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Compte rendu de la séance du 14 février 2013 [email protected] www.amis-de-montlucon.com 1 SOCIÉTÉ DHISTOIRE ET DARCHÉOLOGIE n° 183 - 18 e année UN MOULIN à éCORCES EN BOURBONNAIS : LE MOULIN à TAN D’ORVAL. Pour la seconde conférence de l’année, les Amis de Montluçon accueillaient Patrick Defaix, membre de la société mais aussi du Cercle d’archéologie de Montluçon et de la région. Pendant plus d’une heure, il a captivé l’auditoire en présentant, à l’aide d’un diaporama fort bien conçu et animé pour certaines parties, le moulin à tan d’Orval dont il a découvert une roue à augets encore partiellement visible à l’emplacement du moulin aujourd’hui disparu. Auparavant le président Jean-Paul Michard, après avoir excusé quelques membres, a donné des informations sur les travaux de restauration au château de Bien-Assis. Jean-Yves Bourgain est intervenu en début de mois avec une spécialiste italienne des peintures sur bois pour affiner le protocole de nettoyage de la poutre sablière. Ils ont profité de ce passage pour tester également quelques procédés chimiques sur les murs. À l’issue de la présentation de Patrick Defaix, celui-ci a répondu aux questions des personnes présentes au cours d’un échange intéressant. Avant de se séparer, le président rappelle que la séance de mars se déroulera le samedi 8 à 16 h 30, salle Robert-Lebourg, rue de la Presle et revêtira un caractère spécial puisque Samuel Gibiat évoquera notre ancien président André GUY. L e tannage ou traitement du cuir remonte au Néolithique, période à laquelle l'Homme, qui s'habillait de peaux, a dû réfléchir et chercher des techniques pour conserver cette matière putrescible mais au combien utile. Il est indéniable que très rapidement les différents peuples se sont rendus compte de l'intérêt de cette matière. Pour les vêtements, la ganterie, les chaussures, les harnachements, la sellerie, le parchemin, les protections diverses, la peau traitée s'est révélée un bien précieux essentiel au quotidien, et le cuir est devenu rapidement une matière commercialement échangeable. Le traitement et la conservation du cuir se sont développés quasi simultanément dans les divers continents, mais sans utiliser partout la même technique. Trois types de tannages étaient connus et utilisés : - Le tannage végétal, qui va faire l’objet de notre propos. C’est en Europe qu’il se développe sous nos climats humides et froids, en profitant des cours d’eau abondants. Ce tannage en fosse, par trempages et rinçages fréquents, est très lent. Les écorces de chêne ou de châtaignier, en matière active, ont des pouvoirs tanniques importants, mais il y a aussi des feuilles, des racines, du bois, des fruits, des gousses qui sont capables de remplir cette fonction. - Le tannage minéral, qui nécessite un climat chaud et sec : l’Asie Mineure, le Proche-Orient ou encore l’Égypte sont connus pour la présence de gisements de sels d’alumine. Le tannage minéral ou à l’alun y prédomine. Cette technique apparaîtra également en Europe occidentale, en concurrence avec le tannage végétal, mais plus tardivement. - Le tannage à la graisse, en zone septentrionale, consiste imprégner les peaux avec toutes sortes d’huiles de poissons ou de mammifères marins, de la cervelle, de la Samedi 8 mars 2014, 16 h 30, salle Robert-Lebourg, rue de la Presle Samuel GIBIAT : André GUY (1913-2008), une figure de l’érudition locale dans le Centre de la France Vendredi 18 avril 2014, 20 h 30, salle Salicis Antoine ESTIENNE- Matthieu PERONA : Moissat-le-Moutier (63), une fondation oubliée de Guillaume le Pieux, une église majeure disparue À noter sur votre agenda… Patrick DEFAIX

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Compte rendu de la séance du 14 février 2013 [email protected]

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La lettre desAmis de MontluçonSociété d’hiStoire et d’archéologie

n° 183 - 18e année

Un moUlin à écorces en BoUrBonnais : le moUlin à tan d’orval.Pour la seconde conférence de l’année, les Amis de Montluçon accueillaient Patrick

Defaix, membre de la société mais aussi du Cercle d’archéologie de Montluçon et de la région. Pendant plus d’une heure, il a captivé l’auditoire en présentant, à l’aide d’un diaporama fort bien conçu et animé pour certaines parties, le moulin à tan d’Orval dont il a découvert une roue à augets encore partiellement visible à l’emplacement du moulin aujourd’hui disparu.

Auparavant le président Jean-Paul Michard, après avoir excusé quelques membres, a donné des informations sur les travaux de restauration au château de Bien-Assis.

Jean-Yves Bourgain est intervenu en début de mois avec une spécialiste italienne des peintures sur bois pour affiner le protocole de nettoyage de la poutre sablière. Ils ont profité de ce passage pour tester également quelques procédés chimiques sur les murs.

À l’issue de la présentation de Patrick Defaix, celui-ci a répondu aux questions des personnes présentes au cours d’un échange intéressant.

Avant de se séparer, le président rappelle que la séance de mars se déroulera le samedi 8 à 16 h 30, salle Robert-Lebourg, rue de la Presle et revêtira un caractère spécial puisque Samuel Gibiat évoquera notre ancien président André GUY.

Le tannage ou traitement du cuir remonte au Néolithique, période à laquelle l'Homme, qui s'habillait de peaux, a

dû réfléchir et chercher des techniques pour conserver cette matière putrescible mais au combien utile. Il est indéniable

que très rapidement les différents peuples se sont rendus compte de l'intérêt de cette matière. Pour les vêtements, la ganterie, les chaussures, les harnachements, la sellerie, le parchemin, les protections diverses, la peau traitée s'est révélée un bien précieux essentiel au quotidien, et le cuir est devenu rapidement une matière commercialement échangeable.

Le traitement et la conservation du cuir se sont développés quasi simultanément dans les divers continents, mais sans utiliser partout la même technique. Trois types de tannages étaient connus et utilisés :

- Le tannage végétal, qui va faire l’objet de notre propos. C’est en Europe qu’il se développe sous nos climats humides et froids, en profitant des cours d’eau abondants. Ce tannage en fosse, par trempages et rinçages fréquents, est très lent. Les écorces de chêne ou de châtaignier, en matière active, ont des pouvoirs tanniques importants, mais il y a aussi des feuilles, des racines, du bois, des fruits, des gousses qui sont capables de remplir cette fonction.

- Le tannage minéral, qui nécessite un climat chaud et sec : l’Asie Mineure, le Proche-Orient ou encore l’Égypte sont connus pour la présence de gisements de sels d’alumine. Le tannage minéral ou à l’alun y prédomine. Cette technique apparaîtra également en Europe occidentale, en concurrence avec le tannage végétal, mais plus tardivement.

- Le tannage à la graisse, en zone septentrionale, consiste imprégner les peaux avec toutes sortes d’huiles de poissons ou de mammifères marins, de la cervelle, de la

Samedi 8 mars 2014, 16 h 30,

salle Robert-Lebourg, rue de la Presle

Samuel GIBIAT :André GUY (1913-2008), une figure de l’érudition locale dans le Centre de la France

Vendredi 18 avril 2014, 20 h 30, salle Salicis

Antoine ESTIENNE- Matthieu PERONA :Moissat-le-Moutier (63), une fondation oubliée de Guillaume le Pieux, une église majeure disparue

À noter sur votre agenda…

Patrick DEFAIX

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moelle osseuse, du beurre ou des jaunes d’œufs. Ce sera la technique employée par les peuples inuits par exemple, complétée par la mastication pour assouplir le cuir. Parfois ce tannage à la graisse peut être combiné avec un tannage à la fumée chez les Indiens d’Amérique du Nord1.

Le moulin à tan d’Orval : origine et histoire

Le nom de « moulin pour réduire les écorces en poudre » serait inapproprié. En effet, Henri IV est à l’origine d’un arrêté royal précisant qu’il ne fallait employer les termes de moulin et de meunier que pour les personnes et les activités de transformation des matières propres à la consommation humaine (farines, huile d’olive, de noix...), et qu’il fallait utiliser le terme d’usine pour les autres activités en rapport avec la transformation de matières industrielles ou l’artisanat (foulon, maillerie, papier, forge, scierie, écorce…).

L’abondance de chênes et de châtaigniers en Bourbonnais a permis à cette technique de se développer à Orval. Avant d’être la commune que l’on connaît à l’ouest de Saint-Amand-Montrond, Orval était une paroisse qui possédait déjà un moulin banal à blé situé au niveau de l’étang. Il s’agissait d’un moulin hydraulique avec meules en pierre, alimenté par la retenue d’eau formée par le plan

1. Eva Halasz-Csiba, « Le Tan et le Temps », Techniques & Culture, n° 38, 2002.

d’eau aujourd’hui communal2.

Le terme « tan » vient du radical gaulois tann qui signifie « chêne ». Malgré l’arrêté royal que nous venons d’évoquer, on rencontre indifféremment l’expression « moulin à tan » ou « moulin à écorces ».

À Orval, le moulin à écorce se trouvait sur le Ruisseau des Cottards, parfois appelé Ruisseau de Bouzais. Son implantation remonte à la vague de développement des moulins à foulon décidée par Colbert, ministre des finances de Louis XIV à partir de 1665. Selon ses directives, il fallait augmenter le nombre des manufactures de draps du Berry alors très réputées, afin de ne plus être tributaire de l’étranger. C’est donc ainsi que les moulins à foulon se développèrent dans le Cher (Bourges, Châteauneuf-sur-Cher...)3.

Leurs techniques de fonctionnement étant très proches, on adaptait parfois à certains de ces moulins à foulon des mécanismes quasiment identiques, mais pour faire de la poudre d’écorce utilisée par les tanneurs.

L’installation et la présence d’un moulin à tan se confirme dés la fin du XVIIe siècle, comme l’indique le contrat d’un apprenti chez un maître tanneur de Saint-Amand le 4 juin 16844. C’est aussi à cette période que l’on constate une migration de tanneurs de Châteauneuf-sur-Cher qui viennent s’installer et fonder famille à Saint-Amand.

La position du moulin à foulon d’Orval est attestée sur la carte de Cassini au milieu du XVIIIe siècle. Aujourd’hui encore, la microtoponymie locale indique le lieu-dit « Foulon » sur le cadastre. Mais rapidement, ce XVIIIe

siècle verra l’activité de foulon très largement décliner, supplantée par l’engouement pour l’élevage du ver à soie, y compris sur le Saint-Amandois qui n’a pas échappé à cette mode, ce qui entraîne la chute de la production de drap classique à base de laine. La soie pour les gens aisés changea les habitudes vestimentaires. Notre moulin orvalien abandonna donc peu à peu le foulonnage, mais l’activité de l’écorce se poursuivit. Il faut dire que le foulon d’Orval était en concurrence avec un autre foulon de Saint-Amand, le moulin de la Ravoie, sur la Marmande.

Propriété du seigneur d’Orval, cette usine à écorce appartient au duc Armand-Joseph de Béthune-Charost. Mais le 17 décembre 1778, il vend la seigneurie d’Orval et de Saint-Amand-Montrond, la seigneurie du vieux Château et de Changy, et la baronnie d’Epineuil avec La Perche et Beauchezal, au Comte François-Marie de Fougières. Le moulin à tan d’Orval fait partie du lot.

Au décès du Comte de Fougières, seigneur de Saint-Amand-Montrond, en juillet 1786, il est indiqué dans l’inventaire de ses propriétés que le moulin est en fermage et en mauvais état, et que cela avait déjà été signalé lors de l’achat en 1778. Alors que le moulin à blé de l’étang est estimé à 1000 livres, le moulin à tan, lui, ne vaut que 200

2. Nicolas de Nicolay, Description générale du Bourbonnais en 1569, édition de 1875.

3. Mémoire de la Société Historique Littéraire et Scientifique du Cher, 4e série, 3e volume, page 260.

4. Arch. dép. Cher, E 21935, Contrat d’apprentissage du 4 juin 1684 entre le sieur Pouillard, maître tanneur à Saint-Amand, et le jeune Michel Andraud.

Coupes d’un moulin à tan (Encyclopédie ou dictionnaire rai-sonné des sciences, des arts et des métiers)

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livres. Il est affermé à raison de 120 livres par an5.

À ce moment, il est encore cité comme « moulin à écorce et à foulon », mais dans les décennies qui suivent, les actes de ventes ou de fermage ne parlent plus que d’un moulin à écorce, l’activité de foulon ayant depuis longtemps périclité.

De successions en Révolution et rachats, au début du XIXe siècle, le moulin échoit à un nommé Jean PERRIOT, corroyeur à Dun-sur-Auron en 1808. A son décès, sa veuve Marie Anne POUZIER revend le moulin à Pierre FROMENT en 1814, pour un montant de 5 700 F. Pierre FROMENT (1747-1835) était fils de tanneur, maître tanneur et marchand tanneur lui-même à Saint-Amand-Montrond. La famille FROMENT constitue une longue dynastie de tanneurs, parcheminiers et mégissiers, tous installés rue Fradet à Saint-Amand. Ces tanneurs s’allient par mariage à d’autres familles de tanneurs : les DAMON, les BENOIST, les PIBAULT. Tous sont domiciliés dans cette même rue Fradet, côté pair et pour cause : leurs terrains et propriétés sont longés par la rivière Marmande, ce qui leur est bien utile dans leurs activités en rapport avec le traitement des peaux notamment pour les rinçages ; en témoignent quelques quais ou aménagements encore visibles le long de ces propriétés et de la rivière. L’implantation et l’emprise de cette famille est telle qu’il existe encore un passage ancien à Saint-Amand entre la rue Fradet et la place de la République qui porte le nom de Cour Froment.

Durant tout le XIXe siècle, le moulin à écorce a appartenu à des maîtres tanneurs qui y plaçaient du personnel d’exploitation, des usiniers. Le 27 janvier 1854, Mlle Jenny STERLINGUE achète le moulin à Jean-Baptiste FROMENT, héritier de Pierre FROMENT ; la transaction s’élève à 7500 F6.

Toujours en 1854, Mlle Jenny STERLINGUE, demeurant à Nemours (77) et propriétaire du moulin, obtient l’autorisation de déplacer le moulin de 35 mètres en aval toujours sur le ruisseau des Cottards. C’est son père Etienne STERLINGUE, tanneur à Champange, commune de Meillant, qui exploite le nouveau moulin. Ce

5. Arch. mun. Saint-Amand-Montrond, AA11, Inventaire après décès du seigneur de Saint-Amand, le comte de Fougières, pro-priétés et dépendances de la seigneurie, 1786.

6. Arch. dép. Cher, E 22206, 27 janvier 1854, Acte de vente du moulin à écorce d’Orval entre M. Froment Jean-Baptiste, tan-neur, et Mlle Sterlingue Jenny représentée par son père Sterlingue Etienne, tanneur à Meillant.

déménagement aura pour effet de détruire complétement les traces et vestiges de l’activité « foulon » d’origine, et seule la partie « usine à écorce » perdurera dans de nouveaux locaux7.

La reconstruction du moulin au milieu du XIXe siècle, un peu en aval de sa position initiale, fait appel à de nouvelles techniques, et notamment à une double roue métallique à augets pour optimiser au maximum le faible débit du ruisseau des Cottards.

L’activité du moulin à tan d’Orval se perd peu à peu avec la disparition des derniers acteurs du métier au début du XXe siècle. Il est victime du développement des techniques de tannages chimiques modernes qui arrivent, plus rapides pour traiter les peaux. Une devise ancienne des maîtres tanneurs était : « Pour un bon cuir, il faut du tan et du temps ! ». Il est vrai qu’au delà de l’approvisionnement en matière première végétale, le tannage à écorce est particulièrement long. Il faut pratiquement un an pour tanner un cuir standard et le délai peut aller jusqu’à trois ans pour un cuir de buffle très épais. L’industrie chimique a permis la mise au point de produits concentrés en matières tanniques, et les nouvelles préparations à base de chrome et d’alun permettent d’arriver au même résultat en quelques semaines.

Description et fonctionnement

Notre moulin était un moulin hydraulique positionné le long d’un ruisseau à débit assez faible et irrégulier. Un barrage et un système de pelles placés en amont permettaient d’avoir une certaine hauteur d’eau que ces vannes régulaient. Le lit du ruisseau, large de 7 à 8 m, servait à lui seul de bief au moulin. Le principe des pelles était déjà identique lors de sa construction à la fin du XVIIe siècle et fut repris au XIXe, toujours en conservant une alimentation « haute » ou « par dessus ». Les roues sont des « roues à

7. Arch. dép. Cher, 3S 01757, Rapport sur la demande de dé-placement du moulin.

Extrait du cadastre d’Orval en 1854 lors de la demandede déplacement du moulin.

Coupe de la roue à augets avec alimentation en eaudite « alimentation par dessus »

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augets », connues depuis l’Antiquité puisque citées par Vitruve dans ses descriptions de dispositifs hydrauliques8.

Le principe consiste à optimiser la largeur du ruisseau et la faible quantité du débit. À Orval, les roues mesuraient 2 m de diamètre pour 3 m de largeur. Elles étaient placées de front et prenaient la quasi totalité de la largeur du ruisseau canalisé par de la maçonnerie. Une roue à augets a l’avantage d’optimiser la force de l’eau en utilisant le poids de l’eau plus que sa force ou la vitesse du débit. Dans ce type d’ouvrage, on ne recherche pas la vitesse de la roue mais plutôt la régularité contrôlée. Ces roues actionnaient un axe ou arbre qui se prolongeait jusque dans l’usine. L’arbre (ou hérisson) était hérissé de pièces métalliques, appelées aussi « levées », qui soulevaient puis relâchaient à chaque tour, chacune un pilon armé à sa base d’une série de « couteaux » qui venaient hacher menu l’écorce contenue dans une auge généralement en bois. Ainsi l’écorce était réduite à l’état de poudre très fine.

La vitesse de rotation n’est pas l’atout majeur recherché. L’arbre ou hérisson du moulin doit avoir une rotation d’environ 11 tours par minute. À titre de comparaison, un moulin équipé de meules à grain doit tourner idéalement entre 50 et 56 tours par minute, qu’il soit hydraulique ou éolien9.

Il faut laisser le temps aux « levées » de soulever les pilons puis de les laisser retomber pour écraser l’écorce, avant de les soulever à nouveau et ainsi de suite.

L’usinier d’Orval disposait d’une sorte de plate-forme, accessible depuis le bâtiment, qui lui permettait de venir au-dessus des deux roues pour régler les pelles ou vannes gérant le débit de l’eau. Le petit Ruisseau des Cottards étant faiblement encaissé, l’exploitant du moulin disposait de peu de marge et de réserve d’eau. Des documents indiquent quelques conflits avec des jardiniers riverains qui voyaient parfois leurs terrains inondés si l’usinier ne prêtait pas attention à ses réglages de pelles notamment après de gros orages.

Dans la description du moulin à écorce, à l’inventaire dressé après la mort du seigneur de Saint-Amand en 1786, le moulin est dit de faible rapport. Non seulement il n’est affermé qu’à 120 livres l’année, mais il faudrait même abaisser ce fermage car l’exploitant a bien des difficultés

8. Marcus Vitruvius Pollio, connu sous le nom de Vitruve, ar-chitecte romain qui vécut au 1er siècle av. J.-C.

9. Bernard de Forest BELIDOR (1694-1761)« Architecture hy-draulique ou l’art de conduire, d’élever et de ménager les eaux pour les différents besoins de la vie », première partie, tome 1, (Gallica.fr).

pour s’en acquitter10. De plus l’activité d’un moulin à écorce est saisonnière. En effet, l’écorce doit être écrasée alors qu’elle est « en sève » ; une écorce d’hiver est forcément moins riche en substances tanniques, d’où une certaine fluctuation de l’activité et de la qualité du tan.

L’aspect économique du Moulin d’Orval

Le rôle économique de ce moulin n’est pas négligeable en regard des multiples corporations et métiers qui en étaient tributaires.

L’activité de foulon, avant de disparaître à Orval, intéressait les drapiers, et par leur biais, les chapeliers, tailleurs d’habits et pourpointiers. Leur matière première passait obligatoirement par ce stade de traitement des pièces de tissus.

L’activité en rapport avec le tan et le traitement du cuir était encore plus significative et importante. Avant la réduction en poudre du tan, les écorceurs devaient faire leur travail pour amener de la matière à moudre au moulin. Ce petit métier d’écorceur ne nécessitait pas une grande force, il pouvait être exercé par des personnes âgées ou des enfants, tels que les enfants des charbonniers qui gagnaient quelques pièces en écorçant le bois avant de charger la meule pour brûlage.

À Saint-Amand-Montrond, on rencontrait des tanneurs, des mégissiers, des corroyeurs, des parcheminiers, des chamoiseurs pour la préparation du cuir en général. Puis venaient aussi les selliers, bourreliers, cordonniers, bottiers, tailleurs d’habits, et une foule d’autres métiers qui utilisaient sous forme d’accessoires des pièces de cuir. Les corps de métiers liés au cuir étaient nombreux, et notre moulin occupait bien sa place sur le Saint-Amandois.

De plus, l’utilisation de l’écorce et du tan ne s’arrête pas là : une fois qu’elle a rendu ses substances tanniques, cette poudre noirâtre est partiellement séchée. Elle est placée dans un moule, puis pressée et présentée en « motte ». Les mottes, en forme de galettes, finissent de sécher complétement dans un séchoir et sont vendues à petit prix pour allumer les cheminées, tels nos allume-barbecue modernes. Finalement, l’écorce de chêne ou tan est donc utilisée jusqu’au bout, sans rien en perdre.

Patrick DEFAIX

10. Arch. mun. Saint-Amand-Montrond : AA11 Inventaire… (déjà cité à la note 5).

La roue à augets du moulin d’Orval partiellement enterrée

L’ancien lit du ruisseau alimentant le moulin à tan d’Orval