961 anti crise

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Courrier International

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Page 1: 961 Anti Crise

Au-delà du G20,un manuel de survie (et d’analyse)

N U M É R O S P É C I A L 9 6 P A G E S

3:HIKNLI=XUZUUU:?a@j@g@l@q;M 03183 - 961 S - F: 5,00 E

AFRIQUE CFA : 3 300 FCFA - ALGÉRIE : 700 DA - ALLEMAGNE : 5,50 €AUTRICHE : 5,50 € - BELGIQUE : 5,50 € - CANADA : 8,95 $CAN - DOM : 6,80 €ESPAGNE : 5,50 € - E-U : 8,95 $US - G-B : 5,40 £ - GRÈCE : 5,50 €IRLANDE : 5,50 € - ITALIE : 5,50 € - JAPON : 900 ¥ - LUXEMBOURG : 5,50 € MAROC : 45 DH - NORVÈGE : 65 NOK - PAYS-BAS : 5,50 € - PORTUGAL CONT. : 5,50 €SUISSE : 9,90 FS - TOM : 1150 CFP - TUNISIE : 6 DTU

L’ANTICRISE

BRÉSIL L’islam séduit les jeunes

STRATÉGIE Rififi en mer de Chine

DAKAR La dynastie Wade en échec

www.courrierinternational.com N° 961 du 1er au 8 avril 2009 - 5 €

961 Une OK pr Marie:Mise en page 1 30/03/09 17:05 Page 1

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Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

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sommaire●

4 les sources de cette semaine6 l’éditorial par Philippe Thureau-Dangin

6 l’invité Lluís Bassets, El País, Madrid

9 à l’affiche Sam Calavitta

9 ils et elles ont dit

d’un cont inent à l ’autre

10 france COUP DE GUEULE Cessez de nous traiter comme des terroristesIMMIGRATION Le noir n’est pas une couleurCINÉMA Babouchka Deneuve ne connaît pas la criseMODE DE VIE Givry, ses traditions, ses vins, ses déchets industriels

12 europeEUROPE Vivement un président de l’EuropePORTUGAL Face à la crise, on n’en fait jamais assezALBANIE Promotion canapé à tous les étagesPAYS-BAS Ne soyons pas des gardiens de la morale ROYAUME-UNI La guerre d’Irak, un mauvais rêve sans finITALIE Un parti sur mesure pour Berlusconi GÉORGIE Affronter le pouvoir à mains nuesRUSSIE Le nouveau séparatisme russe

18 amériquesÉTATS-UNIS Obama peine à peupler ses ministèresÉTATS-UNIS Hillary Clinton fait amende honorableÉTATS-UNIS Internet fait dérailler la justiceFRONT IÈRE Chasseurs de clandestins en ligneG UAT E M A L A Grand ménage sur le marché de l’adoption

23 en couverture L’anticrise

78 asieI N D E Quand islam rime avec bigameCAMBODGE La justice mise à l’épreuveD O S S I E R Gros temps en mer de Chine•“Notre patience a des limites”• Pékin impose sa sphère d’influence

82 moyen-orientI S R A Ë L Tsahal accusée de pratiquer la guerre sainteGOUVERNEMENT Ehoud Barak, un homme sans caractèreK O W E Ï T Je veux un méchoui, pas un grillTURQUIE Erdogan, seul maître à bordDIPLOMATIE Ankara reconnaît le Kurdistan (irakien)

85 afriqueSÉNÉGAL Les électeurs donnent une leçon à Wade POLIT IQUE Au revoir, Karim… et bon débarrasNIGERIA La chasse aux homos est ouverteAFRIQUE DU SUD Rien n’est trop beau pour les gosses de riches

enquêtes et reportages

88 reportage Islam hip-hop dans les favelas

intel l igences

91 multimédiaTENDANCE Avec GlobalPost, l’information a un prixEXPÉRIENCE Une voix radicale mais gratuite en Finlande

92 écologieCONTROVERSE Et si l’agriculture intensive était plus écologique

COEXISTENCE Rapacité des hommes, colère des tigres

rubriques94 le livre In Other Rooms, Other Wonders,de Daniyal Mueenuddin

94 saveurs Italie : une purée très sophistiquée

95 insolites Halte au massacre des vers à soie !

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 3 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

L

k

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ARCHIVES*g INSOLITESDécouvrez nos inédits

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Dossier spécialFace à la criseComment le monde réagit et s’adapte

L’ANTI-CRISE

M A N U E L D E S U R V I E ( E T D ’ A N A L Y S E )

G20Comment la communauté internationalerêve de sauver le monde p. 24

TangageL’Islande ou le symbole de la faillite politique et morale du Nord p. 32

Flash-backEn six épisodes, la descente aux enfers de l’économiedepuis 2007 p. 44

HumanitésComment dans un avenir très proche le Sud risque d’êtreencore plus touché que les paysdéveloppés p. 50

HorizonsProphéties, initiatives,solutions : un nouveau monde plus solidaire se met en place p. 60

◀ Photos ci-contre et pp. 23 et 75 de Chema Madoz, réalisées entre 1990 et 2005. © Adagp, Paris 2009/VEGAP. Chema Madoz est représenté à Paris par la galerie Esther Woerdehoff.

▶ Photo de couverture : Grégoire Alexandre.

▶ Les plus de courrierinternational.com ◀

Gagnez des DVDdu filmLe Sel de la merd’Annemarie Jacir

JEU CONCOURS

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les sources●

PARMI LES SOURCES CETTE SEMAINEAERA 350 000 ex., Japon,hebdomadaire. Créé en 1988,l’Asahi Shimbun Extra Reportand Analysis (AERA) a surapidement trouver sa placedans le paysage des magazinesnippons grâce à sa mise en page simple et esthétique.

ASAHI SHIMBUN 11 720 000 ex.,Japon, quotidien. Fondé en 1879, le “Journal du Soleil-Levant” est uneinstitution. Trois millejournalistes veillent à larécolte de l’information.

ASIA SENTINEL<http://www.asiasentinel.com>,Chine. Créé en 2006, ce sitepublie des analyses et deséclairages rédigés par desspécialistes de l’Asie.

ASIA TIMES ONLINE<http://www.atimes.com>,Chine. Lancée fin 1995,l’édition papier de ce journalanglophone s’est arrêtée enjuillet 1997 et a donnénaissance en 1999 à unjournal en ligne régional.

THE ATLANTIC 510 000 ex.,Etats-Unis, mensuel. Lessujets du moment y sonttraités avec profondeur, pardes acteurs importants dumonde politique ou littéraireaméricain.

BANGKOK POST 55 000 ex.,Thaïlande, quotidien. Le journal indépendant en anglais, s’adresse à l’éliteurbaine et aux expatriés.

THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR70 000 ex., Etats-Unis,quotidien. Publié à Boston,cet élégant tabloïd est réputépour sa couverture des affairesinternationales et le sérieux deses informations nationales.

EL CRONISTA 42 000 ex.,Argentine, quotidien. Le premierjournal économique du pays.

DAGENS NYHETER 360 000 ex.,Suède, quotidien. Fondé en1864, c’est le grand quotidienlibéral du matin.

DIÁRIO DE NOTÍCIAS 75 000 ex.,Portugal, quotidien. Fondé en 1864, le “Quotidien desnouvelles” fut l’organeofficieux du salazarisme.Aujourd’hui, le DN estdevenu un journal que l’onpeut qualifier de centriste.

THE ECONOMIST 1 337 180 ex.,Royaume-Uni, hebdomadaire.Grande institution de lapresse britannique, le titre,fondé en 1843 par unchapelier écossais, est la biblede tous ceux qui s’intéressentà l’actualité internationale.

THE ECONOMIC TIMES 362 000 ex.,Inde, quotidien. Né en 1961,il est l’un des plus grandsquotidiens économiques dupays. Calqué sur le modèle duFinancial Times, il appartientau groupe Times of India.

EPOCA 300 000 ex., Italie,hebdomadaire. “L’Epoque”connaît un succès croissantdepuis son récent changementde formule.

FINANCIAL TIMES 448 000 ex.,Royaume-Uni, quotidien. Lejournal de référence, couleursaumon, de la City et du restedu monde. Une couvertureexhaustive de la politiqueinternationale, de l’économieet du management.

FOKUS 22 000 ex., Suède,hebdomadaire. Créé en décembre 2005, le titre est le premier hebdomadaired’informations générales de Suède. .

FOREIGN POLICY Etats-Unis,bimestriel. Fondé en 1970dans le but de “stimuler le débat sur les questionsessentielles de la politiqueétrangère américaine”, le titreest édité par la FondationCarnegie pour la paixinternationale.

FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG377 000 ex., Allemagne,quotidien. La FAZ, grandquotidien conservateur etlibéral, est un outil deréférence dans les milieuxd’affaires et intellectuelsallemands.

GANDUL 35 000 ex., Roumanie,quotidien. Avec pour deviseun vieux proverbe, “Personnene pense à ta place”, et pourlogo la statue du Penseurd’Hamangia, “La Pensée” a été fondé en 2005.

THE GUARDIAN 364 600 ex.,Royaume-Uni, quotidien.Depuis 1821, l’indépendance,la qualité et l’engagement à gauche caractérisent ce titre qui abrite certains des chroniqueurs les plusrespectés du pays.

HARDNEWS 40 000 ex., Inde,mensuel. Créé en 2003, àquelques mois d’une échéanceélectorale importante(législatives), HardNews a sugagner le respect de beaucoupd’Indiens pour la pertinenceet l’audace de ses analyses.

HOSPODÁRSKÉ NOVINY 68 000 ex,République tchèque,quotidien. “Les Nouvelleséconomiques”, fondé en1957, est un titre qui proposeun excellent niveaud’information politique,économique et financière.

HÜRRIYET 600 000 ex., Turquie,quotidien. Créé en 1948 parla famille de presse desSimavi, “La Liberté”, ancienjournal populaire, estaujourd’hui un titre puissant.

THE INDEPENDENT 240 500 ex.,Royaume-Uni, quotidien.Créé en 1986, c’est l’un desgrands titres de la pressebritannique de qualité.

THE INDIAN EXPRESS 550 000 ex.,Inde, quotidien.S’autoproclamant “India’sonly national newspaper”,l’Indian Express est le grandrival du Times of India.

INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE242 000 ex., France,quotidien. Edité à Paris,imprimé dans 28 villes du monde, le titre est

beaucoup plus que l’éditioninternationale du New YorkTimes.

IZVESTIA 263 600 ex., Russie,quotidien. L’un desquotidiens russes deréférence, qui traite tous lesdomaines de l’actualité.

JINYANG WANG<http://www.ycwb.com>,Chine. Ce portaild’information cantonaiss’appuie sur un importantgroupe de médias.

KOMMERSANT-VLAST 53 900 ex.,Russie, hebdomadaire. Vlast,“Le Pouvoir”, lancé en 1997,est l’hebdomadaire phare du groupe Kommersant. Ce magazine vise un public de “décideurs” – chefsd’entreprise, “nouveauxRusses”…

KOMPAS 450 000 ex., Indonésie,quotidien. Fondé en 1965pour s’opposer à la pressecommuniste, écrit enindonésien, “Boussole” estune référence, avec desenquêtes de fond sur des faitsde société et des reportagessur les îles “extérieures”.

MILLIYET 360 000 ex., Turquie,quotidien. “Nationalité”,fondé en 1950, se veut unjournal sérieux, mais publieparfois des photos alléchantes.Appartenant au groupe depresse Dogan Medya, il sesitue au centre et revient deloin : en 1979, son rédacteuren chef a été assassiné par Ali Agca, l’homme qui a tiré sur le pape.

NANFENG CHUANG 800 000 ex.,Chine, bimensuel. Créé en

1985, en pleine période desréformes et de l’ouverture, lemagazine constitue l’un desplus importants médiasréformateurs du pays.

THE NATION 50 000 ex.,Thaïlande, quotidien. Fondéen 1971, ce journalindépendant a lancé ennovembre 1998 une éditionasiatique.

NEW SCIENTIST 175 000 ex.,Royaume-Uni, hebdomadaire.Stimulant, soucieuxd’écologie, bon vulgarisateur,le New Scientist est l’un desmeilleurs magazinesd’information scientifique dumonde.

NEWSWEEK 4 000 000 ex.,Etats-Unis, hebdomadaire.Créé en 1933 sur le modèlede Time, le titre est ledeuxième magazine le plus lupar les Américains. Il est, enrevanche, le tout premier surle plan international.

THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex.(1 700 000 le dimanche),Etats-Unis, quotidien. Avec1 000 journalistes, c’est deloin le premier quotidien dupays.

NEZAVISSIMAÏA GAZETA 42 000 ex.,Russie, quotidien. “Le Journalindépendant” a vu le jour fin1990. Démocrate sans êtrelibéral, il fut une tribunecritique de centre gauche. En2001, il est devenu moinsaustère, plus accessible, maisaussi moins virulent.

NRC HANDELSBLAD 254 000 ex.,Pays-Bas, quotidien. Né en1970, le titre est le quotidiende référence de l’intelligentsia

néerlandaise. Libéral detradition, rigoureux par choix,informé sans frontières.

EL NUEVO HERALD 90 000 ex.,Etats-Unis, quotidien. Fondéen 1987, en tant quesupplément du Miami Herald,“Le Nouveau Herald” estdevenu un titre à part entièreen 1988 et une éritableréférence pour lacommunautélatino-américaine de Miami.

THE OBSERVER 449 140 ex.,Royaume-Uni, hebdomadaire.Le plus ancien des journauxdu dimanche (1791) est aussil’un des fleurons de la “qualitébritannique”.

ORDFRONT 40 000 ex., Suède,mensuel. C’est en 1969 que le“Front des mots” a vu le jour,devenant le porte-parole dumouvement contre la guerredu Vietnam. A la pointe du débat et ancré à gauche.

OUTLOOK 250 000 ex., Inde,hebdomadaire. Créé enoctobre 1995, le titre est trèsvite devenu l’un des hebdos de langue anglaise les plus lus en Inde.

EL PAÍS 444 000 ex.(777 000 ex. le dimanche),Espagne, quotidien. Né enmai 1976, six mois après lamort de Franco, “Le Pays” estune institution. Il est le plusvendu des quotidiens et s’estimposé comme l’un desmeilleurs journaux du monde.

PHILIPPINE DAILY INQUIRER250 000 ex., Philippines,quotidien. Créé en 1985, dansles derniers jours du régimeMarcos, le PDI, très attaché àson indépendance rédactionnelle,est le premier quotidien du pays.

PHNOM PENH POST 20 000 ex.,Cambodge, bimensuel. Fondéen juillet 1992, ce journalanglophone est animé par uneéquipe de journalistescambodgiens expatriés.

PROCESO 100 000 ex., Mexique,hebdomadaire. Créé en 1976par Julio Scherer García,vieux routier du journalismemexicain, le titre reste fidèle à son engagement à gauche.Ses reportages et son analysede l’actualité en font un magazine de qualité.

LA REPUBBLICA 650 000 ex.,Italie, quotidien. Né en 1976,le titre se veut le journal del’élite intellectuelle etfinancière du pays. Orienté à gauche, il est fortementcritique vis-à-vis du présidentdu Conseil, Silvio Berlusconi.

SAKARTVELOS RESPOUBLIKA20 000 ex., Géorgie,quotidien. Ce titre, créé en1918 par le gouvernementnationaliste géorgien, a survécu à tous les régimes.En dépit de son vernis officiel,“La République de Géorgie”,l’un des journaux les plus lusdu pays, prône un journalismeobjectif, critique, de qualité.

SMARTMONEY 50 000 ex., Russie,hebdomadaire. Fondé

en 2006, ce magazined’information et d’analyseséconomiques et financières estd’une excellente facture.

SUD QUOTIDIEN 20 000 ex.,Sénégal, quotidien. Né enfévrier 1993 du succès de SudHebdo, qu’il remplace, c’est le journal le plus vendu du Sénégal. Rigoureux,documenté et indépendant, il privilégie l’investigationpolitique et le traitement desfaits de société.

SUNDAY TIMES 504 000 ex.,Afrique du Sud,hebdomadaire. Fondé en1906, le Sunday Times est le journal dominical le pluspopulaire d’Afrique du Sud.Jadis conservateur, il estdevenu, ces dernières années,de plus en plus libéral.

TEHELKA 100 000 ex., Inde,hebdomadaire. Créé en 2000,Tehelka était à l’origine unjournal en ligne connu pourson indépendance. Devenumagazine en 2004, il a bâti sa réputation grâce à sesenquêtes sur la corruption.

THE TIMES 618 160 ex.,Royaume-Uni, quotidien. Le plus ancien des quotidiensbritanniques (1785) et le plusconnu à l’étranger appartientdepuis 1981 à RupertMurdoch. Il a longtemps étéle journal de référence et la voix de l’establishment.

VATAN 250 000 ex., Turquie,quotidien. Créé en 2003, cejournal orienté vers la gauchelibérale et qui se distingue parsa grande indépendance a néanmoins réussi à figurerparmi les quatre plus grandstitres de la presse turque.

VZGLIAD <www.vzglyad.ru>,Russie. Créé en mai 2005, le site se distingue par unegrande réactivité à l’actualité.Sans doute la clé de sonsuccès. Il mêle actu etanalyses, réalisées par desauteurs de talent.

THE WASHINGTON POST 700 000 ex.,Etats-Unis, quotidien.Recherche de la vérité,indépendance : la publicationdes rapports secrets duPentagone sur la guerre duVietnam ou les révélations surl’affaire du Watergate ontdémontré que le Post vit seloncertains principes.

XINMIN ZHOUKAN (XinminWeekly) 220 000 ex., Chine,hebdomadaire. Créé en 1999,le “Nouveau Peuple” est unmagazine grand public. Ildonne régulièrement la paroleau monde académique, à l’Ecole du Parti, auxchroniqueurs les plus en vue,et se targue d’avoir la plusforte vente de tous les hebdosd’information chinois.

DIE ZEIT 464 400 ex.,Allemagne, hebdomadaire. Le magazine de l’intelligentsiaallemande. Tolérant et libéral,c’est un grand journald’information et d’analysepolitique.

CAIJING 220 000 ex., Chine, bimensuel.Publié par le Stock Exchange Executive Coun-cil, “Finance et économie” est dirigé par unefemme d’exception, Hu Shuli. Ce magazinefut l’un des premiers à avoir eu l’audace dechanger le paysage de la presse chinoise.

Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €

Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA.Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication ;

Régis ConfavreuxConseil de surveillance : David Guiraud, président ; Eric Fottorino, vice-président

Dépôt légal : avril 2009 - Commission paritaire n° 0712C82101ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France

RÉDACTION6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13

Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16)Directeur adjoint Bernard Kapp (16 98)Rédacteur en chef Claude Leblanc (16 43)Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54), Chef des informations Anthony Bellanger (16 59) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03),Gian-Paolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (France, 16 59), DanièleRenon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), MarcFernandez (Espagne, 16 86), Daniel Matias (Portugal), Wineke de Boer(Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus Egelund (Danemark), PhilippeJacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique),Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est AlexandreLévy (chef de service, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, Caucase,16 36), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Philippe Randrianarimanana(Russie, 16 68), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie), Alda Engoian(Caucase, Asie centrale), Agnès Jarfas (Hongrie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie),Larissa Kotelevets (Ukraine), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski(Macédoine), Gabriela Kukurugyova (Rép. tchèque, Slovaquie), Kika Curovic(Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie)Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord, 16 32),Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marc-Olivier Bherer (Canada), ChristineLévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Anne Proenza (Amériquelatine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon,16 38), Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), IngridTherwath (Asie du Sud, 16 51), Christine Chaumeau, François Gerles (Asie duSud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak(Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient MarcSaghié (chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby(Egypte, 16 35), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe),Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29),Anne Collet (Mali, Niger, 16 58), Philippe Randrianarimanana (Madagascar, 1668), Hoda Saliby (Maroc, Soudan, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Gina MilongaValot (Angola, Mozambique), Liesl Louw (Afrique du Sud) Débat, livre IsabelleLauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de service, 16 47) MultilatéralCatherine André (chef de service, 16 78) Multimédia Claude Leblanc (16 43)Sciences Eric Glover (chef de service, 16 40) Insolites Claire Maupas (chef derubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef derubrique, 16 74)Site Internet Olivier Bras (éditeur délégué, 16 15), Marie Bélœil (rédactrice,17 32), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Mouna El-Mokhtari (webmestre,17 36), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Mathilde Melot (marketing, 16 87)Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97), Caroline Marcelin (16 62)Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, anglais, allemand, roumain,16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), IsabelleBoudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais),Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois),Julie Marcot (anglais, espagnol), Marie-Françoise Monthiers (japonais), MikageNagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Olivier Ragasol(anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, PhilippeCzerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Anne Doublet(16 83), Lidwine Kervella (16 10)Maquette Marie Varéon (chef de service, 16 67), Catherine Doutey,Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia , Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-BadetCartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66),Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie Hélène Ho (Chine), AbdollahKiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84)Fabrication Patrice Rochas (directeur) et Nathalie Communeau (directriceadjointe, 01 48 88 65 35). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes.Routage : France-Routage, 77183 Croissy-BeaubourgOnt participé à ce numéro Gilles Berton, Aurélie Boissière, Marianne Bonneau,Jean-Baptiste Bor, Valérie Brunissen, Emilie Chaudet, Geneviève Deschamps,Valeria Dias de Abreu, Alexandre Errichiello, Lucie Geffroy, Marion Gronier, MiraKamdar, Charlotte de L’Escale, Françoise Liffran, Marina Niggli, Josiane Pétricca,Pauline Planchais, Laurent Raymond, Margaux Revol, Stéphanie Saindon,Isabelle Taudière, Anne Thiaville, Emmanuel Tronquart, Han Hoà Truong, Janinede Waard, Zaplangues, Zhang Zhulin

ADMINISTRATION - COMMERCIALDirecteur délégué Régis Confavreux (17 46). Assistantes : Sophie Jan et NatachaScheubel (16 99). Responsable contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05),Laura Barbier. Responsable des droits : Dalila Bounekta (16 16). Comptabilité : 01 48 88 45 02Relations extérieures Victor Dekyvère (16 44) Partenariats Sophie Jan (16 99)Ventes au numéro Directeur commercial : Patrick de Baecque. Responsablepublications : Brigitte Billiard. Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud.Chef de produit : Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusioninternationale : Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22). Promotion : ChristianeMontillet Marketing, abonnement Pascale Latour (directrice, 16 90), SophieGerbaud (16 18), Véronique Lallemand (16 91), Sweeta Subbaamah (16 89)Publicité Publicat, 7, rue Watt, 75013 Paris, tél. : 01 40 39 13 13. Président :Henri-Jacques Noton. Directeur de la publicité : Alexandre Scher <[email protected]>(14 31). Directrice adjointe : Lydie Spaccarotella (14 05). Directrices de clientèle :Hedwige Thaler (14 07), Claire Schmitt (13 47). Chefs de publicité : Kenza Merzoug(13 46). Annonces classées : Cyril Gardère (13 03). Exécution : Géraldine Doyotte(01 41 34 83 97) Publicité site Internet i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris,tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]>

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Courrier International, USPS number 013-465, is published weekly 49 timesper year (triple issue in Aug, double issue in Dec), by Courrier International SAc/o USACAN Media Dist. Srv. Corp. at 26 Power Dam Way Suite S1-S3,Plattsburgh, NY 12901. Periodicals Postage paid at Plattsburgh, NY and atadditional mailing Offices. POSTMASTER : Send address changes to CourrierInternational c/o Express Mag, P.O. box 2769, Plattsburgh, NY 12901-0239.

Courrier international n° 961

Ce numéro comporte un encart Abonnement broché pour les kiosques Canada etEtats-Unis, un encart Abonnement broché pour les kiosques France métropolitaineet un encart Armani broché sur l’ensemble de la diffusion France métropolitaine.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 4 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

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ÉDITORIAL l ’ invi té ●

Lluís Bassets, El País, Madrid

Sept jours de voyage (du 1er au 7 avril), des récep-tions officielles dans trois capitales (Londres,Prague et Ankara), trois sommets internationaux(G20 élargi, OTAN, Union européenne), deuxdiscours très attendus (sur les relations transat-lantiques et la prolifération nucléaire), des ren-contres bilatérales avec quarante chefs d’Etat etPremiers ministres (depuis la reine Elisabeth

jusqu’au président chinois, Hu Jintao), à quoi viennents’ajouter trois taureaux qu’il faut toréer et achever : la réces-sion économique mondiale, le programme nucléaire iranienet la guerre en Afghanistan. Voilà ce qui se trouve au menudu premier voyage de Barack Obama en Europe en tant queprésident des Etats-Unis – sonsecond à l’étranger, puisque[le 19 février dernier] il s’estrendu pendant quelquesheures en visite officielle auCanada. Par antiphrase iro-nique, le porte-parole de laMaison-Blanche, RobertGibbs, a qualifié ce séjour de“vacances européennes”.

Le nouveau gouvernementaméricain a parsemé sonaction à l’étranger de signesqu’il faut décoder soigneuse-ment. Barack Obama dérogeà la tradition : le président n’apas effectué sa première visiteofficielle chez le grand voisin du sud, le Mexique, mais chezcelui du nord ; de même, le premier voyage de la secrétaired’Etat, Hillary Clinton, ne l’a pas conduite en Europe, maisen Asie. Peu avant qu’Obama ne parte pour Londres, sonvice-président, Joe Biden, rentrera de son voyage en Amé-rique latine. Quant à Mme Clinton, elle sera également àLa Haye pour un sommet sur l’Afghanistan, un rendez-vous important s’il en est, quelques jours après que son pré-sident aura lancé une nouvelle stratégie consistant à y ren-forcer de 21 000 hommes la présence américaine.

Le voyage de cette semaine est donc le premier testinternational pour Obama. On pourra voir à l’œuvre sonleadership tant vanté lorsqu’il s’agira de négocier des ini-tiatives avec d’autres Etats aux intérêts différents et sou-vent divergents. Sa réputation n’est plus à faire : il a affirmésa stature internationale dès son précédent voyage enEurope, en août 2008, lor squ’i l a réuni plus de200 000 personnes à Berlin, pour ce qui devait être l’un

des temps forts de l’“obamania”. Il ne faut pas oublierqu’il a payé cash ce voyage européen dans les sondages :à l’époque, son avantage s’était effrité avant d’être mis unpeu plus à mal, quelques semaines plus tard, par la dési-gnation de Sarah Palin, la colistière de John McCain. Maisc’était aussi une époque où la crise n’avait pas encore touché Wall Street de plein fouet et rendu imparable samarche vers la Maison-Blanche.

Barack Obama arrive en Europe avec le besoin de réus-sir un joli coup. S’il n’en reste qu’aux belles paroles, sansque les actes suivent, son image s’en trouvera écornée enraison de la déconnexion entre illusions et réalités, entreespoirs diffus et objectifs concrets, entre rhétorique et poli-

tique. L’enjeu est particulière-ment important en ce quiconcerne la reprise écono-mique : si le sommet du G20à Londres ne se traduit pas parun coup de fouet qui fasseréagir tout le monde – inves-tisseurs, épargnants, gouver-nements, entreprises et mar-chés boursiers –, le cerclevicieux de la frustration et dudécouragement risque fort deprendre des proportions pluseffrayantes encore. Et, dans cecas, Barack Obama lui-mêmeen sera en partie responsable.Il en va de même des autres

volets qui doivent être abordés au cours de ce voyage : lesrelations avec l’Iran (des prises de contact et des annoncessont possibles lors de la réunion de La Haye, où se trouveraune délégation iranienne), l’engagement en faveur du désar-mement avec la Russie, la reprise de la dynamique trans-atlantique (en dépit de la langueur et du laisser-aller euro-péens). On suivra avec une attention toute particulière lapartie turque du “grand tour” du président américain :Barack Obama entend réaffirmer l’amitié de son pays avecla Turquie et l’importance de l’appartenance de cette der-nière à l’Alliance atlantique, ainsi que de son éventuelleadhésion à l’Union européenne. La Maison-Blanche a sou-ligné que ce passage par Ankara et Istanbul ne constituaitpas le voyage dans un pays musulman promis dans les centjours de la présidence Obama. Ce qui signifie qu’un autredéplacement est prévu et que celui-ci a pour unique objec-tif de placer sous les feux des projecteurs les relations entreWashington et Ankara. ■

C’est entendu, il y a plusieurs révo-lutions à mener. Des révolutionsfinancières, économiques, poli-tiques, morales, etc. Et le G20,cette semaine, pourrait être lesétats généraux qui les précèdent.Le problème, c’est qu’on ne sait

pas dans quelle direction aller. On ne peut en toutcas pas repartir en arrière. Les Trente Glorieuses(1945-1975) de nos parents furent en effet uneépoque de reconstruction, de croissance, d’équi-pement des ménages et de montée des classesmoyennes. Alors les entreprises ne versaient pas destock-options et l’actionnaire passait après le clientet le salarié. Alors la finance n’avait pas tous lesdroits et l’argent circulait à meilleur escient : lestransactions quotidiennes sur les marchés deschanges étaient d’à peine 10 milliards de dollars,contre quelque 2 000 milliards de dollars aujour-d’hui (soit cent fois le montant des échanges quo-tidiens de biens et services). Même si nous voulons tout bouleverser, nous n’yarriverons pas. Car la démographie dans les paysdu Nord n’est plus celle des années 1950. C’est engrande partie à cause du vieillissement de la popu-lation que les choses ont changé à partir des années1980. L’actionnaire est devenu roi, et les questionsde patrimoine ou de rendement sont passées devantles questions de croissance. Pour soutenir cettedemande des fonds de retraite et des investisseurs(un autre terme pour seniors), la finance inventades machines absurdes ou délictueuses. Nous envoilà revenus. Mais l’équilibre démographique, lui,n’a pas changé. Au Japon, les plus de 65 ans repré-sentent plus du quart de la population. Idem enItalie et en Allemagne pour les plus de 60 ans. AuxEtats-Unis, seul un tiers de la population a moinsde 35 ans, contre 40 % en 1990… Aujourd’hui, cette population vieillissante privi-légie aussi le patrimoine commun et se soucie doncde “durabilité”. Tant mieux. Mais les pays émer-gents n’ont pas la même démographie. En Inde,les plus de 65 ans sont seulement 6 %, en Chine10 %. C’est pourquoi l’avenir appartient à ces pays.Et c’est pourquoi il sera difficile de concilier leurvolonté de croissance et notre souci écologique.

Philippe Thureau-Dangin

C’est la démographiequi gouverne

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Les “vacances”de Barack Obama

■ Grand éditorialiste et directeur adjointd’El País, le premier quotidien espagnol,Lluís Bassets est aussi un fin connais-seur de la France, dont il maîtrise par-faitement la langue. Il dirige les pagesOpinion du journal et publie un blog, DelAlfiler al Elefante.D

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C O U R R I E R D E S L E C T E U R S

■ “Drôle de pape !”Fidèles lecteurs de Courrier International, ma femme et moi en faisons même la publicité auprès d’amis(canadiens, argentins, américains…) qui apprécientbeaucoup vos analyses. […] Aujourd’hui, je ne voudraispas leur montrer la couverture de votre dernier numéro(CI n° 960), qui est digne de Hara Kiri. Je souligne que cette caricature n’est même pas en phase avec les articles du numéro, parfois critiques mais toujoursmesurés sur les déclarations du pape et de l’Eglise, que, comme beaucoup de chrétiens, nous avons actuellement de la peine à comprendre. Cependant, sombrer dans un marketing de bas étage qui consiste à spéculer sur l’antireligion primaire (comme l’ont fait certains journaux avec les caricatures de Mahomet) necorrespond pas au style de votre journal. Enfin et surtout,c’est jeter de l’huile sur le feu des fondamentalismes et des extrémistes de tout poil qui ne pensent qu’à saborder la démocratie, même si ça fait vendre.

Bruno Delattre, Gennevilliers

L E D E S S I N D E L A S E M A I N E

■ ▶ LA PAIX SELONNÉTANYAHOULe nouveau Premierministre israélien a affirmé que la paixavec les Palestiniensconstituait l’un des objectifs de son gouvernement. Mais il prône la poursuite à grande échelle de la colonisation de la Cisjordanie.

Dessin de HassanBleibel paru dansAl-Mustaqbal,Beyrouth.

Sur www.courrierinternational.com, retrouvez chaque jourun nouveau dessin d’actualité, et plus de 3 000 dessins en consultation libre

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 6 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

R E C T I F I C A T I F S

■ Paysans japonaisDans l’article du Tokyo Shimbun, “L’agriculture,une activité d’avenir” (CI no 960, du 26 mars2009, p. 27), les 4,4 milliards de yens de chiffred’affaires de la coopérative agricole IMTF équivalentà 34 millions d’euros, et non à 3,4 millions,comme indiqué par erreur. Par ailleurs, dans le petit texte d’accompagnement, il fallait lire que,entre 1960 et 2008, le nombre d’agriculteurs a reculé au Japon de 80 %, et non de 21 %.

■ Institutions basquesBilbao est certes la plus grande ville du Paysbasque espagnol. Mais, contrairement à ce que nous avons écrit en introduction de l’article de La Vanguardia “Qui sera le prochain lehendakari ?” (CI no 958, du 12 mars 2009, p. 12), ce n’est pas le siègedu gouvernement et du parlement régionaux, qui se trouvent à Vitoria (province d’Alava).

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à l ’aff iche ●

Etats-Unis Le boss des maths

Sam Calavitta anime ce qui estsans doute le cours de mathé-matiques le plus bruyant et leplus vivant du pays. Chaquelycéen est accueilli personnelle-ment dans la classe, générale-ment en se voyant gratifier d’unsurnom (Papillon, Batman,

Champion, etc.) et d’une tape dans la main.Le cours peut ensuite démarrer : il lance unjeu de questions-réponses des plus endia-blé [des vidéos sont visibles sur Internet].Les garçons et les filles se mettent en lignede chaque côté de la pièce ; leur professeur,fiches à la main, leur lance des équationscomplexes, et les deux camps applaudis-sent à chaque réponse juste.

Pour ses élèves de la Fairmont Prepa-ratory Academy à Anaheim [Californie], quise préparent à l’université, Cal, comme onl’appelle, est sans doute le meilleur prof demaths au monde. Ils n’ont peut-être pastort : les résultats des examens de l’annéedernière en Advanced Placement [AP, unprogramme qui permet aux lycéens deprendre de l’avance pour l’université] mon-trent que ses 81 élèves ont obtenu lesmeilleurs résultats, avec une moyenne de4,79 sur 5. Et 69 d’entre eux ont obtenula note maximale, 5. Le 19 février dernier,Sam Calavitta a remporté le prix Siemenspour l’Advanced Placement, qui récompense50 professeurs pour “leur enseignement exem-plaire et leur engagement enthousiaste auprèsdes élèves”. Depuis que Calavitta a com-mencé à enseigner en AP, ses étudiants ontun taux de réussite de 95 %.

Cal a un très bon rapport avec les étu-diants, et de l’énergie à revendre. Il se consi-dère comme une sorte d’entraîneur spor-tif en mathématiques. Son ennemi juré ?L’ennui. Et, comme ses étudiants, il ne tient

pas en place. “Il vous lance des défis, mais ilsait aussi vous mettre à l’aise et, surtout, ilexplique bien”, détaille Brook Jeang, un jeunehomme de 16 ans.

Sam Calavitta, également père de neufenfants, est un ancien ingénieur en aéro-spatiale. Et c’est en enseignant le sport– ancien lutteur de haut niveau, il pratiquedésormais le triathlon – qu’il a mis en placesa philosophie. Pour lui, le processus d’ap-prentissage est le même pour les mathé-matiques que pour l’éducation physique– acquérir de nouvelles compétences, lesassimiler grâce à la pratique, mais toujoursrevenir aux fondamentaux. “L’une des dif-ficultés de l’approche conventionnelle, c’est queles professeurs pensent qu’il faut faire rentrer les

contenus des manuels dans la tête des élèves, quidoivent ensuite être capables de les régurgiter. Leproblème, c’est que tout est vite oublié, constateCalavitta. Je promets aux étudiants qu’avecmoi ils n’oublieront jamais.”

Le parcours de Calavitta n’est pas exac-tement rectiligne. Il a commencé sa vie pro-fessionnelle comme analyste dans une entre-prise en aérospatiale qui concevait dessystèmes de télécommunication par satel-lite. Il a ensuite été entraîneur de lutte pourdes lycéens ; puis, après un bref passage dansle Montana comme ouvrier dans un ranchcentenaire, il a été recruté par Fairmont.

Il donne en outre des cours particulierspendant ses pauses-déjeuner et organise dessessions de rattrapage le samedi, qui sont sui-vies chaque semaine par plus de 60 élèves.Et, avec sa femme, Monica, ils organisentdes camps d’été où les jeunes pratiquent lalutte et apprennent à se forger le caractère.

La plupart de ses étudiants ne sont pasdes génies des mathématiques, admet Cala-vitta, mais ils adorent le calcul différen-tiel et intégral, une branche des mathéma-tiques qui est utilisée en sciences, eningénierie et en économie. “Ce qui leur plaîtdans le calcul différentiel et intégral, c’est qu’ilsn’auraient jamais pensé être capables d’en faire,explique Calavitta. Mon boulot ne consistepas à faire naître des génies, mais à encoura-ger la persévérance.”

Calavitta a l’enseignement dans le sang– comme sa mère, son père et son grand-père –, et ceux qui accusent les enseignantsd’être responsables de l’échec scolairel’exaspèrent. Il a fait cours dans le publicavec 55 élèves par classe. Le stress et la frus-tration, il sait ce que c’est. Son credo à lui,c’est que l’apprentissage doit avant toutêtre ludique.Carla Rivera, Los Angeles Times (extraits), Etats-Unis

I L S E T E L L E S O N T D I T

PERSONNALITÉS DE DEMAIN

VALENTINO GARAVANI di t VALENTINO, célèbrecouturier i ta l ien� RêveurS’il devait revenir sur terre, en quoivoudrait-il se réincarner ? “Enpapillon. Il est libre et il ne vieillitpas”, a répondu l’ancien stylistede Liz Taylor, à qui l’on soumettaitle questionnaire de Proust.

(Vanity Fair, New York)

MIREK TOPOLANEK,Premier ministretchèque� Galant“Pourquoi, vous at -tendiez des Mar-tiens ?” a répondule président en exer-cice de l’Union euro-péenne quand on luia fait remarquer quetous les respon-

sables européens présents à laconférence de presse qui a suivi lesommet européen du 20 marsétaient des hommes.

(Financial Times, Londres)

GEORGE SOROS, f inancier br i tanniqued’or igine hongroise� AttachéSa société financière va devoirpayer une forte amende pour avoirtenté de manipuler le cours desactions de l’OTP Bank, le plus grosétablissement bancaire hongrois.

Et il s’en est excusé. “Surtoutparce que j’ai des liens privilégiésavec la Hongrie.”

(Origo.hu, Budapest)

DMITRI MEDVEDEV,président de la Russie� Disponible

On connaît des images deson Premier ministre, Vladi-mir Poutine, en train de pê -cher, torse nu, ou pratiquant

le judo. Jusqu’où irait-il pour se fairemieux connaître en Occident ? “Sinécessaire, je suis prêt à poser pourune séance de photos.”

(BBC, Londres)

DONALD TRUMP, hommed’affaires américain� Prévoyant“Un jour, il m’a demandé : pourquoitu n’investis pas chez moi ?” “Il”,c’est le financier Bernard Madoff,accusé d’avoir détourné 50 mil-liards de dollars. “Je lui ai réponduen rigolant : ‘Non, merci, je n’aibesoin de personne pourperdre mon argent.’”

(The New York Times,New York)

RALPH AMENDOLARO,ouvrier new-yorkaisdu BTP� Gâté“Il fallait bien que quelqu’unfinisse par avoir de lachance avec lui.” “Lui”,

c’est le financier Bernard Madoff.Amendolaro a gagné 1 500 dollarsà la loterie en misant sur le numérode prisonnier de l’escroc.

(New York Daily News, New York)

JOSÉ MANUEL BARROSO,président de laCommission européenne� Débordé“Avec les problèmes financiersactuels, nous fonctionnons de façonpermanente en mode de crise.

Ces six derniersmois, j’ai passé

plus de tempsavec le pré-sident Sar-kozy qu’avec

ma femme.”(The Times,

Londres)

DEBORA SERRACCHIANI

La fougue nécessaire

En douze minutes, elleest devenue la star

du Parti démocrate (PD)italien. Cette conseillèregénérale du PD élue àUdine (Nord-Est), qui a“des airs d’Amélie Pou-lain”, selon le Corriere

della Sera, a donné des sueurs froides aux diri-geants du parti de centre gauche à l’occasionde son intervention lors de l’assemblée des élusdu PD, le 21 mars. Mais elle a aussi fait d’elleune personnalité avec laquelle il faudra comp-ter. Son discours, très critique à l’égard de ladirection et de la conduite du parti – en pleinedéroute depuis la défaite électorale d’avril der-nier – a été acclamé par les militants démo-crates et figure désormais parmi les vidéos lesplus regardées et partagées sur Internet. Pour-tant, lorsqu’elle a commencé à parler, personnene lui prêtait attention : Dario Franceschini, lesecrétaire du PD, était même en train de man-ger. Mais, en l’espace de quelques minutes, ellea été ovationnée 35 fois, y compris, à la fin deson intervention, par le même Franceschini.Celui-ci a reconnu que Serracchiani était “unefemme courageuse, qui parle franchement”– exactement ce que la jeune conseillère géné-rale reprochait au parti de ne pas faire. Les mili-tants attendent de voir comment la direction duPD va valoriser cette téméraire avocate spé-cialisée dans le droit du travail, née il y a trente-huit ans à Rome. Les internautes de gauche,eux, ont déjà la certitude qu’“un leader est né”.

ULRICH TUKUR

La vie d’un autre

Le rôle était censérevenir à Ulrich Mühe,

l’agent de la Stasi deLa Vie des autres. MaisMühe était déjà tropmalade. “Fais-le, on aau moins le prénom encommun”, lui avait-il dit

– avant de s’éteindre, le 22 juillet 2007. C’estainsi qu’Ulrich Tukur, 52 ans, comédien maisaussi musicien, également acteur dans La Viedes autres, a endossé le rôle de John Rabe dansle film éponyme de Florian Gallenberger. “Nan-kin, Chine, 1937. Des avions japonais attaquentla ville. Affolés, les ouvriers des usines Siemensdéferlent dans la cour et cherchent un abri.L’idée vient au directeur, l’Allemand John Rabe,de déployer le gigantesque drapeau nazi quele parti lui a envoyé. Les Chinois se réfugienten dessous. Et ça marche : les pilotes japonaisépargnent les usines portant la marque de leursalliés”, résume le quotidien Hamburger Abend-blatt. Rabe sauvera ainsi la vie de quelque250 000 Chinois. Comparé à Oskar Schindlerpar The New York Times, à “un bouddha vivant”par les Chinois, il est décrit par Turuk comme“un conservateur moyen, avec un penchantpatriarcal et une certaine arrogance, un hommequi avait du cœur et qui aimait les gens”. Avantd’ajouter, sans s’encombrer des étiquettes politiques : “Comme Helmut Schmidt.” JohnRabe sort en salles en Allemagne ce 2 avril, puis arrivera en France.

SAM CALAVITTA, professeur de mathématiques.Ancien ingénieur, ancien entraîneur de lutte, ce pèrede neuf enfants vient de se voir décerner un prixpour l’excellence de son enseignement. Ses élèvesle déclarent “meilleur prof au monde”. Son credo ?Pratiquer la persévérance et bannir l’ennui.

◀ Dessin de Springs,Londres.

▶ Dessin paru dansDie Welt, Allemagne.

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COUP DE GUEULE

Qu’on cesse de nous traiter comme des terroristes !La France exporte à tout-va vers l’Arabie Saoudite, mais multiplie parallèlement les tracasseries pour les Saoudiens qui souhaitent se rendre dans l’Hexagone.Pourquoi ne pas rendre aux Français la monnaie de leur pièce ?

AL-HAYATLondres

Le ministre des Affaires étran-gères français s’est rendu enArabie Saoudite, dimanche22 mars. A l’issue de sa

visite, il a accordé un entretien au quo-tidien saoudien Al-Riyadh, dans lequelil s’est félicité des relations étroites etdu partenariat stratégique entre lesdeux pays. Bernard Kouchner a qua-lifié l’Arabie Saoudite d’acteur “indis-pensable pour Paris” et a souligné queles exportations françaises vers ce paysont atteint, l’année dernière, le niveauhistorique de 2,2 milliards d’euros.

Ce bon résultat économique, laFrance ne le mérite pas. Car les ama-bilités de Kouchner ne trouvent pasleur traduction dans la manière dontles Français traitent les Saoudiens. Aleurs yeux, ils sont persona non grata.Ils doivent faire la queue devant leconsulat de France comme s’ils étaientde banals candidats à l’immigration.

On exige qu’ils paient leur hôtelà l’avance, qu’ils montrent leursbillets d’avion, qu’ils contractent uneassurance-maladie, qu’ils déclarentleurs revenus, qu’ils présentent uncertificat de bonne conduite et qu’ilsse soumettent à une longue liste delourdeurs bureaucratiques. Ce sontdes méthodes qui ne siéent pas à unpays civilisé. Il faudrait que les minis-tères saoudiens des Affaires étran-gères et du Commerce prennent desmesures pour montrer à quel pointces façons de faire sont inacceptables.

Les hommes d’affaires, touristes, étudiants et malades voulant se fairesoigner à l’étranger devraient sedétourner de la France pour protes-ter contre le traitement raciste qu’elleleur réserve.

LES BRITANNIQUES DÉLIVRENTDES VISAS EN 24 HEURES

La plupart des nationalités obtien-nent un visa français en deux jours etsans conditions. Dans d’autres paysdu Golfe, on peut obtenir un visa parInternet. Mais ce n’est pas le cas pourles Saoudiens, que la France traitecomme s’ils étaient des terroristespotentiels. Et M. Kouchner qui nousparle de partenariat ! Quel partena-riat ? Nous ne voulons pas de ce par-

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f rance ●

CINÉMA

BabouchkaDeneuve neconnaît pas la crise

Dans la carrière déjà longuede plus d’un demi-siècle dela diva du cinéma qu’est la

Française Catherine Deneuve, l’an-née 2009 devrait être la plus fruc-tueuse, avec pas moins de six films àl’affiche. Les deux premiers sont déjàdans les salles. Il s’agit d’une comé-die, Cyprien [de David Charhon], etd’un drame, La Fille du RER, d’An-dré Téchiné, l’un des réalisateursfavoris de l’actrice, qu’elle appelletendrement “mon frère”. Une star quin’est plus toute jeune et reste aussidemandée, c’est rare dans l’histoiredu cinéma. “Le ‘phénomène Deneuve’résulte de la manière extrêmementhabile dont elle a su gérer sa carrière”,explique Philippe Durant, historiendu cinéma. “Catherine s’est toujoursdistinguée par son approche pragma-tique. Elle connaît ses capacités et choi-sit des rôles en adéquation avec son âge.Avec le temps, elle a même étendu sonrépertoire, puisqu’on la voit aujourd’huisouvent dans des comédies. Beaucoupde réalisateurs rêvent toujours de la fairetourner. Et bien sûr, pour le mondeentier, elle reste l’une des icônes ducinéma français.”

Certains critiques raillent toute-fois le fait que mamie [babouchka]Catherine joue les jeunettes aux côtésd’acteurs qui pourraient être ses petits-enfants. “Je sais ce que cela signifie d’êtregrand-mère, aussi bien au cinéma quedans la vie, rétorque-t-elle. J’ai deuxpetits-fils, Igor et Milo, et une petite-fille,Anna. Oui, j’ai 65 ans, mais quand jeregarde ma mère, qui en a 98, je constateque je n’ai pas à m’inquiéter outre mesure.Maman est en pleine forme, et j’ai visi-blement hérité de gènes qui m’aident àconserver une allure impeccable. Pourautant, je n’ai aucune intention de conti-nuer à jouer jusqu’à mes 100 ans, et jesais à quel moment je devrai arrêter.”

Il est certain que la génétique joueun rôle non négligeable, mais, depuistrente ans, un célèbre chirurgien esthétique parisien veille sur sa beautépresque intacte. De son propre aveu,Catherine Deneuve reconnaît qu’ellepourrait être plus belle si elle ne fumaitpas. Mais les cigarettes l’aident àcontrôler son poids ; elle se qualifie degourmande et ne se restreint en rien.

“Je ne crains pas les ragots, précise-t-elle. Cela fait longtemps que je suisimmunisée contre ce qui se dit ou s’écritsur moi. Je n’y prête plus attention.” Mais,parfois, elle se laisse aller à des confi-dences. Elle vient ainsi récemmentd’avouer que, malgré son âge, elle sesent disposée à “vivre un amour fou”.“Cela n’arrivera pas forcément, admet-elle, mais l’amour m’intéresse, sous toutesses formes. Et dans une relation amou-reuse, je suis prête à devenir une esclave,à me soumettre…”

Iouri Kovalenko, Izvestia (extraits), Moscou

IMMIGRATION

Le noir n’est pas une couleurL’instauration de statistiques “ethniques” a choqué le Prix Nobel de littérature portugais José Saramago, au nom d’une certaine idée de la vérité.

DIÁRIO DE NOTÍCIAS Lisbonne

Dialogue dans une publicité pourvoitures à la télévision portugaise.A côté de son père, une fille, âgée

de 6-7 ans, demande : “Papa, tu savaisqu’Irène, ma camarade de classe, était noire ?”Le père répond : “Oui, bien sûr…” Et lafille : “Eh bien moi, non…” Si cet échangen’est pas précisément un coup dans l’es-tomac, c’est certainement une claque ànotre conscience. On dira que ce bref dia-logue n’est rien de plus que le fruit dutalent créatif d’un publicitaire de talent,mais, même près de moi, ma nièce Júlia,5 ans, me demandait si à Tías, l’endroit oùnous vivons, il y avait des Noires. J’ai

répondu que je ne savais pas. Et Júlia estd’origine chinoise… On dit que la véritésort de la bouche des enfants, pourtant celane semble pas être le cas puisque la petiteIrène de la pub est réellement noire et queles Noires ne manquent pas à Tías. Le pro-blème est que, contrairement à ce que l’oncroit généralement, et même si l’on vou-drait nous faire croire le contraire, les véri-tés uniques n’existent pas : les vérités sontmultiples, seul le mensonge est entier. Lesdeux enfants ne voient pas de Noires, ellesvoient des personnes, des personnes commeelles-mêmes se voient. Et donc la vérité quiest sortie de leur bouche était simplementdifférente. M. Sarkozy ne le voit pas ainsi.Il vient d’avoir l’idée de lancer un recense-ment ethnique destiné à “radiographier”

(l’expression est de lui) la société française,c’est-à-dire savoir qui sont et où sont lesimmigrés, prétendument pour les faire sortir de leur invisibilité et vérifier que lespolitiques contre la discrimination sont efficaces. Selon une opinion largementrépandue, le chemin de l’enfer est pavé debonnes intentions. C’est ce chemin-làqu’empruntera la France si l’idée prési-dentielle prend forme. Il n’est pas difficiled’imaginer (les exemples du passé abon-dent) que le recensement puisse se conver-tir en un outil pervers, à l’or ig ine de nouvelles discriminations toujours plussophistiquées. Je pense demander auxparents de Júlia d’emmener leur enfant àParis pour conseiller M. Sarkozy…

José Saramago

▲ Dessin deVeenenbos, Vienne.

tenariat. Nous demandons à noscompatriotes de boycotter la Franceau profit de pays qui les respectent.

Le Royaume-Uni, par exemple, délivre des visas de dix ans en vingt-quatre heures, sans aucun documentà fournir et sans s’encombrer dedémarches administratives. Nousdevrions encourager le séjour deshommes d’affaires britanniques enArabie Saoudite et réduire le nombrede visas accordés aux Français. Qu’onleur rende la monnaie de leur pièce !Nous n’avons pas besoin de traiteravec des pays qui nous considèrentcomme des terroristes, nous regardentavec suspicion et nous humilientdevant leurs consulats.

Daoud Al-Chariyan

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MODE DE VIE

Givry, ses traditions, ses vins, ses déchets industrielsDepuis plusieurs siècles, la commune bourguignonne vit de ses vignobles. Aussi le projet d’installation d’une usinepotentiellement polluante y est-il perçu comme une agression insupportable.

THE WASHINGTON POSTWashington

DE GIVRY

Depuis plus de mille ans,moines et paysans soi-gnent avec amour lesvignobles bourguignons

qui cernent ce petit village de l’estde la France . La légende veutqu’Henri IV en soit tombé amoureuxil y a quatre cents ans, et on peut affir-mer sans risque que, sans le vin, Givryaurait probablement cessé d’exister.Aussi, quand une entreprise “étran-gère” a décidé d’y construire une usineultramoderne de traitement desdéchets industriels, les viticulteurs ontpris la chose comme un affront patri-monial et une menace pour leurgagne-pain. Les solvants utilisés parl’usine, soutiennent-ils, ne peuvent quepolluer l’environnement, et ce sansmême tenir compte des accidents. Letout ne pouvant qu’écorner l’image,méticuleusement forgée, de produitsdu terroir perpétuant une traditionimmémoriale et qui dépendent de ladélicate alchimie entre le sol et le soleil.“Nous vivons dans un coin privilégié deFrance, et ce que nous faisons ici estunique au monde”, affirme Eric Des-vignes, vigneron et fils de vigneron,qui dirige le syndicat viticole de Givryet produit une gamme de bourgognesdont l’étiquette arbore fièrement sonnom de famille. “Implanter une telleusine ici est tout bonnement aberrant.”

PAS SIMPLE DE CONCILIER ART DE VIVRE ET MODERNITÉ

L’objet de l’indignation des viticulteursde Givry, qui les a amenés devant lestribunaux, est en soi un problèmemineur en termes de nombre de per-sonnes touchées. Le village, toujoursdominé par son clocher, compte3 600 habitants. Mais le conflit s’ins-crit dans un combat plus large, menéà l’échelle nationale, afin de trouver lebon équilibre entre tradition et moder-nisation. Un problème qui affecte pro-fondément l’âme même du pays et serévèle de plus en plus ardu à gérer aufil des ans.

Confrontée à une concurrenceféroce en Europe et au-delà, la Francea du mal à préserver la douceur devivre qui a fait sa réputation, symboli-sée par des déjeuners interminables etdes vins fins, tout en répondant auximpératifs d’une économie moderne.Une économie moderne signifie, entreautres, qu’il faut être lucide tout aulong d’une après-midi de bureau etqu’il convient de prévoir des installa-tions pour traiter les déchets toxiquesproduits par les hôpitaux et les usinesaux quatre coins d’un pays industria-lisé de 64 millions d’habitants.

Les producteurs de vin français sesont retrouvés au cœur de cette bataille,et souvent du côté des perdants. Parde nombreux aspects, leur dilemme estincarné par Nicolas Sarkozy, un pré-

sident iconoclaste qui s’obstine à nepas boire de vin. Les viticulteurs fran-çais voient, de plus, leur suprématiecontestée par leurs homologues enEurope et dans le Nouveau Monde,notamment au Chili et aux Etats-Unis,ainsi qu’en Australie. L’année dernière,la France a perdu son statut de pre-mier pays producteur de vin du mondeau profit de l’Italie. Depuis 2005, ellea été supplantée par l’Espagne commepremier exportateur mondial envolume. “Les producteurs français ne sontpas les meilleurs en stratégie et en marke-ting, et ils continuent de vendre du vincomme ils le faisaient par le passé”, déplo-rait Xavier de Eizaguirre, président deVinexpo, le salon viticole bisannuel, etdirecteur général de la société BaronPhilippe de Rothschild, dans un récententretien au Figaro.

L’idée d’une usine de traitementdes déchets visible depuis les vignoblesfait grincer des dents à Givry, parceque l’image de marque du vin local estun sujet extrêmement sensible. Givrya longtemps pâti d’une réputation debourgogne de seconde catégorie,éclipsé par de grands noms commevosne-romanée, nuits-saint-georges etgevrey-chambertin. Ces trente der-nières années, les viticulteurs du cruont accru la superficie des coteaux depinot noir et amélioré leurs récoltes etleurs compétences ; depuis, leurs vinsont redoré leur blason. “Nous sommesla première génération à profiter de toutce travail”, commente Ludovic du Gar-din, dont le domaine du Clos Salomonest dans la famille depuis plus de troissiècles. “Et tout ça pour en arriver là !”

“La principale richesse de Givry, c’estson vin”, martèle son maire socialiste,Daniel Villeret. “Ici, à proximité desvignobles, à proximité de la population, cesinstallations sont une ineptie.” La cam-pagne contre l’usine n’a cessé de mon-ter en puissance en 2008, avec des rassemblements, des réunions et la dis-tribution de tracts. Un feu s’est mêmedéclaré sur le site. La police locale aestimé que l’incendie était d’origine

criminelle mais n’a procédé à aucuneinterpellation. Enfin, grâce aux fondsrecueillis par une nouvelle associationde protection de l’environnement deGivry, et avec l’appui de la mairie et desociétés vinicoles de Bourgogne, lesviticulteurs ont pu engager un avocatafin de porter l’affaire en justice. Untr ibunal de Dijon a ordonné le17 février la suspension de l’appro-bation départementale, mettant encause l’étude d’impact écologique. Leverdict a redonné espoir aux vignerons.

LES VITICULTEURS DU TRICASTINVEULENT CHANGER DE NOM

Pascal Sécula, le PDG de Praxyval,l’entreprise incriminée, a renoncé àfaire appel de la suspension. Pourautant, il poursuivra la bataille juri-dique sur le fond. Sur son blog, ildéplore que son projet ait été victimedu jeu politique local. “Je me suis efforcéde répondre aux arguments des uns et desautres, fait-il valoir, y compris ceux desresponsables techniques et administratifslocaux, aux niveaux départemental etrégional – arguments qui étaient souventcontradictoires et opportunistes. Je n’avaisaucune chance de les convaincre dans unclimat devenu passionnel.”

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f rance

▲ Dessin de TobiasHickey paru dansThe Observer,Londres.

Ce à quoi Desvignes et du Gar-din rétorquent qu’ils ne luttent passur le plan politique mais pour lapréservation du patrimoine de Givryainsi que des 300 emplois de lafilière viticole. Tout comme leurmaire, ils s’étonnent de l’entêtementde Sécula malgré l’hostilité de lapopulation. L’usine se trouverait àun kilomètre environ des vignoblessitués au pied des coteaux de Givry,qui couvrent plus de 300 hectareset sont vieux de mille ans, souli-gnent-ils. Une trentaine de camionstransportant des déchets les traver-seraient chaque jour. Le moindreaccident ou la moindre explosionsurvenant à l’usine, et le nom deGivry serait compromis à jamaisauprès des connaisseurs de vin. Des-vignes et du Gardin citent l’exempledu Tricastin, une zone viticole situéele long du Rhône dont l’image asouffert à cause d’un incident quis’est produit [en juillet 2008] prèsd’une centrale nucléaire voisine. Lesprix des vins du Tricastin se sonteffondrés “et, maintenant, les viticul-teurs du coin envisagent de changer lenom de leur cru”.

Edward Cody

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Vivement un président de l’EuropeLes problèmes posés par la déroute politique du Premier ministre tchèque Mirek Topolanek prouvent que l’UE a un besoin urgent des nouvelles institutions prévues par le traité de Lisbonne.

FINANCIAL TIMESLondres

La chute de la coalition aupouvoir à Prague, dirigéepar Mirek Topolanek, sur-vient sur fond de morosité

économique, une morosité que l’onretrouve un peu partout en Europecentrale et orientale. Mais la causesous-jacente en est la faiblesse chro-nique du gouvernement tchèque.L’événement est par ailleurs extrême-ment dommageable pour la présidencetchèque de l’Union européenne,laquelle paraissait déjà tout à fait hasardeuse. C’est la preuve éclatantequ’il est nécessaire d’instituer une pré-sidence semi-permanente de l’UE,comme l’envisage le traité de Lisbonne.

Si la coalition tchèque s’est effon-drée quelques jours seulement aprèsl’annonce du départ du Premierministre hongrois, il serait faux decroire que l’Europe centrale et orien-tale est affligée d’une seule et mêmemaladie. Car si la Hongrie fait l’ob-jet d’un programme de sauvetage duFonds monétaire international, l’éco-nomie tchèque, elle, est plus saine,bien qu’elle souffre d’une baisse dela demande pour ses exportations[notamment dans le secteur auto-mobile]. Toutefois, l’agitation politiqueen République tchèque ne va certespas contribuer à donner de la régionune image de stabilité.

Tout dépend maintenant deVáclav Klaus, le président tchèqueeurosceptique. Il peut nommer un

gouvernement de transition, dirigé parTopolanek ou par quelqu’un d’autre,qui aurait pour mission de tenir vailleque vaille jusqu’à la fin du mois dejuin, quand les Tchèques céderont laplace aux Suédois à Bruxelles. Ou ilpeut convoquer des élections. Uneéquipe de transition, où l’on retrou-verait plusieurs des ministres qui pré-sident actuellement les réunions duConseil de l’UE, représenterait la solu-tion la moins néfaste, puisqu’elle seraitsynonyme de continuité.

La machine bruxelloise est elleaussi source de continuité. Même avantla crise, d’aucuns s’étaient plaints dela mauvaise organisation tchèque, maisles accords permanents avaient permisde respecter globalement l’ordre dujour. Si la présidence de l’UE donneau pays qui l’occupe l’occasion depoursuivre certains de ses projets favo-ris, elle ne lui permet pas de changerle cap du superpétrolier. En revanche,son rôle est de servir de moteur entemps de crise, comme l’ont fait lesFrançais pendant six mois jusqu’à lafin décembre, et comme n’ont pas sule faire les Tchèques.

Cette absence de véritable direc-tion s’avérera plus importante dansles prochains mois. Dans quelquessemaines, le Parlement européen vafermer boutique pour cause d’élec-tions. Et la Commission arrive auterme de son mandat de cinq ans.L’Union se retrouve donc avec uneprésidence incapable d’aborder lesquestions de politique étrangère avecautorité, ou de lui offrir la possibi-lité de s’exprimer d’une seule voix,une voix forte susceptible d’êtreentendue par le reste du monde.

Ce qui nous ramène au traité deLisbonne. Il est évident que les retom-bées de la chute de la coalition vontretarder sa ratification par le législatiftchèque. Un délai semble inévitable,mais un nouveau gouvernement, dontla composition serait différente, pour-rait considérer le vote sur le traitécomme une affaire urgente. Bruxelles,en proie à l’inquiétude, ne peut quecroiser les doigts et espérer. ■

europe ●

PORTUGAL

Face à la crise, on n’en fait jamais assezPrès de 200 000 personnes ont défilé à Lisbonne pour demander davantage de justice sociale. Pour l’ancien Premier ministre et ancien président socialiste Mário Soares, leur inquiétude est légitime.

DIÁRIO DE NOTÍCIAS (extraits)Lisbonne

Sous le slogan “Plus d’emplois,plus de droits et de meilleurssalaires”, la CGTP, le princi-

pal syndicat portugais, a réellementréussi à mobiliser les manifestants le13 mars. Pour ces centaines de mil-liers de personnes, il s’agissait de crierleur indignation face à la montée duchômage et à l’aggravation de la pau-vreté et des inégalités sociales. Ellesvoulaient exprimer leurs incertitudespour l’avenir – le leur et celui de leursenfants et de leurs petits-enfants. Bienentendu, nous vivons une crise mon-diale, et il serait injuste – bien quefacile – de dénoncer le gouvernementde José Sócrates [socialiste, au pou-voir depuis 2005] comme seul res-

ponsable des difficultés grandissantesqui affectent les Portugais. D’autantplus que les élections approchent [leslégislatives sont prévues à l’automne]et que, à gauche comme à droite, uneconvergence se forme pour attaquerle gouvernement sans pour autantproposer d’alternative viable.

La situation de crise que noussommes en train de vivre est la plus dif-ficile de toutes celles que nous avonsvécues depuis la révolution des Œillets[en avril 1974, lors de la chute de ladictature]. Et nous en avons connubeaucoup. Je conseillerai donc au gou-vernement de prêter une oreille atten-tive à l’indignation des citoyens.Sócrates doit en débattre avec les res-ponsables des partis, dans un cadrecalme et discret – à l’écart des joutesparlementaires et télévisuelles –, mais

aussi, et particulièrement, avec lesdirections syndicales, qui ont uneconnaissance directe de ce qui se passesur le terrain et de ce que ressentent lespersonnes les plus touchées par la crise.

Prendre un virage à gauche nesuffit pas pour vaincre la crise. Il estaussi nécessaire d’expliquer celle-ciaux gens, aux chômeurs, à tous ceuxque désespèrent le manque de pers-pectives et l’horizon bouché. Il fautles écouter, leur donner des espoirsargumentés et leur montrer com-ment, à terme, ils pourront s’en sor-tir. Si le dialogue et la concertationsociale sont rompus, et si aucune aideconcrète n’est apportée à tant de casdramatiques, les discours sont super-flus et inutiles.

D’un autre côté, il semble quepersonne n’ait été responsable de cette

crise, même si certains s’y sont enri-chis en spéculant et continuent de lefaire. Sur ce point aussi, nous devonsdes explications aux Portugais, sur-tout à ceux qui sont le plus touchéspar la crise. L’impunité qui semblecouvrir les responsables et le senti-ment qu’escroqueries et corruptionsont une fatalité sont un venin quiaigrit les gens et les rend médisants,cyniques et désabusés. Cela n’augurerien de bon pour l’avenir de la sociétéportugaise. Or c’est au gouvernementqu’il revient de définir le nouveau capet de donner des garanties pour queles choses ne restent pas en l’état…

Une manifestation de cetteampleur ne résout certes rien. Maiselle doit alerter les responsables poli-tiques sur ce qu’il faut impérativementrésoudre. Mário Soares

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VU DE PRAGUE Regretspour Topolanek

Ce n ’ e s t q u e l o r s q u e l ebrouillard de l’actuelle bataille

gouvernementale se dissipera quel’on comprendra vraiment ce qu’ona perdu avec le départ de Topo-lanek. Sa coalition a réussi à fairebaisser les impôts, à atténuer cer-tains effets pervers du systèmedes retraites et à libéraliser la fis-calité. Elle a fait progresser l’idéeau sein de la population que lasanté avait un coût. Topolanek est parvenu à faire dela République tchèque un interlo-cuteur respecté de la communautéinternationale et, surtout, son gou-vernement a su stopper la pro-gression de notre endettement,nous évitant ainsi de connaître lesdifficultés rencontrées par les Hon-grois ou les Lettons.Mirek Topolanek n’a pas bonneréputation. Il n’est ni un orateurconvaincant ni un modèle de vertuconjugale. Il ne sait pas commu-niquer avec les journalistes, aupoint de vouloir en découdre phy-siquement avec ceux qui s’appro-chent trop de sa vie privée. Maisen vérité, nous avons perdu le Pre-mier ministre le plus courageuxque le pays ait connu.

Petr Kambersky, Hospodárské Noviny (extraits), Prague

▲ Dessin paru dans La Stampa,Rome.

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a cure. Sans doute préférait-i lattendre qu’elle se dégrade. Il aurafallu la vidéo d’un ministre de 57 anstentant maladroitement de dégra-fer le corsage d’une jeune fille pourréagir. Les élections de juin 2009seront une aubaine pour faire ungrand ménage. Et il ne s’agit pas seu-lement d’un combat pour la bien-séance, mais aussi contre la corrup-tion. Il faudra gagner l’un et l’autreavant que nous puissions parler devrais standards de gouvernance et demorale dans ce pays.

Armand Maho

La scène, filmée grâce à un téléphoneportable, a aussi été diffusée sur le site departage Youtube (http://is.gd/o2Na).

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europe

▶ Dessin de Falco,La Havane.

ALBANIE

Promotion canapé à tous les étages Un ministre qui faisait passer des entretiens d’embauche un peu particuliers aux jeunes candidates l’a payé de sonposte. Mais beaucoup d’autres affaires de harcèlement sexuel sont étouffées par le pouvoir, s’indigne Tema.

L’affaire Pango n’est qu’un casparmi tant d’autres. Il existe d’autresPango parmi les ministres. Il y aaussi bien des professeurs et des di-recteurs très attentifs à la longueur desjupes de leurs subordonnées. Le Pre-mier ministre qui tolère ces com-portements ne peut être considérécomme innocent. Qu’il ne vienne pas

PAYS-BAS

Ne soyons pas des gardiens de la moraleAu sein de l’UE, les Pays-Bas sont souvent l’Etat le plus intransigeant à l’encontre des nouveaux pays candidats. Ce qui commence à agacer les autres pays membres.

NRC HANDELSBLAD (extraits)Rotterdam

Miguel Angel Moratinos,ministre des Affairesétrangères espagnol,

ne va pas faire d’histoires : sescollègues européens veulent invi-ter un ministre kosovar à l’occa-sion de leur prochaine rencontreen République tchèque. Commel’Espagne ne reconnaît pas leKosovo en tant que pays indé-pendant, le Parlement espagnolsera totalement opposé à ce queM. Moratinos rencontre le Koso-var. “Allons-y quand même, je vaism’arranger”, a dit M. Moratinosavant de se tourner vers sonhomologue néerlandais, MaximeVerhagen. “Si moi je ne fais pasd’histoires à ce sujet, pourquoi moncher ami Maxime ne se montre-t-il pas un peu plus souple à pro-pos de la Serbie ?”

Pourquoi, effectivement ? LaSerbie, selon les Pays-Bas, doit

mieux collaborer avec le Tribu-nal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) avant depouvoir bénéficier des avantagesd’un accord d’association et decoopération avec l’Union euro-péenne. Mais presque tous lesautres pays européens estimentqu’il est actuellement plus impor-tant de soutenir la démocratiechancelante en Serbie que defaire obstruction à son intégra-tion européenne. Cela fait déjàplus d’un an que Bruxelles seplaint de la rigidité des Pays-Basvis-à-vis de la Serbie, et MaximeVerhagen se fait de plus en plusremarquer pour ses positions deprincipe. “Vous êtes les maîtres dela morale”, dit, avec un petit rirecynique, un fonctionnaire d’ungrand pays européen. “Heureu-sement que quelqu’un sait ce qui estbien et ce qui est mal.”

Dans l’ensemble, on peutcomprendre, à Bruxelles, quel’Allemagne préfère éviter, en

pleine année électorale, de par-ler de l’adhésion du Monténé-gro à l’UE. Mais quel intérêt lesPays-Bas ont-ils à s’opposer àl’adhésion serbe ? Et pourquoise montrer aussi sévère vis-à-visde la Biélorussie ? L’Estonie, laLettonie et la Lituanie auraientaimé, cette semaine, que lessanctions à l’encontre de leurvoisin soient levées. Ces paysveulent faire des affaires avec laBiélorussie, commercer. LesNéerlandais sont, eux, en faveurd’une application stricte des cri-tères d’adhésion actuellementen vigueur. “C’est nécessaire, sil’on estime que l’UE n’est pas seu-lement un regroupement de pays,mais une communauté de valeurs”,dit-on à La Haye.

La Serbie doit maintenantprouver, estime Maxime Verha-gen, qu’elle partage les valeurseuropéennes en livrant l’anciengénéral Ratko Mladic, pour-suivi pour crimes de guerre.

Lors de la prochaine réuniondes ministres des Affaires étran-gères de l’UE, Maxime Verhagenentendra à nouveau ses homo-logues lui dire que c’est la sta-bilité des Balkans qui prime etqu’elle ne pourra s’instaurer quelorsque les pays de la région sauront qu’ils deviendront unjour membres de l’Union euro-péenne. Et Maxime Verhagensera de nouveau critiqué pourson intransigeance. Devant laPremière Chambre du Parle-ment, Maxime Verhagen adéclaré récemment que certainsde ses homologues à Bruxellespensent que les critères d’adhé-sion doivent être assouplis jus-tement maintenant, parce quec’est la crise. Comme d’habi-tude, on lui a demandé derenoncer à s’opposer à la Serbie.“Un tel raisonnement va à l’en-contre de tous mes principes”,a-t-il expliqué une fois de plus.

Petra de Koning

TEMATirana

Le 6 mar s , l e P r emie rministre Sali Berisha alimogé le ministre de la Culture, Ylli Pango, quatre

minutes après la retransmission télé-visée de vidéos le montrant en traind’essayer d’obtenir les faveurs d’unejeune candidate à un poste dans sonministère [voir ci-contre]. Ce n’est pasla première fois que la télévisiondénonce ce genre de pratique. Le phé-nomène touche tous les échelons del’administration. Mes collègues jour-nalistes femmes connaissent bien leregard concupiscent des députésqu’elles doivent interviewer. Leurnuméro vient à peine d’être enregis-tré dans les téléphones portables deces messieurs que le ballet des SMSsuggestifs commence. Le Parlementregorge de tels hommes, ivres de leurpouvoir pour avoir frôlé le sommet del’Etat, endossé le costume-cravate etavoir paru à la télévision. Se rappel-lent-ils qu’ils sont au service de cettesociété ? On ne compte plus les ten-tatives de ces gens pour obtenir desfaveurs sexuelles en échange d’unposte dans l’administration.

TOUTES LES JEUNES ALBANAISESSONT CONCERNÉES

Je peux comprendre la vive réaction dela présidente du Parlement, JozefinaTopalli, s’exprimant en tant que mère.En effet, toutes les jeunes Albanaisessont concernées. Mais je ne la suis pluslorsqu’elle loue la diligence du Pre-mier ministre à limoger son ministrede la Culture. Comment avait-elle pucautionner la nomination de cethomme à un poste à hautes respon-sabilités ? Et comment se sent-elle, àl’idée que certains de ses collèguesdéputés traînent une morale et uneréputation tout aussi douteuses quecelles d’Ylli Pango, et mobilisent leursréseaux pour embaucher leurs vic-times ? La présidente du Parlement saitqu’en sacrifiant le fautif Sali Berishas’en lave les mains, mais qu’il n’en estpas moins responsable.

prétexter ignorer ces attitudes et lepassé sulfureux d’Ylli Pango à l’uni-versité. Loin de moi l’idée de juger lavie privée d’un individu, mais lors-qu’on fait partie de la vie publiqued’une société, il faut être garant de sesvaleurs et de sa dignité. Ylli Pangoétait le plus touché par ce mal géné-ralisé, mais combien d’autres le sontencore ? Pour cette administration, lescompétences de ses fonctionnairescomptent bien peu. Ce sont le favo-ritisme, les réseaux, les obédiencespolitiques et le népotisme qui lagouvernent. Et les pervers, qui abu-sent de la confiance de leur électorat,y ont la part belle.

Cette situation dure depuisquatre ans, mais Sali Berisha n’en

PIÈGE La preuve par YoutubeL e ministre de la Culture, Ylli Pango,

s’est fait piéger par la caméracachée d’une journaliste de la chaînede télévision populaire Top Channel.Cette dernière s’est présentée pourun emploi au sein de son ministère.Après une première conversation télé-phonique, le ministre fixe un rendez-vous à la jeune femme pour examinerson dossier de candidature. Arrivéedans son bureau, elle se voit deman-

der si elle est libre pour la soirée. Leministre lui demande de se mettredebout et de se déshabiller pendantqu’il lui explique en quoi consiste leposte auquel elle postule. Il s’ap-proche d’elle et tente de lui dégraferson corsage. Elle refuse. Ylli Pango luidit qu’elle n’aura pas le poste si elle“manque de courage”. Il lui proposefinalement de réfléchir et de le recon-tacter (vu sur www.youtube.com).

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ROYAUME-UNI

La guerre d’Irak, un cauchemar qui n’en finit pasD’ici à la fin de juillet, six ans après le début du conflit, les derniers des 4 000 soldatsbritanniques encore déployés en Irak seront rapatriés. C’est un pays profondémentmarqué par cette aventure militaire qu’ils vont retrouver.

THE TIMESLondres

Après six années de combaten Irak, les derniers soldatsbritanniques rentrent chezeux. Mais ce “chez eux”

n’est plus vraiment le même. L’expé-r ience de la guerre a changé laGrande-Bretagne, d’une manière à lafois subtile et profonde, positive et dou-loureuse, transitoire et permanente.Nous ne sommes pas le même peuplequ’il y a six ans : la guerre nous a chan-gés, nous aussi.

La Grande-Bretagne doute davan-tage de ses hommes politiques, elle estplus divisée et paranoïaque qu’en 2003.Nous sommes sous plus étroite sur-veillance, plus prudents, et peut-êtreplus méfiants. Pour beaucoup d’entrenous, la sécurité est un plus grand sujetde préoccupation que la défense deslibertés civiles.

Les soldats qui reviennent reçoi-vent un accueil très différent de celuides vétérans de la guerre du Golfe oudu conflit des Malouines, sans parlerdes vainqueurs de la Seconde Guerremondiale. Et ils ont eux-mêmesété marqués par la guerre. Plus de100 000 hommes et femmes britan-niques ont été déployés sur les champsde bataille irakiens. Les séquellessociales de la guerre se feront sentirpendant plusieurs décennies. Lamanière dont ces anciens soldats seronttraités témoignera de la validité de cequ’on appelle souvent le “contrat mili-taire”, ce principe informel mais tenaceen vertu duquel la société britanniquea des liens particuliers avec ses soldatset des obligations envers eux.

La guerre a profondément péné-tré notre culture. Le théâtre, en par-ticulier, a abordé la politique et la réa-lité de la guerre avec fascination etfureur dans des pièces comme BlackWatch, de Gregory Burke, qui s’inté-resse aux soldats écossais ayant servien Irak et qui vient de remporter quatreprix aux Olivier Awards, et Stuff Hap-pens, de David Hare, qui relate les évé-nements ayant précédé la guerre.

Les écrivains ont traité la questionà travers des essais et des romans. DansSamedi [éd. Folio, 2008], Ian McEwans’interroge sur la guerre en cours et,dans Dans la Zone verte [Editions del’Olivier, 2008], Rajiv Chandraseka-ran [journaliste du Washington Post]dresse un tableau très parlant de la viedans la Zone verte de Bagdad.

Les poèmes sensibles et emplis decolère de la Première Guerre mon-diale ont trouvé un pendant modernedans le “milblog”, un genre littéraireentièrement nouveau : les blogs écritspar des soldats, une sorte de poésienon filtrée et violente venue du front.La guerre a également produit desformes plus traditionnelles de poésie,dont des poèmes très émouvants deSimon Armitage sur des soldats de

retour dans une société métamor-phosée. La musique pop a suivi lemouvement. Dans Middle EasternHoliday, Hard-Fi se lamente sur lesort du 2e classe envoyé dans le désertirakien : “Je dois partir, mais quel prixà payer/Un forfait pour le soleil, où toutest compris/Des traces de balles qui balafrentles minarets/De la fumée à l’horizon/Unbeau coucher de soleil.”

La phrase que le colonel Tim Col-lins a lancée aux soldats du Royal IrishRegiment – “Nous partons pour libérer[l’Irak], pas pour conquérir” – est aujour-d’hui plus célèbre que toutes les autresdéclarations depuis la promesse deChurchill de “combattre sur les plages”.

LES CITOYENS N’ONT PLUSCONFIANCE EN LA POLITIQUE

La politique britannique a elle aussiété transformée par la guerre en Irak.Le fameux “dossier douteux” [utilisépar le gouvernement Blair pour justi-fier le déclenchement de la guerre enIrak], la mort de l’ancien inspecteur del’ONU David Kelly, le débat sur lecentre de Guantanamo et les alléga-tions de torture ont modifié le paysagepolitique. L’idée, fondée ou non, quele gouvernement britannique est inter-venu en Irak sous de faux prétextes apénétré dans la conscience publique ets’est propagée dans la politique. Lesprochaines élections se joueront engrande partie sur la confiance politique,avec la guerre en toile de fond.

Plus de la moitié des électeursont soutenu la guerre en 2003, carils croyaient sincèrement que Sad-dam Hussein possédait des armes dedestruction massive. Quand cela s’estrévélé faux, la politique britanniquea fondamentalement changé et laméfiance des citoyens a atteint undegré sans doute jamais égalé dansle pays. Il est difficile d’imaginerquelles justifications il faudra à l’ave-nir fournir au peuple britanniquepour le convaincre de soutenir une“guerre juste”.

europe

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 16 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

ITALIE

Un parti surmesure pourBerlusconi

Au terme d’un processus entre-pris voilà un an et demi, ladroite a changé de peau. La

fusion, lors du congrès des 27-29mars, de Forza Italia et d’Alliancenationale (AN) modifie l’ADN du“parti des modérés” et il va falloirdésormais compter avec cette nou-velle entité politique qui s’appelle lePeuple de la liberté (PDL). Le pro-blème est maintenant de savoir si decette fusion est née – ou non – unedroite moderne. Au-delà des questionssur la succession de Silvio Berlusconià la tête du PDL et de la rivalité avecl’ancien leader d’AN Gianfranco Fini,le plus important est sans nul douteque le PDL a cessé d’être une forcelibérale moderne, fondée sur l’écono-mie de marché et sur les élans de vita-lisme libertaire tant vantés par le Cava-liere. Berlusconi a perdu une occasionde présenter un projet moderne pourla société italienne. Il a toutefois ététrès clair quant à certains aspects cru-ciaux. En particulier sur le fondementidéologique du futur “parti des Ita-liens”, pour lequel il trace un péri-mètre hors duquel il semble qu’il n’yait plus aucune légitimité. Les oppo-sants sont relégués dans la grisailled’une “gauche sans visage”, à laquelleil ne reconnaît pas une dignité poli-tique suffisante pour qu’elle ait sonmot à dire sur les missions du gou-vernement et de la majorité.

Le président du Conseil trace uneligne qui exclut du bon sens, de ladémocratie et, pour finir, de l’“italia-nité” la moitié du pays qui n’a pas votépour lui. Il y a d’un côté les Italienslégitimés par le vote pour le PDL, del’autre les ennemis de la liberté et tousceux qui n’acceptent pas de faire par-tie des soutiens du Cavaliere. L’idéede Berlusconi est de construire unbloc social “intégré”, une convergenced’intérêts qui, en se coordonnant, for-meront un socle de pouvoir perma-nent et pratiquement indestructible :petites entreprises et commerçants,travailleurs indépendants, clientèlesdu Mezzogiorno, chômeurs et jeunesen quête d’un premier emploi.

Aucune objection à ce projet nes’est fait entendre du côté des libé-raux. Personne n’a encore dit que leplan de Berlusconi est un retour àune société prémoderne, fondée surune structure corporative, où lesmembres du corps social coopèrentsous la direction d’un leader. Lasociété décisionnaire qu’il veut éta-blir est éclectique, car elle allie à unconservatisme compassionnel desmodernisations hâtives décidées ausommet. Le tout étant garanti parla mobilisation continuelle du peuple,par les grands et bienveillants des-seins, par la “folie sage” du chef.C’est l’annonce d’une démocratiesous tutelle, gouvernée selon unmodèle clairement paternaliste.

Edmondo Berselli,La Repubblica (extraits), Rome

■ EnquêteLorsque les dernierssoldats serontrevenus d’Irak, le gouvernementbritannique ouvriraune enquête“complète”, “à lafois sur la conduitede la guerre et surl’établissement dela paix”, a annoncéle ministre desAffaires étrangèresbritannique. Au grand dam des opposants à la guerre, DavidMiliband a laisséentendre que cetteenquête seraitmenée à huis closet “n’a pas précisési elle couvriraitl’utilisation desrenseignements parle gouvernementavant la guerre, ni si [elle établiraitsi] Tony Blair a trompé leParlement”, noteThe Independent.

Sur un plan plus général, la guerrea suscité un mouvement d’antiamé-ricanisme qui commence seulement às’apaiser. Il était devenu de bon ton decondamner tout ce qui était américainet de considérer les Etats-Unis commeun pays de fauteurs de guerre et defanatiques religieux. La violence despropos antiaméricains des intellectuelsde gauche a atteint son paroxysmedans le discours de Harold Pinter pourla remise de son prix Nobel, en 2005.“L’invasion de l’Irak, a-t-il déclaré, étaitun acte de banditisme, un acte de terro-risme d’Etat patenté […]. Les crimes com-mis par les Etats-Unis ont été systéma-tiques, constants, violents, impitoyables.”

La guerre a engendré de profondestensions au sein de la société britan-nique, et les relations entre commu-nautés en ont indubitablement souf-fert. Pour une minorité de musulmans,cette guerre est illégale, raciste etcruelle. Le clivage est apparu à l’évi-dence lors d’une parade organisée le10 mars dernier à Luton. Les soldatsdu Royal Anglian Regiment rentrantd’Irak ont été pris à partie par des mani-festants brandissant des pancartes surlesquelles on pouvait lire “bouchers deBassorah”, “assassins” et “tueurs debébés”. Certains spectateurs ont réagien traitant les manifestants de “racailles”et en brandissant l’Union Jack.

Bon nombre des effets de la guerreen Irak disparaîtront avec le temps.L’antiaméricanisme décline depuis l’ar-rivée d’un nouveau président ; écri-vains et artistes se tournent vers denouveaux sujets ; la colère de certainsmusulmans va certainement retom-ber ; les soldats revenant, et leur expé-rience ayant été absorbée dans lamémoire nationale, peut-être le“contrat militaire” en ressortira-t-il ren-forcé. Mais la Grande-Bretagne n’estplus le même pays que lorsqu’elle estpartie en guerre. Six ans plus tard, c’estun pays endurci et peut-être plus réa-liste, mais aussi las des conflits eteffrayé par la guerre. Ben Macintyre

▶ Sur la pancarte :Bassorah. Dessin de Schrank,paru dans TheIndependent,Londres.

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GÉORGIE

Affronter le pouvoir à mains nues, comme il y a vingt ansLe 9 avril 1989, à Tbilissi, les chars soviétiques écrasaient dans le sang une manifestation indépendantiste. Et le 9 avril prochain, l’opposition appelle à commémorer cet épisode, en exigeant le départ du président Saakachvili.

SAKARTVELOS RESPOUBLIKATbilissi

Partira ? Partira pas ?” Telleune jeune fille amoureuseeffeuillant une margueritepour savoir si elle est aimée,

la Géorgie tout entière scrute la boulede cristal pour savoir si Mikheïl Saa-kachvili partira enfin [volontairementet pacifiquement]. Comment unhomme ayant obtenu 99 % des voixlors de sa première élection, en 2004[à la suite de la “révolution des roses”,en novembre 2003], a-t-il ainsi puperdre totalement sa popularité etdécevoir de si immenses espoirs ?

Le 9 avril 1989, l’armée soviétiqueréprimait violemment les manifesta-tions indépendantistes à Tbilissi, fai-sant plusieurs morts et des dizainesde blessés. Vingt ans après, notre paysest toujours en quête de liberté et seprépare à un nouveau 9 avril [à l’ini-tiative de l’opposition, qui appelle àdes manifestations antigouverne-mentales massives et exige le départvolontaire du président]. Nous ensommes donc au même point qu’ily a vingt ans.

LE PEUPLE NE VEUT NI PAIN, NI TRAVAIL, IL VEUT LA LIBERTÉ

Pouvait-on seulement imaginer il y avingt ans que ce peuple géorgien au“cœur de lion”, qui avait osé s’oppo-ser à mains nues aux chars soviétiques,serait ainsi bafoué et méprisé par sonpropre gouvernement ? Pouvait-onimaginer que l’homme ayant prêté ser-ment sur la tombe de David Arma-chenebeli [grand roi géorgien duXIIe siècle, surnommé “le Bâtisseur”]serait traité d’“assassin” par toutes cesmères qui ont perdu leurs fils [lors du

conflit russo-géorgien d’août 2008] ?Que les scientifiques et l’intelligentsiale qualifieraient de “destructeur” de laculture, les propriétaires d’“expro-priateur”, les journalistes d’“ennemi”de la liberté d’expression ? Qui auraitpu croire que nos prisons seraient sur-peuplées de “voleurs” dont le crime serésume au fait d’avoir subtilisé de lanourriture ou des objets sans valeurjuste pour survivre ? Qui aurait puimaginer que des bombes tomberaientà [proximité de la capitale] Tbilissi [enaoût 2008] ? Et que notre “chef desarmées” déguerpirait au son des avionsrusses [laissant Bernard Kouchner,

son invité, seul dans les rues de Gori] ?Le peuple est au bout du rouleau.

Les gens n’exigent plus ni pain, ni tra-vail, et se moquent des crédits “paschers”. Ce qu’ils veulent, c’est la liberté.La liberté qui apportera au pays jus-tice, unité et bien-être. En vingt ans,la vision du monde des Géorgiens aévolué. Ils n’admettent plus qu’unquelconque pouvoir exerce sa violencesur eux. La société géorgienne ne sou-haite pas être complice de sa propredésintégration, de la perte de sadignité, de la mort de ses enfants, del’expropriation de ses biens, de l’émiet-tement de son territoire [l’indépen-

dance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie a été reconnue par Mos-cou le 26 août 2008]. Les Géorgiensne veulent plus être réduits à des voixélectorales. Le peuple sait qu’il est lasource du pouvoir, et que ce dernierdoit se plier à la volonté du peuple. Lepeuple ne veut pas d’un pouvoir quin’entende pas ce cri du cœur collec-tif : “Va-t’en !” Si ce “va-t’en” n’estpas compris [par le président], il setransformera en un “va te faire voir” !Notre société a soif de liberté. Ainsi,vingt ans après, nous devrons une foisde plus avoir un “cœur de lion”.

Gotcha Mirtskhoulava

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 17 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

europe

POLICE Opérations d’intimidation

Le 23 mars, les forces spécialesgéorgiennes ont arrêté une

dizaine d’activistes du Mouvementdémocratique Géorgie unie, accusésde détention illégale d’armes,informe le journal en ligne GeorgianTimes. Le mouvement a été fondé en2008 par Nino Bourdjanadzé, ancienbras droit de Mikheïl Saakachvili etex-présidente du Parlement, passéeà l’opposition et affichant des ambi-tions présidentielles.Depuis plusieurs jours, la télévisiond’Etat montre une “série télévisée[mensongère], filmée sans doute dansles studios du ministère de l’Intérieursur les ‘conciliabules’ des ‘complo-teurs’”, écrit le journal russe Izvestia.De quoi susciter l’écœurement del’époux de Bourdjanadzé, Badri Bit-sadzé, ex-chef de la police douanière,soupçonné pour sa part de préparerdes détachements paramilitaires pour

le 9 avril. Menacé d’arrestation, ildégaine : “Je connais bien ce salopardde Saakachvili, depuis son enfance. Jedevrais être fusillé pour l’avoir soutenu !”D’autres formations d’opposition sonten ligne de mire. Des partisans deZourab Nogaïdeli, ex-Premier ministre,ont été arrêtés, accusés de “détentionet trafic de drogues”, informe le jour-nal russe Nezavissimaïa Gazeta. Deuxactivistes du mouvement Sauver laGéorgie, accusés de “tentative deputsch et de préparation d’actes ter-roristes”, croupissent également enprison.Bien que tout le monde en Géorgieappelle au calme, le risque de débor-dements est bien réel. Pour l’éviter,Mathias Yorsh, rapporteur pour la Géor-gie de l’Assemblée parlementaire duConseil de l’Europe, a proposé à Tbi-lissi de créer un groupe d’observa-teurs-médiateurs étrangers.

RUSSIE

Le nouveau séparatisme russeLe Kremlin tente d’étouffer le mécontentement qui monte à l’encontre du pouvoir central dans les grandes villes côtières.

L’hostilité à l’égard de Moscou est entrain de grandir dans les régions deRussie. Et, contrairement à la

“parade des souverainetés” des années 1990,ce “nouveau séparatisme” n’émane pas desrépubliques ethniques [non russes] de laFédération, mais de régions majoritairementpeuplées de Russes. Et ce sont les villes por-tuaires qui relaient cette protestation. Larébellion y prend différentes formes : desimples manifestations aux émeutes, en pas-sant par le vote contre les “candidats duKremlin” lors des élections locales.

Ce sont les habitants de l’Extrême-Orient russe qui ont lancé cette frondecontre Moscou, en janvier et février. Aprèsles revendications purement économiques(contre l’augmentation des taxes douanièressur les voitures d’importation japonaises),les organisateurs des manifestations ont très

vite exigé la démission du gouvernement.Pis, lors de plusieurs grands rassemblements,certains participants, très remontés, ont lancél’idée de créer une république indépendantede l’Extrême-Orient.

Au mois de mars, à Mourmansk[grande ville portuaire de l’extrémité nord-ouest de la Russie, presqu’île de Kola], Ser-gueï Soubbotine, candidat “local”, a rem-porté les élections municipales, écrasantl’“homme du Kremlin”, Mikhaïl Savt-chenko. Soubbotine, qui avait pour slo-gan “Moscou, arrête de nous donner desleçons, nous ne sommes pas des serfs”, arecueilli 60 % des voix (contre 35 % seu-lement pour Savtchenko). Naturellement,ces démonstrations publiques de grognecontre Moscou ont un rapport étroit avec lesprises de position des élites régionales. Lerefus des officiels du Primorié [Extrême-

Orient] et de la région de Mourmansk d’ap-puyer et de “couvrir” les décisions de Mos-cou ont permis à des idées séparatistesjusque-là clandestines, portées par des “extré-mistes”, de jaillir au grand jour médiatiqueet politique. La réaction du Kremlin à cette“trahison de classe” des administrationslocales était prévisible, et elle a été logique :écrasement par la force des manifestationsau Primorié et limogeage du gouverneur dela région de Mourmansk, Iouri Evdokimov,le 21 mars – en laissant s’exprimer librementles désirs séparatistes dans sa capitale régio-nale, il avait signé son arrêt de mort.

Vu l’ampleur de la nouvelle campagneque Moscou vient de lancer contre la cor-ruption dans les régions, les fonctionnaireslocaux devraient se montrer plus loyaux.Mais les techniques de lutte contre la cor-ruption seront impuissantes à juguler les

velléités croissantes de séparatisme. Il fautplutôt s’attendre à ce que l’agitation anti-Moscou se répande dans les villes por-tuaires, et peut-être à ce qu’elle prenne desformes plus organisées à mesure que lacrise socio-économique s’aggravera.Comme l’a montré l’exemple de Solidaritédans la Pologne des années 1980, un mou-vement protestataire né dans un grand portpeut, s’il est habilement structuré, débou-cher sur une modernisation politique natio-nale, voire forger une nouvelle élite. Il nefaut pas non plus exclure que les velléitéscontestataires de la Russie côtière s’éten-dent, si les conditions sont réunies, à laRussie des terres. Le nouveau séparatismerusse trouvera sans aucun doute de nom-breux partisans dans l’intérieur du pays.

Andreï Serenko, Nezavissimaïa Gazeta(extraits), Moscou

▲ Dessin de Peter Tillparu dans The Guardian,Londres.

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NEWSWEEK (extraits)New York

Le président Obama souhaiteréformer l’école publique etaugmenter de façon sub-stantielle les dépenses fédé-

rales pour l’éducation. Mais quandl’un de nos journalistes a récemmenttenté de joindre le bureau du ministrede l’Education, Arne Duncan, le télé-phone a sonné pendant deux bonnesminutes avant que quelqu’un daignedécrocher. La personne au bout dufil a fait remarquer que répondre autéléphone ne faisait pas partie de sesattributions, ajoutant enguise d’excuse : “Voussavez, il y a beaucoup debureaux vides ici.”

Arne Duncan n’estpas le seul ministre à se sentir seul dansses meubles. Son homologue desFinances, Timothy Geithner, proba-blement le membre du gouvernementle plus débordé, voire dépassé en cettepériode de crise, travaille au milieud’une dizaine de bureaux inoccupés.Geithner est pour l’instant entouré detrois survivants de l’administrationBush et de divers hauts conseillers dontles nominations n’ont pas eu besoind’être approuvées par le Sénat. Dansces circonstances, comment s’étonnerqu’il ait pu passer à côté du scandaledes primes versées par l’assureur AIG.De l’autre côté de l’Atlantique, le

secrétaire général du gouvernementbritannique, sir Gus O’Donnell, aexprimé sa frustration devant l’inca-pacité du ministère des Finances amé-ricain à répondre à ses appels télé-phoniques alors qu’il préparait lesommet du G20 pour sauver le système bancaire mondial. “Il n’y a per-sonne là-bas”, a-t-il confié à des jour-nalistes qui se sont empressés d’ébrui-ter la nouvelle. “Vous n’avez pas idéeà quel point c’est difficile.”

Le candidat Obama voulaitapporter du changement à Washing-

ton. Pour lutter contre la bonne vieilletradition des renvois d’ascenseur, il apar exemple décrété que les postesgouvernementaux ne serviraient plusde tremplin vers des activités de lob-bying plus rémunératrices.

“L’ESPOIR” EST CONFRONTÉ À LA RÉALITÉ

Les candidatures n’ont cependantpas manqué pour former la nouvelleéquipe : Obama en a reçu plus de300 000 pour occuper quelque3 300 postes vacants. Mais sur les373 plus hauts postes requérant l’ap-probation du Sénat, seuls 43 ont étéattribués à ce jour. La procédured’examen des candidatures, parti-culièrement pointilleuse, a écarté oudécouragé des personnalités parailleurs brillantes, comme TomDaschle, pressenti pour mener à bienla réforme du système de santé.

En pleine tempête financière, lerecrutement du personnel du minis-tère des Finances a été particulière-ment problématique. Selon une sourcepréférant garder l’anonymat pour s’ex-primer sur un sujet aussi sensible, lacommission des finances du Sénat n’apas hésité à rejeter plusieurs candida-tures à de hauts postes en raison d’ir-régularités fiscales. Voilà qui n’était pasprévu : afin de satisfaire aux exigencesde l’opinion publique et de former ungouvernement d’hommes irrépro-chables, les élus prennent le risque de

repousser une possible sortie de crise.A certains égards, cette situation aquelque chose de tristement familier.C’est ce qui arrive quand “l’espoir”est confronté à la réalité, ou du moinsquand la mise en œuvre de la volontéd’un réformateur est confiée à desjuristes. Le questionnaire pour les can-didats aux plus hautes fonctions gou-vernementales compte à présent unecentaine de pages.

Difficile de dire quand les chosesont commencé à dégénérer. Certainsremontent à la nomination de JohnTower, le premier choix de Bush pèreau poste de ministre de la Défense,qui avait vu le portefeuille lui échap-per à cause de son penchant pour laboisson et pour les femmes. D’autres rappellent le cas de Zoe Baird, pres-sentie au poste de ministre de la Jus-tice par Bill Clinton : elle avait étéécartée pour avoir omis de déclarersa nourrice et de vérifier la situationde celle-ci auprès des services del’immigration.

Les représentants du gouverne-ment soulignent néanmoins qu’ils sontencore en avance par rapport auxadministrations précédentes pour cequi est des nominations. Il avait fallu194 jours à Ronald Reagan, 163 àGeorge Bush père, 267 à Bill Clintonet 242 à George W. Bush pour réussirà attribuer tous les postes requérantl’approbation du Sénat.

Evan Thomas et John Barry

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 18 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

amériques ●

ÉTATS-UNIS

Hillary Clinton fait amende honorableEn voyage officiel au Mexique, la secrétaire d’Etat américaine a reconnu pour la première fois que son pays était en partieresponsable des violences qui accompagnent les trafics de drogue en Amérique latine.

THE WASHINGTON POSTWashington

Mercredi dernier, au Mexique, lasecrétaire d’Etat américaine,Hillary Clinton, a fait son mea

culpa au nom de son gouvernement enreconnaissant l’échec des politiques anti-drogue mises en œuvre par les Etats-Unisdepuis des dizaines d’années, ainsi que leurcontribution à la flambée de violence quiensanglante le Mexique et d’autres payslatino-américains.

“De toute évidence, les mesures que nousavons prises ont été un échec”, a-t-elle déclarédans l’avion qui l’amenait pour une visitede deux jours. Selon elle, les politiques amé-ricaines visant à réduire la consommationde drogue et à lutter contre le trafic de stu-péfiants et la contrebande d’armes ont étéinefficaces.“Notre demande insatiable en pro-duits stupéfiants illégaux alimente le trafic, a-t-elle poursuivi. Notre incapacité à empêcher

la contrebande d’armes à destination de ces cri-minels cause la mort de policiers, de militaireset de civils.” Hillary Clinton est allée plus loinque tout autre représentant du gouverne-ment américain ces dernières années enreconnaissant la part de responsabilité desEtats-Unis dans l’épineux problème du tra-fic de drogue en Amérique latine. Par lepassé, bon nombre de dirigeants politiquesaméricains ont accusé de laxisme le gou-vernement du Mexique, pays par lequeltransite l’essentiel de la cocaïne et de l’hé-roïne vendues aux Etats-Unis. Il y a deuxans, le président Felipe Calderón a lancéune offensive militaire contre les trafiquantset provoqué en retour une explosion de vio-lence de la part des cartels. Depuis jan-vier 2008, les affrontements entre les gangsde trafiquants et les autorités ont ainsi coûtéla vie à plus de 7 000 Mexicains.

Particulièrement sensibles aux com-mentaires de leur riche voisin du nord, lesMexicains ont fait part de leur indignation

il y a quelques semaines après que le com-mandement des forces interarmées améri-caines ainsi que plusieurs hauts responsablesont laissé entendre que les autorités mexi-caines étaient en passe de perdre le contrôlede certaines parties de leur territoire.

La secrétaire d’Etat américaine s’estefforcée d’apaiser la colère des Mexicainsen vantant le “courage” du président Calderón et en annonçant un plan de66 millions de dollars pour financer la livrai-son d’hélicoptères supplémentaires auxforces de police mexicaines. Hillary Clintona également évoqué des mesures pourmettre fin au trafic d’armes à la frontière, eta reconnu que les cartels mexicains pros-péraient grâce aux profits qu’ils réalisent auxEtats-Unis (estimés entre 15 et 25 milliardsde dollars par an). Les responsables mexi-cains ont toutefois indiqué qu’ils attendaientun plus grand engagement des Etats-Unis.L’administration Obama s’efforce à présentde mettre en place une stratégie régionale

permettant d’éviter que les trafiquants chas-sés d’un pays se contentent de déménagerleurs activités dans un autre. Rappelons quec’est notamment parce que les filières d’ap-provisionnement de la cocaïne colombiennene peuvent plus passer par les Caraïbes quele Mexique est aujourd’hui devenu uneplaque tournante de ce trafic.

La visite de Hillary Clinton est interve-nue alors que plusieurs grandes nationsd’Amérique latine ont demandé aux Etats-Unis de revoir leur politique de lutte contrela drogue. Le mois dernier, les anciens pré-sidents du Brésil, de la Colombie et duMexique ont invité les autorités américainesà légaliser la consommation de marijuanapour concentrer davantage leurs efforts surle traitement de la toxicomanie [voir CIn° 959]. Obama a rappelé qu’il était favo-rable à l’augmentation du nombre de centresde désintoxication, sans toutefois approu-ver l’idée d’une dépénalisation de la marijuana. Mary Beth Sheridan

▲ Dessin de DavidWhittle paru dansThe Independent,Londres.

ÉTATS-UNIS

Obama peine à peupler ses ministèresAlors que la crise fait rage et que les dossiers urgents s’accumulent, les nouvelles règles d’éthique mises en placepar le président entravent la nomination de plusieurs centaines de hauts fonctionnaires.

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THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

Début mars, un juré quiparticipait à un grandprocès fédéral sur uneaffaire de drogue en Flo-

ride a avoué au juge qu’il avait fait desrecherches sur l’affaire sur Internet,violant ainsi directement les instruc-tions du magistrat et des siècles derègles de procédure pénale. Quand lejuge a interrogé le reste du jury, il aeu un choc encore plus grand. Huitautres jurés avaient fait de même. Lejuge William J. Zloch n’a eu d’autrechoix que d’annuler le procès pourvice de procédure. Huit semaines detravail perdues pour l’accusation etpour les avocats de la défense.“Nousavons été sciés”, confie Peter Raben,l’un de ces derniers, à qui le jury avaitdéclaré qu’il était sur le point degagner. “C’est la première fois que latechnologie moderne nous touche de cettefaçon et ça a été un vrai coup sur la tête.”

On pourrait parler d’annulationpour cause de Google. En collec-tant et en envoyant des informa-tions sur Internet sur l’affaire qu’ilsdoivent juger, les jurés sèment lechaos, provoquant de nombreusessuspensions de délibérations et ren-dant les juges furieux. Début mars,Stoam Holdings, une entreprise dematériaux de construction, a demandéà un tribunal de l’Arkansas de reve-nir sur le jugement qui la condamnaità verser 12,6 millions de dollars endéclarant qu’un des jurés avait posté,pendant les débats, des commentairessur le procès sur Twitter [voir CIn° 959, du 12 mars 2009]. Le 16 mars,les avocats de Vincent J. Fumo, unancien membre du sénat de l’Etat dePennsylvanie jugé pour corruptiondevant un tribunal fédéral, ont exigéune annulation du procès avant le ver-dict parce qu’un juré postait des com-mentaires sur les débats sur Twitteret Facebook. L’intéressé avait mêmedéclaré sur Internet qu’il aurait“une grande nouvelle à annoncer” le18 mars. Le juge a tout de mêmeordonné la poursuite des débats et lejury a déclaré M. Fumo coupable. Ladéfense compte aujourd’hui invoquerces communications sur Internetpour faire appel.

Les jurés ne sont pas censésrechercher des informations hors dela salle d’audience. Ils doivent par-venir à un verdict en se fondant uni-quement sur les faits considéréscomme recevables par le juge et n’ontpas à prendre en compte les preuvesqui ont été exclues car considéréescomme préjudiciables. Or ils peuventaujourd’hui chercher le nom d’undéfendeur sur la Toile ou examinerun carrefour grâce à des sites commeGoogle Maps avec leur téléphoneportable, ce qui viole les règles com-plexes de l’administration de lapreuve. Tout comme ils peuvent

raconter à leurs amis ce quise passe dans la salle des jurés alorsqu’ils sont censés garder leur opinionet les délibérations secrètes.

LES BLOGS DES JURÉS SONT PASSÉS AU PEIGNE FIN

Un juré peut découvrir beaucoup d’in-formations relatives à une affaire pen-dant qu’il fait une pause pour déjeu-ner ou aller aux toilettes. Wikipédia luiexpliquera la technique qui sous-tendune demande de brevet ou le rensei-gnera sur une pathologie, Google Mapslui indiquera combien de temps il fautpour se rendre du point A au point Bet les sites d’information peuvent par-ler de l’accusé, de ses avocats ou desexperts appelés à témoigner devantle tribunal. “C’est vraiment impossible à

contrôler”, confie DouglasL. Keene, qui présidel’American Society of Trial

Consultants, un cabinet deconsultants juridiques.

Il y a longtemps que les juges ontamendé leurs avertissements habi-

tuels sur la recherche d’infor-mations pendant les procèspour y inclure les recherches

sur Internet. Mais mainte-nant que les jurés peu-vent accéder à la Toileà partir d’un simpletéléphone portable, lerisque est plus immé-diat – et instinctif. Lesavocats étudient désor-

mais les blogs et les sitesInternet des jurés pressentis. Les jurés

pensent peut-être contribuer àl’administration de la jus-

tice en creusant uneaffaire plus avant,

indique M. Keene, “il y a des gens quipensent qu’ils ne peuvent pas servir la jus-tice s’ils ne trouvent pas la réponse à cer-taines questions”. Or les règles de l’ad-ministration de la preuve, qui se sontdéveloppées au cours de siècles dejurisprudence, sont là pour faire ensorte que les éléments présentés au juryaient été étudiés et débattus par lesdeux parties, explique Olin Guy Well-born III, professeur de droit à l’uni-versité du Texas, “c’est ce qui est for-midable dans le système accusatoire. Onperd tout cela si les jurés prennent eux-mêmes les choses en main.”

Il n’existe pas encore de statistiquesofficielles des procès perturbés par lesrecherches sur Internet mais leur

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 20 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

amériques

▲ Dessin de Nikol,Allemagne

nombre va sûrement augmenter avecla généralisation des téléphones por-tables munis d’un accès au web. Cer-tains tribunaux commencent à inter-dire aux jurés d’utiliser leur téléphoneportable à l’intérieur du palais de jus-tice, d’autres vont jusqu’à confisquerles appareils pendant la journée,mais ce n’est pas la majorité, confieM. Keene. Et il n’est pas interdit d’uti-liser son ordinateur à la maison, saufsi le jury est tenu à l’isolement. Et lesinformations qui sortent du box desjurés peuvent être tout aussi gênantesque celles qui y entrent : les jurés quiont l’habitude de poster sur la Toile descommentaires réguliers sur leur viequotidienne risquent de se trouver enconflit avec la loi.

Dans l’affaire de l’Arkansas, l’en-treprise Stoam Holding déclare qu’unjuré nommé Johnathan Powell aenvoyé des messages sur Twitter pen-dant le procès. On pouvait y lire entreautres : “Oh, et n’achetez pas Stoam[le produit commercialisé par l’entre-prise]. Ils sont mal partis et ils vont pro-bablement cesser d’exister maintenantque leur portefeuille a été allégé de12 millions de dollars.”

M. Powell, 29 ans, gérant d’unlaboratoire photo dans un supermar-ché Wal-Mart de Fayetteville, dans l’Arkansas, souligne pour sa part qu’iln’a envoyé aucun message substantielsur l’affaire avant l’adoption du juge-ment et qu’il était alors libéré de l’obli-gation de ne rien dire sur l’affaire.“C’était fini quand j’ai commencé à par-ler du procès. Ils peuvent toujours venirvérifier mes relevés téléphoniques.”

John Schwartz

FRONTIÈRE Chasseurs de clandestins en lignePour lutter contre l’immigration clandestine et les trafics, les autorités ont installé descaméras le long de la frontière mexico-texane.Ce sont des volontaires connectés au Net qui ont la charge de cette surveillance.

Les Etats-Unis possèdent désormais unearme improbable dans la lutte qu’ils

mènent contre le trafic de drogue et l’immi-gration clandestine à la frontière avec leMexique : les clients des pubs australiens.Ces buveurs de bière sont l’élément le plusexotique de la vaste armée de soldats high-tech recrutés pour contribuer à la protectionde la frontière. Toute personne possédant unaccès à Internet peut désormais patrouillerle long de cette frontière de 2 000 kilomètresgrâce à un réseau de webcams. Une foisconnectés, les volontaires passent des heuresà scruter le paysage et sont priés de contac-ter les autorités par courriel quand ils aper-çoivent des individus, des véhicules ou desbateaux en provenance du Mexique se diri-geant vers les Etats-Unis.Plus de 100 000 internautes se sont engagésen ligne dans cette police des frontières virtuelle, selon l’appellation de Ron Reay, le

directeur de la Texas Border Sheriff’s Coalition,une organisation qui réunit vingt comtés oùl’immigration clandestine et le trafic d’armeset de drogue sont florissants. “On a reçu descourriels qui disaient en bon australien : ‘Salut,mon pote. On vous surveille la frontière depuisle pub en Australie’”, explique-t-il. Les quinzepremières caméras de ce réseau qui en comp-tera 2 000 ont commencé à fonctionner ennovembre 2008. Depuis, les autorités affir-ment que les signalements envoyés ont per-mis de saisir plus de 907 kilos de marijuanaet d’intervenir une trentaine de fois pour ren-voyer des candidats à l’immigration clandes-tine. Certains de ces renseignements venaientd’Europe, d’Asie et de plus loin encore, maisla plupart des guetteurs en ligne résident auTexas, au Nouveau-Mexique et en Arizona, troisdes quatre Etats des Etats-Unis qui ont unefrontière commune avec le Mexique.Les caméras sont installées sur des terrainsprivés sur des lieux fréquentés par les immi-grés clandestins et les trafiquants de drogue.Elles ont été achetées grâce à une allocationde l’Etat de 2 millions de dollars. Ces fondsfinancent également le site Internet du projet,une entreprise mixte qui est dirigée par la

société de réseau social BlueServo. Pour sesadversaires, ce projet est la “frontière Googleparfaite” et les caméras n’ont pas vraimentd’effet dissuasif. “Pour assurer la sécurité desfrontières, il faut des professionnels entraînés,pas les clients des pubs de Perth”, estime EliotShapleigh, un membre du sénat du Texas quiréside à El Paso. Le projet n’a, selon lui, per-mis que quelques arrestations. “Il ne sert abso-lument pas les objectifs de sécurité mis enavant par le gouverneur, il courtise les extré-mistes à des fins politiques et, avec deux arres-tations seulement, ce n’est pas un moyen effi-cace de dépenser 2 millions de dollars.” EliotShapleigh et ses camarades du Parti démo-crate comptent s’opposer au renouvellementdu financement de ce système dans le cou-rant de l’année.Pour Bob Parker, en revanche, un garde-côteà la retraite qui passe jusqu’à huit heures parjour à surveiller le Mexique depuis son ordi-nateur, il est important de garder un œil surla frontière. “C’est un pays de sauvages là-bas,avec toute cette violence liée à la drogue. Cen’est qu’une question de temps avant que toutça arrive ici.”

Richard Luscombe, The Guardian, Londres

ÉTATS-UNIS

Internet fait dérailler la justiceDe plus en plus de jurés utilisent le Net pour des recherches sur des affaires en cours de jugement ou pour communiquer pendant les audiences. De quoi faire annuler certains procès.

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ET POURTANTELLE TOURNE

18h15Bruno Duvic

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GUATEMALA

Grand ménage sur le marché de l’adoptionDevant l’ampleur du trafic d’enfants qui sévit dans le pays, le gouvernement a choisi de mettre de l’ordre. Un changement d’attitude qui complique la vie de milliers de familles américaines en quête d’un bébé.

EL NUEVO HERALDMiami

Comme des mi l l ie r s decouples américains, lesHemsley sont venus auGuatemala dans l’espoir

d’adopter un bébé. Ils ont versé15 500 dollars [11 400 euros] à uneagence américaine qui leur a promisune adoption sans complications. Mais,début 2008, les autorités guatémal-tèques ont mis en place un assainisse-ment du système d’adoption. Aprèsl’élection du président Alvaro Colom,en novembre 2007, le gouvernementa ratifié la convention de La Haye surl’adoption internationale et créé leConseil national des adoptions, chargéde vérifier si les bébés donnés en adop-tion étaient remis avec le consentementdes mères biologiques. Jusqu’à cettedate, les adoptions au Guatemalaétaient presque devenues une indus-trie, générant plus de 100 millions dedollars par an, uniquement gérée pardes avocats, sans contrôle de l’Etat.Pour satisfaire l’énorme demande, lesenlèvements d’enfants, ainsi que la cor-ruption et la fraude n’étaient pas rares.

DES PRÉLÈVEMENTS ADN SONT FALSIFIÉS

La plupart des Américains ayant uneprocédure d’adoption en cours ontcherché à clore rapidement leur dos-sier avant l’entrée en vigueur du nou-veau système. Mais Jennifer Hemsleya fait ce que, selon le Conseil nationaldes adoptions, personne n’avait jamaisfait auparavant, en refusant de fermerles yeux sur les soupçons qu’elle avaitconcernant l’identité de sa fille adop-tive. Elle a interrompu les démarchesd’adoption de la petite María EugeniaMax, rebaptisée Hazel. Elle est res-tée au Guatemala pendant six mois,a dépensé des milliers de dollars et s’estbattue pour parvenir à placer sa fillesous la protection d’un juge. Toutefois,sa décision risque de lui être préjudi-ciable car, dans tous les cas, la nouvelleloi privilégie la famille naturelle de l’en-fant, puis les couples guatémaltèques.

“C’est une situation absurde, Hazelme manque beaucoup… Mais nousn’avions pas le choix. Nous avons agicomme n’importe quel parent l’aurait fait.

Nous avons privilégié l’intérêt de notreenfant avant le nôtre”, explique Jen-nifer Hemsley. Depuis le début de laprocédure d’adoption, les Hemsleyavaient des raisons d’être méfiants.Mais la goutte qui a fait déborder levase, c’est le rapport du laboratoireprétendant que les prélèvementsd’ADN avaient été réalisés un jouroù ils avaient passé la journée entièreavec la petite Hazel. Quand ils ontévoqué la question devant leur avo-cat au Guatemala, il leur a rétorqué :“Ne vous inquiétez pas. Vous voulezadopter cette enfant, oui ou non ?” Lesrépercussions de cette affaire dépas-sent largement le cadre de cette adop-tion. Car les rapports des laboratoiresADN ont été validés par l’ambassadedes Etats-Unis au Guatemala. Cesprélèvements permettent de fournirla preuve du lien de parenté entrel’enfant et sa mère biologique. Cetteprocédure était censée empêcher lesenlèvements d’enfants. Certainespreuves ADN peuvent ainsi être fal-sifiées sans que personne y trouve à

redire, mais des milliers d’adoptionsdéjà effectuées pourraient être remisesen cause à la lumière de ce trafic. Onpourrait ainsi découvrir d’autres cas,comme celui d’Ester Sulamita, uneenfant volée à sa mère sous la menaced’un revolver et ensuite présentée auxagences d’adoption.

70 000 DOLLARS POUR RESTERPLUSIEURS MOIS AVEC L’ENFANT

La facilité et la rapidité des adoptionsau Guatemala ont fait de ce pays de13 millions d’habitants le deuxièmefournisseur d’enfants adoptés pourles Etats-Unis, après la Chine [31 %des enfants adoptés par les Améri-cains proviennent d’Asie et 21 % duGuatemala, selon les statistiques de2006]. Depuis août 2007, date àlaquelle la police a fait une descentedans une maison d’adoption à l’ex-cellente réputation, de nombreux casde fraude, de falsification de docu-ments et d’enlèvements d’enfants ontété découverts. Au moins 25 cas pré-sentaient des anomalies si graves quele parquet a ouvert une enquête. Desmilliers de procédures d’adoptione n c o u r s – ce l le des Hemsleyincluse – ont été gelées en 2008, letemps que le Conseil national desadoptions rencontre les mères biolo-giques. Sur les 3 032 dossiers, un mil-lier de cas ont été rejetés parce queles mères ne se sont jamais présen-tées. Par manque de personnel et demoyens, le Conseil n’a pas procédé àde nouvelles vérifications ADN.

La justice guatémaltèque a ouvertun dossier afin de déterminer la véri-table identité de Hazel, et elle enquêteactuellement sur les personnes qui ontfalsifié les preuves ADN. “Quand jetombe sur un cas comme celui-ci, je suisheureux de m’apercevoir qu’il existe encoredes gens qui ont des principes”, affirmeJaime Tecú, le directeur du Conseilnational des adoptions. Quand lesHemsley ont entamé les démarchespour adopter Hazel, en juin 2007, l’an-cien système corrompu était encoreen vigueur. “Lorsque nous l’avons prisedans nos bras, ce fut magique. Nous avonsressenti quelque chose d’indescriptible”,se souvient Jennifer Hemsley. Lecouple a commencé à avoir des soup-çons lorsqu’on leur a dit qu’il n’était

pas possible de revoir la mère biolo-gique de l’enfant, une femme présentelors de la première rencontre entreHazel et les Hemsley, et qui n’avaitmontré “aucun sentiment à l’égard del’enfant”, poursuit Jennifer. En outre,les documents médicaux qui leuravaient été envoyés ne portaient ni en-tête ni signature du médecin. Plus tard,lors d’un rendez-vous avec l’assistantesociale, les personnes qui s’occupaientde l’adoption au Guatemala ont essayéde faire passer une inconnue pour lamère de l’enfant.

“Peut-être aurions-nous dû faire sem-blant de ne rien voir pour poursuivre lesdémarches ?” Jennifer Hemsley recon-naît s’être posé la question, puisque“apparemment tout le monde s’enfichait”. “Pourtant, ajoute-t-elle, je nepouvais pas. Je ne pouvais tout bonne-ment pas faire une chose pareille.” L’avo-cat qui s’est occupé de leur dossier,Ricardo Ordoñez, nie avoir commisla moindre faute. Et il assure que toutse résoudra avec de nouveaux prélè-vements ADN. Les Hemsley auraientpu abandonner les démarches commedes centaines d’autres couples amé-ricains qui ont rencontré des pro-blèmes pour adopter un enfant auGuatemala. Mais alors Hazel auraitété placée dans un orphelinat ouaurait été proposée à l’adoption sousune nouvelle identité. Jennifer a doncchoisi de rester au Guatemala avecl’enfant pendant des mois. Elle adépensé plus de 70 000 dollars enavocats, frais de séjour et billetsd’avion. Elle s’est battue pour faireavancer l’adoption, mais elle a fini pardemander l’aide du Conseil nationaldes adoptions. Début novembre 2008,elle s’est rendue au Guatemala pourrencontrer les membres du Conseil etrendre visite à Hazel dans l’orpheli-nat où elle a été placée. L’enfant por-tait des plaies au menton et une bles-sure à la tête. Jennifer Hemsley étaitbouleversée. Après une audienceauprès du juge des mineurs, elle aréussi à faire transférer Hazel dans unautre orphelinat où elle sera mieuxtraitée, espère-t-elle. “Je pense à elletous les jours… C’est une situation hor-rible. Pour les mères auxquelles on enlèveles bébés et pour les familles adoptives.”

Juan Carlos Llorca

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amériques

■ OrphelinsLe gouvernement du Guatemala areconnu, le 23 mars,qu’il détenait despreuves indiquantque des orphelins de la guerre civileavaient été proposésà des famillesétrangères – en majoritéaméricaines – en vued’une adoption,plutôt qu’on s’efforcede retrouver leurs proches. Une enquête est en cours, dont les conclusionsdevraient êtrepubliées en avril.

▲ Dessin de Jas parudans The Guardian,Londres.

FRANCE INTER : LA DIFFÉRENCE.

franceinter.com

EUROPE

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José-Manuel Lamarque et Emmanuel Moreau, les samedis à 19h30 avec Gian Paolo Accardo de Courrier International.

4/04/09 : Chypre et les effets du réchauffement climatique11/04/09 : D'A...thènes à Z, avec le festival du film francophone de Grèce.

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L’ANTI-CRISE

M A N U E L D E S U R V I E ( E T D ’ A N A L Y S E )

G20Comment la communauté internationalerêve de sauver le monde p. 24

TangageL’Islande ou le symbole de la faillite politique et morale du Nord p. 32

Flash-backEn six épisodes, la descente aux enfers de l’économiedepuis 2007 p. 44

HumanitésComment dans un avenir très proche le Sud risque d’êtreencore plus touché que les paysdéveloppés p. 50

HorizonsProphéties, initiatives,solutions : un nouveau monde plus solidaire se met en place p. 60

◀ Photos de Chema Madoz, réalisées entre 1990 et 2005. © Adagp, Paris 2009. Chema Madoz est représenté à Paris par la galerie Esther Woerdehoff.

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SOMMET

THE INDEPENDENTLondres

Le sommet de Londres est le signe d’un bas-culement dans l’équilibre du pouvoir,puisque c’est le G20, plutôt que l’élite éco-nomique traditionnelle du G7, que l’on

considère désormais comme le forum adaptéà un débat sur le changement. Le G7 a étérejoint par ce que l’on appelle les nations duBRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), dont leséconomies, prises ensemble, seront bientôt plusfortes que celles du G7. Pourtant, ce sont ceséconomies émergentes, ainsi que les pays lesplus pauvres du monde, qui ont été parmi lesplus nombreuses à être frappées de plein fouetpar la récession. Le volume mondial deséchanges a accusé un ralentissement de 25 %,et l’économie planétaire va se contracter cetteannée pour la première fois depuis 1945.

Un facteur a joué un rôle essentiel dans cephénomène : l’effondrement des crédits com-merciaux à court terme, dont dépendent 90 %des échanges entre les pays en développement.L’économie brésilienne, qui a connu une crois-sance de plus de 5 % l’an dernier, a brutale-ment fait marche arrière, affichant un reculcatastrophique de 3,6 % au dernier trimestre.Le sommet devrait s’entendre sur la créationd’un fonds de 100 milliards de dollars pourgarantir des accords de crédit à l’exportationpour les pays les plus pauvres. Une relance cru-ciale, car les échanges commerciaux sont lemoteur qui permet aux pays en développementde s’arracher à la pauvreté, comme l’ont mon-tré l’Asie du Sud-Est et la Chine.

Mais cela ne suffira pas. La Banque mon-diale a, il y a peu, révélé que 17 des membresdu G20 avaient pris des mesures protection-nistes, en dépit de leurs engagements lors deleur rencontre précédente à Washington. Il est

vital que le sommet accouche de mesuressérieuses pour contrer ces décisions.

Les dirigeants de la planète doivent parailleurs résister à la tentation d’économiser del’argent en réduisant les aides. Une commissiondes Nations unies, présidée par le Prix NobelJoseph Stiglitz, vient de prédire que la crisepourrait condamner 200 millions de per-sonnes à une misère extrême. Car les payspauvres sont les premières victimes de la chutedes ventes de marchandises. Ainsi, auBotswana, les exportations de diamants ontdégringolé de 60 %.

On a également constaté une baisse dras-tique des sommes que les Africains qui viventdans les pays riches envoient chez eux. Les éco-nomies en développement ont en outre étésévèrement touchées par les fluctuations destaux de change. Il est par conséquent essentielque le sommet pousse les pays riches à tenirtoutes les autres promesses faites à Gleneagles.[En 2005, le G8 s’était engagé à augmenterl’aide au développement de 25 milliards de dol-lars par an jusqu’en 2010 et à assurer une édu-cation de base à tous les enfants du monde.]

Le temps est enfin venu d’attaquer lesréformes des institutions internationales tellesque le Fonds monétaire international, afin queles pays émergents et en développement puis-sent mieux faire entendre leur voix. Cela estenvisageable parce que des pays comme laChine vont rechigner à débourser l’argentnécessaire à un refinancement du FMI, saufs’ils peuvent exercer une plus grande influencesur la façon dont est gérée l’institution.

Et, par-dessus tout, reste la question de l’en-vironnement. Le 27 mars, le Royal Institute ofInternational Affairs a annoncé cinq années deralentissement. C’est l’occasion d’agir contrele changement climatique, ce que le monde,jusqu’à présent, s’est soigneusement abstenude faire. En période de récession, les réduc-tions de consommation de gaz carbonique sontune évidence. Mais, quand la croissance serade retour, il faudra qu’elle se montre peu gour-mande en CO2. Ce qui demande des réformesréalistes au niveau international. Paul Vallely

Le 2 avril, les dirigeants des vingt grands pays se réunissent à Londrespour tenter d’enrayer la plus grave crise que le monde ait connuedepuis 1930. Juste avant ce G20, bien des divergences subsistaient.Notamment entre Européens et Anglo-Saxons, ou entre Nord et Sud…Et si le vrai débat se situait au niveau d’un G2, entre Chine et Etats-Unis ?

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 24 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

L’ANTICRISE Manuel de survie

Sept heures de débatspour sauver le mondeEviter que le Sud ne sombre,préparer une révolution écolo…,l’agenda du G20 est ambitieux.

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COURRIER INTERNATIONAL N° 961 25 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

THE OBSERVERLondres

Cette fois, les manifestants ne se trompentpas de cible. Par le passé, le mouvementaltermondialiste jetait par la fenêtre aussibien les excès de la finance internationale

que le libre-échange, pourtant indissociable dela croissance et de la prospérité. Plus aujour-d’hui. Les manifestations qui ont précédé l’ou-verture du G20 à Londres le 31 mars sont enphase avec une opinion qui ne cesse de serépandre, tant en Europe qu’aux Etats-Unis.Le monde a été mis à genoux par le compor-tement de ces financiers occidentaux qui conti-nuent de ne pas vouloir admettre l’étendue deleurs erreurs. En 2007 encore, Wall Street s’ac-cordait 39 milliards de dollars de primes, etdeux ans plus tard, les contribuables se retrou-vent obligés de payer l’addition, d’un montantde plusieurs milliers de milliards de dollars,sous forme de plans de relance, d’injections decapitaux et de garanties d’emprunts.

Or, encore maintenant, banquiers et finan-ciers, à AIG et ailleurs, réclament des boîtesqu’ils ont poussées à la faillite des primes etdes plans de retraites d’un montant ébourif-fant. Mais cela va changer. Certains dirigeantsd’AIG ont restitué, certes de mauvaise grâce,leurs primes. Et il est extraordinaire de voiraujourd’hui les banquiers suisses redouter devoyager à l’étranger, de peur d’être arrêtés.

Ce changement de comportement est unebonne nouvelle. Mais il en est une autre, encoremeilleure : en réaction essentiellement à l’opi-nion publique, mais aussi parce que les risquesliés à l’inaction sont évidents, les pays du G20semblent de plus en plus décidés à se reprendre.On devrait aboutir à un accord qui engendreraune nouvelle architecture régulatrice pour lafinance mondiale. D’aucuns ne veulent pas ycroire. Le sommet du G20, nous dit-on,n’aboutira qu’à une énorme déception, ildébordera de banalités et n’aura d’autre butque de maquiller les profondes fractures entrel’Europe et les Etats-Unis. De façon carica-turale, on nous dit que l’Europe souhaitedavantage de régulation, tandis que les Etats-Unis et, dans une certaine mesure, la Grande-Bretagne, restent attachés à l’économie de mar-ché et à moins de réglementations. Dans lemême temps, les Européens sont profondé-ment méfiants vis-à-vis de l’enthousiasmeanglo-saxon pour une augmentation sans freindes dépenses et des emprunts publics.

Permettez-moi de m’inscrire en faux. Sansrègles internationales, aucun système financiernational en panne ne pourra être réparé demanière efficace. Je pense que le G20, choseextraordinaire, va décider de réglementer lesfonds spéculatifs, de superviser les agences denotation et leurs pratiques professionnelles, ilva exiger que les négociations sur les marchésdérivés se déroulent dans le cadre de régle-

mentations, imposer un barème aux salaires etprimes des banques, réclamer des paradis fis-caux qu’ils fassent preuve de transparence etacceptent de fournir des informations, et mettreen place des “collèges de régulateurs” inter-nationaux.

De même, je suis impressionné par l’unitécroissante à propos du FMI. Ses ressourcesdevraient être doublées, pour passer à 500 mil-liards de dollars, et il se verrait doté de nou-veaux pouvoirs pour superviser les politiqueséconomiques nationales. Tout aussi important,on donnerait aux pays les plus pauvres unmeilleur accès aux droits de tirage spéciaux.Grâce à ces DTS, qui sont calculés sur unpanier de monnaies (dollar, yen, euro et livresterling), les pays en difficulté peuvent se pro-curer des devises fortes auprès des banquescentrales qui en possèdent. C’est cette “mon-naie” du FMI que Zhou Xiaochuan, gouver-neur de la Banque centrale de Chine, souhaitevoir nettement renforcée afin de rivaliser avecle dollar, ce qui protégerait la Chine de l’im-pact d’un effondrement potentiel de la deviseaméricaine.

Mais, en dépit de ces progrès, tout cela serapeut-être insuffisant. Les économies émergentesen Amérique latine, en Afrique, en Asie et enEurope de l’Est titubent. Des engagements plusconséquents pour relancer la demande en2010 ne suffisent pas non plus. Les nouveauxpouvoirs envisagés pour le FMI restent flous.Des banques échappant à tout contrôle conti-nueront à débaucher du personnel en per-mettant des primes d’un montant absurde.Pourtant, quiconque aurait suggéré il y a un anque l’on puisse accomplir tant de choses auraitété considéré comme un dément. Brown ne doitpas seulement réagir à la crise immédiate. Il luifaut également se montrer plus clair sur ce qu’ilentend par “capitalisme de principes” ou de res-ponsabilité. S’il est sérieux, il devra après le G20énoncer des propositions concrètes pour ex-pliquer comment les entreprises britanniquespourront renouer avec l’idée de satisfaire tous

les acteurs économiques,et pas seulement les actionnaires. Il va devoirsug gérer des moyenspour permettre aux genssimples de gérer le risqueplus raisonnablementdans leur vie, que ce soità propos de leur emploi,de leurs revenus, de leurhypothèque ou de leurretraite. C’est à lui querevient la tâche de limi-ter la hausse attenduedu chômage en Grande-Bretagne, car les rangsdes sans-emploi risquentde grossir de 2 millions

dans les deux prochaines années.Le G20 est bien le premier sommet à enre-

gistrer des progrès substantiels dans la régula-tion des finances mondiales depuis 1944. Lesmanifestants doivent persévérer. Car c’est l’opi-nion publique qui impose un tel changement.

Will Hutton

SOMMET

Un capitalisme responsable ?On prévoyait l’échec du sommet de Londres. A tort, estime The Observer. Car, pour la première foisdepuis 1944, on va vraiment réguler et réformer.

“ Si l’on ne fait rienpour aider

les pays pauvres, les marchés mondiauxchuteront à nouveau.”George Soros, financier et philanthrope américain

Gazeta Wyborcza, Varsovie

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◀ Au menu de laréunion des ministresdes Finances du G20, le 14 mars, des muffins décorés aux couleurs des vingt nations.

■ ▲ Pourl’hebdomadairelausannois, “un autre monde estpossible”, danslequel, “confrontés à la énième dérivedu capitalisme, lesgens qui travaillentet participent à la richesse de toutela communauté se mettraient autourd’une table pourréfléchir” ensemble.“Dans cettedynamique”, ajouteL’Hebdo, “la solutiondu chômage partielsemble la plusséduisante”, et elleest en train d’“êtremassivement miseen place en Suisse”,pour le plus grandbonheur – et dans l’intérêt bien compris – “des syndicalistes les plus clairvoyants,des patrons les plusaudacieux et desfonctionnaires lesplus pragmatiques”.

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L’ANTICRISE Manuel de survie

THE WASHINGTON POST Etats-Unis

La guerre est une chose trop sérieuse pourêtre confiée à des militaires, estimaitGeorges Clemenceau pendant cettegrande boucherie que fut la Première

Guerre mondiale. Aujourd’hui, l’effondre-ment de l’économie mondiale est en passede convaincre les pays d’Europe et d’Asieque la gestion du dollar est une chose tropgrave pour qu’on la confie aux Américains.Tel est le pavé dans la mare qu’ont lancé lesChinois la semaine dernière en suggérant lacréation d’une nouvelle monnaie interna-tionale de réserve qui remplacerait le dollarcomme moyen d’échange mondial. Ce bal-lon d’essai envoyé par la Chine, qui accroî-trait les prérogatives du Fonds monétaireinternational en matière d’émission de mon-naie, est une mise en demeure subtile maissensible après soixante ans de dominationet de gestion du système financier mondialpar les Américains.

Zhou Xiaochuan, le gouverneur de laBanque centrale chinoise, a décoché ses pre-mières flèches sur le site Internet de son ins-titution, appelant à uneprogressive “résorptiondes lacunes inhérentes aurecours à des monnaiesnationales fondées sur lecrédit” (en d’autres ter -mes, le dollar) pour lerèglement des dettesinternationales et laconstitution d’épargne.Sa tribune illustre l’in-quiétude de Pékin, quicraint que les gigan-tesques programmes dedépenses publiques dé c idés par BarackObama ne grignotentla valeur des 2 000 mil-liards de dollars [1 518 milliards d’euros]que détient la Chine en réserves étrangères,essentiellement en billets verts.

Mais les propos de Zhou Xiaochuan fontégalement écho à des craintes qui transpa-raissent dans les appels lancés par la Franceet par d’autres pays à un “nouveau BrettonWoods”, un nouvel accord économique etfinancier international. La tribune du res-ponsable chinois tombe à point nommé pourinciter le G20 à se pencher sur la responsa-bilité de la monnaie américaine (et donc desEtats-Unis) dans la grave récession et lestroubles qui agitent les marchés mondiaux.Le sommet du G20 constitue le premier

grand test planétaire pour Obama, son auto-rité sur la scène internationale et ses talentsde communicant. Il en aura bien besoin pourempêcher la réunion de tourner au procèsdes Etats-Unis ou du “capitalisme anglo-américain” pour crimes et égoïsme finan-ciers présumés.

Il est important de comprendre les argu-ments de l’accusation, même et surtoutquand on n’accepte pas ce procès. Les Amé -ricains sont bien moins sensibles que lesautres au rôle dominant du dollar dans lesjeux de pouvoir mondiaux ainsi que dans lecommerce. Comme le soutenait de Gaulledans les années 1960 (à la grande indigna-tion du président Lyndon Johnson), le sys-tème instauré par les accords de BrettonWoods a permis à Washington de ne faireaucun cas de la discipline monétaire impo-sée aux autres devises. Les Etats-Unis ontpu financer des déficits budgétaires chez eux(et des guerres à l’étranger) sur le dos desautres pays. Les Français n’ont jamais tiréun trait sur cette analyse, bien qu’elle aitconnu des hauts et des bas en fonction del’évolution de la situation mondiale.

Le président Nicolas Sarkozy a renou-velé cette approche l’an dernier en appelant,au niveau international, à une plus grandesurveillance des marchés financiers et dusystème de taux de change planétaire. Cemois-ci, l’Union européenne a emboîté lepas à Sarkozy en rappelant la nécessité d’uneréglementation, alors qu’Obama souhaite,quant à lui, que le G20 se concentre surde nouveaux projets de relance.

En fait, les deux camps se sont entenduspour que le sommet souligne à la fois lebesoin de davantage de relance pour cer-tains et d’un renforcement de la régulationpour tous, comme l’a expliqué FrançoisFillon lors d’une visite à Washington, lasemaine dernière. Evidemment, les détails

du compromis ne sont pas encore négociéset ce sont eux qui décideront du sort dufutur “New Deal mondial”.

Les Etats-Unis n’ont rien contre davan-tage de régulation nationale. Il suffit pours’en convaincre de considérer le dernier plande surveillance de Wall Street concocté parl’inspecteur Gadget du gouvernement, leministre des Finances, Tim Geithner. Maisla Maison-Blanche répugne à céder quelquepouvoir que ce soit sur sa vie économique àdes institutions internationales qu’elle necontrôle pas.

Elle n’est pas la seule. La France et laGrande-Bretagne se montrent éloquentesquand il s’agit de préconiser une plus grandedémocratie au sein du FMI et d’autres orga-nismes financiers internationaux. Mais ellesne proposent pas d’abandonner leur veto auConseil de sécurité des Nations unies pouraider au démarrage des réformes dans lesinstitutions mondiales. La Russie défendl’autodétermination, sauf pour les pays quine souscrivent pas aux projets du Kremlinen faveur d’un gazoduc euro-asiatique etd’un monopole énergétique. L’Egypte, laLibye et d’autres régimes nationalistes arabesfont part de leurs doutes et parlent dedouble langage, puis se bousculent pour van-ter les mérites du président du Soudan,Omar Hassan El-Béchir, inculpé de crimesde guerre, et pour le couvrir sur la questiondu Darfour.

Cette crise est le résultat de l’échec col-lectif des pouvoirs établis et émergents dela planète. Les Etats-Unis devraient ad -mettre la part que leurs excès et leur billetvert chéri ont jouée dans ce capharnaüm.Mais d’autres pays, qui réclament plus depouvoir, doivent montrer qu’ils sont prêts àl’exercer de façon responsable avant que l’onpuisse entamer une réforme exhaustive desinstitutions internationales. Jim Hoagland

Le dollar, un bouc émissaire commodeFace au fiasco mondial, Chine et Europe pointent les Etats-Unisdu doigt. Pour l’éditorialiste Jim Hoagland, ils doivent aussibalayer devant leur porte.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 26 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Le plan Obamafavorisant les énergies

propres a déjà un effet positif,constate le Los Angeles Times :les étudiants sont plus nombreux à se tourner vers les matières scientifiqueset technologiques, quiconnaissaient depuis des annéesun déclin des inscriptions.

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▲ Dessin de Designpolitie paru dans De Volkskrant,Amsterdam.

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SOMMET

THE ECONOMIST (extraits)Londres

Pour beaucoup, en Chine, la manière dontl’économie mondiale est malmenée parla tempête constitue un message revigo-rant. La montée en puissance du pays a

été spectaculaire au cours des trois dernièresdécennies. Mais elle ne s’est pas accompagnéedu phénomène qui aurait satisfait la frangeultranationaliste : un déclin concomitant del’Occident. A présent, le capitalisme est ébranlédans ses bastions traditionnels. L’Europe et leJapon, en proie à la plus grave récession depuisla guerre, ne valent même pas la peine d’êtreconsidérés comme des rivaux. Et les Etats-Unisne sont plus à l’apogée de leur superpuissance.Bien qu’en public les dirigeants chinois évitenttout triomphalisme, il semble à Pékin que laconfirmation de l’ascension mondiale de l’em-pire du Milieu est proche.

Le Premier ministre chinois, Wen Jiabao,ne s’en tient plus à la version selon laquellela Chine n’est qu’un humble intervenant dansles affaires mondiales et souhaite avant tout seconcentrer sur son propre développement éco-nomique. Il parle désormais de la Chinecomme d’une “grande puissance” et craint queles dépenses excessives des Etats-Unis déva-lorisent les 1 000 milliards de dollars qui ontété investis par les Chinois dans ce pays. Desremarques imprudentes du nouveau ministredes Finances américain selon lesquelles laChine manipulerait sa monnaie ont été écar-tées d’un revers de main comme étant ridi-cules ; une Hillary Clinton dûment repentantea été accueillie à Pékin [en février] mais avecun statut d’égale. En mars, un affrontementnaval de faible ampleur avec un navire espionaméricain en mer de Chine méridionale sembleavoir été manigancé [voir aussi pp. 80-81]. Celaétant, les Américains ont la chance de se faireremarquer, eux au moins. L’Europe, cette petitetache à l’horizon, est ignorée : un sommet del’UE a été annulé et la France est encore miseà l’index parce que Nicolas Sarkozy a osé ren-contrer le dalaï-lama.

Une idée maîtresse se propage déjà bienau-delà de la Chine : la géopolitique est en trainde prendre un caractère bipolaire. Car les Etats-Unis et la Chine sont les deux seuls acteurs quicomptent. Conclusion : les vraies affaires setraiteront non pas lors de la réunion du G20,mais lors du sommet du “G2” entre les pré-sidents Barack Obama et Hu Jintao. Cette évo-lution inquiète non seulement les Européens,qui, débarrassés de la politique unipolaire deGeorge Bush, n’ont aucune envie de la voir

remplacée par un duopole du Pacifique, maisaussi les Japonais, qui ont longtemps fait preuvede paranoïa face à leurs rivaux en Asie. Elle aen outre un impact sur Washington, où la fas-cination du Congrès pour le plus grand rivaldes Etats-Unis risque de prendre une tournureprotectionniste.

Avant de céder à la panique générale, ilserait utile de souligner que la nouvelle assu-rance de la Chine reflète à la fois sa faiblesseet sa force. Elle reste un pays pauvre confronté,comme l’a dit M. Wen, à l’année la plus diffi-cile du siècle nouveau. Les dernières estima-tions grossières des pertes d’emplois – 23 mil-lions – donnent une idée de l’ampleur duproblème. La Banque mondiale a réduit sesprévisions de croissance pour la Chine à 6,5 %en 2009. C’est un bon chiffre comparé à ceuxqui sont enregistrés presque partout ailleurs,mais beaucoup de Chinois, habitués à des tauxsupérieurs à 10 %, auront le sentiment d’êtreen récession.

La Chine est donc dans une situation plusprécaire que ne le pensent beaucoupd’Occidentaux. En fait, le monde n’est pasdevenu bipolaire et ne le deviendra peut-êtrejamais. L’UE, malgré tous ses défauts, reste lapremière économie mondiale. La populationde l’Inde dépassera par ailleurs celle de laChine. Mais cela n’ôte rien au fait que la puis-sance relative de la Chine augmente – etl’Occident et la Chine elle-même doivents’adapter à cet état de fait.

Pour M. Obama,cela exige un exerciced’équilibre difficile. Along terme, s’il n’a pasréussi à séduire la Chine(et par la même occasionl’Inde et le Brésil) pourqu’elle soit plus ferme-ment ancrée dans le sys-tème multilatéral libéralau moment où il quitterases fonctions, les histo-riens pourraient conclurequ’il aura failli à sa tâche.A court terme, il doitfaire en sorte que laChine respecte ses promesses et la répri-mander pour ses écarts :Mme Clinton aurait dûparler du Tibet et desdroits de l’homme lorsde sa visite sur place.L’ad ministration Bushavait fortement insistésur l’idée d’accueillir laChine comme “partieprenante responsable” dansle système international.

Le G20 est une oc casion de donner à laChine un rôle plus important dans la prise dedécision à l’échelle mondiale que ce n’était lecas dans les petits clubs du G7 et du G8. Maisc’est aussi une occasion pour elle de montrerqu’elle peut exercer sa nouvelle influence demanière responsable. ■

Tous les regards sont tournés vers le G2

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 27 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Pékin a appelé, le 24 mars, à l’adoption

d’une nouvelle monnaie de réserveinternationale comme alternative au dollar, par la voix du gouverneurde la Banque de Chine, Zhou Xiaochuan. Une réforme des institutions financièresinternationales pour donner plus de place aux pays en développementest également souhaitée.

03-

A la faveur de la crise, la puissancerelative de la Chine est en train de s’affirmer sur la scèneinternationale. Autant dire que la rencontre Obama-Hu constituera le temps fort du sommet de Londres.

MULTILATÉRALISME Unerelation au cœur de la crise mondialeChine et Etats-Unis doivent être au centre de la recherche d’une sortie de crise, estimentdeux responsables de la Banque mondiale.

L a Chine et les Etats-Unis doivent aujourd’huiuser de leur influence pour aider l’économie

mondiale à sortir du gouffre dans lequel elle esttombée – le plus profond depuis la GrandeDépression de 1929. Dans la situation économiqueactuelle, le modèle “dépôts chinois aux Etats-Unis,investissements américains en Chine”, qui prévaut,doit subir une révision structurelle à long terme,afin de réduire les déséquilibres et de permettreune reprise économique durable. En 2009, la crois-sance chinoise va peut-être baisser de quelquespoints par rapport aux années précédentes, et l’éco-nomie américaine va tomber dans une grave réces-sion. C’est pourquoi il est fort possible que les deuxpays basculent dans des politiques à courte vueet dans le protectionnisme. Une telle situation auraitun effet désastreux pour l’économie mondiale.L’attention de tous est aujourd’hui concentrée surle rôle de double moteur de la croissance mondialeque peuvent jouer la Chine et les Etats-Unis. Maisle retour de la croissance ne pourra pas se faire àcourt terme ; il faudra attendre au moins le milieude l’année 2010. Aussi est-il crucial que la Chineet les Etats-Unis mettent en œuvre des mesuresmacroéconomiques minutieuses.La relation économique sino-américaine est, danstoute sa complexité, au cœur de la crise mondiale.Au centre des relations économiques entre cesdeux Etats se trouve le système de change chinois.Les deux parties s’opposent sur la question desavoir si le yuan est sous-évalué. On estime [auxEtats-Unis] que cette sous-évaluation permet à laChine d’augmenter ses exportations, ce qui entraîneun déséquilibre du commerce entre les deux payset aggrave le déséquilibre mondial. Mais, dans lecontexte qui prévaut et alors que le marché actueldes devises des pays en développement est souspression, il faut reconsidérer la capacité d’une déva-luation du yuan à jouer un rôle dans le rééquilibragede la balance commerciale.Bien que les chercheurs qui étudient les relationsinternationales continuent à débattre pour savoirsi le monde a bien quitté l’ordre politique unilaté-ral de la période de l’après-guerre froide, le fait estque la Chine est peu à peu entrée au cours destrente dernières années dans l’économie mondiale,ce qui a sans nul doute entraîné le monde entierdans un ordre économique multilatéral. Les Etats-Unis et la Chine ayant les deux rôles principaux ausein de ce nouvel ordre, ils doivent prendre acti-vement part à la reprise économique mondiale.Cela leur sera bénéfique, ainsi qu’au monde entier.

Justin Lin Yifu (économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale) et Mansoor Dailami (chef de l’équipe

finances internationales à la direction de l’économie du développement de la Banque mondiale),

Caijing (extraits), Pékin

■ PologneSelon The Economist, la Pologne serait le seul pays de l’UEà ne pas entrer enrécession en 2009,même si, avec un taux de 0,7 %,on est loin des 1,7 % prévusdans le budget. En 2010,la croissancepolonaise devrait se situer autour de 2,2 %. “Notremarché intérieur est vaste etla populationdéfend son niveaude consommation”,explique MarianFilar, membre du Conseil depolitique monétaire.(Rzeczpospolita,Varsovie)

▼ Dessin de DarylCagle, Etats-Unis.

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24-27 G20:Mise en page 1 30/03/09 15:27 Page 27

Page 28: 961 Anti Crise

ensemble. Cela, les Allemands l’ont ignoré, auxdépens de leurs propres exportations. Il a falluque les Américains exigent haut et fort desmesures budgétaires de relance pour qu’AngelaMerkel devienne européenne – et organise lenon commun. Que les Européens arrivent unisau sommet du G20 n’est pas banal.

Des traditions divergentes s’y affronteront.La mémoire collective des Américains leur faitredouter avant tout une déflation et une dépres-sion semblables à celles que le pays a connuesavant la Seconde Guerre mondiale. Les Etats-Unis injectent plutôt trop d’argent que pas assezdans la crise, en s’accommodant du risque infla-tionniste. A l’opposé, les Allemands ont été mar-qués par leur expérience de l’hyperinflation, etleur crainte d’une dépréciation monétaire déter-mine le pacte de stabilité de la zone euro.

Axés sur la quête du bonheur individuel,les Etats-Unis sont taillés pour opérer debrusques changements. Leur économie est plusflexible et, lorsqu’elle s’engage sur une mau-vaise pente, l’Etat est contraint de prendre desmesures draconiennes car la faiblesse du sys-tème de protection sociale ne permet pas auxchômeurs de tenir plus d’un an ou deux.L’Allemagne et ses voisins possèdent un Etat

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 28 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

LONDRES L’UE doit revendiquer sa différencesolidaire afin de prévenir, par exemple, le dan-ger du protectionnisme ou la ruine des petitspays de l’est et du sud de la planète. Pourautant, les gouvernements ne sont pas tenusde tout régler de conserve – ils peuvent aussirester fidèles à leurs particularités.

Les responsables politiques et les écono-mistes américains se plaisent à douter de lacompétence du gouvernement allemand, quiréagirait trop mollement face à la récession.Celui-ci a décidé de contre-attaquer et exhorteles critiques à vérifier les chiffres. L’Allemagnen’a pas à rougir de ses performances écono-miques. Demander aux Allemands de faire plussous prétexte qu’ils le peuvent est absurde :devrions-nous payer le fait d’avoir su mieuxgérer notre budget que les autres pays indus-trialisés ?

Toutefois, les Américains ont raison surun point : Berlin a longtemps empêché lesEuropéens d’agir ensemble pour la relance– et abouti à ce que la France et l’Italie soientpratiquement inactives face à la récession. Lespays européens réalisent près des deux tiers deleurs échanges commerciaux entre eux et par-tagent pour beaucoup la même monnaie. Ilsdevraient donc également faire face à la crise

ÉTATS-UNIS3 octobre 2008 Bush promulgue un plande sauvetage historique de 700 milliardsde dollars pour endiguer l’effondrement dusystème financier. L’argent est alloué ausauvetage direct de banques (Bank ofAmerica, Citigroup, etc.), d’entreprises (AIG)et d’industries comme l’industrie auto-mobile. 13 février 2009 Le Congrès américainvote un plan de relance économique d’unmontant de 789 milliards de dollars, dont282 milliards d’allégements fiscaux et507 milliards de dépenses fédérales.Objectifs principaux : créer des millionsd’emplois et aider familles et entreprises.

UNION EUROPÉENNEL’ensemble des plans de relance del’Union européenne est estimé à 3,3 %du PIB de l’UE, soit 400 milliards d’eu-ros pour 2009 et 2010.

France4 décembre Annonce d’un plan derelance de 26 milliards d’euros, répartien trois postes : 11 milliards pour ren-flouer la trésorerie d’entreprises privéesen remboursant par anticipation la TVAet les crédits d’impôt recherche ; 10,5milliards d’euros injectés dans l’écono-mie (dont les chantiers publics, le BTP,l’industrie automobile, plus une prime de200 euros aux plus démunis) ; enfin,4 milliards dans les entreprises pu -bliques comme la SNCF.

Allemagne 17 octobre Plan de sauvetage de 80 mil-liards d’euros pour les institutions ban-caires en difficulté. Garantie de l’Etat de400 milliards d’euros sur les prêts inter-bancaires.5 novembre Premier plan de relance de31 milliards d’euros. Il prévoit, entre autres,des aides aux PME, des avantages fiscauxpour l’achat d’une automobile neuve etle financement de travaux publics et d’in-frastructures. 12 janvier Second plan de relancede 50 milliards d’euros surdeux ans, avec une baisse d’im-pôt pour les plus bas revenus.

Royaume-Uni13 octobre Plan de sauvetagedes banques de 37 milliardsde livres (46,5 milliards d’eu-ros). Garantie de l’Etat aux prêtsinterbancaires à hauteur de250 milliards de livres, ainsique 200 milliards injectés parla Banque d’Angleterre.24 novembre Plan de relancede 20 mil l iards de l ivres(23,5 mil liards d’euros), soit1 % du PIB. Avec pour mesure phareune baisse de 2,5 % de la TVA jusqu’au1er janvier 2010.

Espagne15 novembre Le gouvernement annonceun plan de relance économique de 11 mil-

liards d‘euros, dont 80 % sont destinésà être investis dans le secteur public. Il pré-voit notamment une aide de 800 millionsd’euros destinée au secteur automobile.3 mars Annonce de la construction de150 000 logements sociaux en un an. 27 mars Zapatero se déclare prêt à unplan de relance additionnel, si les effetsdu premier tardaient à se manifester.

Italie Fin novembre Annonce d’un plan de 80milliards d’euros, dont 35 milliards sont

constitués de programmeseuropéens déjà existants.Le plan prévoit notamment laconstruction de nouvelles infra-structures, le gel des prix del’énergie et des péages, desbaisses d’impôts pour lesfamil les les plus pauvres,des assouplissements sur lesimpôts aux sociétés, etc.

RussieMi-octobre 2008 Le “plan destabilisation” de l’économie pré-voit jusqu’à 950 milliards deroubles (27 milliards d’euros)

de crédits subordonnés aux banques,ainsi que 36,6 milliards d’euros pour lesbanques et les entreprises cherchant àrefinancer des dettes. 20 mars 2009 Les corrections budgé-taires pour l’année 2009 prévoient unehausse du déficit à hauteur de 7,4 % du

PIB. Les dépenses seront augmentéesde 667 milliards de roubles (soit 14,6 mil-liards d’euros), et le cap est maintenuconcernant les “secteurs clés” : démo-graphie, éducation, santé, pensions deretraite, innovation.

ASIEChine2 novembre 2008 Plan de relanceannoncé de 4 000 milliards de yuans(545 milliards d’euros) sur deux ans – d’icià la fin 2010. La part directement inves-tie par le gouvernement central sera de1 180 milliards de yuans. Les 4 000 mil-liards de yuans sont répartis comme suit :■ infrastructures (chemins de fer, routes,aéroports) : 1 500 milliards.■ reconstruction des zones sinistrées parle tremblement de terre du Sichuan en mai2008 : 1 000 milliards.■ logement : 400 milliards.■ infrastructures et subventions diversesen zone rurale : 370 milliards.■ restructurations et modernisation tech-nique : 370 milliards.■ réduction des émissions de particulespar la combustion des carburants et tra-vaux sur l’environnement : 210 milliards.■ santé, éducation : 150 milliards.De plus, en 2009, l’Etat consentira uneréduction de 600 milliards de taxes auxentreprises et aux particuliers. Dans lestrois ans à venir, 850 milliards serontconsacrés à la réforme du système desanté.

BUDGET Depuis octobre, chacun y va de son plan de relance

DIE ZEIT (extraits)Hambourg

Plus la crise s’aggrave, plus les grandesnations doivent se serrer les coudes. Mais,en dépit des efforts de rapprochement, lesEtats-Unis reprochent aux Européens de

ne pas mettre suffisamment de milliardsdans la relance, et l’Europe soupçonne lesAméricains de vouloir échapper à la régulationmondiale des marchés financiers.

Ce sont là plus que de simples bisbilles.L’Ancien Monde et le Nouveau divergent parleurs valeurs, par leurs expériences et par leursstructures économiques. Et les nouvelles puis-sances, de la Chine au Brésil, apportent à leurtour leur propre vision des choses. Les diffé-rences sont trop criantes pour pouvoir êtregommées à coups de déclarations communes.Naturellement, il est bon que le monde soit

Si les Etats-Unis et l’Europe neréussissent pas à surmonter leursdivergences, les Européens peuventréguler seuls leurs marchés financiers.

▼ Dessin de Raul Arias, parudans El Mundo,Madrid.

L’ANTICRISE Manuel de survie

28-29 G20gil:Mise en page 1 30/03/09 15:36 Page 28

Page 29: 961 Anti Crise

SOMMET

social fort. L’industrie est certes innovante,mais sa structure évolue lentement. Lorsqueles gouvernements accumulent des dettes ver-tigineuses, les citoyens prennent peur et frei-nent leur consommation.

Vu sous cet angle, on comprend qu’il soitplus facile pour les Américains de s’embarquerdans l’aventure des marchés financiers libé-ralisés. Le cycle d’emballement-effrondrement(boom and bust) fait partie pour eux du train-train du capitalisme. Certes, Washington veutaujourd’hui imposer une nouvelle régulationau secteur financier. Mais, pour racheter lesactifs toxiques des banques, il faut pactiser avecles jongleurs de Wall Street et donc les ména-ger en évitant de les bombarder de règlements.

La bonne nouvelle est que les Européenspeuvent largement réguler par eux-mêmes. Unpays comme l’Espagne est parvenu à protégerseul ses banques contre les aventures hasar-deuses. L’Union européenne peut en tirer lesleçons. D’autant que l’Europe est trop grandepour que les investisseurs d’outre-Atlantiqueboudent notre continent.

Unité n’est pas synonyme de sécurité.Pour que le sommet de Londres soit un suc-cès, les pays du G20 doivent certes réfrénerleur égoïsme, mais surtout revendiquer leursdifférences. Le monde ne s’en porterait quemieux.

Uwe Jean Heuser

THE ECONOMIST (extraits)Londres

Ceux qui blanchissent de l’argent sontpoussés par la cupidité, contrairement àJason Sharman. Ce politologue de l’uni-versité Griffith, en Australie, a pourtant

montré à quel point il était facile de contour-ner le secret bancaire simplement en utili-sant Google et avec un budget de seulement10 000 dollars [7 580 euros]. Il a ainsi misau jour une vérité dérangeante pour nombredes gouvernants du G20, qui se retrouverontle 2 avril pour débattre, entre autres, dessanctions à adopter contre les paradis fis-caux : ce n’est pas dans les vallées alpines nidans les îles tropicales qu’on trouve les casles plus caractérisés de secret bancaire, deblanchiment d’argent et de fraude fiscale,mais dans les arrière-cours des plus grandeséconomies du monde.

On a là une forme insidieuse de secretbancaire, où les autorités et les banquiers neprennent pas la peine de demander leur nomà leurs clients, un procédé qui est depuislongtemps interdit dans les paradis fiscauxcomme Jersey ou la Suisse. Ce système estbien plus intéressant pour les clients dou-teux : leur banquier ne risque pas de révélerce qu’il ne sait pas. Au lieu d’ouvrir descomptes sous leur nom, les fraudeurs et lesblanchisseurs d’argent montent des sociétésanonymes avec lesquelles ils ouvrent descomptes bancaires et déplacent des fonds.

C’est aux Etats-Unis que cette pratique estle plus répandue. Prenez le Nevada, parexemple : son site officiel explique que l’Etatoffre “des exigences limitées en matière d’informa-tions légales” et un enregistrement en une heure.Le Nevada ne demande pas le nom des action-naires de la société et ne communique pas nonplus le peu d’informations qu’il possède augouvernement fédéral. Cet Etat d’une popu-lation de 2,6 millions de personnes seulementenregistre 80 000 nouvelles sociétés par an eten compte aujourd’hui plus de 400 000, soitune pour six personnes. Selon une étude dufisc américain, de 50 % à 90 % d’entre elles setrouvaient déjà en violation des règles fiscalesen vigueur ailleurs aux Etats-Unis.

Selon une étude réalisée par le gouver-nement fédéral en 2005 au sujet du blan-chiment d’argent, le Delaware, le Nevada etle Wyoming offrent un anonymat qui rivaliseavec celui des centres financiers offshore plusconnus. Les Etats-Unis sont particulière-ment intéressants pour les étrangers, car ilsne taxent pas les intérêts qu’ils gagnent. Avec

l’anonymat et l’absence de taxation, lesEtats-Unis présentent donc tous les élé-ments d’un paradis fiscal.

Les choses vont peut-être changer, maislentement. En mars, le sénateur Carl Levina déposé une proposition de loi obligeantles Etats à identifier les propriétaires réelsdes sociétés. “Il est absurde qu’on demandemoins de renseignements pour monter une sociétéque pour obtenir le permis de conduire”,déclare-t-il. Une proposition déposée l’an-née dernière a cependant péri d’une mortdouce en commission.

Les Etats-Unis nesont pas le seul paysriche à avoir été testépar M. Sharman. Lechercheur a tenté decréer des sociétés ano-nymes de façade etdes comptes bancairesdans 45 endroits : il aréussi dans 17 cas,dont 13 dans des paysde l ’OCDE – l aGrande-Bretagne, parexemple, où il a crééune société sans four-nir la moindre identi-fication, en quarante-

cinq minutes sur Internet et pour la sommede 515,96 livres [555 euros]. Dans d’autrescas, M. Sharman a pu former une sociétéen ne produisant qu’une copie scannée deson permis de conduire. “En pratique, lespays de l’OCDE ont une réglementation bienplus laxiste sur les sociétés-écrans que les para-dis fiscaux classiques, conclut-il. Et les Etats-Unis sont les pires en la matière, pires que leLiechtenstein, pires que la Somalie.” ■

ENQUÊTE Paradis fiscaux : les piresne sont pas ceux que l’on croit

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 29 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Où peut-on facilement ouvrir des comptes totalement anonymes ?Pas en Suisse ni à Jersey. Mieux vautaller dans le Nevada, le Delawareou le Wyoming…

“Tout seraitbien allé pour Mme Bovary

si elle n’avait pas vécu au-dessus de ses moyens. Ce n’est pas l’adultère qui l’a coulée, mais les dettes.” Margaret Atwood, romancièrecanadienne et auteure d’unessai récent sur l’endettement.

The Times, Londres

04-

▲ Dessin de Riberparu dans le SvenskaDagbladet,Stockholm.

Arabie SaouditeChine

Etats-UnisRussie

CanadaAllemagne

Corée du SudJapon

Royaume-UniArgentineIndonésie

Afrique du SudEspagneMexiqueAustralie

FranceInde

BrésilItalie

3,3

2

1,9

1,7

1,5

1,5

1,5

1,4

1,4

1,3

1,3

1,3

1,1

1

0,8

0,7

0,5

0,3

0,2 Source : FMI (5 février 2009)

Ampleurestiméedes plansde relance annoncés par une vingtaine de paysindustrialisés et émergents pour 2009(en % du PIB)

JaponTrois plans de relance depuis l’automne 2008,soit 50 000 milliards de yens (près de 400 mil-liards d’euros). Le gouvernement prépare un plansupplémentaire pour l’emploi, de 1 500 milliardsde yens. Au total, Tokyo consacrera plus de 2 %de son PIB au redressement de l’économie,comme le souhaitent le FMI et les Etats-Unis.

Retrouvez les autres plans de relance asiatiques et européens sur

courrierinternational.com

28-29 G20gil:Mise en page 1 30/03/09 15:36 Page 29

Page 30: 961 Anti Crise

L’ANTICRISE Manuel de survie

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 30 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

FINLANDE

ESPAGNEp. 38, p. 72

ALLEMAGNEp. 43, p. 49

C A N A D A

COLOMBIE

VENEZUELAp. 58

PÉROU

IRLANDE

FRANCE

POL.

IT.

TURQUIE

AFRIQUEDU SUD

ARSAO

ÉGYPTE

ROYAUME-UNIp. 46

NORVÈGE

FINLANDE

CHILI

ARGENTINE

B R É S I L

ÉTATS-UNISpp. 34-37, p.47, p. 72

ISLANDEp. 32, p. 46

ALLEMAGNEp. 43, p. 49

ESPAGNEp. 38, p. 72

EUROPEp. 41

PAYS DU SUDp. 50, p. 52, p. 69

SUÈDEp. 43, p. 71

MEXIQUEp. 57

PORTUGAL

Canada Quasiment le seul paysindustrialisé qui n’ait pas eubesoin de voler au secours de ses établissements financiers.Qu’est-ce qui explique que lesbanques canadiennes résistent sibien à la crise ? “La prudence à lafois dans leur politique de créditet dans leurs stratégies sur les marchés financiers”, répondle quotidien The Globe and Mail.

Amérique latine Après plus de six ans de boom économique, la récession touche le continent à retardement. Les prévisions de la Banque interaméricaine dedéveloppement (BID) ont douchél’optimisme affiché jusque-là parla plupart des dirigeants : le tauxde croissance du continent en 2009devrait chuter à 0,3 %, au lieu des 3,9 % prévus. “Les annéesprécédentes, une croissancemoyenne de 5 % avait permis de faire sortir de la pauvreté près de 40 millions de personnes, dedynamiser les classes moyennes etd’améliorer la couverture sociale”,souligne El País.

RoumanieHongrieUkraine

PakistanBiélorussie

LituanieIslande

GuatemalaSalvadorGéorgie

SerbieSeychelles

LES CRÉDITS DU FMI PENDANT LA CRISE

Source : “El País”

(en millions d’euros)Source : “El País”

(en millions d’euros)

12 950

12 300

12 080

5 600

1 812

1 680

1 547

700

590

552

402

19

Etats-Unis Pour le professeurd’urbanisme Richard Florida, la crise va bouleverser le paysageéconomique américain. Lesrégions industrielles du Nord oules villes-champignons de l’Ouest(comme Las Vegas ou Phoenix)auront du mal à se relever.D’autres pôles pourraient, en revanche, tirer leur épingle du jeu, dont New York. Certes, “la Grosse Pomme a souffert del’effondrement de Wall Street”,écrit-il dans le magazine The Atlantic, “mais la mégapolenew-yorkaise est plus qu’uncentre financier, c’est le sièged’une industrie créativebouillonnante. La crise pourraiten fin de compte stimuler cette créativité”, prédit-il.

Tous étaient touchés Des Etats-Unis aux Seychelles, la plupart despays subissent les conséquences sociales etéconomiques de la crise. Sauf peut-être le Liban.

Prévisions de croissance par payspour l’année 2009(évolution du PIB, en %)

Supérieure à 3 %

De 0 à 3 %

De 0 à – 3 %

Inférieure à – 3 %

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-15 %Allemagne C’est le recul que connaîtront, en 2009, les exportations allemandes dans le monde, selon les prévisionsde la Fédération allemande du commerce extérieur (BGA). Dujamais-vu depuis 1949. Néanmoins,en raison de la chute vertigineusedes exportations chinoises,l’Allemagne pourrait conserver son titre de champion du monde des exportations.

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30-31 carte G20:Mise en page 1 30/03/09 15:13 Page 30

Page 31: 961 Anti Crise

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 31 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

I N D O N É S I E

DE

LEMAGNE43, p. 49

TURQUIE

UED

ARABIESAOUDITE

PAKISTAN

THAÏLANDEp. 56

PHILIPPINES

TAÏWAN

MALAISIE

AUSTRAL I E

NOUVELLE-ZÉLANDE

I N D O N É S I E

ÉGYPTE

I N D Ep p . 5 4 - 5 5

DE

LEMAGNE43, p. 49

DUBAÏp. 39

JAPONp. 42, p. 70

C H I N Ep . 5 3 , p . 5 6 , p . 6 7

RUSSIEp. 40, p. 66

ASIE DU SUDp. 68

1

20 millionsChine C’est le nombre de paysansvenus travailler dans les villes etqui se retrouvent brusquementsans emploi en raison de la crise.Le magazine économique chinoisle plus réputé, Caijing, a enquêtésur eux. Il a ainsi rencontré unefamille originaire du Henan ayantémigré au Guangdong. Licenciée,la femme a dû rentrer. Mais ni les parents ni les enfants,élevés en ville, ne se voientredevenir cultivateurs.(Voir CI no 960, du 26 mars 2009)

France “Le pragmatisme à lafrançaise est en train de gagnerdu terrain dans toute l’Europe.Lorsque les marchés financiersétaient au mieux de leur forme, lamanie française de se donner desobjectifs de politique industrielleet de favoriser des entreprisesnationales était considérée avecun certain mépris. Aujourd’hui,cet interventionnisme est devenula norme.”

Holger Schmieding, Newsweek, New York

République démocratique du CongoL’effondrement des cours desmétaux provoque la fermeture de très nombreuses mines dans laprovince du Katanga, considéréecomme le poumon économique de larépublique démocratique du Congo(RDC). Depuis fin 2008, au moins200 000 personnes ont perdu leuremploi. Les principaux exploitants,venus de Chine, fuient le pays enabandonnant tout derrière eux. (Voir CI n° 956, du 26 février 2009)

Indonésie Sur l’île de Sumatra,les exploitants de plantations de palmiers à huile sont frappésde plein fouet. La tonne d’huile de palme se négociait il y a un anautour de 1 500 dollars. Elle envaut aujourd’hui trois fois moins.Le ministère de l’Agricultureindonésien affirme avoir d’ores etdéjà pris un ensemble de mesuresau soutien du secteur agricole,mais, constate Tempo, les budgetsn’ont toujours pas été débloqués.(voir sur le site courrierinternational.com)

Royaume-Uni Les conservateurssont les favoris des électionsgénérales prévues dans un an.Mais, face à la crise, ils semblentincapables, estime l’historienNiall Ferguson, de proposer une solution crédible sansabandonner “leur attachement au marché non réglementé, leur attachement à l’ordre social ou leur attachement à un Etatfaible”. Pour sortir de ce“trilemme”, ils doivent “redéfinirchacun de ces domaines”.

The Daily Telegraph, Londres

3481859Espagne C’est le nombre dechômeurs en Espagne, selon lesderniers chiffres du ministère duTravail, publiés fin février 2009.En un an, 1,167 million depersonnes sont venues grossir lesrangs des chômeurs, soit unehausse de 50 %. Selon lesprévisions de la banque BBVA, lenombre de chômeurs dépassera les4 millions dans les prochains mois.

Liban Le pays du Cèdre faitexception. Son secteur bancaire est en excellente santé. Principaleraison : le gouverneur de laBanque centrale avait émis, il y a quelques années, une circulaireinterdisant la souscription à desprêts hypothécaires à risques(subprimes). Et la réglementationavait limité le recours à d’autresproduits à risque (voir CI no 952).Résultat : un climat optimiste dansles entreprises et des créations d’emplois.

-12,1 %

64 %Roumanie C’est la chute de la production automobileenregistrée en janvier 2009 par rapport à l’année précédente.Depuis fin octobre, leconstructeur Dacia (groupeRenault) a dû arrêter cinq fois saproduction. Le quotidien Gandulest allé à Mioveni, là où lesautomobiles Dacia sont fabriquéesdepuis 1968, pour mesurerl’impact de la crise que traverse le secteur. (Voir CI n° 960, 26 mars 2009)

SOMMET

Japon Avec un recul du PIB de12,1 % au dernier trimestre 2008par rapport à la même période en2007, l’économie nippone est entréeen récession, la plus importantedepuis le premier choc pétrolier, en1973. C’est la fin non seulement d’unmodèle de croissance, mais surtoutd’un système économique fondé surles exportations. Résultats : deslicenciements qui affectent surtoutles travailleurs en situaton précaire.(Voir CI n° 956, du 26 février 2009)

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L’ANTICRISE Manuel de survie

SÜDDEUTSCHE ZEITUNG (extraits)Munich

Vous connaissez cette blague sur le canni-bale qui prend l’avion en première classe ?L’hôtesse lui apporte le menu, bien garni.Le cannibale la remercie, survole les plats

et dit : “Je ne vois rien de bien croustillant à memettre sous la dent. Auriez-vous l’amabilité dem’apporter la carte des passagers ?”

Mon intention n’est pas de comparer à descannibales les superriches d’Islande, qui, avecle gouvernement, nous ont expropriés. Mais,après avoir presque tout obtenu – les banqueset les entreprises nationales – c’est un peucomme s’ils avaient dit au gouvernementet à l’autorité de contrôle des banques : il n’ya plus rien de croustillant au menu. Auriez-vous l’amabilité de m’apporter la carte desenfants du pays ? Je n’ai pas non plus l’in-tention de comparer des politiciens lambdaà Kim Jong-il ou à Kim Il-sung. Pourtant,lorsque les nantis de ce pays ont demandéau gouvernement la carte des habitants, le gou-vernement et son organe de contrôle semblentavoir répondu : oui, certainement. Pouvons-nous faire autre chose pour vous ?

C’est une trahison pure et simple. C’estpourquoi nous ne pouvons qu’exiger – nousqui n’avons rien d’autre que nous-mêmes, nosenfants et nos petits-enfants – que ceux qui sesont enrichis à nos dépens rendent des compteset que leurs biens soient gelés. La respon sabilitéqu’ils prétendaient endosser justifiait, paraît-il, leurs supersalaires. Aujourd’hui, il faudraitles prendre au mot et ne pas démordre de leurresponsabilité. Au lieu de quoi, leurs pertessont nationalisées et le système doit ouvrir uneinstruction sur lui-même.

A l’aune d’un tel monde, Franz Kafkadevient tout à coup réaliste. Certaines exi-gences de la population ont certes été satis-faites : le gouvernement est tombé ; la direc-

tion de l’autorité de contrôle a été remplacée.Mais le vieux système continue à bien se por-ter. La corruption financière s’étend jusqu’augouvernement de Geir Haarde. Pendant cetemps, l’Islande est assise sur une dette deplusieurs milliers de milliards de couronnes,dette que nous devons rembourser, nous, nosenfants et nos petits-enfants, qui dépendonsà présent tous de la bienveillance du FMI etd’autres bailleurs de fonds.

Face à cette pagaille, on peut se demandersi Karl Marx n’avait pas finalement raison. Unami qui a lu l’intégralité du Capital m’expliqueque, dans le troisièmetome, Marx parle de“capital fictif” : les pro-fits ne reposent sur au -cune valeur réelle ; despapiers sans valeur, c’est-à-dire irréels, passent demain en main.

Voilà le genre de tourde passe-passe que lesnéocapitalistes islandaisont bricolé, eux que l’onsurnommait les Vikingsde l’exportation et quel’on considérait commedes hommes d’affaireschics et agiles. Eux quel’on décrivait commedes demi-dieux – dans les journaux qu’ils pos-sédaient. Ils se consacraient à de nobles tâches,tandis que leurs épouses défendaient la causedes enfants d’Afrique. Ces hommes achetaientdes parts de sociétés, devenaient majoritaires,fondaient de nouvelles entreprises, se les ven-daient et empochaient les plus-values. Voilà lesecret du tour de passe-passe. Et nombreusessont les so ciétés en bonne santé, productives,qui sont restées sur le carreau.

Vous n’êtes pas sans avoir remarqué quej’emploie l’expression “tour de passe-passe”.Ce qui n’est pas tout à fait approprié, puisqu’enréalité tout s’est déroulé selon les règles du libremarché et avec sa bénédiction. Ni les lois ni lesrèglements n’ont pu arrêter les barons de lafinance. Les dirigeants politiques étaient plon-gés dans un long sommeil, haussaient lesépaules et trinquaient à la santé des princes,

car ils se mortifiaient s’ils n’étaient pas invi-tés aux grandes fêtes qui apportaient à l’Islandeun peu de l’éclat et du glamour de Hollywood.

La base de ce système a été posée par lacoalition du Parti de l’indépendance et du Partidu progrès, qui a mis en place le marché desproduits de la pêche. Résultat : on a pu négo-cier librement du poisson non encore pêchéet faire des profits. Peu après, les banques ontété privatisées, sans précautions et sans quequiconque contrôle la nouvelle direction deces établissements financiers. Les chefs despartis précités, Davíd Oddsson et Halldór As -grimsson, sont restés douze années à la têtede la banque centrale. Ils étaient tellementpressés de privatiser les banques que diversesvillas et collections d’art ont été généreuse-ment privatisées en même temps. Et tous ceuxqui critiquaient le nouveau système étaient éti-quetés comme jaloux, stupides ou vieux jeu.

ON ÉTIQUETAIT LES CRITIQUES COMMEJALOUX, STUPIDES OU VIEUX JEU

L’économie a pris le pouvoir dans le pays. Elles’appuyait sur le Conseil économique. Soit leslégislateurs étaient à la botte du Conseil, soitils ont oublié leur mission. Un jour, le Conseila déclaré : “Les arguments allant à l’encontred’une réglementation et d’un contrôle publics dumarché financier sont plus convaincants que lesarguments en faveur d’une intervention. Il seraitplus raisonnable que les partenaires des marchéssuivent leurs propres règles.” Et, pour le plusgrand bien de cette politique, “une enquêtedu Conseil économique a montré que, dans 90 %des cas, le Parlement suivait les avis du Conseil.”Le Conseil économique a donc de facto prisle pouvoir, sans que personne s’en aperçoive.

L’expert américain de la crise financièreRobert Aliber a averti plus d’une fois que labanque centrale et le gouvernement islandais,qui tenaient la barre de l’économie du pays,étaient à peu près aussi peu compétents quedes astrologues. Ils n’ont pas compris que lacroissance économique reposait seulement surle crédit : on contractait des emprunts pourrembourser d’autres emprunts. Et maintenant,ils ne savent pas comment rétablir l’équilibre.

Le montant de la dette de l’Islande parhabitant dépasse celui des réparations dues

Le romancier islandais Einar MarGudmundsson explique commentl’Islande tout entière s’est donnée à ses élites sans scrupule.

▶ Un sans-abrinew-yorkais coiffé de la couronne de lastatue de la Liberté.

Quels changements souhaitons-nous dans nos modes de vie ? Telle est la question posée. Pour le savoir,allons d’abord à Dubaï, à Cleveland et en Islande. Et voyons, comme le dit Einar Mar Gundmundsson,si nous acceptons encore d’être des serviteurs gras ou des esclaves. Ou si nous voulons devenir autres.

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Après le désastre,deux Islandaises,Halla Tomasdottir

et Kristin Petursdottir, ont créé lefonds d’investissement Audur Capitalselon cinq principes : “Investir en mesurant le risque, privilégierl’impact écologique et social, tenircompte de la culture d’entreprise,user d’une langue compréhensible partous et contribuer à l’indépendanceéconomique des femmes.”

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ISLANDE Les cannibales et les serviteurs gras

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THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

Tony Brancatelli, 51 ans, est conseiller muni-cipal à Cleveland. Depuis deux ans, il estdevenu une sorte de petite star médiatique.Des journalistes japonais, chinois, alle-

mands et français sont en effet venus l’inter-viewer en raison du taux élevé de saisies queconnaît sa circonscription, et qui continuentde se dérouler au rythme de deux par jour. Lemonde de Brancatelli se limite essentiellementau territoire de Slavic Village, un quartier deCleveland où il a passé presque toute sa vie.Un quartier qui s’est constitué il y a un siècle– non loin des usines sidérurgiques aujourd’huifermées – et où l’on trouve surtout d’étroitespetites maisons habitées par une populationethniquement mélangée. Car beaucoup deBlancs sont partis et de nombreux Africains-Américains sont venus s’installer au cours dela dernière décennie. Un phénomène courant.

Brancatelli me fait découvrir l’ampleur dudésastre qui a dévasté sa ville. Cleveland a étéfrappée durement, et de manière précoce, parla vague des saisies immobilières. Il y en a euà peu près 10 000 en deux ans. L’agglomérationa même eu le triste privilège, en 2007, de pré-senter l’un des plus forts taux de saisies desEtats-Unis. Si sa situation a par la suite étééclipsée par celles de nombreuses villes deFloride, de Californie ou du Nevada, elle conti-nue à offrir une illustration des ravages de la

crise immobilière. Le nombre de logementsvides est tel que personne n’en connaît le chiffreexact. La municipalité estime que 10 000 mai-sons, soit une sur treize, sont vides. Le tréso-rier du comté pense pour sa part que leurnombre est probablement de 15 000. Et lesresponsables locaux sont bien conscients quele pire est peut-être à venir. Malgré l’intentiondu président Barack Obama de vouloir mettreun terme aux saisies, ils sont pessimistes, d’au-tant que les licenciements se multiplient. Letaux de chômage à Cleveland atteint aujour-d’hui 8,8 %. Et puis il y a tellement de mai-sons vides dans certaines rues que les gens quiy habitent encore n’ont pas toujours envie derester. “Le plus triste, me dit mon guide, c’estqu’on n’y peut pratiquement rien. Il y a un effetboule de neige et nous devons essayer d’empêcherl’avalanche.”

Ici, beaucoup de choses défient la raison.Brancatelli a fait la connaissance, il y a quelquesmois, de Luis Jimenez, un conducteur de trainoriginaire de Long Beach, en Californie. Aprèsavoir acheté sur eBay une maison dans larégion, il était venu à Cleveland pour mettreau clair certains détails de la transaction. Sa

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par les Allemands après la Première Guerremondiale. En couronnes islandaises, la factureéquivaut à la dette du budget de l’Etat italien.Or l’Islande compte 310 000 personnes, l’Italiequelque 60 millions.

Les directeurs des nouvelles banques pri-vées ont considéré que leur tâche était tellequ’ils méritaient un salaire mensuel équiva-lant au montant du prix Nobel. Lorsqu’onpointait du doigt cette générosité qu’ils témoi-gnaient envers eux-mêmes, furieux, ils mena-çaient de partir pour l’étranger. On aurait dûleur souhaiter bon voyage et les prier de nesurtout pas revenir, comme dans la saga deGrettir le Fort. Mais ils prétendaient qu’àl’étranger on les aurait accueillis à bras ouverts,et ils n’en devenaient que plus importants.

Aujourd’hui, après l’effondrement écono-mique de l’Islande, la question à 1 000 cou-ronnes est la suivante : pourquoi ceux qui, hier,endossaient soi-disant de telles responsabili-tés n’en ont-ils à présent plus aucune ? Nonseulement au sens juridique, mais aussi au senssocial, économique, politique et éthique.

LES HOMMES POLITIQUES ONT ÉTÉAPPRIVOISÉS PAR LES SINGES

Et si l’on observe l’Histoire à la lumière duHávamál de l’Edda poétique [datant duXIIIe siècle], que l’on pourrait considérercomme un message éthique transmis par notrehéritage culturel, alors se pose cette autre ques-tion : aurait-il fallu apprivoiser les hommes quis’étaient métamorphosés en singes à cause del’argent ? Cette tâche aurait été celle des res-ponsables politiques. Or, manifestement, cesont ces derniers qui ont été apprivoisés parles singes. Comment cela a-t-il pu se passer ?

Si nos parents s’étaient comportés commeles pouvoirs publics, il y a belle lurette que lesservices de protection de l’enfance seraientintervenus. Il est donc tout à fait normal quele gouvernement ait démissionné. Jusqu’auxélections de fin avril, la situation ressembleraà une sorte d’intérim.

A présent, tout dépend de la participationactive des Islandais et de leur combativité. Maisil se peut que les machines électorales bienhuilées des partis, qui ont fait si piètre figurependant la récente révolution, finissent toutde même par dominer les débats. Le combatactuel est donc aussi une course à la prise deparole. Et une course à la crédibilité.

Ce qui se passe actuellement en Islandeannonce peut-être ce qui se passera à l’échelledu monde. Ou bien c’est une version déme-surée de la crise mondiale – l’endettement desbanques islandaises équivaut à douze fois leproduit national brut du pays. Quelqu’un m’adit que cela reflétait plutôt la situation éco-nomique mondiale. Mais il est encore trop tôtpour dire ce que la crise signifie réellement etce qu’elle nous réserve.

On ne sait jamais vraiment ce que l’on pos-sède tant qu’on ne l’a pas perdu. Il est doncdifficile de prédire comment le serviteur grasréussira à s’en sortir, alors qu’aujourd’hui iln’est plus qu’un esclave roué de coups. [“Unserviteur gras n’est pas un grand homme. Unesclave que l’on rosse est un grand homme, cardans sa poitrine habite la liberté”, La Cloched’Islande, de H. Laxness, écrivain islandais,prix Nobel de littérature 1955.]

Einar Mar Gudmundsson

ÉTATS-UNIS Enquête sur un caDans la métropole industrielle de Cleveland, pas moins de 15 000 maisons saisies seraient actuellement vides, la plupart abandonnées et vandalisées. Comment expliquercette catastrophe urbaine ?

■ Maintien de l’ordreS’exprimant en février dernierdevant unecommissionsénatoriale, le nouveau grandpatron durenseignementaméricain, l’amiralen retraite DennisBlair, a expliqué quela crise économiqueet ses implicationsgéostratégiquesétaient désormais“la principalesource d’inquiétudeà court terme pourles Etats-Unis dans le domaine de la sécurité”.En novembre,rappelle le siteTruthdig.com,l’Ecole de guerre de l’armée de terreaméricaine avaitdéjà publié une monographieintitulée Les Inconnuesconnues : “Chocsstratégiques” nonconventionnels dansle développementde la stratégie de la défense.L’armée doit sepréparer, affirmaitle document, à un“bouleversementstratégique violentaux Etats-Unis”,qui pourrait êtredéclenché par “un effondrementéconomiqueimprévu”, “une résistancenationale engagée” ou par “la disparition d’un ordre politiqueet juridiquefonctionnel”.Des “violencesciviles généralisées,poursuit le texte,contraindraient la hiérarchie de ladéfense à réorienterin extremis ses priorités afin de préserver les fondements de l’ordre public et de la sécurité des personnes”.

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maison avait une longue histoire. Depuis 2001,elle avait été saisie deux fois et revendue quatrefois, pour des prix oscillant entre 1 500 et87 000 dollars. Jimenez l’avait payée 4 000.Lorsqu’il arriva à Cleveland, il apprit que lamaison était en fait inoccupée depuis deux anset que des pillards avaient défoncé les murspour récupérer les tuyauteries en cuivre,démonter les lavabos et emporter la chaudièreinstallée au sous-sol. Il découvrit égalementque la municipalité avait condamné la maisonà être rasée et qu’elle comptait lui demanderde payer la facture des démolisseurs. Brancatellidemanda à Jimenez comment il avait eu cettecurieuse idée d’acheter une maison située à3 000 kilomètres de chez lui, sans même la voir.“Elle était pas chère”, lui a répondu Jimenez enhaussant les épaules. Et, comme il n’a pas lesmoyens de la retaper, la maison est restée dansun état lamentable. “D’une manière générale,je suis plutôt optimiste, me confia Brancatelli,mais tout cela est insensé.”

C’est à partir de 1999 que Brancatelli acommencé à remarquer que les maisons de sonquartier, dont beaucoup étaient pourtant dansun état déplorable, se vendaient à des prix deplus en plus élevés. Brancatelli fut particuliè-rement frappé par les activités d’un certainRaymond Delacruz, un entrepreneur de 27 ans.Celui-ci achetait une maison en mauvais étatet, dans le meilleur des cas, procédait àquelques réparations cosmétiques avant de larevendre aussitôt trois ou quatre fois le prixqu’il l’avait payée. Ces culbutes n’étaient pos-sibles que grâce à la complicité des experts età la crédulité des acheteurs. La proliférationdes sociétés de crédit immobilier – installéespour la plupart hors de l’Etat et prêtes à accor-der des crédits sans véritablement se rensei-gner sur les emprunteurs – facilitait égalementces opérations juteuses.

Mais la ville a subi en même temps unautre phénomène encore plus destructeur.Même si les hausses des prix des logements

sont restées modestes par rapport à ce quis’est passé ailleurs, comme en Floride, le phé-nomène a créé les conditions permettant auxsociétés de crédit de pressurer les proprié-taires à court d’argent.

Des courtiers en crédit appelaient les pro-priétaires à leur domicile et leur proposaient dessystèmes de refinancement leur permettant depuiser dans la valeur résiduelle de leur logement[c’est-à-dire la part cou-verte par le capital, dis-tincte de celle couvertepar le crédit] pour rem-bourser d’autres dettes.Une voisine de Branca-telli, qui avait des pro-blèmes de santé, se trou-va à un moment donnédans l’incapacité de ré-gler ses factures. Elle re-finança ses crédits unefois, puis deux autresfois, jusqu’à épuiser la va-leur résiduelle de son lo-gement. “Elle a utilisé samaison comme un distri-buteur automatique debillets, résume Brancatelli. Et, à la fin, il a falluqu’elle et son mari s’en aillent. Leurs dettes excé-daient la valeur du bien.” Dans d’autres cas, desagents de crédit sillonnaient un quartier à la re-cherche de maisons ayant des fenêtres enmauvais état, un porche un peu affaissé ou n’im-porte quel élément nécessitant réparation. Ilsproposaient alors aux propriétaires un finan-cement leur permettant de couvrir le coût destravaux. Beaucoup de ces propositions étaienten vérité trop belles pour être vraies, et les tauxd’intérêt enflaient démesurément après une brè-ve période de faibles remboursements. Brus-quement grevés de dettes, les gens ont com-mencé à être dépossédés de logements dont ilsétaient jusqu’alors propriétaires en titre. A par-tir du début des années 2000, les autorités mu-

nicipales, inquiètes du développement duphénomène, commencèrent à comptabiliserles saisies immobilières en les signalant par unpoint rouge sur de grands plans de la ville. Cer-taines zones de ces plans, comme Slavic Vil-lage, sont à présent tellement couvertes de pas-tilles rouges qu’elles ressemblent à des maresde sang. “Où sont donc partis tous ces gens ?” :c’est la première question que l’on se pose. Etforce est de constater que le nombre des sans-abri n’a guère augmenté au cours des deux der-nières années, car la plupart des gens expul-sés se sont installés chez des parents, ont trou-vé un logement à louer ou ont quitté la ville.Le comté a ainsi perdu près de 100 000 ha-bitants au cours des sept dernières années, cequi représente l’exode urbain le plus impor-tant si l’on fait exception de celui qui a frap-pé La Nouvelle-Orléans après le passage del’ouragan Katrina.

Aujourd’hui, les banques vendent les mai-sons à des prix tellement bas que l’on sedemande pourquoi elles continuent à pro-céder à des expulsions. Une banque doit eneffet débourser une moyenne de 50 000 dol-lars pour effectuer une saisie, soit une sommeplus importante que si elle procédait à unsimple réaménagement de crédit. Tout celaplonge Brancatelli dans un état d’exaspéra-tion permanente.

Le terme “OVV” désigne dans le jargonadministratif une maison ouverte, vide et van-dalisée [open, vacant and vandalized]. Les mai-sons répondant à ces critères se sont multi-pliées comme des champignons. Elles sontcondamnées, puis squattées, puis recondam-nées. La municipalité doit déjouer les astucesdes squatters, qui prennent notamment soinde bloquer l’entrée avec un panneau decontreplaqué pour faire croire que la mai-son est condamnée et inoccupée.

Par un matin glacial, Brancatelli m’aemmené dans Hosmer Street, une rue danslaquelle un quart des maisons ont été vidées

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Le 18 mars dernier, aux Etats-Unis, la peine de mort

a été abolie dans l’Etatdu Nouveau-Mexique. Parmi les raisons invoquées par le gouverneur, Bill Richardson : le coût trop élevé de la peinecapitale en cette période de crise.Plusieurs autres Etats pourraientlui emboîter le pas, notamment leColorado, le Montana et le Kansas.

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n cataclysme immobilier

◀ Le conseillermunicipal TonyBrancatelli devantune maisoncondamnée.

◀ ▶ A Cleveland,aujourd’hui, unemaison sur treizeest vide. Beaucoup ont été fermées par la mairiepour découragerles squatters.

▲ Reportagephoto : ReubenCox/New YorkTimes Syndicate.

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de leurs occupants. Tandis que nous longionsla rue, Brancatelli remarqua un détail étrange.Par la fenêtre latérale d’une haute maisonétroite, on apercevait un tas de morceaux debois et de fagots d’environ un mètre de haut.La porte d’entrée, dégondée, était appuyéecontre le chambranle. Nous entrâmes par l’ar-rière, où il n’y avait carrément plus de porte.“Hello ! cria Brancatelli. C’est la municipa-lité !” Il faisait du bruit autant pour avertirles squatters que pour effrayer d’éventuelsanimaux. “En général, ils ne sont pas armés”,m’expliqua-t-il pour me rassurer. Les squat-ters préférent ne pas se munir d’armes car,en cas d’arrestation, ils seraient condamnésà une peine de prison aggravée. A l’intérieur,nous avons découvert des bûches et du petitbois empilés dans la cuisine et dans la piècede devant. Brancatelli a pris une photo avecson téléphone portable et adressé un e-mailau service municipal du logement afin qu’onenvoie quelqu’un d’urgence pour sécuriserla maison. Une routine que Brancatelli répètedeux ou trois fois par jour. Ce jour-là, il étaitparticulièrement inquiet au sujet de ces pro-visions de bois, car il y a eu cette année plusde 60 incendies dans sa circonscription, tousdans des maisons inoccupées.

Beaucoup de ces maisons vides devraient enfait être démolies. Soit elles sont tellement vieillesqu’elles n’ont plus guère de valeur sur le mar-ché, soit elles ont été si méthodiquement et brutalement pillées qu’elles sont dans un état irrécupérable. On estime aujourd’hui que lescréanciers possèdent environ 1 million de lo-gements dans tout le pays, et chacun d’eux res-te inoccupé pendant une durée moyenne de huitmois, et cette durée ne fait qu’augmenter. Ladémolition est toutefois une opération coûteuse :il faut compter à peu près 8 000 dollars parchantier. Il y a deux ans, Litton Loan Servicing,un cabinet de crédit, a envisagé de faire don àla ville d’un certain nombre de logements qu’ilavait été amené à saisir. La municipalité a ré-pondu qu’elle était d’accord, à condition quela compagnie verse aussi de l’argent pourcouvrir les frais de démolition indispensables.L’accord n’a pas été conclu. L’été dernier, le

Congrès a voté un texte attribuant 3,9 milliardsde dollars de fonds d’urgence aux municipa-lités afin qu’elles puissent acquérir et réhabili-ter des maisons saisies. (Le dernier plan de re-lance de l’économie prévoit 2 milliards de dol-lars supplémentaires à cet effet.) Cette loi a étébaptisée Neighborhood Stabilization Program[Programme de stabilisation des quartiers], maisCleveland et plusieurs autres villes dans la mêmesituation ont dû batailler dur pour faire admettreau Congrès que, pour elles, la “stabilisation” pas-sait par la démolition d’un certain nombre demaisons, et non par leur rénovation. En févrierdernier, Cleveland a ainsi annoncé qu’elleavait décidé de consacrer la moitié des 25,5 mil-lions de dollars qu’on lui a attribués à la dé-molition de 1 700 logements. D’autres villes,parmi lesquelles Minneapolis, Detroit et Cin-cinnati, ont prévu d’y consacrer un tiers desfonds de “stabilisation” qui leur ont été alloués.Vers le milieu de 2007, Brancatelli a comprisque sa ville était à lamerci des prêteurs et desspéculateurs immobiliers,qui possédaient déjà desmilliers de maisons aban-données dans toute la vil-le. Or un grand nombred’entre elles étaient dansun état de dégradationextrême. La municipali-té décida donc de tenirces nouveaux barons del’immobilier pour res-ponsables de leur entre-tien. Brancatelli etd’autres conseillers mu-nicipaux se sont alorstournés vers RaymondPianka, le juge siégeant au tribunal du logementde la ville. Ses collègues avaient coutume de segausser de ce “tribunal des rats”, comme ils l’ap-pelaient, car sa fonction initiale était de veillerà ce que les propriétaires tondent leurs pelouses,taillent leurs haies et évacuent leurs déchets –bref, qu’ils rendent leurs maisons inhospita-

lières aux rats. Personne ne s’attendait à ce quece tribunal devienne l’un des plus puissants ins-

truments dont la ville dispose aujourd’huidans son combat pour la survie.“Ce tribunal estle seul outil que nous ayons”, explique Brancatelli.C’est ce tribunal qui est parvenu à mettre finaux agissements du spéculateur RaymondDelacruz, dont les pratiques douteuses avaientmis la puce à l’oreille de Brancatelli.

LES BANQUES NE DAIGNAIENT MÊME PAS SE PRÉSENTER AU TRIBUNAL

Institué au milieu du XIXe siècle, le code dulogement définit les normes minimales pourla qualité des logements. Il sert tradition-nellement à préserver l’esthétique d’une villeet sa sécurité. Aujourd’hui à Cleveland, ona l’impression que c’est la seule chose quiempêche la ville de s’effondrer. En 2007,le juge Pianka constata que les banques nedaignaient pas même se présenter devantle tribunal lorsqu’elles étaient citées à com-paraître pour infraction au code du logement.“Ces gens se moquaient ouvertement de la muni-cipalité, m’explique-t-il. Ils se disaient pro-bablement qu’un petit tribunal municipal ne pouvait rien contre eux.” Pianka décida decontre-attaquer : il décréta que, si unebanque ne répondait pas à une convocation,le tribunal refuserait de prononcer les expul-sions qu’elle requerrait par la suite.

Au cours des dix-huit derniers mois, letribunal du logement a collecté 1,6 millionde dollars grâce aux amendes infligées à desparties n’ayant pas répondu à leur convo-cation. En avril 2008, Pianka a condamnéà 100 000 dollars d’amende WashingtonMutual pour une maison vide située dans lapartie ouest de la ville. La société a fait appelet, en décembre, la 8e cour d’appel de l’Ohioa statué que les procès in absentia n’étaient pasautorisés dans les cas de simples délits, ce quia considérablement entravé l’action du juge.“Il nous faudra trouver d’autres moyens, m’a ditle juge Pianka. Cette crise évolue de semaine ensemaine. C’est un torrent d’eau qui nous déferledessus. Nous pouvons le détourner dans un sens oudans l’autre, mais il est impossible de le stopper.”

Le 29 février 2008, Derek Owens, un poli-cier de 36 ans, a repéré au cours de sa patrouille

L’ANTICRISE Manuel de survie

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◀ Un magasin de spiritueux dans le quartierde Slavic Village.C’est l’un desseuls commercesà être encoreouvert dans ce quartiersinistré.

▶ De nombreusesmaisons saisiessont vandalisées.Les murs sontparfois éventréspour récupérer la tuyauterie en cuivre.

L’associationaméricaineACORN,

dans une église de Brooklyn, à New York, vient de lancer une campagne de désobéissance civiledestinée à soutenir les familles risquant d’êtreexpulsées, rapporte The NewYork Times.

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une bande de jeunes buvant des canettes debière dans le garage d’une maison abandon-née. Des voisins s’étaient déjà plaints des ado-lescents qui vendaient et consommaient dela drogue dans les maisons vides de cette rue.Voyant Owens descendre de son véhicule, lesjeunes s’enfuirent. Alors qu’Owens poursui-vait l’un d’eux, celui-ci se retourna et fit feu.Lorsque Brancatelli apprit le meurtre d’Owens,il voulut savoir à qui appartenait la maison vide.Après quelques coups de téléphone, il se ren-dit compte qu’il connaissait ses propriétaires :Eric et Sheila Tomasi, un couple de Templeton,en Californie, qui investissait dans l’achat demaisons vacantes.

Brancatelli les avait rencontrés quelquessemaines auparavant lors d’une vente auxenchères de maisons saisies. Brancatelli était làpour éloigner les spéculateurs, ces particuliersou ces entreprises qui achètent des maisonssaisies en grand nombre pour les revendre aus-sitôt, empochant au passage un bénéfice, biensouvent sans avoir procédé aux moindres tra-vaux. Les Tomasi avaient la quarantaine. Avantd’investir dans l’immobilier, Sheila Tomasi pos-sédait une petite chaîne de boutiques d’ha-billement, tandis que son mari Eric était cour-tier en crédit. Brancatelli fut surpris de leurouverture d’esprit et les trouva différents decertains autres margoulins de l’immobilier, quine daignaient même pas le rappeler au télé-phone ou répondre à ses e-mails.

Brancatelli était curieux de savoir com-ment on pouvait gagner de l’argent dans unmarché où les maisons se vendaient pourquelques milliers de dollars sur eBay. LesTomasi lui expliquèrent qu’ils avaient achetéenviron 200 maisons à Cleveland. (En 2008,ils en ont acheté 2 000 au total, réparties sur22 Etats.) Ils lui dirent qu’à la différenced’autres investisseurs, ils fournissaient auxacheteurs tous les éléments qui avaient éven-tuellement été volés par des pillards – tuyau-teries, chaudière, ballon d’eau chaude –, àcharge pour eux de les installer. Brancatellifut rassuré par cette information. Il savait d’ex-périence que les gens qui investissent un peude leur sueur dans une maison sont plus atta-

chés à l’entretenir et à régler les échéances deleur emprunt. En revanche, quand les Tomasilui décrivirent le type de financement qu’ilsavaient mis au point, Brancatelli ne put s’empêcher de ressentir un certain malaise.L’acheteur devait verser 500 dollars au comp-tant, puis s’acquitter de versements mensuelsn’excédant pas 450 dollars, soit un montantinférieur à la plupart des loyers. Mais le tauxd’intérêt était de 10 ou 11 %. Et ce qui pré-occupa le plus Brancatelli, c’est que les Tomasiespéraient à terme pouvoir revendre ces cré-dits à des investisseurs.

Brancatelli, perplexe, ne savait plus que pen-ser. “Je me disais que cela n’avait aucun sens devoir un Californien acheter des centaines de mai-sons dans une région en perdition.” Mais cela signi-fiait-il pour autant qu’il ne devait pas travailleravec les Tomasi ? Ces derniers convainquirentBrancatelli et ses collègues que leurs intérêtsse rejoignaient. “Nous voulons installer des gensdans des logements, leur dirent-ils. Et vous, vousvoulez que les maisons soient habitées.”

Mais Brancatelli avait bien raison de seméfier de ces spéculateurs qui rachètent lesmaisons saisies. Durant mon séjour àCleveland, j’ai pu voir deux maisons appar-tenant à une société d’investissement nomméeThor Real Estate. Je suis tombé sur la premièrealors que je traversais en voiture la partie orien-tale de la ville en compagnie du conseillermunicipal Jay Westbrook. C’était une mai-son d’un étage qui était encore inoccupéequelques semaines auparavant. Westbrook jetaun coup d’œil par l’une des fenêtres. Un jeunehomme était en train de poser du parquet. Ilse présenta comme étant Oswan Jackson. Ilvenait tout juste d’acheter la maison et vou-lait s’y installer avec sa femme, enceinte.Comme beaucoup de nouveaux acheteurs, ilavait l’air désorienté par la quantité de travauxà effectuer. Les fondations étaient fragiliséeset le toit avait besoin d’être refait. Il nous ditqu’il avait payé la maison 24 580 dollars :500 dollars au comptant avec des versementsmensuels de 290 dollars. “Ne vous inquiétezpas, nous sommes à vos côtés”, lui annonça cha-leureusement Westbrook. “Bienvenue dans le

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quartier.” Quelques jours plus tard, après avoirdemandé à un collègue de procéder à desvérifications, Westbrook apprit que la maisonavait été jugée sinistrée au point d’être frappéed’un ordre de démolition trois semaines aprèsque Jackson eut signé son contrat – et que desurcroît, Jackson devait régler les taxes immo-bilières en souffrance, lesquelles se montaientà 4 000 dollars. La dernière fois que je visJackson, il me déclara qu’il allait abandonnersa nouvelle maison.

La seconde maison était située sur East113th Street. Les marches de l’entrée avaientdisparu. Des monticules d’ordures encom-braient l’allée. Une des façades portait des graf-fitis de gangs, signe que l’endroit avait été uti-lisé comme lieu de rassemblement. Sur leporche, un panonceau annonçait : “500 comp-tant, 295 par mois”. En janvier, le propriétaireavait passé l’annonce suivante sur un site immo-bilier : “Je possède une belle maison au 3637 East113th Street à Cleveland, Ohio. Installez-vousaujourd’hui même ! Pas de vérification de solva-bilité !” Au cours d’une conversation que j’eusavec lui, un voisin se demanda tout haut quipourrait bien avoir envie d’acheter une telleruine. “Pour moi, elle n’a plus rien d’une mai-son”, conclut-il.

ILS VOULAIENT ACHETER UN MILLIERD’AUTRES MAISONS SAISIES À CLEVELAND

Le plus déprimant pour Brancatelli, c’est queThor Real Estate – la société propriétaire deces deux maisons – a été un temps partenairedes Tomasi. Ceux-ci affirment qu’ils ont cesséleur collaboration, mais devant le tribunal ilsont dû admettre que les deux sociétés s’étaientéchangées certaines propriétés.

En janvier dernier, Sheila Tomasi compa-raissait devant le tribunal du logement : cinqmaisons appartenant au couple étaient citéespour diverses infractions au code du logement.Durant l’audience, Sheila Tomasi évoqua lanouvelle propriétaire d’une des maisons, unejeune femme vivant seule avec ses sept enfants,qui avait engagé un entrepreneur pour instal-ler les tuyauteries fournies par les Tomasi. Letravail avait été bâclé. Les Tomasi avaient doncengagé eux-mêmes un plombier, à qui ilsavaient versé 1 300 dollars pour faire des tra-vaux, somme qu’ils avaient ajoutée aux rem-boursements mensuels dus par la propriétaire.“Si je ne donne pas un coup de main aux gensen difficulté, je n’arrive pas à m’endormir le soir”,déclara Sheila Tomasi devant le tribunal.

Elle confirma également au juge que sonmari et elle envisageaient d’acheter un mil-lier d’autres maisons à Cleveland. “Il est impor-tant que vous entreteniez vos biens et que vous vouspliiez aux règlements”, la sermonna le jugePianka. Sheila Tomasi opina du bonnet. Le jugecondamna les Tomasi à 50 000 dollarsd’amende, mais leur laissa un délai pour démo-lir les maisons en trop mauvais état ou réparercelles qui étaient récupérables.

Le juge Pianka quitta la salle du tribunalen hochant la tête, et me confia plus tard qu’ilavait compris pourquoi Brancatelli s’était rési-gné à travailler avec les Tomasi. “Que faired’autre ?” Lorsque j’informai Brancatelli sur lafaçon dont s’était déroulée l’audience et duprojet des Tomasi d’acheter 1 000 maisonsde plus, il se contenta d’observer : “Nous vivonsvraiment une drôle d’époque.” Alex Kotlowitz

■ IndicateurDans certainsquartiersd’agglomérationsaussi différentesqu’Atlanta, Chicago,Denver, Las Vegas ou Minneapolis, aumoins une maisonsur cinq est vacante.Dans des Etatscomme la Californie,la Floride et le Nevada, oùbeaucoup de saisiesont touché des maisons neuves,on craint qu’avec lamontée du chômageet le nombrecroissant de propriétaires quidoivent abandonnerleur logement, ces maisons videsrestent vacantesplus longtemps,augmentant d’autantle risque de les voirse détériorer ou êtrevandalisées. “Il y adans tout le pays des quartiers où la situation est dramatique”,souligne DanImmergluck, quienseignel’aménagement duterritoire au GeorgiaInstitute of Technology,“Cleveland est unbon indicateur de ce qui va arriver auxautres villes à causede la criseéconomique”.

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L’ANTICRISE Manuel de survie

EL PAÍS (extraits)Madrid

Il s’avère que toute une génération d’Es -pagnols va perdre ses économies parcequ’elle les a consacrées à l’achat de loge-ments dont le prix s’effondre. Nous ne pour-

rons donc pas disposer de ce sur quoi nouscomptions pour nos vieux jours et pour nosenfants. Et beaucoup d’entre nous se sont tel-lement endettés qu’ils ne peuvent plus faireface à leurs engagements. Il s’avère aussi quenous nous sommes spécialisés dans des acti-vités telles que maçon, plombier, électricien,transporteur, vitrier, fabricant de portes, depoutres, de carrelages ou de lavabos, conduc-teur de travaux, courtier, conservateur deshypothèques, agent immobilier, et qu’à présentnotre expérience professionnelle ne vaut plusrien et que nous allons devoir nous recon vertir.Il s’avère en plus que le miracle économiqueespagnol était un mirage, car nous noussommes employés à bâtir des logements quenous n’aurions jamais voulu bâtir si nous avionssu qu’ils vaudraient si peu à l’avenir. Nousavons acheté des appartements qui restent fer-més ou dans lesquels nous passons quelquesjours par an, non pas parce que nous étionspris d’une frénésie de consommation immo-bilière, mais parce que nous pensions que c’étaitune ré serve de valeur pour l’avenir.

Il a p p a r a î t d e s u r c r o î t q u e n o sbanques et nos caisses d’épargne n’ont eu decesse de prêter à des promoteurs immobiliersdont beaucoup ne peuvent plus aujourd’huirembourser leurs emprunts, ce qui pourraitconduire à la faillite des banques et descaisses. Il s’avère également que nos muni-cipalités ont bénéficié de rentrées d’argentéphémères, en requalifiant des terrains enparcelles à bâtir, et que le gaspillage auquelelles nous ont habitués touche à sa fin. Ilapparaît encore que pour ce qui est des voi-tures que nous avons achetées nous n’enavions pas les moyens, car nous étions moinsriches que nous ne le pensions. D’où une dis-torsion totale du tissu productif. Et lorsque,enfin, ce type d’activité non durable a prisfin, l’économie est entrée en récession.

Entre 1996 et 2007, la construction a connuune très forte croissance, de l’ordre de 5 % paran. De 1998 à 2007, le parc immobilier s’estenrichi de 5,7 millions de logements, soit unehausse de près de 30 %. Au troisième trimestrede 2007, le secteur du bâtiment représentait13,3 % de l’emploi total, soit bien plus qu’enAllemagne (6,7 %) ou qu’au Royaume-Uni(8,5 %), par exemple.

Plusieurs facteurs ont stimulé la demandede logements. Parmi les principaux, l’expansionéconomique (elle-même due en partie auboom immobilier), la baisse du chômage qui

en a résulté et la baisse des taux d’intérêt hy-pothécaires au lendemain du passage à l’euro(de 11 % en 1995 à 3,5 % sur la pé riode 2003-2005), qui étaientmême souvent négatifsaprès déduction del’inflation. La concur-rence entre banques apar ailleurs facilité l’accès au crédit hy-pothécaire et amélioréles conditions de prêt.Le nombre des mé-nages a égalementaugmenté, du fait no-tamment de l’arrivéemassive d’immigrés,environ 4,2 millionsentre 1996 et 2007.Enfin, les achats im-mobiliers de non-rési-dents se sont accrus, dans des proportions dif-ficiles à calculer. L’offre a répondu à cette pous-sée de la demande sans pouvoir la satisfaire en-tièrement, ce qui a donné lieu à de fortes haussesdes prix : en moyenne, entre 1995 et 2007, lelogement s’est renchéri de près de 10 % par an.

Y a-t-il eu une bulle spéculative ? Une bul-le se caractérise par la présence de grands vo-lumes de transactions à des prix très différentsde la valeur économique fondamentale. Ellen’est pas facile à détecter, en raison de la dif-ficulté qu’il y a à calculer cette valeurfondamentale. Très sou vent, onn’identifie la bulle qu’a posteriori,après un brusque ef fondrementdes prix. Sur le marché immo-bilier, caractérisé par une faibleliquidité, cet effondrement semanifeste au début plus sur lesvo lumes que sur les prix. En Es-pagne, la vente de logementss’est ef fondrée en 2008, et l’oncalcule qu’à la fin de l’année650 000 à 1,3 mil lion de loge-ments neufs n’avaient pas trou-vé acquéreur.

Quoi qu’il en soit, l ’Espagne a connuentre 1997 et 2007une revalorisationdes prix de l’immo-bilier de 191 % selonThe Economist, ce qui laplace au deuxième rang des pays del’OCDE et de vant d’autres où l’existen-ce d’une bulle est avérée, comme leRoyaume-Uni (+ 168 %) ou les Etats-Unis (+ 85 %). Mais les facteurs que nousavons cités n’expliquent pas à eux seulsle niveau de prix atteint. En 2003 déjà,la surévaluation était de l’ordre de8 % à 20 %, et, en 2004, de 24 %à 35 %. Une part significative del’inflation immobilière sembledonc avoir une origine spécula-tive : les gens acquéraient des lo-gements comme placement parcequ’ils s’attendaient à ce qu’ils prennent dela valeur. La pierre passait en outre pour un

placement sûr, contrairement aux actifs fi-nanciers, dont l’effondrement boursier de 2002avait révélé le risque.Dès 2002, la Banque d’Espagne avait tiré lasonnette d’alarme à propos de la surévalua-tion de l’immobilier, mais elle s’était montréetrop optimiste en estimant que cette envoléepouvait être “compatible avec une réabsorptionprogressive et ordonnée”, peut-être parce qu’el-le craignait de faire éclater la bulle. L’écono -miste espagnol José García-Montalvo indiquaiten 2003 : “Il est très probable que le marché im-mobilier espagnol soit une bombe à retardement quin’attende qu’à être déclenchée.” Pourtant, les di-rigeants politiques et les chefs d’entreprise sesont obstinés à nier jusqu’à récemment l’exis-tence d’une bulle.

Pourquoi n’a-t-on rien fait pour stopper labulle ? Tout d’abord, parce que le bâtiment estun secteur qui nécessite beaucoup de main-d’œuvre, ce qui est important dans un pays oùle taux de chômage est structurellement élevé.En deuxième lieu, parce qu’une hausse des prixde l’immobilier avantage l’électeur moyen,qui est propriétaire de son logement. Et, en troi-sième lieu, parce que l’immobilier génèred’énormes recettes fiscales, tant pour l’Etat quepour les collectivités locales.

Le gouvernement du Parti populaire(PP, droite) s’est trompé en 1998 avec sa loisur la libéralisation des sols. Il pensait que da-vantage de terrains constructibles accroî-traient le nombre de logements et feraientbaisser les prix. Grossière erreur : on s’est misà acquérir et à bâtir des logements non pasparce qu’ils étaient bon marché, mais jus-

tement parce qu’ils étaient chers et quel’on s’attendait à ce qu’ils pren-nent encore de la valeur àl’avenir. La loi sur l’occupationdes sols n’a donc fait qu’ali-menter la bulle, déclenchantune frénésie de requalifica-tions de terrains qui a permisaux dirigeants locaux de rem-plir les caisses des municipali-tés, quand ce n’était pas leurspropres poches.

Quant au gouvernementsocialiste qui lui a succédé, sestentatives pour favoriser le lo-gement social et la location, etsa nouvelle loi de 2007 sur l’oc-cupation des sols, ont été tota-lement inefficaces. En fait, il

s’est borné à chevaucher la bullejusqu’à ses derniers râles.En définitive, aucun des deux gou-

vernements n’a su préserver les citoyensd’excès financiers qui allaient anéantir

leurs économies, leurs emplois et leurprospérité. C’est un échec dont

on doit tirer les leçons etpour lequel il faut deman-der des comptes.

Manuel Arellano et Samuel Bentolila*

* Professeurs au Centre d’étudesmonéta i res e t f inanc iè res(CEMFI), à Madrid.

ESPAGNE Le bâtiment s’en va, plus rien ne vaComment l’éclatement de la bulle immobilière a mis à mal la prospérité du pays. L’analyse de deux prestigieuxéconomistes espagnols.

▼ Dessin d’EnriqueFlores paru dans El País, Madrid.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 38 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Un menu anticriseà 1 euro : c’est ceque propose tous

les jeudis le restaurant Darío’s de Gijón, dans les Asturies (nord de l’Espagne). Autant direqu’il fait le plein en faisant payerentrée, plat, dessert et verre de vin au prix d’un café. “Pas gastronomique, mais plusqu’honorable”, disent les clients.

El Comercio

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NEWSWEEKNew York

Peut-être est-il exagéré de dire que, si Dubaïva, la mondialisation va, mais il est devenudifficile d’imaginer l’un sans l’autre. Plusque tout autre lieu sur la planète, cette ville-

Etat des Emirats arabes unis est un pur pro-duit du commerce mondial, un aimant conçupour attirer les capitaux flottants qui recher-chent une rentabilité maximale et rapide, ets’en vont dès que les profits diminuent. Unegrande partie de cet argent provient des payspétroliers arabes de la région, notamment d’unvoisin, Abou Dhabi, qui possède 90 % des ré -serves de brut des Emirats arabes unis (EAU).Mais de nombreux milliards ont égalementafflué d’Iran, d’Inde, de Chine, de Russie,d’Europe, des Etats-Unis…

Pendant les dix dernières années au moins,la spéculation immobilière a été un sport natio-nal. Le prix des maisons et des appartements,dont beaucoup n’étaient pas encore construits,a augmenté de 43 % au cours du seul premiertrimestre 2008. Il était facile d’obtenir un prêtet les spéculateurs troquaient souvent leursbiens contre des profits substantiels au bout dequelques semaines, voire parfois de quelquesjours, avant même que la première mensualiténe soit due. C’était un jeu auquel tout le mondevoulait jouer. “Les gens n’avaient plus la tête àleur travail”, se plaint le président d’une sociétéde transport régionale. “Ils voulaient tous ache-ter avec un acompte de 10 %, quand on leur endemandait un.” Au mois de juin 2008, il y avaità Dubaï presque 4 millions de mètres carrésde bureaux en construction, soit plus que dansn’importe quelle autre ville du monde, y com-pris Shanghai. Ce qui n’était qu’un désert platil y a vingt ans est aujourd’hui un véritablecanyon urbain. La frénésie est telle que le HardRock Café construit au milieu de terrainsvagues en 1997 est aujourd’hui entouré de

gratte-ciel, et un projet visant à le démolir estactuellement discuté comme s’il s’agissaitd’un bâtiment classé. Mais Dubaï n’a pasété seulement un réceptacle des capitaux pla-

nétaires. L’émi rat a éga-lement été un in ves tis -seur mondial important.En 2006, DP World, l’undes plus grands opé ra-teurs por tuaires dumonde, a géré six desplus grands ports desEtats-Unis jusqu’à cequ’une tempête de pro-testations xénopho bes auCongrès américain rendel’affaire politiquementintenable. Aujour d’hui,Dubaï est, entre autres,actionnaire à hauteur de43 % de Nasdaq OMXet à 23 % de la Bourse de

Londres. Parmi ses filiales à 100 % figurent Tra -velodge en Angle terre, Mauser en Es pagne etles magasins Barneys et Loehmann’s à NewYork. Début 2005, le bénéfice exceptionnelgénéré par la hausse brutale du prix du pétrolesemblant devoir se maintenir, Dubaï a passé lavitesse supérieure dans sa course vers l’ex-pansion. Certains des principaux responsablesfinanciers de l’émirat ont commencé à pré-venir en privé qu’une bulle était en train dese former, essayant de diversifier leurs avoirsau maximum. Mais le pétrole a continué àgrimper et l’argent à se déverser dans une éco-nomie dubaïote débridée. Personne n’était prêtpour la chute du dernier trimestre 2008, qui aramené le brut à moins d’un tiers du prix affi-ché l’été précédent. Comme si souvent danscette économie mondiale où tout est connecté,l’onde de choc de la crise s’est propagée, décou-vrant certains des aspects les plus déplaisantsdu rêve dubaïote. Les vagues de licenciements,qui ont déjà commencé, vont avoir un impactnon seulement à Dubaï, mais aussi dans lesquartiers ouvriers de Manille, Mombasa et

Trivandrum qui ont envoyé de la main-d’œuvredans le Golfe. Des milliers de personnesdevraient quitter le pays à la fin de la saison, etce sans tambour ni trompette. Les permisaccordés aux travailleurs immigrés pouvantêtre retirés à tout moment, rares sont ceux quise plaignent. Mais l’amertume est grande.

Parallèlement, le prix des maisons et desappartements vendus sur plan a chuté de pres -que 50 % dans certains endroits, l’argent des -tiné aux emprunts a tout bonnement été geléet les grands projets ont été interrompus ouramenés à des dimensions plus modestes. Larumeur dit que Dubaï va devoir vendre unegrande partie d’Emirates Airlines, la compa-gnie aérienne nationale qui le relie au reste dumonde. Et, dans une culture financière fondéesur les informations privilégiées, les démentisofficiels qui ont été apportés n’ont pas beau-coup de crédibilité dans la rue. L’incertitudeet l’anxiété sont devenues si grandes que, mêmedans le célèbre souk de l’or de Dubaï, qui étaitun important centre de commerce bien avantl’invention du mot “mondialisation”, le désar-roi est palpable. “Non seulement le cours de l’orbaisse”, explique Firoz Merchant, propriétairede l’une des boutiques, “mais rien n’est sûr, toutpart dans des directions différentes.”

Pour tenter de restaurer la confiance, Dubaïa annoncé la création d’un “comité consultatif”dirigé par Mohammed Al-Abbar, le présidentd’Emaar Properties, qui, entre autres choses, esten train de construire le plus grand gratte-cieldu monde au cœur de la ville. En septembreet octobre 2008, la Banque centrale des Emiratsarabes unis a appliqué un plan de 32,7 milliardsde dollars pour soutenir les institutions finan-cières du pays. En novembre, Al-Abbar aannoncé la nationalisation des deux principauxorganismes de crédit immobilier, qui étaient àcourt d’argent. Et il a promis que les trois plusgrands promoteurs de Dubaï, qui contrôlentenviron 70 % de l’immobilier, travailleraientensemble pour garder la situation sous contrôle.Le krach actuel est en fait “une correction salu-taire”, a-t-il affirmé. Christopher Dickey

TANGAGE

DUBAÏ On ne spécule plus sur le sable

“Toshiba, le géantjaponais del’électronique,

a annoncé début mars lelancement de son premier centred’appels régional à Beyrouth”,se réjouit L’Orient-Le Jour.“Grâce au développement de services annexes, ce secteur pourrait générer40 000 emplois au Liban.”

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▶ La pommepourrie. Dessin d’El Roto paru dansEl País, Madrid.

Le petit émirat, dont l’économierepose sur l’immobilier, est frappéde plein fouet par la crise du crédit.

Abou Dhabi en sauveur ?

Au moment où les plans de sauve-tage économique sont au centre

des stratégies des gouvernements dumonde entier, plusieurs appels ont étélancés pour inciter Abou Dhabi à secou-rir l’économie de Dubaï. L’appel le pluspressant a été exprimé par Merrill Lynch,le grand courtier américain lui-mêmesauvé de l’effondrement grâce au sou-tien financier que lui a apporté Bank ofAmerica”, souligne Al-Hayat. Grâce àses énormes ressources pétrolières,Abou Dhabi est moins touché par le flé-chissement du marché immobilier etce petit émirat dispose de réservesfinancières qui lui ont déjà permis de

renflouer son propre secteur bancaireet ses institutions financières. “Lesinvestisseurs font désormais la distinc-tion entre les deux Etats : alors qu’àAbou Dhabi il est toujours possible d’ob-tenir un prêt, les crédits sont quasimentgelés à Dubaï.” Les deux Etats et leursrelations occupent une place de choixau sein des Emirats arabes unis. “Il estimportant qu’Abou Dhabi puise dansses ressources pour soutenir le secteurbancaire de Dubaï et compenser lespertes subies par cet Etat à la suite del’éclatement de la bulle immobilière, sur-tout si les pays du Golfe veulent conti-nuer à attirer les capitaux étrangers.”

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 39 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

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SMART MONEY (extraits)Moscou

En rentrant de leurs congés de Noël, lesouvriers de l’usine de Moundybach, unepetite localité [du sud] de la région deKemerovo [en Sibérie occidentale], ont

appris qu’ils allaient perdre leur travail. Lachute de la demande d’acier avait en effetpoussé le groupe Evraz à interrompre l’acti-vité des hauts fourneaux du combinat voisinde Novokouznetsk, ainsi que celle de leur unitéqui enrichit le minerai de fer en amont. “Jetravaille dans cette usine depuis que j’ai 17 ans”,nous explique Konstantin Starikov, qui exercele métier de grutier. “Nous avons bâti notre exis-tence ici. De quoi allons nous vivre maintenant ?”

Ici, les hommes partent en retraite à50 ans, et l’idée qu’il puisse y avoir une usinepolluante de moins dans la région ne réjouitaucun des 5 000 habitants. “Cette fermeturemet en péril les crèches, les écoles, les cantines etles magasins. Petit à petit, c’est tout le mondequi va perdre son travail”, résume GalinaTolmatcheva, qui dirige le comité syndical.Déjà, la centrale électrique envisage de divi-ser par deux ses effectifs, car l’usine était sonprincipal client. Galina Tolmatcheva affirmeque les gens sont prêts à tout. “Nous pouvonsaller bloquer les voies de chemin de fer àNovokouznetsk. Et s’ils ne veulent pas nous écou-ter, nous monterons à Moscou. Tous ensemble,toute la ville. Nous n’avons rien à perdre”, ajouteOleg Mamontov, chaudronnier. S’ils en arri-vaient là, ces ouvriers abandonnés à leur sortpourraient très bien retrouver dans la capitalede nombreux autres mécontents venus de tousles coins de Russie. La brusque dégradationde la conjoncture a en effet transformé des

villes hier encore prospères en zones dévas-tées par la crise.

Le président Dmitri Medvedev a ordonnéà tous les gouverneurs d’élaborer des pro-jets pour pallier d’éventuels licenciementsmassifs. Fin janvier, le vice-ministre de la Santéet du Développement social, Maxime Topiline,a déclaré que, d’ici à la fin 2009, le nombrede chômeurs passerait de 5,8 à 7 millions. Lespouvoirs publics espèrent résoudre le pro-blème avec 43,7 milliards de roubles [presque1 milliard d’euros], qui serviraient à créer desemplois provisoires et à faciliter l’installationdes chômeurs là où il y a des postes à pour-voir. Toutefois, les autorités ne semblent pasavoir pris la véritable mesure des enjeux. Selonl’Institut de politique régionale, la Russiecompterait 460 localités susceptibles d’êtrequalifiées de mono-industrielles. Cela repré-sente 25 millions de personnes et 40 % duproduit régional brut. A elles seules, les entre-prises du groupe Evraz font vivre 8 villes, soitune population de 696 000 personnes.

Le champion absolu dans cette catégo-rie est le groupe Rousal, avec 13 villes ras-semblant 815 000 habitants. A la mairie deNovo kouznetsk, une réunion d’urgence a étéorganisée. Valentin Mazikine, premier vice-

gouverneur, a rassemblé les représentants syn-dicaux, les dirigeants d’unités et les hauts res-ponsables du groupe Evraz afin d’examinerla situation. Natalia Ionova, vice-présidented’Evraz, est spécialement venue de Moscou.Elle y a souligné que les décisions de ferme-ture n’étaient pas définitives, mais que deslicenciements seraient inévitables. Elle acependant voulu se montrer rassurante : “Lesprojections les plus pessimistes nous disent que2 600 salariés pourraient voir leur poste dispa-raître, mais il pourrait y en avoir moins. Noussouhaitons vivement conserver les capacités detravail afin d’être en mesure de redémarrer auplus vite la production dès que la demande seraau rendez-vous.”

SEULES LES SURVIVANCES COMMUNISTESLOCALES PEUVENT SAUVER LES USINES

La demande a certes connu une hausse enjanvier, mais, comme l’a avoué le directeurgénéral de la holding, Alexandre Abramov,“la situation restera instable pour encore long-temps”. En décembre, les syndicats ont ac -cepté des baisses de salaire de 20 %, ce quin’a pas empêché l’annonce, peu après, delicenciements massifs.

Dans les souvenirs de Sergueï Iaroslavtsev,adjoint du dirigeant syndical du combinat deSibérie occidentale, la dernière fois que l’am-biance avait été aussi tendue, c’était il y a dixans [à la suite du krach financier de 1998] :“En ville, c’était l’horreur, une criminalité ter-rible, on vous arrachait l’oreille pour vous volervos pendants, et la tête pour prendre votre chapka,mais, aujourd’hui, c’est pire. A l’époque, les gensn’étaient pas payés sur le moment, mais au moinsles salaires étaient déposés sur des comptes. Onsavait que, tôt ou tard, on allait toucher cet argent.On avait le troc, et le crédit n’existait pas.”Désormais, c’est 1 milliard de roubles de cré-dits divers qu’environ 9 000 ouvriers du com-binat et de ses filiales doivent rembourser.

Par rapport à Novokouznetsk, la petite lo -calité de Moundybach a eu beaucoup de chance,car, en 1964, un jeune diplômé de 20 ans estvenu y occuper un emploi de sous-chef degare. Il s’appelait Aman Touleev. Trente-troisans plus tard, il a pris les rênes de la région

L’ANTICRISE Manuel de survie

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 40 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

RUSSIE Quand la seule usine de la ville fermeA l’époque soviétique, des centainesde villes ont été construites autourd’un combinat. Une monoactivitéqui ne peut que provoquer des catastrophes sociales en cas de difficultés économiques.

ENTRETIEN Pour le politologue bulgare Ivan Krastev, l’Europe de l’Est n’existe plusA l’Est, la crise touche paradoxalement les pays les plus avancés, épargnant pour l’instant les autres. Ivan Krastevexplique pourquoi.

Dans la presse, on parle de plus en plus desrépercussions de la crise dans les pays del’est de l’Europe. Qu’en est-il ?A la lumière de l’actuelle crise économiqueet financière, le concept d’“Europe de l’Est”est en train de se vider de son sens. Déjà,l’adhésion à l’Union européenne d’un cer-tain nombre de pays de l’ex-bloc soviétiqueavait fondamentalement changé la donne.La crise a également rappelé – ou révélé

pour certains – les différences structurellesentre les économies et les systèmes finan-ciers des pays d’Europe de l’Est. Dans cetespace postcommuniste, certains pays ontadopté l’euro ; d’autres ont indexé leur mon-naie nationale sur le cours de la monnaieeuropéenne et d’autres encore ont préféréadopter des cours de change flottants. Dansau moins deux autres pays, la Hongrie etla Lettonie, le Fonds monétaire international(FMI) a été appelé à la rescousse [laRoumanie a également fait récemment appelau FMI]. Même si c’est l’économie de mar-ché qui est partout plébiscitée, il existe desdifférences de taille entre des économies

encore très provinciales, celle de la Bulgariepar exemple, et des économies beaucoupplus globalisées, comme celles des Etatsbaltes ou d’Europe centrale.

Ainsi, entre Sofia, Budapest et Tallinn, onne ressent pas la crise de la même façon ?Un récent sondage effectué en Bulgarie parl’organisation non gouvernementale OpenSociety Institute [OSI, fondé par George Soros]démontre que ses habitants ne ressententpas les effets de la crise pour la simple rai-son qu’ils ont l’impression de subir une crisepermanente. Quelque 58 % des sondés qua-lifient leur situation matérielle d’“intenable”

alors que plus de 50 % estiment que, pen-dant l’année 2008 – une année de forte croissance économique –, leur situation per-sonnelle s’est dégradée. Aussi ne prennent-ils pas au sérieux les avertissements concer-nant une crise économique mondiale quin’est pour eux qu’une situation qu’ils ont tou-jours connue. La crise bancaire ? Elle est toutaussi abstraite dans un pays où près de lamoitié des habitants n’ont pas de comptecourant. Ce sentiment est certainement par-tagé par d’autres pays de la région, à l’ex-ception de ceux qui ont lié de façon beau-coup plus étroite leur économie à celles despays d’Europe occidentale. En Répu blique

◀ Dessin de Raúlparu dans La Vanguardia, Barcelone.

■ ▲ BorisKagarlitskiSociologue,politologue etjournaliste, il dirigel’Institut de la globalisation et des mouvementssociaux. Il a publiéen 2005 un livre surMarx, Markcizm : ne rekomendovanodlia oboutchenia(Le marxisme : à nepas mettre entretoutes les mains).

■ ▲ Ivan Krastev dirige le Centre forLiberal Strategies(CLS), à Sofia.Auteur de nombreuxlivres et recueilsd’articles sur des sujets aussidivers que la guerrerusso-géorgienne,les Balkans, le populisme et l’Europe.

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VZGLIAD (extraits)Moscou

L’Europe de l’Ouest comprend très bienqu’elle n’est pas en mesure de sauver l’éco-nomie de ses partenaires de l’Est. Si elleessayait, cela n’aboutirait qu’à faire sup-

porter un double fardeau aux “vieux” paysde l’Union, qui subissent déjà lourdement lacrise. La seule solution pour eux est de ten-ter de sauver ceux qui peuvent encore l’être, etplus précisément eux-mêmes. La conclusionlogique est qu’il faut jeter du lest, virer de lanacelle de la montgolfière les passagers encom-brants – en d’autres termes, sacrifier les par-tenaires est-européens. Nul besoin d’être pro-phète pour annoncer que l’effondrement de

l’Europe centrale etorientale n’est qu’unequestion de temps. Lesexperts prévoient que laplupart de ces pays – àl’exception peut-être dela Slovénie, de laRépublique tchèque etde la Slovaquie – serontencore en dépressionbien longtemps aprèsque les économies occi-dentales seront sorties dela crise. Etant donné quela dépression écono-mique se traduira forcé-ment par des troublespolitiques, une crise de

l’Union eu ropéenne en tant qu’entité fédéraleest inévitable. De plus, en jetant du lest,l’Occident va créer un précédent né gatif : si lesFrançais ne se sentent pas prêts à “mourir pourVarsovie”, les Finlandais et les Danois ris-quent fort de ne pas vouloir sacrifier leur pros-

périté au nom des Grecs. Les structures rigideset autoritaires de l’UE, élaborées durant lesannées passées, ne devraient pas réussir à gérerce problème. Il n’est d’ailleurs pas exclu quede nombreux hommes politiques occidentauxsoient déjà en train de se demander si le traitéde Lisbonne n’était pas une erreur et s’il nevaudrait pas mieux que l’Irlande, le seul paysqui organise encore des référendums [à cesujet], le rejette une nouvelle fois. Vu la situa-tion sur place, les partis au pouvoir ont peu dechances de l’emporter. Et, d’ici à l’automne,les choses auront encore empiré. D’un autrecôté, un second échec au référendum enver-rait au tapis les structures politiques de l’UE.En voulant forcer les Irlandais à revoter, dansun contexte de crise économique devenue abys-sale, les fonctionnaires de Bruxelles semblents’être pris eux-mêmes au piège.

Si l’Europe de l’Est est jetée par-dessusbord, les pays de la zone euro parviendront àconserver leur stabilité un certain temps, maiscette stabilité financière de l’Ouest sera obte-nue au prix d’un chaos croissant à l’Est, et lamenace d’un éclatement de l’UE pourrait alorsse concrétiser vraiment. En parallèle, l’ordrepolitique en vigueur dans l’Europe unie semblede plus en plus anachronique, et pas unique-ment pour les relations entre l’Est et l’Ouest.Les structures européennes, conçues pour lemarché, constituent désormais un obstacle àla politique anticrise, qui ne donnera de résul-tats que lorsque le néolibéralisme à l’originede la crise aura été totalement abandonné. Lesorganes de l’UE empêchent les gouvernementsnationaux de lutter contre la crise : ils leur met-tent des bâtons dans les roues et bloquent leursinitiatives. En un mot, ils sont la principalesource de problèmes pour l’intégration euro-péenne à cette nouvelle étape de son histoire.Et de cela on a encore plus conscience à l’Ouestqu’à l’Est. Maastricht, Nice, Lisbonne, tousces traités n’apparaissent plus comme des jalonssur la voie glorieuse d’une confédération euro-péenne, mais comme des panneaux menant àune sombre impasse. Peut-être vaudrait-ilmieux, pour la cause de l’union de l’Europe,mettre un terme à un projet qui a échoué et enlancer un autre ? Boris Kagarlitski

TANGAGE

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 41 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Deux Europes, une criseL’Est s’effondre. Et l’Ouest, mal en point, ne lui viendra pas enaide. Ainsi va l’Union européenne,explique l’éditorialiste russe Boris Kagarlitski.

de Kemerovo et a créé dans son fief une ver-sion régionale du communisme. Du coup,la bourgade bénéficie de sa protection. Lorsde la réunion, le premier vice-gouverneurValentin Mazikine a été franc, reconnaissantque conserver cette usine en activité relevaitd’une volonté politique. Si les actionnairess’obstinaient à vouloir la fermer, a-t-il expli-qué, on allait le leur faire payer cher : uneloi votée par la région sur les employeurs quiliquident une entreprise les oblige en effet àrecycler l’ensemble des équipements et à net-toyer le site de toute pollution. Pour l’usinede Moundybach, le coût serait tel qu’il estsans doute plus rentable d’y maintenir uneproduction inutile. Evraz a décidé de réflé-chir, et les habitants ont repris espoir.

Si on voulait vraiment un programme à lahauteur de la crise pour sauver les villes mono-industrielles, il faudrait y consacrer 400 mil-liards de roubles [8,8 milliards d’euros], estimeBoulat Stoliarov, directeur de l’Institut de poli-tique régionale. Si l’Etat consentait cet effort,les répercussions sociales de la crise pourraients’en trouver atténuées.

Ilia Jegouliev, Lioudmila Romanova

tchèque, en Slovaquie et, dans une moindremesure, en Roumanie, l’industrie automobile,très développée, souffre déjà de la baisse desachats de voitures neuves en Europe del’Ouest. Dans le secteur bancaire, la situationest également dégradée dans des pays qui,comme la Hongrie, ont largement ouvert leursbanques aux investissements étrangers, no -tamment aux banques autrichiennes, et encou-ragé le crédit. Aujourd’hui, ce sont eux qui accu-sent le coup des turbulences mondiales.

Ce sont donc les “meilleurs élèves” del’Europe qui sont le plus pénalisés ?Oui, la crise a redistribué les cartes et les

rôles. Elle a transformé certains handicapsen atouts, mettant ainsi relativement à l’abrides pays à l’économie peu développée età la finance opaque, et exposant aux aléasdu marché ceux qui avaient pleinementaccepté les règles du jeu capitaliste. Celadit, à moyen et long termes, ces pays rela-tivement épargnés – je pense à la Bulgarieet à la Roumanie – souffriront à leur tour desconséquences de la crise. Le chômage y aug-mentera, la crise dans le BTP – déjà per-ceptible – s’aggravera, tout comme dans lesecteur du tourisme – une source considé-rable de devises. Le retour de plus en plusmassif de ceux qui étaient partis chercher

fortune en Europe de l’Ouest aura égalementdes conséquences à la fois sur le tissu socialet l’économie de ces pays. La solidarité s’étiolera. Dans de nombreux pays disposantde fortes minorités, on peut aussi s’attendreà une “ethnicisation” des problèmes éco-nomiques. Cela aboutira inévitablement àune flambée de sentiments xénophobes,comme c’est déjà le cas en Hongrie vis-à-visde la communauté rom ou en Slovaquiecontre les Magyars… Des mouvements natio-nalistes, comme Ataka [formation d’extrêmedroite] en Bulgarie, reprendront du poil de labête. Reste, un peu partout, l’inconnue de laclasse moyenne : comment réagira-t-elle face

à la crise sachant que c’est elle qui est laplus touchée ? Ces dernières années, cetteclasse sociale a brillé par son absence dudébat politique ; composée de personnespossédant un haut niveau d’études et dis-posant de revenus confortables, elle a pro-gressivement perdu confiance dans l’élitepolitique, se désintéressant du débat public.Poursuivra-t-elle le processus de dépoliti-sation ou reviendra-t-elle dans le jeu démo-cratique à la faveur de la crise ? Les élec-tions européennes de cet été seront unpremier test.

Propos recueillis à Sofia par Alexandre Lévy pour Courrier International

“La crise est bien là.Je propose donc cinqremèdes simples

pour en sortir indemnes : 1) voir le dernierClint Eastwood ; 2) relire les classiques,notamment Jacques le Fatalistede Diderot ; 3) se plonger dans l’Histoire,notamment celle du communisme ; 4) faire du sport ; 5) parler avec sesgrands-parents : ce qu’ils ont vécu nousfera relativiser les déboires actuels.”

Costi Rogozanu, écrivain et journaliste roumain

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W E B +Dans nos archivescourrierinternational.com

▶ Mioveni, la villaDacia (26/03/2009)

▲ Dessin de Januszewski paru dansRzeczpospolita, Varsovie.

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AERA (extraits)Tokyo

Dans la ville-dortoir qui jouxte l’usineToyota de Tahara, dans la préfectured’Aichi, les rues sont désertes : les par-kings, pratiquement vides ; on ne sent

pas de présence humaine. Pourtant, jusqu’àtout récemment, des ouvriers en CDD venusdes quatre coins du pays vivaient là. Un jeunede 22 ans, portant un bagage, est seul àattendre le bus à destination de la gare. “Pourmoi aussi, c’est fini”, confie ce garçon origi-naire de Kyushu. “La semaine dernière, ils m’ontannoncé que mon contrat ne serait pas renouvelé.Je suis viré. Il paraît qu’ils vont licencier tousles CDD. Je suis le dernier à rester sur ce site.”L’usine est située sur la péninsule d’Atsumi,au-delà d’une zone agricole couverte dechamps de choux. Jusqu’en octobre 2008,le jeune homme travaillait sur la chaîne dela gamme Lexus, des modèles de luxe.

Fin mars 2008, quelque 9 000 salariés enCDD travaillaient dans les douze usinesToyota disséminées dans la préfecture d’Aichi[dont le chef-lieu, Nagoya, est considérécomme le fief du constructeur automobile].Mais, avec l’assombrissement de la conjonc-ture économique mondiale, leur nombre esttombé à 6 000 fin octobre 2008 ; fin mars,il ne devait plus en rester que 3 000. A l’ex-piration de son contrat, notre jeune hommea perçu une prime de 700 000 yens[5 400 euros] et le montant équivalant auxfrais de voyage de retour pour Kyushu. “Jesuis malgré tout reconnaissant envers Toyota, oùj’ai pu gagner mon pain depuis que j’ai quitté monlycée professionnel. J’étais bien mieux payé que sij’avais vécu de petits boulots.” Il n’y a guère d’en-droits pour se distraire dans ce site coincéentre les champs et la mer. En faisant l’al-ler-retour entre l’usine et son foyer, le jeunehomme a pu économiser 2 millions de yenspar an. Mais son avenir est incertain. “Rienn’est encore décidé. A Kyushu, il n’y a pas dedébouchés”, dit-il avant de monter dans le bus.

Encore peut-il s’estimer heureux d’avoir unchez-soi où rentrer. Des Brésiliens qui tra-vaillaient tout en bas de la structure industriellepyramidale se retrouvent aujourd’hui sans em-ploi dans le “fief de Toyota”. Sur la routed’Okazaki, il y avait auparavant un love hotel.Aujourd’hui, six familles de Brésiliens (23 per-sonnes au total) qui ont été licenciés vivent lesunes sur les autres dans ce bâtiment déserté.Le propriétaire a proposé de “le mettre à la dis-position des personnes en difficulté” et, depuis lami-décembre, l’ancien hôtel est devenu le re-

fuge des Brésiliens sans emploi.Des règles de vie commune ont

été établies : chacun participeau ménage et à la cuisine.

Des compatriotes qui vivent dans le voisinagefournissent des produitsalimentaires, des appa-reils de chauffage et desproduits d’hygiène. L’undes résidents, Walter Vet-

toretti Amoruz, 22 ans, a été li-cencié fin septembre 2008 par une

usine qui fabrique des pièces déta-chées pour les freins des voitures

Toyota. Au total, ce sont 30 Bré-siliens qui ont été débauchés

d’un coup. Le groupe Toyotan’emploie pas directement de

Brésiliens. Mais, sans eux,ses sous-traitants (di-

rects et indirects) de la région ne pour-

raient pas fonc-tionner. L’usine

où travaillait Walter fabri-quait des

p i è c e s pourles modèles Pre-

via et Alphard. “Jevenais de finir de

rembourser ma dette de1,1 million de yens de billets d’avion

quand j’ai été mis à la porte. Quand on a une fa-mille, l’avenir est très sombre.” Mariley, une Bré-silienne de 42 ans, qui a été licenciée par Den-so, un équipementier de Toyota, a demandéà son em ployeur de revenir sur sa décision.Toshiyuki Kobayashi, un responsable dusyndicat indépendant Nagoya Fureai Union,la soutient dans sa démarche. “Lors des né-gociations collectives, la direction de l’entreprisene cache pas que ‘les Brésiliens servent de sou-pape’. C’est vraiment grave”, raconte-t-il.

Les voitures ne se vendent pas. Pour lesmodèles de luxe et les grosses cylindrées, très

gourmandes en essence,la chute des ventes estspectaculaire. L’effetde la crise se fait particulièrement sentirdans des usines pharescomme celle de Tahara,qui produisait plus de600 000 Lexus et desmodèles spor t , qui peuven t a t t e indre 15 millions de yens[116 000 euros]. Chezun concessionnaireLexus de Nagoya, le cal-me est saisissant pour cedébut d’année. Troismodèles, dont les prix

de vente s’échelonnent de 4 à 10 millions deyens, sont exposés sur le sol en marbre. Maison n’aperçoit aucun visiteur et encore moinsd’acheteurs. Selon la Confédération japonaisedes concessionnaires automobiles, 1405 Lexus

ont été vendues dans le pays en décembre 2008,soit une baisse de plus de 1 000 unités par rap-port au mois de décembre précédent. Le ma-rasme est encore plus profond aux Etats-Unis. Depuis le lancement de la Lexus[en 1989], Toyota en a vendu 4,42 millions dansle monde, dont 80 %, aux Etats-Unis. Aupa-ravant, les Américains achetaient des voitureschères, comme celles de la gamme Lexus oucomme le pick-up Tandora, en contractant desemprunts. Mais, avec la crise, les crédits autosont devenus difficiles à obtenir. En un clin d’œil,les ventes se sont tassées. Toyota n’est pas la seu-le entreprise touchée par la chute des ventes deLexus. D’innombrables sous-traitants sontaujourd’hui au bord de la faillite.

UNE SITUATION QUE L’INDUSTRIEAUTOMOBILE N’A JAMAIS CONNUE

Toshihiro Uchida, économiste chez MitsubishiUFJ Research and Consulting, est chargé desuivre l’économie du Chubu, la région deNagoya. “Les modèles qui ont rapporté le plus pen-dant la bulle financière sont ceux de la gammeLexus. Mais Toyota n’a pas réfléchi à ce qu’il feraitd’une usine spécialisée comme celle de Taharalorsque ces véhicules ne se vendraient plus.”

“Avec le recul, ne pensez-vous pas que ladirection a surestimé ses capacités et qu’elle s’estrelâchée ?” a demandé un journaliste au PDG,Katsuaki Watanabe, lors d’une réception don-née à Tokyo le 6 janvier par une organisationpatronale. “A long et à moyen terme, je ne croispas que notre politique soit erronée, a réponduM. Watanabe. Mais nous avons tardé à réagir.Il y avait des signes alarmants, mais nousn’avons pas pensé que le monde entier serait sirapidement et si profondément touché. Désormais,nous serons davantage à l’écoute de nos clientset nous reviendrons à nos valeurs fondamen-tales.” Ces paroles semblent suggérer un désirde renoncer à la stratégie d’expansion sym-bolisée par la série des modèles Lexus etde retourner à la tradition Toyota, c’est-à-dire une production fondée sur une demandesolide. Dans le même temps, M. Watanabea exprimé l’espoir que le groupe retrouve saplace sur le marché américain. “Nous sou-haitons y conserver notre part de marché, voirel’accroître légèrement.”

Cependant, compte tenu de l’état actuelde l’économie mondiale, l’industrie auto-mobile japonaise a peu de chances que cetespoir se réalise. “On ne peut plus s’attendre àce que les affaires reprennent grâce aux exporta-tions à destination des Etats-Unis. Il faut désor-mais accroître la demande intérieure et comptersur une percée des marchés des pays émergents.Les voitures ayant une durée de vie de plus enplus longue, il faudra que Toyota invente une voi-ture de conception totalement nouvelle pour qu’ellepuisse se vendre”, estime M. Uchida.L’industrie automobile japonaise pourra-t-elle survivre tout en continuant à consacrerd’énormes ressources à la recherche ? Ce quiest certain, c’est qu’après avoir servi demoteur à la croissance du pays elle va devoirtraverser un tunnel terriblement long – unesituation qu’elle n’a jamais connue.

Nobuo Fukuda et Yasuaki Ooshika

L’ANTICRISE Manuel de survie

JAPON Désert autour des usines Toyota

▲ Dessin de Sakai, Japon.

Les difficultés du constructeurautomobile ont de multiples conséquences dans son fief, la région de Nagoya. Une cité-dortoir vidée, des sous-traitants sur la paille…

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 42 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

CW

S

Au Japon, des ONG se substituentaux banques

pour financer la réalisation de projets vertueux. Ainsi ap bank,fondée en 2003 grâce notamment à un apport financier du musicienRyuichi Sakamoto, a aidé une PME à mettre sur le marché uncombustible solide élaboré à partirde couches jetables usagées.

(Voir CI n° 954, du 12 février 2008)

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DIE ZEITHambourg

Les Allemands peuvent encore espérer rem-porter le titre de champions du monde del’exportation. L’Allemagne a en effetexporté plus de marchandises que tout

autre pays en 2008, comme les années pré-cédentes. Faut-il en déduire que l’économieallemande est forte ?

Selon les responsables politiques, laréponse est oui. Il ne se passe quasiment pasun jour sans qu’un membre de la coalitiongouvernementale ne déclare que les entre-prises ont de “solides charpentes” et que l’éco-nomie est au mieux de sa forme – de sorteque, une fois la crise passée, elle pourrait ànouveau déployer toute sa force.

Mais on peut aussi voir les choses toutautrement. L’Allemagne vit grâce à sesexportations. En 2007, les exportations deproduits constituaient 40 % de son PIB. Untaux qui est de 23 % en France et de 9 %aux Etats-Unis. Même la Chine, que l’on cri-tique souvent pour l’agressivité de sa poli-tique commerciale, est moins dépendante,avec 36 % du PIB.

Les responsables politiques ont encouragéla formation du déséquilibre commercial danslequel se trouve l’Allemagne. Ils ont exhortéles salariés à faire preuve de modération afinde renforcer leur compétitivité, sans se pré-occuper de stimuler la demande intérieure.

Outre-Rhin, la glorification des exportationsest une vieille tradition. Elle s’enracine dans lemercantilisme, un courant de pensée écono-mique né au XVIe siècle selon lequel les poli-tiques économiques devaient viser à renforcerles exportations.

La stratégie mercantiliste a certes porté sesfruits. Les entreprises nationales ont gagné desparts de marché. Elles ont embauché. Mais leproblème, c’est qu’il leur faut avoir suffisam-ment de commandes pour maintenir leurniveau de production. Lorsqu’un pays exporteplus qu’il n’importe, un autre pays doit néces-sairement acheter plus qu’il ne vend. Lemodèle allemand ne fonctionne que si d’autrespays sont prêts à vivre au-dessus de leursmoyens. En ce sens, l’économie allemandereste forcément tributaire des excès de payscomme les Etats-Unis. Les Américains ontemprunté de plus en plus avant tout parcequ’ils voulaient s’acheter des produits, notam-ment des produits importés.

Une des leçons à retenir de la crise, c’estqu’un tel système finit forcément par se grip-per. De nombreux Américains sont suren-dettés. Ils vont probablement devoir se ser-rer la ceinture pendant quelques annéesencore. L’Allemagne a ainsi perdu un ache-teur important, et l’effondrement est spec-taculaire : en décembre 2008, les commandesde l’étranger ont accusé un recul de 31,7 %,par rapport à décembre 2007. C’est juste-ment parce que l’Allemagne dépend forte-ment des exportations que la crise risquede la frapper bien plus durement que d’autrespays. Pour cette année, la Commission euro-péenne prévoit un recul du PIB de l’UE de2,3 %. Au demeurant, l’Allemagne se rangeà l’avant-dernière place du classement, der-rière des pays touchés de plein fouet par lacrise, comme l’Espagne. Bref, le modèle éco-nomique allemand semble tout aussi dépasséque celui des Etats-Unis.

Mark Schieritz

TANGAGE

ALLEMAGNE Trop accro à ses exportationsHier, l’économie allemande étaitforte parce que ses industrielsmisaient sur les ventes à l’étranger.Aujourd’hui, elle subit de plein fouet l’effondrement de la consommation aux Etats-Unis(et ailleurs).

ABÉCÉDAIRE Petits motspour grands mauxLe poète et penseur allemand Hans MagnusEnzensberger dresse la liste des termes et expressions dont la crise a fait la fortune.

Bad bank : n. f. Néologisme évoquant la rhéto-rique de la brebis galeuse et laissant en sus-pens la question de savoir s’il existe de “bonnesbanques”. [Syn. : structure de défaisance.]Casino : n. m. Institution légale conçue pour fairegagner la banque à tous les coups. Existe aussisur Internet sous le nom de “banque en ligne”.Certificat d’investissement : n. m. Document assu-rant à son propriétaire le maximum d’incertitude.Conseiller : n. m. Employé de banque qui n’ensait pas plus que ses clients mais qui, tant qu’ilfait un bon chiffre d’affaires, gagne de l’argentau lieu d’en perdre.Economie réelle : n. f. A ne pas confondre avecson pendant déconnecté de la réalité et essen-tiellement composé de données fictives.Nationalisation : n. f. Idéal des partis commu-nistes, réclamé à cor et à cri par les grands éta-blissements bancaires.Prime à la casse : n. f. Récompense offerte pourla destruction d’objets d’usage courant ; celuiqui la touche l’a d’abord acquittée sous formed’impôts. Existe également dans certains éta-blissements bancaires sous forme de bonus dis-tribué au cadre responsable de la faillite duditétablissement.Produit : n. m. Souvent accompagné de l’ad-jectif innovant, désigne l’œuvre imaginaire d’unsecteur fier de ne rien produire du tout.Toxique : adj. Se dit de certains actifs innovants,voir également produit.Hans Magnus Enzensberger, Die Zeit (extraits), Hambourg

SUÈDE Personne ne veut de nos autos

Peu de pays sont aussi dépendantsde l’industrie automobile que la

Suède. Avec 15 % de l’export, c’estl’une des toutes premières industriesd’exportation du pays. “Autour de SaabAutomobile, de Volvo Cars, de Scania etde Volvo Trucks se sont constitués desagrégats de centaines d’entreprises quilui fournissent produits et services.Quand les constructeurs automobilesvont mal, l’onde de choc se répercuteen chaîne sur les sous-traitants”,constate l’hebdomadaire Fokus. Sanscompter “les 140 000 employés de l’in-dustrie automobile, qui font travailler dessecteurs aussi variés que la restaura-tion, les hôpitaux ou les banques”. Lesderniers chiffres du chômage témoi-gnent de la plus grave situation qu’aitconnue le pays depuis les années1970 : 100 000 personnes ont étélicenciées au cours des six derniersmois, dont 53 % dans l’industrie manu-facturière. L’industrie automobile étaitdéjà victime d’une baisse de lademande avant le début de la crisefinancière mondiale. Aftonbladet note

que Saab n’a pas fait de bénéficesdepuis treize ans. Et, à l’automne der-nier, les commandes ont brutalementcessé. De même pour Volvo. “Le restedu monde ne s’est malheureusementpas aperçu que Saab et Volvo fabri-quaient des voitures exceptionnelles”,ironise le quotidien, qui estime que les28 milliards de couronnes (2,5 milliardsd’euros) consacrés par gouvernementà la recherche dans ce secteur et àd’autres aides ponctuelles ne suffirontpas à développer la clientèle.Les similitudes avec la crise des chan-tiers navals suédois, dans les années1970, sont frappantes et éclairantes.“Des dizaines de milliers de Suédoisfurent mis au chômage lorsque l’aug-mentation du prix du pétrole et le flé-chissement concomitant du commercemondial entraînèrent une diminutionde la demande de nouveaux navires”,rappelle Fokus. Et l’injection par legouvernement de milliards de cou-ronnes dans le secteur n’empêchapas les chantiers navals de tous fer-mer dix ans plus tard.

◀ Des jouets par milliers. Dessin de Horsch, paru dans Handelsblatt,Düsseldorf.

■ AutrichePionnières en Europe de l’Est,les banquesautrichiennes ont développé une stratégied’expansion qui leura valu d’engrangerde solides bénéficespendant deuxdécennies. Face à l’effondrement qui menaceaujourd’hui touteune série de paysen transition,Vienne lance unappel à Bruxelles.“L’aide demandée à l’UE au profit des payspostcommunistesest en réalité uneaide pour sauverl’Autriche, relate lequotidien de VienneDie Presse. Car lessommes que nosbanques ont prêtéesà l’Europe de l’Estreprésentent 85 %de son PIB. Et comme l’Etats’est porté garantdes banques,l’effondrement de ces payssignifierait la faillitede l’Autriche.”

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L’ANTICRISE Manuel de survie

FLASH-BACK

FINANCIAL TIMES (extraits)Londres

Les riches s’enrichissent et les pauvres s’ap-pauvrissent, dit un vieil adage. Et le mar-ché américain de l’immobilier résidentielle confirme. Grâce aux généreuses primes

distribuées à Wall Street, les prix des logementspour New-Yorkais aisés continuent d’aug-menter allègrement. Mais dans les quartierspauvres des villes américaines, où vivent denombreux Noirs et Latinos, la situation estbien moins reluisante.

Les Bourses du monde entier ont récem-ment vacillé devant la perspective d’une implo-sion du marché des prêts immobiliers avec sur-prime [accordés aux personnes peu solvables]qui entraînerait les Etats-Unis dans la réces-sion et freinerait la croissance mondiale. Lesinstitutions spécialisées dans ce type de créditshypothécaires à hauts risques, comme NewCentury Financial, sont en difficulté en raisondu nombre d’emprunteurs qui ne peuventhonorer leurs échéances, alors que les tauxd’intérêt montent et que la valeur des loge-ments baisse.

Comme je n’avais jusque-là jamais entenduparler des prêts immobiliers avec surprime, j’aipassé pas mal de temps, ces derniers jours, àétudier la question. Voici ce que j’ai appris.Prenons le cas d’un homme marié avec deuxenfants, qui occupe un emploi peu rémunéré,par exemple homme de ménage dans uneécole. Nous sommes en 2004. Il loue un appar-tement et observe avec envie le boom de l’im-mobilier, alors que les prix des logements etles loyers flambent. Il décide que pour la pre-mière fois de sa vie, il va pouvoir gagner de l’ar-gent en devenant lui aussi propriétaire. Il ne

va pas voir sa banque parce qu’il a eu du malà payer ses factures par le passé et qu’il a peurd’être humilié. Alors il se rend chez un cour-tier en crédits immobiliers qui a obtenu un prêtpour l’un de ses amis. Il explique qu’il a unpetit salaire et pratiquement pas d’économies,mais qu’il veut acheter une maison.

“Aucun problème, lui répond le courtier.Asseyez-vous. Votre situation bancaire n’est pasbrillante et vos revenus pas très élevés, mais on peutarranger ça. Il faut d’abord commencer par choi-sir le type de crédit. Tout le monde en veut un àtrente ans à taux fixe, mais vous préféreriez sansdoute de faibles échéances au début. Il vous fautmeubler votre logement, le repeindre, aussi ce genrede prêt vous permettra de respirer un peu pendantquelques années. Quant aux revenus, ne vousinquiétez pas : dites-moi simplement que vous tou-chez un salaire au lieu de m’apporter tout un tasde papiers. Il y a des frais, mais on peut les incluredans le prêt de manière à vous éviter de débourserquelque chose tout de suite.Voici ce que vous aurez àpayer chaque mois. C’estpas mal, non ? Signezsimplement ici et, oh ! iciaussi, et on fait avancer leschoses avec la banque.”

Tout cela paraît in-quiétant – et l’est. Notrehomme de ménagevient de contracter unprêt immobilier à tauxvariable, qui finira parlui exploser à la figure.Il paie 7 % d’intérêt lesdeux premières années,puisque les taux courtssont bas en 2004, maisil se retrouve avec des arriérés de taxe fon-cière, car, contrairement à l’usage habituel, labanque ne l’a pas prélevée tous les mois.

“Aucun problème”, le rassure le courtierquand il retourne le voir l’année suivante pourlui raconter ses malheurs. “Ravi de vous revoir.Vous avez eu raison d’acheter cette maison parceque sa valeur a augmenté. Il suffit de refinancerle prêt pour vous permettre de payer ces factures.Signez ici et, oh ! ici.” [Les ménages emprun-tant sur la valeur de leur logement, tant que

Alerte aux “subprimes” !Mars 2007 Pris en tenaille entre la hausse des taux d’intérêt et la baisse des prix des logements, de nombreux ménages ne peuvent plus payer leurs traites. Ils avaientsouscrit des prêts hypothécaires à taux variable, avec surprime.

▶ Une maisonabandonnée etvandalisée dans unquartier central deDetroit (Michigan).

De mars 2007 à avril 2009, la descente fut rapide et inexorable. On vit d’abord trébucher la finance avecses produits si dérivés qu’on ne savait plus qui les portaient. Puis ce fut au tour de l’immobilier d’être atteint,en Espagne, en Irlande et, surtout, aux Etats-Unis. A l’automne 2008, les établissements bancaires et lescompagnies d’assurances sont à leur tour touchés, comme dans une bataille navale qui se termine. Enfin, sansreprendre son souffle, la crise se propage à l’économie réelle, mettant au chômage des millions de gens.

■ ▲ Janvier 2008La crise du créditse propage : Courrierinternationalévoque déjà une“grande dépression”. A la une du n° 899,du 24 janvier 2008.

celle-ci augmente, ils peuvent renégocier unprêt plus élevé. Cet argent leur sert à consom-mer ou à rembourser le prêt précédent.]

Puis, en 2006, les prix de l’immobiliercommencent à baisser dans la ville et, versle milieu de l’année, les remboursements sontrévisés. Le taux d’intérêt initial de 6 % grimpeà 10 %, avec en perspective une nouvellehausse à 12 % : ça y est, son prêt à tauxvariable a explosé. Notre homme ne peut paspayer et retourne chez le courtier. Mais cettefois, l’accueil est beaucoup moins chaleureux :la valeur de la maison a tellement baisséqu’elle ne permet plus de garantir un nou-veau refinancement.

Adieu la maison. La structure de titrisationdes prêts hypothécaires (qui a divisé le risquede crédit en tranches pour le vendre à diffé-rents groupes d’investisseurs) appelle la banquequi a octroyé le prêt et lui demande de prendrepossession de la propriété. Notre homme doitlibérer son logement, qui est mis aux enchères,ce qui tire un peu plus à la baisse les prix del’immobilier dans la même rue.

Cette triste histoire est une parfaite illus-tration de la nature humaine et de la cupi-dité. Le courtier a gagné une commissionplus élevée en vendant à notre homme deménage un prêt immobilier à taux variabletrès risqué au lieu d’un prêt à taux fixe eten lui demandant de certifier lui-même sesrevenus (ce qui l’oblige à payer un taux d’in-térêt plus élevé). En ne prélevant pas les taxes,la banque a elle aussi aggravé les choses :l’emprunteur ne pouvait plus échapper à unepénalité pour remboursement anticipé de sonpremier prêt, soit un surcoût représentant3 % du montant du crédit.

Tant que les prix de l’immobilier aug-mentent, le courtier et l’organisme prêteur (etles banques de Wall Street qui ont titrisé leshypothèques) peuvent gagner de l’argent àchaque fois que l’homme de ménage recourtau refinancement. De fait, tous avaient direc-tement intérêt à ce que son emprunt soit au-dessus de ses moyens et qu’il soit obligé d’enprendre un autre. Mais lorsque le marchéimmobilier a commencé à baisser, la musiques’est arrêtée. John GapperParu dans CI n° 856, du 29 mars 2007.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 44 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Les McMansion,ces pavillonssurdimensionnés

dont raffolaient les Américains,n’ont plus le vent en poupe. Criseéconomique oblige, la surface desmaisons tend en effet à se réduireaux Etats-Unis. Selon le Bureau du recensement, la surfacemoyenne des logements américainsa diminué de 9 mètres carrés au cours de la seule année 2008.

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L’ANTICRISE Manuel de survie

THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

Susan Whittaker était désespérée. Il y aquatre ans, elle avait acheté pour la pre-mière fois un appartement, à Rochester,à moins de deux heures de Londres, à

l’est. Mais, lorsque les taux d’intérêt se sontmis à grimper, les revenus tirés de la boutiquequ’elle gère avec son compagnon n’ont pluscouvert les échéances de leur prêt à tauxvariable. Menacée de saisie et décidée à ne pasaller vivre chez sa mère, elle a trouvé uneplanche de salut dans un dispositif qui gagnedu terrain au Royaume-Uni, le “sale and rentback” (vente et reprise en location). Une sociétéa racheté son appartement – à un prix inférieurà sa valeur –, puis l’a loué au couple.

Alors que les Américains redoutent une épi-démie de saisies de biens hypothéqués pro-voquée par la crise des prêts immobiliers àrisques, le Royaume-Uni, lui, est déjà touché.Depuis le début de l’année, les créanciers ontsaisi 14 000 logements, soit une hausse de 30 %par rapport à la même période de l’année der-nière, selon le Conseil des organismes de cré-dit immobilier. Du jamais-vu depuis huit ans.Par ailleurs, 125 000 ménages sont en retardpour leurs remboursements, et les faillites per-sonnelles ont elles aussi battu des records.

La situation a pris un tour si dramatiqueque le nouveau gouvernement de Gordon

Brown tente de changer en profondeur le sys-tème des crédits hypothécaires. Reste à savoirs’il réussira, compte tenu du goût prononcé deses concitoyens pour la propriété immobilière,les crédits à taux variable et l’endettement. LesBritanniques sont les consommateurs les plusendettés des pays industrialisés membres duG7, et les émissions de télévision consacréesaux conseils sur l’immobilier et les crédits figu-rent parmi les plus populaires.

A l’heure actuelle, seuls 5 % des acquéreursbritanniques souscrivent un prêt à taux fixe.La norme est un crédit à taux fixe les deux pre-mières années, puis à taux variable pour ladurée restante. Mais les taux variables sontmontés en flèche, la Banque d’Angleterre ayantrelevé son taux directeur par cinq fois au coursdes douze derniers mois, pour le porter à5,75 %. Confrontés en outre à la flambée desprix de l’alimentation et des services courants,les accédants à la propriété se retrouvent dansune situation très difficile.

Selon les spécialistes de l’immobilier, c’estce qui explique pourquoi ils sont de plus enplus nombreux à recourir au système du saleand rent back. L’essor de ce marché non régle-menté préoccupe les autorités de tutelle et lelégislateur, qui voient des propriétaires renon-cer à leur bien pour un prix parfois inférieurà 75 % de sa valeur, sans garantie de pouvoiry demeurer plus de six mois, la durée minimaled’un bail en Grande-Bretagne.

Le bon côté des choses, c’est que les prixde l’immobilier, à la différence de ce qui se passeaux Etats-Unis, continuent de grimper – ils ontplus que triplé depuis 1997 [mais en juillet ilsn’ont augmenté que de 0,1 %]. La Fédérationnationale du logement a récemment prédit queles prix progresseraient encore de 40 % dansles cinq années à venir, ce qui ferait passer le

coût moyen d’un logement – déjà équivalent àonze fois le salaire moyen – à 302 400 livres[447 000 euros]. Tant que les prix augmentent,les propriétaires aux abois peuvent en théorievendre leur bien pour rembourser leur emprunt.Toutefois, dans la pratique, il faut souvent plu-sieurs mois avant de réaliser la vente, et nom-breux sont ceux qui voient leur bien saisi avantd’y parvenir. Si la hausse des prix en dissua-dera sans doute certains d’acheter, d’autrescontracteront simplement un prêt plus impor-tant. Cette hausse de la demande d’empruntrisque d’inciter les prêteurs à être plus laxistes,ce qui provoquerait de nouvelles faillites per-sonnelles. Cela porterait un coup à la consom-mation des ménages et ralentirait la croissanceéconomique. Conscient du danger, le gouver-nement Brown a pris deux mesures pour empê-cher le boom de l’immobilier de tourner à ladébâcle. La première prévoit la constructionde 240 000 logements par an d’ici à 2016 afinde renforcer l’offre de biens à des prix abor-dables ; la seconde vise à encourager les prê-teurs à octroyer des crédits à taux fixe sur vingt-cinq ans. Selon les spécialistes, environ2 millions de crédits passeront à un taux plusélevé dans les dix-huit prochains mois, lapériode initiale à taux fixe ayant expiré.

Si le gouvernement ne parvient pas à chan-ger les habitudes des Britanniques, le paysrisque de plonger dans sa propre crise du cré-dit, les ménages peu solvables ne pouvant pluss’adresser qu’aux établissements spécialisésdans les prêts hypothécaires à risques. “C’estlà que commenceront les vraies difficultés. Il pour-rait alors fort bien se passer la même chose qu’auxEtats-Unis”, prévient Steve Grail, directeur deGrosvenor Trust & Savings, un conseiller financier indépendant. Julia WerdigierParu dans CI n° 879, du 6 septembre 2007.

La crise du crédit immobilier s’accélère

MAI 2008 Fin de partie brutale en IslandeAprès des années de croissance soutenue,l’île nordique pourrait être la premièregrande victime du ralentissement mondial

DE REYKJAVÍK

Pendant la majeure partie de la décennieécoulée, l’Islande, avec sa population

d’à peine 313 000 habitants, a eu l’un destaux de croissance les plus forts d’Europe,se hissant au rang de sixième Etat le plusriche des pays de l’Organisation de coopé-ration et de développement économiques(OCDE). Ses grandes banques – Kaupthing,Landsbanki et Glitnir – ont acquis une sta-ture internationale et ses entreprises ontmultiplié les acquisitions à l’étranger. Lessignes extérieurs de cette nouvelle richessesont visibles partout dans la capitale, Reyk-javík. De luxueux 4x4 descendent l’étroiteartère principale, précédés du bruit de leurspneus cloutés. Dans le ciel, les jets privésbourdonnent en permanence. Les prix del’immobilier résidentiel ont doublé depuis

2001. Et une génération entière n’a connuque la prospérité.Mais cette période faste a brutalement prisfin. L’Islande est la dernière victime en datede la crise financière mondiale. D’aucunsont qualifié le pays de “fonds spéculatif em-poisonné”, bâti sur un endettement qui risquede lui exploser à la figure d’un moment àl’autre. Aussi petit que soit le pays, une crisegrave est susceptible de saper fortement laconfiance des marchés. Un économiste acomparé l’Islande au canari dans la mine decharbon. On craint notamment que lesbanques et les entreprises qui ont assuré sarenommée dans le monde ne se soient dé-veloppées trop rapidement, en recourant desannées durant à des crédits facilement ac-cessibles. Maintenant, elles ont du mal à re-financer cette dette. Compte tenu des prix ré-cents sur les marchés du crédit, le risqued’une défaillance de la banque Kaupthingest sept fois plus élevé que celui d’une autrebanque européenne. Le plus gros point d’in-

terrogation concerne la capacité de la banquecentrale islandaise à voler au secours desbanques en cas de nécessité.Les investisseurs peu enclins à prendre desrisques ont commencé à se désengager.Depuis le début de l’année, la couronne is-landaise a perdu 25 % de sa valeur. Le prin-cipal indice boursier a baissé d’environ 40 %par rapport au sommet atteint l’été dernier.Dans un contexte de surchauffe écono-mique, l’inflation se situe à 6,8 % et les tauxd’intérêt ont récemment atteint 15,5 %. “Jepense que l’on peut parler de crise, com-mente Glyfi Magnussen, professeur d’éco-nomie à l’université d’Islande. Voici une éco-nomie qui est allée un petit peu trop loin danscertains domaines, en particulier le systèmebancaire. Les banques ont connu une crois-sance fulgurante et, jusqu’à l’année dernière,elles n’ont pas vraiment eu de mal à se fi-nancer et à renouveler leurs dettes à destaux fort avantageux. Mais la crise financièreinternationale a frappé l’Islande de plein

fouet.” L’Islande s’est métamorphosée cesvingt dernières années. Après la dérégle-mentation des marchés financiers et la pri-vatisation des banques, en 2003, les en-treprises, qui n’avaient auparavant qu’unaccès limité aux capitaux, ont enregistréune croissance forte. Dans un pays de lataille de l’Islande, les sociétés ambitieusesn’ont d’autre choix que de regarder au-delàdes frontières, ce qui explique l’implantationde nombre d’entre elles au Royaume-Uni.Les banques ont accompagné leurs clientssur les marchés étrangers, investissant àleurs côtés et se constituant des capacitésd’investissement.Il y a dix ans, l’Islande aurait été la dernièretouchée par un renversement de conjoncturedans le monde. Aujourd’hui, avec ses entre-prises et ses banques devenues actrices àpart entière des marchés mondiaux, elle enest l’un des principaux indicateurs.

David Teather, The Guardian, LondresParu dans CI n° 914, du 7 mai 2008.

Septembre 2007 Des milliers de Britanniques ne peuvent plusrembourser leur emprunt à taux variable. Les saisies de logements se multiplient.

■ ▲ Juin 2008Tous les experts, à tort, prévoient un troisième chocpétrolier. A la une du n° 920,du 19 juin 2008.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 46 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

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FLASH-BACK

Septembre 2008 Deux grandesbanques d’affaires, Merrill Lynch et Lehman Brothers, sont à leurtour victimes de la crise du crédit.L’économie américaine y résistera-t-elle ?

THE WASHINGTON POST (extraits)Washington

Le système financier américain vient deconnaître sa plus grave crise depuis deslustres. Les autorités de tutelle ont dû faireun tri parmi les grands malades de Wall

Street, afin de juguler les effets de l’effondre-ment des marchés de l’immobilier et du cré-dit hypothécaire. Deux des plus grandesbanques d’affaires du pays, Merrill Lynch etLehman Brothers, semblent vouées à dispa-raître. Merrill s’est jetée dans les bras du mastodonte Bank of America [pour l’équi-valent de 35 milliards d’euros], tandis queLehman s’est placée sous la protection de laloi sur les faillites. Quant à AmericanInternational Group (AIG), l’une des prin-cipales compagnies d’assurances du pays, ellecherche désespérément une bouée de sauve-tage [elle a refusé une offre de rachat, préfé-rant annoncer un plan de restructuration]. Toutcela sept jours seulement après la mise soustutelle fédérale des géants du refinancementhypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac.

Les dramatiques événements du week-endne constituent que la première étape dans larecherche d’une architecture entièrement nou-velle pour le secteur financier. Ces derniersjours, les géants de Wall Street ont été obli-gés de revenir à la réalité et d’admettre quele secteur financier qu’ils ont bâti est, sous saforme actuelle, trop grand, qu’il utilise tropd’argent emprunté et qu’il fait courir trop derisques à l’économie tout entière.

Lors des réunions fébriles qui se sont tenuesde manière quasi ininterrompue pendant leweek-end derrière la façade massive de la Ré-serve fédérale (Fed), à New York, le présidentde cette institution, Timothy Geithner, a es-sentiellement cherché, avec le ministre des Fi-nances, Henry Paulson, les moyens decontraindre les dirigeants de toutes les grandesfirmes à combattre une crise dont ils sont en-tièrement responsables. Ils ont travaillé paral-lèlement sur deux scénarios, s’efforçant de trou-ver un acquéreur pourLehman Brothers tout enorganisant des réunionspour trouver les moyensd’étouffer dans l’œuf lesproblèmes qui surgiraienten cas de dépôt de bilanpar la banque. On verratrès vite si ce plan de bataille sera suffisant.[Les autorités ont cettefois exclu un sauvetagepublic, jugeant que lesystème financier seraitcapable d’absorber cettefaillite.] Mais, quelle quesoit la tournure des évé-nements de la semaine àWall Street et sur les autres places financières, la refonte du systèmefinancier international se poursuivra.

Plusieurs questions se poseront proba-blement. Quel doit être le rôle quotidien desautorités de contrôle et du gouvernement surles marchés financiers ? Sous le contrôle dequelles agences faut-il placer les institutionsfinancières ? Faut-il revoir de fond en comblele système financier ? Henry Paulson a pré-senté un projet de réforme de la législationfinancière, que le Congrès devrait examinerl’année prochaine une restructuration rendued’autant plus urgente par l’aggravation dela crise financière. Les sociétés de Wall

Vent de panique à Wall Street▲ Dessin de Chappatte parudans Le Temps,Genève.

LES DATES CLÉS

20067 septembre 2006 L’économiste américainNouriel Roubini prédit la crise des subprimes et la récession lors d’une intervention au Fonds monétaireinternational (FMI).

2007Février Multiplication des défauts de paiement sur les créditshypothécaires aux Etats-Unis.

18 juillet Effondrement de deux fondsd’investissement de la banque d’affairesaméricaine Bear Stearns.

14 septembre Prêt d’urgence accordé par la Banque d’Angleterre à Northern Rock, cinquième banque du Royaume-Uni, au bord de la faillite.

2008

17 février Nationalisation de NorthernRock.

Juin Le chômage augmente en Espagnepour la première fois depuis douze ans :2,4 millions de personnes sont sansemploi.

Août Début des fermetures d’usines et des licenciements dans les provincescôtières de la Chine.

7 septembre Mise sous tutelle par le gouvernement américain de FreddieMac et Fannie Mae, les deux grandesinstitutions de refinancementhypothécaire.

15 septembre Placement de la banqued’affaires américaine Lehman Brotherssous la protection de la loi sur les faillites.

16 septembre Nationalisation de faitd’American International Group (AIG), le plus grand assureur mondial, menacé de faillite. La Réserve fédérale et le gouvernement américain apportentune aide de 85 milliards de dollars en échange de 79,9 % du capital.

28 septembre La Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg annoncent la nationalisation partielle de la banqueFortis.

3 octobre George W. Bush promulgue un plan de sauvetage historique du système financier américain de 700 milliards de dollars.

9 octobre Le gouvernement islandaisnationalise les trois plus grossesbanques du pays et évoque un risque de faillite nationale.

10 octobre Chute historique des Bourses à Londres, New York, Tokyo et Paris.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 47 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

A l’aide d’unlogiciel spécialisé,Johannes Kreidler,

un jeune compositeur allemand de 29 ans, a transcrit en musique les cours de Bourse de certainesactions. Ses Mélodies des graphiques,consacrées à Lehman Brothers et à General Motors, donnent une idéedes vicissitudes qu’ils ont endurées.Ecrites en majeur, ces musiques, qui auraient dû être lugubres, ont un petit air optimiste. Izvestia

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Street ont eu les coudées relativementfranches pour poursuivre leur croissance.L’autorité chargée de surveiller leur santé finan-cière, la Securities and Exchange Commission(SEC), se soucie davantage de protéger lesinvestisseurs que de prévenir une panique ban-caire. De fait, les banques d’affaires – en mars[avant le rachat de Bear Stearn par JP Morgan],on en comptait cinq d’envergure; désormais,il ne devrait plus en rester que trois – ontaccepté ce “contrôle prudentiel”.

La Réserve fédérale, qui, plus que touteautre institution, a pour vocation explicite d’éli-miner les risques du système financier, n’aguère d’autorité sur les institutions qui ne sontpas des holdings de banques commerciales.Les autorités de contrôle, quelles qu’elles soient,ont toujours eu du mal à obtenir les informa-tions nécessaires pour appréhender tous lesrisques pris par les sociétés financières. Le mar-ché des produits dérivés, qui pèse 50 000 mil-liards de dollars, est à cet égard un modèled’opacité. Il en est de même de tous ces pro-duits d’endettement structurés qui découpentcrédits hypothécaires, soldes débiteurs de cartesde crédit ou emprunts des entreprises de tellemanière qu’il faut au moins un doctorat enmathématiques pour en évaluer les risques.

UN PAN ENTIER DE CETTE ACTIVITÉ N’A PAS VRAIMENT CRÉÉ DE VALEUR

De fait, il est de plus en plus évident que lespatrons de Wall Street eux-mêmes n’ont paseu pleinement conscience des risques qu’ilsavaient pris durant les années fastes de cettedécennie. A l’instar des autorités de contrôle,ils ont manifestement porté des œillères.

Wall Street n’est sans doute pas au bout deses peines. Les sociétés financières se sont beaucoup développées depuis dix ans, embau-chant de dizaines de milliers de brillants jeunesdiplômés d’écoles de commerce pour qu’ilsconçoivent de nouveaux produits financiers,trouvent des moyens toujours plus complexesde gérer l’argent d’autrui et imaginent de nouvelles méthodes pour combiner, diviseret recombiner les entreprises américaines. Ilapparaît maintenant qu’un pan entier de cetteactivité n’a pas vraiment créé de valeur pourles clients ni pour l’économie américaine. Peuimporte combien de fois des prêts immobilierscalamiteux ont été habilement réorganisés : ilsn’en restent pas moins calamiteux.

Dans un monde parfait, ces excès seraientcorrigés par un déclin progressif et ordonné,durant lequel une poignée de firmes se feraientracheter par des concurrents, quelques emploisseraient supprimés, et Wall Street limiterait lesembauches pendant quelques années. Dans lemonde réel, cette correction se produit sousnos yeux, sous la forme d’une série de week-ends mouvementés au cours desquels l’en-semble du système financier menace dedérailler. Pour l’heure, l’économie américainen’a pas trop souffert de cette conflagration. Leproduit intérieur brut a augmenté de 3,3 % englissement annuel au deuxième trimestre, et letaux de chômage, qui a fait un bond, à 6,1 %,demeure toutefois inférieur aux niveaux atteintslors des crises précédentes. Mais le reste del’Amérique pourra-t-il encore supporter denouvelles difficultés à Wall Street.

Neil Irwin et David ChoParu dans CI n° 933, du 18 septembre 2008.

THE INDEPENDENT (extraits)Londres

La peur. S’il existe un mot pour résumerce qui s’est passé sur les marchés finan-ciers dans le monde le lundi 6 octobre,c’est bien celui-là. Personne ne voulait

acheter des actions et personne n’était trèschaud non plus pour prêter de l’argent. Au-ditionné le même jour par la Chambre desreprésentants, Richard Fuld, l’ancien patronde Lehman Brothers [qui a déposé le bilanen septembre], a expliqué que sa banque avaitété emportée par une“tempête de peur”. Et lacrise semble mainte-nant sur le point de fai-re une première victimeparmi les Etats souve-rains : l’Islande, dont lesbanques sont extrême-ment vulnérables auchaos mondial. [Deuxd’entre elles, Land-sbanki et Glitnir, ont éténationalisées. Pour évi-ter la faillite du pays, lePremier ministre a faitvoter en urgence une loiqui donne à l’Etat toutpouvoir sur le systèmebancaire.] Certains disent que l’Islande va de-voir entrer dans l’Union européenne pour ob-tenir du secours [un appel à l’adhésion a étélancé par les syndicats du pays].

Les marchés asiatiques ont été les premiersà prendre peur, et Tokyo a plongé à son niveau

le plus bas depuis quatre ans, tout commela Chine. Les marchés émergents ont connuleur plus forte baisse depuis vingt ans, dansle sillage de la Bourse russe, qui a connu sapire journée depuis la prise du pouvoir parles bolcheviks. Alors que la peur gagnaitl’Occident, il restait peu d’espoir que Londresy échappe, ce qui s’est rapidement confirmé.L’indice FTSE 100 n’a jamais autant perduen une seule séance, les valeurs bancaireset minières ayant pris une véritable raclée. Ila clôturé en baisse de 7,85 %, revenant à unniveau jamais vu depuis plus de quatre ans.En Europe, la peur était tout aussi intense :Paris a reculé de 7 %, Francfort de 8 % etMadrid de 9 %. Les marchés du crédit sontrestés obstinément paralysés, malgré lesefforts renouvelés des banques centrales pourinjecter des liquidités dans le système, etmême le cours du pétrole est descendu au-dessous des 90 dollars le baril, loin de sonsommet de 150 dollars du début de l’année.Et, à Wall Street, l’indice Dow Jones est passésous les 10 000 points pour la première foisdepuis quatre ans.

Des innombrables peurs qui assaillentle système financier international, la plus terrible est sans doute celle de voir s’éroderla capacité des gouvernements à maîtriser lesévénements. Le 6 octobre, le président dela Banque mondiale, Robert Zoellick, l’areconnu à demi-mot. “Le G7 ne marche pas,a-t-il déploré. Nous avons besoin d’un meilleurgroupe pour des temps meilleurs.” A la veille dela réunion des ministres des Finances du G7,qui se tiendra en fin de semaine en marge dela conférence conjointe du FMI et de laBanque mondiale, cet aveu n’est guère denature à redonner espoir.

L’adoption, le 3 octobre, du plan de sau-vetage des banques par le Congrès américain,le mini sommet de l’Union européenne duweek-end suivant, l’annonce d’un programmede prêts de 900 milliards de dollars aux banquespar la Réserve fédérale américaine, tous cesgestes étaient destinés à rassurer. Mais ils ontpeut-être produit l’effet inverse, en attirant l’at-tention sur le fait que les autorités ne disposentplus de grand-chose pour combattre un éven-tuel tsunami financier. Il est certain que la déci-sion unilatérale de l’Allemagne d’offrir unegarantie aux épargnants du pays (qui contre-dit les objectifs de coopération exprimés lorsdu sommet européen) et le sauvetage avorté dela banque immobilière allemande Hypo RealEstate, ont alimenté la crainte que les autori-tés ne soient pas tout à fait à la hauteur.

On a peur, à présent, que le resserrementdu crédit n’inflige à l’économie réelle les mêmesdégâts que ceux déjà subis par les secteursfinancier et immobilier. C’est ce qui effraie tantles marchés, alors qu’ils calculent et recalcu-lent les probabilités d’une crise économiqued’une ampleur telle qu’elle n’épargneraitaucune partie du globe, pas même la Chine.La crise du crédit risque d’étrangler bientôtdes entreprises parfaitement saines.

Sean O’GradyParu dans CI n° 936, du 9 octobre 2008.

■ ▲ Septembre2008Vivant dans un monde à part,les milliardaires ne connaissent pas la crise.A la une du n° 932,du 11 septembre2008.

▼ Dessin de Mix & Remix parudans L’Hebdo,Lausanne.

De la peur à la panique

L’ANTICRISE Manuel de survie

Octobre 2008 Au lieu de restaurerla confiance, les efforts déployéspar les gouvernements ont provoqué le cataclysme boursierdu lundi 6 octobre.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 48 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

“S’agit-il de lapire situationéconomique que

vous ayez connue ?” A la questionposée par l’institut IRIS dans 19 pays, les Polonais répondentnon. “On a connu la pauvreté du communisme”, rapporte le quotidien Polska The Times. “Et le ralentissement actuel n’est rien comparé à la ‘thérapie de choc’ des années 1990…”

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FRANKFURTER RUNDSCHAU (extraits)Francfort

Jan Mende* a les doigts trop gonflés pourporter son alliance, et tous ses ongles sontcassés ou striés de blanc. Cardeur chez unsous-traitant automobile de la Ruhr, Mende

ne compte plus le nombre de fois où il se lesest retournés à force de tirer son peigne surl’étoffe des sièges, des milliers de fois par jour.“Les travaux les plus pénibles, c’est pour nous”,dit cet ouvrier presque quinquagénaire. Nous,c’est-à-dire lui et la cinquantaine de travailleursintérimaires employés dans cette usine d’équi-pement automobile qui travaille pour Fordet pour Opel. De peur d’être renvoyés, ils s’ex-priment sous le couvert de l’anonymat.

Selon la fondation Hans Böckler, prochedes syndicats, quelque 250 000 travailleursintérimaires pourraient prochainement seretrouver à la rue. L’an dernier, plus de700 000 personnes ont été employées dansle cadre de la loi AUG sur la mise à dispositionde personnel [définissant le cadre légal du tra-vail intérimaire]. En temps de crise, ces sala-riés sont les premiers à partir. Depuis plusieursmois déjà, les forçats de l’intérim sont renvoyésdans leurs foyers, en silence, sans qu’une grèveéclate et dans l’indifférence générale.

Cette année, Jeremy Miller* a déjà travaillédans trois usines différentes. Dès qu’une tâcheest achevée, son contrat prend fin. Ce grandmoustachu rentre alors chez lui et attend queson agence d’intérim le rappelle. Hier après-midi, le téléphone a effectivement sonné :“Demain, vous travaillez dans l’équipe du matinchez Hamm.”

Pendant vingt ans, Miller a monté des rouesdans une petite entreprise de cycles. Quandcelle-ci a fait faillite, il s’est tourné vers l’agencepour l’emploi. Mais il n’y avait pas de travail

pour les hommes comme lui, peu qualifiés etâgés de plus de 45 ans. Père de trois enfants, ila reçu un bon de placement d’un peu plus de2 000 euros, à remettre à l’une des nombreusessociétés de travail intérimaire qui ont poussécomme des champignons dans toutes les villesd’Allemagne. En échange de cet argent,l’agence le met en relation avec des entreprisesayant des besoins ponctuels d’“aide à la pro-duction”. Le contrat que Miller a signé fai-sait trois pages. Ce papier est un véritablebâillon juridique. “Vous êtes susceptible d’êtreaffecté sur tout le territoire national”, peut-on ylire. Le travailleur est tenu d’accepter touteoffre de travail disponible, pour 6,53 euros brutde l’heure. En fin de mois, Miller gagne900 euros net, pour 38 heures hebdomadaires,équipes du matin et du samedi comprises.

LA RÉFORME ÉTAIT CENSÉE AIDER À LA RÉINSERTION

A son arrivée à l’usine, Miller a reçu la tenuede sécurité obligatoire : bleu de travail et pairede bottes. D’une valeur de 150 euros, ils ontété déduits de son premier salaire. “J’ai dû enga-ger quelques vieux meubles au mont-de-piété”,explique l’ouvrier, fatigué.

Les intérimaires savent parfaitement queles salariés permanents qui font le même tra-vail à quelques mètres d’eux gagnent au moins2 000 euros net par mois. Deux castes coha-bitent au sein de la même entreprise. Tandisque les titulaires travaillent par roulement àsept postes différents, les intérimaires sont tou-jours cantonnés aux tâches les plus ingrates.

La libéralisation de l’emploi intérimairesans plafonnement des heures travaillées étaitinscrite dans l’Agenda 2010 [le programmede réformes] du chancelier Schröder. Le pro-jet était censé servir de passerelle de réin-sertion pour les travailleurs non qualifiés etles chômeurs de longue durée. En réalité, ilaffecte également les travailleurs permanents.Depuis 2003, un nouvel emploi sur trois estune mission d’intérim. Annika Joeres

* Nom modifié par la rédaction.

Paru dans CI n° 944, du 4 décembre 2008.

■ ▲ Septembre2008Face à la plus gravecrise financièredepuis 1929, lesauvetage imaginépar Henry Paulsonne convainc pastout le monde. A la une du n° 934,du 25 septembre2008.

■ ▲ Octobre2008Chez lesphilosophes, les écrivains, les politologues, la réflexions’amorce.A la une du n° 937,du 16 octobre2008.

Les intérimaires sont les premiers touchés

◀ Dessin deTomaschoff parudans Die Welt,Berlin.

LES DATES CLÉS (SUITE)

6 novembre Le FMI prévoit une récessionmondiale pour 2009.

9 novembre La Chine annonce un plan de relance de 4 mille milliards de yuans(435 milliards d’euros).

20098 janvier Nationalisation partielle de la deuxième banque allemande, la Commerzbank, initiative sans précédent outre-Rhin.

18 janvier Le taux de chômage britanniqueatteint 6,5 %, son plus haut niveau depuis douze ans.

2 février Les autorités chinoises admettentque 20 millions de travailleurs migrants sont désormais sans emploi.

6 février Toyota enregistre une perte pour la première fois de son histoire.

17 février Les constructeurs automobilesGeneral Motors et Chrysler, au bord de la faillite, demandent une aidesupplémentaire au gouvernementaméricain.

2 mars Washington annonce un troisièmeplan de sauvetage pour AIG, d’un montantde 30 milliards de dollars.

6 mars Le taux de chômage atteint 8,1 % aux Etats-Unis, du jamais-vu depuis 1983.

22 mars La Grande-Bretagne entreofficiellement en récession.

23 mars Le secrétaire au Trésor américain,Timothy Geithner, dévoile son plan de sauvetage visant à racheter les actifstoxiques des banques.

FLASH-BACK

Décembre 2008 En Allemagne, la libéralisation du marché du travail a créé des centaines de milliers d’emplois précaires.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 49 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Retrouvez

la chronique

d’Anthony

Bellanger

SUR L’ACTUALITÉ

INTERNATIONALE,à 22 h 50, du lundi au vendredi,

dans “Le 22 h 30 - Minuit” présenté par Thierry Dugeon

et Claire-Elisabeth Beaufort

44-49 flash-back BF C SA:Mise en page 1 27/03/09 19:52 Page 49

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L’ANTICRISE Manuel de survie

THE ECONOMISTLondres

Les pays pauvres sont innocents”, rappellela Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, direc-trice générale de la Banque mondiale. Ilsne sont pour rien dans le resserrement

du crédit à l’échelle planétaire, et leursbanques et entreprises n’ont que peu de liensavec les marchés de capitaux mondiaux.Pendant un temps, on a même pu croire quela débâcle des pays développés allait les épar-gner. Mais l’innocence, semble-t-il, ne pro-tège personne. La crise financière gagnedésormais le “milliard d’en bas” : la soixan-taine de pays les plus pauvres qui n’ont guèrebénéficié de la mondialisation, mais qui vonten subir le choc en retour.

Les populations concernées vivent essen-tiellement en Afrique subsaharienne, où leFMI vient de revoir à la baisse ses prévisionsde croissance à 3,3 % cette année, contre6,7 % précédemment.

Les pays pauvres sont touchés non seule-ment par le tsunami financier lui-même, maisaussi par ses effets indirects. Il affecte ces paysd’abord en termes de capitaux. Les investisseursoccidentaux nettoient leurs bilans et l’afflux decapitaux privés s’assèche, ce qui nuit à desemprunteurs de moindre importance commeles pays pauvres. Selon l’Institute of InternationalFinance, un think tank de Washington, les trans-ferts (nets) de capitaux privés vers les payspauvres vont s’effondrer, passant de près de1 000 milliards de dollars [740 milliards d’eu-ros] en 2007 à 165 milliards en 2009.

Pour les pays pauvres, l’autre apport decapitaux étrangers est constitué par l’aide inter-nationale. L’Overseas Development Institute,un think tank britannique spécialisé dans lesquestions de développement international et

l’humanitaire, estime que l’aide officielle pour-rait baisser cette année de 20 %, c’est-à-direde 20 milliards de dollars, après être restéeplus ou moins inchangée entre 2005 et 2007.Et, tandis que les flux de capitaux s’assèchent,les investissements sont réduits. ArcelorMittala ainsi mis en suspens un projet d’extractionde minerai de fer au Liberia.

Le deuxième effet de la crise est l’effon-drement des prix des produits de base. Cesproduits comptent encore pour une parttrès importante du commerce extérieur et desrecettes fiscales de la plupart des Etats pauvres.C’est ainsi que le cacao génère un cinquièmedes revenus de la Côte-d’Ivoire. Pour de telspays, l’instabilité des prixest une plaie. Certes, lachute des prix du pétroleet des produits de baseen 2008 a bénéficié auxpays importateurs depétrole et de denrées ali-mentaires. Mais cettebaisse survenait après uneforte hausse des prix et,pour beaucoup, le soula-gement a été trop tardif.La cr ise alimentairede 2007- 2008 a accru de44 millions le nombrede gens souffrant demalnutrition. Les agri-culteurs et les pays exportateurs de pétroleen ont alors bénéficié. Mais ce n’est plus lecas aujourd’hui.

A l’heure actuelle, la chute des gainsà l’exportation aggrave les difficultés despays pauvres. Les importations américainesprovenant des pays pauvres ont perdu 6 % etcelles des pays de l’Afrique subsaharienne12 %. La Banque africaine de développement(BAD) assure que la balance des paiementscourants africaine, en excédent de 3,8 % duPIB en 2007, sera déficitaire de 6 % cetteannée. La chute des prix des produits de baseaccroît la pression sur les budgets africains, quisont passés d’un excédent salutaire de 3 % duPIB en 2007 à un déficit prévisionnel du mêmetaux en 2009. Cela exclut toute relance éco-nomique. Le troisième domaine dans lequel lacrise se fait sentir est le marché du travail. Les

Au Sud, un désastre sans précédentBaisse des recettes d’exportation,gel des investissements étrangers,effritement de l’aide publique : les effets de la débâcle financièrevont être particulièrement sévèrespour les pays pauvres.

▶ Hangzhou,province du Zhejiang,Chine. Foule de chômeurs faisantla queue à une foire de l’emploi.

Où l’on comprend qu’après le Nord c’est le Sud qui souffrira de dépression.Des milliers de citadins et anciens ruraux demanderont justice ou du travail.Parfois en manifestant violemment. De ce grand bouleversement, l’Inde, avecsa bureaucratie, et la Chine, avec ses ingénieurs au sommet, sortiront gagnantes.

HUMANITÉS

En ces temps de licenciementsmassifs, rien

ne vaut le marché de l’emploi informel ! Ces activités, qui vont du vendeur de rue aux taxis sans licence, étaient déjà très répanduesavant la crise. Elles le sont plusque jamais aujourd’hui, notammentdans les pays pauvres : 83 % des emplois sont illégaux en Inde, 72 % en Afrique subsaharienne.

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pays pauvres qui ont des produits à exportersont pénalisés par le ralentissement du com-merce mondial. De nombreux pays exportentaussi des travailleurs qui adressent à leursfamilles des transferts d’argent. Ceux-cipesaient 300 milliards de dollars en 2008, soitun montant plus important que l’aide elle-même. Ces sommes représentent 45 % du PIBdu Tadjikistan, 38 % de celui de la Moldavie,24 % de celui du Liban et de la Guyana. Lestransferts d’argent avaient fortement augmentéentre 2005 et 2007 ; aujourd’hui, ils s’effon-drent. La Malaisie a récemment annulé les visasde travail de 55 000 Bangladais afin d’accroîtreles débouchés de ses propres citoyens sur lemarché du travail.

On le voit, le panorama n’a rien de réjouis-sant. Tandis que l’afflux de capitaux et lesrevenus d’exportation se tarissent, les payspauvres doivent faire face à un endettementcolossal : entre 2 500 et 3 000 milliards dedollars de dettes sur les marchés émergentsarrivent à échéance en 2009, autant que lesdéficits budgétaires européen et américain,plus le coût des sauvetages de banques enEurope. La Banque mondiale estime que ledéficit de financement des marchés émergentsdevrait se situer entre 270 et 700 milliardsde dollars. C’est d’autant plus tragique queces problèmes surviennent après une décen-nie de croissance qui a arraché à la pauvretédes millions d’individus.

Selon Martin Ravallion, de la Banquemondiale, environ une personne sur six dansles marchés émergents s’était hissée au-dessus du seuil de pauvreté (2 dollars parjour) en 2005, même en ne gagnant encoreque moins de 3 dollars par jour. M. Ravallionestime que 65 millions d’individus vontretomber au-dessous de ce seuil cette année ;53 millions vont tomber au-dessous du seuilde pauvreté absolue (1,25 dollar par jour),alors que le mois dernier on n’en attendait“que” 46 millions. Les conséquences vontêtre désastreuses. La Banque mondialeestime qu’entre aujourd’hui et 2015, à causede la crise, ce sont 200 000 et 400 000 enfantssupplémentaires qui vont mourir chaqueannée. La marche vers un monde plus richeet plus équitable a été ramenée plusieursannées en arrière. ■

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L’ANTICRISE Manuel de survie

NEWSWEEK (extraits)New York

Compte tenu des faibles perspectives d’em-ploi et du durcissement des politiquesmigratoires, beaucoup de candidats àl’émigration vers les pays industrialisés du

Nord ont renoncé à leur projet. Les expertsprévoient pour cette année une baisse de 30 %du nombre de nouveaux migrants du Sud versle Nord. Plus symptomatique encore, selonJoseph Chamie, ancien directeur de la Divisionde la population aux Nations unies, plusieurspays, dont l’Espagne, la République tchèque,les Emirats arabes unis et les Etats-Unis, fontétat d’un net mouvement migratoire de retour.“Nous pourrions assister prochainement à un retourmassif de migrants”, dit-il. Combien ? “Pour faireune estimation prudente, je dirais des millions.”

Ce renversement des flux migratoires estsans doute le symbole le plus visible de la find’une époque : celle de la libre circulation desbiens, des services, des capitaux et des personnesqui a caractérisé la mondialisation et nous a valuune extraordinaire période de croissance mon-diale depuis la fin des années 1970. De fait, dansde nombreux pays, le mouvement de retour adéjà commencé. En Grande-Bretagne, l’Institutde recherche économique et sociale estimequ’au cours du premier trimestre de cette année,30 000 travailleurs, pour la plupart étrangers,pourraient quitter l’Irlande, touchée deplein fouet par la crise. En Malaisie, quelque200 000 Indonésiens ont été renvoyés chez euxen 2008 à la suite de fermetures d’usines.

Avec l’aggravation de la conjoncture mon-diale, cette tendance est appelée à s’accélérer.Selon les prévisions de l’Organisation inter-nationale du travail (OIT), la récession vadétruire 52 millions d’emplois dans le mondecette année. La demande s’est déjà effondréedans le secteur énergétique, l’industrie légère,le bâtiment, la santé, l’hôtellerie et la restau-ration, des pôles d’attraction pour les travailleursmigrants, de l’étranger ou de l’intérieur.Résultat : la moitié des 13 millions de travailleursimmigrés employés dans les champs pétroli-fères et l’industrie des services des pays du Golferisque d’être licenciée dans les mois qui vien-nent et obligée de partir. Au Japon, où des géantscomme Toyota sont en difficulté, 10 000 des317 000 travailleurs temporaires brésiliens quecompte le pays ont perdu leur emploi au coursdes quatre derniers mois. Et comme le logementest généralement compris dans le contrat de tra-vail, beaucoup quittent le pays.

Dans le même temps, quelque 20 millionsde paysans chinois qui avaient afflué dans lesvilles pour alimenter une économie en pleinessor retournent dans leurs campagnes,

alors que les chaînes de montage et les hautsfourneaux ferment dans le Shandong,à Dongguan et à Shanghai.

“C’est la pire cr ise économique depuisla Grande Dépression, et les temps vont êtredurs pour les migrants”, pronostique DemetriosPapademetriou, directeur du Migration PolicyInstitute, un groupe de réflexion américain surles mouvements de population.

Si ces tendances se poursuivent, disent lesdémographes, elles pourraient accélérer la finde l’un des chapitres les plus extraordinairesde l’histoire des migrations mondiales. Avec ledécollage de l’économie mondiale au cours desquatre dernières décen-nies, les plus dynamiquesparmi les populationsdéfavorisées ont cherchéà sortir de ce que les ex -perts appellent le “piègede la pauvreté” et se sontmises à rêver d’une vieà l’étranger. Dans lemême temps, la popula-tion des pays en déve-loppement a exploséet, dit l’économiste del’université HarvardJeffrey Williamson, “lesribambelles de bébés sontdevenues des ribambellesde jeunes adultes, la tranche la plus réceptive auxincitations à l’émigration”. Portés par les pro-grès technologiques qui ont facilité larecherche d’emplois dans des pays lointainset les envois de fonds au pays, des dizainesde millions de personnes ont pris la mer oufranchi montagnes et déserts, si bien que,depuis 1975, la population de migrants aplus que doublé.

La plupart des pays industrialisés ontaccueilli ces nouveaux arrivants, et, à la fin desannées 1990, la part de migrants dans la popu-lation mondiale a atteint 3 % – un record. Maisaujourd’hui, alors même que la populationmondiale continue de croître, la proportion demigrants décline. L’urbanisation accrue etl’arrivée massive de femmes sur le marchédu travail ont contribué à la baisse des tauxde fécondité dans le tiers-monde, réduisantla pression démographique qui avaitpoussé des millions de personnes à émigrer.L’amélioration des conditions de vie dans lespays émergents a incité davantage de gens àrester au pays. Aujourd’hui, c’est l’aggrava-tion de la crise dans les pays riches qui les dis-suade de partir. Ainsi, entre 2000 et 2006, unmillion de Mexicains avaient émigré chaqueannée aux Etats-Unis. Mais avec le repli dumarché de l’emploi américain et des prévi-sions de croissance de près de 1 % cette annéeau Mexique, les experts prédisent que le pour-centage de Mexicains émigrant vers le nordsera inférieur de 39 % en 2009.

Cette tendance risque d’avoir de lourdesconséquences pour le monde en dévelop-pement. Les migrants envoient dans leur paysune grande partie de l’argent qu’ils gagnentà l’étranger, ce qui constitue une source vitalede revenus pour les familles et un soutienpour l’économie de leur pays d’origine. Aucours de la dernière décennie, le montant destransferts de fonds a bondi, passant de 73 mil-liards de dollars à un record de 283 milliardsen 2008. Les fonds transférés contribuentpour 45 % à l’économie du Tadjikistan, pour38 % à celle de la Moldavie et pour 25 % àcelle du Honduras. Mais que se passe-t-ilquand ce flux se tarit ? Le ministre del’Economie du Kirghizistan a récemment pré-venu la population qu’une chute brutale destransferts de fonds pouvait conduire le paysà la faillite. Le Mexique se prépare lui aussiaux conséquences d’une baisse des envois defonds. Les 23 milliards de dollars qu’il a reçusl’an dernier de migrants représentaient ladeuxième source de revenus en devises aprèsle pétrole, et ils ont servi à financer la créa-tion d’une entreprise sur cinq.

Les experts estiment toutefois qu’il est troptôt pour savoir l’ampleur que prendra ce mou-vement de retour des travailleurs étrangers. Siles perspectives dans les pays riches se réduisent,beaucoup de migrants du tiers-monde cher-cheront peut-être à tenter leur chance dans unpays émergent voisin. Mais la crise mondiale ade toute évidence ralenti les flux migratoirestransfrontaliers, et l’ère des migrations de massetouche lentement à sa fin. Mac Margolis

Faute de perspectives d’emploi, des millions de migrants sont contraints de rentrer chez eux.Un drame pour leurs pays d’origine, souvent très tributairesdes fonds qu’ils envoient.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 52 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Bientôt la fin des flux migratoires

CES PAYS QUI DÉPENDENT DE LEURS ÉMIGRÉS

Inde

Chine

Mexique

Philippines

Pologne

Nigeria

Egypte

Roumanie

Bengladesh

Pakistan

Transferts de fonds en 2008 (en milliards de dollars)

Transferts de fonds en 2008(en milliards de dollars)

30

27

23,8

18,7

11

10

9,5

9

8,9

7,1 Source : Banque mondiale

▲ Dessin de Jomaparu dans La Vanguardia,Barcelone.

Dans la difficulté,les espritsaudacieux

se révèlent, constate L’Actualité.Le magazine canadien consacre un dossier aux “patenteux”,ces inventeurs qui déposent brevetsur brevet et préparent ainsi les succès économiques de demain. Grâce à la crise, leurs idées, mêmesfarfelues, sont désormais écoutées et ont une chance d’être considérées.

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HUMANITÉS

NANFENG CHUANG (extraits)Canton

L’heure n’est pas à l’optimisme. La crisefinancière mondiale fait de plus en plussentir ses effets et constitue une menacebien plus lourde que ce que l’on avait pensé

au départ. Au mois de janvier, les exportationschinoises ont reculé de 17,5 %, tandis queles importations s’effondraient de 43,1 %en glissement annuel. Depuis dix ans,on n’avait jamais connu une telle baisse.A court terme, la demande extérieure ne devraitpas connaître d’amélioration notable, et la situa-tion pourrait même se dégrader.

Le fort ralentissement des exportations adéjà entraîné la fermeture de nombreusesusines dans les deltas du Yangtsé et de la rivièredes Perles [les deux zones phares de la crois-sance économique chinoise]. Le Pr Cai Fang,directeur de l’Institut de recherches sur la popu-lation et l’économie du travail, qui dépend del’Académie des sciences sociales de Chine(ASSC), évalue à 17,63 millions le nombred’emplois non agricoles supprimés à la suitede cette chute des exportations, dont 6,64 mil-lions dans les services et 9,69 millions dansl’industrie manufacturière.

Le responsable de la Commission d’Etatau développement et à la réforme, Zhang Ping,estime que cette crise financière mondiale ades répercussions de plus en plus profondessur la Chine. “Les trop nombreuses faillites etréductions de la production vont entraîner desvagues de suppressions d’emploi et déclencher destroubles sociaux”, fait-il observer.

Le 17 février 2009 après-midi, après avoirété victime d’un vol, un travailleur migrantd’origine rurale nommé Li Yun, qui ne trou-vait pas de travail, s’est donné la mort en setailladant les veines dans la gare de Canton.

Selon des estimations, à l’échelle nationale,il pourrait bien y avoir 20 millions de travailleursmigrants comme Li Yun à la recherche d’unemploi. Un chiffre colossal ! Comme les villesn’ont pas encore vraiment pris en compte lesbesoins de cette frange de la population, lespaysans migrants qui se retrouvent au chômagen’ont pour la plupart d’autre choix que derentrer au bercail.

Un autre énorme groupe social sollicitel’attention du gouvernement : il s’agit desétudiants. D’après des statistiques, près de6,11 millions d’étudiants devraient sortir diplô-més de l’enseignement supérieur à l’été 2009.Ils viendront s’ajouter au million de jeunesdiplômés de l’an dernier qui sont toujours sanstravail. Ce sera donc au total 7,1 millions depersonnes auxquelles il faudra trouver unemploi. L’insertion professionnelle des étu-diants ne concerne pas seulement le marchéde l’emploi, elle a aussi pour enjeu l’équité

sociale. En effet, l’éducation est un ascenseursocial devant permettre aux membres descouches sociales inférieures de grimper. Or,si les familles ordinaires découvrent que toutce qu’elles obtiennent en contrepartie desinvestissements coûteux réalisés pour l’édu-cation de leur enfant, c’est le “chômage desdiplômés”, nul doute que l’harmonie sociales’en ressentira.

Par ailleurs, 2008 était la dernière annéede la politique de fermeture des entreprisespubliques en faillite et, inévitablement, lenombre de personnes licenciées a été plusimportant qu’en 2007. Ce sont les cols bleus

citadins qui ont le plussouffert. Ils vont devoirfaire face au coût de lavie très éle vé en ville, touten su bissant les vagues delicenciements.

Le chômage des colsblancs ou des classesmoyennes dans les villesest un autre sujet d’in-quiétude. Le sociologueSun Liping estime que,même s’il n’est pasaussi pressant que chezles travailleurs migrants,il peut avoir des consé-quences plus lourdes

du fait de la place que ce groupe socialoccupe au sein de la population. La crise deconfiance et les angoisses professionnellesque le chômage risque de générer en son seinsont bien plus graves.

Les experts estiment que l’addition de tousces facteurs – crise économique, chômage desmigrants et des jeunes diplômés, difficulté às’accommoder d’une baisse du niveau de vie –peut conduire, dans certaines circonstances, àdes attitudes extrêmes et désespérées, et à desincidents de masse [termes consacrés désignantles manifestations spontanées].

En fait, dans toutes les régions de Chine,les incidents de masse prennent de l’ampleur.En 2007, on en avait déjà dénombré plus de

80 000. Au cours du second semestre 2008,avant que ne se tiennent les Jeux olympiquesde Pékin, des manifestations ou de gravesheurts entre la police et la population se sontproduits en maints endroits.

“Le niveau de violence dans les incidents demasse est monté de plusieurs crans”, observe DanGuangnai, chercheur à l’Institut de sociolo-gie de l’ASSC, qui étudie le sujet depuis long-temps. “Certaines affaires qui jadis pouvaientêtre étouffées sont dévoilées au grand jour.D’autre part, cela indique que, lorsque les tensionsaccumulées franchissent un certain palier,elles explosent de manière très destructrice.”

Actuellement, les pouvoirs publics à tousles échelons et leurs services sont dépour-vus de moyens efficaces pour faire face à cesflambées de mécontentement. Gérer correc-tement les incidents de masse implique à coupsûr de les aborder avec un nouvel état d’es-prit et de nouvelles méthodes.

Yu Jianrong, chercheur à l’Institut derecherches sur le développement des régionsrurales à l’ASSC, pointe du doigt certainesautorités locales qui répriment sévèrement lesmanifestations en accusant sans fondementleurs participants d’être politisés et manipu-lés par les forces pernicieuses de notre sociétéou même par des forces étrangères, tout celapour se soustraire à leurs responsabilités…Cette théorie du complot, trop simpliste, necorrespond pas à la réalité. Elle occulte la gra-vité du problème et les responsabilités poli-tiques, et aboutit à ce que de mauvaises déci-sions soient prises.

Yu Jianrong estime nécessaire d’autoriserles paysans, les ouvriers et les autres groupesd’intérêts de la société à se doter d’organi-sations pour exprimer leurs propres intérêts.Le but étant de favoriser un équilibre relatifdes intérêts respectifs par la participation detoutes les couches sociales et, par là, de ren-forcer la confiance des groupes les plus défa-vorisés vis-à-vis du Parti et du gouvernement.Le crédit et la légitimité de ces derniers enressortiraient grandis.

Liao Haiqing

CHINE Sachons gérer les incidents de masse

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 53 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Avec la hausse du chômage, les manifestations de colère vont se multiplier. Pour y répondre,laissons les groupes sociaux s’organiser,préconise un magazine chinois.

En novembre2008, confrontéeau mouvement

des taxis en grève, la ville deChongqing a innové en organisantune rencontre de conciliationentre les représentants deschauffeurs et ceux des habitants,écrit le magazine NanfengChuang. Puis en suggérant aux fonctionnaires des autres localités d’appliquer cette méthodede résolution des conflits.

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▶ Dessin de HouXiao Qiang paru dans Fengce yuYoumo, Pékin.

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INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE (extraits)Paris

DE NEW DELHI

Pendant qu’une grande partie de la planètelutte contre une crise financière dévasta-trice et s’enfonce dans la récession, l’op-timisme règne en Inde. A tort ou à raison,

des chefs d’entreprise, des politiciens et desinvestisseurs de tout le pays prédisent une amé-lioration de la situation économique dès cet étéet certaines industries continuent à montrerdes signes de prospérité. Grâce en partie à sabureaucratie et à sa politique protectionniste,l’Inde possède cette chose rare et enviée en cestemps troublés : une économie relativementépargnée pesant plusieurs milliards de dollars.Grâce à sa faible dépendance vis-à-vis desexportations et à ses politiques budgétaire etmonétaire musclées, “l’Inde n’est pas aussi vul-nérable que d’autres pays”, explique RajeevMalik, responsable du département Asie duSud-Est et Inde à Macquarie Capital. Certainsfacteurs souvent décrits comme les pointsfaibles du pays – un système financier contrôlépar l’Etat, une croissance des exportations ané-mique à cause de la bureaucratie et du mau-vais état des infrastructures, des centaines demillions de paysans écoulant leurs produitsprincipalement sur le marché national – sontsoudain devenus quelques-uns de ses meilleursatouts, du moins pour le moment. De plus,la banque centrale réagit vite et a de la margepour réduire les taux d’intérêt, ce qui a aidéà fluidifier les mouvements de capitaux ; dans

le même temps, le gouvernement est en outreintervenu avec des incitations à la consom-mation et des baisses d’impôts.

La State Bank of India [la premièrebanque du pays] a récemment dépasséCitigroup en terme de capitalisation bour-sière, un événement annoncé par tous lesmédias nationaux. Le magazine de modeHarper’s Bazaar a lancé ces jours-ci une édi-tion indienne sur papier glacé, bourrée depublicités, dont la couverture est ornée decristaux. En janvier 2009, 15,4 millions d’uti-lisateurs de téléphones portables supplé-mentaires ont été enregistrés, un record. Rolls-Royce a récemment sorti en Inde une nouvelleversion de sa Phantom Coupé et BMW aouvert une salle d’exposition à Delhi. Les opti-mistes affirment que ce sont la jeunesse de la

population indienne, la demande intérieureet l’innovation dans les entreprises qui aidentle pays à se maintenir à flot. L’Inde conti-nue à attirer les investisseurs et à conclure desmarchés. A la différence des pays en voie dedéveloppement qui se sont orientés vers l’ex-portation, elle n’a pas importé les problèmesdu monde développé, commente Anil Ahuja,directeur du service Asie de la société de capital-investissement 3i. Les projets ne sont pasétouffés par le resserrement du crédit commeils le sont dans d’autres pays, ajoute-t-il. Letaux d’épargne élevé de l’Inde, qui se situeautour de 35 %, fait que 200 milliards de dol-lars sont économisés chaque année et doiventêtre affectés à quelque chose.

A l’approche des élections nationales [du16 avril au 13 mai], le gouvernement de coa-lition, dirigé par le Parti du Congrès, ne seprive pas de claironner le relatif succès éco-nomique de l’Inde. Cela ne signifie pas pourautant que toutes les nouvelles sont bonnes.Standard & Poor’s a révisé fin février sesprévisions à long terme concernant la dettepublique indienne, passant d’une perspective“stable” à “négative”, à cause de l’augmen-tation des dépenses publiques. Selon les ana-lystes, le déficit devrait doubler lors du pro-chain exercice et atteindre 11,4 % du PIB,un taux “impossible à soutenir à moyen terme”.Par ailleurs, la plupart des prévisions éco-nomiques optimistes n’ont pas pris en compteles millions d’Indiens qui dépendent de l’ar-gent envoyé par les membres de leur familletravaillant à l’étranger. L’Inde reçoit plus de20 milliards de dollars par an en mandats,plus que tout autre pays au monde. Certainesrégions, comme l’Etat méridional du Kerala,devraient être particulièrement touchées parla réduction des emplois dans le secteur de laconstruction au Moyen-Orient et par le retourdes Etats-Unis de travailleurs titulaires de visasspéciaux.

Heather Timmons

L’ANTICRISE Manuel de survie

MIGRANTS Obligés de se réfugier au village

Par une soirée fraîche, des centaines detravailleurs migrants, presque tous origi-

naires du Bihar [Etat le plus pauvre, dans lenord-est du pays] et de l’est de l’Uttar Pradesh[dans le Nord], font la queue aux guichetsde la gare de Ludhiana, au Pendjab [dans leNord-Ouest], pour acheter leur billet de train.Trop peu couverts, bon nombre d’entre eux ontdes frissons. La file d’attente s’allonge deminute en minute et la foule emplit tout le hallprincipal. Personne n’est prêt à quitter sa placede peur de manquer le train. On se bouscule.Les policiers ont du mal à faire régner un sem-blant d’ordre ; ils injurient les gens, les frap-pent à coups de lathi [bâtons en bambou].A l’extérieur de la gare, des groupes d’hom -mes, de femmes et d’enfants sont assissur leurs valises et leurs sacs. Ils attendentle prochain train pour rentrer chez eux. Fumant,jouant aux cartes, faisant des plaisanteries,ils se réchauffent autour de feux improvisés.

Shambhu, un travailleur migrant du Bihar,n’est pas conscient des raisons de cettepénurie massive d’emplois, mais il l’attribuevaguement à un ralentissement du marché.“Les marchands disent que la situation vabientôt s’améliorer et que je pourrai bientôtrevenir”, commente-t-il, sans trop croire lui-même à ses dires.Le marché local abonde en marchands agitésqui tentent de vendre des vêtements en laineà des prix bradés ; mais ils ne trouvent guèred’acheteurs. “Les affaires n’ont jamais été aussimauvaises en hiver”, déplore Ramanjeet Singh,de la société Ludhiana Woolens. “Il y a seu-lement six mois, ce marché grouillait d’ache-teurs ; dix vendeurs n’y suffisaient pas.Maintenant, je n’en ai plus que deux. J’ai dû medéfaire des autres pour réduire mes dépenses.”Même son de cloche chez plusieurs autresmarchands de Ludhiana : si l’activité ne repartpas, ils devront réfléchir à d’autres solutions

pour entretenir leurs familles. La part de l’in-dustrie textile dans le PIB en 2007-2008 étaitde 4 % et représentait 13,5 % des exporta-tions indiennes. Ce secteur est le plusgros employeur après l’agriculture. La criseest de grande ampleur, elle fait des ravages,laissant de très nombreux ouvriers sur le car-reau. En 2007, pas moins de 35 millions detravailleurs étaient employés directement ouindirectement dans le textile. Plus de700 000 sont au chômage. Parmi les mar-chands de tous les grands pôles du textileen Inde, en particulier la région de Ludhiana, unvent de panique commence à souffler.A Ludhiana, les conducteurs de rickshaws,les manutentionnaires, les journaliers, lepersonnel hôtelier, les agents de voyages,les chauffeurs de bus, les vendeurs de théau bord des routes, tous sont pleinementconscients du ralentissement de l’activité.Ils ont également tous un point de vue sur

la question. Ignorant les causes macroé-conomiques de la crise, ils attribuent leursort à l’arrivée tardive de l’hiver et à l’in-flation. Certains lisent les journaux et par-lent de “phénomène étranger”. Tous s’ac-cordent tous à reconnaître qu’on n’a jamaisvu une telle débâcle à Ludhiana. Dans cedésarroi généralisé, ceux qui souffrent leplus de la récession sont les migrants, qui,en cette période difficile, ont du mal à senourrir eux-mêmes ou à nourrir leursenfants. Ils n’ont pas d’autre solution quede rentrer chez eux pour retrouver une viede misère. “Je vais mourir de faim ici, alorspourquoi ne pas rentrer dans mon villagepour y mourir avec mes enfants ? Au moins,je mourrai en paix avec eux, là où je suis né”,conclut Manohar Lal, un travailleur migrantde Sitamarhi au Bihar, tout en attendant leprochain train qui doit le conduire chez lui.

Akash Bisht Ludhiana, HardNews, New Delhi

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 54 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

INDE Un optimisme à toute épreuveLe protectionnisme de l’économieet la bureaucratie pléthoriquefigurent parmi les facteurs qui,paradoxalement, font la force de l’Inde face à la crise.

W E B +Plus d’infos surcourrierinternational.com

Contrepoint :le cauchemardes cadres indiens

▲ A la fête forainedu vieux Delhi.

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THE INDIAN EXPRESS (extraits)Bombay

Dans les rues autrefois animées du quar-tier des diamantaires, à Amreli [Etat duGujarat, dans le nord-ouest de l’Inde],le seul volet encore ouvert est celui du

bureau de Lalit Thummar. Tout autour, ce nesont que petits ateliers de polissage du dia-mant décrépits, aux rideaux de fer recouvertsd’une épaisse couche de poussière, aux vitrinescolonisées par des chiens errants. Thummarest président de l’Association du quartierdu diamant d’Amreli et porte-parole de laFédération du diamant du Gujarat. “Jusqu’àune date récente, nous comptions 1 451 entreprisesde polissage employant 60 000 personnes. Seules223 restent en activité, et encore, officiellement ;57 000 hommes au moins ont déjà perdu leuremploi. Rien que dans cette partie de la ville, ona dénombré 259 unités de production, maisaujourd’hui vous n’en verrez que 6 encoreouvertes”, déplore Thummar.

Il y a six mois à peine, cette situation étaitinimaginable. Au Gujarat, ce secteur réalisaitun chiffre d’affaires annuel de 15 milliards deroupies [220 millions d’euros] et employait800 000 personnes. Il représentait 72 % desdiamants traités dans le monde et quelque85 % des exportations indiennes de diamants.En 2008, il a contribué à hauteur de 13,4 %aux revenus en devises étrangères du pays.Les diamants avaient également changé radi-calement l’économie et le paysage de la région,rapportant plus de revenus que l’agriculturene l’avait jamais fait. Plus de 85 % des tra-vailleurs du diamant du Gujarat étaient ori-ginaires de la région du Saurashtra, et à elleseule Amreli fournissait plus de250 000 employés. Pour cette ville de taillemodeste, le diamant était une manne tombéedu ciel. C’était une économie en grande par-tie souterraine, non organisée, où les décla-rations de revenus et les contrôles fiscauxétaient rares, mais le chiffre d’affaires énorme.

Du jour au lendemain, tout cela a disparu.De désespoir, dans de nombreuses localitésdu Gujarat, les ouvriers du diamant réduitsau chômage se suicident les uns après lesautres. Le bilan s’élève pour l’heure à 41 mortsdans l’ensemble de l’Etat au cours des troisderniers mois. “Les emplois sont détruits parmilliers, les familles meurent de faim, les couplesse défont, rapporte Thummar. Les parents nesont plus en mesure de payer les études de leursenfants. Des hommes qui maniaient des pierresprécieuses se transforment en petits voleurs d’au-tomobiles, en escrocs, en trafiquants d’alcool etmême en faux-monnayeurs. Personne ne voitde solution ; personne ne sait de quoi sera fait

l’avenir.” Des centaines de demandes d’aideau paiement des frais de scolarité pour lesenfants de diamantaires au chômage s’amon-cellent dans un coin de son bureau. Lorsquele taux d’abandon en cours d’études estmonté en flèche, le Conseil pour la pro-motion des exportations de gemmes et dejoaillerie a fait un don de 5 millions de

roupies [73 000 euros],et quelques ONG ontégalement apporté leursoutien. Mais pourThummar ces fonds neseront pas suffisants sile nombre des enfantsqui quittent le systèmescolaire continue d’aug-menter.

Dans sa vieille bi -coque de briques et debardeaux à Vandolia,dans les environs d’Am -reli, Dhuli Ratholi pleuredoucement, le visagecaché par un pan de son

sari. Dans un cadre ceint d’une guirlanderituelle, accroché au mur de bouse, il y aune photo de son fils décédé, Kishore. Leshommes du village commencent générale-ment à travailler le diamant à l’adolescence.C’était le cas de Kishore. Tout ce que la famillepossédait, c’étaient deux bigha et demi [unpeu moins d’un demi-hectare] de terresessentiellement incultes, un petit logement etune vache. Il y a trois ans, son frère aîné étaitparti à Surat pour travailler chez un dia-mantaire ; quelques mois plus tard, Kishoreavait décroché un emploi dans un atelier depolissage dans les environs d’Amreli. Les frèresenvoyaient à la maison 5 000 roupies envi-ron tous les mois. Puis la crise a éclaté. Unmatin, il y a six mois, Kishore s’est présentéà son entreprise, mais il l’a trouvée fermée.Peu après, son frère est revenu, lui aussi, et lafamille n’a plus alors disposé d’aucune sourcede revenus. Des semaines durant, Kishore aerré, désœuvré, dans son village. Le mois der-nier, il a craqué. Il a avalé le contenu d’une

bouteille d’insecticide dans une grange, prèsde sa maison. Il avait à peine 18 ans.

Selon le maire de Vandolia, Javer Patel, untiers environ des 7 000 habitants du villageont travaillé dans l’industrie du diamantdepuis la fin des années 1980. Nombre d’entreeux étaient des agriculteurs ou des ouvriersagricoles qui se sont convertis à la taille et aupolissage quand la sécheresse persistante arendu l’agriculture difficile. Ils envoyaient àleurs familles plus d’argent qu’ils n’en avaientjamais gagné auparavant. La plupart sont àprésent rentrés chez eux, sans ressources etsans espoir, et, d’après Patel, la crise crée destensions dans de nombreuses familles du vil-lage. Quand ces hommes étaient partis tra-vailler dans le secteur du diamant, d’autres,originaires du Gujarat et même d’Etats voi-sins, les avaient remplacés dans les villagescomme ouvriers agricoles. Maintenant queles tailleurs de pierres précieuses se retrou-vent au chômage, les migrants sont chassésdes hameaux. De leur côté, les villageois, quiavaient pris l’habitude de travailler à l’inté-rieur d’ateliers relativement frais et confor-tables, ont du mal à se replonger dans la cha-leur et la poussière des exploitations agricoles.Et la plupart ne possèdent pas d’autres qua-lifications qui leur permettraient de se recon-vertir. Dans ces contrées désolées, rares sontceux qui se sont adaptés à la crise. KalubhaiDhanani est de ceux qui tentent de s’en sor-tir. L’agriculture était impossible sur son ter-rain aride et il avait depuis longtemps renoncéà un épuisant travail physique. Aussi a-t-ilconstruit une baraque au bord de la route, oùil s’est mis à vendre des légumes. On est trèsloin du bureau climatisé qui était le sien, maisKalubhai reconnaît qu’au moins c’est un“boulot assis” et, les jours fastes, il gagne dequoi nourrir la famille.

Ce dont a le plus pâti la filière du dia-mant, c’est de la profonde récession auxEtats-Unis – plus de la moitié des pierrestraitées dans le Gujarat sont exportées versce pays, et le reste en Europe et ailleurs. Lacrise a débuté quand le marché américaina commencé à dévisser. Les grands dia-mantaires, qui peuvent compter sur uneclientèle captive et des réserves de liquidi-tés, ont sans doute les moyens de faire le dosrond, mais les plus petits, qui se chargentprincipalement de la taille et du polissage,ont par centaines mis la clé sous la porte.Confronté aux destructions d’emploi et auxsuicides de masse, le gouvernement duGujarat a, dans un premier temps, réagi avecrapidité, demandant au gouvernement fédé-ral d’intervenir, réduisant le taux de TVA etdonnant même l’ordre aux entreprises fer-mées de reprendre leur activité. Mais lesreconversions sont difficiles et de nombreuxchômeurs tombent dans la délinquance. Lapolice de Surat a pris sur le fait une dizained’entre eux, qui étaient en train de voler desvoitures, de vendre de l’eau-de-vie et mêmed’imprimer de la fausse monnaie, et ce rienque ces derniers mois. Pour l’heure, lebrillant a perdu son éclat.

Rajeev P. I.

HUMANITÉS

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 55 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Karachi

Tropiquedu Cancer

72° Est

Ahmadabad

AmreliSurat

Bombay(Mumbai)

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MAHARASHTRA

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INDE L’éclat perdu des petits diamantairesLe travail des pierres précieusesavait fait la fortune de la région du Saurashtra, dans le Gujarat.Avec la crise, les employés sont obligés de se reconvertir et de retourner aux champs.

“En Inde, la mesure la plusdésastreuse

a été la privatisation prématuréedes systèmes de santé et d’éducation […]. Le problème essentiel, ce sont les déficiencesdu secteur public, qui permettentau secteur privé de prospérer.Cela doit changer.”

Amartya Sen, Prix Nobel d’économie

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W E B +Plus d’infos surcourrierinternational.com

N’accusons pasle marché trop vite,Tehelka

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L’ANTICRISE Manuel de survie

CHINE La campagne n’est pas un déversoir !

JINYANG WANG (extraits)Canton

Chaque fois que je vais me promener dansles bourgs et les villages, je pose toujoursla même question aux gens du cru :“Que pourrait-on vous envoyer dont vous

manquiez vraiment, à la campagne ?” Laréponse est à chaque fois identique, à peu dechose près, mais j’attendrai la fin de cetarticle pour vous la révéler.

Ces derniers temps, les campagnes voientdéferler foule de marchandises, mais aussifoule d’individus.

Quelles marchandises ? Des produits indus-triels. Sous l’impulsion du ministère desFinances et de celui du Commerce, les fabri-cants de téléviseurs en couleurs, de réfrigéra-teurs, de machines à laver et de téléphones por-tables déferlent en masse dans les campagnespour promouvoir la vente de leurs produits,dont les prix sont subventionnés à hauteur de13 % par le gouvernement. Quel est l’effet pro-duit par cet afflux de biens industriels dans lescampagnes ? Il est encore trop tôt pour le savoir,mais il semble que cette mesure viserait sur-tout à tirer d’embarras les usines et les entre-prises urbaines.

Et ces individus qui arrivent dans les cam-pagnes, qui sont-ils ? De jeunes diplômés.Chaque année, plus de 6 millions d’étudiantssortent des universités diplôme en poche etcherchent du travail. Ils sont à l’origine dece qui est presque devenu LE problème majeur

de la Chine ! Envoyer ces étudiants à la cam-pagne pour en faire des “fonctionnairesruraux” est donc devenu la solution d’urgencepour désengorger les villes. Ils sont recom-mandés par des administrations pour despostes d’assistant du secrétaire de la cellule duParti du village, chef de village adjoint, etc.Est-ce une réussite ? Là encore, il est trop tôtpour le savoir, mais il semble que cette mesurevise surtout à résoudre l’épineux problème del’emploi en ville…

Sans compter qu’aux produits industrielset aux jeunes diplômés qui affluent vers lescampagnes viennent s’ajouter plusieursdizaines de millions de paysans migrants qui,ne trouvant plus de travail en ville, rentrentchez eux… : les campagnes chinoises sont biendevenues le déversoir de la crise économiqueactuelle. Aux dires de tous, la crise serait bienmoins grave en Chine qu’aux Etats-Unis, enEurope ou au Japon. Pourquoi ? Eh bien, parceque la Chine dispose de ce vaste déversoir !

Pourtant, est-ce une solution ? Maréponse est non. Les paysans sont déjà telle-ment pauvres ! Si désormais on les incite àacheter tous ces biens de consommation,n’est-ce pas autant d’argent en moins pourla production agricole ? Tous ces étudiantsenvoyés à la campagne afin d’occuper despostes de “fonctionnaires ruraux” et quin’ont aucune expérience, ni la moindreempathie vis-à-vis des ruraux,que peuvent-ils bien appor-ter aux paysans ? Cela faitsimplement plus de mondede casé, c’est tout.

Voici à présent l’opinionde deux anciens sur l’écono-mie des campagnes. Le premiers’appelle Chen Yun (1905-1995) : célèbre “grand maître de laplanification économique”, il livranéanmoins, en 1950, une analyse très per-cutante, alors que l’économie des cam-

pagnes, comme celle des villes, s’était figée –un peu comme aujourd’hui. “Notre expérienceest que la clé de la prospérité, c’est l’achat des pro-duits agricoles et de leurs dérivés. Grâce à cela,90 % des campagnes ont pu évoluer et les 10 %restants ont le moyen de le faire. Ce sont les cam-pagnes qui doivent être la force motrice essen-tielle”, nous dit Chen Yun. Ce principe estencore valable aujourd’hui, et si l’on veut queles campagnes prospèrent, il faut donc avanttout augmenter et soutenir le prix d’achat desproduits agricoles et de leurs dérivés.

Le second s’appelle Fei Xiaotong (1910-2005, éminent sociologue et anthropologue).Dans son célèbre ouvrage Peasant Life in China(1938), il écrit : “Appliquer la réforme agrairene suffira pas à résoudre définitivement le pro-blème agraire en Chine. Car la solution ultime neconsiste pas à réduire les dépenses des paysans,

mais à augmenter leurs revenus. La mesuread hoc ? Restaurer l’industrie rurale !”Voilà qui est bien dit, et qu’il faudraitrépéter inlassablement. Depuis 1978,

la Chine suit cette voie. Pour faire pros-pérer les campagnes, il faut donc avant

tout stimuler l’économie industrielle ruraleet, dans ce domaine aussi, le gouvernementa les moyens d’agir.

En conclusion, pour ranimer l’économierurale, il existe deux solutions : celle propo-sée par Chen Yun et celle de Fei Xiaotong. Lapremière consiste à préserver et augmenter lavitalité de la production agricole, la deuxièmeà accélérer la construction d’un tissu indus-triel rural. Telles sont les mesures stratégiquesqui peuvent véritablement redonner de l’im-pulsion à l’économie des campagnes. Maispour cela, de quoi les campagnes chinoisesmanquent-elles encore le plus ?

Chacun a déjà dû trouver la réponse àcette question, et c’est donc d’une seule voixque nous pouvons le dire : d’argent !

Wu Xiaobo** Economiste et chroniqueur financier.

Dans un blog abondammentreproduit par des sites chinois,l’économiste Wu Xiaobo s’étonneque l’on demande aux rurauxd’absorber tous les surplus – hommeset biens – créés par la crise.

THAÏLANDE Offrir des rizières aux chômeursComme en Chine, de nombreux ruraux vont revenir chez eux. Sans investissementsdans l’agriculture, une explosion sociale est à redouter, avertit The Nation.

En Thaïlande, nous n’avons pas encoreassisté à la même vague de retours vers

les campagnes qu’en Chine ou en Inde, maiscela ne saurait tarder. A l’heure actuelle, lenombre de chômeurs en Thaïlande augmented’environ 100 000 par mois. L’impact de lacrise a commencé à se faire sentir au derniertrimestre 2008. Si le rythme des licenciementsne faiblit pas, ce sont au moins 1,5 million depersonnes qui se retrouveront sans emploid’ici à la fin de l’année. Jusqu’à maintenant,le gouvernement n’a élaboré aucune politiquespécifique pour venir en aide aux travailleursde l’Isaan [région du nord-est de la Thaïlande]et des provinces septentrionales. Or, si les

autorités ne parviennent pas à répondre audéfi d’un chômage de grande ampleur parmiles populations originaires du nord et du nord-est, ces régions, fiefs de l’opposition regrou-pant la majorité de ceux que l’on appelle les“Chemises rouges” [partisans de l’ancienPremier ministre Thaksin Shinawatra], risquentde sombrer dans le chaos politique. Le gou-vernement doit impérativement adopter uneapproche réaliste à l’égard de ces travailleurs,qui ont jusqu’ici fourni une main-d’œuvre bonmarché aux régions centrales et industrielles.Les investissements dans des travaux d’in-frastructures n’auront pas d’effets suffisam-ment rapides pour enrayer le problème de chô-mage. Quel que soit le programme envisagé,il doit tenir compte de ce que ces travailleurssont capables de faire aujourd’hui et non àl’avenir. Ils pourraient notamment planter duriz et cultiver d’autres produits économique-

ment rentables. On constate actuellement surle marché une pénurie de riz, lequel se négo-cie à un prix avantageux – de nombreux pays,à l’instar des Philippines, étant contraintsaujourd’hui d’en importer. Le Vietnam s’estbien positionné sur ce créneau, mais, auxprises avec une économie techniquement enfaillite, il ne parviendra jamais à exporter autantqu’une Thaïlande se mobilisant pleinementsur cet objectif. Le pays doit donc s’engagerdans deux directions. Il devrait investir dansles infrastructures et, surtout, lancer un vasteprogramme financé par des fonds publics pourencourager les cultivateurs à planter chaquemètre carré de terre disponible dans le norddu pays avant le début de la saison des pluies[aux alentours du mois de mai]. Les inves-tissements nécessaires à la mise en œuvrede ce programme ne seraient pas excessifset pourraient donner des résultats extrême-

ment positifs. En dépit de la tourmentebalayant le marché international, la demandemondiale de riz thaï n’est pas appelée à fai-blir. Une chute de son cours est peu probable.En effet, les pays frappés par la crise cher-cheront sans doute à réduire en prioritéd’autres types d’importation, mais continue-ront à acheter du riz de Thaïlande. Plus important encore, cette crise offrira àla Thaïlande l’occasion de mieux développerson agriculture en renonçant aux intrants chi-miques pour les remplacer par des engraisnaturels. Si nous parvenons à développer uneagriculture biologique et de haute qualité, lavaleur de notre production agricole augmen-tera sur le marché mondial. C’est là le moyenle plus rapide et le plus efficace d’affronter larécession économique et d’éviter un scénariocatastrophe en Thaïlande.

The Nation (extraits), Bangkok

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 56 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

▼ Sur le livre :paysan. Dessin de Wang Jiamingparu dans Fengceyu Youmo, Pékin.

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direct sur la majorité des Etats du nord duMexique, dont l’économie est basée sur la fabri-cation de pièces automobiles.

Jova Canela Carlos est l’une de ces milliersde femmes originaires du Sud qui, attiréespar la promesse d’un travail en usine,s’étaient établies àCiudad Juárez. Mais,depuis dé cembre, ellesuit toutes les forma-tions possibles et ima-ginables pour espérerdécrocher un emploi.Elle est arrivée à la finde la fête. La premièrezone industrielle dupays fut créée à CiudadJuárez, inaugurant dumême coup le flux mi -gratoire vers la région.Dans les an nées 1970,des ha bitations de for-tune commencèrent àpousser dans le désert de sable qui entourela ville, prémices des bidonvilles dépour-vus de commodités qui allaient se multi-plier par la suite.

L’industrie maquiladora [de sous-traitance]a pris son essor pendant le mandat de Carlos

Salinas de Gortari [1988-1994], avec la signa-ture de l’Accord de libre-échange nord-amé-ricain (ALENA) entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada. Des usines ont ouvert unpeu partout et des régions entières ontenchaîné leur économie à celle des Etats-Unis. C’est toute cette trame qui se déchireaujourd’hui.

Jova Canela se refuse à prendre le chemindu retour, même si décrocher un emploi àCiudad Juárez semble relever du miracle, quela violence se déchaîne et qu’elle a un enfantde 10 ans à nourrir. “Mais si ça continue commeça, nous allons peut-être partir.” Elle se dit que,dans son village, son mari pourra au moins tra-vailler aux champs.

Beaucoup de ses compatriotes sont déjàrentrés. Selon l’Institut du fonds national pourle logement des travailleurs (INFONAVIT),3 500 Veracruzains établis à Ciudad Juárez ontabandonné les logements qu’ils achetaient àcrédit et sont rentrées dans leur Etat natal. Ilsne sont pas les seuls. En un an, 25 % des habi-tants de l’Etat de Chihuahua qui avaientcontracté un emprunt immobilier se sontretrouvés dans l’incapacité de payer leurs traites.Ce sont donc environ 11 000 personnes quiont des difficultés à garder un toit au-dessusde leur tête.

D’après El Diario de Juárez, dans le seulEtat de Chihuahua, plus de 55 000 chômeursont demandé une avance sur leur retraite pourpouvoir faire face à la crise. Autrement dit,95 % des chômeurs ont commencé à piocherdans leurs maigres économies.

C’est tout le nord du pays qui est touché.D’après les chiffres, 84 % des postes suppri-més en novembre sont concentrées dans lesEtats qui étaient les plus prospères : Basse-Californie, Sonora, Chihuahua, Nuevo León,Tamaulipas et Coahuila.

Et les perspectives ne sont guère encou-rageantes. On estime que le secteur supprimeraplus de 100 000 emplois en 2009.

“Je ne vois pas d’issue. La situation est graveet deux facteurs se combinent : le chômage etl’insécurité. En raison de l’insécurité, plus de100 000 personnes ont quitté Ciudad Juárez pours’installer de l’autre côté de la frontière, à El Paso,au Texas, ou sont rentrées dans leur région d’ori-gine”, explique Hugo Almada, sociologue àl’université autonome de Ciudad Juárez.Il craint que le crime organisé ne fasse desrecrues parmi les chômeurs, ce qui aggra-verait encore la situation.

Malgré la crise mondiale, la coordinatricelocale du service national de l’emploi, SusanaHermosillo, a bon espoir que de nouvellesentreprises viennent s’installer à Ciudad Juárez.Des pourparlers sont en cours, confie-t-elle.“Les gens vont demander du travail directementaux entreprises ou s’adressent aux bureaux de pla-cement. Il n’y a pas une foule de gens qui font laqueue devant chez nous”, dit-elle avec un opti-misme qui contraste avec les visages las deschômeurs qui font le pied de grue dans les cou-loirs. “Il y en a peut-être deux ou trois qui sontdésespérés, admet-elle, mais nous n’avons pasencore atteint le niveau d’alerte, et nous espéronsne pas l’atteindre.” Marcela Turati

HUMANITÉS

MEXIQUE Chômage massif à la frontière

▲ Dessin de Darío,Mexique.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 57 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

“Conclure le cycle de Doha va

contre la tendance naturelle du protectionnisme qui prévaut en temps de crise. C’est pour cela qu’il est si important de conclure cet accord. Ce serait un bienfait énormepour l’économie mondiale.”

Celso Amorim, ministre des Affaires étrangères du Brésil, Página 12.

19-

PROCESO (extraits)Mexico

DE CIUDAD JUÁREZ

Le soleil ne s’est pas encore levé que des cen-taines d’hommes et de femmes, emmi-touflés dans de gros blousons, déambulentdans les rues glacées de Ciudad Juárez. La

lueur de l’aube permet à peine de distinguerleurs silhouettes devant les usines, où ils atten-dent un emploi qui n’existe pas. On les voitratisser les zones industrielles, passer la tête àtravers les hautes grilles, pour y déposer descandidatures. On les voit devant le Servicenational de l’emploi [équivalent de l’ANPE]en train d’examiner un tableau où sont affi-chées quelques offres, ou remplir des fichesavec leurs coordonnées dans un bureau de pla-cement, ou demander à leur fonds de retraite“un petit peu” de l’argent qu’ils ont mis de côtépour leurs vieux jours. Lorsqu’ils entendentdire qu’une entreprise embauche, ils s’y pré-cipitent, et ils se retrouvent encore à faire laqueue devant d’autres bureaux. Et ils ont beaufaire la queue partout, la majorité d’entre euxne trouvent pas de travail.

On estime que, en 2008, 45 000 personnesont perdu leur emploi dans cette ville fronta-lière que l’on considérait hier comme laMecque nationale de l’emploi. Récemmentencore, des files de camions arrivaient des Etatsde Veracruz, Durango, Coahuila ou Zacatecas,chargés de futurs ouvriers pleins d’espoir.Aujourd’hui, des chômeurs frustrés, les pochesvides, montent au compte-gouttes dans lescars qui les ramènent vers le sud. On ne voitplus nulle part ces panneaux criards, pla-cardés devant les usines, où était écrit enmajuscules : “Embauche immédiate” – sansdiplômes, sans expérience.

Ciudad Juárez n’est plus la ville qui ne dortpas, où la production ne s’arrête jamais et oùla vie est fractionnée en trois-huit. Beaucoup,comme le secrétaire général de la Fédérationdes travailleurs du Nord-CTM, Jesús JoséManjarrez, ne reconnaissent plus la ville : “Lasemaine dernière, une entreprise a annoncé qu’ellecherchait vingt personnes, déclare-t-il. Deux centspersonnes sont venues déposer leur candidature.On n’avait jamais vu ça, ici. On était plutôt habi-tués à ce que les patrons nous demandent de leurprésenter des gens qui voulaient travailler. Lesentreprises se volaient les ouvriers en leur offrantplus d’avantages que leurs concurrentes. Elles don-naient même des primes à ceux qui recomman-daient des gens.”

La décision prise par les constructeurs auto-mobiles américains – Chrysler, Ford et GeneralMotors – de réduire leur production en raisonde l’effondrement des ventes a eu un impact

Les usines de sous-traitanceautomobile du nord du Mexiqueont longtemps attiré la main-d’œuvre de tout le pays.Des milliers d’ouvriers se retrouventaujourd’hui sur le carreau.

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L’ANTICRISE Manuel de survie

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 58 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

▲ Dessin de SilviaAlcoba paru dans El Periódico de Catalunya,Barcelone.

THE CHRISTIAN SCIENCE MONITORBoston

Les cours élevés du pétrole ont permis auprésident du Venezuela Hugo Chávez,de dépenser sans compter pour propagerson credo socialiste et remettre en cause

la position dominante des Etats-Unis enAmérique latine et dans les Caraïbes. Leurchute brutale menace aujourd’hui ses ambi-tions, estimaient les analystes en janvier der-nier, après l’annonce de la décision du gou-vernement vénézuélien de suspendre safourniture gratuite de fioul aux ménagespauvres des Etats-Unis. [Ce programme avaitété mis en place à l’automne 2005.]

“Chávez n’a plus les moyens de mener unepolitique à l’échelle de l’Amérique latine”, affirmeCarlos Alberto López, un consultant en éner-gie bolivien. “Il va devoir utiliser ses ressourcesdéclinantes pour soutenir son action politique surla scène intérieure.” Des subventions pétro-lières et d’autres programmes d’aide offertsà des pays d’Amérique latine et des Caraïbesvont donc devoir passer à la trappe.

Selon des informations parues récemmentdans la presse, il n’est pas certain que la com-pagnie natioale Petróleos de Venezuela(PDVSA) puisse financer, comme prévu, laconstruction de raffineries en Equateur et auNicaragua, deux pays alliés de Chávez. “Noussavons que PDVSA n’a pas de liquidités”,indique Jorge Piñón, expert en énergie del’université de Miami. “Nous savons aussi queles marchés financiers n’ont pas d’argent à prê-ter. Ces projets ne seront donc pas réalisés.”

Autre cible possible : le programmePetrocaribe, aux termes duquel le Venezuelavend à des tarifs préférentiels 56 000 barilsde pétrole et de gazole par jour à une ving-taine de pays des Caraïbes et d’Amériquecentrale. Ces pays doivent payer à l’avance lamoitié du pétrole, le règlement du solde étantéchelonné sur vingt-cinq ans. Le programmea porté ses fruits en 2006, quand le Venezuelaa brigué l’un des dix sièges temporaires del’ONU et que les quinze pays membres de laCommunauté caribéenne (CARICOM) ontsoutenu sa demande, même si celle-ci a étéfinalement rejetée.

Le Venezuela vend chaque jour 15 000 barilsde pétrole subventionné à des pays d’A mériquecentrale et une quantité non communiquéede gazole subventionné à la Bolivie. Il fournit

VENEZUELA Moins de revenus pétroliers,moins de générosité bolivarienneNombre de pays d’Amérique latine et des Caraïbes bénéficientdes largesses du Venezuela, rendues possibles par la manne pétrolière. La chute des cours pourraitremettre en cause ces aides.

vaut plus que 50 dollars, un niveau bien loindes 147 dollars de juillet dernier.

“Les interventions tous azimuts de Chávezseront beaucoup moins nombreuses en 2009”,estime Jorge Quiroga, un ancien présidentbolivien [de droite, au pouvoir d’août 2001à août 2002]. Il pense que la chute descours du pétrole pourrait faire revenirPDVSA sur son intention d’investir des mil-lions de dollars dans la recherche de gaznaturel en Bolivie, une priorité du gouver-nement Morales.

Dans son blog politico-économique,Miguel Octavio, un analyste financier deCaracas, évoque les restrictions de liquidi-tés dont le gouvernement Chávez va pro-chainement pâtir. Le 6 décembre, il écrivaitqu’aux cours actuels le Venezuela ne pouvaitplus retirer que 25 milliards de dollars derevenus annuels de ses exportations depétrole. Si les prix ne remontent pas, leVenezuela, avec ses 5 milliards d’exporta-tions non pétrolières et ses 50 milliards d’im-portations, devrait accuser un déficit de20 milliards en 2009. “Le gouvernementpourrait avoir beaucoup d’ennuis”, a préditM. Octavio lors d’une interview. “Chávez estentre le marteau et l’enclume.”

Au départ, le président Chávez se moquaitde la menace que la crise économique mon-diale pourrait représenter pour sa “révolu-tion socialiste du XXIe siècle”. Au coursdes dernières semaines, il a concédé quele Venezuela devrait se serrer la ceinture,mais il a assuré que les réserves de devisesétrangères – dont le montant serait comprisentre 40 et 75 milliards de dollars – allaientpermettre au Venezuela de tenir jusqu’à ceque les prix du pétrole remontent. [Le22 mars, Hugo Chávez, tablant sur un barilà 40 dollars, a annoncé une réduction de6,7 % du budget de l’Etat 2009, finan-cée par une diminution des frais de repré-sentation de l’Etat et le gel des salaires desfonctionnaires.]

En cessant de fournir du fioul aux com-munautés américaines pauvres – à raison de250 dollars par ménage –, le gouvernementChávez va économiser une centaine de mil-lions. Il s’est également assuré une écono-mie de 2,5 milliards en ramenant de 5 000à 2 500 dollars par an le montant desdépenses que les Vénézuéliens sont autori-sés à effectuer à l’étranger avec les dollarsbon marché qui leur sont fournis par le gou-vernement.

Tyler Bridges

aussi quotidiennement 100 000 barils depétrole et de produits pétroliers par jour àson allié cubain.

Le gouvernement Chávez verse des mil-lions de dollars à la Bolivie pour que lesmaires puissent faire construire de nouvellesécoles, des réseaux d’égouts et des centres desoins. Les fonds ser-vent également à finan-cer les actes de chirurgieeffectués gratuitementpar des ophtalmo-logues cubains ainsi queles hélicoptères que leprésident Evo Moralesemprunte pour se dépla-cer dans le pays.

En 2008, les sub-ventions pétrolières etles programmes d’aideà l’étranger ont dû coû-ter plusieurs milliardsde dollars à Chávez (lechiffre exact est in -connu, car les montants ne figurent pas dansle budget). Avec les cours élevés atteints parle pétrole ces dernières années, le Venezuelapouvait financer tous ces programmes, ainsique ses vastes plans de lutte contre la pauvretéau Venezuela. Mais, aujourd’hui, le baril ne

Pour contrer la crise, “il faut piocher

des recettes dans le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels [publié en 1848]. Il y a là des idées audacieuses.L’heure est venue de profiter de cette crise pour faire tout ceque nous n’avons pas eu le couragede faire depuis vingt ans.”

Lula da Silva, président du Brésil

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Elle devait sauver le monde, la voilà victime de la crise : la Bourse du carbone plongecomme les autres. Mais il n’est pastrop tard pour la réformer.

THE GUARDIANLondres

Et maintenant, mesdames et messieurs, pré-parez-vous à notre grande braderie des droitsà polluer, votre dernière chance de ruiner leclimat de la planète pour pas cher. Vous là, le

monsieur de la centrale électrique, jetez un coupd’œil à cette affaire en or : une tonne toute fraîchede dioxyde de carbone, pleine de soufre, pour seu-lement 8,20 euros, alors que l’été dernier il vous enaurait coûté la somme extravagante de 31 eurospour libérer toutes vos fumées dans l’atmosphère !Laissez tomber vos projets d’éolienne ! Faites le cal-cul entre nos droits à polluer et la coûteuse éner-gie solaire ! A ce prix-là, vous voyez bien que vousne pouvez pas vous permettre de NE PAS brûlerde combustible fossile !”

Après s’être effondré en Europe, le marchédu carbone, conçu pour renchérir les coûts desactivités polluantes, se révèle totalement contre-productif. Aucun signal d’alarme n’a pourtantretenti. Cette crise-là ne fait pas la une des jour-naux, elle ne fait pas l’objet de grands repor-tages spectaculaires et ne provoque pas delongues files d’attente devant les guichets desbanques. Le marché des droits à polluer s’ef-fondre dans l’indifférence générale. C’est pour-tant l’un des principaux instruments mondiauxde lutte contre le réchauffement climatique quiest menacé. Alors qu’il avait été mis en placepour rendre les combustibles fossiles non com-pétitifs, le système actuel est en train d’en faireune solution économiquement intéressante.

Si la plupart des gens connaissent l’exis-tence d’un outil appelé “Bourse du carbone”,c’est à peu près tout ce qu’ils en savent. Raressont ceux qui comprennent que l’Europe a crééun marché d’échange de permis d’émission deCO2 animé par des traders qui vendent et achè-tent ces droits comme sur n’importe quel autremarché. Et personne, à l’exception des pro-fessionnels, ne sait que ce marché est à présenten train de manquer son objectif, qui, rappe-lons-le, était de faire augmenter le prix desémissions de dioxyde de carbone.

Le système paraissait pourtant simple etefficace. L’année dernière, les gouvernementseuropéens ont alloué une quote-part de droitsà leurs principaux pollueurs. Les entreprisesréduisant leurs émissions de carbone peuventensuite revendre une partie de leurs droits àdes consœurs en ayant besoin. A mesure quela demande en droits à polluer va dépasserl’offre, le prix de ces permis augmentera, inci-tant par la même occasion les entreprises à pas-ser aux énergies renouvelables. Pourquoi ache-ter de coûteux droits à polluer quand on peutinvestir dans de l’énergie propre ?

Cela n’est toutefois valable que dans lamesure où le prix de ces permis augmente. Lesdroits à polluer sont comme le château-lafite

ou le crâne de diamants de Damien Hirst, c’estla rareté qui fait leur valeur. Si le carbonedevient bon marché et que les entreprises endisposent à volonté, le pouvoir d’incitation dusystème diminue. A l’heure où la récessionfrappe, l’activité industrielle ralentit et les com-pagnies accumulent des droits à polluer dontelles n’ont plus aucune utilité. Le prix de cesderniers s’effondre et les entreprises peuventcontinuer de polluer à moindres frais.Résultat : le dispositif n’a absolument aucunimpact sur le réchauffement climatique

mais re présente desérieuses économiespour les grandes entre-prises. “Je ne vois paspourquoi les industriels neprofiteraient pas de l’oc-casion”, déclarait untrader il y a quelquetemps. “Cet argent sert àcompenser l’assèchementdes crédits et le ralentisse-ment économique ainsiqu’à surmonter les périodesde chômage technique.”

Principaux respon-sables : les gouverne-ments qui ont souscrit

au principe des droits à polluer, mais les ontensuite distribués en trop grandes quantités àleurs entreprises. A l’époque, les dirigeantsaffirmaient que la croissance aurait tôt fait derendre le nombre de permis insuffisant. C’estpourtant l’inverse qui se produit aujourd’hui.La tonne de carbone coûte environ 8 euros,contre 31 l’été dernier, ce qui la situe trèsloin du niveau (entre 30 et 45 euros) qui per-mettrait de rendre les alternatives vertes pluscompétitives.

Morale de cette histoire : il en va commeavec l’écroulement du crédit, le marché du car-bone ne peut se substituer à la volonté poli-tique. Les marchés sont un outil qui ne peutfonctionner qu’à condition d’être judicieuse-ment encadré et régulé. L’Europe croyait quela simple mise en place d’une Bourse du car-bone suffirait à détourner les entreprises descombustibles fossiles. Elle avait oublié que

la demande devait dépasser l’offre et que,si la croissance était en berne, la demandel’était aussi.

Il ne reste pas beaucoup de temps pour sau-ver le système. Le marché du carbone restela pièce maîtresse de la lutte mondiale contrele réchauffement climatique. Barack Obamaplaide pour un système similaire de cap andtrade, qui a également séduit l’Australie.Cette question devrait d’ailleurs être au cœurdes prochaines négociations du sommet deCopenhague, mais les deux pays hésitentdésormais, au vu du fiasco européen. Le mar-ché du carbone doit donc être ouvertementconçu de façon à ce que l’offre reste inférieureà la demande. La solution consisterait à réduirele nombre de permis en circulation, ce qu’au-cun gouvernement ne sera assez téméraire pourfaire en temps de crise. Les initiatives privées,comme celle de Sandbag, qui appellent les par-ticuliers à se porter acquéreurs de ces droitspour les immobiliser, n’ont guère d’impact surles prix d’un marché surabondant.

Il existe pourtant un moyen d’asphyxierl’offre de demain sans nuire aux entreprisesaujourd’hui. L’Europe doit d’abord arrêterd’importer des permis d’émission de CO2 pro-venant d’autres pays comme la Russie, pourqui ces transactions virtuelles sont de véritablesaubaines. Personne ne croit sérieusement quele fait d’avoir vendu 15 millions de tonnes decarbone en droits à polluer empêche vraimentles entreprises russes de les libérer quandmême dans l’atmosphère de l’autre côté deNovossibirsk. L’Europe doit ensuite annoncerun plan de réduction du nombre de permis depolluer, qui entrera en application juste aprèsla récession. Les avertissements sur la disetteà venir, quand le dispositif entrera dans sa troi-sième phase, en 2012, permettraient de faireremonter les prix du carbone dès aujourd’hui.

Les gouvernements ont littéralement noyéle système, comme l’Eglise au Moyen Age avecles indulgences. L’heure est maintenant à laRéforme. On n’attend plus qu’un nouveauMartin Luther pour afficher certaines véritéstoutes nues à la porte des industriels. Le fabu-leux marché du carbone européen prend desairs de crise des subprimes. Julian Glover

HUMANITÉS

CARBONE Vrai : il est rentable de polluer

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 59 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Newsweekconstate que la crise peut avoir des effets

positifs pour l’environnement :certaines activités très polluantes– l’élevage extensif du bœuf au Brésil, l’industrie électroniqueau Mexique ou la fabrication de papier des usines du lacBaïkal – ne sont plus rentables. Elles disparaissent donc, et leur pollution avec elles.

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▶ Dessin de Ken Cox parudans The DailyTelegraph,Londres.

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L’ANTICRISE Manuel de survie

NEWSWEEK (extraits)New York

Chefs d’Etat et penseurs du monde entierne cessent de débattre depuis des annéesdes défauts de l’organisation financièreinternationale et des déséquilibres éco-

nomiques. Beaucoup craignaient les effets d’unrééquilibrage désordonné. Mais rien n’a étéfait. Et nous payons aujourd’hui le prix de cetteinaction. Il y a dix ans, on redoutait que lestroubles financiers des pays en développementne s’étendent aux pays industrialisés. Et nousvoilà aujourd’hui en plein cœur d’une crisemade in USA qui menace la planète. Si nousentendons traiter cette crise mondiale et évi-ter qu’elle ne se répète, c’est tout le systèmefinancier mondial qu’il nous faut réformer etrepenser. Les interdépendances sont tout sim-plement trop nombreuses pour que chaquepays puisse mener sa barque isolément.

Pour contribuer à redynamiser la crois-sance, des plans de relance coordonnés àl’échelle internationale s’imposent. Il fautse féliciter que la Chine, les Etats-Unis et le Japon aient désormais lancé de vastes programmes d’expansion budgétaire. Resteque ces programmes sont d’une ampleur trèsvariée et que l’Europe, pour l’heure, traîneles pieds pour en faire autant.

Au-delà de ces considérations, la pleineconfiance dans les marchés financiers nereviendra pas tant que les gouvernements n’as-sumeront pas un rôle plus fort en matière deréglementation des institutions financières, desproduits financiers et des mouvements de capi-taux. Les banques ont montré leur incapa-cité à gérer les risques de leurs propres acti-vités. Il nous faut aujourd’hui un organe

mondial de réglementation financière afin desurveiller et d’évaluer les risques systémiques.En tolérant l’existence de grandes disparitésentre les réglementations financières de chaquepays, on court le risque d’une course au moinsoffrant : certains s’orienteront vers des règlesplus souples afin d’attirer les établissementsfinanciers aux dépens des autres pays.

Quelle doit être la teneur de ce nouvelensemble de règles financières mondiales ?Cette réglementation doit tout d’abord veillerà ce que les systèmes de primes aux dirigeantssoient transparents et n’aient pas pour effetpervers d’encourager la fraude comptable, lelaxisme ou les prises de risque excessives. Nousdevrions exiger à tout le moins une plus grandetransparence des stock-options. Il faut égale-ment restreindre la gamme potentielle deconflits d’intérêts – comme les agences de no -tation rémunérées par ceux-là mêmes qu’ellesnotent. Il importe de limiter l’endettement etles autres comportements à risque. La nor-malisation des produits financiers permettraitd’améliorer la transparence. Et des commis-sions chargées de la stabilité et de la sécuritéde ces produits financiers pourraient donnerleur avis sur les produits que les institutionspeuvent utiliser sans risque. Les gouvernementsdoivent entreprendre aux moins deux autresactions. Tout d’abord, laréforme de l’organisationmondiale des banquescentrales. Il y a près dequatre-vingts ans, JohnMaynard Keynes, le plusgrand économiste de sagénération, écrivait déjàqu’une banque centralemondiale était nécessaireà la stabilité financière età la prospérité du monde.Keynes espérait que leFonds monétaire inter-national créerait unenouvelle monnaie deréserve internationaleque détiendraient lespays au lieu de la livre sterling (qui était alorsune monnaie de réserve). Aujourd’hui, cettedevise internationale pourrait remplacer le

Ne laissons plus les marchés faire la loi Joseph Stiglitz, Prix Nobeld’économie, est formel : les gouvernements doiventcoordonner leur action et prendrele contrôle de la finance mondiale.Il dresse le catalogue des réformesfondamentales qui s’imposent.

Paradoxalement, la dépression ouvre le champ des possibles. Les remèdes des décennies passées nefonctionnent plus. Il faut en trouver de nouveaux. Certains individuels. D’autres à l’échelle d’unecommunauté. D’autres, enfin, au niveau d’une planète qu’il faut sauver des conséquences de nos erreurs.

HORIZONS

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 60 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

dollar, monnaie de réserve de facto ; n’étantplus soumise aux accidents de conjonctured’un pays ou d’un groupe de pays, elle seraitbien plus stable. Son émission serait régie pardes règles simples, avec notamment des sanc-tions contre les pays conservant de façon pro-longée des réserves trop importantes. Cetteidée pourrait bien avoir trouvé aujourd’huitoute sa pertinence.

La seconde grande réforme consisteraiten un nouveau système de gestion des faillitestransfrontalières. Aujourd’hui, la faillite d’unebanque ou d’une autre entreprise dans unpays donné peut avoir des conséquences planétaires. Quand plusieurs systèmes juri-diques sont applicables, il faut parfois desannées pour démêler l’écheveau. C’est le casde la faillite toujours irrésolue de l’Etat argen-tin en 2001. Aujourd’hui, les banqueroutesen tout genre sont en passe de se multiplierpartout dans le monde, et il nous faut unmeilleur moyen de les gérer.

Cette crise a mis en lumière non seulementl’étroitesse des interdépendances entre tous lespays, mais aussi les lacunes des institutions exis-tantes. Le FMI, par exemple, s’est distinguépar plus de belles paroles que d’action face auxdéséquilibres mondiaux. Alors que, à l’échelledu monde, les problèmes de gouvernance sontvus comme un obstacle au développement, leslacunes dans la gouvernance du FMI lui-mêmesapent grandement la crédibilité de ses ser-mons : ses conseils – en particulier ceux encou-rageant la déréglementation – sonnent biencreux aujourd’hui.

Nous arrivons à un tournant du typeBretton Woods : le moment est venu de réfor-mer radicalement les institutions existantes ou,comme on l’a fait à la fin de la Seconde Guerremondiale, d’en créer de nouvelles. Jusqu’à pré-sent, Washington s’est toujours opposé à toutevelléité de créer un système financier mondialet multilatéral qui soit stable et équitable. LesEtats-Unis ont exporté cette doctrine de ladéréglementation qui s’est révélée si néfaste,aussi bien pour eux-mêmes que pour le restedu monde. Une occasion de changer tout celase présente aujourd’hui au nouveau président,Barack Obama. De sa réaction dépendrontbeaucoup de choses, aujourd’hui et dans lesdécennies à venir. Joseph E. Stiglitz

AFP

■ ▲ Joseph E. StiglitzNé le 9 février1943, cetéconomisteaméricain a reçule prix Nobeld’économie en2001. Il s’est renducélèbre par sesviolentes critiquesà l’égard du FMIet de la Banquemondiale,présentéesnotamment dansson ouvrage LaGrande Désillusion(éd. Fayard).

“Ici, commepartout, la crisemène une doublevie : d’un côté en

tant que réalité, de l’autre en tantque discours politique etmédiatique. Si certains développentun discours apocalyptique,d’autres, notamment dans lesmilieux économiques, cherchent à imposer une phraséologie pétrie d’optimisme.”

Franz Schuh, écrivain autrichien

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L’ANTICRISE Manuel de survie

FINANCIAL TIMESLondres

Il y a exactement quatre-vingt-dix ans, enmars 1919, déjà confronté à une crise éco-nomique, Lénine débattait des heures dif-ficiles que vivait le capitalisme de son

époque. Mais il se refusa alors à en rédigerl’épitaphe : “C’est une erreur de croire qu’il n’ya pas d’issue à la crise actuelle pour le capita-lisme.” Une remarque amplement justifiée parles faits. Bien que les marchés américain eteuropéen aient connu de nouvelles difficultésdans les années 1920, suivies de la GrandeDépression dans les années 1930, à longterme, après la fin de la Seconde Guerre mon-diale, l’économie de marché a fait preuve d’undynamisme exceptionnel, et l’économie pla-nétaire a connu une expansion sans précédentau fil des soixante dernières années. Même sielle est maintenant victime d’un nouvel acci-dent avec la crise qui a débuté brutalementau cours de l’automne aux Etats-Unis et quis’accélère actuellement à un rythme effrayant.

La question qui s’impose désormaisporte moins sur l’éventuelle agonie du capi-talisme que sur sa nature et sur son besoinde renouvellement.

La crise, si insurmontable qu’elle noussemble aujourd’hui, finira par passer, mais

l’on n’en continuera pas moins à s’interrogersur les systèmes économiques futurs. Avons-nous vraiment besoin d’un “nouveau capi-talisme”, qui serait en quelque sorte l’éten-dard capitaliste, au lieu d’un système nonmonolithique reposant sur un éventail d’ins-titutions choisies de façon pragmatique et surdes valeurs que nous pouvons défendre avecraison ? Devrions-nous nous mettre en quêted’un “nouveau monde” qui n’adopterait pasnécessairement une forme capitaliste spécia-lisée ? Cette question, à laquelle nous sommesconfrontés aujourd’hui, j’irai jusqu’à dire quec’est celle qu’a posée le fondateur de l’éco-nomie moderne, Adam Smith, quand il a pré-senté ses travaux précurseurs sur l’écono-mie de marché au XVIIIe siècle.

“L’HUMANITÉ, LA JUSTICE, LA GÉNÉROSITÉET L’AMOUR DU BIEN PUBLIC”

Smith n’a jamais eu recours au terme “capi-talisme” (du moins, à ma connaissance) etil serait également difficile de retrouver dansses analyses une quelconque théorie sur l’auto-suffisance de l’économie de marché, ou sur lebesoin d’accepter la domination du capital.Dans son premier ouvrage, Théorie des senti-ments moraux, publié il y a tout juste deux centcinquante ans, il a étudié de manière exhaus-tive le rôle incontournable des valeurs autresque matérialistes. Affirmant que la “prudence”était “de toutes les vertus la plus utile aux indi-vidus”, il soulignait ensuite que “l’humanité,la justice, la générosité et l’amour du bien publicsont des vertus très utiles aux autres hommes”.

Mais qu’est-ce exactement que le capi-talisme ? Selon la définition traditionnelle, lesmarchés sont indispensables aux transactions

Le Prix Nobel d’économie Amartya Sen tord le cou à une idéereçue : le fondateur de l’économiemoderne n’a jamais fait l’apologied’un capitalisme débridé, bien aucontraire.

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POINT DE VUE Non, la mondialisation n’est pas mortePour Moisés Naím, rédacteur en chef de Foreign Policy, rien ne peut empêcherles échanges entre pays. Ni la crise ni les politiques protectionnistes.

On ne peut pas dire que la crise éco-nomique ait sonné le glas de la mon-

dialisation, sauf à penser que la mondia-lisation concerne surtout le commerce etles investissements internationaux. Maiselle est beaucoup plus que cela et lesrumeurs sur sa fin sont très exagérées.Après tout, les djihadistes indonésienscontinuent à partager leurs idées et leursplans d’opération avec leurs frères extré-mistes du Moyen-Orient, pendant que lesartistes vietnamiens peuvent aujourd’huivendre plus facilement leurs œuvres surles marchés européens et que les jugesespagnols peuvent faire équipe avec leursconfrères d’Amérique latine pour envoyerles tortionnaires devant la justice. La mon-dialisation, comme l’affirment le politologue[britannique] David Held et ses coauteurs[dans une série de livres sur le sujet], n’est

rien d’autre que “l’élargissement, l’appro-fondissement et l’accélération de l’inter-connexion mondiale dans tous les aspectsde la société contemporaine”, et pas seu-lement entre deux terminaux de l’agence[d’information financière] Bloomberg.Toutes sortes de groupes continuent à êtreconnectés dans le monde entier, et la criseéconomique ne va pas ralentir leurs acti-vités. Dans certains cas, elle pourrait mêmeles renforcer. Les organisations caritativesmondiales, par exemple, vont voir lademande pour leurs services s’envoler, carles crises économiques font augmenter defaçon considérable le nombre des néces-siteux. Les religions vont également béné-ficier de la situation, les épreuves géné-ralisées accroissant l’intérêt pour l’au-delà.Dans une époque d’argent roi et d’emploisrares, les sociétés du crime mondialiséesseront dans certaines régions parmi lesrares – sinon les seules – sources de cré-dit, d’investissement et de travail. Et lesterroristes transnationaux ne seront pasdécouragés par une économie en mauvaise

santé : l’effondrement du marché des CreditDefault Swaps n’a pas empêché dix extré-mistes pakistanais de semer le chaos àBombay en novembre.Il est vrai que les flux privés d’investisse-ment et de crédit entre les pays ont tem-porairement chuté. Ainsi, fin 2008, lademande de produits importés a considé-rablement baissé aux Etats-Unis, réduisantle déficit commercial du pays de presque30 %. En Chine, les importations ont baisséde 21 % et les exportations de presque 3 %.En novembre dernier, les mouvements decapitaux vers les marchés émergents ontatteint leur plus bas niveau depuis 1995 etles émissions d’obligations internationalesont été stoppées. Mais pendant que l’ac-tivité économique privée sombre, les mou-vements internationaux de fonds publicsprospèrent. L’automne dernier, la Réservefédérale (Fed) américaine et les banquescentrales du Brési l , du Mexique, deSingapour et de Corée du Sud ont passé unaccord monétaire d’une valeur de 30 mil-liards de dollars [22 milliards d’euros] pour

chacun de ces pays afin de stabiliser leursmarchés financiers. Des pactes similaireslient aujourd’hui les banques centralesd’Asie, d’Europe et du Moyen-Orient.Oui, certains gouvernements seront tentésde répondre à la crise en adoptant des poli-tiques protectionnistes, en imposant desrègles qui entravent l’intégration financièreinternationale ou en prenant des mesuresdestinées à limiter l’immigration. Mais lecoût d’une telle stratégie est énorme et dif-ficile à assumer sur le long terme. Qui plusest, la capacité des gouvernements, quelsqu’ils soient, à protéger leur économie etleur société des influences et des dangersvenant de l’extérieur s’est progressivementérodée au cours des vingt dernières années.Et rien ne laisse penser que cette tendanceva s’inverser. La mondialisation est une forcesi diversifiée, ample et puissante que mêmele krach massif actuel ne parviendra pas àla ralentir de façon sensible ou à l’inverserde façon définitive. Que cela nous plaise ounon, la mondialisation est là pour durer.Moisés Naím, Foreign Policy (extraits), Washington

Relisons Adam Smith autrement

▲ Dessin de Fernando Vicente paru dans El País, Madrid.

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HORIZONS

économiques. Cela constitue une caracté-ristique nécessaire pour qu’une économie soitconsidérée comme capitaliste. De la mêmefaçon, la recherche du profit et les droits indi-viduels de propriété privée sont considéréscomme des traits propres au capitalisme. Or,si ce sont là des conditions nécessaires, les sys-tèmes économiques que nous connaissonsactuellement, par exemple en Europe et enAmérique, sont-ils authentiquement capita-listes ? Tous les pays riches du monde – ceuxd’Europe, ainsi que les Etats-Unis, le Canada,le Japon, Singapour, la Corée du Sud, Taïwan,l’Australie et d’autres – dépendent depuis uncertain temps de transactions qui se dérou-lent pour l’essentiel hors des marchés, commeles allocations chômage, les retraites et d’autrescomposantes du système social, de l’éduca-tion et de la santé.

On oublie souvent que Smith ne consi-dérait pas le mécanisme de marché en tantque tel comme un garant d’excellence, pasplus qu’il ne voyait dans la recherche du pro-fit la seule motivation. Il ne s’est pas attardésur les raisons qui poussent les gens à com-mercer. C’est d’ailleurs peut-être la pire erreurqu’on puisse commettre que de vouloir inter-préter ce qu’il a dit sur le sujet comme uneanalyse exhaustive de toutes les normes com-portementales et institutions qu’il estimait

indispensables au bon fonctionnementd’une économie de marché. Les gens

veulent commercer pour leurpropre intérêt – rien d’autre n’estnécessaire. C’est ainsi que Smith

l’a abordé dans une déclarationmaintes fois citée, qui expliquait pour-quoi les boulangers, les brasseurs, lesbouchers et les consommateurs cher-chaient à faire des affaires ensemble.Quoi qu’il en soit, pour fonctionneravec efficacité, une économie a besoind’autres valeurs, d’autres engage-

ments, comme la confiance et l’as-surance réciproques.

Smith a expliqué pourquoicette confiance n’est pas

toujours au rendez-vous. Siles tenants de la théorie duboucher, du brasseur et du boulanger, inscrite dansde nombreux manuelsd’économie, ont du mal à comprendre la cr ise

actuelle (les individusont toujours d’excel-

lentes raisons d’as-pirer à développerle commerce, maisaujourd’hui ils ontmoins d’occasionsde le faire), Smith

lui-même n’aurait pasété surpris outre mesure par

l’ampleur des répercussions dece climat de circonspection et de

défiance envers autrui, lesquelles ont contri-bué à provoquer cette crise et à compromettreles plans de relance.

Plusieurs facteurs annonçaient en réalitécette crise de confiance en partie responsabledu fiasco économique actuel. A commencerpar l’essor fulgurant des seconds marchés fondés sur des produits dérivés et autres

instruments financiers,qui font que, depuisquelques années, il estb i e n p l u s d i f f i c i l ed’identifier clairementles obligations et les responsabilités liées aux transactions. Orcette évolution s’est produite à une époqueoù l’offre de crédits àtout-va, alimentée enpartie par les énormesexcédents commer-ciaux de certaines éco-nomies – et notammentde l’économie chinoise –

, a considérablement amplifié les opérationsaudacieuses. Ces mécanismes financiers per-mettent à un prêteur de crédit immobilier àrisques qui a poussé un emprunteur à s’en-detter au-delà des limites du raisonnable dese défaire d’instruments financiers en les lais-sant à des tiers qui n’ont aucun rapport avecla transaction d’origine. Alors que depuisquelques années la nécessité de réglementa-tion et de contrôle de ces marchés s’imposede plus en plus, l’Etat – en particulier auxEtats-Unis – n’a cessé de se désengager deson rôle d’autorité de contrôle, cédant tou-

jours plus à la conviction que, par sa naturemême, l’économie de marché était capablede s’autoréguler. Et à mesure que le besoinde contrôle étatique augmentait, les auto-rités supervisaient de moins en moins lesmarchés.

Cette faiblesse institutionnelle a deseffets néfastes sur les codes de bonnes pra-tiques et encourage en plus la “surspécula-tion” – tendance à laquelle, comme l’ex-pliquait Smith, cèdent tant d’êtres humainsen raison de leur soif insatiable de profits.Smith qualifiait ces individus – qui sontprêts à prendre des risques excessifs dansl’espoir d’en récolter des profits – de “dis-sipateurs et spéculateurs”, termes qui, notons-le au passage, décrivent parfaitement lesprêteurs de crédits immobiliers à risques denotre époque.

IL FAUT DE NOUVEAU RÉFLÉCHIR AUXLIMITES DE L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ

Malgré tout ce que Smith a fait pour expli-quer et défendre le rôle constructif que pou-vait avoir le capitalisme, il n’en restait pasmoins très préoccupé par l’incidence de lapauvreté, de l’analphabétisme et des priva-tions qui pouvaient subsister dans une éco-nomie de marché prospère. Opposé à desmarchés monolithiques et à une dictature duprofit, il appelait de ses vœux une diversitédes institutions. Smith ne faisait pas que pro-mouvoir l’importance du rôle de l’Etat dansles fonctions échappant aux lois du marché,telles l’éducation pour tous et l’aide aux indi-gents (il souhaitait également que les pauvresdépendant des aides publiques bénéficientde plus de libertés que ne leur en accordaientles Poors Laws [une aide financière allouéeaux plus démunis en Grande-Bretagnedurant une période allant du XVIe auXIXe siècle]). De manière générale, il étaitbien plus favorable à des choix institution-nels capables de répondre aux problèmes desociété qu’à des institutions régies parquelque formule rigide qui laisserait touteliberté aux marchés.

Les difficultés économiques actuelles n’ap-pellent pas à mon sens un “nouveau capita-lisme”, mais elles exigent bel et bien de nou-velles réflexions sur la portée et les limites del’économie de marché. Nous avons surtoutbesoin d’évaluer clairement le mode de fonc-tionnement des institutions existantes et demieux comprendre comment différentes orga-nisations – qui vont du marché jusqu’aux orga-nismes étatiques – peuvent contribuerensemble à produire un meilleur système éco-nomique mondial. Amartya Sen*

* Penguin Books publiera courant 2009 une éditioncommémorative de la Théorie des sentiments moraux avecune nouvelle introduction, dans laquelle j’explique enquoi les idées d’Adam Smith sont plus que jamaisd’actualité.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 63 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

DR

■ L’auteur Amartya Sen,lauréat du prixNobel d’économie1988, enseignel’économie et la philosophie àl’université Harvard.

W W W .▶ ◀Toute l’actualité internationale

au jour le jour surcourrierinternational.com

▶ Dessin d’Ares paru dansJuventudRebelde, La Havane.

“La crisefinancière,comme la

crise climatique, pourraitmarquer l’émergence d’uneEurope politiquementélargie, ouverte au restedu monde.”

Ulrich Beck, sociologue allemand

23-

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FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG (extraits)Francfort

Pourquoi devons-nous changer notremode de vie ?PETER SLOTERDIJK C’est la crise mon-diale qui nous oblige à changer. Nous n’avonspas d’autre choix que de modifier radicalementnotre mode de vie, car sans cela nous œuvronsà notre propre fin économique et écologique.Aux premiers temps de l’humanité déjà, il yavait des autorités fortes, dieux, gourous etmaîtres, qui exigeaient des hommes d’énormessacrifices. Aujourd’hui, nous avons affaire à unedivinité profane nommée crise, qui exige denous que nous définissions de nouveaux modesde vie. Les groupes humains misent généra-lement sur la durée, ils ont la volonté de per-durer. Mais ce projet est strictement incom-patible avec le modus vivendi actuel.Qui doit changer sa vie ? Sommes-nous tous concernés ou seulement unecertaine élite ?Pour la première fois j’ai essayé d’écrire unlivre [voir ci-contre] qui réponde au genre définipar Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra,à savoir “un livre pour tous et pour personne”.“Pour personne”, car les élites auxquelles celivre pourrait s’adresser n’existent pas encore.“Pour tous”, car un nouveau processus desélection a commencé, dans lequel se défi-nit qui est apte à prendre en compte la crise.L’humanité va se diviser, et elle a déjà com-mencé à le faire sous nos yeux : d’un côté ceuxqui continuent comme avant, de l’autre ceuxqui sont prêts à amorcer un tournant. […]

Un jour [le philosophe américain] RichardRorty avait qualifié amèrement ses collègues

des départements de philosophie et desciences humaines de “spectateurs cosmopoliteset détachés”. Il voulait dire par là qu’ils par-laient de la crise comme d’une mise en scèned’opéra. Ils regardaient tout au plus les catas-trophes à travers des jumelles de théâtre, sanscomprendre que beaucoup de désastres quisurviennent aujourd’hui, au-delà de leurcharge négative immédiate, portent en eux lamarque annonciatrice de notre avenir.Qu’entendez-vous par marque annon-ciatrice ?Les philosophes Hans Jonas et Carl Friedrichvon Weiszäcker parlaient déjà de “catastrophesannonciatrices” dans les années 1980. Ce qu’ilsvoulaient dire, c’est que la réalité envoie dessignes annonciateurs à l’humanité, qu’il fautdécoder et transposer dans le comportementdes individus et des institutions. Exactementce que ne peut pas faire celui qui se complaîtdans le rôle du spectateur détaché.Mais les jumelles de théâtre n’ont-elles pasaussi un rôle protecteur ? Quand on estconfronté à l’ampleur de la menace réelle,cela peut paralyser, voire, dans le pire descas, pousser au suicide. L’être humain est

une créature qui a besoind’être protégée.Cela fait trois mille ansque les avant-gardes del’humanité sont danscette situation : dès

qu’elle voit poindre ungrand bouleversement,l’intelligence humainetremble. Il me sembleque le concept de

“dieu” a été l’un des pluspuissants boucliers derrière

lesquels on s’est abrité pour résis-ter à l’inquiétant. Si l’on regardait au-

delà de ce bouclier, on serait trans-formé en statue de sel. Souvenez-vous

du bouclier de Persée, dont lecentre reflétait le visage effrayantde la Gorgone. Le héros s’abri-tait derrière la face intérieure du

bouclier et renvoyait l’effroi vers l’extérieur.Cette image décrit bien la situation de l’in-telligence humaine quand elle tente de se ras-surer dans la confrontation avec la réalité.Devons-nous donc abandonner notreassurance trompeuse et vivre plus dan-gereusement ?Il faut surtout penser avec une conscience plusaiguë du danger. Nous devons décider si nousvoulons ériger un système immunitaire glo-bal qui nous ouvre une perspective de sur-vie collective. Il nous faut travailler à un bou-clier pour la planète, pour l’humanité et sonenvironnement technique. Pour ce faire, il fautun management écologique mondial. C’estce que j’appelle le “coïmmunisme”.Avec ce terme, vous faites référence àplusieurs reprises dans votre livre aucommunisme. Avez-vous rédigé unmanifeste de gauche ?Je n’aspire pas à un projet néocommuniste.Que voulaient vraiment les communistes ?Prendre le pouvoir pour mettre en place desdictatures extrêmes et éduquer des popula-tions immatures. Le mouvement dont je pos-tule l’existence dans mon livre ne vise enaucun cas des conversions forcées. L’objectifest de tout atteindre volontairement ou, sivous préférez, par une “volonté assistée”.Vous avez une vision plutôt positive del’humanité.Je me fonde sur une thèse ontologique forte :l’intelligence humaine existe. En découle unethèse éthique forte : l’intelligence humaineexiste en corrélation positive avec la volonté deperdurer. Depuis Adorno, nous savons quecette corrélation peut être remise en question.C’était l’idée la plus suggestive de la théoriecritique. Elle partait de l’observation que l’in-telligence humaine peut parfois se tromperet confondre autodestruction et préservationde soi. Cela fait partie des leçons inoubliablesdu XXe siècle. Ce qui est aujourd’hui à l’ordredu jour, c’est une théorie positive de la coïm-munité globale, qui fonde et oriente les mul-tiples pratiques de la survie collective.

Propos recueillis par Julia Encke

L’ANTICRISE Manuel de survie

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 64 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

AUTOSUFFISANCE Vers une économie de symbioseNourriture, énergie, santé… C’est autourde ces droits de base que l’on doitreconstruire notre modèle, expliquel’économiste japonais Katsuto Uchihashi.

Certains considèrent que le capitalisme estau bord de l’effondrement.KATSUTO UCHIHASHI Alors que la sommedes PIB des pays de la planète s’élève à54 000 milliards de dollars, les capitauxspéculatifs passant d’une place financièreà une autre sont estimés à quelque540 000 milliards de dollars. Cet argentvirtuel, dont le profit engendre le profit, apris un tel poids qu’il manipule l’économieréelle à sa guise. Le contrôler est d’oreset déjà impossible. Je pense que ces capi-

taux volatils vont s’autodétruire tôt ou tard,mais, pour sauver l’économie réelle, il estindispensable de réunir des spécialistesdu monde entier et de mettre en place unecoopération internationale.Vous prônez l’économie de symbiose, un système fondé sur une “zone d’autosuffi-sance FEC”, F pour food (nourriture), E pourenergy (énergie) et C pour care (santé). Elleva de pair avec le droit à l’autosuffisance.Le principe de concurrence est fondé surla division. On divise pour créer des riva-lités et mettre en compétition. L’émulationest certes une bonne chose, mais la sym-biose pose comme principes la solidarité,la participation et la coopération et res-pecte les droits fondamentaux de l’être

humain, notamment l’accès à la nourriture,à l’énergie et à la santé. Il s’agit non seu-lement d’être autosuffisant [au niveaulocal, national voire interrégional] dans cestrois domaines, mais aussi de créer desemplois. En s’appuyant sur ce système devaleurs, on doit créer des industries quipermettent la fondation d’une société dedéveloppement durable. Les retombéeséconomiques devraient être non négli-geables. […] Le président Obama a pro-mis “une assurance-maladie pour tous” etil pense la financer grâce à la suppressiondes réductions d’impôts en faveur des plusprivilégiés. Ce retour à la politique de redis-tribution des revenus est proche de l’idéede la zone d’autosuffisance.

Certains craignent que le fait de favoriser l’éco-nomie nationale conduise au protectionnisme.D’autres, en revanche, proposent de retour-ner à une économie fermée, comme à lapériode d’Edo [1603-1867].C’est absurde. Je ne suis pas de ceux quipensent que le bon vieux Japon était mieux.Je souhaite qu’on bâtisse une économie desymbiose dans laquelle on s’intéresse à l’êtrehumain avant tout, et non que l’on regretteune époque où régnait la discrimination et oùdes parents étaient obligés de vendre leursenfants. Ce système d’avenir que j’appellede mes vœux pointe déjà dans certaines com-munautés locales et chez les jeunes.

Propos recueillis par Shuichi Tomaru, Asahi Shimbun (extraits), Tokyo

“Il faut changer ta vie”Dans son nouveau livre, le philosophe allemand PeterSloterdijk appelle à décoder dans la crise les signes annonciateurs de notre avenir. Entretien.

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■ L’auteurA 61 ans, PeterSloterdijk est l’undes grands noms de la philosophieallemandecontemporaine.Originaire de Karlsruhe, où il exerce commeprofesseur etrecteur d’université,il s’est faitconnaître avec son essai Critique de la raison cynique(Bourgois, 1987).En 1999, il adéclenché une vastepolémique avecRègles pour le parchumain (Mille etUne Nuits, 2000).Son dernier livre,Du mußt deinLeben ändern(Il faut changer ta vie), vient de paraître enAllemagne. Son titreest emprunté au poème de Rilke Torsearchaïqued’Apollon.

▶ Dessin de Peret paru dans El País,Madrid.

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THE TIMESLondres

J’ai baptisé “capitalisme Gucci” l’époquequi vient de se terminer. Ce capitalisme-là est né vers le milieu des années 1980 ;Ronald Reagan et Margaret Thatcher l’ont

conçu, Milton Friedman l’a porté sur les fontsbaptismaux et Bernard Madoff s’en est fait lafigure de proue. C’était une époque qui repo-sait sur une idée fondamentale, à savoir queles marchés pouvaient s’autoréglementer. Uneépoque où il était moins honteux de croulersous les dettes que de ne pas posséder le der-nier modèle de chaussures Nike ou de sac àmain Gucci.

Dans ces conditions, il n’est guère surpre-nant que les autorités de tutelle aient été tropfaibles, les banquiers trop puissants et les méca-nismes de contrôle trop inexistants. Ni quele château de cartes ait été voué à s’effondrertôt ou tard. Et l’on ne s’étonnera pas non plusque le capitalisme Gucci soit dénoncé main-tenant tant par la droite que par la gauche.Même l’un de ses plus ardents défenseurs,[l’ancien président de la Réserve fédérale] AlanGreenspan, reconnaît son aveuglement passé.Mais ces accès de lucidité risquent de faire longfeu. Dans cinq ans, le capitalisme gardera-t-ille même visage qu’il y a six mois ? Selon moi,les conditions sont réunies pour qu’une nou-velle forme de capitalisme surgisse des ruines :le capitalisme coopératif, où coopération, col-laboration et intérêts collectifs sont les maîtresmots. Et cela pour cinq raisons.

POURQUOI DOIT-ON CHANGER DE MODÈLE ÉCONOMIQUE ?

La première est que l’opinion est furieuse. Cettecolère était dirigée dans un premier tempscontre les banquiers, puis très vite elle s’estretournée contre les grandes entreprises engénéral : les sociétés qui versent des millionsde dollars à leurs dirigeants tout en procédantà des licenciements massifs, celles qui réalisentde coquets bénéfices mais ne partagent pasla manne avec leurs clients, lesquels trouventla pilule bien amère. Nous assistons déjà à unegrogne grandissante. Et elle devrait s’amplifier,à moins que les dirigeants politiques et les chefsd’entreprise montrent qu’ils se rangent sansambiguïté du côté de la population.

Deuxième raison : le gouvernement a reçuun mandat pour intervenir, et ce pour la pre-mière fois depuis trente ans. Et c’est un vraiséisme. Encore une fois, les banques ont été lespremières visées – par le biais d’interventionsqui allaient des nationalisations au plafonne-ment des rémunérations. Dans le capitalismeGucci, on exigeait rarement des entreprisesqu’elles agissent pour le bien de la société. Dansle capitalisme coopératif, c’est la contrainteet non le volontariat qui sera la norme.

Troisième raison : les mauvais côtés de lamondialisation sont apparus au grand jour.La rapidité avec laquelle la crise financières’est propagée d’un pays à l’autre montre avec

éclat que, dans un mon-de interconnecté, nousvivrons ou nous mour- rons tous ensemble.Dans le capitalismeGucci, les entreprisesvoyaient leurs droits in-croyablement protégés,sous l’ombre tutélaire del’Orga ni sation mondialedu commerce (OMC).Aujour d’hui, des discus-sions sont engagées surl’établissement d’un sys-tème mondial de régle-mentation financière. Etce n’est qu’un début. Il

faut s’attendre à la création de nouvelles insti-tutions internationales ou à l’introduction denouvelles règles contraignantes. Ce genre d’ac-cords n’aura d’ailleurs rien de nouveau. Bret-ton Woods et le protocole de Montréal sur les

chlorofluocarbures (CFC) constituent desexemples d’une collaboration entre Etats pourune cause commune.

Quatrième raison pour laquelle une nou-velle ère de capitalisme se profile à l’horizon :la configuration des forces géopolitiques est entrain de se redessiner. La Chine, le Brésil, l’Inde– des pays qui n’ont guère fait allégeance aucapitalisme Gucci – montent en puissance tan-dis que, de son côté, le nouveau gouvernementdes Etats-Unis semble attaché au multilatéra-lisme. Si on ajoute à cela le fait que l’Europe,durement touchée par la récession mondiale,a tout intérêt à prendre ses distances avec cesystème économique qu’elle n’a pas inventé,tous les ingrédients sont réunis pour une révo-lution idéologique.

Enfin, ce n’est pas seulement au niveauintergouvernemental qu’on décèle les signesd’une plus grande coopération. D’après cer-taines études anthropologiques, les sociétés quiont moins partagent plus. La popularité gran-dissante du “recyclage gratuit”, qui consisteà donner ce dont on ne veut plus plutôt que dele mettre en vente, n’est qu’une manifestationcomme tant d’autres d’une nouvelle ère decoopération.

TRANSFORMER LA CRISE ACTUELLE EN UNE OPPORTUNITÉ DE NOUS UNIR

Mais il ne s’agit pas d’un mouvement irrésis-tible. Nous nous trouvons à la croisée des che-mins. Les dirigeants, à la tête d’entreprises oude gouvernements, sont placés devant un choix.Ils peuvent adopter l’idée de coopération, avecson multilatéralisme et ses institutions inter-nationales, pour protéger notre environnementet nos citoyens. Ou ils peuvent s’engager dansune voie très différente : celle du pur égoïsmeet de la loi de la jungle. Dans cette optique,ceux qui préconisent le protectionnisme éco-nomique doivent prendre conscience de sesconséquences. Si la Chine voit les marchésétrangers se fermer devant ses produits, elle nesera pas pressée de réduire ses émissions dedioxyde de carbone. Si le Royaume-Uni essaiede réserver les emplois aux seuls Britanniques,il risque de ne plus pouvoir exporter ses biensoù que ce soit. Enfin, comme l’Histoire nousl’a enseigné, la frontière entre nationalismeéconomique et xénophobie est mince.

J’espère que nos dirigeants et l’opinionpublique auront la clairvoyance et l’ambitionnécessaires pour transformer le naufrage éco-nomique actuel en une opportunité. Unechance de s’unir pour instaurer un système éco-nomique plus équitable, étroitement surveillé,qui privilégie des règles plus équilibrées, favo-rise la justice sociale et le développementdurable. J’espère que nous opterons pour uneversion du capitalisme qui soit ouverte, avecde multiples acteurs, et dans laquelle une par-tie ne gagne que quand tout le monde travailleensemble pour le bien commun. Enfin, j’es-père que nous choisirons d’acheter non pluschez Gucci, mais à la coopérative.

Noreena Hertz*

* Professeur à la Judge Business School de l’université deCambridge et auteur de The Silent Takeover [La prise decontrôle silencieuse].

HORIZONS

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 65 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

▶ Dessind’Ulisesparu dans El Mundo,Madrid.

A Vancouver,faute de pouvoirconstruire de nouvelles

maisons, on préfère utiliser les terrains vagues pour cultiver deslégumes. L’agriculture urbaine estd’ailleurs en plein boom : la pelousede l’hôtel de ville va être convertieen potager bio et les Vancouvéroisont désormais le droit d’élever des poules dans leur arrière-cour.

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Bienvenue au capitalisme coopératif !Le temps de l’individualisme est révolu. Et nousdevons tous collaborer pour construire un modèleéconomique à visage humain. C’est l’intime convictionde l’économiste britannique Noreena Hertz.

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beaucoup plus profondes. Les pays qui venaientde rejeter la colonisation devaient aussi ces-ser de dépendre des marchandises importéesafin de parvenir à une véritable souverainetééconomique. Mieux, dans la science écono-mique mondiale des années 1960, tout un cou-rant justifiait le remplacement des importa-tions et avait élaboré une “théorie de ladépendance”, qui entrait en conflit avec la théo-rie de la modernisation selon laquelle les paysen développement étaient capables d’imiterles pays industrialisés, que ce n’était qu’unequestion de temps et qu’il fallait continuerles échanges mutuellement bénéfiques avecl’Occident et d’abord accumuler des capitaux.

Les partisans de la théorie de la dépendancesoulignaient pour leur part que ces échangesétaient toujours dominés par l’inéquitablemodèle colonial : les sommes que touchaientles pays en développement en échange deleurs matières premières étaient trop faibles,tandis que les biens industriels qu’ils achetaientétaient trop chers. Ainsi, le commerce avecl’Occident ne faisait qu’aggraver leur dépen-dance. Dans ces conditions, disposer de leurpropre production industrielle était la seule so-lution, à la fois d’un point de vue économiqueet diplomatique.

A ce jour, la Russie n’a pas fait de la sub-stitution aux importations un slogan officiel.

Pourtant, au sein dugou vernement comme àl’Assemblée, on ne cessed’en parler. Par exemple,lorsqu’on leur a de man -dé si le marché des mé -dicaments russe ne ris-quait pas de souffrird’une baisse des impor-tations (qui l’alimententà hauteur de 75 %), desresponsables gouverne-mentaux ont réponduque la production natio-nale s’efforcerait de com-penser. Alexeï Koudrine,le ministre des Finances,

L’ANTICRISE Manuel de survie

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 66 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

KOMMERSANT-VLAST (extraits)MOSCOU

Al’époque où elle a été inventée, la sub-stitution des produits nationaux auximportations se voulait déjà une réponseà la crise économique qui sévissait en

Occident. Comme l’expliquent les chercheursaméricains James Heinz et Héctor Sáez, “àla suite de la Grande Dépression des années 1930,de nombreux pays en développement, en Amériquelatine en particulier, ont voulu accéder à la crois-sance économique en suivant un modèle d’indus-trialisation visant à produire ce qui était jusque-làimporté. Ce modèle a fonctionné dans un grandnombre de pays, mais le manque de productivité,de mauvaises décisions dans l’octroi des subven-tions et le lourd endettement des entreprises ontrendu ce schéma vulnérable à l’inflation et auxfluctuations de l’économie mondiale.”

Les pays ayant décidé d’édifier le socialismeet de nationaliser les entreprises privées n’ontgénéralement pas tardé à imposer ce systèmede substitution des importations. Ainsi, à Cuba,peu après la révolution [en 1959], l’organismenational de planification entreprend de diver-sifier l’économie par ce biais. Le mot d’ordreest que, afin de diminuer la dépendance de l’îlevis-à-vis des pays occidentaux, il faut apprendreà produire sur place l’ensemble des produitsconsommés. Dès 1968, il faudra y renoncer etinstaurer une autre politique, fondée sur la pro-duction et les exportations de sucre, ainsi quesur le développement des échanges commer-ciaux avec les pays communistes.

Les pays qui s’accrochent à la substitutiondes importations sont en général très pauvreset ont des normes de consommation bien àeux. Voici ce que relate Pelé dans son auto-biographie Ma Vie et ce jeu merveilleux [RobertLaffont, 1978], évoquant le Brésil de 1958, aulendemain de la première victoire de l’équipenationale au Mondial de football : “Une voi-ture ? Je ne pouvais pas y croire. A cette époque,cela semblait extraordinaire. Il faut savoir que lesautomobiles venaient de l’étranger, et les taxes àl’importation, calculées pour être dissuasives, dépas-saient de loin le prix de la voiture. Cela coûtait doncune fortune, plus que ce qu’une vie entière de tra-vail aurait rapporté à un Brésilien moyen.”Pourtant, ses exploits lors de la Coupe dumonde valurent bien à Pelé de se faire offrirune voiture par son pays, mais il s’agissait d’unmodèle local : “J’ai découvert une Romizetta, unmachin à trois roues qui n’était même pas équipéde vraies portières.”

La substitution aux importations a par-fois été dictée par les circonstances : durantla Seconde Guerre mondiale et dans les annéesqui ont suivi, les colons britanniques avaientinsisté pour que le Kenya se lance dans ce genrede politique, car la métropole n’avait plus lesmoyens de fournir des produits d’importation.Mais, dans la plupart des cas, les raisons sont

souligne que la Russie connaîtra une chutenotable des importations en 2009, ce qui per-mettra une rapide croissance économique parla suite (après la crise de 1998, on avait observéune chute brutale des importations, à laquelleavait succédé une croissance économique de10 % en l’an 2000).

Le récent relèvement spectaculaire des taxessur les véhicules importés est bien dans l’espritde la substitution aux importations. De fait, labaisse planifiée du cours du rouble est le par-fait symbole de cette politique. Le renchéris-sement des devises étrangères va limiter lesimportations et rend les produits russes for-midablement concurrentiels, ce qui doit favo-riser la croissance de la production, et mêmeen améliorer la qualité.

Il faut se souvenir que l’URSS, malgré sonéconomie indéniablement planifiée, ne parlaitpas de substitution aux importations. Dansla mesure du possible, les importations étaienten fait régulièrement revues à la hausse (sur-tout en provenance des démocraties populaires,bien sûr, mais pas uniquement). Cependant,les marchandises importées n’arrivaient pas enquantités suffisantes, et il y avait pénurie d’ar-ticles de bonne qualité, qui n’étaient accessiblesqu’à certains privilégiés. C’est pour cela qu’au-jourd’hui les Russes qui entendent parler de lasubstitution de la production nationale auximportations ont d’instinct une réaction néga-tive. Surtout si cela doit être rendu possible parla dévaluation du rouble. Les produits impor-tés seront beaucoup plus rares, et leur prix aug-mentera nettement. Les producteurs russes,au lieu de jouer sur la différence de prix, vonten profiter pour augmenter leurs marges.

Cela dit, il n’est pas étonnant que le sujetrevienne au premier plan ces temps-ci. Il fautbien que la crise ait quelques bons côtés.Lorsque le cours du rouble montait et que levolume des importations augmentait, le mar-ché était saturé de produits étrangers de bonnequalité. Maintenant que le cours du roublechute et que les importations diminuent, lemarché devrait théoriquement être saturé d’ar-ticles russes de bonne qualité. Sergueï Minaev

Vive le made in Russia !A Moscou, on reparle de remplacer les importationspar des produits locaux. Pour beaucoup de Russes, cela rappelle les pénuries de l’ère soviétique.

▶ Le capitalismerusse en proie à de grosses difficultéséconomiques.“C’est exactementcomme du temps du communisme !— Sauf quemaintenant, on est mieux habillés.”Dessin de Danziger,Etats-Unis.

■ Chômage“8 millions de sans-emploi.Comment surmonterce nouveau fléau ?”titraitl’hebdomadaireéconomique russe Expertle 23 mars. Avec 300 000 chômeurs en plus pour le mois de février 2009, le taux de chômage a atteint 8,5 % de la population active de Russie. La fin de l’années’annonce trèssombre : certainesprévisions vontjusqu’à 15 millions de chômeurs.

Chercheurs d’orsibériens, à vos tamis,

la taïga livrera peut-être bientôt sesrichesses, annoncent les Izvestia. Leprésident Dmitri Medvedev a promisqu’il réfléchirait à la demande dugouverneur de la région de Magadand’autoriser l’octroi de licencesindividuelles aux chômeurs et autres retraités qui désirent selancer dans la prospection aurifère.

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Très dépendante de la demandeaméricaine, la Chine n’en est pasmoins capable de rebondir eninnovant. Une leçon que l’industrieaméricaine ferait bien de suivre.

THE ATLANTIC (extraits)Washington

La success story chinoise telle que nous l’avonsconnue jusqu’ici – trois décennies inin-terrompues de modernisation et de pros-périté sous la houlette d’un régime autori-

taire – est-elle terminée ? A-t-elle atteint seslimites et révélé ses contradictions ? Si la Chinecesse de progresser et de croître, risque-t-ellede se déchirer ?

A mon avis, non. La Chine est certesconfrontée à de gros problèmes, et il est pos-sible qu’un jour nous repensions aux céré-monies d’ouverture des Jeux olympiques dePékin comme à la dernière occasion où lemonde a pu croire qu’il n’y avait pas de limitesà ce que pouvait accomplir la Chine. Mais jeparie le contraire.

Commençons par examiner jusqu’à quelpoint les choses pourraient se dégrader. L’ap- proche la plus limpide est celle de Michael Pet-tis, un professeur de science financière résidantà Pékin. Pour imaginer la situation de la Chi-ne des années 2000, explique-t-il, il faut la com-parer à celle des Etats-Unis dans les années1920. Pettis a écrit récemment que l’excédentcommercial chinois, “la mesure la plus précisede la surcapacité” – c’est-à-dire les usines quitournent et les ouvriers qui ne sont em-ployés que pour répondre aux achatsde l’étranger –, est, par rapport aureste du monde, aussi importantque l’excédent américain en1929. En revanche, par rap-port à sa seule production na-tionale, la Chine affiche unexcédent cinq fois plus dé-pendant de clients étrangerspour ses emplois que ne l’étaientles Etats-Unis de 1929. Par consé-quent, à moins qu’elle ne trouvele moyen de continuer à vendrealors que ses clients habituels ontcessé d’acheter, la Chine devrait subirune vague de chômage proportionnelle-ment beaucoup plus forte que celle qui a frap-pé les Etats-Unis à l’époque.

Le fait que la Chine soit devenue le fi-nancier des Etats-Unis a renforcé sa capaci-té d’influence sur ce pays. Mais sur le courtterme – ou plutôt, tant que la crise actuelledurera – les deux pays sont en réalité codé-pendants d’une manière que ni l’un ni l’autren’avaient tout à fait prévue. Depuis le débutde l’année, les responsables chinois ont ex-primé avec de moins en moins de ménage-ment ce que Gao Xiqing, qui gère quelque200 milliards de dollars d’avoirs chinois auxEtats-Unis, avait subtilement laissé entendreen décembre 2008, à savoir que si les Etats-Unis entendent continuer à se servir de l’ar-

gent chinois, ils ont tout intérêt à remettre leuréconomie sur les rails. En d’autres termes, se-lon Pékin, les Etats-Unis devraient épargneret investir davantage, moins emprunter etmoins consommer. Au Forum de Davos, enjanvier dernier, le Premier ministre Wen Jia-bao a de nouveau souligné le problème en mo-rigénant les Etats-Unis pour avoir provoquéla déroute générale par leurs excès. Bon, d’ac-cord ! Le seul problème, c’est que plus les Amé-

ricains obtempéreront,plus les choses en Chinepourraient s’aggraver surle court terme, car c’estprécisément la surcon-som mation américainequi a permis aux usineschinoises de tourner àplein régime. Mais lesAméricains sont dansune contradiction simi-laire en ce qui concerneleurs critiques à l’adres-se de la Chine. Les au-torités américaines vou-draient que celle-ci ré-duise son excédent com-

mercial – mais, dans le même temps, ils vou-draient que les financiers chinois continuent àacheter des bons du Trésor américain et des ac-tions de sociétés américaines avec les dollars queles Chinois tirent justement de leur excédent.Or on ne peut pas tout avoir. Les Chinois peu-vent soit nous donner de l’argent, soit nous res-tituer un certain nombre d’emplois, mais pasles deux. Les Etats-Unis continueront donc àcroiser les doigts en attendant de toucher lefond de la crise économique, pendant que lesentreprises et les ouvriers chinois accuserontun choc sévère.

Alor s , pour que l l e ra i son su i s - j econvaincu que les Chinois ont de bonnes

raisons d’espérer ?La première réponse relève del’économie pure. Les Chinois

peuvent récupérer chez euxune partie de la demande

perdue grâce à leurplan de relance, qui,avec 4 000 milliardsde yuans [435 mil-liards d’euros], est

proportionnellementbeaucoup plus impor-

tant que celui proposé parl’administration Obama

[équivalent de 580 milliardsd’euros], car l’économie chinoise

est bien plus faible que l’économieaméricaine. Certes, il y a bien des rai-

sons d’être sceptique sur les chances de réus-site du plan chinois.

Mais sur mon bureau s’entassent des ana-lyses secteur par secteur montrant que lerebond pourrait arriver plus rapidement quene l’indiquent les chiffres de la demande brute.“Quand pouvons-nous espérer des signes de fré-missement dans l’économie chinoise ?” s’inter-roge Andy Rothman, de chez CLSA Asia-Pacific Markets, dans un de ces rapports

concernant l’industrie du ciment et de l’acier.“Selon nous, ils devraient se manifester en marsou en avril 2009”, c’est-à-dire lorsque les pre-mières commandes résultant du plan derelance parviendront aux entreprises du sec-teur en question.

J’ai parcouru de nombreux autres rapportsconcernant un tas d’autres secteurs, et toustendent à la même conclusion : l’économie chi-noise pourrait souffrir plus durement que laplupart des autres économies, mais elle pos-sède également plus d’outils et plus de res-sources que la plupart d’entre elles.

Au-delà de la pure perspective économique,l’hypothèse selon laquelle “la Chine est finie”semble méconnaître l’importance des réali-tés culturelles et politiques. La prémisse est quele Chinois ordinaire n’accepte qu’avec réticencele marché social que le gouvernement lui offreaujourd’hui – une liberté limitée en échanged’une richesse potentiellement illimitée – etque, en conséquence, si le gouvernement neremplit pas ses promesses matérielles, le mar-ché sera rompu et les gens vont se révolter.

LOIN DE PÉRICLITER, DES ENTREPRISESCHINOISES INVESTISSENT

Cela ne correspond pas à ce que j’ai pu obser-ver sur place. Les licenciements et les salairesgelés ? Les Chinois ont vu pire. Ce sont desgens aussi exigeants que n’importe quel autrepeuple, et leurs attentes sont aujourd’hui plusélevées qu’autrefois. Mais il est difficile de voiren quoi les difficultés qui se profilent serontcelles que les Chinois trouveront inacceptablesou celles qui pousseront le système vers uneffondrement à la soviétique.

Enfin, il ne faut pas oublier un élémentimportant de la situation : les opportunités queles soubresauts actuels pourraient offrir à lacroissance future de la Chine.

A Pékin, à Shanghai, à Shenzhen et ailleurs,j’ai eu l’occasion de voir des entreprises quitentent d’utiliser les remous actuels pour péné-trer sur de nouveaux marchés et faire ce quetrès peu d’entreprises chinoises ont fait jus-qu’à présent : fabriquer des produits de hautetechnologie qui dégagent de gros bénéfices.Dans un pays aussi vaste et aussi chaotiqueque la Chine, il est bien entendu possible derelever les preuves d’autant de “tendances”que vous voulez. Mais en quelques semainesseulement d’enquête, j’ai pu constater qu’uncertain nombre d’entreprises, loin de péri-cliter, se développaient, et que des respon-sables industriels y investissaient beaucoupd’argent, convaincus que c’est maintenant– au moment où les compétiteurs sont les plusfaibles et qu’il est possible de recruter destalents et des actifs à un prix avantageux – qu’ilfaut mettre tous les atouts de son côté pourpréparer la prochaine étape.

C’est à l’ouest de Shenzhen que j’ai trouvél’exemple le plus spectaculaire de cette ten-dance. Là, une start-up purement chinoisenommée BYD a annoncé des projets qui pour-raient prêter à sourire si l’entreprise n’avait pasdéjà réalisé des choses remarquables.

En 1987, Wang Chuanfu a décroché undiplôme avancé de métallurgie à l’uni-

HORIZONS

Pékin est à genoux, mais pas K.O.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 67 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

“Aucun des

cent fabricants

chinois

avec lesquels je travaille n’a fait

faillite. Beaucoup peinent, mais

d’autres voient dans la récession

l’occasion de lancer leurs propres

produits innovants plutôt que de

rester de simples sous-traitants.”Liam Casey, représentant à Shenzlen

de nombreux donneurs d’ordres étrangers.

26-

▼ Dessin de Falco,Cuba.

65-70 horizons SA:Mise en page 1 30/03/09 14:44 Page 67

Page 68: 961 Anti Crise

BANGKOK POST Bangkok

Tandis que les marchandises s’entassentdans les entrepôts de Bangkok à Shanghaiet que le nombre des licenciements atteintdes records, les habitants de l’Asie orien-

tale commencent à comprendre qu’ils viventla fin d’une époque. Depuis plus de quaranteans, la création d’un appareil industriel orientévers l’exportation [export-oriented industriali-sation, EOI] a servi de moteur à l’économiede la région. Ce sont Taïwan et la Corée duSud qui, les premières, ont adopté cette stra-tégie de croissance, au milieu des années 1960.A l’époque, pour obliger les entrepreneurssud-coréens à exporter, le dictateur ParkChung-hee n’hésitait pas, entre autres pres-sions, à menacer de couper l’électricité deleurs usines s’ils refusaient d’obtempérer.

Les succès remportés par Taïwan et la Co-rée du Sud convainquirent la Banque mondialeque l’EOI représentait la stratégie la plus pro-metteuse. Au milieu des années 1970, RobertMcNamara, qui était alors président de laBanque mondiale, éleva cette stratégie aurang de doctrine. Ce n’est toutefois qu’au mi-lieu des années 1980 que les économies de l’Asiedu Sud-Est décollèrent réellement. En 1985,au cours des négociations qui débouchèrent surles Accords du Plaza, les Etats-Unis imposèrentla réévaluation draconienne du yen par rapportau dollar et aux autres devises fortes. En ren-dant les importations nippones plus chères pourle consommateur américain, Washington es-pérait réduire son déficit commercial avec To-kyo. Le coût de la production dans l’archipeldevint prohibitif, contraignant les Japonais à dé-placer les segments de leurs opérations manu-facturières les plus consommateurs de main-d’œuvre dans des ré-gions où le coût dutravail était moindre,notamment en Chine eten Asie du Sud-Est. Aumoins 15 milliards dedollars d’investissementsdirects d’origine japo-naise se déversèrent enA s i e d u S u d - E s tentre 1985 et 1990. Ceta f f l ux de cap i t auxnip pons permit aux“pays nouvellement in-dustrialisés” de la régiond’échapper au resserre-ment du crédit (provo-qué par la crise de la det-te du tiers-monde, au début des années 1980),de surmonter la récession mondiale du milieude la décennie et de s’engager sur la voie d’unecroissance extrêmement rapide. L’importancecentrale de l’endaka, ou flambée de la devisenippone, s’est traduite dans le ratio des apports

d’investissements étrangers directs relative-ment à la formation de capital brut, qui connutun bond spectaculaire à la fin des années 1980et durant la décennie 1990 en Indonésie, en Ma-laisie et en Thaïlande. La dynamique de la crois-sance induite par l’investissement étrangers’est illustrée de manière particulièrementclaire en Thaïlande. En cinq ans seulement,de 1987 à 1991, ce pays enregistra 24 milliardsde dollars d’investissements en provenance duJapon, de la Corée du Sud et de Taïwan. Quellesqu’aient pu être les préférences du gouverne-ment thaïlandais en matière économique – pro-tectionnistes, mercantilistes ou favorables aumarché –, cette énorme injection de capitauxasiatiques ne pouvait avoir d’autre résultat qued’impulser une croissance vigoureuse. Il en allade même avec les deux autres pays qui avaientla faveur des capitaux du nord-est de l’Asie : laMalaisie et l’Indonésie.

ÉTATS-UNIS ET CHINE ENTRAVÉS DANS LA MÊME FILE DE PRISONNIERS

Ce n’est cependant pas seulement l’ampleurdes investissements japonais sur une périodede cinq années qui fit la différence. C’est aussila méthode adoptée. Le gouvernement japo-nais et les conglomérats nippons planifièrentde concert et collaborèrent étroitement dansle processus de transfert des entreprises indus-trielles en Asie du Sud-Est. Un des aspectsessentiels de l’opération était de délocalisernon seulement les grosses entreprises commeToyota ou Matsushita, mais aussi les petiteset moyennes structures qui leur fournissaientpièces et composants.

Si Taïwan et la Corée du Sud furent despionniers en la matière et si les pays d’Asiedu Sud-Est leur emboîtèrent bientôt le pas,ce fut la Chine qui perfectionna la stratégiede l’industrialisation orientée vers l’export.Avec une réserve de main-d’œuvre bon mar-ché unique sur la planète, la Chine devintainsi “l’atelier du monde”, attirant chaqueannée 50 milliards de dollars d’investisse-ments étrangers durant la première moitié dela décennie 2000. Pour survivre, les multi-nationales n’eurent d’autre choix que detransférer leurs opérations exigeantes enmain-d’œuvre vers la Chine afin de profiterde ce que l’on appela bientôt le “tarif chinois”,provoquant dans la foulée une gigantesquecrise de la main-d’œuvre dans les pays capi-talistes avancés.

Ce processus dépendait du marché amé-ricain. Tant que les consommateurs améri-cains dépensaient, les économies du Sud-Estasiatique fondées sur les exportations pou-vaient continuer à progresser à un rythme sou-tenu. Le faible taux d’épargne américainn’était pas un obstacle puisque le crédit étaitlargement disponible. La Chine et d’autrespays asiatiques s’arrachèrent les bons duTrésor américain et prêtèrent massivementaux institutions financières américaines, les-quelles accordèrent à leur tour des prêts auxparticuliers pour consommer ou acheter unlogement. Mais, aujourd’hui, l’économie amé-ricaine du crédit a implosé et il est probableque le marché américain ne redeviendra pas

L’ANTICRISE Manuel de survie

Les nouveaux pays industrialisés d’Asie avaient toutmisé sur l’export. Ce modèle vole aujourd’hui enéclats. Et pourrait accoucher d’une explosion sociale,estime le sociologue philippin Walden Bello.

La croissance ne devrait pasdépasser 3 %

cette année, contre 4,6 % en 2008 et 7,2 % en 2007. L’impact social de ce repli ne sera atténué que parles transferts de fonds des expatriés.Ces envois, qui représentaient 11,6 %du PIB en 2007, vont cependantralentir en 2009, notamment en raison des licenciements aux Etats-Unis. (The Manila Times).

27-

versité Zhongnan de Changsha. Huit ansplus tard, il créait BYD, spécialisé dans lespetites batteries. Et sept ans plus tard, l’en-treprise faisait son entrée à la Bourse de HongKong. En 2005, BYD est devenu le leadermondial dans le domaine des petites batteries.L’entreprise emploie 130 000 personnes enChine, réparties sur sept sites principaux deproduction. J’ai passé un après-midi entier àvisiter l’usine de Shenzhen.

“Nous pensons que lorsqu’on a une bonne com-préhension des matériaux, beaucoup de choses sontpossibles”, m’informa Stella Li, la vice-prési-dente de l’entreprise. Elle faisait notammentallusion à l’événement qui, l’année dernière, apropulsé BYD vers la notoriété internationale :la présentation du premier véhicule hybride ali-menté par batterie à pouvoir être produit à lachaîne et rechargé sur une prise de courantdomestique. Cette voiture, la F3DM, que j’aiconduite sur un parking de l’usine, peut rou-ler sur une centaine de kilomètres grâce à saseule batterie, après quoi le moteur à essenceprend le relais. La batterie à base de fer serecharge en sept heures et serait capable desupporter sans faiblir plus de mille cycles derechargement, ce qui est une prouesse. Leprix de vente du véhicule est annoncé à22 000 dollars [16 000 euros] – cher pour laChine, mais très raisonnable pour les marchésaméricain et européen, où aucune voiturerechargeable équivalente n’est pour l’instantcommercialisée. D’ailleurs, à la fin de l’an-née 2008, Warren Buffett a répondu à samanière aux moqueries de la presse américaineen achetant pour 230 millions de dollars 10 %des parts de l’entreprise.

LES INDUSTRIELS AMÉRICAINS DEVRAIENT RÉFLÉCHIR

L’objectif officiel de l’entreprise est de deve-nir le plus gros constructeur automobile chinois en 2015 et le plus gros du monde en2025. Alors même que Wang dévoilait sa voi-ture à Shenzhen, le Congrès américain débat-tait de l’opportunité d’une aide d’urgenceà GM et Chrysler. J’ai demandé à Wang s’ilavait un ou deux petits conseils à communi-quer aux industriels américains. Wang est unhomme discret et réservé. En entendant latraduction de la question, j’ai eu l’impressionqu’il blêmissait. “Depuis cent ans, rien n’achangé à Detroit”, a-t-il finalement réponduvia l’interprète. “Je pense qu’ils devraient réflé-chir à leurs lignes de produits.”

La Chine est à genoux. Elle n’est pasK.-O. Cela a des implications importantespour les Etats-Unis. On pourra légitimementcritiquer le gouvernement chinois dans le casoù il tenterait de subventionner en douce sesexportations ou de déprécier à nouveau leyuan. Mais personne ne peut lui reprocher sonambition d’augmenter la rémunération dutravail de ses citoyens. De nombreuses entre-prises chinoises subiront des échecs et com-mettront des erreurs face à l’intense pressionactuelle. Mais beaucoup d’entre elles mettentà profit ces temps difficiles pour préparer leurrebond. La question que devraient se poser lesAméricains, c’est comment eux-mêmes uti-lisent le moment présent. James Fallows *

* Auteur de plusieurs livres, James Fallows vient de publierPostcards from Tomorrow Square: Reports from China(Vintage, décembre 2008 ; non traduit en français).

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 68 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Adieu nos exportations !

■ EmploisAu moins de 27 millions depersonnes perdrontleur emploi cette année en Asie,selon les prévisionsdu Bureauinternational du travail (BIT).Quelque140 millionsd’autres, vivantdans les pays en voie dedéveloppement dela région, pourraientêtre précipitéesdans une pauvretéextrême. Les femmes, qui fournissent le plus gros de lamain-d’œuvre desindustries tournéesvers l’export,paieront le pluslourd tribut. Lors de la crise de 1997, 95 % des licenciements dans le secteur de la confection et 88 % dans celui des jouets avaient concerné des femmes.

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HORIZONS

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 69 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

avant longtemps la source de demande dyna-mique qu’il a été, plongeant ainsi dans ladétresse les économies exportatrices d’Asie.

Pendant plusieurs années, il a semblé quela Chine allait constituer une alternative aumarché américain pour le Japon et les éco-nomies d’Asie du Sud-Est de taille plus mo-deste. La demande chinoise, après tout, avaitpermis de tirer les économies asiatiques, ycompris coréenne et japonaise, de l’ornière dela stagnation et du bourbier de la crise fi-nancière asiatique de la première moitié de ladécennie 2000. L’effondrement du principalmarché asiatique a mis un terme aux spécu-lations sur un éventuel découplage. L’imagede deux locomotives – l’une ralentissant et fi-nissant par s’arrêter, l’autre continuant à avan-cer sur une autre voie – n’est plus d’actuali-té si elle l’a jamais été. En fait, les relations éco-nomiques actuelles entre les Etats-Unis etl’Asie orientale font plutôt penser à une filede prisonniers entravés parmi lesquels on trou-ve non seulement la Chine et les Etats-Unis,

mais également une série d’autres économiessatellites. Tous sont enchaînés aux dépensesde la classe moyenne américaine, financées parle crédit, lesquelles se sont effondrées. En 2008,le taux de croissance de la Chine a chuté à 9 %,alors qu’il était de 11 % en 2007. Le Japon estentré dans une profonderécession, ses puissantesindustries de biens deconsommation orientéesvers l’export subissantde plein fouet la baissedes ventes. La Corée duSud, qui est l’économieasiatique la plus touchéejusqu’ici, a vu sa devise sedéprécier de quelque30 % face au dollar. Lacroissance de l’Asie duSud-Est en 2009 seraprobablement moitiémoindre que celle enre-gistrée en 2008.

L’avenir est à la coopération Sud-SudRepenser le modèle économique,développer les marchés intérieurs,encourager l’intégration régionale...Quelques pistes pour sortir les pays en développement de la crise.

La crise financière mondiale a révélé l’in-capacité des économies avancées du G3

(Etats-Unis, zone euro et Japon) à jouer dansles prochaines années leur rôle traditionnelde locomotives de la croissance mondiale, enraison de la contraction de leurs économieset de leurs velléités protectionnistes. Cela veutdire que les pays en développement doiventchercher des sources alternatives de demandeafin de soutenir leur taux de croissance dansles années à venir. Ils doivent trouver ces solu-tions en pariant aussi bien sur les potentia-lités de leur marché intérieur que sur la miseen commun de leurs capacités et de leur dyna-misme. C’est en tout cas le message qui estressorti de la conférence de haut niveau orga-

nisée à New Delhi les 6 et 7 février dernier parun cercle de réflexion économique qui célé-brait ses vingt-cinq années d’existence.Dans une décennie, le Sud devrait représen-ter plus de 50 % des revenus (en termes deparité de pouvoir d’achat), des échanges com-merciaux, de l’épargne, des investissementset de la main-d’œuvre mondiaux. Ce qui sou-ligne l’importance d’une coopération Sud-Sudet, notamment, d’une intégration économiquerégionale en Asie. D’une certaine façon, lacrise actuelle peut fournir l’occasion de repen-ser les modèles de développement existants.C’est dans cette perspective qu’au cours dela conférence il a été suggéré que la demandeintérieure soit considérée comme le moyenessentiel pour relancer la croissance. Cetobjectif peut être atteint grâce à l’améliorationdu pouvoir d’achat des petits agriculteurs, desmoyennes, petites et microentreprises, etd’autres catégories du secteur informel. Lademande intérieure devrait être soutenue par

des investissements massifs dans les infra-structures sociales telles que la santé et l’édu-cation, ainsi que par des mesures sectoriel-lement ciblées dans les activités à fort tauxde main-d’œuvre, ce qui permettrait d’assu-rer une croissance de plus grande ampleur etd’une meilleure durabilité. Une augmentationcoordonnée de la demande dans les paysen développement pourrait s’avérer extrême-ment efficace.On a beaucoup insisté également sur l’intérêtd’une plus grande intégration économique dela région asiatique au sein du Sommet del’Asie orientale (EAS), en raison de l’émergencede l’Asie comme nouvelle locomotive de lacroissance. De la même façon, l’Associationd’Asie du Sud pour la coopération régionale(SAARC) ne doit plus se préoccuper exclusi-vement d’apporter une réponse défensive auxpressions de la mondialisation, mais adopterrésolument la logique d’un régionalismeconstructif, qui lui permettra de progresser

enfin vers l’objectif tant souhaité d’une Unionéconomique de l’Asie du Sud.Les initiatives en vue de promouvoir la coopé-ration Sud-Sud en matière de commerce, d’in-vestissement, de finance, de technologie, departage des expériences de développementet d’acquisition de capacités dépassant lasimple coopération régionale ont été soute-nues, entre autres, par la Commission trila-térale de l’IBSA [forum de dialogue regroupantl’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud], le Systèmeglobal de préférences commerciales [GSTP]et la Banque du Sud [créée en 2008 par septpays d’Amérique latine]. Il est permis d’es-pérer qu’une telle réflexion débouche rapi-dement sur un consensus dans les pays duSud, afin de définir un nouveau modèle dedéveloppement plus adapté à leurs besoins.

Nagesh Kumar*, The Economic Times, Bombay

* Directeur général du Centre de recherche et d’in-formation pour les pays en voie de développementde New Delhi.

La fin brutale de l’ère des exportationspourrait avoir des conséquences graves. Aucours des trois dernières décennies, la crois-sance rapide a fait baisser le nombre de per-sonnes vivant au-dessous du seuil de pauvretédans de nombreux pays. Mais, dans le mêmetemps, les inégalités de revenus et de richessesse sont aggravées dans pratiquement tous lespays. Désormais, avec la fin de la croissance,cette pauvreté et ces inégalités risquent deconstituer un mélange détonant. En Chine,environ 20 millions de personnes ont perduleur emploi au cours des derniers mois, etbeaucoup d’entre elles sont retournées dansleur région rurale d’origine, où elles n’ontguère de chance de retrouver du travail. Lesautorités s’inquiètent à juste titre de voir cequ’elles appellent des “incidents de masse”, les-quels se sont multipliés au cours des dix der-nières années, échapper à tout contrôle. Avecla fermeture de la soupape de sécurité quereprésentait la demande de travailleurs indo-nésiens et philippins, des centaines de milliersd’entre eux regagnent leurs campagnes, oùles emplois sont rares et les exploitations agri-coles moribondes. Plusieurs millions de per-sonnes qui dépendaient de leurs salaires pourvivre vont retomber au-dessous du seuil depauvreté. Il est probable que ces souffrancess’accompagneront d’une multiplication destroubles, comme cela se passe déjà auVietnam, où les grèves se propagent commeun incendie de forêt. La Corée du Sud, qui aune longue tradition de contestation ouvrièreet paysanne, est une véritable bombe à retar-dement. En vérité, l’Asie du Sud-Est pourraitbien entrer dans une période de contestationradicale et de révolution sociale, des phéno-mènes qui semblaient avoir été relégués ausecond plan lorsque les EOI devinrent à lamode, il y a trois décennies.

Walden Bello*

* Professeur de sociologie à l’Université des Philippines, ilest également analyste à l’Institut de recherche et d’actionFocus on the Global South, de Bangkok.

D’après The EconomicTimes, quotidien

économique indien de référence, le monde est en train de se remettredoucement de la crise. “La viecontinue et on ne peut pas déplorerpour toujours la fin d’un vieuxsystème. […] C’est comme quand on sort enfin du lit après un longrhume et qu’on titube. Nous sommessortis de la phase critique.”

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▲ Dessin de Kazanevsky,Ukraine.

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ASAHI SHIMBUNTokyo

Bien que frappée par la crise mondiale,l’industrie japonaise a de nouveau levent en poupe. La politique de relanceà travers la croissance verte mise en

place par plusieurs pays représente unechance pour les entreprises expertes dans ledomaine de l’énergie et l’environnement.Début février, quandle Congrès américains’apprêtait à adopterun plan de relance de787 milliards de dol-lars, à Washington, leslobbyistes du mondeindustriel se mobili-saient pour recueillirdes informations etfaire connaître leursdésirs. Ce projet prévoitun budget d’un mon-tant global de 40 mil-liards de dollars destinéen particulier au déve-loppement des énergiesrenouvelables et à la promotion des véhiculesélectriques. Pour signer le texte de cette loi,le 17 février, le président Obama a choisiDenver, dans l’Etat du Colorado, une villeconnue pour ses efforts en faveur du déve-loppement de l’énergie alternative. Et il ainsisté à cette occasion sur le fait que son

pays allait “se lancer dans des domaines qui ontété trop longtemps négligés”.

Les entreprises américaines ne seront pasles seules à profiter du “green new deal” del’administration Obama. Honda, qui lancedès avril sur le marché américain sa nouvellevoiture hybride bon marché, Insight, espèreque “le vent sera favorable aux voitures écolo-giques” (Takeo Fukui, PDG). MitsubishiHeavy Industries, dont le carnet de com-mandes de générateurs éoliens à destinationdes Etats-Unis est déjà bien rempli, comptesur un accroissement de la demande améri-caine à moyen et à long terme. “Les plans derelance des Etats-Unis et de la Chine auront unimpact direct sur les fabricants japonais”,explique un haut responsable du ministère

de l’Economie et de l’Industrie. Au début del’année, Sanyo a multiplié par deux et demila capacité de production de son usine d’as-semblage de panneaux solaires située auMexique. Comptant sur une hausse de sesventes dans les foyers américains, le groupejaponais va y assembler des panneaux dontles cellules photovoltaïques sont fabriquéesau Japon. Il prévoit également de construiredans l’Oregon une usine qui fabriquera descomposants pour cellules solaires. Soutenuepar le plan de relance de la nouvelle admi-nistration, “la demande potentielle des Etats-Unis est extrêmement importante”, selon uncadre du département des batteries solaires.De leur côté, Sharp et Kyocera se hâtentd’augmenter leur production de batteriessolaires, considérant que la demande inté-rieure du Japon va également augmenter. Eneffet, en janvier dernier, le ministère del’Economie et de l’Industrie a rétabli les sub-ventions destinées aux installations solaireschez les particuliers. En outre, il introduiraà partir de 2010 un système de rachat à prixfixe qui obligera les compagnies électriques àracheter au double du prix en vigueur le sur-plus de l’électricité produite par les habitants.

Les aides publiques constituent un fac-teur décisif dans le succès du business vertde demain. La société japonaise de com-merce C. Itoh, qui mise sur le développe-ment d’installations solaires en Europe,affirme qu’elle détermine sa politique enfonction du système d’aide publique octroyépar chaque pays. Ainsi, elle a commencé parinvestir dans des entreprises norvégiennes,puis italiennes et grecques. Elle se tourneà présent vers l’Europe de l’Est, notammentla République tchèque et la Bulgarie. “Dansles pays où il existe déjà une réelle démocrati-sation de l’énergie solaire, les aides du gouver-nement tendent à se réduire”, explique un res-ponsable du département des métaux nonferreux. “Les pays les plus attractifs sont ceuxqui en sont au démarrage.”

Masao Hoshino

L’ANTICRISE Manuel de survie

Voitures hybrides, turbines éoliennes, panneauxsolaires : les industriels nippons espèrent utiliser leursavoir-faire pour profiter des plans de “relance propre”annoncés un peu partout dans le monde.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 70 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

RÉSISTANCE Créons des syndicats indépendants !

Face aux vagues de licenciementsdont ils sont victimes, les employés

en situation précaire – CDD et intéri-maires – s’organisent et créent des syn-dicats. Ainsi, dans l’usine du construc-teur automobile Hino Motors, à l’ouestde la capitale, une poignée de jeunesouvriers en CDD ont fondé une organi-sation indépendante afin d’empêcherl’entreprise de procéder trop facilementà la restructuration, rapporte TokyoShimbun. L’un des initiateurs de ce pro-jet, Hiroyuki Sato, 33 ans, explique ques’il n’a pu faire renouveler son contratde travail, il a toutefois obtenu, mêmeaprès son expiration, le droit de resterdurant plusieurs semaines au foyer del’entreprise et une indemnité non négli-geable. “Nous ignorions tout du syndi-calisme, mais nous poursuivons la luttecontre Hino Motors, qui nous a mis à lapor te sans aucune considérat ion”,déclare M. Sato.

Entre août 2008 et début mars,2 500 ou vriers en CDD ont été victimesdu marasme qui règne chez Hino Motors,souligne le quotidien. Interrogé, un res-ponsable du syndicat traditionnel, quicompte 14 000 adhérents au sein dugroupe, explique qu’il n’a pas étécontacté par des travailleurs en situa-tion précaire. “Ces dernières années, lesentreprises japonaises ont contenu lessalaires de leurs employés tout en réali-sant d’importants bénéfices, supérieursà l’époque de la bulle économique de lafin des années 1980”, écrit le journal,avant de poursuivre : “La politique consis-tant à différencier les rémunérations desCDI de celles des précaires permettait auxemployeurs de décourager les revendi-cations salariales des CDI et de diviserles travailleurs.” Le secrétaire général del’organisation indépendante ShutokenSeinen Union (Syndicat pour la jeunessede la région de Tokyo), Makoto Kawazoe,

souligne dans les colonnes du TokyoShimbun que “l’accroissement du nombredes travailleurs précaires a contribué àdégrader les conditions de travail de tousles travailleurs. Les salariés en CDI doi-vent en prendre conscience.”Aux lendemains de la reddition, en 1946,le taux de syndicalisation au Japon s’éle-vait à plus de 50 %. Ce chiffre est des-cendu aujourd’hui à 18 %. Toutefois,indique le quotidien tokyoïte, on constatedepuis deux ans une remontée de cetaux dans les grandes zones urbaines.Cité par le journal, Osamu Furuyama, uncadre du bureau de Tokyo de laConfédération syndicale du Japon, leconfirme. “Le nombre de demandes deconseils pour créer un syndicat a aug-menté d’environ 20 %, dit-il. Ce sont sur-tout des jeunes, notamment des femmes.”Il a aidé à en créer une vingtaine l’andernier, et, de janvier à début mars, cenombre est de six, indique-t-il.

Le Japon mise sur la croissance verte

Les Etats-Unis etle Japon s’apprê-tent à conclure

un accord afin de mener conjoin- tement des recherches dans huitdomaines concernant l’environnementet les énergies renouvelables. Lesdeux pays accordent à ces questionsune place importante dans leur poli-tique de relance, et les fruits de cettecoopération devront contribuer à lacroissance à moyen et à long terme.

▶ Dessin de LeifParsons paru dansThe New YorkTimes BookReview,Etats-Unis.

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FOKUSStockholm

Notre dispositif d’évacuation des orduresménagères fonctionne comme un gigantesqueaspirateur centralisé”, explique ChristerÖjdemark, le patron de l’entreprise sué-

doise Envac, qui commercialise le procédé. Aulieu d’être placés dans des poubelles et desbennes à ordures, les déchets sont aspirés àla vitesse de 20 mètres par seconde dans unréseau de conduits souterrains qui quadrille laville. Le concept n’est pas aussi futuriste qu’onpourrait le penser : ce système, inventé en 1961,est déjà appliqué dans plusieurs endroits deSuède. Mais les débouchés, pour Envac, setrouvent surtout à l’étranger : 90 % de sesventes se font à l’exportation. “On n’a aucunepossibilité de développement en Suède. Ici, onne construit plus rien”, commente ChristerÖjdemark. “Du coup, on mise sur l’Inde, la Chineet le Brésil. Sur la construction de logements pourdes classes moyennes en pleine expansion.”

Le chiffre d’affaires d’Envac, qui emploieprès de 700 salariés, connaît une croissance de5 % à 10 % par an. Et, malgré la crise finan-cière et une conjoncture en berne, son car-net de commandes se monte à 230 millionsd’euros. L’optimisme de son patron n’est pasforcé – contrairement à celui de Jan-ÅkeJonsson, le dirigeant de Saab, qui tente déses-pérément de réinsuffler de l’espoir à une entre-prise sur le point de sombrer. Il faudrait à laSuède plus de Christer Öjdemark. Plus desociétés d’ingénierie de l’environnement tour-nées vers l’exportation.

La ministre de l’Economie suédoise,Maud Olofsson, a suggéré que l’usine Saab deTrollhättan se mette à fabriquer des éoliennesà la place de voitures. Si cette idée a été perçuecomme farfelue, elle laisse entrevoir une am-

bition claire du gouvernement d’alliance : laSuède doit miser sur les technologies vertes. Cesont elles qui permettront au pays de faire faceà la concurrence mondiale après l’ère de l’in-dustrie automobile. Cette ambition est d’ailleursbien visible dans le plan présenté à l’automnepar le ministre de la Recherche, Lars Leijon-borg. Vingt-quatre do-maines de recherche stra-tégiques se verront don-ner la priorité et rece-vront une enveloppe de1,4 milliard d’euros surles quatre années à venir.Et le premier secteurprioritaire sera celui destechnologies de l’environ-nement, au sens large :énergie, climat, dévelop-pement durable, maisaussi transports. Le sec-teur des technologiesvertes, en Suède, comp-te plusieurs milliers d’en-treprises et enregistreune croissance forte.“Larecherche suédoise est à l’avant-garde, et parconséquent nous avons toutes les cartes en main”,affirme Berit Gullbransson, directeur duConseil suédois des technologies de l’envi-ronnement (Swentec). Et le marché est im-portant. “Il existe un potentiel de croissance fan-tastique. A l’étranger, l’intérêt est extrêmement vif”,s’enthousiasme Håkan Dahlfors, spé-cialiste des technologies environ-nementales au Centre du com-merce extérieur suédois. En2015, on estime que lemonde comptera358 villes de plusde 1 million d’ha-bitants et 27 mé-gapoles de plus de10 millions. Un teldéveloppement ré-clame des solutions glo-bales : il faut planifierles infrastructures,répondre aux besoinsénergétiques, gérer les déchets.

Ces solutions ne doivent pas être nécessaire-ment “sans émission de CO2”, mais simplementplus durables, à la fois écologiquement et so-cialement, que les solutions actuelles.

Si les conditions sont aujourd’hui réunies,pourquoi la Suède n’exporte-t-elle pas davan-tage de technologies vertes ? Certes, ces expor-tations augmentent régulièrement. Mais ellesne représentent que 3 milliards d’euros, soit2 % du total. Et ces exportations sont presqueexclusivement destinées aux pays voisins de laSuède et aux Etats-Unis, destinations tradi-tionnelles des exportations suédoises. Et nonaux pays en développement, qui sont pourtanten pleine transformation. Le principal écueil,c’est que les entreprises d’ingénierie du sec-teur sont trop petites : 80 % d’entre elles comp-tent moins de dix salariés. Les grandes entre-prises comme Envac font figure d’exceptions,et ce sont elles qui assurent la majorité desexportations. Les autres ne disposent pas desressources nécessaires. “Comme les clients étran-gers sont généralement des communes ou des villes,les processus de vente s’étirent interminablement.Et les petites entreprises ont du mal à arriver aubout”, explique Håkan Dahlfors.

D’après une étude de l’université deHalmstad, les sociétés d’ingénierie de l’envi-ronnement suédoises sont meilleures pourconcevoir les innovations que pour les déve-lopper et les commercialiser. Elles s’accrochentà leurs brevets et ne disposent pas des réseauxcommerciaux nécessaires. Elles manquent éga-lement de financement. Les investisseurs encapital-risque reconnaissent que les technolo-gies vertes sont, de loin, le secteur le plus por-teur d’avenir. Mais, dans la pratique, ils n’yinvestissent qu’une fraction de leur argent.“C’était déjà dur de trouver des capitaux avant lacrise financière ; depuis, naturellement, ça ne s’estpas arrangé”, constate Berit Gullbransson.

Christer Öjdemark estime qu’il faut de 1 à2 millions d’euros et deux ans pour pénétrersur un nouveau marché – c’est-à-dire avant depouvoir commencer à vendre ses produits.Autant dire qu’il n’envie pas ceux de ses col-lègues suédois qui ont des problèmes finan-ciers. “Comment peuvent-ils pénétrer le marchéchinois s’ils n’ont pas les moyens d’organiser desmissions sur place ?” Claes Lönegård

HORIZONS

L’environnement plutôt que l’automobileLes entreprises suédoises sont en pointe dans les technologiespropres, ce qui les encourage àdévelopper leurs exportations. Maisencore faudrait-il qu’elles disposentdes financements nécessaires.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 71 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

SUÈDE Chez Ekobanken, on ne finance que des projets durables

L e téléphone n’arrête pas de sonner. On aconnu une première hausse importante de

l’activité cet automne, à la suite de la crise finan-cière. Maintenant, il y a une deuxième vague”,explique Annika Laurén, directrice généraled’Ekobanken. Difficile pourtant de faire pluséloigné des sièges des grandes banques,situés au cœur de Stockholm. Ekobanken estinstallée dans une maison de bois rouge, aumilieu d’une exploitation agricole, à l’extérieurde Järna [commune de la périphérie deStockholm]. Avec ses 3 200 clients et ses9 employés, elle apparaît comme un acteurlilliputien du secteur bancaire suédois. Mais

l’énorme intérêt qu’elle suscite depuis six moisindique que de nombreux clients déçus ouinquiets sont à la recherche d’autres options.“C’est une réaction de méfiance à l’égard desbanques. La crise financière a ouvert les yeuxde beaucoup de gens”, commente AnnikaLaurén. Elle gagne 4 200 euros par mois etcritique le système de bonus. “Les indemnitésou les bénéfices exorbitants produisent un effetnéfaste sur la clientèle et sur la société dansson ensemble.”Un sondage récent de l’institut Sifo montreque la confiance dans les grandes banquescontinue à décliner. Chez Ekobanken, l’ob-

jectif n’est pas de devenir important, mais d’in-citer les autres établissements à penser aulong terme. La banque ne cherche pas à sedémarquer en proposant les taux les plus avan-tageux, mais en adoptant une philosophie alter-native. C’est une banque coopérative, dont lesclients sont les sociétaires. Par ailleurs, elleapplique un principe de transparence selonlequel tous les projets de prêts sont publics.Et, à la différence des banques traditionnelles,Ekobanken n’emprunte pas sur les marchésfinanciers pour financer ses opérations deprêt : celles-ci sont financées à 100 % par lesdépôts bancaires de la clientèle. Plus éton-

nant encore, les souscripteurs sont tenusd’œuvrer en faveur d’une société durable. Ilfaut apporter une valeur ajoutée sociale,écologique ou culturelle.La banque coopérative JAK est un autre deces établissements alternatifs qui ont vu leurclientèle augmenter. Son originalité est de neproposer aucun taux d’intérêt. En pratique,cela signifie que l’argent placé ne rapporterien ! “L’attrait pour notre banque a augmentéaprès la faillite de Lehman Brothers”, précisele directeur général, Johan Oppmark.

Tomas Nordenskiöld, Dagens Nyheter (extraits), Stockholm

“D’ici à 2050,l’Algérieproduira le tiers

de ses besoins en électricité à partir de l’énergie solaire”,annonce le site d’informationElaph. L’exploitation dans ce secteur est déjà lancée. Ces investissements permettent de créer des emplois et d’épargnerles réserves énergétiques du pays, pétrole et gaz.

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▼ Dessin de Reumann, Suisse.

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EL PAÍS (extraits)Madrid

Contre les débats économiques sans fin,contre les articles de milliers d’analystesfinanciers, contre les sermons sur lespéchés du système et ses terribles sup-

pôts, il faut l’affirmer haut et fort : continuerd’interpréter la crise en termes économicistesest terriblement banal. Et aussi infantile qu’at-tribuer les maux de ce monde au matérialismedébridé, à la conduite scélérate des puissantsou au recul de la religiosité dans les grandesvilles. Dans le premier cas, les économistess’érigent en sages incontestables du krach.Dans le second, on voit refleurir le mythe hauten couleur d’un Dieu biblique châtiant le four-voiement de l’humanité en lui infligeant desplaies et des sévices, à commencer par la faillitedu riche et la misère générale de tous les autres.

Ces explications ont l’incomparable avan-tage d’être compréhensibles par tous. La réa-lité est simplifiée, aplanie, comme dans unefable. Ainsi, pour l’économisme, le problèmese ramènera à l’alternative suivante : soit lesautorités et les institutions financières ontété irresponsables, auquel cas une réformeleur fera le plus grand bien, soit les actifs

toxiques ont empoisonné les eaux, puis lesliquidités. Oui. Mais il ne s’agit pas que decréances douteuses et de produits dérivés ;ce ne sont là que des manifestations super-ficielles de la maladie.

Dans toutes les grandes crises du capita-lisme – de la tulipe (1637) à la South SeaCompany (1720), de l’effet tequila (1994) àl’éclatement de la bulle Internet (2000) –, troisantécédents au moins se sont conjugués :euphorie et stabilité, inégalités sociales mar-quées, consommation déséquilibrée et dis-crédit moral de l’époque. Homo bulla est,disaient très justement les moralistes romains.Mais comment ne pas prendre de risques, nepas faire de bulles dans une culture consu-mériste où l’aventure et le changement fontpartie des piliers ? La bulle économique et sesvies latentes présentent les caractéristiquesd’un organisme, et non pas, évidemment,d’une séquence causale, à la manière d’unemachine. Les bulles contiennent autant deraison que de folle épidémie, et elles se déve-loppent d’une façon bien plus complexe queles storytelling débitées à gogo à la grande satis-faction des médias et de leurs publics.

Depuis que le capitalisme existe, les crisesse produisent avec une périodicité de vingt-deux mois (entre 1854 et 1919) – et à un inter-valle de trois trimestres ces deux dernièresdécennies. Presque chaque fois, les Etats ontdû intervenir pour rétablir la confiance. Maisles situations les plus graves ont permis au sys-tème d’affiner ses instruments et de renouve-ler son attirail technologique et son idéolo-gie d’avenir. Dès lors, on assisterait aujourd’huinon pas à un ravalement de façade ou à une

manœuvre fallacieuse du système, mais à unephase du capitalisme indispensable à sa sur-vie en tant qu’organisme vivant.

Car c’est bien d’un organisme qu’il s’agit,et non d’un mécanisme, comme le pensentceux qui attribuent l’effondrement actuelaux dysfonctionnements d’une autorité fi -nancière incompétente, anachronique etdéréglée, et qui croient qu’il est possible deréparer le krach en remplaçant ou en réglantles pièces défectueuses.

Comme l’explique la théorie de la com-plexité en physique ou en neurologie, l’im-portant, ce ne sont pas les pièces, mais lesconnexions entre elles, connexions qui fontque la perturbation systémique est imper-ceptible ou génératrice d’une explosion totale.

DANS CETTE TROISIÈME GUERRE MONDIALE,TOUS LES CIVILS SONT DES VICTIMES

C’est le cas de la “Grande Dépression” ac -tuelle, qui n’a de comparable que les deuxconflits mondiaux du XXe siècle. Le malaisesocial, le discrédit de l’époque, l’aspiration auchangement : tout cela était présent à la veilledes deux guerres mondiales. Et, chaque fois,le capitalisme y a trouvé une occasion de serenouveler et un élan qui allait dicter le nou-veau style général du monde.

Une troisième guerre mondiale réelle seraitune contradiction dans les termes. Mais, dansle capitalisme de fiction, une troisième guerremondiale simulée peut très bien survenir.Cette guerre se ferait presque sans effusionde sang : il lui suffirait de ruiner économi-quement l’ennemi, comme dans les conflitsarmés. Cette troisième guerre feinte ne ferait

L’ANTICRISE Manuel de survie

ÉTATS-UNIS Les jupes vont rallonger et autres conséquences bizarres

Si certaines difficultés économiques in-duites par la crise actuelle sont tout à

fait prévisibles, celle-ci produit également deseffets inattendus. En voici quelques-uns.1. Les fonctionnaires seront plus intelligents…Il y a quelques années, le ministère desAffaires étrangères américain avait le plusgrand mal à recruter, car les jeunes dotésd’une formation internationale préféraientfaire fortune à Wall Street. En période decrise, en revanche, la stabilité et la sécu-rité d’un emploi de fonctionnaire revêtent net-tement plus d’attraits.2. … et plus corrompus. Le ralentissementmondial réduisant la demande de biens etservices, les contrats avec les adminis-trations publiques vont devenir plus at -trayants. Et les entreprises vont davantagecourtiser les politiques pour les obtenir.C’est ce que dit un récent rapport de l’ONGTransparency International.3. Les ciels gris vont s’éclaircir (en partie,du moins). Plus longue sera la récession,plus faibles seront les émissions de gaz àeffet de serre.4. Internet sera de plus en plus pénible. Il fauts’attendre à trouver davantage de publicité

sur les sites de presse : fenêtres pop-up,écrans de bienvenue, articles tronçonnés afind’augmenter le nombre de clics.5. Les évangéliques vont connaître des annéesfastes. L’économiste David Beckworth, del’université du Texas, qui a épluché leschiffres de fréquentation des Eglises évan-géliques américaines, a découvert que leurseffectifs avaient fait un bond de 50 % lorsde chaque épisode de récession survenuentre 1968 et 2004.6. Votre progéniture sera économe. Le contexteéconomique de notre enfance a un effet pro-fond sur nos choix financiers d’adulte. C’estce que montre une étude menée par deséconomistes de Berkeley et de Stanford. Lagénération qui a grandi durant la GrandeDépression a pris moins de risques finan-ciers que la précédente et la suivante. Onpeut en conclure que vos rejetons ne serontpas des adeptes du boursicotage.7. Les jupes vont rallonger. Selon une croyanceen vogue à Wall Street, il existe une nettecorrélation entre les marchés haussiers etles genoux dénudés. En ces temps dif ficiles,préparez-vous donc à ce que les jupes rallongent.

8. L’armée va recruter. La tranche d’âge la plusdurement touchée par la crise ? Les 18-24 ans. Or les armées offrent générale -ment des salaires corrects. C’est ainsi quel’US Army a dépassé ses objectifs de recru-tement au dernier trimestre 2008, pour lapremière fois depuis cinq ans.9. Les universités publiques auront le vent enpoupe. Ces dix dernières années, les facs privées américaines ont devancé les facspubliques en termes de ressources et dedépenses, leurs dotations gonflant à la faveurdu boom financier. Mais cela est sur le pointde changer. Car les dotations ont reculé de10 % à 30 % en 2008. Dès lors, les boursesseront moins abondantes. Qui plus est, dufait du resserrement du crédit, les étudiantsauront plus de mal à obtenir des prêts.10. Les baby-boomers vont se cramponner àleur poste. Ceux qui comptaient bientôtprendre leur retraite ne peuvent plus le faire :leur plan d’épargne retraite a fondu. Ré -sultat : les salariés plus jeunes qui espé-raient obtenir une promotion devront patien-ter quelque temps encore.11. Les frontières vont réapparaître. Les criseséconomiques mondiales entraînent souvent

l’érection de barrières protectionnistes. Letourisme international va en pâtir. Les pro-grammes d’études à l’étranger seront aussitouchés. Et les médias, pour diminuer leurscoûts, vont sans doute réduire le nombre deleurs bureaux à l’étranger.12. Les économistes seront très demandés.Les cassandres de la crise – des écono-mistes comme Nouriel Roubini, RobertShiller, Stephen Roach et Joseph Stiglitz –vont être invités à prodiguer leurs conseilsdans le monde entier. De fait, rien qu’en jan-vier, Nouriel Roubini s’est rendu à Istanbul,Dubaï, Abou Dhabi, Londres, Riyad, Zurich,Davos et Moscou.13. La Grande Dépression sera très tendance.Le public aime explorer l’histoire de périodesrévolues présentant des similitudes avecla période actuelle. Le journaliste HoddingCarter a ainsi obtenu une rondelette avancepour écrire A Year of Living Within Our Means[Une année à vivre selon nos moyens], unlivre où il raconte la vie de sa famille pendantles années 1930.

Daniel W. Drezner*, Foreign Policy, Washington

* Professeur de politique internationale à l’univer-sité Tufts, dans le Massachusetts.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 72 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

L’avenir de la catastrophe reste à écrireNous rêvions secrètement de voirce monde voler en éclats. La secousse actuelle nous en faitespérer un autre plus juste, plus net, plus propre, observe l’essayisteespagnol Vicente Verdú. D

R

■ L’auteurEssayiste et journaliste auquotidien El País,Vicente Verdú, 67 ans, compte enEspagne parmi lesplus fins analystesdes mutations de notre époque. Il est l’auteur d’unevingtaine de livres,dont un seul a ététraduit en français :Le Style du monde – La Vie dans le capitalisme de fiction(Stock, 2005).

▶ Photos de ChemaMadoz, réaliséesentre 1990 et 2005. © ADAGP, Paris2009. Chema Madozest représenté à Paris par la galerie EstherWoerdehoff.

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pas de victimes militaires, car au fil du tempsles pertes ont diminué dans les armées, tan-dis qu’elles augmentaient chez les civils. Lorsde la Première Guerre mondiale, 5 % des vic-times étaient des civils ; lors de la SecondeGuerre mondiale, 66 %. Dans cette troisièmeguerre mondiale, feutrée, transparente, tousles civils sont des victimes.

Impossible ? En 2004, les Britanniquesavaient plus peur d’une guerre mondiale qu’undemi-siècle plus tôt. Désir de guerre ? Unesecrète envie de voir ce monde voler en éclatsa dominé les premières années du XXIe siècle.La corruption (politique, économique, reli-gieuse, sportive), les drogues, la perte de valeursfortes, le déclin de l’éducation, de la justice, dela morale publique, l’hyperconsommation, l’hy-perindividualisme, le relativisme, la mort de laplanète et des baleines sont pris pour des fac-teurs d’extrême dégénérescence. Un autremonde doit être possible, puisque nous enavons assez de l’actuel.

“La longue période de paix et de prospéritécroissante qu’a connue l’Europe avant la PremièreGuerre mondiale a engendré dans une bonne par-tie des classes moyennes et supérieures un senti-ment de rejet à l’égard de la mesquinerie du sys-tème bourgeois”, écrit l’économiste américainAlbert O. Hirschman dans son livre de 1982Bonheur privé, action publique (Hachette,coll. “Pluriel”, 2006). Pour ces catégories, pour-suit Hirschman, la guerre est arrivée commeune libération qui les sortirait de l’ennui etde la vacuité, comme une promesse de civismequi transcenderait les classes sociales et commeun retour à l’action, au sacrifice héroïque. Peut-être est-ce exagéré, mais la désaffection pourla longue période pacifique et matérialiste quia précédé la guerre expliquerait dans une largemesure sa popularité initiale, ce qui, à son tour,a contribué à déterminer la forme, la duréeet l’intensité du conflit.

Les guerres, comme les crises, sont déclen-chées par une étincelle précise : l’assassinatde l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo,les subprimes ; mais quelque chose annon-çait que l’effondrement était proche et qu’ilserait inévitable. Le journaliste scientifiquePhilip Ball l’explique dans son livre CriticalMass, par le biais d’analyses détaillées qui peu-vent s’appliquer aussi bien à la Grande Guerrequ’à la situation actuelle. S’il y a une “ten-sion” dans un système complexe, les événe-ments les plus insignifiants peuvent avoir desconséquences disproportionnées. On ne peut

pas savoir à quel moment un tas de sable finitpar s’écrouler, mais son effondrement ne sau-rait être attribué à la dernière poignée de sablequ’on lui ajoute, si “toxique” soit-elle.

La grande secousse que nous vivons a toutd’une fin d’époque et, en même temps, logi-quement, elle est appelée à faire époque.Comme après les deux grandes guerres mon-diales, la pensée, la vision du monde et sonorganisation, le rapport aux valeurs et à toutle reste en seront profondément perturbés. Dureste, nous ne supporterions pas que le monden’en sorte pas changé. Comment le sera-t-il ?Les tendances que l’on peut énoncer aujour-d’hui ne seront un tant soit peu exactes que sielles sont déjà décelables dans le présent.

PURIFIER L’ÂME CONSOMMATRICE DANS UNE FICTION DE JEÛNE

Parmi les tendances négatives qui se dessi-nent, il y a l’accroissement des inégalitéssociales et les troubles qui vont avec ; la xéno-phobie, qui est déjà palpable, et aussi la fortedemande de dirigeants qui fassent fonctionde sauveurs.

“La crise financière unit la planète”, titrait TheWashington Post le 13 octobre 2008. Faudra-t-il remercier cette catastrophe de nous procurerun sentiment de solidarité mondiale ? De nom-breux analystes s’accordent à dire que plus lescrises sont fortes, plus elles sont bénéfiques auxsociétés. “Ce qui ne me détruit pas me rend plusfort”, disait Nietzsche. Qu’est-ce qui se profi-le aujourd’hui ? En premier lieu, en ces tempsde pénombre, presque tout tend au blanc : lesnouveaux appareils électroniques, la décora-tion d’intérieur, la cou-leur des voitures, lesmarques blanches, lesmétaphores du dis-count et du low cost.Aujourd’hui, les au-torités appellent àcon sommer : la ré-bellion des consom-mateurs consiste à nepas consommer. Pra-tiquer la frugalité,c’est affirmer la pri-mauté du mince surl’obèse, la pathologiede l’obésité corres-pondant à celle de ladépense somptuaire, exagérée, excrémentiel-le. Aux Etats-Unis, on voit se développer des

formations sur la manière de mener une vieaustère [voir p. 74].

C’est la mode de sortir moins et de fairetout chez soi, la fête, les loisirs, les dîners. Leséconomies ainsi réalisées purifient l’âmeconsommatrice dans une fiction de jeûne.Contre la corruption, le mensonge, l’escro-querie et le stratagème, on met en avant l’au-thenticité des produits qui valent plus par leurodeur, leur goût et leur réalité que par le pres-tige de la marque. De même, dans les rap-ports humains, la méfiance née des inégali-tés et de l’individualisme à outrance laisseplace à la confiance – à la base du dévelop-pement du réseau – et à ce que j’appelle le“personnisme”, qui consiste à dégusterl’autre, beaucoup d’autres, sans engagementdurable ni profond.

Toute une série de livres récents sur laconnaissance partagée, la sagesse des foules,le savoir de Wikipédia, l’utopie de l’informa-tion collective, s’accordent sur une prochaine“intelligence universelle”, faite de la mise encommun des capacités créatives de tous lesêtres humains connectés. A défaut d’une révo-lution sociale, une révolution mentale.

Cette utopie collectiviste donnerait lieu àune nouvelle économie, dite “relationnelle”,qui proposerait des services sans but lucra-tif et se battrait contre le marché jusqu’à lefaire disparaître. Ce serait la fondation d’uneépoque inédite, de même que, des siècles plustôt, le marché a mis fin au féodalisme et ladémocratie à la monarchie, selon la thèserêveuse de Jacques Attali.

Mais les bouleversements futurs ne s’ar-rêtent pas là : l’économie relationnelle entraî-nera la disparition de l’actuelle démocratievieillissante, car l’idée et la soif démocratiquesn’ont été rien d’autre depuis deux cents ansque la promotion de l’individu et de l’indi-vidualisme. Toutefois, le monde fonctionnanten réseau et avançant par le biais d’un maillagehumain ou cerveau relationnel, la démocra-tie telle que nous la connaissons acquerra unsens nouveau, différent, supérieur. On la qua-lifie encore d’“hyperdémocratie”, mais ce nesera en aucun cas une version perfectionnéedu système existant, mais sa transsubstantia-tion. Les partis, les dirigeants, les discours,les promesses seront balayés par l’actiondirecte des citoyens, par une interaction pla-nétaire en transfusion constante.

L’hyperdémocratie sera ainsi le règne del’hypercritique positive, comme ces

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 73 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

Chercher“le remède dans lemal même”, disaitRousseau dans ses Confessions.

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■ ATTAC mobiliseA l’approche du sommet du G20,l’associationaltermondialisteATTAC-Allemagne a su se faireentendre. Elle adistribué à 150 000exemplaires une contrefaçon de l’hebdomadaire Die Zeit datée du 1er mai 2010 où elle affiche en une : “Sortie du tunnel”. “Lespollueurs passent à la caisse, lesmarchés financierssont régulés, les structuresmondialesrepensées – [c’est] l’autremondialisation.”

HORIZONS

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NEWSWEEK (extraits)New York

Les Britanniques qui ont connu la SecondeGuerre mondiale en auraient été fiers : lacrise planétaire incite le Royaume-Uni àune frugalité jamais vue depuis la dispa-

rition des tickets de rationnement, en 1954.Les ventes au détail ont reculé de 3,3 % endécembre dernier, ce qui en fait la pire sai-son de Noël depuis que le British RetailCon sortium a commencé à tenir des statis-tiques, en 1983. Le même mois, les Bri tan -niques ont acheté 21 % de voitures de moinsqu’en décembre 2007, consommé beaucoupmoins d’eau minérale et de champagne, etréduit leurs achats de vêtements pour la qua-torzième fois en quinze mois.

Dans des villes comme Warwick, lesdemandes d’attribution de parcelles de jardinsfamiliaux – où les particuliers peuvent culti-ver leurs fruits et légumes moyennant uneredevance modique – ont doublé en 2008. Surle site britannique de la librairie en ligneAmazon, les meilleures ventes ont pour titreThe Thrift Book [Le livre de la vie économe],Food for Free [Manger pour rien] et The PenguinHandbook of Keeping Poultry and Rabbits onScraps [Le guide Penguin de l’élevage des

volailles et des lapins avec des restes]. Il estnaturel d’adopter un mode de vie économequand les temps sont durs et que l’on craintpour son emploi. Mais, au Royaume-Uni, auxEtats-Unis et dans d’autres pays, commel’Espagne et l’Irlande, où l’activité est tirée parla consommation, cette tendance sembleannoncer un changement bien plus profond :la fin d’un mode de vie fondé sur une consom-mation effrénée, alimentée par le crédit facileet l’effet de richesse induit par une valorisa-tion constante des actifs [immobilier et por-tefeuilles d’actions]. Les Amé ricains, naguèresi dépensiers, ont relevé leur taux d’épargnepersonnelle de quasiment zéro – niveau autourduquel il se situait depuis des années – àpresque 3 % en novembre. Il devrait prochai-nement atteindre au moins 8 %, du jamais-vudepuis vingt ans, prévoit David Rosenberg, lechef économiste de la banque Merrill Lynch.A l’image des banques, surendettées et sous-capitalisées, poursuit Rosenberg, les ménagesassainissent leur situation en dépensant moins,en épargnant plus et en remboursant leursdettes. Et, comme dans le secteur financier,cela ressemble de moins en moins à des ajus-tements temporaires et de plus en plus à unchangement d’habitude durable.

Pour Rosenberg et d’autres économistesconvaincus que l’austérité va devenir la norme,ce bouleversement aura lieu sur trois fronts.En premier lieu, la destruction de richesses esttelle que cela imposera un changement descomportements, sans doute comparable à celuiprovoqué par la peur de la pénurie éprouvéepar toute une génération après la crise de 1929

L’ANTICRISE Manuel de survie

Une nouvelle ère de frugalitéLa récession bouleverse le mode devie occidental, fondé sur le créditfacile et la consommation effrénée.Et sans doute durablement.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 74 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

TENDANCE Bienheureux les économesCeux qui passaient hier pour des rapiatssont aujourd’hui des modèles à suivre. Un journaliste américain donne l’exemplede ses parents.

L’été dernier, chez mes parents, à la cam-pagne en Virginie, j’ai découvert une

souris morte dans un vieux piège rouillé. Jel’ai mise à la poubelle. Plus tard dans lajournée, j’en ai parlé à mon père et il m’ademandé : “Où est le piège ?” Je lui airépondu que je l’avais jeté avec la sourisparce qu’il tombait en morceaux. Il m’aregardé comme si je lui avais annoncé undécès dans la famille. Honteux, j’ai fouillédans les poubelles pour retrouver la chose.Ils en reparlent maintenant chaque fois queje vais les voir : “Tu te souviens quand Stevea jeté le piège avec la souris ?”Dans la conjoncture actuelle, mes parentssemblent tout d’un coup des gens très avi-sés. Le président Obama parle beaucoupde sacrifices personnels, et nous cherchonstous à réduire notre train de vie. Peut-êtredevrait-il envisager de faire de Bill et JoyceTuttle ses M. et Mme Parcimonie, parce que,pour ce qui est de compter ses sous et demettre l’argent de côté pour l’avenir, mes

parents font plutôt dans l’extrême. Voiciquelques exemples concrets. Ma mère n’uti-lise pas de sèche-linge. Mes parents ne pos-sèdent pas de carte de crédit. Ils ne chan-gent de voiture que lorsqu’ils ont économiséassez d’argent pour la payer comptant, soittous les dix ans environ. Ils se chauffent aubois avec des bûches débitées par monpère. Ils n’ont pas de climatiseur. Ils n’ontévidemment pas Internet ni même d’ordi-nateur et n’ont cédé au téléphone portableque tout récemment. Bien sûr, ils en ontacheté un qui fonctionne à carte pour nepas être esclaves d’un abonnement.N’allez pourtant pas croire que mesparents sont des rapiats. Ils sont éco-nomes, ce qui n’est pas la même chose.Ils font toujours des cadeaux généreux etils collectionnent des antiquités de prix.Notre famille a construit la maison où j’aigrandi une pièce après l’autre, au fur età mesure des rentrées d’argent. Ma mère,qui a la soixantaine, est coiffeuse et monpère, 72 ans, a été garde forestier pen-dant trente-huit ans. Ils n’ont jamais eudes salaires mirobolants, mais cela neles a pas empêchés d’épargner dessommes faramineuses. Ils ont envoyé

deux enfants à l’université et n’ont plusbeaucoup de frais à présent. Ils dépen-sent peu en alimentation parce qu’ils man-gent les légumes de leur potager et legibier chassé par mon père.Tout compte fait, ce n’est peut-être pas unebonne idée que mes parents intègrent l’ad-ministration Obama. Parce que, pour fairecomme eux, il faut vivre dans les montagneset aimer le rude labeur. Mais leur exemplen’en demeure pas moins riche en ensei-gnements ; les gens qui ont toujours menéune vie frugale, en faisant des trucs dinguesdu genre acheter un logement dans leursmoyens et mettre de l’argent de côté en vued’achats ultérieurs, sont aujourd’hui lesmoins à plaindre. Et ce sont eux qui s’adap-teront le mieux aux années de vachesmaigres. Tandis que les autres, dont je faispartie, s’inquiètent de l’avenir, mes parents,avec leur maison déjà payée et leurs vieuxpièges à souris rouillés, ont de la tranquillitéd’esprit à revendre. Cela me rappelle unechanson bluegrass, Sharecropper’s Son [Lefils du métayer], que j’avais apprise petit :“Le proprio m’a dit des temps durs arri-vent/Ça veut rien dire, ils sont déjà là.”

Steve Tuttle, Newsweek (extraits), New York

téléphones portables qui se recommandentles uns aux autres des restaurants ou s’aco-quinent pour boycotter une boîte de conservechinoise. Enfin, elle se manifestera à partird’un pouvoir polycentrique, du Brésil à l’Inde,de Los Angeles à Sydney, du Luxembourg àla région Castille-León.

Par chance, les crises offrent aussi pleinde perspectives. Chercher “le remède dans lemal même”, dit à plusieurs reprises Rousseaudans le livre premier de ses Confessions. Dansl’art, il n’y a jamais eu autant de créativitéqu’en période de crise ou de décadence, duSiècle d’or à l’Age d’argent espagnols, ducubisme à l’abstraction, des grandes œuvresdu cinéma à la pensée sur laquelle s’est appuyérévolutionnairement le XXe siècle.

Si l’on est en présence d’une troisièmeguerre mondiale euphémistique, il faut serappeler que les grands conflits ont favorisél’invention technologique. Et, aujourd’hui, oncommence à l’entrevoir, les programmesd’économie d’énergie et l’exploitation de nou-velles sources d’énergie vont s’accélérer.

LE BANQUIER EST LE TYPE MÊME DE L’INTERMÉDIAIRE HONNI

Les esprits s’aiguisent sur les biens matériels,mais les gens doivent aussi perfectionner, élar-gir ou adapter leurs connaissances et leurs men-talités, notamment du fait de l’élimination desintermédiaires dans presque tous les domaines.Internet est déjà mis à contribution pour l’achatde toutes sortes de choses ; il facilite la ventedirecte à l’agriculteur ou au fabricant ; il offrela possibilité d’intervenir, de questionner, decritiquer, de contrôler le politique ou bien lebanquier, type même de l’intermédiaire honni,qui a été remplacé sur le réseau, même à titresymbolique, par les crédits P2P [peer-to-peer]entre particuliers. Les contacts de personneà personne abolissent le pouvoir du critique,de la maison de disques, de la galerie d’art, del’institution. Une sorte d’anarchie contrôlées’installe, en réaction au discrédit des gou-vernements, des politiques, des vieilles orga-nisations avec leurs structures pyramidales.

Un nouveau savoir, né des nouvelles tech-nologies interactives et du fonctionnementmultitâche, va se frayer plus rapidement unchemin dans le vide de l’après-crise. On nesait pas les conséquences que cela aura pourla politique ou pour la science, pour les indi-vidus ou pour la société, mais une chose estsûre : ce savoir-là est celui de la décadence.Le savoir de la décadence comme point opti-mal du savoir. Marx assurait que le temps– son temps – était venu d’abandonner l’in-terprétation de l’Histoire pour s’attacherdésormais à la transformer. Aujourd’hui,l’Histoire s’est transformée, et paradoxale-ment commence à présent le moment de laréinterpréter et, naturellement, de l’embellir.En 1933, dans un discours prononcé devantle gouvernement irlandais, l’économiste bri-tannique John Maynard Keynes avait appeléà investir davantage dans la beauté. La laideur(en architecture, dans la décoration d’inté-rieur, dans la mode, dans les manœuvresfinancières) a été un facteur d’appauvrisse-ment humain, à l’intérieur et à l’extérieur ducapitalisme de fiction. La nouvelle fiction,désormais, consiste à rêver d’un monde plusjuste, plus net, plus propre. Vicente Verdú

■ Février 2009La conjonction de la crise économique et de l’électiond’Obama nous placeà l’un de ces raresmoments del’Histoire où lesmentalités peuventévoluer. Déjà, lesinitiatives solidairesse multiplient un peu partout.Privilégier la culture et lenon-mercantilismeplutôt que la consommationredeviendrait-ilpossible ?A la une de CI n° 954, du 12 février 2009.

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ou après le rationnement de la Seconde Guerremondiale. Ensuite, c’est la mort d’un modèlequi a vu les banques octroyer des prêts à tout-va, puis les transmettre à d’autres investisseurscomme autant d’“actifs”. Cela générait desflots d’argent ensuite distribués sous forme deprêts immobiliers et autres crédits à la consom-mation, lesquels gonflaient les dépenses et lavaleur des biens immobiliers. En troisième lieu,comme les gouvernements et les investisseursne toléreront pas un retour aux pratiquespérilleuses de l’époque des bulles spéculatives,les banques devront de nouveau assujettir lecrédit au montant des dépôts et examiner plussoigneusement les demandes de prêt. A encroire Bob McKee, un analyste d’IndependentStrategy, un cabinet de conseil en investisse-ment de Londres, cette prudence ralentira lacroissance du crédit et les prêts iront aux entre-prises qui produisent et investissent, et nonplus aux opérations financières hasardeuses.Cela devrait normalement favoriser une décé-lération et une stabilisation de la croissanceéconomique. Selon McKee, les actifs nedevraient pas retrouver de sitôt leur valeurd’antan, et les richesses détruites ne sont pasprès de se reconstituer.

“UNE NOUVELLE MENTALITÉ S’INSTALLE :ON SE DÉBROUILLE ET ON RACCOMMODE”

Les signes de restriction des dépenses sontpartout visibles. La consommation est enberne dans tous les pays industrialisés. Audernier trimestre 2008, les ventes au détailaux Etats-Unis ont enregistré le plus fortrecul jamais constaté depuis quarante ansque ces statistiques existent, notamment avecune chute de 36 % des ventes de voitures englissement annuel. Même les achats surInternet, qui avaient fait un bond de 75 %en 2007, sont restés pratiquement stablesl’an dernier, à + 2 %.

Dans des pays traditionnellement économescomme la Chine et l’Allemagne, les tauxd’épargne, déjà élevés, ont encore progressé.Les Chinois sont plus que jamais près de leurs

sous, alors que des millions de travailleurs ayantperdu leur emploi dans les usines du littoralrentrent dans leur village natal. Même si leschiffres sont notoirement peu fiables, tout laisseà penser que le taux d’épargne, qui se situaitentre 20 et 30 %, a augmenté. D’après laBanque populaire de Chine, les dépôts des par-ticuliers se sont élevés à 20 000 milliards deyuans en septembre 2008, soit plus de cinq foisla valeur de l’encours des crédits à la consom-mation et des prêts immobiliers. En Allemagne,un pays tributaire des exportations qui a vu sescommandes industrielles s’effondrer ennovembre, le taux d’épargne a battu un recordvieux de quinze ans pour s’établir à 11,4 % durevenu des ménages et, selon la Bundesbank,il devrait atteindre 12,5 % en 2010.

La destruction de ri-chesses, les suppressionsd’emplois et la cons titu-tion d’une épar gne deprécaution ne se tradui-sent pas seulement parune réduction mais aus-si par une réaffectationdes dépenses des mé-nages. A Hong Kong, lesrestaurants de luxe sontdésertés, tandis que lesgargotes de rue sont en-core plus bondées qued’ha bitude. Au Royaume-Uni, la chaîne de super -marchés Sainsbury’s an-nonce un triplement des ventes de produitsà petits prix comme la viande à braiser (lemorceau le moins cher) en l’espace d’un an.L’enseigne de cordonnerie minute Timpsonsignale un bond des réparations de montreset de chaussures dans ses magasins. “Nousvoyons défiler des clients d’un genre tout à faitnouveau, des personnes qui n’ont jamais penséfaire réparer quoi que ce soit, constate le prési-dent de la société, John Timpson. Une nou-velle mentalité s’installe : on se débrouille et onraccommode ses affaires.”

Les entreprises ne gagneront plus rien àlever des capitaux et à s’endetter au maximum.En revanche, celles qui ont des fonds propressolides, des actionnaires patients et une tré-sorerie saine – celles-là mêmes dont on raillaitnaguère le côté pépère – disposeront d’unavantage certain. Les firmes qui disposent deliquidités peuvent se permettre d’être conci-liantes avec des fournisseurs et des clientsqu’elles jugent avoir les reins solides malgréleurs difficultés à payer leurs factures. C’est cequi avait permis à beaucoup d’exportateursallemands aux poches bien garnies de profi-ter de la crise du rouble [en 1998] pour gagnerdes parts de marché en Russie, au détrimentde leurs concurrents français ou italiens.

Bien sûr, de nombreux économistes vousdiront que la consommation va repartir,entraînant l’économie dans son sillage. Mais,pour David Rosenberg, ce rebond sera bienplus modeste que d’habitude. Car, d’une part,la dévalorisation des logements et des comptesépargne-retraite provoquera un “effet de pau-vreté” durable et, d’autre part, le flot de cré-dits faciles qui avait dopé la consommationn’est pas près de couler à nouveau. SelonRosenberg, on renouera avec la relative pru-dence du début des années 1990, lorsque lesdépenses de consommation représentaient65 % du PIB américain, contre 71 % en 2008.Cela se traduira chaque année par environ1 000 milliards de dollars en moins pour lesmagasins, les restaurants, les compagniesaériennes, les hôtels, les constructeurs auto-mobiles et les promoteurs immobiliers. Lerecul des importations américaines de biensde consommation frappera des pays manu-facturiers comme la Chine, mais aussi leursfournisseurs (comme l’Australie pour lesmatières premières et l’Allemagne pour lesmachines-outils).

La croissance mondiale finira bien parrepartir, mais elle ne sera plus tirée par laconsommation des pays occidentaux. Elle ades chances de rester en deçà des 5 % pen-dant de nombreuses années, notamment parceque, partout dans le monde, les dirigeants poli-tiques ne rateront pas l’occasion de reprendredu pouvoir aux marchés. Cela se traduira, àtort ou à raison, par un interventionnismeaccru de l’Etat et des politiques de redistri-bution, avec un alourdissement de la fisca-lité et une baisse des profits des entreprises.

Cette nouvelle frugalité fera peur à mesureque ses effets se propageront à l’économiemondiale, mais s’avérera au final bénéfique.“Un monde économe est de loin plus productif,puisque les crédits octroyés aux entreprises serventà investir et à améliorer la productivité”, expliqueBob McKee. La dette augmentera en fonc-tion des besoins de l’économie. Les capitauxse feront plus rares, mais ils seront investis demanière plus efficace. Les profits des entre-prises représenteront une part moins élevéedu revenu national, mais ils seront plus stables.Ce sera un monde plus ennuyeux, à crois-sance moins forte. Mais ce sera aussi unmonde plus tenable, avec moins de déséqui-libres, de déficits et de mauvaises surpriseséconomiques. Jusqu’à ce que, inévitablement,quelqu’un invente la prochaine grande bulle.

Stefan Theil, avec William Underhill et Sophie Grove

Paru dans CI n° 954, du 12 février 2009.

HORIZONS

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 75 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

▲ Dessin d’Ellis in Wonderland paru dans The Guardian,Londres.

Avec la crise,les Britanniquesse mettent

à la cuisine. “Il semble que les gens cuisinent comme leurs grands-parents, et les ragoûts sont soudain le plat le plus à la mode”,note The Guardian. Cetengouement fait le bonheurdes éditeurs : les livres de recettes se vendent comme des petits pains.

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NEW SCIENTIST (extraits)Londres

Nous sommes en 2020, dix ans après le lan-cement de l’énorme expérience visantà donner au Royaume-Uni une écono-mie durable. Nous suivons deux prin-

cipes de base : nous n’utilisons pas les res-sources naturelles plus vite qu’elles ne serenouvellent et nous ne rejetons pas nos déchetsplus vite qu’ils ne peuvent être absorbés.

Dans notre société, ce sont les scientifiquesqui fixent les règles. Ils déterminent quelsniveaux de consommation et d’émissions sontacceptables. S’ils ont un doute, ils fournis-sent une estimation prudente. Les économistesdoivent ensuite trouver le moyen de respec-ter ces limites et d’encourager l’innovation afinde tirer le maximum des ressources naturellesque nous utilisons.

Ils ont pour cela recours à deux mécanismesprincipaux. Le premier est un système de pla-fonnement et d’échange (cap-and-trade) quipermet aux entreprises d’acheter et de vendredes permis d’émission de gaz à effet de serre.Ce dispositif est efficace, notamment pourréduire les émissions de CO2. Le second méca-nisme consiste à changer la logique de la fis-calité. Nous avons progressivement aboli l’im-pôt sur le revenu (une décision très populaire !)pour encourager les gens à ajouter autant devaleur que possible aux ressources dont ils seservent. Nous taxons désormais ces ressourcesau moment où elles sont retirées de la bio-sphère : le pétrole lorsqu’il est extrait du sol,ou les poissons lorsqu’ils sont pêchés dans lamer. Cela augmente leur prix et incite tout lemonde à les utiliser avec parcimonie.

LES TRICHEURS NE PEUVENT PLUSÉCHAPPER AUX IMPÔTS

Un avantage annexe de cette fiscalité est qu’elleest facile à faire respecter. Les tricheurs ne peu-vent plus échapper aux impôts en cachant leursrevenus. Mais elle a malheureusement uninconvénient : les pauvres finissent par consa-crer une plus grande partie de leurs revenusà l’achat de biens de consommation que lesriches. Nous pallions cela en allouant une par-tie des recettes au financement d’allocations etde projets sociaux.

Comme nous ne pouvons plus comptersur la croissance économique pour augmen-ter les revenus, nous devons lutter contre lapauvreté différemment. Nous redistribuonsprogressivement les richesses en fixant unelimite aux inégalités économiques. Il a été dif-ficile d’établir un éventail de revenus suscep-tible de récompenser les vraies contributionsau lieu de multiplier les privilèges. Quatresiècles avant notre ère, Platon avait proposéun rapport maximal de 1 à 4. Les universités,

les services publics et l’armée ont toujoursfonctionné avec une échelle de 1 à 10 ou 20,mais celle-ci est montée jusqu’à plus de 500dans le secteur privé américain au début duXXIe siècle, avant que nous ne commencionscette expérience. Notre premier objectif aété de réduire l’écart général à un rapportde 1 à 100 : par exemple, si, dans une entre-prise, le salaire le plus bas est de 10 000 livrespar an, un dirigeant ne pourra pas toucherplus de 1 million de livres. Nous essaieronspar la suite d’arriver à un éventail de 1 à 30.

Mais que devient la croissance, me deman-derez-vous ? Elle reste autorisée tant qu’elle nedépasse pas les limites fixées par les écologistes.Les taux d’intérêt sont donc très faibles, maisils restent supérieurs à zéro.

Lorsque nous avons entamé cette transi-tion, nous avons imposé une taxe carbone quia rendu les transports fonctionnant au pétrolehors de prix. Cela a limité les déplacements envoiture, mais aussi suscité une vague d’inves-tissements massifs dans les transports publicset dans les technologies requises pour fairefonctionner les véhicules avec des énergiesrenouvelables. Les recherches ont payé, et cesvéhicules deviennent de plus en plus abor-dables. La réalité virtuelle est un autre secteurflorissant : le transport aérien est beaucoup pluslimité, mais nous pouvons nous rendre dansdes lieux exotiques d’un simple clic.

Un autre secteur a énormément changé,celui de la finance. Notre économie équilibréeserait incapable de supporter l’énorme super-structure financière qui reposait autrefois surles perspectives de croissance. Les investis -

sements sont principalement destinés à rem-placer les objets et à en améliorer la qualité,et l’énorme fardeau de la dette qui pesait surnotre économie s’est allégé. Nous augmen-tons progressivement la part des dépôts queles banques doivent garder en réserve. Enconséquence, de moins en moins de prêtscommerciaux sont accordés – ce sont désor-mais l’intermédiation financière et les com-missions qui rapportent de l’argent auxbanques –, et nous entrons dans une cultureoù il faut d’abord épargner de l’argent avantde pouvoir le prêter ou l’investir.

L’ENTRETIEN ET LA RÉPARATION SONT DEVENUS DES SOURCES D’EMPLOI

Les objets que nous produisons sont d’un typedifférent. Maintenant que nous payons le coûtenvironnemental de ce que nous utilisons, iln’est plus intéressant d’un point de vue éco-nomique de fabriquer des marchandisesjetables ou de courte durée de vie. Nous ne fa -briquons que ce dont nous avons besoin, et leschoses sont faites pour durer : plus de gadgetsde haute technologie périmés au bout de sixmois. Nous développons également de nou-veaux modes de propriété : on peut louer unevoiture ou un tapis à un propriétaire qui seraresponsable de leur entretien puis de leur recy-clage – au lieu de les acheter.

L’entretien et la réparation sont devenus– à l’inverse de la production – des sourcesd’emploi bien plus importantes qu’aupara-vant. Il en va de même de la science et de latechnologie. La croissance économique étantmoins forte, nous ne pouvons pas assurer leplein-emploi – il est vrai que notre ancienneéconomie n’y parvenait pas non plus. Noustravaillons à temps partiel, généralement entant que copropriétaires d’une entreprise plu-tôt que comme salariés. Le rythme de vie estplus détendu. Les revenus sont plus bas, maisnous sommes riches d’une chose que beau-coup d’entre nous ne connaissaient pas avant :le temps.

Bien entendu, la liberté totale du commercen’est plus possible, puisque nous devonsprendre en compte des coûts environnemen-taux que les entreprises des pays restés dansune économie de croissance peuvent se per-mettre d’ignorer. Nous autorisons les échangesinternationaux réglementés par des lois qui cor-rigent ces différences. Mais comme de plus enplus de pays s’engagent dans la durabilité, leclub au sein duquel nous pouvons commercerlibrement s’agrandit vite. Nous espérons qu’ilenglobera un jour le monde entier.

Au bout de dix ans, nous pouvons dire queles sacrifices consentis ont été moins durs quenous ne le craignions. Nous sommes sortis dumodèle de la croissance économique – qui estcondamné – et personne n’est moins bien lotiqu’avant. Nous sommes peut-être même tousun peu plus heureux. Et il est bon de savoir quenos petits-enfants ont désormais une chanced’avoir une vie meilleure. ■N.B. Ce scénario s’inspire d’un entretien avec Herman Daly,un économiste américain, spécialiste du déve loppementdurable, qui enseigne à la School of Public Policy de l’uni-versité du Maryland.Paru dans CI n° 945, du 11 décembre 2008.

L’ANTICRISE Manuel de survie

Comment changer de logique en dix ansEvoluer vers une économie durablen’a rien d’impossible. Cela dépendde la volonté politique. Le NewScientist propose un scénario fictifmais plausible.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 76 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

■ ProspectiveA quoi ressemblerale monde “après le capitalisme” ?s’interroge lemensuel britanniqueProspect. Pour le chercheur Geoff Mulgan, “le capitalisme nedominera plus lasociété et la culture”et deviendra “un serviteur plutôtqu’un maître”. Les premiers signesen sont l’émergencedes fonds deplacement éthique,des logiciels libres,des mouvementscontre leconsumérisme et la recherche d’unmeilleur équilibreentre travail et vie de famille.

▲ Dessin de Cazzatoparu dans La Stampa, Turin.

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OUTLOOKNew Delhi

Lorsqu’Anu-radha Bali estdevenue lafemme de

Chander Mohan endécembre 2008, elle are joint les quelque5 millions d’Indiennesqui ont épousé un hommedéjà marié. Les unions mul-tiples n’étant autorisées enInde que par la Muslim Per-sonal Law [statut personnelmusulman, partie du Code civilqui permet aux musulmansd’appliquer le droit commu-nautaire], le couple est devenu ledernier d’une longue série à s’êtreconverti à l’islam uniquementpour y avoir recours. Par la mêmeoccasion, ils ont changé de nomet s’appellent désormais Fiza etChand Mohammed. Les consé-quences ne se sont pas f a i tattendre. Chand a été démis de safonction de vice-ministre en chef del’Etat de l’Haryana [au nord du pays],rejeté par sa communauté, et son père– Bhajan Lal, élu trois fois ministre enchef de l’Haryana – l’a renié.

En ces heures sombres, une timi-de main secourable a été tendue àChand par le mufti [guide spirituel] Ah-san Kasmi, responsable du départe-ment de la fatwa au centre d’études is-lamiques Dar-ul-Uloom [école cora-nique très respectée et vieille de centcinquante ans] de Deoband. “Selon lacharia, le mariage après une conversionà l’islam est légal”, a-t-il déclaré. Mais

cet appui n’a pas étéclaironné sur lestoits, ce qui n’arien d’étonnant

lorsqu’on saitq u e K a s m iavait affirméen juillet 2008

que “la conver-sion d’une femmeà l’islam dans lebut d’épouser unhomme musulmanest illégale et n’estpas conforme à lacharia”. Commele montrent lespropos contra-dictoires du muf-ti, se convertir à

l ’ i s l a m p o u rconvoler est un su-jet très controverséchez les musulmans.Les responsables lo-caux ont été em-bar rassés par le

spectacle donné parChand et Fiza, abon-

damment relayé par In-ternet et la presse. Mais ilsont gardé le silence, espé-rant que les choses, à l’ins-tar d’autres scandales si-milaires, finiraient par setasser. Il était pourtant ditqu’il n’en serait pas ainsi. Le

28 janvier, Chand a disparu dela circulation, puis il est réapparu

en disant qu’il aimait toujours sa pre-mière femme et ses enfants, des hindous, et qu’ils lui manquaient.Quelques jours plus tard, Fiza passait

à l’attaque en déclarant qu’elle avait été“piégée, utilisée et jetée”, et en offrant auxmédias les détails intimes de son his-toire d’amour. Ce dernier rebondis-sement dans le spectacle médiatique aété la goutte d’eau qui a fait déborderle vase pour les responsables musul-mans de l’Haryana et les a forcés àprendre position en public contre cet-te pratique.

UNE VIEILLE TRADITION DANSTOUTES LES COMMUNAUTÉS

Pour Sayeed Qasim Rasool Ilyas,porte-parole du All India Muslim Per-sonal Law Board [AIIMLB, Conseilde la loi musulmane indienne], les casde ce genre reflètent un échec de lasociété en général, et on ne devrait pasaccuser l’islam de les laisser se pro-duire. “Beaucoup d’hommes hindous déjàmariés prennent une deuxième épouse,explique-t-il, mais on n’en entend pasparler parce que cela se produit dans deszones rurales pauvres et que la premièrefemme ne se plaint pas ou est forcée à gar-der le silence. Lorsque les gens craignentd’être embêtés par la loi, ils se convertis-sent et utilisent la Muslim Personal Lawpour se protéger.” De plus, comme, dansla loi islamique, la foi est uniquementune affaire entre l’homme et Dieu, unmembre du clergé n’a pas autorité pourmettre en doute une conversion et nepeut donc pas faire grand-chose pourempêcher ces abus, ajoute SayeedQasim Rasool Ilyas.

Pour le sociologue Imtiaz Ahmad,la polygamie est une vieille traditiondans la société hindoue, “en particulierdans les régions frontalières, où des com-munautés guerrières sont installées depuislongtemps et où il y avait inévitablement

asie ●

LE MOT DE LA SEMAINE

C’est compliqué, le mariage(vivah), en Inde, et le divorce

l’est encore davantage. Afin de res-pecter les traditions matrimonialesde chacune des religions du pays,l’Inde s’est confectionnée une sériede lois spécifiques. Ainsi, les hin-dous (82 % des Indiens), et aveceux les jaïns, les bouddhistes etles sikhs, se marient – et, beau-coup plus rarement, divorcent –selon les règles du Hindu MarriageAct. Cette loi proscrit la polygamie– qui existait pourtant autrefois,comme en atteste la documenta-tion sur la civilisation hindoue. Lapolyandrie n’est même pas men-tionnée dans ce texte, alors quecette pratique a été immortaliséedans l’épisode du Mahabharata,une des grandes épopées sacréeshindoues, où le personnage deDraupadi devient la femme des cinq

frères Pandava. Les chré-tiens ont leur loi à eux ;les parsis aussi. Il y amême un régime spéci-fique pour les couplesmixtes. Seuls les musul-mans (environ 12 % de lapopulation) échappent àun régime légal spéci-fique, le mariage restantchez eux une affaire reli-gieuse gérée par la com-munauté. Ils respectentle droit des hommes à prendre jus-qu’à quatre femmes, et le divorceest vite prononcé quand c’est àla demande de l’homme. Il lui suf-fit en effet de prononcer trois foisle mot talak, qui signifie “divorcer”.Pour les femmes, c’est plus com-pliqué. Ce qui a été souligné par lecélèbre cas de Shah Bano en1985, une musulmane divorcée qui

a osé réclamer ses droits à per-cevoir une pension alimentaire deson ex-mari en tant que citoyenneindienne. Elle lui fut accordée parla Cour suprême indienne avantd’être annulée après qu’une loi spé-ciale eut été adoptée pour l’occa-sion. Cette loi rendait aux digni-taires religieux la pleine et uniqueautorité pour toutes les questions

concernant le mariageet le divorce des musul-mans. Quant aux hin-dous, la tradition veutque le divorce soit impos-sible même si la loi lepermet. Le mariage enInde étant une affaire defamille autant ou mêmeplus que de couple, s’enextraire n’est pas facile.Il n’en fallait pas pluspour pousser les hommes

non musulmans qui se sentent pri-sonniers d’un mariage qui ne leurconvient plus à changer de religionafin de trouver une nouvelleépouse. Malheureusement, lesIndiennes ne bénéficient pas de lamême possibilité. En réalité, unmariage à la Draupadi n’est sou-vent pas satisfaisant pour elles.Les quelques femmes qui se trou-

vent mariées à deux ou à plusieursfrères le sont, dans la plupart descas, par force et non par choix.C’est le déficit de femmes dans lesrégions où le fœticide féminin estpratiqué qui pousse au partage desfemmes, devenues trop rares. L’in-égalité entre les sexes étant com-mune à toutes les grandes reli-gions, le seul espoir qu’ont lesfemmes en Inde – et ailleurs – debénéficier d’une entière liberté ausein de leur couple réside dans unEtat laïc avec des lois qui s’appli-quent à tous de façon égale. LesIndiennes attendent toujours.

Mira Kamdar*Calligraphie d’Abdollah Kiaie

* Universitaire et essayiste. Elle écrit régu-lièrement dans les presses américaineet indienne. Elle a publié Planet India –L’ascension turbulente d’un géant démo-cratique (éd. Actes Sud, 2008).

“VIVAH”LE MARIAGE

plus de femmes que d’hommes, puisquenombre de ces derniers étaient tués aucombat. On trouvait donc davantage depolygamie”. Mais aujourd’hui, ajoute-t-il, “les oulémas [les théologiens] se féli-citent des conversions et ne se posent pasde questions”. Haseena Hashia, pro-fesseure à l’université Jamia Millia Isla-mia à Delhi et membre de l’AIIMLB,estime cependant que “les oulémas ontun rôle à jouer et ne sauraient se contenterde décliner toute responsabilité. Avant uneconversion, les principes de l’islam doi-vent être expliqués. On ne peut pas lais-ser les gens se convertir à l’islam unique-ment pour leur permettre d’épouser leuramant ou leur maîtresse.”

Une conséquence heureuse de l’af-faire Chand-Fiza est qu’elle pourraitforcer les autorités religieuses et socialesà dissiper la confusion légale et moralequi entoure les unions multiples enInde. Il y a pléthore de points de vue,du conservatisme inébranlable à l’es-prit de réforme, prudent ou non. LaMuslim Personal Law va devoir fairel’objet d’un débat. Certains estimentqu’il faut laisser la communauté enga-ger ses réformes selon son proprerythme. Les partisans d’un droit per-sonnel commun à tous les citoyens,quelle que soit leur religion, risquentde ne pas beaucoup plaire aux oulé-mas. Le mariage bref, mouvementé etindécent de Chand et Fiza n’est peut-être donc pas le dernier du genre.

Omair Ahmad*

* Journaliste, auteur du roman Encounters[titre qui, en anglais de l’Inde et du Pakistan,signifie à la fois “rencontres” et “exécutionssommaires”, inédit en français, 2006],consacré aux relations entre hindous etmusulmans dans le nord de l’Inde.

INDE

Quand islam rime avec bigameLes musulmans jouissent d’un statut personnel spécifique qui leur permet notamment de prendre plusieursépouses. Des hindous se convertissent pour en profiter. Mais cette pratique suscite désormais un vaste débat.

▲ Dessin de Hajoparu dans As-Safir,Beyrouth.

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 78 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

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CAMBODGE

La justice miseà l’épreuve

PHNOM PENH POSTPhnom Penh

Les atrocités commises au Cam-bodge entre le 17 avril 1975 etle 6 janvier 1979 par le régime

khmer rouge ont fait l’objet dèsaoût 1979 d’un premier procès, misen œuvre par le Tribunal populairerévolutionnaire, soutenu par le Viet-nam et par d’autres pays du bloc com-muniste. Pol Pot et Ieng Sary [consi-déré à l’époque comme le numérodeux du régime] y avaient été jugéset condamnés à mort par contumace.Mais ce verdict n’a pas été reconnupar la communauté internationale.Le tribunal de 1979 n’était pas indé-pendant et n’a aucunement respectéles droits élémentaires des accusés.L’opération n’avait qu’un seul but :légitimer les desseins politiques durégime de l’époque. Le tribunal chargéde juger les Khmers rouges – ouChambres extraordinaires au sein destribunaux cambodgiens (CETC) – quisiège actuellement est le fruit de plusde dix années d’efforts et d’âpres négo-ciations entre les Nations unies et legouvernement cambodgien. Il a étéconçu de façon à ne pas répéter lesfautes de 1979.

En quoi les CETC se différencie-ront-elles du tribunal de 1979 ? La par-ticipation étrangère devrait apporterune sagesse acquise auprès de la jus-tice pénale internationale émergente.Une deuxième différence fondamen-tale devrait être le respect par lesCETC des droits de la défense, mêmesi ces Chambres continuent parallèle-ment de batailler pour asseoir leur cré-dibilité contre les accusations de cor-ruption qui entachent l’administrationcôté cambodgien. La question de leurindépendance vis-à-vis du pouvoir poli-tique soulève également des doutes.Enfin, à la différence du procès de1979, les débats des CETC devront,du début à la fin, faire preuve de trans-parence, dans un souci pédagogique àl’égard des Cambodgiens. La politiqueactuelle du tribunal, consistant à main-tenir une confidentialité quasi imper-méable sur l’enquête et sur lesdémarches visant à régler les désac-cords entre les divers procureurs oujuges d’instruction, va à l’encontre despromesses de transparence des CETC.

Pour réussir à se différencier défi-nitivement du tribunal de 1979, lesCETC, leurs partenaires, leurs bailleursde fonds et tous ceux qui agissent enleur nom doivent redoubler d’effortspour garantir que ces Chambres agi-ront en permanence dans le respectdes normes internationales de justice,libres de toute corruption ou interfé-rence politique. Et, plus encore, ilsdevront s’assurer que les Cambod-giens soient en mesure de comprendreles grandes lignes de ces procès.

Long Panhavuth*

* Membre de Cambodia Justice Initiative, uneONG supervisant le procès des Khmers rouges.

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XINMIN ZHOUKAN (extraits)Shanghai

Ce n’est pas le calme plat surles 3,5 millions de kilo-mètres carrés de la mer deChine méridionale, mais

plutôt la tempête. Après une année degrand tapage, le Parlement philippina adopté, le 17 février, une loi surl’étendue de ses eaux territoriales, quiconsidère comme îles philippines une partie des atolls de notre archipel desîles Nansha [Spratly, en philippinKalayaan], ainsi que notre île Huan-gyan [Scaborough Shoal], du banc deMacclesfield. Les Philippines ne sontpas les seules à s’affairer. Le 5 mars, lePremier ministre malaisien, AbdullahBadawi, a pris pied sur Danwan Jiao[Swallow Reef, en malais LayangLayang], un atoll de nos îles Nansha,pour inspecter les troupes qui y sontstationnées. Il a également visité le récifde Guangxingzai Jiao [Ardasier Reef,en malais Terumbu Ubi] et a affirmé,pour la première fois, la souverainetéde la Malaisie sur ces territoires.

Que la mer de Chine méridionalesuscite les convoitises étrangères, cen’est pas nouveau ! Mais commentexpliquer tant d’agitation en si peu detemps ? Une course contre la montres’est en fait engagée pour les Philip-pines. En effet, en vertu des disposi-tions de la Convention des Nationsunies sur le droit de la mer, les Phi-lippines ont jusqu’au 13 mai 2009 poursoumettre leur dossier sur les zones éco-nomiques exclusives et sur la délimita-tion de leur plateau continental à lacommission des Nations unies chargéede la délimitation des eaux territoriales,afin que celle-ci puisse statuer. “La sou-mission des dossiers de délimitation des eauxaux Nations unies a joué le rôle de déto-nateur dans les conflits récents en mer deChine méridionale. Pour tous ces Etats quioccupent illégalement des îles appartenantà la Chine, cela constitue une belle occa-sion d’obtenir une reconnaissance inter-nationale”, remarque Ni Lexiong, pro-fesseur de sciences politiques à l’Institutde droit et de sciences politiques deShanghai. “Pour la Chine, la perte des îlesdans cette région signifierait la perte d’une

grande étendue de notre territoire mari-time méridional et le recul de notre ligne dedéfense, qui serait ramenée à hauteur del’île de Hainan. D’un point de vue éco-nomique, les préjudices seraient encore plusgrands”, ajoute-t-il.

En effet, les sondages réalisés à cejour indiquent que l’espace maritimeautour des îles de la mer de Chineméridionale recèlerait de riches res-

sources en hydrocarbures et en pois-sons. Les réserves pétrolières de l’en-semble de la mer de Chine méridio-nale seraient comprises entre 2,3 et3 milliards de tonnes, soit près du tiersdes ressources totales de la Chine. Parailleurs, ce territoire maritime est larégion la plus poissonneuse au mondeet constitue une voie maritime essen-tielle. Chaque année, un quart du

transport maritime mondial passe parlà. “Bien que les puissances occidentalesne se mêlent pas directement aux conflits,elles voient d’un bon œil l’annexion desîles de la mer de Chine méridionale pard’autres pays pour des considérations stra-tégiques – la nécessité de circonscrire laChine. Leur partialité est pleinement miseà profit par les Etats qui annexent des ter-ritoires”, affirme Ni Lexiong.

Depuis 1951, les Philippines et lesEtats-Unis procèdent chaque année àdes manœuvres militaires de routine,qui prennent de plus en plus d’am-pleur. En 2004, ces exercices se sontdéplacés: ils ont désormais lieu à proxi-mité de l’île de Zhongye [en philippinPagasa], de l’archipel des Spratly. Lesobservateurs militaires internationauxestiment que les Philippines ont dis-crètement impliqué l’armée américainedans leurs manœuvres pour s’emparerdes îles Spratly. Pour Ni Lexiong, lapatience de la Chine a ses limites. Pourdéfendre sa souveraineté, notre pays adéjà connu des affrontements mili-taires, dans les années 1970 et 1980,avec des pays comme le Vietnam et lesPhilippines.

Au cours de la session parlemen-taire de mars, le commandant adjointde la flotte nationale chinoise Jin etle vice-amiral Zhang Guojun ont tousdeux insisté sur la nécessité de main-tenir une relative stabilité et un envi-ronnement pacifique dans les Spratly.Ils ont à nouveau préconisé de “mettrede côté les différends pour une exploitationcommune” et ont précisé qu’il allait desoi que la Chine respecterait le prin-cipe de chercher d’abord à résoudreles conflits de façon “pacifique” avantde recourir à la force militaire. Un bonprincipe qu’avaient également appli-qué les Etats-Unis pour chasser lestroupes de Saddam Hussein du Koweïten 1991, rappelle Ni Lexiong. “On nepeut pas exclure la possibilité d’unedeuxième guerre des îles Paracel [en chinoisXisha] si les Etats qui veulent s’approprierles îles de la mer de Chine méridionalecontinuent à agir sans vergogne et si legouvernement chinois n’a pas d’autreissue. Cela signifiera que nous aurons étéacculés à le faire”, explique-t-il.

La question de savoir si la Chinedoit ou non construire un porte-avionsa également été au centre des débatslors des sessions parlementaires. NiLexiong estime indispensable que laChine se dote de son propre porte-avions. “Si la Chine possédait, comme lesEtats-Unis, douze bâtiments de ce genre,cela aurait au moins le mérite de freinerles appétits éhontés de certains pays àl’égard de certaines îles de la mer de Chineméridionale !” conclut-il. Shao Leyun

DOSSIER

les Paracel

lesSpratly

écif deScaborough

Limbang

PHILIPPINES

BRUNEÏ

VIETNAM

M E R

D E C H I N E

M É R I D I O N A L E

0

750km

C H I N E TAÏWAN

VIETNAM PHILIPPINES

MALAISIE

MALAISIEBRUNEÏ

les Paracel

Hainan

lesNatunandonésie

lesSpratly

écif deScaborough

Limbang

Hong Kong

Revendications maritimes en mer de Chine méridionalebrunéiennes

Limites ayant fait l’objet d’accord entre les Etats

malaisienneschinoises et taïwanaises vietnamiennes

philippines

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COURRIER INTERNATIONAL N° 961 80 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

asie

STRATÉGIE Front uni de Brunei et de la Malaisie

L’abandon de fait des prétentions de Bruneisur le Limbang, la bande de terre du Sarawak

qui coupe en deux le territoire du sultanat, metsans doute un terme à l’un des plus vieux conflitsterritoriaux mineurs en Asie du Sud-Est. Aprèsune rencontre à la mi-mars entre le sultan de Bru-nei et le Premier ministre malaisien AbdullahBadawi, les deux Etats ont échangé des lettresqui ne font pas explicitement mention du Lim-bang, mais donnent le tracé précis de leurs fron-tières sur une base qui équivaut à une accep-tation du statu quo par le sultanat. Tout aussiimportante que cette démarcation terrestre estla solution au différend sur leur frontière maritime,qui a empêché la recherche de gaz et de pétroleau large des côtes des deux pays. Le règlementde ce différend devrait non seulement ouvrir la

voie à l’exploration dans une zone très promet-teuse, mais permettre également à la Malaisieet à Brunei de former un front uni face aux reven-dications hégémoniques de Pékin dans cette par-tie de la mer de Chine. Les opérations explora-toires étaient suspendues depuis 2003, date àlaquelle les deux pays ont délivré des permisrivaux sur deux blocs de la zone litigieuse. Lesdeux pays ont intérêt à mettre un terme à leursquerelles, faute de quoi la Malaisie sera contrainted’importer du pétrole dans quelques années sielle ne découvre pas de nouvelles réserves, tan-dis que les champs pétrolifères de Brunei, quiont fait de ce pays, depuis des décennies, l’Etatle plus riche d’Asie du Sud-Est en termes derevenu par habitant, s’épuisent rapidement.

Philip Bowring, Asia Sentinel (extraits), Hong Kong

■ A la unede Xinmin Zhoukan :“Protégeons la merdu Sud !”

Notre patience a des limites !La Chine préconise la négociationsans exclure le recours à la force.

GROS TEMPS EN MER DE CHINE■ De vieilles tensions refont surface en mer de Chine méridionale. Américains et Chinois se regardenten chiens de faïence, tandis que les pays riverains rappellent leurs revendications territoriales dansla zone. ■ Mais Pékin entend bien affirmer ses ambitions face à l’ensemble des acteurs de la région.

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ASIA TIMES ONLINEBangkok, Hong Kong

Un incident survenu débutmars en mer de Chineméridionale entre lesEtats-Unis et la Chine

pourrait laisser penser à un accrois-sement des tensions entre les deuxpays. Pourtant, à en croire les ana-lystes, l’affaire ne risque pas de por-ter durablement atteinte aux relationssino-américaines, contrairement à unautre bras de fer du même type quiavait été suscité par la collision entreun chasseur chinois et un avion amé-ricain au-dessus de la même régionen 2001. Face à la crise financièremondiale, les deux pays tiennent eneffet à rester en contact étroit. Parconséquent, les observateurs s’at-tendent à ce que le litige se dissipe.L’incident, en revanche, illustre lacapacité militaire de la Chine àdéfendre ses intérêts nationaux danscette partie du monde et ailleurs, uneréalité que les Américains doiventdésormais prendre en compte,qu’elle leur plaise ou non.

Le 8 mars, le Pentagone a accuséla Chine d’avoir harcelé l’Impeccable,un bâtiment scientifique non armé,affirmant qu’il opérait alors en toutelégalité dans les eaux internationales,à environ 120 kilomètres au sud del’île de Hainan, la province la plusméridionale de Chine. Le ministèrede la Défense chinois a demandé àWashington d’éviter qu’une telleconfrontation se reproduise. HuangXueping, porte-parole du ministère,a déclaré que le bâtiment américainavait violé le droit chinois et inter-national, tel que la Convention desNations unies sur le droit de la mer

de 1982, ratifiée par la Chine mais paspar les Etats-Unis. Il est clair que lesbâtiments chinois ont procédé à desmanœuvres d’intimidation autour dunavire de recherche américain, qui,selon eux, violait la souveraineté chi-noise. Sous cet aspect, le face-à-facen’est pas sans rappeler la collisionaérienne qui s’est produite il y a huitans au-dessus de l’île de Hainan. Le1er avril 2001, un appareil de recon-naissance électronique américainAries II avait été intercepté par deuxchasseurs chinois J-8II à environ110 kilomètres de l’île. Un des avionschinois avait commencé à frôler l’amé-ricain et, au troisième passage, il l’avaitpercuté. Le J-8II avait été coupé endeux et son pilote tué. Endommagé,l’appareil américain avait été contraintd’atterrir d’urgence sur une baseaérienne militaire chinoise, à Hainan.Pendant les onze jours suivants, lasituation avait été extrêmement ten-due entre les deux pays, Pékin refusantde restituer l’Aries II et son équipage.

UN POSITIONNEMENT DE PLUS EN PLUS AGRESSIF

Cette fois, en dépit des protestationsexplicites de la Chine, le ministre desAffaires Etrangères Yang Jechi et lasecrétaire d’Etat américaine HillaryClinton se sont rencontrés à huis closdès le 11 mars et se sont entenduspour faire retomber la pression etveiller à ce que l’incident ne se repro-duise pas. Mais ni l’une ni l’autre par-tie ne sont revenues sur leurs versionsconflictuelles de l’événement. LesEtats-Unis ont rejeté les exigences dela Chine, qui appelle à l’arrêt des acti-vités de surveillance maritime améri-caines. Alors que les tensions restaientvives, le président Barack Obama a

DOSSIER

Pékin impose sa sphère d’influenceLa brusque montée des tensions avec les Etats-Unis illustre les ambitions maritimes de la République populaireet la volonté de les défendre à tout prix.

PHILIPPINES Obamacherche le soutiende ManilleL’accrochage naval entre les

Etats-Unis et la Chine a rompula glace dans les relations jus-qu’alors très froides entre BarackObama et Gloria Macapagal-Arroyo.Le 14 mars, le président américaina appelé son homologue philippinepour rappeler son attachement àl’alliance stratégique entre Washing-ton et Manille, ainsi que l’engage-ment américain à respecter le Visi-ting Forces Agreement (VFA), accordmilitaire liant les deux pays.Le face-à-face au sud de l’île chi-noise de Hainan est peut-être l’oc-casion pour Pékin de voir de quelbois est fait le nouveau gouverne-ment américain. Depuis lors, laChine a réitéré son désir d’hégé-monie sur la mer de Chine méri-dionale. Elle a ainsi annoncé ledéploiement de son “bâtiment leplus moderne pour patrouiller” dansla zone après l’affaire de l’Impec-cable et le vote de la loi confirmantles revendications territoriales etmaritimes philippines [dans le cadrede la Convention de l’ONU sur ledroit de la mer]. Pour Pékin, cetteloi est “illégale et invalide”. Obama a appelé Arroyo au beaumilieu des tentatives du Sénat phi-lippin visant à obtenir l’abrogationdu Visiting Forces Agreement (VFA),qui réglemente le stationnementde forces militaires américainesaux Philippines “dans le cadre del ’accord mutuel de défense”.Conformément à ce dernier, lesEtats-Unis se sont engagés à sou-tenir militairement les Philippinesface aux menaces extérieures. LeVFA a été signé dans les années1990, tandis que l’on assistait,pour reprendre les termes des res-ponsables de la sécurité philippins,à une expansion territoriale “ram-pante” de la Chine dans les zonesdisputées en mer de Chine méri-dionale. La Maison-Blanche n’a pasmanqué d’être attentive aux der-niers développements, qu’ils’agisse de l’activité navale amé-ricaine, de la loi philippine ou del’agressivité de la nouvelle diplo-matie de la canonnière de la Chine.Ces événements ont agi comme unsignal d’alarme sur Obama, lui mon-trant qu’il était temps de remettreau goût du jour l’alliance stratégiquelaissée en plan, bien que prévuepar le VFA. L’accord autorise ledéploiement de forces américainessur des bases flottantes, mais nonpermanentes, afin de répondre auxprovocations de Pékin en mer deChine méridionale. Enfin, Obama apris conscience du fait qu’il fallaitrejouer la carte de Manille pouraider à freiner l’ascension de lapuissance économique et navalechinoise dans la région.

Amando Doronila, Philippine Daily Inquirer (extraits), Manille

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 81 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

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reçu Yang dans le Bureau ovale le12 mars. Il a souligné que des com-munications plus régulières étaientnécessaires afin d’éviter à l’avenirtoute confrontation militaire, en rai-son du risque de compromettre desrelations bilatérales essentielles pourrésoudre la crise mondiale.

Ce n’est évidemment pas la pre-mière fois que la marine américaineest engagée dans des missions de sur-veillance dans cette zone de la mer deChine méridionale. Le Pentagone aaffirmé que l’Impeccable menait uneopération “de routine”. En revanche,c’est peut-être la première fois que lesChinois tentent de perturber ces acti-vités. A la lumière de cet incident, onpeut supposer que la patience des mili-taires chinois vis-à-vis des opérationsdes navires-espions de l’US Navy prèsde leurs côtes est à bout. Ce change-ment d’attitude est le reflet d’un posi-tionnement de plus en plus agressifdes forces armées de Pékin en mer deChine méridionale. Après trente ansde réformes, la Chine est aujourd’huiplus forte sur le plan militaire, et sesent assez en confiance pour protégerses intérêts nationaux. Début mars, legouvernement chinois a annoncé queson budget de la défense augmente-rait de près de 15 % cette année, endépit du fléchissement de l’économie.

Autrefois, les questions de sécuritéconcernant la mer de Chine méridio-nale étaient considérées comme troplointaines pour devenir une prioritépour les dirigeants chinois ou pourinquiéter l’opinion publique du pays.Mais la population chinoise s’en sou-cie désormais de plus en plus, y com-pris dans les îles Nansha [Spratly]. Sila Chine et Taïwan revendiquent lesNansha, des pays riverains comme lesPhilippines, le Vietnam et la Malaisieréclament également la souverainetésur plusieurs des récifs, qu’ils occu-pent. Par conséquent, la confrontationnavale avec les Etats-Unis pourrait éga-lement être interprétée comme unsignal du gouvernement de Pékin, biendécidé à montrer qu’il a non seulementla volonté mais aussi les moyens dedéfendre ses intérêts nationaux présu-més en mer de Chine méridionale.

Il est certain que l’on assistera àd’autres escarmouches et frictions entreles deux puissances, mais il est peu pro-bable qu’elles aboutissent à des conflitsgraves, du moins pas dans un avenirproche. Les deux pays ont aujourd’huitrop d’intérêts communs et ne peuvents’offrir le luxe d’une rupture. Les Etats-Unis ont besoin de l’argent chinoispour aider leur économie et leur systèmefinancier chancelants – la Chine reste leprincipal créditeur de Washington –,et la Chine a toujours besoin des Etats-Unis pour poursuivre sa modernisa-tion. Il faudra peut-être du temps auxEtats-Unis pour s’adapter à la réalitéde la rapide ascension et de la moder-nisation militaire de la Chine, car ilsne sont pas habitués à faire face à desdéfis dans leur prétendue sphère d’in-fluence traditionnelle, la zone Asie-Pacifique. Mais ils devraient com-prendre aujourd’hui que la Chine n’estplus disposée à toujours se plier à ladomination américaine dans la région.Les temps ont changé. Jian Junbo

■ EspionnageLa présence de l’Impeccableau large de l’île de Hainan n’étaiten aucun casfortuite. Selon le Time, le navire,doté d’unéquipement de surveillancesophistiqué, espionnait la base militaire de Yulin, où sontstationnés depuispeu les sous-marinsà propulsionnucléaire de lamarine chinoise.“Compte tenu du rôle crucial des porte-avionsaméricains dans unaffrontement avecla Chine à propos de Taïwan, être enmesure de bloquerles sous-marinschinois dans leur base constitueun des objectifsessentiels desAméricains”, écritl’hebdomadaireaméricain.

▲ Dessin de Stephff,Thaïlande.

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ISRAËL

Tsahal accusée de pratiquer la guerre sainteL’armée israélienne, jadis bastion de la gauche laïque, serait désormais sous l’influence de courants nationalistesreligieux. The New York Times a mené une enquête sur ce sujet délicat.

THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

Plusieurs témoignages de sol-dats israéliens, publiés par uninstitut affilié au mouvementdes kibboutz de la gauche

laïque qui dispense une instruction pré-militaire, ont révélé un agacementindéniable envers les soldats religieux,les décrivant comme des individus quise considèrent comme investis d’unemission divine.

Selon l’un des soldats, identifiésous le pseudonyme de Ram, “le rab-binat a fait parvenir toutes sortes de bro-chures et d’articles [durant l’opérationisraélienne de décembre et janvier derniers]à Gaza. Le message était très clair : noussommes le peuple juif, nous sommes ici parmiracle, Dieu nous a ramenés ici et nousdevons maintenant nous battre pour expul-ser les non-Juifs qui font obstacle à notreconquête de la terre sacrée. Voilà l’essentielde son message, et de nombreux soldatsconsidéraient cette opération [Plomb durci]comme une guerre sainte.”

Dany Zamir, le directeur du pro-gramme prémilitaire qui a recueilli lestémoignages des soldats, exprime sescraintes face à la multiplication deséléments nationalistes religieux au seinde l’armée. Au cours des quarantepremières années d’existence d’Israël,l’armée était – comme la plupart desinstitutions du pays – dominée par desmembres des kibboutz qui se consi-déraient comme laïcs, occidentaux etinstruits. Depuis dix ou vingt ans, lesnationalistes religieux, notammentplusieurs des instigateurs du mou-vement de colonisation de la Cisjor-danie, sont de plus en plus nombreuxdans la hiérarchie militaire.

“Le corps des officiers de la brigaded’élite Golani est maintenant consti-tué en grande partie de diplômés desécoles préparatoires appartenant à ladroite religieuse”, fait remarquerMoshe Halbertal, professeur de phi-losophie et coauteur du coded’éthique militaire. “La droite reli-gieuse cherche à influencer la sociétéisraélienne par l’intermédiaire de l’ar-mée.” Pour M. Halbertal commepour la majeure partie des Israéliens,Tsahal est une institution particu-lièrement propice car elle a toujoursfonctionné comme un lieu de mixitésociale où se retrouvent des indivi-dus de tous horizons.

Les adversaires de la droite reli-gieuse sont particulièrement inquietsde l’influence du rabbin en chef desarmées, le brigadier général AvichaïRontzki, lui-même colon en Cisjor-danie. Très actif pendant la guerre,il a passé la majeure partie de sontemps sur le terrain, avec les troupes.Il a même repris une citation d’untexte classique hébreu pour en faireun slogan pendant la guerre : “Celui

qui fait preuve de miséricorde enversl’homme cruel se conduira bientôt aveccruauté envers le miséricordieux.”

Une brochure remise aux soldatsa soulevé la controverse lorsqu’on y adécouvert une ordonnance rabbiniquerecommandant de ne pas faire preuvede pitié envers l’ennemi. Le ministèrede la Défense a réprimandé le rabbin.A la même époque, en janvier, Avsha-lom Vilan, alors député de gauche auParlement, a accusé le rabbin d’avoir“détourné l’armée israélienne de ses objec-tifs et [d’avoir] transformé un combatjustifié par la nécessité [de se défendre]en guerre sainte”.

Juste après le retrait des troupeset des colons israéliens de Gaza, en2005, on a voulu mettre fin à cer-

tains programmes religieux au seinde l’armée parce que des soldats quien faisaient partie avaient affirméqu’ils refuseraient d’obtempérer sion leur demandait à nouveau dedémanteler des colonies. Toutefois,après l’arrivée au pouvoir du Hamasà Gaza [2007] et la multiplicationdes tirs de roquettes sur Israël, ceprojet a été oublié.

SUBORDONNÉS AU RESPECT DE LA LOI DE LA TORAH

Selon Yaron Ezrahi, politologue degauche de l’Université hébraïque [deJérusalem], qui a enseigné à des com-mandants de l’armée, la suppressionde ces programmes devrait figurer ànouveau à l’ordre du jour. En effet, si

nous devons retenir une leçon de Gaza,c’est que la tradition humaniste surlaquelle se fondent les codes d’éthiquen’y a pas été suffisamment respectée.

Une campagne de propagande adiscrètement été lancée à la mi-marspour discréditer les témoignagesrecueillis par M. Zamir en invoquantses sympathies gauchistes. Dans lemême temps, les nombreux proposet écrits du rabbin Rontzki ont cir-culé chez les intellectuels de gauche.Il aurait notamment écrit que ce qued’autres appellent “valeurs huma-nistes” ne sont que des sentimentssubjectifs qui doivent être subor-donnés au respect de la loi de laTorah. Il aurait également affirméque la principale raison pour unmédecin juif de traiter un patient nonjuif le jour du sabbat – alors que letravail est interdit mais qu’il faut soi-gner les malades et les blessés – estd’éviter d’exposer les Juifs de la dia-spora à la haine.

Selon M. Halbertal, le clivage deplus en plus marqué de la sociétéisraélienne n’existe pas seulemententre Juifs religieux et Juifs laïcs, maiségalement entre les diverses factionsreligieuses. Le débat concerne troisaspects : la sainteté de la terre contrecelle de la vie ; la relation entre mes-sianisme et sionisme ; et la place desnon-Juifs dans un Etat juif souverain.

Ethan Bronner

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 82 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

moyen-orient ●

GOUVERNEMENT Ehoud Barak, un homme sans caractèreLe ralliement du leader du Parti travaillisteet ministre de la Défense à la coalition de Benyamin Nétanyahou, regroupant la droite, l’extrême droite et les religieux,suscite la colère de nombreux Israéliens.

Une des raisons pour lesquelles les par-tisans d’Ehoud Barak parlent de sa

nécessaire participation à la “sauvegardede la nation” repose sur l’illusion que c’estest un grand ministre de la Défense. Maisl’est-il vraiment ? Quand il était simple com-mandant, tout le monde pensait qu’il devien-drait un jour chef d’état-major. Plus tard, ilest devenu un soldat légendaire. Ensuite, ils’est embarqué dans des négociations depaix avec les Palestiniens, en 2000, mais ila perdu la bataille. Avec un chef d’état-majorsans pareil dans l’histoire de Tsahal [legénéral Gaby Ashkenazi], il a planifié la pireguerre qu’Israël ait jamais connue [la guerreà Gaza, dite opération Plomb durci, entredécembre 2008 et janvier 2009]. Au lieud’utiliser des subterfuges pour mener uneopération limitée, mais puissante, les deuxhommes ont expédié l’armée de l’air – quiaurait pu tout aussi bien raser la France –et ordonné l’envoi de centaines de chars,sans toutefois remporter la victoire.L’homme qui, pendant des années, était sup-

posé mener une opération puissante et judi-cieuse a fini par engendrer la haine contreIsraël, voire par détruire une partie des struc-tures internes de l’armée. Pour finir, Baraket son acolyte se sont arrangés, une pre-mière dans l’histoire d’Israël, pour trans-former une opération militaire en un gigan-tesque pogrom, avec des centaines desmorts et de nombreuses maisons détruitesà Gaza. Le Hamas s’est réfugié dans descachettes, s’est moqué de nous et en estsorti renforcé : il a été salué partout dansle monde et il a prouvé qu’il ne pouvait êtrebrisé. Et voilà que notre homme s’empressemaintenant d’aider Benyamin Nétanyahouparce que celui-ci est isolé et affolé. Néta-nyahou n’a aucun interlocuteur dans la coa-lition qu’il a formée hâtivement et sans dis-cernement. Il n’a que Barak. Et même si cedernier est seul à le rejoindre, Nétanyahous’en contentera. Il a besoin de lui, car tousdeux sont taillés dans le même moule.Barak cherche un moyen de recouvrer lasagesse qu’il a perdue. Mais pourquoi lesmembres de son misérable parti devraient-ils le suivre ? [les membres du Parti tra-vailliste ont approuvé la nouvelle coalition,mais avec des réticences]. Après tout, mêmeavec Barak, ce gouvernement sera incapablede sur vivre face à l’Amérique. Obama

s’intéresse plus à l’Iran qu’à Israël. Et siBarak et Nétanyahou sont obligés de déman-teler des avant-postes et de stopper laconstruction de colonies en Cisjordanie, ilsle feront. Cette fois-ci, Barak ne pourra passe cacher derrière des mensonges. Il n’ya plus de secrets dans ce monde. QuandNétanyahou et Barak seront finalement obli-gés de se plier à la volonté des Américains,certaines personnalités du Likoud [parti deNétanyahou] et la plupart des membres dugouvernement de droite, radical et religieux,protesteront et renonceront à leurs postes.Enfin, si Barak entre dans le gouvernement àcause de la situation économique et montrele même discernement que pendant la seuleguerre menée sous ses ordres, non seule-ment notre économie s’effondrera, mais elledisparaîtra. Depuis quand Barak peut-il aiderl’économie nationale ? Hélas, si tous noshéros israéliens sont tombés, vous vous êtesdétruit tout seul, monsieur Barak. Vous etNétanyahou, vous avez beaucoup de pointscommuns, mais, surtout, vous manquez tousdeux de cette qualité dont on parlait tant auPalmach* : le “caractère”.

Yoram Kaniuk, Yediot Aharonot, Tel-Aviv

* Première unité juive de combat en Palestinen, créée en 1941.

▲ Dessin de Sequeirosparu dans El Mundo,Madrid.

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KOWEÏT

Je veux un méchoui, pas un grillLa langue anglaise envahit l’espace public des pays du Golfe – néocolonisation ou tribut payé à la mondialisation.Un journaliste koweïtien dénonce ce phénomène.

AL-JARIDAKoweït

Un flot de termes anglaisenvahit nos programmestélévisés, notre espacepublic, nos entreprises,

nos cafés et restaurants, et même nosconversations de tous les jours. Bienque nous soyons un pays arabe, nousparlons en anglais avec les résidentsétrangers [qui représentent les deuxtiers de la population]. Quand nousentrons dans un magasin, noussommes accueillis par un personnelqui nous souhaite le “welcome” etnous demande : “Can I help you ?”Généralement, on n’a d’autre choixque de faire ses commandes enanglais, peu importe qu’on le maî-trise ou non, qu’on soit à l’aise ouqu’on soit embarrassé de montrer seslacunes linguistiques devant lesmembres de sa famille.

De même, les restaurants que nousfréquentons gardent les enseignesanglaises de leurs maisons mèresétrangères : Starbucks, Kentucky, McDo-nald’s, Burger King, Hardy’s,… Cesmarques s’affichent partout en grand

et menacent notre langue. Et, pour nerien arranger, les noms des plats quenous mangeons subissent la mêmeévolution. Au lieu de “méchoui”, ondit “grill” ; au lieu de “poulet rôti”, on

trouve “chicken tikka”, transcrit enlettres arabes. Et tout cela sans comp-ter les mots que nous considérons déjàcomme arabes : krim karamel, koffi-chop, ais-crime, kilo, jelé, etc. De quoiremplir un dictionnaire !

Même les petits commerces sepressent d’adopter l’anglais commelangue de travail, estimant que cela leurdonne un air de respectabilité. Quantaux grandes entreprises, elles refusentd’embaucher des jeunes sous prétextequ’ils ne parlent pas l’anglais.

Il fut un temps où l’arabe était lalangue des échanges, la langue qu’onavait envie d’apprendre, celle dessavants, des penseurs et des écrivains.Au Moyen Age, des livres arabes sur lamédecine, l’astronomie, la philosophieet les mathématiques ont été traduitsen latin pour être étudiés dans les uni-versités européennes. Au début duXXe siècle, après un long déclin, larenaissance de la langue arabe a étéentreprise, avec la création de diction-naires. Cela a été couronné de succès :l’arabe a été adopté comme langue offi-cielle dans les instances internationaleset s’est diffusé dans les pays musul-mans non arabes d’Asie et d’Afrique.

Ces progrès ont pu être réalisés grâceà la flexibilité de notre langue et à sacapacité à inventer de nouveauxtermes. Mais aujourd’hui, dans les paysdu Golfe, ses propres locuteurs sedétournent d’elle et cèdent à l’ennemi,qui fait tout pour l’anéantir. Mêmel’Etat est partie prenante du problème,car il est incapable de faire face à cetteévolution. Salah Arkadan, professeurde civilisation arabe et musulmane àl’Université du Golfe, cite l’exempledu Maghreb, où la langue du coloni-sateur français a pénétré la vie sociale.De grands efforts d’arabisation y ontété déployés afin de rétablir le rôle del’arabe, mais sans recevoir suffisam-ment de moyens de la part de l’Etatet sans parvenir à se débarrasser de cethéritage. Dans les pays du Golfe,l’adoption de l’anglais serait un “tributà la mondialisation”, via des entreprisesqui imposent leurs couleurs, leurs sigles,leurs modes de communication, etc.De fil en aiguille, on en arrive à ce queles enfants appellent leur proprepère “Daddy”. Cela s’explique, selon M. Arkadan, par la propension del’homme dominé à vouloir ressemblerà celui qui le domine. Muhi Amer

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 83 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

moyen-orient

▲ Dessin de DanielPudles paru dansThe Economist,Londres.

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TURQU IE

Erdogan, seul maître à bordOn a vu le Premier ministre accaparer tous les micros pendant la campagne pour les municipales du 29 mars.Quitte à éclipser les candidats de son propre parti. Ambiance.

VATANIstanbul

Une des particularités de lacampagne électorale quivient d’avoir lieu [et quia donné le 29 mars une

nette victoire à l’AKP], c’est que lescandidats en lice ont été complète-ment relégués au second plan. Onpeut même dire qu’ils ont carrémentété broyés sous un rouleau compres-seur conduit par les leaders de leurparti. La tactique adoptée par le Pre-mier ministre Tayyip Erdogan – êtresystématiquement au premier plan –peut être vue comme une volontéd’exploiter au mieux son dynamismeet son charisme. Néanmoins, il ne faitaucun doute qu’Erdogan veut mon-trer qu’il est le seul chef, et ce entoutes circonstances. Ce leadershipabsolu semble d’ailleurs avoir étéaccepté par son parti.

Cela fait en effet déjà un bonbout de temps que les propositionset le programme politique de l’AKP[le parti islamique au pouvoir] nesont plus transmis qu’à travers lesparoles d’Erdogan. Les opinions etles idées des ministres du gouverne-ment n’ont plus aucune importancecar, quel que soit le sujet, tout lemonde attend ce que le Premierministre va dire. Les mesures pourfaire face à la crise, c’est Erdogan quien parle, les détails des pourparlersavec le FMI, c’est uniquement de sabouche que nous les apprendrons.Et dans le cadre de cette campagneélectorale pour les municipales, c’estencore et toujours lui qui nousinforme des mesures mises en œuvrepar les municipalités. Dans cesconditions, les ministres tiennent despropos de plus en plus elliptiques,qui peuvent vouloir dire tout et soncontraire. Il est vrai que leur situa-tion n’est pas facile, dès lors que le

Premier ministre peut à tout instantaffirmer l’inverse de ce qu’ils ont ditprécédemment.

CHAQUE PROBLÈME EST UN PROBLÈME PERSONNEL

Au sein du CHP [le principal partid’opposition, kémaliste], la situationn’est pas très différente. Là, c’est le pré-sident du parti, Deniz Baykal, quiexerce la fonction de “chef unique”. Ilsemble s’être satisfait d’une campagnequi s’est limitée à des invectives à l’en-contre de son rival Erdogan, qui les luia bien d’ailleurs rendues, ce qui a eu

pour conséquence de reléguerles candidats maires issusde l’opposition à l’arrière-plan eux aussi. Dans cesconditions, il est inévi-table qu’Erdogan, qui seconsidère comme “le seulchef, le seul porte-parole etle seul décideur”, considèrechaque problème commeun problème personnel. Lamoindre critique contrel’AKP – même sur des ques-

tions au sujet desquelles lesmédias ont pourtant essayéd’adopter une position ména-

geant le gouverne-ment, comme ce

fut le cas avecl ’ a c c i d e n td’avion de la

c o m p a g n i eaérienne nationale(Turkish Airlines)à Amsterdam – estimmédiatement

interprétée par lePremier ministre

comme l’expression d’une cam-pagne orchestrée contre l’AKP.Erdogan sort alors de son cha-peau un exemple de critique demauvaise foi à son encontre pour

ensuite généraliser et accuser tous lesmédias de malhonnêteté.

Dans le fond, il est normal qu’ilréagisse de cette façon, puisqu’il estdésormais le seul chef. Les membresdu Conseil ministériel sont SES

ministres. Les candidats à cette élec-tion étaient SES candidats. Et peuimporte qu’il les ait négligés, puisquela scène lui appartient de toutefaçon. Un chef incontesté ne discutepas. Il n’a pas besoin d’être conseillé.Il donne des ordres et réprimande.Ces élections municipales étaientSES élections. Okay Gönensin

moyen-orient

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 84 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

▲ Dessin de Pérezd’Elias paru dansABC, Madrid.

DIPLOMATIE Ankara reconnaît le Kurdistan (irakien)En visite en Irak, le président turc a pour la première fois utilisé le terme Kurdistanpour désigner le nord de ce pays. En échange, les Kurdes irakiens lui ont promis de liquider le PKK.

L’utilisation par le président Gül du terme“Kurdistan”, fût-ce de manière indirecte,

pour qualifier le nord de l’Irak marque incon-testablement un tournant dans les rapportsentre Ankara et Erbil [capitale du Kurdis-tan irakien]. En réalité, le président a simplement fait allusion à la Constitution irakienne, qui consacre l’existence d’uneadministration régionale kurde dans le norddu pays, appelée Kurdistan tant par ses habi-tants que par les diplomates étrangers et lapresse mondiale. Il s’agit donc d’un termeparfaitement accepté par la communautéinternationale. Comme Abdullah Gül l’a rap-

pelé lui-même, ce que la Grèce continuede nommer “ex-République yougoslave deMacédoine” n’en demeure pas moins qua-lifié de Macédoine par le reste du monde.Jusque-là, dès que l’on évoquait les régionskurdes d’Irak, la Turquie ne voulait entendreparler que du “nord de l’Irak”. Bien entendu,l’attitude ambiguë des Kurdes d’Irak à l’égardde la Turquie, en particulier au sujet du Partides travailleurs du Kurdistan (PKK), n’a pasété de nature à favoriser l’utilisation du termeKurdistan en Turquie. Son utilisation aujour-d’hui montre le chemin qui a été parcourudepuis lors tant sur le plan des rapportsentre Ankara et Erbil que vis-à-vis de l’évo-lution de la question kurde à l’intérieur dela Turquie elle-même.En recourant à ce terme dans un contexteoù il rappelle les Kurdes irakiens à leur devoirà l’égard du PKK, Abdullah Gül a voulu déli-

vrer le message suivant : si vous êtes vrai-ment une entité autonome au sein de l’Irak,vous êtes alors en mesure d’assumer vosresponsabilités et vos engagements. Les lea-ders kurdes irakiens semblent avoir comprisle message. Tant le président irakien d’ori-gine kurde, Jalal Talabani, que Nechirvan Bar-zani, le Premier ministre de l’entité kurdeautonome, ont en effet souligné dans leursdiscours la nécessité de désarmer et de“liquider” le PKK. Les pourparlers actuelsportent ainsi désormais sur la façon demettre un terme aux activités du PKK et, au-delà, en cas de succès, sur la manière dedévelopper une coopération sur le plan éco-nomique ainsi que dans d’autres domainesavec cette région kurde limitrophe de la Tur-quie. La région kurde du nord de l’Irak estbien le voisin de la Turquie. Les deux partiesont alors intérêt à développer de bonnes rela-

tions. Cette visite de Gül en Irak témoignequ’une vision commune entre les deux par-ties est en train de prendre forme.Avec l’utilisation du mot “Kurdistan”, nousconstatons qu’un tabou est tombé. La Tur-quie est désormais en mesure de passeroutre l’allergie et l’inquiétude que ce genrede mot pouvait provoquer. Dans ces condi-tions, le sud-est de la Turquie [à majoritékurde], qui se développe rapidement et oùles droits de l’homme sont respectés, peutdevenir un exemple – voire un pôle d’at-traction – pour ses voisins immédiats. Larégion septentrionale de l’Irak est appeléeKurdistan dans le cadre d’un système fédé-ral inscrit dans la Constitution irakienne.Celle-ci garantit par ailleurs le caractère uni-taire de l’Etat irakien. Il est donc tout à faitnaturel d’appeler cette région par son nom.

Sami Kohen, Milliyet, Istanbul

SURENCHÈRE Plusislamiste que les islamistes

Depuis qu’il est au pouvoir, leParti de la justice et du déve-

loppement (AKP) a été incapablede répondre aux aspirations descouches les plus traditionalistes deson électorat. En particulier sur laquestion du voile, toujours inter-dit à l’université, et sur l’accès àcelle-ci, toujours aussi difficile pourles diplômés des lycées confes-sionnels. Une nouvelle ligne de frac-ture est ainsi apparue au sein del’aile conservatrice de la sociététurque. Le mode de vie prôné parles conservateurs tend certes às’imposer depuis 2002, mais l’onvoit maintenant un fossé se creu-ser entre des communautés demusulmans pratiquants qui se sontenrichis et les couches populairesqui ont été frappées de plein fouetpar la crise, à l’égard desquellesl’AKP se sent désormais mal àl’aise. Jusque-là, cette partie del’électorat ne pouvait que voter pourl’AKP. Ni le très kémaliste Parti républicain du peuple (CHP) ni lepetit parti islamiste Saadet [le Partidu bonheur] ne représentent unemenace. Sauf que, depuis peu, leparti Saadet a été repris en mainpar un jeune économiste, NumanKurtulmus, qui lui a insufflé un dyna-misme nouveau. Résultat, cette for-mation est en train de s’imposertout doucement et de créer dessoucis à l’AKP en détournant unepar t ie de sa base électoraleconservatrice. Cüneyt Ülsever,

Hürriyet (extraits), Istanbul

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SÉNÉGAL

Les électeurs donnent une leçon au président WadeL’élection à la mairie de Dakar devait servir de tremplin au fils du chef de l’Etat dans son parcours pour lui succéder à la tête du pays. Mais les habitants de la capitale en ont décidé autrement.

SUD QUOTIDIENDakar

Jusqu’au 23 mars, avant ledépouillement des votes descitoyens ayant participé aux élec-tions locales, certains étaient plus

que jamais persuadés que le wadisme[le mouvement politique se réclamantdu président Abdoulaye Wade, au pou-voir depuis 2000] serait encore triom-phant. Ils étaient loin de s’imaginerqu’ils laisseraient leur fauteuil auxmembres d’une coalition de l’opposi-tion jusque-là siphonnée par le rou-leau compresseur wadien.

Mais la réalité des résultats duscrutin a mis en évidence une chose :il y aura un avant et un après les élec-tions locales pour Maître Wade. Lechoc du verdict électoral est rude, et lepire n’a pas pu être évité. Le pire, c’estpour le palais de la République. Le scé-nario sombre, mais pas totalement noir,qui a prévalu, n’a donc pas surpris.Sauf le camp de la “dynastie et de lagalaxie”. Car ce sont bien des symbolesqui ont été atteints.

Les défaites de personnalités“emblématiques” du wadisme et de laGénération du concret atteignentdirectement Maître : le maire de Dakar[qui appartient au parti de Wade], sonfils Karim [candidat à Dakar], lesministres originaires de la région deSaint-Louis et ceux de Thiès. C’est unsoufflet que lui ont infligé les citoyens

sénégalais, non sans lui rappeler qu’unpeu de retenue et de méthode ne nui-sent pas quand on cherche des solu-tions à un problème.

Ce rappel à l’ordre républicainn’est pas une mise au point ni uneremontrance. C’est la remise à l’en-

droit d’une vertu jusque-là atterrée faceau vice qui prenait sa “route vers lesommet”. Car, au fil du temps, lesmicros amplifiaient leurs paroles, faitset gestes. Et même s’ils ne buvaient quede l’eau, l’ivresse des applaudissementsleur a fait confondre public et sujets.C’est la sanction de cette “bulle prési-dentielle” en même temps que le refusd’entendre la résonance d’un couplepère-fils se parlant sur le ton de la com-plicité patinée : “Mon enfant, je te pro-tège et tout ce qui est à moi est à toi.”N’avait-il pas déclamé à la face duSénégal une touchante satisfactionpaternelle en lançant à son fils :“Karim, je dirai à ta mère que tu asbien travaillé.” Aujourd’hui, on entendd’ici ce qu’il doit dire à la maman dufils qui a échoué.

LES SÉNÉGALAIS VEULENT QUELE PRÉSIDENT S’OCCUPE D’EUX

Les Sénégalais, grands observateurs dela vie politique, ne sont pas ce peupleque l’on a voulu retourné à l’adoles-cence, en quête d’un vieil oncle sachantmanier tour à tour la caresse et les grosyeux. Ils ont rappelé à Maître les codesd’une république et d’une démocratiedont il s’est allégrement éloigné. Ils luiont rappelé qu’ils ont besoin d’un pré-sident qui s’occupe des Sénégalais, etpas seulement de lui et du bonheur deses proches. Ils ont besoin d’un prési-dent qui ne se fixe pas cet objectif de“sculpter” un fils en modèle. Un chef

qui “salue” à parts égales tous lescitoyens, la république et la démocra-tie. En un mot, un président qui est pré-sident. Est-ce que c’est encore possiblepour lui ? Là est toute la question.Comme en amour, une fois que lecharme est rompu, l’histoire peut-ellerecommencer ? En tout cas, la gueulede bois a changé de camp le 24 mars aumatin. Les vaincus d’aujourd’hui, siprompts, hier, à parader sur les pla-teaux de télévision et à “réagir” sur lesstations de radio, sont devenus muetscomme des carpes. La gestion de leursactions politiques ne s’est résumée, aucours de toutes ces années, qu’à un jetcontinu de coups d’éclat où toutes lesnotions de bien et de mal et tous lesrepères du beau et du laid étaientinversés. Ils n’ont fait que réagir. Orla réaction n’est que l’expression d’unsentiment et elle n’informe finalementque très peu sur l’essentiel.

Résultat ? Un Etat délétère,conduit par des hommes et femmessans vision et sans imagination dansles fossés d’une chienlit programméeque tous les laissés-pour-compte, ras-sasiés de promesses non tenues, affa-més, découragés, humiliés, ont refusé :ils sont sortis de leur muette révoltepour “crever les yeux” de ces politi-ciens, qui nous dirigent derrière lesvitres teintées de leurs voitures ou ense retranchant dans des maisons auluxe insolent.

Henriette Niang Kandé

afr ique ●

POLITIQUE Au revoir, Karim… et bon débarrasL’échec électoral du fils du présidentréjouit un certain nombre de commentateurs locaux qui redoutaient de voir s’installer un pouvoir dynastique.

Nous ne sommes pas dans undrame shakespearien. Les Ides de

Mars ont encore frappé, loin de Rome,où Jules César, malgré les mises engardes répétées de sa femme, décidede se rendre au Sénat, où l’attendentde pied ferme les conspirateurs. Sonentêtement lui vaut un parricide. Envolant au secours de son fils en quêtedésespérée de légitimité, AbdoulayeWade et sa “cour” ont été foudroyéspar le suffrage des électeurs souve-rains, à qui on ne se substitue pas.Dans l’histoire de la République, Wadesera le premier et le dernier présidentà vouloir changer le destin de tout unpeuple pour parachuter son fils au som-met de la gloire. Voilà un rêve qui s’ef-fondre, ou plutôt une illusion qui secogne à la triste réalité des choses.A ceux qui se sont permis de rêverdebout, le réveil est on ne peut plus

brutal et ils risquent d’y laisser plusque leurs cheveux. Les ides de marsqui ont “électrocuté” César se sontfatalement abattues sur les conspira-teurs de la République.Le 22 mars, la souveraineté s’estencore exprimée au Sénégal. La pageKarim Wade [candidat malheureux à lamairie de Dakar] n’était qu’un accidentde parcours, un mauvais songe, un che-veu sur la soupe de la République. Ellesera vite tournée car la bonne graine aété séparée de l’ivraie, malgré le coupd’Etat médiatique que nous a servi laradio RFM à deux jours de la consul-tation électorale. Ce grand oral, ou plu-tôt ce “grand parjury” inopportun, par-tisan et indécent, a porté le discréditsur une chaîne et un groupe pour lequelles Sénégalais avaient beaucoup deconsidération. En ce qui nous concerne,plus rien ne nous surprend désormaisdans ce pays, le meilleur comme le pire,car le virus surgit toujours là où l’on s’yattend le moins. “J’ai toujours été ungagnant, quelqu’un qui n’a jamaisperdu.” Heureusement que l’auteur deces propos n’y croyait pas, encore

moins ceux qui l’ont interviewé, c’étaitjuste du bluff, pour amuser la galerie.Lorsqu’on décide de ramer à contre-courant, on doit être prêt à prendre dela flotte, fût-ce en pleine gueule. Jus-qu’à ce que Karim Wade descendedans l’arène politique, les Sénégalaispouvaient tout pardonner à AbdoulayeWade. Il a fallu que le fils s’en mêlepour que la plus sévère des répri-mandes soit adressée à toute unecongrégation politique. Ils nous font dela peine, ces gens-là. Que ceux qui veu-lent succéder à leur père aillent auTogo, où les fils lorgnent le fauteuil deleur géniteur. Si Brutus a tué César, lesprojets monarchiques de Karim ontcoûté au père président l’estime detout un peuple. Et ça, c’est duconcret… Abdoulaye Wade saura àcoup sûr prendre les mesures qui s’im-posent, devant l’incapacité de son filsà gagner la moindre bataille. Espéronsque les deux ont eu leur dose ; autre-ment, on n’hésitera pas à “remettreça”. Vous en voulez encore ? Il suffitseulement d’en faire la demande.

Momar Mbaye, www.seneweb.com, Dakar

France Musique en direct

de la Villa Médicisdu vendredi 3 avril 18hau dimanche 5 avril 18h

avec Frédéric Mitterrand, Katia et Marielle Labèque,

Antonio Pappano, l'Academia di Santa Cecilia, l’Atelier lyrique de l’Opéra National de ParisLe programme sur francemusique.com

▲ Dessin deRaymond Verdaguer,Etats-Unis.

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NIGERIA

La chasse aux homos est ouverteLe pays le plus peuplé d’Afrique s’apprête à adopter une loi prévoyant d’emprisonner les couples homosexuelsainsi que les personnes qui facilitent leurs relations.

THE GUARDIANLondres

Ceux qui veulent mettre àmal les droits de l’hommes’érigent volontiers endéfenseurs de la vertu et

des intérêts nationaux. A la fin de2001, tandis que Washington prenaitdes mesures draconiennes censéesvenir à bout du terrorisme, le ministrede la Justice américain John Ashcroftdéclarait : “A ceux qui veulent effrayernos concitoyens épris de paix en agitantle spectre d’une liberté perdue, je diraiceci : votre tactique ne fait que rendre ser-vice aux terroristes, car elle sape l’uniténationale et fait fléchir notre détermina-tion. Elle donne des armes aux ennemisde l’Amérique, elle fait hésiter les amis del’Amérique. Elle incite les hommes debonne volonté à garder le silence face aumal.” Bien des gens ont été convain-cus, ou réduits silence par l’intimi-dation. Les sombres conséquences sefont sentir encore aujourd’hui.

Aujourd’hui, au Nigeria, on uti-lise la rhétorique du patriotisme et dela morale pour tenter de justifierl’adoption d’un projet de loi interdi-sant les mariages homosexuels. L’ho-mosexualité masculine est déjà illé-gale, mais ce projet de loi pourraitservir à emprisonner des gens dumême sexe qui vivent ensemble“comme mari et femme ou pour d’autresraisons liées à leur relation homosexuelle”,ainsi que toute personne qui “soit letémoin d’une telle relation, l’encourageou la facilite”. Bien évidemment, ceprojet de loi a été condamné par lesmilitants des droits de l’homme, tantau Nigeria que dans le reste dumonde. Au dire de gays et de les-biennes nigérians, une telle loi seraitla porte ouverte à tous les abus. Defait, comme l’expérience l’a prouvéailleurs dans le monde, une législa-tion censée viser les gays peut servirà éliminer des adversaires politiques.

Toutefois, plusieurs dignitairesecclésiastiques se sont prononcés enfaveur du projet de loi, notamment lerévérend Patrick Alumake, qui ditexprimer le point de vue de l’Eglisecatholique. En réalité, si le Vatican n’estguère favorable à la cause gay, il estopposé à toute pénalisation. Il seradonc intéressant de voir commentRome réagit. L’archevêque Peter Aki-nola est lui aussi un ardent défenseurdu projet de loi. Or la Communionanglicane, à laquelle appartient sonEglise, a appelé à maintes reprises à ladéfense des droits de l’homme, y com-pris pour les homosexuels. Dans unedéclaration en faveur du projet de loi,l’archevêque Akinola commence parsa propre interprétation (contestée) dela Bible, faisant valoir que “toute sociétéqui approuve les unions homosexuellescomme un mode de vie acceptable est enétat avancé de corruption et de décadencemorale. Ce projet de loi a donc pour butde protéger le Nigeria contre l’anéantisse-

ment complet qui suivra la colère de Dieusi de telles pratiques sont reconnues commenormales dans notre pays.” L’hommed’Eglise poursuit par d’autres affir-mations outrancières : “Une part dudessein de Dieu est d’assurer la perpétua-tion de l’existence humaine par la pro-création. Dieu a béni Adam et Eve et leura dit : croissez et multipliez, remplissezla terre et assujettissez-la [Genèse, 1, 28].Le mariage entre personnes du même sexeest une violation de cette injonction divineet ne pourra que mettre en danger l’exis-tence humaine.” Le fait que ces sinistresprédictions ne se soient réalisées nullepart ailleurs dans le monde ne le ferapas changer d’avis.

L’ARCHEVÈQUE DÉNONCE LES INFLUENCES OCCIDENTALES

Les Africains, et en particulier lesNigérians, ont beau avoir joué un rôleimportant dans la reconnaissance etla défense des droits de l’homme, iln’en fait aucun cas : “Nous devons gar-der à l’esprit les différentes étapes de lapernicieuse influence occidentale sur notrepays et notre continent… Le tollé actuelau sujet des droits de l’homme, notam-ment en ce qui concerne le mariagehomosexuel, n’est qu’un nouveau stra-tagème pour semer encore davantage le

désordre dans ce pays.” L’archevêquebrosse un tel tableau de la menacegay et lesbienne que cela justifieraitles mesures les plus dures : “Lemariage homosexuel […] est une per-version, une déviance et une aberration,qui risque d’engendrer un holocaustemoral et social dans notre pays. Il pour-rait aussi aboutir à l’existinction (sic)de l’humanité, il ne faut donc jamais lelaisser s’implanter au Nigeria.” Danscette vision apocalyptique du monde,il peut être trop risqué d’aimer sonsemblable comme soi-même.

Pourtant, en dernière analyse, laviolation des droits de l’homme porteatteinte à la morale et au bien-êtrenational. Selon un ancien juge et avo-cat général de la marine américaine,le maréchal John D. Hutson, “à l’égarddes détenus, la position de la hiérarchieétait la suivante : on avait affaire à desterroristes, des gens tout ce qu’il y a deplus méprisable, des hors-la-loi qu’on pou-vait traiter de manière inhumaine…Nous avons eu Abou Ghraib et ses suites.L’image de l’armée et du pays a été trèsentamée. Notre réputation internationaleva être ternie pour plusieurs générations.”Les autorités nigérianes devraient entenir compte.

Savitri Hensman

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 86 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

afr ique

AFRIQUE DU SUD

Rien n’est trop beau pour les gosses de richesCertains parents dépensent des fortunes pour organiser des fêtes d’anniversaire à leurs enfants. Une tendance qui ne va pas sans susciter un certain malaise.

SUNDAY TIMESJohannesburg

En Afrique du Sud, certains parentsbling-bling n’hésitent à pas débourser1,5 million de rands [118 000 euros]

pour organiser de somptueuses fêtes d’an-niversaire pour leur rejeton. Les pédopsy-chiatres et les spécialistes de l’enfance expli-quent que cette débauche de moyens sertparfois de substitut à l’amour parental etpeut provoquer un certain malaise chez lesenfants moins bien lotis. Les profession-nels du secteur – désormais aussi recher-chés que les traditionnels organisateurs demariage – se frottent les mains, tandis queles parents dépensent des fortunes pouroffrir la fête d’anniversaire la plus extraor-dinaire à leur enfant.

Certaines d’entre elles comprennent uncarrosse de Cendrillon grandeur nature, despochettes-surprises avec bijoux en strass etmême une séance cocooning dans un spacinq étoiles. Les parents ne sont pas oubliéset sont généralement accueillis avec des pla-teaux de sushis, du caviar, du champagne,des parfums de créateurs. Selon SharonSpradbury, spécialiste de l’enfance, lesenfants sont ainsi habitués dès le plus jeuneâge à un mode de vie fondé sur les consom-mations ostentatoires. “Ces fastes ne sontqu’un triste substitut d’amour parental et il est

fort probable que la fête amuse plus les parentsque les enfants”, assure-t-elle. Mais ces fêtesconstituent un élément discriminant entre“les très riches et les moins riches” et peuventsusciter des sentiments de jalousie ou unefaible estime de soi chez les enfants moinsprivilégiés. “Mais le pire, c’est le messageenvoyé aux enfants : si vous êtes riche, mon-trez-le”, déplore Sharon Spradbury.

Louise Scrazzolo, responsable d’un ser-vice de réservation au Health Spas Guide,observe une augmentation du nombre dedemande pour les fêtes d’enfants. “Il s’agitgénéralement d’enfants entre 7 et 15 ans. Maisnous avons déjà eu des demandes pour des petitsde 4 ans”, explique-t-elle. Un forfait coûteen moyenne 480 rands [38 euros] par per-sonne et inclut une boisson offerte, un soindu visage, un massage des pieds avec posede vernis, un massage du dos, de la nuqueet des épaules, ainsi qu’un thé ou un caféavec un muffin. Otto De Jager, organisateurd’événements à Johannesburg, reconnaîtque les parents dépensent des “sommes colos-sales”. “Certains des anniversaires que nousavons organisés coûtaient entre 95 000 et1,5 million de rands”, poursuit-il. Un clientlui a même demandé de recréer la Jérusa-lem d’il y a deux mille ans pour la bar-mitsva de son fils. “Nous avons reproduit leMur des lamentations et, sur la table, nousavons disposé de gigantesques urnes dorées rem-

plies de fruits comme dans l’Ancien Testament.”Créatrice de gâteaux de fête, Lucy Tavaresexplique que ses clients les plus fortunéspeuvent dépenser plus de 2 000 rands[157 euros] pour un gâteau d’anniversaire.“Les parents veulent impressionner leurs amiset font dans la surenchère. Ils veulent toujoursfaire mieux que le voisin.” C’est le cas de Les-ley Higham, qui vit à Durban. L’année der-nière, rien n’a été trop beau pour les cinqans de sa fille. A cette occasion, elle a louéune salle dans un établissement de luxe etl’a entièrement fait décorer avec des acces-soires de la Petite Sirène. Il y avait égalementdes manèges, des spectacles, des coiffeurset des ateliers de création avec du sablecoloré. Aujourd’hui, elle refuse de dire com-bien elle a dû débourser. “Je suis combléequand les invités admirent ce que j’ai fait. Pourl’occasion, j’ai réalisé un gâteau en forme desirène assise sur un rocher parce que c’étaitquelque chose de très spécial. Les parents ontadoré la fête”, explique-t-elle. Une autremère, originaire de la même ville, SubashniMahdeo, a offert à sa fille de 8 ans une véri-table fête de princesse dans leur maison deWestville. “L’argent n’était pas un problème.C’est ma fille unique et je veux le meilleur pourelle. Je veux que chacun de ses anniversairessoit une occasion unique et qu’il reste à jamaisgravé dans sa mémoire”, assure-t-elle.

Subashni Naidoo

▲ Dessin d’ElizabethNogales paru dans El Mundo,Madrid.

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JUIFS & ARABESLes haines, les conflits, les espoirs

HORSSÉRIE

www.courrierinternational.com Février-mars-avril 2009 - 7,50 €

CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX

Enquête sur 80 ansde tragédie

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musulmanes – autant dire que l’importance de l’islamau Brésil demeure une inconnue. En réalité, jusqu’auxannées 2000, il n’y avait pas un intérêt réel à se pen-cher sur une religion qui éveillait plus l’attention dansdes telenovelas que dans le journal télévisé.

Feres Fares, prosélyte fervent de l’islam, a voyagédans tout le Brésil pour réaliser un recensement desmosquées et des mussalas [salles de prière]. Les chiffressont impressionnants. Ces huit dernières années, lenombre aurait presque quadruplé, passant de 32 en2000 à 127 en 2008. Des mosquées sont même appa-rues dans des Etats du Nord comme l’Amapá,l’Amazonas et le Roraima. Le cheikh iranien IshanMohammad Ali Kalandar, auteur de l’ouvrage LesMusulmans au Brésil, affirme pour sa part que, depuisle 11 septembre 2001, le nombre de conversions a beau-coup augmenté. “Les Brésiliens ont pris connaissance dela religion”, fait-il remarquer, ajoutant que “l’islam a

La religion musulmane attirede plus en plus de jeunesAfro-Brésiliens, qui y voientun retour aux sources autantqu’un instrument de luttecontre les inégalités raciales et sociales.

EPOCA (extraits)São Paulo

Cinq fois par jour, leurs regards survolent le bétondes rues irrégulières et cherchent La Mecque, del’autre côté du monde. Pour Honerê, Malik etSharif, prier en direction de ce lieu lointain, qui

paraît exotique à la majorité des Brésiliens, représentele plus court chemin vers eux-mêmes. Ils ont longtempsété Carlos, Paulo et Ridson ; mais ils se sont conver-tis à l’islam et se sont forgé une nouvelle identité. Ilssont pauvres, noirs et, désormais, musulmans. Ils voientdans le Coran une réponse à leurs difficultés quoti-diennes – les mauvais traitements de la police, les vio-lences liées au trafic de drogue ou les difficultés d’ac-cès à l’éducation et à la santé – et à ce qu’ils interprètentparfois comme un “projet d’extermination de la jeunesseafro-brésilienne”.

Ces jeunes hommes diffusent l’islam dans les ban-lieues du pays, notamment à São Paulo, l’utilisantcomme un instrument de transformation politique. Etils se préparent à apporter le message du prophèteMahomet aux prisonniers, dans les prisons. Ils bran-dissent haut la bannière de l’islam, espérant voir se pro-filer un Etat musulman dans l’horizon du Brésil. Pourexpliquer leur choix, ils scandent, lementon fier et le regard orgueilleux :“Un musulman baisse la tête devantAllah – et seulement devant Allah.”

Honerê, originaire de la banlieuede São Bernardo do Campo, aconverti Malik, de la banlieue deFrancisco Morato, qui lui-même aconverti Sharif, de la banlieue deTaboão, qui en convertit d’autres àson tour. C’est ainsi que l’islam pro-gresse dans les banlieues du GrandSão Paulo. Les nouveaux musul-mans ne sont pas nombreux, maisleur présence est de plus en plustangible. Lors des rassemblementsculturels ou politiques des ghettos,on aperçoit toujours quelques ché-chias. La plupart d’entre eux sontnoirs. “C’est un islam de qualité quiprogresse grâce à des personnes quisavent ce qu’elles font”, affirme le rap-peur Honerê Al-Amin Oadq, 31 ans– Carlos Soares Correia, pour l’étatcivil. “A chaque coin de rue, on m’ac-coste en me disant : ‘J’ai déjà entenduparler de toi et je veux connaître l’is-lam.’ C’est notre attitude qui permetde diffuser la religion. L’islam progressepar la conscience et par l’exemple.”

A São Paulo, on es t ime àquelques centaines le nombre deBrésiliens convertis dans les ban-lieues au cours des dernières années.Dans le pays, ils seraient quelquesmilliers. Le nombre total de musul-mans au Brésil est incertain : à peineplus de 27 000 selon le recensementde l’an 2000, mais de 700 000 à3 millions selon les organisations

toujours été accueilli d’abord par les plus pauvres”. SelonAli Hussein El-Zoghbi, directeur de la Fédération desassociations musulmanes du Brésil, trois facteurs sontessentiels pour comprendre cet intérêt : le croisementd’icônes musulmanes avec des personnalités impor-tantes de l’histoire du mouvement noir, l’accès à desinformations instantanées par Internet et l’améliora-tion en termes structurels des organisations brésiliennes.“Les fils des Arabes qui sont arrivés au Brésil après la guerreont atteint un niveau d’éducation et de connaissance quia permis la progression du prosélytisme et un plus grandrapprochement avec la culture brésilienne”, affirme-t-il.

La présence de l’islam dans les médias depuis l’at-tentat contre les Tours jumelles, renforcée par l’inva-sion américaine de l’Afghanistan et de l’Irak, aurait euun double effet : d’abord en renforçant l’identité musul-mane des descendants d’Arabes éloignés de la religion,qui se sont sentis persécutés et diffamés ; ensuite enattirant des Brésiliens n’ayant aucun lien avec l’islam,mais dont le sentiment de marginalité est important.Ce dernier phénomène a éveillé l’intérêt de l’ambas-sade des Etats-Unis au Brésil, comme en témoigne cetextrait d’un rapport de 2008 sur la liberté religieuse :“Les conversions à l’islam ont augmenté récemment parmiles citoyens non arabes.”

Les jeunes convertis apportent à l’islam la culturehip-hop et une formation politique issue du mouve-ment noir. En se prosternant devant Allah, ils ont l’im-pression de revenir à la maison après un long exil, l’is-lam noir puisant ses racines dans le Brésil esclavagiste.

Pour raconter cette histoire, il faut revenir en 1835,à Salvador de Bahia, où la révolte des Malês [leur nomproviendrait du terme yoruba imalé, “musulman”],

Islam hip-hop dans les favelasDE L’ESCLAVAGE À ALLAH

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▼ Carlos SoaresCorreia est devenuHonerê Al-AminOadq, un desprincipaux leadersmusulmans de la banlieue de São Paulo.

reportage●

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menée par des Noirs musulmans, a constitué le soulè-vement d’esclaves urbains le plus important de l’his-toire du pays. Peu cité dans les livres scolaires, cet évé-nement a, grâce au rap, touché les banlieues après unlong silence. Il s’est ajouté à l’héritage du militant afro-américain Malcolm X, découvert grâce au film de SpikeLee en 1992, et aux événements du 11 septembre, quiont engendré des théories du complot popularisées surla Toile. C’est cet islam qui a atteintles convertis les plus récents. SãoPaulo, noyau dur du hip-hop auBrésil, est le plus touché par ce phé-nomène. La tentaculaire banlieuede São Paulo est, comme le disentles poètes marginaux, la “senzalamoderne” [la senzala est l’endroitoù v iva ient l e s esc laves des plantations]. Et chaque nouveauconverti croit sentir en lui un peude Malê. Ce n’est pas par hasard siMano Brown, le plus importantrappeur brésilien, qui n’est pasmusulman, chante dans Esprit debandit : “[…] Noirs de 2010/Fans deMumia Abu-Jamal, Oussama,Saddam, Al-Qaida, des talibans, del’Irak, du Vietnam/Contre les boys,contre le GOE [Groupe d’opérationsspéciales, l’unité d’élite de la police deSão Paulo], contre le Ku Klux Klan.”

“Je suis un peu effaré par le lan-gage de certains rappeurs, mais leur dis-cours s’est répandu. Une fois que le feu a pris dans les buis-sons, il se propage. L’islam est tombé au cœur de la banlieue”,estime Valter Gomes, 62 ans. Dans les années 1990,il a “plaidé” avec une grande véhémence devant lesorganisations du mouvement noir des ghettos et del’ABC de São Paulo [région industrielle au sud-estde la mégalopole, dont les trois principales villes sontSanto André (A), São Bernardo do Campo (B) et São

Caetano do Sul (C)] ; il y a défendu l’idée que le salutpour les Afro-Brésiliens viendrait de l’islam. “Frères,vous voulez lutter, mais vous n’avez pas d’objectif. Je vousapporte un objectif et un étendard. L’objectif, c’est le para-dis ; l’étendard, c’est l’islam.”

Ces paroles ont enflammé le cœur de certains rap-peurs, qui cherchaient depuis longtemps un cheminunissant dieu et idéologie. Tant que l’islam évoquait

seulement une religion ethnique, arrivée au Brésil parl’intermédiaire des immigrés arabes de la seconde moi-tié du XIXe siècle, il n’y a pas eu d’identification. Mais,lorsque le mouvement noir et, par la suite, le rap ontdiffusé la révolte des Malês comme une réaction defierté dans une histoire marquée par la soumission, lareligion est devenue un moyen de sauver ses racines.Les jeunes musulmans ne disent pas qu’ils se conver-tissent, mais qu’ils se “retournent” – ou qu’ils renais-sent. Le mot a pour eux un double sens : récupérer uneidentité séquestrée par l’esclavage et s’inscrire dans unetradition dont on peut être fier. Les églises évangéliquesnéopentecôtistes – qui se sont multipliées à partir des

années 1980, notamment dans lesbanlieues et dans les prisons –n’avaient rien d’attrayant pour lesjeunes Noirs en quête d’identité etsans vocation pour suivre le trou-peau. “Dans l’église évangélique de ma mère, l’histoiredu Christ pardonnant tout me gênait. J’avais déjà eu droità des coups de matraque de la police, des coups bien réels. Lejour où il y aura une autre bagarre, il faudra que je tendel’autre joue ?” assène Ridson Mariano da Paixão, 25 ans.“Je ne suis pas dans cet état d’esprit passif. Grâce àMalcolm X, j’ai découvert que l’islam nous permettait denous défendre.”

Ridson est devenu Dugueto Sharif Al-Shabazz en2005. Son nom fait la synthèse historique de la tra-jectoire de l’islam dans les banlieues brésiliennes. Leprénom Ridson [“fils délaissé”, en anglais] a été choisipar son père, un Noir facétieux. Dugueto est le nomd’un groupe de rap qui renvoie au mot ghetto ; Sharifest emprunté à un personnage d’un film de gangsters ;Shabazz provient du nom islamique de Malcolm X.

Cette génération ne pardonne pas non plus aucatholicisme son mutisme lors de la période de l’es-clavage africain. “Ma famille est catholique, mais, en fai-sant des recherches historiques, j’ai découvert que l’Egliseavait soutenu l’esclavage. Ils affirmaient que les Noirsn’avaient pas d’âme, souligne Honerê. Sans compter queJésus était blanc, les anges étaient blancs aussi. Et tout cequi était mauvais était noir.” Honerê est devenu un desprincipaux divulgateurs de la religion dans l’ABC. Ilest actuellement l’un des dirigeants du Mouvementnoir unifié [apparu en 1978] et travaille au Centre dedivulgation de l’islam pour l’Amérique latine. Pour luicomme pour la majorité des musulmans noirs, peuimporte que la race n’existe pas en tant que conceptbiologique. C’est avant tout un concept culturel à l’ori-gine de toutes les asymétries socio-économiques quiont déterminé leur existence et qui aujourd’hui repré-sente un élément fondamental dans la construction deleur identité, y compris religieuse. Il raconte comment

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 89 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

▲ La mosquée BilalAl-Abashi rassemble150 Africains et Brésiliens tous les vendredis.

▲ Malik et Sharifrêvent d’un Etatislamique au Brésil et militent dans les prisons.

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Carlos Soares Correia s’est transformé en HonerêAl-Amin Oadq au milieu des années 1990.

“Ma mère était domestique chez des Blancs ; elle a sou-vent été traitée de ‘misérable négresse’. Je me rendaiscompte qu’à l’hôpital ou ailleurs ceux de ma couleur étaientles seuls à faire face à des difficultés. Il n’y a pas un Noirdans ce pays qui n’ait une histoire de discrimination à racon-ter. Alors, j’ai décidé de partir à la recherche de ma proprehistoire. C’était l’époque où le rap était de la musique deNoirs pour les Noirs. Et le rap m’a fait découvrir Malcolm X.Ensuite, j’ai découvert l’histoire des Malês. Ils ne buvaientpas, ne fumaient pas, savaient écrire ; ils étaient instruits.S’ils avaient réussi à s’emparer de [Salvador de] Bahiace jour du 25 janvier 1835, ils auraient eu le pays entre leursmains, et le Brésil serait un Etat musulman.”

A l’époque, la révolte des Malês a non seulementébranlé le Brésil, mais aussi la communauté interna-tionale. Des journaux de Londres, Boston et New Yorkont relayé les événements, qui se sont achevés avec lamort de 70 rebelles et des condamnations – à des peinesde prison, à la peine de mort ou à la déportation enAfrique – pour plus de 500 autres.

Avant d’opter pour un nom musulman, Honerê afait partie des fondateurs de l’une des plus anciennesposses de hip-hop en activité, la Haussa. Les posses sontdes groupes qui réunissent des personnes ayant des affi-nités culturelles et politiques afin d’atteindre des objec-tifs communs. Les Haoussas étaient à la tête de révoltesd’esclaves dans la région de Bahia au début duXIXe siècle. Musulmans, ils étaient originaires de ce quiest aujourd’hui le nord du Nigeria et fuyaient une guerrereligieuse qui a fourni nombre d’esclaves au traficnégrier. Deux siècles plus tard, la Haussa rassembleuniquement des Noirs, 40 jeunes de l’ABC. Le nom a

été choisi “parce que les Haoussas ne se laissaient pas domi-ner ; ils avaient des convictions et étaient soumis seule-ment à Dieu”. Rappeur et ancien prisonnier, Leandrofait partie de ceux qui se sont intéressés à la religion envoyant la réalité imiter le cinéma catastrophe holly-woodien. “J’ai compris qu’il existait un peuple avec uneattitude différente en Palestine, en Irak, en Afghanistan. J’aicommencé à chercher à en savoir plus ; j’ai rencontré Maliket j’ai fini par me ‘retourner’, dit-il. Mon épouse et moi,nous voulons étudier pour diffuser l’islam. Parce qu’il n’y apas mieux que ceux qui viennent des favelas, comme nous,pour parler avec les jeunes qui y vivent. Alors que, si un mecy va habillé en arabe, les Blacks seront morts de rire.”

Leandro a monté il y a un an, dansune favela à l’est de São Paulo, leprojet Istambul Futebol e Educação,avec 25 gamins en situation difficile.Les moyens financiers proviennent d’un musulmanmilitant en Syrie. L’action sociale répond au projet poli-tique, qui voit dans l’islam une réponse aux statistiquesde la violence. “On ne s’organise pas ainsi par racisme ;nous n’avons pas de problèmes avec d’autres couleurs ouraces. Nous voulons simplement que les Afro-Brésilienss arrê-tent de mourir à 20 ans. Ceux qui meurent jeunes au Brésil,ce sont ceux qui ne connaissent pas leurs origines et n’ontpas eu accès au savoir. C’est un génocide de la populationde banlieue qui existe depuis l’époque de la senzala, affirmeMalik. Depuis que je suis devenu musulman, je ne bois pas,je ne fume pas, mes enfants ont un père et une mère, uneéducation et une vie réglée.”

Malik est le président du Centre de développementislamique brésilien (NDIB), l’organisation la plus com-bative du nouvel islam noir. Les militants du NDIB (aunombre de huit) croient que l’islam peut être une alter-native à la conversion évangélique, massive dans les pri-sons brésiliennes. Pour son projet politico-religieux,entrer dans les prisons est stratégique, et le POCC[Prisoners of Conscience Committee, le Comité desprisonniers de conscience] de Hampton Jr. [fils d’unleader des Black Panthers] est un partenaire important.“Les prisonniers sont devenus croyants [évangéliques] fauted’alternative, parce que le dernier choix du détenu, c’estde devenir évangélique”, affirme Leandro. “L’islam estune construction de la connaissance. Nous voulons travailleren apportant cette conscience, en construisant l’histoire dechacun et en montrant qu’ils sont des prisonniers politiques,indépendamment du délit qu’ils ont commis”, précise Sharif.

En 2009, le NDIB souhaite initier la constructionde Nova Medina, une communauté musulmane capabled’accueillir les convertis de plusieurs endroits de la péri-phérie de São Paulo. Nous rêvons d’un quartier musul-man où il n’y ait pas de bars servant de l’alcool au coin desrues, où l’on ne vende pas de viande de cochon, où nos enfantspuissent étudier dans des écoles islamiques et où nos femmesne soient pas appelées mulher-bomba [femme-bombe]”,précise Malik.Pour cela, ils pensent acquérir un lopinde terre et faire un lotissement.

Coiffé d’une chéchia jaune et verte [couleurs dudrapeau brésilien] – symbole de sa condition de musul-man brésilien qui n’accepte pas de changer de nom –,Valter Gomes remet tout entre les mains d’Allah. Il ales yeux humides lorsqu’il affirme : “Allah dit dans leCoran que pour chaque peuple il existe un prophète qui parlesa langue. Alors, qui sait s’il n’y a pas un petit Black pleinde peps et de rimes qui va apparaître en banlieue ?”

Eliane Brum

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 90 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

▲ A São Paulo, des Brésiliennesconverties à l’islam.

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accès à ses correspondants à unnombre croissant d’organes de presse,par exemple The Daily News et leBoise Weekly, dans l’Idaho. CBS RadioNews a récemment signé un contratnon exclusif qui lui permettra de faireappel aux correspondants de Global-Post en cas de besoin pour venir renforcer ses propres journalistes,explique Harvey Nagler, chargé de laradio au sein du groupe.

M. Balboni, qui a créé la chaîneNew England Cable News, est unpartisan convaincu du journalisme àbut lucratif . “Je suis fermementconvaincu que la discipline du marchéproduit une organisation plus forte. Ellepermet aux entreprises d’être autosuf-fisantes et leur évite de se tourner vers legouvernement ou des fondations”, quisont parfois versatiles. Alan D. Mut-ter, un investisseur qui analyse lesmodèles d’entreprise du secteur del’information sur le blog Reflections ofa Newsosaur, fait l’éloge de GlobalPostlors d’un entretien. Ce modèle est,selon lui, “profondément moderne danssa méthode de génération de recettes caril a compris qu’il n’y avait pas que lapublicité ou les abonnements. Il a iden-tifié toutes les sources de recettes aux-quelles j’ai pensé.” Certaines questionsdemeurent cependant. Par exemple,combien d’organes de presse ont-ilsencore les moyens de payer pour lesarticles de GlobalPost ? Le site pourra-t-il créer des contenus qui attireront suffisamment d’abonnés ? “J’ai vud’autres éditeurs qui proposaient descontenus de qualité, mais pas suffisam-ment bons pour qu’on ait envie de leurfaire un chèque”, précise-t-il.

“C’est assurément un modèle tournévers l’avenir, mais reste à voir s’il trou-vera un public et s’il pourra se concré-tiser, ajoute-t-il. Je pense que tout lemonde lui souhaite de réussir parce qu’iltouche de près ce que sera l’avenir del’information.”

Elizabeth Jensen

THE NEW YORK TIMESNew York

Les correspondants à l’étran-ger figurent parmi les pre-mières victimes des réduc-t ions budgéta i res qui

frappent la presse d’information.GlobalPost, une entreprise Internetimplantée à Boston et lancée le 12 jan-vier, a donc un créneau. Et si de nom-breux patrons de presse étudient àl’heure actuelle des modèles d’activiténon rentables pour conserver un jour-nalisme spécialisé, GlobalPost entendbien gagner de l’argent. Avec 65 cor-respondants à l’étranger recrutés parmila foule de journalistes expérimentésqui sont bien décidés à continuer à tra-vailler dans leur spécialité alors que lesemployeurs potentiels disparaissent,GlobalPost propose un mélange d’in-formations et de chroniques interna-tionales avec lequel seuls de raresgroupes de presse peuvent rivaliser.

Parmi les récents articles qu’onpeut consulter gratuitement sur <glo-balpost.com>, on trouve des consi-dérations sur la rébellion islamiqueen Thaïlande et sur les yogis indienspréoccupés par la crise économique.Ces papiers financés par la publiciténe représentent qu’une partie desactivités de GlobalPost. Le site com-porte également une section payante,qui devrait être en ligne début avril.Intitulée Passport, elle permet d’avoiraccès aux correspondants de Global-Post : on y trouvera entre autres des

articles exclusifs sur des sujets éco-nomiques qui intéressent moins legrand public, des téléconférences etdes rencontres avec les journalistes,ainsi que des scoops et des courrielsdesdits journalistes.Les abonnés, qui paient la coquettesomme de 199 dollars [150 euros] paran, peuvent proposer des sujets.“Quand on est membre, on a voix auchapitre éditorial”, explique CharlesSennott, cofondateur et directeur exé-cutif de GlobalPost. C’est cependantle site qui décidera des sujets auxquelsil donnera suite. Passport doit donneraux abonnés le sentiment d’appar-tenir à une “communauté”, faute de

quoi ceux-ci risquent de considérerles salles de rédaction comme des“forteresses impénétrables”. Les correspondants de GlobalPost, parmilesquels Caryle Murphy, anciennecorrespondante du Washington Posten Arabie Saoudite, et Matt BeynonRees, ancien correspondant dumagazine Time à Jérusalem devenuromancier, sont payés en plus pourtravailler pour Passport. Ils reçoivent1 000 dollars par mois pour quatrearticles plus des parts dans l’entre-prise. Le site a reçu 500 candida-tures, déclare M. Sennott.

LE SITE VEND SES CONTENUS À D’AUTRES JOURNAUX

Seules une trentaine de personnes sesont abonnées à Passport, confie Phi-lip Balboni, autre cofondateur et PDGde GlobalPost. Le site sous-traite lemarketing pour trouver des abonne-ments, certains à tarif réduit, et compteavoir plus de 2 000 abonnés d’ici à lafin de l’année. Après deux mois d’ac-tivité, la demande pour le site gratuit– le pilier de l’entreprise – dépasse lesprévisions. Le site a enregistré250 000 visiteurs l’ayant consulté aumoins une fois – M. Balboni en atten-dait 90 000 – et 1,1 million de pagesvues. Plus de la moitié des visiteursreviennent. “Les gens ont manifestementaimé ce qu’ils ont vu”, confie M. Bal-boni. Les visiteurs viennent de tousles pays, sauf la Corée du Nord, leTchad et l’Erythrée.

La publicité reste faible, recon-naît M. Balboni. Liberty MutualInsurance a signé un contrat d’un anet la Fletcher School of Law andDiplomacy de l’université Tufts passedes annonces à titre expérimental.“Ça prendra du temps, reconnaîtM. Balboni. Le marché est très bas.”Plus encourageant, GlobalPost est entrain de développer une troisièmesource de revenus, en fournissantmoyennant finance des articles et des

Avec “GlobalPost”, l’information a un prixTENDANCE ◼ Au momentoù les reportages se font rares, un nouveau site remetdes correspondantsau travail.

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COURRIER INTERNATIONAL N° 961 91 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

▲ Dessin de Pudles,Grande-Bretagne.

EXPÉRIENCE Une voix radicale mais gratuite en Finlande

Voima existe depuis dix ans. La publica-tion finlandaise rappelle un peu ce

qu’était Nöjesguiden, le guide des sorties deStockholm, au début des années 1990, l’en-gagement politique en plus. Reportages, inter-views, chroniques et critiques sur tous lessujets – de la politique étrangère au fémi-nisme, en passant par les occupations d’im-meubles et les nouveaux mouvementssociaux – se mêlent à des publicités pourdes films ou des livres.La rédaction est installée dans un immeubledu quartier ouvrier de Sörnäinen, dans lenord d’Helsinki. A l’entrée du bâtiment, rienne laisse deviner sa présence. Dans lesbureaux règne un charmant désordre : cou-loirs encombrés, meubles fatigués et livresempilés. Les postes de travail sont à touche-touche. Voima est né en 1999, lancé par ungroupe d’amis impliqués dans le Comité fin-landais pour la paix, le mouvement écolo-giste Les Amis de la Terre et la Société fin-landaise de protection de la nature.

“Nous nous inquiétions de l’évo-lution de la démocratie dans lemonde et nous voulions lancerun journal gratuit à fort tiragepour aborder ce type de ques-tions. Les autres gratuits d’Hel-sinki étaient plus axés sur les loi-sirs et la consommation. Nousvoulions faire quelque chose deplus politique, d’indépendant, deplus engagé”, raconte TuomasRantanen, qui était à l’époquesecrétaire général adjoint de laSociété de protection de la na-ture et qui occupe aujour-d’hui les postes de directeurgénéral et de responsable dela régie publicitaire à Voima.Bien sûr, même à l’époque, il existaitd’autres journaux radicaux en Finlande,mais leur diffusion était limitée, avec des ti-rages de seulement 2 000 ou 3 000 exem-plaires. L’ambition était de créer un journal

qui toucherait un large public.“Nous n’avions pas d’argent,mais nous pensions que la pu-blicité fonctionnerait parce quenous nous adressions à tousles jeunes adultes de 20 à39 ans ayant un intérêt pour laculture et la politique. Même siles annonceurs ne partageaientpas nos points de vue, ils se-raient intéressés par notrecible”, poursuit-il. Et cela a mar-ché. Les trois premiers nu-méros de Voima ont été fi-nancés par les sociétaires,mais, depuis, le journal est fi-nancièrement autonome. Lesrecettes publicitaires s’élèvent

à 40 000 euros par numéro. Le journal sortdix fois par an, avec un tirage de 50 000 exem-plaires et une diffusion dans les restaurants,les cafés, les cinémas, les écoles et les uni-versités de toute la Finlande.

Jari Tamminen est journaliste à Voima. Il prendla voiture de la rédaction et part livrer le jour-nal à Helsinki, Tampere et Turku. Le reste estenvoyé par la poste. En plus de signer desreportages et des critiques, il est responsablede la contre-publicité façon Adbusters. Voimaa ainsi tourné en dérision Volvo, Nokia et labrasserie Lapin Kulta, entre autres. “Ilsétaient tellement furieux, à Volvo, qu’ils étaientà deux doigts de nous traîner en justice”,se souvient Jari Tamminen. Voima a égale-ment fait parler de lui à propos d’uneenquête sur l’ancien président finlandaisMartti Ahtisaari, qui a reçu le prix Nobel dela paix à l’automne 2008. Le journal s’appuie sur une base militante etpossède un réseau d’environ 500 collabo-rateurs free-lance. Aujourd’hui, dix personnestravaillent à la rédaction, contre trois audépart, mais le principe consistant à alter-ner les postes continue de s’appliquer,explique Tuomas Rantanen.

Annika Hallman, Ordfront, Stockholm

▲ ■ A la une “J’ai besoin de vous pourl’OTAN”, lance l’ancienprésident Martti Ahtisaari.

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NRC HANDELSBLADRotterdam

V ous voyez ? Nous, les agricul-teurs ordinaires, nous nesommes pas des pollueurs.”Voilà une réaction. Mais il y

en a d’autres, comme : “Cette étude estpourrie !” Dans les forums Internetconsacrés à l’agriculture, les opinionsdivergent à propos d’une enquêterécente dont il ressort que la pratiqued’une agriculture intensive, utilisantdonc engrais chimiques et pesticidesen grandes quantités, est plus favorableà l’environnement que l’agricultureextensive, pourtant souvent considé-rée comme moins nocive. L’argumentprincipal repose sur la nécessité liéeà l’agriculture extensive de toujourstrouver de nouvelles surfaces culti-vables, la plupart du temps au détri-ment des espaces naturels. Or, cesespaces ont aussi de la valeur. Unarticle concernant cette enquête polé-mique a été publié dans le numéro defévrier de la revue Agricultural Systems,mais le papier était déjà en ligne depuisplusieurs semaines.

Le débat à propos des effets del’agriculture sur l’environnement estanimé, et ce depuis des années. Dansla version intensive, l’utilisation d’en-grais chimiques et de pesticides pol-lue ; il faudrait donc la réduire à unminimum. Dans la version extensive,sans tous ces moyens chimiques, la

récolte à l’hectare est moindre et, parconséquent, le besoin de terres estsupérieur – ce qui provoque aussi desdégâts pour l’environnement. Face àce dilemme, un groupe de chercheurs,dont Frits Van Evert, de l’université deWageningen, a tenté de déterminer lesconditions de durabilité optimale del’agriculture.

ATTRIBUER UNE VALEURFINANCIÈRE À TOUT

M. Van Evert explique : “Quand on culti-ve du blé, par exemple, on a besoin desemences, d’engrais chimiques, de pesti-cides, de gazole, etc. On produit alors dublé, mais aussi des nitrates dans la nappephréatique et des émissions de gaz à effetde serre. En exprimant sous la formed’une valeur monétaire tous ces moyensde production et la production même, eten divisant le produit de la récolte parle coût total correspondant, on peut cal-culer la durabilité du processus. L’idée estde calculer la façon la plus efficace de pro-duire des denrées agricoles aujourd’hui,en prenant en compte tous les facteurs,notamment les intérêts environnemen-

taux.” Pour la plupart des facteurs, l’at-tribution d’une telle valeur n’est pascompliquée : en ce qui concerne le bléet le gazole, on utilise les prix du mar-ché, et quant au coût que représentepour une société d’épuration d’eau letraitement destiné à rendre une eaupotable, il correspond aussi à un mon-tant donné. Même 1 kilo de CO2 a unprix, fondé sur le coût de la luttecontre le changement climatique. L’as-pect le plus délicat de l’étude a été dedéterminer le prix de la surface deterres supplémentaires nécessaire àune agriculture plus extensive.Comme les chercheurs étudiaient lasituation en Grande-Bretagne, ils sontpartis du principe qu’il fallait pour celadéboiser, les forêts étant le type d’es-paces naturels le plus fréquent dansce pays. “Nous avons utilisé une étudeprécédente dans laquelle une valeur a étéattribuée à plusieurs types de nature.Quand on déboise, on augmente le risqued’inondations ; il faut donc construirede plus hautes digues ou accepter que sou-dain, certaines années, la cave soit inon-dée. Les forêts se sont donc vu accorder

Et si l’agriculture intensive était la plus écologique ?CONTROVERSE ■ En évaluant les atteintes portées par l’agriculture à l’environnement, une étudeuniversitaire montre que l’utilisationd’engrais chimiques ne seraitfinalement pas si mauvaise…

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écologie ●

i n t e l l i g e n c e s

▶ Dessin de Kazanevsky,Ukraine.

une certaine valeur en euros par an pourla prévention des inondations. Et c’estainsi que l’on a procédé pour toutes sortesde paramètres, comme la préservation dela variété génétique des plantes et le main-tien des populations d’insectes”, expliqueFrits Van Evert. Les chercheurs ontaussi calculé la productivité par hec-tare des terres agricoles pour différentsproduits, comme le blé, les pommesde terre et le bétail.

Sur la base de ce modèle, il estdonc apparu que, dans presque tousles cas, l’agriculture intensive est moinscoûteuse pour l’environnement quel’agriculture extensive. Selon M. VanEvert, “l’extensification de l’agricultureest une bonne chose pour un seul hectaremais, comme la récolte est moins bonne,il faut aussi s’assurer que de nouvellesterres soient réservées à l’agriculture. Celacoûte de l’argent et fait du tort à l’envi-ronnement, car le paysage perd sa fonc-tion d’origine. Il ressort de ces calculs quec’est avec à peu près la quantité d’engraischimiques utilisée actuellement par lesagriculteurs en Europe occidentale – uneutilisation plutôt intensive – que les dégâtspour la nature sont le plus réduits.”

Bien que le modèle parte d’unesituation anglaise, M. Van Evertestime que la conclusion selonlaquelle l’agriculture intensive seraitplus favorable à l’environnement quel’extensive est valable pour biend’autres régions. “Dans l’étude, noussommes partis du principe qu’il fallaitsimplement déboiser. Bien entendu,quand on prend par exemple une forêttropicale, elle a une valeur nettementsupérieure ; quand on prend des maré-cages, on atteint même une valeur vingtfois supérieure. Par conséquent, si nousdevions revoir ces valeurs en fonction desnotions actuelles, elles seraient encore plusélevées, ce qui serait encore plus défa-vorable pour l’agriculture extensive.”

Jop de Vrieze

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KOMPASJakarta

Il est 17 h 30 au village de MuaraMedak, dans la province de Suma-tra-Sud. Tamat, 40 ans, allume leslampes à pétrole pour éclairer sa

maison. D’autres voisins se sontregroupés chez eux. Depuis deux mois,lorsque la nuit tombe, les habitants ces-sent toute activité à l’extérieur. Ils allu-ment les lampes et verrouillent leursportes. Neuf personnes – dont plu-sieurs braconniers qui abattaient desarbres – ont en effet été retrouvées sansvie, dévorées par des tigres dans la forêtprès de leur village. Les villageoisn’avaient jusque-là jamais connu detelles attaques en série. “Nous n’avonsjamais vu ces tigres, mais les faits sontlà. Toutes ces attaques se sont produitesla nuit. Nous avons peur”, raconte Gun-tur, 35 ans. Quand le soleil se couche,le village ressemble à un hameau mort.Pas un habitant n’ose s’aventurer hors

de chez lui pour aller jouer aux domi-nos avec ses voisins. Sur les cinquantefamilles qui vivaient dans le village, iln’en reste que vingt. Cinq des neufattaques se sont produites dans uneforêt qui s’étend sur 100 000 hectaresaux confins des provinces de Sumatra-Sud et de Jambi.

Un autre conflit entre les tigres etles hommes s’est produit à NagariDurian Tinggi, dans la province deSumatra-Ouest. Fin février, Syarfud-din, un braconnier de 53 ans, a été prispar la police, alors qu’il s’apprêtait à

vendre la peau et les os d’un tigre qu’ilavait empoisonné. Selon le rapport dubureau d’action de préservation destigres de Sumatra publié par le minis-tère des Forêts en 2007, 3 994 kilosd’os de tigre de Sumatra auraient étéexportés illégalement vers la Corée duSud entre 1970 et 1993. On pensait cetrafic terminé mais il continue, bienque les tigres se fassent rares.

Dans le village de Sungai Gelam,en plus de la forêt immense, on trouvequarante-deux puits de pétrole et plu-sieurs champs de gaz exploités par Per-

tamina [la compagnie nationale despétroles indonésiens]. Mais cetterichesse n’apporte aucune prospéritéaux habitants du cru. Aucune routen’est asphaltée et beaucoup de mai-sons n’ont pas l’électricité. Et la situa-tion a empiré depuis l’effondrementdu prix des noix de palme. Lesrichesses naturelles profitent auxgrosses compagnies, aux patrons desplantations, aux administrateurs locauxet aux bûcherons étrangers au village.Un grand nombre d’habitants de cetterégion sont en fait des migrants venusde Java-Est. Ils sont arrivés entre 1990et 2001. Ils travaillent sur les planta-tions de noix de palme ou de latex. Larégion voit aussi déferler des bûche-rons de Jambi ou de Palembang. Leurnombre a fortement augmenté depuissix mois avec l’implantation d’unecompagnie de contreplaqué qui leurouvre la voie pour couper des arbresdans une partie de la forêt qui est enthéorie protégée, hors des limites deproduction où opère officiellementcette compagnie. Il y a aussi des étran-gers à la région qui s’installent sur cespans de forêt protégée lorsqu’ils sontdévastés et y plantent des palmeraies.

Gandhi disait que la terre contientassez pour les besoins de chacun, maispas assez pour la cupidité de tous. Ilsemblerait que ces attaques de tigressoient une vengeance contre ce pillagesauvage. Mohamad Burhanudin

Rapacité des hommes, colère des tigresCOEXISTENCE ■ L’exploitation à outrance de la forêt pousse les grands fauves à attaquer les villageois. Ceux-ci paient ainsile prix d’abus économiques dont ils ne profitent même pas.

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écologie

▶ “Non, le goûtne me plaît pasparticulièrement,mais tout porte à croire que c’est un puissantaphrodisiaque.”Dessin paru dans le NewScientist, Londres.

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CE QUI SE PASSE

DANS LE MONDE,

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“Les crayons de Courrier international”

présentés par Odile Conseil

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Les individus ont beau être généreux et dévoués,le destin se montre rarement tendre envers eux :les hommes se font tuer, les femmes enlever, tan-dis que la police bat les innocents sans défense etque les puissants piétinent les pauvres. Les bar-rières de classe et de richesse, en apparence peumarquées, s’avèrent infranchissables. Jaglani, lerégisseur sans scrupules, s’empare de l’époused’un autre homme. “S’il vous plaît, monsieur Chau-drey, vous et moi avons grandi ensemble à Dunyapur,nous avons joué ensemble enfants, supplie le mari. Jevous en prie, ne prenez pas ce qui est à moi. Vous aveztellement et moi si peu.” “Si j’ai autant, c’est que ceque je voulais, je l’ai pris, répond Jaglani. Dégage !”

Si Other Rooms ne ressemble à rien de ce quia été publié récemment en Inde, c’est entre autresparce que les deux pays ont emprunté des che-mins très différents depuis la partition, en 1947.En Inde, au lendemain de l’indépendance, le Partidu Congrès a brisé le pouvoir des propriétairesterriens à coups d’impôts sur le revenu et deréformes agraires qui ont morcelé leurs domaines.Le Pakistan n’a jamais adopté de législation simi-laire et a continué à être dominé par sa vieille éliteféodale, comme l’était jadis la Russie tsariste.

Les auteurs indiens anglophones les plusconnus sont ainsi le produit de la classe moyenneurbaine et résident le plus souvent à Londres ouà New York. Il n’y a pas d’équivalent indien deDaniyal Mueenuddin vivant sur sa propriétécomme Tolstoï ou Tourgueniev.

Le critique Pankaj Mishra s’en est pris à la“version séduisante” de l’Inde fabriquée par lesauteurs anglophones de la diaspora, qu’il qualified’“élite cosmopolite du tiers-monde” dont les romans“sont empreints de nostalgie”. Nul ne peut faire cereproche à Mueenuddin. Au-delà de l’aisance dustyle, ses récits se distinguent par l’authenticitédes annotations et des dialogues, qui provient dela longue expérience de l’auteur au contact desgens sur lesquels il écrit. Le résultat est un livreunique en son genre, et peut-être la meilleureœuvre de fiction en anglais sur le Pakistan.

William Dalrymple**

* Ed. W.W. Norton, Londres, 2009. Pas encore traduit enfrançais.** Ecrivain britannique spécialiste du sous-continentindien.

ITALIE ■ Une purée trèssophistiquée

Pendant un dîner, un ami italien s’est mis àdiscourir sur les pommes de terre. Il a com-mencé par fulminer contre la restauration

rapide. “A croire que peler et faire frire une vraiepomme de terre, c’est la même chose qu’aller surla Lune”, tempêta-t-il. Il a ensuite décrit un platqu’on lui donnait, enfant, lorsqu’il était malade,et qui semblait à la fois plus rustique et plussophistiqué que celui du même genre que jemangeais : une pomme de terre écrasée mélan-gée avec de pauvres petits pois en boîte. Sa ver-sion : écraser une pommes de terre avec del’huile d’olive, incorporer des pissenlits cuits,recouvrir de chapelure et mettre au four.Je n’ai pas encore préparé ce plat pour lui, maisje l’ai fait trois fois pour moi, et je suis accro.L’une des choses inhabituelles ici est qu’il ya la même quantité de pommes de terre et depissenlits : une livre de chaque. L’huile estimportante, mais tout le monde sait que, cequi rend une purée vraiment bonne, c’est lamatière grasse. Utilisez la meilleure huiled’olive que vous ayez.Si vous ne trouvez pas de pissenlits, laroquette, le cresson, la scarole, la trévise, lesépinards, les feuilles de moutarde, les fanesde radis et même les feuilles de chou cavalierou de chou frisé feront parfaitement l’affaire.Le temps de blanchiment changera peut-être– il faudra par exemple un peu plus longtempspour attendrir les feuilles de chou –, mais latechnique reste la même.

Pommes de terre de Ligurie

Ingrédients (pour 4 personnes) 2 grossespommes de terre farineuses ou à tout faire (envi-ron 500 g) pelées et coupées en quartiers, sel,500 g de pissenlits ou autres légumes vertslavés et équeutés, entre 2 et 5 cuillerées àsoupe d’huile d’olive vierge extra, poivre noirdu moulin, 80 g de chapelure maison.Préparation Mettre les pommes de terre dansune grande casserole et les couvrir d’eau froide.Ajouter une bonne pincée de sel et porter àébullition. Cuire entre 15 et 30 minutes : lespommes de terre doivent être molles mais nepas se défaire. Les sortir de l’eau avec une écu-moire et les laisser s’égoutter. Mettre leslégumes verts dans la même eau et les blan-chir environ 1 minute. Les rincer à l’eau froide.Bien les égoutter, puis les hacher. Chauffer lefour à 200 °C ou thermostat 7. Couper lespommes de terre en dés et les passer au presse-purée ou les écraser avec une fourchette enajoutant l’huile d’olive de façon à bien les impré-gner. Ecraser les légumes verts en ajoutantl’huile nécessaire. Assaisonner avec du sel etbeaucoup de poivre. Mettre le mélange dansun plat allant au four et recouvrir de chapelure.Asperger d’huile d’olive, saupoudrer de sel etcuire jusqu’à ce que la chapelure soit dorée,environ 15 minutes. Servir chaud ou tiède.Mark Bittman, The New York Times (extraits), Etats-Unis

é p i c e s e t s a v e u r s

FINANCIAL TIMES (extraits)Londres

Au moment même où le Pakistan semble sedésintégrer en tant qu’Etat-nation, il se ren-force en tant que puissance littéraire. Jusqu’àil y a deux ou trois ans, le pays était un désert

littéraire, aussi bien en ourdou qu’en anglais. Etpuis, tout à coup, il s’est mis à produire une sériede jeunes auteurs remarquablement brillants quin’ont rien à envier à leurs homologues indiens[voir CI n° 926, du 31 juillet 2008].

Mais il manquait encore à la nouvelle litté-rature pakistanaise son Enfants de minuit [de l’écri-vain britannique d’origine indienne Salman Rushdie, 1981] – un texte auquel on puisse acco-ler sans conteste le terme de chef-d’œuvre. C’estpeut-être chose faite aujourd’hui avec In OtherRooms, Other Wonders* [Dans d’autres pièces,d’autres merveilles], de Daniyal Mueenuddin. Ceremarquable recueil de nouvelles est l’une desœuvres de fiction les plus authentiques de la décen-nie en provenance du sous-continent indien.

Comme Les Enfants de minuit, Other Roomsne doit rien à la littérature produite par lescontemporains ou les compatriotes de l’auteur.Si Les Enfants de minuit allait chercher l’inspi-ration au-delà de l’Europe, dans le réalismemagique latino-américain, Other Rooms fait uncheminement encore plus singulier en s’inspi-rant de Tourgueniev et de Tchekhov pour le styleet de Dostoïevski ou de Gogol pour la noirceur,mais en transposant l’action des steppes russesau Pendjab pakistanais.

Comme Tourgueniev dans ses Mémoires d’unchasseur, Mueenuddin crée un monde peuplé depaysans d’une grande vraisemblance qui gravitentautour du domaine du propriétaire terrienK. K. Harouni (personnage pour lequel Muee-nuddin s’est inspiré de son père). Rezak vit dansune cahute à la lisière du domaine et trouve le bon-heur auprès de sa jeune épouse muette, qui dis-paraîtra mystérieusement, victime sans doute d’unenlèvement. Nawabdin l’électricien a une tech-nique bien à lui pour escroquer la compagnied’électricité en faisant tourner le compteur pluslentement. Il manquera mourir après s’être faittirer dessus par un cambrioleur. Saleema, la fillede cuisine, tombe amoureuse de Rafik, le major-dome, et lui donne un fils, mais Rafik l’abandon-nera et retournera auprès de sa femme à la mortde Harouni. Saleema finira ses jours en mendiantà un carrefour, avec son petit garçon dans les bras.

Le Pakistan de Mueenuddin est très beauvisuellement – il y a de magnifiques descriptionsdu paysage, rythmé par les banians et les vergersde manguiers. Mais il est aussi brutal et féroce.

Tourgueniev au PendjabCHRONIQUE D’UN PAYS FÉODAL

Daniyal Mueenuddin décrit dans son premier recueil le petit mondequi gravite autour d’un grandpropriétaire terrien du Pakistan. Un livre révélation.

■ BiographieDaniyal Mueenuddinest né en 1963 aux Etats-Unisd’une mèreaméricaine et d’unpère pakistanais.Après une enfanceà Lahore, uneadolescence dans le Massachusetts et des études de droit dans de prestigieusesuniversitésaméricaines, il débute unecarrière de juriste,qui ne le satisfaitpas. Il se tournealors vers l’écriture,publie des nouvellesdans le New Yorkeret d’autres revueset se fait remarquerpar SalmanRushdie. Il gèreaujourd’huil’exploitationfamiliale à Khanpur,dans le Pendjab(est du Pakistan). Il explique : “J’aimece pays, j’aime y vivre, c’est là quesont ma famille et mes amis et c’est là quej’écris le mieux.”

le l ivre ●

COURRIER INTERNATIONAL N° 961 94 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

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COURRIER INTERNATIONAL N° 961 95 DU 1er AU 8 AVRIL 2009

S aviez-vous qu’il faut tuer 15 ver à soie pour produire 1 gramme decette précieuse étoffe ? Un élégant et chatoyant sari en soie coûtela vie à 50 000 de ces malheureuses créatures. Si l’on voit les groupesde défense des droits des animaux protester contre l’utilisation

de produits en cuir, on les entend plus rarement s’indigner contre lesméthodes de la sériciculture. Dans ce grand silence toutefois, une petitevoix s’élève. A Hyderabad, en Inde, après des années de recherche, KusumaRajaiah produit de la soie sans sacrifier un ver. Responsable techniquechez APCO, une coopérative de tisserands, c’est dans les années 1990qu’il commence à travailler sur des soieries respectueuses des animaux.

La soie provient du cocon du ver à soie, le Bombyx mori. Dans l’in-dustrie de la soie, on ébouillante les cocons de dix jours à la vapeurou dans l’eau bouillante, avant l’éclosion du papillon. La soie est cen-sée être plus fine à ce stade. Si on laisse les cocons s’ouvrir naturel-lement à une extrémité pour libérer le papillon, on perd la conti-nuité de la fibre. Encore que.

M. Rajaiah achète des cocons qu’il cultive dans de grands paniersen osier, dans sa résidence d’Hyderabad, dans le sud de l’Inde. Aubout de huit à dix jours, les papillons apparaissent et percent leurenveloppe jaune. “Les papillons adultes ont une espérance de vie de quatrejours, pendant lesquels ils s’accouplent et meurent naturellement”, explique-t-il. Les cocons percés sont dévidés, et l’on tisse le fil ainsi obtenu.“Tous mes tissus sont fabriqués à la main sur des métiers à tisser et fontvivre plusieurs familles de tisserands.” Cette soie respectueuse de l’en-vironnement a été brevetée l’an dernier. Si elle n’a pas tout à faitl’éclat de la soie traditionnelle, elle est très confortable, tombe mieuxet ne se froisse pas. En l’honneur de Gandhi, Kusuma Rajaiah l’abaptisée ahimsa [concept religieux prônant la non-violence et le res-pect de la vie].

Kusuma Rajaiah, Outlook, extraits (New Delhi)

Dégoûtant ? Pour les Nippons aussi

P aris ? Ils en rêvaient. Le rêve a viré au cau-chemar : la Ville lumière est souillée, jon-chée de mégots, de canettes et de déjec-tions canines. Alors, comme Mami Ofune,

ces Japonais ont décidé d’agir. Gantés, armésd’une pelle à main, d’une pince et d’unebalayette, ils font méthodiquement le ménagedevant les hauts lieux de la capitale. Les béné-voles de l’antenne parisienne de l’ONG nipponeGreenbird nettoient religieusement les pavés deNotre-Dame, le parvis du musée d’Orsay ou lesabords de la tour Eiffel. Plus de 150 personnesont rejoint l’organisation, soucieuses de redo-rer le blason de la capitale. “Les Japonais don-nent une leçon de propreté à Paris”, titre le JapanTimes. La Ville prend-elle ombrage de cette leçonde ménage ? “Nous accueillons toutes les initia-tives, mais le nettoyage des rues de Paris reste uneprérogative de la mairie”, précise FrançoisDagnaud, adjoint au maire.

Natalité : un parrainage miraculeuxLa Géorgie se dépeuplait lamentable-ment. Depuis que le patriarche ortho-doxe Ilia II a promis de devenir le parraindu troisième enfant né dans chaque foyer(offre non rétroactive), la natalité ex -

plose. Quatre fois par an, Sa Saintetéorganise un baptême de masse pour

ses filleuls. La prochaine cérémonieaura lieu début avril dans la cathé-

drale Sameba, à Tbilissi. Depuis2007, la natalité a augmenté de

20 %, indique la BBC.

Le double miraculé de l’atome

T sutomuYamaguchi, 93 ans, a survécu àdeux bombes atomiques, viennent dereconnaître les autorités de Nagasaki.Le 6 août 1945, quand les Etats-Unis

larguent leur première bombe, il est envoyage d’affaires à Hiroshima. Gravementbrûlé, l’ingénieur rentre chez lui à Nagasakile 8 août : le lendemain, même cauchemar.

En tant qu’hibakusha – rescapé du feu ato-mique –, il percevait une allocation men-suelle, mais seulement au titre de la secondedéflagration. Son nouveau statut de doubleirradié ne fait pas augmenter son aide finan-cière d’un iota. Le miraculé de l’atome estquasi sourd d’une oreille, mais se porte plu-tôt bien. (Mainichi Daily News, Tokyo)

Les lombrics s’invitent chez les écolos new-yorkais

I ls recyclaient emballages et bouteilles, ils hébergent désormais unearmée de lombrics dans leur cuisine. Adieu épluchures et coquillesd’œufs : les vers dévorent les ordures ménagères et les réduisent enengrais pour les pétunias. Pour de plus en plus de New-Yorkais, le

“lombricompostage” est la suite naturelle du tri sélectif et du recy-clage, rapporte The New York Times. Stephanie Stern et son mari ont tentél’expérience, après une réunion d’information au Lower East Side Eco-logy Center, où ils se sont vu remettre un composteur. Un amas grouillantde bestioles s’y repaît des restes de repas. Leurs déjections produisentun compost prêt à l’emploi au bout de quatre mois et demi.

Fruits, légumes, papier journal : un vers heureux mange environ lamoitié de son poids par jour. Evitez la viande et les produits laitiers, àla décomposition puante, et le pain, qui moisit. Le lombric est moins exi-geant qu’un cochon d’Inde : on peut laisser ses vers pendant trois semaineset partir en vacances, ont appris les Stern. Et, a priori, le procédé n’at-tire pas les cafards. Un peu de doigté s’impose : la cohabitation n’est pastoujours heureuse. “Ça sentait le moisi, témoigne Rachel Franz. Les verscommençaient à mourir. Quand j’ai ouvert, ils essayaient de s’échapper.”

Facile

A qui sait attendre

“Passer les prochaines années à scruter l’espace à la recherche de planètes qui pourraient abriter la

vie, même s’il ne s’agit que de formes de vie très simples, comme Sarah Palin”, telle est selon Joe Joseph,

chroniqueur au Times, la mission de la sonde Kepler lancée début mars par la NASA.

Vieille écolePour dissuader ses élèves de faire l’école buissonnière, un collège de Samarkand a saupoudré son mur

d’enceinte de tessons de bouteille. Pour voir ces morceaux de verre d’en bas, “il faut être un adulte de

grande taille”, écrit le webzine centrasiatique Fergana.ru. “Quand on a 11 ans et qu’on n’est pas prévenu,

on peut rester handicapé à vie.”

Dolor Soler, 101 ans, devra attendre 2013 pour obtenir deux heures d’aide ména-

gère hebdomadaires, a fait savoir le département d’action sociale du gouver-

nement autonome de Catalogne. (ABC, Madrid)

Halte au massacre des vers à soie !

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