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A PIERRE DE RONSARD A VICTOR HUGO ET AUSSI A CHARLES BAUDELAIRE SONT HUMBLEMENT DÉDiÉS CES VERS

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A

PIERRE DE RONSARD

A

VICTOR HUGO

ET AUSSI

A

CHARLES BAUDELAIRE

SONT

HUMBLEMENT DÉDiÉS

CES VERS

FLAMMA TENAX

n m'apparut debout à son seuil solitaire.J'avais marché longtemps pour venir jusqu'à luiEt j'avais respiré les odeurs de la terreSur la face de l'aube et le front de la nuit;

La mer m'avait frappé du fouet de ses écumes;Mon pas avait glissé sur le sable mouvant;J'avais subi, parmi de longues amertumes,La haine de la pluie et la rage du vent;

Au pays de l'amour oii d'ardentes fontainesOffrent leur eau brûlante au cœur désespéré,J'avais vu trop souvent des formes incertainesiVe fuir aux carrefours où mes pas ont erré;

Dans la montagne abrupte où roule, tonne et grondeLe torrent qui s'acharne à ses bords furieux,Du pic vertigineux à la gorge profonde,J'avais connu l'horreur d'être seul sous les cieux;

/Fatigué de la route et des jours inutilesDont la cendre est amère en son inanité,Las des monts, de la mer, des forêts et des villes,Et de ma solitude et de ma liberté,

Je marchais sans espoir vers la nuit san8 étoilePour y dormir aiL noir séjour où le Destin,Sous l'inconnu de l'avenir où il se voile,Cache son songe obscur et son rêve indistinct.

C'est alors que, soudain, je t'ai Vu face à face,Debout dans la lueur de ton seuil empourpré,Haussant à ton poing nu une flamme tenace;0 Veilleur éternel, gardien, vieillard sacré1

Et j'ai compris alors ton geste qu'illumineLa vivante clarté d'un feu toujours vivantDont palpite à jamais l'étincelle divineQui vaincra la ténèbre où l'ombre nous attend.

L'ANGE

L'Ange qui sur vos nuits étend ses blanches ailesN'est pas celui qui veille aux portes du jardin,Et qui, farouche, suit de ses fauves prunellesAu fond d'un ciel obscur un astre au feu lointain.

L'Ange que vous aimez, le vôtre, et qui vous aime,Est un ange aux longs yeux qui s'abaissent vers vous.Il vous ressemblerait si vous n'étiez vous-même,Car il est tendre, pur, silencieux et doux.

Comme le Messager qui vint en Samarie,Par un soir de beauté, de mystère et d'aveu,Tenant entre ses doigts un blanc lis de prairie,A la Vierge annoncer la naissance d'un Dieu,

Il s'approche de vous, vous salue, et s'inclineVers l'orient natal où se lève le jour,Et vous tend, de sa main angélique et divine,La flèche au doux poison dont l'a blessé l'Amour.

LE CHOIX

Elle est venue à moi, un soir, Schéhérazade,Mais je ne m'aperçus soudain qu'elle était làQu'au tintement léger de son collier de jadeEt, dans l'ombre, ce fut ainsi qu'elle parla.

Elle me dit : « Je suis la fontaine et la rose,La voix du rossignol et la saveur des fruits,La figue qui s'entr'ouvre et la grenade close;Je suis toutes les nuits des Mille et une Nuits.

« Je suis les lourds tapis et les claires faïences,L'étreinte, le sommeil, les divans et les bains,Les grands palais emplis de somptueux silences,Tout le prestige heureux des Orients lointains.

« Je suis le frais enclos, je suis la grotte obscure,Le berceau de jasmins et le bois de cyprès,Le verger, le vallon que traverse une eau pure,Les pavillons fermés et les kiosques secrets.

« Voici mon corps, mon sang, ma voix et. mon sourire,Le conte fabuleux qu'à nul je n'ai conté;Je suis l'instant heureux qu'on goûte et qu'on respireEt je me soumets toute à ta félicité.

c Choisis, de tous les biens nombreux que je t'apporte,Celui qu'a longuement convoité ton désir,Le Destin avec moi se présente à ta porte.Choisis, si tu le veux, ou prends tout sans choisir. »

— « Que ferais-je de tout cela, lui répondis-je,Schéhérazade, qu'en ferais-je, puisque j'aiConnu le plus secret et le plus doux prodige :

Deux cœurs qu'enivre ensemble un amour partagé? »

QUE L'AMOUR...

« Que l'amour, sur ma vie, étende sa grande aileEt que batte mon cœur dans son ombre de feu,Qu'un astre éblouissant dans la nuit étincelleEt que s'exalte en moi la présence d'un Dieu!

« Alors qu'importera que pleure la fontaine,Que la rose se fane et que vienne le soir,Alors qu'importera la coupe vide ou pleine,Les outrages du temps ou l'affront du miroir,

« Si J'ai senti passer au-dessus de ma vieLe vol incandescent et le souffle divinEt si, dans l'ombre ardente où je me réfugie,La grande aile de feu s'étend sur mon Destin! »

LA VERTE VALLÉE...

La verte vallée est tranquille,L'air est pur et le soleil luit,Et la lune courbe et subtileAu ciel montera, cette nuit.

Sur les pentes de la montagne,J'entends résonner dans l'échoLes clochettes dont s'accompagneLa lente marche d'un troupeau;

Le gave rapide où la truiteFile avec un humide éclairSe hâte comme à la poursuiteDe son propre flot, vif et clair;

Au parterre où sa flamme éclateEn sa fanfare de couleur,Fleurit de la sauge écarlateQui semble flamber fleur à fleur,

Et j'évoque, à cet incendieQui ravit et brûle mes yeux,Un de ces jardins d'Italie,Un beau jardin des temps heureux.

Sera-ce le jardin Farnèse,A Parme, ou, Giusti, vous, àVérone? Celui de l'AnglaiseDans l'île de la Giudecca?

Que m'importe, si son silenceQui mêle couleur et parfum

.De ton double pas qui s'avançpSut, Amour, ne faire plus qu'un!

VERSAILLES

Versailles! Je t'apporte une douleur secrèteEt je la confie à tes Dieux,

Avec tout le passé qui flotte et se reflèteEn tes bassins mystérieux;

Ecoute mon tourment, ma tristesse et ma peine,De tout ton silence attentif,

Et que pleure avec moi le pleur de la fontaineDans l'odeur du buis et de l'if!

Accompagne le bruit de mon pas solitaireDe son écho le plus lointain,

Et montre-moi comment en son or qui s'altèreToute gloire en cendre s'éteint;

Dis-moi que nul amour ne persiste et ne dure,Que, si royal qu'il ait été,

Bien qu'invisible encore il porte la fêlureD'où lui vient sa fragilité,

Et fais que dans mon cœur descende et se prolonge

AUTOMNE

0 fauve Automne, toi qui portesLes dépouilles d'or de l'étéEt qui fais de tes feuilles mortesLa parure de sa beauté,

J'ai vu ton farouche visage,Ton visage triste et charmant,Encadrer ta vivante imageAu miroir du bassin dormant.

Et dans le vieux parc solitaireOù tu me conduis par la main,Mon pas humblement terrestre erreA côté de ton pas divin;

Lorsque nous passons, la statueQue rougit le soleil couchantSemble soudain être plus nueDans le silence et dans le vent;

L'écho diffère sa réponseEt nous cherche autour du rond-point;L'allée en la brume s'enfonceVers le canal qui la rejoint;

Une ample splendeur monotoneEmplit ces lieux jadis royauxQui t'offrent, ô royale Automne,Leurs marbres, leurs bronzes, leurs eaux,

D'où, beau souvenir, noble ivresse,J'emporte avec moi pour adituLe sourire d'une DéesseQu'enlace le geste d'un Dieu.

UN JARDIN SUR LA LAGUNE

Un beau chat jaune et noir- traverse le jardinEt, d'une griffe délicate,

Egratigne le sable et longe le bassinQu'entoure une sauge écarlate;

Une rose trop lourde et qu'encore alourdit,Au cœur, le poids d'un scarabée

S'incline sur sa tige faible — il est midi —Brûlante, amoureuse et courbée;

Un grand cyprès presque sans ombre monte droitDans le silence où rien ne bouge

Et, de sa pointe aiguë, il dépasse le toitDu vieux palais et son mur rouge ;

La corbeille rustique où des fruits sont sculptésDans la chaude pierre d'Istrie

Sur un socle moussu offre aux doigts écartésSa rondeur, au soleil mûrie;

Par la porte que clôt une grille de fer,Au bout de l'une des allées,

On aperçoit la lagune, couleur de mer,Où flottent des algues sàlées,

Et parfois, comme dans un cadre, on voit sur l'eauDont la surface au loin se moire,

Glisser silencieusement le long fuseauD'une souple gondole noire.

AUTRE JARDIN

i

Par le dahlia pourpre et la sauge éclatanteJe vous salue au seuil de ce noble jardinOù l'oblique gazon de la terrasse en penteEncadre le Palais qui se mire au bassin;

Je vous salue en ce beau jour de bel automneDont la clarté rappelle un chant mélodieux,Je vous salue en l'or léger qui vous couronne,En la douceur de l'air et la douceur des cieux,

Et dans ce beau jardin où souvent, solitaire,J'ai promené mon cœur pensif et mon pas lourd,J'entends, parmi ses fleurs dont l'automne s'éclaire,Marcher auprès de vous la Jeunesse et l'Amour.

HEURE

« Vous rappellerez-vous, — lui dit-elle, — cette heurePresque silencieuse et grave et sans aveux(Sait-on jamais pourquoi tel souvenir demeure?)Et ce lourd soleil rouge au fond du ciel brumeux...

« Vous vous rappellerez cette heure plus qu'une autre,Tant d'autres, qu'emporta le temps au vol jaloux!Pourtant jamais ma main n'a frémi dans la vôtre;Vous vous rappellerez cette heure, dites-vous,

« Car peut-être aujourd'hui se forme en vous l'image-Qui plus tard et toujours revivra pour vos yeux,Lorsque vous reverrez ce même paysageAvec son soleil rouge au fond du ciel brumeux... »

VERONE

Ville qu'illustre un grand amour,Qui de-sa flamme te couronne!L'alouette annonée lè jourQui va se lever sur Vérone...

Ton blason nous montre une échelleQu'il doit à tes della Scala;Est-il vrai que ce ne soit celleQue le Montague escalada?

Ces yeux ardents que rien n'apaise,Ne sont-ce pas les mêmes yeuxDont Juliette la VéronaiseBravait la haine des aïeux?

Et là longùe et rigide filé,Où se succèdent tes cyprès,Dirait-on pas que s'y affileLe poignard nu des Capuict?

Une tendre et tragique histoire.Faite de baisers et de satig,Demeure pour jamais ta gloii'eEt ton haut souvenir vivant,

Ton honneur, ton sceau, ton enseigne,O Vérone, immortel séjourOù passe, dans le soir qui saigne,Le beau couple d'un bel amour!

ANTIQUAIRES

Bons antiquaires de VeniseDont les boutiques s'ouvrent auFlâneur qui va vçrs Sant'AlviseEn passant par le Rialto!

Vous dont abrite l'importanceQuelque palais du Grand CanalDevant lequel, aux « pali », danseLa gondole, fer et fanal,

Vous dont, plus humble, la fortuneSe cache en une humble « calle »D'où l'on ne voit ni la LaguneNi, Saint-Marc, ton Lion ailé!

Vous chez qui, dans un recoin sombre,On découvrait jadis encorCes meubles où le laque sombreS'enjolivait de Chinois d'or,

Des verres, des consoles peintesD'oiseaux, de feuilles et de fleursEt ces brocarts aux riches teintesDont l'âge amortit les couleurs,

Des dentelles et des estampesD'après les tableaux de Longhi,Des vases ornés d'hippocampes,Col étroit et flanc arrondi,

Toutes ces cffères vieilles chosesDont certaines ne l'étaient pas...Mais, foin des acheteurs moroses,Que les cloches sonnent leur glas!

Ah! que d'heures, bons antiquaires,Ont fui, quand, dans vos magasins,J'en explorais les noirs mystères,La toile d'araignée aux mains!

Aussi, veux-je que dans cette odeMa strophe retentisse au bruitDe la rime, même incommode,Dont vos noms m'apportent l'appui.

Donc, je lève à vous cette coupeDe verre opalin ou doré,A vous le premier de la troupe :

Leoncino dalla Torre,

A vous, Carrer, dont la bicoquePrès de San Staè se blottitToute rouge, étroite et baroque,A vous, les deux Olivotti.

A vous ce salut sympathique,Signore Massimo Foa,Vers chez qui le passant obliqueAu mot magique : Antichità,

Ottolenghi, qui me vendîtesCe miroir que le temps rayaOù se reflètent, reproduites,Les grâces d'un Tartaglia.

Et vous qui, descendu d'un doge,Pour le plaisir avez choisiLe métier dont je fais l'éloge,« Noble homme » DiUQ Barozzi!

CAFÉS

Je me souviens souvent de vous,Chers petits cafés de Venise;Le passé rend vos noms si douxQu'il faut que ma voix les redise.

Florian, Aurora, QuadrilChacun semble porter un masqueEt l'on dirait qu'il nous souritEn personnage bergamasque;

Aurora! où je m'asseyaisPar les grands soirs de clair de lunePour la voir en mille refletsSe disperser sur la lagune.

Quadril des stores au soleil,Des tables, des chaises, des chaisesOccupant le pavé vermeilPour des Canas sans Véronèses.

Par un beau midi d'OrientOù la place est sans ombre presque,N'est-on pas bien au Florian,Sous le Chinois peint à la fresque?