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DEVIS PREMIER HISTOIRE VÉRITABLE DE HARDOUIN DE GORGES CAPUT I. Du mariage de Bertrand Gouffier et du coup de flèche que reçut Hardouin parmi le coeur. e, Loys de Cussière, écuyer, qui prends ici la parole pour en dire long, suis de lignée clairement noble et sans reproche, mais pas n'en tire orgueil, par je commence; car je ne suis, au demeurant, qu'un pauvre homme de guerre, dont le père (que Dieu garde) ne laissa guère gros fief en s'en allant. Je reconnais en outre comme quoi force gens du populaire ont plus de sapience que moi, et moins de courbatures, ce qui fait d'eux mes maîtres, en attendant que quatre planches de même mesure en fassent mes égaux. Je m'arrête sur cette sentence de haut goût, n'ayant eu d'au-

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DEVIS PREMIER

HISTOIRE VÉRITABLE

DE HARDOUIN DE GORGES

CAPUT I.

Du mariage de Bertrand Gouffier et du coup de flècheque reçut Hardouin parmi le cœur.

e, Loys de Cussière, écuyer, qui prendsici la parole pour en dire long, suis delignée clairement noble et sans reproche,mais pas n'en tire orgueil, par là je

commence; car je ne suis, au demeurant, qu'un

pauvre homme de guerre, dont le père (que Dieugarde) ne laissa guère gros fief en s'en allant.Je reconnais en outre comme quoi force gensdu populaire ont plus de sapience que moi, etmoins de courbatures, ce qui fait d'eux mesmaîtres, en attendant que quatre planches de

même mesure en fassent mes égaux. Je m'arrête

sur cette sentence de haut goût, n'ayant eu d'au-

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tre intention que de me remémorer la vraie phi-losophie.

Ceci dit, je n'entreprendrai point d'écrire monhistoire, qui est celle d'un très menu rêveur ; et,quand mon nom s'y viendra couler, ce seraquasi par mégarde. En outre de ce, je mereconnais du premier coup bien indigne de

noter les faits et chroniques de mon temps;lourde besogne que je laisse au révérend cha-noine Froissard, à messire Martial et autres demeilleure herbe que moi. La seule chose que je

veuille faire, tout petitement, c'est égayer mavieillesse et oublier mes blessures en me souve.nant, par-ci par -là, et en devisant de mes sou-venances. Nul, que je sache, ne viendra jamaisbouter l'œil en mon cahier; et, par ainsi, j'auraigoûté mon plaisir sans causer d'ennui auxautres. Celle que j'ai aimée est morte ; mescompagnons ne sont plus là; et moi, j'ai lesjambes bien roides Puis-je donc trouver meil-leur emploi de mes heures ?

Mais à qui vais-je ainsi faire mes récits, aucoin de mon âtre mélancolique? Hélas! ni auxenfants que je n'ai pas, ni aux amis chers que je

n'ai plus! Je suis seul! Je dois meshuy (i)m'écrier comme le bon prince Charles (2) quidevant moi soupirait un jour :

ccLas ! Mort, qui t'a fait si hardie

» De prendre mon confort, ma vieD Las! Je' suis seul, sans compagnie!...

1)

(1) Aujourd'hui. Les paysans le disent encore.(2) Charles d'Orléans.

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Eh bien, je parle et je parlerai à ces bons etgentils grillons qui courent et chantent sous monœil, à mon foyer, le long du mur et des landiers.Je les aime puisque le bon Dieu les a mis sousmon toit. Quand nous nous chauffons à la vê-prée, je les écoute en souriant, et eux m'examinent

en chantant : est-il plus réelle amitié? Eh donc!

mes grillons, mes compères, mes hôtes, qui mevoyez tantôt triste, tantôt joyeux, et connaissez à

fond ma pauvre vie; eh donc ! vous m'allez suivre

en mes rapsodies; et si je m'éteins durant la be-sogne, vous viendrez trotter sur les feuillets,

comme pour y quérir le dernier mot glacé enchemin..... Oyez-moi donc en amis fidèles, etn'ayez souci de ce qui se trame parmi le monde.

Il faut marcher bien loin à reculons, pourremonter à ma jeunesse; mais faisons pourtantcette route ensemble

:il n'en est point de plus

douce !

Or, quand je m'y reporte, il me souvient quemes plus fraîches années se passèrent en le do-mestique du puissant sire de la Trimoille, à lasuite duquel j'allais comme page. Nous étions làbon nombre, fort désireux de gagner à Penvi,quelque jour, loz et renommée sous sa bannière.Notre temps coulait en lutineries et beaux exer-cices, en vive ardeur de nous surpasser les unsles autres. Mais il en fut un, toutefois, parmimes compagnons, que je ne sçus oncques égalerni envier, et auquel du premier coup une chaude

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amitié me joignit de ses plus étroits liens. C'étaitle gentil Hardouin de Gorges, fils du seigneurde Montfaucon. Point n'ai vu, par la suite destemps, de gentilhomme plus accompli. Il étaitd'honnête taille, bien aligné, éveillé d'esprit;également exercé à faire merveilles, tant aux dis-cours, chants et danses, qu'aux armes et chevaux ;

composait un tenson ou virelai, passait rivièresà la nage, faisait voler des faucons et conduisaitun coup de lance mieux que quiconque de toutela duché. Son œil luisait comme un orage, s'ilavait noise : hors de là, était doux comme unrayon de lune. Au demeurant c'était un vrai che-val.er. Il portait : écartelé aux i et 4 chevron-nés d'hermines et de sinople de 6 pièces (qui estde Gorges); aux 2 et 3 d'azur à 2 lions léopardésd'argent percés d'un glaive d'or posé en pal (quiest de Martigné); et criait : Gorge à plaie, cœurà Dieu.

Bien que je fusse un tantinet plus vieil que lui,je m'en accointai de grand cœur, et cet attachementfut le plus fort que j'aie jamais ressenti, mal-gré la méchante Fortune qui nous emmena maintesfois en sens divers.

En sortant de pages nous fîmes nos sermentset fûmes reçus devant Dieu à la fraternité dechevalerie ; nous jurant, comme toujours nousl'avons tenu depuis, de n'avoir qu'une pensée etqu'une escarcelle; d'avoir chacun l'épée prêtepour l'autre ; de ne nous céler aucun mystère ;

de n'avoir qu'un lit pour nos deux têtes, et denous entrebailler aide et appui en matière d'amour.

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Nous y ajoutâmes, en vrais chevaliers, le vœu de

ne jamais médire des dames ni de leur causeraucuns maux ; et de faire aux faibles, autant quese pourrait, bon subside de nos corps et âmes.Auxquelles conditions, promesse et volonté de-vînmes à toujours-mais frères en chevalerie.

Quant aux commodités et allégeances d'amourdont il eut à me secourir, elles furent réellementde minuscule importance, car je n'ai oncques guèrefait usage de mon temps au pourchaz(i) des dames.Et, de fait, en ma prime jeunesse, pour moicommença et finit du même coup la fleur degalanterie. Je fis à vingt ans hommage de moncœur, et en échange reçus la plus merveilleuseamour qui fût au monde. Mais, las! celle quitant belle me faisait la vie soudainement trépassa,comme elle allait être mienne!... Et, seul medélaissant, m'exhorta, au seuil de la tombe, à luigarder ma foi jusqu'au jour où elle viendrait m'enrelever. Or, point n'est revenue... et moi luisuis jusqu'au bout demeuré fidèle. A cette heureme voilà quasiment à la fin du rouleau, et mesemble encore que c'est d'hier! Mais, si vousvoulez, devisons d'autres choses, car bien guèren'aime à pleurer en compagnie.

Il en fut bien autrement de mon fol Hardouin,lequel, allègre et hutin comme il était, ne rêvaitque rires, festoiements, danses et amourettes. Lesdames lui faisaient toutes bon accueil, et luin'avait d'autre souci que de leur réciter devises

(1) Poursuite. On dit encore pourchasser.

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de galanterie. Si bien et tantes fois, que de tempsà autres je lui disais :

— Mon frère, mauvais est-ce de jouer avec lefeu. Jolie guerre est l'amour, ains gardez-vousd'y tomber une bonne fois captif; tel parfoiscuide (i) se chauffer, qui se brûle.

Mais tarare !... il riait joyeusement, et vitepouillaitsa belle robe fourrée de menu vair, pours'en aller livrer quelque nouvel assaut d'amour.

Et, toutefois, point ne parlais à faux, car il yfut pris et bien enlacé, son jour venant, ainsi quej'en vais plus amplement traiter la matière.

Le jouvencel avait un sien cousin, BertrandGouffier, seigneur de la Tessoualleet autres bonsfiefs, lequel sur ces entrefaites vint le convier d'êtrede ses noces. Depuis longtemps le diable n'avaitfaçonné un plus méchant ribaud que le sus-nommé. Vendu bras et tête aux Anglois, il avaitquant-et eux pillé et fait dégâts de tous côtésjusqu'en Maine et Normandie, sous la bannièredu sire Jean de la Pouille, et à ce métier avaitmême amassé d'assez gros biens. A la défaite de

son capitaine (1422). il se retira en Guyenne,puis en Poitou, toujours guerroyant contre lesnôtres. Lorsqu'enfin les débauches et éparvinsde toute sorte l'eurent trop lourdement endom-magé, il obtint, par spéciale recommandation dubaron de Chemillé, la grâce de rentrer sanstrouble en ses terres, et lors se mit à doucette-ment compter les écus qu'il avait recueillis dans

(1) Croit. On a conservé le mot dans: outrecuidance.

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ses pèlerinages, ioutelois, s'Il avait encore raim,plus n'avait-il de dents pour manger. Non quece fût l'âge, loin de là; mais l'ivrognerie et lapaillardise avaient tari sa sève; ses cheveux s'é-taient envolés avec sa cervelle; on le citait auloin pour sa piteuse mine. Tout ceci n'est rien

encore. Sachez que les plus honnêtes seigneurslui reprochaient d'avoir le très-exécrable vice decouardise. Suivant ceux-ci, le ruffian ne se plai-sait qu'aux coups de traître. On ajoutait, spé-cialement, qu'il avait causé par sa félonie la

déconfituredes Anglais à la Brossière : car, commeon lui avait donné à défendre le côté du campnon garni de palissades, il lâcha pied au premier

assaut de monsieur de Trimorgan, dont grandefut l'occision ; et s'ensuivit de cette façon la prisedu très-vaillant chef Jean de la Pouille,

Si véritable est la chose, elle est fort vilaine;mais peu m'en soucie.

Adonc ce chevalier Gouffier, bien orné d'ail-leurs de terriens avantages, se voulut à la fin ma-rier pour faire souche. L'idée était folle, vuque l'arbre était un tantinet trop rabougri pourpousser des branches. Malgré ce, croyez vitement

.que l'occasion ne lui fit point faute, et mon sieurChemillé, qui le tenait à parenté lointaine, pourlui s'employa de bon cœur, et lui trouva dans

un vieux nid moussû (j'entends un castel délabré),le mignon oiseau qu'il s'agissait de mettre encage.

Messire Hubert d'Aistier, maître de la châte-lainie en question, avait plus souffert qu'aucun

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autre des pilleries anglaises. Sa terre était dépeu-plée et mise à nu, et le sac de son logis avaitreçu tous les sacrements. Par ainsi donc le Gouf-fier semblait, en y venant, rapporter de la maindroite ce qu'il avait pris de la gauche. Or le

pauvre écuyer, bien en peine d'accorder ses flûtes,fut alléché, n'osa dire non, soupira bien un peu,mais comme l'argent est maître, il finit par ac-corder la Berengère.

C'est à ces noces-là que fut par son cousinconvié et emmené mon frère Hardouin de Gor-ges. J'en connais le devis comme si m'y fussetrouvé de ma personne, car mon cher compagnonne m'en céla aucune occurence, et ce m'est doncfacile d'en coucher par écrit tout l'historique.

De première venue, les deux compagnons arri-vèrent en une très lézardée maison, laquelle negardait chétivement son enseigne noble que parla fuie et la girouette. Et, fraudienne! si vide elleétait de bons bahuts et argenterie, et très dégar-nie de varlets, en revanche était-elle largementbondée d'habitants. En premier lieu, messin:d'Aistier tenait le haut de la porte par sa taillesans fin, et en garnissait la largeur par son nezsans commencement : pour le surplus, efflanquécomme un lièvre en temps de chasse. La bonnechâtelaine derrière lui venait, non dissemblable à

une grosse boule de neige, hormis que la neigefond au carême, et qu'elle ne fondait qu'à la Fête-Dieu. Les enfants se présentaient à la suite, etnotre doux Sauveur sait s'il y en avait! L'un gui-gnait entre les jambes de son père, l'autre en des-

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sous de ses coudes, d'autres regardaient par oùregarder. S'ils étaient moins de dix, qu'on m'é-cartèle. Mais quand, au nom prononcé du sire dela Tessoualle, la famille noblement s'écarta pourlivrer passage à l'hôte attendu, loisible alors fût-il de voir, parmi cette couvée, la plus gentebachelette que jamais prêtre ait pu baptiser.

C'était justement la Berengère que notre vieuxsinge venait quérir. Notez qu'elle n'avait pointété consultée sur le cas.

Berengère n'était pas une des mièvres filles quine savent déjà plus rire comme un enfant, et nesavent pas encore sourire comme une femme :

rondes comme planches et souples comme pieu,chétif bouton qui ne fait point rêver aux fleurs...Non. Celle-là avait jà vu vingt et deux foisblanchir les ramées, et son œil s'était allangui àcontempler les nuages. Elle était plutôt petite quegrande, mais si bien faite et si pleine de grâces,qu'on l'eût volontiers prise pour ma dame laReine. Quand elle marchait, c'était comme ungentil rêve qui glisse dans l'ombre. Sa voix étaitune dive musique, et le moindre de ses mouve-ments avait la douceur d'une caresse. A voir cecorps si plaisant, si bien propre à révéler uneâme séraphique (car le parfait veut le parfait), àvoir tel trésor sans second, ce ribaud de Pygma-lion fût mort de rage, en songeant à sa statuequ'il a crue belle et qui n'était, au demeurant,qu'une pierre mal taillée, à côté de l'incompa-rable damoiselle d'Aistier.

Telles étaient les pensées du chevalier de Gor-

I .

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ges, mon ami cher, lequel, à cette première

aperçue, demeura muet et extatique devant lajouvencelle, semblable au pêcheur de Mauritaniequi découvre une perle royale sous un rochernoir tandis que, de son côté, le méchantGouffier se pourléchait en contemplation joyeuse,

comme le loup qui a rencontré fraîche proie.A cet instant de l'arrivée, il se passa entre tous

ces gens une chose bizarre et poignante. Har-douin se demanda avec une soudaine véhémence:

« Pourquoi ne suis-je pas le fiancé, au lieu de cetautre?... i Ma dame d'Aistier pensa : « Je préfère-rais celui-ci pour époux de ma fille. » Le châtelain

au grand nez déplora que son futur fils fût aussivilain que son jeune cousin était fringant; lesdivers enfants s'écrièrent en tapant leurs mainsl'une contre l'autre: « Oh! le mignon beau-frèreaccompagné d'un laid bonhomme ! » Et le cœurde Berengère se mit à battre doucement et bienfort, car, sans se permettre le plus petit doute,elle estima que le joli damoisel était son promis.A vrai dire, elle ne regarda même pas l'autre.

Mais bientôt il fallut en venir à la chose réelle...Le sire de la Tessoualle, secouant ses trois plumes

et branlant à grand bruit la chaînette de soncollier, se fit soudainement reconnaître commevrai et seul épouseur : dont fut général le dé-sarroi. Le père ne se désola, en fin de compte, quefort peu de la différence; les petites sœurs n'yconnaissaient encore rien, et la mère avait oubliéla chose... Mais (c'est le grand mot de tout),mais Berengère s'était dit :

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-Ah !... ma patronne chère! que n'est-ce le jeunechevalier! Celui-là au lieu celui-ci, quelle chûte!

Mon frère Hardouin, lui, avait mâchonné aufond de sa barbe :

— Pâques-Dieu! Pourquoi suis-je venu? oh,

ce Gouffier!Et deux mélancoliques regards, croisés à mi-

chemin, avaient dit le reste.La soirée parut longue. Le méchant épouseur,

amoureux à la façon des bêtes, se pourléchatrès fort et débita cent bourdes. Mais Berengère '

deyint pensive et Gorges demeura tristifié. Onaurait pu croire, à la fin de la veillée, queGouffier était ivre de vin et les autres repus de

pavots. Seules les cousines qui venaient d'arrivermarmottaient avec dépit :

— Voilà les d'Aistier revenus à fortune.Je ne ferai point le narré des noces, non plus

que des fêtes diverses qui eurent lieu à cetteoccasion. Il vous suffira de savoir qu'elles furenttelles, qu'on en devisa jusqu'en Bretagne, tant pourla beauté et les riches parures de l'épousée, quepour les seigneuriales ripailles (1) dont le noblesire de Chemillé avait fait les frais. Il y eut au souperdu grandjour,deuxpâtés comme on n'en avaitguère

(i) Nom d'une seigneurie sise en Savoie. Le duc deSavoie Amédée VIII s'y établit après son ab'dicatiQn, et enfit le siége dé la commanderie-de l'ordre de Saint-Mauricequ'il venait de fonder, (1434-1440). Il y menait vie sijoyeuse que ripaille devint synonyme de fête et bonne chère.Cet Amédée fut pape sous le nom de Félix V, abdiqua etrevint à Ripaille... faire ripaille.

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vus qu'ez tables des princes : du premier, fait àl'image d'une arche de Noë, s'envolèrent, quandon l'ouvrit, dix douzains d'oiseaux enrubanés, les-quels cà et là sautaient parmi les torches, tandisque trois joueurs de viole, sous une estrademussés (i), imitaient les douces musiques denature. Du second pâté, façonné en tour crénelée,sortirent deux gentils garçonnets, l'un troussé àla mauresque, l'autre en chevalier vêtu, et secombattirent autour des sables avec mille vaillants

*cris de tournoi.

Pour ce qui est des chaudeau et épices que leschevaliers d'honneur allèrent, à la minuit, pré-senter aux époux dans la chambre nuptiale, onles déposa avecle drageoir sur des plateaux tels qu'iln'en avait guère été vu pour la richesse de l'or et lafinesse étrange des figurines y sculptées. Le cise-leur avait représenté en formes congrues la tenta-tion de mon sieur Anthoine avec toutes les herbesde la Saint-Jean. Il y eut, le lendemain, danseset courses de bagues.

Ce qu'il me faut narrer plus spécialement, c'estla fort grande tristesse dont le pauvre Hardouinde Gorges s'était senti atteint. L'œil de damoi-selle Berengère l'avait transpercé. Il eut occasiond'entamer avec elle mille discours divers, et latrouva aussi sage et bien avisée qu'elle était belle.Un quelque chose d'inconnu, de nouveau, lemordit au cœur. Ses pensées de plaisir, ses goûtsde folie tout-à-coup le quittèrent; la seule vue

(1)lCachés.

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des doigts blancs de cette jouvencelle le fit trem-bler. Il lui sembla qu'elle l'attachait au boutd'un fil, tirait à elle et le menait. Il soupira, futpris d'envie de laisser cheoir une larme, et necessa plus de songer à la mignonne que pourhaïr Gouffier et maudire la fortune. Las! Maprédiction s'était accomplie : il était pris dans les

rets de l'amour !

Quant à la fille du sire d'Aistier, elle écouta enpâlissant les sottes paroles du lourdaud qui de-venait son maître, admira malgré elle les doucesfaçons et mignardises du jeune écuyer; compara,garda le silence et tomba en méditation.

Le métier est mauvais de s'en aller, chagrin,par les sombres nuitées, jeter au vent des sou-pirs ; de se cacher des hommes, pour s'asseoir,muet, dans la rosée. Sans être mire ni devin, onpeut là reconnaître un fâcheux mal qui au tré-pas menace de conduire. Désespérance d'amourqui crie et fait rage est mal de prompte guérison ;

mais peine secrète fait plaie profonde. En outrede ceci, notez qu'un mignon page qui vientd'éclore aime à tors et à travers, pleure de mêmeet se console pareillement. Mais le chevalier experten galanterie, qui tombe soudain dolent et sanscourage, est perdu à tout jamais. On se défenddes artifices d'une femme coquette ; commentse défendre du coup involontaire de deux yeuxinnocents?... Dans le premier cas, on n'estqu'englué, et la glu fond d'elle-même ; dans lesecond, on est féru; et où la flèche a piqué, la

marque reste.

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Oui, le métier est mauvais de s'en aller, par lanuit, se lamenter tout seul sous les futaies !... Et lesire de Gorges s'y trouva ce soir-là, exhalant sesplaintes.

— Par tous les saints du Paradis 1 s'exclamait-il en sa griève mélancolie, la méchante Fortuneme peut-elle être à ce point adverse ! Ah ! douleurvéhémente qui m'étreins, enseigne-moipar quelledroite route je dois prendre réelle issue de mapeine. Hé quoi! luisant soleil d'éternelle amour,mon œil ne t'aura-t-il aperçu que lorsque tu tedevais éteindre, et mon cœur avec?... TraîtreGou.ffier qui céans m'amenas! Rien ne m'estplus ! J'aime et ne puis l'avouer sans déloyauté.Rien ne m'est loisible, fors d'emporter au loinmon âme blessée! Et d'ores-en-avant qu'enferais-je?... Allons, folécuyer sans souci, dameretjoyeux qui si largement savais rire... Adonc, fa-rouche et navré, va-t-en au loin, laissant à tou-jours-mais sépulturée ton espérance par dessous

ces chères ramées !

Moult plus encore il épancha ses douloirs, aupoint d'en contrister les champêtres échos. Mais,

par la fin, comme toutes humaines choses ontleur terme, il reprit sa route et gagna le grand litoù il se mit à rêver de Bérengère.

La damoiselle cependant était mariée, malgré

ses vouloirs, et répugnances. Or, bien, oyez ceci :

elle vit, pensa et tint conduite comme toutes lesfilles qui prennent maître sans aucune chose con-naître du mariage.

Quand, de prime-abord, apparaît celui qui sera

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l'époux, on l'estime être ou de son goût, ounon : c'est peu de chose. La mère vous traitede nice, vous promet merveilles; les bons parents,les amis chers vous viennent crier : alléluia ; etles belles étoffes, joyaux et brimbelettes tombent

comme grêle; outre que le diable en tout ceci

montre à l'innocente joies et liberté, et rien contre.Au dèmeurant ce n'est plus le mari qu'on voit,mais le mariage ; et comme il est servi sous formede friandise, on allonge par instinct ses joliesdents pour y mordre.

Mais il est un moment où mon sieur vientprendre la place des parents et amis, des joyaux,de la liberté et de tout. Pour lors c'est lui qu'ilfaut bien voir, de près, tel qu'il est : là gît toutle philosophique mystère.

A cette heure la fille se transmute en femme; elledevine la vie; elle étudie le compagnon. Il luipoint en la cervelle un petit bout de pensée groscomme la moitié de rien. Mais — l'ivresse unefois passée, ce qui dure un peu plus un peumoins, selon — elle sent ce germe de penséegrandir et la dominer : la femme est devenuejuge. En ceci est le nœud de bien des choses

que je sais, et spécialement de bien d'autres queje ne sais point.

Posons ici un apologue. Un jeune écuyer s'enva partir pour des guerres longues et inconnues.Son seigneur père lui présente un destrier— noirou blanc, qu'importe, — et lui dit : « Ce chevalest tout caparaçonné; il est de race, il est pourtoi ; prends l'étrier, et bonne route. »

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L'écuyer le trouve-t-il bien fait et de songoût? Tant mieux. Le trouve-t-il, au contraire,vilain et trottant dur? Le père se courrouce etajoute :

« Or vous êtes fol ; vite en selle. » Et, pourétourdir le jouvenceau, on lui promet belle pro-menade; on ajoute desplumesà son heaume(i);les varlets crient « Noël » autour de lui... Horsde sens, il enjambe le destrier, se disant qu'il doitse tromper puisqu'il est seul à ne pas se réjouir,et il part.

Mais, quand il est tout seul à chevaucher parmiles forêts, sans amis, sans joies, seul quant-et samonture; alors il réfléchit et se prend à connaîtreplus d'une chose étrange. Souvent le cheval estrétif; parfois il boite; mais l'heure est passéed'en prendre un autre... Et, sur cette route tris-tifiante, on voit passer çà et là près de soi descoursiers fringants qu'on envie. Trop tard ; vatoujours ! Et l'on n'a que deux amis : seséperons.

C'est la réelle histoire de Mariage.La damoiselle d'Aistier fut affolée du gros bruit

qui autour d'elle se mena. Maint discours luifit-on des gros biens et riches bagues qui luidevaient advenir : et la mine renfrognée demessire Gouffier disparut derrière la bande aîléedes désirs, de même qu'un vieux marchand lom-bard devient invisible sous l'amas éclatant de sesvelours pourpres et de ses draps d'or.

(i) Casque.

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C'est en tel état d'esprit qu'elle fut s incliner

devant le dom chapelain.Mais, le lendemain, combien s'embrunit son

beau front! Un mauvais serpent au cœur Pavait

mordue. Qu'avait-elle rêvé? l'amour! Que trou-vait-elle? Une laideur. Et une voix intérieure luicriait : Voilà ta vie.

Puis pour lors, de fièvre brûlée, elle détourna

furtivement le regard; et le pauvre chevalier féru,

Hardouin le dameret, lui apparut soudainement,

la face pâlie, l'œil alangui.Il s'éloigna... et elle demeura! Elle le vit

partir! C'était le beau fantôme de jeunesse quis'envolait! Et, se voilant des deux mains la tête,

elle n'ouït plus rien... que Gouffier, le vieux

pandour, qui riait lourdement entre deux potsvides.

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CAPUT II.

De l'ermitage d'Arouix-en-Loire.

oint ne retourna le pauvre Hardouinvers son cousin la Tessoualle, car il nese put guérir de sa plaie d'amour. Nuln'aurait su reconnaître en lui ]p frin-

gant jouvencel du temps passé.*

c'était, en propresparoles, l'image de ces damnés errants dont traiteT it -gilius Maro, lesquels çà et là divaguent, an-goisseux, parmi les rives du fleuve d'Enfer.

Mais Destinée n'aurait osé en ses arrêts inscrirela mort pitoyable d 'un si gentil écuyer, ni cruel-lement ordonner que tant parfaits amoureux nese dussent revoir. Adonc, quoi qu'il ne l'eût pointrecherchée, Hardouin eut l'occasion merveilleusedont vous oirrez subséquemment le récit. 'Maisnotez auparavant que deux fois deux mois etune semaine (sinon plus, dont je doute) s'étaientconsécutivement écoulés depuis le nuptial jouroù il l'avait fuie-jusqu'à celui où la retrouva.

Or, depuis quasiment cinq mois qu'il soupiraitdans la solitude, il se délibéra par la fin, tantétait griève sa désespérance, de prendre route versquelque renommé lieu de pèlerinage, afin d'y

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chercher avis du ciel, à savoir s'il devait délais-

ser le monde pour quelque moûtier, ou mettrefin à sa vie déplorable en quelque aventure de

guerre. Et tristement il se départit de Gorges

pour se diriger vers le lieu d'Arouix, île en Loire

comme chacun sait. L'endroit est bon pour trou-ver conseil de sagesse ou reconfort d'âme dolente,

par ce motif que mon sieur saint Jugan, allant

un jour de France en Bretagne, y fit sa reposée

sur une grosse pierre, laquelle a de son revéréséant gardé le moule. L'endroit, depuis lors, est

en parfaite odeur de sainteté. Qui va là respirerl'air en priant, est assuré d'en rapporter du meil-leur. Joignez-y qu'un ermite y a dressé cabane,bâti chapelle; les pèlerins de tous pays y abondent.

Hardouin de Gorges y vint donc, suivi d'unseul varlet qui portait sa targe (i) et sa lance.Pour lui, languissamment assis sur son grandcheval bausent (2), il s'en allait pensif, le front

au vent. Advenu au bord de l'eau, il se fit par levarlet présenter son cor et sonna. Peu après, d uneoseraie voisine sortit un batelet au fond duquelétait, tenant la palette, un passeur qui bientôtl'eut conduit dans l'île.

Croyez que les ermitage et aumônerie duditlieu étaient fort notables.

En le mitan d'une prée ombragée de sauless'élevait la chapelle, moult ornée de vœux etoffrandes ; et, tout à l'entour, onze cases sembla-bles, fort basses et étroites, faites de branches

(1) Petit bouclier. — (2) Brun.

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tordues et de terre mouillée. Dans chacune d'i-celles, un lit de paille et roseaux, pour enseignerque tout est dur ici-bas, même le repos, et deuxos de mort placés en croix, en signifiance de ceque l 'on ne doit vivre que pour s'apprêter à mou-rir. Hormis ce, rien léans (i) n'eût-on pu trouver.Tous ces pauvres solitaires sortaient de chevale-rie, accourus à la voix du Père ermite, les unspour expier quelque péché, les autres par foi oudégoût du monde. Quant au Père, ce n'était autreque le gentil chevalier de Bosredon, qui troplargement eut de privautés deshonnêtes avec ma-dame la reine Isabeau, tant qu'à la fin notre sireCharles (2.), de ce stomaqué comme de raison, lefit appréhender, mettre à la question et jeter nui-tamment dans la rivière de Seine. Ains ce gen-tilhomme, bien puni, eut l'heur de revenir desi loin. Il fut de Peau secrètement retiré par sesamis Giac et la Trimoille et détala secrètement,en vive repentance. Depuis dix et huit années lechevalier s 'était, en cette île d'Arouix, rédimédesesfolies dans les pratiques de religion et son nomresta ignoré jusqu'à l'heure où il trépassa, cartout le monde l'estimait occis depuis longtemps.

Tels étaient les ermites de Pile d'Arouix-en-Loire.Remplis d'une piété étrange, ils montraient,

aussi bien en leurs vie et vêtements qu'en leur

(1) Léans et céans veulent également dire : ici, là dedans;avec cette nuance que céans s'emploie pour indiquer lelieu même dans lequel on se trouve, tandis que « léans »est le lieu désiené de l'extériPIlr

• rr ;r;-« o* „ i.\ ..(2) Charles Vf. ~ '

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demeure, le mépris qu'il faisaient des choses de

ce monde. De blanc vêtus, ils allaient tête et pieds

nus avec une grosse corde qui leur serrait le

corps. Sur la potrine avaient un Saint-Esprit; et

leur visage — en mémoire d'un vœu commun

— était rasé du côté senestre (i), avec force che-

veux et barbe de l'autre côté. Ces bons hommes

se nourrissaient de fruits et légumes qu'ils ga-

gnaient par sueur. Ils tressaient de leurs mains

paniers, hottes et autres brimbelettes d'oseraie;etleur vie à ce s'employait, hormis les heures de

chanter cantiques.Messire Hardouin de Gorges se vint agenouil-

ler à l'huis (2) de la chapelle. Puis, sur les genoux

se traînant, s'avança jusque devers l'autel; et

là dolent et extatique, demreura le front baissélà,etla bouche close. Tôt après, une main amie

toucha son épaule, et le seigneur de Bosredon

couvrit le jouvenceau d'un regard paterne. De

ces deux hommes, l'un avait perdu sa vie par

l'amour, l'autre pour amour était en voie de perdre

la -sienne; ils se reconnurent pour frères. Le da-

moisel Hardouin comptait vingt-six années; il

avait la force avec la beauté, le haut courage

lI) Senestre : gauche. C'est le mauvais côté, le côté de

fâcheuse influence; l'idée superstitieuse a influé sur le

mot et on l'a conservé dans son acception figurée.

sinistre. Le côté opposé, c'est-à-dire le côté droit, c'est le

côté dextre, mot qui, en disparaissant, nous a laissé son

dérivé :dextérité.

(2) Porte, d'où :huissier, préposé aux portes.

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avec la jeunesse, et ses larmes n'avaient rien quede noble. L'autre approchait de son cinquantièmehiver; et, malgré la hideur de sa barbe mi-coupéeet de sa jambe cassée à la question, on pouvaitencore retrouver la fierté et la douceur d'un che-valier. Leur yeux se rencontrèrent et du chocchacun tressaillit. Le jouvencel, sans espéranceet sans soulaz(i), fut pris soudain d'un âpre désirde partager cette solitude ; et le sire de Bosredon,se remémorant ses joies et gloires passées, sesentit comme un chaud réveil de jeunesse.

Après oraisons dites, l'ermite calmé emmenale chevalier en un plessis (2) d'aunes moultécarté des cahuettes (3).

Là s'assirent, chacun d'un côté de la pierre oùs'était reposé mon sieur saint Jugan, sur la fraîcheherbette qui joyeusement fleurissait; et tôt aprèsentamèrent leurs secrets discours comme s'en-suit :

— Mon fils, si êtes céans venu, c'est que vousavez fortune adverse ; et si vous répandez pleursà votre âge, c'est qu'avez peine d'amour...

Un soucieux regard, un stomacal soupirtirent seuls à cela réponse.

— Fûtes-vous donc trahi, cher enfancon? Lesfemmes sont si fausses!

— Nenny.

(1) Consolation. De là vient notre verbe soulager.

(2) Bois, avec le sens spécial de bois d'agrément.

(3) Petite cabane.

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— Un méchant père ne vous veut octroyer celle

que vous aimez? Est-ce cela?

— Mon père, celle que j'aime est mariée.

— C'est la femme d'autrui ? Alors, s'écria Per-mite avec véhémence, alors fuyez à grand'erre aubout du monde, sans retourner la tête commeLoth ; fuyez, car Belzébuth est à vos trousses !

— Mon père, mon maître, oyez-moi par grâce,et me jugerez.

Le jouvencel lui jeta pour lors, de cette bouchequi ne savait mentir, le récit de ses amours etde ses peines. Il lui montra cette bachelette

sans seconde, apparaissant au milieu de ses ébats,de même qu'une étoile parmi les ténébres; cetteamour née d'un regard sans qu'il en pût prévoirla conjoncture; -ce vieux ribaud, dont il étaitcousin, qui lourdement était venu lui montrer leciel juste pour lui en défendre rentrée... Il lui fit

encore le narré de sa fuite soudaine, de son renon-cement courageux, dont devait mourir; et parla fin, requit le bon ermite de lui enseigner

comment il pourrait, en chrétien, se décharger dufaix trop pesant de la vie.

Frère Hiérôme, par ce devis troublé, demeu-rait angoisseux.

— Elle ne peut être vôtre, mon fils; il faut lamettre en oubli, et vivre.

— Ah! elle tient mon àme et de vivre m'em-pêche...

— Mais elle a maître, et qui plus est, ce maîtrepossède votre foi d'amitié.

— Sans doute, mais la chose est-elle juste?

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Celui-ci l'a-t-il mieux que moi méritée?... Nel'aimé-je pas, moi, plus que lui?

L'ermite, d'une vive pitié saisi, tentait leremède vain des froides paroles, encore qu'il ensentît tout le néant.

— Mais, pauvre damoisel, oncques l'avez-vousrequise d'amour ? Vous a-t-elle donné desdroits?

— Je ne lui ai pas dit un mot. Si elle connaîtmon tourment, c'est pour l'avoir deviné.

— Eh bien, alors, elle aime peut-être son marien épouse tendre?

Hardouin tressauta à ce mot comme si on lui eùtbaillé d'une dague dans la poitrine.

— L'aimer? non, je jure qu'elle ne l'aime pas !

Depuis quand colombes aiment-elles serpents ?

Pareil ange avoir en goût tel ribaud?...— Qu'en savons-nous? se dit à lui-même frère

Hiérôme; les femmes sont si fantasques! En cettematière, tout arrive.

— Autre chose, s'exclama Hardouin. Ce mari estun chevalier déloyal et suspecté de félonie.

— Ah! qu'alors Dieu te sauve, car elle le doitexécrer ! ne put s'empêcher de crier Bosredon,qui bien savait que toutes dames, de la pire àla meilleure, sont faillibles, hormis vis-à-vis (i)d'un homme lâche.

(i) Vis signifie visage ; c'est du reste le même mot etla même racine.

(Narcisse) Vit en l'eaue elère et netteSon yis, son nez et sa bouschettc. (Romall de la Ruse.)

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Et les deux discoureurs demeurèrent quelqueemps muets.

— Mon père, donnez-moi aide et conseil. Ja-mais je ne trahirai mon sieur cousin, mais alorsil faut enlever mon âme de son enveloppe. Or-donnez.

Frère Hiérôme appuya sa tète sur la margellede la pierre sacrée, et demeura plus d'une heureen méditation... Il se sentait au cœur si bonvouloir pour ce gentil écuyer, et si douce com-passion pour sa géhenne d'amour ! Il le plaignait.et se souvenait.

Mais comment le réconforter ? Lui dire : aimeet trahis? La langue du pieux solitaire se fûtauparavant desséchée. Et, d'autre part, allait-ilarracher au monde ce gentilhomme qui n'y fai-sait qu'éclore, et lui faire quitter l'éperon d'or,pour fouler nu-pieds les ronces d'un monastère?Ou encore lui jeter l'ordre de se faire occire, luicontre vingt, dans quelque méchant combat deBarbarie ?

Que perplexe il était, lui si prompt de cou-tume dans doctrines et conseils ! Il regarda derechef le jouvencel ; songea que Dieu ne l'avaitpoint pareillement bâti pour l'abandonner audébut de la route ; compta sur quelque sou-dain coup de fortune, sur les hasardsdu lendemain.

Il le saisit doucement au coude et lui dit :

— Le ciel vous enjoint de vivre et d'attendre.Allez, enfant; retournez à votre châtelainie,priantet méditant. Epiez les rencontres de votre route,les mouvements de votre Úmc, les songes de votre