18 novembre 2014 - transcription des échanges : la culture, cette chance !
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Transcription des échanges : La culture, cette chance !TRANSCRIPT
La culture, cette chance !Enjeu sociétal... Territoires de vie
Les interventions
Aujourd’hui ... Où en sommes nous ?Quelles paroles pour le 21ème siècle ?
Quelles paroles... et... quels actes ?La démocratisation de la culture... Avons-nous rêvé ?!
L’art nous questionne, l’art éveille la sensibilité et l’intelligence, l’art participe de l’émancipation de l’individu. Qu’elle soit virtuelle ou réelle, la création artistique se nourrit de la nature humaine et de la société qu’elle façonne. C’est pourquoi le G19 est aussi un espace d’échange et d’entraide au service du groupe et des artistes.Nous continuons de penser que la culture n’est pas un luxe réservé à une élite, qu’elle relève d’une mission de service public nous préservant de la pensée unique, de l’uniformisation et de la consommation de produits cultu-rels. C’est dans ce cadre et suite à la rencontre initiée lors des journées du visionnement 2014 que nous avons voulu cette journée de réflexion partagée, entre les acteurs culturels pour mieux comprendre les enjeux d’une politique culturelle dans les territoires. Cette journée s’est tenue le mardi 18 novembre 2014 à la Canopée à Ruffec (16).Le G19 considère la culture comme un outil de liberté pour chacun et comme un vecteur de lien social.Nous vous présentons le résumé des interventions qui ont eu lieu, et vous invitons à découvrir l’intégralité de chacune d’elles et les débats et question-nements qu’elles ont sucités sur notre site.
www.g19.fr
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Sommaire
Marie-Hélène POPELARD
Culture résistante et représentations du public............................................................................................................p. 4
Jean-Michel Lucas
Repenser les responsabilités culturelles ...........................................................................................................p. 10
Atelier Viticulture
Michel Adam
La Culture, élément de développement durable............................................................................................................p. 15
Atelier CéréaleAndré Curmi
La Place de la création dans les politiques culturelles............................................................................................................p. 18
Atelier PêcheÉric Chevance
La culture, outil de liberté pour l’individu ?............................................................................................................p. 21
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En 1848, Victor Hugo déclarait :« Il faut, et c’est la grande mission [...]relever l’esprit de l’homme, le tourner vers la conscience, vers le beau, le juste et le vrai, le désintéressé et le grand. C’est là, et seulement là que vous trouverez la paix de l’homme avec lui-même et par conséquent la paix de l’homme avec la société. »
En 1944, le Conseil National de la Résistance proclamait« Il faut donner la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéfi-cier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents. »
En 1968, André Malraux énonçait :« Nous commençons à comprendre pourquoi la culture joue aujourd’hui un si grand rôle : elle est le domaine de transmission des valeurs. Une civilisation sans valeurs ne serait pas une civilisation, ce serait une société d’infusoires. C’est pourquoi la culture doit être tôt ou tard gratuite comme l’est l’instruc-tion. Le grand combat intellectuel de notre siècle a commencé, la culture est devenue l’autodéfense de la collectivité, la base de la création, et l’héritage de la noblesse du monde. »
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Marie-Hélène POPELARDMaître de conférences en philosophiePôles supérieur d’enseignement artistique
Culture résistante et représentations du publicLes premiers mots de Marie-Hélène Popelard décrivent la culture comme n’étant ni un espace sacré, ni Entertainment, mais un « entre-deux » et pour survivre, elle devra se constituer ailleurs et autrement.
Au début des années trente, Walter Benjamin n’hésite pas à parler du lien consubstantiel entre le fascisme et la culture par lequel l’accès des œuvres de l’esprit aux privilégiés nourrit le mépris social.
De l’autre côté, toute démarche qui tendrait à inverser le stigmate contribuerait à entériner les oppres-sions de l’ordre social en exaltant l’autonomie du peuple, autre manière de laisser le peuple comme il est, où il est.
Elle nous propose, au cours de son intervention, une autre définition de la culture qui fera de chaque spectateur un coproducteur. Car il y a mille et une définitions de la culture et dans son acception la plus large la culture est ce que les êtres humains, en dépit de ce qui oppose, portent en commun. Elle est ce qui leur permet d’élargir infiniment leur capacité d’être libres ou plutôt de lutter pour la liberté.
Trois questions solidaires seront posées :
I. La spécificité de l’engagement des artistes
On ne peut pas imaginer un artiste qui voudrait crier et s’armer d’une part et d’autre part produirait des œuvres mesurées pendant les heures creuses.
Pourtant, les intellectuels et les artistes ont cessé, dès la fin des années quatre-vingt, de dire à la société quoi que ce soit de directement politique et ont commencé à dire et écrire que seuls comptaient les chan-gements individuels ou locaux. Ils privilégient l’approche psychosociale et les mémoires individuelles sur les grandes expériences collectives. Ceci en raison, pour Marie-Hélène Popelard, de la promotion de la figure deleuzienne du « nomade » dans la littérature managériale, soit un brouillage des frontières entre le manager et l’artiste. L’artiste devient un manager, le manager devient un artiste, et la critique artiste du capitalisme nait en mai 68 d’un refus de l’esprit de système et de toute forme de hiérarchie. En l’ab-sence d’un espoir de changement social et de la notion claire d’exploitation, le refus de l’injustice sociale a régressé vers le stimulus originel : l’indignation devant la souffrance. La tension entre la mobilité de l’artiste et la fixité obsessionnelle de celui qui prospère dans le monde des affaires tend à se réduire.
Art et culture marchande, commerce et animation vacancière s’entremêlent de plus en plus. Le capita-lisme artiste prône une vie sans temps mort. Au culte des héros a succédé le sacre du plaisir, de l’excita-tion, du vivre plus et du sentir plus. Le monde est devenu une vaste foire où la surprise est la règle.
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II. Paysage esthétique clivé
La tension persistante entre deux politiques de l’art, celle de « l’esthétique relationnelle » d’un côté et celle de la « forme résistante » de l’autre, nous confronterait à un univers partagé entre deux états d’une même réalité : l’un où s’affiche une certaine tradition de l’art et de son enseignement, soucieuse de creuser le fond des choses et de le faire éclater au grand jour. L’autre où se joue, dans l’horizontalité des signes et le recyclage de matériaux hétérogènes, l’émergence d’une nouvelle espèce d’artistes, compro-mise avec toutes sortes de pouvoir. L’artiste convivial et subventionné aurait définitivement remplacé l’ar-tiste bohème et révolté. Face aux institutions, l’art serait devenu rien. «Rien, c’est-à-dire un art évanoui, l’art authentique s’entend, remplacé par une production caporalisée, les alentours de l’art ayant à la fin établi l’éminence du néant artistique».
Cette vision escorte l’émergence d’une esthétique relationnelle et d’un nouveau culte, celui de la perfor-mance, devenu aussi banal qu’hégémonique. Une partie essentielle de l’art du présent est ainsi inclas-sable dans les catégories traditionnelles du permanent. Ces artistes font du thème nihiliste de Duchamp (qui interrogeait la question des frontières de l’art : Où commence une œuvre d’art ? En quoi est-elle majeure ? Mineure ?) une véritable idéologie du mineur sans esprit de sérieux, qui se caractérise par trois postulats :
• les mélanges et métissages spectaculaires, collage et brouillage des frontières, sont mis au service d’une mise en scène ludique, mode dominant d’exposition des marchandises dans la publicité ;
• l’absolutisation du présent et le refus de l’histoire engagent un nouveau rapport de l’œuvre au legs ;
• la recherche d’une porosité identitaire met l’accent sur la lisibilité de l’art, confondant médiatisation et acculturation, information et mémoire.
Cette logique ternaire se revendique du pragmatisme, résistant à toute réelle contestation, la seule inter-prétation légitime étant constitutive, infinie et tranfigurative.
Ce qui est dénoncé par les théoriciens et les artistes de l’esthétique opposés à «l’’esthétique de la forme résistante» sont ses effets : soit la collusion entre l’artiste, l’institution et la production marchande à seule fin de créer l’attente du public.
En conséquence, en résistant à la rationalisation d’un marché, les artistes de la forme résistante consentent à courir le risque de l’isolement. À seule fin de créer un public d’exception, l’artiste est chargé de reconfi-gurer le lieu du commun en s’installant dans un entre-deux qui maintient la distance entre les pôles de tous les écarts possibles. Ces turbulences assumées, ces heurts libératoires sont la résultante d’un triple arbitrage inscrit dans une logique de fonctionnement symétrique à la précédente (celle de l’esthétique relationnelle) :
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• La commune mesure : depuis une cinquantaine d’années, les artistes ont assimilé l’expérience déli-cate du partage. La recherche d’une «commune mesure» (Rancière) entre les registres d’expression engendre un goût du risque chez les créateurs, pour y éprouver la même «distance disloquante», (René Char); en convoquant soit un genre de chimie qui expérimenterait l’action d’un corps sur un autre, soit une sorte d’empreinte réciproque, terme qui permet de penser l’imbrication sans duplica-tion, en dessinant ainsi une nouvelle carte des territoires artistiques qui peut aussi prendre la forme du chiasme.
• La responsabilité de la forme : L’esthétique de la forme résistante ne cesse de rappeler que l’œuvre d’art est toujours le lieu d’une singulière articulation au temps, puisqu’elle s’ouvre sur un futur tout en ramenant à elle tout le passé ; aucun créateur ne peut avoir une perception d’ensemble d’un processus qu’il cherche à s’expliquer indéfiniment, chaque explication se trouvant remise en question par l’occurrence de nouvelles œuvres singulières.
• La traque au lieu commun : l’hésitation prolongée entre le matériau et le sens conduit à la recherche de langages «justes» ou «vrais» en pointant au cœur même de ce langage un impossible à dire qu’on ne consent jamais à tenir pour rien, une altérité qu’il s’agit de faire sentir au spectateur. Pour cela, il faut produire une langue inouïe, singulière où un certain nombre de contradictions sont incarnées, comme certains poètes qui vont se servir de l’insignifiance, des refrains idiots, des écrits sans ortho-graphe, des fantasmes de l’enfance qui viennent contaminer les entreprises les plus sérieuses. Comme si du choc entre l’in-signifiant et le sur-signifiant naissait un espace différent, lieu même de la résolu-tion impossible des contradictions.
Ce refus du lieu commun signifie la recherche d’un lieu pour résister de toutes nos forces à « l’intellec-tuellement minable et au stylistiquement dégoûtant» (Prigent) qui peuplent nos librairies et avec lesquels médias et écoles confondent, la plupart du temps, la littérature.
Face à la censure entendue depuis Bernard Noël comme privation de sens et occupation économique de la pensée, les artistes les plus engagés répètent donc à l’envi qu’«effectuer un geste sur la langue » n’est pas une coquetterie avant-gardiste mais le seul geste par lequel on peut encore « toucher à la construc-tion idéologique incarnée dans cette langue». Trois postures solidaires signalent cet engagement et celui du spectateur émancipé :
• la victoire sur le temps : à l’emportement du temps, on oppose la capacité au ralenti, le droit de ne pas avoir à faire face ;
• la traque au lieu commun : au ramollissement des consciences, un durcissement qui cherche ses modèles dans la langue ;
• le retranchement de l’écriture : comment dire toute la vérité sur l’histoire, mais obliquement, afin de marquer radicalement l’écart.
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Cependant, ces œuvres difficiles ne cherchent jamais les compromis avec le public.
III. Les politiques du spectateur et le théâtre documentaire
Tout spectacle trahit un présupposé politique et suppose une représentation plus ou moins figée, de sorte que ce qui est identifiable, sur la scène théâtrale politique contemporaine, s’organise autour de deux ensembles bien distincts :
• Ceux qui escomptent des effets : ce premier ensemble est l’héritier du théâtre politique tel qu’il s’est édifié tout au long du XXe siècle. Le spectateur y est considéré comme ignorant et le théâtre s’adresse soit à sa sensibilité soit à son intelligence mais toujours dans la perspective d’un manque ou d’une défaillance à combler.
• Face à ce théâtre existe depuis une vingtaine d’années un autre théâtre qui suspend tout rapport entre la scène et le public. Son maître mot est l’égale capacité. Le concept repose sur la valeur opéra-toire du postulat que le public est toujours au travail. L’essentiel est toujours de se déprendre d’abord de l’ennui ou de la contemplation muette qui nous prive de toute pensée critique.
L’égalité apparaît comme une fin qui pourrait advenir si on rend accessibles les œuvres à des personnes considérées au départ comme incultes. Concevoir ainsi les pratiques éducatives ou culturelles induit des formes de relations hiérarchisées. Le lecteur (comme le spectateur) a un côté réfractaire. Il ne peut donner son assentiment à celui qui le lui demande expressément. La persuasion artistique ne peut être calquée sur la rhétorique du discours judiciaire ou scientifique. Elle vaut plutôt par la mise en avant de la liberté de création et même de sa gratuité. Ce travail-là pose évidemment le problème de savoir comment élargir le public des spectateurs émancipés.
Les plus hautes exigences de l’esthétique de la forme résistante devraient finir par rencontrer un jour plus ou moins lointain leur public – « un public aventureux ».
En déclinant chacun des postulats de la logique ternaire de notre esthétique nous partirons du principe qu’ils doivent être transposés avec la modestie et l’exigence de qui s’adresse à des enfants. L’enfant que nous abritons et auquel nous adressons notre geste pédagogique n’est plus le destinataire terrorisé d’une pédagogie verticale de l’explication mais le véritable professeur des ivresses révolutionnaires, toujours « en avant », face au « maître ignorant ».
1. Commune mesure et non mélange pour le mélange.
Pour que voir nous permette de savoir puis de prévoir quelque chose de l’état politique du monde, il faut que le banal devienne étrange, poussant le spectateur à « prendre position », en désarticulant sa percep-tion habituelle des rapports entre les situations. Or l’un des moyens de cette désarticulation, c’est l’entre-lacement des genres et des registres d’expression qui pousse le spectateur à imaginer une nouvelle carto-graphie des genres. De cette tension instituante entre les genres artistiques, naît une nouvelle méthode de vérité. Redistribuer les rôles, c’est faire la preuve qu’on peut changer de position soi-même.
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2. La responsabilité devant l’Histoire.
Si parmi tous les possibles du théâtre aujourd’hui, le document qui a le vent en poupe, est destiné à produire dans le texte théâtral « un effet de réel », « le réel augmenté » qu’il suscite devrait pouvoir jouer une influence décisive sur le pouvoir « incitatif » de l’art. En inquiétant sa perception des choses et en assignant au spectateur une attitude moins soumise devant l’épreuve des faits, il l’engage à devenir le « coproducteur » de nouveaux rapports sociaux d’où disparaîtrait le désordre social du haut et du bas.
3. Créer un en commun le plus loin possible des lieux communs
La « responsabilisation spectatorielle » est ainsi contemporaine de ce travail qui aide à sortir de tout état de sidération que suscite le drame illusionniste. L’insignifiant peut devenir sursignifiant pour peu que le théâtre d’objets ou de personnes plonge le spectateur dans une série de rébus qui réveillent en chacun d’entre nous l’alchimiste sous l’ingénieur.
Il faut comprendre dans ce contexte où nos trois postulats conditionnent ensemble l’exigence d’une créa-tion proposée à la coproduction d’un spectateur actif, le rôle crucial que joue le théâtre de marionnettes, où se montrent le jeu et ses ficelles et où le manipulateur joue davantage le rôle du philosophe accou-cheur que celui de l’acteur. Le marionnettiste montre ce qu’il manipule, nous invitant à nous affranchir du mensonge et de la vérité du monde.
Walter Benjamin disait que « rien n’est plus fasciste que la croyance en l’unité d’un public homogène placé sous le charme d’une création sacrée alors même que des abîmes déparent les classes sociales et à l’intérieur de chaque classe les individus » et ajoute « si le théâtre a lieu la nuit c’est bien qu’issu du cultuel, il continue de servir de nombreux maîtres en s’adressant à un public fatigué qui n’a plus le courage de penser ».
Conclusion
Aussi faut-il ajouter au renouvellement de la cartographie des genres, au montage du théâtre d’objets ou théâtre documentaire et au geste sur la langue et au rire majuscule, l’action dans les réseaux de distribu-tion et de diffusion de l’art ainsi que la réflexion sur la place du spectateur. Car celui que Benjamin définit comme « le routinier » n’est autre que celui qui fait semblant de vouloir changer les rapports de produc-tion mais n’y touche jamais.
S’il est vrai que le peuple n’est pas dépossédé de culture ni privé de parole mais relégué dans des lieux qui ne lui permettent pas l’exercice d’une faculté d’appropriation et de production artistique, la triple expé-rience simultanée, de la correspondance des genres, du théâtre documentaire et des jeux de langues, dans les lieux de proximité, le jour, est le premier moment d’un renversement possible.
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Les expériences de collectes et de montages de paroles dominées donnent un sens à des expériences diffuses, difficiles à formuler, et confèrent une profondeur historique aux histoires minuscules tout en créant leur public à mesure qu’elles transforment la perception de soi et du monde. Le sentiment de parenté retrouvée constitue un public soudé par une complicité affective, émotionnelle encore plus qu’in-tellectuelle. La démarche du théâtre documentaire fait de ces ouvriers les coproducteurs et les co-acteurs du spectacle, à condition qu’il ne célèbre pas l’inertie des habitus. Tout récit mémoriel unitaire est en effet mutilant.
Si la puissance de l’art réside dans son pouvoir d’incitation, c’est à la société de rendre audibles les artistes et aux citoyens que nous sommes d’inventer des lieux pour que « notre sagesse commence là où celle de l’auteur finit ».
Aucune œuvre d’art ne parviendra à mobiliser le jugement du spectateur comme le théâtre documen-taire, le théâtre d’objets ou le théâtre de marionnettes surtout s’ils restituent au rire son aspect régéné-rateur et positif.
Quant à l’artiste, s’il cesse de vouloir être le représentant de l’universel, cette figure de l’orateur pronon-çant la vérité de ceux qui la taisent, il deviendra, comme l’auteur et le spectateur, le coproducteur non seulement d’un nouveau langage mais surtout de nouveaux rapports sociaux de production.
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Jean-Michel LucasDocteur d’État en Sciences ÉconomiquesAncien Directeur Régional des Affaires CulturellesAncien Conseiller au Cabinet du ministre de la CultureMaître de conférences – Université Rennes 2
Repenser les responsabilités culturellesJean-Michel Lucas commence son intervention en indiquant que son souci n’est pas de parler de culture singulière ou plurielle ou des réalités culturelles mais uniquement de parler de la responsabilité culturelle publique, ce qui pourrait être, devrait être, de la responsabilité culturelle publique, celle de l’élu, celle du ministère, celle de l’Europe, celle de l’ONU.
Il s’intéresse surtout aux cadres de l’État de droit qui permet qui interdit, qui autorise ou qui facilite.
Nous avons la chance d’être dans un État de droit, ce qui n’est pas le cas partout sans le monde, pour élaborer et réfléchir collectivement à ce que devrait être l’État de droit, ce que devrait être la responsa-bilité culturelle publique.
Du point de vue de la quête d’une responsabilité culturelle publique fondée sur des valeurs pour une société de liberté avec un état de droit assez solide, la politique culturelle qui énonçait les responsabilités culturelles est morte, vive la politique culturelle. Les nouvelles perspectives sont là devant nous, vive la politique culturelle !
Pourquoi peut-on dire que la politique culturelle est morte ? Parce que la politique culturelle est faite d’activités culturelles, de secteur culturel, de produits culturels, qui s’organisent plus ou moins à la fois dans l’échange marchand et dans l’aide publique. À la fin, il y a des biens culturels et des produits culturels. Cela fait que l’idée même d’un champ culturel implique que la responsabilité culturelle publique est bien morte dans cette histoire en particulier française. Pourquoi peut-on dire cela ? Parce qu’il fut un temps, où la responsabilité culturelle publique ne portait pas sur les objets, sur des produits, sur du spectacle, sur des livres, sur un secteur. Elle portait sur une responsabilité. Être dans la culture pour quelqu’un qui avait une responsabilité d’État était une responsabilité. Laquelle ? Une responsabilité de choix. La responsabi-lité publique est de faire le choix dans toutes les cultures. Ces cultures sont relatives, occasionnelles, elles ne plaisent pas aux autres. La responsabilité n’est pas de dire que toutes les cultures se valent, que tout est bien, elle est de faire un choix.
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Le deuxième élément de ces responsabilités culturelles publiques est de dire que personne d’autre que cette autorité publique culturelle ne peut faire ce choix, n’a cette compétence spécifique. Quelqu’un qui s’occupe du tourisme peut dire qu’il s’intéresse à la culture mais ce n’est pas de la responsabilité culturelle, c’est de la responsabilité touristique de dire que tel produit est bon pour sa politique, pour les finalités de sa politique touristique. Le produit culturel est mis au service de finalités publiques qui ne sont pas culturelles, qui sont autres. C’est la même chose pour le lien social ou pour l’économie. Il y a toujours besoin d’acteurs culturels qui ont des produits à vendre, à proposer, à utiliser pour d’autres poli-tiques. Celle qui nous intéresse, c’est la responsabilité culturelle spécifique, celle que les autres politiques publiques ne peuvent pas avoir parce que justement elles ne sont pas culturelles. Et par conséquent, une responsabilité spécifique de faire des choix au nom de valeurs spécifiquement culturelles.
On a abandonné l’idée que c’était possible, aujourd’hui, pour aller vanter les mérites de ce qu’on appelle la culture, c’est-à-dire les produits culturels pour l’harmonie sociale. La responsabilité culturelle spécifique doit être trouvée en dehors des produits qu’on appelle « culturel » » puisqu’il faut faire un choix sur tous ces produits. Malraux est celui qui a osé affirmer une responsabilité culturelle publique spécifique, dans la construction d’un argumentaire de droit qui reprend cette nécessité de poser des valeurs, de poser une éthique publique. Il disait, devant les députés, que s’ils étaient là, c’était pour un certain nombre de bonnes raisons qui sont celles de faire des choix. Au nom de quoi peut-on faire ces choix ? La création reste une affaire privée. Au nom de la France ? Cela reste une affaire circonstancielle. Il faut le faire au nom de la plus grande universalité possible, qu’on puisse affirmer dans notre société, c’est-à-dire le faire au nom de l’homme, au nom de l’humanité. Le grand génie de Malraux est certainement d’avoir dit que la responsabilité culturelle publique spécifique est de faire des choix au nom de l’humanité.
Avant de s’intéresser à la question de la finalité économique, des valeurs économiques, il faut poser l’enjeu culturel. Le ministère de la culture n’a pas abandonné cette ambition d’être là pour quelque chose puisque même aujourd’hui sous Monsieur Valls, les premières lignes qui définissent les responsabilités du ministère la culture sont : « le ministère de la culture et de la communication a pour mission de rendre accessibles aux plus grands nombres les œuvres capitales de l’humanité. » Il ne s’occupe pas de la créa-tion, sa responsabilité culturelle universelle est de choisir parmi tous les produits, les œuvres qui sont capitales pour l’humanité. C’est un choix politique fort.
Une des citations les plus classiques de Malraux montre bien l’enjeu d’une responsabilité culturelle publique : « Les machines à rêves qui n’ont pas été inventées pour le plaisir des hommes mais seulement pour apporter de l’argent à ceux qui les fabriquent n’ont de puissances magistrales que dans la mesure où, elles ne rapportent le maximum d’argent que si elles font appel chez nous à ce qui est le moins humain, le plus animal, le plus organique et disons le clairement le sexe et la mort ». Si on prend le secteur culturel, les produits culturels, tous les films et tous les cinémas qui sont liés à une activité économique, c’est le sexe, la mort, le caractère organique, le caractère humain et la responsabilité culturelle est de faire le tri dans tout cela et éjecter le plus grand nombre pour garder ce qui a vraiment un sens pour l’humanité. Il faut que n’importe quel être humain ait les moyens de se défendre et nous devons les lui apporter parce que sans nous personne ne lui apportera. C’est une belle responsabilité culturelle, universelle et son enjeu est l’humanité.
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Dans cette logique là, la responsabilité culturelle au ministère de la culture, qui parle uniquement pour les spectateurs, l’économie et le territoire français, est bien plus importante que cela. Nous intervenons dans un domaine qui est français. Il est parfaitement vrai qu’il n’existe pas de nationalisme intellectuel mais il est parfaitement vrai aussi que c’est un très grand honneur pour un pays que de porter la charge du destin des hommes et surtout la charge de ce qui peut les sauver. Alors la politique culturelle fran-çaise, qui a sélectionné les œuvres capitales de l’humanité, ne travaille pas pour elle mais pour sauver les hommes.
Pourquoi est morte cette politique culturelle ? Comment est-elle morte ? Comment peut-on saisir aujourd’hui qu’elle est morte ? Que cette idée d’une valeur spécifique de la politique culturelle n’est plus ?
On peut regarder par exemple le rapport d’inspection du Ministère de la culture de décembre dernier. Un rapport qui fait un travail formidable pour savoir quel est le pouvoir économique de la culture et qui nous dit que la culture est encore plus importante que ce que Malraux disait puisqu’elle représente 3,1 % du produit intérieur brut. En disant cela, on confirme que la politique culturelle est morte, parce que les statistiques qui permettent de sortir ce chiffre sont liées à une réflexion globale européenne. La publica-tion des statistiques européennes ne prétend pas l’exhaustivité compte tenu de l’absence de définition de la culture ou plutôt de la multitude de définition, cet annuaire s’appuie sur la définition pragmatique et consensuelle élaborée à l’occasion des travaux antérieurs de groupe européen sur les statistiques cultu-relles. On ne va plus faire de choix parmi tout ce qu’on classe en culture. On a oublié les œuvres capitales de l’humanité, on prend tout. Ceci est la politique culturelle actuelle.
Le discours de Madame la ministre du 27 octobre prévient les DRAC qu’une loi de décentralisation arrive et qu’il faut s’y préparer. Les DRAC reçoivent les instructions pour travailler avec les collectivités à la nouvelle configuration de la responsabilité culturelle publique. La Ministre leur demande de repenser l’accès à la culture pour les nouvelles générations et de conforter l’excellence artistique et culturelle française et en faire un levier de rayonnement international de notre pays. Par conséquent, ce qui va être excellent est ce qui va être reconnu ailleurs et qui va pouvoir trouver sa place sur les marchés internatio-naux, le monde étend organisé autour d’un système concurrentiel assez élaborer. Malraux ne pensait pas à la France, il pensait à l’humanité. Or, il s’agit, ici, uniquement de la France et de son excellence artistique pour rayonner internationalement. Dans la suite de son discours, la Ministre qu’il faut garder la spécificité des DRAC, fondée sur la confiance en leur plus-value, plus-value par rapport aux collectivités territoriales, fondée sur l’expertise propre et les compétences des agents. Cela induit que les agents de la DRAC sont des experts compétents, que leurs choix par rapport à celui qui fait la programmation ici ou ailleurs est une plus-value. Pourquoi cela signe-t-il la mort de la responsabilité culturelle publique ? Parce que chez Malraux, la responsabilité est politique, elle est de faire un choix au nom de l’humanité et pour faire ce choix au nom de l’humanité à construire, pour ne pas être dans la médiocrité du peuple, il faut des experts mais si on a besoin d’experts c’est parce qu’ils vont faire un choix selon une orientation politique, une responsabilité éthique qui est de faire humanité. Dans le discours de la Ministre, faire humanité à
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disparue, il ne reste plus que la technicité du choix. La DRAC n’est plus qu’un lieu qui permet un contrôle qualité. Il manque la valeur publique essentielle, la valeur de la responsabilité d’un ministre disant à l’as-semblée qu’ils sont les meilleurs parce qu’ils savent ce qu’est l’humanité.
Nous n’avons plus de politique culturelle nous n’avons que des politiques publiques formidables, la santé publique, l’attractivité du territoire, la cohésion sociale. Il y a bien des acteurs culturels mais aux services d’autres politiques publiques, ils sont orphelins de ce qui a fait longtemps parti de la responsabilité cultu-relle publique à savoir faire humanité.
La loi qui va sortir, va réaffirmer l’idée que les collectivités peuvent s’occuper de la culture au nom de la compétence générale. Là encore, on assiste à la mort de la politique culturelle parce que quand on dit à l’ensemble des collectivités françaises que ce n’est plus le ministère de la culture qui maîtrise les choses, la république ne donne pas une importance extraordinaire à la culture de telle sorte que chaque collectivité devrait exercer ces responsabilités. L’État de droit ne s’engage pas dans une responsabilité culturelle publique, il ne reste aux acteurs culturels plus que le rapport de forces locales et leurs réseaux professionnels.
Est-ce qu’on peut penser autrement ? Est-ce que c’est possible de trouver une éthique publique de la culture qui soit aussi universelle que celle que nous proposait Malraux ? Où peut être cette éthique publique universelle concernant la culture ? Est-ce qu’on peut revenir à Malraux ?
Non, pour une raison qui est liée au combat politique depuis des années de tous les peuples colonisés qui ont expliqué au niveau de l’Unesco qu’une humanité figée avec une culture universaliste au sens où si vous venez d’ailleurs et que vous ne pouvez pas assimiler ces référentiels, vous ne serez pas considéré comme humain. La lutte anticoloniale a remis à plat cette idée. La négociation internationale a intuiti-vement conduit à la disparition de la validité d’éthique publique, du référentiel d’œuvres capitales de l’humanité. Il y a bien une nécessité pour les humains de penser l’unité du genre humain, faite de la diversité des identités culturelles. L’universalité tient à la définition de l’article 1 de la déclaration univer-selle des droits de l’homme. « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit ». La responsabilité culturelle publique consiste à organiser les interactions entre les identités culturelles, les confrontations entre les identités culturelles. Sinon ce sera la palabre entre les identités. Palabrer, le temps de reconnaître la culture de l’autre. Sans cela, chacun gardera sa culture dans son coin et on ne fera pas humanité. La référence de cette universalité des droits de l’homme est la déclaration de Fribourg sur l’hypothèse de la politique publique qui est considérée que chaque personne est titulaire de droit culturel. Par conséquent, la définition de la culture dans ce sens d’éthique publique recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs, les arts, les traditions, les institutions et les modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité.
L’enjeu politique est de mettre sur la place publique la discussion, le débat, la palabre. L’idée d’émanci-pation est proche. L’enjeu localement, nationalement et au niveau international est la déclaration sur la
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diversité culturelle, accueillir les diversités culturelles en tant que construction de l’humanité. L’humanité n’a pas de contenu et par conséquent, il est de la responsabilité culturelle publique de faire en sorte que ce contenu, chacun le remplisse. Il n’y a plus que des personnes dont l’identité culturelle se construit dans la relation, dans l’interaction, dans la palabre avec les identités culturelles des autres personnes. Avec cette logique de l’universalité des droits humains, on ne peut pas enfermer une personne dans une culture collective et encore moins une culture religieuse. L’une des grandes règles des droits culturels est que personne n’est assignée à une culture. Le politique a un rôle central dans l’évolution de la politique culturelle. Si l’enjeu est la liberté et la dignité, la liberté de l’artiste devient un élément d’universalité de cette conquête des idées, des responsabilités pour l’humanité parce que si l’artiste n’est pas en situation d’être protégé, promu dans sa liberté, l’humanité va se faire par des compromis, par des négociations entre différentes identités culturelles. Si elle n’est que la somme des compromis l’humanité devient figée or l’humanité pour être totalement humaine doit tout le temps être en situation de permettre la liberté de s’exprimer et en situation de se renégocier. Si la liberté artistique n’est pas protégée, il n’y a plus d’hu-manité.
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Atelier Viticulture
Michel AdamEnseignant-ChercheurCréateur d’entreprises coopératives et associativesCo-fondateur des boutiques de gestion et du Réseau IRIS des SIAE de Poitou-CharentesMembre du bureau du Réseau Intelligence de la Compléxité anciennement AE-MCXAncien Président et Administrateur de nombreuses associationsDirecteur du CREAHI Poitou-Charentes
La Culture, élément de développement durable1. Ce que les mots veulent dire
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » disait Albert Camus
Durable signifie : qui s’inscrit dans la durée ; aucune notion autre n’est explicite dans le mot. 35% des français pensent que cela signifie la poursuite d’une croissance que mesure le PIB ! Si l’on souhaite ne pas tromper les gens, seul le mot soutenable est fidèle à la lettre et à l’esprit de la définition officielle de 1987. Culture porte au moins 6 sens que nous préciserons. Il ne peut être défini, donc utilisé, sans une définition préalable et explicite du mot Nature. (Descola, Morin) Ce que nous allons faire.
2. Les cultures, ferment de développements soutenables
a. les sens du mot Nature (du latin natura : ce qui existe depuis la naissance)
Aujourd’hui communément, elle est assimilée à la biodiversité : la flore, les arbres, la faune et réduite avec condescendance aux fleurs et aux petits oiseaux. Le sens initial venu des grecs est bien plus englo-bant.
La Phusis est l’ensemble des éléments physiques existant, et qui nous ont précédé, toute la matérialité du monde... en devenir : séismes, volcans, typhons, tsunamis autant que sols, océans, paysages, êtres vivants, climats, etc. la lithosphère, l’hydrosphère, la biosphère, l’atmosphère, la stratosphère, ...
Soit une Nature à la fois menacée... et menaçante, le système Terre.
Nous sommes dans l’Anthropocène !
2. Les représentations du Développement Durable
Il faut savoir que les piliers du développement durable ne tiendront pas, il faut donc le représenter selon les acteurs et les cultures. Plusieurs schémas existent :
• « classique » comme combinaison des développements viables, vivables et équitables avec un socle politique.
• « constructiviste » où le socle est environnemental et pré-humain mais modifié par les humains.
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Constructiviste veut dire : qui ne prétend pas être la réalité mais construire une description éclai-rant cette réalité et facilitant l’action.
Ces représentations venues d’autres cultures :
3. Qu’est ce que la Culture ?
La culture est réflexive, comme le langage. C’est pourquoi toute réflexion sur la culture se fait au sein d’une culture située et en partie avec cette culture.
a. Les sens et les valeurs du mot « culture » (du latin colere, cultiver et célébrer)
• la nature créatrice : l’agriculture, associée à la fécondité.
• l’homme créateur : les arts associés à la beauté, l’émotion, l’expression, et les techniques, asso-ciées à l’inventivité, l’habilité.
• Le savoir : la culture générale, associé à l’érudition plurielle
• L’identité collective, associée l’identité conservée et respectée
• L’identité humaine, associée à la dignité humaine
b. Les sens et les valeurs du mot culture par leur contraire (antonyme)
• la non mise en culture : la jachère, la friche
• l’absence de culture : l’ignorance artistique ou technique
• le manque de culture : l’ignorance généralisée
• la perte de sa culture : le déracinement, la désaffiliation, le déclassement mais aussi l’uniformi-sation, la normalisation
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• la non humanisation, la non acculturation à l’humain : l’enfant-loup mais aussi la xénophobie, le racisme contre les « sous-hommes », les discriminations
4. Culture et développements soutenables : une fertilisation mutuelle à réanimer
Un enjeu de l’action culturelle : faire vivre ce schéma en s’appuyant sur le ferment de la culture en tous
sens ?
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Atelier Céréale
André CurmiAncien directeur du Théâtre d’AngoulêmeAncien directeur du secteur formation de la fédération nationale Travail et CultureAncien Responsable de l’observatoire régional du spectacle vivant au sein de l’A, agence culturelle du Poitou-Charentes
La Place de la création dans les politiques culturelles
André Curmi n’est pas seulement un militant de la culture. La parole qu’il aura aujourd’hui sera celle de quelqu’un qui a commencé effectivement par le militantisme, qui est passé longuement dans le milieu professionnel à différents endroits. Sa parole sera partiale, elliptique, partisane.
L’énoncé même de la question pose une quantité absolument pas négligeable de questionnements tant la façon dont elle est formulée pourrait conduire à une réponse un peu totalisante.
Le premier risque serait sans doute d’aller vers la simplification, la réduction de la grande diversité des pratiques esthétiques, culturelles, économiques et sociales au cœur de la plupart des médiations qui sont opérées au sein des structures initiatives, établissements, équipements.
Il lui paraît en effet impossible et non souhaitable de donner une réponse simple à cette question qui conduirait à laisser entendre que :
• il y a une place,
• il y a une définition de la création satisfaisante et partagée par le plus grand nombre,
• les politiques publiques sont un tout cohérent, négocié et contractualisé entre tous ces acteurs et dans lequel on identifierait avec aisance les niveaux de gouvernement qui interviennent, les valeurs, règles et protocoles qui les régissent et par là même envers lesquels on pourrait s’illu-sionner sur les niveaux de coopération supposés y exister et au travers desquels on saurait lire les attentes respectives des parties en présence. Enfin, illusion des illusions, sans doute, on pourrait se laisser aller à croire que les politiques publiques surtout en ce domaine sont des processus stables et pérennes.
Toutefois, il lui semble indispensable de mettre ici en débat et en mouvement des questionnements qu’elle soulève.
Ce qu’il propose dans cet atelier est de déconstruire et reconstruire les termes de la question qui est posée en les considérant pour les valeurs qui les sous-tendent ou les guident et les pratiques qui les agissent, les traduisent ou les provoquent, cette fameuse place de la création dans les politiques publiques, le tout en vue de permettre à chacun et chacune, aux places qu’elle ou il occupe au métier, qu’elle ou il exerce, aux responsabilités qu’elle ou il assume, à la mise en mouvement ou à la relance de la palabre.
Alors on pourrait tenter de reformuler ensemble la question en trois notions successives et en interaction celle de :
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• places à géométrie variable, à négocier, renégocier sans cesse donc obligeant à un débat démo-cratique permanent et à une identification de la localisation de ce débat,
• formes de création ou de recréation pour lesquelles projet, esthétique, processus, aboutisse-ment et conséquences ou poursuites sont autant de valeurs à conjuguer,
• politiques publiques à identifier, connaître, évaluer et faire évoluer mais par le biais des pratiques.
Aux interactions entre ces trois termes, on pourrait aussi adjoindre celle autorisant l’échange avec la sphère privée, qu’elle relève de l’initiative de l’individu comme entité collective telle que l’entreprise.
Pour illustrer cette introduction et lui donner un caractère concret, il nous a livré une tentative person-nelle d’utilisation de cette grille à partir d’un seul exemple vécu, celui de la création d’une chorégraphie visuelle et sonore de Denis Psaltopoulos qui s’appelait Sang de l’amour. Le cadre général était celui d’un projet esthétique, d’un danseur chorégraphe qui était articulé autour de la narration d’une contamina-tion par le virus HIV et des modifications dans la vie et par rapport à la vie qu’elle entraîne. L’ambition artistique était très forte, elle mêlait l’audiovisuel cinéma et vidéo aux musiques actuelles avec des utili-sations techniques qui étaient à la lisière entre l’analogie et le numérique. Le contexte sociétal était celui de la forte mobilisation contre la pandémie du sida par des groupes de plus en plus larges dont le secteur éducatif conjointement à des luttes sociétales qui se situent en amont mais qui les annoncent comme prémisse, en amont du PACS et bien entendue du mariage pour tous. Les politiques publiques qui étaient à l’œuvre n’étaient pas seulement des politiques publiques culturelles mais aussi des politiques publiques de l’éducation, de la santé, c’était l’année mondiale de lutte contre le sida.
Les contours significatifs de l’aventure de création, soutenue ou traversée par des politiques publiques, ou s’inscrivant dans plusieurs de ses référentiels d’intervention, étaient qu’un artiste disposait encore offi-ciellement de la possibilité de s’adresser à l’État, pour obtenir une subvention exceptionnelle de celui-ci sans s’inscrire nécessairement dans un contexte réglementaire très contraignant. Ce fut le cas pour Denis Psaltopoulos pour ce projet qui paraissait légitime à la délégation à la danse contemporaine secteur parti-culièrement marquée par la disparition de figures marquantes de la chorégraphie française. La fondation Beaumarchais n’hésitait pas à prendre certains risques pas trop médiatiques. Yves Saint-Laurent Couture avait apporté à la compagnie un mécénat de fonctionnement et de création de 105 000 € en deux ans et de nombreux costumes pour les danseurs. Et puis, les ASSEDIC étaient, de fait, dans les années 80, 90, des coproducteurs significatifs de la jeune chorégraphie française, vu la faiblesse des budgets publics qui étaient consacrés à la danse. Pour André Curmi, l’indemnisation des artistes et techniciens en période de non-emploi au titre des annexes 8 et 10, est aussi une politique publique. Ce contexte-là fait qu’il restait finalement à Denis Psaltopoulos à trouver le lieu et l’équipe qui lui donneraient les moyens supplémen-taires et la plus grande complicité possible pour son projet et l’outil de production dans tous les sens du terme pour que ce projet se mette en route. En tant que directeur du Théâtre d’Angoulême, il avait déjà auparavant un tropisme assez fort pour la danse contemporaine, ayant développé le festival Danse en Yvelines, à Saint-Cyr-l’École. Un tel projet était possible avec la complicité pleine et entière d’une équipe et en premier lieu de celle de son chargé de communication de l’époque, parce que le travail de communica-tion, à cet endroit, n’est pas considéré comme un travail médiatique mais comme l’organisation de vases communiquant entre des parties hétérogènes. Il avait réussi à faire intervenir, communiquer, échanger ensemble, le deuxième régiment d’infanterie de marine d’Angoulême, le lycée technique, l’école de coif-
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fure, la commune à la fois par l’accès aux friches industrielles dont elle était propriétaire pour certains tournages mais aussi parce qu’elle intervenait au titre de la politique de la ville, la caisse d’allocations familiales, et au cœur de tout cela, le lycée de l’image et du son d’Angoulême, le L.I.S.A, partenaire de production et lieu de diffusion de l’œuvre fini. Il y avait aussi le secteur associatif, particulièrement les associations Aide et Gairidon, avatar local du front homosexuel d’action révolutionnaire et le soutien de la presse locale. La résidence, qui était elle-même dans un budget assez contraint, s’est étalée sur plus de trois mois et les comportements se sont notablement modifiés. Par exemple, à partir de cette expé-rience, non seulement toute l’équipe, tous secteurs confondus, s’est sentie concernée par les processus de création en résidence et par l’ensemble des choix que cela représentait et l’homophobie a perdu tout droit de cité dans l’intime et dans le profond de chacune et de chacun des membres, de cette équipe et chez nombre des interlocuteurs de l’époque.
Des nuances moins positives ont émergé comme la découverte par l’équipe dirigeante du brevet de tech-nicien supérieur du L.I.S.A de sa capacité de production monnayable or, le contexte général était celui d’une économie sociale et solidaire.
Quand à l’artistique, certains objectifs n’ont pas tenu toutes leurs promesses. Plus de 40 personnes ont directement contribué à l’artistique mêlant les disciplines mais aussi les professionnels aux amateurs. La réception publique de ce travail a rencontré un succès considérable : cinq représentations pleines à craquer mais personne n’a acheté le spectacle, seule la biennale de danse du Val-de-Marne a donné une suite et non pas un achat, et seul le film, le support audiovisuel a connu une diffusion, à titre d’extraits dans un travail consacré par Arte. Ce risque n’est pas forcément un risque prolongé par une existence de diffusion. La scène nationale ne pouvait malheureusement pas suivre la diffusion. Ils ne pouvaient pas non plus soutenir de façon durable le travail du chorégraphe. Les politiques publiques ne l’ont guère accompagné.
Ce qui signifie que s’il y a place pour la création dans les politiques publiques cela engage nécessairement une réflexion sur la durée, la responsabilité dans le parcours des artistes avec laquelle on produit cette création.
Pour conclure, André Curmi cite deux phrases qui illustrent assez bien la réalité du tumulte qu’il a fallut traverser pendant ce processus. « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience. » de René Char et « il faut porter en soi un chaos pour accoucher d’une étoile qui danse. » de Nietsche. Pour finir, il tend à dire que la création a droit à toute sa place dans les politiques publiques à condition de vouloir les coconstruire, territoire par territoire, s’en emparer en les décloisonnant et sans craindre de créer la dissonance et la crise, qu’il s’agira à chaque fois de surmonter.
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Atelier Pêche
Éric ChevanceMembre fondateur du réseau ArtFactoriesEnseignant à l’Université de BordeauxFondateur et ancien directeur du TNT - Manufacture de chaussures de BordeauxAncien secrétaire général du Centre dramatique d’Aquitaine
La culture, outil de liberté pour l’individu ?Il semble au premier abord que ce soit une évidence. Tout le prouve, tout l’atteste et chacun peut en témoigner. Et puis très vite, on se dit que ce n’est pas si simple. C’est pourquoi, Éric Chevance a souhaité ajouter un point d’interrogation à l’intitulé de cet atelier.
En tant qu’acteur culturel, il cherche à « élargir les publics », et à convaincre le plus de personnes possibles qu’il est de leur intérêt d’aller au théâtre, au concert, de fréquenter les expositions. Et dans le même temps, il s’interroge : qui est-il pour dire aux gens ce qu’ils doivent faire ? Ne sont-ils pas libres de leurs choix ? Il est un « expert » autoproclamé et c’est à ce titre qu’il mets en œuvre des programmations artis-tiques et culturelles. Mais comment savoir si ce qu’il propose est juste ? N’est-ce pas son propre goût qui guide ses choix ?
Par ailleurs, en écoutant le discours du Maire de Ruffec, qui affirmait que « la culture contribue au dyna-misme de nos territoires, fussent-ils ruraux », il s’est interrogé : la culture a-t-elle donc pour fonction de contribuer à l’émancipation des peuples et la liberté des individus, où de favoriser le marketing territorial des collectivités locales, dans une logique de concurrence de plus en plus vive ?
Il faut d’abord bien s’entendre sur ce que l’on appelle culture. Si, comme le propose la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels, « le terme «culture » recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie » (et que l’on oublie la suite de la phrase « …par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité́… »), on remarque vite que c’est souvent sous couvert de « culture » que les pires atrocités peuvent être commises.
C’est ainsi, pour ne prendre que cet exemple, qu’au nom de traditions séculaires, on continue à exciser de petites Africaines. Il devient clair que, dans de tels cas, la culture n’est pas facteur de liberté mais au contraire d’oppression.
Mais même si l’on choisit une définition plus restreinte de la culture, celle par exemple du Ministère de la Culture, qui englobe essentiellement les pratiques artistiques, assorties de la triade production, diffusion et médiation, quelle est la réalité de cette liberté ?
Un trublion comme Franck Lepage, n’hésite pas à remettre violemment en cause cette approche de la culture : « Il y a désormais en France une culture officielle, une esthétique certifiée conforme, celle des scènes nationales de théâtre, par exemple, aux mises en scène interchangeables. Elle vise paradoxale-ment à manifester en tous lieux la liberté d’expression, pour peu que celle-ci ne désigne aucun rapport social réel, n’entraîne aucune conséquence fâcheuse et soit littéralement sans objet. (…) En même temps qu’il dépolitise, l’entretien du culte de la « culture » contribue à domestiquer les classes moyennes culti-
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vées en réaffirmant la frontière qui les sépare des classes populaires11. »
Autre affirmation, en août dernier, Fabrice Raffin, sociologue, maître de conférence à l’Université de Picardie Jules Vernes, écrivait dans Libération : « (…) les pratiques soutenues par les politiques culturelles sont principalement celles portées par ceux capables de se faire entendre, le plus souvent les classes moyennes supérieures. Elles ont bien-sûr raison de le faire, comme il faut affirmer ici l’intérêt d’un soutien à l’art et reconnaître la qualité du travail des professionnels de la culture. Cependant, bien souvent, sous couvert «d’universalisme», ces acteurs définissent eux-mêmes une «bonne culture» qui est en fait la leur. Se battant contre un élitisme culturel, ils en reconstruisent un autre sans toujours en avoir conscience. Ce qui frappe également est leur faculté à ne pas reconnaître digne d’intérêt véritable des pratiques cultu-relles majoritaires ancrées dans les populations : fanfares, clubbing, musiques amplifiées, cirque, théâtre mais dans leurs versions populaires, chant, slam, jeux vidéos, cosplay, comics, mangas, bref, les cultures banales mais essentielles de millions de personnes2. »
Quant à l’art lui, même, rappelons nous ce qu’affirmait en 1986 l’artiste Jean Dubuffet, dès les premières pages de son pamphlet « Asphyxiante Culture » : « Le premier Ministère de la Culture a été institué en France il y a quelques années et il aura et a déjà le même effet, qui est celui que l’on souhaite, de substi-tuer à la libre culture un succédané falsifié, lequel agira à la manière des antibiotiques, occupant la totalité de la place sans en laisser la moindre part où puisse prospérer rien d’autre3. » Jean Dubuffet, promoteur et ardent défenseur de l’art brut, défend ici l’invention artistique contre l’art « culturel »4.
Si l’art est ainsi réduit à reproduire des esthétiques convenues et consensuelles (Dubuffet), et la culture à prôner une esthétique bourgeoise visant à dépolitiser le peuple, à le soumettre aux valeurs des classes dominantes (Lepage), et si elle laisse de côté des pratiques nouvelles pourtant portées par de très nombreuses personnes (Raffin), peut-on alors affirmer que cette culture favorise la liberté ?
Enfin, lorsque l’on lit certaines injonctions de nos responsables politiques, on peut s’interroger sur la fonction qu’ils assignent à la culture. Ainsi, l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy écrit à la Ministre de la Culture Christine Albanel que « la démocratisation culturelle, c’est [enfin] veiller à ce que
1 Franck Lepage, De l’éducation populaire à la domestication par la « culture » in Le Monde diplomatique, mai 2009 (http://www.monde-diplomatique.fr/2009/05/LEPAGE/17113)
2 Fabrice Raffin, La culture, ce n’est pas que l’art, Libération, 13 août 2012 : http://www.liberation.fr/culture/2014/08/13/la-culture-ce-n-est-pas-que-de-l-art_1080165
3 Jean Dubuffet, Asphyxiante Culture, Paris 1986, p.8
4 « Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe ». Jean Dubuffet L’art brut préféré aux arts culturels, 1949 in Prospectus et tous écrits suivants, Gallimard, 1967
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les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public5 ». Ainsi, l’actuelle Ministre de la Culture Fleur Pellerin, dans un récent discours à Dijon, souhaite « l’émergence d’offres fortes facilement identifiables par le public » et « que les algorithmes de recommandation aident les consommateurs à faire le tri6». Foin de la liberté de choix des personnes, foin de la liberté des artistes eux-mêmes, il faut plaire au plus grand nombre et c’est désormais aux même moteurs de recherche que ceux mis en place par l’intrusive publicité numérique qu’il faut confier cette mission !
En définitive, si l’on cherche ce qui, dans la culture, et notamment dans les politiques culturelles, peut contribuer à rendre plus libres les personnes et les communautés, nous devons peut-être regarder du côté des droits culturels évoqués plus haut et rappeler qu’au delà de l’art, au delà de la culture, ce qui contribue le mieux à construire et développer la liberté de chacun, c’est avant tout l’éducation. Et dans l’éducation, Éric Chevance inclus aussi l’éducation populaire.
Au delà des apparences, la question de la capacité de la culture à être un « outil de liberté » se pose réel-lement . À contrario, de nombreux exemples montrent et prouvent sa capacité à éveiller l’esprit critique, et à être un facteur très puissant d’émancipation.
5 Lettre de mission de Nicolas Sarkozy à Christine Albanel, 1er août 2007. http://www.culture.gouv.fr/culture/actua-lites/index-lettre2mission07.htm
6 Fleur Pellerin aux Rencontres Cinématographiques de Dijon, 18 octobre 2014. Citée par Jean-Michel Frodon, Slate.fr, 19 octobre 2014 : http://www.slate.fr/story/93921/politique-culturelle-pellerin
> ARDC - La MalineLa Couarde sur Mer
> Association A4St-Jean-d’Angély
> Association CREASt-Georges-de-Didonne
> Carré AmelotLa Rochelle
> Gallia ThéâtreScène ConventionnéeSaintes
> Le PalaceSurgères
> Théâtre de la Coupe d’OrScène ConventionnéeRochefort
Le G19 est un réseau de salles de spectacles en région Poitou-Charentes créé il y a plus de 20 ans à l’initiative de professionnels passionnés et militants, désireux de partager leurs expériences et convaincus de la nécessité de s’unir pour défendre une culture exigente et populaire. Aujourd’hui, il regroupe 20 structures de création et de diffusion artistique implantées tout autant en milieu urbain que rural.
Ce groupement professionnel favorise la mise en commun des ressources de chaque lieu, ce qui rend son action collective plus visible et cohérente : accompagnement d’artistes émergents et soutien à la création (Spectacles d’Hiver, productions G19, résidences coordonnées), soutien à la diffusion (Tournées G19). Le G19 agit dans l’intérêt des publics et des artistes en facilitant la découverte et la circulation des oeuvres ; il est un outil de développement territorial important.
Présentation du G19
> Culture 4B ThéâtreTouverac
> L’Avant-ScèneScène conventionnéeCognac
> La CanopéeRuffec
> La PalèneRouillac
> Les CarmesLa Rochefoucauld
> Association «S’il vous plaît»Scène ConventionnéeThéâtre de Thouars
> Maison pour TousAiffres
> Scènes de TerritoiresAgglomération du Bocage Bressuirais
17Charente Maritime
79Deux-Sèvres
> 3T - Théâtres de ChâtelleraultChâtellerault
> Centre d’Animation de BeaulieuPoitiers
> La BlaiseriePoitiers
> La MargelleCivray
> Maison des Trois QuartiersPoitiers
86Vienne
16Charente
A4 - 1 rue Louis Audouin Dubreuil - Abbaye Royale - BP 90 030 - 17412 Saint Jean d’Angély Cedexwww.g19.fr
La culture, cette chance !Enjeu sociétal... Territoires de vie
Mardi 18 Novembre 2014 - La Canopée – Ruffec (16)
Les Discours
Discours de Monsieur le Maire de RuffecMesdames, Messieurs, bonjour,
Madame la vice-présidente de la région qui donc s'occupe de la culture, surtout du territoire du Nord
Charente,
Monsieur le président du G19, où vous êtes 20 je crois. Mais, je comprends qu'on puisse avoir des
complexes à s'appeler G20 vu les dernières performances enregistrées au plus haut niveau, donc, restez G
19.
Cher Geoffroy Dudouit, vice président de la communauté de commune à la culture et à qui je céderai la
main très rapidement,
Jean-Claude, qui remplace Nathalie Chanas-Nicot pour ceux qui la connaissent on peut avoir une pensée
pour elle et une bonne pensée puisque après une épreuve difficile à l'hôpital de Poitiers, elle est ressortie et
je l'ai vue dimanche. Comme on dit chez nous, elle pète le feu, c'est clair, c'est net.
J'ai vu des collègues maires donc chers amis, chers collègues,
Bonjour à toutes et à tous,
Mesdames, Messieurs,
Il est bien évident que je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui à Ruffec pour cette journée de
débats sur la culture et les enjeux qui sont liés à la diffusion sur le territoire.
Comme dans de nombreuses autres communes rurales de France, la question de l'accès des citoyens à la
culture est un enjeu majeur.
En tant que maire, mais également comme conseiller général, j'ai toujours eu à cœur de faciliter la diffusion
culturelle dans les territoires ruraux, convaincu que la réponse à la crise économique que nous connaissons
aujourd'hui pourrait se trouver en partie dans la culture.
Pour beaucoup d'entre nous cela semble être une évidence, mais comme vous, je ne compte plus le
nombre de fois où on a dit que la culture était accessoire voir secondaire pour ne pas dire pire dans une
période où les crises, où les effets de la crise se font durement ressentir. C'est la raison pour laquelle chaque
fois que j'en ai l'occasion je dis haut et fort : la mobilisation de toutes les énergies créatives, de notre
richesse patrimoniale, la valorisation de l'éducation artistique et culturelle sont non seulement des
richesses, mais elles contribuent incontestablement au dynamisme d'un territoire fut-il rural.
Face à la crise économique la culture est à la fois un atout et un espoir :
Un atout parce qu'elle resserre les liens de notre communauté nationale en rapprochant les
citoyens et en leur faisant partager des émotions ;
Un atout parce qu'elles génèrent souvent de l'emploi et donc de la croissance économique ;
Un espoir enfin parce que les artistes sont des visionnaires qui jettent les bases d'un progrès à venir.
Mesdames, Messieurs, les collectivités locales peuvent s'appuyer sur la culture pour bâtir leur avenir ! C'est
une conviction que je porte au conseil général depuis de longues années en accord avec la majorité de
gauche et en lien avec le tissu associatif local. Car en France et dans nos territoires en particulier, la
promotion de la culture passe très souvent par le soutien aux initiatives locales et presque toujours par un
appui au milieu associatif très structuré dans ce domaine.
Dans un contexte d'incertitude sur l'avenir des départements il faut insister sur l'importance des initiatives
locales.
J'ai d'ailleurs lu avec attention les déclarations de notre Ministre de la culture selon lesquelles la loi relative
à la nouvelle organisation territoriale de la république et celle portant sur la modernisation de l'action
publique vont nous permettre de mieux penser les partenariats entre collectivités et état en matière
culturelle. Nous pouvons nous réjouir de ces déclarations car la culture ne sera pas oubliée de la réforme à
venir.
En attendant le vote des parlementaires, je vous remercie de votre présence à Ruffec et vous souhaite à
toutes et à tous la bienvenue et de bons travaux.
Simplement quelques mots sur Ruffec pour ceux qui ne connaissent pas, ou ceux qui découvrent la salle.
Cette salle qui pour une ville de 3500 habitants est exceptionnelle mais je voudrais insister et remercier
encore tous les partenaires qui nous ont poussés, effectivement à réaliser cette salle. Je pense notamment
à la région en premier lieu, la DRAC aussi a fortement poussé et le conseil général, je salue mon collègue
Jean-Pierre Denieul qui est président de la commission des affaires culturelles au conseil général.
C'est vrai que le financement avoisinait les 80 % et ça serait à refaire aujourd'hui on aurait beaucoup de mal
à réaliser un tel ensemble. Puis c'est un lieu bien placé au niveau de la région, central, on a l'habitude de se
rassembler, soit pour manifester soit pour travailler sérieusement.
Pour mémoire, le 6 juin 2014, on était tous là pour faire en sorte que la région Aquitaine Poitou-Charentes
et le Limousin à l'occasion se fasse, au détriment d'une autre région qui était envisagée et aujourd'hui on
est la capitale régionale de la culture on ne peut que s'en réjouir.
L'autre aspect positif pour la Canopée, son théâtre et la médiathèque est que jusqu'à ce jour tout était à la
charge de la ville de Ruffec. Pour une ville de 3500 habitants une telle structure est difficile à faire vivre
correctement, on risquait de tomber relativement bas. Dieu merci pour nous, la communauté de
communes a accepté lors de la fusion avec une autre communauté de communes la prise en charge de
l'ensemble de l'établissement ce qui assure la pérennité de cette structure.
Voilà que du bonheur ! Merci à toutes et à tous.
Un billet doux de Nathalie Chanas-NicotBonjour à toutes et à tous et bienvenue à la Canopée.
Je vous prie d'excuser mon absence, une intervention chirurgicale récente m'empêche d'être parmi vous
aujourd'hui. Je le regrette sincèrement car cette journée de réflexion préparée avec mes collègues du G19
me tient à cœur. Je vous sais entre de bonnes mains avec l'équipe de la Canopée et les membres du réseau
qui mettront tout en œuvre pour vous permettre de profiter au mieux du programme.
Je vous remercie pour votre présence, elle nous encourage à poursuivre ce genre d'initiative.
Il me reste à vous souhaiter un fructueux échange et une excellente journée à bientôt.
Nathalie Chanas-Nicot.
Discours de Geoffroy Dudouit vice-président de la commissionculture de la communauté de communes du Val de Charente.
La communauté de communes du Val de Charente, nouvelle intercommunalité, est née le 1er janvier
dernier et depuis le 1er septembre seulement la Canopée, médiathèque et salles de spectacles sont une
compétence intercommunale.
Autant dire que c'est un chantier tout neuf surtout que je suis fraîchement élu aussi donc je découvre tout
cet équipement avec les équipes de la Canopée et Nathalie particulièrement et Jean-Claude qui va assurer
un intérim d'enfer.
Je suis intéressé à plus d'un titre aujourd'hui, à savoir en tant qu'élu parce que ces questions m'intéressent,
surtout ça m'intéresse de discuter de tout cela, de vous rencontrer, de prendre connaissance du paysage
par cet angle puisque mon métier c'est chanteur et chef de chœur. Je suis intermittent du spectacle, profil
très peu courant chez les élus et donc cela m'intéresse d'avoir une réflexion en tant qu'élu qui n'est pas la
même que celle d'un artiste, c'est une autre vision tout aussi partiale et partielle mais qui est intéressante à
compléter.
Je suis très heureux de pouvoir discuter avec vous aujourd'hui. On nous a offert des cannes à pêche comme
disait Bernard Charbonneau, cela ressemble aussi à un bâton de pèlerin et donc, j'espère que cette journée
sera un chemin instructif.
Merci.
Discours de Didier Trambouze, président du G 19, directeur de l'association CREA à Saint-Georges de Didonne
Merci d'abord à toutes et tous d'être présents parce que c'est un travail de longue haleine dans le réseau
que d'avoir organisé cette journée.
C'est venu de ce départ que l'on a eu avec une première intervention de Marie-Hélène Popelard, l'an
dernier sur les journées à Rouillac, spectacles d'hivers en janvier 2014. On était tous d'accord pour dire qu'il
fallait poursuivre au sein du réseau, même, partager aussi avec vous tous aujourd'hui ce temps de réflexions
et ces interventions qui vont nous nourrir et nous permettre d'aller plus loin dans nos démarches
artistiques parce que le G19 n'est pas seulement un regroupement de lieux, 20, c'est vrai, aujourd'hui, peut-
être 21 demain, mais 20 aujourd'hui où l'on accompagne la création où on accompagne les artistes ou bien
sûr, on réalise aussi des saisons culturelles, de la diffusion, mais pas seulement c'est aussi le G19 un lieu
d'échanges, de réflexions où on se nourrit les uns les autres. On avait vraiment envie de partager avec vous
tous aujourd'hui.
Le déroulement de la journée : je vais faire très court mais vous avez le programme, on démarrera ici avec la
première intervention de Marie-Hélène Popelard à 10 heures. Ensuite évidemment, on poursuivra cette
matinée avec Jean-Michel Lucas. Je les remercie bien sur tous les deux d'être là.
Après un temps de repas, il y aura des ateliers, d'où la canne à pêche pour l'atelier pêche, l'atelier céréales
avec votre petit sachet de graines et puis l'atelier viticulture avec la mignonnette. Je pense que là,
effectivement ça risque de chanter à la fin de l'atelier. Évidemment, on vous accompagnera avec des
collègues et des collègues retraités mais qui faisaient partie jusqu'à très peu de temps du réseau G19 en
tant que directeurs de salles et qu'on a convié aujourd'hui à revenir alors je voudrais remercier Sylvie
Fichelson, Alain Crendal et Patrick Fournier d'être avec nous.
On terminera la journée ici pour faire un état des lieux de ces trois ateliers avec une restitution puis un
partage de nouveaux tous ensemble avant la clôture de cette journée qu'on a prévue à 17 heures.
J'ajouterai que le réseau G19 est un réseau régional et que par ce fait, notre premier partenaire est la
région Poitou-Charentes.
Je vous souhaite une excellente journée à toutes et à tous.
Discours de Joëlle Averlan, présidente de la commission culture de la région Poitou-Charentes
Monsieur le président de la communauté de communes,
Monsieur le président du G 19,
Mesdames et Messieurs chers participants,
Merci tout d'abord au G19 de son invitation à participer et à ouvrir ces rencontres d'automne. Mes
remerciements également à l'équipe de la Canopée qui nous accueille dans son lieu, comme vous l'a dit
Bernard Charbonneau, que la région a beaucoup aidé à naître et elle en est fière et qu'elle aide encore
aujourd'hui à grandir.
Des remerciements bien sûr à Monsieur le maire sans qui cet équipement et ce projet n'auraient jamais pu
voir le jour.
La crise économique qui frappe notre pays rend plus que jamais nécessaire le maintien d'un fort
engagement de la force publique dans le domaine culturel car la culture est la base du développement
individuel de nos concitoyens et elle est indispensable au maintien des liens qui unissent au sein de la
société. Nous allons réfléchir ensemble, tout au long de la journée, aux enjeux des politiques culturelles sur
les territoires. Vastes sujets dont la réponse dans un contexte mouvant comme le nôtre est je pense à bâtir
ensemble. Les politiques culturelles de demain ne sont pas en effet celles d'hier. Plus que jamais, nous, élus,
devront écouter et changer, confronter les idées, faire remonter les propositions pour être en capacité
d'envisager des organisations nouvelles répondant à l'intérêt général. Il faut également avoir en tête que la
crise économique actuelle et la réforme des collectivités masquent une question déterminante : celle de la
capacité des acteurs à coopérer et à créer de la valeur. Coopérer cela suppose de créer des liens sociaux, de
remettre de l'humain dans les relations, du sens dans les échanges. Ces journées d'automne en sont je
pense une belle illustration. Alors, sans plus tarder, je vous propose de commencer à travailler.
Bonne journée à tous.
La culture, cette chance !Enjeu sociétal... Territoires de vie
Mardi 18 Novembre 2014 - La Canopée – Ruffec (16)
Atelier Céréale
André Curmi
Ancien directeur du Théâtre d'AngoulêmeAncien directeur du secteur formation de la fédération nationale Travail et CultureAncien Responsable de l'observatoire régional du spectacle vivant au sein de l'A, agence culturelle du Poitou-Charentes
La Place de la création dans les politiques culturelles
Je suis ravi de pouvoir répondre à cette sollicitation du G 19 sur le thème : la place de la création dans les
politiques publiques. Comme il se doit, je vais essayer d'abord de dire d'où je parle : je ne suis pas
philosophe des arts comme Marie-Hélène Popelard, présente dans la salle, qui m'impressionne beaucoup,
et qui a pu vous donner une approche de son expertise considérable ce matin. Je ne suis pas seulement
comme Jean-Michel Lucas le définit un militant de la culture. La parole que j'aurai, aujourd'hui, sera celle de
quelqu'un qui a commencé effectivement par le militantisme, qui est passé longuement dans le milieu
professionnel à différents endroits : centre culturel communal de banlieue, devenu ultérieurement théâtre,
centre d'action culturelle de plus grande banlieue, médiation dans le domaine de l'entreprise, celle qui
produit des richesses économiques qui sont distribuables et commercialisables et enfin comme directeur de
la scène nationale d'Angoulême et dans une seconde vie sur un poste d'analyse et d'observation puisque
j'étais responsable de l'observatoire régional du spectacle vivant Poitou-Charentes. Ma parole sera partiale,
elliptique, partisane. Elle vient de ce parcours.
Je dirai d'emblée que l'énoncé même de la question pose une quantité absolument non négligeable de
questionnement tant la façon dont elle est formulée pourrait conduire à une réponse un peu totalisante.
Le premier risque serait sans doute d'aller vers la simplification, la réduction de la grande diversité des
pratiques esthétiques, culturelles, économiques et sociales au cœur de la plupart des médiations qui sont
opérées au sein des structures initiatives, établissements, équipements. Opérées, c'est-à-dire qu'elles sont
mises en œuvre souvent, conjointement par des habitants, des citoyens, des bénévoles, des éducateurs, des
professionnels de tous poils, des politiques de tous niveaux.
Il me paraît en effet impossible et non souhaitable de donner une réponse simple à cette question qui
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conduirait à laisser entendre que :
premièrement il y a une place, le une renvoyant à une description normalisante par exemple la
place pourrait signifier que c'est une catégorie bien circonscrite et envisagée suivant un certain
nombre de règles comme un pourcentage dans les actions, une régularité, une récurrence dans les
pratiques, un fléchage des budgets, une modalité d'utilisation ou une visée et des objectifs définis
et atteignables.
Deuxièmement il y a une définition de la création satisfaisante et partagée par le plus grand
nombre. Je ne me risquerai pas à relancer le débat qui relève tout autant des approches
esthétiques et disciplinaires, philosophiques, techniques ou technologiques, économiques et
juridiques. Je m'amuserai simplement à souligner, personnellement, que j'ai souvent des
haussements d'épaules à l'usage un peu abusif du terme, que je vois pompeusement accoler ici ou
là, de création mondiale ou de déclinaisons sans fin du terme de création accolé à telle ou telle
remise en chantier de formes anciennes revisitées ou à peine réaménagées.
Troisièmement que cela laisserait aussi entendre que les politiques publiques sont un tout
cohérent, négocié et contractualisé entre tous ces acteurs et dans lequel on identifierait avec
aisance les niveaux de gouvernement qui interviennent, les valeurs, règles et protocoles qui les
régissent et par la même envers lesquels on pourrait s'illusionner sur les niveaux de coopération
supposés y exister et au travers desquels on saurait lire les attentes respectives des parties en
présence. Enfin, illusion des illusions, sans doute, on pourrait se laisser aller à croire que les
politiques publiques, surtout en ce domaine, sont des processus stables et pérennes.
Toutefois, s'il me paraît impossible de répondre à la question, il me semble indispensable de mettre ici en
débat et en mouvement des questionnements qu'elle soulève.
Je proposerai pour cet atelier de tenter dans un temps très limité, des approches simultanées à travers nos
expériences, c'est-à-dire celles que je vais relater puis celles que vous allez sans doute aussi évoquer, d'une
axiologie (du grec axia ou axios,valeur, qualité) qui peut se référer aux valeurs morales ou en philosophie à
une théorie des valeurs ou une branche de la philosophie, elle-même, s'intéressant au domaine des valeurs
et d'une praxis, donc faire une approche simultanée de ces deux outils la praxis qui désigne une finalité
interne à l'action non séparable de l'action et pour laquelle on pourrait dire que le fait de bien agir est le
but même de l'action. Concrètement, ce que je propose dans cet atelier est de déconstruire et reconstruire
les termes de la question qui est posée en les considérant pour les valeurs qui les sous-tendent ou les
guident et les pratiques qui les agissent, les traduisent ou les provoquent, cette fameuse place de la
création dans les politiques publiques, le tout en vue de permettre à chacun et chacune, aux places qu'elle
ou il occupe, au métier, qu'elle ou il exerce, aux responsabilités qu'elle ou il assume, à la mise en
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mouvement ou à la relance de la palabre, à laquelle Jean-Michel Lucas n'a cessé de nous inviter ce matin.
Alors on pourrait tenter de reformuler ensemble la question en trois notions successives et en interaction
celle de :
places à géométrie variable, à négocier, renégocier sans cesse donc obligeant à un débat
démocratique permanent et à une identification de la localisation de ce débat,
formes de création ou de recréation pour lesquelles projet, esthétique, processus, aboutissement
et conséquences ou poursuites sont autant de valeurs à conjuguer,
politiques publiques à identifier, connaître, évaluer et faire évoluer mais par le biais des pratiques.
Aux interactions entre ces trois termes, on pourrait aussi adjoindre celle autorisant l'échange avec la sphère
privée, qu'elle relève de l'initiative de l'individu comme entité collective telle que l'entreprise.
Pour illustrer cette introduction et lui donner un caractère concret je vais vous livrer une tentative
personnelle d'utilisation de cette grille à partir d'un seul exemple vécu parmi d'autres celui de la création,
donc en coproduction et en résidence durable à Angoulême en 1994, année mondiale de lutte contre le
sida, d'une chorégraphie visuelle et sonore de Denis Psaltopoulos qui s'appelait Sang de l'amour. Le cadre
général était celui d'un projet esthétique, d'un danseur chorégraphe qui était articulé autour de la narration
d'une contamination par le virus HIV et des modifications dans la vie et par rapport à la vie qu'elle entraîne.
L'ambition artistique était très forte, elle mêlait l'audiovisuel cinéma et vidéo aux musiques actuelles avec
des utilisations techniques qui étaient à la lisière entre l'analogie et le numérique. Le contexte sociétal était
celui de la forte mobilisation contre la pandémie du sida par des groupes de plus en plus larges dont le
secteur éducatif conjointement à des luttes sociétales qui se situent en amont mais qui les annoncent
comme prémisse, en amont du PACS et bien entendu du mariage pour tous. Les politiques publiques qui
étaient à l’œuvre n'étaient pas seulement des politiques publiques culturelles mais aussi des politiques
publiques de l'éducation, de la santé, c'était l'année mondiale de lutte contre le sida et on était, il faut le
savoir, à la veille de la mise en œuvre des trithérapies (1996). Pour rafraîchir la mémoire, Toubon avait
récemment succédé à Lang II, Trautmann n'avait pas encore rappelé aux établissements subventionnés par
l'État la charte des missions de service public, Vallon n'avait pas encore fait publier la circulaire de 98
décrivant l'ensemble des interventions de l'État dans le domaine du spectacle, la région Poitou-Charentes
n'avait pas défini sa politique culturelle et de communication ni mis en place ses dispositifs actuels d'aide à
la création ni développé son domaine d'intervention directe comme opérateur, les départements n'avaient
pas encore la charge des plans de développement de l'éducation artistique et puis la question de la
compétence générale n'était pas posée de la même façon qu'aujourd'hui mais, si je vous fais ce rappel c'est
que les conditions politiques au sens administratif du terme et a fortiori aussi les conditions économiques
et sociales n'étaient pas tout à fait les mêmes. Pourtant, je crois que les problématiques n'ont pas
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fondamentalement été modifiées et que l'analyse de ces tirs, qui a tout juste 20 ans, puisque la création
avait eu lieu le 1er décembre 94, demeure encore utile aujourd'hui.
Les contours significatifs de l'aventure de création, soutenue ou traversée par des politiques publiques, ou
s'inscrivant dans plusieurs de ses référentiels d'intervention, étaient qu'un artiste disposait encore
officiellement de la possibilité de s'adresser à l'État, pour obtenir une subvention exceptionnelle de celui-ci,
sans s'inscrire nécessairement dans un contexte réglementaire très contraignant. Ce fut le cas pour Denis
Psaltopoulos pour ce projet qui paraissait légitime à la délégation à la danse contemporaine secteur
particulièrement marquée par la disparition de figure marquante de la chorégraphie française. Je me
souviens que cette subvention exceptionnelle, on était allé la négocier ensemble auprès de l'État,
directement au ministère. La fondation Beaumarchais n'hésitait pas à prendre certains risques pas trop
médiatiques. Yves Saint-Laurent Couture avait apporté à la compagnie un mécénat de fonctionnement et de
création de 105 000 € en deux ans et de nombreux costumes pour les danseurs. Et puis, comme Stéphanie
Aubin qui vient récemment de démissionner de la direction du Manège, scène nationale de Reims pour
mésentente fondamentale sur la liberté de création avec la nouvelle équipe municipale et tenait à le dire
dans de nombreuses assemblées liées à la crise ou aux crises de l'intermittence, il ne faut pas oublier que
les ASSEDIC étaient, de fait, dans les années 80, 90 des coproducteurs significatifs de la jeune chorégraphie
française, vu la faiblesse des budgets publics qui étaient consacrés à la danse et ce n'était pas le protocole
actuel d'indemnisation avec les durées que vous connaissez. Pour moi, l'indemnisation des artistes et
techniciens en période de non-emploi au titre des annexes 8 et 10, est aussi une politique publique. Ce
contexte-là fait qu'il restait finalement à Denis Psaltopoulos à trouver le lieu et l'équipe qui lui donneraient
les moyens supplémentaires et la plus grande complicité possible pour son projet et l'outil de production
dans tous les sens du terme pour que ce projet se mette en route. En tant que directeur du Théâtre
d'Angoulême, j'avais déjà auparavant un tropisme assez fort pour la danse contemporaine j'avais développé
le festival Danse en Yvelines à Saint-Cyr-l'École et comme Jérôme Lecardeur était à l'époque inspecteur
générale de la danse et comme il devait le souligner lors de la première représentation, il n'y avait qu'une
personne suffisamment dingue dans le réseau des scènes nationales pour tenter un coup pareil c'était moi.
C'était possible avec une complicité pleine et entière d'une équipe et en premier lieu de celle de mon
chargé de communication de l'époque qui est décédé depuis et auquel je tiens à rendre hommage Joseph
Cebollero, parce que le travail de communication, à cet endroit, n'est pas considéré comme un travail
médiatique mais comme l'organisation de vases communicants entre des parties hétérogènes et que cela
s'avère extrêmement précieux. Il avait réussi à faire intervenir, communiquer, échanger ensemble, le
deuxième régiment d'infanterie de marine d'Angoulême, le lycée technique, l'école de coiffure, la commune
à la fois par l'accès aux friches industrielles dont elle était propriétaire pour certains tournages mais aussi
parce qu'elle intervenait au titre de la politique de la ville, mon voisin paysan pour qu'il coupe la moitié de
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ses maïs pour permettre une course filmée d'acteurs et d'actrices nus dans les rangs de maïs, la caisse
d'allocations familiales, et bien évidemment, au cœur de tout cela, le lycée de l'image et du son
d'Angoulême, le fameux L.I.S.A, dans lequel Bernard Popelard a œuvré pendant des années en tant que
professeur agrégé de géographie, comme partenaire de production mais aussi par sa logistique, ses apports
en industrie audiovisuelle et comme lieu de diffusion de l'œuvre finie. Je n'oublie pas que dans ce réseau de
vases communicants, il y avait aussi le secteur associatif et tout particulièrement l'association Aide et une
association locale qui s'appelait Gairidon et qui était l'avatar local du front homosexuel d'action
révolutionnaire. Joseph s'était aussi assuré le soutien de la presse locale avec laquelle personnellement
j'étais parfois en délicatesse et il avait aussi monté une conférence avec le milieu assuranciel UAP qui était à
ce moment-là très frileux vis-à-vis des séropositifs. Je veux souligner que la résidence, qui était elle-même
dans un budget assez contraint, je n'avais pu apporter que 7500 €, s'est étalée sur plus de trois mois et les
comportements de tous ceux que nous avons croisés, ce sont notablement modifiés. Par exemple, à partir
de cette expérience, non seulement toute l'équipe, tous secteurs confondus, s'est sentie concernée par les
processus de création en résidence et par l'ensemble des choix que cela représentait. L'homophobie a
perdu tout droit de cité dans l'intime et dans le profond de chacune et de chacun de ses membres, de cette
équipe et chez nombre des interlocuteurs de l'époque.
Des nuances moins positives ont émergé et je les souligne sans stigmatiser, par exemple, la découverte par
l'équipe dirigeante du brevet de technicien supérieur du L.I.S.A de sa capacité de production monnayable.
Je veux dire par là, l'idée un peu discutable de vendre ultérieurement ses prestations et de ne plus se
comporter comme un laboratoire d'expérimentation et de formation coopératif, le contexte général,
comme Michel Adam doit être en train de l'évoquer dans son atelier, était celui d'une économie sociale et
solidaire présente pendant toute la durée de la réalisation et donc si cela a montré que ce n'était pas
quelque chose de définitif, ce n'est pas forcément gagné pour tout le monde, puisque certains partenaires
ensuite ne sont pas demeurés des partenaires mais ont commencé à se dire qu'ils avaient une force de
production monnayable.
Quand à l'artistique, certains objectifs n'ont pas tenu toutes leurs promesses. C'était du cinéma, de
l'audiovisuel, des musiques actuelles, de la chorégraphie, de la dramaturgie, de la scénographie, c'était
quelque chose qui tentait de mettre en communication et correspondance des esthétiques et d'avancer
dans chacune des esthétiques. Plus de 40 personnes ont directement contribué à l'artistique mêlant les
disciplines mais aussi les professionnels aux amateurs. Il y avait six danseurs au plateau, et huit dans les
tournages en plus mais au moment où on a fait certain type de tournage tel que la course dans le champ de
maïs, séance ,où nombre de soldats ont accepté de courir nus, nécessaire dans la réalisation du film, la
même question avait été posée aux sapeurs-pompiers qui avaient refusé pour la question de
l'homosexualité. La réception publique de ce travail, toutes les médiations organisées au cours de la
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résidence ont rencontré un succès considérable : cinq représentations pleines à craquer avec évidemment
tous les partenaires de l'action mais aussi énormément de jeunes, de nombreux professionnels de la
profession et les diffuseurs de la région étaient présents mais personne n'a acheté le spectacle, seule la
biennale de danse du Val-de-Marne a donné une suite et non pas un achat, et seul le film, le support
audiovisuel a connu une diffusion et encore, c'était à titre d'extraits dans un travail consacré par Arte. Ce
risque là n'est pas forcément un risque qui est prolongé par une existence de diffusion. La scène nationale
ne pouvait malheureusement pas suivre la diffusion, nous étions à l'époque en pleine reconfiguration de
l'activité dans le début des travaux du Théâtre. Nous ne pouvions pas non plus soutenir de façon durable le
travail du chorégraphe les politiques publiques dans leur ensemble ne l'ont guère accompagné après cet
effet de Oneshot qui était une conjoncture tout à fait particulière celle de cette année de mondiale de lutte
contre le sida.
Ce qui signifie que s'il y a une place pour la création dans les politiques publiques cela engage
nécessairement une réflexion sur la durée, la responsabilité dans les parcours des artistes avec laquelle on
produit cette création. Je n'ai évidemment pas parlé, ici, des rôles des agents de l'État en région ni les
comités d'experts dans tous les niveaux de gouvernement qui interviennent à titres divers dans
l'accompagnement ou l'aide à la création et tout comme je n'ai pas forcément tout relaté ici notamment en
termes de dérangement dans les habitudes, en termes de réaménagement dans les pratiques des uns et
des autres.
Pour conclure je voudrais citer deux phrases qui illustrent assez bien la réalité du tumulte qu'il a fallu
traverser pendant ce processus. C'est une phrase d'un poète et l'autre d'un philosophe qui était aussi poète.
« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience. » de René Char et « il faut
porter en soi un chaos pour accoucher d'une étoile qui danse. » de Nietsche. Pour conclure et n'ayant peur
d'aucun paradoxe, je dirai que la création a droit à toute sa place dans les politiques publiques à condition
de vouloir les coconstruire, territoire par territoire, s'en emparer en les décloisonnant et sans craindre de
créer la dissonance et la crise, qu'il s'agira à chaque fois de surmonter évidemment.
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La Parole en Partage :
Gurval Reto, Scènes de Territoire, Bressuire : l'idée maintenant est de vous donner la parole. On a eu un
exemple concret, merci André. Nous avons une heure devant nous pour échanger, que vous échangiez entre
vous parce que même si la salle est conçue de telle sorte que nous sommes devant vous, face à vous, cela
ne veut pas dire que nous avons des réponses. Nous désirons un dialogue. Ce que je renote pour relancer
ces places à géométrie variable, les formes de création ou de recréation, la question du processus et la
place de ces différentes politiques culturelles donc dans la salle, je sais qu'il y a des élus et des compagnies,
on a tous des places différentes, comment est-ce qu'on arrive à créer un lien ? Comment est-ce qu'on arrive
à en parler ? La première question que je me pose c'est comment est-ce qu'un projet artistique peut être la
base de synergies entre une équipe artistique, une équipe de médiateurs, un territoire et une ambition de
politique qui vient couronner l'ensemble ? et aussi la question de la pérennité du projet sur ce territoire et
la suite des projets sur d'autres territoires, comment ils peuvent se dupliquer ou pas ?
Émilie Athimon, Les Carmes, La Rochefoucauld: cela peut être d'autres exemples vécus, sur des territoires
complètement différents, un territoire urbain comme l'évoque André. On est en Charente et en Poitou-
Charentes sur des initiatives à la fois de diffusions et de présences artistiques sur les territoires qui ont de
toute façon des connexions avec les interlocuteurs du local qu'il soit éducatif, scolaire, associatif, peut-être
peut-on avoir des échanges là-dessus d'expériences passées avec leurs bons moments, leurs difficultés
surmontées.
Josette Avril, Les Carmes, La Rochefoucauld : j'ai entendu des exemples concrets et je trouve que c'est très
intéressant mais la question que je me posais, et qu'il faudrait que l'on se pose tous est « qu'est que cela
veut dire la création ? » Je ne sais pas. Tu nous as donné un exemple de création mais je veux dire est-ce
que quelqu'un, les jeunes, qui vont faire une interprétation au violon, à la flûte, voir de n'importe quel
instrument, disent qu'ils recréent une œuvre, les grands interprètes recréent. J'ai peut être vu 10 fois Oncle
Vania et j'attends la 11ème. Je suis sûre qu'il y aura une recréation de l'oncle Vania. Donc il y a la création
comme tu dis dans le cadre d'une politique culturelle. Qu'est-ce que c'est la création ? Je ne sais pas bien ce
que c'est.
Philipe Mathé, Cie Bibliothéâtre : c'est un exemple personnel. Je dirige une compagnie de théâtre – sur la
littérature et le théâtre. Pour moi, artiste, une création c'est une question que je me pose qui me brasse le
ventre que j'ai envie d'exposer à tous. Elle est d'actualité en 94 mais aussi là. En ce moment je parle du
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suicide et du harcèlement scolaire, du choix de fin de vie parce que cela me travaille donc je les crée. C'est-
à-dire qu'à un moment donné, j'essaie de faire œuvre nouvelle ou nouvelle manière de poser la question
pas forcément avec une œuvre ou un texte déjà existant.
Il y a cette notion là dans la création de quelque chose de nouveau. C'est tout j'en tremble. Cela doit faire
partie de la création. C'est une nécessité pour au moins mon point de vue créateur alors après faut qu'il
rencontre la nécessité si bien compris de partenaires, de promoteurs qui peuvent être de différents
secteurs. Il faut que cette place de la création soit nécessaire à tous ces partenaires. C'est là que c'est
compliqué parce que le temps de l'élu n'est pas celui du créateur avec mon urgence, et pas la sienne, parce
qu'il va raisonner en petite case de subventions quand je lui demande de l'enthousiasme et que vous
passez devant les comités d'experts tous les six mois. Ce que je retiens de la fin en tout cas c'est qu'il y a
forcément une crise à un moment donné. On crée une crise, on dérange des habitudes donc s'il y a une
place, c'est une nouvelle place à chaque fois à essayer et de créer pour la création.
Samuel Suire, chargé de diffusion : Bonjour, je suis chargé de diffusion sur trois compagnies niortaises dont
la compagnie La Chaloupe. Pour donner un exemple, on est en train d'essayer de monter un projet sur un
spectacle jeune public YOL, le laissé au bord qui est une adaptation du mythe d'Œdipe. Donc au niveau des
jeunes et surtout des instituts cela fait peur de parler du mythe d'Œdipe. Par conséquent, on est en train de
voir pour mettre un projet en place avec la ligue de l'enseignement en Deux-Sèvres pour installer le
spectacle. On est sur ce travail transversal avec les différents partenaires, les écoles, les syndicats de pays,
les bibliothèques, on est donc dans un travail où on ne fait pas qu'essayer de vendre le spectacle, il y a tout
le temps l'aspect financier. Je pense que dès lors qu'une structure a un projet de création, une sorte de
commande, d'emblée on entre dans des aspects financiers qui ne sont pas forcément les mêmes mais là
rien que sur la mise en place d'un projet comme cela, le nerf de la guerre présent dès le départ était le côté
financier. Il faut réussir à trouver quelque chose et du coup l'idée a été de mutualiser le mot d'ordre pour
mettre en place un projet qui a du mal à démarrer par son sujet, pour un spectacle jeune public un peu cher
par rapport au réseau que l'on a. Ce travail là, très intéressant, demande du temps puisque c'est beaucoup
d'interlocuteurs.
Sylvie Mourrou, consultante au bureau de production Belokane : je pense que des projets de création on
pourrait tous en donner des exemples, il a des projets extrêmement réussis, d'autres qui rencontrent des
difficultés, il y en a qui ne vont pas au bout mais quand il y a un projet et que le projet de création est clair,
la question est « quelles sont les politiques publiques qui vont soutenir ce projet ? » Elles sont diverses
parce que justement on va être confronté à aller chercher des moyens auprès de différentes politiques
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publiques. Qui les met en place ? Comment ? Sur quel constat ? C'est-à-dire, quels sont les besoins pour
que les gens qui sont sur le terrain fassent leur travail et comment ces politiques publiques sont nourries
des besoins sur le terrain ? On travaille sur différentes régions, on peut faire aussi des comparaisons. On a la
chance d'être dans une région qui a des dispositifs très aidants, notamment ce dispositif de coproduction et
de diffusion, dispositif qui a rapproché les artistes et les diffuseurs, qui ont travaillé ensemble sur ce projet
en commun. Il y a beaucoup de régions où il n'y a pas cela. Est-ce que les politiques publiques sont toujours
là pour aider ou parfois contraignent-elles tellement que cela freine les projets ? Comment réinventer ces
politiques publiques pour qu'elles contribuent aussi à nourrir la création ?Qui fait remonter les informations
pour que ces politiques publiques évoluent et soit pertinentes dans le temps ?
Jean-Louis Compagnon, compagnie de la trace, Civray (79) : Bonjour, dans le prolongement de ce qui vient
d'être dit, aujourd'hui c'est compliqué de tirer des plans sur la comète à long terme quand on voit que la
présence en territoire, par exemple la création artistique, peut être remise en question par les élections.
C'est vrai pour les artistes et compagnies mais c'est vrai aussi pour les structures comme les théâtres.
Aujourd'hui c'est plus patent qu'il y a une dizaine d'années. Même sur un projet, où les partenariats sont
bien installés, où les gens ont l'habitude de travailler ensemble, où la population semble s'y reconnaître,
même sur ces projets là, il y a des coups de balais possibles et je sais que chacun a en tête ce qui est en
train de se passer dans certaines structures de la région.
Isabelle Herman, Comédie Poitou-Charentes : Bonjour, je voudrais repartir du titre de l'atelier, je n'étais pas
là ce matin, je vais peut-être avoir une parole qui ne paraît pas être la bonne par rapport à ce matin et là où
je suis assez surprise c'est d'avoir à redire à chacun des comités de suivi qu'on nous interroge sur des
données très précises qui sont par exemple le montant qui est mis dans la médiation culturelle et il faut
qu'on reparte en disant que l'on fait une création, que c'est un acte artistique d'Yves Beaunesne, metteur
en scène, ou des artistes associés ou des compagnies accompagnées, on est dans ce processus là et ensuite
parce qu'il y a quelque part des créateurs qui ont une vision du monde et qu'ils veulent la présenter à
d'autres, on manie des outils pour essayer de les apporter au plus près, et là, tout à coup, on ne nous
interroge plus sur la création, et on ne nous interroge plus que sur les outils et voir même, on nous dit
qu'on n'a peut-être pas besoin du spectacle. J'interroge ceci à travers la place de la création dans la
politique culturelle parce qu'avec les budgets qu'on nous présente toujours comme de plus en plus
contraints, on est dans l'efficacité avec les municipales mais quelque soient les échelons, une efficacité de
rapport aux gens, ils ont plus envie que l'on puisse mener un atelier sur une année avec les gens plutôt que
d'aller les convaincre de venir voir ce spectacle là parce que nous on pense qu'il est indispensable que ces
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gens viennent le voir à ce moment là. C'est pour moi une différence qui est en train de se poser et quelque
chose qui revient de plus en plus. Plus on nous dit que les budgets sont contraints plus on nous parle de la
médiation et moins de la création et moins il y a de place à un moment pour pouvoir la construire ou la
coconstruire. Je crois que c'est là-dessus que j'aimerais qu'on puisse et qu'on essaie à plusieurs endroits,
notamment les comités de suivi, mais également dans les cadres des travaux du COREPS, de faire remonter
ce genre d'inquiétude et ce genre de dérives du système par rapport à ce qui nous est demandé.
André Curmi : je reprends la parole une seconde, j'espère que, dans ma présentation elliptique de ce projet,
je n'ai pas laissé entendre que c'était la médiation l'essentiel du projet parce que c'était vraiment un projet
esthétique, qui avait toutes ces composantes exigeantes au niveau de la création chorégraphique, de la
création audiovisuelle, de la création musicale, de la création scénographique etc. J'aurais pu me livrer au
même exercice qu'à l'accompagnement qu'on a pu faire pour Pour Louis de Funes de Valère Novarina monté
par Renaud Cojo et Dominique Pinon, je n'aurais pas décrit les mêmes choses dans le processus mais d'une
certaine façon et je contredis la personne qui a dit que j'ai présenté une réussite, quelque part j'ai présenté
ici un semi-échec, il n'y a pas de continuité, la fois suivante, il faut tout reprendre à zéro etc. C'est à
renégocier en permanence et un des indicateurs d'aujourd'hui c'est de plus en plus aller vers une
substitution à l'acte de création qui est celle de la médiation et pour autant j'ai envie de dire aussi que
quand il n'y a pas de création qui s'accompagne d'un processus de mise en mouvement du plus grand
nombre possible ce que Marie-Hélène Popelard a appelé l'élargissement de l'espace de liberté du
spectateur émancipé cela fait aussi partie des processus possibles. Il ne faut jamais oublier ou abandonner
en cours de route cet objectif qui est la production artistique, le geste en lui-même que Philippe évoquait.
Alors, ce n'était pas une commande, je le dis aussi parce que c'est vraiment un geste qui venait d'un artiste
et là, la question de la responsabilité évoquée par Jean-Michel Lucas ce matin, j'y réponds de cette façon-là,
la responsabilité, dans les lieux d'accompagnement de la production mais qui sont aussi des lieux de
diffusion, est, comme il l'a dit, de faire un tri. Pas un tri au nom des grandes œuvres de l'humanité mais de
faire ce tri au nom de ce qui paraît à un moment donné le plus nécessaire dans ce qu'il y a à faire évoluer
sur un territoire dans cette perspective de l'élargissement d'espace de liberté du spectateur émancipé. Vous
avez sans doute tous eu connaissance du communiqué après l'événement qui s'est passé à Angers en
septembre dernier sur les squames de la compagnie Kumulus « Depuis plusieurs mois, nous assistons à des
actes d'entrave et de censure des libertés artistiques qui sont de plus en plus souvent accompagnées d'une
ingérence politique qui porte atteinte aux libertés d'expression de création et de programmation. C'est ce
qui s'est une nouvelle fois produit le 12 septembre dernier à Angers lors du festival les Accroche-cœurs. Les
représentations du spectacle Les Squames de la compagnie Kumulus ont été perturbées par des individus
taxant de racisme une proposition qui travaille justement sur l'interpellation de chacun sur ses
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représentations de l'exclusion, l'intolérance et l'enfermement des minorités. Le maire a d'abord voulu
annuler les représentations pour répondre à des plaintes émanant de réseau supposé protéger le public
d'images pouvant choquer. Grâce à la mobilisation de l’ensemble des équipes artistiques programmées et
de nombreux spectateurs, ainsi qu’à la médiation de la direction du festival, la municipalité est revenue sur
cette décision, pour reprogrammer ce spectacle de rue dans un établissement. Ce qui s’est passé à Angers
pose à nouveau des questions essentielles :
qu’attend-t-on de l’art, sinon qu’il interroge ?
l’art est-il exclu désormais de l’espace public, dès lors qu’il dérangerait certains ?
les métiers de la création et de la diffusion sont-ils soumis au jugement des élus des villes où ils
s’exercent ?
l’exercice des responsabilités de ces élus se fait-il dans l’urgence des pressions de quelques groupes
actifs, d’inspiration communautariste, idéologique et religieuse ?
Pour nous, ces questions touchent directement aux libertés fondamentales d’une démocratie.
Dans un climat politique délétère de montée des populismes, certains élus menacent la création artistique
par des formes de censure directe ou indirecte des œuvres, chaque fois qu’ils cèdent à la pression de
groupuscules s’autoproclamant les gardiens arbitraires de la morale, des élégances et de la vertu. »
Philippe Mathé : il y a une manière de présenter un spectacle, il ne faut pas l'oublier. La présentation était
très succincte. Tout ce que tu viens de dire dans le communiqué : on veut faire un spectacle qui parle du
racisme en interpellant le public, etc, quelques mots clés n'ont pas été donnés dans le programme. Cela
paraît tout bête mais si on veut que le public tende la main, il faut lui donner quelques mots. Après, ce qui
s'est passé, il y a eu des groupuscules, censure, il y a eu quand même le festival et les artistes qui ont réagi
et tant mieux et ce communiqué. Mais c'est presque un présupposé, il faut donner la main au public. J'étais
sur place, il y avait des gens qui n'avaient pas le premier mot de ce qui se passait sous leurs yeux. Alors je
sais pas, il ne faut pas faire de pédagogie, on serait mal placé pour dire cela mais il y a quelques mots-clés à
donner surtout quand on décide justement de l'importance de la médiation. Parfois dans un programme,
c'est important de dire des mots, de dire simplement ce qui se crée sous les yeux du public. Je ne défends
pas tout ce qui s'est passé mais je voulais apporter ce petit bémol, parfois on est imprudent mais cela a
entraîné effectivement des choses qui doivent reposer ces questions fondamentales.
Françoise Lemeur, comédienne : je suis un peu comme Isabelle Hermann, je me demandais comment on
pouvait faire pour qu'on relise le titre du débat : la place de la création dans les politiques culturelles.
Quelle est la part de la création qui est accordée désormais dans la politique culturelle ? Pas simplement
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politique publique mais politique culturelle. Je ne veux pas m'interroger sur ce qu'est la création, je pense
que chacun ici à une idée, mais je voudrais savoir comment on peut envisager les mois à venir, les années à
venir sur ce qu'on veut accorder à la création dans les politiques culturelles, c'est cela le débat de cet après-
midi.
André Curmi : il s'agit d'une coconstruction entre tous les termes. S'il n'y avait pas eu l'artiste avec sa force
de demande et son projet ce n'était pas possible non plus.
Françoise Lemeur : je n'étais pas en train de critiquer, il me semble que dans les dernières années, on nous
a demandé très souvent de créer un spectacle ou deux par an et la question de la diffusion ne se posait pas.
Qu'est-ce que c'est la création à ce niveau-là ? Est-ce que c'est suivre le travail de quelqu'un, et accepter
qu'il creuse et que du coup, on accepte qu'il cherche intimement, on n'aurait pu mettre une phrase de
Rainer Maria Rilke « une œuvre d'art n'est bonne que quand elle est née d'une nécessité », c'est peut-être
cela la création. Dans les politiques culturelles, quelle place accorde-t-on à la création ? On ne peut pas
passer notre temps à créer si ce n'est pas diffusé, accompagné. Qu'est-ce qu'on en fait de cela ?
André Curmi : tant qu'on remplace ce qui est de l'ordre des dispositions c'est-à-dire, l'axiologie, les valeurs,
par des dispositifs c'est-à-dire par des normes des règles, des récurrences, des rythmes qui n'ont rien à voir
avec la nécessité ou la capacité réelle d'aller au fond d'une question, on se trompe. Les politiques
publiques, les responsables des équipements, les comités d'experts, c'est cet ensemble qui interagit pour
que la création existe ou pas.
Il y a différentes politiques publiques, différentes échelles. La question qu'on a voulu poser par rapport à la
création dans les politiques culturelles publiques, c'était aussi au niveau des territoires où on a aussi une
question de la diffusion. On se questionne aussi sur quel accompagnement, quel processus nous mettons
en place avec les artistes pour vous accompagner, comment est-ce que on est là aussi pour vous
accompagner, nous, sur ce processus de création sur nos lieux.
Jean-Louis Compagnon : je me dois de donner un exemple. Comme on a une mission de territoire sur un
pays et qu'on est également conventionné par la région, le pays nous a sollicité pour conforter l'aide qu'on a
déjà par la région, pour asseoir le travail en territoire. Je le dis parce que je ne crois pas que ce soit très
fréquent. Le pays est une entité qui représente quatre canton et c'est grâce à cela qu'on travaille, qu'on a
une mission de territoire via les contrats de territoire Région-Pays et on est conventionné en tant que
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compagnie à ce titre là. Le pays Civraisien nous a contacté il y a quatre ans pour nous dire qu'il voulait
soutenir notre présence en territoire et ce qu'on y fait et nous a proposé de faire un conventionnement
annuel tant qu'on sera là. On ne s'y attendait pas vraiment. Cela veut dire que avec le temps, le fait de
rencontrer ces élus au quotidien, il y a du possible. Ce n'est pas mirobolant, mais pour l'instant on est dans
un rapport de confiance. C'est un petit exemple mais qui en dit long sur comment on apprend à s'écouter
sur un territoire.
Émilie Athimon : pour les élus présents, la question est peut-être aussi de savoir, en tant qu'élu, en charge
parfois même d'une programmation qu'est-ce que vous attendez de la présence de compagnie sur vos
propres territoires ? Que cherchez vous à créer comme lien entre ces équipes là et le territoire dont vous
avez la charge ?
Bernard Popelard, élu de la communauté de communes de la région de Châteauneuf, vice-président :
notre territoire est un petit territoire rural nous n'avons aucune capacité à accompagner quelque
compagnie que ce soit dans la création. Par contre, nous sommes disposés à aider à la diffusion. Nous nous
servons en spectacle auprès de la Palène à Rouillac et nous assurons la diffusion de trois spectacles que
nous propose la Palène par an. Notre mission s'arrête là.
Catherine Dufour, compagnie Ludamuse : vous dites que vous faites appel à la Palène pour votre
programmation si une compagnie se propose de venir par l'aide de subvention du conseil régional pour
faire une création dans votre commune avec évidemment la communauté de communes, est-ce que c'est
possible ?
Bernard Popelard : Bien sûr.
Didier Boissier-Descombes, Conseiller délégué à la Communauté de communes Braconne & Charente : on
n'est pas une grande communauté de communes puisqu'on représente environ 15 000 habitants à peu près
sur le nord d'Angoulême, néanmoins il y a quand même un budget culturel, il y a un élu en charge de la
culture et un chargé de développement culturel qui travaille à 80 % pour la culture et 15 % pour la jeunesse.
On essaie de faire des choses mais sur Angoulême, il y a très peu de compagnie. On essaie une fois ou
deux, par an, compte tenu du budget modeste que nous avons de faire des créations avec des compagnies
locales parce que je pense qu'il faut aussi privilégier les compagnies qui survivent sur le territoire, je le fais
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exclusivement pour l'instant avec des locaux et qui ont des difficultés pour la création ou pour la diffusion.
Chaque fois, je diffuse la création sur le festival « Mars en Braconne » petit festival mais on peut arriver à
faire des choses et j'aimerais pouvoir faire plus effectivement avec la création mais d'une part j'ai peu de
demande, ma structure ne peut pas faire grand-chose non plus parce que dans l'accueil et la création il y a
plusieurs niveaux : ceux qui vous aident en donnant de l'argent pour la création, ceux pour la diffusion, ceux
qui sont eux-mêmes coproducteurs. Je ne peux pas faire cela mais je mets des lieux à disposition.
Michel Lhérahoux, adjoint à la culture à Migné-Auxances, commune périurbaines de Poitiers de 6000
habitants : il y a un problème dont on ne parle pas, les dotations d'État baissant sur l'ensemble des
collectivités locales. Sur notre commune, au budget de fonctionnement de 3 500 000 €, entre les baisses de
dotations d'État d'un côté et les charges supplémentaires de l'autre, commanditées par le même État, on a
une baisse de 230 000 €. Ce qu'on a réussi à faire c'est maintenir les budgets existants et les budgets
existants sont alloués historiquement à la diffusion donc on ne peut pas réellement aller au-delà de ça.
Après, faire croire à une compagnie qu'on peut l'accueillir en la mettant dans un gymnase et en lui
octroyant royalement 3000 € pour une résidence de 15 jours, cela ne me semble absolument pas correcte.
À côté de ça, reste aussi la problématique de la responsabilité des tutelles de ces communes. On fait partie
de la communauté de communes du Grand Poitiers qui n'a aucune compétence culturelle donc aucun
appui. Au niveau du conseil général n'étant pas une commune rurale on a droit à rien. Et je ne suis pas
qu'élu, je suis aussi directeur d'une compagnie de spectacle.
Laure, production de la Compagnie Defracto : Les budgets sont en baisse partout et ces soutiens qui sont
juste pour la diffusion, servent aussi pour la création. Pour notre dernier spectacle, cela a été très
important, il y a énormément de structures qui n'ont plus les moyens de faire des apports financiers dans la
production et les préachats pour nous sont très importants, c'est-à-dire que c'est vraiment une forme de
soutien, qu'on va pouvoir passer un temps pour créer le spectacle et que derrière on va pouvoir le jouer.
Donc c'est important de pouvoir conserver cela, cela implique qu'on s'engage dans des spectacles qui
n'existent pas mais sur de la diffusion. C'est vraiment important. Je travaille dans le cirque qui a encore
beaucoup de diffusion mais je crois que dans la danse où il y a beaucoup de budgets qui partent pour la
création, les spectacles sont très peu diffusés.
Lucie Auger, chorégraphe, compagnie Adéquate, compagnie de danse contemporaine : il faut savoir
qu'aujourd'hui, la moyenne de diffusion d'une création en danse contemporaine est de 3 représentations,
une moyenne nationale. Ce n'est pas notre cas, on a la chance d'avoir une diffusion qui est relativement
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conséquente encore une fois par rapport à notre taille et par rapport à notre genre artistique. Je pense
qu'on ne peut pas penser la politique culturelle – la politique de création, sans penser aux actions de
médiation, sans penser à la diffusion et sans penser à la création.C'est interdépendant et j'essaie en tout cas
aujourd'hui de créer tout ça en même temps et non pas juste une création et greffer au coup par coup une
action culturelle parce qu'il faut remplir des dossiers de subventions mais en amont essayer de réfléchir à
tout ça. Comment on monte cette production ? Quels acteurs sur un projet précis peut-on associer pour
avoir de l'aide ? Pas forcément financière, parce qu'aujourd'hui, on ne peut pas que demander des sous aux
gens, ça ne marche plus comme cela. Ma compagnie n'est pas historique, elle a 4 ans, j'en ai 30. Je n'ai pas
connu les grands bouleversements des années 80 où il y avait beaucoup d'argent. Je pense qu'aujourd'hui
on ne peut plus en tant qu'artiste ne pas se poser ces questions. Après, il faut aussi faire attention à ne pas
parler que des actions autour et oublier la création elle-même. Créer sur un territoire c'est important mais
si on veut pouvoir en sortir, on est obligé aussi d'aller, en tant qu'artiste, créer ailleurs et ne pas toujours
être attaché à un territoire.
Stéphanie, compagnie Julie Dossavi, danse contemporaine : on n'a pas non plus à se plaindre en termes de
diffusion mais je voulais interroger certaines choses par rapport notamment à l'évolution de la danse hip-
hop. Quand elle est arrivée dans les années 80, en France, elle n'a pas, au départ, été reconnue et n'avait
pas sa place dans les théâtres et qu'ont fait les compagnies ? Elles ont composé avec ça. À l'origine, elles
n'étaient pas subventionnées puisque la politique culturelle ne les prenait pas en compte. Après elles ont
été récupérées par les politiques de la ville pour créer du lien social etc. mais ça ne les a pas empêchéees de
créer alors qu'elles n'avaient aucune subvention publique. Donc elles sont allées chercher d'autres types de
partenariat dans le privé. On voit aussi maintenant l'ampleur que peuvent prendre les Battle, c'est là que
l'on voit toutes les créations hip-hop, c'est un vivier de création du mouvement. Après ça va évoluer vers les
compagnies qui vont se nourrir de cette nouvelle gestuelle. C'est intéressant aussi de s'interroger sur le
financement public mais aussi le privé. Maintenant on parle beaucoup du mécénat mais dans les années 80
il n'y en avait absolument pas. Faudrait-il sensibiliser non pas seulement les politiques publiques mais tous
les pans de l'économie sur la création artistique ? Ce que ça peut amener notamment, le mécénat de
compétences qui n'apporte pas seulement aux compagnies mais aussi à l'entreprise qui s'ouvre justement à
d'autres mondes. Changer fondamentalement nos habitudes de diffusion, de création. Essayer d'aller
chercher vers d'autres pans de l'économie qui marchent plutôt pas mal. On pourrait prendre exemple sur
les pays qui nous entourent, en Espagne, il n'y a plus de politique publique culturelle et pourtant, même si
les auteurs, les créateurs, en souffrent énormément, il y a un foisonnement et un développement, une soif
de créer qui est complètement différente.
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André Curmi : j'étais très intéressé par les échanges avec les trois élus qui ont bien voulu s'exprimer et je
crois qu'il manque des éléments de connaissance malgré tout. Les budgets publics de la culture sont quand
même démultipliés à tous les niveaux et en croissance partout et quand on a fait récemment sur le Poitou-
Charentes une enquête sur le financement public de la culture, dans son ensemble. On a identifié en 2008
sur la région Poitou-Charentes, sur un échantillon, 270 millions d'euros de dépenses publiques et à peu près
l'équivalent en 2012 dans la nouvelle campagne qui vient d'être faite par l'observatoire régional du
spectacle vivant. La question c'est qu'il n'y a pas beaucoup de politiques publiques qui sont concertées et
qui sont contractualisées entre elles, qui sont négociées entre elles, les lieux, les compagnies etc. Il y a
beaucoup de dispositifs ou la question conduit à des tous petits moyens qui sont attribués et démultipliés
au sens d'un certain nombre d'actions. Il y a très peu de territoires qui ont une politique de développement
culturel structuré et donc la création dans ces lieux n'existera jamais parce qu'il n'y a pas de volonté
politique de le faire.
Gurval Reto : j'entendais sur France Inter, il y a quelques jours, une artiste qui parlait des politiques
publiques de la ville ou elle expliquait que, elle, artiste, quand elle allait dans un quartier sensible, dit
sensible, en région parisienne, les financements, qu'elle avait, n'étaient jamais des financements culturels,
toujours des financements politiques de la ville. Elle va faire le même projet en hyper centre parisien elle
aura des financements culturels. Elle fera le même projet en hyper-centre parisien, elle aura des
financements culturels. Dans les deux cas elle fera la même action culturelle.
Dominique Durand, directeur du centre socioculturel la Blaiserie, Poitiers : notre association est très
attachée à l'appellation culturelle parce que pour nous, la culture est ce qui fait société, dans le sens ce qui
fait l'humanité, ce qui fait débat, ce qui fait discussion. On est dans un quartier politique de la ville et dans
le cadre de la politique de la ville on inscrit nos projets culturels, on est un territoire sensible, une zone
urbaine sensible dans la politique de la ville. Effectivement nos budgets sont des millefeuilles mais ça vaut le
coût d'installer la culture, j'ai un budget de 2 millions d'euros sur le centre de la Blaiserie, 20 % de ce budget
est consacré à la culture, deux animateurs culturels à temps plein et on y tient parce qu'on a une salle aussi
de 900 places, on accueille des artistes en résidences qui n'ont pas forcément les moyens de payer la salle
de spectacle, le régisseur qu'on met à disposition, quand y a des financements à prendre, on va les chercher
ensemble. On fait profiter les artistes de notre réseau pour qu'ils puissent trouver des lieux de diffusion. Par
contre, il est vrai qu'un artiste qu'on accueille en résidence, on regarde ce que fait l'artiste et on ne fait pas
venir un artiste n'importe comment, on va lui demander aussi comment on va travailler ensemble sur ce
territoire, comment on va mailler son intervention à partir du spectacle à présenter, est-ce que ça peut
intéresser le collège qui est sur ce territoire, le lycée qui est sur le territoire qui a aussi des animateurs
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culturels. Je pense qu'il faut travailler sur les territoires en intelligence. On ira chercher les fonds là où il
faudra pour aller les chercher . Si on va les chercher dans une fondation, on fera attention sur le cahier des
charges de la fondation, qu'ils correspondent bien, qu'ils soient en adéquation avec les valeurs que nous
défendons dans l'association et c'est ce qui est important. On ne veut pas faire de la culture populaire dans
le sens ou ça ne sera bon que pour les gens du quartier. On montre du beau et on a des artistes aujourd'hui
qui viennent en résidence chez nous qui savent faire du beau et qui savent le montrer aux habitants du
quartier et je pense que la médiation culturelle elle se fait ici, elle passe par là aussi, elle passe par nos
quartiers parce que le TAP ne remplira pas ses places avec les bobos du centre-ville, il le remplira aussi avec
les gens qui sont dans le périurbain. Parce que tout le monde a le droit à la culture.
Mélanie, Compagnie L'Arbre Potager : on a été accueilli à la Blaiserie, l'année dernière, on a fait une
création jeune public en caravane. On est sur le territoire de Vivonne. On y a fait des actions ainsi qu'à la
Blaiserie, on a été très bien accueilli, suivi, etc. Et sur le territoire de Vivonne, on leur a juste demandé de
nous prêter un local pour y mettre la caravane, on a reçu un courrier comme quoi il était interdit de la
mettre plus de six jours sur une place publique. C'est la seule réponse qu'on a eu de nos politiques
culturelles. En l'occurrence, qu'il y ait une compagnie professionnelle sur le territoire, ne leur apporte rien,
parce qu'ils n'en ont pas du tout envie.
Didier Boissier-Descombes : quand on parle de financement sur le département notamment de la Vienne il
y a des vrais choix politiques, je n'ai rien contre Les Heures Vagabondes mais quand on fait le total de ce
que peuvent coûter Les Heures Vagabondes qui durent quasiment sur 8 dates sur le territoire de la Vienne,
je me pose des questions sur la culture dans la durée. Comment on en vient à aider ces compagnies sur ce
territoire ? On sait bien que ces grands concerts, c'est électoraliste tout simplement. Effectivement les
dotations d'État baissent mais c'est la réponse systématique des élus politiques aujourd'hui, c'est la réponse
facile trop facile. Il y a des vrais choix politiques sur les territoires. Il y a d'autres départements qui font
d'autres choix. La Vienne c'est Les Heures Vagabondes et ta caravane tu peux la mettre derrière ta voiture
et rouler.
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La culture, cette chance !Enjeu sociétal... Territoires de vie
Mardi 18 Novembre 2014 - La Canopée – Ruffec (16)
Atelier Pêche
Eric Chevance
Membre fondateur du réseau ArtFactoriesEnseignant à l'Université de BordeauxFondateur et ancien Directeur du TNT – Manufacture de chaussures de BordeauxAncien secrétaire général du Centre Dramatique d'Aquitaine
La culture, outil de liberté pour l’individu ?Il semble au premier abord que c’est une évidence. Oui, la culture est un outil de liberté pour
l’individu. Tout le prouve, tout l’atteste et chacun peut en témoigner. Et puis très vite, on se dit que
ce n’est pas si simple. C’est pourquoi j’ai souhaité ajouter un point d’interrogation à l’intitulé de cet
atelier.
Je suis un acteur culturel, et en tant qu’acteur culturel, je cherche à « élargir les publics », et à
convaincre le plus de personnes possible qu’il est de leur intérêt d’aller au théâtre, au concert, de
fréquenter les expositions. Et dans le même temps, je m’interroge : qui suis-je pour dire aux gens
ce qu’ils doivent faire ? Quelle est ma légitimité ? Ne sont-ils pas libres de leurs choix, et qu’ai-je à
redire s’ils préfèrent regarder la télévision, lire un magazine ou assister à un match ? Comme mes
collègues responsables culturels, je suis un « expert » (un expert autoproclamé) et c’est à ce titre
que je mets en œuvre des programmations artistiques et culturelles. Mais comment savoir si ce
que je propose est juste ? N’est-ce pas mon propre goût qui guide mes choix ? Ou une mode, une
forme d’esthétique dominante à laquelle, consciemment ou non, je me conforme ? Et n’y a-t-il pas
d’autres façons de construire des événements, par exemple, en consultant ou associant les
destinataires ?
Par ailleurs, en écoutant lors de l’ouverture de ces rencontres le discours du Maire de Ruffec, qui
affirmait que « la culture contribue au dynamisme de nos territoires, fussent-ils ruraux », je me
suis interrogé : la culture a-t-elle donc pour fonction de contribuer à l’émancipation des peuples et
1
la liberté des individus, où de favoriser le marketing territorial des collectivités locales, dans une
logique de concurrence de plus en plus vive ? Les deux sont peut-être compatibles… Ou pas.
Comme cela a aussi été dit ce matin, il faut d’abord bien s’entendre sur ce que l’on appelle culture
(et sans-doute aussi sur ce que l’on appelle liberté, mais cela viendra peut-être dans le cours du
débat). Si, comme le propose la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels 1, « le terme
«culture » recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les
traditions, institutions et modes de vie » (et que l’on oublie la suite de la phrase « …par lesquels
une personne ou un groupe exprime son humanitéé… »), on remarque vite que c’est souvent sous
couvert de « culture » que les pires atrocités peuvent être commises.
C’est ainsi, pour ne prendre que cet exemple, qu’au nom de traditions séculaires, on continue à
exciser de petites Africaines. Il devient clair que, dans de tels cas, la culture n’est pas facteur de
liberté mais au contraire d’oppression.
Mais même si l’on choisit une définition plus restreinte de la culture, celle par exemple du
Ministère de la Culture, qui englobe essentiellement les pratiques artistiques, assorties de la triade
production, diffusion et médiation, quelle est la réalité de cette liberté ? Sans aller jusqu’à Pierre
Bourdieu2, qui ne reconnaît à la culture aucune capacité d’émancipation, et l’accuse au contraire
de reproduire les inégalités sociales, on peut s’interroger.
Un trublion comme Franck Lepage, notamment, n’hésite pas à remettre violemment en cause
cette approche de la culture : « Il y a désormais en France une culture officielle, une esthétique
certifiée conforme, celle des scènes nationales de théâtre, par exemple, aux mises en scène
interchangeables. Elle vise paradoxalement à manifester en tous lieux la liberté d’expression, pour
peu que celle-ci ne désigne aucun rapport social réel, n’entraîne aucune conséquence fâcheuse et
soit littéralement sans objet. (…) En même temps qu’il dépolitise, l’entretien du culte de la « culture
» contribue à domestiquer les classes moyennes cultivées en réaffirmant la frontière qui les sépare
des classes populaires3. »
1 http://droitsculturels.org/ressources/wp-content/uploads/sites/2/2012/07/DeclarationFribourg.pdf
2 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers : Les étudiants et la culture, Editions de Minuit, Paris,
1964 et Pierre Bourdieu, La Distinction, critique sociale du jugement, Editions de Minuit, Paris, 19793
Franck Lepage, De l’éducation populaire à la domestication par la « culture » in Le Monde diplomatique, mai 2009 (http://www.monde-diplomatique.fr/2009/05/LEPAGE/17113)
2
Autre affirmation, en août dernier, Fabrice Raffin, sociologue, maître de conférence à l’Université
de Picardie Jules Vernes, écrivait dans Libération : « (…) les pratiques soutenues par les politiques
culturelles sont principalement celles portées par ceux capables de se faire entendre, le plus
souvent les classes moyennes supérieures. Elles ont bien-sûr raison de le faire, comme il faut
affirmer ici l’intérêt d’un soutien à l’art et reconnaître la qualité du travail des professionnels de la
culture. Cependant, bien souvent, sous couvert «d’universalisme», ces acteurs définissent eux-
mêmes une «bonne culture» qui est en fait la leur. Se battant contre un élitisme culturel, ils en
reconstruisent un autre sans toujours en avoir conscience. Ce qui frappe également est leur faculté
à ne pas reconnaître digne d’intérêt véritable des pratiques culturelles majoritaires ancrées dans
les populations : fanfares, clubbing, musiques amplifiées, cirque, théâtre mais dans leurs versions
populaires, chant, slam, jeux vidéos, cosplay, comics, mangas, bref, les cultures banales mais
essentielles de millions de personnes4. »
Quant à l’art lui, même, rappelons nous ce qu’affirmait en 1986 l’artiste Jean Dubuffet, dès les
premières pages de son pamphlet « Asphyxiante Culture » : « Le premier Ministère de la Culture a
été institué en France il y a quelques années et il aura et a déjà le même effet, qui est celui que l’on
souhaite, de substituer à la libre culture un succédané falsifié, lequel agira à la manière des
antibiotiques, occupant la totalité de la place sans en laisser la moindre part où puisse prospérer
rien d’autre5. » Jean Dubuffet, promoteur et ardent défenseur de l’art brut, défend ici l’invention
artistique contre l’art « culturel »6.
Si l’art est ainsi réduit à reproduire des esthétiques convenues et consensuelles (Dubuffet), et la
culture à prôner une esthétique bourgeoise visant à dépolitiser le peuple, à le soumettre aux
valeurs des classes dominantes (Lepage), et si elle laisse de côté des pratiques nouvelles pourtant
4 Fabrice Raffin, La culture, ce n’est pas que l’art, Libération, 13 août 2012 :
http://www.liberation.fr/culture/2014/08/13/la-culture-ce-n-est-pas-que-de-l-art_10801655
Jean Dubuffet, Asphyxiante Culture, Paris 1986, p.86
« Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte queleurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe ». Jean Dubuffet L’art brut préféré aux arts culturels, 1949 in Prospectus et tous écrits suivants, Gallimard, 1967
3
portées par de très nombreuses personnes (Raffin), peut-on alors affirmer que cette culture
favorise la liberté ?
Enfin, lorsque l’on lit certaines injonctions de nos responsables politiques, on peut s’interroger sur
la fonction qu’ils assignent à la culture. Ainsi, l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy
écrit à la Ministre de la Culture Christine Albanel que « la démocratisation culturelle, c’est [enfin]
veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du
public7 ». Ainsi, l’actuelle Ministre de la Culture Fleur Pellerin, dans un récent discours à Dijon,
souhaite « l’émergence d’offres fortes facilement identifiables par le public » et « que les
algorithmes de recommandation aident les consommateurs à faire le tri8 ». Foin de la liberté de
choix des personnes, foin de la liberté des artistes eux-mêmes, il faut plaire au plus grand nombre
et c’est désormais aux même moteurs de recherche que ceux mis en place par l’intrusive publicité
numérique qu’il faut confier cette mission !
En définitive, si l’on cherche ce qui, dans la culture, et notamment dans les politiques culturelles,
peut contribuer à rendre plus libres les personnes et les communautés, nous devons peut-être
regarder du côté des droits culturels évoqués plus haut et présentés ce matin par Jean-Michel
Lucas. Et bien sûr, rappeler qu’au delà de l’art, au delà de la culture, ce qui contribue le mieux à
construire et développer la liberté de chacun, c’est avant tout l’éducation. Et dans l’éducation,
j’inclus aussi l’éducation populaire.
Si je me suis permis cette introduction un peu longue, c’est pour souligner qu’au delà des
apparences, la question se pose réellement de la capacité de la culture à être un « outil de
liberté ». Mais je sais qu’à contrario, de nombreux exemples montrent et prouvent sa capacité à
éveiller l’esprit critique, et à être un facteur très puissant d’émancipation. Vous en serez
certainement les témoins lors de cet atelier, et vous relèverez sans doute quelques unes des
interrogations que j’ai formulées pour nourrir le débat qui s’amorce.
7 Lettre de mission de Nicolas Sarkozy à Christine Albanel, 1er août 2007.
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/index-lettre2mission07.htm8
Fleur Pellerin aux Rencontres Cinématographiques de Dijon, 18 octobre 2014. Citée par Jean-Michel Frodon, Slate.fr, 19 octobre 2014 : http://www.slate.fr/story/93921/politique-culturelle-pellerin
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La Parole en Partage :
Ulrich, tourneur d'artistes, coprésident de la fédération des Arts de la Rue en Poitou-Charentes :
par rapport à l'expertise, je crois qu'il y a effectivement un sens commun entre nous qui est de se
dire qu'il faut bouger ça, le vertical y en a assez, il faut de l'horizontal, des choses comme ça. J'ai le
sentiment qu'il y a déjà des avancées dans ce sens là. Si on part depuis le début, chez les artistes, il
y a de plus en plus de collectifs artistiques, chez les accompagnateurs, les bureaux mutualisés de
production, de diffusion ou autre assez souvent chez les financements publics où c'est ouvert à un
certain comité, les lieux de création de plus en plus. Il n'y a qu'un domaine où, ce n'est pas encore
le cas : la programmation. On est encore sur des programmations verticales, étatiques, pas encore
sur des programmations collectives en tout cas c'est anecdotique, alternatif. C'est un sujet qui
concerne la dernière partie de l'intervention mais par rapport à ça faut-il qu'on tourne vers ça ou
est-ce tout le reste de la profession qui fait erreur ?
Éric Chevance : je ne sais pas. Je pense que la question se pose à tout le monde et peut-être
effectivement certains veulent réagir là-dessus.
Monique Pineau, artiste fantaisiste, un grain de sable : il me semble que tu parles plus de gestion
d'un produit culturel plus que de liberté et moi liberté j'ai envie de l'écrire en micron, entre ce
qu'on a avec nous, de ce qu'on veut se libérer, dans quel cadre on évolue, quel champ possible, en
face de nous des institutions, des politiques, des palabres. Je fais ce que je peux.
Geoffroy Dudouit, élu et artiste : je voudrais revenir sur la question de la verticalité et donc de la
centralité parce que ce matin quelqu'un a dit que le centralisme était fini. J'ai du mal à adhérer à
ce genre d'idée parce que ce n'est pas seulement qu'on décentralise aux régions, etc, c'est où est
l'argent ? Qui décide de ces budgets ? Comment sont-ils alloués ? Donc à mon avis sur le
centralisme on a encore beaucoup de chemin à parcourir, énormément sur la fameuse
horizontalité. Après, il y a toujours la question de quelle est cette marchandise qu'on veut vendre ?
Et pour reprendre les fameuses conférences de Franck Lepage a-t-on vraiment besoin d'un
ministère de la culture ? C'est une question presque subversive maintenant mais tellement de pays
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font sans et ne s'en sortent pas plus mal et chez nous, il y a tout ce que ça génère comme
organisation et comme inégalité des territoires. De quelle liberté parle-t-on ? De quelles libertés
collectives ? De quelles libertés individuelles ? Si possible que l'une et l'autre existent. Que veut
dire liberté ? Finalement j'ai l'impression que tout est lié, l'éducation où il y a vraiment quelque
chose de personnel qui se construit, qui se crée par le bien commun et les savoirs communs qu'on
nous enseigne à l'école et ce n'est pas en allant au théâtre que je suis devenu artiste, c'est en
allant à l'école et en allant à la faculté gratuite. C'est avec ça que je me suis forgé et que j'ai décidé
plutôt que de passer un CAPES d'Histoire-Géo, de faire de la musique. Ce sera moins chiant. Je
pense qu'il ne faudrait peut-être pas penser la culture comme la panacée qui va tout régler :
l'identité, l'économie, le vivre ensemble etc. C'est d'abord l'école et malheureusement ce sujet là
est encore peut-être plus vaseux que la culture en ce moment.
Représentant de Bertrand Savary, Rouillac : je voulais rebondir sur la liberté. alors en tant que
citoyen français, je trouve qu'il y a une restriction de liberté en France phénoménale. Ce n'est pas
forcément les artistes qui ont le plus donné l'esprit de liberté en France ces 20 dernières années,
au contraire. Surtout dans les médias porteurs qui sont là, notamment la télé et le cinéma. Je suis
fonctionnaire, je n'ai pas vraiment l'esprit de l'artiste en tant que créateur. Selon moi, l'artiste
correspond à la liberté personnelle, une œuvre d'artiste, c'est personnel. Les subventions de l'État
cassent tout.
Éric Chevance : j'ai pu observer que dans ce domaine-là, les choses évoluent, de plus en plus, les
gens travaillent en collectif, les compagnies qui se créent s'appellent collectif. De plus en plus, il y a
cette notion là, cette notion de partage de la décision, de partage de responsabilité aussi et il y a
toujours des endroits où ça résiste et on se rend compte que souvent c'est dans les institutions que
ça résiste. Souvent les institutions et les industries culturelles sont comme les autres, elles sont
souvent à la traîne des différentes innovations qui peuvent venir notamment des initiatives de la
société civile, initiative d'artistes, de collectifs. Hélas, aujourd'hui, les références absolues qui
continuent à être cependant dans le domaine culturel sont des références institutionnelles. Il y a
encore du travail à faire me semble-t-il mais effectivement je suis d'accord sur le fait que ça
commence à évoluer un peu.
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Anne Morel, cofondatrice du collectif HF pour l'égalité homme femme dans les métiers de la
culture : je dirige une compagnie d'arts mêlés. Dans laquelle, on mêle hip-hop, théâtre, art
numérique, etc. Quand j'ai reçu l'invitation pour cette journée, j'ai un peu réfléchi sur le sujet. Je
me suis demandée à quoi nous étions tous invités, quel partage nous faisions ensemble et dans
l'intitulé, il y avait : outils de liberté de l'individu. Ce qui m'intéressait beaucoup c'est l'outil, il y a
quelque chose de l'ordre du partage et qui n'est pas quelque chose de l'ordre d'un savoir
descendant, donc un partage un peu plus horizontal et cette notion d'outil est dévaluée. Tous les
savoirs qui sont mis en partage, qui sont mis en outil, sont des savoirs dévalués et dans la culture
c'est comme ça. Des lors qu'on parle de partage, dès lors qu'on réinterroge la frontière spectateurs
acteurs, la démarche est parfois plus importante que le résultat, l'outil de partage est mis en avant
par rapport aux résultats, ce sont des démarches dévaluées par rapport aux démarches autonomes
qui sont à apprendre comme une pensée descendante d'un artiste qui pense le monde et qui le
livre comme ça. Je ne suis pas contre ces formes. Je dis que ces formes autonomes d'arts qui sont
livrées en l'état doivent exister mais aujourd'hui elles ont une fonction et une place par rapport à
la répartition de l'argent public, dominante et toutes les formes hétéronomes, c'est-à-dire les
conférences de Lepage, c'est-à-dire toutes les formes d'arts qui font appel à du socio-culturel, qui
mélangent universitaires, qui mélangent des moyens de financements différents, qui mélangent
événementiel etc. sont des formes dévaluées et dans les financements publics, elles sont
clairement avec un mode de répartition d'argent très inférieur. Il se trouve que tout ce qui est
horizontal et avec moins de moyens de production se trouvent beaucoup plus de femmes,
beaucoup plus de personnes noires, beaucoup plus de fils et filles d'ouvrier.
Sur le mot liberté, j'ai réussi à répondre avec le mot émancipation qui mène, pour moi, à deux
choses : un accès à la liberté et à l'égalité. Cette notion de liberté par rapport aux droits de
l'homme « libres et égaux », me paraît impossible à atteindre si on ne l'ajoute pas à un rapport
d'égalité entre les humains et l'une de nos choses d'humanité c'est peut-être interroger la liberté
avec l'égalité. Peut-être les cultures peuvent être interrogées sous le prisme des formes qui
mettent en place des outils et n'ont pas à être plus dévaluées que d'autres et des formes qui
travaillent autour de l'émancipation, l'émancipation de l'individu. L'enjeu de ces formes,
aujourd'hui, est de sauver des vies et au quotidien. Revaloriser quelqu'un qui est au chômage, qui
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est complètement en perte de repères et de dignité, par le biais de l'outil culturel, c'est aussi
quelque chose d'important.
Danielle Tarfaoui, administratrice Maison des Trois Quartier, Poitiers : je participe à la
commission culture, c'est à ce titre que j'ai été sollicitée pour venir ici et ce qui m'intéressait dans
cet atelier, c'était justement les termes de culture et de liberté de l'individu parce qu'effectivement
cela n'a rien d'une évidence et la question que je m'étais posée en venant c'était si on part du
principe que la culture apporte une liberté ou, plutôt peut-être une ouverture, quelque chose qui
permet d'échapper à des déterminismes sociaux et donc une possibilité de comparer, de réfléchir,
comment des gens qui ne sont pas justement dans le circuit peuvent comme cela naturellement
s'emparer de cet outil pour s'émanciper ou acquérir une plus grande liberté individuelle ? Il y a
l'éducation, la place de la médiation culturelle me semble-t-il dans les établissements scolaires qui
permet à des lycéens, des collégiens, des élèves des écoles d'aller au spectacle, de rencontrer des
gens, de s'ouvrir à d'autres choses que leur raisonnement intuitif ou familial. Ces lieux que sont les
centres socioculturels permettent à des jeunes et moins jeunes, des gens qui sont quelquefois en
difficulté sociale très grande de découvrir des choses qui ne sont pas forcément données dans leur
vécu. C'est un grand outil de liberté me semble-t-il.
Frédéric Branchu, théâtre de Thouars : je n'interviens pas en vertu de mon droit inaliénable de
recentrage de débat mais juste pour parler d'une petite expérience qu'on avait eue il y a quelques
années. Il s'agissait d'une action culturelle avec des personnes éloignées, l'offre culturelle en
difficulté sociale. On a rencontré une de ces personnes ensuite qui nous a dit « j'ai découvert
quelque chose : ce monde artistique, ce monde de la culture mais ça ne m'intéresse pas, ce n'est
pas que je n''aime pas cela, c'est que cela ne m'intéresse pas, j'ai fait un autre choix. » et on s'est
posé la question à ce moment là, ça nous a interpellé quand même, c'est-à-dire que l'action
culturelle avait permis de donner la liberté à cette personne de faire des choix en connaissance de
cause et de ne pas venir au théâtre après. On s'est dit à un moment « oui, on a fait notre travail. »,
c'est-à-dire qu'on a donné une liberté à cette personne mais la liberté de faire ses choix en
connaissance de cause donc la liberté de ne pas fréquenter des lieux culturels. Ça faisait aussi
finalement partie de notre boulot, à tous gravitant dans ce milieu là, je pense.
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Éric Chevance : C'est intéressant parce qu'effectivement on va à nouveau vers cette question de la
liberté de ne pas fréquenter etc. cela dit on sait aussi que, pour des gens qui n'ont pas cette
pratique régulière ou ponctuelle de fréquenter les établissements culturels, même s'ils pouvaient
avoir éventuellement l'envie, avoir quelque chose qui les y incite et bien c'est un lieu commun que
le dire. Ce n'est pas aussi simple et il y a un certain nombre de code, si on n'a pas ce code qui
permet d'entrer, si on n'a pas la clé : par exemple, comment ne pas être impressionné en arrivant
dans un endroit comme cela, un bâtiment qui peut être majestueux, qui représente quelque chose
et puis il y a aussi cette espèce d'injonction sociale qui confine une sorte de mépris social qui est
que s'il n'y avait pas ces pratiques culturelles alors vous n'êtes pas un individu accomplit, libre. Cela
veut dire, qu'en creux, il y a quand même une distinction de classe à cet endroit-là. Alors cette
personne qui dit finalement qu'on lui a donné la possibilité de venir, qu'elle est venue, que ça ne
lui a pas plu, qu'elle ne reviendrait plus mais qu'elle sait qu'elle a cette liberté, est-ce qu'elle a eu
toutes les clés, qui vont lui permettre d'entrer dans ce qui lui a été proposé.
Là encore, il y a une question d'éducation me semble-t-il, de formation. Pour dire les choses
simplement, une personne qui arrive dans un établissement comme celui-ci et a fortiori dans un
établissement plus prestigieux, un opéra, un musée et qui n'a pas connaissance des usages de ces
lieux, de ses pratiques, de ses codes et bien, va se sentir nécessairement étrangère à cet endroit et
se sentir étrangère quelque part est quelque chose d'extrêmement inconfortable et c'est quelque
chose qu'on n'a pas envie de renouveler, parce que c'est quelque chose qui est assez douloureux
et donc peut-être que si nous souhaitons et si nous pensons utile qu'effectivement plus de
personnes aient accès à l'art et aux établissements culturels, si nous pensons vraiment que cela
contribue, que c'est un outil qui va contribuer à offrir plus de possibilités de liberté, quelles actions
met-on en œuvre pour favoriser cette rencontre ? On reste beaucoup dans l'entre-soi, d'une part
de nous-mêmes mais même dans chacun des établissements. On voit bien qu'il y a quand même
des typologies de public qui ne se croisent pas et je parle des gens qui fréquentent les
établissements culturels, le public de l'opéra de Bordeaux n'est pas le public du théâtre « la boîte à
jouer » qui n'est pas le public du centre dramatique national mais tous ont un code, connaissance
des codes. Ils ne vont pas se trouver isolés.
Lorsque je dirigeais le TNT, qui était installé dans une ancienne usine, une friche industrielle, on est
arrivé en 1997, et en 2000, on a mis en œuvre un partenariat avec l'opéra de Bordeaux, on n'était
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pas du tout sur le même esthétisme, pas du tout dans la même histoire mais à l'initiative de
quelqu'un qui à l'époque travaillait à l'Opéra de Bordeaux, l'idée était que l'Opéra de Bordeaux
vienne présenter un opéra dans cette ancienne usine dans laquelle nous faisons du théâtre, c'était
la reprise de la tragédie Carmen dans la version de Peter Brook. L'opéra a vendu beaucoup de
places, il y avait 8 représentations, 400 places et à peu près 80 % des places ont été achetées par
les abonnés de l'opéra. On était extrêmement content parce qu'on pensait vraiment que les gens
qui allaient venir, allaient découvrir un lieu que, nous, on trouvait magnifique, qu'ils allaient avoir
envie d'y revenir. On avait du mal à trouver du public avec nos spectacles contemporains et on a
fait ce qu'on a l'habitude de faire, on avait rempli les réfrigérateurs de boissons, de bière et on
était cinq derrière le bar en se disant que ça allait être la ruée. Les abonnés de l'Opéra
commencent à arriver et puis ils se mettent devant l'entrée de la salle et progressivement, forment
une queue jusqu'à sortir dehors. On était dans une situation surréaliste, d'un côté, nous étions
derrière le bar avec les réfrigérateurs pleins à regarder ces gens, et de l'autre côté ces gens qui
étaient là, qui nous regardaient et qui se demandaient ce qu'on faisait là parce que les spectateurs
de l'Opéra y vont pour voir l'opéra, pas pour boire un coup. Et entre les deux, quelques spectateurs
qui avaient l'habitude de venir chez nous, assis sur les tabourets de bar, en riant de cette situation
étrange. Pendant les 8 représentations, cela s'est passé comme cela. On croyait vraiment qu'il
pouvait y avoir quelque chose de l'ordre d'un partage des publics, qu'on pourrait recréer quelque
chose, gagner de nouveaux spectateurs. Même si tous ces gens-là fréquentaient des lieux de
spectacles, ils n'avaient pas du tout les mêmes outils, les mêmes codes et la rencontre ne s'est pas
faite. On n'a pas su mettre en place quelque chose qui aurait permis que cette rencontre ait lieu et
ce qui est important c'est bien sûr l'acte de la représentation et c'est aussi tout ce qui se passe
avant et tout ce qui se passe après. C'est tout ce qui se passe dans tous ces temps là et finalement
peut-être que la question de la liberté qu'on peut retrouver est quelque chose plutôt de l'ordre de
la liberté de parole qu'on va avoir non pas en assistant à la représentation, mais au contraire après,
à tout ce que ça peut provoquer en nous, tout ce que ça peut générer comme échanges entre les
uns et les autres. Manifestement pour nous cette dimension manquait.
Véronique Castet, présidente Collectif Zoprod : tous les ans, le collectif organise un événement
aux usines Boinot sur la dernière quinzaine d'octobre qui réuni une vingtaine d'artistes dans les
ateliers et pendant 2 semaines, ils ont quartier libre pour faire une étape de création, pour créer
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un événement, une forme artistique. Pour des raisons techniques,liées à la construction de la ligne
LGV, cette année la manifestation a eu lieu sur un week-end. Un après-midi, entre le passage du
train toutes les cinq minutes, qui couvre la voix de la conteuse, j'ai regardé le public qui était
devant moi, c'était entrée libre donc les gens allaient et repartaient comme ils voulaient et devant
moi, j'avais un très vieux monsieur assis sur une chaise, derrière une dame avec un foulard qui
manifestement vivait une chimio et un couple avec un jeune enfant, un dreadeux, un punk à chien,
j'ai rarement vu dans une salle en dehors autant de diversité, de gens et c'est cela la liberté. Je la
situe là. Quand devant moi, il y a un public très vaste qui ne sont pas des intellos, qui ne sont pas
des gens venus pour voir une forme de spectacle mais participer et vivre l'émotion artistique, là où
il n'y a pas de contrainte, c'est là que cela se passe. Il y a une différence entre aller dans les
théâtres ou venir dans une usine de bric-à-brac parce que les gens connaissent et retrouvent ça.
Qu'on soit croyant ou non, on a tous été dans une église pour un mariage, pour un enterrement,
pour une communion, pour n'importe quoi et l'église dans nos villages est encore la valeur
culturelle la plus forte, on a tous un lien avec elle et ramener le spectacle dans ou autour de
l'église, on sait que tout le monde y viendra parce que c'est fort comme valeur culturelle. Ce n'est
pas une salle où les gens ont peur de rentrer, les codes de l'église ont les a, depuis 2000 ans. Ce
lieu est un socle culturel. C'est aux usagers du théâtre de redéfinir les codes et de faire que tout le
monde puisse se les approprier, que ça ne soit pas toujours les mêmes qui viennent aux spectacles
abonnés
Ulrich : effectivement l'espace de la représentation est l'une des formes de liberté possible, en
l'occurrence, l'espace public et en même temps, j'ai envie de le situer ailleurs. J'ai envie d'opposer
deux termes libre et libéral parce que pour moi libre c'est forcément partagé. On ne peut pas être
libre sans que les autres autour de nous ne soient libres aussi. Libéral c'est la liberté de mon
individu et de mon activité. Je ne peux donc pas envisager autrement la culture en ce qui me
concerne que comme un facteur de liberté et non pas de libéralisation puisque pour moi on est
l'être le plus sociabilisé de cette planète. On vit avec ces difficultés plus ou moins bien mais je
pense qu'on a aussi de la mémoire. Je n'oublie pas que les premières représentations
spectaculaires de l'homme moderne étaient avant tout pour lui fournir de l'argent et pour survivre
ou alors un objet politique pour divertir le peuple et c'est finalement assez récent qu'on a envie
d'en faire un enjeu sociétal et de facteurs d'humanisme et d'humanité, récent à l'échelle de
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l'homme et du coup comment fait-on aujourd'hui pour revendiquer une culture libre ou qui est
vectrice d'émancipation dans un monde où l'argent c'est la paix. Comment fait-on pour
revendiquer la liberté de chacun quand on a décidé, il y a une quarantaine d'années, que notre
travail artistique on voulait en faire un emploi ?
Éric Chevance : j'avais juste une remarque et une question pour Véronique : es-tu certaine que l'on
a tous les références par rapport à l'église ? Y comprit les personnes qui peuvent être d'une autre
religion et qui peuvent habiter sur nos territoires et qui n'ont pas cette familiarité qui peut y avoir
avec le lieu de l'église par exemple ? C'est une question d'ordre culturel. Ensuite ma deuxième
question était sur l'expérience que tu nous a relatée avec tous ces gens très divers, par la suite ces
gens ont-ils parlé ? Ont-ils échangé ? Ont-ils discuté entre eux ? Si c'est le cas, c'est très bien, c'est
ce qui est important. Ce n'est pas d'être ensemble au même endroit mais ce que ça génère.
Véronique Castet : je trouve ce lieu assez particulier parce qu'il y a une tranche très large de la
population poitevine qui vient, qui participe et qui passe, 1heure, 2 heures ou tout le week-end et
qui revient le lendemain pour faire le barbecue. Je pense que le fait que ce soit autour de la
technicité et des travaux manuels amène beaucoup de gens qui n'iraient pas dans une salle avec
des fauteuils tout beaux, tout lisses, tout rouges et tout propres. Je pense qu'ils viennent dans ce
lieu-là et qu'ils restent parce qu'ils s'y sentent bien, parce que tout cela fait qu'il y a des codes qui
sautent.
Isabelle Roy, département de la Charente : pour rebondir sur le rôle de l'école dans l'acquisition et
le fait de se sentir libre parce que se sentir libre c'est aussi être conscient de sa liberté et cela
implique de la connaissance et comme vous disiez des codes. Je voulais illustrer par un choix du
département parce que c'est important qu'il y ait des politiques culturelles. Le département a
lancé « Collège au spectacle » depuis 10 ans. L'objectif était de permettre aux élèves des classes de
sixième en Charente de voir le même spectacle dans une structure de diffusion. Donc le spectacle
n'allait pas vers les collégiens dans un collège mais les collégiens allaient dans la structure la plus
proche de leur établissement scolaire, ce qui permettait à la fois d'avoir une médiation en place,
des artistes sélectionnés, des compagnies choisies par les structures de diffusion, donc une
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unanimité par rapport au choix, une intervention scolaire pour expliquer le spectacle et ensuite
une diffusion donc dans une des salles de spectacles. Tout simplement parce qu'on s'était rendu
compte de l'inégalité qui pouvait exister entre les collèges, entre être sur Angoulême ou être sur
Villefagnan. Il y a un très grand écart. Suite à cette expérience, on s'est aussi aperçu qu'il y avait la
nécessité aussi de partager avec les parents et nous avons donc sélectionné des zones rurales et
nous proposons une opération qui s'appelle « les dimanches à 15 heures » alors pourquoi le
dimanche ? Ce n'est pas en relation avec l'église mais en relation avec le fait que la famille se
retrouve le dimanche dans les villages. Pourquoi l'après-midi ? Parce que c'est un temps où on
n'est pas fatigué ou on a le repas dominical qui rassemble les familles en milieu rural et ces
spectacles sont diffusés non pas pour attirer, parce qu'on a un gros problème en Charente et
d'ailleurs partout en milieu rural : le transport. Parce que ce n'est pas le tout d'avoir envie après
une intervention en milieu scolaire de partager le spectacle avec les familles, si les familles n'ont
pas la possibilité de se véhiculer jusqu'à une structure de diffusion, elles n'ont pas accès à cette
culture là. Donc « les dimanches à 15 heures », c'est tout petit, rien à voir avec les nuits romanes,
ça a lieu en hiver et on offre, c'est gratuit, ces spectacles. Effectivement, en milieu rural, on a
essentiellement des populations qui viennent du village, du bourg, voir des hameaux et là on a
vraiment une variété très importante de la population, du maire aux adjoints mais aussi de tout le
village qui à la suite du repas vient au spectacle et découvre pour la première fois un spectacle. On
a eu une petite initiative, on fait gagner une place de spectacle dans une des structures de
diffusion pour justement essayer de mesurer aussi l'impact que peut avoir cette manifestation
dans l'acte d'aller vers une structure de diffusion. Le seul souci encore une fois, qu'on nous livre
tous les dimanches : « on a un problème de déplacement ». Donc il faut vraiment en prendre
compte parce que la liberté se construit avec cette possibilité d'avoir accès facilement au bien
culturel.
Eva Schakmundes, compagnie Salam Toto, Charente : Je voulais justement rebondir par rapport à
l'école et on pourrait prendre une quantité d'exemples de publics qui ne se sont pas croisés, que là
ça a marché, là pas. J'ai une expérience à Bordeaux où mon spectacle était programmé et le
directeur n'avait jamais vu ce public venir là, les places étaient vendues cinq mois à l'avance. Ces
gens-là se sont parlés, se sont croisés. Je pense que retrouver la liberté, la liberté de choix que ce
soit pour pratiquer, pour voir, pour programmer elle est évidemment très en amont de l'éducation.
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Si j'ai fait de la rue, de la danse, du théâtre, du cheval, c'est parce que je suis allée au spectacle,
pas uniquement parce que je suis allée à l'école ou au théâtre avec l'école. Parce que je suis allée
au théâtre très petite, j'ai voulu faire le spectacle. C'est un mûrissement de la personne et donc il
ne faut pas bannir cet aspect dans l'éducation qui est : il y avait du théâtre à l'école, partout tout le
temps, l'école est ce qu'elle est. On a toujours l'impression que c'était moins bien avant que c'est
mieux maintenant, la modernité ou alors à l'inverse, on a un discours nostalgique. Il n'empêche
qu'au lycée, il n'y a plus d'éducation musicale sauf dans les classes spécifiques, plus de théâtre,
combien de comédiens ont commencé en disant que « j'avais un prof de lycée extraordinaire » et
la fabrication de la liberté, de choix, le libre arbitre d'un individu, commence par le théâtre et
l'éducation artistique. On est un cercle, on produit de la pensée, c'est formidable mais comment
faire en sorte que cela sorte de là ? Il faut remettre du théâtre partout ! Mais ils ne veulent pas.
On fabrique des individus qui sont libres à penser, en leur donnant la liberté d'exprimer et
d'interpréter.
Marie-Jeanne Vian, élue : je suis maintenant élue mais j'ai beaucoup travaillé dans l'action
culturelle et je voulais intervenir tout à l'heure, alors maintenant, ça fait un peu réchauffé par
rapport à ce qui s'est dit mais je voulais réagir par rapport aux nuits romanes d'abord, c'est vrai
que c'est une formidable réalisation de la région mais ce qui n'a pas été dit c'est que c'était gratuit,
c'est pour cela qu'il y a du monde et beaucoup de rencontres parce que le concept même des nuits
romanes voulait qu'il y ait un moment convivial à l'issue de la manifestation, à l'issue du spectacle
donc dans toutes les manifestations nuits romanes qui ne sont pas forcément dans les églises
d'ailleurs. Pourquoi ? Parce que maintenant, il y a trop de public et les églises romanes sont très
petites et ça ce fait souvent en extérieur. Il faudrait s'interroger quand même sur les prix des
spectacles. Mais je souhaitais parler du jeune public et de l'éducation. J'ai contribué, je crois à faire
venir toute une génération de jeunes enfants au spectacle, de la crèche au lycée et je pense que
c'est un atout formidable pour qu'après les adultes, qu'ils sont devenus, n'aient pas peur de
pousser effectivement la porte des établissements culturels. Quand on entre dans n'importe quel
lieu de spectacle, dans n'importe quelle galerie,on peut se dire que ce n'est pas pour soi, que ça
fait un peu peur etc. Je pense que si dès le plus jeune âge on a pu y accéder ,c'est déjà beaucoup
plus facile de continuer et quoi de mieux que l'école, quelle institution est mieux placée que
l'école, la plus démocratique encore pour que tous les enfants, de toutes les classes sociales
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puissent y accéder. Je sais que ça existe encore dans bon nombre de lieux culturels où tout un
travail est fait en direction des enfants via l'école et ça me semble très important à défendre
encore très fort.
Pour la programmation en milieu rural, on a de la décentralisation dans nos communes et en
général il y a beaucoup de discussions entre les gens après le spectacle sauf que ce ne sont pas
forcément les gens du village dans lequel se passe le spectacle qui y viennent. On travaille en
partenariat avec la Palène et il y a beaucoup de spectateurs fidèles de la Palène qui viennent dans
nos communes et c'est difficile de faire bouger aussi les habitants de la commune alors que le
spectacle est à leur porte.
Éric Chevance : le prix est un paramètre parmi d'autres on le sait bien. N'oublions pas que lorsque
vous payez le spectacle 10 €, la collectivité en paye selon les cas 30, 45, ou 100 € si c'est à l'Opéra
par exemple. Effectivement se pose la question de ce mode de financement, et je ne suis pas du
tout d'accord sur le fait que la subvention pervertirait les œuvres ou les artistes. Néanmoins elle
permet, cette subvention, aux établissements culturels ou aux artistes de vendre moins cher leur
spectacle puisqu'ils sont financés par ailleurs. Les subventions restent au bout du compte un
complément au prix du billet et à ce titre là, l'action publique, on peut le dire, contribue à la
fréquentation des œuvres et des établissements et si on considère, mais on ne l'a pas encore
prouvé, que ça agissait comme outil de liberté de l'individu, ça y contribue. Lorsque je me suis un
peu documenté pour cet atelier, je suis tombé sur un article de Franck Lepage, déjà cité tout à
l'heure, qui réfléchit à ces questions-là, qui disait que la réponse, c'est l'éducation populaire. Il
parle d'une culture officielle qui générerait une liberté d'expression chez les artistes mais liberté
d'expression qui servirait, si celle-ci ne désigne aucun rapport social réel. On se trouve dans une
sorte de contemplation d'un objet à contempler mais qui n'est finalement pas problématisé et qui
ne pointe pas justement les questions liées à la violence des rapports sociaux. Au centre
dramatique de Bordeaux, il y a un spectacle dans lequel on sent bien dans la salle que les gens ont
un intérêt moyen. Le spectacle n'est pas mal mais ce n'est pas quelque chose qui transporte. On
sent qu'un peu d'ennui traverse. À la fin, on applaudit et souvent, de façon extrêmement vive,
passionnée, comme si la soirée était vraiment bien et c'est pas vraiment, ce que soi-même on
pense, mais on applaudit aussi et alors je me suis demandé ce qu'ils applaudissent au bout du
compte, même s'ils n'ont pas beaucoup apprécié le spectacle, il y a un vrai travail des artistes donc
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on applaudit, on reconnaît quelque chose. Je pense autre chose, je pense que les gens
s'applaudissent eux-mêmes, ils s'applaudissent eux-mêmes d'être là et de faire partie de ces
personnes cultivées qui fréquentent les établissements culturels et qui sont contents de se
retrouver entre eux. Il y a cette question communautaire des spectateurs. On va se retrouver dans
l'entre-soi et on se félicite mutuellement d'être dans l'entre-soi.
Comment y parvient-on alors que tout concourt à un individualisme plus forcené, à la
consommation comme épreuve ultime de l'humanité ou à des choses comme cela ? Je n'ai pas de
réponse absolue mais l'éducation populaire peut aussi amener à transformer quelque chose de
l'ordre de l'action culturelle à quelque chose comme un accès à la liberté.
Une salariée de La Blaiserie, Poitiers : on a parlé de la gratuité, à titre d'exemple, je travaille dans
un centre socioculturel qui a la chance, depuis maintenant 30 ans, d'avoir un projet culturel qui est
défendu avec et pour les habitants du quartier de Poitiers Ouest, ce qui est intéressant, à mon
sens, est que la gratuité n'a jamais pour l'instant été le sésame d'une entrée au spectacle, cela n'a
pas du tout été prouvé dans le quartier dans lequel je travaille. Il faut d'abord à mon sens
interroger l'intérêt, on parle de liberté mais aussi d'intérêt. Quel est l'intérêt pour moi d'aller, de
rentrer dans une salle de spectacle ? J'ai entendu des choses qui me heurtent, dans le sens où je
n'ai pas envie de contrebalancer quelque chose autour d'une salle emblématique, des fauteuils
rouges et un lieu comme salle des peines cachées parce que pourraient s'y retrouver des
personnes dans un respect de melting-pot. L'offre culturelle à mon sens doit prôner du beau, doit
prôner quelque chose d'ouvert, quelque soit le lieu, à l'extérieur, dans une briqueterie, dans une
salle de spectacle et de la même manière, je pense que dans des friches, il y en a qui peuvent ne
pas se reconnaître parce qu'il y a quelque chose de l'ordre de l'accueil, les représentations sont
valables dans n'importe quel lieu qui prône le spectacle. Ce n'est pas plus facile d'aller voir un
spectacle de rue que d'aller voir un spectacle dans une salle de spectacle. Il y a quelque chose
autour du code et quelque chose autour de l'accueil qui est fait pour les personnes. Dans la
sémantique qu'on utilise pour parler des publics, on parle de publics empêchés, de publics
fragilisés ? Mais qu'est-ce que c'est un public empêché ? Je me sens empêchée de plein de choses
et pourtant je fais partie du cercle, donc ce que je veux dire c'est qu'il faut faire très attention à la
sémantique qu'on utilise lorsqu'on veut parler des publics et Dieu sait si dans le monde
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socioculturel et l'éducation populaire, on se fait écho de ce type de chose, on a envie que le plus
grand nombre ait accès à.
Une femme : je suis tout à fait d'accord avec toi, c'est juste au niveau des moyens de production,
comment est-ce que les politiques publiques divisent les choses entre les centres sociaux et les
offres des centres dramatiques ? Comment cet argent public est il divisé ?
Emmie Verlaine, apprentie à La Palène, Rouillac, en Master événementiel, Paris : originaire
d'Angoulême, j'ai participé à l'expérience collège au spectacle en sixième au Théâtre d'Angoulême.
Je suis retournée au Théâtre d'Angoulême, j'avais 19 ans et j'évite ce théâtre pour une question de
principe et je rejoins totalement le fait que les gens y sont pour paraître et je ne suis pas sûre que
tout le monde comprenne tout ce qui s'y passe et qu'ils sont plus là pour dire qu'ils étaient là, que
c'était le lieu où être. Emmener les gens au Théâtre, oui, c'est bien mais ce qui est laissé de côté ce
sont les autres formes de culture. Il n'y a pas que le théâtre, il y a la télévision, les jeux vidéos, par
exemple, souvent considérés comme de la sous-culture, sont mis de côté par nous-mêmes, étant ,
en général, dans un cercle. Il y a des gens lambda qui ne connaissent pas cette culture, qui ne vont
pas au spectacle, qui ne comprennent pas le théâtre auquel ils assistent mais ils sont contents d'y
assister et ils applaudissent, juste pour dire que c'était du théâtre. Il y a peut-être des choses à
développer autour de nouveaux médias, de nouvelles formes culturelles, qui sont considérées par
les médias comme de la sous-culture.
Éric Chevance : je ne voudrais pas qu'il y ait de malentendu. Je ne considère pas que c'est plus
facile d'accéder à un lieu de type friche que de n'importe quel autre type de lieu. Chacun a ses
propres codes, on est là dessus sur un pied d'égalité et nous n'avons pas trouvé comment ouvrir
plus l'accès à nos lieux, nos projets, à part peut-être ceux qui travaillent sur l'espace public où là
effectivement on a un autre type de rapport. Quand au théâtre c'est parce que c'est mon
expérience personnelle mais à aucun moment je le considère comme une forme supérieure à une
autre.
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Isabelle Roy : je souhaiterais rebondir simplement sur la mention de ce matin : faire une politique
culturelle pour des élus est également faire des choix. On a fait ces choix de réaliser ces actions au
travers des collégiens et il y a également une autre opération qui porte le nom de collège et
patrimoine dont l'objectif est également de franchir les portes des monuments historiques. Je
pense que c'est la diversité de l'offre culturelle qui fait la richesse pour les enfants. Ce n'est pas
l'accès pur au théâtre mais toutes ces rencontres que vous avez pu avoir, vous ont également
permis de refranchir les portes de la scène nationale et de vous faire votre propre avis en
découvrant le public en dehors de Collège au Spectacle.
Emmie Verlaine : J'y réfléchissais. Est-ce que ça m'a franchement aidé ? Peut-être, peut-être pas.
J'ai choisi de travailler dans ce domaine culturel donc je pense mais je ne suis pas sûre.
Christian Quella, administrateur de La Blaiserie, Poitiers : je suis un peu surpris parce qu'on est en
train d'énoncer un certain nombre de secteurs d'activité et, pour moi, la culture ce n'est pas cela.
Tant qu'on va réduire la culture à un certain nombre de choses parce qu'elles sont sorties sur les
plaquettes, je pense qu'on va réduire considérablement l'enjeu sociétal qui est celui de donner à
chacun et de représenter à chacun ses connaissances. Pour moi, à chaque raison de se rencontrer,
on est dans un partage, un commun, donc quelque soit l'activité ou l'action, à partir du moment
qu'elle apporte la rencontre avec les uns et les autres et un moment dialogue ou d'échange mais
en plus une représentation, une connaissance supplémentaire, cela peut être un débat, un film,
une émission de radio, etc. Du moment, où cela apporte une connaissance supplémentaire à
l'autre qui va lui permettre de réfléchir. Je pensais que le débat allait porter sur le fait que chacun
puisse à un moment donné apprendre quelque chose. Je m'arrêterai sur apprendre. Dire culture
cela m'agace parce que cela devient guindé à tous les niveaux et on a beau dans les centres
sociaux, en tant qu'éducateur, qu'animateur et autre, se dire « oui mais la culture est faite pour
tous » tant qu'on y met le mot culture, c'est un mot dévoyé malheureusement aujourd'hui. On ne
sait plus à quel moment et où la culture se situe et les gens n'ont pas l'impression quand ils ont lu
un bouquin même mauvais qu'ils ont fait un bain de connaissance, un bain de culture. Certains
n'ont pas eu l'impression en écoutant les infos et un certain nombre de débats à la radio, qu'ils ont
appris quelque chose qui leur permet de réfléchir. L'enjeu que l'on a tous est celui de permettre à
chacun de se dire qu'il a appris quelque chose et qu'il repart avec quelque chose et pas forcément
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de dire « j'ai vu le spectacle de et cela c'est une signature de la culture ». L'événement le plus
important c'est celui des gens qui se disent après le spectacle qu'ils ont le temps de prendre un
café et que le spectacle était vraiment bien. Sur ce principe là, on a un enjeu sociétal qui est celui
de permettre à beaucoup de gens de se libérer au niveau de la parole et de partager avec l'autre.
Sophie Bardet, conseillère à la DRAC : l'institution, j'entends le ministère, est à la ramasse par
rapport à ce qui se fait. J'ai envie de dire heureusement, c'est-à-dire que il y a d'un côté des
impulsions données par les politiques et puis simultanément des politiques qui se réajustent au
réel. Parce que ce sont les artistes et les pratiques sur le territoire, artistiques, organisationnelles,
qui font se transformer les politiques mais aussi les artistes qui questionnent finalement la réalité,
qui questionnent les modes de relation et qui peuvent questionner, ce qui me concerne surtout, au
plateau, une manière d'être au monde. Donc j'entends bien que la façon dont on pose la question
cet après-midi autour de la notion de culture est moins, pour moi, directement la question de la
rencontre avec l'œuvre que la question d'une pratique culturelle au sens plus large. Il y a un
endroit de confiance et de repositionnement peut-être parfois, au cœur de nos questionnements
sur les artistes, sur comment à un moment donné on les associe à nos théâtres, à nos réflexions
sur les choses qui soient liées à leurs propres recherches. Je pense qu'ils sont eux, au cœur de la
réflexion du sociétal et ils sont aussi contributeurs d'une manière de penser le développement de
la rencontre avec les œuvres. On ne parle pas beaucoup des artistes, on est très préoccupé par nos
responsabilités publiques, on se questionne, on est mal à l'aise de ne pas pouvoir faire mieux, on
voudrait toujours y arriver davantage. L'artiste, au cœur de tout ça, a beaucoup aussi à nourrir la
réflexion parce que je pense, fondamentalement, que c'est lui et son travail que viennent voir les
spectateurs.
Geoffroy Dudouit : je pense que si on n'a pas parlé d'artistes, c'est qu'on n'a pas parlé d'art. On
parle de culture finalement comme d'un phénomène où l'artiste n'est qu'une des pièces du puzzle,
c'est peut-être là où la question est grave. Après sur le mot culture, malgré son côté provocateur et
un peu péremptoire, je vous invite à réécouter les conférences de Franck Lepage, parce que la
meilleure façon de ne plus savoir ce qu'est culture, a été de donner ce nom là au ministère et ne
de plus savoir ce qu'on veut dire par là et surtout en évacuant toute la dimension politique de ce
que doit être la culture à savoir s'engager pour des idées, pour des convictions, pour des droits etc.
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Exclure la dimension politique de la culture fait qu'on ne sait plus ce qu'on entend par là. Le côté
artistique n'est plus si important. Là aussi on peut se poser la question des tenants et aboutissants
des nuits romanes, elles sont pleines d'intentions diverses et variées. Il y a vraiment cette question
de ce que l'on attend de la culture et ce que c'est vraiment. N'est-ce pas juste le phénomène d'être
ensemble ? Quelqu'un n'est pas cultivé, quelqu'un est très référencé et après il va cultiver parce
qu'il va être dans un bain de personnes qui ont le pouvoir d'échanger, par un phénomène
d'étagement ou de reconnaissance, ce quelqu'un va se sentir cultivé dans un milieu mais cultivé
pour soi-même, ça n'a aucun sens.
Une femme : se cultiver pour soi-même ça n'a aucun intérêt ? Bien au contraire, on ne parle que
d'enfermement, de retour sur soi, de chapelle, de chapelle du théâtre, chapelle alternative, un lieu
alternatif peut aussi être dans un entre-soi extrêmement fermé. On ne parle que de culture et le
mot est isolé, on ne parle plus de liberté. Cet atelier est la liberté, c'est la liberté dans le droit de
pouvoir aller voir un spectacle, d'aller se cultiver. Se cultiver c'est une démarche personnelle qu'on
peut faire au cours de sa vie et il y a des outils pour ça c'était l'éducation, l'instituteur pouvait, des
gens de milieux non-ouverts à cela, ne baignant pas dedans, avaient les moyens de se cultiver
parce qu'il y avait une offre qui pouvait vraiment s'étendre et qui s'est étendue. Jack Lang a mis en
place dans les écoles quelque chose d'extraordinaire. Le problème de la liberté dans l'art c'est
avoir le droit de ne pas chercher à apprendre quelque chose de l'art. Or, on est en train de nous
formater aussi dans des moules où on nous dit si vous allez voir quelque chose si vous entendez
quelque chose, vous devez le comprendre, pouvoir le retranscrire, le connaître de fond en comble,
l'avoir compris et l'avoir aimé et pouvoir effectivement être dans un entre-soi. Ce n'est pas ça, l'art,
ce n'est pas ça la culture. Se cultiver, c'est avoir le droit, ça renvoie à ce à quoi sont confrontés les
programmateurs et diffuseurs en se demandant, en programmant, si les gens vont comprendre. La
notion qu'on doit toujours apprendre de quelque chose, non, on peut ne rien apprendre et on
laisse le choix des regards s'approcher la vision de l'artiste et la vision à un moment donné du
parcours personnel de quelqu'un qu'on a essayé d'amener à avoir la liberté d'aller voir quelque
chose et de l'aimer ou pas. La notion de liberté, il faut la remettre à toutes les strates. Ça va
redonner de la fluidité dans les programmations etc. J'ai vu des publics bien plus ouverts à voir
des choses extrêmement bousculantes, extrêmement troublantes, dans la forme, dans la durée,
dans le résultat par rapport à ce qui avait été décidé au départ par rapport à ce que voulaient, ce
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qu'avaient acheté les gens, les programmateurs. Il faut laisser le regard et ne pas chercher à dire
que les livres pour enfants doivent apprendre quelque chose aux enfants maintenant. C'est à
bannir. Il faut réaffréchir le regard pour que l'homme soit individué et puisse décider pour lui-
même et pour la communauté de ce qui va être bon pour, effectivement, cette notion de liberté et
de vivre ensemble.
Jérôme Montchal, les 3T, Châtellerault : j'ai remarqué qu'on a beaucoup parlé de liberté
évidemment c'était le sujet mais vous avez beaucoup parlé d'égalité entre les hommes et femmes,
de vivre ensemble et de mélanger également les publics, de fraternité.
Éric Chevance : je n'avais pas de conclusion particulière, je me disais qu'on a tourné un peu autour
du sujet, c'est très compliqué jusqu'à avoir une intervention qui nous dit finalement la culture c'est
quoi ? La question de la liberté s'échappe puis revient, on en parle et on voit bien que la question
est vraiment soit beaucoup trop large pour être traitée comme ça, soit elle nous file entre les
doigts.
Ce débat a été ce que chacun d'entre nous en a fait. J'espère que vous y avez trouvé votre compte.
Pour moi c'était plutôt intéressant donc merci à vous.
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La culture, cette chance !Enjeu sociétal... Territoires de vie
Mardi 18 Novembre 2014 - La Canopée – Ruffec (16)
Intervention de Jean-Michel Lucas
Jean-Michel Lucas
Docteur d'État en Sciences ÉconomiquesAncien Directeur Régional des Affaires CulturellesAncien Conseiller au Cabinet du ministre de la CultureMaître de conférences – Université Rennes 2
Repenser les responsabilités culturellesCe que je vais essayer de dire ne relève pas d'un savoir qui serait celui d'un philosophe, sociologue et
encore moins d'une expérience qui validerait mon propos, qui lui donnerait un caractère vrai. Je ne parle
pas de la réalité, je ne sais pas plus que vous ce qui est vrai, ce qui est un peu moins vrai, ce n'est pas l'axe
de mon propos. Je me considère avec, toute la subjectivité qui va avec, comme un militant qui va avoir une
parole militante, engagée. Je suis un militant d'une certaine éthique publique de la culture. Je me protège
de tout scientisme dans cette affaire.
Dans cette logique, mon souci n'est pas de parler de culture singulière ou plurielle ou des réalités
culturelles. Mon souci est uniquement de parler de la responsabilité culturelle publique dont je restreins le
propos et je reprends dans ce qu'a dit Marie-Hélène Popelard à un moment donné, ce qui pourrait être,
devrait être, de la responsabilité culturelle publique, celle de l'élu, celle du ministère, celle de l'Europe, celle
de l'ONU etc.
Je m'intéresse surtout aux cadres de l'État de droit qui permet à un moment donné à des responsables
publics de dire « l'intérêt général c'est cela, en matière culturelle, cela va ressembler à cela, à un festival ou
non ». Je vais restreindre toutes ces questions de culture, d'art à la question de l'État de droit qui permet,
qui interdit, qui autorise ou qui facilite.
On a d'abord la chance d'être dans un État de droit, ce qui n'est pas le cas partout sur la planète, pour
élaborer et réfléchir collectivement à ce que devrait être l'État de droit, ce que devrait être la responsabilité
culturelle publique.
Du point de vue de la quête d'une responsabilité culturelle publique fondée sur des valeurs pour une
société de liberté avec un état de droit assez solide je suis obligé de dire, pas seulement pour le spectacle,
que reprendre la vielle formule quand un roi disparaissait, la politique culturelle est morte vive la politique
culturelle. La politique culturelle est bien morte, celle qui énonçait les responsabilités culturelles mais vive
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la politique culturelle. On n'est pas loin si on veut réfléchir de dire les nouvelles perspectives sont là devant
nous, vive la politique culturelle.
Pourquoi peut-on dire que la politique culturelle est morte ? Parce que la politique culturelle est faite
d'activités culturelles, de secteurs culturels, de produits culturels, qui s'organisent plus ou moins à la fois
dans l'échange marchand et dans l'aide publique. À la fin, il y a des biens culturels et des produits culturels.
Cela fait que l'idée même d'un champ culturel implique que la responsabilité culturelle publique est bien
morte dans cette histoire en particulier française. Pourquoi je peux dire cela ? Parce qu'il fut un temps, où la
responsabilité culturelle publique ne portait pas sur les objets, sur des produits, sur du spectacle, sur des
livres, sur un secteur. Elle portait sur une responsabilité. Être dans la culture pour quelqu'un qui avait une
responsabilité d'État c'était une responsabilité. Laquelle ? Une responsabilité de choix. Ma responsabilité
publique est de faire le choix dans toutes les cultures. Ces cultures sont relatives, occasionnelles, elles ne
plaisent pas aux autres. La responsabilité n'est pas de dire que toutes les cultures se valent. La
responsabilité culturelle publique est de dire je fais un choix.
Le deuxième élément de ces responsabilités culturelles publiques est de dire que personne d'autre que
cette autorité publique culturelle ne peut faire ce choix, n'a cette compétence spécifique. Quelqu'un qui
s'occupe du tourisme peut dire qu'il s'intéresse à la culture mais ce n''est pas de la responsabilité culturelle,
c'est de la responsabilité touristique de dire que tel produit est bon pour sa politique, pour les finalités de
sa politique touristique. Je n'appelle pas ça une politique culturelle parce que justement le produit culturel
est mis au service de finalités publiques qui ne sont pas culturelles, qui sont autres. C'est la même chose
pour le lien social ou même chose pour l'économie. Il y a toujours besoin d'acteurs culturels qui ont des
produits à vendre, à proposer, à utiliser pour d'autres politiques. Celle qui m'intéresse, c'est la
responsabilité culturelle spécifique, celle que les autres politiques publiques ne peuvent pas avoir parce que
justement elles ne sont pas culturelles. Et donc une responsabilité spécifique de faire des choix au nom de
valeurs spécifiquement culturelles.
On a, à peu près tous, abandonné l'idée que c'était possible, aujourd'hui, pour aller vanter les mérites de ce
qu'on appelle la culture, c'est-à-dire les produits culturels pour l'harmonie sociale. La responsabilité
culturelle spécifique doit être trouvée en dehors des produits qu'on appelle culturels puisqu'il faut faire un
choix sur tous ces produits. Malraux est celui qui a osé affirmer une responsabilité culturelle publique
spécifique, il nous a donné la leçon. Je ne parle pas de la pratique, je parle de la construction d'un
argumentaire de droit qui reprend cette nécessité de poser des valeurs, de poser une éthique publique.
Malraux était carré de ce point de vue là, même devant les députés de l'Assemblée Nationale, si nous
sommes là c'est pour un certain nombre de bonnes raisons qui sont celles de faire des choix et au nom de
quoi peut-on faire ces choix ? La création reste une affaire privée. Au nom de la France ? Cela reste une
affaire circonstancielle. Il faut le faire au nom de la plus grande universalité possible, qu'on puisse affirmer
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dans notre société c'est-à-dire le faire au nom de l'homme, au nom de l'humanité. Le grand génie de
Malraux est certainement d'avoir dit que la responsabilité culturelle publique spécifique est de faire des
choix au nom de l'humanité.
Si un film marche très bien, tant mieux, il sera bien vendu. Mais avant de s'intéresser à la question de la
finalité économique, des valeurs économiques, il faut d'abord poser l'enjeu culturel, c'est-à-dire : oui cela
est un produit qu'on a choisi au nom de la responsabilité culturelle publique l'humanité. Le ministère de la
culture n'a pas abandonné cette ambition d'être là pour quelque chose puisque même aujourd'hui sous
Monsieur Valls, les premières lignes qui définissent les responsabilités du ministère la culture sont : « le
ministère de la culture et de la communication a pour mission de rendre accessibles aux plus grands
nombres les œuvres capitales de l'humanité. » Il ne s'occupe pas de la création, sa responsabilité culturelle
universelle est de choisir, parmi tous les produits, toutes les œuvres qui sont capitales pour l'humanité.
C'est un choix politique fort.
Une des citations les plus classiques de Malraux montre bien l'enjeu d'une responsabilité culturelle
publique. C'était en 1963, devant les députés, face à la situation de développement des produits culturels,
le cinéma, la télévision etc. Malraux disait « les machines à rêves qui n'ont pas été inventées pour le plaisir
des hommes mais seulement pour apporter de l'argent à ceux qui les fabriquent n'ont de puissances
magistrales que dans la mesure où, je parle clairement, elles ne rapportent le maximum d'argent que si
elles font appel chez nous à ce qui est le moins humain, le plus animal, le plus organique et disons le
clairement le sexe et la mort ». Si je prends le secteur culturel, les produits culturels, tous les films et tous
les cinémas qui sont liés à une activité économique, c'est le sexe, la mort, le caractère organique, le
caractère humain. La responsabilité culturelle est de faire le tri dans tout cela et éjecter le plus grand
nombre pour garder ce qui a vraiment un sens pour l'humanité. Il faut que n'importe quel être humain ait
les moyens de se défendre et nous devons les lui apporter parce que sans nous personne ne lui apportera.
Voilà une belle responsabilité culturelle, elle est universelle et son enjeu est l'humanité.
Dans cette logique là, la responsabilité culturelle au ministère de la culture qui parle uniquement pour les
petits spectateurs français, pour le territoire français ou pour l'économie française, est bien plus importante
que cela. Nous intervenons dans un domaine qui est français. Il est parfaitement vrai qu'il n'existe pas de
nationalisme intellectuel mais il est parfaitement vrai aussi que c'est un très grand honneur pour un pays
que de porter la charge du destin des hommes et surtout la charge de ce qui peut les sauver. Alors la
politique culturelle française qui a sélectionné les œuvres capitales de l'humanité, elle ne travaille pas pour
elle, elle travaille pour sauver les hommes.
Pourquoi est morte cette politique culturelle ? Comment est-elle morte ? Comment peut-on saisir
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aujourd'hui qu'elle est morte ? Que cette idée d'une valeur spécifique de la politique culturelle n'est plus ?
On peut regarder par exemple le rapport d'inspection du Ministère de la culture de décembre dernier. Un
rapport qui fait un travail formidable pour savoir quel est le pouvoir économique de la culture et qui nous
dit que la culture est encore plus importante que ce que Malraux disait puisqu'elle représente 3,1 % du
produit intérieur brut. En disant cela, on confirme que la politique culturelle est morte. Les statistiques qui
permettent de sortir ce chiffre sont liées à une réflexion globale européenne. La publication des statistiques
européennes ne prétend pas l'exhaustivité compte tenu de l'absence de définition de la culture ou plutôt de
la multitude de définition, cet annuaire s'appuie sur la définition pragmatique et consensuelle élaborée à
l'occasion des travaux antérieurs de groupes européens sur les statistiques culturelles. La publicité par
exemple entre dans ces chiffres. En les reprenant, en vantant ces chiffres, les grands patrons des grandes
salles ont enterré la politique culturelle, le sens qu'ils voulaient donner à leur action publique en reprenant
des chiffres qui sous prétexte de les valoriser n'ont fait que dire que la culture n'était plus qu'un ensemble
de produits pour satisfaire une grande clientèle. Quand on regarde les statistiques en détail, on s'aperçoit
qu'il y a des nomenclatures européennes, la NACE et sur les 29 activités de la nomenclature européenne, 22
ont été reconnues de façon évidente comme étant totalement culturelles, dedans sont compris l'édition de
livres, l'édition de jeux électroniques. On va dire que la culture à une grande valeur publique parce qu'elle a
du poids et on va y mettre les jeux électroniques, on a oublié Malraux parce qu'effectivement, on ne va plus
faire de choix dans les jeux électroniques, mêmes dans les livres pour dire que ce qui compte pour la
politique culturelle ce sont les meilleurs livres, les meilleurs jeux vidéos. On a oublié les œuvres capitales de
l'humanité, on prend tout. Ceci est la politique culturelle actuelle.
Le discours de Madame la ministre, du 27 octobre prévient les DRAC qu'une loi de décentralisation arrive et
qu'il faut s'y préparer. Les DRAC reçoivent les instructions pour travailler avec les collectivités à la nouvelle
configuration de la responsabilité culturelle publique. La Ministre demande au DRAC premièrement de
repenser l'accès à la culture pour les nouvelles générations (par conséquent pas pour les anciennes) et
deuxièmement de conforter l'excellence artistique et culturelle française et en faire un levier de
rayonnement international de notre pays. Par conséquent, ce qui va être excellent c'est ce qui va être
reconnu ailleurs et qui va pouvoir trouver sa place sur les marchés internationaux, le monde étant organisé
autour d'un système concurrentiel assez élaboré. Malraux ne pensait pas à la France, il pensait à l'humanité
alors qu'ici il s'agit uniquement de la France, de son excellence artistique pour rayonner
internationalement, même pas intellectuellement. Cela signe la mort de la politique culturelle telle
qu'envisagée par Malraux et encore davantage dans la suite du discours de la Ministre par l'organisation des
conditions favorables à la création artistique, à sa diffusion, à son renouvellement, il faut garder notre
spécificité et notre spécificité en tant que DRAC est une approche partenariale, fondée sur la confiance que
nous avons en notre plus-value. Le ministère de la culture et ses DRAC ont une responsabilité culturelle qui
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est en fait une plus-value par rapport aux collectivités territoriales. Quelle est-elle ? La plus-value du
ministère est d'abord fondée sur l'expertise propre et les compétences des agents. Cela induit que les
agents de la DRAC sont des experts compétents, que leurs choix par rapport à celui qui fait la
programmation ici ou ailleurs ait une plus-value. Pourquoi cela signe-t-il la mort de la responsabilité
culturelle publique ? Parce que chez Malraux, la responsabilité est politique, elle est de faire un choix au
nom de l'humanité et pour faire ce choix au nom de l'humanité à construire, pour ne pas être dans la
médiocrité du peuple, il faut des experts mais si j'ai besoin d'experts c'est parce que ils vont faire un choix
selon une orientation politique, une responsabilité éthique qui est de faire humanité. Dans le discours de la
Ministre, faire humanité a disparu, il ne reste plus que la technicité du choix. La DRAC n'est plus qu'un lieu
qui permet de dire ceci est un produit pour le rayon bon marché de la culture, la MJC, ceci est un produit
pour le haut de gamme de la culture, l'opéra. Cela devient un contrôle qualité. Il manque la valeur publique
essentielle, la valeur de la responsabilité d'un ministre disant à l'assemblée qu'ils sont les meilleurs parce
qu'ils savent ce qu'est l'humanité.
Nous n'avons plus de politique culturelle nous n'avons que des politiques publiques formidables, la santé
publique, l'attractivité du territoire, la cohésion sociale qui heureusement considèrent que ça serait bien
d'avoir des acteurs qui ont de beaux produits culturels à mettre dans la politique culturelle, qu'on appelle
au niveau européen les SIEG (les services d'intérêt économique général). Donc, il y a bien des acteurs
culturels, des salles, des artistes, des créateurs, des médiateurs mais au service d'autres politiques
publiques, ils sont orphelins de ce qui a fait longtemps parti de la responsabilité culturelle publique à savoir
faire humanité.
La loi qui va sortir va réaffirmer l'idée que les collectivités peuvent s'occuper de la culture au nom de la
compétence générale. Là encore, on assiste à la mort de la politique culturelle parce que quand on dit à
l'ensemble des collectivités françaises que ce n'est plus le ministère de la culture qui maîtrise les choses, la
république ne donne pas une importance extraordinaire à la culture de telle sorte que chaque collectivité
devrait exercer ses responsabilités. L'État de droit ne s'engage pas dans une responsabilité culturelle
publique, il ne reste aux acteurs culturels plus que le rapport de forces locales, le marchandage local,
l'épicerie locale et chacun se débrouillera avec ce qu'il a et ses réseaux professionnels. C'est la fin de la
politique culturelle. La culture devient une corbeille de fleurs sur un tombeau. On devient un travailleur de
la culture, on n'est plus dans la responsabilité évoquée.
Maintenant la question est : « est-ce qu'on peut penser autrement ? » Est-ce que c'est possible de trouver
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une éthique publique de la culture qui soit aussi universelle que celle que nous proposait Malraux ? Où peut
être cette éthique publique universelle concernant la culture ? Est-ce qu'on peut revenir à Malraux ? Non.
Non, pour une raison qui est liée au combat politique depuis des années de tous les peuples colonisés qui
ont expliqué au niveau de l'Unesco qu'une humanité figée avec une culture universaliste au sens où si vous
venez d'ailleurs et que vous ne pouvez pas assimiler ces référentiels, vous ne serez pas considéré comme
humain. La lutte anticoloniale a remis à plat cette idée. La négociation internationale a intuitivement
conduit à la disparition de la validité d'éthique publique, du référentiel d'œuvres capitales de l'humanité.
C'est curieux que la ministre de la culture écrive encore « œuvres capitales de l'humanité » comme si on
pouvait penser que l'humanité a des œuvres capitales, qui oserait encore penser ça ? C'est venu de la
négociation internationale, des discussions à l'Unesco, sur une idée qui effectivement s'avère être
universelle. Il y a bien une nécessité pour les humains de penser l'unité du genre humain. Est-ce qu'on peut
éviter de penser l'unité du genre humain ? On doit penser l'humanité. De quoi est-elle faite ? De la diversité
des identités culturelles et ça c'est une catastrophe parce que vous dites l'humanité est faite de la
reconnaissance des identités culturelles. Pour que cela ne soit pas une catastrophe, il faut une
responsabilité culturelle publique parfaitement charpentée parfaitement organisée. Je vous donne la clé,
l'universalité tient à la définition de l'article 1 de la déclaration universelle des droits de l'homme. « Tous les
êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit ». La subtilité est de dire puisque l'on sait que
tous les êtres humains sont libres et égaux en droit et en dignité, celui qui vient sur la place publique dire
qu'il est un être digne et libre avec son identité culturelle doit nécessairement pour être reconnu dans sa
dignité et la liberté de son identité culturelle reconnaître les autres dignités et les autres libertés dans leurs
identités culturelles. S'il ne le fait pas, il sort de l'enjeu même de l'humanité, il se met dans une position
d'individu consommateur par exemple et il passe à côté. La responsabilité culturelle publique est de dire à
ce moment là, il faut organiser les interactions entre les identités culturelles, les confrontations entre les
identités culturelles. Sinon ce sera la palabre entre les identités. Palabrer, le temps de reconnaître la culture
de l'autre. Sans cela, chacun gardera sa culture dans son coin et on ne fera pas humanité. Cela me donne
l'opportunité de vous donner la référence de cette universalité, l'universalité des droits de l'homme : la
déclaration de Fribourg sur l'hypothèse de la politique publique qui est considérée que chaque personne
est titulaire de droit culturel et qu'est-ce que c'est que les droits culturels de la personne : sa capacité à dire
j'ai une culture et j'y tiens. Par conséquent, on a une définition de la culture dans ce sens d'éthique
publique qui est la suivante : le terme culture recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les
langues, les savoirs, les arts, les traditions, les institutions et les modes de vie par lesquels une personne ou
un groupe exprime son humanité.
L'enjeu politique est de mettre sur la place publique la discussion, le débat, la palabre. L'idée
d'émancipation est toute proche c'est-à-dire que si la responsabilité publique est d'organiser les
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interactions, les interconnexions, les discussions, les débats, si la responsabilité culturelle – responsabilité
publique n'est pas là, on perd l'universalité de l'humanité, on n'a plus qu'une société avec la culture des uns
ici dans la banlieue, la culture des autres ailleurs, l'enjeu localement, nationalement et au niveau
international c'est la déclaration sur la diversité culturelle, c'est d'accueillir les diversités culturelles en tant
que construction de l'humanité. L'humanité n'a pas de contenu et par conséquent, il est de la responsabilité
culturelle publique de faire en sorte que ce contenu, chacun le remplisse. La politique culturelle est tout le
temps présente avec cette idée « est-ce qu'on fait bien l'humanité ensemble ? » Il n'y a plus que des
personnes dont l'identité culturelle se construit dans la relation, dans l'interaction, dans la palabre avec les
identités culturelles des autres personnes. Il n'y a plus d'identité collective. Il n'y a plus d'identité culturelle
bordelaise ou charentaise parce qu'on ne peut pas avec cette logique de l'universalité de droit humain
enfermer une personne dans une culture collective et encore moins une culture religieuse. L'une des
grandes règles des droits culturels est que personne n'est assigné à une culture. Le politique a un rôle
central dans l'évolution de la politique culturelle, c'est à lui d'organiser ces interactions. Si l'enjeu est la
liberté et la dignité, la liberté de l'artiste devient un élément d'universalité de cette conquête des idées, des
responsabilités pour l'humanité parce que si l'artiste n'est pas en situation d'être protégé, promu dans sa
liberté qu'est-ce qui va se passer ? Si je ne me suis pas expliqué trop vite, l'humanité va se faire par des
compromis, par des négociations entre différentes identités culturelles, l'humanité est morte. Si l'humanité
n'est que la somme des compromis qui font qu'on est bien content que tout se passe bien qu'il n'y ait pas
trop de rappeurs qui traînent etc. si c'est cela faire humanité ensemble, l'humanité est morte de ces
stéréotypes, elle devient figée et donc elle coince totalement tout ce qui peut être l'imaginaire humain.
Donc l'humanité pour être totalement humaine doit tout le temps être en situation de permettre la liberté
de s'exprimer et en situation de se renégocier. Si la liberté artistique n'est pas protégée, il n'y a plus
d'humanité, c'est la fin et les épiceries continuent à fonctionner.
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La Parole en Partage
Josette Avril aux Carmes à La Rochefoucauld : on a connu une France centralisée, la France dont vous
parlez c'est la France d'André Malraux. On a mis 500 ans à centraliser la France à peu près et on a mis 50
ans à la décentraliser parce que la centralisation c'est fini. On peut le regretter et la question que je me
pose c'est que effectivement, je trouve tout votre rapport très intéressant bien sûr mais comment peut-on
penser une responsabilité publique de la culture dans une France complètement décentralisée ?
Jean-Michel Lucas : pour répondre à cette question, il vous suffit simplement de reprendre le texte de la
décentralisation, l'article deux de la déclaration universelle sur la diversité culturelle. Que dit-il ? Il ne dit
pas localement vous allez faire une piscine, un centre d'art, il dit, votre travail en tant qu'élu c'est qu'on
arrive ensemble, que vous ayez la volonté de vivre ensemble dans l'accueil des diversités culturelles et dans
plus de démocratie. C'est-à-dire que les personnes soient acteurs et non plus le client. On a, à la fois,
quelque chose qui a une dimension internationale mais qui ne donne pas la réponse pratique qui donne
simplement la réponse éthique. Ce n'est même pas apparu comme une nécessité de dire, qu'au moins
l'enjeu pour un élu serait le vivre ensemble dans la reconnaissance des identités culturelles et dans leur
capacité à chacun. Je suis effondré par cela. La DRAC n'a pas besoin d'exister, si ce n'est comme support
technique. Je suis très déçu que cette idée ne soit pas passée mais c'est parce qu'en France, on interprète
l'expression « identité culturelle » comme identité qui se construit, qui se frotte aux autres, qui fait
humanité, en résumé : Front National. C'est une responsabilité de dire que la culture de l'autre est une
ressource.
Véronique Castier, compagnie : vous avez mentionné l'Unesco, mais dans le cadre des missions de l'Unesco
et des palabres, dont vous parlez, pour moi c'était dans leur mission et dans leur développement, dans
l'universalité, cette reconnaissance de la culture de tous et pour tous.
Jean-Michel Lucas : j'avais écrit un petit texte qui s'appelait UNESCO :118 mariages et un enterrement. Les
118 mariages sont les états qui ont signé la Convention sur la diversité des expressions culturelles et
l'enterrement est qu'en signant la convention sur la diversité des expressions culturelles, on n'a fait
qu'organiser la production d'expression culturelle, la diffusion d'expression culturelle, la vente des
expressions culturelles sur des marchés dominés par les Américains avec l'exception culturelle. Alors que
l'Unesco, 2 ans avant c'était la reconnaissance des droits culturels, la reconnaissance du fait que l'on n'y
arrivera pas tout seul. Faire humanité ensemble supposera de beaucoup palabrer et l'Unesco a abandonné
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cette voie pour la voie d'une plus grande production de produits culturels sur les marchés. L'Unesco n'a pas
d'autonomie, ce ne sont que les états qui négocient ensemble et c'est pour cela que s'est formé un groupe
de société civile pour justement énoncer des droits culturels. Si les états n'avaient pas leurs intérêts propres
à défendre l'Unesco, voilà ce que ça aurait dû donner : le texte de la déclaration de Fribourg. L'Unesco a le
poids que vous, que nous acteurs de la société civile, on voudra bien réclamer mais quand les
professionnels de la culture réclament l'exception culturelle, ils ne font que réclamer la fin de la politique
culturelle, c'est-à-dire un régime économique qui leur permet de vendre leurs produits sans être dérangé
par les Américains, pour moi c'est le contraire de la diversité culturelle. On ne va pas enfermer l'enjeu
culturel de l'avenir sur la consommation de produits. On a à le gérer dans la confrontation des identités
culturelles des personnes. L'article 2 : « dans nos sociétés de plus en plus diversifiées, il est indispensable
d'assurer une interaction harmonieuse et à vouloir vivre ensemble de personnes et de groupe aux identités
culturelles à la fois plurielles variées dynamiques, des politiques favorisant l'inclusion de la participation de
tous les citoyens sont garantes de la cohésion sociale de la vitalité, de la société civile et de la paix ainsi
défini le pluralisme culturel constitue la réponse politique au fait de la diversité culturelle indissociable du
cas démocratique. Le pluralisme culturel est propice aux échanges culturels à l'épanouissement des
capacités créatrices qui nourrissent la vie publique. » On palabre sur la base d'une unité, d'une unité de la
reconnaissance des êtres humains comme êtres de liberté.
Marie-Hélène Popelard : on ne peut qu'être d'accord avec l'idée des identités composites ou des identités
plurielles mais est-ce que le choix de faire humanité ensemble ce n'est pas encore une fois choisir les
grandes communions aux grands affrontements et est-ce qu'on peut faire humanité ensemble tant que les
rapports de production capitaliste restent inchangés ?
Jean-Michel Lucas : c'est une question qui me taraude depuis longtemps. En bon militant que je suis, j'ai
essayé de trouver la réponse, je ne l'ai pas trouvé moi-même, je l'ai trouvé chez Amartya Sen, qui est par
ailleurs prix Nobel de l'économie (1998). Il ne renie pas les échanges marchands mais tous ceux qui ont
pensé une société idéale, juste ou plus juste, comme Marx, Smith, etc., sont confrontés à la réalité qui a fait
que cette réalité n'était jamais conforme à cette pensée d'une société idéale. Modestement, Amartya Sen
dit « ce qu'il nous faut, ce n'est pas une société du bien-être, fondée sur la logique capitaliste, c'est-à-dire
satisfaire les consommateurs pour avoir un bien-être collectif, l'idée est d'essayer politiquement de faire
une société un peu plus juste ou un peu moins injuste. » Pour savoir ce que c'est qu'une société plus juste
ou un peu moins injuste, il faut confronter les différentes raisons des groupes, des citoyens, dans une
palabre. Cette idée d'affrontements mais sous l'empire de la raison est très plaisante, on entre avec des
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opinions, avec des convictions, avec de la polémique, avec des désaccords, avec de l'affrontement et parce
qu'on veut faire humanité ensemble, le responsable politique essaie de faire, parce qu'il n'y arrivera pas
toujours, du mieux possible pour que ce soit la raison, l'argumentation qui l'emporte et on prend le temps
de la palabre, le temps de l'argumentation pour arriver à une décision qui sera un peu moins injuste, un peu
plus juste, le temps que ça tiendra. J'aime beaucoup, chez Sen, cette idée de démocratie par la parole et la
discussion, faire culture ensemble, c'est être dans la discussion. C'est la réponse que je trouve intéressante,
assumer le fait qu'on n'est pas grand chose par rapport au monde des idées parce que le monde de la
pratique n'est jamais conforme à celui des idées. Alors on essaie de faire un peu mieux, un peu moins mal.
C'est la notion des libertés hétérogènes.
Michel Adam : j'aime bien votre réponse parce que c'est ce qu'on tente de faire partout dans le monde
aujourd'hui, avec un grand renouveau depuis 10 ans en France : l'économie sociale et solidaire. Je rappelle
que c'est quand même, même s'il y a des hauts et des bas, 2 300 000 salariés dans le pays qui tentent de
fonctionner un peu mieux dans des rapports employeur-employé différents, qui resteront toujours des
rapports d'opposition, Marx avait raison, mais complémentaires il l'a peut-être oublié. J'ai envie de terminer
en disant cette formule magnifique de Miro à laquelle vous m'avez fait penser. Miro disait « seul le local est
universel » et le local c'est le lieu où on peut le mieux réussir la palabre.
Jean-Michel Lucas : À condition, qu'on ne prenne pas la palabre pour ce qu'elle n'est pas. Quand on
palabre, cela veut dire qu'on sait ce qui nous unit, on sait ce qu'on a en commun et donc on palabre dans ce
cadre de l'unité. La palabre suppose de trouver ce qui fait commun avec l'autre. Le seul élément que je
trouve commun à toutes les discussions artistes, sociologiques, etc, c'est l'idée que si on fait quelque chose,
c'est pour permettre aux personnes d'être un peu plus libres, un peu plus dignes. La palabre suppose
d'abord l'affirmation de quelque chose qui fait unité du genre humain.
Une jeune femme : est-ce que ce qui ferait commun, dans la culture ou dans l'art, serait la question d'une
œuvre d'art réussie ? Est-ce que c'est une œuvre d'art hétéronome ? Une œuvre d'art autonome ? est-ce
que l'objet commun, dont on peut parler, est la démarche de l’œuvre d'art ? L'excellence ? Comment est-ce
qu'on peut avoir un objet commun de réflexion sur ce qu'est une œuvre d'art qui fait humanité ?
Jean-Michel Lucas : il y a certainement besoin de la liberté artistique mais dans le schéma, dire œuvre d'art
c'est déjà avoir pris un pouvoir qui mérite d'être discuté. Par contre la liberté d'expression artistique, dire sa
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liberté par rapport à l'usage d'une histoire des disciplines c'est universel. Après, savoir si c'est une œuvre
d'art ou pas, je ne peux pas penser l'universalité et je crois que cela serait dommage de dire qu'une œuvre
d'art peut être un bien commun parce que ça interdirait de penser que c'est mauvais. La liberté artistique si
elle n'est pas organisée est une catastrophe parce qu'on est dans le stéréotype.
François Fournier : nous avons encore le temps du repas et cet après-midi, dans les ateliers pour palabrer et
expérimenter encore un peu plus loin le vivre ensemble. Merci pour votre écoute attentive. Merci à tous
nos intervenants de ce matin, en particulier à Marie-Hélène et Jean-Michel.
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La culture, cette chance !Enjeu sociétal... Territoires de vie
Mardi 18 Novembre 2014 - La Canopée – Ruffec (16)
Intervention de Marie-Hélène Popelard
Marie-Hélène POPELARD
Maître de conférences en philosophiePôles supérieur d’enseignement artistique
Culture résistante et représentations du publicNi espace sacré, ni Entertainment, mais « entre-deux », la culture devra - si elle veut survivre- se
constituer ailleurs et autrement.
Walter Benjamin évoquant les attaques véhémentes des intellectuels de l’extrême droite française
au début des années trente contre André Gide converti au communisme n’hésite pas à parler du lien
consubstantiel entre le fascisme et la culture par lequel l’accès des œuvres de l’esprit aux privilégiés
nourrit le mépris social. Forme pathologique de la posture cultivée qui constitue l’envers politique de
toutes les célébrations liturgiques de la hauteur culturelle auxquelles Brecht répondait par le refus de
l’universellement humain.
De l’autre côté, toute démarche qui tendrait à inverser le stigmate contribuerait à entériner les
oppressions de l’ordre social en exaltant l’autonomie du peuple, autre manière de laisser le peuple
comme il est, où il est.
Ceux des sociologues ou écrivains qui s’en sont sortis comme Pierre Bourdieu ou Didier Eribon et
Annie Ernaux, sont conscients d’être des « transfuges sociaux » dont la parole scientifique ou
introspective n’annulera jamais la distance de l’exil car demeureront toujours irrécusables les
puissants effets d’assignation et d’infériorisation de la parole populaire.
Au monde sans issue décrété par les néo fascistes qui réactivent aujourd’hui toutes les tensions
identitaires et nationales ou les bons samaritains qui s’en indignent, tous théoriciens du There is no
alternative, à l’intériorisation de la résignation sociale et du sentiment d’impuissance qui est
l’expression même de cette domination culturelle que Gramsci appelait « Hégémonie », nous
proposerons ici une autre définition de la culture qui fera - sur le modèle de l’énigmatique « auteur
comme producteur » de Benjamin - de chaque spectateur un coproducteur. Car il y a mille et une
définitions de la culture et dans son acception la plus large la culture est ce que les êtres humains en
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dépit de ce qui oppose portent en commun, elle est donc solidaire d’un processus d’hominisation et
dans son sens le plus haut elle est ce qui permet aux êtres humains d’élargir infiniment leur capacité
d’être libres ou plutôt de lutter pour la liberté et contre toutes les formes de tyrannies. Il est
essentiel en effet de considérer l’engagement pour un certain type de liberté comme un état de fait
lié à la condition humaine. Nous sommes, écrit Sartre « condamnés à l’engagement » un
engagement qui peut-être celui du Yogi ou du commissaire, du marxiste ou du bouddhiste ou parfois
plus rarement les deux ensemble. Essentiel enfin de s’entendre sur le sens des mots - car c’est aussi
au nom de cette « liberté » qu’on engendre aujourd’hui des hordes de gestionnaires dépassionnés
cochant des cases - comme sur la nécessité de la réduction du temps de travail autant que sur
l’emploi que nous voulons faire de ce temps libéré.
Les trois questions que nous posons aujourd’hui sont solidaires : la première porte sur le fait de
savoir s’il existe dans le contexte particulier des valeurs introduites depuis quelques années par le
nouvel esprit du capitalisme une manière propre à l’artiste d’effectuer cette confrontation à la chose
publique ; la deuxième concerne le paysage esthétique contemporain où se joue une guerre de
tranchées gagnée depuis longtemps par l’une des parties, ce qui n’est pas sans incidence sur les
politiques culturelles actuelles ; la troisième portera sur le rôle des médiateurs dans l’inversion
possible de ce rapport de forces sans laquelle aucune formation d’un public émancipé ne sera un
jour envisageable.
I. La spécificité de l’engagement des artistes
« S’engager ? écrivait Camus dans ses Carnets en 1946, J’aime mieux les hommes engagés que la
littérature engagée. Du courage dans sa vie et du talent dans ses œuvres, ce n’est pas si mal ».
N’empêche qu’il a aussi pensé qu’ « écrire oblige ». De quelle nature est cette obligation ? Quel en
est le but et quelle doit en être la forme ? Comme l’écrit Vinaver à Camus1 : écrivez au hasard, avec
sincérité et un effet se produira plus sûrement encore que s’il avait été le fruit d’une intention
délibérée. Comme si un trop fort sentiment de responsabilité s’avérait fatal pour la créativité.
Pourtant il est des moments de crise, d’exception, révolution, guerre, dictature ou d’extrême
précarisation qui exigent que « l’écrivain cesse d’écrire des essais et des romans et entre dans des
formes d’action plus directes. Si sa signature est prestigieuse, il peut en user pour pousser un cri
d’alarme ou de ralliement. Enfin il laissera là toute littérature et emploiera les armes de chacun ». De
sorte qu’on ne peut imaginer, comme le fait remarquer Vinaver, un artiste qui voudrait crier et
s’armer d’une part et produirait des œuvres mesurées pendant les heures creuses. Tel est d’ailleurs
1 S’engager, Correspondance (1946-1957), Camus/Vinaver, Larche, 2013.
2
le reproche qu’il adresse à Camus. Pourtant il y a chez ces deux hommes de théâtre une conviction
partagée, une foi dans l’effectivité des pouvoirs de la littérature et surtout du théâtre, pour peu que
l’écrivain évite la littérature « aux ordres ». Il est évident pour eux qu’entre l’aimable préciosité et le
libelle féroce il y a de l’espace pour d’autres formes littéraires. Reste que se mettre à écrire c’est déjà
un engagement. Écrire c’est être embarqué, terme que Sartre emprunte à Pascal dans « qu’est-ce
que la littérature ? »
Pourtant les intellectuels et les artistes ont cessé dès la fin des années quatre-vingt de dire à la
société quoi que ce soit de directement politique. Alors que nous pensions que l’histoire était cette
« écriture que le présent faisait de son propre passé » ( Bernard Noël), un certain nombre de ces
intellectuels ont commencé à dire et écrire que seuls comptaient les changements individuels ou
locaux, - le discours sur la politique tenu par les artistes tend alors invariablement à privilégier
l’approche psychosociale et les mémoires individuelles sur les grandes expériences collectives-.
représentations qui doivent sans doute beaucoup à la philosophie et notamment au devenir
deleuzien comme système ouvert de co-déplacements, les libérations plurielles se posant en
alternative à la conception hégéliano-marxiste de l’émancipation collective.
Certes la philosophie n’est pas seule en cause. Si le concept de changement individuel occupe
aujourd’hui toute la place qu’occupait encore récemment l’histoire collective, c’est en raison, nous
semble-t-il, de la convergence de deux influences majeures : la promotion de la figure deleuzienne
du « nomade » dans la littérature managériale et la critique artiste du capitalisme née en mai juin
68 d’un refus de l’esprit de système et de toute forme de hiérarchie. La prolifération de la figure du
nomade dans la littérature du management révèlera d’ailleurs la récupération dont Deleuze fera
l’objet, une récupération apte à recycler toute théorisation suffisamment souple pour autoriser son
annexion. Dans Mille Plateaux2, Deleuze remplace les polarités bourgeoisie/prolétariat ou
propriété/travail par le concept d’un « travail extensif devenu précaire et flottant ». Notre âge,
ajoute-t-il devient celui des minorités et seules ces minorités sont révolutionnaires ( à l’inverse, chez
Foucault il n’y a pas de romantisme de la marge ; être en marge, pour lui, s’est se provincialiser soi-
même et ne rien produire politiquement). Or avec ces minorités, ces exclus du système, on est passé
d’une « topique de la dénonciation » (classe sociale et exploitation) à « une topique du sentiment »,
une négativité sans dénonciation, ouvrant la voie dix ans plus tard à l’humanitaire. En l’absence d’un
espoir de changement social et de la notion claire d’exploitation, le refus de l’injustice sociale a
régressé vers le stimulus originel : l’indignation devant la souffrance. Disparaissent en même temps
les traits positifs attachés à la figure de l’homme du peuple : le courage, la générosité, la solidarité. A
la place, les attributs pitoyables des « sans » : sans parole, sans papiers, sans droits, sans domicile
fixe. Quand l’idéal du manager sans attache se substitue à la figure du propriétaire ou à celle du
2 Gilles Deleuze, Mille Plateaux, Paris Minuit,1980.
3
directeur, la tension entre la mobilité de l’artiste et la fixité obsessionnelle de celui qui prospère dans
le monde des affaires tend à se réduire.
L’essai sociologique de Gilles Lipovetsky 3(2013) parait un peu plus de dix ans après celui de
Blotanski / Chiappello4 (1999) et en prolonge la réflexion en se situant sur le seul terrain de
l’esthétisation du monde. À l’incandescence de la transgression et de cette seconde vie du peuple
l’affranchissant de tous les rapports hiérarchiques dont parle Mikhaïl Bakhtine a succédé le processus
de « califormisation de la fête » où art et culture marchande, commerce et animation vacancière
s’entremêlent de plus en plus. L’homo festivus est une extension l’homo consumans et une des
déclinaisons modernes d’homo estheticus. Le capitalisme artiste prône une vie sans temps mort. Au
culte des héros a succédé le sacre du plaisir, de l’excitation, du vivre plus et du sentir plus.
La conclusion des auteurs est sans appel : la décélération généralisée à aussi peu de chances de voir
le jour que la décroissance volontaire.
Il semble en effet que ce qu’il nous faut analyser, mais aussi neutraliser dans le désastre de notre
époque, relève de la paléontologie de l’homme moderne. La manipulation à des fins capitalistes vise
ses réflexes les plus archaïques, en premier lieu l’instinct de prédation qui n’est d’aucune culture. Le
régime de l’événementiel quant à lui relève de la stimulation de l‘instinct de fascination qui est une
captation de la curiosité. Le monde est devenu une vaste foire où la surprise est la règle.
Pourtant loin de partager ce pessimisme radical qui est dans l’air du temps, nous nous proposons
d’examiner le paysage esthétique que semble dessiner un âge contemporain plus contrasté que celui
décrit par nos sociologues et ses effets politiques sur les différentes représentations du public qui
loin d’être un tout homogène est un singulier collectif composé d’un archipel de spectateurs.
2. Paysage esthétique clivé
Comme le montre Jacques Rancière dans Malaise de l'esthétique5, nous sommes plongés depuis le
début du XXè siècle dans un univers esthétique où les clivages sont plus que jamais la règle. La tension
persistante entre deux politiques de l'art, celle de « l'esthétique relationnelle6» d'un côté et celle de
la forme résistante de l'autre, nous confronterait à un univers partagé entre deux états d'une même
réalité : l'un où s'affiche une certaine tradition de l'art et de son enseignement soucieuse de creuser
3 Gilles Lipovetsky, Jean Serroy, L’esthétisation du monde, Gallimard, 2013.4 Luc Boltanski, Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.5Jacques Rancière, Malaise dans l’esthétique, Galilée, 2004.6L'expression, qui a fait fortune, est de Nicolas Bourriaud dont le Manifeste paraît en 1990 et sera traduit enplusieurs langues.
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le fond des choses et de le faire éclater au grand jour. L'autre où se joue dans l'horizontalité des
signes et le recyclage de matériaux hétérogènes, l'émergence d'une nouvelle espèce d'artistes, ceux-
là même que Paul Ardenne accuse de toutes sortes de compromissions avec toutes sortes de
pouvoir. C'est bien au nom d'une certaine idée de l'art et de son histoire, que Paul Ardenne dans son
livre l'âge contemporain dénonce un certain nombre de compromissions artistiques. «Compromis»
par sa sujétion aux choix des commissions institutionnelles d'achat, aux grands musées ou aux
commandes publiques, l'artiste convivial et subventionné aurait définitivement remplacé l'artiste
bohème et révolté ; quant aux spécialistes intransigeants, ils auraient cédé la place aux promoteurs
assujettis. Face au formidable appareil d'institutions en tout genre, l'art serait devenu rien. «Rien,
c'est-à-dire un art évanoui, l'art authentique s'entend, remplacé par une production caporalisée, les
alentours de l'art ayant à la fin établi l'éminence du néant artistique».
Cette vision apocalyptique que porte l'air du temps, partagée par nombre de nos observateurs les
plus lucides7, escorte l'émergence d'une esthétique relationnelle (cette appellation contrôlée ne
résume pas, loin s'en faut, la totalité des expérimentations en tout genre qui peuplent les espaces
d'art contemporain) et d'un nouveau culte, celui de la performance, phénomène né dans les années
soixante-dix à New York, devenu aujourd'hui aussi banal qu'hégémonique, comme l'ont confirmé les
récents festivals d'Avignon. Une partie essentielle de l'art du présent n'est ainsi pas faite d'œuvres
matérialisées, durables, voire commercialisables, mais d'actions, théâtres sans texte, concerts
bruitistes ou renversés (Cage), happenings, installations, environnements etc., inclassables dans les
catégories traditionnelles du permanent, autant pour illustrer une pensée que pour ouvrir les portes
de la perception. «Pantin ou génies8», les artistes hors d'atteinte n'ayant «ni besoin d'être défendus
ni cure d'être attaqués », (« les polémiques enflammées faisant totalement partie du jeu »), font du
thème nihiliste de Duchamp qui radicalisait à l'extrême la question de la précarité des valeurs
esthétiques, non pas une exigence du regard ou de l'oreille, mais une véritable idéologie du mineur
sans esprit de sérieux, qui se caractérise par trois postulats :
1. Primo : les mélanges et métissages spectaculaires illustrent un nouveau rapport de l'œuvre
aux autres genres : le collage et le brouillage des frontières étant mis au service d'une mise
en scène ludique, mode dominant d'exposition des marchandises dans la publicité;
2. Deuzio : l'absolutisation du présent et le refus de l'histoire engagent un nouveau rapport de
l'œuvre au legs : ne plus se situer par rapport à l'histoire de l'art a conféré à ces artistes une
liberté sans précédent;
7De Paul Ardenne (L'âge contemporain, Un art contextuel) à Yves Michaud (L'art à l'état gazeux) ou encore
Arthur Danto (L'assujettissement philosophique de l'art) et Rainer Rochlitz (Subversion et subvention). 8 V. Hennion supra.
5
3. Tertio : la recherche d'une porosité identitaire par le brouillage des frontières entre le
spectacle et la vie suppose un nouveau rapport à la définition aristotélicienne de l'œuvre9.
L'art aussi énigmatique et autistique soit-il, met l'accent sur sa lisibilité10, confondant
médiatisation et acculturation, information et mémoire.
Cette logique ternaire qui manifeste le triomphe du consensus sur le dissensus, des « ivresses
communielles11 » sur les affrontements dialectiques se revendique d'une même philosophie, le
pragmatisme, qui s'épanouit dans une «esthétique exagérément accueillante12» (de Nelson Goodman
à Roger Pouivet13), immunisée contre la critique, résistant à toute réelle contestation, la seule
interprétation légitime étant constitutive, infinie et tranfigurative, en jouant le rôle du levier qui
confère aux objets leur statut d'œuvre d'art pour peu qu'il y soient candidats.
Ce qui est dénoncé par les théoriciens et les artistes de l'esthétique opposée à cette esthétique dite
relationnelle, - Rancière l'appelle «l''esthétique de la forme résistante» - dans l'ouverture radicale de
l'art consécutive à la dissolution des frontières et à la caducité des règles du jeu, c'est d'abord et
avant tout ses effets : soit la collusion entre l'artiste, l'institution et la production marchande à seule
fin de créer l'attente du public dans un contexte où le succès de la communication reste toujours
aléatoire.
En conséquence, en résistant en somme de toutes leurs forces stylistiques à la rationalisation d'un
marché qui simplifie la complexité du monde sensible pour mieux nous distraire de la vérité et de la
violence, les artistes de la forme résistante consentent à courir le risque de l'isolement, et à faire que
la culture devienne le privilège de quelques individus seuls capables d'une jouissance légitime que les
dissonances et la résistance du matériau14 - et non les satisfactions kantiennes dites «insipides» -
seront supposées provoquer : une jouissance esthétique destinée à un spectateur aventureux pour
lequel parmi les dangers de l'art, le pire serait celui de la sécurité. À seule fin de créer ce public
d'exception, l'artiste est chargé de reconfigurer le lieu du commun en s'installant dans un entre-deux
qui maintient la distance entre les pôles de tous les écarts possibles, un espace où est rendu sensible
qu'il y a de l'innommable ou de l'invisible15, c'est-à-dire une altérité logique, empirique ou même
9Comme «mise en forme d'un matériau résistant» qui est encore celle de Rochlitz (Subversion et subvention,Gallimard, 1994).
10 V. par exemple les longues explications alambiquées qui escortent l'exposition consacrée cet été à Mathew Barney au musée Shauleger de Bâle ( 2010)
11Jacques Rancière, Le destin des images, La fabrique, 2003.12Jean-Pierre Cometti, Qu'est-ce que le pragmatisme ? Gallimard, 2010.13Roger Pouivet, Esthétique et logique, Mardaga, 1996.14Adorno, Théorie esthétique, p.25.15Voir l’entretien avec Christian Prigent, supra…
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transcendantale rétive à l'assignation idéologique.
Ces turbulences assumées, ces heurts libératoires sont la résultante d'un triple arbitrage inscrit dans
une logique de fonctionnement symétrique de la précédente (celle de l'esthétique relationnelle) :
La commune mesure
Depuis une cinquantaine d'années les artistes ont assimilé l'expérience délicate du partage. La
recherche d'une «commune mesure» (Rancière) entre les registres d'expression (dans le livre
d’artiste, l’opéra, la danse mais aussi l’échange des modèles formels) – et non du mélange pour le
mélange - engendre un goût du risque chez les créateurs déportés en terre étrangère, pour y
éprouver la même «distance disloquante», (René Char); en convoquant soit un genre de chimie qui
expérimenterait l'action d'un corps sur un autre, soit une sorte d'empreinte réciproque, terme qui
permet de penser l'imbrication sans duplication, en dessinant ainsi une nouvelle carte des territoires
artistiques qui peut aussi prendre la forme du chiasme.
La responsabilité de la forme
L'esthétique de la forme résistante ne cesse de rappeler avec Hannah Arendt que l’œuvre d’art est
toujours le lieu d’une singulière articulation au temps puisqu’en s’achevant, elle s’ouvre sur un futur
tout en ramenant à elle tout le passé ; avec Mallarmé que « Nul n’est son propre contemporain »
puisque aucun créateur ne peut avoir une perception d’ensemble d’un processus qu’il cherche à
s’expliquer indéfiniment, chaque explication se trouvant remise en question par l’occurrence de
nouvelles œuvres singulières ; avec Jacques Rancière que « L’éternité ne fait que passer » s’il est vrai
que celui qui fait œuvre à son tour, surpassant le maître qu’il cherchait à égaler, c’est celui qui perçoit
avec une plus grande acuité l’excès de ce qui reste à faire.
La traque au lieu commun
L'hésitation prolongée entre le matériau et le sens, entraînant une hésitation tout aussi prolongée
entre l'haptique et l'optique, le perceptuel et le symbolique, conduit à la recherche de langages
«justes» ou «vrais» en pointant au cœur même de ce langage la part maudite (Bataille), le négatif
(Kafka), l'innommable (Beckett), la maladie du sens, Le syndrome de Gramsci (Bernard Noël) ou
l'échappement libre (Prigent).
Mais pour que soit rendue manifeste au public ou au lecteur aventureux «la trace sensorielle d'un
autre des formes et des noms», il faut chercher « une langue inouïe à force d'être singulière », faire
partager « la sensation qu'il y a là, une énigme digne d'être interrogée », tout en incarnant un certain
7
nombre de tensions ; et c'est souvent l’hétérogénéité des expériences, « e trivial, l'infantile, «les
refrains idiots», les écrits «sans orthographe», l'érotisme naïf ou sordide, l'imagerie chromo, les
«cartes» et les «estampes» fantasmées par l'enfance, etc. » (Prigent), qui viennent contaminer la
composition des entreprises les plus sérieuses. Comme Rimbaud écartelé entre «refrains idiots» ou
rythmes naïfs et les Illuminations ; Mallarmé qui passe des Loisirs de la poste et autres vers de
circonstance à l'extrême sophistication des sonnets, etc. Comme s'il s'agissait pour l'artiste d'ouvrir
un espace entre l'in-signifiant et le sur-signifiant, infigurable, dit-il, parce que lieu même de la
résolution impossible des contradictions.
Ce refus du commun du lieu ne signifie donc pas l'absence de tout commun mais la recherche d'un
lieu où faire place pour un rythme qui prémunisse «de l'intellectuellement minable et du
stylistiquement dégoûtant» qui peuple les gondoles «et avec lesquels la sphère culturelle, les médias
et l'école identifient la littérature» (Prigent).
Face à la (S)ensure entendue depuis Bernard Noël 16comme privation de sens et occupation
économique de la pensée, les artistes les plus engagés répètent donc à l’envie qu’« effectuer un
geste sur la langue » n’est pas une coquetterie avant-gardiste mais le seul geste par lequel on peut
encore « toucher à la construction idéologique incarnée dans cette langue17». Trois postures
solidaires signalent en conséquence depuis trois décennies cet engagement et par voie de
conséquence celui du spectateur émancipé : la victoire sur le temps, la traque au lieu commun et le
retranchement de l’écriture.
a. À l’emportement du temps on oppose la capacité au ralenti, le droit de ne pas avoir à faire face.
b. Au ramollissement des consciences, un durcissement qui cherche ses modèles dans la langue
Zaoum de Khlebnikov, le chant de Joyce, les glossolalies d’Artaud, les bruits de langue de
Bernard Noël, le parler animal de Valère Novarina, le geste brechtien, les imprécations et
grossièretés médiévales et rabelaisiennes, les incroyables inventions verbales et sonores de Christian
Prigent ou Jacques Rebotier.
c. À l’écriture de l’histoire, on oppose le retranchement de l’écriture : la question que se posent tous
les artistes des dernières décennies est celle de savoir comment dire toute la vérité sur l’histoire,
mais obliquement, (comme dans le théâtre documentaire) afin de marquer radicalement l’écart.
Cependant ces œuvres difficiles qui sont les symptômes du travail du négatif dans l'art, ne cherchent
jamais les compromis avec le public : ainsi que l'écrit Prigent, dans le domaine de l'art on peut parfois
« s'enorgueillir d'une simple reconnaissance du milieu et passer directement de l'underground au
16 Bernard Noël, La castration mentale, Paris, P.O.L., 1997 et L’outrage aux mots, Paris P.O.L. 2011.17 Christian Prigent, Art, Education et politique, pp. 217, Paris, Sandre Actes, 2010.
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patrimoine sans passer par la case lectorat ». À nous public de nous préparer à l'avènement du plus
haut, soit la participation active à une « communauté jugeante » encore plus idéale que celle
qu'avaient définie Hannah Arendt ou Habermas sur le modèle kantien. Si le langage «est pris dans
son activité d’invention», il est à la fois «l’invention d’un langage et l’invention d’un sujet » Un sujet
aventureux, disions-nous, pour lequel le pire danger serait celui de la sécurité.
3. Les politiques du spectateur et le théâtre documentaire
Tout spectacle trahit un présupposé politique et suppose une représentation plus ou moins figée soit
d’un spectateur classique qui se tient face à des choses muettes pour leur donner un nom et un sens
soit au contraire d’un spectateur précipité malgré lui par l’art contemporain et le théâtre post
dramatique dans l’ère de l’interactivité ; de sorte que ce qui est identifiable sur la scène théâtrale
politique contemporaine, comme l’a bien montré Olivier Neveux dans Politiques du spectateur,18
s’organise autour de deux ensembles bien distincts. D’un côté ceux qui escomptent des effets soit
par un théâtre de la transgression susceptible de transformer le spectateur, soit par un théâtre de la
conscientisation qui cherche à le mobiliser. Ce premier ensemble est l’héritier du théâtre politique tel
qu’il s’est édifié tout au long du XXe siècle. Le spectateur y est considéré comme ignorant et le
théâtre s’adresse soit à sa sensibilité soit à son intelligence mais toujours dans la perspective d’un
manque ou d’une défaillance à combler19. Face à ce théâtre de la transgression où le spectateur ne
doit surtout pas être ménagé au nom des rapports intersubjectifs dominants dans le néolibéralisme,
rapports autoritaires et évaluateurs, ou face à ce théâtre de la mobilisation où l’individu se fond dans
un « collectif public » à qui il faut rendre sa puissance agissante, existe depuis une vingtaine d’années
un autre théâtre qui suspend tout rapport entre la scène et le public. Son maître mot est l’égale
capacité. Le concept rancérien de spectateur émancipé repose sur la valeur opératoire du postulat
que le public est toujours au travail. Si les effets d’une œuvre peuvent être dits bons ou mauvais
selon l’intention politique ou formelle de son auteur, comme s’en inquiétait Brecht, l’essentiel est
toujours de se déprendre d’abord de l’ennui ou de la contemplation muette qui nous prive de toute
pensée critique.
Ce théâtre espère l’émancipation du spectateur en se faisant l’héritier de Jacotot, « le maître
ignorant20 » dont Rancière avait fait le portrait. Ce qui manque à l’autre ce n’est rien d’autre que la
18 Olivier Neveux, Politiques du spectateur, Paris, La découverte, 2013.19 Dans « Les cités du théâtre politique en France depuis 1989 » ( L’entretemps, 2013), Béatrice Hamidi-Kim
distingue de son côté Le théâtre post-politique et post-apocalyptique ( celui d’Edward Bond entre autres) ; le théâtre œcuménique qui garde sa foi dans la démocratie et l’engagement citoyen ( celui d’Ariane Mnouchkine) et le théâtre de refondation qu’incarnent les ateliers d’Armand Gatti ou Les passerelles du théâtre du Grabuge qui se rapprocheraient le plus de ce théâtre de l’égale capacité en refusant le grand partage entre acteurs et spectateurs.
20 Jacques Rancière, Le maître ignorant, Paris Fayard, 1987.
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saisie de sa propre capacité et pour ceci il n’existe aucune recette, aucune école. Car le modèle que
critiquait Jacotot peut s’apparenter à celui qui régit les politiques sociales et culturelles qui visait à
réduire les inégalités. L’égalité apparaît comme une fin qui pourrait advenir si on rend accessibles les
œuvres à des personnes considérées au départ comme incultes. Concevoir ainsi les pratiques
éducatives ou culturelles induit des formes de relations hiérarchisées. Telle était la représentation de
l’historien Gérard Noiriel qui voulait forcer les réflexes d’adhésion du public au nom des meilleures
intentions du monde en plaçant son spectacle Chocolat sous le signe louable de la lutte contre les
supposés préjugés racistes du spectateur. Tel fut le risque pris par un spectacle documentaire
comme celui mis en scène par Judith Depaule et produit par Mabel octobre qui dans l’atmosphère
clinique d’une salle de classe, s’appuie sur les seuls souvenirs autobiographiques d’un séjour de 19
ans de Jacques Rossi au Goulag. La mémoire collective ne peut retrouver toute sa force critique qu’à
se présenter à l’état fragmentaire, décalée et polyphonique.
Car il y a là, dit Vinaver, comme une loi. Le lecteur (comme le spectateur) a un côté réfractaire. Il ne
peut donner son assentiment à celui qui le lui demande expressément. La persuasion artistique ne
peut être calquée sur la rhétorique du discours judiciaire ou scientifique. Elle vaut plutôt par la mise
en avant de la liberté de création et même de sa gratuité. Ce travail-là pose évidemment le problème
de savoir comment élargir le public des spectateurs émancipés21.
Si le capitalisme artiste et l’esthétique relationnelle ne réussissent pas plus que l’esthétique de la
forme résistante ou le théâtre politique à démocratiser la culture et à homogénéiser les gouts
éclectiques du public, nous nous accorderons sur le fait que les plus hautes exigences de l’esthétique
de la forme résistante - qui sont les grandes vaincues de cette guerre de position aujourd’hui -
devraient finir par rencontrer un jour plus ou moins lointain leur public – « un public aventureux » -
pour peu qu’on se donne tous les moyens d’inverser le rapport de forces.
21 Si « L’auteur comme producteur » dont parle Benjamin est d’abord quelqu’un qui agit dans et par la langue, de ce travail
sur la langue on retiendra l’importance brechtienne accordée au geste suspendu qui provoque l’étonnement du spectateur, et
qui s’adresse donc à la pensée encore balourde de celui dont la naïveté à quelque chose à voir avec la nativité, un état de non
savoir qui reprendrait tout par le début, un babil ou un parler animal à destination des enfants et des places publiques comme
les premiers spectacles de marionnettes susceptibles d’une grande résistance au temps et d’une immense plasticité formelle à
l’égard des matériaux, des lieux. C’est de la naïveté du geste primitif, (du clown, du guignol, du manipulateur de
marionnettes, des génies du cirque Plume), la grammaire joyeuse des bouffons du moyen âge qu’il faut partir. Une naïveté
qui ne signifie pas privation mais surgissement d’un gai savoir, d’un humour partagé, d’une explosion de rire devant les
facéties désopilantes de Philippe Lafeuille dans son dernier Tutu où se retrouve tpute la vigueur artistique de la commedia
dell Arte, du carnaval ou des œuvres de Swift, non pas simplification mais ouverture généreuse et syncrétique comme celle
du très jeune enfant face à la complexité du monde.
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En déclinant chacun des postulats de la logique ternaire de notre esthétique nous partirons du
principe qu’ils doivent être transposés avec la modestie et l’exigence de qui s’adresse à des enfants,
ou encore à ce que Brecht appelait de manière métaphorique la « pensée balourde » comme s’il
s’agissait aussi de renouer avec toute la saveur de la culture comique populaire du Moyen âge dont
Mikhaïl Bakhtine sut si magistralement montrer le pouvoir régénérateur. C’est comme si la pensée
balourde était la plus appropriée pour susciter son contraire, la pensée dialectique, comme si
Guignol était le mieux placé pour évoquer par la distanciation la pensée du sage. Enfance surtout à
travers l’insatiable propension rimbaldienne aux jeux de mots et d’objets qui restitue aux réalités les
plus insignifiantes leur part d’énigme et de magie. L’enfant que nous abritons et auquel nous
adressons notre geste pédagogique n’est plus le destinataire terrorisé d’une pédagogie verticale de
l’explication mais le véritable professeur des ivresses révolutionnaires, toujours « en avant », face au
« maître ignorant ».
1. Commune mesure et non mélange pour le mélange
Pour que voir nous permette de savoir puis de prévoir quelque chose de l’état politique du monde, il
faut que le banal devienne étrange, poussant le spectateur à « prendre position », en désarticulant
sa perception habituelle des rapports entre les situations. Or, l’un des moyens de cette
désarticulation, c’est l’entrelacement des genres et des registres d’expression auquel Rancière
attribue le monopole de « l’art pensif ». Pensif, l’art qui invite le spectateur qui renoue avec la
perception syncrétique du jeune enfant22, qui s’épanouit aussi dans le réalisme grotesque médiéval
où toutes les frontières étaient audacieusement violées, à confronter le cinéma, le roman, le
reportage et le théâtre, la peinture, la musique et la poésie afin que de cette articulation dialectique,
de cette « fraternité des métaphores » selon le nom que lui donne Godard ou de ces
« effrangements » multiples, selon celui d’Adorno, de cette « trace disloquante » comme préfère dire
René Char qui pousse le spectateur à imaginer une nouvelle cartographie des genres, de cette
tension instituante entre les genres artistiques, naisse une nouvelle méthode de vérité.
Car redistribuer les rôles c’est faire la preuve qu’on peut changer de position soi-même, non
seulement devenir un peu musicien, comédien ou photographes, manipulateur de théâtre d’ombres,
d’objets et de marionnettes, quand on est simple spectateur mais aussi échapper à sa condition de
prolétaire manipulé.
2. Deuxième postulat : la responsabilité devant l’histoire.
22 Le cerveau ne cessant de brider, de contenir nos pouvoirs synesthésiques naturels, si l’on retire les fonctions rationnelles et abstraites, les parties réprimées du cerveau se libèrent. Il se peut, dit Olivier Sachs, que nous soyons bien plus musiciens que nous ne le paraissons. Il se peut aussi que nous devions réapprendre à percevoir comme le très jeune enfant un état antérieur au poétique, au musical et au poétique.
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Si parmi tous les possibles du théâtre aujourd’hui, le document qui a le vent en poupe, est destiné à
produire dans le texte théâtral « un effet de réel », - qu’il procède de citations textuelles,
d’entretiens ou d’images-, « le réel augmenté » qu’il suscite devrait pouvoir jouer une influence
décisive sur le pouvoir « incitatif » de l’art dont parle Proust et que rechercha toute sa vie Berthold
Brecht. En inquiétant sa perception des choses et en assignant au spectateur une attitude moins
soumise devant l’épreuve des faits, il l’engage à devenir le « coproducteur » de nouveaux rapports
sociaux, de ces rapports sociaux d’où disparaîtrait le désordre social du haut et du bas 23. Certes, le
document ne peut enseigner quelque chose qu’en se détournant des espaces de constat d’un réel
attesté pour devenir un dispositif d’expériences communes construisant un réel possible, renonçant
à toute dramaturgie linéaire qui embrasserait d’un seul regard une réalité complexe. Seule la
défamiliarisation par la théâtralisation en s’inspirant comme Brecht ou Vitez24 d’autre modèles
formels ou d’autres moments de l’histoire peut susciter la démultiplication du regard du spectateur
partagé entre l’en dehors et l’en dedans du théâtre25. S’il faut ainsi mesurer la position cruciale du
montage dans l’économie de l’imagination sollicitée du spectateur, la fameuse critique de Walter
Benjamin dans « l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » prend un sens
nouveau : « Unique apparition d’un lointain si proche soit-il », écrit-il de l’approche cultuelle dont il
faut nous déprendre pour restituer au document ses perspectives multiples.
3. (créer un en commun le plus loin possible des lieux communs….)
La « responsabilisation spectatorielle » est ainsi contemporaine de ce travail qui aide à sortir de tout
état de sidération que suscite le drame illusionniste. L’insignifiant peut devenir sursignifiant pour peu
que le théâtre d’objets ou de personnes plonge le spectateur dans une série de rébus qui réveillent
en chacun d’entre nous l’alchimiste sous l’ingénieur, déclenche le rire retrouvé des spectacles et
fêtes populaires comme de la littérature grotesque du moyen âge, ou encore nous confronte à
l’insoutenable, s’il est vrai comme l’écrit Philippe Genty dans Paysages intérieurs que ce théâtre de
la cruauté nous permet d’imaginer le pire tout en gardant la bonne distance qui nous permet d’en
juger. Enigme métaphysique pour le théâtre de Philippe Genty qui en appelle aux zones troubles de
l’inconscient comme dans Stowayways, ou question scientifique pour Brecht qui veut donner à
penser entre les lignes afin que l’art du spectateur s’affine au contact de l’étrangeté du spectacle
comme s’il s’agissait de la méthode inductive du savant face à la complexité de la situation sociale.
23 Certes, il y a un usage dangereux du document au théâtre. Le théâtre référentiel quand il avance avec l’innocence de faire
croire qu’il est plus vrai parce qu’il brasse des matériaux indiscutables travaille à la production d’un leurre, celui d’un procès
verbal exact du monde.
24 Ou Bob Wilson lorsqu’il met en scène « les derniers jours de l’humanité » de Karl Kraus en lui adjoignant le texte de Hasek.
25 L’Histoire nous a d’ailleurs depuis longtemps familiarisés avec l’idée que toute interprétation du monde procède d’une mise en récit subjective qui n’est jamais l’enregistrement neutre des faits.
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Il faut comprendre dans ce contexte où nos trois postulats conditionnent ensemble l’exigence d’une
création proposée à la coproduction d’un spectateur actif, le rôle crucial que joue le théâtre de
marionnettes dont Kleist dit que ses personnages « ne font jamais de manières » et ne prétendent
jamais être la chose entière, n’oubliant pas qu’elles ne peuvent mentir sur leur situation d’objets
manipulés, et gardant ce privilège de s’adresser à tous comme si chacun pouvait être considéré en
spécialiste. Théâtre qui au XIXe siècle maintenait contre toutes les scènes sérieuses de la tradition
littéraire la forme carnavalesque du spectacle populaire, un grotesque universel et public contre un
grotesque de chambre et de dégénérescence du principe comique, théâtre où le masque traduit la
joyeuse négation de l’identité et du sens unique, la promotion de toutes les métamorphoses dont la
parodie, la grimace et les singeries ne sont que des dérivées, théâtre que l’on peut prendre en
marche, où le spectateur n’est jamais en retard parce qu’il exige une perception polyphonique et
flottante, théâtre de l’entrelacement des registres d’expression et de dialogue des genres, théâtre où
se nouent les histoires multiples et où s’exaltent toutes les contradictions, théâtre surtout où se
montrent le jeu et ses ficelles et où le manipulateur joue davantage le rôle du philosophe accoucheur
que celui de l’acteur. Comme Jean l’évangéliste dans le retable de Grünewald qui montre du doigt la
crucifixion, le marionnettiste montre ce qu’il manipule, nous invitant à nous affranchir du mensonge
et de la vérité du monde, même si la tragédie de la marionnette, métaphore de l’homme
instrumentalisé et du fou qui ne s’appartient plus n’est propre qu’au romantisme.
Aucun risque que les publics et les acteurs se trouvent réunis « dans une expérience comparable aux
disciples de Jésus à la pentecôte », écrit Benjamin qui ajoute que rien n’est plus fasciste que la
croyance en l’unité d’un public homogène placé sous le charme d’une création sacrée alors même
que des abîmes déparent les classes sociales et à l’intérieur de chaque classe, les individus 26,
D’ailleurs Benjamin ajoute que si le théâtre a lieu la nuit c’est bien qu’issu du cultuel, il continue de
servir de nombreux maîtres en s’adressant à un public fatigué qui n’a plus le courage de penser.
Conclusion
Aussi faut-il aussi ajouter au renouvellement de la cartographie des genres, (condition d’un art
pensif), au montage du théâtre d’objets ou théâtre documentaire (qui prend en charge les histoires
minuscules autant que la grande Histoire en invitant à les reconsidérer), et au geste sur la langue et
au rire majuscule (qui sont les seuls moyens d’échapper à la violence idéologique), l’action dans les
réseaux de distribution et de diffusion de l’art et la réflexion sur la place du spectateur. Car celui que
26 Comme l’explique Didier Eribon en opposant les deux figures de ses grand-mères pourtant toutes deux issues des classes populaires, l’une femme émancipée et l’autre bonne ménagère ( La société comme verdict)
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Benjamin définit comme « le routinier » n’est autre que celui qui fait semblant de vouloir changer les
rapports de production mais n’y touche jamais.
Il y va de notre survie. S’il est vrai que le peuple n’est pas dépossédé de culture ni privé de parole
(« l’expression » étant même selon Foucault un acte prescrit par le pouvoir, il ne suffit plus de prendre
la parole pour résister mais de parler autrement d’autre chose) ; mais relégué dans des lieux qui ne
lui permettent pas l’exercice d’une faculté d’appropriation et de production artistique, la triple
expérience simultanée (culturelle et créatrice), de la correspondance des genres, du théâtre
documentaire et des jeux de langues, dans les crèches comme dans la rue ou dans tous ces lieux de
proximité qui sont souvent des lieux de relégation sociale ou rurale, le jour pour retrouver le principe
lumineux, printanier, matinal du grotesque populaire, est le premier moment d’un renversement
possible.
Certes on peut se demander quels sont les vrais enjeux d’une mémoire populaire que reprend à son
compte un certain type de théâtre 27? Nul ne sut mieux que Didier Eribon et Annie Ernaux éclairer
cette profonde ambivalence de la restitution de la logique d’une culture populaire qu’il ne convient
surtout pas d’exalter pour mieux en dénoncer l’aliénation qui l’accompagne. Dans Paroles de
Betterave, mise en scène en 2005 par Sylvie Baillon dans l’ancienne forge de Crisol, les ouvriers et
ouvrières des sucreries sont tout aussi dépossédés du commentaire, incapables d’expliquer à la
caméra quels furent les enjeux et les bénéfices de cette expérience de transmission et de jeu
partagés.
Pourtant ces expériences de collectes et de montages de paroles dominées donnent un sens à des
expériences diffuses, difficiles à formuler, et confèrent une profondeur historique aux histoires
minuscules tout en créant leur public à mesure qu’elles transforment la perception de soi et du
monde. Le sentiment de parenté retrouvée qui en naîtra , aussi personnel qu’il puisse être,
constitue au sens fort un public soudé par une complicité affective, émotionnelle encore plus
qu’intellectuelle. À l’inverse, lorsque ce public est fait, selon le mot de Brecht, de « gens d’en haut »
qui écoutent des gens d’en haut parler de la misère des autres, cela reste toujours « une idée de la
misère » qui n’aura jamais fait partie des « intimes coutumes de récits hérités et devenus
substances ». Toute autre est en conséquence la démarche du théâtre documentaire qui fait de ces
ouvriers les coproducteurs et les co-acteurs du spectacle, à condition qu’il ne célèbre pas l’inertie des
habitus.
27 Quelle parole pourra jamais restituer l’inouï de l’histoire en expérience mémorielle transmissible ? Walter Benjamin n’avait pas autrement posé le problème en réfléchissant dans Expérience et pauvreté sur le fait qu’en 1918 « les gens revenaient muets des champs de bataille ».
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De surcroît, « l’indocilité réfléchie » que le spectacle engagé doit susciter, surtout si elle prend appui
sur une indocilité existentielle spontanée, est d’autant plus efficace qu’elle renonce à sa prétention
universelle et prend en charge les mémoires croisées des colonisés, celles de Césaire, Fanon ou
Glissant, des femmes ou des immigrés…. De façon à mieux résister à toute histoire linéaire
hiérarchisée. Tout récit mémoriel unitaire est en effet mutilant.
Contre le pessimisme des philosophes des années quatre-vingt, il nous faudra à la fois restaurer
l’hypothèse chère à Jünger28 de la résistance indestructible du « Waldganger » qui, descendu du
navire voué au naufrage se retranche dans la forêt jusqu’à ce que l’heure des révolutions sonne ; et
faire entendre à nouveau la « leçon de lecture » de Proust29 à laquelle fait écho la Nuit des
prolétaires de Rancière. Si la puissance de l’art réside dans son pouvoir d’incitation c’est à la société
de rendre audibles les artistes et aux citoyens que nous sommes d’inventer des lieux pour que
« notre sagesse commence là où celle de l’auteur finit ».
Aucune œuvre d’art à effet irradiant, aucune mystique de la création ne parviendront jamais à
mobiliser le jugement du spectateur comme le théâtre documentaire, le théâtre d’objets ou le
théâtre de marionnettes surtout s’ils restituent au rire son aspect régénérateur et positif, remplaçant
le saint esprit par la grande santé de l’esprit.
Quant à l’artiste, s’il cesse de vouloir être le représentant de l’universel, cette figure de l’orateur
prononçant la vérité de ceux qui la taisent, il deviendra, comme l’auteur et le spectateur, le
coproducteur non seulement d’un nouveau langage30 mais aussi et surtout, comme le souhaitait
Walter Benjamin, de nouveaux rapports sociaux de production
28 Ernst Junger, Le traité du rebelle ( Der Waldgänger), 1951. 29Marcel Proust, trad. « Sésame et les lys » (Ruskin), Journées de lecture, Paris Gallimard,1971.
30 Le lieu des intellectuels universels restera intenable tant que les rapports économiques seront inchangés. Qui veut changer
de position doit le faire dans la langue et par conséquent dans la refonte des genres, cette « masse liquide ardente », même si
l’on sait bien quel sera l’étonnant pouvoir de récupération de l’appareil de diffusion de la culture.
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La Parole en Partage
François Fournier : J'ai la sensation d'avoir vécu un voyage initiatique ultime qui me dépasse
largement mais qui a ensemencé quelque chose à différents niveaux de mon être jusqu'à même
l'enfant et ça me réjouit.
Je vous invite si vous avez quelques échos à partager, quelques questionnements, quelques
témoignages peut-être, à nourrir encore le propos qui a été développé par Marie-Hélène.
Bertrand Savary, conseiller municipal de Rouillac : Par rapport à l'égale capacité, quand vous dites
par exemple qu'une personne, un spectateur doit être coproducteur d'un spectacle, je pourrais
adhérer, mais par exemple dans le cas du Rap, c'est très subjectif ce que je vais dire, où je pense qu'il
y a un message assez manichéen, où je pense que la parole est très limitée, a-t-on intérêt à ce que la
personne soit coproductrice du spectacle, que le spectateur soit coproducteur du spectacle ?
Marie-Hélène Popelard : Je partage assez l'idée que quelque soit le spectacle et quels que soient les
intentions formelles ou le contenu qu'on peut désavouer, on peut s'inquiéter même que ces
contenus soient mauvais comme le faisait Brecht. Le plus important c'est d'être sur la brèche, le plus
important c'est d'être toujours en situation d'en juger. Bien entendu, on ne peut pas non plus
considérer que le jugement esthétique ou l'appréciation qu'on peut porter est quelque chose de
toujours extrêmement formalisé ou très clair chez tout le monde. Mais rester sur ses gardes et
pouvoir en parler, pouvoir partager ce dont on a envie, dire quelque chose avec d'autres, c'est une
forme d'émancipation. Je crois que rien n'est pire que l'état d'hypnose. Je suis persuadée que Walter
Benjamin a raison, nous ne sommes pas comme les disciples de Jésus à la Pentecôte, dans un
spectacle. Nous ne devons pas rester soit endormi, soit ennuyé, soit hypnotisé par ce que nous
venons de voir mais nous devons constamment pouvoir garder une certaine distance. Par exemple,
moi, qui n'aime pas trop le rap, je vais pouvoir après en parler, dire pourquoi je n'aime pas ce genre
de spectacle mais je resterai même si je ne suis pas coproductrice du spectacle, coproductrice d'un
nouveau lien social à partir du moment où sortant du spectacle, je vais discuter avec des personnes
de ce que je viens de vivre. Je sors d'un colloque Art et Handicap où on me demande « mais en fait le
spectateur émancipé pour un enfant autistique tel que vous le définissez ça veut dire quoi puisqu'il
ne cherche pas à faire partager son travail ? » et je dirais alors « la définition d'émancipation est
complètement différente, c'est faire que ce public rassemblé dans une salle face à un spectacle,
éprouve du lien social, éprouve pour la première fois peut-être une parenté affective, pas
16
intellectuelle mais affective et ressente quelque chose avec son voisin puisque c'est précisément la
grande difficulté des publics autistes. La définition d'émancipation est donc très variable.
Geoffroy Dudouit, élu du territoire de Ruffec : Je suis toujours intéressé par cette fameuse
expression : le temps de cerveau disponible, la formule est tellement bonne. Est-ce que ce n'est pas
l'une des problématiques principales puisque avant de se poser la question des outils, de qui fait
quoi, de quels rôles on a, c'est simplement avoir la possibilité d'avoir le temps, de se mettre en
situation de voir quelque chose, de prendre un temps qui n'est pas simplement usuel, fonctionnel,
relationnel mais vraiment intérieur, une relation de son intérieur avec l'extérieur. Une vraie
disponibilité et justement de choisir son temps de cerveau disponible contrairement à ce que
certains PDG souhaiteraient ?
Marie-Hélène Popelard : Je pense que c'est précisément la question que se posent la plupart des
artistes qui choisissent le retranchement de l'écriture. C'est-à-dire poser la question du temps
autrement. Comme quand je disais tout à l'heure, mettre son temps en travers du temps, vivre dans
la décélération là où tout nous pousse à l'accélération. C'est aussi la question que posait Brecht ou
Benjamin en disant « faîtes des spectacle le jour » parce que le jour, votre cerveau n'est pas endormi
comme à la fin d'une journée de travail. J'ajouterai à cette boutade l'idée qui était chez Mikhaïl
Bakhtine quand il parle de la fête du Moyen Âge qui a un principe printanier extrêmement lumineux
à vouloir faire la fête le jour. Ce n'est peut-être pas tout a fait une réponse à votre question, je crois
que bien choisir l'heure et se mettre en état ou en disposition de mettre son temps en travers du
temps du travail ou du temps de la journée ou du temps quotidien, c'est en effet une des conditions
préalables à l'appréciation d'un spectacle, à se constituer comme un public ou comme un artiste.
Michel Adam, intervenant introductif de l'atelier sur culture et développement durable : Je
rebondis sur ce qui vient d'être dit pour recommander à tout le monde un livre que je découvre avec
beaucoup d'intérêt, qui me fait découvrir des travaux d'une dizaine d'années sur l'économie de
l'attention et ce livre de Yves Citton, professeur à Grenoble de littérature comparée, Pour une
écologie de l'attention. Il nous fait réfléchir d'une façon extrêmement intéressante sur en quoi
aujourd'hui le capitalisme est devenu un capitalisme de l'attention. La première richesse que ce
système économique dominant aujourd'hui manipule ne sont plus des biens matériels mais notre
attention, d'où le fameux temps de cerveau disponible. Ma réaction était plutôt sur la question de la
culture. J'ai beaucoup de mal à parler de la culture. La question que je viens d'entendre sur le rap me
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fait tout de suite penser, pour moi, le fait qu'on est devant des cultures. Le rap est une culture jeune,
venue des États-Unis, de gens plus ou moins étrangers, notamment noirs etc. Donc j'ai beaucoup de
mal aujourd'hui à entendre la culture sans qu'on précise les différents sens du mot culture. Alors
aujourd'hui, dans l'exposé passionnant de Marie-Hélène Popelard j'ai bien entendu toute une
réflexion extrêmement structurée tout à fait passionnante, sur la culture en tant que rapport à la
création artistique mais tout de suite avec la définition générale que vous avez donnée dès le départ,
vous avez parlé de processus d'hominisation. J'ai tendance à vous arrêter parce que les travaux les
plus contemporains de l'éthologie montrent qu'il existe chez les mammifères notamment les
bonobos et les chimpanzés des pratiques culturelles d'enseignement d'un certain nombre de
pratiques qui ne sont pas génétiques, qui sont liées à des histoires de groupe, dans des contextes
particuliers. Donc on voit que la définition ethnologique de la culture, comme identité d'un groupe
qui construit son aventure est aussi viable en partie pour le monde animal. Aujourd'hui, est-ce qu'il
n'est pas dangereux de parler de la culture quand on est devant tous ces sens du mot culture, et
notamment culture qui a commencé dans la nature ? Aujourd'hui, la culture en pousse, c'est celle
des céréales donc je crois qu'on ne peut plus parler de culture sans parler aussi de nature.
Marie-Hélène Popelard : Je pense que ce qui est dangereux c'est justement de réduire la culture au
pluriel. La démocratie culturelle, qui a succédé à la démocratisation culturelle, consistait à présenter
le monde dans lequel nous vivons comme une juxtaposition de cultures incommensurables entre
elles mais qui avaient toutes un droit à l'existence, ce que je ne conteste absolument pas, mais je
crois qu'il y a deux types de définition de la culture : il y a ces cultures là qui en effet ont toutes un
droit à l'existence. Il serait absurde de vouloir construire une sorte d'identité nationale de la culture
mais en revanche, je pense qu'il y a une culture Légitime par laquelle, des gens comme Didier Eribon,
Pierre Bourdieu, ont pu échapper au monde populaire dans lequel ils vivaient et devenir ce qu'ils
sont devenus. Je pense que ce sont deux définitions différentes de la culture.
Anne Morel, compagnie Sans Titre : Il y a quelque chose entre la culture et les cultures : des cultures
dominantes si on parle du rap, le problème n'est pas est-ce que c'est bien ? Est-ce que ce n'est pas
bien ? C'est que au niveau musique aujourd'hui c'est une culture dominante et qui véhicule des
messages sexistes et homophobes. C'est le problème que ce soit une culture dominante sur les
ondes. Par contre, vous partagez, et je vous rejoins totalement, un spectacle en journée avec des
jeunes dans lequel il y a du rap, c'est un autre moment d'invitation que les choses se passent et donc
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la question du lieu, du temps, de l'évolution du public, de l'évolution des frontières spectateurs-
acteurs, peut déplacer la question de la culture dominante sur une culture qui peut se partager.
Marie-Hélène Popelard : Je suis entièrement d'accord parce que la question c'est la question de la
posture, du lieu dans lequel s'exerce cette posture.
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La culture, cette chance !Enjeu sociétal... Territoires de vie
Mardi 18 Novembre 2014 - La Canopée – Ruffec (16)
Atelier Viticulture
Michel Adam
Enseignant-ChercheurCréateur d'entreprises coopératives et associativesCo-fondateur des boutiques de gestion et du Réseau IRIS des SIAE de Poitou-CharentesMembre du bureau du Réseau Intelligence de la Compléxité anciennement AE-MCXAncien Président et Administrateur de nombreuses associationsDirecteur du CREAHI Poitou-Charentes
La Culture, élément de développement durable
1. Ce que les mots veulent dire
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » - Albert Camus
Durable signifie : qui s’inscrit dans la durée ; aucune notion autre n’est explicite dans le mot. 35% des français pensent que cela signifie la poursuite d’une croissance que mesure le PIB !
Si l’on souhaite ne pas tromper les gens, seul le mot soutenable est fidèle à la lettre et à l’esprit de la définition officielle de 1987.
Culture porte au moins 6 sens que nous préciserons.
Il ne peut être défini, donc utilisé, sans une définition préalable et explicite du mot Nature. (Descola, Morin)
Ce que nous allons faire.
2. Les cultures, ferments de développements soutenables
a. les sens du mot Nature (du latin natura : ce qui existe depuis la naissance)
Aujourd’hui communément, elle est assimilée à la biodiversité : la flore, les arbres, la faune et réduite avec condescendance aux fleurs et aux petits oiseaux.Le sens initial venu des grecs est bien plus englobant.La Phusis est l’ensemble des éléments physiques existant, et qui nous ont précédé, toute la matérialité du monde... en devenir : séismes, volcans, typhons, tsunamis autant que sols, océans, paysages, êtres vivants, climats, etc. la lithosphère, l’hydrosphère, la biosphère, l’atmosphère, la stratosphère, ...Soit une Nature à la fois menacée... et menaçante, le système Terre.Bienvenue dans l’Anthropocène !
Les piliers du développement durable ne tiendront pas.
Représenter le Développement Durable selon les acteurs et les cultures
1
2
Responsabilité individuelleet collective ; participation
environnement
vivableviable
durable
équitableéconomie Social
Solidarité dansl'espace et dans le temps
L'économie et le socialreposent à peine sur l'environnement
et sont en équilibre improbable sur lui.
La surface des 3domaines est identique comme
dans un idéal ; les zones sansrecoupement sont immenses.
Le politique et ses modalitéssont le socle du schéma,
ils le stabilisent, le « sécurisent »...
Fig 1 – schéma « classique » du Développement Durable comme combinaison des développements viable, vivable et équitable avec un socle politique.
Responsabilité individuelleet collective ; participation
environnement
vivableviable
durable
économie Socialéquitable
L'environnementn'est pas un domaine comme un
autre : il est la base de tout !Et il nous pré-existe...
Le politique et ses modalitésSont le contrôle des équilibres et la
régulation des déséquilibres : lasymbolique de l'espace oblige à le mettre
en haut du schéma comme unefinalité humaine.
La conscience de l'environnementbase de tout est encore très faible
ainsi que ses limites de charge : seules lesProblèmes économiques et sociaux
« comptent »...pour les productivistes
Fig.2 – schéma « constructiviste » du Développement Durable : le socle est environnemental et pré-humain mais modifié par les humains.
Constructiviste veut dire : qui ne prétend pas être la réalité mais construire une description éclairant cette réalité et facilitant l'action.
Et cette représentation venue d'une autre culture :
À l’ère de l’anthropocène, à l’heure où les humains ont bouleversé toute la planète et mis en danger leur propre avenir, quels sont les noms qu’ils donnent à un avenir souhaitable ?19 noms du bonheur... dans la survie !Cartographie sémantique du nom de 19 modèles de « développement » : une désignation des fins de l’existence humaine
3
Spirituel
Politique
ÉconomiqueSocial
Culturel
Réseau international pour le développement et la paix(une ONG indienne)
3. Qu'est ce que la Culture ?
La culture est réflexive, comme le langage. C’est pourquoi toute réflexion sur la culture se fait au sein d’une culture située et en partie avec cette culture.
a. Les sens du mot « culture » : du latin colere, cultiver et célébrerLa culture physique ?La culture sociologique de Pierre Bourdieu ?
4
dimension économique non prioritaireVis-à-vis d’autres finalités
dimension hédoniste (de plaisir) explicite ou
métaphorique
décroissance, NR-SLdécroissance, NR-SL
traduit par durable, 1992traduit par durable, 1992
croissance verte, BCGcroissance verte, BCG
sobriété heureuse PR 2006sobriété heureuse PR 2006
frugalité conviviale JBFfrugalité conviviale JBF
économie positive MRéconomie positive MR
économie verte OCDEéconomie verte OCDE
Terre citoyenne, FPHTerre citoyenne, FPH
économie équitable SMéconomie équitable SM
prospérité sans croissance TJ 2009prospérité sans croissance TJ 2009
économie durableéconomie durable
démarche RSEdémarche RSE
éco-développement, IS 1976éco-développement, IS 1976
acroissance DM 2011acroissance DM 2011
transhumaniste
capitalisme néolibéral transhumaniste
capitalisme néolibéral
développement soutenable, 1987développement soutenable, 1987
citta slow, slow food, slow sciencecitta slow, slow food, slow science
développement humain IDHdéveloppement humain IDH
dimension économique explicite et prioritaire
dimension normative : rapport prioritaire à la loi, au temps,
à la nature
deux senspossibles, faible et fort :
avec ou par
b. Les sens du mot culture par leur contraire (antonyme)
1 - la non mise en culture : la jachère, la friche2 – l’absence de culture : l’ignorance artistique ou technique3 - le manque de culture : l’ignorance généralisée4 - la perte de sa culture : le déracinement, la désaffiliation, le déclassement mais aussi l’uniformisation, la normalisation 5 - la non humanisation, la non acculturation à l’humain : l’enfant-loup mais aussi la xénophobie, le racisme contre les « sous-hommes », les discriminations
c. Pour une personne : un bagage« La culture est ce tout complexe qui comprend la connaissance, la croyance, l’art, la morale, la coutume et toutes les autres aptitudes acquises par un homme en tant qu’il fait partie de la société », E.B Tylor, 1871
d. Pour un collectif : une solution« La culture est l’ensemble complexe des solutions que tout groupe humain ou société apporte (par héritage, invention, sélection, emprunt ou adaptation) pour répondre aux défis qui lui sont posés par un
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La Naturetransformée
et transformante, menacée et menaçante... (Edgar Morin)
Desrapportsvécus à
l’identité collective
ethnologiesociologie
politique
desrapportspensés
à l’identité humaine
philosophieanthropologie
éthologieéthique
D’abord des rapportspratiques à
agriculturephysiqueéconomieles S.V.T
etun rapport individuel
aux savoirshistoire, géographie, politique,
SHS, encyclopédies
la naturecréatrice
Mais aussi des rapports
sociétaux à
économiesociologie
tekné, arsl’homme créateur :Arts & techniques
Ces 2 types de création étaient très séparés ! Sauf dans l’architecture, la mise en scène, le design, les arts électro-niques, le Net, etc.
Le Cirque a relevé du
ministère de l’ Agriculture puis
de celui de la Culture !
Avoir de la cultureLa culture généralenotion très française
Les culturesoccitane,
urbaine, etc.Et voilà le retour de la
nature qui a engendré les différentes cultures à la
surface de la Terre.
Les droits culturelsUNESCO –
Barcelone Frybourg
La Beauce, terre de grandes cultures
Ministère de la Culture Centres de Culture
Scientifique et Technique
environnement écologique et social changeant, et donc aux problèmes de son existence sociale. » Réseau Sud-Nord Cultures et Développement, 1987
« La culture a 4 fonctions : les 4 Ssélection dans sa tradition ou celle des autres de ce que ses membres estiment leur convenir le mieux ; estime de soi ; (self-estime)elle donne du sens (direction, signification, sensibilisation, spiritualisation) ; elle est source de solidarité face aux agressions internes ou externes ou pour se projeter. »
e. Pour une société : une transmission“ La culture est l’ensemble des habitudes, coutumes, pratiques, savoir-faire, savoirs, règles, normes, interdits, croyances, idées, valeurs, mythes, rites qui se perpétuent de génération en génération, se reproduit en chaque individu et régénère la complexité sociale.”
Edgar Morin, La Méthode tome V, p. 56
f. une définition de la culture« Tout ce qui se crée s'apprend et se transmet dans un milieu donné. »Les diverses façons de le faire engendrent la biodiversité des cultures... Et leurs chocs !Il n’y a pas de valeurs intrinsèques de la culture. La dimension éthique reste un enjeu de toute culture et une construction fragile.
g. Dis-moi où tu mets la culture, je te dirai qui tu es...
FNCC : « La culture est à la fois un bien commun et une construction partagée. »... mais aussi un futur désirable plus ou moins explicité : la reproduction ou le changement et ses formes innombrables ?Les temporalités de la culture : « le présent s'appuie sur le passé pour engendrer le futur » ou « Pour faire du neuf, il faut avoir de l'ancien par devers soi ». [Régis Debray]
Y-a-t-il des cultures interdites ? Le chanvre indien : le cannabis indica mais pas son cousin le cannabis sativa les semences rustiques mais pas le maïs irrigué Monsanto 810 les monnaies locales non fiscalisées la pratique de la maîtrise d'usage et la démocratie participative
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La Culture scientifique et Technique
La Culture scientifique et Technique
Offres et industries culturelles
Offres et industries culturelles
La culture généralel’homme cultivé
La culture généralel’homme cultivé
La cultureoccitane
La cultureoccitane
Les droits culturelsLes droits culturels
La Beauce, terre de grandes cultures
La Beauce, terre de grandes cultures
Les conceptions d’un
développement soutenable en sont changées
Les conceptions d’un
développement soutenable en sont changées
la langue kurde et celles des peuples menacés les droits des êtres vivants non humains qui tardent à être reconnus
Les Valeurs Associées : valeur, n. f du latin « valor, valoris », force de vie
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Desrapportsvécus à
l’identité collective
ethnologiesociologie
politique
desrapportspensés
à l’identité humaine
philosophieanthropologie
éthologieéthique
D’abord des rapportspratiques à
agriculturephysiqueéconomieles S.V.T
etun rapport individuel
aux savoirshistoire, géographie, politique,
SHS, encyclopédies
la naturecréatrice
Mais aussi des rapports
sociétaux à
économiesociologie
tekné, arsl’homme créateur :Arts & techniques
L'érudition plutielle
L'identité conservéeet respectée
La dignité humaine
La fécondité La beauté, l'émotion,l'expression
L'inventivité, l'habilité
La pluralitéLa pluralitéL’identitérespectéeL’identitérespectée La dignité
humaineLa dignité humaine
La féconditéLa fécondité
Un bouquet de valeurs nouées peut faire une nouvelle culture
Un bouquet de valeurs nouées peut faire une nouvelle culture
La beautéL’émotion
La beautéL’émotion
L‘inventivité La tekhné
L‘inventivité La tekhné
Et les valeurs contraires :
4. Culture et développements soutenables : une fertilisation mutuelle à réanimer
Un enjeu de l’action culturelle : faire vivre ce schéma en s’appuyant sur le ferment de la culture en tous sens ?
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culture(s)rapports à la création
sous toutes ses formes :
développements soutenables :
rapports construits à la (sur)vie de
les Artsles Arts
nouveaux arts
nouvelleculture
apportsculturelsau DS
la biosphèredont leshumains
la biosphèredont leshumains
Depuis le début de l’humanité...
nouvelles représentations(esthétique verte, imaginaire du DS, ...)
et pratiques créatives engendrées(coopérations pour le futur)
pratiques actuelles impactées par des contraintes (écomanifestations, ..) et impactantes par vos créations (pluralisme
des DS)
La séparation cloisonnanteLa séparation cloisonnante L’uniformité réifianteL’uniformité réifianteL'humiliation, le méprisL'humiliation, le mépris
La stérilité des sols
La stérilité des sols
Le quotidien du monde dans tant de
situations.
Le quotidien du monde dans tant de
situations.
La laideur,l'horreur
La laideur,l'horreur
Le plagiat,la démiurgieLe plagiat,
la démiurgie
La parole en partage
Michel Adam : j'ai découpé dans Libération un article passionnant qui raconte comment deux sociologues
ont commandé au directeur du musée les Abattoirs de Toulouse ainsi qu'à une trentaine d'artistes une
exposition « Anthropocènes mouvement » comment pourriez-vous par des créations artistiques totalement
libres représenter l’Anthropocène ? Certains ont choisi des formes très étonnantes pour représenter cette
nouvelle époque dans laquelle on vit. Pour rappel, le mot durable s'inscrit dans la durée, le problème qui se
pose est qu'il n'évoque pas l'équilibre sur le long terme, il n'a pas la vertu de construction de cet équilibre,
en revanche, cette idée est présente dans le mot soutenable, voilà pourquoi il serait plus correct de parler
de développement soutenable et non de développement durable.
Une femme : On ne vit pas dans un monde frugale et sobre, comment faire d'être frugale et sobre un atout
en culture ?
Michel Adam : Dès qu'une culture oblige à regarder dans une autre direction.
Joël Breton : Aujourd'hui, avec le land art, le street art, les artistes et les œuvres rentrent dans l'économie
de la marchandisation. La difficulté est que ces œuvres sont très vite récupérées. L'Île de Ré est appelé à
être rayée de la carte et pourtant on continue de délivrer des permis de construire,. La difficulté c'est que
les hommes refusent, réfutent ces idées là. C'est la politique de l'autruche. Après sur l'artistique, cela nous
amène sur des champs de réflexion intéressants. Est-ce que notre travail est de continuer la diffusion, en
mettant un spectacle sur scène en justifiant qu'il est très bon parce qu'on l'a choisi ?
Michel Adam : la réalité n'est jamais monolithique, je suis sûr que si je regardais de près les programmes
que tu fais, il y a des choses qui vont dans la dimension du courant parce qu'il faut suivre le courant et puis
il s'agit de continuer, on ne peut pas vivre sans économie et puis au contraire dans d'autre sens. Thierry
Gaudin les appelait les signaux faibles. Tu disais que dans l'art, tout est récupéré. Ce n'est pas vrai, je
connais des écoles qui règlent un tout petit budget à une artiste qui est passionnée par ce qu'elle fait et qui
vient développer le Land Art dans le Cognaçais. Je connais des randonneurs quand ils ont terminé leur
randonnée, c'est totalement gratuit, ils font un immense papillon dans une prairie. Ils sont avec un
architecte, un peu fou et finissent par faire un grand mandala pour dire, attention la nature on y tient et on
ne veut pas la lâcher. Bien sûr, ce sont des signaux faibles . Mais si on ne voit qu'une seule tendance lourde
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et difficile à accepter, ça nous empêche de voir ces signaux faibles, toutes les choses sur lesquelles vous
pouvez jouer un rôle aussi pour les favoriser. Donc la réalité n'est jamais monolithique. C'est là, je pense
qu'il y a des pistes à creuser.
Aline Rossard ,Ligue de l'Enseignement Poitou-Charentes : Où sont les espaces aujourd'hui, ou comment
peut-on participer à la création d'espace aujourd'hui qui croiseraient ces différents mondes, qu'on évoquait
tout à l'heure, pour échanger et mettre en lien à la fois le social, l'économie, etc, et dans la construction des
politiques publiques, aujourd'hui, de la culture, dans les enjeux et les perspectives ? Je pense que la
solution serait dans ces croisements. Mais dans la pratique, comment peut-on s'y prendre les uns avec les
autres à toutes les échelles ?
Michel Adam : On va coopérer, ou on y passera tous. Pour coopérer, il est fondamental de trouver des
lieux. On voit bien qu'avec le changement des pays en communauté de communes ou d'agglomération, on
a la chance d'avoir les élus en face de nous et on va devoir essayer de construire les choses ensemble. Parce
qu'on sous-estime notre pouvoir face aux élus. Si on joue le jeu et qu'on trouve ces moments, ces espaces
pour se regrouper, il en sort quelque chose à chaque fois. Notre pouvoir d'agir est beaucoup moins faible
que ce que nous croyons. On y va lentement mais par contre, il faut y aller tous ensemble, sinon, ça se
passera très mal.
Jean-Michel Lucas : sur cette question de culture, développement soutenable, il y a une réflexion
internationale qui a pris la forme de l'Agenda 21, c'est un cadre de travail pour les élus, très théorique et
très pratique. Mais il faut une relation entre élu et artiste, il faut palabrer.
Michel Adam : la suite logique de mon exposé c'est la coopération. Pour qu'elle ait lieu, il faut de l'oral et de
la rencontre, il faut qu'on se parle collectivement , être accepté et faire accepter à l'autre , il faut augmenter
l'ombre du futur sur le présent, ouvrir des espaces et travailler ensemble.
Joël Breton : on n'est pas des acteurs culturels tout seul. On est acteur culturel parce qu'on a un public en
face et des artistes à nos côtés. Il ne faut pas l'oublier.
Michel Adam : ça pose la question de l'associativité de nos associations. Les adhérents et anciens adhérents
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sont-ils une force considérable pour régénérer l'association, donner des idées, un peitit coup de main,
augmenter l'audience, etc ? Il faut cultiver l'associativité de nos associations.
Une artiste : Sur le versant économique, vous parliez de frugalité, comme si nous étions dans un système
frugale, voir précaire. Or, il y a des institutions qui ne fonctionnent pas sur un système de frugalité et
pourquoi une culture, développement soutenable, devrait s'appuyer sur la frugalité ? Pourquoi pas sur une
économie raisonnée ? En quoi, ce modèle est porteur ?
Michel Adam : Attention, précarité veut dire qu'il y a un risque pour le lendemain, quand frugalité porte sur
la sobriété, la modestie. Le problème est mathématique. Si vous ne voulez pas que des milliers de vies
disparaissent parce que vous avez une éthique, aujourd'hui, le partage des richesses devra nécessairement
se faire. Les niveaux de vie devront s'équilibrer. L'avenir qui nous attend n'est pas rose.
La même artiste : c'est plutôt une redistribution des richesses. En tant qu'artiste, on nous envoie sur la
mutualisation alors que des institutions créent des outils qui ne sont pas dans l'économie.
Michel Adam : Tout à fait. Par exemple, le modèle de Terre-Citoyenne ne se situe pas sur un régime de
frugalité mais sur la protection des terres et qui font de l'image du paysan l'avenir. On est dans une période
où on assiste à des choses. On a fait un travail sur les valeurs et celles qui sont ressorties étaient résistance
et créativité. Les actes de résistance, c'est à travers les objectifs de pérennisation qu'on dégage une petite
part de créativité qu'on intègre à nos projets.
Dans les objets sociaux, pour les associations, quand ça va mal, il faut cultiver son objet social, faire de la
créativité avec des gens nouveaux ou très vieux, cela donne des choses passionnantes et intéressantes.
Joël Breton : je voudrais faire une remarque. Depuis pas mal de temps, l'état a mis en place des réseaux
d'excellence comme les scènes nationales, les pôles cirque, les pôles rue, etc... On fait tous le même métier
et il y a à peu près autant d'associations, de syndicats de défense, qu'il y a de genres. C'est-à-dire que si on
prend le rock, il y a à peu près autant de groupes de rock qu'il existe de genres de rock. Chacun forme son
propre syndicat de défense. Mais où va-t-on ? Je n'arrive pas à comprendre ça. Depuis qu'on a monté le
réseau Orchidées, je me suis toujours battu pour qu'on soit tous autour de la table parce que c'est
ensemble qu'on pourra faire évoluer les choses. Si on accepte d'être séparé comme c'est le cas aujourd'hui,
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autant baisser les bras.
Michel Adam : Est-ce que sur vos programmations respectives, vous avez un coup de cœur G19 ? Est-ce
qu'il y a des choses externalisées ?
Joël Breton : Oui. Par exemple : François Godart parce que le projet artistique nous intéressait et pas pour
mettre en avant une des salles du réseau. On avait envie de défendre ce projet artistique.
Christelle Bertoni : dans le réseau, il y a une diversité de programmation et de salles. Je travaille par
exemple à la Maison des 3 Quartiers, donc centre social. On agit ensemble et je me suis posée la question
par rapport à ma place dans le réseau et je suis encore là et c'est aussi une façon de se battre. On peut aussi
à notre échelle travailler ensemble.
Céline Bohère : je rajouterai que c'est un réseau de solidarité, vu qu'on est tous différents, des scènes
conventionnées aux salles de 3ème réseau en zone rurale. Il y a un grand travail autour de la solidarité. On
vient de mutualiser un poste salarié avec l'A4, chose jamais faite dans le réseau, alors qu'on est un vieux
réseau de 24 ans et il y a des renouvellements qui se font et je suis très sensible sur ce que vous avez dit sur
le milieu associatif puisque sur ce réseau, nous sommes tous des bénévoles, on ne compte ni nos heures ni
nos kilomètres et des initiatives comme celle-là permettent de mettre en avant des artistes, je pense aussi à
Bec de Chat qui a tourné sur 10 salles, aux tournées mutualisées, qui sont aussi plus intéressantes pour les
artistes qui viennent jouer un mois de rang plutôt que venir 10 fois dans la même région. On essaie de
renouveler un maximum de choses pour le mieux vivre ensemble.
Jean-Michel Lucas : il fut un temps où il fallait choisir parmi les meilleurs, de fil en aiguille on l'a fait. Et
maintenant, on retombe sur du corporatisme. Or le point fort, c'est les SIEG, les Services d'Intérêt
Économique Général, sur la mise en concurrence où l'association était au même niveau que l'entreprise, un
fournisseur de produit. Mais l'enjeu était : nous n'offrons pas des services, nous sommes des architectes de
la dignité des personnes.
Michel Adam : n'oubliez pas le contexte : dans un contexte dégradé !
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Sylvaine Zaborowski, auteur, compagnie Les Mots d'Image : tout artiste intervient, se bat et ce qui
m'importe le plus est de raconter les histoires et être dans l'intime. Ce qui m'a touché aujourd'hui c'est
qu'on replace l'artiste au cœur des débats, dont la principale préoccupation est la création et l'échange. Je
vais ressortir plus riche de cette journée On est obligé de se reposer, de se repositionner économiquement
aujourd'hui, je vais où ? Avec qui ? Avec quel type de public ? Avec quel type d'accompagnateur, qui croit en
mon écriture, qui porte une équipe artistique, qui fait éprouver des émotions à des gens, des sensations,
des envies.
Quand on parle culture dans ma commune et que je dis aux élus qu'ils n'ont pas de politique culturelle, on
me répond que si et qu'ils viennent de refaire les tribunes du stade. Et c'est peut-être ça pour un artiste le
combat aussi.
Michel Adam : l'artiste est l'antithèse de l'économie de la vie. L'artiste, pour moi, il a ce petit quelque
chose de magique. Il est le contraire de la rationalité économique, de la théorie dominante en économie.
Qui peut se passer de la magie ?
Joël Breton : Ce qui nous amène à organiser ces temps là est d'être ensemble avant tout, on en a
conscience. Aujourd'hui, on est tous sur le même tableau. C'est ce qui nous anime, faire avancer tout ça ,
faire ensemble, sans prétention. L'important est de continuer à faire avancer les choses, partager ces rêves,
aux publics, être avec eux. De prendre du temps ensemble.
Une artiste : Dans cette réflexion sur le temps, on pourrait réinterroger le temps de saison. Pourquoi est-on
contraint entre octobre et mai ? Toutes les programmations ont pratiquement lieu en même temps. Les
publics sont toujours un peu les mêmes. Les maisons pour tous pourraient être réenvisagées. On a tout calé
en France sur les vacances scolaires. Des réflexions sont en cours pour proposer une programmation, à
Bordeaux, pendant les petites vacances parce que tout le monde ne part pas en vacances, sur les congés
d'été, parce qu'on a rien d'autres que des festivals et des gens ne peuvent pas courir ces festivals. Cette
question du temps est extrêmement intéressante et importante.
Catherine Wojcik : je suis sur un territoire qui va bientôt mourir, comme l'a annoncé si gentiment Joël. Mais
on fait en sorte de se battre, on construit des digues et je vous signale qu'avec des réflexions comme celles-
là, Venise n'existe plus et tu n'es pas à l'abri qu'une météorite te tombe dessus. Personne n'est à l'abri de
rien. Mais sur des territoires comme le notre, on s'est posé la question et on est ouvert 7 jours sur 7 et
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toute l'année. C'est-à-dire que pendant les périodes de vacances, on offre une programmation spécifique,
différente de celle de nos adhérents. Parce que nos adhérents pendant ces périodes accueillent famille et
amis. Donc on a un public différent et on a su s'adapter. La Maline, sur l'Île de Ré, n'est pas la seule à
travailler comme cela. C'est une question de mode de gestion. On a tous une économie différente. Certains
lieux sont hautement subventionnés, d'autres peu et quand on fait une programmation avec peu de
subvention, il faut qu'il y ait des recettes en période de congés scolaires. Les lieux hautement subventionnés
n'ont pas à se poser la question. Il faudrait qu'ils s'interrogent sur pourquoi une scène nationale ferme en
mai et ne rouvre qu'en octobre. On peut se poser la question puisqu'ils n'ont pas le soucis de rentabilité. Au
niveau économie, on s'est posé la question car on est auto-suffisant à 60 % et on a la chance d'être sur un
territoire où il y a des gens qui viennent et ce ne sont jamais les mêmes, même si le temps de ces vacances
a changé. En fonction de l'endroit, on ne vit pas de la même façon, on ne programme pas la même chose,
on n'a pas les mêmes façons de travailler ou d'envisager les projets.
Michel Adam : pour clore cet atelier, je vous invite à découvrir « La Maison de la Gaieté », à Chérac, entre
Saintes et Cognac, et signer la pétition car les citoyens et citoyennes de Chérac et des pays du cognac
(Saintonge Romane et Ouest-Charente), leurs amis, la DRAC, la Fondation Patrimoine, les associations, la
presse se mobilisent pour empêcher qu’on détruise ce témoignage d’Art Populaire, d’Art Singulier des
années 40 qui enrichit la place de l’église.
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La culture, cette chance !
Enjeu sociétal... Territoires de vieMardi 18 Novembre 2014 - La Canopée – Ruffec (16)
Restitution des ateliers et synthèse
François Fournier : voici venir un moment important puisque l'on va tenter de vous restituer un peu de
l'essence de chacun des ateliers, puisqu'à part moi, qui ai eu la possibilité de circuler dans les trois,
normalement vous n'en avez vécu qu'un seul. On a une petite dizaine de minutes par rapporteur.
Nous avons avec nous 3 rapporteurs dont une rapporteuse. C'est aussi, on peut souligner, cet aspect-là un
clin d'œil du G19, puisque vous l'avez entendu ce matin, que ce soit Patrick, Sylvie ou Alain, ils sont tous les
trois de jeunes actifs retraités ce qui prouve qu'il y a de la continuité aussi dans ce réseau et puis c'est aussi
le souhait d'avoir trois personnes qui peuvent avoir de la distance et du recul. Ce n'est pas évident de
restituer en quelques minutes toute la teneur de ce qui a été partagé donc je vous propose de leur offrir un
chaleureux applaudissement avant que je les invite à commencer.
Patrick Fournier, rapporteur sur l'Atelier Viticulture : Culture, élément de développement durable :
Je voudrais remercier mes petits camarades qui ont pensé à moi, parce que je suis le porte-parole même si
j'étais le rapporteur officiel mais il était bien nécessaire d'être au moins quatre pour restituer effectivement
cet atelier la culture, élément de développement durable, qui nous a été magnifiquement présenté par
Monsieur Michel Adam et j'avoue que nous sommes entrés dans un sujet que nous ne maîtrisions pas
forcément tout à fait et donc vous pourrez mesurer la complexité pour nous de restituer tout ce qui s'est
dit.
Je commencerai simplement par une citation, qui était très importante, dès le départ, d'Albert Camus « Mal
nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ». C'était l'introduction afin de définir les mots, ce
qu'il y a derrière, ce que signifie le mot culture dont on ne va pas vous donner toutes les définitions mais
dont on a retenu qu'il y avait au moins six sens à ce mot. Et puis également le mot durable, qui si j'ai bien
compris, n'est pas le mot privilégié pour Monsieur Adam et qui préfère plutôt le mot soutenable. Le mot
durable n'est pas approprié pour la culture parce qu'il comporte des champs d'intervention notamment
économique et privilégier le développement soutenable prend en compte la notion d'équilibre futur. C'est
de notre capacité et responsabilité individuelle et collective à faire ensemble qui va permettre de créer un
monde dans lequel l'homme aura sa place. Notre pouvoir est là. Également l'homme doit être placé au
cœur des relations pour créer des coopérations et objectifs communs dans la situation d'urgence et de non
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retour dans laquelle notre planète se trouve. Bien sûr, il nous faut revoir les modèles de consommation par
un partage des richesses notamment nos modes de consommation énergétique, réduire nos niveaux de vie
en développant la valeur de créativité pouvant amener à une définition d'une nouvelle culture qui
défendrait la fécondité, la beauté ou l'émotion, la créativité, l'érudition, l'identité et la dignité humaine.
C'est donc, dans ce cadre que nous essayons tous au sein du G19 de trouver et développer de nouvelles
solidarités entre eux, G19, diffuseurs et médiateurs, mais également avec les artistes et plus généralement
toutes les personnes qui œuvrent sur leur territoire.
Pour conclure très rapidement, j'ai beaucoup aimé la citation de Monsieur Lucas sur le devenir des acteurs
culturels, en disant qu'ils sont « les architectes de la dignité des personnes ».
Alain Crendal, rapporteur sur l'atelier Céréale, la place de la création dans les politiques culturelles :
André Curmi nous a livré une expérience concrète extrêmement riche qu'il avait vécue en 1994 sur la scène
nationale d'Angoulême en évoquant les places, le parcours de création et en mettant en synergie
différentes disciplines avec la mobilisation d'une équipe de 47 personnes pour mener à bien ce projet de
création. C'était une présentation extrêmement riche très complète. Dans notre public, nous avions des
représentants, des artistes, des élus, des chargés de diffusion. Nous avions vraiment un panel assez riche. La
question posée est « Quelle place, dans les dispositifs d'aide à la création, pour les compagnies avec
l'obligation pour celle-ci d'avoir une ou deux créations selon les tutelles, quid de la diffusion et de l'aide qui
peut leur être apporté ? » Le risque que la médiation prenne le pas sur la création a été évoqué à plusieurs
reprises ainsi que la diffusion qui a été clairement soulevé. Même si sa nécessité reste un aspect important
au niveau de la médiation dans le processus même de création, d'accompagnement dans le cadre de cette
diffusion et de l'ancrage sur le territoire. C'était un point de vue évoqué par les compagnies. À noter que le
travail de création sur les territoires est étroitement lié à la vie démocratique et au rythme des élections ce
qui sous-entend la différence de rythme et de temps entre les différents partenaires, artistes, politiques et
partenaires opérateurs. A été également évoquée, la baisse des dotations de l'État. Les budgets cultures
démultipliés entraînant un manque de lisibilité et les budgets des collectivités locales contraints, d'où
parfois une continuité des compétences historiques liées à la diffusion et non à la réflexion. Une question :
faut-il se remettre uniquement aux politiques culturelles publiques ou ouvrir aux autres politiques
publiques sans oublier les interlocuteurs privés tout en étant conscient des disparités de territoire ?
Sylvie Fichelson, rapporteuse sur l'atelier Pêche, la culture, outil de liberté pour l'individu :
Éric Chevance a présenté cet atelier de la façon suivante, en disant que c'était une question et non pas une
affirmation, qu'on a tendance à dire que c'est une évidence et on se rend compte rapidement qu'en réalité,
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ce n'est pas du tout une évidence et donc a précisé de quoi nous parlons.
Il s'est interrogé sur son rôle en tant qu'intervenant culturel, sur sa capacité et son droit à permettre l'accès
à la culture. Qui suis-je pour me dire capable d'apporter l'accès à la culture ? Est-ce apporter des spectacles
et permettre l'accès à l'art ?
Le deuxième point était l'importance de la culture pour le dynamisme des territoires. Cette question n'a pas
été tellement abordée par la salle dans le deuxième temps de travail. Nos responsables nationaux nous
amènent à l'assimilation des différences mais ça ne favorise pas la liberté de l'individu. La liberté de
l'individu et la liberté de choix est, bien souvent, faite par des experts, par les programmateurs mais
comment est fait le choix ? En fonction de quels critères et vis-à-vis de la culture de chacun ? Donc, il y
aurait là une prise de pouvoir de leur part et c'est un obstacle à la liberté individuelle.
En conclusion, il disait cette question de la liberté est essentielle, elle n'est pas évidente. Il y a la question de
l'éducation à prendre en compte dans la construction de la liberté pour les individus. Dans les interventions
de la salle, il y a eu beaucoup de questions et c'est là où la synthèse est la plus difficile à faire. Il n'y a pas
forcément eu beaucoup de réponses mais c'était aussi des questions ouvertes que j'ai choisi de laisser de
côté, c'est le jeu de cet exercice. Il y a eu des questions assez récurrentes sur de quelle liberté parlons-
nous ? Ne pas penser la culture comme une panacée mais c'est d'abord l'école qu'il faut considérer. Cette
notion de lien avec l'éducation est revenu plusieurs fois avec le questionnement sur l'éducation pour les uns
c'est l'école qui amène l'accès à la culture pour d'autres c'est la pratique artistique mais aujourd'hui les
interventions et les projets à l'école sont de moins en moins nombreux, victimes d'une baisse de
financement. On fabrique des individus libres en leur donnant les moyens de penser et de s'exprimer.
Ensuite, il y a eu une intervention qui voulait davantage revenir sur l'intitulé de l'atelier, à savoir parler de
l'outil en disant qu'on a tendance à taper dessus notamment en termes d'inégalités hommes femmes. Dans
l'outil, il y a quelque chose du partage horizontal, l'outil partagé est très souvent dévalué, c'est la pensée
descendante de l'artiste qui domine. Les formes d'art faisant appel au socioculturel sont évaluées et
notamment on le retrouve aussi par le biais des financements publics. Le deuxième aspect était la notion de
liberté, liberté du point de vue de l'émancipation, l'accès à la liberté et à l'égalité entre les humains.
Interroger la culture, sous le prisme de la liberté en lien avec l'égalité, a un enjeu très fort puisque la culture
aide à sauver des vies alors en termes d'exemple, le travail qui peut être fait en direction des demandeurs
d'emploi. Sur cette notion d'égalité a été abordé, à un moment donné, le problème de la mobilité,
notamment en milieu rural et le problème des moyens financiers.
Un point de vue évoqué a été celui de la liberté pour la personne de ne pas fréquenter les lieux culturels et
notamment un exemple donné de gens qui suite à un travail d'actions culturelles ont exprimé le fait de ne
pas avoir l'envie de fréquenter les lieux culturels. Ça a suscité des questions sur le code. Est-ce qu'on a
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toujours le code qui permet d'entrer dans une relation à une œuvre, d'entrer dans un lieu culturel ? Avec la
remarque, qu'il y a des typologies de gens qui fréquentent des lieux culturels mais qui ne se croisent pas car
chacun a ses outils et chacun ses codes spécifiques. Il y a eu une intervention sur la notion d'espace de
représentation et d'espace de représentation qui est un lieu de liberté et de parole.
Il y a eu une intervention sur le fait que l'artiste est au cœur de ce questionnement, que les politiques donc
les décideurs, donnent un mouvement mais ils se réajustent en fonction des artistes qui questionnent la
réalité et la manière d'être au monde, repositionner la position et le rôle de l'artiste car c'est eux qui sont
au cœur de la réflexion sur le sociétal et de la relation avec les œuvres.
En conclusion, des différents échanges qu'il y a eu avec la salle, on peut dire que nous avons parlé de
liberté, d'égalité, de vivre ensemble. On a beaucoup tourné autour du sujet pour arriver à dire « mais en fait
de quoi parlons-nous et de quoi avons-nous parlé ? » On a beaucoup échangé sur la mise en œuvre avec le
constat que la question nous a filé entre les doigts. Cet échange a été ce que chacun d'entre nous en a fait.
Synthèse finale
François Fournier : Je vais demander à Jean-Michel et Marie-Hélène de venir à nouveau me rejoindre ainsi
que Didier et Céline qui vont venir aussi pour cette synthèse finale.
Ce que je vous propose pour cette synthèse est de profiter à nouveau de la présence de Jean-Michel et de
Marie-Hélène pour nous donner en 2 ou 3 phrases ce qu'ils ont peut-être pu vivre ou sentir du chemin
qu'on a parcouru ensemble sur cette journée-là. Je vous ferai ensuite une restitution de ce que j'ai pu
ressentir, de ce que j'ai pu vivre de ce moment avec vous et pour finir, on aura l'éclairage sur le devenir de
ce genre de manifestation avec la vice-présidente et le président du G19.
Marie-Hélène Popelard : ce qui m'a semblé important dans cette journée est l'effort que chacun faisait ici
pour faire un pas de côté par rapport au langage de sa tribu. C'est vrai qu'on appartient tous les uns et les
autres à des tribus différentes, la tribu des professionnels et des diffuseurs, la tribu des compagnies, des
artistes, la tribu des universitaires et il faut arriver à s'entendre sur un certain nombre de concepts clés qui
sont extrêmement ambivalents, extrêmement complexes, et on s'est heurté tout au long de cette journée à
une définition possible de la culture mais aussi une définition possible qui n'a jamais été vraiment donnée
de l'œuvre d'art. Donc toutes les discussions qu'on a pu avoir, étaient des discussions d'évitement de
problème en effet difficile qui aurait été de s'attaquer au nerf de la guerre et de se demander si les
diffuseurs, si les élus, si les universitaires que nous sommes, si les compagnies de théâtre donnent de la
création la même définition.
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La deuxième remarque que j'ai envie de faire est que précisément s'il y a une difficulté à définir l'œuvre
d'art, on peut la définir d'une manière tout à fait générale en disant que c'est toujours un point de vue
singulier sur un matériau spécifique mais qui prétend néanmoins être universellement intelligible mais qui
renvoie toujours à un public qui est déçu par ce qu'on lui propose donc ce serait la définition la plus
générale qu'on pourrait donner à l'œuvre d'art, donc on voit bien qu'il y a toujours dans ces définitions
quelque chose de tellement singulier, de tellement propre à la proposition de l'artiste, qu'il est
extrêmement difficile de faire une règle générale à partir de l'ensemble des caractéristiques qui pourraient
être communes ou du dénominateur commun de ces différentes propositions, d'où la difficulté pour un élu
ou la difficulté pour un diffuseur de légitimer les choix qu'il fait donc on reste forcément dans l'implicite,
dans le non-dit, et cela crée pour tout le monde une forme de frustration, d'insatisfaction qui est partagée,
qui est presque obligatoire.
Enfin je dirais que pour vous passer la parole, ce qui m'a en effet intéressée dans votre proposition c'est-à-
dire essayer néanmoins en dépit de cette diversité des propositions de s'entendre, de faire un pas de côté,
de trouver un langage commun et de trouver des partenaires c'est-à-dire de fonder une humanité en dépit
des identités plurielles que nous constituons tous, je dirais que le plus difficile aujourd'hui est de passer par
ce que nous vivons, une situation de conflit, de clivage où les rapports de production sont absolument
inchangé et où la position de l'intellectuel universel est une position intenable, je dirai que le but à
poursuivre est de passer, pour un artiste et pour un diffuseur qui sélectionne des artistes, du lieu commun
dont il faut s'échapper absolument, non pas vers un encommun qui est un entre-soi mais vers un commun
qui serait un espace de créativité partagée.
Jean-Michel Lucas : les mots sont libres, chacun a son histoire et les histoires de sa tribu. Chacun peut dire
ce qu'il veut mais sur ce terrain qui nous intéresse c'est l'opacité si jamais on découvrait trop la vérité de
l'art, on serait comme les machines à laver, on pourrait appuyer sur le bouton en regardant la notice.
L'opacité fait partie de l'enjeu. De ce point de vue là, il ne faut pas avoir peur, de dire ce qu'on a envie de
dire sauf qu'il faudrait changer le titre si vous regardez bien, le titre c'est : « la culture, cette chance ! » en
conclusion, je tenais à vous dire que c'est un très mauvais titre. Aujourd'hui, on a le droit de parler ce qu'on
veut mais il y a un cadre général qui va se fixer dans une société organisée où la notion d'intérêt général
n'est pas du bluff c'est une forme aussi de pouvoir par rapport au marché et ce cas de l'intérêt général va se
redéfinir. Et là, il ne faudra pas utiliser le langage de sa tribu, il faudra utiliser le langage de l'intérêt général.
Donc, chacun peut arriver avec son langage mais à quoi ça sert puisqu'il faudra négocier l'intérêt général ?
Là, il y a une échéance, ce n'est pas « la culture, cette chance ! » C'est « la culture, cette échéance ! » et
pour ma part je vois deux échéances importantes, l'Agenda 21 Culture, Bilbao, mars 2015, qui va voir se
créer un nouveau texte pour dire comment concilier culture et développement durable. Y a-t-il une
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contribution du G19 à ce grand mouvement qui est celui d'acteurs et d'élus ?
La deuxième échéance, c'est effectivement le cadre de la compétence générale, toutes les cartes sont
redistribuées. Vous ne pouvez pas être naïf au point de penser que la DRAC sera la même chose dans six
mois ou dans un an, qu'il y a 10 ans. Toutes les cartes sont redistribuées. Si vous, acteur du G19, vous n'êtes
pas dans une échéance de produire quelque chose qui est un discours commun parce qu'il y a des
négociations à avoir dans un cadre d'intérêt général, d'état de droit, vous êtes marron. On aura fait une
belle journée sympathique de réflexion mais l'heure de la réflexion c'est l'heure de la définition d'une
palabre pour définir sa place dans un cadre général qui est celui de l'intérêt général.
François Fournier : Après avoir été envoyé directement dans le futur, je vais nous ramener dans le présent,
dans l'ici et maintenant, à travers une petite restitution de ce que j'ai pu ressentir du chemin qu'on a
parcouru ensemble. Il y a un mot qui m'est venu tout à l'heure, en partageant avec quelques personnes
dont Marie-Hélène, et que je ne crois pas avoir entendu, c'est le mot compagnonnage. J'ai la sensation que
nous avons fait compagnonnage ensemble durant cette journée et dans l'idée qu'on a besoin de
s'accompagner les uns les autres. Une phrase souvent me sert de point de repère « être un bon compagnon
pour soi-même et pour les autres » c'est une valeur fondamentale. On parlait d'éthique tout à l'heure peut-
être cela pourrait s'inscrire pour moi dans une charte éthique et surtout dans le fait de s'accompagner les
uns les autres, ce que j'ai ressenti chez beaucoup de personnes, c'est aussi un point de départ d'humilité,
c'est-à-dire considérer que finalement on ne sait pas grand-chose mais qu'on est nombreux à ne pas savoir
et que chacun a peut-être une part de cette connaissance, une part de cette expérience à partager, d'où ce
qui m'a beaucoup marqué dans les mots qui ont été repris aujourd'hui : le mot palabrer. Prendre ce temps-
là, le temps pour se dire les choses, pour tenter de se comprendre en partant de je sais que je ne sais pas
mais peut-être qu'à plusieurs avec une sagesse collective on peut avancer dans et ça pourrait peut-être
répondre à la demande de Jean-Michel tout de suite à la construction d'une parole de mots d'un sens qui
peut nous aider à mieux définir les choses et à me les faire entendre surtout.
Le second mot qui m'est venu c'est le mot alchimiste. J'ai entendu parler de magie tout à l'heure, dans un
des ateliers, par un de nos intervenants et ça m'a paru évident et du coup le mot alchimiste dans le sens de
mission impossible, c'est-à-dire transformer le plomb en or. Le mot qui est venu s'associer ensuite c'est
faiseur de miracles. Quelque part, on nous demande de faire des miracles. Je le ressens comme ça dans les
interventions que j'ai entendues et ça renvoie à la sensation qu'on ne peut faire que des tentatives, on ne
peut être que des chercheurs, qui expérimentent des choses et si en plus on arrive à être vraiment tous
dans une démarche de création commune, ensemble, des cocréateurs de cette chose là, on a plus de
chances d'y arriver.
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La dernière chose qui m'ait marqué c'est la question qui était évoquée tout à l'heure dans une des
restitutions, finalement, quel est notre pouvoir ? Notre pouvoir est le faire ensemble, comme aujourd'hui
prendre le temps d'être ensemble, d'exprimer nos diversités, de tenter de se comprendre et finalement
peut-être ce qui va rester de la journée c'est peut-être moins les contenus, les mots, les concepts, etc., que
l'expérience qu'on aura vécu tous ensembles avec les sensations que ça a pu produire à l'intérieur de nous.
J'ai un exemple, qui m'a marqué tout à l'heure, de l'expérience commune, ça peut vous paraître
anecdotique mais ça a toujours du sens et quand j'ai vu qu'on était un peu, ce midi à table, en train de
perdre le timing qui nous était si précieux pour suivre la journée, il y a eu un mouvement de la part des
programmateurs et d'autres personnes pour prendre les assiettes et venir servir tout le monde. Je trouve
que ça symbolise aussi le fait qu'il n'y a pas de frontières et que à un moment donné, dans l'univers dans
lequel on est, tout le monde peut mettre la main à la pâte, quel que soit le rôle qu'il a, quel que soit sa
dimension. J'ai trouvé que c'était symboliquement assez fort et puis finalement ce vivre ensemble et cette
expérience commune c'est ce qu'on vit tous les jours dans les compagnies. Je suis souvent en lien avec les
compagnies, dans l'accompagnement que je fais. C'est ce qu'on vit dans les lieux de diffusion, avec les
salariés qui sont là, avec les équipes. C'est ce que le G19 a réussi à faire vivre dans son réseau. C'est ce
qu'on vit dans sa commune, dans son quartier, dans sa famille et à l'intérieur de nous-mêmes. Merci pour
votre écoute, je vous propose maintenant d'écouter Céline et Didier pour nous parler un petit peu de ce qui
va pouvoir être encore possible de vivre ensemble d'ici très peu de temps.
Céline Bohère, Vice-Présidente du G19 : Je me réjouis vraiment de cette assemblée composée de nos
réalités : élus, artistes, passeurs, médiateurs, diffuseurs, programmateurs, etc. Je me réjouis aussi que le
G19 sur la base du passé, puisque c'est ce dont on a parlé avec Michel Adam, ait pu transformer et créer du
nouveau comme chaque jour évolue et ce grand travail entrepris il y a plusieurs années aboutit à cette
journée et vraiment je m'en réjouis parce que je trouve que c'est un beau moment qu'on partage, où on
prend du temps, là où nous, dans nos bureaux, on essaie de faire au mieux mais on n'a pas ce temps de
réflexion et ça fait vraiment du bien d'entendre des concepts et de reprendre du temps pour réfléchir à tout
ça. Je laisserai au président le soin de nous parler du futur. Je voulais vous remercier sincèrement, vous dire
que le réseau, c'est un réseau qui travaille laborieusement, je pense mais qui est un réseau aussi de
solidarité et de créativité et je crois que ça résume bien tout ce qui s'est dit autour des tables aujourd'hui et
puis vous dire qu'en ce qui me concerne à l'A4, j'essaie d'écrire des projets de territoire avec des artistes et
que je remercie tous ces artistes. Là aussi, à force de travail, de réunion, de mécompréhensions, de
recompréhension, arriver à faire des choses magnifiques dans des territoires en ce qui me concerne ruraux
mais pas que, au sein du réseau. Je vous remercie sincèrement et vous dis que c'est grâce aux artistes qu'on
écrit tout ça et merci beaucoup.
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Didier Trambouze, Président du G19 : un grand merci pour avoir participé à cette journée qu'on prépare
d'arrache-pied avec toutes les personnes qui composent le G19 avec une petite pensée particulière pour
Dominique Sarah, Jean-Luc Texier et Nathalie Chanas-Nicot évidemment qui nous a accueilli ici avec son
équipe admirablement bien depuis hier après-midi puisqu'on était déjà tous ensemble hier après-midi. On
reste évidemment à l'écoute, le développement est en cours puisque depuis peu, il y a un poste salarié à
temps partiel qui va nous aider à avancer parce qu'on a déjà beaucoup de travail dans nos boutiques donc
c'est difficile de travailler à 20 comme ça sur l'ensemble d'une région, mais je pense qu'aujourd'hui on a fait
tous ensemble la preuve que c'était réalisable. Cette journée fera l'objet d'une parution, c'est pour ça que
les débats étaient enregistrés aujourd'hui pour ne rien oublier pendant la conclusion, écrite et imprimée le
plus rapidement possible de façon à être prêt, et que le document soit prêt pour le prochain rendez-vous
organisé par le G19, à Rouillac les 2 et 3 février pour les journées de visionnement. Je vous rappelle que
l'année dernière c'est l'intervention de Marie-Hélène qui nous a donné l'envie d'aller plus loin aujourd'hui
tous ensemble sur un temps de réflexion et les 2 et 3 février prochains seront un temps totalement
consacré à l'artistique sur deux jours qu'on vous proposera et vous recevrez cette invitation et toutes les
informations pour vous inscrire très rapidement.
Merci à toute l'équipe de la Canopée qui s'est chaleureusement occupée de tout le monde.
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