qu’elle insiste à la fois sur les actions générales de redistribution coordonnées au niveau national et sur les initiatives régionales gérées localement. Parmi les principaux programmes nationaux de redistribution, l’un des plus ambitieux est l’introduction en avril 1999, pour la toute première fois au Royaume-Uni, du salaire minimum. Suite à cette mesure, plus de 1,5 million de travailleurs à faible revenu ont bénéficié d’une augmentation de salaire. La mesure, associée à d’autres décisions prises pendant les quatre premiers cycles budgétaires du nouveau régime travailliste, a eu un impact positif sur les inégalités de revenu au niveau national. Les familles qui étaient au bas de l’échelle pour ce qui est de la répartition des revenus ont connu une augmentation de salaire entre 1997 et 2000 (d’environ 9% pour celles du décile le

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plus faible), tandis que celles du décile le plus élevé enregistraient une baisse de leurs revenus95. Dans le même temps, les initiatives locales ont aussi été encouragées en tant que mécanismes clés de renforcement de la santé par l’amélioration des conditions de vie et l’élimination de l’exclusion sociale dans les communautés désavantagées. Parmi celles qui attirent le plus d’attention, il y a les Zones d’action sanitaire ( ZAS), créées en 1997 dans 26 quartiers désavantagés à travers le pays. Les ZAS forment des partenariats entre les organismes statutaires, les autorités sanitaires, les groupes communautaires et bénévoles locaux travaillant ensemble pour mettre au point des procédés novateurs visant à réduire les inégalités en matière de santé. Conçues à l’origine comme projets pilotes d’une durée de 7 ans, les ZAS visaient à « explorer les voies et moyens de briser le cloisonnement institutionnel actuel pour résoudre le problème des inégalités et assurer de meilleurs services ».c Les activités menées couvraient une gamme variée de déterminants sociaux. Elles consistaient à former davantage les populations locales et accroître leurs opportunités d’emploi, encourager la scolarisation des personnes désavantagées, promouvoir la cohésion sociale par un ensemble de stratégies de soutien communautaire et améliorer l’accès aux soins de santé. Au départ, les ZAS n’ont pas progressé de la même manière et quelques acteurs locaux n’ont pas bien accueilli une décision prise tardivement par les autorités publiques nationales, obligeant tous les ZAS à prouver qu’elles contribuent à atteindre les objectifs prioritaires nationaux concernant les maladies cardiovasculaires, le cancer et les maladies mentales – une décision qui semblait remettre en cause l’autonomie de ces entités locales. Dans certains cas, la sensibilisation sur les problèmes de santé et la bonne compréhension de l’impact des déterminants sociaux de la santé a eu lieu au niveau communautaire et les acteurs locaux se sont résolument engagés.100 Le Canada : points d’entrée des déterminants sociaux de la santé et avenir de l’Etat-providence Le Canada a été longtemps considéré comme le chef de file en matière de santé publique au plan international, en ce qui concerne notamment les déterminants globaux de la santé et le renforcement de l’implication des communautés dans les processus de santé publiqueci. Le rapport Lalonde de 1974 était parmi les premières études à proposer un cadre global pour comprendre les déterminants de la santé - qui sont : le mode de vie, l’environnement social et physique – et à reconnaître l’insuffisance des soins pour l’amélioration de la santé. Parmi les autres initiatives notables de santé publique au Canada, il y a le Mouvement des villes et villages en santé de 1980 et la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé de 1968. Parce que traditionnellement le Canada est un pays de recherche en médecine, en santé publique et en sciences sociales, il a apporté une contribution importante à la base des connaissances scientifiques mondiales sur les déterminants sociaux de la santé, et encouragé d’intenses débats sur les politiques internes. Le système politique fédéral du Canada attribue au premier chef la responsabilité en matière de politique sociale et de santé aux provinces et territoires, au lieu que le

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pouvoir décisionnel soit centralisé au niveau national. Au cours des années 1990, d’importants progrès ont été réalisés pour la mise en place d’un cadre favorable aux approches des déterminants sociaux de la santé au niveau des gouvernements fédéral, provincial et territorial. En 1994, les ministres de la santé du pays ont adopté des mesures intersectorielles pour la santé dans le cadre des principales orientations visant à améliorer la santé des Canadienscii. Un mémoire sur la santé au Canada, publié en 1998, a identifié une série de déterminants de la santé, qui sont des cibles potentielles pour des actions politiques et qui comprennent « le revenu et le statut social, les réseaux sociaux de soutien, l’éducation, l’emploi et les conditions de travail, …un développement sain de l’enfant, des services de santé, le sexe et la culture »ciii. En 1999, toutes les instances gouvernementales ont entériné une approche de la santé des populations axée sur les causes en amont des problèmes sanitaires. Le modèle de santé des populations vise à s’attaquer aux conditions et facteurs liés les uns aux autres qui influencent la santé des populations pendant leur cycle de vie. Il identifie les variations systématiques de la répartition sociale de ces facteurs et applique les connaissances qui en résultent pour mettre au point et appliquer des politiques et actions. Réduire les inégalités entre les groupes de populations constitue l’objectif primordial, et les actions intersectorielles pour la santé une stratégie de premier planciv. La structure fédérale de l’Etat canadien a des effets positifs et négatifs sur la santé publique, en particulier sur les efforts visant à s’attaquer aux déterminants sociaux de la santé. Il existe plusieurs exemples d’actions sectorielles pour la santé qui ont réussi au niveau local, et certaines provinces ont fait des progrès impressionnants en matière de politiques relatives à certains déterminants de la santé. Toutefois, dans l’ensemble, la coordination au niveau national est difficile, et certaines critiques ont fait valoir que l’engagement général à se concentrer par principe en amont sur les politiques de santé publique a tardé à se traduire en actes concrets101,cv. Sutcliffe et ses collègues ont publié en 1997 un article montrant que « plusieurs provinces ne disposaient d’aucune trace de programmes autorisés … qui abordaient les facteurs déterminants de la santé ou qui utilisaient des stratégies multiples »101 . Au début des années 2000, le système des soins médicaux continuait à absorber la plupart des ressources du secteur de la santé, et seulement 3% des dépenses de santé étaient consacrées à des actions de promotion et de prévention105,cvi. Les débats sur les politiques de santé et de soins se sont intensifiés vers la fin des années 1990, couplés avec de larges discussions sur l’avenir de l’Etat-providence et l’influence grandissante du néolibéralisme sur l’économie et la vie publique du Canada. Les années 1990 sont considérées comme une période de prospérité générale, pourtant, l’écart s’est considérablement creusé entre les nantis et les déshérités au cours de la décenniecvii. Teeple (2000) a décrit les conditions politiques et économiques qui ont permis la mise en place de l’Etat-providence au Canada après la Seconde Guerre mondiale, dont une forte identité nationale et la nécessité perçue d’adoucir les luttes de classescviii. Il montre comment ces conditions ont changé depuis 1es années 1970 avec la mondialisation de l’économie et un changement en faveur des modèles néolibéraux touchant l’environnement politique. Sur la base de ces analyses, quelques experts canadiens en santé publique ont critiqué la tendance vers la

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libéralisation et la privatisation qu’ils voient s’accompagner par un accent accru sur les risques individuels en matière de santé publique au détriment des inégalités économiques et sociales sous-jacentes. Le débat sur la politique de santé publique et les déterminants sociaux au Canada continue d’opposer les partisans des mesures énergiques de redistribution visant à réduire la stratification sociale (point d’entrée 1) aux défenseurs d’une approche moins ambitieuse, basée sur la réduction des facteurs de risque parmi les groupes défavorisés (points d’entrée 2 et 3)cix. Les Opportunidades du Mexique : un programme multidimensionnel en faveur des familles désavantagées Le programme Opportunidades du Mexique, qui a été mis en œuvre avec succès, montre que des mesures politiques novatrices en matière des déterminants sociaux de la santé peuvent être prises dans les pays en développement. Opportunidades (jusqu’à PROGRESA 2002) est un programme de lutte contre la pauvreté dans lequel les transferts conditionnels de fonds sont opérés pour encourager les parents des zones rurales à envoyer leurs enfants à l’école, recourir davantage aux services de prévention et à d’autres services médicaux, et améliorer leur nutrition. Lancé pour la première fois en 1997 au plan national, le programme a eu des résultats tellement positifs en matière de santé et d’éducation que le gouvernement l’a étendu aux familles pauvres des villes. Opportunidades est sous-tendu par l’idée selon laquelle il existe une synergie et des effets de renforcement mutuel des progrès dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la nutrition. Il a réussi à transcender progressivement le cloisonnement qui caractérise les ministères en charge des secteurs sociauxcx. Le programme est par définition ciblé plutôt qu’universel en termes de couverture. Il vise à protéger les pauvres contre certaines formes d’inégalité face aux risques, tout en améliorant l’accès aux services de soins de santé (points d’entrée 2 à 4). L’objectif principal de Opportunidades est d’accroître les capacités des plus pauvres du Mexique, identifiés sur la base d’une stratégie multiniveau d’établissement des objectifscxi . La conception du programme n’est pas conventionnelle en ce sens qu’il fournit des stimulants pécuniaires aux familles - correspondant à une augmentation de 25% de leurs revenus – pour les encourager à utiliser davantage les services de santé et les structures éducatives dans le but ultime d’inciter les parents à prendre des décisions qui permettront à leurs enfants d’avoir une meilleure éducation et une meilleure santé. L’argent est remis à la mère, et cette stratégie vise particulièrement à orienter son utilisation en faveur de l’éducation et de la nutrition de l’enfantcxii. Il conviendrait surtout de relever que des plans pour un suivi et une évaluation rigoureux et indépendants ont été prévus dans le programme Progresa dès sa conception, renforçant sa crédibilité scientifique et politique par des résultats quantifiables dans chacun des trois domaines visés. Dans le domaine de la santé, Progresa (et plus tard Opportunidades) ne décaissait des fonds que si tous les membres de la famille acceptaient les services de prévention fournis par une agence de l’Institut de Sécurité sociale du Mexiquecxiii. Le volet santé

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vise les problèmes de santé les plus courants ainsi que les moyens de prévention les plus importants tels l’assainissement, la planification familiale, les soins avant et après la naissance, la prévention et le traitement des affections respiratoires, la prévention des accidents et le secours d’urgence entre autrescxiv.Dans le même temps, le programme vise à améliorer la qualité des services disponibles par le biais des prestateurs publics, en particulier, par une augmentation soutenue de la quantité de médicaments disponibles, du nombre des médecins et d’infirmiers et du salaire des fournisseurs des soins de santé110. Les résultats d’une étude financée par la Banque mondiale en 2001 montrent une utilisation accrue des centres de santé pour des soins préventifs, peu d’hospitalisations et une amélioration significative de la santé des enfants et des adultes ayant pris part au programme. Les enfants du programme Progresa ont connu une diminution de 23% des cas de maladie, une augmentation de 1 à 4% de leur taille et une diminution de 18% de cas d’anémie par rapport aux enfants ne faisant pas partie du programme112. Les adultes ont signalé une diminution du nombre de jours où ils éprouvent des difficultés dans leurs activités quotidiennes à cause de la maladie et de la durée de leur alitement pour la même raison, ainsi qu’une augmentation significative du nombre de kilomètres qu’ils sont capables de parcourir sans éprouver de la fatigue. Dans le domaine de l’éducation, des bourses sont accordées à chaque enfant scolarisé de moins de 18 ans, lorsque le risque de déperdition est très élevé (en troisième année du primaire et en troisième niveau du secondaire). Compte tenu du fait que l’on compte souvent sur l’enfant pour compléter les revenus familiaux en temps de difficultés économiques, le montant de la bourse est calculé de manière à compenser en partie la perte de revenus qui augmente au fur et à mesure que l’enfant progresse à l’école. Par ailleurs, un montant légèrement supérieur fut accordé aux filles, compte tenu du fait qu’elles ont plus tendance à abandonner l’école que les garçons. Grâce au programme, il y a eu une augmentation du taux d’inscription dans le secondaire, allant de 11 à 14 points de pourcentage pour les filles et de 5 à 8 points pour les garçons. Le taux de passage au secondaire a augmenté d’environ 20% et le travail des enfants a diminuécxv. Afin d’améliorer la nutrition, les fonds n’étaient décaissés que si les enfants âgés d’au plus 5 ans et leurs mères allaitant au sein se rendaient au centre de contrôle de la nutrition où l’on mesurait la croissance, et si les femmes enceintes se faisaient consulter pour des soins prénataux, les compléments alimentaires et l’éducation à la santé. En outre, un montant fixe de 11 dollars par mois est alloué pour l’amélioration de la nutrition. Des compléments alimentaires correspondant à 20% de consommation calorique et 100% des besoins en oligo-éléments des enfants et des femmes allaitantes sont également fournis. Une évaluation faite en 2000 montre que les enfants âgés de moins de 5 ans devant être pris en charge dans le cadre de la médecine préventive et qui recevaient des compléments alimentaires avaient 12% moins de risque d’attraper une maladie que ceux qui ne participaient pas au programmecxvi. L’état nutritionnel était meilleur pour les enfants du programme, ce qui réduisait la probabilité d’un arrêt de croissance chez les enfants de 12 à 36 moiscxvii. Par ailleurs, les bénéficiaires ont signalé une plus forte consommation

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calorique et une alimentation plus variée, comprenant plus de fruits, de légumes et de viande. La carence en fer a aussi diminué de 18%cxviii. Dés son lancement en 1997, le gouvernement mexicain s’était engagé à étendre le programme. En 2000, il couvrait environ 2,6 millions de familles, soit un tiers des familles rurales mexicaines, et fonctionnait dans 50.000 villagescxix.En 2002, la Banque interaméricaine de Développement a approuvé une subvention de 1 milliard de dollars – montant de prêt le plus élevé jamais accordé au Mexique – pour consolider et étendre le programme Progresa dans les zones urbaines et assurer sa viabilité à moyen et à long terme. La réussite du programme Progresa/Opportunidades a permis d’étendre ce type d’approche multisectorielle à d’autres pays de l’Amérique latine dont l’Argentine, le Brésil, la Colombie, le Honduras et le Nicaragua. Une évaluation externe rigoureuse du projet a permis dans une large mesure de maintenir sa légitimité politique. C’est ainsi que le programme a bénéficié d’un large soutien politique au niveau de la Présidence et aux Secrétariats fédéraux à l’Education, à la Santé et au Développement social. Pendant la transition politique de 2000, les résultats extrêmement positifs de l’évaluation et l’engagement politique en cours de lutter contre la pauvreté ont permis au programme non seulement de survivre, mais aussi de s’étendrecxx. Les exemples cités plus haut ne décrivent que quelques actions politiques nationales concernant les déterminants sociaux de la santé qui ont été initiées dans les années 1990 et qui se sont poursuivies pour s’étendre à plusieurs localités. Ils montrent l’ampleur prise par les déterminants sociaux de la santé et quelques questions scientifiques et politiques majeures qui continuent à susciter des débats. 1.9 Les années 2000 : dynamique croissante et nouvelles opportunités Dans les années 2000, les actions politiques sur les déterminants sociaux de la santé se sont poursuivies dans les « pays d’avant-garde »88,90. Entre-temps, le contexte général de la santé et du développement dans le monde a évolué dans le sens d’assurer des ouvertures stratégiques pour davantage étendre ces réalisations. Aujourd’hui, le programme de développement dans le monde est de plus en plus déterminé par les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), adoptés par 189 pays à l’issue du Sommet du Millénaire des Nations Unies tenu en septembre 2000. Les 8 OMD sont liés aux objectifs et indicateurs quantitatifs pour la réduction de la pauvreté et de la faim, l’éducation, l’autonomisation des femmes, la santé de l’enfant, la santé maternelle, la lutte contre les épidémies, la protection de l’environnement et la mise en place d’un partenariat mondial équitable. Les OMD ont surtout remis l’accent sur la nécessité d’une action multisectorielle coordonnée. Le cadre des OMD dépasse l’idée selon laquelle les problèmes sociaux et de développement urgents des pays en développement peuvent être résolus de manière isolée, par des approches cloisonnées dans des secteurs spécifiques. Sans progrès

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dans la lutte contre la pauvreté, le renforcement de la sécurité alimentaire, l’amélioration de l’accès à l’éducation, l’appui à l’autonomisation des femmes et l’amélioration des conditions de vie dans les bidonvilles par exemple, les OMD relatifs à la santé ne seront pas atteints dans bon nombre de pays à revenu faible ou à revenu intermédiaire. Dans le même temps, en l’absence de progrès en matière de santé, les pays n’atteindront pas leurs objectifs OMD dans d’autres domaines. Trois des huit OMD sont directement liés à la santé et plusieurs autres objectifs ont un important volet sanitaire, ce qui confirme qu’au cours des années 2000, la santé, dans l’ensemble, occupe plus que jamais une place de choix dans le programme international de développementl,cxxi. Cette nouvelle dimension a été renforcée par des opérations de haut niveau telles que la Commission de l’OMS sur la macroéconomie et la santé (CMS), et par les efforts en cours des communautés et des groupes de la société civile qui se mobilisent pour faire pression en faveur de la santé en tant que droit de l’homme. L’importance que prend de plus en plus la santé comme question de développement est accompagnée d’une prise de conscience progressive des inégalités dans ce domaine entre les pays et en leur sein. Cette prise de conscience offre d’autres moyens d’agir sur les déterminants de la santé, les facteurs sociaux étant à l’origine de la plupart des disparités dans ce domaine. Entre-temps, le large soutien dont bénéficient les OMD marque l’avènement d’un climat de consensus en matière de santé et de développement dans le monde, dépassant certaines formes d’extrémisme des années 1990 et posant les bases d’une plus grande collaboration entre divers acteurs. Les années 1990 se caractérisent par une confrontation idéologique sur la mondialisation souvent qualifiée soit de « totalement bonne », soit de « totalement mauvaise ». Ce climat d’opposition entre deux tendances a donné lieu à des analyses plus nuancées dans plusieurs cercles. Reconnaissant la complexité et l’ambiguïté des processus politiques et économiques qui se déroulent sur la scène mondiale, la plupart des acteurs ont adopté une approche de coopération plus pragmatique. Tous ont intérêt à ce que l’on maximise les avantages réels de la mondialisation, en reconnaissant qu’elle peut avoir des effets néfastes en particulier sur les groupes vulnérables, et en mettant au point des politiques pour limiter ces effets négatifs et assurer une répartition plus équitable des coûts et des avantagescxxii,cxxiii. Les conflits amés, la dégradation de l’environnement, les craintes liées à la sécurité internationale continuent d’être un grand sujet de préoccupation et de provoquer l’extrémisme. Toutefois, dans l’ensemble, il y a de plus en plus un sentiment d’interdépendance au plan mondial, et les acteurs dans différents pays et secteurs prennent progressivement conscience de la nécessité de travailler ensemble. La prise de conscience de l’interdépendance sous-tend les OMD dans le cadre d’une entente sans précédent sur la scène mondiale entre pays développés et pays en développement7. Des idées similaires ont inspiré la Conférence internationale sur le financement du développement tenue en mars 2002 à Monterrey au Mexique. Si les progrès demeurent d’inégale valeur pour l’atteinte de l’objectif depuis longtemps recherché d’une aide publique au développement de 0,7% du PNB du pays donateur,

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la force cumulée des engagements pris au Sommet du Millénaire et à la Conférence de Monterrey marque un changement de centre d’intérêt en matière de coopération pour le développement. Dans le cadre des engagements pris au titre des OMD et à Monterrey, « les pays ont convenu de s’obliger mutuellement à rendre compte, et les citoyens des pays à revenu élevé et à revenu faible peuvent obliger leurs gouvernements à respecter scrupuleusement les normes »8. Le rôle de l’OMS a aussi évolué au cours des années 2000, en ce qui concerne la promotion des actions en faveur de l’équité et de la dimension sociale de la santé. En 2003, LEE Jong-wook a été élu Directeur général de l’OMS sur une plateforme d’adhésion renouvelée aux valeurs de Santé pour Tous, qu’il a fait passer grâce à son style personnel en tant qu’homme pragmatique recherchant le consensus. En effet, Lee écrit en décembre 2003 dans Lancet :

La justice dans les relations humaines consiste essentiellement à promouvoir les conditions permettant l’accès équitable à la santé … L’objectif de Santé pour Tous fixé à Alma Ata était juste, tout comme le sont les principes de base des soins de santé primaires : accès équitable, participation communautaire, approches intersectorielles d’amélioration de la santé. Ces principes doivent s’adapter au contexte actuel121

Dans son discours devant la 57e Assemblée mondiale de la santé en mai 2004, Lee annonce l’intention de l’OMS de créer une Commission mondiale des déterminants de la santé en vue de mettre en œuvre un programme en faveur de l’équité et de renforcer l’appui de l’organisation aux Etats membres pour l’application des approches globales sur les problèmes de santé, y compris leurs origines sociales et environnementales. Lee annonça que la Commission devait être orientée vers des actions concrètes. « L’objectif est de mettre ensemble les connaissances des experts, en particulier de ceux qui ont de l’expérience dans la résolution de ces problèmes. Nous pouvons les utiliser pour nous orienter dans nos programmes »cxxiv. 2. LE PASSAGE AU NIVEAU SUIVANT : LA COMMISSION DES DETERMINANTS SOCIAUX DE LA SANTE 2.1 Buts de la CDSS Cette Commission a été créée au moment où l’on se préoccupait de plus en plus d’agir sur les déterminants sociaux de la santé. Une conjonction de facteurs liés à un ensemble de preuves scientifiques, à la mobilisation des entités concernées et aux politiques globales de développement a créé les conditions permettant de réaliser des progrès sans précédent en politique de santé visant à résoudre le problème des déterminants sociaux. Mais bon nombre de pays et de communautés se sont retrouvés exclus, en particulier dans les régions du monde où les besoins de santé et les effets des déterminants sociaux sont énormes. Aujourd’hui, il faut un appui soutenu pour exploiter l’élan actuel autour des déterminants sociaux de la santé et le faire passer au niveau suivant qui consiste à assurer une compréhension et acceptation meilleures des stratégies des déterminants sociaux de la santé chez les décideurs et parties prenantes, en particulier dans les pays en développement, en

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traduisant les connaissances scientifiques en programmes politiques pragmatiques adaptés aux niveaux de développement économique des pays, en identifiant les interventions ayant connu du succès et en montrant comment elles peuvent être étendues, et en faisant en sorte que les déterminants sociaux soient intégrés de manière durable dans les approches des politiques de santé à l’OMS et chez les autres acteurs mondiaux. Telles sont les missions qui incombent à la Commission des déterminants sociaux de la santé. Pendant ses trois années d’activité, elle a cherché à opérer des changements par lesquels les relations et les facteurs sociaux qui influencent la santé et les systèmes de santé pourront être visibles, compris et reconnus comme importants. Sur cette base, les possibilités de mener des politiques et d’agir, ainsi que les coûts liés à l’inaction pourront être mieux connus et mieux débattus. Un nombre croissant d’institutions travaillant dans le domaine de la santé aux niveaux local, national et mondial utiliseront ces connaissances et appliqueront des politiques publiques pertinentes touchant à la santé. Les instances dirigeantes, les organismes d’intérêt public et les institutions qui le peuvent, intervenant dans le secteur de la santé ou ailleurs, soutiendront cette transformation. Les déterminants sociaux de la santé seront inclus dans le travail politique, technique et de planification de l’OMS. Les objectifs de la Commission des déterminants sociaux de la santé sont ambitieux. Pour les atteindre, celle-ci doit s’appuyer sur le travail des institutions qui l’ont précédée, comprendre leurs limites et les obstacles qu’elles ont rencontrés et aller plus loin. A cet effet, il faudra des décisions stratégiques guidées par une bonne compréhension de l’histoire. 2.2 Questions-clés pour la CDSS L’aperçu historique ci-dessus montre quelques-uns des défis auxquels pourrait faire face la Commission des déterminants sociaux de la santé et les raisons pour lesquelles ces démarches sont indispensables pour le moment. Il dégage des leçons pour la Commission et soulève des questions que ses membres pourront débattre au moment de définir de manière plus précise leurs objectifs et stratégies. Dans les pages qui suivent, nous nous sommes focalisés sur les quatre questions qui, selon l’aperçu historique, sont vitales. Dans chacun de ces quatre domaines, nous avons identifié une ou des questions spécifiques sur lesquelles la Commission devra statuer. 2.2.1 L’ampleur du changement : définition des points d’entrée Les efforts visant à promouvoir le changement en matière de politique de santé peuvent être plus ou moins ambitieux dans leur portée. Une illustration en est donnée sur le plan historique par l’opposition entre soins de santé primaires pour tous et ceux destinés à certaines catégories de personnes, c’est-à-dire entre le programme de santé pour tous défendu par Malher à Alma-Ata et la Révolution pour la Survie de l’Enfant proposée par Grant et l’UNICEF dans les années 1980. La Commission aura à relever son propre type de défi et se prononcera sur les choix incarnés par ces deux personnalités et leurs stratégies respectives. D’une part, elle pourrait mieux appréhender son rôle comme consistant à mener une « révolution

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copernicienne » pour ce qui est de la pensée et de l’action en matière de santé, avec de profondes implications sur les structures sociales et la manière dont les gouvernements se comportent, en s’acquittant de leurs responsabilités en matière de santé des populations. D’autre part, la Commission pourrait être plus modeste dans ses ambitions et chercher simplement à développer et promouvoir les outils d’intervention que les Etats peuvent rapidement mettre en œuvre sans changer de manière significative leurs structures budgétaires et managériales actuelles ou leurs relations avec les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds (les déterminants sociaux équivalant à la stratégie GOBI). Evidemment, le choix ne doit pas porter uniquement sur deux options. L’on pourrait rechercher des positions de compromis combinant certains éléments positifs des deux approches. Quoi qu’il en soit, la Commission devra inévitablement se rabattre sur ce qui pourrait être appelé le problème Mahler- Grant. Cette prise de position doit être le résultat d’un choix conscient, raisonné et collectif plutôt que tout simplement l’effet éventuel des interactions au jour le jour de la Commission avec les partenaires et les media. Au niveau de la communication, la décision consiste à choisir une terminologie pour la Commission (par exemple « justice sociale » par opposition à « efficacité » ou « réduction des disparités »). S’agissant des opérations et politiques au niveau des pays, elle concerne les points d’entrée. Les décisions sur la langue ne concernent pas seulement les subtilités linguistiques, elles ont des implications sur la manière dont la Commission travaillera avec les pays, et les types de politiques qu’elle cherchera à promouvoir. Comme indiqué dans les cas des pays cités en exemple plus haut (section 1.8.3), les politiques et les interventions visant à s’attaquer aux déterminants sociaux de la santé peuvent engager les structures sociales à différents niveaux. Les politiques les plus ambitieuses pourraient chercher activement à réduire les inégalités de richesse et de pouvoir entre les différents groupes de la société par des processus de redistribution. A l’autre bout de la chaîne, les interventions relatives aux soins de santé ciblant les groupes désavantagés visent à réparer ou à palier le préjudice résultant des inégalités sociales, une fois que ces inégalités se sont déjà traduites en maladies physiques affectant le corps des personnes désavantagées. Le long de cette chaîne, il serait important pour la Commission d’identifier le (s) niveau (x) où elle cherchera à promouvoir le changement. Une typologie ou une esquisse des points d’entrée pour des actions politiques a été déjà effectuée. Les points d’entrée suivants y ont été présentés pour les politiques et les interventions sur les déterminants de la santé :

• Diminution de la stratification sociale elle-même par la réduction des « inégalités de pouvoir, de prestige, de revenu et de richesse liées aux différentes positions socioéconomiques » ;

• Diminution des facteurs de risques pour la santé auxquels sont exposées les personnes désavantagées ;

• Réduire la vulnérabilité des personnes désavantagées face aux risques sanitaires encourus ;

• Intervenir par des soins de santé pour réduire les conséquences inégales de la mauvaise santé et empêcher que les conditions socioéconomiques des personnes désavantagées qui deviennent malades ne se détériorent davantage.

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En clair, l’on se demande dans ce cadre à quel (s) niveau (x) de la production sociale de la santé/maladie il serait souhaitable (et faisable) d’intervenir dans un contexte donné : par des politiques de redistribution visant à s’attaquer profondément aux inégalités sociales ; par des politiques intermédiaires moins ambitieuses destinées à protéger les membres des groupes socialement défavorisés contre les pires conséquences sur la santé de leur exposition accrue aux risques ( par exemple, on pourrait citer les programmes de lutte contre le tabac conçus pour les groupes à faible revenu, et les règles de sécurité en milieu professionnel qui réduisent les risques sanitaires liés à certains types d’emploi peu prestigieux) ; ou en fournissant de manière plus équitable des soins médicaux au bout de la « chaîne sociale de production ». La question des points d’entrée est liée à celle qui consiste à opposer les programmes de santé pour tous aux programmes ciblés. Graham et Kelly rappellent qu’en établissant les liens entre les conditions socioéconomiques des populations et leur santé, l’on a jusqu’ici provoqué deux types de réactioncxxv. La première se focalise sur les personnes se trouvant dans des situations défavorables ayant une mauvaise santé, c’est-à-dire sur celles qui souffrent le plus de l’exclusion sociale, les plus exposées aux facteurs de risque et les plus difficiles à atteindre, ce qui a permis de lier les inégalités sociales aux programmes de lutte contre l’exclusion sociale et d’orienter les politiques au niveau local et communautaire. C’est ainsi qu’en termes de politiques et d’intervention, les approches visent à sortir les plus défavorisés de la pire situation dans laquelle ils se trouvent. En effet, ces interventions n’aident qu’un petit nombre de personnes. La seconde approche reconnaît que si les personnes en situation sociale défavorable sont en mauvais état de santé, un tel état des choses relève en général de la stratification sociale en matière de santé. Cela signifie que ce ne sont pas seulement les groupes et les communautés les plus pauvres qui sont dans un état de santé plus mauvais que ceux se trouvant dans les situations les plus favorables. En outre bon nombre de personnes, bien que ne pouvant pas être considérées comme des exclus sociaux, sont relativement désavantagées du point de vue de la santé. Des mesures de prévention et d’autres types d’intervention peuvent permettre une importante amélioration de leur état de santé et donner lieu à des économies de dépenses correspondantes pour le système de santé. Parce que les programmes de santé pour tous peuvent être considérés comme trop coûteux, il y a un risque que les stratégies se focalisent surtout sur des interventions ciblées, s’attaquant au déterminants intermédiaires qui ne gèrent que les conséquences de la pauvreté alors que les processus qui génèrent celle-ci demeurent intactscxxvi. En effet, certaines critiques font valoir que les effets non désirés des interventions ciblées pourraient être de légitimer la pauvreté, rendant celle-ci tolérable pour les individus et moins coûteuse pour la sociétécxxvii. Les membres de la Commission auront à réfléchir sérieusement sur le(s) niveau(x) où ils veulent promouvoir le changement, le caractère souhaitable ou faisable du choix des différents points d’entrée, les forces et les capacités d’action à mobiliser à différents niveaux et les stratégies politiques appropriées pour obtenir des résultats.

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Les décisions relatives aux points d’entrée et au contenu des politiques recommandées dépendent du contexte propre à chaque pays. Pour réussir, les politiques s’attaquant aux déterminants sociaux de la santé ne peuvent adopter le profil « taille unique». Les pays et les régions sont à différents niveaux de préparation pour des actions sur les déterminants sociaux de la santé et l’ouverture à des approches de redistribution plus fondamentales88. Ces spécificités nationales et locales révèleront les déterminants sociaux sur lesquels il faudra agir le plus rapidement possible pour améliorer la santé des populations, et les instruments politiques les plus appropriés. Les spécificités nationales et locales, en particulier les relations de pouvoir sur le plan économique et politique, définiront les possibilités d’action et les contraintes y relatives, et indiqueront les régions susceptibles d’adhérer à un programme DSS et celles susceptibles d’y résister. Dès lors, la question fondamentale consiste à connaître non seulement les points d’entrée qu’il faut choisir, mais aussi et surtout, la manière de prendre la décision ; c’est-à-dire en définissant les critères à utiliser pour décider du niveau de politique et d’intervention à recommander dans des cas particuliers. Il est à supposer qu’en plus d’un cadre de points d’entrée pour les interventions et les politiques DSS, la CDSS devra mettre au point une typologie de pays et/ou de régions locales, en fonction de leur capacité d’action sur les DSS. L’élaboration de cette typologie constituera une mission importante pour l’équipe d’experts de la CDSS et dépasse le cadre de la présente étude. Quelques points principaux méritent cependant d’être relevés. Le niveau de revenu national jouera un rôle important et l’on suppose que les pays riches dans la plupart des cas auront beaucoup plus des ressources que les pays pauvres pour mettre en œuvre les politiques globales sur les DSS. Toutefois, comme l’ont relevé dans les années 1980, le projet Good health at low cost (Une bonne santé à peu de frais) et des études ultérieures, le niveau de revenu ne constitue pas le seul facteur déterminant. Des pays ayant sensiblement le même niveau de revenu présentent des niveaux de réalisation différents dans les domaines sociaux liés à la santé tel que l’accès pour tous à une alimentation appropriée, la qualité du logement, l’eau et l’assainissement, l’éducation. La typologie de la CDSS regroupera alors les pays non seulement en fonction de leurs niveaux de revenus mais aussi en tenant compte d’autres facteurs parfois difficilement quantifiables, qui déterminent les possibilités d’action. Etudiant l’influence du milieu sur les systèmes de santé, Roemer, Kleczkowski et Van Der Werff ont proposé une typologie de pays indiquant les variables pertinentes. Ils ont classé ces pays en fonction de trois critères :

• Le degré de priorité accordé à la santé dans le programme social/public, illustré par la proportion de ressources consacrées à ce secteur ;

• Le niveau auquel le financement et l’organisation des services de santé pour les individus sont considérés comme 1) un devoir social collectif ou 2) une responsabilité incombant en premier lieu aux personnes concernées ;

• Le degré auquel la société (par le biais des autorités politiques) assume ses responsabilités pour une distribution équitable des ressources en santé.

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Comme l’ont reconnu les analyses GHLC, ce que les spécialistes de la planification oublient parfois, l’histoire économique et sociale d’un pays informe mieux sur les politiques qui lui seront appropriées et efficaces. L’équipe d’experts de l’OMS sur l’équité en matière de santé a récemment défendu l’idée selon laquelle pour mieux comprendre les systèmes de santé, il faut davantage tenir compte du contexte historique et politiquecxxix. Ce principe vaut aussi pour la mobilisation des régions et des décideurs, la mise en oeuvre des interventions en matière des DSS. Au cours des travaux, les questions des spécificités nationales et des formes appropriées d’engagement soulèveront d’autres questions stratégiques importantes pour la Commission telles que : comment la CDSS devra-t-elle coopérer avec les pays à structure politique fédérale (voir l’exemple du Canada plus haut), et quels types de recommandations politiques et de soutien pourra-t-elle chercher à fournir aux régions dans les pays (y compris ceux en guerre et/ou à régime fortement autoritaire, irresponsable) dont la situation politique et économique rend les principales actions en matière de politique nationale de santé concernant les DSS extrêmement difficiles à court et à moyen terme. Ces pays seront-ils (tacitement) « radiés » par la CDSS, leur cas étant considéré comme ne méritant pas que raisonnablement, la Commission y consacre ses ressources et son énergie, ou alors des efforts seront-ils déployés pour faire des recommandations et entrer en concertation avec eux, afin de commencer à poser les bases d’un changement durable ?

Principales questions stratégiques : • Quelle est la position de la CDSS par rapport au « problème Malher-

Grant » : à savoir choisir (ou rechercher un compromis) entre (1) une évaluation structurelle critique lourde de conséquences basée sur une vision de la justice sociale et (2) la promotion d’un certain nombre d’interventions bien articulées et à même de produire des résultats à court terme, mais avec le risque de laisser de côté des causes plus profondes de souffrances et d’inégalités évitables en matière de santé ? Si la CDSS opte pour une approche plus globale fondée sur les valeurs, elle risque de sacrifier l’efficacité à court terme et les résultats mesurables. Si par contre elle adopte une position plus sélective, plus interventionniste et pragmatique, les critiques vont se demander pourquoi créer une Commission mondiale en lieu et place d’un groupe de travail technique moins dispendieux.

• Quels critères d’évaluation la CDSS mettra t-elle en place pour identifier les points d’entrée stratégiques appropriés aux différents pays/régions ?

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2.2.2 Anticipation d’une éventuelle résistance aux messages de la CDSS – et préparation stratégique A la question de savoir pourquoi l’action stratégique sur les DSS a été différée dans la plupart des cas, les documents existants proposent deux explications majeures. La première perçoit le blocage comme un problème de connaissance, la seconde comme une question de pouvoircxxx. Selon le premier rapport, l'action entreprise pour s’attaquer aux DSS n’a pas été conséquente à cause de l’insuffisance de son fondement ou parce que la motivation initiale n’a pas effectivement été communiquée aux personnes à même d'apporter des changements. Le deuxième rapport met l'accent sur la dimension politico-économique du pouvoir et du profit, et laisse entendre que les plus grandes barrières à l’action sur les DSS proviennent de ce secteur. Il entrevoit l’échec de l’action stratégique sur les DSS non comme une conséquence directe de l’ignorance, mais plutôt comme une conséquence logique du rapport des forces en présence. Notamment le fait que certains groupes d’intérêts influents tirent profit du statu quo lorsque les DSS ne sont pas pris en compte, et ils croient que leurs intérêts seraient compromis si ces mesures étaient mises en œuvre énergiquement pour s’attaquer aux déterminants sociaux. Les principaux objectifs de la CDSS précisent clairement qu’il s’agit de combler les lacunes des fondements scientifiques des déterminants sociaux et des mesures et interventions efficaces pour les aborder. L’existence même de la Commission reflète la conviction que la communication effective des messages des DSS aux décideurs, aux acteurs de la santé et du développement ainsi qu’au grand public peut contribuer à catalyser une action qui offrira davantage d’opportunités sanitaires aux personnes vulnérables. Cependant, la CDSS doit également et véritablement prendre en compte la deuxième explication évoquée ci-dessus à propos du rapport des forces dans le domaine politico-économique. Notre enquête rétrospective suggère qu’on ne peut dans un premier temps imputer le blocage de l’action sur les DSS au manque de connaissances. Au cours du dernier quart de siècle, les preuves disponibles ont été suffisantes pour permettre à la plupart des pays de reconnaître en principe (par le biais de nombreuses déclarations et de communiqués officiels) l’urgence d’une telle action. Toutefois, des barrières politiques ont parfois surgi entre cette reconnaissance et la mise en œuvre effective de stratégies rationnelles. Il est particulièrement important que la CDSS se concentre sur ces problèmes dès le lancement de ses activités. Concevoir et réaliser un processus de collecte de preuves scientifiques pourra dans un sens paraître évident et « naturel » à plusieurs membres de la Commission et à leur personnel d’appui ; il n’est pas certain qu’il en soit ainsi si on s’attaque aux barrières politiques. Mais si la stratégie politique n’est pas bien élaborée, la collecte de preuves, quel qu’en soit le fondement scientifique, ne pourra produire les changements concrets recherchés par la Commission. Des chercheurs ont commencé à analyser l’aspect politique/structurel de la résistance aux moyens d’approche89,130 des DSS, mais beaucoup reste à faire. Cet article ne peut établir la correspondance du rapport des forces de manière détaillée, puisqu’une fois de plus les particularités des contextes aux niveaux national et local

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s’avéreront d’une importance cruciale et les groupes d’intérêts influents varieront au gré des domaines thématiques abordés par la Commission (par ex. nutrition, sécurité, habitat, exclusion, etc.). La première tâche du Réseau des Savoirs de la Commission et des groupes de coordination sera d’établir une correspondance détaillée des forces politiques dans chaque pays membre. Le présent document peut identifier les divers grands groupes qui pourraient avoir le sentiment que leurs intérêts sont menacés par les stratégies d’approche des DSS. En s’intéressant particulièrement à ces groupes et en essayant de comprendre leurs enjeux respectifs dans les mécanismes de mise en œuvre des DSS, la Commission peut élaborer des stratégies pour les impliquer dans le processus de la CDSS par le biais du dialogue, ou à défaut, réduire tout au moins les conséquences néfastes de leur résistance. Le corps médical Les programmes des DSS, y compris les efforts pour promouvoir la santé et l’action intersectorielle, ont par le passé été confrontés à la résistance passive ou active de plusieurs professionnels et institutions14,16,89 sanitaires. Il est tout à fait raisonnable de penser qu’il en sera de même avec la CDSS. Un des grands défis des DSS et des programmes de santé pour tous sera de faire du corps médical, un partenaire constructif. Les intervenants en matière de santé, spécialement les médecins, font généralement partie de l’élite sociale et partagent les mêmes valeurs et intérêts de classe. A l’instar des autres membres des catégories sociales privilégiées, ils sont contrariés et résistent souvent aux stratégies gouvernementales de redistribution des ressources des couches sociales les mieux nanties en faveur des plus démunies. En outre et surtout, les médecins disposent d’un puissant groupe d’intérêts pour conserver leur monopole sur la santé en dépit des discours et des actions des autorités. Les praticiens rechignent à voir leur mainmise sur les problèmes de santé passer entre les mains d’autres secteurs et groupes d’intérêts professionnels, ou à céder aux communautés le pouvoir d’élaborer les programmes de santé. Le peu de succès de l’action intersectorielle et le discrédit généralisé jeté sur la participation de la communauté dans le cadre du programme Santé pour Tous ont reflété partiellement la persistance de cette dynamique, bien que d’autres facteurs déterminants aient aussi joué un rôle important. Cette situation s’explique en partie par le fait que les médécins souhaitent conserver leur prestige social, mais l’enjeu principal est d’abord économique. Les médecins en tant qu’individus et le corps médical en général gagnent de l’argent en procurant des soins curatifs. Ils ne gagnent rien avec l’introduction d’un programme de nutrition dans les établissements scolaires ou d’amélioration de l’habitat dans les bidonvilles. McGinnis et al. ont mis en évidence l’inhérente asymétrie structurelle entre la santé publique et la fourniture de soins médicaux curatifs dès qu’on est confronté aux antagonismes politiques et à la compétition pour l’obtention des ressources. La Commission doit se pencher sur ce problème dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie de dialogue. Dans de multiples cas, la configuration structurelle des institutions qui régissent la santé, en association avec « la dynamique des groupes

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d’intérêts », ont créé une situation où « la responsabilité politique de la santé des populations n’est l’affaire de personne ». Par contre, un ensemble d’acteurs bien définis – médecins et autres fournisseurs de soins de santé – sont responsables des soins médicaux. Outre leur engagement moral de fournir des services médicaux à ceux qui en ont besoin, les ‘‘intervenants sont très motivés financièrement et ont tendance à défendre les intérêts du groupe en faisant de plus en plus pression pour obtenir davantage de ressources5 en matière de soins médicaux’’. Dans la mesure où ils ont le sentiment que les programmes des DSS vont grignoter ces maigres ressources qui auraient pu être investies dans les soins médicaux, les intervenants en matière de santé et autres groupes d’intérêts qui tirent profit des soins donnés aux patients et autres services connexes peuvent faire de la résistance. Au sein des gouvernements nationaux Les interventions des DSS constituent de grandes opportunités d’améliorer la santé des populations à peu de frais, et en particulier celle des groupes vulnérables. Les gouvernements nationaux devraient être enclins à faire appliquer ces stratégies. Cependant, la volonté et/ou la capacité technique des gouvernements à mettre ces stratégies en œuvre ne sont nullement acquises d’avance. Le Ministère de la Santé peut se montrer circonspect par rapport aux approches des déterminants sociaux, parce qu’elles sont perçues à la fois comme un moyen de drainer les fonds du MS vers d’autres départements ministériels et de réduire son autorité scientifique et politique sur le secteur de la santé. Faire de la santé « l’affaire de tous » devrait apparaître comme une avancée hautement constructive, mais peut également être perçue comme une réduction du pouvoir et des prérogatives du MS et des spécialistes du secteur de la santé. Mais en même temps, les expériences antérieures des AIS démontrent que les ministères autres que ceux de la Santé et les responsables gouvernementaux peuvent aussi (tout au moins au début) se montrer peu disposés à consacrer du temps, de l’énergie et des ressources pour des activités dont les objectifs42 sont orientés vers la santé. En général, beaucoup d’élus effectuent effectivement leurs propres calculs de rentabilité en termes de cycles électoraux et ont donc besoin de résultats concrets pour leurs électeurs. Ils disposent d’un délai de temps très court et recherchent des « victoires faciles », avec une préférence marquée pour les options stratégiques où le lien de cause à effet entre l’intervention et le résultat est évident. Par contre, certains programmes des DSS peuvent prendre des années ou des décennies pour commencer à produire des résultats vraiment palpables. De telles entreprises concourent très peu à la satisfaction des intérêts électoraux immédiats des décideurs. En outre, on connaît la complexité notoire des liens de causalité dans les actions intersectorielles, et dans bien des cas, il n’est pas facile de prouver qu’un programme particulier a apporté des améliorations spécifiques dans le domaine de la santé. Et d’autre part, il faut tenir compte du fait que les premiers bénéficiaires de la plupart des interventions des DSS sont les groupes pauvres et marginalisés qui ont peu de chances d’influer sur le processus politique, et donc d’être « rentables » en termes de votes.

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Comme le soutiennent McGinnis et al.: “Il faut bien plus que des preuves que les changements sociaux pourraient améliorer la situation sanitaire pour convaincre le grand public [ou à plus forte raison les décideurs] que de tels investissements de redistribution devraient être engagés. Il s’agit davantage de choix relatifs aux valeurs5 idéologiques et sociales’’. Certains responsables gouvernementaux peuvent s’opposer à divers aspects d’un programme des DSS pour des raisons idéologiques, parce qu’ils estiment que les interventions des DSS sont une interférence superflue de l’administration dans des processus qu’il vaut mieux abandonner aux forces du marché et à la responsabilité ou au choix individuel. L’introduction de ces nouvelles stratégies de redistribution sous l’égide de l’administration peut rencontrer des résistances parmi les leaders de certains pays riches désireux de garantir la domination du modèle néolibéral de « l’économie de marché » ; il faut s’attendre également à une résistance des responsables de certains pays en développement sur qui s’exercent de fortes pressions et qui sont influencés, soit par les intérêts du secteur privé ou par les grandes institutions mondiales très proches du programme néolibéral. Même dans les pays disposés à adopter ces mécanismes de redistribution pour s’attaquer aux DSS, les gouvernements peuvent ne pas être capables de mettre ces programmes en œuvre : soit par manque de ressources ; soit à cause du plafond des dépenses et autres contraintes imposées par les IFI et les bailleurs de fonds ; ou encore à cause des lacunes auxquelles ils sont confrontés en termes de ressources humaines et autres dans le cadre de la planification, de la mise en œuvre et de la gestion de programmes sociaux complexes. Mais en même temps, beaucoup de décideurs et de personnes chargées de l’exécution des programmes dans les pays en développement font montre (et cela est tout à fait compréhensible) d’un certain « manque d’initiative », de scepticisme et de résistances aux priorités qui sont perçues comme imposées de l’extérieur. Une telle résistance est un obstacle inhérent à l’introduction de toute nouvelle initiative majeure dans certains pays en développement. Il est donc primordial que la CDSS coordonne ses recommandations stratégiques avec les structures existantes et les cadres stratégiques dans lesquels le pays fonctionne, et qui gèrent les relations entre les pays en développement et les bailleurs de fonds (par ex. les DSRP). La CDSS ne doit pas donner l’impression d’être un autre ramassis de « priorités globales » et d’actions préconisées sans rapport direct avec les structures en place et les processus en cours. Le secteur des entreprises A l’instar de ce qui s’est passé pour les précédentes campagnes visant à promouvoir des actions sur les risques sanitaires de facteurs tels que le tabagisme et le régime alimentaire – il est fort probable que certaines entreprises et autres intérêts commerciaux résistent aux recommandations stratégiques de certains DSS. Homedes et Ugalde ont démontré que ce sont le grandes entreprises qui ont d’abord tiré profit des réformes néolibérales réalisées dans le secteur de la santé en Amérique Latine. Ils soutiennent que dans le cadre de ces réformes : ‘‘Les mesures sanitaires écartées des programmes sont celles qui ne rapportent pas grand-chose aux entreprises comme par exemple la sécurité dans les usines et en agriculture, la réduction des accidents dans les transports routiers, la réduction de la consommation du tabac, la promotion des médicaments génériques et la promotion des médicaments

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essentiels’’54. Si le secteur des entreprises et ses alliés se sont opposés à ces composantes des programmes de santé, il est raisonnable de penser qu’ils feront obstacle aux stratégies similaires proposées sous la bannière des DSS. Les tensions les plus perceptibles contre un programme des DSS émaneront des entreprises qui profitent directement de la commercialisation de produits et de modes de vie potentiellement nuisibles à la santé : par ex., les fabricants des produits à base de tabac ; les prêt-à-manger et les aliments-camelotes ; l’alcool ; les automobiles et les armes. Comme le signalent Mc Ginnis et al. dans le contexte des Etats-Unis : ‘‘Tous les problèmes comportementaux qui sont à l’origine de tant de décès – tabac, alcool, excès alimentaires et modes de vie sédentaires – proviennent en partie de puissantes forces commerciales. Le tabac et l’alcool symbolisent les industries américaines avec des ventes annuelles supérieures à 100 milliards de dollars E.-U.. L’industrie alimentaire dépense des milliards de dollars pour la publicité et la promotion de ses produits’’5. Dans ce sens, les efforts soutenus pour s’opposer à l’industrie du tabac et mettre en place la Convention-cadre sur la Lutte contre le Tabagisme peuvent servir de leçons à la CDSScxxxi . Toutefois, par rapport aux intérêts des entreprises, la situation d’un programme des DSS est beaucoup plus complexe que dans le cas du tabac. Au lieu d’une seule industrie (qui de surcroît jouit d’une image plutôt négative auprès du public), les interventions des DSS peuvent être perçues comme une menace éventuelle aux intérêts des entreprises nationales et transnationales dans divers secteurs, y compris les plus puissantes marques mondiales dont les produits sont appréciés du grand public. A cet effet, la tâche des Réseaux des Savoirs de la Commission sera particulièrement délicate lorsqu’il s’agira de faire des recommandations sur l’emploi/les conditions de travail et la mondialisation/commerce. Nombreuses sont les entreprises transnationales très enclines à faire obstacle à la réglementation et aux contrôles officiels sur des problèmes tels que les pratiques de travail, la sécurité sur le lieu de travail et l’impact des activités des entreprises sur l’environnement. La rentabilité de ces entreprises est souvent basée sur le non-respect de ces contraintes indésirables. Ceci vient s’ajouter au fait que les entreprises s’efforcent toujours de minimiser les montants à payer sous forme d’impôts. Il faut s’attendre à ce que beaucoup d’entreprises transnationales considèrent les mesures visant les déterminants sociaux et environnementaux comme une menace, dans la mesure où elles augmentent leurs coûts de production et leur imposent des réglementations supplémentaires par rapport aux procédés de production, aux relations de travail, aux impacts environnementaux et aux pratiques commerciales. Parmi les puissantes entreprises dont les intérêts commerciaux risquent d’être aux prises avec le programme des DSS, on peut inclure les industries à but lucratif du secteur médical et pharmaceutique. Il y a deux raisons pour lesquelles l’industrie pharmaceutique peut considérer la CDSS comme une menace : d’abord parce qu’une approche préventive/promotionnelle des problèmes de santé « en amont », ne peut générer des bénéfices pour l’industrie (et pourrait à long terme, réduire effectivement

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la demande de certains de ses produits) ; ensuite parce que la mondialisation et les transactions commerciales sont des préoccupations pour lesquelles le Réseau des Savoirs et d’autres organes de la Commission pourraient critiquer ouvertement ladite industrie et/ou proposer des recommandations perçues comme allant à l’encontre de ses intérêts. Au sein des organisations internationales et des communautés urbaines Les institutions telles que la Banque mondiale et le FMI disposent d’un immense pouvoir leur permettant d’infléchir les mesures sanitaires et sociales prises dans les pays en développement. Les combats menés par le programme d’Alma-Ata dans les années 1980 offrent entre autres, une leçon sur ce qui peut se passer lorsque les responsables de la santé recommandent des stratégies complètement en déphasage avec les structures de travail recommandées par les institutions financières internationales. Pour éviter une répétition de ce scénario, la CDSS devra gérer ses relations avec les IFI et autres grandes institutions de développement de manière stratégique. Ceci peut s’avérer une équation difficile à résoudre. Bien que les approches stratégiques des IFI aient évolué depuis les années 1980, quelques experts préviennent cependant que les changements ont été plus rhétoriques que réels. Le fait que la Banque mondiale reconnaisse l’importance d’un Etatcxxxii fort et apte, et la présence de nouveaux cadres de travail tels que les DSRP ne signifient pas nécessairement des changements dans les hypothèses et les impératifs qui sous-tendent le modèle néolibéral. Les critiques soutiennent que les rapports de pouvoir asymétriques entre les IFI, les pays concernés et les modèles d’approches stratégiques recommandés par la Banque mondiale et le FMI, sont dans bien des cas demeurés les mêmes qu’autrefois68,cxxxiiii. Les IFI continuent à préconiser la libéralisation et la privatisation du marché, « moins d’Etat » et le respect strict des plafonds des dépenses publiques, y compris pour les services sanitaires et sociaux. Dans bien des cas, il est donc possible que leurs recommandations aillent à l’encontre des approches stratégiques que va prôner la CDSS. De surcroît, aussi bien les IFI que les agences bilatérales de développement des pays puissants sont largement influencées par les programmes des entreprises. Bien souvent, les démarches des IFI vont dans le sens des intérêts des entreprises qui ont des liens étroits avec les gouvernements principaux actionnaires. Aussi, dans la mesure où les messages et les recommandations de la Commission sont perçus comme une menace pour les intérêts des entreprises influentes, les IFI et les agences bilatérales peuvent chercher à discréditer la Commission ainsi que ses recommandations, en les critiquant soit ouvertement ou en coulisse par les conseils donnés aux décideurs et autres interlocuteurs au niveau national. La CDSS peut donc envisager comme une priorité, le lancement d’une campagne de sensibilisation auprès des principaux groupes d’intérêts au sein des IFI, des agences bilatérales et autres bailleurs de fonds, en élaborant et en mettant en œuvre des stratégies de sensibilisation ciblées dès le lancement de ses opérations.

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2.2.3 Identification des alliés et des opportunités politiques Le succès de la Commission dépendra dans une large mesure de sa capacité à tisser un réseau d’alliances et de partenariats avec des acteurs influents à divers niveaux, y compris : les institutions mondiales, les gouvernements et les décideurs au niveau national, le secteur des entreprises et les organisations de la société civile. Heureusement, bien que la CDSS s’attende à l’opposition de certains groupes de pression influents (et elle doit s’y préparer avec les stratégies appropriées), la Commission bénéficiera aussi d’opportunités particulières. Elle travaillera dans un contexte politique qui, s’il est géré de manière adéquate, offrira des chances de succès bien au-delà des efforts antérieurs. Il est permis de croire que la plus grande responsabilité des membres de la Commission sera d’user de leurs réseaux et liens personnels dans divers cercles d’influence (politique, entrepreunariat, universitaire, médiatique, société civile) pour bâtir et entretenir un vaste réseau d’alliances qui va soutenir et mieux faire connaître le travail de la Commission, disséminer ses messages et mettre ses recommandations en œuvre. Pour être pleinement efficace, ce réseau doit opérer à plusieurs niveaux en même temps. Les acteurs mondiaux Rallier le soutien permanent des grandes institutions mondiales, y compris les principales agences des Nations Unies, est essentiel pour créer une impulsion soutenue autour du programme des DSS et garantir leur intégration durable dans la stratégie sanitaire et les modèles de développement adoptés au niveau international. L’histoire du débat des SSP vs. SSPS au cours de la décennie 1980 donne à penser que les incessantes divergences entre la stratégie de l’OMS et celle de l’UNICEF ont contribué pour beaucoup à la fragilisation de l’engagement global en faveur de l’initiative « Santé pour Tous » et aux SSP dans leur ensemble, avec une composante d’action intersectorielle. Heureusement pour la Commission, le programme des DSS semble être fermement engagé dans la principale voie choisie par les Nations Unies et la stratégie de développement international, et qui est basée sur les OMD. En effet, si certains aspects du programme des OMD peuvent faire l’objet de critiques du point de vue sanitaire (absence de maladies non transmissibles, accent insuffisamment mis sur les systèmes de santé), le cadre général des OMD fournit une admirable opportunité de garantir la place centrale de la santé dans le travail préparatoire en général, et plus particulièrement, de promouvoir une meilleure

Principales questions stratégiques : • Pour intéresser les leaders politiques, un programme stratégique des DSS

doit offrir des opportunités de « gains faciles ». Au niveau des pays, ce principe intéresse les processus politiques, et au niveau mondial, il s’applique à la Commission elle-même. Quels contours pourraient avoir ces « gains faciles » pour des pays qui recherchent des solutions aux problèmes des déterminants sociaux et pour la CDSS ?

• Comment la Commission forgera-t-elle ses relations avec les principales institutions financières internationales, et en particulier la Banque mondiale ?

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compréhension des liens qui existent entre les problèmes de santé et les conditions socio/économico/politiques qui les sous-tendent. Mieux encore et par définition, les OMD constituent un bon cadre pour une action internationale coordonnée, qui bénéficie déjà de l’appui des principaux acteurs. Dans la mesure où la CDSS aligne ses recommandations stratégiques sur les OMD, elle peut tirer profit de l’impulsion de l’engagement mondial et national en faveur de ces objectifs. Le travail du Projet des Nations Unies pour le Millénaire, dont le rapport final a été publié en janvier 2005, a, dans le cadre des OMD8, mis en évidence l’entrelacement d’une multitude de problèmes économiques, sanitaires et environnementaux dans le développement international. Un sens renouvelé de l’urgence d’une action multisectorielle coordonnée visant à améliorer les conditions de vie des personnes les plus vulnérables, est né en même temps que le modèle « synthétisé » entre les pays développés et les pays en développement, qui pourrait accroître sensiblement les investissements dans les secteurs clés d’un intérêt direct pour les programmes des DSS, tels que la pauvreté et la sécurité alimentaire, l’éducation, le renforcement de l’autonomie des femmes, l’eau, l’hygiène et les conditions de vie dans les bidonvilles, ainsi que des services médicaux7 de meilleure qualité. La CDSS doit en priorité chercher à se positionner dans les divers forums et processus stratégiques internationaux ayant trait aux OMD, et à ouvrir des voies de dialogue avec les principaux acteurs qui peuvent lui permettre d’occuper une place prépondérante au sein de ces processus. Les forums et les institutions concernés incluraient entre autres le Conseil économique et social des Nations Unies ; les équipes consultatives qui travaillent avec le Secrétaire général des Nations Unies ; l’effort réalisé dans le cadre de la Campagne pour le Millénaire ; le Forum de haut niveau sur les OMD, ainsi que les diverses agences spécialisées des Nations Unies qui contribuent aux efforts pour les OMD et organisent leur travail conformément aux priorités des OMD. L’importance de la sensibilisation des grandes institutions financières internationales a déjà été relevée. Les stratégies des IFI continuent à être l’objet de sévères critiques. Les débats se poursuivent à propos des effets des DSRP sur la capacité des pays en développement à renforcer leurs systèmes de soins de santé et à mettre en œuvre les stratégies qui promeuvent la santé et l’équité en matière de santé. Et pourtant, les attitudes et pratiques en usage à la Banque mondiale et dans quelques autres banques régionales de développement sont en train de changer dans un sens qui pourrait faciliter l’acceptation des messages de la Commission et la mise en œuvre des mesures stratégiques recommandées par la CDSS. Autre fait important, la Banque mondiale s’est engagée publiquement à soutenir les OMDcxxxiv, et les relations entre l’OMS et la Banque se sont renforcées par la collaboration dans le cadre du Forum de haut niveau sur les OMD. Dans le même temps, la Banque mondiale et la BEI ont joué un rôle primordial dans le succès de programmes comme PROGRESA/Oportunidades au Mexique. La place que la Banque mondiale accorde maintenant à l’équité en tant problème majeur de développementcxxxv international, offre à la CDSS l’opportunité de faire passer son message, à savoir, que si les pays et la communauté internationale veulent vraiment s’attaquer aux inégalités en matière de santé, la voie la plus efficace passe par les DSS.

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En comparaison aux efforts fournis au cours de la décennie 1990 pour promouvoir l’action intersectorielle sur les déterminants de la santé, un des principaux avantages stratégiques de la CDSS est l’engagement ferme et manifeste des hauts responsables de l’OMS, y compris le Directeur général, en faveur du programme des DSS. Ce ralliement institutionnel de haut niveau au sein de l’OMS accroît les chances de voir une approche stratégique basée sur les DSS « soutenue » au sein de l’OMS tant que la Commission est en activité et peut même devenir une dimension permanente du travail technique et du dialogue stratégique de l’Organisation avec les Etats membres. D’autre part, certains groupes d’intérêts - de la communauté sanitaire mondiale et même au sein de l’OMS - accueilleront certainement l’approche basée sur les DSS avec scepticisme. La structure de la Commission et de ses Réseaux des Savoirs - y compris l’accent particulier mis sur les systèmes de santé et les maladies prioritaires pour la santé publique, est conçue de manière à entraîner dans le sillage des DSS un plus grand nombre de groupes biomédicaux, en leur démontrant comment les approches basées sur les DSS peuvent améliorer les résultats de leurs propres programmes et contribuer au renforcement de systèmes de santé intégrés et durables. Un Groupe de Référence de haut niveau de l’OMS proche de la Commission va élaborer un programme d’action interne spécifique à l’OMS, afin d’incorporer de manière durable les principales recommandations de la Commission dans la stratégie et la programmation de l’OMS. Les forums internationaux tels que le G-8, les organismes régionaux et les alliances politiques plus ou moins formelles autour de problèmes comme la faim dans le monde peuvent également servir d’importants points d’ancrage pour la Commission. L’intérêt que les nations du G-8 portent aux inégalités économiques et sanitaires offre une excellente porte d’entrée pour la CDSS ; les membres de la Commission et le personnel d’appui devraient tout mettre en œuvre pour en tirer profit. Bien que certains les critiquent parce qu’elles semblent calquées sur les modèles néolibéraux, les initiatives de développement entreprises par l’Afrique, à l’instar du NEPAD, sont un signe de créativité et d’engagement renouvelé en faveur d’une approche globale du développement qui pourra offrir des opportunités d’action sur les DSS. Les initiatives de développement comme l’Alliance mondiale contre la faim, lancée récemment par les présidents du Brésil, du Chili, de France et d’Espagne sont en relation étroite avec les thèmes de la Commission et peuvent entraîner des synergies. Les récentes propositions du Royaume-Uni sur l’annulation de la dette et un possible « Plan Marshall » pour l’Afrique montrent aussi à quel point certains secteurs de la stratégie globale et du développement communautaire sont disposés à envisager de nouvelles stratégies et à entreprendre d’audacieuses innovations. Les acteurs nationaux Au niveau national, la Commission entame son travail à un moment où, comme on l’a relevé ci-dessus, une action concertée est en train de se mettre en place autour des DSS. Plusieurs pays économiquement et politiquement influents ont appliqué des stratégies audacieuses sur les DSS, et d’autres seront bientôt disposés à passer à

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l’action. Le problème des inégalités en matière de santé dues aux déterminants sociaux, a été perçu comme un important enjeu politique par un nombre croissant de groupes d’intérêts88. A date, les progrès les plus évidents ont été réalisés dans les pays à revenu élevé, mais l’exemple du programme Oportunidades montre que plusieurs pays en développement entreprennent aussi des programmes novateurs. Lors du conseil d’administration de l’OMS de janvier 2005, des pays en développement représentés au sein dudit conseil ont exprimé leur ferme soutien à la CDSS ; il s’agit entre autres de la Bolivie, du Ghana, du Lesotho et de la Thaïlande. Plusieurs pays en développement semblent disposés à envisager des propositions sérieuses et pragmatiques sur les stratégies et les interventions qui peuvent réduire les inégalités en matière de santé en agissant sur les facteurs sociaux.

Pour garantir le succès de la Commission, il est essentiel d’établir une étroite relation entre les processus appliqués au niveau national et les décideurs qui y sont impliqués. Une fois de plus, les membres de la Commission devront, autant que possible, mettre leurs réseaux personnels à contribution et jouer un rôle qui est politique avant tout. La Commission devra jouer un important rôle d’intermédiaire pour assurer le dialogue stratégique et le partage de connaissances entre les pays « de tête » qui ont déjà mis en œuvre ces stratégies sanitaires basées sur les DSS et les pays qui veulent les appliquer, mais ne l’ont pas encore fait et recherchent des conseils pratiques et perspicaces sur la manière de procéder. Le secteur privé Nous avons déjà évoqué le problème auquel la CDSS peut être confronté à cause des possibles tensions entre ses messages et les intérêts des acteurs influents du secteur privé, et en particulier les entreprises transnationales. Manifestement, l’une des préoccupations majeures de la Commission sera de trouver des formules appropriées pour faire face au secteur des entreprises. Il y a peu de chance que les recommandations portant sur des changements structurels en vue de réduire les inégalités sociales, par le biais d’une redistribution à grande échelle des ressources sous l’égide du gouvernement, trouvent un écho favorable auprès du monde des affaires. Cependant, certaines stratégies et interventions intermédiaires visant à améliorer la santé par le biais des DSS peuvent effectivement être attrayantes pour les acteurs du secteur privé, et permettre à la Commission « d’entraîner » certaines industries et entreprises dans le sillage des propositions de la CDSS. La récente initiative de la Commission mondiale sur la Dimension sociale de la Mondialisation sous l’égide de l’OIT, et dont faisait partie M. Taizo Nishimuro, président du conseil d’administration de Toshiba Corporation, peut servir de modèlecxxxvi. Certaines stratégies et interventions recommandées par la Commission peuvent être présentées comme « favorables aux entreprises ». A titre d’exemple, investir dans les premières années du développement et de l’éducation de l’enfant est hautement avantageux pour former une main-d’œuvre plus saine, plus qualifiée et mieux adaptée aux exigences de la plupart des industries modernes des secteurs de la technologie et des services. De même, les projets d’amélioration de l’habitat dans les bidonvilles pourraient générer des profits pour l’industrie de la construction. Deux récents rapports sur la compétitivité des industries nationales (réalisés par le Forum

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économique mondial et la Banque mondiale) ont estimé que les économies des pays nordiques sont parmi les plus compétitives au monde. Les lourds investissements que ces pays consentent pour l’égalité sociale et les programmes concernant les DSS ne réduisent en rien leur compétitivité au sein de l’économie mondiale. Au contraire, à en croire l’un des auteurs du rapport de la Banque mondiale , « nous estimons que la protection sociale est bonne pour les affaires, elle allège les charges des entreprises pour les frais de santé et garantit une main-d’œuvrecxxxvii bien formée et éduquée. De telles conclusions peuvent servir de solide argumentaire à la CDSS. D’autre part, des questions plus graves d’ordre méthodologique et éthique sous-tendent le problème des relations avec le secteur des entreprises et avec les gouvernements préoccupés par les « résultats » financiers. La Commission doit se poser la question de savoir s’il faut - et comment - utiliser les raisons d’économie et de rentabilité pour promouvoir des stratégies sanitaires qui englobent les DSS. Il va sans dire que ces arguments peuvent s’avérer fort avantageux lorsqu’il s’agit de promouvoir les approches basées sur les DSS auprès des décideurs politiques. Comme le faisait remarquer un expert au cours d’un récent atelier sur la formulation des politiques basées sur l’expérience : ‘‘Qu’est-ce qui rend les arguments probants ? Sans aucun doute, l’impact financier… Quel est le meilleur argument pour amener le gouvernement à écouter ? Réponse : L’argentcxxxviii ! Et comme nous l’avons remarqué, l’impact de la Commission sur la Macroéconomie et la Santé est davantage redevable à la décision de la CMS de motiver ses recommandations stratégiques d’abord en termes de gains économiques, plutôt qu’en usant d’arguments éthiques. De même, les arguments économiques ont été avancés par les partisans des approches stratégiques des DSS dans bon nombre de pays ayant commencé, ou tout au moins songé à mettre en œuvre des stratégies de santé publique orientées vers les déterminants de la santé. Cependant, les fondements scientifiques de ces arguments restent contestables. (Porter l’espérance de vie des populations au-delà de 50 ans n’implique pas nécessairement des économies à long terme pour les systèmes de santé ; un tel résultat est largement tributaire du type et de la quantité des soins et autres services de santé dont les individus auront besoin pendant cette durée de vie plus longue. Est-il économiquement plausible de présenter les stratégies des DSS comme des instruments qui permettront aux gouvernements et aux systèmes de santé d’économiser de l’argent ? Est-il moralement honnête de le faire ? La Commission devra réfléchir posément sur le rapport que les éventuels arguments économiques en faveur des stratégies des DSS peuvent avoir avec des arguments fondés sur l’équité, la justice sociale et/ou les droits de l’homme. La société civile Depuis les programmes de santé communautaire de la période pré-Alma-Ata, on a souvent cité la participation active des groupes de la société civile comme un facteur-clé du succès, dans les cas où la stratégie intersectorielle sur les déterminants de la santé a bien fonctionné aux niveaux local et national14,27,42. Etant donné que l’objectif de la CDSS est de produire des résultats et pas seulement des mots en l’air, elle doit prendre cette corrélation au sérieux et modeler ses stratégies en conséquence.

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La CDSS peut tirer profit du rôle accru de la société civile aux niveaux mondial, national et local. L’influence des organisations de la société civile s’est accrue dans plusieurs régions du monde, de même que la capacité de ces organisations à collecter et partager les connaissances et à se soutenir dans leurs efforts, se rapprochant un peu plus chaque jour au-delà des frontières politiques et spatiales, grâce à l’utilisation des nouvelles technologies de communicationcxxxix,cxl,cxli. La mobilisation de la société civile a été un facteur déterminant dans certains événements politiques importants intervenus ces dernières années (du renversement de l’apartheid à la « Révolution Orange » en Ukraine). Dans le domaine de la santé, l’impact de la Bengladesh Rural Advancement Committee (BRAC), la South Africa’s Treatment Action Campaign et d’autres organisations de la société civile ont transformé les traditionnelles relations entre les intérêts du corps médical, du gouvernement, des industries et les communautés. Plusieurs grandes ONG internationales ont exprimé leur ferme soutien au programme des DSS, et en réalité, certaines l’ont fait bien avant la création de la Commissioncxlii. Si la CDSS intègre les groupes de la société civile comme partenaires effectifs dans diverses phases de son action, la Commission peut espérer tirer avantage de l’audience et de l’influence grandissantes de la société civile pour influer sur les changements stratégiques et assurer la traduction de ces bonnes idées en résultats concrets. Ayant reconnu l’importance stratégique de cette question, le secrétariat de la CDSS est en train d’élaborer une stratégie globale de partenariat avec les organisations de la société civile qui vont aménager des espaces pour sa participation dans tous les aspects du processus de la CDSS, y compris les pays partenaires et les Réseaux des Savoirs. La présence de la CDSS lors de la Deuxième Assemblée de la Santé communautaire qui se tiendra en juin 2005à Cuenca, en Equateur, est une importante étape vers l’ouverture d’un dialogue de fond.

Principales questions stratégiques : • Comment la CDSS peut-elle se positionner efficacement dans le cadre des

processus mondial et national liés aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ?

• Est-il scientifiquement crédible, stratégiquement souhaitable et /ou moralement acceptable pour la Commission de soutenir que les stratégies sanitaires liées aux déterminants sociaux sont un investissement avisé qui sera «rentable» pour les systèmes de santé, en termes d’améliorations des performances économiques et/ou d’économies ?

• La Commission peut-elle opérer stratégiquement pour rallier le monde des affaires sans pour autant perdre en crédibilité auprès des autres groupes d’intérêts, y compris la société civile ? Comment les éventuels conflits d’intérêts seront-ils gérés au sein de la Commission au fur et à mesure de l’évolution de ses activités ?

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2.2.4 Preuves, processus politiques et "scénario” de la CDSS La preuve scientifique est certes importante pour convaincre les sceptiques de la valeur des stratégies sanitaires orientées vers les DSS. Mais la preuve en soi n’est jamais, sinon rarement suffisante pour catalyser l’action politique. En termes politiques, ce qui peut avoir au moins autant d’importance que la preuve elle-même, c’est le scénario qui la sous-tend. L’idée n’est certes pas nouvelle. En fait, elle est aussi ancienne que la politique elle-même. Toutefois, l’importance du sujet a clairement été confirmée dans l’histoire de la santé publique de ces dernières années. Le mouvement des soins de santé primaires qui a vu le jour dans les années 70 s’était appuyé sur les succès des programmes de santé communautaire de la précédente décennie. Mais ce qui a permis aux SSP et à la Santé Pour Tous de devenir des cris de ralliement d’un mouvement mondial, ce n’était pas les preuves présentées (en 1970, il y en avait très peu). Ce changement est dû aux discours convaincants des partisans des SSP, - incarnés par la figure emblématique de Mahler -, discours portant sur la justice, le développement humain et la transformation de la société. De même, la victoire subséquente des SSP sélectifs était moins l’affaire de preuves en soi que du transfert des intérêts politiques associé à l’émergence d’un « scénario» nouveau et parfois plus convaincant (parce que plus simple). Le nouveau scénario a basculé du discours sur la justice sociale au discours sur les enfants mourants et qui peuvent être sauvés par une intervention rapide. Le discours des SSPS se réduisait essentiellement à un jeu d’images « avant et après » qu’on utilisait souvent au cours de la promotion « de la révolution pour la survie de l’enfant ». La première montrait un enfant gravement atteint par la diarrhée, affaibli et déshydraté ; et la seconde montrait le même enfant guéri et plein de vitalité grâce à l’administration des sels de réhydratation par voie orale14. L’histoire des SSPS/GOBI a dépassé ou fait abstraction de la plupart des complications politiques et économiques que les partisans de la vision d’Alma-Ata avaient essayé de démêler. Mais précisément, c’est cette simplicité élémentaire et humaine qui a fait la force et « fait vendre » les SSPS et le programme de survie de l’enfant. L’importance du scénario dans le changement stratégique en matière de santé a été confirmée récemment par un fascinant exercice de recherche. Une équipe d’experts de haut niveau a étudié comment l’information scientifique est effectivement utilisée (ou ignorée) dans les processus décisionnels, en explorant cette question dans un atelier résidentiel qualitatif organisé avec de hauts responsables politiques. Les résultats dudit atelier devraient amener les experts de la santé à renoncer à croire qu’ils peuvent infléchir la stratégie en se contentant de fournir de solides preuves scientifiques aux responsables politiques. Les décideurs interviewés dans le cadre de cette étude ont réaffirmé la nécessité d’élaborer des messages simples débarrassés du jargon scientifique et soutenu que les chercheurs devraient prêter plus d’attention aux cadres temporels dans lesquels les gouvernements opèrent. Quelque solides qu’elles soient, les preuves n’ont pas le pouvoir inhérent d’introduire des changements, si elles ne sont pas présentées de manière convaincante et en temps opportun, et si leur pertinence ne cadre pas précisément avec les préoccupations des

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décideurs. Beaucoup de décideurs ont mis l’accent sur la « valeur d’un bon scénario ». Comme l’a fait observer un expert britannique en matière de santé : ‘‘[Ce qui est important, c’est] comment présenter la preuve de manière convaincante et intéressante. La validité apparente d’un « bon scénario » est révélatrice de l’influence que le mode de présentation peut avoir sur les décisions politiques’’138. Les participants ont soutenu que l’importance des scénarios ne s’oppose pas à l’idée de formulations de politiques basées sur les preuves. Comme l’a souligné une de nos sources, il n’est pas question d’opérer un choix. ‘‘Les scénarios peuvent être utilisés de manière crédible en même temps que les preuves’’. En effet, le scénario est le vecteur humanisant qui donne tout son sens à la preuve. ‘‘Un scénario’’ sur les déterminants sociaux doit pouvoir retenir l’attention des décideurs et autres parties prenantes, en leur faisant comprendre que les DSS sont importants et que l’action visant à s’attaquer à ces facteurs est réalisable et opportune. Il doit permettre et encourager les décideurs à « vendre » le programme des DSS à leurs collègues et aux groupes d’intérêts. On peut soutenir que créer et faire collectivement « sienne » ce scénario convaincant et cohérent, est le plus important défi auquel la CDSS sera confrontée.

CONCLUSION Aujourd’hui, l’opportunité nous est donnée de nous attaquer aux racines des souffrances et des morts inutiles dans les communautés pauvres et vulnérables du monde. La plupart des inégalités en matière de santé et l’ensemble des souffrances humaines ont un fondement social : les déterminants sociaux de la santé. Au cours de la dernière décennie, les connaissances scientifiques sur les DSS ont fait de formidables avancées, et aujourd’hui, les conditions politiques sont plus que jamais auparavant favorables à l’action. L’occasion est trop belle pour la laisser filer. Pour la saisir, il faudra un leadership basé sur la maîtrise de connaissances scientifiques appropriées, mais aussi sur la vision morale et la sagesse politique. C’est pourquoi la décision a été prise de constituer la Commission des Déterminants sociaux de la Santé maintenant. Cette exceptionnelle opportunité est le fruit d’un long processus historique. Reconnues avec force dans la Constitution de l’OMS en 1948, les dimensions sociales de la santé ont par la suite été éclipsées des préoccupations de la santé publique, au cours de la période dominée par les programmes verticaux basés sur la technologie. Les déterminants sociaux de la santé et la nécessité d’une action intersectorielle pour y faire face ont ressurgi pendant la période d’Alma-Ata et étaient au centre de la

Principale question stratégique: • Quel scénario la CDSS veut-elle mettre en place pour parler des conditions

sociales et du bien-être des êtres humains ? Quelle histoire peut capter l’imagination, les sentiments, l’intelligence et la volonté des décideurs politiques et du grand public au point de les amener à passer à l’action ?

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panoplie des SSP proposés dans le cadre du programme Santé Pour Tous. Au cours de cette période, certains pays ont fait de grands pas vers la résolution des problèmes relatifs aux déterminants sociaux, tels que la nutrition et l’éducation des femmes. Malheureusement, à l’instar d’autres aspects des SSP , l’action sur les déterminants a été affaiblie par l’économie néo-libérale et le consensus politique dominant des années 1980 et au-delà, où l’accent était mis sur la privatisation, la déréglementation, le retrait des Etats et la libéralisation des marchés. Sous l’influence grandissante des diverses variantes du néo-libéralisme, l’action de l’Etat pour améliorer la santé en s’attaquant aux inégalités sociales sous-jacentes, s’est avérée irréalisable dans bien des cas. Cependant, il n’y a pas bien longtemps, le vent a recommencé à tourner. Les faiblesses des prescriptions néo-libérales sont apparues au grand jour et la nécessité d’envisager d’autres approches du développement a été largement reconnue. Dans les années 1990, on s’est davantage préoccupé des inégalités en matière de santé entre et à l’intérieur des Etats, tandis que les progrès scientifiques ouvraient la voie vers une meilleure compréhension des déterminants sociaux de la santé. Dans un nombre croissant de pays, la preuve scientifique est appliquée pour élaborer de nouvelles et audacieuses approches stratégiques publiques. Pour le moment, cette tendance est davantage perceptible dans les pays à revenu élevé, mais plusieurs pays en développement ont entrepris des actions novatrices sur les DSS, et bien d’autres pourraient s’y engager. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement adoptés par 189 pays en 2000, offrent un nouveau cadre intégré pour le développement global, qui a une fois de plus focalisé l’attention sur l’imbrication des problèmes de développement et la nécessité d’une action simultanée et coordonnée dans une variété de secteurs, y compris la stratégie macroéconomique, l’alimentation et l’agriculture, l’éducation, le genre et la santé. En l’absence d’une énergique action stratégique, les OMD relatifs à la santé ne pourront être atteints dans la plupart des pays à revenus faible ou moyen. Ce « changement de marée » constitue une opportunité historique pour l’action sur les déterminants sociaux et une chance pour changer la théorie et la pratique des éléments constitutifs de la stratégie sanitaire, par opposition aux stratégies de fourniture des soins de santé. Maintenant que la CDSS est engagée dans la réalisation de sa mission, un certain sens de l’histoire lui sera d’un grand apport. Pour maximiser ses chances de succès, la Commission doit façonner ses stratégies en tenant compte des précédents efforts des DSS et des leçons à tirer de ces expériences. Le présent rapport a essayé de donner un aperçu historique sélectif des intenses efforts fournis pour s’attaquer aux DSS. Il a brossé à grands traits les progrès des connaissances sur les DSS et, tout aussi important, certains des rapports politiques changeants qui ont modelé les efforts d’intervention sur les dimensions sociales de la santé et contribué à leur succès ou leur inexécution. Le présent rapport ne prétend pas donner des prescriptions. Il aura accompli sa mission s’il parvient à focaliser plus d’attention sur certains problèmes urgents auxquels les membres de la Commission seront confrontés, au fur et à mesure que la CDSS forge son identité, fixe ses objectifs et élabore ses stratégies.

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En conclusion, nous faisons un rappel des principales questions stratégiques identifiées:

1. Quelle est la position de la CDSS par rapport au « problème Malher-Grant » : à savoir choisir (ou rechercher un compromis) entre (1) une évaluation structurelle critique lourde de conséquences basée sur une vision de la justice sociale et (2) la promotion d’un certain nombre d’interventions bien articulées et à même de produire des résultats à court terme, mais avec le risque de laisser de côté des causes plus profondes de souffrances et d’inégalités évitables en matière de santé ? Si la CDSS opte pour une approche plus globale fondée sur les valeurs, elle risque de sacrifier l’efficacité à court terme et les résultats mesurables. Si par contre elle adopte une position plus sélective, plus interventionniste et pragmatique, les critiques vont se demander pourquoi créer une Commission mondiale en lieu et place d’un groupe de travail technique moins dispendieux. Ce problème concerne essentiellement la manière dont les membres de la Commission appréhendent leur rôle politique, et la place qu’ils accordent aux valeurs morales dans une entreprise qui vise à renforcer l’action stratégique et apporter rapidement des solutions concrètes et mesurables.

2. Quels critères d’évaluation la CDSS mettra t-elle en place pour identifier

les points d’entrée stratégiques appropriés aux différents pays/régions ?

3. Pour intéresser les dirigeants politiques, un programme stratégique des DSS doit offrir des opportunités de « gains faciles ». Au niveau des pays, ce principe intéresse les processus politiques, et au niveau mondial, il s’applique à la Commission elle-même. Quels contours pourraient avoir ces « gains faciles » pour des pays qui recherchent des solutions aux problèmes des déterminants sociaux et pour la CDSS ?

4. Comment la Commission forgera-t-elle ses relations avec les principales

institutions financières internationales, et en particulier la Banque mondiale ?

5. Comment la CDSS peut-elle se positionner efficacement dans le cadre des

processus mondial et national liés aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD)?

6. Est-il scientifiquement crédible, stratégiquement souhaitable et/ou

moralement acceptable pour la Commission de soutenir que les stratégies sanitaires liées aux déterminants sociaux sont un investissement avisé qui sera "rentable" pour les systèmes de santé, en termes d'amélioration des performances économiques et/ou d'économies?

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7. La CDSS peut-elle opérer stratégiquement pour rallier le monde des affaires, sans pour autant perdre en crédibilité auprès des autres groupes d'intérêts, y compris la société civile? Comment les éventuels conflits d'intérêts seront-ils gérés au sein de la Commission au fur et à mesure de l'évolution de ses activités?

8. Rassembler tous les problèmes ci-dessus et autres est une question de

‘‘scénario’’. Il ne s’agit pas d’un simple appendice aux problèmes scientifiques et politiques auxquels la Commission va être confrontée, mais bien du centre nerveux des efforts de la CDSS pour catalyser le changement. Quel scénario les membres de la CDSS veulent-ils mettre en place pour parler des conditions sociales et du bien-être des êtres humains? Quelle histoire peut capter l'imagination, les sentiments, l'intelligence et la volonté des décideurs politiques et du grand public au point de les amener à passer à l'action?

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