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Victor De Angel Wil d Le Seigneur de Céans Tome 1

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VictorDe Angel

Wil d

Le Seigneur de Céans

Tome 1

12.22

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (130x204)] NB Pages : 144 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 12.22 ----------------------------------------------------------------------------

Victor Tome 1 - Le Seigneur de Céans

Angel Wild

747707

Roman psychologique

Ang

el W

ildVictor

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Ambroise Wal travaillait dans le grand bureau

silencieux de son château du domaine de Céans, comme d’ordinaire élégamment habillé, planant au-dessus d’un espace luxueux et moderne à la fois ; le bureau mesurait dans les 46m2, situé au grenier du château, aménagé pour sa paix, sa solitude, et le travail de son esprit. Devant lui, la grande pièce était, à gauche, tapissée des rayonnages d’une bibliothèque, allant de mi-sol au plafond, où rutilait l’éventail des livres accompagnant sa carrière. A droite, un sofa de velours vert, dentelé de jaune aux bouts, antiquité du lieu ; devant lequel, sur une peau de bête gris blanche, à la fourrure épaisse, une table basse, entièrement de verre – verre fumé – s’allongeait d’un mètre cinquante, et y reposait à un bout, un plateau d’argent, garni d’une cafetière, et de tasses à café. Le sofa était couvert de coussins tous en accord avec le décor ambiant ; en face une verrière circulaire, refaite et moderne, donnait cette impression d’être au ciel dans un vaisseau spatial, et couvrait, d’un trait, toute la largeur du mur de façade, à ce niveau. Au fond, trônait l’écrivain, assis à un bureau magistral, massif et large, sur sa gauche un ensemble ordinateur – imprimante dans un cache métallique, arrangement de coin d’espace ; une table à dépliant, et sa

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chaise dactylo, ultramoderne. Il y avait un pupitre sur le bout de table, et de la place pour travailler.

A droite de la pièce, un local ignoré, qui ne comportait pas de porte, contenait secret un mini-cabinet de toilette, avec un minuscule évier et un micro-robinet à pompe, un support de serviettes, une petite table à ranger, et, dans le fond, un WC ; et à l’extérieur du local, sur son mur, était collé un photocopieur de grosse taille, super-performant.

Ambroise travaillait tous les jours ou à peu près ; excepté lors de ses sorties habituelles pour sa profession et ses amis.

Il était seul cet après-midi là, sa gouvernante étant partie aux courses, et pour la journée, et travaillait sagement à son bureau, sans penser à rien d’autre, lorsqu’il reçut, ma foi, un personnage fort aimable. Le valet, exceptionnellement, s’était absenté pour quelques heures. Ce fut donc lui qui s’en fut ouvrir la porte.

C’était un inconnu. Il se présentait à la porte, dans un habit de ville, bleu foncé, la cravate fine, et vêtu d’un beau loden de serge. Un homme sommes toutes ordinaire, et osons le dire, souriant. On le devinait patient et calme ; il tenait à la main, contre lui, une serviette bien pliée, et avait tout d’un agent administratif. C’est pourquoi, malgré son apparence un peu laide, long et maigre, le teint vaguement olive ; avec ce sourire béat ou faussement angélique qui l’ornait, ce visage étroit encadré de cheveux mi-longs et plats, qui lui faisaient une drôle de tête, dans un vague négligé, Ambroise en eut le pressentiment…

– « Monsieur Wal, du domaine de Céans ? » demanda-t-il. Ambroise se redressa, confortable dans son costume de luxe tellement classique :

– « C’est moi-même. »

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L’homme le regardait, la tête penchée sur l’épaule, bercé de ce sourire angélique, et avec un regard marron, posé, si condescendant qu’Ambroise en fut flatté :

– « J’aimerais beaucoup discuter avec vous, monsieur Wal », lui dit-il, la tête penchée, et avec une voix si douce qu’Ambroise parut étonné. Après un silence, considérant son appareil modeste, et cet individu plutôt grand, qui avait l’air vaguement, comme ça, d’un loup paumé, il eut le regard froid, et demanda :

– « Et c’est à quel sujet, monsieur ? » Le sourire de l’homme s’agrandit, et il eut un peu plus

cet air béat, qui le fit vaguement ressembler à une grenouille, en inclinant à nouveau la tête de côté ; par-dessus un œil qui sursauta de lueurs :

– « … Au sujet de vos impôts. » L’homme prononça sans se troubler : « Je me nomme

Victor Trévus, inspecteur des comptes publics. » Il avait dit ça d’une lèvre tombée ; et prenait à présent

sa serviette des deux mains, enlacées dessous, comme d’une prière ; si calme, si posé, si sûr de lui, dans sa douceur obligeante qui lui demandait une entrevue, qu’Ambroise recula avec une moue sévère, qui le raidissait, d’une expression hostile ; il fit un pas en arrière ; se reculant, lui fit comprendre d’entrer ; et le regarda passer devant lui, d’une froideur de glace, dont l’homme fripa la paupière sous quelques cils, en passant.

– « Enchanté. » Ambroise referme la porte, et conduit monsieur

Trévus dans le hall ; le hall bordé de miroirs à cadres dorés et fleurs d’acanthes et de tableaux anciens, ce hall paré d’un très long tapis vert, à motifs baroques, au poil si profond… Le long des meubles, commodes antiques, chaises de

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château, monsieur Trévus suit monsieur Wal, dont il remarque l’élégance puissante et souple, costume gris acier, cravate bleu ciel… de petite taille, monsieur Wal est large d’épaules, et ne s’en laisse pas conter : d’un doigt il lui désigne l’un des divans du salon où il vient de l’introduire, pièce principale du château. Il parle d’une voix claire, qui à ce moment, tremble ; mais Trévus ne sait pas si c’est de sa visite, ou de la timidité naturelle de l’écrivain.

Le salon est constitué d’une grande pièce, et se continue d’une pièce plus sombre, longeant le hall, à droite – depuis le fond – où l’on a installé une salle à manger : un gros buffet de campagne en plaque le fond ; en part une énorme table longue, de chêne massif, ornementée de ses moulures d’histoire, et parée, comme ses hautes chaises, de tissus aristocratiques, de soie verte, dentelés de jaune, qui allonge une nappe dessus, et couvre étroitement les dossiers à barreaux. L’atmosphère est austère, de cette salle, entourée sur deux autres plans de buffets à gros coffre et étagères à vaisselle, et de placards. Le centre du salon est entièrement encerclé d’un sofa à triple rang, formant un fer à cheval, le dossard sur des rayonnages allant au plafond, haussés sur des buffets modernes, laqués miroir, noir, contenant des objets de plaisir, disques et livres, et soutenant chaîne hi-fi et télévision sur écran géant. Ce fer à cheval est fait de trois divans de cuir marron foncé, aux gros oreillers rectangulaires aux têtes rondes, renforcées, épais, cossus ; il entoure une vaste table basse pour la réception et la discussion. C’est une pièce de vie, la principale, sur un grand tapis de toutes les couleurs, aussi moelleux que les autres, où monsieur Wal peut faire asseoir ses interlocuteurs et ses amis, ne fut-ce qu’en face de lui, sur l’un des gros fauteuils placés sans ordre pour le

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vis-à-vis des discussions sérieuses, comme il en a avec ses employés. Passé le plat d’une cloison bouchant le couloir, et décoré d’un seul tableau de maître sur tapisserie d’étoffe verte – la porte d’entrée du salon étant à droite, dans le cours latéral de la salle à manger, près du bout – sur la gauche, depuis le fond, discrètement, s’en va un escalier de grand âge, en bois, large et tournant, dont on aperçoit à peine la base des marches, large et brune, et qui semble s’enfoncer dans un mur le cachant depuis les sièges.

Victor regarde s’asseoir ce géant bourgeois des lettres françaises, un peu impressionné ; qui lui fait un signe de la main pour qu’il prenne place dans l’un des fauteuils. Victor tourne la tête, hésitant, et trouve le fauteuil, qu’il ramène, et s’y assoit en toussotant du sentiment d’être peu, face lui, qui l’attend au centre de la table basse, les coudes posés dessus, pour y parler, devant la serviette jetée là. Un éclat fauve s’est jeté de son œil quand, engoncé un peu – se sentant bas assis – il lève sur Ambroise le même visage aimable – et reprend, prestement, sa serviette de ses mains, pour y fouiller, en parlant ; les cheveux balançant d’un côté sur l’autre, comme des fouets, et le sourire rance :

– « Eh bien, monsieur Wal, je suis venu pour inspecter vos impôts. L’administration des comptes publics m’envoie auprès de vous ; et nous en avons pour longtemps », déclare-t-il, acide ; et, sans le quitter des yeux – ses yeux qui luisent, tout à coup, sur lui – il lui montre par-devant : « J’ai un mandat. »

Ses lèvres s’écartent à dévorer les mots, tant il en baverait, à cette heure, de se sentir petit, devant lui ; le diplodocus se rehausse dans les parfums droits de son luxe discret, et, posé de toute sa puissance, le regarde avec ironie – comme une étincelle, en fond, de l’idée de torturer

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comme un chien. Un chien aux cheveux grands, et pas encore fou, a posé une feuille sous son nez, que Wal arrache. Qu’il lit. Les yeux levés, hauts et froids, des yeux verts, comme allumés d’une sorte d’ambiguïté de feu, et qui le rit, en lui, ont l’intention, à leur pointe, de ne pas cesser de le torturer, comme de tout faire, de lui-même, peser sur lui.

Angelo a bien grandi, n’est-ce pas ? en dirait une fée… si les pensées traversaient, encore, à cette époque-là. « Plutôt bien… c’est du bon côté », en répondrait le temps. Et si l’on comptait sur Victor, qui est encore si jeune… Monsieur Wal a quelque chose d’ordinaire, lui aussi, qui fait qu’il ne l’impressionne pas davantage : sa coiffure pose une chevelure noire et bien coupée, de raisonnable longueur, et suffit, au grisonnement des tempes, à le rendre un rien séduisant. De même que sa personne, tout à fait classique, habillée si bien, le fait imposant, de couleurs claires, et avenant à regarder, dans une sorte de visage d’enfant. Il n’est ni ridicule ni petit ; et son importance lui va bien, si bien que l’on ne se demande pas s’il l’a volée, ou si elle est à lui. Monsieur Trévus en sourit comme d’une vague aux lèvres, et ferme les yeux comme un gourmand ; il s’apprête, de ses doigts, à reprendre le papier.

Les mains d’Ambroise, elles, sont sages et blanches, un peu carrées, qui lissent les documents… cette sorte de mains pour lesquelles monsieur Trévus n’a pas tant de sentiments. Ce chien puant, à l’œil de Wal, a l’air de vouloir récupérer son papelard dans des doigts tordus – et pire : bruns. Voilà pourquoi le visage de monsieur Wal se pose devant lui, pour s’imposer. Devant ce visage, large et plat, et cet apparat de jeune riche, empreint d’une certitude de lui qui lui faisait en rabattre, Trévus eut le sentiment

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qu’il allait être torturé. L’inspecteur se reprend, d’un grand souffle énervé,

secouant sa chevelure et le feu au front, devant le papier qu’il montre du doigt – ce qui risque de faire vomir Ambroise.

– « Je suis désolé, mais c’est un mandat ! oppose-t-il, énervé. Non pas un acte-tampon d’administré, comme vous le prétendez ! »

Le loup s’énerve, affamé, les cheveux fous – et l’on voit ses dents. Pauvre con, songe Wal, en se redressant, les mains sages sur ses genoux. Il le regarde droit – mais cet œil qui pétille, le brise profondément. « A le voir, on dirait que j’ai faim… » se dit l’inspecteur, qui rentre son animosité. Son œil, à lui, brille d’un miroir brun, qui le rend si beau que Wal croit y voir le vertige infini… son cœur se met à battre, à l’idée que ce charognard d’état puisse être là honnêtement.

Il soupire, en se redressant, fait bouger ses mains. Dit avec une grande inspiration – et ses yeux s’abaissent :

– « Bien. Que voulez-vous savoir, inspecteur ? » Boudé, et seulement, l’inspecteur fait sortir son cou de

son col. Enonce : – « Je veux voir vos papiers d’imposition, ainsi que vos

comptes ; je dois les examiner, j’en ai pour quelques jours. Je suis en mission, auprès de vous. » Et il ajoute, l’œil droit, encore plus noir : « Vous me donnez tout… »

Wal toussote, dans sa main repliée, ronde. Il bat des paupières, dit :

– « Bien, je vais vous les sortir. Mes employés ne sont pas là, actuellement, seule la moitié de la maison tourne. Vous patientez, je vais vous descendre les archives…

– Je patiente. »

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Il lève un regard, acharné, les poings sur les genoux ; ce qu’Ambroise voit. Avec un long regard humide, le châtelain s’en va vers l’escalier ; et, laissant peser sur cette tête grise et petite, toute la froideur du mépris, s’élève lentement, une main sur la rampe.

Arrivé dans son grand bureau d’écrivain, Ambroise saisit le téléphone. Pendant quelques minutes, il explique sa situation à l’un de ses protecteurs, replié dans une ombre bleue. Son protecteur, et ami, note le problème silencieusement : il va l’étudier, et intervenir de façon diplomatique auprès des autorités de la Trésorerie Publique. Son influence est indéniable, et il est sûr, à cette heure-là, d’arriver à dépêtrer monsieur Wal de ses ennuis. Ambroise raccroche dans le grand silence ambiant. Il s’empresse de chercher les cartons de classeurs d’archives ; les trouve dans les commodes, et les ramène, en les entassant par terre, sur le tapis de sa table de sofa. Cela représente un mètre et demie de classeurs, en quatre cartons, qu’il va apporter un à un, et dont il jettera le dernier sur la tête de l’inspecteur, en criant :

– « Prenez vos aises, la bonne n’est pas là ! » En effet, Ambroise est maladroit. Le carton s’est

déchiré, et le contenu s’en est renversé sur la tête de l’inspecteur, qui pousse un cri, lève le coude, pour protéger un coin de front, avec un « ah ! », et les classeurs dévalent sur lui. Ambroise s’écrie :

– « Ah ! Mais ne vous inquiétez pas… Je ne l’ai pas fait exprès. »

L’inspecteur le croit. Sans un regard, il ramasse les classeurs sans rien lui dire ; comme un chien à qui l’on a donné de la pâtée ; et se frotte le front. Wal s’excuse. Le dernier ayant chu sur sa tête, un mal n’est pas un bien non

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consommé, se dit-il. Sans plus un regard, orageux, les yeux lourds, après lui avoir indiqué la sonnette interactive des domestiques, dans le hall, pour l’appeler si besoin, il regagne son escalier, toujours aussi hautain.

Ambroise Wal lui a entassé patiemment les cartons sur un bout de sa table de sanglier ; lourd de regard, sous lequel le sourire grenouillard du fonctionnaire s’abritait de sourcils doucereux. Vraiment, monsieur Wal ne l’aime pas. C’est sensible, dans tout ce qu’il fait. Lors de l’arrivée de ce dernier carton, monsieur Trévus lui a indiqué que, s’il n’était pas sûr, il pouvait lui montrer sa carte d’inspecteur. Son front illuminé reçut le carton sur la tête, et monsieur Wal s’en fut, grandiloquent, sans écouter aucune protestation ; marchant toujours de la même rigueur froide. Avec un long soupir, l’inspecteur enlève son manteau, le met sur le dossier du fauteuil, et s’installe pour commencer son examen. Victor déplie ses lunettes, de grosses lunettes noires qui ressemblent à des loupes, encadrant son front rond et chaud, sur ces livres bien ordonnés de la comptabilité du seigneur de Céans. A sa lèvre, écartée longue, d’un orange chaud de sucre, qui écœurait l’écrivain, il n’a aucune intention de pitié.

Ambroise le laisse à ses papiers, supposant qu’il en a pour toute l’après-midi ; l’écrivain peut donc travailler à sa guise pendant ce temps-là. Sa présence ne l’inquiète pas outre-mesure : il y a toujours Pascalet, le valet de ferme, qui, dehors, veille sur les écuries.

L’individu a étalé les classeurs sur la table, ouverts, et les examine avec minutie. Monsieur Trévus, qui a déjà enlevé son manteau, songe à enlever sa veste, tant la sueur l’envahit de travailler. Un à un, il passe les documents à la loupe de ses lunettes, et les annote sur un cahier à lui. Il

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demandera, plus tard, à Ambroise, d’en faire des photocopies. Comme il cherchera à les faire dans son propre bureau, Ambroise l’enverra paître, de la main, en ville, avec ses classeurs ; et il se débrouillera. Mais, impitoyable, le fonctionnaire lui opposera l’emprunt de ses documents, auquel il n’est pas habilité ; et Ambroise, les yeux battus, sera obligé de les lui faire. Trévus travaille nerveusement, du bout des doigts comme de pattes d’araignées, à se promener sur ces reliures destinées à lui. Ambroise l’a vu embaucher de grosses lunettes à port noir, aux verres ronds, sous un front pointu et pris de fièvre, comme brûlant ou fou, de la fièvre du papier. Il est là, tout à sa disposition, même pour subir les sévices du seigneur… Et Ambroise se retire, d’un haut regard, le laissant à sa fièvre.

Ambroise est à son bureau. Il retient sa respiration. Pourrait-il écrire ? Non, sa main s’arrête. Il est préoccupé. S’il en a informé ses relations, il n’a prévenu personne de la maison, de la visite de l’intrus. En y réfléchissant, Ambroise téléphone tout de suite à Pascalet. Le téléphone sonne dans le petit couloir des locaux des domestiques. Pascalet l’empoigne. Le valet monte à son bureau, passant, indifférent, sous les yeux du fonctionnaire soupçonneux, dont les lunettes ont tressauté.

– « Il est là pour longtemps ? » demande Pascalet. Ambroise est placide.

– « Je n’en sais rien. Il examine mes comptes, ça va lui mettre du temps. » Son sourire pince : « Je crois qu’il est là pour un bout, mais il n’a pas précisé. »

Pascalet, droit, ordonne : – « Demandez-le-lui ! » Ambroise soupire :

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– « Je verrai ce soir, ce qu’il m’en dira. S’il revient les jours qui viennent.

– Qui sert-il ? – La fonction d’état. » Pascalet réfléchit, le menton dans la main. – « Vous en avez la preuve ? » Ambroise grimace : – « C’est inutile, j’ai lu son mandat. » Ambroise

soupire à nouveau : « Madame Bonnefous est en congé, elle est en famille aujourd’hui. »

Pascalet le sait. Il déclare : – « S’il ne part pas ce soir, vous m’appelez. Je le ferai

expulser par la police. – Bien. – Dites-le-moi s’il y a un problème. – Je vous appellerai ! » Pascalet s’en va d’un pas ferme, et son pas claque de

ses bottes de caoutchouc, en quittant le bureau de monsieur Wal.

L’écrivain, dans cette ambiance froide de solitude silencieuse, s’essaie vainement à travailler lui aussi. L’idée de cet inspecteur, en bas, le préoccupe ; et de quelqu’œil il se sent surveillé. Décidant de passer outre, il s’efforce à des travaux de secrétariat, en imprimant et en corrigeant ses textes.

C’est alors que monsieur Victor Trévus, ayant supervisé l’entité des documents, en cours d’après-midi, actionne la sonnette interactive. La voix froide lui répond. Il dit, sèchement :

– « Ce n’est pas complet. » Il y a un silence au bout du fil. – « Qu’est-ce qui n’est pas complet ? »

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Le seigneur entend une sorte de halètement : – « Il me manque les données analytiques… si vous les

avez ! C’est indispensable pour mon examen. » Ambroise ne semble pas comprendre. – « Il ne me semble pas avoir ça. » L’inspecteur halète encore plus fort : – « Il me les faut ! » Ambroise vient de souffler comme un taureau dans

l’interphone. Il admet : – « Peut-être n’ai-je pas tout ? » L’inspecteur insiste : – « C’est impossible ; vous devez avoir ça. » Ambroise hésite. Il décide d’expliquer : – « Vous devrez attendre mon secrétaire. Il est absent

jusqu’à demain. Lui seul pourra vous renseigner. – Vous êtes sûr ? » s’inquiète monsieur Trévus. – « Bien sûr. » Ambroise est redescendu. En bas, l’inspecteur, debout,

a remis son manteau, et regarde sa montre. – « Est-il sûr que votre secrétaire sera là demain ? »

dit-il, soupçonneux. Monsieur Wal ouvre des yeux d’enfant, bleus comme

le ciel : – « Bien sûr, puisque je vous l’ai dit ! » Trévus soupire. Il est rassuré. Prenant sa serviette, il

certifie : – « Je serai là à 9 heures demain matin. Mon mandat

est illimité, et je suis logé par mon service, dans un hôtel de Bellidet, le temps d’enquêter sur vous. »

Wal en est béat. Il le regarde, les lèvres mouillées de surprise, immobile. Trévus, nerveusement, enroule sa serviette sous son bras.