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Hanane NAJI Master 2 parcours santé Hilal YORUK Master 2 parcours bioéthique LE SUICIDE ASSISTE La mort est un sujet où tous et chacun a sa propre opinion ou définition. Cela entraîne souvent des conflits dans divers sujets de discussion. Le suicide assisté présente un bon exemple de sujet controversé, car ce n'est pas dans toutes les régions du monde qu'il est légalisé et accepté. Plusieurs opinions et conflits tournent autour de ce sujet. Est-il moralement acceptable d'enlever la vie à un être humain pour le soulager ? Certains seront en faveur, d'autres non. Selon la charte des droits et libertés, tous les Hommes ont le droit à la vie. Ce fait est indéniable et incontestable. Chaque individu a le droit de vivre dignement dans des conditions saines et sécuritaires. Mais qu'en est-il de la mort ? Devrait-on avoir également le droit de mourir dignement et lorsque l'on le désire ? Cette question est sans doute une des plus récurrente dans notre société moderne, surtout lorsque l'on parle des patients en phase terminale qui désirent mourir Plusieurs personnes voient leurs proches en déclin physique et psychologique vers la mort. Le suicide assisté devient une option envisageable tant pour la personne atteinte que pour ses proches. Serait-il moral pour les proches d'aider les personnes qu'ils aiment à mourir plutôt que de les voir souffrir ? Le suicide assisté est-il moralement acceptable ? L'assistant au suicide se voit confronté entre deux valeurs, la dignité de la personne qu'il chérit et le respect de la vie. Définissons quelques notions clés afin de mieux appréhender le sujet qui est le nôtre, car il n'est pas toujours facile de s'y

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Hanane NAJIMaster 2 parcours santé

Hilal YORUKMaster 2 parcours bioéthique

LE SUICIDE ASSISTE

La mort est un sujet où tous et chacun a sa propre opinion ou définition. Cela entraîne souvent des conflits dans divers sujets de discussion. Le suicide assisté présente un bon exemple de sujet controversé, car ce n'est pas dans toutes les régions du monde qu'il est légalisé et accepté. Plusieurs opinions et conflits tournent autour de ce sujet.

Est-il moralement acceptable d'enlever la vie à un être humain pour le soulager ?Certains seront en faveur, d'autres non.

Selon la charte des droits et libertés, tous les Hommes ont le droit à la vie. Ce fait est indéniable et incontestable. Chaque individu a le droit de vivre dignement dans des conditions saines et sécuritaires.Mais qu'en est-il de la mort ? Devrait-on avoir également le droit de mourir dignement et lorsque l'on le désire ? Cette question est sans doute une des plus récurrente dans notre société moderne, surtout lorsque l'on parle des patients en phase terminale qui désirent mourir

Plusieurs personnes voient leurs proches en déclin physique et psychologique vers la mort. Le suicide assisté devient une option envisageable tant pour la personne atteinte que pour ses proches.Serait-il moral pour les proches d'aider les personnes qu'ils aiment à mourir plutôt que de les voir souffrir ? Le suicide assisté est-il moralement acceptable ?L'assistant au suicide se voit confronté entre deux valeurs, la dignité de la personne qu'il chérit et le respect de la vie.

Définissons quelques notions clés afin de mieux appréhender le sujet qui est le nôtre, car il n'est pas toujours facile de s'y retrouver, tandis que les différences entre ces notions sont importantes sur le plan légal et humain.

Euthanasie : L'euthanasie existe depuis la Grèce Antique. Le mot « euthanasie » provient du grec « euthanos » qui signifie « bonne mort », c'est-à-dire la mort dans de bonnes conditions. Elle désigne un acte médical « consistant à ménager une mort sans souffrance à un malade atteint d'une affection incurable entraînant des douleurs intolérables », explique le Larousse. Autrement dit, l'euthanasie est une pratique qui consiste à provoquer la mort d'un patient pour des raisons médicales, notamment l'incurabilité d'une pathologie associée à une souffrance ou des douleurs insupportables. Par définition, elle est donc effectuée par un tiers. Elle peut être active ou passive.

Euthanasie active : elle suppose le geste d'un tiers qui administre à un malade souffrant d'une maladie incurable entraînant des douleurs insurmontables une substance létale dans le but de provoquer la mort immédiatement.

Euthanasie passive : elle traduit le renoncement aux traitements médicamenteux, l'interruption de l'alimentation ou de l'hydratation artificielle ou l'administration

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d'opiacées ou de sédatifs à haute dose, pouvant plonger le malade dans le coma et provoquer la mort au bout de quelques jours. C'est la forme la mieux acceptée d'assistance à la fin de vie (exemple : la sédation profonde).

Euthanasie volontaire : elle intervient à la demande du patient. Euthanasie involontaire : elle ne répond pas à la demande du patient, mais à celle

d'un proche ou de l'équipe médicale, dans le cas où le patient est dans l'incapacité de donner son accord.

Laisser mourir : La frontière avec «le droit au laisser mourir» de la loi Leonetti de 2005 est mince. Celle-ci autorise un médecin, après avis collégial et autorisation des proches ou du patient, à appliquer un traitement anti-douleur «qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie», mais non de provoquer la mort...

Suicide assisté : A ne pas confondre avec l'euthanasie, l'assistance au suicide désigne un processus « où l'acte létal est accompli par la personne malade elle-même », souligne le rapport Sicard, cité par La Croix. Concrètement, il s'agit pour le médecin de fournir au patient les substances létales qui l'aideraient à abréger ses souffrances, mais en le laissant effectuer le geste final. Le terme de suicide possédant une connotation fortement péjorative, il est fréquent que d'autres termes soient employés tels que : « aide à mourir », « aide à la fin de vie », « mourir dans la dignité », etc.

Nous avons ensuite d'autres notions liées à la thérapie et au domaine de la santé elle-même, mais qui nous permettront de mieux cerner la question du suicide assisté.

Acharnement thérapeutique : C'est une attitude qui consiste à poursuivre une thérapie lourde à visée curative, alors même qu'il n'existe aucun espoir réel d'obtenir une amélioration de l'état du malade, et qui a pour résultat de prolonger simplement la vie.

Soins palliatifs : Ce sont des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave, évolutive, ou terminale. L'objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle.

Donc la principale distinction entre l'euthanasie et le suicide assisté tient à l'association du patient dans le processus de fin de vie.

Dans le cas de l'euthanasie, la décision d'abréger les souffrances d'un patient atteint d'une maladie incurable est non seulement prise par le corps médical mais également exécutée par lui.

Lors d'un suicide médicalement assisté, c'est le patient lui-même qui effectue l'acte provocant la mort.

Il est important également de distinguer le suicide assisté d'un suicide « normal ». En effet, le suicide est un geste commis par une personne, pour la plupart du temps en bonne santé, du moins physique, aux prises avec des problèmes, qui peuvent être de différents niveaux, et qu'elle croit insurmontables. A contrario, le suicide assisté, celui étudié dans notre cas, concerne les personnes souffrantes, sur le bord de la mort ; ces personnes pour qui vivre n'est désormais que souffrance intense. Il arrive même qu'elles peuvent être privées de plusieurs ou de tous leurs sens.

Problématique : Du fait que chaque individu est libre de disposer librement de son corps, devrait-on donner le droit aux patients le désirant de mettre fin à leurs jours ?

Pour répondre à cette interrogation, nous allons étudier dans un premier temps la question du suicide assisté dans la société (I), avant de nous pencher sur le suicide assisté au regard de l'individu

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concerné et de son entourage (II).

I. La question du suicide assisté dans la société

Nous allons voir d'abord les différentes législations qui autorisent ou interdisent le suicide assisté (A), avant de nous pencher sur la question du suicide assisté en France, et le débat qui a animé le pays ces dernières années (B).

A. Les différentes législations et leur position concernant le suicide assisté

Tout d'abord, nous pouvons avoir une première vue d'ensemble sur les législations actuelles en Europe, concernant toutes les notions englobant le « droit à mourir », et donc plus spécifiquement le suicide assisté.

      Euthanasie active légale     Suicide assisté légal      Euthanasie passive légale     Aucune forme d'euthanasie ni de suicide autorisée     Situation légale ambiguë

Les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg sont les seuls pays à autoriser à l'heure actuelle l'euthanasie et donc le suicide assisté, sous certaines conditions. Seuls les patients endurant des souffrances insupportables et atteints de maladies incurables peuvent en bénéficier. Au moins deux médecins doivent être consultés et le patient doit formuler sa demande de manière réfléchie et répétée, libre de toute contrainte.

En Belgique, la loi du 28 mai 2002 adoptée après deux ans de débats dépénalise l'euthanasie active à des conditions strictes. Celle-ci est définie dans la loi comme étant « l'acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci ».

Au Luxembourg, l'euthanasie et l'assistance au suicide y sont légales depuis le 17 mars 2009.

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Aux Pays-Bas, l'euthanasie y est légale depuis avril 2001, donc le suicide assisté aussi. De plus, dans ce même pays, depuis 2004, l'euthanasie est autorisée pour les enfants de moins de 12 ans, et l'avis des parents peut suppléer à celui de l'enfant.

La Suisse autorise explicitement l'assistance au suicide. La personne assistant le patient souhaitant mourir ne doit pas avoir de « mobile égoïste » (héritage, etc.). Au Royaume-Uni, elle est officiellement interdite mais le ministère de la Justice a émis des recommandations rendant improbables les poursuites dans le cas où un proche a aidé un patient par compassion.

Dans d'autres pays, on voit qu'apparaît un réel débat sur la question du suicide assisté, malgré que celui-ci soit interdit dans les législations en question. On voit par exemple le cas de l'Allemagne, où toute forme d'euthanasie a été un sujet tabou, notamment parce qu'elle a été largement pratiquée sous le régime nazi avec l'euthanasie de plus de 150000 patients allemands, dont 6000 enfants (Programme Aktion T4). L'euthanasie est actuellement interdite dans les textes mais sa forme passive est tolérée. Les Allemands ont tendance à employer le terme « Sterbehilfe » (mort assistée) plutôt que celui d'euthanasie qui fait trop écho à l'Opération T4.

En Australie aussi, l'aide au suicide est illégale, mais elle fait l'objet d'un vif débat, surtout depuis que le Territoire-du-Nord a autorisé, par une loi de 1995, l'assistance au décès d'un patient en phase terminale. Cette loi, entrée en vigueur le 1er juillet 1996, a été abrogée en mars 1997 par la loi fédérale sur les lois d'euthanasie, alors que quatre personnes y avaient eu recours.

Ces pays, et bien d'autres, créent le débat autour de la question du suicide assisté, débat qui est insufflé par l'évolution des différentes jurisprudences de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui construit au fur et à mesure un droit individuel au suicide assisté.

1re étape : Pretty c. Royaume-Uni

La première étape a été l'arrêt Pretty contre le Royaume-Uni du 29 avril 2002. Dans cet arrêt, la Cour avait déclaré ne pas pouvoir « exclure que le fait d’empêcher par la loi la requérante d’exercer son choix d’éviter ce qui, à ses yeux, constituera une fin de vie indigne et pénible représente une atteinte au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention ».

2e étape : Hass c. Suisse

La seconde étape a été l'arrêt Haas contre la Suisse du 20 janvier 2011. Dans cet arrêt, la Cour a glissé du « choix » au « droit » de se suicider, en affirmant que « le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu’il soit en mesure de forger librement sa propre volonté à ce propos et d’agir en conséquence, est l’un des aspects du droit au respect de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention » (§ 51). On pouvait conclure de cet arrêt que si la Convention garantit le droit de se suicider, elle n’oblige pas l’Etat à faciliter le suicide : le droit de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin désignant une faculté personnelle de se suicider, mais pas un droit au suicide assisté opposable à l’Etat.

3e étape : Koch c. Allemagne

La troisième étape dans cette évolution est un arrêt récent, Koch contre l’Allemagne du 19 juillet 2012. Par cet arrêt, il apparaît que la Convention garantit à présent non seulement le droit de se suicider, mais oblige aussi l’Etat – non pas (encore) à faciliter le suicide - mais à justifier son refus

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de faciliter le suicide. Le suicide assisté n’est plus seulement une faculté personnelle, il devient un droit opposable à l’Etat nonobstant son interdiction dans le droit interne. Dès lors que la Cour accorde au suicide assisté la qualité de droit, l’Etat en devient garant de la jouissance effective.

Dernière étape : Gross c. Suisse

Enfin, la dernière pierre à l'édifice vient de l'arrêt Gross contre Suisse du 14 mai 2013. Cette fois, la Cour condamne en substance, le fait que l’exercice effectif du droit au suicide assisté soit conditionné par des normes médicales qui excluent le suicide assisté des personnes en bonne santé. Donc on va encore plus loin.

B. La législation actuelle en France et le débat qui l'anime

Les droits des patients en fin de vie ont été posés par la loi du 9 juin 1991 relative à l'accès aux soins palliatifs. A l’heure actuelle, c’est la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie, qui a été adoptée le 12 avril 2005, et publiée au Journal officiel le 23 avril 2005. Cette loi est promulguée à la suite de la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades.

La loi Léonetti relative aux droits des patients en fin de vie n’autorise pas l’euthanasie active. Par contre elle autorise l’euthanasie passive, ainsi que l’euthanasie indirecte.

Par la permission de l’euthanasie indirecte, il est permis d’administrer des antalgiques qui peuvent avoir comme effets secondaires d’abréger la vie du patient, ceci toute en absence de toute volonté de donner la mort, mais dans la perceptive d’alléger les souffrances du patient.Le Code de la santé publique français prévoit dans le dernier alinéa de son article L1110-5 que le médecin n'est pas pénalement responsable suite à l’administration de substances à un patient qui ont comme fonction principale de soulager le patient, mais qui a comme effet secondaire d’accélérer la survenance de la mort.

Cette loi permet aussi l’euthanasie passive. De ce fait, un patient qui peut exprimer sa volonté de vouloir arrêter un traitement ou de refuser tout acharnement thérapeutique, à savoir toute obstination déraisonnable dans la dispense de soins, peut le faire.Le Code de la santé publique français dispose dans son article L1110-5 que « lorsqu’ilsapparaissent intitules, disproportionnées ou n'ayant d'autre effet que le seul maintienartificiel de la vie, ils peuvent être suspendu ... ».

C'est là tout le problème de la loi Léonetti, de n'autoriser que certaines formes d'euthanasie, problème qui a été soulevé par un cas d'espèce très médiatisé, l'affaire Chantal Sébire.Chantal Sébire était une femme âgée de 52 ans qui souffrait d'une tumeur très rare des sinus et de la cloison nasale. Cette tumeur, devenue incurable, entraînait des douleurs atroces et lui avait fait perdre l'odorat, le goût, puis enfin la vue six mois avant sa mort. Elle avait sollicité le droit à la mort, qui lui a été refusé. Cette demande « n'entrait pas dans le cadre de la loi" de 2005 sur la fin de vie, a estimé son auteur, le député UMP Jean Leonetti. "C'est une demande de suicide assisté, pas une demande d'accompagnement de fin de vie."

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Concernant la loi Léonetti, le professeur Didier Sicard a rendu le 18 décembre 2012 à François Hollande un rapport sur la fin de vie. L'engagement 21 de la campagne de l'actuel président prévoyait en effet « une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». L’ancien président du Comité consultatif national d’éthique avait été nommé en juillet à la tête d'une mission chargée d'y réfléchir.

La loi Léonetti est mal connue

Le rapport relève d'abord que la loi Leonetti, votée en 2005 et qui encadre juridiquement l'accompagnement de la fin de vie, doit faire l’objet d'"un effort majeur d’appropriation (…) par la société et par l’ensemble des médecins et des soignants".Selon un sondage commandé par la mission à la Sofres, les Français ne connaissent pas cette loi : 48% pensent ainsi qu’il est faux d’affirmer qu'elle autorise l’arrêt des traitements vitaux.La loi Leonetti est « sans visibilité, mal appliquée, voire inappliquée », dénonce le rapport.

Evolution concernant le suicide assisté

La mission, par ailleurs, écarte la légalisation de l'euthanasie, « acte médical qui, par sa radicalité (…), interrompt soudainement et prématurément la vie », c'est-à-dire le droit pour un médecin d'injecter un produit qui provoquera la mort du patient.

Le texte rappelle en revanche la possibilité de la sédation profonde, déjà prévue par la loi Leonetti : le droit pour un médecin d'administrer à un patient en phase terminale de la morphine ou un sédatif à très forte dose, quitte à le faire mourir plus vite. Quand la personne malade demande l'arrêt des traitements, dans « les phases ultimes de l’accompagnement en fin de vie », « il serait cruel de la laisser mourir ou de la laisser vivre sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin accélérant la survenue de la mort », selon le rapport. « Cette grave décision » est prise « par un médecin engagé en conscience », et « toujours éclairée par une discussion collégiale ».

Le rapport n'écarte pas une évolution concernant l'assistance au suicide, assortie de réserves. A la différence de l'euthanasie active, c'est le patient qui absorbe un produit mortel, et non le médecin qui lui injecte. Si elle ne peut être « une solution proposée comme une alternative » à l’absence de soins palliatifs et d’accompagnement, l'assistance au suicide peut permettre à certains malades en phase terminale qui le souhaitent de « disposer d’un recours ultime », dit la mission.

L'extrême sensibilité du débat a conduit François Hollande a réagir vite. A peine reçues les propositions de la mission, l'Elysée a annoncé qu'il saisissait le Comité consultatif national

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d'éthique.

L'avis du CCNE de 2013 recommande de ne pas légaliser l'assistance au suicide ou l'euthanasie dans un avis rendu public.L'autorisation de l'"aide active à mourir" pourrait être perçue par des personnes vulnérables comme un risque d'être victimes d'abandon de soins et de voir abréger leur vie, redoute le CCNE dans cet avis qui avait été sollicité par le chef de l'Etat.Cependant, pour le CCNE, « la réflexion sur la fin de la vie n'est pas close » et « doit se poursuivre sous forme de débat public ».

C'est là qu'intervient l'avis du groupe représentatif de citoyens français qui s'est prononcé le 16 décembre 2013, sur la délicate question de l'euthanasie active et du suicide assisté, jusqu'à présent interdits en France. Cette "conférence de citoyens" a été mise sur pied à la demande de François Hollande par le CCNE pour orienter la future loi sur la fin de vie, destinée à remplacer ou compléter l'actuelle loi Leonetti de 2005. Ce groupe constitué de dix-huit personnes représentant la "diversité" de la population française, sélectionnées par l'institut de sondages Ifop, s'est réuni durant quatre week-ends à huis clos en novembre et décembre pour entendre les avis de diverses personnes qualifiées. Voici ses deux principales propositions.

Légaliser le suicide assisté

"La possibilité de se suicider par assistance médicale comme l'aide au suicide constitue, à nos yeux, un droit légitime du patient en fin de vie ou souffrant d'une pathologie irréversible, reposant avant tout sur son consentement éclairé et sa pleine conscience", indique ce panel de 18 citoyens dans son avis.Il suggère d'autoriser le suicide assisté dans un cadre médical, et non associatif comme en Suisse. Autrement dit, une personne aurait le droit d'obtenir du corps médical qu'il lui administre un produit létal, du moment que cette personne est consciente, en a fait la demande et se trouve dans un état clinique désespéré. Cette conception du suicide assisté se rapproche plus, dans les faits, de la notion d'euthanasie, puisqu'elle implique l'intervention d'une personne qui n'est pas le patient.

Créer une "exception d'euthanasie"

Dans la mesure où cette définition du "suicide assisté" est très large, la question de l'euthanasie se pose différemment. Puisque l'euthanasie désigne un acte entrepris sans le consentement du patient, elle doit rester interdite par la loi.Cependant, les citoyens consultés estiment qu'il existe des cas, "infimes", dans lesquels l'euthanasie peut être pratiquée. Ils proposent ainsi de créer une "exception d'euthanasie", un recours qui interviendrait quand une personne en fin de vie n'est pas en mesure de recourir au suicide assisté ni d'exprimer sa volonté et à condition que la décision soit commune entre la famille et le corps médical.

La question qu'on peut se poser maintenant est de savoir ce que va faire le gouvernement de cet avis. Alors que 9 Français sur 10 sont favorables à une loi autorisant « le droit à mourir », le gouvernement a promis une loi sur le sujet pour 2014.

II. Le suicide assisté au regard de l'individu concerné et de son entourage

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Dans le cadre de cette partie, nous allons nous pencher sur le cas de la Suisse, pays qui autorise le suicide assisté (A), avant d'étudier le débat entre les doctrines favorables et celles non favorables pour cette pratique (B).

A. La Suisse face au suicide assisté : les différentes pratiques

Le déroulement du suicide assisté

Le suicide assisté peut être ou non encadré par le corps médical, selon les législations en vigueur.Dans certains états américains comme en l'Oregon, à Washington ou dans le Montana, il est omniprésent lors de tout le processus. Le patient s'injecte lui-même la dose létale (un anesthésique puissant, souvent du penthiobarbital) sous l'œil des médecins ou des infirmiers. A l'inverse, en Suisse ou en Belgique, la potion létale est prescrite par le corps médical mais ne peut être administré dans l'enceinte de l'hôpital. Cependant nous verrons plus loin que depuis 2013, elle peut être administrée dans l'enceinte de l'hôpital sous le contrôle de proches ou d'une association.

Le cas de la Suisse et ses associations

L'assistance médicale au suicide est légale en Suisse. En effet, l'association ADMD peut aider ses adhérents à mettre fin à leurs jours pour des raisons médicales.Pour bénéficier de l'assistance au suicide, les membres de l'association doivent fournir des documents médicaux attestant de leur situation, ainsi qu'une lettre manuscrite dans laquelle ils demandent de les aider à mourir, et indiquent que les personnes qui assisteront à leur départ ne sont pas impliquées dans leur décision. Selon le président de l'association, parmi les demandeurs, il y a des personnes souffrant d'un cancer en phase terminale, des gens atteints de maladies dégénératives neurologiques les paralysant progressivement mais aussi des personnes qui présentent des polypathologies invalidantes. Par exemple, des grands vieillards qui ont encore tout leur discernement, qui ont de la peine à se déplacer, qui ont des douleurs neurogènes, des incontinences, qui voient mal, qui entendent mal. Selon le président de l'association « si ces personnes souhaitent mettre un terme à cette lente déchéance pour retrouver des gens qu'elles ont aimé et qui sont déjà morts, on va les aider aussi ».

Suit une discussion entre l'association et le médecin traitant de la personne demandant à mourir, pour évoquer sa situation et savoir s'il ferait l'ordonnance pour la substance létale, le pentobarbital. Le médecin traitant n'est pas obligé d'accepter. S'il ne le souhaite pas, l'association délègue l'un de ses médecins pour discuter avec la personne demandeuse et, si elle persiste dans son souhait de mourir, une date est fixée pour lui apporter la substance et l'aider à partir.Le jour venu, la personne est généralement chez elle, entourée de ses proches. Parfois dans des maisons de retraite, exceptionnellement à l'hôpital, si la personne ne peut pas rentrer chez elle. Mais depuis que Vaud, premier canton à avoir inscrit dans la loi en 2013 l'obligation pour les établissements de santé d'intérêt public d'accepter les demandes de suicide assisté. Le texte suppose que les associations d'aide au suicide, qui accompagnent le demandeur dans son geste, puissent intervenir directement dans l'établissement où réside le patient.Si la personne a une crainte ou si elle souhaite modifier sa décision, elle a le droit. Elle a le choix de sa vie ou de sa mort jusqu'à la dernière seconde.Pour son dernier geste, le patient peut être amené à ouvrir la valve d'une perfusion, ou à boire la substance.

Une fois la personne décédée, l'association informe la police judiciaire. Celle-ci délègue des inspecteurs en civil et un médecin légiste. Les témoins sont interrogés, un rapport est envoyé au procureur. Ce dernier décide alors d'un non-lieu, l'assistance médicalisée au suicide n'étant pas répréhensible par la loi. Cette assistance est gratuite, la seule condition étant l'adhésion à

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l'association, à hauteur de 40 francs suisses par an.

Au total, il existe en Suisse cinq associations comme l'ADMD.Cependant, les personnes ne sont pas toujours obligées de passer par elles. Il faut une ordonnance, si des médecins traitants veulent prendre en charge leurs patients, c'est tant mieux selon le président de l'association ADMD.Cette assistance médicalisée au suicide dépend de l'article 115 du code pénal helvétique. Il permet l'assistance au suicide sans mobile égoïste, donc sans intérêt lié à la disparition de la personne qui demande à mourir. Un arrêt du tribunal fédéral confirme que « chaque être humain capable de discernement a le droit garanti par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'Homme de décider de la manière et du moment de sa propre mort ».Selon Samia Hurst, professeur associée à la faculté de médecine Genève, il n'y a pas besoin d'être médecin pour qu'il soit légal d'assister le suicide de quelqu'un, le droit suisse exigeant trois conditions :

que la personne se tue elle-même, que l'aidant n'ait pas de mobile égoïste, et que le suicidant soit lucide, capable de discernement.

Le cas des personnes qui ne peuvent pas se suicider seules : affaire Lambert et affaire Humbert

Autoriser l'aide au suicide ne conduirait pas à mettre à mort tous les sujets souffrants puisque seuls les sujets aptes pourraient le demander. Qu'en est-il des personnes inaptes dont la souffrance est immense ? Le respect de l'autonomie oblige ici à la discrimination.Le suicide assisté ne satisfait pas les personnes lourdement handicapées, incapables de s'administrer elles-mêmes les traitements létaux. C'est ce qu'a rappelé la mère de Vincent Humbert, lors de la sortie du rapport Sicard en 2012, qui explorait déjà cette piste. Elle avait aidé son fils (Vincent Humbert) tétraplégique à la suite d'un accident de la route, à mettre fin à ses jours en 2003.Pour prévenir ce genre de situation, la conférence des citoyens propose de mettre en place, comme nous l'avons vu, une « exception d'euthanasie » envisageable dans des cas particuliers ne pouvant entrer dans le cadre du suicide assisté, comme lorsque le consentement direct du patient ne peut pas être recueilli. Les citoyens préconisent la création de commission locales qui seraient chargées d'apprécier ces demandes.

Affaire Vincent Lambert, patient tétraplégique de 38 ans dans un état de conscience minimale depuis 2008.

B. Le débat pour ou contre le suicide assisté

Les tenants et opposants au suicide assisté débattent depuis plus de 50 ans. Les premiers se prononcent au nom de l'inaliénable liberté humaine, de la dignité et de la compassion devant des souffrances insupportables ; les seconds mettent surtout en avant le caractère sacré de la vie et les risques d'abus.

Pour le suicide assisté

Le premier point en faveur de cette pratique se rapporte à la dignité des gens. Par dignité, on vise les gens atteints d'une maladie incurable, c'est-à-dire qui n'ont aucune chance de guérison. Ces gens qui n'ont plus aucun espoir de rémission et qui peuvent partir à tout instant devraient pouvoir choisir de mettre fin à leurs souffrances immédiatement plutôt que de vivre dans l'insécurité constante et la douleur. Il n'y a rien de pire que de savoir que nous allons mourir sans savoir quand. C'est pourquoi le suicide assisté devrait être légalisé puisqu'il permettrait aux gens de pouvoir mourir dans la paix

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et la dignité, entouré de leurs proches plutôt que d'attendre leur mort et de mourir soit dans la souffrance ou lors d'un moment inopportun.

Selon le Conseil unitarien du Canada, au Sénat en 1995 : « Il est injuste de contraindre quelqu'un à vivre contre son gré. Une loi qui n'autorise pas une telle personne à demander de l'aide manque de compassion. La loi doit être changée de manière à traiter avec compassion les désirs clairement énoncés des personnes qui estiment que leur maladie incurable va à l'encontre de leur dignité et la valeur de leur vie ».

Pour les gens qui sont favorables au suicide assisté, même si la vie est importante, ce qui prime d'abord et avant tout, c'est l'autonomie des personnes. Le pouvoir de prendre ses propres décisions et de choisir sa destinée jusqu'au bout. Chaque personne devrait donc prendre ses décisions concernant sa propre mort, en accord avec ses valeurs et ses croyances, sans se les faire imposer par d'autres. En autorisant le suicide assisté, on en contrôlerait mieux la pratique. On fermerait ainsi la porte aux abus. En effet, certains pensent que le système condamne quelque malades à des suicides ratés ou à des morts qui se passent peut-être en secret.

Contre le suicide assisté

Pour commencer, il est important de noter que la dignité de la personne humaine est le principe qu'une personne ne doit jamais être traitée comme un objet ou un moyen, mais plutôt comme une entité propre. Pour faire en sorte qu'une personne se sente digne, il faut la traiter avec dignité. C'est pourquoi les soins palliatifs sont en place. Ce sont des soins délivrés lors d'une approche globale d'une personne atteinte d'une maladie grave, évolutive ou terminale. De plus, le personnel de ces soins sont formés pour traiter le malade avec dignité.

Selon Jean-Luc Romero, pour le malade, puisque le moment où il formule le désir de mourir l'emporte de manière irréversible sur tous les autres moments où il affirmait sa volonté de vivre. Or le désir de mourir ne doit pas primer sur la volonté de vivre. Pour les proches du défunt, puisque tous ne peuvent pas consentir au suicide de l'être aimé, et ceux à qui on demanderaient de consentir à cette assistance au suicide subiraient une responsabilité excessive.

Pour le système médical, il devra répondre à la demande de mort de certains patients et même celui qui ne voudrait pas tuer son patient, devra en deux jours trouver un autre médecin. Cela suppose la destruction du lien entre le soignant et le patient, pour une relation de demande à prestataire.

Selon JL Romero, face à la précarité du système médical, l'assistance au suicide n'est pas la solution. Des patients et surtout des personnes, subissent en raison du délitement des services publics des fins de vie indécentes. Mais contre ces situations, l'assistance au suicide ne peut pas être la solution. Le vrai progrès, consiste au contraire dans une amélioration des services gériatriques et des soins palliatifs, mais aussi des différentes formes d'assistance sociale. Pour les gens qui s'opposent au suicide assisté, le respect de la vie doit primer sur le droit de choisir sa mort. A leurs yeux, la protection de la vie est une valeur fondamentale de notre société. La société ne peut pas survivre si cette valeur n'est pas protégée.D'autres jettent un regard plus religieux ou spirituel sur la question. Pour eux, c'est le caractère sacré de la vie qui est en cause: « La vie n'est pas une chose dont on décide, c'est un cadeau et nous n'avons pas plus le droit de l'enlever que nous avions le droit de la demander ».

Le blues des praticiens suisses devant les demandes de suicide assisté

Page 11: sorbonnedroit.files.wordpress.com · Web viewLe mot « euthanasie » provient du grec « euthanos » qui signifie « bonne mort », c'est-à-dire la mort dans de bonnes conditions

Comme nous l'avons évoqué, en France, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a recommandé en juillet 2013 de ne pas inscrire dans la loi la légalisation de l'assistance au suicide, confirmant les conclusions du rapport Sicard remis à François Hollande en décembre 2012. La Conférence de citoyens, réunie par le CCNE lui-même, a rendu un avis contraire en décembre 2013, estimant que « l'aide au suicide constitue un droit légitime du patient en fin de vie ou souffrant d'une pathologie irréversible ».

Si le patient est au cœur du débat, il est très peu question des soignants, qui peuvent pourtant se retrouver en première ligne. En Suisse, des formations commencent à se développer pour aider les professionnels de santé à intégrer la démarche suicidaire d'un patient dans la trajectoire de soin.Jusqu'ici, les personnes mettaient fin à leurs jours chez elles ou dans des appartements loués par les associations elles-mêmes. La conséquence majeure est un glissement du suicide assisté de la sphère privée vers le domaine public, ce qui modifie considérablement la position des soignants. Ils se retrouvent témoins passifs du choix de mourir des patients selon Christine Félix, responsable de l'unité d'éthique clinique de l'institut La Source. Elle coordonne un séminaire pour aider les personnels de santé à mieux vivre ce moment délicat. La détresse de certains soignants n'est pas liée à la volonté même du patient, qu'ils ne remettent pas en cause, mais au sentiment d'être parfois privés de la possibilité de proposer un accompagnement et des alternatives de soins au projet de mourir, précise Christine Félix.

La peur de souffrir, de la solitude ou de perdre sa dignité est la raison majeure des demandes de fin de vie assistée. Or ce sont justement les missions des soignants. Certains se sentent donc en échec quand un patient demande à mourir, et cela peut être très mal vécu. Des syndromes de type stress post-traumatique auraient même été diagnostiqués chez certains soignants.Le séminaire mis en place par Christine Félix aide le soignant à articuler cadre légal, convictions personnelles et respect de l'autonomie du patient. Selon la responsable « cela demande un grand travail sur soi, mais le succès de la formation montre qu'il y a une réelle volonté des soignants d'évoluer dans leur pratique pour accompagner leur patient, quel que soit son choix»

« Quelques heures de printemps », 2012, film de Stéphane Brizé, qui raconte l'histoire de Vincent Lindon dont sa mère, atteinte d'un cancer, va faire le choix de mourir dans la dignité, et décide donc de se rendre en Suisse où le suicide assisté est légal. Le film sort au moment où le président de la République F. Hollande lance une mission de réflexion sur la fin de vie. Vincent Lindon souhaitait que le film puisse alimenter ce débat.