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A l'abordage ! La légende noire des pirates Fabrice Delsahut Université Inter âges - 2014

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Page 1: A l'abordage ! La légende noire des pirates Fabrice Delsahut Université Inter âges - 2014

A l'abordage !La légende noire des pirates

Fabrice DelsahutUniversité Inter âges - 2014

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Conférence 7 : La guerre de courses

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I. La clause du testament d’Adam 

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PortugalEspagne

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L’Inter Caetera (1493)

La découverte de l’Amérique en 1492 par Christophe Colomb n’ouvre pas la voie à une hypothétique route maritime vers l’Orient, mais bien aux puissances monarchiques européennes sur un continent supposé contenir de multiples zones pionnières. Cela engendre de nombreux conflits que le pape se met en devoir de résoudre.Le 4 mai 1493, le pape Alexandre VI établit l’Inter Caetera, une bulle pontificale qui donne à l’Espagne toutes les terres à l’ouest et au sud d’un méridien à cent lieux à l’ouest ou au sud de toutes les îles des Açores et du Cap-Vert. Déjà dans la bulle Aeterni regis le pape a donné auparavant au Portugal tous les territoires de l’Afrique. Cette bulle porte sur les Terra nullius, « territoires sans maître », et ne tient pas compte des terres déjà sous contrôle d’un état chrétien. Cette décision prise par un pape espagnol au bénéfice de ses compatriotes est en premier lieu contestée par le Portugal. Le roi Jean II le Parfait, roi de Portugal, entreprend des tractations avec le roi Ferdinand II d’Aragon et la reine Isabelle Ire de Castille pour repousser de quelques lieux à l’Ouest le méridien. Débutent alors de laborieuses négociations diplomatiques entre les ambassadeurs et les conseillers juridiques des deux royaumes qui se concluent par le Traité rédigé à Tordesillas en Castille en 1494. La ligne de démarcation discontinue est repoussée à trois cent soixante-dix lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert, ce qu’atteste la version castillane du Traité :

« Ferdinand et Isabelle, par la grâce de Dieu, Roi et Reine de Castille, de Léon, d’Aragon, de Sicile, de Grenade, de Tolède, de Galice. Ainsi, son altesse, le sérénissime Roi de Portugal, notre frère bien aimé, nous a dépêché ses ambassadeurs et mandataires afin d’établir, de prendre acte et de se mettre d’accord avec nous sur ce qui appartient à l’un et à l’autre de l’océan qu’il reste encore à découvrir. Leurs altesses souhaitent que l’on trace et que l’on établisse sur ledit océan une frontière ou une ligne droite, de pôle à pôle, à savoir, du pôle arctique au pôle antarctique, qui soit située du nord au sud à trois cent soixante-dix lieues des îles du Cap-Vert vers le ponant ; tout ce qui jusqu’alors a été découvert ou à l’avenir sera découvert par le Roi de Portugal et ses navires, îles et continent, depuis ladite ligne telle qu’établie ci-dessus, en se dirigeant vers le levant appartiendra au Roi de Portugal et à ses successeurs. Et ainsi, tout ce qui, îles et continent, est déjà découvert ou viendra à être découvert par les Roi et Reine de Castille et d’Aragon, depuis ladite ligne en allant vers le couchant appartiendra auxdits Roi et Reine de Castille. »

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Naissance du Brésil

L’Espagne est ainsi autorisée à naviguer vers l’ouest en direction de l’Inde et se voit attribuer le royaume de Castille, les îles Canaries et l’Amérique, tandis que le Portugal peut naviguer vers le sud en direction de l’Inde également et obtenait Porto Santo, les Açores et les îles du Cap-Vert, ainsi que le droit de conquête de l’Afrique et de l’Asie.

Les termes du traité représentent une percée pour le Portugal, car l’antiméridien à l’est de la ligne de démarcation garantit l’existence d’une frontière protégeant la zone de monopole portugais des Castillans. Ce changement donne du même coup naissance au Brésil, découvert par Pedro Alvares Cabral en 1500, dont la partie orientale se retrouve dans la zone portugaise.

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La clause du testament d’Adam

Après la signature du traité, les découvertes portugaises et espagnoles mènent à l’hégémonie ibérique sur une grande partie du monde. La souveraineté sur l’océan Atlantique entraîne la découverte de nouvelles routes maritimes menant à d’autres terres, comme l’Inde. La rivalité que fait naître ensuite, à propos des Moluques (1512-1529), le voyage autour du monde de Magellan, est une conséquence inattendue du traité. Une nouvelle dispute éclate pour localiser la suite à l’est de ce méridien qui doit faire le tour du globe. L’une des terres en débat entre les deux signataires est l’archipel des Moluques, importante zone d’approvisionnement en épices. Après de nouvelles tractations, le traité de Saragosse, signé le 22 avril 1529, établit la suite du méridien à 297,5 lieues à l’ouest des Moluques, au profit du Portugal, l’Espagne se voyant attribuer une compensation financière.Cette découpe méridienne a des répercussions jusqu’au XVIIIème siècle dans la mesure où les autres puissances maritimes européennes du nord, à savoir la France, l’Angleterre et les Pays-Bas, se voient refuser tout droit sur ces nouvelles terres.Jusqu’à l’accession de François Ier au trône, la France ne s’intéresse guère aux découvertes et les seules actions maritimes reposent sur de la contrebande ou piraterie le long des cotes africaines. Ses prédécesseurs privilégient les conquêtes méditerranéennes. C’est donc sous son règne que la France porte un intérêt certain pour le Nouveau Monde. Refusant la tutelle ibérique, il demande au pape Clément VII de limiter la portée de la bulle ce que ce dernier fait sous la forme d’une déclaration. Il précise donc en 1553 que la bulle n’affecte que les territoires occupés par l’Espagne ou le Portugal et que les terres nouvelles non-occupées peuvent être réclamées par d’autres monarques chrétiens. Face aux protestations espagnoles, François Ier a cette répartie désormais célèbre:« Je voudrais bien voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde »  ?

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Des pirates en guise de marine de guerre

Face aux convoitises nord-européennes et pour garantir l’application de ce traité, les nations ibériques se constituent une puissante et importante marine de commerce et de guerre. Les ressources financières issues des épices moluquois, de l’or africain et de l’argent mexicain et péruvien leur permettent de disposer d’un budget sans commune mesure avec les autres couronnes européennes. Ces dernières, et en particulier la France, ne peuvent dans un premier temps que recourir à la piraterie et à la contrebande puis à la course pour profiter des richesses du Nouveau Monde avant que, apparition du protestantisme aidant, elles ne rejettent l’autorité pontificale. « François Ier, écrit Patrick Villiers, ne disposait pas des moyens financiers de créer une marine de guerre. Il confia donc l’Atlantique aux corsaires basques et normands. L’enjeu était double : d’une part forcer les Espagnols à reconnaître la présence française en Atlantique, des Antilles aux Terres Neuves ; d’autre part, capturer les riches galions espagnols afin d’enrichir les armateurs et un roi de France toujours à court d’argent. »

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II. La « caprerie » ou la guerre en dentelles

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La « caprerie »

La « caprerie » est un terme qui désigne la guerre de course. Elle permet de « porter le fer » sur le commerce des ennemis afin de leur « couper le nerf de la guerre ». Si la course existe depuis le moyen âge, il faut attendre la fin du XVII ème et le début du XVIIIème siècle, c’est à dire pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) qui oppose Louis XIV aux troupes coalisées d’Angleterre, d’Espagne, de Hollande et de Suède, et celle de la succession d’Espagne (1702-1705), pour qu’elle connaisse son apogée. Les corsaires malouins, assistés par ceux de Morlaix ou de Dunkerque suppléent alors à la faiblesse maritime de l’Etat. C’est d’abord une activité de substitution qui s’impose à de nombreux ports. Les conflits européens ont toujours modifié les activités et le fonctionnement des ports français. Bien sûr ils n’ont jamais interrompus la pêche à Terre Neuve ou le grand commerce maritime, mais les temps de guerre provoquent un manque à gagner certain puisque les échanges sont suspendus avec les pays impliqués. Par conséquent se pose la question de trouver des activités compensatoires.Les armateurs, qui n’acceptent pas que la guerre puisse faire obstacle à leur commerce, mettent des canons sur les navires qu’ils destinent au négoce. En outre ils sollicitent une « commission de guerre et marchandises » ou lettre de marque auprès de l’amirauté, qui leur permet le cas échéant d’attaquer et de s’emparer de navires ennemis. Cette activité se révèle fructueuse pour les armateurs et les actionnaires qui savent miser sur le bon capitaine et le bon navire.

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Une nouvelle stratégie

Le ministre de la marine met tous ses espoirs dans la course et l’intègre pleinement dans la stratégie française après le désastre de la Hougue en 1692 où la flotte royale perd vingt-deux navires au large de Barfleur. Les corsaires partis de Dunkerque, de Saint-Malo, de la Rochelle et de Bordeaux prennent la relève de la marine de guerre française. La « caprerie » devient pour lui synonyme de sources d’économies (le budget de la marine est réduit) et éventuellement de revenus puisque le roi prélève de un quart à un tiers des prises.

Les courses des corsaires, dont les motivations sont plus spéculatives que patriotiques, gênèrent et affaiblissent considérablement les ennemis de la France. Ainsi les pertes causées au commerce anglais de 1688 à 1717 sont très élevées. Joannès Tramond les estime à 4 200 navires, rien que pour les années 1688-1697. Par ailleurs Jean Delumeau a calculé qu'en additionnant toutes les prises faites par les corsaires français et ayant donné lieu à un jugement, entre mars 1695 et avril 1715, on parvient à un total de 6 919 navires ou chargements capturés. Les courses permettent à la fois de ruiner le commerce ennemi mais aussi de créer une panique sur les marchés boursiers de l’époque, notamment celui de la City à Londres. Les riches négociants anglais poussent alors les souverains à signer des traités de paix pour mettre fin aux prises devenues trop nombreuses.

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La guerre en dentelles

Les corsaires font la guerre selon les même lois que les marins d’Etat, c’est-à-dire ceux de la Marine Royale (puis Nationale et Impériale). Celle-ci est très réglementée et relève d’une véritable « guerre en dentelles » tant les prescriptions sont nombreuses. Deux types de règles régissent la course : les règles pendant la course et les règles au retour de celle-ci.Les règles générales pendant la course consistent en premier lieu à disposer d’une lettre de marque reçue de l’Etat, en temps de guerre. Cette autorisation cesse normalement dès l’arrêt des hostilités.Les navires peuvent arborer un pavillon neutre ou allié afin de s’approcher de l’ennemi mais il y a une obligation de hisser, à partir d’une certaine distance, le véritable pavillon. Si ce n’est pas le cas, il s’agit d’une traîtrise.Les prisonniers doivent être traités avec respect et leurs effets personnels ne font pas partie du butin. Des scellés sont posés sur les coffres, malles, et autres armoires des prisonniers. Ces derniers utilisent parfois cet argent pour soudoyer les geôliers afin d’améliorer l’ordinaire. Seuls le navire et sa cargaison peuvent donc faire l’objet d’une prise en guerre de course, encore faut-il que la prise soit jugée légitime par les autorités compétentes au retour de course. Les marins ennemis prisonniers de guerre peuvent être soit libérés à la fin des hostilités, soit échangés, ou encore libérés contre rançon. Le capitaine corsaire dépose au retour à l’Amirauté son rapport de mer dont l’examen par les officiers d’administration déclenche une procédure de plusieurs jours. Personne n’a le droit de descendre à terre avant que les officiers d’administration n’aient dressé le procès verbal d’inspection du navire, vérifié que les scellés apposés par l’écrivain de bord sur les coffres, malles et armoires de la prise soient intactes. Ensuite ils apposent leur sceau sur les écoutilles pour éviter que des parties du butin de prise ne soient débarquées à la nuit tombée. Enfin, ils interrogent les prisonniers et les mènent vers les prisons de la ville. Alors seulement, l’équipage peut quitter le navire et attend le verdict du Tribunal des Prises, dépendance de l’Amirauté qui statue sur la légitimité des captures. De ce verdict dépend la vente aux enchères ou non du butin de prise. En cas de forfaiture, traîtrise ou d’absence de Lettre de Course, le navire est rendu à ses armateurs. Surcouf qui part en course sans attendre sa lettre est condamné par le Tribunal des Prises de l’Ile de France (actuelle Ile Maurice), alors territoire français.Le butin de prise est constitué du navire et de sa cargaison. Celle-ci est généralement composée de vivres et de produits divers dont la valeur marchande varie considérablement. On trouve ainsi de la nourriture, de l’alcool mais aussi du cuir, des épices, des colorants, des bois précieux et plus rarement des sacs de poudre d’or ou d’argent. Selon une ordonnance royale française, le tissu pris n’est pas mis en vente mais détruit afin de préserver les manufactures nationales.

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Prendre son pied

Les corsaires ne sont pas toujours propriétaires de leurs bateaux. Ces derniers sont parfois affrétés c’est-à-dire loué à un armateur qui touche en retour une part de prise. Les parts sont calculées proportionnellement aux capitaux engagés dans l’affaire. Les gains issus de la vente sont alors répartis en fonction du rang et des investissements entrepris. La répartition des bénéfices s’effectue sous le contrôle plus ou moins rigoureux des procureurs syndics élus par les armateurs. Le système des tiers prévaut généralement : un tiers pour le roi (ou les représentants de l’Etat) qui octroie la lettre de marque, un tiers pour l’armateur et un tiers pour le capitaine et ses hommes d’équipage en fonction de leur statut. Le barème se décompose ainsi en plusieurs parts : douze pour le capitaine, huit pour les lieutenants, une pour les matelots et encore moins pour les mousses.

Le système de partage consiste à faire des « tas » d’or ou d’argent de la hauteur d’un « pied », une mesure de l’époque qui équivaut à environ trente trois centimètres. Chacun prend alors ses revenus en tailles de piles. Cette procédure a donné naissance à l’expression « prendre son pied » soit « prendre sa part », avec tout ce que cela comporte implicitement de satisfaction.

L’aventurier et précurseur du roman d’aventure maritime, Ambroise Louis Garneray qui déclare « avoir pratiqué à peu près tous les genres de navigation à l’exception de la piraterie », relate dans le récit de ses aventures maritimes une anecdote qui illustre bien cette « guerre en dentelles ». Un capitaine britannique qui s’est rendu sans combattre, montant à bord du navire français pour la reddition, constate que les Français sont peu nombreux. Il déclare alors que s’il avait su, il aurait combattu et que les Français ne l’auraient pas pris. Comme son ton méprisant agace le capitaine corsaire français, celui-ci déclare qu’il n’a qu’à remonter sur son navire et qu’on va donc combattre. Selon Garneray, le Britannique blêmit et se ravise!

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III. De marque ou de représailles

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La lettre de limite

La course n’est légale que si le corsaire est commissionné par son souverain via la lettre de marque ou lettre de course. La lettre de marque (du vieux français marche qui signifie « limite ») autorise à saisir les biens étrangers hors des limites du territoire. Elle est une pièce indispensable qui légalise son activité et qui le distingue du pirate, mais aussi le document officiel qui lui confère un statut de prisonnier de guerre en cas de capture. Officiellement mandaté, le corsaire est tenu par cet ordre de mission de n’attaquer exclusivement que les ennemis de son souverain, respectant généralement les neutres et toujours ses propres concitoyens. S’il manque à cette règle et qu’il continue son activité, alors il est traité en pirate. Les corsaires en mer n’ayant pas pu être informés de la paix survenue quelques jours auparavant se trouvent parfois dans des situations fort compromettantes. Les corsaires ne font donc pas, conformément à la citation latine de Wolf, «  leur guerre privée, mais à titre privé la guerre nationale ». Ils disposent donc d’une relative liberté d’action, devant se conformer aux règlements édictés par le gouvernement, respecter les lois de la guerre et rendre compte de leur activité et de leur prise.

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Les premières lettres

Les lettres de marque se trouvent matérialisées au Moyen Age par une marque sur la coque des navires. Plus tard, elles prennent la forme d’une autorisation écrite que le capitaine du navire garde précieusement dans son coffre. On trouve trace des premières lettres de marque rédigée par le roi Henri III d’Angleterre sous forme de « licence » en 1243. La première concerne Geoffrey Piperet et la seconde, Adam Robernolt et William le Sauvage. Elle est rédigée en ces termes :« Que tout un chacun sache que nous avons accordé et donné à Adam Robernolt et William le Sauvage et aux compagnons qu’ils prennent avec eux, liberté de harceler nos ennemis tant sur mer que sur terre de telle sorte que les sudits partagent avec nous pour moitié toutes leurs prises ; et donc nous vous commandons qu’aucunes souffrances, punitions, dommages ou blessures ne leurs soient faites à eux et à leur navire, ou autre bateaux ou galères qu’ils ont ; et ils doivent rendre au Roi, la moitié de tous leurs gains. »

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Des contrats

Au temps de Louis XIV, et plus tard, les lettres de marque servent surtout de contrats invitant les corsaires à lancer des raids sur les navires marchands de pays concurrents. Le roi peut même participer à la guerre de course en prêtant des vaisseaux, comme il le fait avec Duguay-Trouin pour l’attaque de Rio de Janeiro en 1711. En France, la pratique est strictement réglementée par les Ordonnances de la Marine de Colbert. En effet, le Roi-Soleil multiplie les conquêtes terrestres mais ignore pour beaucoup les choses de la mer. Son ministre Colbert comprend qu’il faut, selon ses propres termes de 1659, « rétablir la gloire et l’honneur du royaume sur mer, en remettant sur mer un nombre considérable de vaisseaux, en reprenant surtout les voyages au long cours. » Il faut donc se doter d’une flotte conséquente pour faire face aux puissantes armées maritimes hollandaises et anglaises. Pour Jean Merriem, « la course, sous Louis XIV, a sauvé nos côtes, dont elle a été le bouclier avancé (devant les fortifications de Vauban), a empêché la réalisation d’une « mer britannique » ou espagnole, qui nous eût asphyxiés, et, au contraire, a « fait crier de faim » l’ennemi . »

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Lettre de course de 1695

Voici un exemple de lettre de course établit en 1695 par le comte de Toulouse, Louis-Alexandre de Bourbon, fils naturel de Louis XIV, pour un dénommé Pieter Segaerdt :

« Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouze, admiral de France, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, Salut. Le Roy ayant déclaré la guerre au Roy Catholique, aux fauteurs de l’usurpateur des couronnes d’Angleterre et d’Ecosse, et aux Etats des Provinces unies, pour les raisons contenues dans les déclarations que sa Majesté a fait publier dans toute l’étendue de son royaume, païs, terres et fiefs de son obéissance, et Sa Majesté nous ayant commandé de tenir la main à l’observation desdites déclarations, en ce qui dépend du pouvoir et autorité qu’il a plu à Sa Majesté attribuer à notre charge, avons, suivant les ordres exprès de Sadite Majesté, donné congé, pouvoir et permission au Sieur Pieter Segaerdt, demeurant à Dunkerque, de faire armer et équiper en guerre un navire nommé "L’obéissance", du port de Dunkerque, avec tel nombre d’hommes, canons, boulets, poudres, plombs et autres munitions de guerre et vivres qui y sont nécessaire pour le mettre en mer en état de naviguer et courir sus aux pirates, corsaires et gens sans aveu, même aux sujets du Roy Catholique, des Etats des Provinces Unies, aux facteurs de l’usurpateur des couronnes d’Angleterre et d’Ecosse, et autres ennemis de l’Etat, en quelques lieux qu’il pourra les rencontrer, soit aux côtes de leurs païs, dans leurs ports ou sur leurs rivières, même sur terre aux endroits où ledit capitaine Segaerdt jugera à propos de faire des descentes pour nuire auxdits ennemis, et y exercer toutes les voyes et actes permis et usitez par les lois de la guerre, les prendre et amener prisonniers avec leurs navires, armes et autres choses dont ils seront saisis, à la charge par ledit Segaerdt de garder et faire garder par ceux de son équipage les ordonnances de la Marine, porter pendant son voyage le pavillon et enseigne des armes du Roy et les nôtres, faire enregistrer le présent congé au greffe de l’Amirauté le plus proche du lieu où il fera son armement, y mettre un rolle signé et certifié de luy, contenant les noms et surnoms, la naissance et demeure des hommes de son équipage, faire son retour audit lieu ou autre port de France dépendant de notre juridiction, y faire son rapport, par-devant les officiers de l’Amirauté et non d’autres, de ce qui se sera passé durant son voyage, nous en donner avis et envoyer au secrétaire général de la Marine sondit rapport avec les pièces justificatives d’iceluy pour être sur le tout ordonné au Conseil de ce que de raison. Prions et requérons tous Rois, Princes, potentats, seigneuries, Estats, Républiques, amis et alliez de cette couronne et tous autres qu’il appartiendra, de donner audit Segaerdt toute faveur, aide, assistance et retraite en leurs ports avec sondit vaisseau et tout ce qu’il aura pu conquérir pendant son voyage, sans luy donner nu souffrir qu’il luy soit fait ou donné aucun trouble ny empêchement, offrant de faire le semblable lorsque nous en serons par eux requis. Mandons et ordonnons à tous officiers de Marine et autres sur lesquels notre pouvoir s’étend, de le laisser seurement et librement passer avec sondit vaisseau, armes et équipages et les prises qu’il aura pu faire, sans luy donner ny souffrir qu’il luy soit fait ou donné aucun trouble ny empêchement, mais au contraire luy donner tout le secours et assistance dont il aura besoin, ces présentes non valables après un an du jour de ladite d’icelles, en témoins de quoy nous les avons signées et icelles fait contresigner et sceller du sceau de nos armes par le secrétaire général de la Marine à Versailles, le premier jour du mois de fébvrier 1695. Signé : L.A.L de Bourbon, Cte de Toulouze, admiral de France, et sur le reply : par Monseigneur de Valincourt, et scellé . »

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De marque ou de représailles

Les lettres de marque sont de deux types.:- En temps de guerre, elles autorisent les attaques de vaisseaux ennemis.- En temps de paix, les lettres prennent une autre forme. Les armateurs qui ont perdus des navires au cours d’affrontement contre des pirates, recourent à des lettres dites « de représailles ». Les victimes d’un vol en mer ont le droit de reprendre leurs propres biens, ou l’équivalent, sur leurs agresseurs, parents ou amis de la nation qui les ont rançonnés. Cette autorisation des représailles en cas de déni de justice permet ainsi de récupérer l’équivalent de la cargaison volée. A l’origine, contrairement aux lettres de marque, les lettres de représailles ne donnent le droit de s’emparer des biens étrangers que dans l’enceinte de la juridiction du souverain qui les accorde. Ce droit peut être exercé non seulement dans le cas d’injure faite à la personne ou à la propriété d’un sujet étranger, mais aussi pour obliger au payement d’une dette.

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IV. Le nid de guêpes et le chat 

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Le « nid de guêpes »

Avec la découverte des Amériques et le développement des échanges commerciaux avec les Indes, Saint-Malo prend son envol économique et s’enhardit considérablement. Les armateurs deviennent plus nombreux et des personnages de cette époque font la renommée de la ville. Jacques Cartier découvre et explore le Canada, les corsaires harcèlent les marines marchandes et militaires ennemies, tels Duguay-Trouin, puis un peu plus tard Surcouf. L’Angleterre souffre particulièrement des énormes pertes que les corsaires de Saint-Malo font éprouver à son commerce. Pour la course sous Louis XIV, Saint-Malo arme durant cette période 900 bâtiments corsaires, mobilise 7 000 hommes et prend 1 300 navires de tout tonnage, sans compter les destructions. La course est à ce point rentable que le métier de corsaire est exercé traditionnellement par de nombreuses familles de la région, de père en fils. Pour beaucoup, et conformément à ce qu’écrit en 1771 le Dictionnaire de Trévoux, ouvrage historique synthétisant les dictionnaires français du XVIIème siècle rédigé sous la direction des Jésuites : « Les Malouins sont les meilleurs gens de mer qui soient en Europe. » Les armateurs sont de riches bourgeois qui pêchent en temps de paix sur les bancs de Terre-Neuve ou négocient les toiles de Bretagne sur les cotes de Cadix.En 1693, l’Angleterre voulant se venger des pertes, projette de détruire complètement le premier port armant, ce « nid de guêpes » abrité par ses îlots fortifiés et ses remparts imposants.

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Le chat

Le 26 novembre 1693, une flotte de trente navires anglo-hollandais apparait au large du Cap Fréhel. Après avoir bombardé le Fort La Latte et l’Ile des Ebihiens, elle se dirige vers le rocher malouin. La flotte amène avec elle une machine infernale conçue outre-manche. Celle-ci est élaborée dans la Tour de Londres sous les ordres du Prince Guillaume II d’Orange. Il s’agit d’un navire de trois ponts, jaugeant trois cents tonneaux, et long de quatre-vingt-quatre pieds. Le navire est rempli de dix mille kilos de poudre, de bombes et de mitrailles. L’objectif est de lancer ce curieux navire contre la Tour Bidouane qui sert alors de poudrière à Saint Malo. La brèche faite doit permettre de faire débarquer les quinze milles hommes embarqués au large. Avec ses voiles noires et ne calant que sept pieds, l’étrange navire compte sur la nuit pour mieux atteindre la cité. Mais tandis qu’il longe la ligne des roches qui va du Fort Royal au Fort de la Reine, un fort coup de vent le fait talonner sur les récifs. Le navire explose, déchiquetant les pauvres marins à son bord et projetant sur la ville des débris de fer et de mitraille. Au petit matin, les Malouins trouvent l’épave du navire et les corps des marins anglais gisant sur la grève. Selon la légende, seul un chat est découvert mort dans la cité. Les corps des victimes anglaises et du chat sont rapportés à l’Amiral sur une barque. « Voici vos victimes », déclara-t-on en montrant le corps des anglais, « voici la notre », en montrant celle du chat ! C’est ainsi que la « Cité corsaire » est sauvée d’une destruction certaine. Deux ans plus tard, le 14 juillet 1695, les Anglais reviennent bien décidés à en finir. Une fois encore, les canons des forts et des remparts les éloignent. Le glacis des îlots fortifiés entourant la citadelle malouine prouve à nouveau son efficacité.

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V. Des contestations regrettables 

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L’abolition de la course

Même si la course a disparu en France avec l’Empire en 1815, il faut attendre 1856 pour qu’elle soit officiellement abolie à l’occasion d’une réunion en congrès à Paris où toutes les nations sont représentées, à l’exception de l’Espagne, du Mexique et des Etats-Unis.

Le 16 avril 1856, les représentants de la France, de la Russie, de la Prusse, de l’Autriche, de la Turquie, du Royaume-Uni et de la Sardaigne signent donc une déclaration concernant le droit maritime européen en temps de guerre. Les Plénipotentiaires qui ont signé au préalable le Traité de Paris le 30 mars 1856 qui met fin à la guerre de Crimée (1853-1856), veulent aussi mettre fin à ce qui est « pendant longtemps l’objet de contestations regrettables ».

En voici la teneur :« Considérant :Que le droit maritime, en temps de guerre, a été pendant longtemps l’objet de contestations regrettables;Que l’incertitude du droit et des devoirs en pareille matière donne lieu, entre les neutres et les belligérants, à des

divergences d’opinion qui peuvent faire naître des difficultés sérieuses et même des conflits;Qu’il y a avantage, par conséquent, à établir une doctrine uniforme sur un point aussi important;

Que les Plénipotentiaires, assemblés au Congrès de Paris, ne sauraient mieux répondre aux intentions dont leurs Gouvernements sont animés, qu’en cherchant à introduire dans les rapports internationaux des principes fixes à cet égard;

Dûment autorisés, les susdits Plénipotentiaires sont convenus de se concerter sur les moyens d’atteindre ce but, et, étant tombés d’accord, ont arrêté la Déclaration solennelle ci-après :•La course est et demeure abolie;•Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l’exception de la contrebande de guerre;•La marchandise neutre, à l’exception de la contrebande de guerre, n’est pas saisissable sous pavillon ennemi;•Les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs, c’est-à-dire, maintenus par une force suffisante pour

interdire réellement l’accès du littoral de l’ennemi.Les Gouvernements des Plénipotentiaires soussigné s’engagent à porter cette Déclaration à la connaissance des

Etats qui n’ont pas été appelés à participer au Congrès de Paris, et à les inviter à y accéder.Convaincus que les maximes qu’ils viennent de proclamer ne sauraient être accueillies qu’avec gratitude par le

monde entier, les Plénipotentiaires soussignés ne doutent pas que les efforts de leurs Gouvernements pour en généraliser l’adoption ne soient couronnés d’un plein succès.

La présente Déclaration n’est et ne sera obligatoire qu’entre les Puissances qui y ont ou qui y auront accédé. »

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Un déclin progressif

Les relations des corsaires avec l’état ont évolué au fil du temps avec les changements de dirigeants et d’impératifs diplomatiques : la réglementation s’est accrue, le contrôle de l’état devient plus présent et les démarches administratives s’alourdissent. A partir de la fin du XVIIème siècle, la course commence à décliner jusqu’à sa mort légale en 1856. Cela est d’autant plus vrai pour la France que le nombre de prises effectuées par des corsaires diminue. La tactique britannique en ripostes aux prises françaises, combinant des convois obligatoires pour les marchands, des escadres ou flottilles anti-corsaires et des bombardements ou blocus des ports commerçants avec la France, permet de reprendre de nombreuses prises françaises et d’augmenter considérablement la flotte marchande anglaise. Napoléon reprend la marine dans un triste état après la révolution. Il déclare même aux Anglais : « Vous avez une marine qu’en dix ans d’efforts consécutifs, en y employant  toutes mes ressources, je ne pourrai pas égaler . »

Le ministre de la Marine, Laurent-Jean-François Truguet, a déjà envoyé une circulaire le 24 Floréal an IV (13 mai 1796) aux différents commissaires de ports les invitant à pousser les corsaires à « faire tous leurs efforts pour porter des coups sûrs au commerce de nos ennemis. » Il leur est demandé dorénavant « de détruire tous les bâtiments qu’ils n’auraient pas la certitude de pouvoir faire arriver en France. Cette marche préviendra la reprise d’une infinité de navires et en même temps la diminution des équipages de nos corsaires et la captivité d’un assez grand nombre de Français. » Les armateurs demandent alors en compensation une prime pour chaque bâtiment coulé en mer. Patrick Villiers explique les conséquences de cette demande : « A partir du moment où les armateurs eux-mêmes demandaient la destruction des navires ennemis, la course en tant que telle n’avait plus de raison d’être. Pourquoi un marchand allait-il armer un navire s’il ne pouvait capturer un navire ennemi ni le vendre à son profit ? »

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Le cas des Etats-Unis

L’Espagne ne signe la convention qu’en 1808 et le Mexique en 1809.

Les États-Unis n’ont jamais été signataires de la déclaration. Selon la constitution américaine, le Congrès conserve donc le droit de « déclarer la guerre, d’accorder des lettres de marque et de représailles et d’établir des règlements concernant les prises sur terre et sur mer » (Article 1, section VIII). Ce droit est utilisé par l’administration du Président George Bush, après les attentats du 11 septembre 2001. Elle fait renforcer le droit constitutionnel de prises en mer en faisant voter une loi, September 11 Marque and Reprisal Actes of 2001, qui autorise le Département d’État à octroyer des lettres de marque sans attendre l’aval du Congrès. Ainsi des personnes ou des sociétés peuvent se voir confier des missions militaires navales offensives. En 2007, un pas supplémentaire est franchi avec la création par le président des Etats-Unis de licences spéciales autorisant des armateurs privés à faire la guerre aux pirates et le cas échéant aux terroristes. La société militaire privée américaine spécialisée dans les opérations maritimes, Pistris Incorporated, se voit délivrer des lettres de marque en bonne et due forme de la part du président Georges W. Bush en vue de mener la guerre de course contre les auteurs d’actes de violence privée en mer dans l’océan Indien. La société Pistris est ainsi habilitée à armer deux bâtiments de soixante-cinq mètres de long, reliés aux satellites militaires d’observation. Chaque navire est doté d’un hélicoptère armé, d’embarcations annexes ultra-rapides capables d’atteindre la vitesse de cinquante nœuds et d’un équipage de cinquante hommes parmi lequel se trouvent des commandos.