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À la suite de Ludwig von Mises son mentor, Murray Newton Rothbard a été l’illustre penseur et représentant du courant de pensée de l’Ecole Autrichienne aux Etats-Unis, en accomplissant son rôle d’« entrepreneur intellectuel » comme il le concevait dans sa défense de l’individualisme, du capitalisme et du libéralisme1.

Passionné d’histoire, de philosophie, d’économie et de sciences politiques, Rothbard a enrichi la théorie Autrichienne en épistémologie et en économie, tout en menant ses combats idéologiques et politiques aux Etats-Unis2. Son itinéraire politique apparemment complexe se comprend à partir de sa fidélité à ses principes de justice et de liberté traduits dans une philosophie politique d’opposition à la coercition étatique sous toutes ses formes, en intégrant des éléments économiques et sociaux3. La ligne directrice de ses recherches intellectuelles et de son activité politique est celle d’un long combat contre l’Etat et l’« Establishment » qui l’accompagne, et cela se résume dans le « libertarianisme » qu’il a prôné.

Sa personnalité multi-facettes s’est reflétée dans les domaines de la recherche, de l’enseignement, du journalisme, et de sa participation à la vie politique,

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en quête d’une société libre et humaine où l’individu a toute sa place avec sa propriété personnelle. Il adorait aussi la littérature (voir ses nombreux commentaires) et le cinéma, ses acteurs préférés étant John Wayne et Clint Eastwood

Le libertarianisme dont les sources sont autrichiennes (Carl Menger, Ludwig von Mises) et américaines avec les idées de la Révolution Américaine et de la « Old Right » (contre le socialisme à l’intérieur et sur la base de l’isolationnisme en politique extérieure) est une composante majeure de l’idéologie et de la politique aux Etats-Unis, avec aussi une portée universelle.

Rothbard a été un grand intellectuel, le contraire de l’intellectuel de cour, avec des contributions majeures en philosophie (héritage d’Aristote et de Saint Thomas d’Aquin), en épistémologie (apriorisme et praxéologie de Mises), en sciences politiques, en histoire et en économie, concernant plus particulièrement la propriété privée, l’initiative individuelle, le marché et la monnaie avec l’étalon-or. En économie politique, il a intégré dans son modèle praxéologique : la théorie des institutions monétaires de Carl Menger, la théorie du capital et du taux d’intérêt de Böhm-Bawerk et la méthodologie de Mises

La crise économique et financière qui a débuté au cours des années 2007-2008 est une bonne illustration des malheureuses conséquences de politiques économiques et monétaires inappropriées, fondées sur l’endettement des Etats et des autres agents économiques, en mettant à jour la responsabilité des gouvernements et des banques centrales avec leurs monnaies fractionnaires, en premier lieu le dollar4. Les

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analyses de Rothbard restent d’actualité tant au plan économique que politique.

Nous proposons une étude d’ensemble de la pensée de Rothbard et de son engagement à partir de ses concepts fondamentaux5. En épistémologie : apriorisme et praxéologie, en philosophie politique : antiétatisme (et anti-fiscalité) et anti-impérialisme (isolationnisme), accompagné de son éthique de la liberté avec le droit naturel, en économie : pouvoir et marché avec la propriété privée, et pour l’analyse monétaire : monnaie saine et étalon-or avec la critique de la Réserve Fédérale américaine et du F.M.I. Passionné d’histoire des idées, Rothbard a écrit une étude détaillée sur l’histoire des Etats-Unis à leur origine : Conceived in Liberty, et il a livré sa propre vision de l’histoire de l’analyse économique dans sa magistrale Histoire de l’analyse économique en deux tomes à laquelle nous consacrons notre dernier chapitre.

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CHAPITRE I LA VIE ET L’ŒUVRE

DE MURRAY N. ROTHBARD

1° La jeunesse et les études

Murray Rothbard est né le 2 mars 1926 à New York dans le Bronx, dans un milieu de juifs émigrés de classe moyenne comportant beaucoup de sympathisants de gauche, socialistes ou communistes, à l’exception de son père, d’esprit indépendant et épris de liberté1.

Son père David Rothbard était né en Pologne à Varsovie et a émigré aux Etats-Unis en 1910, apprenant vite l’anglais et devenant chimiste dans l’industrie du pétrole. Sa mère Raya Babushkin était née dans un petit village à la frontière polono-russe et vint en Amérique avec sa mère et sa sœur en 1916. Rothbard a bénéficié d’un milieu familial cultivé et stimulant, il est toujours resté proche de ses parents ; son père qui croyait beaucoup dans le rationalisme et la science l’a appelé Murray Newton.

Le jeune Rothbard, élève brillant et en avance s’est d’abord trouvé en décalage par rapport à ses

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camarades de l’école publique. Cela s’est beaucoup mieux passé ensuite pendant deux ans dans une école privée The Riverside School à Staten Island, pour être diplômé en fin du secondaire de la Birch Wathen School dans Manhattan.

En septembre 1942, Rothbard entre à l’Université de Columbia où il a obtenu d’excellentes notes dans ses matières, parmi lesquelles principalement les mathématiques et l’économie. A la fin de la guerre, il rejoint le club des jeunes républicains de New York, et prit contact avec l’organisation F.E.E., The Foundation for Economic Education, ce qui a été sa première participation au mouvement libertarien organisé, tout en découvrant ce qu’était la « Old Right » américaine. Il y a rencontré Frank Chodorov en 1947 ayant écrit Taxation is Robbery la même année, qui l’a beaucoup influencé, lisant son journal Analysis, et qui lui fit connaître Henry L. Mencken auteur de A Mencken Crestomathy. Georg J. Stigler enseignait à Columbia fin 1946 et a publié avec Friedman au F.E.E.

Rothbard a obtenu un M.A. Degree en 1946 (maîtrise en économie et mathématiques), puis son Ph D. en 1948, et son Doctorat d’économie en 1956 sous la direction de Josef Dorfman avec une thèse sur le sujet : The Panic of 1819 : Reactions and Policies. (Cf. Chapitre VII). Il avait rencontré Jo Ann Schumacher à Columbia, avec qui il s’est marié, très intelligente et cultivée, elle s’est dévouée par la suite à la carrière de son mari.

Dès cette époque, les nombreuses lectures de Rothbard l’ont imprégné des idées libertariennes, avec comme principaux auteurs : Albert Jay Nock

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critique littéraire et son disciple Franck Chodorov, Franck Knight, Henry Mencken, Garet Garrett, Isabel Paterson, Herbert Spencer (Man Versus the State), Ernest Benn (Confessions of a Capitalist), Henry George (Science of Political Economy). Il a lu aussi des livres de Ludwig von Mises, lequel avait écrit Le socialisme en 1922 et Le libéralisme en 1927 après son étude magistrale sur la monnaie : The Theory of Money and Credit de 19122.

Ludwig von Mises était employé à temps partiel au F.E.E. quand Rothbard y est arrivé. Mises avait quitté l’Autriche occupée pour New York où le Volker Fund l’a aidé à trouver un enseignement. En tant que visiting professor à l’Université de New York, il y a mené son fameux séminaire fréquenté par beaucoup de futurs libertariens aux Etats-Unis. Dans les années 30 Mises avait obtenu une chaire de professeur à l’Université de Genève en relations économiques internationales (1934-1940), il a émigré aux Etats-Unis en 1940 au moment de l’occupation de la France par l’Allemagne3. Après son arrivée à New York, il a obtenu une bourse du N.B.E.R., au cours de la période 1941-1944, ce qui lui a permis d’écrire deux livres : Omnipotent Government et Bureaucracy.

Rothbard a assisté dès le début au séminaire de Mises à New York (mené de 1946 à 1969), véritable révélation pour lui en sciences économiques et ayant motivé la plupart de ses travaux ultérieurs.

Mises avait repris dans les années 40 un travail antérieur Nationalökonomie pour l’enrichir considérablement et publier son magnum opus en 1949 : Human Action : a Treatise on Economics. Il y présente son analyse économique globale fondée sur

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la méthode de la praxéologie dans le cadre d’un grand travail général en économie politique qui intègre les enseignements de l’Ecole Autrichienne.

L’action humaine de Ludwig von Mises a été la deuxième grande découverte intellectuelle de Rothbard après la lecture des auteurs de la vieille droite libérale américaine ; la connaissance des économistes de l’Ecole Autrichienne était absente des enseignements universitaires aux Etats-Unis. Un diplômé de Columbia comme Rothbard avait étudié Ricardo pour les classiques, les institutionnalistes : Veblen et Mitchell, les grands auteurs anglo-saxons : Marshall, Keynes, Hicks, Samuelson, avec la synthèse d’après guerre néo-classique_néo-keynésienne, mais pas les économistes « Autrichiens ». La lecture de L’action humaine, livre publié à Yale U.P. en 1949, a donc été une révélation pour notre auteur qui en fit un compte rendu dans la revue Analysis, en mai 1950, après avoir écrit une lettre à Mises4 dans laquelle il dit admirer sa conception de la théorie économique avec sa solide base méthodologique de la praxéologie pour étudier l’action humaine. Il y déclare aussi son souhait d’écrire une histoire de la pensée économique d’un point de vue « Autrichien ». Mises a remercié Rothbard, et lui a conseillé d’apprendre l’Allemand et le Français.

Le contexte politique et économique des années 50 aux Etats-Unis, de la guerre froide et avec l’inter-ventionnisme étatique, a été au plan idéologique celui du consensus libéral-keynésien (vision de l’Etat-Providence, « Welfare-Warfare State » pour Rothbard) prédominant dans les administrations et les universités. Les partisans du libre marché avaient du mal à résister, ce fut le cas du Volker Fund auquel Rothbard a participé, et où Herbert Cornuelle un grand admini-

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strateur lui a proposé d’écrire un texte sur l’Ecole Autrichienne pour les étudiants. Travail commencé en 1952 qui a débouché dix ans plus tard sur son œuvre majeure d’économie politique : Man, Economy and State.

Politiquement la situation était difficile pour Rothbard face à l’hégémonie économique et politique dans le pays (consensus des libéraux démocrates et des conservateurs) et tout en observant le déclin de la vieille droite américaine (« Old Right »).

2° La vie politique des années 50 aux Etats-Unis

Rothbard élabore son attitude libertarienne dans les années 50 au moment du déclin de la vieille droite (« Old Right »), celui-ci se manifestant surtout à partir de 1954. Il s’attaque essentiellement au pouvoir gouvernemental aux Etats-Unis, aux administrations, aux intérêts corporatistes, et aux grandes fondations : Rockefeller, Carnegie, Guggenheim…

Il participe au magazine Faith and Freedom dans lequel il délivre ses analyses politiques. Dans un article d’avril 1954 : « The Real Agressor »5, il présente ses idées en politique étrangère en même temps que son opposition à la politique gouvernementale américaine et que sa critique de l’évolution des conservateurs dans le pays, soit l’esquisse de la doctrine libertarienne.

Les conservateurs selon lui seraient passés d’un isolationnisme « America First » à un internationa-lisme anti-communiste avec une doctrine pernicieuse de la sécurité collective, se concrétisant par exemple dans la guerre de Corée. Sa critique de l’interventionnisme des Etats-Unis est basée sur deux arguments : d’abord la subversion communiste est en

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premier lieu interne (consensus étatiste, dépenses militaires et socialisation rampante), ensuite les pays communistes sont destinés à être minés par leurs propres contradictions et leur inefficacité, en vertu des analyses de Ludwig von Mises6. Dans tous les cas le choix de l’engagement politique revient à l’individu selon l’attitude libertarienne, le complexe militaro-industriel et les guerres ne font que renforcer la socialisation des économies, ce qui est condamnable. Voilà la doctrine politique de Rothbard de restauration de la vieille droite sur un principe de non-agression, et sa théorie de l’Etat avec celle des relations internationales. Il fait ressortir et dénonce concernant la droite conservatrice le passage d’une attitude de paix et d’isolationnisme à un internationalisme militariste. Il vise en même temps les élites du parti républicain de la côte est, tout en exprimant sa méfiance vis-à-vis de l’aile Eisenhower après la guerre7.

Une nouvelle idéologie a pris forme chez les conservateurs de la Nouvelle droite devenus majoritaires dans leur parti, sur fond de consensus étatiste et de mobilisation face au communisme. Il s’agit de la montée de la « New Right » de William F. Buckley Jr avec son magazine National Review, accompagné d’autres intellectuels comme Peter Viereck, Wilmoore Kendal, Richard Weaver, Russel Kirk, Wittaker Chambers, Frank Meyer, Sydney Hook, Eric Vogelin, Robert Nisbet… Il y eut parallèlement à l’époque l’épisode du McCarthysme, 1947-1954, et la croisade de McCarthy du début des années 50 « To Take back America », illustrant le contexte politique de la guerre froide et de l’anti-communisme aux Etats-Unis.

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A droite quelques intellectuels faisaient exception, ceux qui avaient fréquenté le séminaire de Ludwig von Mises à New York et qui ont constitué un groupe informel, « le cercle Bastiat », avec pour membres : Leonardo Liggio, Ralph Raico, George Reisman, Robert Hessen, Ronald Hamowy et Fred Preisinger8. Avec Rothbard, ils ont affirmé la pensée libertarienne, et dans leur isolement recherché de nouveaux alliés dans un climat politique peu favorable, prenant notamment la défense de McCarthy avec son populisme face aux élites gouvernementales. Ils ont été attaqués par les intellectuels conservateurs dès 1955, Peter Viereck : The Revolt Against the Elite et Daniel Bell : The Radical Right, au cours de cette période d’idéologie de « la fin des idéologies » à l’ouest (Raymond Aron, James Burnham, Daniel Bell). Murray Rothbard poursuivait alors sa réflexion sur la façon de définir sa stratégie gouvernementale en même temps qu’il menait ses recherches théoriques à partir des enseignements de L. von Mises en économie et en politique.

Trois articles importants, d’un point de vue épistémologique notamment, sont issus des recherches de Rothbard dans les années 509.

– 1956 : « In Defense of Extreme Apriorism », dans lequel il précise sa conception de l’économie et de la praxéologie avec la méthode aprioriste de Mises, toute l’économie procédant par déduction à partir d’un axiome fondamental, celui de l’action humaine.

– 1960 : « The Mantle of Science », dirigé contre le scientisme, toujours en affirmant la praxéologie, à

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l’encontre des interventionnistes et des tenants du « social engineering ».

– 1960 : « The Politics of Political Economists », pour préciser ses thèses économiques et politiques à partir des enseignements de Mises concernant les questions économiques et la critique du socialisme, et dénoncer des méthodes d’analyse économique relevant du positivisme scientiste comme celles de George J. Stigler et de Milton Friedman de l’école de Chicago.

Dans les conditions évoquées précédemment Rothbard a rompu avec la nouvelle droite en 1960, se détachant du parti conservateur, tout en ayant du mal à trouver ce qu’il recherchait sur la scène politique marquée par une sorte de consensus général conservateur-démocrate dans le cadre de l’« Etat providence ».

Il a travaillé pour Adlay Stevenson, de l’aile gauche du parti démocrate, qu’il avait soutenu en 1956 face au candidat républicain Dwight Eisenhower, ce qui faisait apparaître une esquisse d’alliance libertariens-libéraux-démocrates, et il cherchait en même temps à rallier des membres de l’organisation de jeunesse conservatrice Y.A.F. (Young American for Freedom), les plus sensibles aux idées libertariennes. La stratégie pouvait peut être conduire à la formation d’une coalition politique inédite avec des conservateurs, des indépendants, des démocrates et les libertariens, pour débloquer la situation politique générale. Ce fut aussi une étape imprévue, celle de l’épisode Ayn Rand.

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3° L’épisode Ayn Rand

Rothbard avait rencontré Ayn Rand pour la première fois au moment de la publication de son best-seller The Fountainhead en 1943, auteur à succès, légende dans les cercles libertariens de New York, elle défend les notions de capitalisme, d’individualisme et de raison10. Il l ’a vue régulièrement ensuite entre 1954 et 1960 au moment où son audience augmentait à partir du cercle randien à Manhattan. La célébrité de Ayn Rand s’est en effet affirmée après la publication de son deuxième best-seller en 1954 Atlas Shrugged, et elle a été l’objet d’un véritable culte.

Elle avait fait des études d’histoire et de philosophie en Russie, lisant surtout Platon, Aristote et Nietzsche. Dans son « œuvre philosophique », elle retient surtout les trois « A » : Aristote, Aquin (Saint Thomas d’), et… Ayn Rand. Sa philosophie qualifiée par elle-même d’objectiviste est fondée sur les notions d’individualisme, d’égoïsme, d’indépendance, de raison, d’estime de soi et de bonheur personnel. L’homme libéré est supérieur, athée, et détaché de la masse qui comprend beaucoup de parasites sociaux.

Le système objectiviste qu’elle préconise dans ses écrits repose sur quelques thèses principales. En métaphysique, la réalité objective, le réalisme face à l’existence, à la conscience et à l’identité. En épistémologie, la raison, la logique, en opposition au scepticisme et au mysticisme, il faut obéir à la nature. Au plan mental, il y a trois niveaux de conscience : sensation, perception et conception. Pour l’éthique, l’intérêt personnel, la vertu d’égoïsme, la force vivante et l’indépendance personnelle. En politique le système capitaliste contre le socialisme, le

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collectivisme. En économie elle défend l’entreprise privée, le marché libre et pour la monnaie l’étalon-or ; elle portait un pendentif en forme de $ en or. Le groupe de « randiens » s’était donné par dérision le nom de « The Collective ».

Dans ses deux romans majeurs, elle met en scène des personnages égoïstes d’une grande puissance émotionnelle, d’une aristocratie naturelle, dans une esthétique style Wagner et d’esprit Nietzschéen. Le héros d’Atlas Shrugged John Galt est l’homme idéal, blond, fort, indépendant, et énergique, genre Zarathoustra proclamant la mort de Dieu.

Rothbard a lu Atlas Shrugged dans les années 50, appréciant la philosophie générale sous-jacente de l’auteur, appelée objectiviste par Ayn Rand, d’un point de vue éthique, politique et épistémologique ; y voyant des possibilités supplémentaires de recrutement pour le mouvement libertarien. Il avait été jusqu’à comparer Atlas Shrugged à Human Action. Mais il a vite déchanté pour des raisons intellectuelles et générales, face au culte en vigueur11, et aussi plus particulièrement suite à une aventure personnelle.

Les évènements se sont précipités à l’occasion d’une cure thérapeutique engagée par Rothbard qui avait la phobie des voyages, auprès de Nathaniel Branden disciple de Ayn Rand. Branden était le premier disciple de Rand dans l’organisation, il appliquait sa propre « thérapie objectiviste » et agissait dans le cadre du « Nathaniel Branden Institute ». Après quelques temps sans succès, à court de solution, Branden dit à Rothbard que le problème se trouvait du côté de sa femme JoAnn et qu’une

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« randienne » lui conviendrait mieux. Rothbard a alors rompu avec Branden et le reste de l’équipe, le cercle randien. En représailles il fut accusé de plagiat par rapport à des textes de Ayn Rand et exclu du groupe de disciples, mais n’a pas assisté à son procès.

Rothbard a dénoncé ensuite le culte randien dans son article « The Sociology of the Ayn Rand Cult » ; comment les choses se passaient-elles ?

Comme tous les cultes, il était fondé sur la maîtrise et l’infaillibilité du gourou Ayn Rand, les membres étant attirés par la force émotionnelle de la lecture de Atlas Shrugged. L’adepte adhérait à l’idéologie randienne résumée dans le roman, complétée par des textes, en référence notamment au magazine mensuel The Objectivist Newsletter, puis The Objectivist. « Typiquement, le néophyte randien rejoignait le mouvement parce qu’il avait été frappé de manière émotionnelle par Atlas et qu’il était impressionné par les concepts de raison, de liberté, d’individualité et d’indépendance. Une série de crises et le développement de contradictions internes était alors nécessaire pour prendre possession des esprits et des vies des membres, leur inculquer une fidélité absolue à Rand, tant pour les affaires idéologiques que pour leur vie privée12. »

Le mécanisme reposait sur l’ignorance des données extérieures à la secte, le jargon et les slogans, sous prétexte de précision du langage, l’argument d’autorité en fait, et un état d’émotion entretenu par la relecture incessante d’Atlas Shrugged, contenant les seules valeurs défendables, intellectuelles, esthétiques et romantiques. Tout cela contribue à mobiliser en pensée et en activité l’adepte, qui souhaite imiter son

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héros et qui se demande en toute situation : qu’aurait fait John Galt ? En faisant disparaître la pensée autonome et les plaisirs personnels, l’humour et le trait d’esprit, le suivi des cours (philosophie, psychologie, art, économie, politique, morale…) conditionne la personnalité.

Sous l’emprise psychologique, plus de doute personnel, le contrôle mental par la « psychothérapie objectiviste » élimine tout ce qui est incorrect : les comportements, les valeurs et les idées, seules les prescriptions randiennes étant correctes. Dans ces conditions et grâce à ces moyens le Nouvel Homme Randien était heureux par définition. « En prenant en compte la puissance émotionnelle et psychologique de l’expérience thérapeutique, le culte randien avait entre ses mains une arme puissante pour modeler le Nouvel Homme Randien. Philosophie et psychologie, doctrine explicite, pressions sociale et thérapeutique, toutes se renforçaient pour donner naissance à des adeptes loyaux et obéissants13. »

« Les randiens prononçaient leurs slogans d’un ton robotisé, imitant généralement les poses et les manières de Nathaniel et Barbara Branden, ou en imitant leur conception cultuelle commune des héros et des héroïnes du canon romanesque de Rand14. »

Tels furent les randiens New Yorkais types, parlant et agissant de la manière la plus rationnelle, dans une organisation hiérarchique avec au sommet Ayn Rand elle-même. L’axiome nodal du credo ésotérique du culte était : « Ayn Rand est la plus grande personnalité de tous les temps ayant raison sur tous les sujets ». Tel était le charisme et l’arrogance de la prêtresse, s’imposant au nom de l’individu, de la

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raison et de la liberté ; chaque membre devenait un sujet de l’esprit et de la volonté de Rand15.

Après la séparation de Rand et de Nathaniel Branden en 1968, l’organisation n’a pas survécu, The Ayn Rand Letter a remplacé The Objectivist mais sans succès durable. Tout cela ne fut donc qu’un intermède pour Rothbard dans son itinéraire personnel, toujours à la recherche d’une stratégie politique libertarienne par delà les références de gauche et de droite dans la vie politique aux Etats-Unis.

4° Au-delà de la gauche et de la droite

Le contexte politique américain des années 60 est pour Rothbard celui de l’alliance des conservateurs et des libéraux corporatistes dans le cadre de l’Etat providence et militaro-industriel, (« welfare-warfare »). Sa réflexion s’appuie toujours sur ses idées « Old Right », mais le Volker Fund promoteur des idées libertariennes s’effondre en 1962, et il va être amené à tourner son regard vers certaines tendances de gauche au moment de la contestation étudiante. Il n’a pas été séduit non plus par la campagne de Goldwater candidat aux primaires du parti conservateur en 1964, il l’a jugé trop étatiste et trop impérialiste16. Personnellement, il a reçu une bourse du Lilly Endowment pour écrire une histoire des Etats-Unis à laquelle il a travaillé, ce qui donnera l’ouvrage : Conceived in Liberty publié en quatre volumes de 1975 à 1979, et en 1966, il obtint un poste d’économie à l’Institut Polytechnique de Brooklyn.

A droite, Rothbard est déçu dans les années 50 par la politique de la nouvelle droite conservatrice, il constate un dévoiement idéologique du parti

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conservateur dont il rend compte dans ses textes : « The Transformation of the American Right » et « The Betrayal of the American Right », gardant en tête les idées de la vieille droite de Garet Garrett, John Flynn, Albert J. Nock, dans l’esprit « America First », avec pour références intellectuelles historiques : Locke, Jefferson, Paine, Thoreau, Cobden, Spencer et Bastiat. A ce moment les références conservatrices dans le parti de Buckley, comme il le constate sont plutôt : Burke, Metternich, De Maistre et Hamilton, les leaders conservateurs apparaissent donc étatistes, militaristes, et soutiennent toutes les stratégies gouvernementales interventionnistes.

En même temps on assiste à la montée des mouvements contestataires sociaux et étudiants pour la paix et à des manifestations contre la guerre du Vietnam. Les expressions politiques sont multiples, Village Voice, Peace and Freedom Party, Students for a Democratic Society… et au campus de Berkeley le Free Speech Movement ; il y eut à l’époque la marche sur Washington le 17 avril 1965. Ces mouvements correspondent à une nouvelle gauche, prônant une révolution culturelle et anti-impérialiste, comportant une dimension critique libertarienne.

Rothbard pense alors à une alliance libertaires-gauchistes et fonde avec Leonardo Liggio et George Resch un nouveau journal au printemps 1965 : Left and Right, avec au début un article de Rothbard « Left and Right : the Prospect for Liberty17 » repensant la stratégie libertarienne. Des éléments se retrouveront dans son livre de 1973 : For a New Liberty.

Les articles de Rothbard ont attiré l’attention de Karl Hess, conservateur ayant écrit des discours pour