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1 Le 17 avril 2015 Léon Gautier a bien voulu raconter à de jeunes élèves son expérience de la seconde guerre mondiale. Quand un vétéran du débarquement en Normandie rencontre des lycéens venus d’horizons divers, c’est non seulement une chance mais aussi un honneur. Nous avons voulu vous donner un petit aperçu de cette rencontre, car selon les propres paroles de Léon Gautier, « il est plus que jamais important de rappeler à nos jeunes l’importance de la paix et la force du symbole de l’union européenne. »

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Le 17 avril 2015 Léon Gautier a bien voulu raconter à de jeunes élèves son expérience de la seconde guerre mondiale. Quand un vétéran du débarquement en Normandie rencontre des lycéens venus d’horizons divers, c’est non seulement une chance mais aussi un honneur. Nous avons voulu vous donner un petit aperçu de cette rencontre, car selon les propres paroles de Léon Gautier, « il est plus que jamais important de rappeler à nos jeunes l’importance de la paix et la force du symbole de l’union européenne. »

Cette belle rencontre a pu voir le jour grâce à l’action remarquable de notre collègue Didier Penet, enseignant en Histoire, celui-ci ayant eu en effet la bonne idée de partager cette journée avec nous, en sorte que de Paris et sa banlieue jusqu’à Port

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de bouc nous n’étions finalement qu’un même groupe tous ensemble réuni autour d’un des derniers témoins de l’opération Overlord.

Nous vous souhaitons une bonne lecture.

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Il est 14H30, le temps est gris et pluvieux, la visite du matin au cimetière de Colleville sur Mer a rempli le cœur de chacun d’une émotion terrible, partout des tombes et partout ce sentiment atroce de marcher au milieu d’un carnage. Les drapeaux des alliés qui se dressent fièrement face aux visiteurs ne peuvent pas effacer ce sentiment de mort qui plane encore sur ces plages à l’ambiance spectrale.

Voici, maintenant le moment tant attendu, moment solennel entre tous, la rencontre avec monsieur Gautier, qui du haut de ses quatre vingt treize ans, rappelle qu’en ce

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jour du 6 juin 1944, une poignée de français héroïques, regroupés sous le nom de « commandos Kieffer » ont eu la double mission de libérer notre territoire aux côtés des alliés mais aussi de rendre à la France sa place dans le combat pour la liberté et pour l’honneur.

[ Le texte qui suit a été rédigé par Didier Penet, il a veillé à retranscrire entre guillemets les propres paroles de Léon Gautier aux élèves.]

M. Gautier nous pose une question : « Vous connaissez le film Le Jour le Plus Long ? ». Pour certains d’entre nous, nous répondons : « Oui. ». « Bien… vous oubliez ! Rien à voir. ».

C’est l’aube du 06 juin 1944.

Les 177 français du N°4 commando sont à bord des LCIS 523 et 527. M. Gautier est dans le 523.

Depuis leur départ de Portsmouth, la veille, la houle est assez remuante. Elle accompagne l’immense armada de 5000 navires et le destin des commandos à destination des plages de Normandie.

Le quartier-maître Léon Gautier reçoit un dernier breakfast avant d’atteindre la France. Il s’agit d’ «une vulgaire soupe à la tortue distribuée sur le pont, beaucoup trop amère pour l’occasion. ». Dans son battle-dress, il conserve la photographie d’une « jolie petite Anglaise ». Il s’agit de Dorothy Bank sa future femme1 rencontrée à Portsmouth.

A travers les embruns du matin, M. Gautier commence à apercevoir la côte et les silhouettes des bâtiments sortant de l’obscurité. Il distingue aussi en plus clair la longue et large bande de sable des plages découvertes par la marée basse. Peu à peu les détails se font plus précis à mesure que les péniches s’approchent du rivage.

1 Dorothy vivait près de Douvres au début de la guerre. Elle y fut blessée « par des éclats d’obus provenant de tirs par de gros canons en provenance de France »

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La pression augmente dès lors que les obstacles mortels du Mur de l’Atlantique apparaissent. Il s’agit d’un vaste réseau de barbelés, de pieux chargés d’éventrer les barges, de tétraèdres, de champs de mines, de fossés anti-char, de nids de mitrailleuses, de murs bétonnés et de bunkers qui jalonnent la grève afin d’empêcher tout débarquement.

Le bombardement assourdissant de la flotte commence à 6h00. Un déluge de feu s’abat alors pendant une demi-heure sur quelques 100 km de côtes de France.

Les mains du quartier-maître Léon Gautier se crispent sur son Tommy Gun qui le fait ressembler un peu à un « gangster de Chicago ». Il se remémore l’entrainement du camp d’Achnacarry en Écosse, l’étude des maquettes détaillant les objectifs de la plage. Il écoute les derniers conseils de leur officier « Quand vous plongerez dans les dunes, n’en ressortez jamais au même endroit, rampez deux mètres à gauche, deux mètres à droite, sinon, y aura un Allemand pour vous cueillir.»

Objectif principal du N°4 Commando : établir une tête de pont solide pour permettre aux alliés d’amorcer la libération de l’Europe du joug nazi.

Les embarcations se présentent devant Colleville-sur-Orne (aujourd’hui Colleville-Montgomery). Il s’agit du secteur britannique désigné par le nom de code Sword qui est situé le plus à l’est du dispositif allié.

M. Gautier raconte : « Juste avant le rivage, les Britanniques nous ont laissé prendre un peu d’avance. C’était chevaleresque, un beau geste envers nous qui regagnions notre patrie. Nous allions y poser les pieds en premier. »

L’encadrement demande aux hommes restés au bastingage « de rentrer dans l’embarcation afin d’éviter les projectiles provenant de la riposte allemande. Le tintement des balles résonne dans les structures métalliques du LCIS ». Soudain un raclement sourd se fait entendre : la 523 vient de toucher terre.

« Il est 6H27 ».

M. Gautier et ses camarades s’élancent à l’extérieur.

Il aperçoit sur sa gauche la 527 qui a accosté la première devant la 523.

A son bord, le commandant Kieffer.

A ce moment, un obus de mortier touche malheureusement l’une des passerelles de cette embarcation faisant les premières victimes. Kieffer est blessé mais continue à mener ses hommes au combat.

Pendant ce temps, M. Gautier parcoure au pas de course une bonne largeur de la plage avec ses camarades. Les mitrailleuses allemandes crépitent, les explosions se multiplient et les appels des blessés commencent à retentir un peu partout dans ce chaos.

« C’était comme à l’entraînement. Sauf que les corps de nos amis morts gisaient partout. » .

Toute la brigade de Lord Lovat les suit de près.

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L’uniforme de M. Gautier est détrempé par l’eau de mer et par l’effort du moment intense.

Coiffé de son béret vert, il se retourne un instant et aperçoit les premiers éléments des engineers britanniques, les démolisseurs du génie chargés de faire exploser les obstacles afin de faciliter l’arrivée de la deuxième vague d’assaut. De toute part les commandos britanniques et français se ruent vers la sortie de la plage, mais elle est défendue par un premier bunker qui ne se laisse pas réduire facilement. Un char tente d’appuyer avec son canon les commandos dans l’assaut. Il entre à peine en action qu’il est détruit. La casemate finit cependant par succomber grâce à des explosifs.

Les premiers ennemis sont éliminés ou fait prisonniers.

« Pas le temps de s’arrêter !  » 

Au débouché de la plage, il traverse un champ de mines sans s’en apercevoir. Il en réchappe car les engins mortels « ont été plus profondément enfouis grâce à la tempête de la veille. » Un char fléau est appelé pour dégager le sentier. A l’aide d’un système de chaines montées sur un tambour rotatif monté à l’avant de la caisse, l’engin fouette violement le sable et fait détonner des mines de toute sorte « anti-char et les petites anti-personnelles redoutables car explosant après avoir bondi au niveau de la ceinture».

M. Gautier, imite alors ses camarades et « jette son paquetage le long des murs en ruines d’une ancienne colonie de vacances ». Ils ne « conservent que leurs armes afin de combattre plus facilement ».

Il reste à détruire un alignement de 11 bunkers et casemates disposés parallèlement à la plage sur une distance de 3,5 km vers l’est jusqu’à Ouistreham sur l’embouchure de la Dive, fleuve côtier devant empêcher toute contre attaque allemande.

Il va falloir prendre d’assaut les ouvrages les uns après les autres et le plus vite possible sans laisser le temps aux défenseurs de réagir.

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Certains ouvrages ont leurs armes tournées vers la mer.

D’autres servent d’abris aux soldats allemands qui attendent la fin des bombardements pour pouvoir ressortir dans les tranchées.

Enfin, certains ont « leurs armes tournées vers l’intérieur des terres afin de contrer toute attaque par l’arrière notamment par des parachutistes. ».

Les commandos français se «scindent en deux » :

Le premier remonte au plus proche de la plage et de la ligne de bunkers en s’infiltrant dans les défenses et les prenant sur leurs flancs gauches.

Le deuxième groupe rejoint à proximité la D514 qui borde le littoral et permet de prendre les casemates par derrière.

Tout va très vite et les accrochages sont violents et meurtriers. Les combats se font à l’arme automatique, à coups d’explosifs et à l’arme blanche. Peu ou pas de quartier, personne n’a oublié que Adolf Hitler avait « condamné à mort tout commando fait prisonnier ».

Un obstacle détruit, les survivants passent immédiatement au suivant.

Le relai est passé aux troupes de la seconde vague d’assaut qui occupent le terrain et adressent les premiers soins aux blessés et gardent les éventuels prisonniers.

Toutes les défenses ennemies sont ainsi neutralisées et les fameuses « asperges de Rommel »2 détruites.

Les chars commencent à remonter la D514 et participent efficacement à l’anéantissement des dernières fortifications. La mission est accomplie en quelques heures, « comme dans les plans ». Cependant, M. Gautier reconnait que « la notion du temps se perd dans le feu du combat ».

Il reste un dernier ouvrage à éliminer : le blockhaus qui commande l’ensemble du dispositif construit sur les vestiges de l’ancien casino d’Ouistreham. En arrière plan, il y a une grande tour d’observation bétonnée. Elle a été partiellement détruite par un tir d’artillerie navale. Le renfort d’un char guidé par Kieffer et sur les conseils d’un habitant d’Ouistreham permet de mettre un terme à la résistance allemande en la prenant à revers.

Les plages sont sécurisées mais la mission est encore loin d’être terminée.

Il s’agit de remonter la Dive en la longeant par la D514 sur presque 6km et de rejoindre Bénouville afin de faire jonction avec les parachutistes anglais de la 6ème

Airborne qui y contrôlent le pont depuis la nuit précédente.

A la fin du jour, l’unité dénombre dix morts et plusieurs dizaines de blessés.

A Pegasus Bridge, M. Gautier s’installe pour la nuit avec ses camarades.

Chacun renforce ses défenses, creuse des trous individuels et s’attend à une attaque allemande2 Champs de pieux reliés entre eux par du fil de fer barbelés et des cordons d’explosifs destinés à empêcher les parachutages

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[ Troupe mobile les commandos sont utilisés à contre-emploi  faute d’effectifs plus aguerris: ils creusent alors des tranchées pour défendre le secteur. Léon Gautier devait rester trois jours sur le terrain et rembarquer. Il y reste 78 jours soit l’ensemble de la bataille de Normandie. ]

. «Peu de temps après, j’ai perdu mon meilleur ami, Guy, dans un combat à la baïonnette. Il s’est retrouvé seul contre trois Allemands mais il a quand même réussi à en tuer une paire avant d’y passer. J’ai été terrassé par le chagrin. La guerre, c’est dur et moche. C’est la pire douleur que j’aie vécue. »

Ainsi s’achève cette journée émouvante, mais avant de partir les élèves offrent à monsieur Gautier un modèle réduit en métal d’une péniche de débarquement. Elle a été réalisée par le lycée professionnel Aristide Briand du blanc Mesnil.

La journée du 17 avril est déjà loin de nous… mais de nouvelles pages d’Histoire restent à écrire, car le monde de demain est à construire, celui d’aujourd’hui est en transition. Mais hier comme aujourd’hui il faudra avant tout regarder devant soi et aller de l’avant, c’est ce message de paix et d’espoir, que nous avons voulu faire passer à nos jeunes.