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Samedi 17 mai 2014 - 70 e année - N˚21563 - 3,80 ¤ - France métropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry I l y a pas mal de bonnes rai- sons pour soutenir la derniè- re des initiatives d’Arnaud Montebourg – sans lequel, il faut l’avouer, la vie publique française manquerait singulière- ment d’animation. Le ministre de l’économie est à l’origine du décret publié, jeu- di 15 mai, sur les investisse- ments étrangers en France. Ce texte complète un dispositif adopté par le gouvernement de Dominique de Villepin il y a bientôt dix ans. Il élargit le champ des secteurs économi- ques dans lequel l’Etat peut s’op- poser à une prise de contrôle par un groupe étranger. Avec la verve qu’on lui connaît, le ministre convoque quelques grandes valeurs de la gauche pour défendre son décret : « patriotisme économi- que », « réarmement fondamen- tal de la puissance publique », « fin du laisser-aller » et réaffir- mation de l’Etat face au marché. Il n’a pas tort. Quand on regar- de la manière dont les Etats-Unis protègent certains de leurs inté- rêts industriels et nombre de leurs marchés publics ; quand on est confronté au « patriotisme économique » du Japon ou de la Corée du Sud ; quand on sait que l’Union européenne n’a pas de politique autre que la porte ouverte en matière d’investisse- ments étrangers, bref, quand on observe le monde alentour, on doit bien constater que M. Mon- tebourg est dans la lignée de ce qui se fait ailleurs. On dira d’abord qu’il agit lar- gement pour des raisons politi- ques. Le gouvernement donne un petit coup de barre en direc- tion d’une gauche socialiste désorientée par les options éco- nomiques de François Hollande, au lendemain d’une déroute aux élections municipales et à la veille d’un périlleux scrutin européen. Peut-être. Mais le décret Montebourg n’en est pas moins critiquable sur nombre de points. D’abord, le champ d’application. S’il a le verbe aérien, le ministre a la main lourde : eau, santé, énergie, transports, télécoms sont érigés au rang d’« activité stratégique » et, à ce titre, concernés par le tex- te. Dans tous ces domaines – en gros, la moitié du CAC 40 –, un investisseur étranger s’intéres- sant à une entreprise française devra solliciter l’accord préala- ble de Berçy… C’est trop vaste et sans doute inapplicable dans une écono- mie aussi intégrée à l’économie mondiale que l’est celle de la France. La plupart des disposi- tifs européens comparables ne concernent que les secteurs plus ou moins liés à la défense. Ensuite, il y a l’opportunisme économique. A l’évidence, le décret n’est pas étranger à l’affai- re Alstom. Colbertiste européen, le ministre voudrait que le grou- pe français en difficulté s’enten- de avec son concurrent alle- mand, Siemens. Mais, en l’état des négociations, la logique sociale – la préservation de l’em- ploi chez Alstom –, de même que celle de la complémentarité technologique entre groupes imposeraient une autre solu- tion : celle que propose l’améri- cain General Electric. Enfin, le décret va être inter- prété à l’étranger comme un mauvais signal de plus – après les « 75 % » – adressé par la Fran- ce aux investisseurs étrangers. Au moment précis où ceux-ci ont de plus en plus tendance à bouder l’Hexagone. Bref, effets pratiques non garantis et risques de dégâts col- latéraux. En matière d’entrepri- ses, l’influence réelle est bien davantage une affaire de doigté et d’action en coulisse que de roulements de tambour. p LIRE CAHIER ÉCO P. 5 « Adam et Eve chassés du paradis », de Masaccio Le Monde poursuit son voyage parmi les chefs-d’œuvre de la peinture. 5,99 EUROS, EN KIOSQUE EN FRANCE ET EN BELGIQUE Didier Deschamps : « Oui, il n’y a que le résultat qui compte » L’entraîneur de l’équipe de France de football, Didier Des- champs, a donné un long entre- tien au « Monde », un mois avant l’ouverture du Mondial, au Brésil. « Je ne sais pas jouer pour jouer », dit l’ancien joueur, qui revient sur la victoire de 1998, le fiasco de 2010, ses objec- tifs et le style de son équipe. SUPPLÉMENT PROCÈS TRÈS CORSE À SARTÈNE FRANCE PAGE 11 Entre Godard et Cannes, une relation tumultueuse CULTURE & IDÉES SUPPLÉMENT CANNES : L’ÉTRANGE FILM SUR DSK CULTURE PAGE 12 ADIEU AU LANGAGE ALAIN SARDE ET WILD BUNCH PRÉSENTENT crédits non contractuels SORTIE NATIONALE LE 28 MAI DÈS LE 21 MAI AU CINÉMA DU PANTHÉON ET À L’UGC CINÉ CITÉ LES HALLES ÉDITORIAL Inde : le triomphe des nationalistes hindous Affiche électorale de Modi dans une rue d’Ahmadabad. AJIT SOLANKI/AP PHOTO LE MUSÉE DU MONDE M LE MAGAZINE DU « MONDE » UNIQUEMENTENFRANCE MÉTROPOLITAINE,ENBELGIQUEETAU LUXEMBOURG SPORT & FORME t Narendra Modi, chef de file du BJP, remporte des élections qui ont mobilisé 550 millions d’Indiens t Minorités et intellectuels redoutent une dérive extrémiste P.2 LEPORTRAIT DE MODI P. 19 ET CULTURE & IDÉES La double vie d’Amalric L’acteur et cinéaste se confie t L’auteur du film « La Chambre bleue » anime ce numéro spécial Festival de Cannes Montebourg : la politique du tambour M anuel Valls lâche du lest sur les impôts : 1 mil- liard d’euros, précisément. La mesure, cen- sée être financée par la lutte contre la fraude fiscale, bénéficiera dès 2014 à 3 millions de Français et permettra à 1,8 million de ménages de sortir de l'impôt sur le revenu. Le premier ministre, qui tenait meeting jeudi soir, à Lille, avec Martine Aubry, tente ce que Jean-Marc Ayrault n’est jamais parvenu à réali- ser, occuper le terrain politique, et essaie de ressouder sa majorité, alors que les sondages sont très mauvais pour le Parti socialiste, à dix jours des élections euro- péennes. LIRE PAGE 8 AFFAIRE AREVA : ANNE LAUVERGEON DANS LE COLLIMATEUR DE LA JUSTICE Le réquisitoire de la Cour des comptes UK price £ 1,80 VALLS EXEMPTE D’IMPÔT SUR LE REVENU 1,8 MILLION DE MÉNAGES t Après l’offensive sur le nationalisme industriel orchestrée avec Montebourg, le premier ministre se lance sur la fiscalité et impose son agenda politique a « Le Monde » s’est procuré le rapport de « signalement » envoyé par la Cour des comptes au parquet financier : il met gravement en cause la gestion de l’ancienne patronne d’Areva (2001-2011), la soupçonnant d’avoir maquillé les comptes et menti à l’Etat dans le but de se maintenir à la tête de l’entreprise LIRE NOTRE ENQUÊTE PAGE 10 Algérie 150 DA, Allemagne 2,40 ¤, Andorre 2,20 ¤, Autriche 2,50 ¤, Belgique 3,80 ¤, Cameroun 1 800 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d’Ivoire 1 800 F CFA, Croatie 19,50 Kn, Danemark 30 KRD, Espagne 2,30 ¤, Finlande 3,80 ¤, Gabon 1 800 F CFA, Grande-Bretagne 1,80 £, Grèce 2,40 ¤, Guadeloupe-Martinique 2,20 ¤, Guyane 2,50 ¤, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,40 ¤, Italie 2,40 ¤, Liban 6500 LBP, Luxembourg 3,80 ¤, Malte 2,50 ¤, Maroc 12 DH, Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,40 ¤, Portugal cont. 2,30 ¤, La Réunion 2,20 ¤, Sénégal 1 800 F CFA, Slovénie 2,50 ¤, Saint-Martin 2,50 ¤, Suède 35 KRS, Suisse 3,40 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,40 DT, Turquie 9 TL, USA 4,50 $, Afrique CFA autres 1 800 F CFA

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Samedi 17 mai 2014 - 70e année - N˚21563 - 3,80 ¤ - Francemétropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur :Hubert Beuve-Méry

Il y a pas mal de bonnes rai-sonspoursoutenirladerniè-re des initiatives d’ArnaudMontebourg– sans lequel, il

faut l’avouer, la vie publiquefrançaisemanqueraitsingulière-mentd’animation.

Leministre de l’économie està l’origine du décret publié, jeu-di 15mai, sur les investisse-ments étrangers en France. Cetexte complète un dispositifadopté par le gouvernement deDominique de Villepin il y abientôt dix ans. Il élargit lechamp des secteurs économi-quesdanslequel l’Etatpeuts’op-poseràuneprisedecontrôleparun groupe étranger.

Avec la verve qu’on luiconnaît, le ministre convoquequelques grandes valeurs de lagauche pour défendre sondécret : «patriotisme économi-que», «réarmement fondamen-tal de la puissance publique»,« fin du laisser-aller» et réaffir-mationde l’Etat face aumarché.

Iln’apas tort.Quandonregar-de lamanièredont lesEtats-Unisprotègent certains de leurs inté-rêts industriels et nombre deleursmarchéspublics ;quandonest confronté au «patriotisme

économique» du Japon ou de laCoréeduSud; quandon sait quel’Union européenne n’a pas depolitique autre que la porteouverte enmatière d’investisse-ments étrangers, bref, quand onobserve le monde alentour, ondoit bien constater queM.Mon-tebourg est dans la lignée de cequi se fait ailleurs.

On dira d’abord qu’il agit lar-gement pour des raisons politi-ques. Le gouvernement donneun petit coup de barre en direc-tion d’une gauche socialistedésorientée par les options éco-nomiques de FrançoisHollande,aulendemaind’unedérouteauxélections municipales et à laveille d’un périlleux scrutineuropéen. Peut-être.

Mais le décret Montebourgn’en est pas moins critiquablesur nombre de points. D’abord,le champ d’application. S’il a leverbe aérien, le ministre a lamainlourde:eau,santé, énergie,transports, télécoms sont érigésau rang d’«activité stratégique»et,àcetitre, concernéspar letex-te. Dans tous ces domaines – engros, la moitié du CAC 40 –, uninvestisseur étranger s’intéres-sant à une entreprise françaisedevra solliciter l’accord préala-ble de Berçy…

C’est trop vaste et sans douteinapplicable dans une écono-

mie aussi intégrée à l’économiemondiale que l’est celle de laFrance. La plupart des disposi-tifs européens comparables neconcernentqueles secteursplusoumoins liés à la défense.

Ensuite, il y a l’opportunismeéconomique. A l’évidence, ledécretn’estpasétrangerà l’affai-reAlstom.Colbertisteeuropéen,leministrevoudraitque legrou-pe français endifficulté s’enten-de avec son concurrent alle-mand, Siemens. Mais, en l’étatdes négociations, la logiquesociale– lapréservationde l’em-ploichezAlstom–,demêmequecelle de la complémentaritétechnologique entre groupesimposeraient une autre solu-tion: celle que propose l’améri-cainGeneral Electric.

Enfin, le décret va être inter-prété à l’étranger comme unmauvais signal de plus – aprèsles «75%» – adressé par la Fran-ce aux investisseurs étrangers.Au moment précis où ceux-ciont de plus en plus tendance àbouder l’Hexagone.

Bref, effets pratiques nongarantis et risquesdedégâts col-latéraux. En matière d’entrepri-ses, l’influence réelle est biendavantage une affaire de doigtéet d’action en coulisse que deroulements de tambour. p

LIRE CAHIER ÉCOP.5

«Adamet Eve chassés duparadis», deMasaccioLeMondepoursuit son voyageparmi les chefs-d’œuvre de lapeinture.5,99EUROS, ENKIOSQUEENFRANCEETENBELGIQUE

Didier Deschamps:«Oui, il n’y a quele résultat qui compte»

L’entraîneurde l’équipe deFrance de football, Didier Des-champs, a donné un long entre-tien au «Monde», unmoisavant l’ouverture duMondial,au Brésil. «Je ne sais pas jouerpour jouer», dit l’ancien joueur,qui revient sur la victoire de1998, le fiasco de 2010, ses objec-tifs et le style de son équipe.SUPPLÉMENT

PROCÈS TRÈS CORSEÀ SARTÈNEFRANCE – PAGE 11

EntreGodardetCannes,unerelationtumultueuseCULTURE & IDÉES – SUPPLÉMENT

CANNES : L’ÉTRANGEFILM SUR DSKCULTURE – PAGE 12

ADIEU AU LANGAGE

ALAIN SARDE ET WILD BUNCH PRÉSENTENT

créd

its

non

cont

ract

uels

SORTIE NATIONALE LE 28 MAI

DÈS LE 21 MAI AU CINÉMA DU PANTHÉONET À L’UGC CINÉ CITÉ LES HALLES

ÉDITORIAL

Inde : le triomphedesnationalisteshindous

Affiche électorale deModidansunerued’Ahmadabad.AJITSOLANKI/APPHOTO

LE MUSÉE DU MONDE

M ●LEMAGAZINEDU«MONDE»UNIQUEMENTENFRANCEMÉTROPOLITAINE,ENBELGIQUEETAULUXEMBOURG

SPORT & FORME

tNarendraModi, chef de file duBJP,remportedes électionsqui ontmobilisé550millionsd’IndienstMinorités et intellectuels redoutentunedérive extrémisteP.2LEPORTRAITDEMODI P. 19 ETCULTURE& IDÉES

La double vie d’AmalricL’acteur et cinéaste se confiet L’auteur du film«LaChambrebleue»animecenuméro spécial Festival deCannes

Montebourg: lapolitiquedutambour

M anuelVallslâchedulestsurlesimpôts:1mil-liard d’euros, précisément. La mesure, cen-séeêtrefinancéepar la luttecontre la fraude

fiscale,bénéficieradès2014à3millionsdeFrançaisetpermettra à 1,8 million de ménages de sortir del'impôt sur le revenu. Le premierministre, qui tenait

meeting jeudi soir, à Lille, avec Martine Aubry, tentecequeJean-MarcAyraultn’est jamaisparvenuàréali-ser,occuperle terrainpolitique,etessaiederessoudersamajorité, alors que les sondages sont trèsmauvaispour le Parti socialiste, à dix jours des élections euro-péennes.LIRE PAGE 8

AFFAIRE AREVA : ANNE LAUVERGEONDANS LE COLLIMATEUR DE LA JUSTICELe réquisitoirede laCourdes comptes

UKprice£1,80

VALLS EXEMPTE D’IMPÔT SUR LE REVENU1,8 MILLION DE MÉNAGEStAprès l’offensivesur lenationalismeindustrielorchestréeavecMontebourg,lepremierministre se lancesur la fiscalité et imposesonagendapolitique a «Le Monde» s’est procuré le rapport de «signalement»

envoyé par la Cour des comptes au parquet financier :il met gravement en cause la gestion de l’anciennepatronne d’Areva (2001-2011), la soupçonnant d’avoirmaquillé les comptes et menti à l’Etat dans le but dese maintenir à la tête de l’entreprise

LIRE NOTRE ENQUÊTE PAGE 10

Algérie 150 DA,Allemagne 2,40 ¤, Andorre 2,20 ¤,Autriche 2,50 ¤, Belgique 3,80 ¤, Cameroun 1 800 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d’Ivoire 1 800 F CFA, Croatie 19,50 Kn, Danemark 30 KRD, Espagne 2,30 ¤, Finlande 3,80 ¤, Gabon 1 800 F CFA, Grande-Bretagne 1,80 £,Grèce 2,40 ¤, Guadeloupe-Martinique 2,20 ¤, Guyane 2,50 ¤, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,40 ¤,Italie 2,40 ¤, Liban 6500 LBP, Luxembourg 3,80 ¤,Malte 2,50 ¤,Maroc 12 DH,Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,40 ¤, Portugal cont. 2,30 ¤, La Réunion 2,20 ¤, Sénégal 1 800 F CFA, Slovénie 2,50 ¤, Saint-Martin 2,50 ¤, Suède 35 KRS,Suisse 3,40 CHF, TOMAvion 450 XPF, Tunisie 2,40 DT, Turquie 9 TL,USA 4,50 $, Afrique CFA autres 1 800 F CFA

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Laréhabilitationdiplomatiqued’unancienpariapourlesOccidentaux

international

NewDelhiCorrespondant

L ’Inde bascule à droite. Ledécompte partiel des résul-tatslaissaitentrevoir,vendre-

di 16mai, une nette victoire desnationalistes hindous du Bhara-tiya Janata Party (BJP), dont la têted’affiche, Narendra Modi, devraitdonc devenir le nouveau premierministre dugéant d’Asie. L’arrivéeaupouvoir àNewDelhi d’uneper-sonnalité aussi controversée queM.Modi,63ans,dontlaréputationa longtemps été entachée par lespogromsantimusulmansde 2002dans son Etat du Gujerat, soulèveen Inde autant d’espoirs que decraintes. A ceux qui voient en luiunmanagerdechoc, reproduisantàl’échellenationalelesperforman-ces économiques enregistrées auGujerat,s’opposelecampdesscep-

tiques inquiets de son style auto-cratique et de son passé dans lesrangs de la droite hindoue radica-le. La victoire du BJP devrait aussiprovoquerun recadragede la rela-tionentrel’Indeet sesdeuxprinci-paux voisins – le Pakistan et laChine – dans le sens d’une plusgrande affirmation nationaliste,teintée toutefois de pragmatisme.

Selonlespremièresindications,leBJP remporterait lamajoritédes543 sièges de la Lok Sabha (Cham-bre du peuple), tandis que le Partidu Congrès de la dynastie Nehru-Gandhi, au pouvoir depuis 2004,semblesubirlapluscuisantedéfai-te de son histoire. Le score du BJPest très supérieur aux prédictionsde la plupart des analystes, etmême aux attentes du parti lui-même, soulignant le rôle joué parla dynamique personnelle deM.Modi.Bêtedescène, impérieux,affectant une posture virile – il avanté son «torse de cinquante-sixpouces» : le style de M.Modi a

incontestablement comblé undésir d’autorité en Inde après dixansd’unrègneduPartiduCongrèsmarqué par la paralysie et les dys-fonctionnements.

M.Modiasuhabilementcapita-lisersurledésenchantementgéné-ral à l’égard d’un pouvoir sortantaffaibli par une série de scandalesliés à la corruptionainsi quepar leralentissement économique. Letaux de croissance a décéléré en2013, à 4,4%, après avoir atteintdes taux deux fois supérieurs aumilieude la décennie 2000.

La déroute du Parti du Congrèspose cruellement la question del’avenir de la dynastie Nehru-Gandhi auquel le parti, la matricede l’Inde indépendante, s’est iden-tifié.L’héritierduclan,RahulGand-hi (43 ans), a mené une campagneàcepointternequesasœurPriyan-ka (42 ans), plus charismatiquemais peu engagée jusque-là dansl’arène politique, a été appelée enrenfort. La quatrième générationde la famille – après JawaharlalNehru, Indira Gandhi et RajivGandhi (remplacéà la têteduparti

par sa veuve, Sonia, après sonassassinat) – peine à l’évidence às’imposer. Le parti n’a toutefoispour l’instant aucune alternative,l’effacement de la dynastie ris-quant d’enflammer les rivalitéspersonnelles entre barons.

Lagrandequestionestdesavoirsi cette déconfiture du Parti duCongrès couplée à la nouvellehégémonieduBJP est porteuse ounon de stabilité pour l’Inde. Endépit de ses insuffisances, le PartiduCongrès incarnait la continuitédes grands idéaux de l’Inde indé-

pendante, en particulier sur laquestion de la tolérance confes-sionnelle et la protection desdroits des minorités religieuses(lesmusulmans représentent 14%de la population et les chrétiens,2,4%).

L’arrivéeaupouvoirdeM.Modiannonce-t-elledesturbulencessurle front des relations interconfes-sionnelles?Leprécédentdesémeu-tesantimusulmanesduGujeratde2002 pourrait le laisser craindre.La plupart des analyses s’accor-denttoutefoisàpenserqueleprag-

matismefoncierdeM.Modil’amè-neraàunegrandeprudencesurcet-te question. Les membres de sonentourage font valoir que, depuis2002, aucune nouvelle émeute àcaractèreconfessionneln’a secouéle Gujerat. Ils soulignent queM.Modi a bien pris soin d’éviterd’exalter durant la campagne lathématiquede l’hindutva, à savoirl’idéologie stipulant que l’Inde estintrinsèquement hindoue. D’unemanière générale, les tenantsd’unedédramatisationde l’arrivéeau pouvoir de M.Modi relèventque l’extrêmehétérogénéité– reli-gieuse, ethnique, sociale, linguisti-que…–del’Indeimposeàtoutgou-vernementcentralunréalismefac-teur de modération. «La diversitéindienne opère comme valve desûreté contre toute forme d’idéolo-gie d’exclusion, analyse Ganesh

Devy, initiateur de Linguistic Sur-vey of India. Modi va peut-êtreessayer de promouvoir des politi-ques de clivage, mais l’Inde ne lelaisserapas faire.»

La réponse à la question tientaussi au type de relation que lefutur premier ministre noueraavec le Rashtriya SwayamsevakSangh (Association des volontai-res nationaux, RSS), la matrice dumouvement nationaliste dont leBJPn’estformellementquelavitri-ne politique. Narendra Modi par-viendra-t-il à s’émanciper du RSS,qui se pose en gardien du templeidéologique?L’autoritépersonnel-lequ’ilretiredel’ampleurdelavic-toire pourrait l’aider à tenir àl’écart les plus radicaux de lafamille nationaliste hindoue. Al’inverse,onpeuttoutautantcrain-dre que certaines franges, dopéespar lavaguedumoment,n’enpro-fitent pour pousser les feux deleurplan idéologique.p

Frédéric Bobin

Aceuxquivoientenluiunmanagerdechocs’opposelecamp

dessceptiquesinquietsdesonstyle

autocratique

LenationalistehindouModitriompheenIndeLatêted’afficheduBJP infligeunedéfaitehistoriqueauPartiduCongrèsde ladynastieNehru-Gandhi

NewDelhiCorrespondant

Convenancediplomatiqueoblige,l’arrivéedeNarendraModi aupouvoir àNewDelhi va lui valoirfélicitationset promessesde coo-pérationdans les capitales occi-dentales.Nul nepeut s’autoriser àbouder le nouveaudirigeantde cepoids lourdd’Asie duSud, écono-mie émergentede 1,2milliardd’habitants et puissancenucléai-re impliquéedansune relationtriangulaire stratégique compli-quée avec la Chine et le Pakistan,ses deuxvoisins.

Mais il y a commeun senti-mentde gêne. Il y a encoredeuxans, avant que l’hypothèsede sonarrivéeaupouvoir ne gagne encrédibilité,M.Modi était une sor-te deparia chez les Européenscommechez les Américains. Lamémoiredes émeutes antimusul-manesde 2002 (entre 1000et2000morts) dans sonEtat duGujerat n’en finissait pas d’enta-cher son image. Les ambassa-deurs de l’Unioneuropéenneenposte àNewDelhi le boudaient–bien que leurs entreprises inves-tissaient auGujerat – en vertud’unedécision collectivenon écri-te. Quant auxAméricains, c’étaittrès explicite:M.Modi était perso-nanon grata sur le sol américain.

En 2005, l’administrationBushprit une double initiative: nonseulement elle lui refusa l’octroid’unvisa diplomatique– qu’il

avait sollicité en sa qualité de chefde l’exécutif (chiefminister) duGujerat –,mais elle annula le visa«tourisme-affaires» (B1/B2visa)de dix ans dont il était détenteurdepuis 1998.Motif : une clausedela loi ImmigrationandNationali-tyAct qui déclare indésirable surle territoire américain tout offi-ciel (ou ex-officiel) étrangers’étant renducoupable de «viola-tionde la liberté religieuse».

Il est vrai que le vent a tournédepuis deuxans. La plupart desambassadeurseuropéens, et l’am-bassadrice américaineNancyPowel (qui a quitté depuis l’Inde),ont rencontréM.Modi, consa-crant ainsi sa réhabilitationdiplo-matique.Mais c’est peudire qu’ilfaudradu tempspourque laconfiance règnepleinement entreles capitales occidentales et le nou-veaudirigeant de l’Inde. «Il y auralàun irritant», admetSwapanDas-gupta, un journaliste ayantrejoint l’équipede campagnedeM.Modi.

Cedernier s’est bien gardédetoute déclarationpublique expri-mant sonamertumeà l’égarddel’Occident. Réaliste, il s’inscriradans les grandesoptions diploma-tiquesde ses prédécesseurs – touten les infléchissant sur certainspoints – et tiendradonc ànouerune relation apaisée avec l’Europecommeavec les Etats-Unis.

Si inflexion il y a avec la diplo-matiemenéepar le Parti duCongrès – au pouvoir entre2004

et 2014 –, elle sera ailleurs. Elletiendradans l’accentmis sur lesrelations économiques et com-merciales. Patronpolitiqued’unEtat (le Gujerat) qui s’est imposécommeuneplate-formemanufac-turière courtiséepar de grandsgroupesmultinationaux,Naren-draModi veut élargir ses recettesàNewDelhi. Cette inclinationpour l’économie trancheavec l’ap-proche traditionnelle duParti duCongrès. Lemanifeste duBhara-tiya JanataParty (BJP), le partidontM.Modi est la tête d’affiche,ne cite ainsi ni lesMouvements

des non-alignés (un deshéritagesde la diplomatienehruvienne) nila revendicationdu statut demembrepermanent auConseilde sécurité desNationsunies. Unemanièrede tourner la page d’unecertainegrandiloquence.

Il reste toutefois queM.Modiest issu d’unemouvance idéologi-que se définissant comme «natio-naliste hindoue»mêmesi, pru-denceoblige, la référence«hin-doue» a été ces derniers tempsmise en sourdinederrière la pro-

clamation«nationaliste» qui,elle, est pleinementassumée. Larelationavec le Pakistan, l’ennemihéréditairede l’Inde, sera évidem-ment le dossier le plus sensiblequ’auraà traiterM.Modi.

La logique voudrait qu’un gou-vernement«nationaliste» àDel-hi soit plus belliqueuxà l’égardd’Islamabad.Mais la réalité estbienplusnuancée commel’avaientprouvé les efforts denor-malisationmenés parun ancienpremierministreduBJP, AtalBihari Vajpayee, enposteentre1998 et 2004.

«M.Modi est rationnel, il n’estpas fou. Il n’y aurapas d’aventuris-mevis-à-vis du Pakistanmais ilseraunpeuplus fermequene l’aété le Parti du Congrès», souligneR. K.Swahney, ungénéral à laretraite affilié à la VivekanandaInternational Foundation, un cer-cle de réflexionprocheduBJP.

D’unemanière générale, le tro-pismeéconomiquedeM.Modipourrait agir commeune forcecentripètedésamorçant les fac-teurs d’instabilité.«Modi est prag-matique, il a besoin d’un environ-nementpacifique», décodeundiplomate étranger.Mais les cho-ses pourraient se gâter en cas d’in-cidentsprovoquéspar les Pakista-nais.«Des forces au Pakistanvontprobablement tenter de le tester»,anticipe lemêmediplomate.

La relation avec la Chine esttout autant stratégique. Le lienpersonneldeM.Modi avec Pékin

est toutefois plus ambigu. Lorsd’unevisite en février enAruna-chal Pradesh, l’Etat indien fronta-lier avec la Chine,M.Modi avaitdemandéauxChinois d’abandon-ner leur «état d’esprit expansion-niste». Il faisait référence aux ten-sions récurrentes entre les deuxpays autourde cette frontièrehimalayenne. Les Indiens se plai-gnant rituellementd’incursionschinoises. Pékinn’avait pas jugébonde réagir, un silencequ’avaient relevé tous les observa-teurs. C’est que le régime chinoisa plutôt de bonnes relationsavecle dirigeant duGujerat, qui a étéreçu en grandepompe auPalaisdupeuple à Pékin ennovem-bre2011.M.Modi a fait bonaccueil aux investisseurs chinoisauGujerat.

Et Pékinveut conserver ces bon-nes dispositions, enparticulierpour empêcher que l’Indenepousse trop loin son rapproche-ment avec le Japon.

En tout état de cause, le nou-veaupremierministre renforceravraisemblablement les investisse-mentsdans l’industriede ladéfen-se. L’accent seramis sur la produc-tion autochtone, quitte à la priva-tiser pour partie, alors que l’Indedépendactuellement lourdementd’achatsd’équipementsétran-gers. «Il s’agit d’augmenter noscapacités afinde dissuader toutetentationaventuriste de quicon-que», résumeM.Sawhney.p

F.B.

Laplupartdesanalystess’accordentàpenserqueM.Modidevraitêtred’une

grandeprudencesurlaquestionreligieuse

Les partisans deNarendraModi fétent la victoire du candidat du Bharatiya Janata Party (BJP, nationaliste) devant le siège du parti, vendredi 16mai, à NewDelhi. MANISH SWARUP/AP

Il faudradutempspourquelaconfiancerègnepleinemententrelescapitalesoccidentaleset

lenouveaudirigeant

2 0123Samedi 17mai 2014

Page 3: 17 mai Le Monde.pdf

international

JohannesburgCorrespondant régional

C ’est la guerre civile la plusdure et la plus négligéede laplanète : depuis la

mi-décembre2013, le conflit auSoudan du Sud a fait des dizainesdemilliers de victimes. A présent,c’estunecatastrophehumanitairequimenace.Lesresponsablespoli-tiques et militaires du pays, quin’existe que depuis juillet2011, enont-ils pris conscience? Ce n’estpas faute d’avoir été prévenus.«Sile conflit continue, la moitié des12millions d’habitants du Soudandu Sud seront soit déplacés, soitréfugiés à l’étranger, soit en traindemourir de faim oumorts d’ici àla fin de l’année», a résumé, le12mai, devant le Conseil de sécuri-té, le secrétaire général desNationsunies, BanKi-moon.

Quelques jours plus tôt, ce der-nier était venu sonner l’alerte enpersonne au Soudan du Sud. AJuba, la capitale, il avait engagé leprésident, Salva Kiir, à négocier lafin des hostilités avec son ancienvice-président devenu son enne-mi,RiekMachar, toutenalertant laplanète sur le danger de crimes demasse, parallèlement au risque defamine. Il avait ensuite appelé à lacréationd’untribunalspécialpourjuger les responsablesd’atrocités.

Dans l’intervalle, les chefs desdeuxprincipalesfactions,sousfor-tepression internationale (notam-ment américaine), ont sembléentendre le message. Les deuxhommessesontretrouvésàAddis-Abeba, enEthiopie, et ont signéun

accord de cessation des hostilités,prévoyant la fin des combats,l’ouverture de corridors humani-taireset des négociations en vued’unesolutionpolitiqueauconflit.

Mais le président Salva Kiir, à latête d’une délégation des «loyalis-tes» de l’Armée/Mouvement delibération des peuples du Soudan(SPLA/M), à peine rentré à Juba, aaffirmé avoir été menacé d’empri-sonnementparlepremierministreéthiopien s’il refusait de signer lacessation des hostilités. Dans lecamp adverse, celui de RiekMachar, qui tente d’unifier lesopposants armés au sein de sonSPLA/Menopposition(SPLM/AIO),onneditpasautrechose.

Les combats, depuis, n’ontjamais cessé, même s’ils restentcantonnésdansdes zonesparticu-lières. Les divisions menacent lapaixet font peser le risque de voirse développer des «poches» defamine, comme cela s’est produitdans lesannées 1990,à l’apogéedela puissance des seigneurs de laguerre sudistes lors de la grandeguerre civile avec le Nord(1983-2005). Dans ces enclaves, leschefsmilitairesdétournaientl’aidealimentaire internationale pour la

revendre ou financer leurs activi-tés. Le Soudan du Sud est-il sur lepoint de reproduire ce scénariocatastrophe? «Nous nous prépa-ronsau risqued’une famine,assureune source humanitaire, car tousles éléments sont réunis : combats,manque d’autorité des chefs surleurs troupes, saison des pluies quicommence.»

Le début de la saison des pluiesaurait dû signifier le début dessemailles. Mais le système decultures est entièrement perturbépar les violences des cinq derniersmois. Le gouverneur du Jonglei(est dupays), par exemple, a appe-lé les agriculteurs (trois quarts dela population) à regagner leurschamps et à y reprendre le travail,alors que les semences ont étépillées ou mangées dans de nom-breuses parties de l’Etat, et que lapopulation s’est en grande partiedéplacée, de crainte d’être victimedesexactionsdel’unou l’autredesdeuxcamps.

Un acteur humanitaire depoidsauSoudanduSud, leComitéinternationalde laCroix-Rouge,seprépareaussiaupireetadéjàcom-mencédeslargagesdevivres,com-me l’explique Cynthia Lee, porte-parole de l’organisation dans lepays : «Nous savons bien, de parnotre longue présence et expérien-ce au Soudandu Sud, que la saisondes pluies aura des répercussionsimmédiates sur la population. Lesroutes vont devenir impraticableset les avions ne pourront plus seposer sur les pistes d’atterrissage,transforméesen terrainsdeboue.»

Lasituation«necessede sedété-

riorer», note le dernier rapport duBureau de coordination des affai-res humanitaires des Nationsunies. Les chiffres sont révélateursd’unecriseprofonde:1,3milliondepersonnes ont été contraintes defuir leur domicile. Environunmil-lionse trouvent toujourssur le ter-ritoire sud-soudanais, 300000 sesont réfugiées dans les pays voi-sins,Ethiopie,KenyaoumêmeSou-dan(d’oùlessudistesétaientpartisen masse avant le référendumd’autodétermination).

Au total, le nombre de person-nes en difficulté que doit prendreenchargel’opérationhumanitaireen cours d’organisation s’élève,selonl’ONU,à3,2millionsd’indivi-dus. Les zones les plus critiquess’étendent essentiellement sur lestrois Etats où se sont concentrésles affrontements jusqu’ici : celuide Jonglei, d’Unité et du Haut-Nil,mais concernent aussi d’autreszones du pays touchées par desafflux de déplacés ou par des vio-

lences plus localisées. Juste avantl’accord signé à Addis-Abeba, uneoffensive rebelle avait permis demenacer les zones pétrolifèresd’Unité et la région d’origine duprésidentKiir, l’Etat deWarrap.

Les grands mouvements mili-tairessesontralentisdansl’immé-diat,malgrélapersistancedesatta-ques.Mais la catastrophehumani-taire est loin d’être évitée. En rai-son de la quasi-absence d’infras-tructures,de la tailledupaysetdesconditions météorologiques, leSoudanduSudest lepaysdelapla-nète oùuneopérationhumanitai-red’envergurerevient lepluscher,surtout en saisondes pluies.

Faute d’avoir pu stocker suffi-samment de vivres et de matérielavant cette période, les acteurs dudispositif humanitaire (ONG loca-les ou internationales, ONU) vontdevoir avoir recours à des trans-ports par voie aérienne. L’ONUespèrepouvoirremettreencircula-tion ses barges sur les cours d’eau

(sur le Nil surtout, mais aussidepuis l’Ethiopie voisine vers lesprovinceslimitrophes),afind’ache-minervivresetmédicaments.

Lespaysvoisins,euxaussi,vontsubir l’impactdecette crisehuma-nitaire.Lenombrederéfugiéssud-soudanaisenEthiopiedevraitcroî-tre et atteindre 300000 person-nes, alors que plus de 6millionsd’Ethiopiens sont déjà dépen-dants de l’aide humanitaire inter-nationale. Le campdeKakuma, auKenya, est plein. L’Ouganda et leSoudan continuent de recevoireuxaussi denouveauxréfugiés.

En Norvège, le 20mai, va êtreorganiséeuneconférencede levéedefondspour leSoudanduSud.Lanote de l’opération en cours estestimée à environ 1milliard d’eu-ros, et seulement 40% ont étéfinancés jusqu’ici, en dépit desefforts du coordinateur humani-taire de l’ONU pour le Soudan duSud, Toby Lanzer.p

Jean-PhilippeRémy

Héritage Chronographe 5400

BOU T I Q U E S B R EGU E T – 6 , P L A C E V E NDÔME PAR I S + 3 3 1 4 7 0 3 6 5 0 0 – 2 6 , L A C RO I S E T T E C ANN E S +3 3 4 9 3 3 8 10 2 2

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Dansun campde réfugiés sud-soudanais situé dans la régiondeGambela (Ethiopie), le 2avril. Z.ABUBEKER/AFP

LeComitéinternational

delaCroix-Rougeseprépareaupireetadéjàcommencédeslargagesdevivres

AuSoudanduSud, lafaminemenaceuntiersdeshabitantsAlorsque lepaysentredans lesixièmemoisd’unconflit sanglant,la saisondespluies renddifficile ladistributionde l’aidehumanitaire

BangkokCorrespondant

U n nouveau coup d’Etat enThaïlande pourra-t-il êtreévité? La dernière déclara-

tion du chef de l’armée thaïe, unhommeà la parole rare, peut fairepenser que les «hommes en vert»,comme on les appelle ici, ont deplus en plus de mal à cacher leurexaspérationfaceà l’impassepoli-tique en cours.

« Je voudrais avertir tous lescampsenprésence–ettoutparticu-lièrement ceux qui usent de la vio-lence et des armes de guerre contredescivilsinnocents–d’arrêtermain-tenant. Si la violence continue, l’ar-méepourrait intervenir afinde res-

taurer la loi et l’ordre», a prévenu,jeudi 15mai, le général PrayuthChan-ocha.Depuisque la confron-tation politique entre « jaunes»–lesmanifestants hostiles au gou-vernement – et «rouges» – parti-sans de ce dernier – a pris un tourplus aigu, il s’agit de la menace laplus claire jamais proférée par lahautehiérarchiemilitaire.

Quelques heures plus tôt, dansla nuit de mercredi à jeudi, à Ban-gkok,desmanifestantsantigouver-nementaux qui campent autourdu célèbreMonumentde la démo-cratie, situé non loin du palaisroyal, avaient été attaqués à la gre-nade et au fusil d’assaut. Bilan :trois morts et 23 blessés. En tout,28Thaïlandais sont morts lors de

différentesattaquesdumêmetypeenprèsde septmoisde troubles.

Lamenace du chef d’état-majord’une armée qui a fomenté18coups d’Etat réussis ou avortésdepuis 1932n’estpasàprendreà lalégère. Le dernier putsch, en 2006,avait fait chuter le premierminis-tre Thaksin Shinawatra, frère aînéde «Yingluck», la chef de gouver-nementdémisede ses fonctions le7 mai pour «abus de pouvoir» parla Cour constitutionnelle. Il avaitconduitaudésastreetà latragédie.En 2010, après des semaines d’oc-cupationducentredeBangkokpardes manifestants «rouges» exi-geant le retour du premierminis-tre renversé, l’armée avait tiré àplusieursreprisessur la foule.Plus

de90personnesavaient été tuées.De surcroît, l’intervention d’unearmée opposée à Thaksin n’avaitpas empêché la triomphale élec-tionde sa sœur, un anplus tard.

Famille honnieDésormais, comme le remar-

que Thitinan Pongsudhirak, pro-fesseur à l’université Chulalon-gkorn, dansune tribunepubliée le16maidanslequotidienanglopho-ne Bangkok Post, « le haut com-mandement militaire fait preuvederetenue, car il saitque les risquesd’un coup d’Etat sont élevés et lesconséquences, difficiles à gérer».

Le chef de l’armée n’aurait, enoutre, aucundésir de s’emparerdupouvoir alors qu’il doit partir à la

retraite à l’automne. Et l’armée, àun niveau subalterne, serait divi-sée. Il reste que la hiérarchie mili-taire est largement hostile auclandes Shinawatra.

Même si le général Prayuth a,parfois, joué lemédiateurentre lesdeuxcamps, sa loyautépencheducôté d’un establishment royal etpolitique qui n’a qu’une seuleobsession: se débarrasser d’unefamille honnie, soutenue par ces«rouges»issusdesclassespaysan-nesdunordetdunord-estdupaysdont les plus radicaux n’hésitentplus à briser le tabou du respectobligé à lamonarchie.

Dans ce contexte, les militairesnepeuventêtreperçuspar lespar-tisansdeThaksin–qui, depuis son

exil de Dubaï, continue d’agir encoulisse – et de sa sœur, commedes acteurs objectifs.

Les militants du Comité popu-laire pour la réforme démocrati-que, regroupant les «jaunes», ain-si nommés parce qu’ils brandis-sent la couleur du roi Bhumibol,comptent d’ailleurs sur le soutiendel’arméepourarriverà leursfins.

Après avoir joué un rôle déter-minant dans la destitutiondeYin-gluck Shinawatra, ils poussent leSénatàdémettrecequisubsistedeson cabinet. En début de semaine,ils sont entrés au siège du gouver-nement – qui n’y siège plus – sansqueles soldats leuraientopposé lamoindre résistance.p

BrunoPhilip

L’arméethaïemenaced’intervenirpourmettrefinàlacrisepolitiqueAprèsplusdesixmoisde troublesetmalgré ladestitutionde lachefdugouvernement, lesviolences sepoursuiventenThaïlande

30123Samedi 17mai 2014

Page 4: 17 mai Le Monde.pdf

REMERCIE

BarackObamainaugureàNewYorkleMuséedu11-SeptembreOuvertavectroisansderetard, le lieuhonorelamémoiredesquelque3000victimesde2001

BrésilManifestations contre leMondialdans les principales villes dupaysSAOPAULO. Les grandes villes brésiliennesont été le théâtre, jeu-di 15mai, demanifestations contre les dépenses liées à l’organisa-tionde la Coupedumondede football en juin.De grandes artè-res ont été bloquées à SaoPaulo et Riode Janeiro.Dans la capita-le, Brasilia, leMouvementdes travailleurs sans-abri a envahi leslocauxde Terracap, la société nationalequi gère le stade réputéle plus cher dupays. A Recife, despillards ont dévalisédesmaga-sins et des véhicules avant l’interventionde l’armée et de la gen-darmerie.– (Reuters.)

Etats-UnisLaCalifornie lutte contre de violentsincendiesSANDIEGO. Plusieursdizainesdemilliers d’évacuationsont étéordonnéesdans le comtéde SanDiego (sudde la Californie) où,depuis le début de la semaine, de violents incendies, attisés parles vents,menacentdenombreuseshabitations. La Californie,régulièrement touchéepar des feux en été et à l’automne,connaît actuellementune vaguede chaleur record, avecdes tem-pératuresdeplusde 38˚C. – (AFP.)

international

KievEnvoyé spécial

L eonid Kravtchouk, premierprésident de l’Ukraine indé-pendante (1991-1994), n’ira

probablement pas à Donetsk.Quand on lui a proposé, mercredi14mai,d’animerdanslagrandevil-lede l’Estunexercicede«dialoguenational» sur l’unité du pays dèsle lundi suivant, M.Kravtchoukn’a eu qu’une objection, qu’il aexprimée avec humour: il aime-rait être assuré de «revenir vivantàKiev».

Ladémarcheavaitétéenvisagéelors de la première d’une série detables rondes qui réunissait à Kievdes représentants de l’Etat et de lasociété civile, ainsi que des candi-datsà laprésidentielledu25maietdesparlementaires. Elle s’est ache-vée sans conclusion, comme unlong soliloquede la capitale.

A Donetsk, la Banque centralevient de fermer sa représentationet a évacué ses personnels. On luiavait demandé d’ouvrir ses cais-ses. Kiev n’a pas l’intention denégocier ouvertement avec lesreprésentants de la « républiquepopulaire» autoproclamée de larégion et de celle de Louhansk,entérinées dimanche 11mai parréférendum: la capitale poursuitune «opération antiterroriste»qu’ellesegardedeprécipiteravantle scrutindu25mai, qui a, de toutefaçon, peu de chances de se tenirsur les terres séparatistes.

Pourtant, l’heure est au dialo-gue, suivant la feuille de route del’Organisation pour la sécurité etla coopération en Europe (OSCE)pour sortir l’Ukraine de la crise.Soutenu par l’Union européenne,par les Etats-Unis – qui ont expri-mé leur scepticisme– et vivementappuyé par la Russie, ce plan pré-voit également un cessez-le-feu,un désarmement général et latenuede la présidentielle.

Les sujets de discussions nemanquent pas. La capitale doitrépondreaudiscourssécessionnis-te alimenté par les médias russes,qui parlent de «guerre» contre lespopulations russophones. Vue deKiev, la «fédéralisation» du payssignerait l’arrêt de mort du pou-voir central.

Ce mot d’ordre de «fédéralisa-tion» est repris, à Kiev, par le Partides régions de l’ex-président Vik-tor Ianoukovitch. Son chef de fileau Parlement, Olexandre Efre-mov, demandait mercredi que lesgouverneurs de région soient

désormais élus et non plus nom-mésparKiev. Sonparti évoqueundroit de veto des régions sur lesdécisions majeures du pouvoircentralenmatièrededéfenseetdepolitiqueétrangère. Il souhaite undébut de révision de la Constitu-tionavant laprésidentiellemalgréle caractère irréaliste de cettedemande. Seulement le Parti desrégions n’est plus un interlocu-teur fiable : il est en miettes. Il nereprésente ni les séparatistes, niles foules qui les suivent.

Kiev propose unplan de décen-tralisation ambitieux, lancé il y adeuxmois,etqu’unnouveauParle-mentdevraexaminerune fois élu,peut-être à l’automne. La capitalesouhaite réformer une structureadministrative « héritée dessoviets : une pyramide de conseilslocaux dotés de peu de pouvoirs,quand Kiev concentre tout »,détaille Taras Kuzio, chercheur àl’Institut canadien d’études ukrai-

niennes. Ce système se doubled’unappareildecontrôleprésiden-tiel incarné par les gouverneurs.Lesdysfonctionnementssontmul-tiples, les opportunités de corrup-tion infinies.

Kiev veut doter les organeslocaux de véritables budgets. Ilsuseraient de l’impôt sur le revenuet des taxes professionnelles, quivont aujourd’hui à la capitale. Ellesouhaite faire élire les exécutifs etleur transférer certains pouvoirsdes gouverneurs. Ceux-ci devien-draient des préfets à la française,éventuellementélus.

Mercredi, l’oligarqueRinatAkh-metov, principale puissance éco-nomiqueàDonetsketà Louhansk,s’est prononcé, dans une allocu-tion télévisée, en faveur d’une tel-le réforme. Il refusait l’établisse-ment de républiques autonomes«quepersonneaumondenerecon-naîtra». Cette déclaration a rassu-ré à Kiev, où l’on accuse lemagnat

du charbon et de l’acier de n’avoirpas jugulé les troubles du bassinminier pour négocier l’avenir deses affaires.

«Lesélitesdel’Esttententdesau-ver leurs privilèges, affirmeSergueï Sobolev, chef du groupeparlementaire de Batkivchtchina,le parti de Ioulia Timochenko. Ilsétaient rois d’Ukraine, ils sontmaintenant des féodaux dansdeux régions.»

Cet état de fait a alimenté l’in-surrection, même si la questionsociale paraît aujourd’hui inaudi-ble. Reste la question culturelle :Kievenvisagedelaisserlesrégionsinstituer le russe comme secondelangue officielle par référendum.L’enseignement en russe pourraitêtredéveloppé.Mais lesdirigeantsukrainiens ont trop tardé à voya-ger pour faire entendre ce messa-ge. Il est bientardpour rendrevisi-te aux régions.p

Louis Imbert

NewYorkCorrespondant

L e sauveur au bandana rouge.Symboliquement, BarackObama, a choisi ce jeune

homme de 24ans, pour commé-morer lamémoiredesvictimesdu11-Septembre lors de son discourspourl’inauguration,jeudi15mai,àNew York, du musée qui leur estconsacré.WellesCrowtherfaitpar-tie des près de 3 000 hommes,femmes et enfants qui ont péri en2001 lors de l’effondrement desdeuxtoursduWorldTradeCenter.

«Il avait une joie de vivre et desrêves de voir lemonde. Il travaillaitdans la finance, mais il était aussipompiervolontaireet,aprèslafrap-pedesavions, il amiscebandanaeta passé ses derniers instants à sau-ver les autres», a déclaréM.Obamadevant des milliers de survivants,de familles de victimes et d’offi-ciels. Tous étaient rassemblésdansle très intimidant et immense«FoundationHall» dumusée sou-terrain, édifié sur le lieu des fonda-tions de l’une des deux «TwinTowers». «Aucun acte de terroris-menepeutégalerlaforceetlecarac-tère de notre pays comme le grandmur et la roche qui nous entourentaujourd’hui, a-t-il affirmé, Rien nepourra jamaisnous séparer, riennepeut changer ce quenous sommes:desAméricains.»

Personnalités et anonymes sesont succédé à la tribune, enl’absence remarquée de Geor-geW. Bush, président aumomentdes attentats. Parmi eux, le mairedeNewYork de l’époque, RudolphGiulianiouencoreMichaelBloom-berg, son successeur qui a pris laprésidence du projet de ce muséeil y a huit ans. Mickey Kross, cepompier qui a vécu l’enfer de ce11 septembre 2001, a lu son dis-cours tête baissée pour ne pas selaisser submergerpar l’émotion. Ily avait aussi des survivants com-me Florence Jones, qui a livré sontémoignaged’unevoixchevrotan-

te, ouencoreKaylaBergeron,qui araconté comment elle a réussi àéchapperàlamortgrâceàdesesca-liers extérieurs, dont des partiessont exposées dans le musée. Lacérémonie s’est terminée par laFanfare for the Common Manjouéeparl’orchestrephilharmoni-que de New York. Auparavant, lachanteuse LaChanze, dont lemariavait été tué lors de l’effondre-mentduWorldTradeCenter, avaitinterprétéuntrèsémouvantAma-zingGrace.

MercantilismeLe matin, Barack Obama avait

visité enavant-premièrecemusée,qui ouvrira le 21mai au public,après trois ansde retard.Onyaccè-de par un bâtiment aux parois deverre réfléchissant, construit entreles deux bassins du Mémorial du11-Septembre, qui permet de péné-trer dans les entrailles de ce qui futle World Trade Center. Un endroitqui vise àmêlermémoire, pédago-gieet émotion.

Une gageure source de polémi-ques sur la vocation d’un muséeinédit, à qui certains reprochent lemélange des genres. L’exposition,dont le ticket d’entrée coûte 24dol-lars (17 euros), comprend en effetdesresteshumainsdevictimestou-joursnonidentifiées,toutenpropo-santdes tee-shirtsetdes souvenirs.Un mercantilisme qui côtoie lestémoignagessonores des victimes,laissés quelques minutes avantleur disparition sur des répon-deurs, appels désespérés à leursprochesqui tournentenboucle.

Outre un immense mur parse-médesphotosdesvictimes, levisi-teur peut découvrir l’accumula-tion impressionnanted’effetsper-sonnels retrouvésdans lesdécom-bres. Parmi eux, le fameuxbanda-narouge.«J’espèrequecelarappel-lera aux visiteurs comment lesgensse sontentraidésce jour-là», aexpliquéAlisonCrowther, lamèredu jeunehomme.p

Stéphane Lauer

Lacapitalen’apasl’intentiondenégocieraveclesreprésentantsdela«république

populaire»deDonetsk

La première réunion du «dialogue national»,mercredi 14mai, à Kiev. ANDREW KRAVCHNEKO/AFP

LeHongroisOrbanet lePolonaisTusks’affrontentsurlesrelationsaveclaRussie

Contrelafédéralisation,KievproposeunedécentralisationpousséeLe«dialoguenational» lancépar lepouvoir centraln’apasabouti, fauted’interlocuteurde l’Est

BratislavaEnvoyé spécial

L’Ukraine divise les Européens. Ladémonstrationen a été apportée,jeudi 15mai, lors de la conférenceGlobsec, à Bratislava. Les premiersministresdes quatrepaysmem-bresdu groupedeVisegrad (Slova-quie,Hongrie, RépubliqueTchè-que, Pologne) étaient assis côte àcôte face àune assistanceobnubi-léepar la nouvellepolitique agres-sive de la Russie dans sa périphé-rie.Derrière les politesses et les

appels à l’unité européenne, unevraiedivergence est apparueentre le PolonaisDonaldTusk etleHongroisViktorOrban.

Onattendait une explicationentre les deuxhommes; elle futpoliemais ferme.Quelques joursplus tôt, ViktorOrbanavait lancéunegrenadeaumilieudu concerteuropéen, en suggérantque les200000Hongrois vivant enUkrainepouvaientprétendre àune autonomie.DonaldTuskavait qualifié ces proposde «mal-venus et dérangeants».

A Bratislava,M.Orban s’estcontentéde réclamer le respectdesdroits desminorités. «LesHongrois vivant enUkraine défini-ront eux-mêmesquelles institu-tions démocratiques ils souhai-tent», a-t-il dit. SelonM.Orban, iln’y a pas de «garantie qu’il y auraungouvernementdémocratique»àKiev,malgré la présidentielle du25mai. Selon lui, «onn’apas seule-mentunproblème russe,mais unproblèmeukrainien».

«Politique agressive russe»DonaldTuskahaussé le tonen

réponse.«Leproblèmen’estpaslenationalismeukrainienmaislapolitiqueagressive russe, souli-gna-t-il. Je serais trèsprudent faceàdesdéclarationsqui, consciem-mentounon,alimentent la propa-ganderusse.» Ledirigeantpolo-nais amis engardecontre«l’hypo-crisie»quimenace les Européens.«Nous voyonsque la sourcede la

crise est lapolitiqueagressivede laRussiedans cette partie dumonde,pas seulement enUkrainemais enTransnistrie, enAbkhazie et enOssétiedu Sud; et pourtantonpré-fèreparlerdesproblèmesde l’Ukrai-ne, commesi elle était responsablede la crise, et pas la Russie.»

M.Tusk souhaiteuneprésence«beaucoupplus significative»del’OTANenEurope, et enparticu-lier dans les pays frontaliers,cibles potentiellesd’une ingéren-ce russe.M.Orban, lui, amis engarde contre «l’énorme couppor-té à la compétitivité européenne»si onabandonnait l’idéed’une coo-pérationavec la Russie. TandisqueM.Tusk évoquait des «achatsgroupés»de l’UE enmatière éner-gétique,M.Orbanaqualifiéd’«erreur historique» l’abandonduprojet de gazoducNabucco,soutenupar l’Union européenneetdont aurait profité l’Europecen-trale. Il a ainsi justifié l’engage-mentde laHongrie dans le projetrusse SouthStream.

M.Orbana expliquéque sonpaysnepouvait rester dépendantde la situationpolitiqueenUkrai-ne. Incapabledepayer ses factu-res àMoscouavant livraison, Kievrisquedeponctionner le gaz tran-sitantpar son territoire et destinéà des clients du centrede l’Europe.D’où lanécessité de trouver desvoies alternatives de livraison.Lesprincipes contre les intérêts :undébat ancien.p

Piotr Smolar

4 0123Samedi 17mai 2014

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Fondatrice : Antoinette Fouque

APPELPOUR SAUVER LES JEUNES FILLES NIGÉRIANESUn mois après l’enlèvement de près de 250 lycéennes dans leur école du nord-est du Nigéria par des

islamistes du groupeBokoHaram, aucune d’elles n’a encore été retrouvée et sauvée par les forces de sécurité !Elles seraient utilisées comme esclaves sexuelles et domestiques, vendues, violées, transportées dans

divers pays pour être prostituées! Chaque jour qui passe est pour elles un jour de terreur, de souffrance,de désespoir.Pour les sauver, les rendre à la liberté, pour défendre le droit des filles et des femmes à l’éducation, garant

de tous leurs autres droits et libertés, pour faire reculer la guerre contre les femmes dans lemonde, pour que lescriminels qui s’en prennent à leur vie sachent que lemonde ne les laissera pas passer, il faut redoubler d’efforts.

Avec lesmères et les familles des lycéennes, qui manifestent sans cesse depuis le 3mai, nous demandonsinstamment à la Communauté internationale, au Conseil de sécurité de l’ONU, au Conseil de l’Europe,à l’Union Européenne, de mobiliser, sans délai et sur la durée, TOUTES leurs forces et leurs moyenspolitiques, stratégiques, logistiques, pour :• libérer les jeunes filles et leur apporter aide, réparation et sécurité• poursuivre, arrêter et juger les auteurs de ces crimes contre l’humanité.Le temps presse !

PREmIER(E)S SIGNAtAIRES : Nicole Ameline ancienne Ministre, députée • michèle André ancienne Secrétaired’Etat, sénatrice • Sophie Bassouls photographe • Delphine Batho ancienne Ministre, députée • Karim Benmilouduniversitaire • Anne-Emmanuelle Berger universitaire • Julie Bertuccelli réalisatrice • Christophe Bourseillerécrivain • Chantal Chawaf écrivaine • Hélène Cixous écrivaine • Fanny Cottençon actrice • Edith Cresson anciennePremier Ministre • Rosiska Darcy de Oliveira Conseil National du Droit des femmes (Brésil) • Colette Deblé peintre •Francine Demichel professeure honoraire de Droit • Roger Dadoun psychanalyste • Lydie Err la Médiateure duLuxembourg • Claude du Granrut ancienne membre du Comité des Régions de l’U.E. • Hélène de Gunzbourg sage-femme •Lidia Falcón avocate (Espagne) •René Fouque A.F.D. • Irène Frain écrivaine •marcel Gauchet philosophe • Sylvie Germainécrivaine • Valentine Goby écrivaine • Jean-Joseph Goux philosophe • François Guéry philosophe • Catherine Guyot A.F.D. •mireille C. Gruber universitaire • Eberhard Gruber philosophe • Claudine Hermann universitaire •Isabelle Huppert actrice • michèle Idels A.F.D. • Dominique Isserman photographe • Stéphanie Janicot écrivaine •Georges Kiejman ancien Ministre, avocat • Blandine Kriegel philosophe • Nicole Le Douarin scientifique • Lio chanteuse •Catherine Lopes Curval peintre • Julie Lopes Curval réalisatrice • Anamaria machado Présidente de l’Académie brésiliennedes lettres • Fadila mehal présidente des «Mariannes de la diversité» • macha méril actrice • Jacqueline merville écrivaine• mengue m’Eyaà présidente du Mouvement Civique des Femmes (Gabon) • Kate millet écrivaine, critique féministe (USA) •Fadela m’Rabet écrivaine • taslima Nasreen écrivaine • Elisabeth Nicoli A.F.D. • Pierre Nora historien • Emmanuel Pierratavocat •Anne-marie Planeix philosophe •michèle Ramond écrivaine • Patricia Rodríguez écrivain, psychanalyste (Mexique) •Elisabeth Roudinesco historienne de la psychanalyse • Jocelyne Sauvard écrivain • Fabienne Servan Schreiber productrice •Victoria thérame écrivaine • Alain touraine sociologue • Christine Villeneuve A.F.D. • CatherineWeinzaepflen écrivaine •Laurence Zordan philosophe, écrivaine...envoyez vos signatures à : [email protected]

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Alliance des Femmes pour la Démocratie

I l y a encore six mois, l’opéra-tionsemblaitacrobatique, si cen’est impossible. Pourtant le

Portugal a réussi. Samedi 17mai, lepays dira adieu à la «troïka» : laCommission de Bruxelles, la Ban-que centrale européenne (BCE) etle Fonds monétaire international(FMI). Ses bailleurs de fonds et sestuteurs – ses « tortionnaires»disent certains – depuis l’aide de78milliards d’euros accordée il y atroisans jourpour jour. L’humilia-tion est lavée. Le pays sort du pro-gramme démarré en mai2011 latête haute, sans aide additionnel-le,commel’Irlandeavant lui.ALis-bonne, on appelle ça une «saidalimpa»,une sortie propre.

«C’est inattendu», commenteFausto de Quadros, professeur dedroit à l’université de Lisbonne etvisiteur du soirdu gouvernementde Pedro Passos Coelho (PSD, cen-tre droit) sur les questions euro-péennes. Beaucoup, comme lui,auraient jugé bon d’obtenir unepetite rallonge, estimant la situa-tion financière encore trop délica-tepourlaisserlepayssehasarderàaffronter seul lesmarchés.

En dépit des efforts accomplis,la dette publique reste étouffanteà près de 130% du produit inté-rieurbrut(PIB)et lacroissance,bal-butiante. En atteste la rechute de0,7% du PIB au premier trimestre.« Il aurait été plus prudent deconserver un soutien extérieur.Mais en cette période d’électionseuropéennes, il était sans doutecompliqué de réclamer une lignede crédit à l’Allemagne», analyseM.deQuadros.

L’environnement a changé.L’angoisse entourant la viabilitéde la zone euro s’est apaisée, cal-mant les attaquesspéculativessurles dettes souverainesdes pays lesplus faibles. Les taux d’intérêt

réclamés par les investisseurspour lesempruntsàdixansdeLis-bonnemontés de plus de 15% lorsdesgrandesfièvresde2012, avoisi-nentdésormais 3,6%.

Et en cas denouvel émoi sur lesmarchés, «nous avons un cous-sin», rassure le ministre déléguéau développement régional,

Miguel Poiares Maduro.Le Trésorportugais s’est, au cours des der-niers mois, constitué un matelasde trésorerie dans lequel il pour-raitpiocherpour financersesdéfi-cits en cas depanique financière.

Le Portugal est donc à l’abri. Enthéorie. Mais s’il dit au revoir à latroïka,ilneditpasadieuàl’austéri-

té. Les efforts devront se poursui-vre en 2015 a prévenu M.PassosCoelho. Le chef du gouvernementnefanfaronnepas.Personneneluisait vraiment gré du départ des«hommes en noir» dont il a sem-blé appliquer la politique derigueur avec alacrité, allant sou-vent au-delà de leurs exigences.

«Le lendemain du 17mai, on neseréveillerapasdansunmondedif-férent.Cen’estpasparcequelatroï-ka s’envaque les chosesvont chan-ger», estime JoaoLoureiro,profes-seur de macro-économie à l’uni-versité de Porto. Les Portugais,uséspar les sacrificesethantésparle déclassement, sont à bout. Prèsde deuxmillions d’entre eux, soit18,7%de lapopulation, sonten ris-que de pauvreté. Un Portugais surcinq vit avec moins de 409 eurosparmois,aindiquél’institutnatio-

nal de la statistique le 24mars.«On sort par le haut,mais blessé»,reconnaîtM.Maduro.

L’imagede l’Europe,hierchérie,en ressort abîmée. Au premier tri-mestre, seuls 27% des Portugaisavaient une vision positive del’Union, contre 34% pour lamoyenne des Vingt-Huit, et 36%la percevaient de façon négative(26% en moyenne dans l’UE),selon l’eurobaromètre publié le15mai par la Commission.

«Pendant longtemps, onaasso-cié l’Europe à la démocratie et à laprospérité», explique le ministredélégué au développement régio-nal. La fin de la dictature, qui avaitencalminé le pays dans une sortede sous-développement, obli-geant des dizaines de milliers dePortugais à émigrer, a coïncidéavec le projet européen, la

constructiond’unEtatprovidenceet le développementéconomique.

En 1987, un an après l’adhésionà l’UE, la croissance bondit à plusde 7%. «Dès 1989, l’euphorie s’em-pare du pays. Les fonds structurelsaffluent de Bruxelles (…), c’est pourle Portugal l’équivalentde ce que leplanMarshall a été pour la Franceet l’Allemagne après la secondeguerre mondiale », écrit AnaNavarro Pedro, journaliste portu-gaisedansunnumérospécialde larevueHistoire, intitulé «Portugal,l’empireoublié» (avril-juin).

Aujourd’hui, l’Europe est syno-nyme de rigueur et, comme jadis

leurs aînés, les jeunes s’exilentvers l’Allemagne, le Mozambiqueou l’Angola pour trouver desemplois.

Désenchanté, le pays n’est tou-tefois pas écœuré de l’Europe. Al’approche des élections pour leParlement européen, l’extrêmedroiteest inexistante– le souvenirde la dictature a vacciné les Portu-gais – et aucun Beppe Grillo à laportugaisenepercedanslessonda-ges. « Il n’y a pas au Portugal uneuroscepticisme, mais plutôt uneurofatalisme», observe RuiMoreira,maire de Porto, indépen-dant.

Le Portugal a tendance à se blâ-merlui-mêmepourleserreurspas-sées. On évoque ces crédits pascherdontauraientabusélesména-ges ou et le manque de diligencedes élites politiques de toutbord.En vingt-huit ans, le pays n’ajamais respecté la règle d’un défi-cit à moins de 3%. Y compris lors-que José Manuel Barroso, actuelprésident de la Commission, étaitchef du gouvernement (de 2002 à2004). «Il y a un discours ambiantde culpabilité. Mais le citoyen n’apas commis d’erreur. Son erreur aété de croire nos hommes politi-ques», s’agace M.Moreira, quiredouteune abstention record.p

ClaireGatinois

Lepaysestàl’abri.Enthéorie.Maiss’ilditaurevoiràla«troïka»,ilneditpasadieuàl’austérité.Lesefforts

sepoursuivent

LePortugalsortdupland’aide«eurofataliste»Le17mai, lepaysenaofficiellementfiniavec les tutellesde laCommission,de laBCEetduFMI

FrançoisHollanden’apassus’incarneren«sauveur»del’EuropeduSud

Manifestation contre le plan d’austérité du gouvernement et la «troïka», à Lisbonne, enoctobre 2013. PATRICIA DEMELOMOREIRA/AFP

«KISSAUSTERITYGOODBYE».C’est ainsi que lemagazineTimedu21mai 2012 saluait, depuis lesEtats-Unis, l’électiondeFrançoisHollandeà laprésidencede laRépublique.Unéchoà la campa-gneduprésident«normal»pro-mettantdemenerunaxededéfen-sede l’EuropeduSudreliantParisàRomeenpassantparAthènes,LisbonneetMadrid.C’enétait finide lapolitiquede rigueur.

L’axe franco-italiendevait êtrelemoteurde cette Europe rebelle,maisunété aura suffi pourqueFrançoisHollandedissipe son cré-dit au-delàdesAlpes. Saluéepar ladroite italienne (qui reprochait àNicolas Sarkozyd’avoir«humilié»

SilvioBerlusconi) et par la gauche,applaudieparMarioMonti, alorsprésidentdu conseil, sa victoirefaisait dunouveauprésident fran-çais lemédiateur idéal entre l’aus-térité vouluepar la chancelièreAngelaMerkel et la croissanceprô-néepar l’EuropeduSud.

FrançoisHollande etMarioMontipartagent l’idée que, «sanscroissance, la disciplinebudgétai-re est insoutenable» et plaident,contreBerlin, pour les euro-obliga-tions, des emprunts quimutuali-seraient les risques et protége-raient les pays fragiles des atta-ques spéculatives. Elles ne voientpas le jour. Francophile, EnricoLet-ta, le nouveauprésidentduconseil nomméenavril2013,comptebien trouver en FrançoisHollandeun allié pourplaider, àBruxelles, la causede l’Italie endet-tée.Mais celui-ci est trop affaiblipour être d’ungrand secours.

«Révérence nuisible»Enmars,M.Letta cède saplace à

MatteoRenzi, qui comprend rapi-dementque la Francenepeutconstituerunsolide soutienpourassouplir la rigueur. Il veutd’abordapporter lapreuvequel’Italiepeut s’en sortir seule. LanominationdeManuelVallsmodi-fie légèrement ladonne. L’unetl’autre saventqu’ils doivent fairevitepour réformeret attraper letrainde la croissance.Maisdanscettenouvellepartie, c’est l’Italiequi fait figurede chefde file. Le«leadership»n’estplus àParis…

Lemêmescénarios’estproduitenEspagne. L’électionprésidentiel-le françaisey avait été suiviedetrèsprès. Pour lapresse, le paysavaitbeaucoupàgagneravecl’électiondeM.Hollande.D’autantqueNicolasSarkozy, quine cessaitdebrandir l’Espagneencrise com-

me l’exempledu fiascodespoliti-ques socialistes, s’était attiré lacolèredesdirigeantsdegauchecommededroite.Mais si sonélec-tionaétévécueavec soulagement,ladéceptionn’enaétéqueplusgrande.Et les critiques sur leman-quede fermetéde laFrance faceàl’Allemagneont commencéàpleu-voirdès lespremières semaines.

AAthènes, le chef de la droite,Antonis Samaras, préférait aussile discours sur la croissancedusocialiste aux rigueurs du«Merkozy». Le présidentdeNou-velleDémocratie faisait campa-gneen 2012 sur une réformedumémorandumqui imposait l’aus-térité à laGrèce. Arrivé aupouvoiren juin2012, il a vite compris quec’était à la chancelière allemandequ’il devait faire allégeance, souspeinede sortie de laGrècede lazone euro.Depuis,MmeMerkel etM.Samaras coécrivent, loin deFrançoisHollande, l’histoire idylli-qued’uneGrèce qui repart, afindemontrer que l’austéritépaie.

Seul le Portugal semble indul-gent envers le président français.«FrançoisHollande est toujoursun espoir», veut croire EuricoDias, porte-paroleduParti socialis-te,même s’il jugequ’«Hollanden’est pas assez rapide».

MarioMonti a résuméd’unephrase la situation lors d’un collo-quede l’Institut Berggruensur lagouvernance, àMadrid, enfévrier: «La Francemeurt d’envied’êtreunpeuplus comme l’Allema-gne. Paris fait preuve de timiditéet d’une révérencenuisible. Il fautque la France redevienne la Fran-ce. Il faut qu’ellemènedes réfor-mes structurelles qui lui donnentplus de légitimité. Il faut une Fran-ce plus confiante en elle-même,qui dialogueavec l’Allemagne.» p

denos correspondants

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50123Samedi 17mai 2014

Page 6: 17 mai Le Monde.pdf

A l’est, dunouveau 5/6Voyagele longdelafrontièreorientaledel’Unioneuropéenne

EnPologne, lesfrontièresinertesdes«terresdesang»dePolésie

Reportage

Wlodawa (Pologne)Envoyé spécial

A destination de son visiteurfrançais, Tadeusz Sawicki aune plaisanterie liminaire

qui résonne comme une provoca-tion: «Ici, c’est le début de l’Unioneuropéenne, dit-il. Le soleil se lèved’abordsurnousavantd’allervouséclairer.» Le responsable commu-naldeWlodawasait bienqu’en cesconfins orientaux de la Polognel’idée même d’Europe a failli secoucher à jamais. Les 10000habi-tantsjuifsquicomposaientl’essen-tieldesapopulationfurentassassi-nés jusqu’au dernier dans le campd’exterminationétabli par les SS àquelques kilomètres de là, dans laforêt sablonneusede Sobibor.

OnestenPolésie,régionconstel-léedemaraisquis’étendentsur lesterritoires polonais et surtout bié-lorusses et ukrainiens. Ce fut lethéâtrede tous les typesde tueriesde masse commises par Hitler, etaussi Staline; comme un épicen-tre de ces « terres de sang» aux-quelleslelivredel’historienaméri-cain Timothy Snyder a rendu leurunité géographique (Terres desang, L’Europe entreHitler et Stali-ne,Gallimard, 2012).

Il n’a pas non plus échappé àl’élu septuagénaire que la fin de laseconde guerre mondiale avaitfigé les trois frontières de son can-tonenculs-de-sac. Ici, lespontsquienjambaient le coursboueuxde larivière Bug – qui fixa le tracé de laligne Molotov-Ribbentrop en1939– n’ont jamais été recons-truits. Pour passer en Biélorussie,pourtant à 200m de distance, ilfaut remonter 30kmaunord.

PourpénétrerenUkraine, àpei-neplus lointaine, il fautdescendrebien plus au sud. Ainsi, le jeuneJacek Wawryszuk, cofondateur deTélé-Wlodawa, a-t-il pu faire letour de l’UE, pour ses démonstra-tions de breakdance, alors qu’iln’est jamais allé en Ukraine voisi-ne et une fois seulement en Biélo-russie. «Et sans doute deux autresofficieusement, ajoute-t-il, parceque j’avais laissé dériver monkayakdumauvais côté du Bug.»

Il y a bien eu d’innombrablesprojetsdenouveauxpointsdepas-sage. «Mais ils ont tous vieilli avecmoi, sans voir le jour », soupireTadeuszSawicki. L’arméepolonai-se déploie seulementdurantquel-

ques jours, au mois d’août, unpont enmétal qui permet d’éphé-mères échanges avec l’Ukraine.

Laviolencedupasséetl’immobi-litéduprésentn’empêchent toute-fois pas l’élu d’imaginer un avenirpoursarégion.Luirêvedetransfor-mer les lacs de la Polésie transfron-talière en une gigantesque base deloisirs.Déjà,prèsdeWlodawa, le lacBlanc, encercléde complexeshôte-liers, reçoit des baigneurs de toutelarégion.Etlalégended’uncrocodi-le aperçu dans les marais, et décli-née soustoutes les formes de pro-duit dérivé, tente de se substituerauxhorreurs, bien réelles, de l’His-toire.Maisceseffortsdemeurerontinsuffisantspour tirer le cantondeson marasme, tant que ce débutd’Europerestera sans issue.

Plus au sud de ces frontièresinertes, en revanche, l’histoireimmédiate crée une agitation iné-dite au premier point de passageavec l’Ukraine.Aupostedecontrô-le de Dorohusk se livre, ces der-niersmois,unepartie acharnéedece sport national des pays de l’esteuropéen: le trafic de cigarettes.Face aux attaques des Biélorusseset des Russes de l’enclave de Kali-ningrad, la Pologne, au sein del’équipe de l’UE, est habituée à

jouer en défense. Mais en cemoment, ce sont les Ukrainiensquimènent les offensives les pluspercutantes,àcausedelacriseéco-nomique qui sévit chez euxdepuis les événementsdeMaïdan.

AupostedeDorohusk,lesdoua-niers commencent justement àinspecter une Renault louche.«Les voitures françaises sont lesmeilleures pour la contrebande»,assurent-ils. De fait, les coups surla carrosserie ne rendent pas unsonnormalet lesdeux«fourmis»,des contrebandiers âgés d’unetrentaine d’années, se résignentvite à révéler elles-mêmes lescaches, en jetant des regards noirsaux journalistes qui assistent à lascène.Des cartouchesdeKiev sontextraites du réservoir à essence,despaquetsdeZebra apparaissent

derrière le tableau de bord. Ilsiront rejoindre le million et demidecigarettesamasséesauposteenquelques jours et qui attendentleurdestruction.

Cette vigueur du trafic accom-pagne, à Dorohusk, un net essordes passages d’Ukraine en Polo-gne, de l’ordre de 30% depuis ledébut de la crise. Les provinces del’ouest ukrainien, qui furent long-temps polonaises, sont aussi lespluspauvreset lesplusexposéesàla récession qui s’amorce. Leurspopulations, qui bénéficient d’unaccordsur les«petitsmouvementsfrontaliers» épargnant la dépensed’un visa, ne se rendent plus enPologne qu’avec une seule obses-sion : « Ils foncent acheter de lanourritureàmeilleurprix que chezeux, dans les magasins de Chelmou de Lublin. Et, comme ils n’ontplus rien d’autre à dépenser, ils nes’arrêtent plus ici», explique Wla-dyslaw Kowalski, propriétaired’un grand magasin de pneusdans le village de Brzezno, au bordde la route principale qui vient dela frontière.

«La baisse du chiffre d’affairesdevient inquiétante», constate lecommerçant avec le fatalismed’unhabituéauxrevirementssou-dainsdescirconstances,danscetteplaine aux frontières mouvantes,aux souverainetés changeantes.«C’est quelque chose qui est dur àcomprendre pour vous, à l’ouest,ajoute le sexagénaire, d’origineukrainienne,mais ma vie person-nelle, comme celle de tous les gensd’ici, a été entièrement décidée parl’Histoire.»

Quandlegrand-pèredeWladys-law Kowalski s’est installé àBrzezno, avant guerre, le villageétait majoritairement peuplé de

familles ukrainiennes, de religionorthodoxe, de cinq familles polo-naises catholiques et d’autant defamilles juives. En 1974, quand lesKowalski sont revenus, après tren-te ans d’installation forcée dans lenord de la Pologne, à la suite desdéportations de l’opérationVistu-le, la compositionduvillages’étaitinversée : «une grande majoritédecatholiques,cinqfoyersorthodo-xes»etplusaucunjuif.Lecommer-çant a ouvert son magasin depneus, qui a prospéré avec l’essordes passages transfrontaliers. Cet-te aisance lui a permis de réaliserson rêve : reconstruire à ses fraisune église orthodoxe qui puisseremplacercellequiavaitétédétrui-te par l’arméepolonaise en 1939.

WladyslawKowalski la fait visi-ter avec fierté, au milieu d’unchamp en bordure du village. «En1946, quand ils nous ont déportés,les Polonais disaient que nous nereviendrions jamais. Etmoi, j’ai pudire à mes parents : nous sommesde retour, et j’ai fait reconstruirel’église.» Pour autant, l’homme,marié à une catholique, se déclareétranger à tout radicalisme natio-naliste. Sa vision des événementsenUkraine se teinte depragmatis-me.«Tousmesamisde l’autre côtéde la frontièreme disent qu’ils pré-fèrent voir leurs fils en prison plu-tôt que morts pour avoir défendul’est du pays, explique-t-il.On s’enfiche de ces régions russophones,elles n’ont plus de valeur, leursminessontruinées.»Pourlui, lacri-se devrait être encore longue :«Encoreunan et demi de tensions,et cinq ans pour s’en remettre éco-nomiquement», pronostique-t-il,enexpertdesbusinessplansetdessoubresautsde l’histoire.p

JérômeFénoglio

RUSSIE

RUSSIE

F INLANDE

POLOGNE

LITUANIE

BULGARIE

ESTONIE

Varsovie

Kaliningrad

LublinChelm

Dorohusk

100 km

POLOGNE

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UKRAINE

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RUSSIE

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Les10000habitantsjuifsdeWlodawafurentassassinés

àquelqueskilomètresdelà,danslaforêt

deSobibor

Découverte de cigarettesde contrebande àDorohusk,à la frontière avec l’Ukraine.

OLGA KRAVETS/SALTIMAGES.RU

POUR «LE MONDE»

Portrait

RomeCorrespondant

C ’est encore lui qui se définitlemieux:«Je suisun facilita-teur » entre l’Italie et la

France, dit-il. Voilà trois décenniesque Sandro Gozi, 46ans, passe etrepasse les Alpes dans les deuxsens. «J’ai commencé à 17ans et jecontinue», explique le secrétaired’Etatchargédesaffaireseuropéen-nes auprès duprésident du conseilitalien,MatteoRenzi.

Manuel Valls veut-il rencontrerMatteo Renzi et Romano Prodi?C’est Sandro Gozi qui s’en charge.Deux jours plus tard, Yves Jégo,François Bayrou, Marielle de Sar-nez (avec laquelle il a publiéunlivre d’entretiens croisés, L’Ur-gence européenne – éditions Tha-dée,132pages,10euros)sontdepas-sage à Rome: c’est SandroGozi quiles reçoit. En 2013, l’ancienpremierministre italien Enrico Letta tientuneconférenceàSciencesPoParis:c’estencoreSandroGozi,ancienélè-veet ancienmaîtredeconférences,quiorganise.

Parfaitement bilingue, aussiàl’aisedans le jeupolitiqueromainque dans celui qui se pratiqueàParis, il a l’amitié transversale.Lorsque, cet hiver, l’ambassadeurde France à Rome lui a remis laLégion d’honneur, on comptaitdans l’assistance un banquierancien ministre de l’économie deMarioMonti (Corrado Passera), unancienprésidentduconseildecen-tre gauche (Romano Prodi) et untrublion aux cheveux blancs réu-nis en catogan, héros de toutes lesbatailles sociétales de la Péninsule(MarcoPannella).

«Tout a commencé à 17 ans. Jevenais d’un petit village d’Emilie-Romagne, lorsque j’ai faitmonpre-mier voyage à Paris», se souvientSandroGozi.Ilnecesserad’yretour-ner,«attirépar le théâtre [ilaétéunspectateur assidu de LaCantatricechauve, de Ionesco,auThéâtredelaHuchette]et lapolitique.Comparésà ceux de Rome, les débats françaismeparaissaientbeaucoupplusinté-

ressants. On y parlait plus de politi-que étrangère, d’Europe, de multi-culturalisme.» Aforce d’allers etretours, de thèses sur les finance-mentsdescollectivitéslocalesetlesrelationsinternationales,departetd’autredesAlpes, ildevientunspé-cialiste de la France et de l’Italie,deux pays qui croient tellementbien se connaître qu’ils se dispen-sentd’explications réciproques.

«Un nouveau cycle»Embarqué à Bruxelles comme

chef de cabinet de RomanoProdi àlaCommissioneuropéenne,ilcom-prend,dit-il,que«l’Europeestnotredestin commun et que, malgré, lesratés de l’élargissement, il n’y en apas d’autre». Trop centriste pourles dirigeants historiques du Partidémocrate, trop libéral pour lesmilieux catholiques, il est long-tempstenuenlisièredesresponsa-bilités. Député de l’Ombrie, vice-président du think tank Europa-Nova, il lui faudraattendre les élec-tionsde2013et l’irruptionduMou-vement 5étoiles, fondamentale-ment eurosceptique, voire anti-euro, pour qu’Enrico Letta d’abord,puis Matteo Renzi, en fassent leurambassadeur. Son rôle : rassurerchancellerieset capitales sur l’atta-chement de la Péninsule à laconstructioneuropéenne.

Il est désormais chargé, au côtédeMatteo Renzi, de la préparationdu semestre de présidence italien-nedel’UE,àpartirdu1er juillet.«Cet-te fois, jure-t-il, c’est la bonne. On asouventannoncé le retourde l’Italieau premier plan sans que cela soitsuivi d’effet. Mais Renzi a plusd’atouts que ces prédécesseurs degauchepourréussir. Ilprenddes ris-ques, met en jeu son avenir politi-que et contrôle le parti. Nous vou-lons faire démarrer un nouveaucycle, tourné vers l’économie réelleet la création d’emplois. L’Europeest en attente de bonnes nouvellesde notre part.»Un optimisme quenetempèrepascetterépliquedeLaCantatrice chauve : «L’expériencenous apprend que, lorsqu’onentend sonner à la porte, c’est qu’iln’ya jamaispersonne.»p

PhilippeRidet

SandroGozi,«lefacilitateur»entrel’Italieet laFranceLesecrétaired’Etatà l’Europe italienveutorchestrer le retourdesonpaysaupremierplan

6 0123Samedi 17mai 2014

Page 7: 17 mai Le Monde.pdf

R A L P H L A U R E N . C O M / R I C K Y

P A R I S S T - B A R T H É L É M Y C A N N E S

Page 8: 17 mai Le Monde.pdf

Athènes,Correspondance

L es Grecs ont l’embarras duchoix. Dimanche 18mai, ilsvoteront pour le premier

tourd’unscrutinvisantàdésignerles maires des 325 communes etleschefsdes13périphéries(équiva-lents des départements français).Au total, plus de 70000citoyensse sont portés candidats à traversle pays. Près de deux fois plusqu’en 2010. Cette démultiplica-tion s’explique, en partie, par l’ex-plosiondescandidaturesindépen-dantes, loindesdeuxgrandspartisquiont longtempsrégilaviepoliti-quegrecque, lepartisocialistegrec(Pasok) et le parti conservateur delaNouvelle démocratie (ND).

«Personne ne veut être identifiéàunsystèmepolitiqueclassiquelar-gement désavoué», explique lepolitologue Georges Séfertzis. Lesmaires des deux plus grandes vil-lesgrecques–AthènesetThessalo-nique – illustrent cette tendance.

Issustousdeuxdelasociétécivi-le, ils ont été élus en 2010 avec lesoutien du Pasok de GeorgesPapandréou, mais ont toujoursrefusé d’entrer dans le parti etrevendiquent leur indépendance.«Les gens sont fatigués des candi-datures partisanes qui n’ont rienapporté à cette ville pendant desannées», souligne Yiannis Bouta-ris, le très charismatiquemaire deThessalonique, un ancien vigne-ron,connupouravoirapportéauxvins de son domaine une recon-naissance internationale.

Sans complexe, il a toujoursaffirmé administrer sa ville sanssepréoccuperdesaclientèleélecto-ralemais dans un souci de perfor-mance. «La mairie était dans unétat financier déplorable lorsquenous avons pris la main, racon-te-t-il.Nousavonsréussiàlaremet-tresurpied.»Onditpourtantlavil-le au bord de la banqueroute…«Manque de transferts de fonds del’Etat», répond lemaire. Et d’ajou-ter « Thessalonique a tout demême été choisie par la task force[mission d’experts européenspouraccompagnerlepaysdansles

réformes]commel’unedescinqvil-les pilotes de la réforme de l’admi-nistrationmunicipale, ce qui pourmoi prouve le bien-fondéde ce quenous entreprenons.»

M.Boutaris, est largement entête dans les sondages avec 37%des intentions de vote au premiertour. Sonprincipal rival, le conser-vateurStavrosKalafatisarriveloinderrière avec 21,2% des voix (son-dageGPOdu6mai).

A Athènes, le favori et sortant,Georges Kaminis, est plus discret.Ancien professeur de droit à l’uni-versité, il fut le médiateur de laRépublique avant de se lancer àl’assautdubastionde ladroitequereprésentait la ville jusqu’en2010.

Ces deux candidats «ont uneréputation d’hommes propres quiparticipe grandement à leur popu-larité. Ilssontdevenuslesymboledecequiestdésormaisattenduduper-sonnelpolitique: éthiqueet compé-tence, souligne le politologue,M.Séfertzis. Ils ont tous deux réussià mettre de l’ordre dans la gestionde leursmairies en rationalisant lesservices et en semontrant très sou-

cieuxde l’argentpublic.»Les deux hommes se sont par

ailleursrapprochésdansleurcom-batsansambiguïtéaupartinéona-ziAubeDorée.M.Kaminisadécidéàplusieursreprisesd’interdiredesmanifestations non déclaréesd’Aube Dorée sur les places publi-ques d’Athènes. L’un de ses adver-saires dans cette campagne estd’ailleurs la star montante de ceparti, IliasKassidiaris.

Pour l’heure, M.Kaminis le dis-cret, est en tête dans les sondagesavec 20,8% des intentions de voteau premier tour, devant le conser-vateur Aris Spiliotopoulos (15%) etle candidat de la gauche radicaleSyriza Gabriel Sakellaridis (14,1%).Mais Kassidiaris est en quatrièmeposition à 12,5%. Et ce, malgré l’of-fensive judiciaire dont lui et sonparti font l’objet depuis plusieursmois.

«Bienplusqu’aveclesmunicipa-les la reconfigurationde la viepoli-tique grecque se mesurera lors deseuropéennes du 25mai», penseGeorgesTzogopoulos, chercheuràlaFondationgrecquepourlespoli-tiques européennes et internatio-nales.Onsauraalorsqui,de lagau-che radicale, de l’extrême droiteou des tout nouveaux partis decentre gauche, aura profité duvide laissé par le Pasok, accuséd’avoirmené le pays à la ruine. p

AdéaGuillot

Master 2Managementdu tourismehttp://bit.ly/m2tourisme

FORMATION CONTINUE

BruxellesBureau européen

I ls n’avaient qu’une minutepour répondre à chaque ques-tion. Pourtant, les cinq candi-

dats européens à la succession deJoséManuelBarroso à la présiden-ce de la Commission sont parve-nus à donnerun ton et unvisage àune campagne quimenaçait de sefinirsansavoirvraimentcommen-cé, jeudi 15mai.

Dans le décor bleu nuit dugrandhémicyclebruxelloisduPar-lement transformé en studio detélévision, le LuxembourgeoisJean-ClaudeJuncker(Partipopulai-re européen, PPE), l’AllemandMartin Schulz (socialiste), le BelgeGuyVerhofstadt(libéral-démocra-te), l’Allemande Ska Keller (Verts)et le Grec Alexis Tsipras (gaucheradicale) ont aussi profité de leuruniquedébat retransmis en directpar une trentaine de chaînes detélévision pour tenter d’imposeraux chefs d’Etat et de gouverne-ment de choisir le successeur deM.Barrosoparmi eux.

«Le prochain président de laCommission est devant vous», aironisé Martin Schulz à la fin deséchanges, comme pour découra-ger la chancelière Angela Merkel,DavidCameronetFrançoisHollan-dede jeter leurdévolusuruneper-sonnalité absente du plateau,après les électionsdu 25mai.

Pour cette grande premièrecontinentale, lesquestionsétaientposées en anglais par une journa-listede laRai italienne. Libreà cha-cunde répondredans la languedeson choix. Assez pour identifiercertaines lignes de fracture au fild’une discussion plutôt animée,sans être agressive.

«LaGrèce est lepaysque les diri-geants européens ont choisi com-me cobaye de l’austérité la plusdure», a lancé Alexis Tsipras danssa langue natale, pour mieuxdénoncer les «politiques catastro-phiques d’austérité»menée par la« catastroïka» des bailleurs defonds, avec l’aval des gouverne-ments. « J’accepte beaucoup dereproches mais je n’accepteraijamais [qu’ondise]quenousavonsété insuffisammentsolidairesde laGrèce», a répliqué Jean-ClaudeJunckerenfrançais.L’ancienprési-dentdel’eurogrouperefusedepor-ter le chapeau: «J’ai travaillé pen-dant des années, jour et nuit, pouréviter que la Grèce quitte la zoneeuro.» Il proposemêmedemettreenplaceunsalaireminimumeuro-

péen, calculé selon le pouvoird’achatde chaquepays.

Pour M. Juncker, l’assainisse-ment budgétaire doit se poursui-vre à un rythme «raisonnable».MartinSchulzamisl’accentsur«laluttecontrel’évasionfiscale». Fauted’argent,GuyVerhofstadtproposeplutôt de faire un nouveau bonddans l’intégration des marchésnumériques, énergétiques et desservices pour soutenir la croissan-ce.CommeM.SchulzetM.Juncker,le libéralbelgeappelledesesvœuxlamiseenplacedel’accorddelibre-échange avec les Etats-Unis quidéplaît tant à Alexis Tsipras et àl’écologiste Ska Keller : «La Com-missionnégocie derrière des portesclosesalorsquelesEuropéensmani-festentcontre le traité», dit la jeunefemme, trèsà l’aise enanglais.

«Pas d’automatisme»L’extrême droite et les populis-

tes eurosceptiques avaient déclinél’invitation, faute de chef de fileeuropéen. Les candidats présents,eux, ont vu dans cette campagneuneoccasionde comblerunpeu lefossé qui s’est creusé entre lescitoyens et les institutions euro-péennes.Acondition,ont-ilsmarte-léà l’unisson,quechefsd’Etatetdegouvernementjouent le jeu, cequiest loind’êtreacquis.«Letraitépré-voitqueleConseileuropéendoitres-pecter le résultat des élections auParlement européen. Sinon, ceserait un déni de démocratie», afait valoir Jean-Claude Juncker,dont le parti, le PPE, gardeune trèslégèreavancedans les sondages.

Guy Verhofstadt se voit en fai-seurde roi pour renforcer lamajo-rité pro-européenne dont aurabesoin le prochain président de laCommission: «Ce ne serait pasacceptable»devoir les chefsd’Etataller contre le choix des électeurs,a souligné le candidat deslibéraux/démocrates.

L’écologiste Ska Keller a joué àfond le jeu de ses concurrents: «Siles Etats membres avaient le culotde prendre quelqu’un d’autre, il yaurait un problème», juge-t-elle.«S’ils osaient désigner quelqu’und’autre, lui ou elle n’obtiendraitpas unemajorité au sein du Parle-ment européen », a prévenuMartinSchulz.«Il n’y apasd’auto-matisme», a reconnu l’Allemandenreprenantune formuled’Ange-laMerkelàproposdecettedésigna-tion, mais «pas d’automatismenonpluspourqueMerkelsoitchan-celièreà vie». p

PhilippeRicard

LilleEnvoyé spécial

B ien sûr, Martine Aubry etManuelValls ont parlé d’Eu-rope.Biensûr, lamairePSde

Lille et le premierministre, qui sesont retrouvés, jeudi 15mai, dansla ville nordiste pour un meetingde la campagne des européennes,ont l’un et l’autre fustigé l’Europelibéraleetplaidépourunenouvel-le «Europe du progrès». Bien sûr,leur numéro de duettistes étaitsavamment huilé, arrivant côte àcôte et sous les applaudissementsdans lePalaisdessportsSaint-Sau-veur de Lille et chacun donnant àla tribune du «chère Martine» etdu «cherManuel» à l’envi…

Mais, derrière le trompe-l’œileuropéen, ces deux figures oppo-sées du Parti socialiste se sontlivrées à une joute verbale àmotscouverts sur la situation politiquefrançaise. Il y a encore peu detemps, les relations entre M.VallsetMmeAubry étaient exécrables.

A l’été 2009, la seconde, quiétait alors la première secrétairedu PS, avait demandé au premierde «quitter» le parti après l’avoirpubliquement critiqué et jugé«dépassé». Après l’élection deFrançois Hollande, tous deuxs’étaient ensuite retrouvés sur laliste des favoris pour accéder àMatignon: derrière leurs nomss’opposaient deux lignes, l’uneintransigeante et sociale-libéralepourM.Valls, l’autre plus ouverteet socialiste pourMmeAubry.

Ce débat partisan et idéologi-que serait désormais clos après lanomination Rue de Varenne del’ancienministre de l’intérieur. Etles relations du couple terriblesont, promis juré, apaisées. « Jen’ai pas de problème avecMartinedepuis les primaires et la présiden-tielle», expliquait jeudi M.Vallsdans le train qui lemenait dans leNord, se félicitant de son « sou-tien» et de sa «loyauté». Lamairede Lille, qui a déjeuné mardi aveclepremierministre, loueàprésentson «courage» pour «redresser laFrance». Tout va donc pour lemieux dans le meilleur des mon-des socialistes.

Sauf que cette explication relè-vepourbeaucoupde la fable. Jeudisoir,profitanttouslesdeuxdeleurdiscours sur la campagne euro-péenne, l’actuel chefdugouverne-mentet l’anciennepatronneduPSse sont, au contraire, envoyé desmessages à caractère national.«Bien sûr il faut réduire les déficits,

cen’estpasmoiquidirai le contrai-re, onpeut gérer avec rigueurmaissans aller vers l’austérité, car l’aus-térité casse la croissance, elleaccroît le chômage», a déclaréMmeAubryà la tribune. LamairedeLille parlait-elle uniquement del’Europe de la Commission euro-péenneouselivrait-elleàunecriti-quedupactederesponsabilitémisen œuvre par M. Hollande et

M.Valls ? Les deux, reconnaît enprivé son entourage.

Quelques minutes plus tard, lepremier ministre semble luirépondre quand il expliquequ’«on ne fait pas de l’austéritéquand on définit des priorités,qu’on consolide notre pacte répu-blicain». Devant une salle large-ment acquise à Martine Aubry,Manuel Valls prend même la pei-nederappelersa«fierté»d’êtreun«premier ministre socialiste», encharge d’une «majorité de gau-che». Il n’y a pas vraiment de rap-port avec l’Europe, mais la préci-sion est faite.

Ilvaencoreplus loinenrendanthommageà l’ancienmairede LillePierreMauroy,mort le 7juin 2013.« Il fut un grand maire et un trèsgrandpremierministre», expliqueM.Valls. «Très grand» car il fut lepremier ministre «de 1981» et del’arrivée de la gauche au pouvoir,mais aussi celui «de 1983» et dutournant de la rigueur, capable defaire « des choix difficiles » etd’«assumer les mesures nécessai-res pour la compétitivité des entre-prises ». Citant François Mit-

terrand, il ajoute : «Je préféreraisêtre impopulaire que manquer àmon devoir.» Toute ressemblanceavec l’actuel chef du gouverne-ment est purement volontaire.

Pendantsondiscours,M.Vallsaété pris à partie dans la salle pardes intermittents opposés à lamodification de leur régimeUnedic, mais pas MmeAubry. «Elleestoùlavraiegauche?», ontmani-festé une trentaine d’intermit-tents à l’extérieur de la réunionsocialiste.

Pendant ce temps, à l’intérieur,M.Valls et MmeAubry, flanqués dupremier secrétaire du PS, Jean-ChristopheCambadélis,etdescan-didatsdupartisur lalisteauxeuro-péennesdans leNord, concluaientlemeetingpar l’historiqueChiffonrouge de Michel Fugain, devenuchant de lutte des travailleurs à lafin des années 1970. Le premierministre semblait mal en maîtri-ser les paroles, contrairement à lamaire de Lille qui, à la toute fin, setournevers lui et lui lancedansungrand sourire : «Ça, c’est un chantde gauche!» p

BastienBonnefous

«L’Europenous tueàpetit feu»PhilippedeVilliers, eurodéputé et président duMouvementpour la France, explique dans Le Figaro du vendredi 16maipourquoi il n’est pas candidat aux élections européennes.Ilestime que le Parlement européen est «une illusion d’optique– tout le pouvoir législatif est à la Commission».

EnGrèce, lepaysageélectoralenvoiederecompositionPour lepremier tourdesélections locales, le 18mai, les candidatures indépendantes semultiplient

Plusde70000citoyenssesontportéscandidatsàtravers lepays

Ilyaencorepeudetemps, lesrelationsentrel’actuelpremierministreet lamaire

deLilleétaientexécrables

ALille, lenumérodeduettistesdeManuelVallsetMartineAubryEnmeetingpour leseuropéennes, ils se sontaffrontésàmotscouverts sur lapolitique française

LestêtesdelisteeuropéennesréussissentàincarnerlacampagneLescinqprincipauxcandidatsà la successiondeM.Barrososesontaffrontés lorsd’undébat

MmeAubry etM.Valls, avecMme Lebranchu etM.Cambadélis, à Lille, le 15mai. OLIVIER TOURON/DIVERGENCEPOUR «LEMONDE»

SONDAGE

L’Europeest«unemauvaisechose»pourunquartdesFrançaisSelon la 2evagueduBaromètrequotidiend’intentionsdevoteIpsos-Steria réalisé pour LeMonde, le Cevipof et TerraNova, lesFrançais sont très partagés lorsqu’il s’agit de faire le bilande l’ad-hésionde la France à l’Unioneuropéenne: 39%pensent que c’estunebonne chose, pour 38% cen’est ni unebonneni unemauvai-se chose et prèsd’un interviewésur quatre (23%) considèrequ’ils’agit d’unemauvaise chose.p

FranceContre les eurocritiques,M.Cohn-Benditplaide pour les «Etats-Unis d’Europe»Daniel Cohn-Bendit (LesVerts), figureduParlement européenqui a décidé dequitter la scènepolitique, s’est livré jeudi 15mai àunnouveauplaidoyerpour des «Etats-Unis d’Europe» à l’occa-siond’unmeetingprès deNantes, en faveur des candidats écolo-gistes aux européennesdu 25mai. Devantprès de 200militantsqui lui ont réservéuneovation, il a notammentplaidé pourunearméeetune diplomatie européennes. – (Reuters.)

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L ’affaire Bygmalion continued’empoisonnerlaviedeJean-François Copé. Le président

de l’UMP, accusé par Le Pointd’avoir favorisé ses proches audétrimentdes financesde sonpar-ti,estunenouvellefoismisencau-se.Libérationa révéléqueleparti apayé près de 20millions d’euros àEvent &Cie, filiale de la société decommunication du copéiste Bas-tien Millot, pour des événementsdont l’existence semble fictive.

Factures à l’appui, le journalassure que, entre janvier etjuin2012, Event &Cie a facturé55 conventions au parti pour12,7millions d’euros, ainsi qu’unconseilnationaletplusieursopéra-tionsdecommunicationpourplusde 5millions d’euros. Or le quoti-dien n’a pas retrouvé la trace de latenue de la plupart de ces conven-tions. Plusieurs d’entre ellesauraient coûté près de300000 euros, unmontant parti-culièrement élevé pour ce typed’événement. «Ce sont des som-

mes délirantes pour de simplesconventions», s’étrangleun ténor.

Ces révélations contribuent àsemerunpeuplus le trouble sur lagestion financièredeM.Copé, visépar une enquête préliminaireouverteenmarsàlasuitedesaccu-sations de surfacturations lancéespar Le Point. A l’époque, il avaitdénoncéune «manipulationgros-sière» visant à le salir avant lesmunicipales. Le patron de l’UMPaadopté la même ligne de défense,jeudi, criant au complot orchestréà l’approche des européennes :«Onnousafaitçaavantlesmunici-palesaveclesmêmesallégations, letoutmélangé,amalgamé,malvéri-fié. » «C’est un peu épais commeficelle»,aabondélesarkozysteBri-ceHortefeux sur RTL.

Sauf que les réponses apportéespar le campCopé sont loinde leverles doutes. Son directeur de cabi-net, Jérôme Lavrilleux, affirmeparexemple avoir les preuves de latenue des 55 réunions…mais refu-sedelesfournir.Plusgênant,ildon-

ne l’impressionde justifier les sur-facturations, en déclarant à Libéra-tion : «Si l’on veut payer quatre àcinq fois le prix, rien ne nous enempêche.» L’avocat de Bygmaliona, lui, contesté «toute surfactura-tion»et«toute rétrocommission».

«Impact calamiteux»Mais les suspicions persistent,

entretenuesparlecampFillon.Pier-re Lellouche «conteste formelle-mentavoirétéassocié»àuneconfé-rencefacturée299000 euros,dontil est censé avoir été le principalintervenant. Il a saisi son avocatpour «défendre son nom». Autrefilloniste, Valérie Pécresse a jugéqueM.Copé devait «donner toutesles explications sur ces dépenses».«Lesmontantscitéssonttrèsimpor-tants», s’est-elle étonnée. Le dépu-téLionelTardys’estdit, lui,«profon-démentchoqué»par cetteaffaire.

Le coup est rude pour l’imagedu parti de droite, dix jours avantles européennes où le FN est don-né favori. «L’impact est calami-

teux, s’inquiète un poids lourd.Celane peut que faire le jeude l’ex-trême droite et alimenter le “touspourris”.» Le même redoute uneffet de démobilisation pour lessympathisants UMP, qui ont misla main à la poche pour renflouerles comptes de campagnedeNico-las Sarkozy. D’autant que le particontinuedeleurenvoyerfréquem-mentdes appels auxdons.

Ce nouvel épisode de l’affaireBygmalion est unemauvaise nou-velle pourM.Copé. Ses rivauxveu-lent y voir un argument de pluspour exiger son départ en cas derésultats décevants aux européen-nes.«SionaleFNdevantnouset lesinfos sulfureuses sur l’argent enplus, cela fera beaucoup pourCopé», juge un ténor. Le principalintéressén’en a cure et se sent pro-tégé par le manque de candidats àsa succession. Il y a peu, il confiait:«C’est une chose de vouloir mondépart par jalousie, cela en est uneautredetrouverunealternative.»p

AlexandreLemarié

T outfairepouréviter ledésas-tre. A dix jours d’électionseuropéennes qui ont toutes

les chances de s’apparenter à unedébâclepour lessocialistes, legou-vernementmultiplielesannoncescensées mobiliser un électoratdéçu par la politique menéedepuis deux ans par FrançoisHol-lande et tenté, lors du scrutin le25mai, soit de s’abstenir soit devoterpour les extrêmes.

Pourcefaire,ManuelVallsaclai-rement décidé de prendre lecontre-pied de Jean-Marc Ayrault.L’ancien premier ministre avaitététrèssilencieuxpendantlacam-pagne des municipales, avec lerésultat que l’on sait. Son succes-seur a décidé de faire l’inverse, enespérant que l’activisme paiera làoù la discrétiona échoué.

Manuel Valls en est convaincu:le «ras-le-bol fiscal» dénoncé enaoût2013 par l’ancienministre del’économie, Pierre Moscovici, estl’une des causes majeures de ladéfaite historique des socialistesaux municipales. A la veille deseuropéennes, il a donc décidé defrapper fort sur les baisses d’im-pôts en annonçant, vendredi16mai au micro d’Europe 1, unemesure qui «permettra à 1,8mil-lion de ménages de sortir de l’im-pôt sur le revenu».

Le geste était attendu, mais ilest plus généreux que prévu: jus-qu’à présent, les baisses d’impôtsenvisagées par le gouvernementétaient évaluées à un peu plus de500millions d’euros; désormais,le premierministre parle de 1mil-liard d’euros. Politiquement, l’an-nonceestdoublementhabiledansla mesure où elle coupe l’herbesous le pied aux parlementairestentés de faire de la surenchère etpermet à Manuel Valls de se pré-senter comme le défenseur desFrançais les plus modestes. Unemajorité moins turbulente, uneimage personnelle «gauchisée» :

c’est aussi cela que chercheà obte-nir lepremierministre,et l’annon-ce qu’il vient de faire – «pas unpourboire mais un acte structu-rantquis’inscritdansunestratégiede baisse des prélèvements obliga-toires», explique Matignon – estcensée l’aider dans cette stratégie.

Le gouvernementa donc retenula leçon. Pas question, cette fois, derépéter l’erreur de l’automne 2013,quandavaitétéannoncéeunebais-se des prélèvements au momentprécisoùlescontribuables,quirece-vaient leurs avis d’imposition, nepouvaientqueconstater lecontrai-re. Désormais, c’est tout l’inverse:encesjoursoùlesFrançaisseprépa-rentàlafoisàenvoyerleursdéclara-tions d’impôts et à voter pour leseuropéennes, M.Valls, en accordavec le président, a voulu donnerunsigne tangibleet immédiat.

Cette annonce n’est pas isolée.Elle intervient au lendemain de lapublication au Journal officield’undécret soumettant à autorisationpréalablelesinvestissementsétran-gersdansuncertainnombredesec-teurs. La petitemusique est claire :l’Etat est de retour, il protège lesentreprisesfrançaiseset lepouvoird’achat des contribuables les plusmodestes. Lemessageest destinéàcontrer le discours du Front natio-

nal, qui fait campagne sur le senti-ment d’abandon des catégoriespopulaires et l’angoisse liée auxpertesdesouveraineténationale.

C’est là le sens politique dudécret cosignépar ArnaudMonte-bourg et Manuel Valls. Il permetauministre de l’économiedemet-treenfinenapplicationunepropo-sition couchéenoir sur blancdansson livre Des idées et des rêves(Flammarion, 2010). Il offre égale-mentaupremierministrelapossi-bilité d’apparaître comme undéfenseur de l’Etat fort, ce qui esttoujours souhaitable quand on al’ambition de présider la France,un pays historiquement marquépar le colbertisme.

Comme en matière fiscale,Manuel Valls a médité l’échec desonprédécesseur. Le décret sur lesinvestissements étrangers, s’ildoit se comprendre comme uneréponsedecirconstanceaufeuille-ton Alstom, doit aussi s’interpré-ter commeune volonté de retenir

la leçondu fiascopolitiqueque futl’affaire Florange, fin 2012. A l’épo-que,ArnaudMontebourg,quisou-haitaitunenationalisationtempo-raire d’ArcelorMittal, avait étédésavoué par Jean-MarcAyrault.Dans l’opinion, le gouver-nement en avait payé le prix fortet François Hollande, en validantle choix de son premier ministre,avait été accusé de trahir ses pro-messes de campagne et de céder àl’impuissance.

Dix-huit mois plus tard,ManuelVallsn’entendpastomberdans le même piège. Tactique-ment, son alliance avec ArnaudMontebourgestd’unegrandehabi-

leté. Elle lui permet de ne pas lais-sersonministredel’économies’ar-roger à lui tout seul le monopoledu volontarisme. Un volontaris-me qui est au cœur de ce que sou-haite l’électorat de gauche. «Il nefaut pas tout attendre de l’Etat»,avait déclaré Lionel Jospin en1999. La phrase avait désespéré lagauche. Manuel Valls s’en sou-vient mieux que quiconque. Ilétait à l’époque le responsable dela communication du premierministre. Désormais premierministre lui-même, il comptebiennepas répéter lamêmeerreur.p

DavidRevaultd’AllonnesetThomasWieder

L’affaireBygmalionfragiliseànouveauJean-FrançoisCopéLeprésidentde l’UMPestmisencausepoursagestiondes financesduparti

Lamesure annoncée vendredi16mai sur Europe 1 parManuelValls concerne l’impôt sur lerevenu (IR) payé en 2014 au titredes revenus de2013. Elle s’appli-quera dès l’automne prochain etsera en partie financée par la lut-te contre la fraude fiscale. Ellepermettra de faire sortir de l’im-pôt sur le revenu 1,8million deménages et coûtera environ1milliard d’euros. En 2013, lenombre de foyers soumis à cetimpôt s’était accru, sous l’effetde dispositions fiscales quiavaient rendu imposables des

ménages qui ne l’étaient pas jus-qu’à présent, sans que leursrevenus et leur situation familia-le aient changé.Un célibataire ayant un revenufiscal d’environ 14000eurosn’aura désormais plus à payerl’IR. Idempour un couple avectrois enfants avec environ38000 euros de revenusannuels. Un couple de retraitéspercevant chacun une pensionde 1200 euros parmois verrason impôt passer d’environ1000euros à environ 300 euros,a indiquéM.Valls.

L’opportuncoupdebarreàgauchedeM.VallsAprès lapublicationdu«décretMontebourg», lepremierministreannonceungesteenfaveurdesbasrevenus

1,8million deménages ne seraient plus imposables

Manuel Valls et ArnaudMontebourg sur les Champs-Elysées pour la commémoration du8-Mai, en 2013. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS POUR «LEMONDE»

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U ne affaire d’Etat. 2,8mil-liards d’euros partis enfumée. Des dissimulations

à la pelle. L’enquête menée parLeMonde sur le rachatparAreva, àl’été 2007, de la société canadien-ne d’exploration minière UraMinlève le voile sur des pratiques quifontl’objetd’uneenquêteprélimi-nairemenée par le parquet natio-nal financier (PNF). C’est la Courdes comptes qui a lancé le proces-sus d’enquête. Le 20février, elledénonceauprèsduPNF«unesuspi-cion de commission d’infractionspénales». Effarés par leurs décou-vertessur lapériode2007-2011, lesmagistrats n’attendentmêmepasque leur rapport définitif sur Are-va, attenduavant l’été, soit bouclé.

LeMondeaeuaccèsauxconclu-sionsde ce signalement. Elles sontsans appel. En outre, les magis-trats ne comprennent pas pour-quoiArevaainvesti,ensusduprixd’achat – 1,8milliard d’euros –,865millions d’euros supplémen-taires sur les installationsUraMin,avant même que les « instancesdirigeantes ne disposent d’élé-ments fiables sur leur pertinence».

Unepersonne concentre les cri-tiques: l’anciennepatronne d’Are-va, Anne Lauvergeon (2001-2011).Quatreinfractionssontmêmerete-nues par les magistrats. D’abord,lesdélitsde«présentationoupubli-cation de comptes annuelsinexacts et infidèles», ainsi que la«diffusion d’informations faussesoutrompeuses».Eneffet, c’est seu-lement le 12décembre 2011 que leconseil de surveillance décide defaire passer 1,4milliard de provi-sions sur les actifs d’UraMin, gre-vant les finances d’Areva pour delongues années. Pourquoi avoirattendusi longtemps?

Dès le 22octobre 2010, la direc-tion des finances d’Areva conclut

déjà,dansundocumentdesynthè-se, à un « risque d’impairment[différenceentre la valeur compta-ble et la valeur d’usage des actifs]surlepérimètred’UraMin»semon-tantà1,82milliardd’euros.MmeLau-vergeonne pouvait pas l’ignorer sil’on se fie à un courriel de la direc-tion des finances, le 26octobre2010, rappelant « la présentationfaite la semaine dernière à la prési-dente»deceséléments financiers.

Pourtant, commeledit le signa-lementde laCourdescomptes,« ledocument de référence d’Areva autitredel’exercice2010,quipourraitcontenir des informations faussesou trompeuses rendues publiques,a été signépar Anne Lauvergeon le28mars 2011». Seulun ajustementcomptable de 300millions d’eu-ros visant UraMin est retenu avec,notentlesenquêteurs,des«motifstrès succincts et parcellaires».

D’où le troisièmedélit suscepti-ble d’être reproché à Mme Lauver-geon, « l’abus de pouvoir». Selonles magistrats, «ce délit pourraitêtre imputable à la présidente dudirectoire», car elle aurait délivréune«informationparcellaire»àsatutelle, l’Etat, «afin de dissimulerles pertes générées par l’acquisi-tiond’UraMin,qu’elleavaitperson-nellement conduite».

La Cour des comptes va plusloin. Selon les enquêteurs, «ces

manœuvres, contraires à l’intérêtd’Areva, auraient eu pour objet depermettre à Anne Lauvergeon detenter de se maintenir à la tête dugroupe». Sonmandatse terminaiten effet en juillet2011.

A l’Agencedesparticipationsdel’Etat(APE), tutelled’Areva,unsen-

timent domine aujourd’hui : lacolère. Les débats ont été rudesentre Bruno Bézard, alors patrondel’APE,etMmeLauvergeon,mêmesi ces deux personnalités s’accor-daient sur l’intérêt stratégiquepour Areva d’élargir son périmè-tre.Dès le 27avril 2007, alors qu’A-reva vient d’acheter une première

participationdanslecapitald’Ura-Min, on relève cette phrase dansune note interne de l’APE: «Arevan’a pas été clair sur de nombreuxpoints.»

Le 7mai 2007, dans une «notepour le ministre » estampillée«Secret»,BrunoBézardécrit :«L’A-PE a demandéà Areva de conduirelesinvestigationstechniquesadap-tées et de démontrer lamatérialitédes ressources indiquées par Ura-Min (…). Il conviendrad’éviterqu’A-reva prenne le risque de se retrou-ver avec un niveau de participa-tiondansUraMintropélevéetdiffi-cilement conciliable avec sa situa-tion financière.»

Prémonitoire.Le22mai2007, lecomité stratégiqued’Areva se réu-nit. L’APE s’interroge de nouveausur «l’impact de l’investissement»lié àUraMin. Réponsed’AnneLau-vergeon, selon le compte rendudela réunion: «Mme Lauvergeon indi-que que le retour sur investisse-ment ne pose pas de difficultés.» Ilest alors question de 90000 ton-nesd’uraniumsurtroissites,«l’ex-ploitationnesoulevantpasdediffi-cultés techniques ». Des docu-ments sont produits à l’appui deces expertises.Mais ce ne sont pasforcément les bons…

Ce qui conduit directement auquatrièmedélit détectépar la Courdes comptes, « le faux et usage defauxenécritureprivée».Lesmagis-trats suspectent que les «due dili-gences», ces vérifications préala-bles à l’achat d’UraMin, ont étésciemment caviardées lors de leurtransmission à la tutelle d’Areva.De fait, deux synthèses quasi simi-laires de ces «duediligences» éma-nant d’Areva existent. Le docu-ment le plus complet, demeuré eninternechezAreva,parleences ter-mes du management d’UraMin:«Manque d’expérience dans ledomaine de l’uranium.» Il fait étatd’une «planification des projets»qui«paraît optimiste» et émet des

réservessur«lavaliditédesestima-tionsSRK».

SRK,c’estcettesociétéd’experti-se mandatée par UraMin pourauditer ses réserves, dont l’avissera déterminant dans le proces-sus d’achat. Le 28octobre 2010,dansunmémoconfidentiel,Frédé-ric Tona, ex-vice-président exécu-tif d’Areva, écrira d’ailleurs «qu’A-reva a repris à son compte l’étudede faisabilité de SRK sans pouvoirla revoir et a repris les hypothèsesSRK comme fiables».

Enfin, la synthèse interne des«due diligences» parle aussi du«peu de données fiables» et d’un« calendrier général du projetflou». Autant de doutes, que l’onne retrouve pas dans les «due dili-gences» soumises à l’APE.

Mieux – ou pire – le 30mai2007, lorsduconseildesurveillan-ce d’Areva, le directeur du secteurmines, Olivier Mallet, assure queles « due diligences effectuéesrécemment par Areva ont permisde considérer que les ressources enuranium dont dispose UraMinsontplusimportantesquenelelais-saientespérerlesétudespréliminai-res». C’est ainsi que l’Etat va don-ner son aval à l’opération. Trèsvite, ce sera la débandade…

Reste que la justice aura mislongtemps à se mettre en route.Dès le 3 janvier 2012, l’affaire Ura-Min est examinée dans une notede synthèse rédigée par PierreCharreton, secrétaire général d’A-reva, qui conclut : «Ce qui ne cessed’intriguer, c’est le comportementde la présidente du directoire(avant, pendant et après l’acquisi-tion). Force est de constater que,malgré l’accumulation d’indicesconcordants qui pourraient laisserpenser qu’Areva a été la victimed’une acquisition réalisée dans desconditions contestables, la prési-dentedudirectoiren’ajamaischer-ché à éclaircir les conditions ayantentouré l’acquisitiond’UraMin.»

Ces soupçons internes sonttransmis au parquet de Paris, quireçoitmêmeunedélégationd’Are-va. Le procureur de Paris, FrançoisMolins, ne donne pas suite, préfé-rantseconcentrersurl’affaired’es-pionnage ayant visé Anne Lauver-geon – jugée ce vendredi 16maipar le tribunal correctionnel deParis. Sollicité, le parquet de Pariscontestetouttraitementdefaveuret rappelle que les comptes d’Are-va avaient été déclarés sincères, àl’époque, par unemission d’auditmenéeparun expert, RenéRicol.

Désormais, les enquêteursde labrigade financière s’attachent, enexaminant les nombreux élé-ments dont ils disposent déjà, àétayer les accusations de la Courdes comptes. p

GérardDavetet Fabrice Lhomme

OlivierFric, l’épouxaucœurdepossiblesconflitsd’intérêtsMARIÉDEPUISDIXANS avecAnneLauvergeon,Olivier Fric,65ans, est présentépar les détrac-teursde l’ex-patronned’Arevacomme l’homme-clé de l’affaireUraMin. Jusqu’à être suspectéparla sociétéAlp Services, un cabinetsuissed’investigationsprivées,d’avoir«pu bénéficier, demanièreillégitime, du rachat d’UraMinparAreva en 2007»…

Si le patrond’AlpServices,MarioBrero, doit comparaître,vendredi 16mai, devant le tribu-nal correctionneldeParis, pouravoir fait espionnerMme Lauver-geonet sonépoux, et bienqu’aucunélémentmatériel ne soitvenupour l’heure conforter cessoupçonsd’enrichissementper-sonnel, la personnalitédeM.Fricet sonrôledans l’acquisitiond’Ura-Mincontinuentd’intriguer.

Officiellement consultant dansle domainede l’énergie,M.Fricsembleainsi à l’originedu recrute-mentdeDanielWouters, entré fin2006chezAreva, où il a géré lerachat controverséde la sociétéminière canadienne, à l’été 2007.Lors d’une conférencedepresse, àParis, le 17 janvier2012,M.Fricavait admis, s’agissantdeM.Wou-ters: «J’ai fait le petit facteur d’unCV…Annem’avait dit qu’Arevacherchaitunprofil très difficile àtrouver et quelqu’unm’a étérecommandé.»

Conseil officieuxAutre reproche fait à l’époux

deMme Lauvergeon: il aurait euun intérêt personnel dans lerachatde la société canadienne,œuvrant, en qualité de consul-tant, auprès d’unpartenaire finan-

cierdeUnitedAfricaGroup, le par-tenaired’UraMindans l’usinededessalement construite enNami-biepour exploiter laminedeTrekkopje…

Plus généralement,M.Fric etMme Lauvergeonsont soupçonnésde s’être trouvés àplusieurs repri-ses en conflit d’intérêts, le pre-mier étant intervenudansdesopérations conduitespar la secon-de.Denombreuxmails, dont LeMonde a eu connaissance, confir-ment queM.Fric jouait de fait unrôlede conseil officieuxauprèsd’Areva et de sa présidente.

Ainsi, le 13mai 2008, dansuncourriel adressé àAlain-PierreRay-naud, alors directeur financier dugéantdunucléaire, il recomman-deune candidature en ces ter-mes: «BonsoirAlain-Pierre. J’avaisdiscutéavecAnne il y a quelque

tempsdes profils que le grouperecherchepour faire face à sesbesoinsprojets-financementetcontrôle. Je lui ai parlé duprofil deDidier Chanoineactuellementchez Total (ex-Elf), et ilm’a sembléque le profil correspondrait.»

Le 29janvier 2010,Olivier Fricécrit à SébastiendeMontessus,directeurdes activitésminièresd’Areva: il évoqueunedemi-dou-zainedeprojets d’Areva, notam-ment celui de Trekkopje.«Ceserait bienque jeme cale sur undetes prochains déplacements enfévrier. Je pars avec Anne et lesenfants lapremière semainedescongés de février», précise-t-il.Dansunautre courriel, il proposeaussi à Arevaunpartenariatdansle domainedes énergies renouve-lables.p

G.Da. et F.Lh.

france

«Laprésidentedudirectoire[d’Areva]n’ajamaischerché

àéclaircirlesconditionsayantentourél’acquisition

d’UraMin»PierreCharreton

secrétaire général d’Areva

AnneLauvergeonestsoupçonnéeparlaCourdescomptesd’«abusdepouvoir»

InterrogéparLe Mondevendredi16mai, l’avocatdeMmeLauver-geon,MeJean-PierreVersini-Cam-pinchi,dénonce«une affaire fabri-quée de toutes pièces, un monta-ge destiné à nuire à la réputationprofessionnelle de [sa]cliente».Il qualifie lesgriefsde laCourdescomptesd’«appréciations subjec-tives ne reposant sur aucun fait

tangible».«Je rappelle que lescomptes n’ont pas été arrêtés parla seule Anne Lauvergeon!», s’ex-clame-t-il, etqualifie le soupçond’abusdepouvoirde«calomnie,car tous les documents ont étéproduits à l’Agence des participa-tions de l’Etat.Pour cette mêmeraison, les accusations de fauxsont diffamatoires».

Rachatd’UraMin:commentArevaadupél’EtatDansunenoteremiseà la justice, laCourdescomptesdénonceles«dissimulations»d’AnneLauvergeon

«Une affairemontée de toutes pièces»

Anne Lauvergeon au Conseil économique, social et environnemental, à Paris, en juin2013. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR «LEMONDE»

10 0123Samedi 17mai 2014

Page 11: 17 mai Le Monde.pdf

france

AjaccioEnvoyée spéciale

A u début, c’est presque sim-ple. Sur la place du villagede Sartène (Corse-du-Sud),

un samedi matin de septem-bre2010, Pierre Balenci prend soncaféen jetantunœil sur son fils de8 ans qui s’amuse entre les tables.C’est jourdemarché, ilyadumon-de devant les étals, et les terrassesdes sept cafés qui bordent la placecommencent à se remplir. Deuxhommes, visage dissimulé sousdes masques en latex et porteursd’armes de poing, s’approchent.Un cri. Pierre Balenci a juste letemps d’écarter son fils, les ballessifflent, il est touché au pied etdans le genou, se lève, zigzagueentrelestables,uneautreballe l’at-teint dans les fesses, une quatriè-me dans l’abdomen, il se retourneet tire à son tour. L’un de ses deuxagresseurs, Jacques Ettori, s’écrou-le, mortellement atteint, l’autres’enfuit dans les rues du villa-ge. Dans l’échange de tirs, unmaraîcher prend une balle dansl’épaule. Sur la place du village,quinze étuis de munitions et deprojectiles sont éparpillés.

Après quatre ans d’enquête, leprocès de la fusillade de la placePorta s’est ouvert, lundi 12mai etpour deux semaines, devant lacour d’assises de Corse-du-Sud, àAjaccio. Pierre Balenci est dans lebox, pour répondre de l’accusa-tion de meurtre de Jacques Ettori.Maisilestaussipartiecivileenqua-lité de victime de la tentative d’as-sassinat. Dans lemême box, sépa-ré de lui par plusieurs gendarmes,a pris place François Ettori, frère

cadetdeJacques,considéréparl’ac-cusation comme le deuxièmetireur et qui nie toute implicationdans la fusillade.

Toutautour, ilyacequeleprési-dent de la cour d’assises, DavidMacouin, appelle, avec d’infiniesprécautionsde langage,«le contex-te sartenais». Des règlements decomptesentredeuxbandes rivalessur fond de tentatives de prise decontrôledesactivitéslespluslucra-tives de Sartène et de ses environs,le camping municipal, les projetsimmobiliers sur le site convoité deTizzanoet leportdePropriano.

L’affairecommenceàsecompli-quer avec l’identité des accusés. Lepremier, Pierre Balenci, 53 ans, adéjà un solide casier judiciaire: il aséjourné en prison presque sansdiscontinuer de 18 à 32 ans pourdeshistoires de vols avec violence,et son nom est régulièrement cité

danslesrèglementsdecomptesoudes tentatives de racket. Mais lesecond, François Ettori, n’a jamaiseu affaire à la justice. Inséparabledesonfrère Jacques–auvillage,onles surnomme «les Jacquettes» –,ils ont repris l’entreprise de bâti-ment fondée par leur père. Desgars «honnêtes», « travailleurs»,comme le répètent à l’envi lestémoins. Nul ne comprend donc

pourquoi, cematin de septembre,Jacques Ettori, un pistolet Glockdans la main droite et un pistoletautomatique C275 dans la maingauche, et son complice, lui aussilourdement armé, ont tenté detuer Pierre Balenci, avec le risquede faireun carnage sur laplace.

Çasecompliqueunpeupluslors-quePierreBalenciévoqueaimable-ment l’homme qui a tenté de l’as-sassiner. «Quand on m’a dit quec’était JacquesEttori, c’est commesij’avais vu le curé duvillage sortir del’église et vider son chargeur surmoi», explique-t-il. Connaît-il lesraisonspourlesquellesilluienvou-lait?«Monsieurleprésident,honnê-tement, je voudrais bien savoir. Jemène une vie tranquille, saine, jem’occupedemonfils. J’suispasquel-qu’un demystérieux. Je suis vrai. Sij’ai rackettéquelqu’un,qu’ilmecra-cheà la figure!»

Leprésident choisit cemomentpour lui demander pourquoi ils’est fait tatouer une carpe. «Vousconnaissez l’expression,muet com-meunecarpe…Oh,c’étaitjustepourcacher un tatouage de fleur quiétaitmoche», répond-il.

Le président évoque encore cet-te scène à l’hôpital d’Ajaccio, alorsquePierreBalencisorttout justedela salle de déchoquage et attendd’êtretransféréenréanimation.Ungroupe d’hommes entoure sonbrancard, l’un d’eux soulève sonmasque à oxygène pour lui mur-murerà l’oreille,puis se retiredansuncoinpourpasserunappelaprèsavoir changé la puce de son porta-ble. «Une sorte de comité de sou-tien,unevraiescènedefilm»,obser-ve le président. «J’ai des amis, c’estnormal»,dit PierreBalenci.

Bon. On se dit qu’on en saurapeut-être un peu plus de l’autrecôté.Dans la familleEttori, il yaunmortetunaccusé.Maisàl’ouvertu-rede l’audience,onapprendquelamère, la sœur et la compagne deJacques Ettori renoncent à seconstituerpartiecivilecontrePier-re Balenci. La famille, expliquel’avocatdeFrançoisEttori,Me Jean-Michel Mariaggi, « n’a pas dedémarchevindicative». Çasecom-pliqueencoreplus.

Lamère vient à la barre, tout denoir vêtue. «Mes enfants ne sont

pas des voyous. Je ne laisserai per-sonne salir leur honneur», dit-elle,avant d’accuser la gendarmerie etla justice de ne pas avoir su proté-ger son fils Jacques. Spectrale etsolennelle, elle lance : « J’attendsde ce procès que les victimes soientreconnues victimes.»

Leprésidents’adresseàelledou-cement: «Bien sûr,madame,maiscejour-là,votrefilsaprisdesarmes,enfilé une cagoule et il a initié unefusilladequi a eudes conséquencesdramatiques pour lui mais quiauraitpuêtre encoreplusdramati-que. Comment en arrive-t-on,quandonesttravailleur,honnête,àcommettreungestepareil?–Jepen-sequ’iln’avaitplusd’issue,c’était lavie ou lamort. Je regrette de ne pasavoir vu sa détresse. – On a évoquéun racket de l’entreprise familiale,qu’en dites-vous? – Sincèrement, jene sais pas.»

La sœur de Jacques et FrançoisEttori lui succèdeà labarre.Avec lamême solennité que sa mère, elledéclare: «J’attendsde la justicedesréponses.» «Mais la justicenepeutconnaître que ce qui est porté à saconnaissance, observe le prési-dent. S’il se sentait menacé, pour-quoi votre frère n’a-t-il pas sollicitéla protection des gendarmes ?»Une voix dure lui réplique: «Monmétier, c’est infirmière, pas enquê-trice. Il faut que les enquêteurs fas-sent leurmétier.»

David Macouin se tourne versFrançois Ettori. «Pourquoi a-t-onretrouvé des armes et des cagoulesdans votre entrepôt? – Je n’étais aucourantde rien.Malheureusement.

– L’ennui, c’est qu’on a retrouvévotre ADN sur une cagoule. – Lacagoule, jem’enservaispouralleràlachasseàlabécasse, lanuit.–Pour-quoimettre une cagoule la nuit? –Pourposer la lampe frontale.»

Le président en revient à lafusillade de la place Porta. «Pour-quoi votre frère a-t-il voulu tuerPierreBalenci?– Jenesaispas.Tousles jours, jeme pose cette question.– Que pensez-vous de ce courrieranonymequiditquevotreentrepri-seétaitrackettéedepuissixmois?–Je n’ai jamais été racketté.»

Pierre Balenci est interrogé àsontour.Pourquoicematin-làest-il descendu boire un café avec sonfils, une arme chargée dans lapoche de son pantalon? «Parcequediversespersonnes,malheureu-sement je ne peux pas dire leurnom, m’ont dit de me méfier.–Pour quelles raisons? – Euh, pourdes choses. – Ces choses, pouvez-vous nous en parler ? – Non, je nepeux pas. C’est un autre contexte.Çapolluerait leprocès.» Ilseredres-sedans le boxet dit biendistincte-ment dans le micro : «Mais si jen’avais pas été armé, je ne seraispas en train de vous répondre. Enavez-vous conscience?»

Depuis 2008, sur la communedeSartèneetdanssesenvirons,ondénombre sept tentatives d’assas-sinat et onze assassinats liés à desrèglementsde comptes, la plupartnon élucidés. Le dernier date du14avril.

Poursuite des débats jusqu’au23mai.p

PascaleRobert-Diard

«Pourquoivotrefrèren’a-t-ilpassollicitélesgendarmes?»Lasœur:«Monmétier,

c’est infirmière,pasenquêtrice»

Laprérentréedesprofsretardée...pouréviterunegrève SOCIAL

ModestemobilisationdesfonctionnairesDesdizainesdemilliersde fonctionnaires– plusde 300000,d’après laCGT–ontmanifesté ou se sont rassemblés, jeudi 15mai,dansquelque 110villes, à l’appel de tous les syndicats (la CFE-CGCexceptée), pourdéfendre leurs salaires et l’emploipublic. Leministèrede la fonctionpubliquea indiquéqu’il y avait 8,01%degrévistesdans la fonctionpubliqued’Etat, 12,73%dans leshôpi-tauxet6,46%dans les collectivités territoriales. p – (AFP.)

Laïcité Interdictiondu voile intégraldans l’espacepublic : 1038 verbalisations depuis 2010Selon le rapport annuel de l’Observatoirede la laïcité, publié jeu-di 15mai, 1 111 contrôles ont été effectués – pour 1038 verbalisa-tions –, entre le début de l’applicationde la loi de 2010 interdi-sant le voile intégral dans l’espace public et février2014. Quelque594 femmesentièrementvoilées ont été contrôlées, dont cinqverbalisées aumoins 14 fois et une à 33 reprises. – (AFP.)

Rythmes scolairesLyon regroupe ses activitéspériscolaires sur une demi-journéeSelon l’organisationdes rythmes scolaires auprimaire retenuepar la ville de Lyon, les activités périscolaires seront concentréesle vendredi après-midi. Cet emploi du temps, annoncémercredi14mai, est rendupossible par le nouveaudécret duministre del’éducationnationale, qui introduit des assouplissements.

Procèsd’unefusilladeàSartène:unmortettantdesilenceDepuis2008,onzeassassinats liésàdes règlementsdecomptesontendeuillé cettecommunedeCorse-du-Sudetsesenvirons

Jean-PierreTomasi,ouladétressedel’amiquiatropparlé

L es élèves rentreront un jourplus tard queprévu. Soit le2septembre 2014. Une annon-

ce faite par leministre de l’éduca-tionnationale vendredi 16mai aumatin, après une journée, la veille,à donner le tournis. Tout est partidudépôt d’un préavis de grève. Lenouveauministre BenoîtHamon ablêmi en apprenant qu’unpréaviscourait pour le 29août et risquaitde lui faire rater sa première ren-trée.Motif? «La défense des congésd’été des personnels», comme l’ex-plique le secrétaire général duSnalc (le syndicat des collèges etlycées), François Portzer.

Sonprédécesseur RuedeGrenel-le avait en effet décidé que lesenseignants reprendraient le che-minde l’école le vendredi 29aoûtpour que les élèves, eux, commen-cent la classe le lundi 1erseptembre.C’était ignorer les coutumes de ceministère.

Officiellement, leministère ditaujourd’hui qu’«unproblème infor-matiqueempêchait denommer lesnouveauxenseignants avant le1erseptembre».Officieusement,commeaimait l’expliquer l’ex-syn-dicalisteHervéBaro, aujourd’huivice-présidentduconseil généralde l’Aude, «ladernière semained’août, c’est pour sécher la toiledetente». Si le SNES-FSU (syndicatmajoritaire)n’a pasvenducet argu-mentauministre, il s’est lui aussiplaintde ce retour estival.

«Désinvolte»Pour rassurer lemonde syndical,

M.Hamona fait direqu’il annonce-rait vendredi 16mai enConseilsupérieurde l’éducation la suppres-sionpureet simplede la journéedeprérentrée. C’était la thèseen courstoute lamatinéede jeudi.

Après tout, l’école françaiseavait très bienvécu sans jusqu’aux

années 1970. Et l’introductionde lajournéen’estpasalléede soi. RenéHabyraconte, dans son livreCom-batpour les jeunes (Julliard, 1981),la réactiondeGeorgesPompidouàl’idéede faire revenir les ensei-gnantsavant les élèves.«Moi, lejourde la rentrée, j’arrivais à8heu-resau lycée et jedisais àmes élèvesdekhâgnealignésdans la cour: “Al-lez,messieurs”; cela suffisait.»C’estpourtant sous saprésidencequ’Oli-vierGuichard, sonministredel’éducation, lamettra enplace.

Depuis, l’institution aassez évo-luépourqu’il soit inconcevable desepasser de ce temps fort des éta-blissements, cettemise en routed’équipe. Ceque le SE-UNSAaexpli-quéauministreparun joli«le tout-en-unn’est pasunebonne solutionpour l’école», complétéd’un«la ren-tréedes élèvesnepeut avoir lieu lemême jourque celle desperson-nels!» lancépar lesproviseurs du

trèspuissant SNPDEN. Cesderniersontpréciséqu’«uneautredécisionseraitplus quedésinvolte à l’endroitdes conditions d’accueil des élèves etde laqualité de la rentrée, qui nesontpas, il est vrai, lesmotifs de cereport». Preuvequepersonnen’estdupede la stratégiedequêted’al-liancesduministre.

Le cabinetHamon, qui a envaincherchéà fairemarchearrière faceà l’imbroglio, a décidé jeudi 15maiensoiréede sortir de l’impasse endécalant laprérentrée enseignanteau lundi 1erseptembre et celledesélèves aumardi2.«La journéedecoursdes élèves seraprise en comp-te selondesmodalités décidéesaprès concertation avec l’ensemblede la communauté scolaire.»Bref,elle sera rattrapée, àunedate incon-nue. Le seul jourapriori écarté estl’allongementde l’année scolaireau6juillet 2015.p

Maryline Baumard

IL FAIT PEINE, Jean-Pierre Tomasi.Seul des trois accusés à comparaî-tre libre auprocès de la fusilladede la place Porta à Sartène, il estpoursuivi pour avoir accueillichez lui François Ettori, alors quecelui-ci, soupçonnéd’être lesecond tireurde la tentatived’as-sassinat contre Pierre Balenci,était en fuite juste après les faitsdu4septembre2010. «Recel demalfaiteur», traduit le codepénal.Mais ce que la justice lui reprochen’est rien à côté de ce qu’il sereproche à lui-même.

Cepèrede cinqenfants,maçon,estunamides frèresEttori. Il a aus-siunchien,undalmatien,qui estla causedebiendesmalheurs. Lorsde l’interpellationdeFrançoisEtto-ri, dans l’après-mididu4septem-bre, les enquêteursavaient saisitous lesvêtementsqu’il portait,

dontunepairedechaussettes. Etsurceschaussettes, ils avaient trou-védespoils d’originecanine, alorsque la familleEttorinepossèdepasde chien.Peude tempsaprès,unrenseignementanonymeindi-quaitauxgendarmesqueFrançoisEttori s’était arrêté chez Jean-Pier-reTomasi. Prélèvementdequel-quespoilsdudalmatien,expertisegénétiqueenurgence,bingo!L’em-preintegénétiqueest lamêmequecelledespoils retrouvéssur leschaussettes.

«Toute la famillem’en veut»Engardeàvue, Jean-Pierre

Tomasi reconnaîtque sonami estvenuchez lui cematin-là: «Ilm’ademandés’il pouvait se changer, ilest allé dans la salle debains, il estrestédeuxà troisminutes et il estreparti.»Surtout, raconte-t-il, Fran-

çois Ettori lui adit en arrivant:«Jacques estmort sur laplace» et ila ajouté: «J’étais avec lui.»

Desmots de trop.Desmotsqu’il ne se pardonnepas d’avoirprononcé car ils constituent leprincipalobstacle dans la défensede François Ettori. En effet, à l’heu-rede sa visite, personneneconnaît encore l’identitéde l’hom-memort sur laplace Porta. Person-ne, saufun complice donc. La scè-nede crime a été geléedans lesminutesqui ont suivi la fusillade,et lemasqueen latex qui recou-vrait le visagede la victimen’a étéretiré qu’à 11h30.

FrançoisEttori est coincé. Il finitparadmettreêtrepasséchez Jean-PierreTomasi«pouraller auxtoi-lettes»et, aprèsdesdéclarationsévolutives, annonceà l’audienceavoir appris lamortdeson frère

parune«personne» rencontréesur le chemin.«Jepensequecettepersonneétait celle qui était avecmonfrère»,dit-il.Auxdeuxrepré-sentantsde l’accusation,NicolasHennebelleet JulieColin,qui leharcèlentdequestionssur l’identi-tédecet informateur, il fait cetteréponsed’anthologie:«Jeneveuxpasdire le nomde lapersonnepourqu’ellene subissepasdes repré-saillesde lapartdepersonnes.»

Jean-PierreTomasi, tête rentréedans les épaules, voit sonamisenoyer.Aupsychiatrequi l’a exami-népendant l’enquête, il avaitconfié:«J’auraispasdûparler.Tou-te la famille Ettorim’enveut.»Leprésident luidemande:«Com-mentsavez-vousque la familleEtto-ri vousenveut?» Ilhausse les épau-les:«C’est la logique, cheznous.»p

P.R.-D.

110123Samedi 17mai 2014

Page 12: 17 mai Le Monde.pdf

C ertains cinéastesont la fibrehôteliè-re. C’est le cas d’Abel Ferrara. Avantde fourrer sonnez dans la suite

2806du Sofitel et deméditer sur le sexedes anges déchusque sont à ses yeuxDSKetGérardDepardieu, le boscotnew-yor-kais avait réalisédeuxportraits d’établis-sements sulfureux,NewRoseHotel (1998)etChelseaHotel (2009).

Bienqueboudépar les sélectionneurs,Ferraran’a pu s’empêcherde squatter laCroisettepour yprésenterWelcome to

NewYork, samedi 17mai, enmargeduFes-tival. UnebringueauCarlton amême,untemps, été envisagée. Car Cannes, pen-dantdix jours, cesse d’êtreune ville : c’estun lobbygéant.Une suite de suites, uneenfiladedehalls, un interminablepalace.Tout se passe dans leshôtels : onymange,travaille, socialise et couche, toujours.

Le Festival tout entier semble avoiradopté lemodus operandihôtelier. Il dis-pose de ses propres grooms (les agents desécurité), de ses clés (les pass d’accès aux

fêtes et projections), de ses guides aussi(les critiques et leurs redoutables classe-ments par étoiles).

Enun curieuxeffet demiroir, de plusenplus de films sélectionnés se déroulentdans ces lieuxde transit. Citons, pour lecru 2014,Bird People, La Chambre bleueouSilsMaria. Quant à Ferrara, il a opté pourunmodede consommation très prisédans les chambresd’hôtel : la vidéo à lademande.Reste à voir si les clients serontsensibles auxappels du roomservice.p

culture

BILLETparAureliano Tonet

Roomservice

GérardDepardieu sur le tournage de «Welcome toNewYork». NICOLE RIVELLI/2013

WelcometoNewYork

L e suspense aura duré jus-qu’au bout,mais ça y est, l’af-faireest tranchée.Welcometo

NewYorkn’irapasensélectionoffi-cielle. Il sera montré le samedi17mai au public cannois, accréditéou non, à 20h30, au cinéma LeStar, qui lui réserve quatre salles.Unedemi-heureplustard,unepro-jectionaura lieu sousune tente, enprésence de Gérard Depardieu,d’Abel Ferrara, de l’équipe de WildBunch.Elleserasuivied’uneconfé-rence de presse qui s’annonce ani-mée, sinon tendue. Et à partir de 21heures, aura lieu le lancement dufilm en VoD, pour 7euros, sur lesbox Orange et Free, sur iTunes,CanalPlay,myTF1,VideoFutur, Fil-moTV, Netflix ou encore GooglePlay.LasoiréesetermineraparunefêtedontVincentMaraval, lecopro-ducteurdu film,nousassurequ’el-le seraduplusmauvais goût.

On le sait,WelcometoNewYork,c’est la chute de DSK vue par AbelFerrara, un cinéaste et ancien dro-gué qui, en matière de chute, enconnaît un rayon. Le rôle principalest interprétée par Gérard Depar-dieu, ancien dieu vivant devenucontroverséàlasuitedesesexilsfis-caux successif. Ce jeu de refletsentrelestroishommes–DSK,Ferra-ra,Depardieu–estàlafoislamatiè-re et le sujet de ce grand filmmala-dequeLeMondeapuvoir lasemai-nedernièreàParis.

Ils’opèreàlafaveurd’incessantsglissements entre une trame fac-tuelle précisément documentée, ycomprissur leplantopographique(la deuxième partie du film a ététournée dans l’appartement deNew York qu’avait loué Anne Sin-clair pendant le procès…), et leslibertés que permet la fiction (quiont notamment conduit l’auteur àdonner à ses personnages princi-paux les noms deM.Devereaux etSimone).

UnprologuequimontreGérardDepardieu, pendant le tournage,répondant en son nom aux ques-tionsdequelquesjournalisteseux-mêmes joués par des acteurs, posecevacillemententrefictionetréali-té comme principe du film. « Jen’aime pas jouer, je ne considèrepas que je joue, je suis le personna-ge»,dit-il ensubstance.Devereauxa beau être calqué sur DSK, il estd’abordGérardDepardieu,person-nalité qui excède tout, et dont lecorps débordant de chair a fasciné

l’auteurdeTheKingofNewYork.Confit de pouvoir et d’argent,

vivant bien au-delà des limites dela loi et de la bienséance, Deve-reauxentreenscèneaprèsunmon-tage en rafale d’images symboli-sant l’argent et le pouvoir politi-que, dansune séquencegrotesque.Dans son bureau, alors que sonchefdelasécuritévientluiexposerle nouveau protocole destiné à leprotéger en tant que candidat à laprésidence de la République fran-çaise, et qu’une prostituée sili-conée se tient à ses côtés, Deve-reaux fait entrer deux autres jeu-nes femmes pour distraire soninterlocuteur. Celui-ci refuse lafaveur, quitte le bureau, et Deve-reauxs’offreunegâterie.

On le retrouve au Carlton, dansune suite où le film s’installe pourun long tunnel de sexe, entre unepartouze au champagne et à lachantilly et une partie fine avecdeux call-girls. Littéralement à nu,Depardieulivresoncorpsdemasto-

donte à la caméra, son ventreimmense,sonvisagecrispépardesorgasmes ogresques, en redeman-de sans cesse. C’est sidérant.

Les filles quittent la chambreenriant. La silhouette discrète d’unefemme de chambre glisse dansl’ombreducouloir.Elleentre,Deve-reaux sort de sa douche, l’agressesexuellement, elle s’enfuit. Le can-didat à la présidence quitte l’hôtelet, aprèsundéjeuneravecsafilleetsongendre,sautedansunavionoùviennentlecueillir,avantledécolla-ge,desagentsduFBI.C’est la chute.

Touts’enchaînetrèsvite,lesima-ges se fondent les unes dans lesautres dans une quasi-simultanéi-té qui renvoie aussi bien au trop-plein et à la vitesse de diffusiond’Internet qu’à la violente addic-tion du personnage. Accro au sexeet au pouvoir, comme d’autres àl’héroïne, Devereaux ne perçoitplus les frontièresentre le jouret lanuit, entre le réel et le fantasme. Ilplane. La violence qu’il a infligée à

la femmede chambre? Sans doutene s’enest-ilmêmepas aperçu.

En prison, Devereauxn’est plusque ce corps énorme, pathétique,privé des attributs du pouvoir, quilance à la caméra, à travers les bar-reaux,unregardduroùsondégoûtde lui-même se retourne contre cespectateur qui l’observe commeune bête en cage. Sa femme, la

riche Simone, interprété par Jac-queline Bisset, vient payer sa cau-tion, louer un appartement poureuxdeux, et entraîner le filmdanssa seconde partie. C’est un huisclos, où Devereaux acquiert uneépaisseurhistorique etmorale qui

œuvre sinon à le sauver, dumoinsà l’humaniser (formidablemomentoùl’imagedeClaudeJade,pleurant en costume de geishadans Baisers volés, apparaît pleincadre, alors que le bonhomme sedélecte devant le film de FrançoisTruffaut).

SiWelcometoNewYorkpassion-ne, c’estqu’il estaussimaldégrossiet suicidaire que son personnage,alternant des moments magnifi-ques et d’autres assez patauds, aurisque de se saborder lui-même.Car malgré tout ce qu’il inspire,deux scènes rendent le film indé-fendable. La question qui fâche estcelledurôledeSimone, l’épousedeDevereaux. Elégante femme depouvoir dont les projets s’effon-drent quand elle apprend la chutede son mari, elle reste solidairepour préserver leurs intérêts com-muns,mais demauvaisegrâce.

Tout irait bien si lepremier traitqui la caractérise n’était la doubleallusion à sa fortune et à l’usage

qu’elleenfaitcommegrandedona-trice à Israël. Cette scène, qui sem-ble ne servir qu’à poser l’équationentre les juifs, le pouvoir et l’ar-gent, donnedans le fantasme anti-sémite.Plus loindanslefilm,Deve-reaux lui reprochera les agisse-mentsdesa famille,qui auraitpro-fité de la seconde guerremondialepour faire sa fortune. Quand onsait que le personnage est inspiréd’AnneSinclair,dontlegrand-père,le collectionneur d’art Paul Rosen-berg, a fui le nazisme et s’est vuconfisquerses tableauxpendant laguerre,cetteinsinuationestinjusti-fiable.p

IsabelleRegnier

Film américain d’Abel Ferrara. AvecGérard Depardieu, Jacqueline Bisset(durée non communiquée).Sortie le 17mai en VoD.

n Sur Lemonde.frRetrouver un article sur la genèsedu film.

DSK-Depardieu-Ferrara:ungrandfilmmaladeMisen lignedans lanuitdu17au18mai, «WelcometoNewYork»alterne lemeilleuret lepire, voire l’indéfendable

Enattendantlamiseenlignedufilm,lesavocatsfourbissentleursarmes

Cettescènesembleneservirqu’àposerlasordideéquation

entrelesjuifs,lepouvoiret l’argent

ÀLA«UNE»du Filmfrançaisdatéduvendredi 15mai, l’hebdomadai-redesprofessionnelsde l’audiovi-sueldevenu, commechaqueannée,quotidien le tempsduFesti-valdeCannes, lapubliciténepassepas inaperçue.Dedos, lesmainsmenottées,GérardDepardieuinterpelle les festivaliers:«Voussavezqui je suis?»L’encadrant,sept citations fontdeWelcometoNewYork le filmàne rater sousaucunprétexte.Même lesdeuxplus influents journauxaméri-cainsdecinémasesontprêtésaujeu: «L’incroyableperformancedeGérardDepardieuest laprovoca-tion laplusaudacieused’AbelFerra-ra» (Variety) ;«Scandaleux,hila-

rant,unportraitosé etparfoisdéso-pilant» (TheHollywoodReporter).

La campagnede com’ a atteintsonacmé, le compteà rebourspeut commencer. Samedi 17mai,à 21heures et, enVOD, toutuncha-cun,moyennantquelques euros,pourra se faire sonopinion. Scan-daleux?Diffamatoire? Contraireà la véritéhistorique? Pire enco-re…

Tapisdans l’ombredu tapis rou-ge cannois – le filmnedevrait pas,apriori, bénéficier de l’estampillepalmée«Sélectionofficielle» –,les avocatsde toutes les partiessont sur lesdents. Endroit fran-çais, pour engagerune action enjustice, il imported’apporter la

preuveque l’on apris connaissan-ce de l’œuvre incriminée. Ensachantque les tribunauxsont engénéral très rétifs à l’idéed’eninterdire la diffusion (ou la publi-cations’il s’agit d’un livre).

A l’assautDucôtédesproducteursdu

film, lespremièressalvesontététiréesdansLeMondedu19avril,quandVincentMaraval annonçaque le filmd’Abel Ferraraneseraitdistribué,enFrance,qu’enVOD.Peuaprès,dansTélérama (10au16mai), c’estGérardDepardieuquipartaità l’assaut, expliquantavoirété fascinépar«la tragédie inti-me»dece couple«à laveille de

prendre le pouvoir enFrance».L’af-faireayantdumalà«prendre», etladirectionduFestivaldeCannesayantapparemmentrenoncéàsélectionner le film,VincentMara-val accorda, cette foisau JournalduDimanche (11mai), unnouvelentretiendans lequel il expliquaitavoir subidespressionsde toutessortespourempêcherque ce filmn’existe:«Aucunechaînede téléfrançaisen’avoulunous financeralorsquenousavionsdeux immen-ses stars internationales.Onapro-posé le scénarioàCanal+etàOran-ge, quiont eudes réactionspositi-vesavantde refuser…»

Vrai? Faux?Peu importe, l’es-sentiel étaitde fairede ce filmun

objetaussidésirableetvénéneuxquepossible.De cepointdevue, iln’estpasdecaissede résonanceplusefficacequeCannes.Uneconcentrationmédiatiquerecord,tous lesprincipauxacheteursmon-diauxde filmsprésentsaumêmeendroitaumêmemoment: il yaura fouledans lanuitdusamedi17maipourassisterauxprojec-tionsoffdu film, à la conférencedepresseàgrandspectacleducoupleFerrara-Depardieuetpourpartici-perà l’énormefêtequepromet-tent lesproducteurs-distributeursdufilm.

Pendantce temps, les avocatsfourbissent leurs armes.Quandilseravisible, le filmseradisséquéà

la loupe, le codepénaldansunemain, la loide 1881dans l’autre.Diffamation?Atteinteà laviepri-vée?Antisémitisme?Pour l’heure,dans l’entouraged’AnneSinclair etdeDominiqueStrauss-Kahn,onobserve laplusgrandeprudence.Onprécise simplementque, étantdonné lemodedediffusiondufilm, lesplates-formespourraientêtre concernéesparuneéventuel-le action judiciaire.«Onvoitbien lebut recherché,ditunproche.Fairelemaximumdebuzzet crier à lacensure.Uncombledans lamesureoù,pour l’heure, nousn’avonspasditun seulmot s’agissantde cefilm.» p

F. N.

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culture

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LaChambre bleue

Un certain regard

I ls ne sont pas nombreux, lescinéastes qui ont su non seule-mentréussiruneadaptationlit-

téraire,mais,mieuxencore,retrou-ver la quintessence de l’œuvreadaptée, son parfum, sa musique,sa poésie. Subrepticement, aumoyen de ce qu’on qualifieraitvolontiers de petit film, s’il n’étaitde grand talent, Mathieu Amalricvient d’entrer dans la catégorie deces créateursqui saventallier litté-ratureetcinéma.Gageured’autantmoins évidente qu’il s’attaquait àl’un des écrivains les plus adaptésquisoit,aucinémacommeàlatélé-vision:Georges Simenon.

Dès les premières lignes de ceroman qui fascinait tant – déjà –des cinéastes comme Pialat, Cha-brol ouTéchiné, le ton estdonné:

«“Je t’ai faitmal?–Non.–Tum’enveux?–Non.”C’étaitvrai.Acemoment-là,tout

était vrai, puisqu’il vivait la scène àl’état brut, sans se poser de ques-tion, sans essayer de comprendre,sans soupçonner qu’il y aurait unjourquelquechoseà comprendre.»

N’étaient-ce les prénoms et lesprofessionsdesprotagonistes, l’in-triguedu filmcorrespondpresquemot pour mot à celle du roman.Dans la «chambre bleue» d’unhôteldeprovince, JulienGahydeetEstherDespierre, qui s’étaient per-dus de vue depuis leur enfance,s’aiment en secret. Enfin presque:un jour, il s’en faudra de peu pourquelemarid’Esthernelessurpren-ne. Julien, un concessionnaire demachines agricoles, prend peur etdécide d’emmener sa femme et sapetite fille en vacances aux Sables-d’Olonne.Mais il n’est pas si faciled’échapper aux mystères de l’at-traction entre deux corps.D’autant plus que, quelque tempsplus tard,Nicolas, lemari d’Esther,quiestdesantéfragile, sera retrou-vémortdansdesconditionsmysté-rieuses. Et que l’épouse trompée,elle non plus, n’en réchapperapas…

Tournéenformat1,33–magnifi-quetravailduchefopérateurChris-tophe Beaucarne –, La Chambrebleue est un polar qu’on placeraitvolontiers au point de jonctiond’Alfred Hitchcock et de FrançoisTruffaut. Comme le réalisateur duProcès Paradine (1947), Amalric

tournedesscènesd’amourcommedes scènes demeurtre. Et, commele réalisateurde LaFemmed’à côté(1981), il ancre magnifiquementsonhistoire dans une certaine for-mede réalisme très français.

L’exercice est d’autant plus oséqu’Amalric, dont c’est le cinquiè-me long-métrage – il était déjàvenuàCannespourLaChosepubli-que (2003)etTournée (2010)–, noncontent de réaliser ce petit chef-

d’œuvre de série B (il ne durequ’uneheureetquart),enestégale-ment l’interprète principal. QuantàEsther,samaîtresse,belleetvéné-neuse, elle est (remarquablement)interprétée par Stéphanie Cléau,quin’estautrequelacompagneducinéaste-acteur-scénariste dans lavraievie…Et,puisqu’onenestàpar-lerdesacteurs, évoquonsd’unmotles performances de Léa Drucker,

impeccable en épouse docile etréservée, et Laurent Poitrenaux,très crédible en juge d’instructionfasciné par les ressorts inouïsd’unepassionamoureuse.

Mais le plus beau, le plus origi-nal aussi, est sans doute ailleurs,dans des plans, le plus souventfixes, d’une grande originalité, quiscandent le film en de splendidesclairs-obscurs. Ici, une tache desang sur un drap, filmée commeune nature morte; là, la cicatriceencore sanglante d’une morsure;plus tard, le sexe d’Esther, un grosplan qui fait irrésistiblement pen-ser à L’Origine dumonde, de Cour-bet.

Devant Julien, la vie s’ouvrecomme un gouffre vertigineux etdélicieux. Elle lemènera jusqu’à lacour d’assise, prétexte à quelquesscènes tout ce qu’il y a de plus«simenoniennes». Comme JohnHuston dans son adaptation desGens de Dublin, de James Joyce(1987),Amalricn’hésitepasà s’em-parer, au mot près, des dialoguesde Simenon pour rendre comptede cette attirance des contraires;de cette impossible fusion entre lechaudet le froid.

Comme un animal aveuglé parles phares d’une voiture, Julien ne

peutque se soumettre à la passionde samaîtresse. C’est elle qui parleenpremier:

«C’est vrai que tu pourrais pas-ser toute ta vie avecmoi?

–Bien sûr…– Si sûr que ça? Tu n’aurais pas

unpeupeur?–Peurdequoi?– Tu imagines ce que seraient

nos journées?–On finiraitpar s’habituer.–A quoi?–Anousdeux.»Couchés sur le lit de la «cham-

bre bleue», les deux amants vien-nentde sceller leursdestins.Adieul’épouse parfaite, la charmantepetite fille, la grande maison, leboulotenvié.Julien–Amalricexpli-que l’avoir appelé ainsi en souve-nir du héros du Rouge et le Noir –n’aura même pas à répondre à laquestiondudébutdu film: «Je t’aifaitmal?» Il a succombé, tout sim-plement, incapable de déjouer lepiège que lui tendait son propredestin.p

FranckNouchi

Film français de Mathieu Amalric.Avec Mathieu Amalric, Stéphanie Cléau,Léa Drucker, Laurent Poitrenaux(1h 16). Sortie en salles le 16mai.

AmalricadapteSimenon:chicpipeDans«LaChambrebleue», l’acteuretcinéaste restitueàmerveille lamusiquede l’écrivain

Mr. Turner

Compétition

D ans un roman de Dickens,JosephMallordWilliamTur-ner serait un personnage

secondaire. Un excentrique quis’exprime par grognements, affli-gé d’un appétit sexuel qui se heur-te à son physique peu avenant etau puritanisme qui resurgit avecl’accession au trône de Victoria.Mr. Turner vit avec son vieux pèreet une servante que tout lemondetient pour une simple d’esprit. Etl’écrivain ajouterait sans doutequ’« il avait acquis une certaineréputationgrâceà sesmarines».

Depuis sa mort, en 1851, Turnerest devenu une figure centrale del’art occidental, l’homme qui aouvertlepassageversl’impression-nisme,vers l’abstractionmême.Lacontradiction entre la médiocritéordinaire d’une existence et la sin-gulière beauté d’uneœuvre est aucentre du grand film (par la durée,l’ambition et la réussite) queMikeLeigh consacre aux vingt-cinqder-nièresannéesde la viedupeintre.

On découvre un homme jouis-sant d’une célébrité et d’une pros-périté enviables. Ses collègues del’académie royale le tiennent pourun excentrique, mais la noblesse,qui doit décorer ses demeures, luiassuredes revenus constants. L’ar-tiste est un mufle atroce avec lesfemmes, que ce soit lamère de sesdeuxfilles,qu’ilarefuséd’épouser,ou sa servante Hannah Danby(Dorothy Atkinson). Le seul êtreauquel ilmanifestede la tendresseest son père, qui fut barbier àCoventGarden.

Le récit chronologique détaillelesévénementsconnusde laviedeTurner: lamortdesonpère,sa ren-contre avec une veuve qui devintsa compagne illégitime, le déclinde sa popularité, l’évolution de samanièredepeindre,qui lemithorsde la compréhension de sescontemporains. SiMike Leighmetdeux heures et demie à racontercette marche vers la mort, c’estqu’il ne veut pas sacrifier au ritueldu biopic, en cochant une case àchaque fois qu’un épisode connude la pauvre légende du peintre aété porté à l’écran. L’ambition estautre: employer les moyens de lafiction historique (les costumes,les décors et – surtout – la langue)

pour susciter l’illusion d’une vieorganique, qui baigne dans lesodeurs et les couleurs de LondresaumilieuduXIXesiècle.

Il y parvient avec une grâcemélancolique et un humour irré-sistibles. En Timothy Spall, MikeLeighatrouvél’interprèteidéal,unacteurqui ne se soucieni de sédui-re ni de convaincre, tout occupéqu’il est à habiter son personnage.Le rythme ample du scénario per-met de faire durer les séquencesjusqu’àcequ’ilenémergeunevéri-té, humaine et artistique. Certai-nes ne prennentpas leur sens toutde suite, comme ce dialogue entreTurneretunvieuxmarinquia ser-vi sur un navire négrier. Plus tard,d’autres moments finiront debalayer le stéréotype d’un artisteuniquement préoccupé des cou-leursdu ciel et de lamer.

CompulsionLescénarioprocèdeaussiparité-

ration: en contrepoint des vaga-bondages artistiques de Turner,MikeLeigh filmeavec compassionlasolitudeetladéchéancedesaser-vante,quiportelepoidsdespéchésde sonmaître (Leigha toujours étéfascinépar lemalheur féminin, deNaked à Another Year). Au fil desséquences émerge lemystère cen-tral du film: certains artistes lesontparcequ’ilsnepeuventpasfai-re autrement. Le cinéaste n’expli-que pas pourquoi le fils d’un bar-bier, que riennedestinait auxarts,estdevenuungéant créatif,mais ilmet en scène la lutte permanenteentre le poids du quotidien, de lasociété et cette compulsion. Il arri-ve que des trêves soient conclues(la séquence qui montre Turnertriomphant sur Constable estexquise),mais le prix àpayer restelemême: la solitude.

GrâceàDickPope, sonchef opé-rateur, Mike Leigh a réussi à trou-ver un passage entre la photogra-phieet l’artdupeintre,quireposaitsur l’atténuation, voire la dissolu-tion des formes. Les ciels anglais,les brumes londoniennes, les cou-chers de soleil sur l’estuaire de laTamise gardent une réalité palpa-ble, tout en effleurant le mystèrede lapeinturedeMr.Turner.p

Thomas Sotinel

Film britannique deMike Leigh. AvecTimothy Spall, Marion Bailey (2h29).Sortie en salles non communiquée.

DevantJulien, lavies’ouvrecommeungouffrevertigineux

etdélicieux.Ellelemènerajusqu’à

lacourd’assises

Delphine (Léa Drucker) est l’épouse docile de Julien (Mathieu Amalric). DR

FLA

PiùBuiodiMezzanotteSemaine de la critique

C ommeonaunpeude tempsde cerveau disponible pen-dant les 165 minutes que

dure la projection de FLA, filmd’ouverturede laSemainedelacri-tique, on se pose des questionscomme: est-ce que cet acronyme(pour « faire l’amour») s’utilisedans le langage courant ? Peutdemander à son ou sa partenaire«tuveuxFLA?»?

Onnepeutreprocheraudeuxiè-me long-métrage de Djinn Carré-nard, auteur de Donoma, de met-tre au chômage les membres duSyndicat français de la critique,organisationdontémanelaSemai-ne.FLA arbore ses défauts, ses idio-syncrasies, sa singularité avecl’aplomb inconscient d’un adoles-cent qui veut se distinguer à la foisde la génération précédente et desespairs.

Ilfautdoncdeuxheuresquaran-te-cinq minutes au réalisateurpour raconter l’histoire d’Ousma-ne (Maha), un rappeur qui

convainc Laure (Laurette Lalande)de ne pas avorter après une nuitd’amour enivrée. Les deux jeunesgens quittent Paris pour Perpi-gnan, et là, Ousmane,qui avait faitle sermentdene jamais approcherde lamer, va jusqu’à la plage et estfrappéde surdité.

Si l’on dégage le film de sesinnombrablesscories,ontrouveenson centre le langage et sa percep-tion.Cemotif est leprétexteà d’in-terminablesséquencesd’engueula-des entre les deux amants origi-nels, auxquels viennent se joindrelemanager d’Ousmane, la sœur etlamère de Laure. Lamise en scènerepose sur l’utilisation de surca-dres différents, et d’un traitementdes couleurs proche de celui quepermet l’application Instagram.

Ce qui veut dire qu’une bonnepartiedutempsestoccupéeàregar-derdesgenss’agonird’injuresàtra-vers un cache de diapositive. Unefois surmontée l’exaspérationquesuscite une expérience aussi pro-longée, on peut repenser aux bel-les idées qui courent de-ci de-là aulongdeFLA : l’irruptiondusurnatu-reldansundramenourriduquoti-dien le plus ordinaire, la grâce decertains plans comme celui quimontre Laure dans son uniforme

d’hôtesse de l’air face à deux collè-gues qui ont l’air d’anges extermi-nateurs. Selon l’humeur, onpeut ytrouver des raisons d’espérer dansl’avenir dumetteur en scèneouderegretter qu’il gaspille un talentdignede considération.

Quête d’absoluPremier film présenté en com-

pétition à la Semaine, Più Buio diMezzanotte (plus sombre queminuit) est en comparaison d’unesimplicitédéconcertante. Ilmetenscène les efforts deDavide, un gar-çon de 13 ans, habitant de Catane,en Sicile, pour échapper à l’empri-se de sa famille et vivre sonhomo-sexualité. Davide se heurte à unpère inflexible, et ne trouve guèrede soutien auprès de sa mère, quiest en traindedevenir aveugle.

Sebastiano Riso, le réalisateurqui débute ici (la Semaine ne pré-sentequedespremièresoudeuxiè-mes œuvres), adopte sans réservele point de vuede sonpersonnage.Davide aime éperdument lespaillettes, David Bowie, les divastravesties (un rôle qui échoit ici àPippo Delbono). Il s’est aménagéun refuge, dans un grenier, dont ilest chassé par la fureur paternelle.Si bien qu’il doit reconstruire au

gré de son errance dans les bas-fondsdeCataneunmondede rêvealors que la réalité est plus procheducauchemar.

Devant la caméra de Riso, cettecontamination des bas-fonds parle rêve rejoint le cinéma tel qu’il sefaisait dans les années 1980, alorsque le réalisateur n’était qu’unenfant. La séquence du concertclandestin donné sur le pont d’uncargofaitpenserauxfilmsqueBei-neixouBéhat adaptaient alors desgrandsmaîtresduromannoiramé-ricain. Ce qui n’est pas forcémentune référence très recommanda-ble. Ce qui l’est plus en revanche,c’est le regard que pose le cinéastesur son jeune interprète. Androgy-nesdurs et fragiles commeducris-tal, les deuxDavide (le personnageet l’interprète,puisqu’ilsportentlemêmeprénom)imposentleurquê-te d’absolu, quelles que soient lesmaladressesdunarrateur.p

T.S.

FLA. Film français de Djinn Carrénard.Avec Maha, Laurette Lalande (2h45).Sortie en salles le 3septembre.Più Buio di Mezzanotte. Film italien deSebastiano Riso. Avec Davide Capone(1h34). Date de sortie non communi-quée.

«Mr.Turner»,oulafureurdepeindreMikeLeighdonneàvoir laviemédiocreet l’œuvre immensede l’artisteanglais

AlaSemainedelacritique,l’amourrendsourdAccèsderageetmaladressesauprogrammedes filmsdeDjinnCarrénardetdeSebastianoRiso

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LE MONDE

ACADÉMIE

Rap

L egangsta rapde laCôteouestaméricainen’est plus ce qu’ilétait. Tant mieux ! Nouvel

arrivant sur la scène, SchoolboyQa rempli le Bataclan à Paris les 5 et6mai, tandis que le duo forméparle rappeur FreddieGibbs et le pro-ducteur Madlib caracole au som-met des charts américains avecson album Piñata, publié par lelabel indépendant Stones Throw.Avec eux, le gangsta rap tradition-nel a perdu de ses couleurs, cellesdes gangs, mais a gagné en jus-tesse, en émotion et en richessemusicale.

Après le succès de KendrickLamar, membre du collectif BlackHippy auquel appartient School-boyQ, le gangsta rap prend unenouvelle direction. Selon ce der-nier, rencontré à Paris au lende-mainde sonpremier concert pari-sien, cet axe suit l’évolution de lasituationdesgangsdansleurville :«Los Angeles a beaucoup changédepuis la sortie de l’album TheChronic, de DrDre. En 1993, laculture des gangs était beaucoupplus forte, chacun restait dans soncamp, sur son coin de rue. Aujour-d’hui, il y a une nouvelle généra-tiondemembresdegangs.Danslesrues, on ne voit plus les jeunes por-ter leurs couleurs, du bleu ou durouge, les pantalons Dickies et lesbaskets Chuck Taylor. Aujourd’huice qui compte, c’est comment tu tecomportes, d’où tu viens.»

De son vrai nom Quincey Han-ley, ce rappeur de 27ans a grandiau cœur de South Central, sur la51erueet l’avenueHooverqui défi-nit à Los Angeles la frontière entrel’Est et l’Ouest, la séparation entreles factionsdesCripsetdesBloods,gangs rivaux dont l’affrontementa fait plus de 10000morts envingt-cinqans.

Fils d’une mère célibataire, untemps soldat dans l’armée améri-caine, SchoolboyQ partageait sontempsentre le football, qui luiper-mettait de ne pas redoubler aulycée, et ces fameux gangs : «A18ans, c’est là que tu décides d’yentrersérieusementoupas,detrafi-quer ounon, raconte-t-il.Tune vasplus à l’école, tu t’ennuies.»

A 20ans, il est arrêté pour deuxcrimes dont le rappeur refuseaujourd’hui de se vanter, et accep-te l’offre que lui propose le juge:ne pas inscrire sa condamnation

sur son casier judiciaire contreunecourtepeine. LaCalifornie faitpartiedesEtatsaméricainsquiontmis en place la loi dite des «threestrikes» pour lutter contre la réci-dive. A sa troisième lourdecondamnation, le prévenu estcondamnéà vingt-cinq ans de pri-sonminimumjusqu’à laperpétui-té.C’estenprisonqueSchoolboyQaffûte son rap, et il ne le conseillepas aux enfants : « Je ne glorifierienmais je raconte juste en détailcequim’estarrivé, je décris lemon-dedans lequel je vis.»

Même philosophie chez Fred-die Gibbs: ses vidéos, dénuées debling-bling, sont d’une esthétiqueplutôt crasse comme dans le clipThuggin’: «Le trafic de drogue, cen’est pas joli, ce n’est pas sexy. J’es-saie de le montrer tel qu’il est,moche, sale, violent. Il n’y a pas dehappy end, juste un bon d’entréepour la prisonou le cimetière.»

Son écriture tranche avec lescompositions latin jazz et soul deson compagnon de route, Madlib.Fils d’unepostière et d’unpolicier,Freddie Gibbs a grandi à Gary,dansl’Indiana,oùilestdevenudea-ler pour se rebeller contre sonpère:«Jen’aimaispascequ’ilrepré-sentait.Lesmecsqui “dealaient”aucoindemaruegagnaientplusd’ar-gent que lui, conduisaient desLexus, portaient des chaînes en or,des Rolex.»

Arrivé à 22 ans à Los Angelesavec ses fantasmes, il développeune écriture plus mature: «Je suisunpoètede larue, jenesaispasrap-per sans raconter une histoire, sansmettreenimagescequejevois,sanspour autant passer mon temps àme vanter du nombre de richessesque je possède, de filles avec qui jesors. Jemontreaussibienmesforcesque mes faiblesses, des choses quim’ontblessé,quifontquej’aipuaus-siblesserlesautres. Jemontreunlar-ge éventail d’émotions, ce quiman-quaitbeaucoupaugangsta rap.»p

StéphanieBinet

Piñata, de Freddie Gibbs et Madlib,1CD chez Stones Throw Records.Oxymoron, de Schoolboy Q,1CD chez Interscope/Polydor.

ALosAngeles, legangstarapgagnéparl’émotionAvecFreddieGibbs,MadlibouSchoolboyQ, legenreperdenbling-blingetgagneensentiment

MusiqueLe futur directeur de la Scala deMilanvoit sonmandat limité à une saisonLe conseil d’administrationde la Scala, présidépar lemaire deMilan, a décidé, lors d’unvote, jeudi 15mai, de limiter le contratde son futurdirecteur, Alexander Pereira – qui doit prendre sesfonctions le 1eroctobre–, à une seule saison, jusqu’à la fin 2015, aulieudes cinqprévues. Cette décision intervient après un scanda-le lié à un soupçonde conflit d’intérêts: AlexanderPereira avaiten effet programmé,pour son futurmandat, quatre opéras pro-duits par le Festival de Salzbourg, dont il est le directeur. – (AP.)

culture

SOSd’IsraéliennesendétresseDeuxhuis clos,«Loindemonpère»et«Gett»,dénoncent lepoidsdupatriarcatdans l’Etat juif

Loin demonpère

Un certain regard

GettQuinzaine des réalisateurs

O nnecessed’êtresurprisparlafertilitécinématographi-que israélienne, par sa

manière très vive de se confronteraux dysfonctionnements sociauxetpolitiquesdelanation.Cemicro-payssousmaxi-tensionenvoiecet-te année encore, toutes sectionsconfondues, six films à Cannes.Les deuxpremiers viennentd’êtrerévélés. Ils ont encommunde tou-cher à l’intimité des personnages,et en même temps au cœur del’identité collective. Unmotif can-nois s’y confirme : la cruautéenvers les femmes.

Lepremierdeces filmsestsignépar Keren Yedaya, la réalisatricequi a donné voici dix ans le coupd’envoi du nouveau cinéma israé-lien sur la scène internationale enrecevant, ici même à Cannes, laCamérad’oravecsonpremierlong-métrageMontrésor (2004).Enchaî-nant avec Jaffa en 2009, ellerevient aujourd’hui avec Loin demonpère, prolongeantlaveineàlafois féministe et socialede ses pré-cédents films.

A une notable différence près :KerenYedaya ypasse d’une certai-neâpretéréalisteà lamiseenscènefrontale d’une relation incestueu-se en huis clos, avec le parti prisd’enmontrer la routinedans toutesonabjection. Il n’est doncpas cer-tain que tous les spectateurs aientle couraged’assister jusqu’auboutàce filmquia fait le choix,discuta-ble, de l’exhibition plutôt que del’évitementdu sordide.

Soit un père et sa fille, réduits àla fonction scandaleuse du tabouqu’ils incarnent: un géniteur per-vers et manipulateur qui se com-porte comme un prédateur, unejeunefemmeterroriséeetautodes-tructrice, demeurée à l’état dedépendance infantile vis-à-vis deson père. Un décor exigu, unecaméra qui fouaille les visages etles corps en plan serré, une absen-ce notable de dialogue, un inces-

sant écoulement de matières(vomi, larmes,morve, sang, eaudevaisselle), voilà un spectacle quimène délibérément à la suffoca-tion. Doit-on y voir unemétapho-re de l’exacerbation de l’enferme-mentetdelaviolencequiaffectelasociété israélienne? La séquenced’une amère ironie où la fille, lepère et son amante célèbrentensemble la Pâque juive – fête quicélèbre la fin de l’esclavage enEgypte et la conquête de l’émanci-pationnationale–inciteà lecroire.

Portée à un niveau autrementplus symbolique, on retrouve lemême jeu demiroirs entre violen-ce intime et sociale dans Gett, deShlomi et Ronit Elkabetz. Frère etsœuràlaville, lesréalisateursbros-sent depuis dix ans la chroniquefictionnelled’une famille séfaradedysfonctionnelle, Ronit Elkabetzincarnant à l’écran Viviane, unefemme martyre victime d’unmodèle archaïque de conjugalité.AprèsPrendre femme (2004) et Les

Sept Jours (2008),Gett (divorce, enhébreu)estl’acteultimedeladésin-tégration du couple et partant del’émancipation de la femme. Lesujet du film n’est autre d’ailleursquecefameuxactededivorce,sou-mis en Israël à la seule loi religieu-se et au bon vouloir du mari, quipeutrefuserde l’octroyer,sansque

les juges rabbiniques puissent l’ycontraindre. Cette procédureengendredescasd’unecruautéraf-finée, où la femme se trouve desannéesdurantprivéedelapossibi-lité de refaire sa vie.

Moinsoutrancieretpsychologi-quequelesdeuxprécédentsépiso-des,Gett a la vertu de documenterla procédure elle-même, enconcentrant en deux heures defilmcinq annéesde bataille juridi-que dans l’enceinte d’un tribunalrabbinique. Le dispositif, trèssobredanssamiseenscène,apour

heureux effet de désamorcer lepathétique théâtre de la disputeconjugale au profit de la descrip-tion incisive d’une institution quipartage son interprétation de laLoi juive avec l’affolante vision dumondede FranzKafka.

Les tableaux se succèdent doncde comparution en comparution,avecune étonnante constance.Unmari, déçudans son amour et tou-chédanssonhonneur,quisemuredans son refus d’accorder le pré-cieux document. Des juges quitarissent les ressources de lamau-vaise foi pour ne pas le désavouer.Une femme, enfin, qui désespèrede gagner jamais sa liberté, humi-liée par un appareil juridique quimarchepubliquementcontre elle.

Voicidoncdeuxhuisclossignéspar des Israéliennes qui mettentlittéralement en charpie le culterendu dans leur pays à la virilitéreconquise. p

JacquesMandelbaum

Loin demon père. Film israélien deKeren Yedaya. Avec Maayan Turjeman,Tzahi Grad (1h35). Sortie en salles noncommuniquée.Gett. Film israélien de Ronit et ShlomiElkabetz. Avec Ronit Elkabetz, SimonAbkarian (1h55). Sortie en salles noncommuniquée.

Danslacabined’essayagedel’énarqueproductrice

C’estenprisonqueSchoolboyQaffûtesonrap

Cesdeuxfilmsontencommunde

toucheràl’intimitédespersonnages,etenmêmetempsaucœurdel’identitécollective

Viviane (Ronit Elkabetz) et Carmel (Menashe Noy) dans «Gett». DR

P arceque sonhôtel, à Can-nes, est toutprocheduPalaisdes festivals, la cham-

bredeMarieMasmonteil est deve-nueun salond’essayageoù sesamis testent leurs tenuesde soi-rée. Et ils sontnombreux! Car laproductricede cinéma (Elzévir) adeuxfilms sur la Croisette: avecsonassociéDenis Carot, ellepré-sentePartyGirl, sélectionnéàUncertain regard, inspiréde lavied’uneanciennedanseusede caba-ret et réaliséparun triod’amis,MarieAmachoukeli, ClaireBur-ger et SamuelTheis; avec sonautre associée, SandrineBrauer,elle défendun filmplusmilitantà laQuinzainedes réalisateurs,GettdeShlomietRonit Elkabetz,àproposd’une femmequi tented’obtenir ledivorce, en Israël…

Des films engagésCesdeux longs-métragesquali-

fient assezbien le cinémaque cet-te grandeémotiveaimeà soute-nir: des films engagés, féministes«et àhauteurd’homme», préci-se-t-elle.«Je n’aimepas les cinéas-tesqui regardentdehaut leursper-sonnages, commedes entomolo-

gistes épinglentdes insectes!»C’estdit… L’ancienneprésidenteduSyndicatdesproducteurs indé-pendants (SPI), 52ans, a de la bou-teille. Citonsdans sa filmogra-phiePourquoi pasmoi? (1998), deStéphaneGiusti – «sur l’homo-sexualitéheureuse», dit-elle –,Vas, vis et deviens (2004), deRaduMihaileanu,ouTousauLarzac(2011), deChristianRouaud.

Dans les années 1980, elle a suqu’ellevoulait aider les artistes àcréer.«Je feuilletaisunmagazinequi recensait les femmes remar-quables.A la lettre “t”, j’ai lu Cathe-rineTasca. Elle codirigeait le Théâ-tre desAmandiers, àNanterre,avecPatrice Chéreau.»MarieMas-monteil lui a envoyéune lettre,car elle était enplein doute.«Montée àParis», après avoirgrandi àTulle (Corrèze), ellevenait de finir l’ENA, l’Ecolenatio-naled’administration, vivierdehauts fonctionnaires et de la clas-sepolitique.Devait-elle toutaban-donner?CatherineTasca lui arépondu, surunepetite carte àprésent jauniepar le soleil : «Ilfaut suivre sapassion.» p

Clarisse Fabre

14 0123Samedi 17mai 2014

Page 15: 17 mai Le Monde.pdf

150123Samedi 17mai 2014 disparitions& carnet

A u fil de sa carrière, il futdécrit comme « le plom-bier», « le démineur» ou

«le taureau de Vilvorde», du nomdelabanlieueflamandedeBruxel-les où il vivait, s’occupant, troppeu à son goût, de son jardin et desa collection de statuettes de coqs.Jean-Luc Dehaene (de haan signi-fielecoq,ennéerlandais),mortjeu-di 15mai enFrance, des suitesd’unmalaise alors qu’il visitait une bis-cuiterie à Quimper (Finistère),aimaitàcultiversadifférencedanslemondepolicédelapolitiquebel-ge, royaumeduconsensusmou.

Lesphotosdecedirigeantatypi-que lemontrenten traindevocifé-rer dans les tribunes du FCBruges,son club favori, d’enfourcher untaureaumécaniquelorsd’unvoya-ge officiel aux Etats-Unis ou d’in-gurgiter des canettes de bièreautour d’un barbecue familial. Néle 7août 1940, àMontpellier, où safamille était réfugiée après l’inva-sionde sonpays, ce fils depsychia-tre adorait se couler dans la peau

de l’hommedupeuplequ’il n’étaitpas.Maisilaimaitlepeupleetcelui-ci le lui rendit bien, lui assurantnotammentuntriompheen2004,lorsqu’il fut éludéputé européen.

Brutal en actes et enparoles, findans le raisonnement, l’ex-chef degouvernement feignait de semoquer de l’ambition, de la com-munication, toutes choses qu’ildétestait, sansnier toutefoisqu’el-les pouvaient aussi être utilisées àbonescient. Par exemple,pour fai-re plier des adversaires et les ame-ner, à l’issue de longues négocia-tions secrètes, à signer un docu-ment, parfois improbable maispermettant d’ébaucher une solu-tion pour cet Etat constammentsur le fil.

C’était la «méthode Dehaene»,la marque de fabrique d’un diri-geant qui eut plusieurs vies. Celled’un homme discret, d’abord,diplômé en droit et en économie,chercheur dans le mouvementsocial chrétien, son vivier naturel.Il entra ensuite en politique etdevint conseiller dans divers cabi-nets ministériels, au service duCVP, le puissant parti chrétienpopulaire.

Unpartiquirégnaenmaîtresurla vie politique flamande jusqu’àcequ’il paye l’erreurde s’être asso-ciéaveclesnationalistesdel’Allian-

ce néoflamande (NVA), formationmicroscopique au départ, qu’ilnourrit en son sein et à laquelle ildevra peut-être céder bientôt lesrênes de la Région flamande. Dansses dernières interviews, quelquessemaines après une interventionchirurgicale pour une tumeur aupancréas, M.Dehaene avait vive-ment critiqué la NVA. Très engagépour la Flandre et la régionalisa-tion, il n’aimait pas le nationalis-me et ne voulait pas voir compro-misel’œuvredesavie, lafédéralisa-tiondu royaume (1993), à ses yeuxleseulmoyend’apaiser les conflitsentre FlamandsetWallons.

Canaliser la colèreSa vie de premier ministre

(1992-1999) fut marquée par biend’autres événements. Un échecdans sa tentative de présider laCommission européenne, desscandales de corruption qui déca-pitèrent les Partis socialistes dunordet du suddupays,unevigou-reuse politique d’assainissementbudgétairemenée conformémentaux exigences du traité de Maas-tricht et, surtout, la terrible affaireMarcDutroux.

La Marche blanche du 20octo-bre 1996, protestant contre lescarences de l’Etat dans cette «sagade l’horreur», fut un séisme quiaurait pu emporter le régime. Ellen’entraîna finalement que ladémission de deux ministres, en1998, quand le tueur parvint às’évader durant quelques heuresd’un palais de justice… Jean-LucDehaene, après avoir donné l’im-pression de négliger cette affaire,sutcanaliserlacolère. Il échoua,enrevanche, à maîtriser une criseenvironnementale (le «poulet à ladioxine») qui entraîna la défaitedessociaux-chrétiensen1999et leforçaàpasser lamainàsonrival, lelibéralGuyVerhofstadt.

Saquatrièmevie, il laconsacraàl’Europe d’abord. Eurodéputé, ilcoprésida aussi la Convention de2002, au côté de Valéry Giscardd’Estaing. Il s’engagea dans lesaffaires, siégeant dans diversconseilsd’administrationetaccep-tant, de 2008et 2011, la présidencede Dexia, la banque franco-belgeenpleinnaufrage.«Missionimpos-sible», jugeait-il après cette expé-rience ratée. Missions impossi-bles, aussi, en 2007 et 2010, pourtenter de résoudre, à la demandedupalaisroyal, lesnouvellescrisesinstitutionnelles. « Je ne com-prends plus la nouvelle générationpolitique», expliquait-il en 2010.Les dirigeants aux commandesestimaientneplus avoir besoindece vétéran. Une crise de cinq centquarante jours allait suivre.p

Jean-PierreStroobants

7 août 1940NaissanceàMontpellier1992-1999PremierministredeBelgique15mai 2014Mort àQuimper(Finistère)

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AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Jean-Paul Bay,son époux,

Christophe et Anne Bay,Pascal et Marianne Bay,

ses fils et belles-filles,Pierre, Victoire, François, France

et Philippe,ses petits-enfants

Et toute la famille,

ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Christiane BAY,née HOUIS,

survenu le mardi 13 mai 2014.

La cérémonie religieuse sera célébréele mardi 20 mai, à 15 h 30, en l’égliseNotre-Dame de Saint-Mandé, 84, avenuedu Généra l -de-Gaul le , su iv ie del’inhumation au cimetière de Saint-MandéSud, dans l’intimité familiale.

Pierre-François Codouet Jacqueline Dauriac,

Marie-Laure et Louis Moutard,Béatrice et Jean-Marie Delamer,

ses enfants,

Ulysse et Elodie, Oskar, Noé, Achille,Nina,ses petits-enfants,

Solal,son arrière-petit-fils

Ainsi que toute la famille,

ont le chagrin d’annoncer le décès de

Janine CODOU,née MOURET,

survenu à Paris, le 10 mai 2014,dans sa quatre-vingt-douzième année.

La cérémonie religieuse sera célébréele samedi 17 mai, à 14 h 30, en l’églisede Cabestany (Pyrénées- Orientales).

Clermont-Ferrand.

Viviane Penicaud,Marie-Madeleine Barneoud,Henri Cordonnier,Bernard et Geneviève Durieux,Jean et Isabelle Cordonnier,

leurs enfants, petits-enfantset arrière-petit-enfant,

Soize et Guy de PontualEt la communauté

de la Mission de France,

font part du décès du

père Jacques CORDONNIER,survenu le 13 mai 2014,à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.

La célébration des obsèques aura lieule lundi 19 mai, à 14 h 30, en l’égliseSainte-Thérèse de l’enfant Jésus, rueAbbé-Prévost, à Clermont-Ferrand.

Ni fleurs ni plaques.

« Liberté, sérénité, harmonie ».Ces jolis mots ont guidé la vie de

JacquelineGOURDIN-LENGLET,

décédée le 30 avril 2014,à Bâle (Suisse).

Ceux qui ont eu la chance de laconnaître se souviendront d’un être entier,sensible, généreux.

Ses anciens élèves n’oublieront pasqu’elle a été une enseignante passionnée.

Ceux qui l’ont aimée, selon son vœu,s’efforceront de surmonter leur chagrin.

Georges et Véronique,14, rue de Maubeuge,75009 [email protected]

L’Arcouest. Verrières-le-Buisson.Assérac. Montevideo.

Marie-Louise et Catherine Grumbach,Nathalie Grumbach-Lima,

ses filles,Thomas et Angélina Follut,

ses petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Jacques GRUMBACH,docteur en droit,

ancien président du Ciné-club Action,

survenu à Paimpol, le 13 mai 2014,dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année.

Les obsèques auront lieu à Paimpol(Côtes-d’Armor), le 17 mai, à 14 heures,au funérarium, 2, avenue de Guerland,suivies de l’inhumation au cimetièrede Ploubazlanec.

29, rue du Pont-aux-Pages,44410 Assérac.

Michel Prada,président,

Le secrétariat général,Tous les membres

du Conseil de normalisationdes comptes publics,

ont la tristesse de faire part du décès de

Jérôme HAAS,président

de l’Autorité des normes comptableset membre du collège

du Conseil de normalisationdes comptes publics,

survenu le jeudi 8 mai 2014.

Ils s’associent à la douleur de la familleet saluent le sens du service public dece grand commis de l’État.

Leah Pisar,son épouse,

Fabienne et Jean Marimbert,sa sœur et son beau-frère,

Samuel et Judith Pisar,ses beaux-parents,

Ketty Haas,sa belle-mère,

Antony et Evan Blinken,Alexandra et Daniel Pinto,Helaina et Brian McKibbin,

ses beaux-frères et belles-sœurs,

Laetitia et François Marimbert,Arielle et David Pinto,

ses nièces et neveux,

ont l’immense tristesse de faire partde la mort de

Jérôme HAAS,survenue le jeudi 8 mai 2014,à l’âge de cinquante et un ans.

Les obsèques ont eu lieu dansl’intimité.

Une commémoration sera annoncéeultérieurement.

Qu’un hommage soit rendu à lamémoire de ses parents,

Jean-Claude et Annie HAAS.

Le laboratoire d’excellencesur la régulation financière,

Augustin de Romanet,présidentdu conseil d’orientation stratégique,

Christian de Boissieu,président du conseil scientifique,

Raphael Douady,directeur académique,

François-Gilles Le Theule,directeur exécutif,

ont le regret de faire part du décès de

Jérôme HAAS,membre du conseil

d’orientation stratégique du Labex,

survenu le jeudi 8 mai 2014,après une lutte courageuse contre lamaladie.

L’Europe perd un de ses grands expertsde la délicate question de la valorisationdes actifs financiers.

Le Labex ReFi s’associe à la peinede sa famille et de ses proches.

Roger Halgand,son époux,

Bruno et Michèle Halgand,Hervé Halgand et Yves Jolivet,

ses enfants,Aurélien et Anne-Sophie, Delphine,

Brieuc,ses petits-enfants,L’ensemble de la famille,Tous les prochesEt amis,

ont la douleur de faire part du décès deMme Cécile HALGAND,

née FOLLET,survenu dans sa quatre-vingt-onzièmeannée.

La cérémonie religieuse a eu lieule mardi 13 mai 2014, en l’église deCaudebec-en-Caux (Seine-Maritime).

Famille Halgand,Sente du Vieux Chêne,76580 Le Trait.

Béatrice Ouin,sa femme,Maya, Safia, Julie, Tarik et Michaël,

ses enfants et beaux-enfants,Sa familleEt ses nombreux amis,

ont le chagrin de faire part du décès,à l’âge de soixante-treize ans, le 15 mai2014, à Boudou, de

Jean-Paul JACQUIER,secrétaire national de la CFDT

de 1982 à 1992,fondateur et animateur du site

www.clesdusocial.comLa cérémonie aura lieu le lundi 19 mai,

à 15 heures, au crématorium Pont-de-Chaume, de Montauban (Tarn-et-Garonne).

Un hommage lui sera rendu, à Paris,le vendredi 18 juin, à 18 heures, au siègede la CFDT, 4 boulevard de la Villette,Paris 19e.

Cet avis tient lieu de faire-part.Le Bourg,82200 Boudou.

Anne-Marie Stoullig-Gerschel,sa sœur,

Jean-Michel Stoullig,son frère,

Les familles Stoullig et Gerschel,Ses amis,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

Chantal STOULLIG,survenu le 30 avril 2014,à l’âge de soixante-quatre ans.Les obsèques ont eu lieu en l’église

d’Escamps (Lot).Cet avis tient lieu de faire-part et

de remerciements.

Jean Vaudour,son époux,

Sylvie et Philippe Vaudour,Emmanuelle et Daniel Dupuis,Héloïse, Luc, Bérénice,Augustin, François-Régis,

Paul-Irénée,ont la tristesse de faire part du décès de

Nicole VAUDOUR,née JOUVE,

maître de conférences en géographieà l’université de Provence,

survenu le 14 mai 2014,dans sa soixante-treizième année.La cérémonie religieuse sera célébrée

le lundi 19 mai, à 14 heures, en l’églisede Roquevaire.

Mme Nicole Wagner,sa mère,Ses fillesEt toute sa famille,

ont la tristesse de faire part du décès deM. Philippe WAGNER,

survenu le 13 mai [email protected]

Avis de messe

Une messe sera célébrée le mardi27 mai 2014, à 11 heures, en l’église Saint-Louis-en-l’Ile, Paris 4e, à la mémoire de

Maurice FAURE,décédé à Cahors, le 6 mars.

Colloque

Indochine, France, Vietnam :oublis et remémorations.

Le 24 mai 2014, de 9 heures à 16 h 30.Conférence-débat avec

Pierre Daum, Eric Lafon,Dominique Rolland, Hélène Péras,

Ton That Thanh Van, Pierre Nguyen-Van,Bernard Durand, Gérard Bayle,

Daniel Kipman, Luong Can Liem.

Théâtre Berthelot,6, rue Marcellin-Berthelot,

àMontreuil (Seine-Saint-Denis).Dédicaces en fin de journée.

Ouvert à tout public, (PAF.) 25 €.Organisée par le

musée de l’Histoire vivante (Montreuil)et l’Association Franco-Vietnamienne

de psychiatrie (Paris).Inscription sur place ou préinscription

[email protected]

Conférence

Mardi 20 mai 2014, à 18 h 30,conférence de L’UniverCité

La guerre au travail, 1914-1920Étrangers et coloniaux à l’usine

et dans les champs,une conférence de Laurent Dornel,

Université de Pau et des Pays de l’Adour,présentée par Marianne Amar,responsable de la recherche.

Entrée libre sans réservation,dans la limite des places disponibles.

Auditorium Philippe Dewitte.Musée de l’Histoire de l’immigration,

293, avenue Daumesnil, Paris 12e.www.histoire-immigration.fr

Contact :[email protected]

Exposition

Expositiondu Centenaire de la Grande Guerre

1914-1918Voix d’écrivains et d’artistes

« Des ravages de la guerreau désir d’Europe »

Paul Claudel, Paul Landowski,Charles Lhermitte :

écrits, sculptures, photos.

Le Silo U1, 53, rue Paul-Doucet,02400 Château-Thierry.

www.le-silo.netwww.maisons-ecrivain-picardie.fr

[email protected]

Communications diverses

ISF :Déduisez 75 % du montant de votre donà la Fondation du patrimoine juif

de France pour participer à la constructiondu Centre européen

du judaïsme, Paris 17e.Tél. : 01 49 70 88 02,

[email protected] l’égide

de la Fondation du judaïsme français.

Prixde la découverte poétique 2014.

Fondation Frédéric et Simone de Carfort,sous l’égide de la Fondation de France.

Ce prix a pour objet la découverted’un poète d’expression française,

inconnu ou méconnu.Adresser

soit quatre jeux dentiquesde 30 poèmes inédits,

soit quatre exemplairesde votre première publication

accompagnés d’une notice biographique,entre le 15 juillet et le 31 octobre 2014,

en pli non recommandé à :

Fondation de France,Prix Simone de Carfort,

40, avenue Hoche - 75008 Paris.

Le montant du prix est de 2 500 euros.Aucun retour des manuscrits ne sera fait.

Le Keren Hayessod en partenariatavec la Fondation France-Israël

vous propose de mettre votre ISFau service du renforcement des liensentre la jeunesse de France et Israël.Dans ce cadre, Richard Prasquier,

président du Keren Hayessod Francevous invite à une réunion d’information :Comment réduire son ISF grâce au don ?

Avec la participationd’un expert-comptable et d’un notaire.

Mercredi 21 mai 2014, à 18 h 45,Avenue Montaigne, Paris 8e.Inscription obligatoire au :

01 77 37 70 80 - 06 14 51 36 [email protected]

Nous sommes priés d’annoncer le décèsde

M. Jean-Louis MESPOULHES,ancien directeur du contentieuxà la direction générale des impôts,

ancien conservateur des hypothèques,officier de la Légion d’honneur,

commandeurde l’ordre national du Mérite,

survenu le 12 avril 2014, à Blois,dans sa centième année.

Cet avis tient lieu de faire-part.

22, rue des Ormeaux,41120 Cellettes.

Hommepolitiquebelge

Jean-LucDehaene

Ennovembre 2013. WIKTOR DABKOWSKI/ZUMA/VISUAL PRESS AGENCY

Page 16: 17 mai Le Monde.pdf

0123 est édité par la Société éditrice du «Monde » SADurée de la société : 99 ans à compter du 15décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).Rédaction 80,boulevardAuguste-Blanqui, 75707Paris Cedex13 Tél. : 01-57-28-20-00Abonnements par téléphone: deFrance32-89 (0,34¤TTC/min) ; de l’étranger: (33) 1-76-26-32-89;par courrier électronique: [email protected] 1 an : Francemétropolitaine : 399¤Courrierdes lecteurs: blog:http://mediateur.blog.lemonde.fr/;Parcourrierélectronique:[email protected]édiateur:[email protected]: site d’information:www.lemonde.fr ; Finances : http://finance.lemonde.fr; Emploi :www.talents.fr/ Immobilier:http://immo.lemonde.frDocumentation: http ://archives.lemonde.frCollection: LeMonde surCD-ROM :CEDROM-SNI01-44-82-66-40LeMondesurmicrofilms: 03-88-04-28-60

M ercredi 14mai, Arte avaitinscrit auprogrammedesadeuxièmepartiede soi-

rée«YvesSaint Laurent, le dernierdéfilé» (2012). Je ne connaissaispas ce beaudocumentairede LoïcPrigent et l’ai visionné le lende-main sur le site InternetArte+7.

L’aurais-jedéjà vu, à l’occasionde sapremièrediffusion, en 2013,le regarder ànouveaum’auraitsûrementprocuré uneémotionégale à celle d’unepremière fois.Car je neme suis jamais lassé descruter le travail de cet artiste–rare exception enunmétier oùles artisans sont la règle –, et je gar-de enmonpanthéonpersonnel lefilmau tactmerveilleuxdeDavidTeboul,Yves Saint Laurent 5 ave-nueMarceau75116 Paris (2002),où l’on voit le couturier, au boutdu rouleau, travailler dansunexemplaire rapport de courtoisieet de délicatesse avec ses chèresouvrières. (Celles-ci, avec autantde finesse affectueuse, lui rendi-renthommage, au soir de sesadieux, enportant aupoignet unbracelet de crêpenoir.)

Baignantdansunemusiquedélétère – pot-pourri de res-sac newage et de figuresdoloris-tes de Jean-SébastienBach –, lefilmde ce défilé rétrospectif de2002, présenté auCentre Pompi-doudevantune salle transied’émotion, se présente commeunrequiempourune époquedéfun-te. Le 7 janvier de cette année-là,aprèsquarante ansd’exercice auservicede lamaisonde couturequ’il avait fondéeavec son compa-gnon PierreBergé (actionnaire àtitre individuel duMonde), YvesSaint Laurent se retiraitde cemon-dequi n’était plus le sien.

S’était-il un jour trouvé en

accordavec lui? On l’a oublié,mais Saint Laurent fut souvent lereflet décadré et sulfureuxdel’époque. L’historiennePamelaGolbin, l’un des témoinsqu’interroge LoïcPrigent – com-me toujours finemouche etoreille sensible –, rappelle simple-mentquevêtir les femmesdepan-talonspassait, il y a quelques lus-tres, pourunacte sacrilège alorsque la Constitution leur en inter-disait le port.

Et il y eut lesmannequinsnoirs, les smokingsmasculinsquiredéfinissaient la féminité, lesseins à peinevoilés, les robes-sacsMondrianajustées sur les corpsavecune fluiditémystérieuse etexacte.

Il y eut, on l’avait oublié, bienavant le bustier à seins dardésdeJeanPaulGaultier pourMadonna,une sublime robeafricaineYSLde lamêmearchitecture.Car tousles grandsqui ont suivi, deGaul-tier à Lacroix, lui ont beaucoupemprunté et restent ses débi-teurs.

Mais lemystèreYves Saint Lau-rent était indéchiffrable. Commecelui qu’exsude cette robepourune régate sur le Styx, aux teinteschocolat, noir et «bleu commeunemer sans fond», ainsi que ledit jolimentLaurenceBenaïm,bio-graphedu couturier.Qui ajoute,dansun éclair de génie lunaire:«L’unedes robes les plus silencieu-ses de cet opéra.»p

C'EST À VOIR | CHRONIQUEpar Renaud Machart

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Brest

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Perpignan

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Ajaccio

Nice

Clermont-Ferrand

Lyon

Chamonix

Bordeaux

Biarritz

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Besançon

Rouen

PARIS

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Dimanche

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Pascal96

ASIE ABONDANTES PLUIES DANS LE SUD-EST DE LA CHINE

En Europe12h TU

Peu d'évolution en vue pour ce samedi avecun temps toujours sec et bien ensoleillé àattendre sur l'ensemble du pays. Des cumulusviendront fleurir l'après-midi sur un grandquart Nord-Est mais ils seront sans incidence.Enfin, une averse voire un orage diurne pourraéclater entre les Alpes et la montagne corse. Levent faiblira et les températures seront enlégère hausse, comprises entre 19 et 26 degrésdes côtes de la Manche à la Méditerranée enpassant par 21 degrés dans le Centre.

Coeff. demaréeLeverCoucher

LeverCoucher

Beau début de week-end

Aujourd’hui

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Solution du n° 14 - 115HorizontalementI. Inadvertance. II.Nécrophage.III.Dorure. Gares. IV. Ile. Aleurite.V. Vo. Scène. Son.VI. Ignée. Uc. Lc.VII. Sien. Abrasée.VIII. Issoire.Du. IX.Om.Noircirai.X.Newsmagazine.

Verticalement1. Indivision. 2.Néologisme.3. Acre. Nés. 4.Dru. Senons.5. Vorace. Iom (moi). 6. Epelé. Aria.7. Rh. En. Berg. 8. Tagueur. Ça.9. Agar. Cadiz. 10.Néris. Suri.11. Etole. An. 12. Essencerie.

Philippe Dupuis

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

1. S’apprécie grasse etbienmontée. 2. Formes desoumissions. 3. Boite à secrets.Dangereux pour le navigateur.4.Démonstratif. Pan chezla couturière. Tous les cardinaux.5. Prête à recevoir un coup de fer.6. Incarnation hindoue. Gonflépour aller vite. 7. Réintégras.Personnel. 8.Garda enfermé.9. En Serbie. Fait la liaison. Roide Juda. 10.Disque coloré.Participent à une bonne partiede la pollution. 11.Même seul, ilcrée des difficultés. Tirés chaqueannée. 12. Comporte des risques.

I.Ouverture sur lemonde arabe.II. Bien imbibé. Rendit plusattrayant. III.Unité nippone.Serrent lesmâchoires quand il y amèches. IV. Petite poésie lyriqueet gracieuse. Perdit beaucoupd’eau.V. Assure l’union et ladistinction. Assez éloigné ducentre. Pris dans le virage.VI. Trèsbien arrivée. Reçut à sa table.VII. Enfant de Poséidon et deGaïa. Points opposés. A longtempsruminé.VIII. Apparaissent àl’écran. Edenté et cuirassé.IX. Risquent de craquer. Grecque.D’un auxiliaire.X. Travaillassesur les feuilles.

Vendredi16maiTF1

20.55 The Best, le meilleur artiste.Episode 5 : la finale. Divertissement.23.05Qui veut épouser mon fils?Episode 4. Télé-réalité (100min)U.

FRANCE2

20.47 Candice Renoir.Série. Le silence est d’or. Qui ne dit mot consent(S2, 9 et 10/10). Avec Cécile Bois (audiovision).22.45 Ce soir (ou jamais !).0.22 La Parenthèse inattendue.Magazine. Invités : Natalie Dessay, Julie Ferrier,Gérard Lenorman (110min).

FRANCE3

20.45 Thalassa.Requin : ami ou ennemi ?Magazine.22.35Météo, Soir3.23.20 Jackie sans Kennedy.Documentaire. Patrick Jeudy (2013).0.15 Si près de chez vous. La Femmede trop. Querelles de voisinage (55min).

CANAL+

20.45 Rugby.Top 14 (demi-finales) : Toulon - Racing Métro 92.23.05 Oblivionpp

Film Joseph Kosinski. Avec Tom Cruise,Olga Kurylenko (Etats-Unis, 2013, 120min)U.

FRANCE5

20.35Onn’est pas que des cobayes!Peut-on stopper une voiture comme dans lesfilms ? Verser du thé de trois mètres de haut !...22.25 C dans l’air. Magazine.23.35 Entrée libre. Festival de Cannes.23.55 Les 100 lieux qu’il faut voir.Cornouaille. Documentaire (90min).

ARTE

20.50 Le Gardien du rideau de fer.Téléfilm. Jan Ruzicka. Avec Benno Fürmann,Annika Kuhl, Lotte Flack (Allemagne, 2010).22.20 Sciences - Naturopolis.[3/4] Et si Paris se mettait au vert...23.10 Société - En haut de l’affiche.Documentaire. Raphaël Rivière.0.10 Court-circuit.Magazine. Spécial Cannes (55min)

M6

20.50 Bones.Série. Echec et mat (saison 9, 14/24, inédit)U ;Tiré par les cheveux. Karaté Kid (S7, 9-10/13)U ;Citizen 14. Le Poids d’une promesse (saison 1,12 et 13/22)U. Avec Emily Deschanel.1.10New Girl. Série (S2, 1 et 2/25, 50min).

météo& jeux écrans

LessoiréestéléSudokun˚14-116 Solutiondun˚14-115

Samedi17maiTF1

20.55 Les Enfants de la télé.Invités : Eddy Mitchell, Fred Testot, Sylvie Testud,Alice Taglioni, Virginie Hocq, Amelle Chahbi...23.30 Spécial bêtisier.« Le Grand Bêtisier » (90min).

FRANCE2

20.45 Les Années bonheur.Invités : Pierre Perret, Dany Brillant, Manau...23.25On n’est pas couché.Talk-show. Invités : François Bayrou, ChristineClerc, Ora Ito, Manu Larcenet, Jean-MichelLarqué, Vikash Dhorasoo (180min).

FRANCE3

20.45Mongeville: LedossierPhébus.Téléfilm. Jacques Santamaria. Avec Marie Mouté,Francis Perrin, Pierre Aussedat (Fr., 2013, audio.)22.25Soir3.23.00 Inspecteur Lewis.Série. Les masques tombent (saison 5, 1/4)U.0.30 Appassionata- Don Giovanni.Opéra de Mozart. Par Le Cercle de l’Harmonie,dir. Jérémie Rhorer. Avec Markus Werba,Miah Persson, Daniel Behle (115min).

CANAL+

21.00 Football.Ligue 1 (38e et dernière journée). Multifoot.22.55 Jour de foot. L 1 (38e journée).23.55 LaMusicale live.Damon Albarn (70min)U.

FRANCE5

20.35 Echappées belles.Dans le sillage du Gulf Stream. Documentaire.22.05 Cap-Vert, l’archipel créole.23.00 L’Œil et la Main.Municipales, tracts et confidences. Magazine.23.25 Saveurs d’Asie. Malaisie (50min).

ARTE

20.45 L’Aventure humaine.De l’Orient à l’Occident. [3 et 4/7]. La Conquêtearabe. L’Age d’or islamique. Documentaire.22.45 Sex &Music.[3/4] Des troubles dans le genre. Documentaire.23.35 Tracks.Magazine (50min).

M6

20.50Hawaï 5-0.Série. Hoku Welowelo (S4, 16/22, inédit)U ;Ka iwi kapu. Lapa’au (S2, ép. 7 et 8/23)U ;PowaMakaMoana. Loa Aloha (S1, 17-18/24)U.1.10Supernatural.Série. Passions dévorantes. Les Morts-Vivants(saison 5, ép. 14 et 15/22, 90min)W.

Chaque jeudi,l’essentiel

de la presse étrangèreCHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX

3’:HIKNLI=XUX\U^:?b@c@m@i@k";M 03183 - 1228 - F: 3,70 E

Fin de l’establishmentFractures Nord-Sud

sécession de l’Ecosse

Boko Haram

Le monde se mobilisecontre la secte qui faittrembler le Nigeria

La soifde sang

FRANCE—ALSTOM ET GENERAL ELECTRIC VERS UN MARIAGE DE RAISONUKRAINE—OUBLIONS LES RÉGIONS DE L’ESTINDE—UN ULTRANATIONALISTE HINDOU À LA TÊTE DU PAYS ?

N° 1228 du 15 au 21 mai 2014courrierinternational.comFrance : 3,70€

AfriqueCFA2800FCFAAlgérie450DA

Allemagne4,20€Andorre4,20€

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Norvège52NOKPays-Bas4,20€

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TOM740CFPTunisie5DTU

SaintLaurentfutsouventlereflet

décadréetsulfureuxdel’époque

Motscroisés n˚14-116Lesjeux

La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritairedes publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN0395-2037

PRINTED IN FRANCE

Imprimerie du « Monde »12, rue Maurice-Gunsbourg,

94852 Ivry cedex

Toulouse(Occitane Imprimerie)

Montpellier (« Midi Libre »)

80, bd Auguste-Blanqui,75707 PARIS CEDEX 13Tél : 01-57-28-39-00Fax : 01-57-28-39-26

Président : Louis DreyfusDirectrice générale :Corinne Mrejen

16 0123Samedi 17mai 2014

Page 17: 17 mai Le Monde.pdf

M arineLePenn’apasbesoinde livrerbataille,elle adéjà gagné.Dès les

premiers jours de la campagnedes électionseuropéennes, le thè-mede la nationassiégée s’estimposéenFrance avec l’activecomplicitédugouvernement. Ledécret, publié au Journal officieldu jeudi 15mai, qui étendnotam-ment à l’énergie et aux transportslemécanismedeprotectiondesentreprises stratégiquescontre lesappétits étrangers, vient accrédi-ter l’idéedu loupaméricaindansla bergerie française.

GeneralElectric, dont SégolèneRoyal affirmequ’«il s’agit dumeilleurprojet industriel»pourAlstom,est désigné commel’enne-mi. Le Frontde gauche, rejointparles écologistes,mènebataillecontre le traité transatlantiquedelibre-échange, supposéorganiserledéversementsur le continenteuropéendupoulet à la javel et dubœufauxhormones.

FrançoisHollande, lors de sondéplacementauxEtats-Unis enfévrier, avait pourtant réaffirmésavolontéde lemettre enplace,tout commeBarackObama. Tousdeuxsont convaincusque leretourde laprospéritépassepar laliberténégociéedes échangesentre les deuxcontinents,mais ilsmanquentdepreuvespourétayerleurdiscours, si bienque, en Fran-ce, les Etats-Unis sont enpassededevenirunpaysbarbare.

Adeptede la démondialisation,ArnaudMontebourg triomphe.Cedécret est «unchoixde patriotis-meéconomique», savoure leministrede l’économie, commeDominiquedeVillepin lorsque,nommépremierministredans lafouléedudésastre référendairede2005, il tentait de récupérer les«nonistes», qui s’étaientmassive-

mentprononcés contre le traitéconstitutionneleuropéen.

L’espacede cent jours, les Fran-çais avaient cru à la reconquêteindustrielle. Partout fleurissaientdespôlesde compétitivitéqui,couvéspar l’Etat, devaient assurerla renaissancecolbertiste.Mais cen’était qu’unmirage: enneuf ans,l’industrie françaisene s’est pasmusclée, elle s’est affaiblie aupointqueFrançoisHollande, à pei-neélu, adû se convertir à lapoliti-quede l’offre au risquedeprendreà revers sonpropre camp.

Lapolitiquede l’offre est faitepourgagnerdesmarchéspartoutdans lemonde,mais, aujourd’hui,leprésidentest électoralementsifaiblequ’il doit céderungageaux

protectionnistes. Ledécret, assu-méparManuelValls, c’est l’Etatprotecteur faceau libre-échangis-teprédateur, l’Etat réarmé faceaux intérêtsprivés.

Nicolas Sarkozyavait pousséàl’extrêmece thèmede la frontièredans l’entre-deux-toursde la cam-pagnede2012dans l’espoirderécupérerunnombre suffisantd’électeurs lepénistes. Il s’étaitattaquéàSchengen,à la libre circu-lationdespersonnes. Sans réussirà se faire réélire, il avait donnéducrédit aux thèses deMarineLePen.Aujourd’hui, le gouverne-ment encourt lemêmerisquequelui: il alimente la tentationprotec-tionniste sans être assuréde lacontrôler. Il joue avec le feu.p

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analyses

ANALYSEparGilles vanKote

Adversairesdesorganismesgénéti-quement modifiés (OGM), vouspouvez dormir sur vos deuxoreilles. Ce sont les ministres del’écologieetdel’agriculture,Ségo-lèneRoyal et StéphaneLeFoll, qui

l’assurent: la mise en culture de maïs généti-quementmodifiéest«définitivement» interdi-teenFrance,après l’adoptionpar leSénat, lundi5mai, d’une proposition de loi précédemmentvotéepar l’Assembléenationale.

En réalité, il n’en est rien. D’abord parcequ’aucune mesure législative ne s’impose demanièredéfinitive.Mais surtoutparceque l’es-pérance de vie de ce texte de loi est faible, pourune raison toute simple: il n’est pas du ressortdesreprésentationsnationalesde seprononcersur l’autorisation ou l’interdiction de plantestransgéniques sur leur territoire. Il s’agit làd’uneprérogativeeuropéenne,dontlesmodali-tés sont notamment fixées par la directive2001/18sur lesOGM,untextetransposédans ledroit français par la loi du 25juin 2008.

S’engouffrant dans cette ouverture, 81séna-teurs UMP ont saisi le Conseil constitutionnel

aulendemainduvote,arguantquelaloi«neres-pecte pas le droit européen», «ni sur la formenisur le cadre juridique communautaire de sus-pension ou d’interdiction de la mise en cultured’unesemenceOGMprécédemmentautorisée».

Juristes et opposants aux OGM reconnais-sent l’extrême fragilité du texte de loi. C’estqu’il relève de l’expédient: son véritable objec-tif est de faire gagnerdu tempsà la Francedanssa volonté d’empêcher la mise en culture demaïs transgénique sur son territoire. Depuissix ans, Paris use d’artifices juridiques succes-sifs pour contourner l’autorisation de culturedans l’Union européenne accordée en 1998 aumaïs deMonsantoMON810.

Deuxmesuresgouvernementalesd’interdic-tion du seul maïs transgénique actuellementautorisé à lamise en culture au sein de l’UEontété annulées, en2011 et 2013, par le Conseild’Etat, qui avait pris soin de consulter aupara-vant la Cour de justice de l’Union européenne.Loin de se décourager, le gouvernement fran-çais enapris une troisième, le 14mars: un arrê-téministériel qui connaîtra très probablementlemême sort que ses prédécesseurs, faute d’ar-guments scientifiquesnouveauxet solides.

Pourquoi avoir ajouté une loi à cet arrêté?Pour se prémunir d’une éventuelle annulationen référé dudit arrêté, estime Michel Dupont,attachéparlementairedel’eurodéputéécologis-te José Bové. Une précaution finalement inuti-le : quelques heures avant le vote de la loi, le

Conseild’Etatarejeté lesréféréssuspensionfor-méspar l’Associationgénéraledesproducteursdemaïs (AGPM)ainsiquepardeuxagriculteursdeHaute-Garonneet du Tarn-et-Garonne.

Ceux-ci avaient planté du MON810 sur desparcelles de quelques hectares peu avant l’en-trée en vigueur de l’arrêté, histoire de pouvoirl’attaquer en plaidant une «condition d’urgen-ce». Dans ce jeu de poker menteur, l’Etat fran-çaisn’estpas seul à jouer lamontre, enprenantsystématiquement ses mesures d’interdictionau début de la saison des semis, en sachantqu’elles ontpeude chancesdepasser l’été.

Négociation en cours à BruxellesLaquestiondudroitpourchaqueEtatdel’UE

d’interdire sur son territoire lamise en cultured’OGM autorisés au niveau communautaireestaucœurde lanégociationencoursàBruxel-les autour de la «proposition culture». Depuis2010, la Commission tente, en vain, de faireaboutirceprojetderéformedusystèmed’auto-risationdes plantes transgéniques.

Selon la dernière version de cette proposi-tion, chaque Etat pourrait demander à uneentreprise déposant auprès de Bruxelles unedemande d’autorisation de commercialisationd’une semence d’OGM d’être exclu du champde cette autorisation. En cas de refus de la com-pagnie semencière, l’Etat pourrait prendreunemesured’interdictionens’appuyantsurdescri-tères socio-économiques ou éthiques, et non

plusexclusivementenvironnementauxetsani-taires, commec’est le cas jusqu’à présent.

Ces dispositions semblent susceptibles desatisfaire les pays désireux de se préserver desculturesdeplantestransgéniques.Maislesanti-OGM soupçonnent la Commission sortante des’abriterderrière cettepropositionpourmieuxouvrir lemarché européenauxproducteursdesemences transgéniques. «Cette idée place lesEtats souverains et les entreprises privées surunpied d’égalité et formalise le rôle de décideur del’industrie des biotechnologies », déplore lebureaueuropéendesAmis de la Terre.

Parailleurs, leflouentourantlanotiondecri-tères socio-économiques ou éthiques pourraitexposer les pays s’appuyant sur de tels critèresà d’éventuelles poursuites devant l’Organisa-tionmondialedu commerce (OMC).

La présidence grecque de l’UE et la Commis-sion de Bruxelles font le forcing pour aboutir àunaccordlorsduconseildesministresdel’envi-ronnement du 12 juin. Mais la France, aprèsavoir promis de se montrer conciliante, se faitde nouveau prier. Ségolène Royal avait préve-nu: il faut «offrir aux Etats membres toute lasécurité juridique nécessaire pour l’interdictiondes OGM sur les territoires», avait-elle déclaréfin avril. A quelques jours des élections euro-péennes, c’est la question de la renationalisa-tionde l’interdictiondesOGMqui est posée.p

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POLITIQUE | CHRONIQUEpar Françoise Fressoz

Latentationprotectionniste

JURISTES ETOPPOSANTSAUX OGMRECON-NAISSENTL’EXTRÊMEFRAGILITÉDU TEXTEDE LOI

Pokermenteurautourde l’interdictiondesOGM

LeFNn’amêmepasbesoind’undébatpourvoirprogresser

sesthèses

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65eAnnée - N˚19904 - 1,30 ¤ - Francemétropolitaine ---

Jeudi 22 janvier 2009Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Eric Fottorino

Algérie 80 DA,Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun 1 500 F CFA, Canada 3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 25 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,50 ¤,Gabon 1 500 F CFA, Grande-Bretagne 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 650 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤,Malte 2,50 ¤,

Maroc 10 DH,Norvège 25 KRN, Pays-Bas 2,00 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 500 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 28 KRS, Suisse 2,90 FS, Tunisie 1,9 DT, Turquie 2,20 ¤,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 500 F CFA,

Barack etMichelleObama, à pied sur Pennsylvania Avenue,mardi 20 janvier, se dirigent vers laMaisonBlanche. DOUGMILLS/POOL/REUTERSa Les carnets d’une chanteuse.Angélique Kidjo, née au Bénin, a chantéaux Etats-Unis pendant la campagnedeBarackObama en2008, et de nouveaupendant les festivités de l’investiture,du 18 au 20 janvier. Pour LeMonde, elleraconte : les cérémonies, les rencontres– elle a croisé l’actrice Lauren Bacall,le chanteur Harry Belafonte… et l’écono-

miste Alan Greenspan. Une questionla taraude : qu’est-ce que cet événementva changer pour l’Afrique ? Page 3

a Le grand jour. Les cérémonies ;la liesse ; lesambitionsd’unrassembleur ;la première décision de la nouvelleadministration: la suspensionpendant cent vingt jours des audiencesde Guantanamo.Pages 6-7 et l’éditorialpage 2

a It’stheeconomy... Il faudraà lanou-velle équipe beaucoup d’imaginationpour sortir de la tourmente financièreet économique qui secoue la planète.Breakingviewspage 13

a Feuille de route.« La grandeurn’est jamais un dû. Elle doit se mériter. (…)Avec espoir et vertu, bravons une foisde plus les courants glacials et enduronsles tempêtesà venir. »Traduction intégraledu discours inaugural du 44eprésidentdes Etats-Unis. Page 18aBourbier irakien.Barack Obamaa promis de retirer toutes les troupesde combat américaines d’Irak d’iciàmai 2010. Trop rapide, estiment leshautsgradésde l’armée.Enquêtepage 19

GAZA

ENVOYÉSPÉCIAL

D ans les rues de Jabaliya, lesenfants ont trouvé un nou-veau divertissement. Ils col-lectionnent les éclats d’obus et demissiles. Ils déterrent du sable desmorceaux d’une fibre compactequi s’enflamment immédiatementau contact de l’air et qu’ils tententdifficilement d’éteindre avec leurspieds. « C’est du phosphore. Regar-dez comme ça brûle. »Surlesmursdecetterue,destra-cesnoirâtressontvisibles.Lesbom-bes ont projeté partout ce produitchimique qui a incendié une petitefabrique de papier. « C’est la pre-mièrefoisque jevoiscelaaprès trente-huit ans d’occupation israélienne »,s’exclame Mohammed Abed Rab-bo. Dans son costume trois pièces,cette figure du quartier porte ledeuil. Six membres de sa familleont été fauchés par une bombedevant un magasin, le 10 janvier.Ils étaient venus s’approvisionnerpendant les trois heures de trêvedécrétées par Israël pour permet-tre auxGazaouis de souffler.Le cratère de la bombe est tou-jours là. Des éclats ont constellé lemur et le rideau métallique de la

boutique. Le père de la septièmevictime, âgée de 16 ans, ne décolè-re pas. « Dites bien aux dirigeantsdes nations occidentales que ces septinnocents sont morts pour rien.Qu’ici, il n’y a jamais eu de tirs deroquettes. Que c’est un acte crimi-nel. Que les Israéliens nous en don-nent la preuve, puisqu’ils sur-veillent tout depuis le ciel », enrageRehbi Hussein Heid. Entre sesmains, il tient une feuille depapier avec tous les noms desmortsetdesblessés, ainsi que leurâge, qu’il énumère à plusieursreprises, comme pour se persua-der qu’ils sont bienmorts.MichelBôle-RichardLire la suite page 5et Débats page 17

Ruines, pleurs et deuil :dans Gaza dévastée

WASHINGTONCORRESPONDANTE

D evant la foule la plus considérablequi ait jamais été réunie sur le Mallnational de Washington, BarackObama a prononcé, mardi 20 janvier, undiscours d’investiture presquemodeste. Aforce d’invoquer Abraham Lincoln,Martin Luther King ou John Kennedy, ilavait lui même placé la barre très haut. Lediscoursne passera probablement pas à lapostérité, mais il fera date pour ce qu’il a

montré.Unenouvellegénération s’est ins-tallée à la tête de l’Amérique. Une ère detransformation a commencé.Des rives du Pacifique à celles de l’At-lantique, toute l’Amérique s’est arrêtéesur le moment qu’elle était en train devivre : l’accession au poste de comman-dant en chef des armées, responsable del’armenucléaire,d’un jeunesénateurafri-cain-américain de 47 ans.

Lire la suite page 6Corine LesnesEducation

L’avenir deXavier Darcos«Mission terminée » :le ministre de l’éducationne cache pas qu’il seconsidérera bientôt endisponibilité pour d’autrestâches. L’historiende l’éducation ClaudeLelièvre expliquecomment la rupture s’estfaite entre les enseignantset Xavier Darcos. Page 10

AutomobileFiat : objectifChryslerAu bord de la failliteil y a quelques semaines,l’Américain Chryslernégocie l’entrée duconstructeur italien Fiatdans son capital, à hauteurde 35 %. L’Italie se réjouitde cette bonne nouvellepour l’économie nationale.Chrysler, de son côté, auraaccès à une technologieplus innovante. Page 12

BonusLes banquiersont cédéNicolas Sarkozy a obtenudes dirigeants des banquesfrançaises qu’ils renoncentà la « part variablede leur rémunération ».En contrepartie,les banques pourrontbénéficier d’une aidede l’Etat de 10,5 milliardsd’euros. Montantéquivalent à celle accordéefin 2008. Page 14

EditionBarthes,la polémiqueLa parutionde deux textes inéditsde Roland Barthes,mort en 1980, enflammele cercle de ses disciples.Le demi-frère del’écrivain, qui en a autoriséla publication, essuieles foudres de l’ancienéditeur de Barthes,François Wahl.Page 20

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L’investiture de Barack ObamaPremières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension des audiences à Guantanamo

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Les Unes du Monde

0123

170123Samedi 17mai 2014

Page 18: 17 mai Le Monde.pdf

Lecteur,cetoublié...

Quand les lecteursvont-ils êtreinformésparLeMonde lui-même?Lui quine cessededon-nerdes conseilsde “bonnegou-vernance”à la terre entière…Lescordonniers sont souvent

lesplusmal chaussés!»PhilippeDias (Avi-gnon)donne le tongénéraldes courrierset commentairesen lignequenousadres-sent–nousassènent,pourrait-ondire –nos lecteurs, après ladémissiondeseptrédacteursen chefpuisde ladirectricedujournal,NatalieNougayrède

Prèsde200commentairesen ligne, cemercredi 14mai, sur Lemonde.fr.Et descourrierset courrielsà foisondansnotreboîteaux lettres. Les lecteursattendentdeleur journal…qu’il fasse sonboulot.Qu’illes informecommeil sedoit.«Cettenou-vellemériteraitunpeuplusde lignes etd’explications,y compris contradictoires.Mêmeàsavoirprofonde la crisede lapres-

se, et lepeudeclarté sur l’avenirde lapres-se écrite,nous sommessansdoutenom-breuxà resterperplexes», résumesobre-ment Jean-PierreNicol (Mandres-les-Roses,Val-de-Marne).

«Qu’undevos lecteurs compareLeMon-deà laPravdadevrait quandmêmevousinquiéter», s’étonneChristianLaurent(Paris), citant ladernièrechroniquedumédiateurqui évoquait justement la criseinterne (LeMondedu 10mai).Bis repeti-tacher lecteur: cette semaine,deuxdevoscollèguesrécidivent. L’une, ElisabethDau-nis (Saint-Jean-du-Pin,Gard), évoqueànouveaule journal soviétique–«ouRadioVatican», ajoute-t-elle,malicieuse. L’autre,MichèleGautier (Web),nous compareà…«L’Humadesannées 1960» !HubertBeu-ve-Méryse retourneraitdans sa tombe…

«Les lecteurs “debase”ne sont-ilspasaussiunpeu les “propriétaires”de leur jour-nal favori?Nepourraient-ilspasbénéficier

d’une (meilleure) info sur leur journalautre-mentqu’enallantà lapêchedans lesautres journaux?», demandeplusbenoîte-mentLouisArbelot, deCalviac-en-Péri-gord (Dordogne).«Uneentreprisedepres-sedoit à ses lecteursune info leurpermet-tantde comprendre les enjeuxde laques-tion traitée,mêmeet surtout si elleportesurelle-même», estimePhilippeBompard(Web). ShahAhmad (Web)n’y croit guère,quiphilosophe:«BertrandRussell a créélesensemblesquine secontenaientpaseux-mêmes.LeMondea inventé lequotidienquineparlepasde lui-même…»«De lapartd’un journalqui se targued’informer,çaconfineaucomique», ajouteThierryMoreau (Nantes).

Croyezbienquetout celane fait rireper-sonne ici…Quantàvous informer, il nevousaurapas échappéquevotrequoti-dienaconsacré, ce vendredi,unepleinepageausujetqui semblevous chagrinerautantquenous.Actionnaires,direction,Sociétésdes rédacteurs, Sociétédes lec-teurs, Pôled’indépendance…Tout lemon-deaeu sonmotàdire (LeMondedatédu16mai). Tout lemondesauf…ce fameuxlecteur«debase»dontparleM.Arbelot.Ce«simple lecteurdepeud’envergurefinancière,maisquiaaussidroit àunpetitstrapontinnon?»pourDominiquePirou(Web,Versailles).Ce lecteuranonymequinous lit jouraprès jour, enverset contretout.Quinousécritparfois. Et qui s’agacedeplusenplusdenepasêtre entendu,ain-sique le constate semaineaprès semainelemédiateur.

Enguisedestrapontin, sachezquecettepageDialoguesvousappartient, chers lec-teurs.Aujourd’huiplusqu’hier – etbienmoinsquedemain? –, vousêtes auxpre-mières loges si vous ledésirez. Sansoublier leblogquivousest consacré, ceMondedes lecteurs sur lequel seramiseen ligne l’intégralitédevos courriersetcourriels, et oùvouspourrezàvotreguiseéchangeret débattre,nousengueuleretvouscombattre.Retourà l’envoyeurensomme:àvousdenous informer!

C ar tel est bien l’enjeudecette éniè-mecrise.Qu’attendentnos lecteursde leur journal, ences tempsderévo-

lutionnumérique?Quelles sontvosexi-gences,MarcelGodefroy (Lugny-Champa-gne,Cher), qui regrettezque«dans sa let-tre,MmeNougayrèdeévoque “l’intérêt supé-rieurdu journal”,mais [qu’]elle n’évoquejamais le lecteur, sesattentes, sa typolo-gie»?«Pourquoipasuneenquête,unedecesdiscussionsavec les “décodeurs” sur cequ’onaimeoupasdansLeMonde?», sug-gèreM.Pirou,qui piaffe sur sonstrapon-tin. Pourquoipas eneffet.

Quantà«l’intérêt supérieurdu jour-nal», chacuna son idée.«Un journalderéférence,questionnantceque les élitespré-sententcommedesévidences,avecdesana-lysesapprofondiesdansune totale indé-pendance», résumeJean-MarcCréau(Web).Certes,mais«un journalest aussiuneentreprise, qui doit trouver ses lecteursautantqu’affirmerson indépendance»,souligneMarcSchindler (Alès,Gard).«La

ligneéditorialeet lapolitiquededéveloppe-ment sontune chose, lamobilisationdespersonnels enestuneautre. Pourqueçafonctionne il faut lesdeux», prévient Jean-PierreBernajuzan (Toulouse).«Soyezvous-mêmes, carnous, lecteurs, attendonsdevousde l’information, rienquede l’infor-mation.Peut-êtreest-cevotreproblèmeactuellement: la crised’identité», ditSophiePolignac (Marseille).«Quemonjournalnemeressemblepas etqu’ilm’irri-teparfois, cen’est pasgrave: il y aaussipleinde chosesque j’yaime, relativise JeanLapallière (Web).Lapressevamal?Alorsachetons-la!»

Quoiqu’il advienne,«le client-lecteurtranchera», rappelle ledénommé«Chris-tianCépétédeFar»quiprévient:«Un illus-trepassénedonneaucundroit, il imposedesdevoirs.»ChantalLherminier,deTalen-ce (Gironde), a tranché:«Procéderàuneadaptationénergiqueétait judicieuxmaiscelaa surtoutviréà l’endoctrinement, cequidevenaitbien lourdet totalementà l’op-poséde cequ’attendaitunepartiedu lecto-rat, qui aimedesanalysesnuancées.QueLeMonde se ressaisisse! Vite si possible…»

MessagestransmisàGillesvanKote,tout fraîchementnommé,par le triodenosactionnairespréférés, les fameux«BNP» (PierreBergé,XavierNiel,Mat-thieuPigasse),directeurpar intérim.Poursixmois.p

[email protected]@pasgalinier

SociétéLeçond’humanitéet de fraternitéOnnepeut sortir de la lecturedumagnifiquearticle de BenoîtHop-quin«ARichebourg, la fiertépor-tugaiseenhéritage»dans le «Jour-nal du Centenaire» (LeMondedu13mai) sans émotionnimême lesyeuxbrouillés. L’élégancedeplu-

memise au servicedu sujet relatéva, àmesyeux, bien au-delà d’unsimple article. C’est une leçond’humanitéet de fraternité quinousest rapportée avec talent. Auneheureoùdans lepays les dis-cours d’exclusion, de désignationde l’«autre» commebouc émissai-re, voire dehaine contre tout cequi peut être arabe, noir, juif ou

rom,ou tout simplement étran-ger, semultiplient, je suggèremêmeque leministre de l’éduca-tionnationale s’emparede ce tex-te et le fasse diffuserdansnos éco-les primaires et secondaires pourqu’il soit lu et commenté. La Répu-blique enaurait bienbesoin.

JacquesMialheVergezac (Haute-Loire)

EducationVous avez dit socle!Quel socle?

J’ai toujours cru que «socle»signifiait piédestal ou base.Maisvoici qu’à la lecture de l’article«Que doivent savoir tous les élè-ves? Le nouveau défi deM.Hamon» (LeMonde du 13mai)traitant des connaissances àacquérir à l’école, j’apprends quel-que chose de nouveau. Ainsi unsocle est un documentou dumoins un texte puisqu’il sera«réécrit». C’est quelque chose devivant puisqu’il est «tué» et ce,par un texte. Enfin, tel un phare,il «guide» l’école et il est possiblede l’acquérir.On se demande avec perplexitécommentnosmalheureux ensei-gnants peuvent y comprendrequelque chose. Onne voit riend’étonnant au fait que le niveaude l’école française baisse si lesautorités chargées de l’organiseret de la diriger ne parviennentpas à s’exprimer clairement. Amoins que l’imprécision, voire laconfusiondu langage ne servequ’à dissimuler l’absenced’idées.

Yves SteigerTours

UkraineLe nationalisme,élément fédérateurdupeuple russeLes tribunesdeGuySorman–«L’efficacitédes sanctionsécono-miques» – et d’EdgarMorin–«SeuleuneUkraine fédéralegarantira la paix» –dans LeMon-dedu 5maim’encouragentà vousécrire. Imaginonsqu’au termedela réforme territorialeprévue enFrance, l’unedes douze régions,Poitou,AquitaineouLanguedocRoussillon fasse sécessionet serevendiqueautonome.C’est, enun accéléré caricatural, lasituationde l’Ukraine.Quandmonpère en 1921, à l’issuede laguerre civile, s’embarquaavec cequi restait de l’arméeblanche surlesnavires de la flotte impériale,ce fut à Sébastopol. EnCriméedonc,mais enRussie. Quelle quesoit la réalité de la corruptionoul’autocratie, ce n’est pas en espé-rant l’Ukrainedans l’OTANqu’onyparviendra. Autant agiter unchiffon rouge devantun taureau.Tantque le souvenir de la derniè-re guerreperdurera, le nationalis-me restera l’élément fédérateurdupeuple russe. Les souffrancesinimaginablesde la guerre ontlégitimépour les Russesun régi-medont le groupedirigeantne semaintenait que par la répression,ce sont ces souvenirs qui, dans lestensions actuelles, font la popula-rité deVladimirPoutine.Avant quedeparler à tout proposde séparatistes, de terroristesoude fascistes (selon les penchantsde chacun), reprenons l’histoirede la Russie. L’Ukraine fut russeavantque la Francene trouve sesfrontièresactuelles. Les irration-

nels en jeudepart et d’autre sont,à une autre échelle, demêmeordreque ceuxde l’Alsace-Lorrai-ne entre la France et l’Allemagne.Et pour ajouter de la confusiondansnos têtes, à la télévision fran-çaise, la plupart desUkrainiensque l’on entendparlent russe.L’Etat fédéral que réclameEdgarMorinest sansdoute aujourd’huilamoinsmauvaisedes solutions.Il en resteune autre, Israël et laPalestine, deuxambitionspourunemême terre.Onenvoit lerésultat.

Paul ChemetovParis

EuropeTout événement faitpartie de l’Histoire…De la tribuneduprésidentHollan-de «L’Europeque je veux»(LeMondedu9mai), je partagetotalement les convictions euro-péennes, notammentpar quel-ques formules: «L’Europe, c’est lapaix» ; «L’Europea besoin de laFrance comme la France a besoinde l’Europe» ; «Il n’y a pas qu’uneseule Europepossible», etc.Toutefois, je déplore deuxdéfautsdans cette tribune. Tout d’abord,l’absurditéde la formule: «Sortirde l’Europe, c’est sortir de l’Histoi-re.» L’Histoire, c’est la descriptiondes comportementshumains col-lectifs, quels qu’ils soient. Il y ades comportementsque l’onapprouve, la révolution françaisede 1789, hormis la Terreur, parexemple, et d’autres que l’ondéplorevivement: le nazismeetle stalinisme, notamment.Tous ces événements font partiede l’Histoire, qu’ils aient unaspect positif ounégatif. La créa-tionde l’Union européenne futun événementhistorique impor-tant positivement; si cetteUniondevait se dissoudredans l’avenir,ce serait aussi un événementhis-torique importantmais négative-ment. Touteactionhumaine, quel-le qu’elle soit, fait partie de l’His-toire.Onn’agit pas en sortantdel’Histoire. Tout acte humain faitpartie de l’Histoire.Enoutre, le président écrit : «Jesuis conscient que l’Europedoitaller beaucoupplus loin pourretrouver la confiance.»C’estjustemais c’est vague.On auraitaimé trouver là quelquesproposi-tionsdansun sens fédéraliste etdémocratique.

RenéCrozetSaint-Germain-en-Laye

(Yvelines)

Tropde listes tue les listesLes élections européennesdu25mai vont voir s’affronterungrandnombrede listes politi-ques. Rien quedans la circonscrip-tionouest (qui regroupe lesrégionsBretagne, Poitou-Charen-tes et Pays de la Loire), vingt-cinq

listes sont concurrentes. Si certai-nes sont portées par des grandspartis politiques et semblentavoir une véritable audiencedansle pays, d’autres semblentplusconfidentielles comme la liste«Espéranto langue communeéquitablepour l’Europe» ou «Lescitoyensdu vote blanc». Il est eneffet plus simple de constituerune liste pour les élections euro-péennes (dans la circonscriptionouest, il suffit de trouverdix-huitpersonnes) quede constituer uneliste pour les électionsmunicipa-les dans une villemoyenne.Or cettemultiplicité des listesentraîneunmanquede clarté dudébat pour les citoyens qui ris-quent de se détourner encoreplusde l’Europe. Pourquoinepasimaginerun systèmede parraina-genécessaire (cinquante éluslocauxde la circonscriptionélec-torale par exemple) afin d’éviterles candidatures fantaisistesouconfidentielles? Ce qui pourraitpasser en apparence commeunelimitationde la démocratieneserait en fait qu’unmoyende larenforcer.

Baptiste Le TenierVannes (Morbihan)

Etat«Pudding administratif»oui, «mille-feuille» nonLes seules réformesqui vaillentsont aujourd’hui, commechacunsait, «structurelles», celles quitouchentà l’os duproblèmeet nesontpas des aménagementssuperficiels.Mais ce qualificatifpéremptoire cachemal le glisse-mentpurement idéologiquequis’opère à cette occasion: il va desoi que les fameuses structuresneconcernentque les retraites, le sta-tut des fonctionnaires, l’adminis-trationde l’Etat, et quene sau-raient êtremises en causeparexempleni les structuresbancai-res, ni les structures juridiquesdesmultinationalesoumêmedessimples entreprises qui, commechacunsait, s’autorégulentpar lasainte opérationdumarché.Quant à la réformeadministrati-vedes régions et des départe-ments, le chœurdes réformateursdénonced’un cliché unanime le«mille-feuille administratif».Mais c’est oublier que lemille-feuille, par la sophisticationde sastructure, la complexitéde ses tex-tures, l’équilibrede ses saveurs,est unmiracle gastronomique. Sil’onveut absolument rester dansla pâtisserie, quid de l’indigestedupudding, de la viscosité chimi-quedubavarois, de la lourdeurcrémeusedu tiramisumondia-lisé?Messieurs les réformateurs, réfor-mez votre langage: les clichésnesauraient tenir lieudepensée.

Jean-PierreAudigierParis

dialogues

Courrier

partenaire de la

0123

LES RENDEZ-VOUS DE LA RÉDACTION DU MONDEDU VENDREDI 23 AU DIMANCHE 25 MAI 2014,À MONTPELLIER

Accès gratuit et sans reservation dans la limite des places disponibles

Plus d’information sur : www.comediedulivre.fr

18 h 30 - Centre Rabelais

Les intermittences du cœur :romances et fantaisies amoureusesTable ronde animée par Josyane Savigneau,journaliste au Monde

Avec BERGSVEINN BIRGISSON, écrivain, Islande ;KATARINA MAZETTI, écrivaine, Suède ;AVA AUDUR ÓLAFSDOTTIR, écrivaine, Islande ;STEINUNN SIGURDARDOTTIR, écrivaine, Islande ;CATHERINE EYJOLFSSON, traductrice littéraire, France ;LENA GRUMBACH, traductrice littéraire, Suède.

20 h 30 - Centre Rabelais

Grand entretien littéraireavec JØRN RIELEntretien animé par Nils Ahl, collaborateurdu « Monde des livres »

Avec JØRN RIEL, écrivain, Danemark.

VENDREDI 23 MAI SAMEDI 24 MAI

16 heures - Auditorium de la Panacée

Fables et légendes :permanence du merveilleux dansla littérature nordique contemporaine

Table ronde animée par Josyane Savigneau,journaliste au Monde

Avec STEINAR BRAGI, écrivain, Islande ;BERGSVEINN BIRGISSON, écrivain, Islande ;CATHERINE EYJÓLFSSON, traductrice littéraire, Islande.

19 h 30 - Centre Rabelais

Grand entretien littéraireavec PER OLOV ENQUIST

Entretien animé par Nils Ahl, collaborateurdu « Monde des livres »

Avec PER OLOV ENQUIST, écrivain, Suède ;LENA GRUMBACH, traductrice littéraire, Suède.

DIMANCHE 25 MAI

11 h 30 - Centre Rabelais

Gaïa, 20 ans et des poussières...et un exceptionnel catalogueRencontre animée par Nils Ahl, collaborateurdu « Monde des livres »

Avec LEIF DAVIDSEN, écrivain, Danemark ;SUSANNE JUUL, éditrice France.

20 heures - Corum

Soirée de clôtureEntretien animé par Nils Ahl, collaborateurdu « Monde des livres »

Avec HERBJØRG WASSMO, écrivaine, Norvège ;SUSANNE JUUL, éditrice, France.

MédiateurPascal Galinier

18 0123Samedi 17mai 2014

Page 19: 17 mai Le Monde.pdf

portrait

NewDelhiCorrespondant régional

Ce jour-là, à Bénarès, la lameorange roulait sousunciel debraise. Elle engorgeait lesrues bordées d’échoppes,assiégeait les ronds-pointshérissés de héros de bronze,

se glissait sous les ponts de chemin de ferpour s’en aller mourir au bord du Gange,là où le fleuve né du chignon de Shivaépanche ses saintes langueurs vers lesmarches de palais verdis de mousson. EtNarendra Modi qui trônait sur le toit deson 4×4 aux airs de char. Le capot étaitnappé de fleurs de souci aux teintessafran. Le véhicule fendait avec peine lafoule, masse humaine coiffée du topi–calotcheràGandhietàNehru(BJP)–Par-ti dupeuple indien–devrait en toute logi-que devenir premier ministre du géantd’Asie peuplé de 1,2milliard d’habitants,puissanceémergentedont le poids sur lesaffaires du monde est voué à s’accroître.L’Indebasculeàdroite.Elleéconduitl’héri-tierde la dynastieNehru-Gandhi, le gentilmais palot Rahul (43 ans), espoir déçu duParti du Congrès, pour s’offrir à M.Modi,faroucheet sulfureux, adoré et abhorré.

Auxyeuxdesespartisans, il est«MagicModi» (Modimagique),l’hommequiaéri-gé le Gujerat – l’Etat qu’il dirige depuisprès de treize ans – enmodèle d’efficacitééconomique, petit dragon «chinois» cra-chant son feu industriel au flanc occiden-tal de l’Inde. Lui intronisé à New Delhi,chantent ses fidèles, l’étoile de l’Inde scin-tillera à nouveau après avoir fortementpâli ces dernières années. Signe destemps, la BoursedeBombay l’a salué sanstrop attendre. Mais ses adversairescachentmal leureffroi. Ilsnevoient en luique «Modi le fasciste», un autocrate bru-tal et machiavélique, pur produit d’unnationalisme hindou agressif menaçantde saper l’idéal de tolérancemulticonfes-sionnelle hérité des pères fondateurs del’Inde indépendante. Déjà, les minoritésmusulmanes (14% de la population) etchrétienne(2,4%)s’inquiètent.Et les intel-lectuels libéraux s’alarment. Cet homme-là qui vante son torse de «56 pouces» neleurdit rien qui vaille.

Narendra Modiafrappéfort. Ilaratissébien plus large qu’on ne l’en imaginaitcapable.Sa lamesafranaemportéles capi-taines d’industrie, la classe moyenneascendante des villes, les brahmanes gar-diens de l’ordre immémorial – groupesdéjà plus oumoins acquis –mais aussi, ettel est le ressort de son succès, la jeunessedes basses castes d’Inde duNord qui peu-vent s’identifier à sa propre réussite.M.Modi a d’ailleurs beaucoup joué sursonpasséd’humble«vendeurde thé».Undirigeant du Parti du Congrès avait-il unjour utilisé le sobriquet, sous-entendantqu’un homme de pareille extraction nepouvait prétendre diriger l’Inde, M.Modiretourna habilement la malheureusemoquerie. Face à l’arrogance des élites, ilest l’homme du peuple s’imposant parson seul labeur.

NarendraModi est né en 1950 àVadna-gar, bourg du Gujerat (ouest), dans unefamille pauvre issue de la communautédes ghanchis, caste hindoue de presseursd’huile végétale située au bas de l’échellesociale bien que d’un rang supérieur auxintouchables (dalits). Gamin, il aide sonpère sur le stand de thé familial installéface à la gare.Mais le garçon aspire à l’évi-denceàuneautre famille. Il la trouvedansl’ambiancesportiveduRashtriyaSwayam-sevak Sangh (Association des volontairesnationaux, RSS), la matrice du mouve-ment nationaliste hindou. Il fréquentel’organisation dès l’âge de 8 ans. Audépart, ilnes’agitquedes’adonneràlasor-

tie de l’école à des jeux et des joutes forte-ment inspirés de ceux des boy-scouts del’ex-colonisateurbritannique. Puis la pro-pagande fait sonœuvre. Elle instille dansles jeunes cœurs les vertus de l’«héroïs-me»et lavénérationpourunecivilisationhindouequ’il faut restaurerdanssa«gloi-re» souillée par les invasions étrangères(Moghols musulmans, Empire britanni-que).

LeRSSdevientsafamille, lavraie, laseu-le. Ses parents l’ont bien marié à l’âge de13ans avec une fille de leur choix, mais lejeune Narendra, dès que le temps de lacohabitation conjugale est arrivé, a fui àgrandes enjambées. Il disparaît deux ansdans l’Himalaya. Et, quand il revient auGujerat, c’est pour filer à Ahmedabad, lacapitale de l’Etat, ouvrir son propre standde thé. Là, il renoue le contact avec les cer-clesduRSS. Il est affecté au siègede l’orga-nisation, où il sert les repas, passe la ser-pillière et lave le linge des dirigeantslocaux. Puis il devient un pracharak, unpermanent dumouvement, astreint à unrégimede viemonacal. Il grimpe les éche-lons patiemment, agitateur de l’ombreorchestrant les campagnes locales contreIndira Gandhi. Ses talents d’organisateurhors pair impressionnent. Son ambitionfroide et dévorante inquiète tout autant.Mais les rivauxqui s’alarmentde sonégo-centrisme forcené, bafouant souvent ladiscipline de l’organisation, sont écartésl’un après l’autre.

Telestl’hommequidevientchiefminis-ter (chefde l’exécutif)duGujerat, en2001.Dans cet Etat de la côteoccidentalede l’In-de, ouvert sur la mer d’Arabie, le fond del’air est safran, lourdement safran. Là, lafrontièreavec lePakistann’estque la figu-re symbolique d’une relation obsession-nelle avec un monde musulman perçu

commeunemenaceintruse.Ainsi leGuje-rat est-il devenu dans les années 1990 lelaboratoire de l’hindutva, l’idéologie pro-pagée par le RSS précisant que l’Inde estintrinsèquement hindoue et que les reli-gions minoritaires, musulmane ou chré-tienne, doivent l’admettre et se faire dis-crètes. Dans une telle ambiance, le BJP,vitrinepolitiqueduRSS,n’aguèredemalàravir le pouvoir local. Et derrière le BJP

s’imposeM.Modi, irrésistibleconquérant.Est-ce un hasard? Cinqmois après son

investiture à la tête de l’exécutif du Guje-rat, l’Etat s’embrase. Le 27février 2002, untrain transportant des pèlerins hindousaffiliés au RSS est attaqué par desmusul-mans à Godhra, à 160km du chef-lieu,Ahmedabad. Un wagon s’enflamme. Prèsd’une soixantaine de passagers périssent.Le lendemain, des foules d’hindous ivresdevengeancemettent leGujerat à feu et àsang, traquent les musulmans, les dépè-cent au couteau, brûlent les corps, éven-trent les femmesenceintes.

O nne saura jamais combiendeper-sonnes ont été ainsi assassinéespoendant plusieurs semaines. Les

évaluations oscillent entre 1000 et 2000morts. Mais on sait que les bandes detueursontagientouteimpunité.LapolicedeM.Modi est restée les bras croisés tan-dis que des cadres du BJP et du RSS enca-draient leshordes.Denombreusesenquê-tes journalistiques ont cité des témoinsrévélant que M.Modi a sciemment laisséla violence se déchaîner. Le calcul auraitconsisté à conforter sa stature de sauveurd’unemajoritéhindoueinitialementtrau-matisée par le drame du train de Godhra.Et qu’importe si la «réaction» – l’euphé-mismeenvoguechezlesnationalisteshin-dous– sedéploie surune tout autreéchel-le de la violence.

Dans le reste de l’Inde, c’est la stupéfac-tiondevantlespectacledecespogromsfil-més en direct à la télévision. A NewDelhi,Sonia Gandhi, la présidente du Parti duCongrès, parle de M.Modi comme d’un«marchanddemorts». Evoquantsapassi-vité, la Cour suprême le qualifie de«Nérondes tempsmodernes».Mais la jus-tice s’est révélée impuissante–en tout cas

jusqu’àprésent–àdéterminerlaresponsa-bilité pénale personnelle deM.Modi dansla tragédie. Un de ses anciens ministres,HarenPandya,avaitbiencommencéàpar-ler. Il a étémystérieusementassassiné.

Aulendemaindecettecatastrophepoli-tico-humanitaireduGujerat, lescommen-tateurs ne donnaient pas cher de l’avenirdeM.Modi. La tache de sang était présen-tée comme indélébile. Et pourtant…Patiemment, méthodiquement, M.Modis’est reconstruit. Selon l’un de ses biogra-phes, Kingshuk Nag, il a trouvé dans lemodèle chinois une source d’inspiration.Après le massacre de Tiananmen à Pékinen 1989, Deng Xiaoping, l’homme qu’iladmire tant, n’a-t-il pas réhabilité l’imageduParticommunisteenrelançantlaméca-nique enrayée des réformes économi-ques?

Commeparhasard,M.Modidécouvreàce moment-là le mantra du «développe-ment». Il déroule le tapis rougeaux inves-tisseurs, améliore l’efficacitéde sonadmi-nistration,réduit la corruption.LeGujerata toujours été un Etat économiquementperformant – les entrepreneurs gujeratiss’illustrent dans la diaspora indienne –,maisM.Modi estmaître dans l’art de s’at-tribuercedynamismeancestral.Et,mêmesi les indicateurssociauxduGujeratsontàla traîne, l’évidence commence à s’impo-serque leGujeratdeM.Modiestun îlotdebonne gouvernance dans un océan d’ar-chaïsme. La manière dont « le marchandde morts» de 2002 a ainsi pu réinventersonpersonnage restera l’unedes énigmeslesplus étonnantesde lapolitique indien-ne.M.ModiamêmetentédemimerGand-hi – un autreGujerati – en jeûnantpour lapaix et l’harmonie. «Il a bel et bien chan-gé», clament ses amis. Mais beaucoupd’autres sont franchement sceptiques. p

NarendraModi

Uneénigmeindienne

Lechefdel’exécutifduGujeratabeaucoupjouésursonpasséd’humble

«vendeurdethé».Faceàl’arrogance

desélites, ilestl’hommedupeuples’imposantparsonseullabeur

NarendraModi se «selfie»avec le logo de son parti, le BJP,

àAhmedabad, dans l’Etat duGujerat, le 30avril. AMIT DAVE/REUTERS

Frédéric Bobin

A63ans, la têted’affichedupartinationalistehindouBJPdevientpremierministred’Inde.Lesminoritésmusulmanesetchrétienness’inquiètent,les intellectuelss’alarment.Les investisseurs,eux, jubilent

190123Samedi 17mai 2014

Page 20: 17 mai Le Monde.pdf

Société éditrice du«Monde»SAPrésident dudirectoire, directeur de la publication Louis DreyfusDirecteur du«Monde»,membredu directoire, directeur des rédactionsGilles van KoteDirecteur déléguédes rédactionsVincentGiretDirecteur adjoint des rédactionsMichel GuerrinDirecteurs éditoriauxGérardCourtois, Alain Frachon, Sylvie KauffmannRédacteurs en chefArnaudLeparmentier, Cécile Prieur, NabilWakimRédactrice en chef «MLemagazine duMonde»Marie-Pierre LannelongueRédactrice en chef «édition abonnés» duMonde.fr Françoise TovoRédacteurs en chef adjoints François Bougon, Vincent Fagot, Nathaniel Herzberg, Damien LeloupChefsde serviceChristopheChâtelot (International), LucBronner (France), VirginieMalingre(Economie), Auréliano Tonet (Culture)Rédacteurs en chef «développement éditorial» Julien Laroche-Joubert (InnovationsWeb),Didier Pourquery (Diversifications, Evénements, Partenariats)Chefd’éditionChristianMassolDirecteur artistiqueAris PapathéodorouPhotographieNicolas JimenezInfographieEric BéziatMédiateurPascal GalinierSecrétaire générale du groupeCatherine JolySecrétaire générale de la rédactionChristine LagetConseil de surveillancePierre Bergé, président.

C ’était il y a trois ans, aupetitmatin.Unde cesmoments où le journaliste accré-dité au Festival de Cannesn’est pas frais.

Surtout s’il veut attraper la séancede 8h30, auGrandThéâtre Lumière, aprèsun samedi soiragité. Le dimanche 15mai 2011, à la fraîchedonc, était dévoiléTheArtist, le filmmuet avecJeanDujardin.On s’en souvient très bien.Dufilm, et de l’excitationqui a gagné la salle quel-quesminutes avant la projection. Enprincipe,à cette heure, les corps sont assoupis. Là, lesregardspétillaient, les téléphonesportablesvibraient. Chacunyallait de son commentai-re. Pas surDujardin,mais surDominiqueStrauss-Kahn, l’invité surprise de lamatinée.

Il n’était pas auprogramme, le patronduFMI,maisonneparlait quede lui dans ce Théâ-tre Lumièreoù se côtoientdes journalistes dumondeentier. Les plus assidus suivaientunfeuilletondémarrédans lanuit, vers 1h45. Surcette base: le présumécandidat socialiste àl’électionprésidentielle avait été arrêté àNewYork, quelquesminutes avant sondépartpour la France, après avoir été accusé d’agres-sion sexuelle surune employéed’hôtel.

DSKétait si présentdans les esprits cannoisque, trois jours après, les rires ont fusé lors

d’une scène de Pater,d’AlainCavalier, danslaquelle le présidentde la Républiquemontreà sonpremierministreunephoto compromet-tanted’un adversairepolitique.

DSKest aujourd’hui enpassede rééditerunexploit sur la Croisette:marquer les espritsd’un festival qui, d’habitude, restedans sa bul-le;monopoliser l’attentiondes festivaliers,sans être présent etmalgré lui. Il y a trois ans, iléclipsait la compétition (Palmed’or à l’en-nuyeuxTheTree of Life, dugrandTerrenceMalick). Le samedi 17mai, le filmWelcome toNewYork, d’Abel Ferrara, inspiréde l’affaireduSofitel, fera l’événement au67eFestival deCan-nes.Mais à sa façon. Il seraprojeté, gratuite-ment et pour tout lemonde, dansquatre sallesd’uncinémade la ville, à quelquespas du«bunker», surnomduPalais des festivals.

Le réalisateur, les acteurs dontGérardDepardieu, les producteursVincentMaravalet BrahimChioua, tous défileront sur la Croi-sette.Welcome toNewYorkdevrait égalementêtreprojeté sous une tente.Une conférencedepresse est annoncée, et une fiesta prévue – audépart à l’Hôtel Carlton, ça ne s’inventepas.Onsait surtout que le filmne sortirapas en sal-les,mais qu’il seradisponible enVODàpartir

de samedi à 21heures, auprix de 7 euros. C’estmoins cher qu’uneplace de cinéma, plusqu’un filmà louer. C’est surtoutunepremièreenFrancepourun filmde cette ampleur.

Vousdécouvrirezpage12, commepourunfilmen compétition, ce que votre journal pen-se deWelcome toNewYork. Mais onpeut déjàdire queVincentMaraval et BrahimChiouaont réalisé un joli coup. La spécialité de Can-nes est en effet de bannir le public alors que sarésonancemédiatiqueest digned’uneCoupedumondede football. L’idéedes producteursdeWelcome toNewYork est de jouer le publictout enprofitantde l’impactdu Festival. Ilssont à Cannes sans y être. De son côté, le Festi-val a plutôt à gagner de cette ambiguïté, l’in-trus venantpimenterune éditionqui semblemanquerde vedettes américaines.

Rendez-vous pour happy fewLespromoteursdeWelcome toNewYorkne

sontpashostiles au grand écran.Ni insensi-bles auprestigedeCannes. Au contraire. Ilssouhaitaientdu reste sortir leur filmsimulta-némentenVODet dans 80 cinémasen France.Mais la loi interdit ce scénario. En revanche, ilsentendentbousculer le systèmede sortie desfilms, qu’ils jugent contraignant. Et titiller indi-rectement la belle anomalie cannoise. Car cefestival est le seul d’importanceaumondedes-tiné auxprofessionnels, et non aupublic. Ilramemêmeà contre-courant, à l’ère d’Inter-net et des réseaux sociaux.Mais c’est pour celaqu’il conserve sonprestige.

LeMondeapublié, le 8février 2013, la cartemondialedes festivals. Cannes arrive large-menten tête aunombred’accréditations (pro-

fessionnels etmédias): 31700personnes,contre 19760àBerlin, 13500à Sundance (Etats-Unis), 5440àTorontoet 4100àVenise.Mais legrand festival ouvert aupublic, c’est Berlin,avec444000billets vendus. Et celui quimon-te est Toronto, en septembre, l’antichambredesOscars; un festival quin’apas de jury,mais260000spectateursqui décernentdesprix.

ACannes, unbonpaquetd’invitations circu-lent, quelques films sortent simultanémenten salles,mais cela reste un rendez-vouspourhappy few, avecunpublic réduit à quelquesbadaudsen short qui se postentdes heuresface auPalais pour observer le ballet des berli-nesnoires et lamontéedesmarchesdes smo-kings et des robes de soirée.On est loin, làencore, des 168 festivals de cinéma recensésenFrance, dont l’esprit est d’être ouverts aupublic, et dans lesquels des réalisateurs ouacteurs vont à la rencontrede leurs fans.

Maisd’une certaine façon, et aumomentoùnombredemanifestations se posent laques-tionde l’interactivité avec le public, le filmdeFerraraest unemanièrepourCannesd’ouvrirlesportes. En fait, le Festival s’ouvredéjà, et cet-te fois enpartenariat avec LeMonde, à traverslamanifestation«Cannes àParis».Du 23 au25mai, plusdequinze filmsde la Sélectionoffi-cielle serontprojetés aucinémaGaumontOpé-ra, à Paris (2, bddesCapucines, Paris 9e,e-billets surCinemasgaumontpathe. com).Samedi 24mai, le palmarès seramêmetrans-mis endirectde cette grande salleparisienne,suivi du filmde clôture. Lequel?Mystère.Maisvenez, c’est ouvert à tous, et c’est très bien. p

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CULTURE | CHRONIQUEpar Michel Guerrin

LefestivalStrauss-Cannes

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L’INTRUSPIMENTE

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DÉCOUVERTE

Pouréviter lesécoutes,laSarkozieraccroche

pTirage duMondedaté vendredi 16mai 2014 : 316 341 exemplaires. 2

C ’estdevenu infernal.Depuisqu’onsaitqu’il est surécou-tes, onn’oseplus riendire

partéléphone.»Al’instardecepro-chedeNicolasSarkozy,plusieursresponsablesde l’UMPs’agacentdenepluspouvoir communiquerdemanièreaussi simplequ’avantavec l’ex-président.Tout s’estcom-pliquédepuisqueLeMondea révé-lé, le 7mars, samise surécoutedepuis septembre2013dans lecadrede l’enquêtesur les accusa-tionsde financement libyende sacampagnede2007.

FrançoisBaroinestpour l’ins-tant le seul ténordedroite àavoirexpliquépubliquementceque lasurveillancetéléphoniquede l’an-cienchefde l’Etataengendrécom-mecomplications.«Onparle tousunpeumoinsau téléphoneavecNicolasSarkozycar il y a tropd’écoutes.Donc il faut le voir. Et iln’estpas toujoursdisponible»,a-t-il déclaré le 29avril surRMC.Résultat: lesmessagespassentdésormaismoinsviteenSarkozie.«Au lieude s’appeler rapidementpour separler, ondoit fixerunren-dez-vousruedeMiromesnilpourêtre sûrque cela reste confidentiel.Ducoup,onperdenréactivité: letempsde levoir, ceque je voulaisluidire estparfoisdéjàpérimé»,pesteunsarkozyste.

Certainss’enremettentaupapierpourcontourner les écou-tes.«Je fais remettreàNicolasSarkozydesmotsparécrit», racon-teun fidèlede l’ancienchefdel’Etat, qui adécidédeneplus l’ap-peler.«Ni sur sonportable,ni surson fixe», précise-t-il. S’il doitpas-serunmessageurgent, il se résoutàcontactersa collaboratrice,Véro-niqueWaché,ousondirecteurdecabinet,MichelGaudin.Maischa-quecoupde fil estperçucommepotentiellementrisqué.«Lemieuxrestedepasser levoirdanssesbureaux», conclut-il, prudent.

Unex-ministreassureavoirpris sesprécautionsbienavant lamisesurécoutesdeceluiqui avaitouvertuneseconde lignesous lenomdePaulBismuth:«J’ai inté-grédepuis longtempsqu’onétaittous surécoutes, donc jemesuisfixé commeprincipedene jamaisparlerdes sujets sensiblespar télé-phone.C’est encoreplusvrai avecSarkozy.»

«Onne se sent plus libre»Tous les sarkozystesqui abor-

dentce sujet le fontavec le soucidevictimiser leurchampion.Leurbut: présenter l’ex-présidentcom-mela cibledesonsuccesseur,quiseraitprêt à toutpour luimettredesbâtonsdans les rouesdansl’optiquede2017. Imaginerque lepouvoir socialistepuisseécouterles conversationsdes cadresdel’UMPavecM.Sarkozysuscite l’in-dignationgénéraleàdroite.«Onnese sentplus libre!», s’énerveunsénateur.«Les juges entendent lesdiscussionsque j’aiavec les respon-sablespolitiques françaiset étran-gers», avaitdénoncé l’ex-prési-dentdans sa tribunepubliéedansLeFigaro le 21mars.

Parfois, l’anciencoupleprési-dentiel se chargedepasserdesmessagespersonnelsauxenquê-teurschargésdesécoutes.D’aprèsLePoint, il arriveàCarlaBruni-Sarkozyd’interrompre les conver-sationsdesonmaripour s’adres-serdirectementà«ces connardsquinousécoutent». De soncôté,l’ex-présidentadéjàprisunmalinplaisirà induireenerreur ceuxqui le surveillent. Le 7mars, alorsqu’il se trouveàGenèvepourassis-teràunconcertdesonépouse,unténorde l’UMPluipasseuncoupde fil :«Oùes-tu?»RéponsedeM.Sarkozy,demanièrevolontaire-ment ironique:«AGenèvepourouvriruncompteenbanque!»p

AlexandreLemarié

20 0123Samedi 17mai 2014