En attendant GilbertDeux heures du matin, pis yé pas encore

rentré. J’commence à avoir mon calvénus de voyage. Y m’avait pourtant juré que ça s’rait pas long. Pas long mon cul! Ça fait trois heuresque j’attends en m’rongeant les ongles pis l’cadre d’la porte d’en avant en même temps. Mais qu’y était donc pas comme ça quand je l’ai rencontré. C’est vrai qu’y sont jamais comme ça quand on les rencontre… Le temps passe pis ça change. Ça change tellement qu’on se r’connaît pu au bout d’une couple de mois.

Tens, j’me rappelle du premier soir…J’vous dis que ça pas été long qu’mes yeux sont v’nus grands comme des trente sous quand je l’i vu rentrer dans l’club. Pis y a pas rien que moé qui le r’luquait, à part ça. C’est pas mêlant, toute le cluc à arrêté d’vivre pendant une minute pour le voir aller. Une vraie apparition! J’me d’mande encore comment ça qu’y a choisi ma tablepis qu’yé v’nu s’asseoir à côté d’moi. Aye… là j’étais mal! La gêne m’a fait rougir comme jamais. J’osais même pas m’allumer une cigarette, je l’aurais

échappée tellement je tremblais! Sans compter que c’te soir-là, avant d’sortir, j’avais passé trois-quarts d’heure devant mon miroir en sacrant pisen gesticulant parce que la coiffeuse avait manqué son coup sur ma perruque. J’en brillais! Ça

fait que quand j’ai réalisé qu’y était assis à côté d’moé pis qu’y me dévisageait, c’est ben sûr que l’image de mon miroir me trottait dans tête pis j’avais ben peur qu’y m’trouve pas vraiment d’son goût, pis qu’y décide de changer d’table. Ben non!J’avais peur pour rien. Peut-être ben qu’à soir aussi j’ai peur pour rien…

En tout cas… Comme j’étais pas capable d’ouvrir la bouche, y a ben été obligé de trouver quequ’chose à dire. Ça fait qu’y m’a d’mandé mon nom pis y m’a dit l’sien. Aprè y m’a payé un rhum. Pas une bière,là, un rhum. Y m’ a d’mand. Si j’voulais danser. J’comprends que j’voulais! J’attendais rien qu’après ça.

J’ai jamais vu un gars dansé ben d’même. Le monde se tassait au bord d’la piste pour nous r’garder faire. Faut dire que moé aussi, j’étais pas pire pantoute c’te soir-là. On a eu du fun… Tellement que j’pensait même pu à ma perruque. J’aurais peut-être dû y penser parce qu’à un moment donné, j’ai rasé d’la perdre tellement on s’excitait en dansant un rock. Après ça y a eu un plain. Ben c’est drette là que l’coup d’foudre est v’nu m’frapper en plein dans l’cœur. C’était pareil comme dans une vue. J’nous voyais pis dans moé-même j’me disais : ça s’peux-tu? Pis c’est drôle mais j’ai senti qu’la même chose se passait d’son bord à lui…

Quelle heure qu’yé donc là? Trois heure moins quart. Ça tu du bon sens ! J’pense que j’va prendre un somnifère. Ça va régler mon problème… Bon, ça y est, y m’en reste pu. J’ai pris l’dernier hier pis les pharmacies sont fermées à c’te heure-là…

Ouais… C’te soirée-là, ça va rester graver dans ma mémoire longtemps… On a arrêté de danser parce qu’y faisait trop chaud pis on s’est mis à commander rhum par-dessus rhum en s’poignant les mains de temps en temps en dessous d’la table. On était pas mal gorlo quand on a entendu le last call du waiter. Y a ben fallu sortir du club. On savait pas trop où aller. C’est là qu’y a eu l’idée de m’amener à Montagne. D’habitude, chus pas le genre de tomber dans les bras du premier v’nu. Mais c’te soir-là, c’était donc pas parreil. Ça fait que j’ai dit oui après avoir pensé à mon affaire ben comme faut. Comme de raison, dix minutes après qu’y a parké son char, la police est v’nue nous voir pous nous d’mander si on avait perdu notre route. Non mais…Faut-tu être niaiseux à ton goût! On a été obligés de décoller d’là pai vite à part ça! On était pas mal débinés. Quant t’es débiné pis qu’t’es à jeûn, ça s’prend ben; mais quand ça t’arrive pis qu’t’saoûl, ça s’prend pas pantoute! Mais ça pas été long qu’y a trouvé la solution à notre problème. Y m’a demandé d’aller prendre un verre chez eux. J’savais pas trop si j’devais dire oui. Mais j’ai pas hésité longtemps pis j’ai fini par dire que çam’f’rait ben plaisir.

Que j’trouvais donc ça beau, chez eux. Beau pis propre à part ça. En r’luquant icitte et là on pouvait voir que c’était un homme qui avait ben voyagé. Y t’avait un bahut dans on salon, rempli debibelots. Moé, j’avais surtout r’marqué une p’titedanseuse hawaïnne qui s’déhanchait en-dessous d’un palmier quand on la crinquait dans l’dos. J’aimais ça! J’aimais assez ça qu’y me l’a donnée en cadeau pas plus tard que c’’te soir-là. Après qu’on a r’gardé toutes ses belles affaires, y m’a servi un drink pis on a parlé de ben des choses.

Mais on sentait ben un comme l’autre qu’on avait d’autre chose dans tête. Ça fait qu’on s’est en allé dans sa chambre, pis là…

Là j’ai passé la plus belle nuit que j’avais jamais passée dans toute ma vie. C’étais ben la première fois que j’rencontrais un homme aussi doux pis délicat. J’en avais les yeux pleins d’eau… On s’est endormis à huit heures du matin mais on a pas ronflé ben longtemps. À onze heures, j’avais déjà mes souliers dans mes pieds. J’voulais pas ambitionner faque j’me préparais à partir. C’est là qu’y m’a dit : «Pourquoi tu reste pas? M’semble qu’on pôurrat ben s’entendre toé pis moé.» Les deux bras m’ont tombés! J’osais pas y croire. Je l’ai écouté pis on s’est pas lâché depuis c’temps-là. Du jour au lendemain, mes valises étaient faites pis j’déménageais chez eux. On commençait une nouvelle vie à deux pis on avait l’intention que ça dure à part ça!

Ouais… les intentions, les intentions… Tu vas pas ben loin avec ça. Ça fait même pas un an pis ça commence déjà à aller mal.. Encore à soir, c’est comme hier. Ses promesses, j’commence en à avoir plein l’dos… Me semble que j’entends des pas dans l’escalier. Quatres heures! Une belle heure pour rentrer!

- C’est-tu toé Gilbert?- Non. C’est l’père Noël.- T’est donc comique!

Y a encore bu. Y sent la tonne à plein nez. Là, y va aller pisser à côté d’la bol comme d’habitude. Pis y va m’dire comme d’habitude : «J’espère que tu t’es pas trop ennuyé, Julien?»

Une Nouvelle de Carole ménard