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INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS
DE BAGNOLS- SUR-CEZE
TRAVAIL DE FIN D’ETUDES :
UNITE D’ENSEIGNEMENT 5.6 SEMESTRE 6 :
ANALYSE DE LA QUALITE ET TRAITEMENT DES DONNEES
SCIENTIFIQUES ET PROFESSIONNELLES
« LES TEMPS MODERNES »
Madame Kolenc Pascale (Directrice de mémoire)
Promotion 2009-2012 D’haillecourt Jonathan
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION………………………………….………..…………………. page 5
1 / THEME ET QUESTION DE RECHERCHE…….……………. page 5
2 / CADRE THEORIQUE………………….………………………….……. page 7
2.1 - Evolution de la médecine…………………………………….…………. page 7
2.2 - Conséquence de l’évolution de la médecine et ainsi des pratiques
infirmières……………………………………………………….………... page 9
2.3 - Cadre législatif…………………………………………………….………. page 10
2.4 - Relation soignants-soignés………………………………….…………... page 11
2.5 - Différents types de relation……………………………………………… page 11
2.5.1 - Relation d’empathie………………………………………….………. page 11
2.5.2 - Relation d’aide……………………………….………………….…… page 12
2.6 - Moyen de mise en relation avec un patient……………………….…….. page 12
2.7 - Qu’est-ce que prendre soin ?……………………………………….…… page 13
2.8 - Qu’est-ce qu’un soin infirmier ?……………….……………………….. page 13
2.9 - Singularité dans la prise en soins d’un patient à l’hôpital……….…… page 14
2.10 - Frein à une relation soignants-soignés individuelles………………….. page 14
2.11 - Patient objet ou sujet de soins ?……………………………………….. page 14
3 / METHODOLOGIE………………………………………………………. page
16
4 / RECEUIL DE DONNEES…………………………………………...… page
18
5 / RESULTATS ET ANALYSE DE L’ENQUETE……....……… page
20
5.1 - Analyse individuelle………………………………………………………. page
20
5.1.1 - Monsieur M………………………………………………………
page 20
5.1.2 - Madame M………………………………………………………..
page 20
5.1.3 - Madame A………………………………………………………...
page 21
5.1.4 - Monsieur JP………………………………………………..……..
page 21
5.1.5 - Madame S………………………………………………………….
page 23
5.1.6 - Madame C…………………………………………..…………….
page 23
5.1.7 - Madame L………………………………………..……………….
page 24
5.1.8 - Monsieur A………………………………………………….…….
page 25
5.1.9 - Madame G……………………………………………..…………
page 25
5.2 - Analyse des neuf entretiens……………………………………………… page
26
5.2.1 - Points positifs……………………………………………………..
page 26
5.2.2 - Points négatifs…………………………………………………….
page 27
6 / INTERPRETATION AVEC REPONSE A LA QUESTION
DE RECHERCHE………………………………………………………………. page
30
7 / CONCLUSION……………………………………………………….……... page
31
8 / BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
REMERCIEMENTS :
Je tiens à remercier tous ceux qui, par leurs regards critiques et leurs suggestions, m’ont apporté une
aide précieuse dans la rédaction de ce travail de recherche.
Je remercie plus particulièrement mes parents et mes proches pour leur patience et leur écoute
durant ces trois ans de formation, sans oublier mon petit frère Amaury. Il m’a apporté, malgré la
distance qui nous sépare, 16700 kilomètres, une aide qui m’a été très précieuse lors de mes trois
années d’études, ainsi que pour ce travail de fin d’études.
Je ne veux pas oublier non plus Clarisse, collègue de classe, pour sa gentillesse, et sa disponibilité
lors de moments de doute et d’incertitudes.
Je tiens également à remercier, Mme Kolenc Pascale, cadre de santé formatrice, mais également
directrice de mémoire, pour m'avoir accompagné tout au long de ce travail mais aussi durant mes
trois années au sein de l’Institut de Formation en Soins Infirmier.
Que toutes ces personnes trouvent ici l'expression de ma profonde gratitude.
INTRODUCTION :
Ce travail de recherche va en premier lieu s’appuyer sur mon avant-projet, dans l’unité
d’enseignement 3.4 du semestre 6 : « Initiation à la démarche de recherche ».
En effet, cette ébauche me permettra d’approfondir certaines notions pour en comparer la théorie et
la pratique relevée sur le terrain. C’est dans la continuité de mon avant-projet que je compte ici
travailler l’unité d’enseignement 5.6 du semestre 6 concernant l’ « Analyse de la qualité et
traitement des données scientifiques et professionnelles ».
L’objectif de ce travail de recherche est « de révéler la pratique soignante, de l’esthétiser, de mettre
en évidence certains faits et de partager un certain nombre d’interrogations. C’est ce type de
démarche qui permettra d’éclairer un peu plus le professionnel, l’artisan du soin, dans sa volonté
de créer un soin unique, singulier, pertinent et aidant, dans la situation d’un patient et de ses
proches».
De ce fait, il est important d’argumenter le choix de mon thème, sa problématique ainsi que la
question de recherche qui en découle.
1 / THEME ET QUESTION DE RECHERCHE :
Le thème que j’ai choisi est « la prise en soin relationnelle du patient ».
Le soin relationnel est pour moi, un point crucial et fondamental de la pratique infirmière, il
s’impose donc à moi d’en traiter dans ce travail de recherche. J’ai souvent pu entendre lors de mes
stages en services, des infirmières prétextant le fait de manière désabusées, qu’elles n’avaient même
pas eu le temps de voir tel ou tel patient durant leur prise de service. C’est pour cela que je
m’interroge sur ce constat souvent rencontré durant mes stages.
La rapidité des tâches à accomplir, les contraintes institutionnelles et administratives semblent être
un frein à une prise en soin singulière envers un patient. De ce fait, il en découlera la problématique
suivante : « Le secteur hospitalier demande à ce jour une évolution de la pratique infirmière ayant
ainsi un impact sur la prise en soin individuelle des patients ».
En effet, si la médecine, devenue scientifique, a gagné en efficacité, elle a, dans le même temps, je
crois largement perdu en humanité.
« Le programme médical est devenu de plus en plus scientifique et professionnel, de plus en plus
technique et rationnel ; pris dans des exigences de rentabilité et de performance, il éloigne la
médecine de son image charismatique et « sacrée », entrainant chez les acteurs un sentiment de
perte et d’incomplétude ».
Un texte traitant de cette problématique m’a interpellé et interrogé sur la prise en soin individualisée
d’un patient concernant le bracelet d’identification à l’hôpital.
L’exemple cité décrit « une jeune infirmière qui ne se posait pas de problème par rapport au
bracelet d’identification : elle appliquait la consigne de la direction. Jusqu’au jour où le vieil
homme hospitalisé à qui elle demandait de mettre ce bracelet, avec son étiquette à code barre, l’a
regardée, à remonter sa manche, et lui a dit « Mademoiselle, je n’ai pas besoin de votre bracelet,
j’ai déjà un numéro d’identification de tatoué ». Face à cet ancien déporté, elle a vécu un grand
moment de solitude ».
Cette illustration montre combien nos pratiques peuvent devenir ritualisées, et ainsi à l’encontre de
la démarche soignante. Le problème de la prise en soin individualisé débute par ce moment non
anodin. Il est même question qu’à terme, on passerait le lecteur de code barre sur la poche de sang
ou de chimiothérapie, puis sur le bras du patient afin de lire l’étiquette du bracelet pour vérifier la
comptabilité. Peut-on imaginer que traiter ainsi une personne hospitalisée comme un objet de
consommation ne modifie pas la relation soignant/soigné ?
Après nombre de constats en lien avec cet exemple, voici ma question de recherche qui en découle :
« En quoi l’évolution de la médecine et ainsi des pratiques infirmières, peut-elle influencer la
prise en soin relationnelle singulière auprès des patients ? »
Après avoir lu et relu cette question, j’ai pu m’apercevoir que les lecteurs de celle-ci ne voyaient
pas où je voulais en venir. Lors d’un entretien au sein d’un hôpital, la cadre de santé qui m’a
accueilli, m’a une fois de plus interpellé sur les raisons de ma question. Je lui expliquais mes
intentions et avec son aide, une question inaugurale fût remaniée. Celle-ci sera la question que je
poserai aux soignants lors des interviews : « Dans le contexte du monde hospitalier
d’aujourd’hui, les pratiques infirmières qui en découlent peuvent-elles influencer sur la prise
en soin relationnel singulière auprès des patients ? ».
Afin d’étayer ma problématique ainsi que ma question dite inaugurale, il me semble important de
l’argumenter dans un cadre théorique précis.
2 / CADRE THEORIQUE :
Mon cadre théorique s’appuiera sur des faits déjà analysés et reconnus. Il sera alimenté à l’aide de
livres, revues, journaux, dictionnaire, internet…
J’ai décidé de m’interroger sur certains points qui me semblaient essentiels, afin d’argumenter mon
choix de questions et par la suite d’en approfondir mes résultats puis mon analyse.
2.1 - Evolution de la médecine :
« Les infirmières disent qu’elles consacrent 30% à 40% de leurs temps à l’organisation du
service (…). Dans cette évolution, les infirmières perdraient leur âme et l’essentiel de leur métier
pour ne devenir que des auxiliaires de l’administration ».
Jean-Marc Lebret, cadre de santé, dit que « la médecine a toujours fait appel à une vision
objectivée basée sur la pathologie, sur l’organe malade. Déjà Descartes au 17ème, avait une vision
mécaniste de l’homme comme il avait été créé par Dieu. Il suffisait de remplacer l’organe malade
pour guérir le malade. En effet, le fonctionnement du corps humain étant d’ordre objectif, tout
dérèglement relève de cause organique selon Descartes. Ainsi la médecine considérait le corps
mais négligeait, ou plutôt niait la liaison que le corps avait avec l’âme. La relation patient/soignant
a subi une forte évolution au cours du siècle dernier, comme en témoigne la définition de l’OMS
qui la définit comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition montre bien une évolution
dans la pensée, dans la culture de la société contemporaine. Car si la composante physique est
présente, cette définition inclut aussi l’âme de la personne par cet état complet mental ».
A contrario, Jean-Michel Dubernard, chef de service en urologie, cite et témoigne en avant-propos
de son livre : « J’ai vu les techniques se perfectionner, l’hôpital se déshumaniser et les relations
humaines se dégrader. Une main qui se tend est devenue un luxe. Le fameux geste qui sauve se
régule à présent davantage sur la machine que sur l’homme. Humain, où es-tu ? (...) Pour la
secrétaire, le patient devient « le rendez-vous de 10h15 ». Quand le médecin tend la main, ce n’est
pas pour saisir la sienne, mais pour prendre sa fiche. Enfin repéré, il perd son patronyme pour
celui plus éclairant de « cancer du sein » ou « polype de la vessie » (…). Tandis que pour
l’infirmière il est « le lit n° 12 » ; et pour l’aide-soignante, un presque humain, « gentille mamie »
ou « enquiquineur » (…). En tant que médecin, j’ai été frappé par le rôle prépondérant que
tiennent les gouvernements dans les réformes successives de l’hospitalisation, s’impliquant,
stimulant et faisant avancer une machine hospitalière trop lourde et grippée pour s’autoriser elle-
même à faire quelques mouvements. Sauf à écraser le malade qui plie sous le poids d’une
administration figée dans sa hiérarchie, et subit sans le savoir le conservatisme des structures
représentatives des médecins et des infirmiers. (…). La logique est de privilégier l’intérêt de leurs
actionnaires à celui des malades ».
Un cadre de santé rajoute que « l’évolution de notre société avec la valorisation du patient vers un
statut de client et du prestataire de service que devient le corps soignant, est bien réel
aujourd’hui ».
L’infirmière donne des soins de plus en plus spécifiques. Auparavant, c’était les médecins qui
faisaient les pansements. De nos jours, « l’infirmière surveille les drains, les sondes de lavages,
elles changent les sacs de perfusion ou d’irrigation, elles recueillent les liquides et mesurent leur
volume. Elles préparent les traitements et mettent en place les perfusions, règlent leur vitesse, font
les injections intramusculaires ou intraveineuses, surveillent les traitements de chimiothérapie ».
La particularité des infirmières d’aujourd’hui est d’avoir une approche de plus en plus fine et
technique des soins. De ce fait, une dérive est constatée, qui est de privilégier la technique au
détriment de l’aspect humain. A cela s’ajoute tout ce qui a trait à l’administratif, prise de temps
considérable de nos jours en service hospitalier. L’infirmière doit gérer une équipe : aides-
soignantes, agents de service hospitalier … sans oublier de faire face à certains chirurgiens ou
médecins étant ici décrit comme de rudes caractériels prescrivant un soin entre deux portes.
«Comme le dit Martine : « on a besoin de plus en plus de technique, le malade est un client,
l’hôpital, une entreprise ». L’infirmière est définie par sa place dans un système complexe de
machines, de procédures de soins et de communication de plus en plus denses et maîtrisées, face au
développement de la conscience des risques iatrogènes, des maladies provoquées par les soins et
l’organisation hospitalière eux-mêmes. Contrairement à ce qu’affirment les seules valeurs de la
charité et de la science, la qualité des soins ne résulte pas seulement de la performance scientifique
du médecin et du dévouement des personnels soignants, elle est une conséquence de l’organisation
hospitalière : hygiène, suivi des dossiers, précision des consignes, rapidité des examens, qualité
hôtelière, courtoisie de l’accueil… L’emprise considérable de cette organisation explique, à
l’hôpital, que les professionnels se sentent dépossédés et « méprisés », alors même que
l’organisation dont ils sont membres est de plus en plus puissante, multiplie les contraintes en
même temps que les services spécialisés, et creuse la distance entre les intentions de chacun et les
résultats collectifs. La valorisation des programmes institutionnels de la science et de la vocation
est emportée par le développement d’une organisation devant répondre à de multiples demandes,
celles des malades, mais aussi celles des médecin ». Réactions des infirmières : « ils veulent de plus
en plus de machines alors qu’elles les dépossèdent de leur art et des aspects les plus humains de
leur métier ».
« A force de vouloir tout théoriser, codifier, catégoriser… on étouffe la pratique infirmière et on
dénature le soin infirmier ».
Walter Heesben décrira l’évolution de la médecine en expliquant qu’en « souscrivant aux méthodes
expérimentales utilisées dans les sciences « dures », la médecine a pu conquérir ses lettres de
noblesse car elle est devenue de plus en plus opérationnelle. Elle pouvait alors agir sur le corps
humain, parfois de façon spectaculaire, en se spécialisant progressivement en tel ou tel domaine
puis en s’ « hyperspécialisant » dans une partie de plus en plus précise. Tel un puzzle, le corps
humain est devenu un ensemble de pièces possédant chacune son spécialiste. Il en résulte une
objectivation de l’être humain qui est le prix à payer pour rendre cette médecine opérationnelle ».
La médecine actuelle a permis des résultats incontestables, il en résulte de ce fait que le patient sujet
en est réduit à un patient objet dont on est en droit d’attendre un résultat. D’après ces témoignages
et les fait du terrain, qu’elles en sont les conséquences réelles sur nos pratiques infirmières
aujourd’hui ?
2.2 - Conséquence de l’évolution de la médecine et ainsi des pratiques
infirmières :
« Cette orientation prise par la médecine et la difficulté qui en résulte pour le soin lui-même n’est
pas sans effet sur la conception et l’évolution de la pratique infirmière ».
Walter Hesbeen argumentera que « l’approche scientifique de la « machine humaine » et de ses
maladies a considérablement réduit notre champ de vision et notre capacité à interpréter ce qui se
passe dans la situation complexe de vie d’une personne ou d’un groupe ».
« On constate ainsi que le soin, cette attention particulière portée à l’autre, est mis à mal par la
logique techno scientifique. Il s’agit là d’un fait qu’on ne peut nier si on veut réussir à faire évoluer
le contexte actuel car plus l’environnement devient technique, plus l’être humain a besoin d’une
dimension relationnelle ».
2.3 - Cadre législatif :
Que stipulent les lois, les décrets à ce sujet ?
L’ancien décret de compétence stipule :
« Dans le cadre de son rôle propre, l’infirmier accomplit les actes ou dispense les soins infirmiers
suivants, visant notamment à assurer le confort du patient et comprenant, en tant que de besoins,
son éducation et celle de son entourage ...
- aide et soutien psychologique ;
- relation d’aide thérapeutique ; »
Le code de la santé public, Article R4311-2 stipule que « Les soins infirmiers, préventifs, curatifs
ou palliatifs, intègrent qualité technique et qualité des relations avec le malade. Ils sont réalisés en
tenant compte de l'évolution des sciences et des techniques. Ils ont pour objet, dans le respect des
droits de la personne, dans le souci de son éducation à la santé et en tenant compte de la
personnalité de celle-ci dans ses composantes physiologique, psychologique, économique, sociale
et culturelle de protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé physique et mentale des
personnes ou l'autonomie de leurs fonctions vitales physiques et psychiques en vue de favoriser leur
maintien, leur insertion ou leur réinsertion dans leur cadre de vie familial ou social… ».
Le journal « Libération » a analysé le bilan des cinq dernières années, titré par « le bilan de santé de
Sarkozy », au sujet des hôpitaux.
« Après plusieurs grèves, plusieurs frondes et navettes parlementaires, la loi HPST (Hôpital,
Patient, Santé et Territoire), présentée au conseil des ministres par Roselyne Bachelot a été
finalement votée, puis le texte est paru au Journal officiel le 22 juillet 2009. Il transforme la
gouvernance à l'hôpital, en donnant beaucoup de pouvoir au directeur qui nomme les chefs de
pôles.
La loi HPST a cristallisé beaucoup de conflits et de rancœurs. La réorganisation a été douloureuse.
Deux ans plus tard, le malaise hospitalier reste entier. Et surtout il se nourrit d'une rigueur
budgétaire inédite: pour la première fois, le personnel soignant a diminué dans les hôpitaux
français ».
De ce fait, qu’en est-il de la relation soignants-soignés ?
2.4 - Relation soignants-soignés :
Je vais ici aborder une réflexion sur la relation soignant / soigné. En effet, le métier de soignant (et
plus particulièrement celui d’infirmier), outre les capacités techniques, ne peut pas être envisagé
sans prendre en considération sa composante relationnelle.
La relation avec un patient est basée d’après mes valeurs sur la confiance, et démarre lors de
l’entrée de celui-ci, le premier jour de son hospitalisation. Le soin relationnel est une pratique
quotidienne. Il sera réalisé tout au long de l’hospitalisation du soigné, jusqu’à sa sortie.
D’après le dictionnaire encyclopédique des soins infirmiers, la relation soignant-soigné nécessite
trois attitudes pour le professionnel de santé :
- l’infirmier doit s’engager personnellement dans la relation en considérant le malade sans jugement
de valeur, tel qu’il est, en considérant ses différences.
- l’objectivité est indispensable afin d’éviter une déformation de ce qui pourrait être observé ou
entendu.
- une disponibilité du soignant est sollicitée pour pouvoir observer, écouter, identifier les demandes
de la personne soignée.
François Dubet argumentera, par le fait que « ce n’est pas seulement le médicament qui soigne,
mais c’est aussi la relation avec le malade ».
2.5 - Différents types de relation :
La profession d’infirmier requière plusieurs types de relation que l’on peut mettre en place envers
un patient. De ce fait, je me concentrerai plus particulièrement sur la relation dite d’empathie ainsi
que celle dite relationnelle.
2.5.1 - Relation d’empathie :
D’après le dictionnaire Larousse la relation d’empathie signifie la « faculté intuitive de se mettre à
la place d’autrui et de percevoir ce qu’il ressent ».
Selon Rogers : Relation utilisée par le soignant pour : « essayer de saisir, avec autant d’exactitude
que possible, les références internes et les composantes émotionnelles d’une autre personne et à les
comprendre comme si l’on était cette autre personne, sans jamais perdre de vue la qualité de
comme si ».
La relation d’empathie est une relation consciente qui implique une écoute active et l’absence de
jugement de valeur afin d’aider le patient à gérer ses émotions et de mettre en place des actions
adaptées tel que celle avisé réconfortante.
2.5.2 - Relation d’aide :
Elle se définit généralement comme "l'aide psychologique par la relation", la relation étant elle-
même le support de l'aide.
La relation d’aide instaurée auprès d’un patient lui permettra d’être écouté et soutenu afin de mieux
vivre sa maladie et les épreuves qu’il aura à traverser. La relation d’aide à ce jour reste cependant
méconnue, mais tend à évoluer, à être reconnue. En effet, l’application de validation de compétence
en lien avec le nouveau programme appliqué en Institut de Formation en Soins Infirmiers vient
d’être instaurée.
Selon Rogers : « La relation d’aide psychologique est une relation dans laquelle la chaleur de
l’acceptation et l’absence de toute contrainte, de toutes pressions personnelles de la part de
l’aidant permet à la personne aidée d’exprimer au maximum ses sentiments, ses attitudes et ses
problèmes ». Relation qui a pour but d’aider un patient à « gérer une situation qu’il juge
dramatique » comme l’annonce d’une maladie grave, un deuil ou encore une modification violente
de l’image corporelle.
Les objectifs de la relation d'aide visent à permettre à la personne de cheminer elle-même vers la
compréhension ou la clarification de ses problèmes, d'exprimer ses difficultés. Ils se proposent de
favoriser le développement de sa maturité et de sa personnalité.
2.6 - Moyens de mise en relation avec un patient :
Être en relation implique des interactions entre la personne soignée et le soignant, d'intensité variable selon la situation. En situation de soins, il convient de comprendre ces interactions et leur impact sur la personne soignée.Afin d’entamer une relation de confiance entre un soignant et un soigné, il s’agit avant tout d’être respectueux de l’autre. D’après Walter Hesbeen la chaleur, l’écoute, la disponibilité, la simplicité, l’humilité, l’authenticité, l’humour et la compassion sont les huit éléments nécessaires pour tisser des liens de confiance fondée sur le respect.Cependant, une juste distance doit être instauré entre ces deux personnes afin que cette relation reste aidante pour le soigné. Ni trop loin, ni trop proche de celui-ci.
2.7 - Qu’est-ce que prendre soin ? Un colloque franco-québécois effectué le 11 juin 2010 argumentait que « L’acte de "prendre soin" est sans doute l’un des plus vieux gestes effectué envers l’autre qui se soit accompli dans l’histoire de l’humanité. Avec lui, l’altérité et l’identité interagissent et se transforment, chez le soigné comme chez le soignant. Selon les époques, les pays et les cultures, il a pris différents visages. Aujourd’hui, il s’est, pour une large part, spécialisé et institutionnalisé. Ainsi, lorsqu’on dépasse le "prendre soin" domestique et quotidien, on se trouve aux prises avec un système relativement complexe sollicitant des individus ayant acquis une reconnaissance particulière et exerçant leur métier dans un lieu spécifique souvent médicalisé, technicisé et régi par des procédures institutionnalisées »Walter Hesbeen définira le « prendre soin » comme étant un art. « Il s’agit de l’art du thérapeute, celui qui réussit à combiner des éléments de connaissance, d’habileté, de savoir-être, d’intuition qui vont permettre de venir en aide à quelqu’un, dans sa situation singulière ».Il justifiera par la suite que le concept de « prendre soin » est ici posé comme une valeur, non comme une vérité. Il ajoutera que « L’art du thérapeute est celui qui permet de s’appuyer sur des connaissances établies pour les personnes en général en vue de se les approprier pour prendre soin d’une personne unique ». Il le décrit comme un art car son résultat pour une personne soignée relève à chaque fois d’un ouvrage unique de création. Cette expression n’a pas le même sens que « prendre en charge », celle-ci ayant des connotations objétisantes et déresponsabilisantes. Il ajoutera que le concept de « prendre soin » « est ouvert sur la connaissance, sur toutes les connaissances qui permettent d’améliorer, d’enrichir, de rendre plus pertinente l’aide apportée à une personne ».
2.8 - Qu’est-ce qu’un soin infirmier ? Pour Walter Hesbeen, « le soin infirmier est l’attention particulière portée par une infirmière ou un infirmier à une personne et à ses proches en vues de leur venir en aide dans leur situation en utilisant, pour concrétiser cette aide, les compétences et les qualités qui en font des professionnels infirmiers. Le soin infirmier s’inscrit ainsi dans une démarche interpersonnelle et comprend tout ce que les infirmières et les infirmiers font, dans les limites de leurs compétences, pour prendre soin des personnes ».On peut donc dire que la pratique du soin infirmier est la rencontre entre une personne soignée et des personnes soignantes.
2.9 - Singularité dans la prise en soin d’un patient à l’hôpital :
Je citerai en premier lieu une phrase de A. Watts : « Voir une feuille dans toute sa clarté sans
perdre de vue sa relation avec l’arbre ».
Walter Hesbeen décrira le fait que « les interactions qui se produisent dans une telle situation où
tous les éléments sont tissés ensemble, sont des interactions uniques. Ceci veut bien dire que
chaque situation de vie rencontrée par le professionnel est une situation définitivement singulière,
elle ne se répétera pas ».
2.10 - Frein à une relation soignant-soigné individuelle :
Certains éléments peuvent avoir des répercussions directes sur la relation soignant / soigné.
Cette notion de facteurs d’influence suscite le questionnement suivant : Quels sont les facteurs
pouvant influer une relation soignant / soigné individualisée à ce jours ?
Trois types de facteurs d’influence semblent intervenir dans la relation soignant / soigné :
les facteurs physiques, psychiques et sociaux.
« L’approche scientifique de la « machine humaine » et de ses maladies a considérablement réduit
notre champ de vision et notre capacité à interpréter ce qui se passe dans la situation complexe de
vie d’une personne ou d’un groupe », mais pas que.
J’ai pu observer et constater lors de mes stages que le système de soin actuel ne laisse qu’une place
accessoire à l’être humain en tant que sujet singulier. Le désarroi de certains patients se lit dans
leurs yeux, face à l’objectivation de certains soignants, situation trop souvent rencontrée en
institution de nos jours.
2.11 - Patient objet ou sujet de soins ?
J’en viens donc à m’interroger sur cette question : le patient est-il objet ou sujet de soins ?
Jean Watson fera la séparation entre deux aspects du soin. Il en résulte néanmoins qu’ils sont
étroitement liés. En effet, cet écrivain nous exposera la différence entre l’essence, sous tendue par
de ce qui est essentiel, et l’accessoire des soins infirmiers. « L’essence des soins infirmiers est la
démarche interpersonnelle entre l’infirmière et le patient en vue de produire un résultat
thérapeutique chez celui-ci. Alors que l’accessoire des soins infirmiers est l’ensemble des
techniques, des protocoles, des terminologies, des modes d’organisation, des lieux de soins…
utilisés par les infirmières ». Walter Hesbeen en conclura après analyse, que, « l’accessoire
s’inscrit dans la répétition de l’acte, l’essentiel dans la création à chaque fois unique d’une
attention particulière, d’un accompagnement singulier et de l’aide qui en découle».
3 / METHODOLOGIE :
La recherche est un « instrument de connaissances et de réflexion critique sur les pratiques
professionnelles », elle doit être crédible et vérifiable. Plusieurs définitions de ce mot me semblent
intéressantes, afin de comprendre le réel but de ce travail de fin d’études.
Médiadico.com définirait la recherche comme « l’action de rechercher. Effort pour connaître, pour
découvrir, pour retrouver l'ensemble des travaux scientifiques visant à la découverte ».
Dicos encarta l’a décrit comme « une activité intellectuelle qui tend à la découverte de nouvelles
connaissances ».
Le Petit Robert insiste sur « les travaux faits pour trouver des connaissances nouvelles, pour
étudier une question ».
Jean-Marie de Ketele et Xavier Roegiers préciseront que « la recherche est un processus
systématiquement et intentionnellement orienté et ajusté en vue d’innover ou d’augmenter la
connaissance dans un domaine donné ».
Jack Perrier expose la recherche comme étant « un chemin qu’on ouvre dans le partiellement
connu, le mal connu, ou l’inconnu, pour en savoir plus et à plus ou moins long terme, pour se
donner de meilleurs moyens d’actions ».
La méthode de recherche utilisée pour ce travail a été un entretien clinique à visée qualitative. Elle a
donc été réalisée à l’aide d’entretiens individuels non directifs auprès de plusieurs professionnels de
santé, principalement des infirmières travaillant en secteur hospitalier public et privé. « L’objectif
de l’entretien est de faire produire un discours sur les pratiques et les représentations étudiées ».
En effet, je ne cherche pas ici à apporter des réponses à mes interrogations, mais à développer mon
questionnement, à comprendre, à rechercher du sens et du signifiant autour de mon sujet.
L’entretien a été effectué auprès de neuf professionnels sur une durée comprise entre 5 à 15 minutes
environ. Ils ont été dressés à travers un « face à face » et enregistrés vocalement à l’aide d’un
dictaphone.
L’entretien clinique auprès des professionnels fût abordé par une question dite inaugurale ; un
échange a alors été mis en place tout en favorisant l’écoute active. La question posée aux
professionnels étant : « Dans le contexte du monde hospitalier d’aujourd’hui, les pratiques
infirmières qui en découlent peuvent-elles influencer sur la prise en soin relationnel singulière
auprès des patients ? ».
Lors de mes entretiens, j’ai écrit sur une feuille ma question inaugurale afin qu’ils puissent la lire et
se recentrer sur celle-ci à tout moment. Après avoir lu à plusieurs reprises la question sur laquelle ils
allaient débattre, ils entamaient une réflexion autour de cette question. L’écoute comprenait aussi
bien le langage verbal que les silences et le langage non verbal.
La méthode pour certains a été de séparer la question en deux. En effet, en premier lieu, ils
débattaient de l’évolution de la médecine jusqu’à aujourd’hui, puis en deuxième lieu, de l’influence
qu’elle peut avoir sur la prise en soin singulière auprès des patients. Le terme « prise en soin »
interpella certains soignants par sa nouveauté et le sens qu’il pouvait donner ou insinuer. Ayant
pour habitude d’employer le terme « prise en charge », les soignants se sont tout de même prêtés au
jeu et se sont investis dans leurs discours, après que j’ai argumenté le choix de ce terme.
La retranscription des interviews est en Annexe. J’ai choisi de réécrire mot à mot leurs discours,
c’est pour cela que les phrases sont peut-être parfois maladroites ou décousues. Cependant, cette
retranscription me permettra d’en comprendre les intentions énoncées par les soignants : choix
d’une syntaxe particulière, petit mot révélateur, changement de sujet intempestif…
4 / RECEUIL DE DONNEES :
J’ai pu interroger quinze soignants afin qu’ils débattent autour de ma question. Cependant, mon
choix s’est porté sur neuf d’entre eux. J’ai choisi d’en retenir neuf, parce que cela me semble
suffisant, compte tenu de la longueur des entretiens de certains d’entre eux, dont un en particulier
(23 minutes). Mon choix s’est porté sur la qualité des interviews rendues, sur les réponses, les
contenus…La population ciblée fût des infirmiers diplômés d’état.
Une salle était alors dédiée aux entretiens pour que ceux-ci se déroulent dans les meilleures
conditions possibles, un bureau pour la majorité des entretiens. Coupé des bruits extérieurs, de la
sollicitation d’autres soignants et des aléas du service, chaque soignant a pu donc se concentrer au
mieux sur ma question sans être dérangé. Ces interviews visent le recueil d’informations contenues
dans l’expérience au quotidien des infirmiers exerçant en milieu hospitalier ; il renseigne sur les
perceptions de ces derniers quant au sujet concerné.
Ma démarche première a été de me rendre dans les hôpitaux et cliniques afin de recueillir un avis
favorable de l’établissement sur mon intervention. J’ai, dans un second temps envoyé une lettre aux
différentes directrice des soins afin d’expliquer mes intentions qui étaient d’interroger les soignants
sur ma question inaugurale. J’ai donc fait le choix de questionner des soignants exerçant en secteur
hospitalier privé et public, ainsi qu’un infirmier travaillant en secteur psychiatrique. Il m’a semblé
intéressant de prendre en compte son avis sur le sujet, de par son expérience en médecine générale
et de par le fait qu’il ait quitté des soins centrés sur la « technique » pour des soins à visées plus
« relationnelles ».
J’ai également fait le choix de solliciter un infirmier faisant parti d’un syndicat d’un hôpital général
public, afin qu’il m’apporte son point de vue de syndicaliste sur ma question. Un ami infirmier a
également été une personne ressource importante pour moi. En effet, il a choisi de quitter un service
où les conditions de travail ne le satisfaisaient plus, chose qu’il m’a expliqué par la suite.
Signaler l’âge des soignants m’a semblé intéressant, ainsi que les années d’obtention de leur
diplôme, ce qui est en rapport avec ma question inaugurale, faisant apparaître une notion de temps.
Je préciserai par la suite que l’argumentation faite par les soignants concernant ma question
inaugurale est anonyme. J’ai rencontré un accueil très favorable de la part des cadres ainsi que des
infirmières que j’ai sollicitées. Un temps a été dédié à ces entretiens lors de la « pause-café », en fin
de relève ou même lors de leur prise de service. J’ai donc mis à disposition ma question sur papier,
et voulu prévenir les soignants de la durée de l’entretien, qui était de 10 mn environ. Il me semblait
important de le signaler en début d’entretien afin que les soignants ne se dispersent pas et qu’ils
gèrent leur temps, temps qui, je pense était suffisant pour s’exprimer, car il faut croire que 15
minutes attribué à un étudiant suppose une prise de rendez-vous et une logistique presque
importante.
Lorsque le soignant « bloquait » sur une phrase, j’essayais d’en reformuler le contenu afin qu’il
rebondisse sur l’argumentation.
Afin de confronter mon analyse conceptuelle à la réalité du terrain, je vais en premier lieu faire le
recueil de mes neuf entretiens menés auprès d’infirmières et infirmiers diplômés d’état.
Je précise que la fonction de la personne questionnée, le lieu, la durée et le contexte de l’entretien
sont indiqués en Annexe.
- Mr M, infirmier depuis 1998, exerçant en psychiatrie depuis 2 ans (secteur public).
- Mme M, infirmière depuis 2008, infirmière en soins de suite et de réadaptation depuis 2 ans
(secteur public).
- Mme A, infirmière depuis 2010 exerçant en long séjour depuis 1 an et demi (secteur public).
- Mr JP, infirmier depuis 1992, infirmier puériculteur depuis 12 ans (secteur public).
- Mme S, infirmière depuis 2003, exerçant en unité d’hébergement réservé depuis 5 ans (secteur
public).
- Mme C, infirmière depuis 1984, exerçant en médecine depuis 7 ans (secteur public).
- Mme L, infirmière depuis 2008, exerçant en chirurgie orthopédique depuis 2ans (secteur privé).
- Mr A, infirmier depuis 2003, exerçant en maison de retraite depuis 6 mois (secteur privé).
- Mme G, infirmière intérimaire, diplômée depuis presque 20 ans, exerçant en médecine
pneumologique ce jour-ci (secteur public).
5 / RESULTATS ET ANALYSE DE L’ENQUETE :
Mes résultats au vu de mes neuf entretiens seront triés individuellement en premier lieu. Par la suite,
mon analyse globale me permettra de confronter les résultats de mon enquête à mon cadre théorique
réalisé en amont.
5.1 - Analyse individuelle :
5.1.1 - Monsieur M.
Mr M a répondu à ma question inaugurale en la séparant en deux. D’une part, il a traité le contexte
hospitalier d’aujourd’hui, et d’autre part, la relation que l’on instaure avec le patient. Il expose le
fait que le contexte hospitalier d’aujourd’hui tend à restreindre « cette médecine libre ». Il rajoute le
côté financier par la suite : « la santé n’a pas de prix mais elle a un coût ». Mr M ajoutera qu’il
existe la « superposition d’un discours d’entreprise économique sur la médecine … c’est une
logique presque commerciale ». Il en conclut que s’il y a une baisse des coûts, les soignants sont
amenés à globaliser le soin. Il insiste un peu plus loin sur la manière d’entrer en relation avec un
patient dans sa singularité, « pour pouvoir accéder à la rencontre, ça demande de la disponibilité, la
capacité à entrer en relation, la capacité à rencontrer », mais aussi sur les capacités professionnelles
du soignant : « il faut se donner la peine de les rencontrer ». Il pense que la confiance mutuelle qui
s’instaure avec un patient favorise la réussite thérapeutique. Il insiste, en outre, sur le fait que
« chaque être est différent, particulier ». D’après lui, « si l’on abrase la singularité des soignants, on
va abraser aussi la singularité de l’approche singulière avec le patients ». Les freins qu’il expose à
une relation soignant soigné individuelle seraient le manque de temps, le manque de disponibilité
qu’accorde le soignant aux patients, mais aussi, des budgets insuffisants, ce qui entraine une baisse
du nombre d’infirmiers.
En conclusion, il me dira d’un air désabusé qu’« il faut garder l’espoir, qu’il y a encore des
rencontres, qu’il y a des gens, qu’il y a des soignants et des patients extraordinaires et qu’il faut se
donner la peine de les rencontrer, même si la machine à faire des sous va nous en empêcher ».
5.1.2 - Madame M.
La deuxième soignante interrogée est Mme M. Elle débute en disant que la charge de travail peut
influencer le relationnel. Son discours est plutôt centré sur la charge administrative, sur le fait qu’il
y en ait de plus en plus. Elle justifiera son propos en disant qu’il y a « moitié temps de soins et
moitié temps administratif ». Lorsque Mme M a moins de travail, elle dit mettre en avant le
relationnel avec les patients et ajoute que le weekend, « elle se rattrape ».
En résumé, la charge de travail, l’augmentation des charges administratives, des soins techniques,
mais également le manque de temps argumenteraient selon elle, le fait que le relationnel est mis de
côté.
5.1.3 - Madame A.
Mme A, elle, répondra à ma question en disant que les conditions de travail dans son service sont
bonnes. Elle ajoute qu’il n’y a pas de problème de ce côté-là. Tout de même, cette soignante
regrette que certaines choses aient changé : suppression du minibus qui permettait aux soignants
d’accompagner les résidents à l’extérieur de l’unité, à l’opéra par exemple.
Les moyens financiers de ce service diminuent, me dit-elle d’un air déçu, « donc tu vois, c’est des
petites choses comme ça qu’ils nous enlèvent ». Ce qu’il faut comprendre par « ils», c’est la
direction, l’agence Régionale de la Santé… Une toute autre approche m’est par la suite faite par
cette soignante. En effet, elle m’expose le fait que de voir les patients tous les jours, ça a pour
conséquence « qu’on passe à côté de certaine choses ». Elle relève ici une notion d’habitude, une
certaine routine qui a pour effet de s’apercevoir peut-être tardivement d’une potentielle dégradation
d’un patient, « pensant les connaître » comme elle le signale. En fin d’interview, Mme A, me donne
la raison de son choix de ce type de service. De plus, elle estime ne pas être technique, et dit être
plus à l’aise dans le relationnel.
5.1.4 - Monsieur JP.
Mr JP, est un infirmier syndiqué qui travaille dans un hôpital public de la région. Il débute son
discours en expliquant que la situation financière des hôpitaux n’est plus la même qu’auparavant. Il
argumente par le fait qu’il y a une diminution importante du personnel : « on est en effectif
minimum, voir en dessous », diminution qui serait la conséquence de moyens financiers restreints.
L’accès à la formation des soignants, la prise de congés, sont également des causes de la diminution
du nombre de soignants dans les services. Le premier exemple cité par ce soignant, concernant la
fracture de l’enfant, veut nous démontrer la politique « mercantile » et économique de cet hôpital. Il
ajoute, par la suite, qu’un traitement peut- être également administré en fonction de l’argent que ça
va rapporter : « c’est valorisé qu’à partir d’un certain nombre ». Il argumente par le fait que « ça
coute plus cher à la sécu mais ça rapporte plus à l’hôpital ». Toujours d’après son propos sur les
finances hospitalières, il me dit que l’éducation, la prévention « ça a aucune valorisation
financière ». Mr JP souligne qu’il y a aussi des pathologies moins rentables que d’autres. Il se dit
déçu de ces pratiques qu’on lui impose, que « c’est le décalage entre ce que nous on pense bien faire
dans notre boulot et les orientations qui nous amènent à faire différemment ». Il souligne que « ça
peut avoir une influence sur la prise en charge individuelle auprès d’un patient ». Il ajoute « que les
orientations qui sont prises, ben, auront forcément des conséquences ».
Cette phrase m’interpelle : le patient serait-il en danger, en sortant de l’hôpital, car on ne lui aurait
pas donné suffisamment d’informations et de conseils ? L’exemple cité par la suite avive mon
inquiétude, concernant le temps d’hospitalisation lors d’un accouchement. La mère sortirait au bout
de 2 ou 3 jours au lieu de 5 à 7 jours auparavant. « Et là il y a encore des directives qui disent qu’il
faut encore réduire à deux jours ». Il insiste sur son idéal de la fonction d’infirmier : « pour un
professionnel c’est assez peu satisfaisant de dire : on laisse sortir des gens dans la nature comme
ça ». Il pense « qu’il y a beaucoup de soignants quelque soient leur catégorie professionnelle qui
sont très mal à l’aise de ce qu’on les oblige à faire ». Il parle de mécanisme de défense tel que la
fuite, puis de « burn-out », par le fait qu’il y en ait qui se désengagent psychologiquement et « il y
en a qui sont présents mais ils ne s’intéressent plus à », puis signale tout de même qu’il y a des
choses positives tel que « les organisations minimales obligatoires », « ça peut être une
amélioration » ( l’organisations minimales obligatoires est une obligation faite aux dirigeants
hospitaliers de pourvoir en effectif adapté minimum afin que chaque corps de métier n’ait à s’atteler
qu’aux tâches qui lui incombe de par ses fonctions). Il ajoute que « ça fait peut être que dix pour
cent mais il y a des choses qui sont positives ». Concernant le contexte actuel du monde hospitalier,
il me reparle du « côté financier où on réduit, on presse, faut faire toujours plus avec moins ». Il me
dit, soupirant, que la direction leur demande de « faire plus, pour que l’hôpital gagne plus. Voilà
c’est toujours ça ». Il imagine un peu plus loin les conditions des soignants exerçant en maison de
retraite où « il faut abattre du travail ». Mr JP imagine que « ça doit amener à des situations qui ne
sont pas satisfaisantes » concernant le soignant. Il positive tout de même, tout en signalant les
émotions ressenties face à ce constat : « il faut pouvoir garder cette ambition mais c’est ce qui fait
qu’on n’est pas bien ». Il énonce les freins à une prise en charge, tels que la diminution des horaires
(« on lui gratte de son temps de travail »), la diminution des soignants, l’augmentation du nombre
de patients, « c’est ce qui se passe », « donc voilà ça se répercute sur le patient ».
Quelles sont les différentes positions face à ce constat ?
- « le soignant qui est consciencieux, c’est la plupart, fait en sorte que le patient la ressente le moins
possible »,
- « soit on s’en va, soit on résiste mais on essaie de faire différemment mais on ne rentre pas
forcément dans le cadre et dans le moule qu’on nous demande ».
- « Soit on vient, on fait ce qu’on nous demande et on essaie de s’en foutre ».
En fin d’interview, il relève que « la seule chose de positive c’est que des fois, on réorganise mieux
et c’est le seul point positif ». Il finit, agacé par ce constat, que « le soignant par définition est
toujours là pour épargner le patient, donc il fait le tampon entre les deux », sous entendu la direction
et le patient.
5.1.5 - Madame S.
Mme S, 32 ans, exerçant auprès de personnes âgées atteintes de démences, débute son discours sur
le fait que c’est un service préservé, où le personnel est suffisant « comparé aux services voisins».
Elle insiste en disant qu’elle « va être un contre-exemple ». Elle argumente ses dires par le fait que
la « priorité, c’est le patient ». C’est un service où « on est à l’écoute du patient avant d’être un
secteur hospitalier ». Mme S me resignale que ça va être un « contre-exemple » et justifie : « ils se
lèvent a l’heure qu’ils veulent, ils déjeunent à l’heure qu’ils veulent ». Elle me dira que « du coup,
on est très dans la relation, à l’écoute du patient » malgré les différentes pathologies. Cette
soignante insiste sur le fait « qu’on n’est pas comme dans un service ordinaire » et dit être
privilégiée car le nombre de soignants est suffisant. Elle se repositionne par rapport à ce qu’elle
vient de me dire, en ajoutant qu’ « il y a des fois où on est en effectif un peu plus réduit, notamment
le week-end ». De ce fait, elle serait moins à l’écoute, « ça c’est possible, c’est sûr même ». Elle
signale tout de même qu’en ce moment, le personnel est réduit, « et là pour le coup, on n’est plus
dans cette dynamique d’écoute et tout ça ».
Par la suite, elle m’expose que lorsqu’elles sont deux pour dix patients, elle dit être « obligée
d’enchainer les toilettes et de se retrouver dans une logique de travail un peu plus comme dans les
services d’à côté, où, voilà, là il faut enchainer ». Elle rajoute ne pas rentrer dans les détails, et être
« peut-être moins dans l’empathie, moins dans l’écoute et tout çà ». Elle me répète qu’elle exerce
dans un secteur privilégié, sachant qu’ « on veut nous tirer un peu les aides-soignants,
l’animatrice… ». Elle dit que ça devient un peu plus dur, par un manque de personnel, mais elle
redit tout de même qu’elle est dans un service privilégié. Mme S donne l’exemple d’une carence en
lits, animatrice, psychothérapeute, psychomotricien, kinésithérapeute, par manque de moyens
financiers. Elle se questionne sur l’orientation des finances. « Tu te bats pour avoir des trucs pour le
bien-être du patient et puis au final, ce n’est pas toi qui en bénéficies, donc voilà ». Elle conclut par
« c’est malheureux mais c’est comme ça ».
5.1.6 - Madame C.
Mme C, diplômée depuis presque 30 ans, me citera quelques exemples par rapport au changement
du monde hospitalier, en commençant par « on a beaucoup moins de temps à consacrer aux
malades ». Les causes en sont les charges administratives, « la paperasse », « et on est de moins en
moins présent auprès des malades ». L’informatique n’aurait pas permis non plus de se rapprocher
du patient, d’après elle. Elle signale qu’en voulant exercer cette profession il y a 30 ans, ce n’était
pas pour faire ce qu’elle fait maintenant, « on a envie d’être plus présent ». Comparé à avant, elle
signale qu’il y a tout de même moins d’erreurs, et c’est dû à la traçabilité sur informatique.
Mme C me confie que ses intentions en début de carrière étaient d’être auprès du malade, « de le
prendre en charge dans sa globalité », ce qui n’est plus le cas maintenant : « on le morcelle et
chacun a sa tache bien particulière, et toi tu deviens la technicienne à faire ton acte », « ça devient
très spécialité ». Cette soignante, agacée de toute cette traçabilité me fait part de ses ressentis par
rapport à ça, et généralise même à tous les services en me questionnant : « C’est ce qui ressort un
peu de tout le monde ? ». Mme C compare sa pratique infirmière à ses débuts, puis me dit qu’ « on
est des fantômes, on nous voit plus. Donc, on nous cloisonne ». Elle insiste sur le fait qu’elles sont
cloisonnée dans leur salle de soins, qu’elles ne voient plus les patients, puis me fait part de son
expérience professionnelle : « en 35 ans, mon pauvre, la profession, il y a rien à voir, il y a rien à
voir ». Cette infirmière finira, agacée de la pratique qu’elle doit exercer aujourd’hui en
concluant- : « On est trop morcelé ».
5.1.7 - Madame L.
Mme L répond à ma question par « effectivement on ne peut pas toujours prendre le temps avec le
patient de discuter d’égal à égal » selon la charge de travail qu’elles ont. Elle me dit que, la nuit,
mettre en avant le relationnel est plus faisable, « elles prennent plus le temps », du fait qu’elles
n’ont pas de pansement, et que le rythme de travail est moins soutenu.
« Elles passent des fois une demi-heure dans la chambre du patient et elles discutent ». Mme L dit
tout de même que des fois c’est possible, notamment le week-end, mais il y a des jours où « on doit
enchainer les soins ». Le téléphone serait source de charge de travail. Elle dit « prendre le temps de
discuter » avec les patients quand elle peut, sans dépasser 30 minutes tout de même, « mais faut
qu’on essaye de calculer ». Elle me signalera, d’une petite voix, qu’un analyste de l’établissement
calcule le temps que doivent passer les soignants avec chaque patient, il « faut qu’on soit 2h30 de
temps passé avec le patient par 24 heures ». Elle me dit discuter avec les patients lors des
pansements, « on parle de la pluie, du beau temps, voilà, pour essayer d’un peu plus les connaître ».
Mme L conclura cette interview, de façon plutôt fataliste, « c’est vrai que si c’est des soins rapides
et qu’il faut enchainer, on enchaine ».
5.1.8 - Monsieur A.
Mr A débute son discours en démontrant l’évolution qu’il y a eu au niveau de la médecine tels que
l’augmentation de la durée de vie, l’amélioration des techniques et des performances et en conclut
qu’ « il y a plus de patients à prendre en charge plus longtemps et plus vieux ». Ce soignant
s’interroge, de ce fait, sur la qualité de vie de ceux-ci. Les pratiques infirmières ont évolué,
principalement basées sur leur rôle propre ; celles-ci se voient dirigées maintenant de plus en plus
vers des pratiques sous prescription. Ces techniques ont pour conséquences plus de traçabilité et
donc de l’informatisation, ce qui augmente la charge de travail. Il insiste sur le côté financier d’un
établissement en disant qu’il « se doit d’être un minimum sur la rentabilité », ce qui a pour effet de
diminuer le personnel et d’en demander toujours plus. Il définit la relation avec le patient comme
« une rencontre, donc un lien personnel, un contact, une entente qui se fait de manière singulière ».
Il ajoute que la qualité de la relation dépendra de qui on a en face, mais que celle-ci doit rester
professionnelle. Mr A souligne « le rapport entre le temps, le soin, et la paperasse ». Il se
questionne, à savoir s’il est dans une notion de relation, sous-entendu par bénéfique pour le patient
ou « s’il n’est pas dedans ». Il dit qu’il existe une surcharge de travail, et ajoute qu’« on peut aussi
se couper de cette relation parce que pour nous ça demande trop ». Les papiers, la traçabilité
seraient des freins à une prise en soin singulière auprès d’un patient « parce qu’on ne passe pas ce
temps avec le patient », mais soulève le fait que c’est nécessaire. Il ajoute cependant, que « sur le
terrain, ça peut bien dégrader la qualité de soins patients-soignants…, on est moins dans le
relationnel », conséquence d’une traçabilité, d’une paperasse importante. Il soupire et dit « mais
pour moi c’est plus heu, c’est plus un aspect négatif mais bon ». En conclusion, Mr A pense que
c’est à chacun de trouver le service qui lui convient afin de « se sentir bien dans son métier, ne pas
être lésé non plus dans la relation face au patient quoi ».
5.1.9 - Madame G.
Pour finir, Mme G débat sur la place que tient le patient en tant que client. Elle ajoute que les
patients se placeraient parfois, par leur comportement, comme des acheteurs. Alors son statut
d’infirmière serait celui d’une commerçante ; elle fait alors référence à ses expériences vécues en
tant qu’infirmière libérale. Une phrase est soulignée par Mme G « mais vous êtes payé pour ça ».
Elle me dit par la suite que la « paperasse », ainsi que le téléphone sont un frein à la prise en soin
relationnelle auprès des patients, et que de ce fait, « tu passeras de moins en moins de temps avec
ton patient ». Par la suite, Mme G argumente le fait que : « c’est certain que le métier d’infirmière
évolue », car on demande aux infirmières d’être des techniciennes, de prendre les rendez-vous, de
maîtriser l’ordinateur lorsqu’il fonctionne, de ranger la pharmacie, de préparer les médicaments,
répondre aux familles, ajouté à cela les charges administratives, avec un manque de personnel,
« c’est vrai qu’on demande de plus en plus ». En conséquence, « on a de moins en moins de temps à
passer avec les patients », « t’as moins de temps à passer avec eux donc tu parles moins ». Mme G
souligne le manque de temps accordé aux patients à cause de toutes ces contraintes, «tu sais
perpétuellement que tu arrives et que tu seras à la bourre », donc elle préfère faire ses soins « à la
chaîne et plus vite t’auras fait et plus vite t’auras fini », « tu ne vas pas prendre ton temps, quoi ».
Cette soignante m’avouera, elle aussi, que « ta relation avec ton patient, elle n’est pas du tout
comme on aimerait ». Elle insiste sur le temps que prennent les traçabilités sur ordinateur, lorsque
celui-ci veut bien fonctionner, comparé au dossier papier accroché, il y a quelques années encore au
lit du patient, « c’est du temps qu’on passait avec les patients, donc là, forcément le patient, tu le
vois moins ». Concernant les prescriptions sur ordinateur, elle reconnait tout de même que « c’est
plus confortable quand même ».Elle ajoute à la suite : « on fait de plus en plus dans l’administratif
au détriment des patients ». Mme G me fait part de son vécu en tant qu’infirmière et me dit « je n’ai
pas de souvenir qu’on nous demandait tout ça ». Elle dit en fin d’interview, que le service est
alourdi par le nombre de patients à prendre en charge du fait d’un rajout de 4 lits supplémentaires.
Elle conclura en insistant sur la baisse du temps de travail pour les mêmes tâches à effectuer,
« Maintenant on travaille que 7h36 au lieu de 8h, quoi », puis elle ajoute que les soignantes ne
partent jamais à l’heure.
5.2 - Analyse des neuf entretiens :
5.2.1 - Points positifs
Les analyses que j’ai pu réaliser individuellement vont me permettre de comparer les réponses des
soignants aux notions déjà abordées antérieurement, dans le cadre théorique.
Tout d’abord, nous pouvons constater que les réponses des soignants à ma question dite inaugurale
sont plutôt négatives dans l’ensemble, à l’exception de certains points que je vais citer ci-dessous.
- Mme A, signalant que les conditions de travail dans son service sont bonnes. Je relèverais tout de
même que si leurs conditions de travail sont correctes, qu’ en est-il de la qualité de soins pour les
patients ayant connu pour certains d’entre eux, le plaisir de pouvoir sortir de l’établissement, afin
d’aller à l’opéra ?
- Mr JP, soulignera qu’il y a des améliorations qui sont positives tel que la réorganisation minimale
obligatoire, en ajoutant que ça fait peut-être que dix pour cent mais il y a des choses positives.
Cependant, Mr JP ne s’attardera pas sur ces « choses positives », qui sont minimes par rapport à la
longueur de son discours.
Mme S m’avouera que le service où elle travaille est préservé, privilégié, comparé à ceux d’à côté,
en me rappelant à plusieurs reprises qu’ « elle va être un contre-exemple ». Cet entretien est le seul
où le soignant me signalera que la priorité, c’est le patient. « On est très dans la relation, à l’écoute
du patient ». Une question me vient à l’esprit après cet entretien : jusqu’à quand ce service sera-t-il
privilégié ?
Mme C, presque 30 ans d’expérience en la matière, constatera qu’une seule chose positive lui vient
à l’esprit, concernant la pratique infirmière et c’est la baisse d’erreurs, conséquence non
négligeable de la traçabilité plus importante qu’auparavant.
Mme L me dit que la nuit et le week-end, les conditions sont plus favorables, que le temps pris
auprès des patients peut en être augmenté afin d’être plus dans le relationnel avec ceux-ci. Avoir
plus de temps, la nuit, me parait être une réflexion assez ironique dans le sens où c’est là, le moment
où le patient est sensé dormir. Lors de la réfection des pansements, elle dit prendre le temps de
parler avec les patients de la pluie et du beau temps. Cet état de fait est-il satisfaisant pour un
soignant et bénéfique pour le soigné ?
Enfin, Mme G relève qu’en tant qu’intérimaire, la lecture de prescriptions sur informatique est pour
elle quelque chose de positif.
Au premier plan, nous pouvons nous rendre compte que six soignants sur neuf m’ont démontré un
aspect positif dans leur réponse.
La traçabilité aurait un impact positif sur la prise en soin auprès d’un patient, et ainsi d’en diminuer
les risques qu’ils encourent. L’informatisation serait un gage de sécurité également, notamment sur
la lecture des prescriptions, selon une infirmière.
J’ai pu m’apercevoir, au vu des réponses données par les soignants, que les points positifs étaient
minimes comparés aux points négatifs.
Je peux en conclure que le contexte hospitalier du monde d’aujourd’hui ne favoriserait pas la prise
en soin singulière auprès des patients. Je vais de ce fait analyser les points négatifs argumentés par
les neuf soignants.
5.2.2 - Points négatifs
En effet, suite aux résultats consignés plus haut concernant la retranscription de chaque soignant,
j’ai pu me rendre compte des difficultés rencontrées par les soignants à pouvoir réaliser leur métier
comme « ils aimeraient, comme ils le voudraient ».
La prise en soin singulière auprès des patients est mise à mal, du fait des nombreuses contraintes
institutionnelles citées ci-dessous.
En effet, j’ai pu relever que le manque d’argent et la baisse des moyens financiers étaient un
problème réel au sein des établissements. Cinq soignants sur neuf ont fait ressortir cet état de chose.
Le manque de temps est également cité par cinq soignants au cours de leur entretien. La baisse de
personnel est aussi un frein à une prise en soin singulière auprès des patients.
La charge administrative, la traçabilité semblent être un aspect rébarbatif de la profession. Trois
soignants emploient le terme de « paperasse » pour évoquer celle-ci. L’ordinateur est cité à
plusieurs reprises. Il serait une perte de temps, surtout lorsqu’il est sujet aux aléas de son bon
fonctionnement.
Toutes ces charges de travail semblent être un élément défavorable à une relation individuelle entre
un soignant et un soigné.
De ce fait, j’ai pu constater durant les interviews que six infirmiers sur les neuf interrogés, ont
répondu à ma question de façon négative en affirmant que « Oui, ça peut influencer sur la prise en
soin singulière auprès des patients », que « c’est possible, c’est sûr même ». Mr A me dira que « ça
peut bien dégrader la qualité de soins patients-soignants ».
Un autre aspect m’interpelle à travers leurs réponses. Plusieurs termes employés par les infirmiers
me font penser à un travail au sein d’une usine. J’ai pu relever quelques mots, ou groupes de mots à
travers leurs réponses tels que « commerciale » concernant Mr M, « qu’il faut abattre du travail »
selon M JP. Deux soignants évoqueront le mot « enchainer », par « il faut enchainer », ou bien « il y
a des jours où on doit enchainer ». Mme G ajoute que les soins sont faits à la chaine. Une soignante
dit que « chacun est pris dans ses tâches bien particulières ». Pour finir, Mme G argumentera par le
fait que les patients ont l’impression qu’ils sont clients et que l’infirmière aurait un statut de
commerçante. L’hôpital serait-il assimilé à une « usine », ou peut-être « un magasin »?
Par ailleurs, à plusieurs reprises, j’ai pu remarquer l’insatisfaction de certains soignants quant à leur
pratique infirmière réalisée au quotidien. Ils m’évoqueront un certain idéal du soin.
En effet, j’ai relevé, lors de chaque entretien, un agacement de la part des soignants, parfois même
une hausse du ton de leur voix lorsqu’ils répondaient à ma question. Les infirmiers m’ont même
avoué un mal être quotidien en service, en me rappelant leurs conditions de travail parfois difficiles.
Mr JP globalisera cet état de fait en disant « qu’il y a beaucoup de soignants, quelque- soit leur
catégorie professionnelle, qui sont très mal à l’aise de ce qu’on les oblige à faire ».
Le type de relation qu’ils auraient donc à proposer aux patients en serait affecté et ne répondrait pas
aux attentes professionnelles des infirmiers. Il ajoute, désabusé, que « le soignant, par définition, est
toujours là pour épargner le patient », et ce, malgré un profond mal être. On peut se demander
pendant combien de temps et dans quelles conditions un professionnel de santé peut aller à
l’encontre de ce qu’il pense être un fondement de ses pratiques ainsi que de son idéal de savoir
être ?
De ce fait, Mr M souligne et rappelle que les soignants doivent « se donner la peine de les
rencontrer, même si la machine à faire des sous va nous en empêcher ».
6 / INTERPRETATION AVEC REPONSE A LA QUESTION DE
RECHERCHE :
Rappel de la question inaugurale :
«Dans le contexte du monde hospitalier d’aujourd’hui, les pratiques infirmières qui en découlent
peuvent-elles influencer sur la prise en soin relationnel singulière auprès des patients ? ».
D’après l’analyse des résultats, je pense pouvoir dire que oui, le contexte actuel du monde
hospitalier et de la condition infirmière peuvent influencer sur la prise en soin singulière auprès des
patients.
En effet, je peux extraire deux types d’évolutions qui m’ont été décrites.
La première, bénéfique pour le patient mais souvent teintée d’un bémol concerne tout ce qui a trait
aux évolutions techniques de l’organisation du travail d’infirmier (informatique, organisation
minimale obligatoire). Celle-ci n’a été que très brièvement développée par les personnes interrogées
et semble désuète en comparaison du deuxième type d’évolution.
Celle-ci, quant à elle, concerne tous les effets nuisibles dus à la dégradation du système hospitalier,
voire du système de santé français, et qui tend à détériorer les relations patients soignants.
Il en ressort que les financements hospitaliers ne seraient pas dirigé vers une prise en soin
individuelle du patient, mais bien vers des objectifs de rentabilité, de rendement et de bénéfice.
La perception soignante serait donc supplantée par la logique d’entreprise : « si on accède à
l’hôpital général, on est soumis au dictat économique, et quelque chose de beaucoup plus
supermarché ».
Je tiens à signaler que, même si ce n’est pas à proportions égales, tous les soignants du secteur privé
ont rejoint leurs collègues de la fonction publique dans ce discours qui déplore cet état de fait.
Ce mécontentement généralisé semble être directement issu de l’augmentation de la charge de
travail, des restrictions budgétaires, de la crise du personnel (suppression de postes, baisse des
salaires, diminution du temps de travail), qui paraissent toucher l’ensemble des établissements
français.
Au-delà de ces notions purement organisationnelles, administratives ou logistiques, les soignants
auraient perdu la capacité et le droit de travailler dans de bonnes conditions et ainsi de fournir une
prestation de qualité. A tel point que certains pensent souvent ne pas accorder l’attention minimum
que requiert une personne malade.
7 / CONCLUSION :
En conclusion, ce qui m’a le plus frappé quand je retrace l’évolution de ma réflexion, c’est que je ne
m’attendais vraiment pas à une telle critique et à un tel bilan de ce qui semble être le système de
santé français. Il est vrai qu’en tant que simple étudiant, je n’avais pour repères que les textes et
apports théoriques qui, certes, énoncent les capacités à développer une approche idéale de la
relation soignants soignés, mais ne prennent que rarement en compte les réalités économiques que
l’on peut rencontrer sur le terrain.
Or, cette évolution cherche à prendre l’ascendant sur la démarche soignante. Je pense néanmoins
qu’il faut faire attention lorsqu’on manipule de telles notions car c’est peut-être là aussi pour le
soignant l’occasion de trouver un bouc émissaire aux tracas quotidiens d’une profession qui a
toujours été difficile. Je veux dire par là que, pour nous soignants, les administratifs et leurs
prérogatives sont un exutoire rêvé à notre mécontentement et à la pénibilité de nos fonctions. Je
pense qu’il ne faut pas, pour autant, se cacher derrière une cible trop facile afin de ne plus avoir à
remettre en question sa pratique soignante. Dans ce sens, je citerai un paragraphe de Walter
Heesben qui souligne le fait que « les infirmières et les infirmiers auront toujours la possibilité de
faire quelque chose pour quelqu’un, de lui venir en aide, de contribuer à son bien-être, à sa
sérénité, même dans les situations les plus désespérées. Car tel est le soin infirmier, composé d’une
multitude d’actions qui sont surtout, malgré la place prise par les gestes techniques, une multitude
de « petites choses » qui offrent la possibilité de témoigner d’une « grande attention » à la
personne soignée et à ses proches, tout au long des vingt-quatre heures d’une journée ».
Il renchérit cette prise de position en écrivant que « La découverte de la merveille de l’autre
nécessite, bien souvent, d’être capable d’adapter, d’ajuster sa paire de lunettes pour mieux voir
l’autre dans la richesse de sa singularité ».
Dans ce contexte d’évolution temporelle et économique de la médecine, on peut tout de même se
demander si les petites attention qu’il décrit sont le seul luxe qu’il nous reste à ce jour. En effet, je
mettais plus haut en parallèle l’univers hospitalier et la pratique infirmière avec le monde
commerçant et plus précisément le travail au sein d’une usine. Je pousserai cette allégorie en
imaginant l’infirmier(e) ouvrier(e) travaillant à la chaîne sur un produit. Dans ce cas-là, il n’est
même pas laissé au patient l’occasion d’être un sujet car il lui est, dans la logique financière,
directement attribué le statut d’objet. Le paradoxe rejoint ici la réalité car on est en droit d’attendre
d’un objet une rentabilité, un coût minimum et une qualité de production définie par un cahier des
charges.
Cette situation me rappelle l’œuvre de Charlie Chaplin « Les temps modernes » où il met en scène
une fiction déshumanisée, stéréotypée, ritualisée qui ne laisse que peu de place aux relations
humaines.
Si les penseurs et les réformateurs continuent sur cette voie, il est à craindre que la prise en soin des
patients se calque sur le modèle Anglo-Saxon et nous pourrions, d’ici quelques années, déplorer des
situations telles que celle vécue par ce sans domicile fixe, mort sans que personne ne réagisse, dans
la salle d’attente des urgences d’un hôpital américain.
La question se pose alors de savoir si, pour accéder à un soin de qualité, le patient devra être
capable d’en payer le prix ?
8 / BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages :
- « La relation soignant - soigné » d’Alexandre Manoukian, Editions Lamarre, 2008.
- « Prendre soin à l’hôpital » de Walter Hesbeen, Edition Masson, 1997.
- « L’hôpital a oublié l’homme » de Jean-Michel Dubernard, Edition Plon, 1997.
- « Le déclin de l’institution » de François Dubet, Edition Seuil, 2002.
- « Méthodologie du recueil d’informations » de De Ketele J.-M., Roegiers X, Edition De Boeck,
Université, Bruxelles, 1993.
Revues :
- « La relation de soin » de Monique Formarier, RSI n°89 de juin 2007.
- « Qu’est-ce que la recherche et à quoi sert-elle dans le domaine des soins infirmiers ? » de Perrier
J, revue de l’Association Suisse des infirmiers et infirmières, mars 1980.
- « Signification humaine de l’informatique en santé », de Grémy.F dans Louvain Médical, Volume
114, n°3, mars 1995.
Filmographie :
- « les temps modernes » film américain de Charles Chaplin (1936).
Sources internet :
- « Bracelet d’identification à l’hôpital : le patient objet, quand la relation patient soignant touche le
fond », publié le 03/02/2008, disponible sur internet : http://www.atoute.org/n/article86.html
- « Réflexion philosophique sur la relation soignant/soigné », par Jean-Marc Lebret, 25/02/2007,
disponible sur internet : http://www.cadredesante.com/spip/spip.php?article334
- « LégiFrance, le service public de la diffusion du droit », par la République Française, disponible
sur internet : http://www.LegiFrance.gouv.fr
- « Le bilan de Santé de Sarkozy », par Libération, 11/04/2012, disponible sur internet :
http://www.liberation.fr/politiques/2012/04/11/que-reste-t-il-de-cinq-ans-de-sarkozysme-1_807720
- « Prendre soin : savoirs, pratiques, nouvelles perspectives », colloque du 11/06/2010 au
21/06/2010 au Centre Culturel International de Cerisy-La-Salle, disponible sur internet :
http://www.ccic-cerisy.asso.fr/soin10.html
Cadre législatif :
- Décret n° 93-345 du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession
d’infirmier.
Autres :
- Microsoft® Encarta® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.
- Dictionnaire le Petit Robert de la langue Française. 2012.
- http://www.mediadico.com/dictionnaire/definition/recherche/1
« ANNEXES »
ENTRETIENS
ENTRETIENS
Entretien Mr M :
Fonction de l’interviewé : infirmier de 59 ans, diplômé depuis 1998, exerçant en secteur
psychiatrique depuis 2 ans. Mr M était auparavant infirmier en secteur hospitalier public général
durant 10 ans, avant d’intégrer cette unité.
Lieu : Dans l’unité, dans une salle munie de deux chaises et un d’un bureau, porte fermée.
Durée : 10 minutes et 25 secondes. (Une horloge est placée au mur, vue par l’infirmier au moment
de l’enregistrement).
Contexte : Enregistrement effectué à 16h, au retour d’une activité randonnée.
Tout d’abord, c’est une question qui à plusieurs facettes. Tout d’abord, l’évolution de la médecine,
qu’est-ce qu’on pourrait dire ? Qu’est-ce qu’elle a de remarquable ? L’évolution de la médecine,
c’est que la santé n’a pas de prix mais elle a un coût. Et donc, depuis quelques années, voire
quelques décennies, on commence à dire, après l’époque d’abondance puis des trente glorieuses,
une certaine prospérité est venue, l’idée que cette médecine libre que l’on a connu, il va falloir la
restreindre. Ce qui paraît quelque chose de raisonnable. La question c’est que il y a eu vraiment une
superposition d’un discours économique, d’un discours d’entreprise qui est venu se superposer à la
médecine. Mais la médecine n’est pas qu’une simple entreprise. C’est quelque chose, la médecine,
ce n’est pas une entreprise, ce n’est pas un magasin, il y a une éthique, un lien particulier, un lien
humain qui va lier le soignant et le soigné mais malgré tout par nécessité, il a fallu faire coïncider le
discours économique, la logique d’entreprise, la réduction des coûts à la médecine. Donc, comment
ça a pu se superposer ? Quels ont été les dégâts collatéraux ? Et comment la singularité à résisté à ça
? Alors, j’ai envie de dire, pour répondre à la singularité, chaque être est différent, particulier. Pour
accéder à la singularité, il faut se permettre la rencontre, et pour pouvoir accéder à la rencontre, ça
demande de la disponibilité, la capacité à rentrer en relation, la capacité à rencontrer. Ça a un cout
en temps, en disponibilité, en moyens pour que cette rencontre puisse se faire. Alors, la question,
c’est que si vraiment on réfléchit à réduire les coûts absolument, du soin, on va globaliser, on va
essayer de collectiviser les choses, on va essayer de diminuer le personnel, on va essayer qu’une
personne arrive à être beaucoup plus distributive dans le soin, à plusieurs patients simultanément, et
donc ça peut se faire vraiment, ça se fait au détriment très souvent de la rencontre, de la singularité,
vis-à-vis du soin. C’est le prix à payer aussi de, voilà, on peut économiser sur le soin, mais le soin
ne va pas rester le même, on va être dans un soin beaucoup plus global. Alors, on peut se dire que
cet idéal, la médecine pour tous, l’accessibilité au soin pour tous est peut être un idéal d’après-
guerre, de solidarité nationale et que actuellement, si on veut un soin peut-être plus singulier, on va
aller plus vers des approches privées, des cliniques, des endroits où on va payer des honoraires. On
va payer des gens qui, moyennant finance, vont pouvoir avoir cette approche plus singulière, plus
personnalisée, plus performante, plus affinée. Mais, si on accède à l’hôpital général, on est soumis
au dicta économique, et quelque chose de beaucoup plus supermarché comme on dirait. Donc,
voilà, l’autre fois, on parlait dans le véhicule aussi de l’aspect, de la superposition d’une logique de
marché, d’une logique de soin, je pensais aux dix engagements à l’hôpital, ça me faisait penser au
dix engagement d’Auchan. A un moment donné, il y a eu une charte de client. Client et patient se
confondent et tout à coup c’est, est-ce que le client est satisfait des chartes comme ça ? Une manière
de penser qui nous vient directement du commercial, c’est-à-dire il faut satisfaire le client, le client
est roi. C’est une entourloupette, mais c’est une logique presque commerciale d’arriver à répondre
aux exigences du client, satisfait remboursé. Et tout à coup, ça vient se superposer à tout ce qui peut
se jouer de transférentiel entre un soignant et un soigné. Il y a quelque chose d’une relation
soignant/soigné, d’une confiance mutuelle qui n’est pas juste un échange de service. Je te paye, tu
me fais ça et puis basta. Il y a quelque chose de plus transférentiel, de plus dans le lien qui se joue.
Je suis persuadé qu’il y a plein de réussites thérapeutiques qui se font plus dans ce lien, dans cette
confiance, dans ce transfer qui s’opère entre soignant et soigné que strictement une action
commerciale. Voilà, je paye ce soin, il me le fait et puis basta. Il y a quelque chose qui transcende et
qui dépasse à mon avis cette simple relation commerciale. Là aussi, si l’on superpose le discours
commercial au discours hospitalier, on vient balayer aussi ce qui peut se nouer de transférentiel
entre un soignant et un soigné. Et ça vaut pour la psychiatrie bien sur où la relation est au premier
chef, mais même quand on est dans des choses très techniques comme la chirurgie, je pense que la
confiance qu’on accorde à son chirurgien, le fait qu’on s’en remette à lui et qu’on lui fasse
confiance va jouer aussi dans le système immunitaire, dans le fait que ça va bien passer ou pas. Et
ça, malgré notre manie de tout vouloir chiffrer, on a du mal à le chiffrer, ça. Et pourtant, c’est une
des perversions actuelles, c’est de vouloir tout quadriller, chiffrer. Il y a des coûts, il y a des
économies à faire. On ne peut pas être rêveur, il y a des choses à optimiser, ça c’est clair, mais cette
volonté de quadriller, de passer au tamis, de faire des petites croix sur des choses humaines, hé ben,
c’est une illusion. C’est comme attraper de l’eau avec une épuisette. Il y a quelque chose de l’ordre
de l’essentiel de ce qui se joue entre les humains, qui n’est pas quantifiable, au sens monétaire du
terme. On veut à tout prix vouloir quantifier tel acte, quantifier si, quantifier ça et l’essentiel n’est
pas quantifiable. Ça a un coté presque pathétique de tous ces technocrates qui veulent à tout prix
quadriller ça, faire la cadrature du cercle. Et je pense que ça ne marchera pas. Alors on est dans une
époque, comme ça, qui est en train de, il y a un coup de balancier. Peut-être une époque où ça a trop
dépensé, il y a eu des abus, il y a eu des espèces de mandarinade, des médecins qui envisageraient
leur pouvoir vis-à-vis des administratifs, il y a eu des dépenses excessives. Mais là, la toute
puissance administrative du comptable qui fait qu’il y a eu un appauvrissement aussi en
psychiatrique, un appauvrissement de la pensée psychiatrique. Dans les années soixante, il y avait
des médecins qui avaient vraiment une manière de voir les choses très personnalisée. Une manière
très singulière, justement, de voir la psychiatrie, il y avait Couran, il y avait Grisoni qui était le
gourou de la bioénergie, il y avait des médecins qui étaient plus sur le social. Il y avait des
personnalités vraiment très fortes qui habitaient l’hôpital et actuellement dans ce discours
économique, il y a eu une espèce d’abrasion de ce qui était singulier justement chez les soignants,
chez les médecins qui étaient singuliers de leur manière de voir le monde, de voir la relation
soignant/soigné et je crains que si on abrase la singularité des soignants, on va abraser aussi la
singularité de l’approche singulière avec le patient. C’est-à-dire que si moi, je me sens n’importe
qui dans cet hôpital, je n’ai pas envie de rencontrer, aussi je n’ai pas la curiosité d’aller voir le
patient dans sa singularité. Je me sens anonyme et les patients sont anonymes, et tout le monde est
anonyme. C’est drôle, parce qu’on est dans une époque où on met en avant l’individualité, chacun
devient particulier, alors qu’en même temps, on est devenu très grégaire. Les choses se ressemblent,
les hôpitaux se ressemblent, les villes, vous arrivez dans une ville vous voyez Décathlon, Darty.
Tout se standardise, il y a quelque chose et je pense qui est dans l’air du temps comme ça. Et je
pense qu’il faut résister dans tous ce fratra standardisé, il faut garder l’espoir qu’il y a encore des
rencontres, qu’il y a des gens, qu’il y a des soignants et des patients extraordinaires et il faut se
donner la peine de les rencontrer, même si la machine à faire des sous va nous en n’empêcher.
Voilà, c’est tout ce que j’avais à dire.
Entretien Mme M :
Fonction de l’interviewée : infirmière diplômée depuis 2002, 26 ans, exerçant en soin de suite et
de rééducation depuis 2 ans (secteur public).
Lieu : Dans le service, dans une petite pièce, lieu de stockage des matériels, muni de deux chaises
et d’ un charriot sur lequel je placerai le dictaphone ainsi que la question écrite sur une feuille, porte
fermée.
Durée : 2 minutes et 32 secondes.
Contexte : Enregistrement effectué à 13h30, après la relève.
Ça dépend de la charge de travail, donc c’est possible que ça influence le relationnel. Peut- être que,
en entrant dans la chambre, on sait qu’on a un temps réduit pour s’occuper du patient et surement
que le relationnel va être mis de côté. Donc, au lieu de dire « bonjour, comment ça va ? », donc, on
va peut-être accentuer, on va peut-être balancer toutes les questions et pas répondre toujours par les
bonnes réponses, ou attendre la réponse et voilà. Donc, je pense que c’est possible. Oui, moi, je
pense pas obliger les pratiques, les gestes de soins infirmiers, je pense que la charge de travail,
donc, à un moment donné où on a un peu moins de travail, je pense que là, on met le relationnel en
avant et que, puis on accorde le temps qu’on n’a pas pu, par exemple durant la semaine. Durant la
semaine, quand c’est un peu plus chargé, on accorde un peu moins de temps, je remarque, et le
weekend, on essaie un petit peu de rattraper ça, de voir un peu le relationnel avec le patient, avec la
famille, de voir un peu, de poser des questions, comment ça va, de se poser un peu auprès de lui et
de voir si il y a quelques choses auxquelles on aurait passé à côté donc durant la semaine. Voilà,
moi je pense vraiment que c’est la charge de travail qui fait que… En fait, la charge de travail, il y
a de plus en plus d’administratif, il y a les actes de soins, ce que l’infirmière doit faire, les soins
techniques, et oui, beaucoup, beaucoup, beaucoup d’administratif, on va dire moitié temps de soins
et moitié temps administratif pratiquement, donc voilà. Et puis aussi le temps accordé à la famille, à
répondre aux questions, à rassurer un peu la famille au téléphone, la famille qui est présente, donc
voilà.
Entretien Mme A :
Fonction de l’interviewée : infirmière diplômée depuis 2010, 26 ans, exerçant en long séjour
depuis 1 an et demi.
Lieu : Dans le service, dans une petite pièce, lieu de stockage des matériels, munie de deux chaises
et d’un charriot sur lequel je placerai le dictaphone ainsi que la question écrite sur une feuille, porte
fermée.
Durée : 5 minutes et 55 secondes.
Contexte : Enregistrement effectué à 13h50, après la relève.
La prise en charge, nous, on arrive à la faire sans aucun problème, après les choses difficiles. Enfin,
ce qui pourrait être plus compliqué, c’est plus avec les familles, parce que, quand on a les familles
qui sont derrière nous tout le temps et qui, limite, espionnent ce qu’on fait, oui là, c’est compliqué,
mais heuuuu… nous, on a le temps, parce qu’on en a dix et qu’on est deux, donc il y a une
infirmière et un aide-soignant, que ce soit le matin ou l’après-midi. Donc, du coup on a pas de, on
arrive à prendre en charge chaque personne et à lui consacrer du temps puis on a l’effectif aussi, on
est complet au niveau de l’effectif, donc du coup, nous, ça se passe assez bien. Après, ce qui
pourrait nous manquer, c’est des moyens financiers, parce qu’on voudrait faire des choses et que
c’est pas possibles. Par exemple, tous les ans, ils allaient à l’opéra, avant, et l’hôpital a vendu son
mini-car, parce qu’il n’avait plus les moyens de l’entretenir. Donc, tu vois, c’est des p’tites choses
comme ça qu’ils nous enlèvent, et du coup, à part des soins, on ne fait plus des choses pour qu’ils
puissent sortir de l’environnement hospitalier, donc, à cause des moyens financiers. On est en long
séjour, donc, c’est leur lieu de vie, ça fait partie du centre hospitalier mais c’est leur lieu de vie, et
du coup, on ne peut plus faire des choses autres que des soins hospitalier, parce qu’il n’y a pas de
moyens financiers et du coup, il y a des choses qui nous échappent forcément puisqu’on reste dans
l’hôpital. Et quand on prend en charge quelqu’un, surtout en long séjour, il faut aller voir ce qui se
passe ailleurs, les faire sortir de leur contexte habituel, quoi. Après je réfléchis par rapport au
contexte, voir ce qu’il y a comme contexte. Après, en long séjour, parce qu’on les voit tous les
jours, donc, est-ce que le fait justement qu’ils soient là depuis longtemps, on peut passer à côté de
certaines choses parce qu’on pense les connaitre, aussi, ça, c’est fort possible. Ça peut arriver qu’on
pense les connaitre depuis tellement longtemps qu’un changement, on peut passer peut être à côté.
Je dis ça, si, par exemple, la dégradation d’un patient, on pense que c’est passager parce qu’il n’est
pas comme ça d’habitude, et puis en fait… Et du coup, c’est bien quand, parfois, les équipes, quand
ça tourne, mais forcément une équipe elle tourne, les gens y restent pas. C’est rare de trouver un
agent qui reste dix ans dans un même service, donc c’est bien. C’est bien de ne pas rester trop
longtemps, surtout quand c’est du long séjour, parce qu’il y a des patients, ça fait dix ans qu’on les
a. je suis venue travailler ici, par choix, c’est moi qui ai demandé le long séjour parce que j’ai fait
infirmière pour être avec les personnes âgées et moi ce qui me plait. Heuuuu, le monde hospitalier,
ça ne m’intéresse pas forcément, je voulais du long séjour, enfin, j’aime suivre les personnes
jusqu’à la fin si y faut. Ne pas à avoir à changer de patients tout le temps, j’aime bien la stabilité,
j’aime bien le relationnel avec les personnes et je ne suis pas trop dans le soin. Je ne suis pas
technique, je préfère le relationnel. Donc le long séjour, pour l’instant, c’est ce qui me convient le
mieux. Quand j’en aurai marre, je partirai. Pour l’instant, les conditions de travail sont bonnes, donc
il y a aucune raison de partir. Mais, il y a un moment donné, où rester dans le même service, on en
a un peu marre. Puis on a la chance de pouvoir changer quand on veut, enfin, quand on peut
demander une mutation donc peut être qu’un jour, j’aurais envie de partir et donc je partirai, mais
pour l’instant, non.
Entretien Mr JP :
Fonction de l’interviewé : infirmier puériculteur de 44 ans exerçant aux urgences (secteur public),
depuis12 ans. Il est aussi représentant d’un syndicat. Son diplôme date de 1992.
Lieu : Dans le local du syndicat, lieu de rencontre des syndicalistes, muni de deux chaises et d’une
table sur laquelle je placerai le dictaphone ainsi que la question écrite sur une feuille. Lors de
l’entretien, la secrétaire faisant parti de ce syndicat est à son bureau dans la pièce à côté, la porte
étant non fermée entre ces deux pièces.
Durée : 23 minutes et 35 secondes.
Contexte : Enregistrement effectué à 15h, après son temps de travail en service.
Ce qu’on nous demande de faire ou de ne plus faire ? En gros, la situation financière de tous les
hôpitaux, enfin le nôtre, mais je pense les autres aussi, fait qu’il n’y a pas de personnel en plus,
beaucoup moins en tout cas. C’est-à-dire qu’avant, par exemple, il y avait plus facilement un agent
de plus dans le service parce qu’il y a avait pas de congé, parce que personne était en formation, il y
avait tout le monde. C’était quelque chose qui arrivait, maintenant c’est quelque chose qui n’arrive
pas. On est plutôt dans le contexte inverse où l’on est en effectif minimum voire en dessous. Je
travaille particulièrement la nuit, on est toujours en effectif minimum puis on est parfois en dessous.
Et le parfois devient souvent, voilà, donc, dans ce contexte-là, c’est plus compliqué de faire son
travail comme on aimerait. Voilà, donc forcément, c’est plus compliqué d’avoir, de pouvoir faire
des soins dans le contexte qu’on aimerait, comme nous on estime devoir le faire. Et c’est ce qui fait
que la plupart des soignants souffrent de la façon dont ils sont amenés à travailler. Donc,
effectivement, le contexte, c’est plus des contraintes imposées par le gouvernement, la politique,
l’ARS (Agence Régionale de Santé), enfin c’est que des relais après qui fait que tu travailles moins
en lien avec ce que tu estimes devoir faire. Chez les personnes âgées, j’imagine que si tu es un de
moins dans une équipe, pour faire bouffer un patient, il te faut aller plus vite. Donc, au lieu de
discuter, de le soigner, tu es pressé que la cuillère arrive dans la bouche et qu’il avale, quoi. Donc,
voilà, en gros, pour un petit, c’est à peu près la même chose, quoi. Voilà, et puis donc, moi dans le
service ou je travaille, aux urgences, il faut déblayer, donc voilà, on fait au mieux avec le temps
qu’on a, donc voilà y faut s’arranger avec ça. Ça peut compter, alors après, ça c’est pour les
soignants infirmiers. Apres il y a des décisions qui sont prises au niveau intermédiaire, c’est-à-dire,
les chefs de service, les médecins, chefs de pole, qui prennent des décisions, toujours pareil,
orientées par la finance, et donc en gros, on peut orienter un soin pour une prise en charge
thérapeutique en fonction de ce que ça va rapporter ou ce que ça va couter. Donc, les choses qui
coutent trop cher, ben on essaie de les éviter parce qu’on n’est pas là pour faire de l’argent, enfin,
on est plus là pour faire de l’argent. Et des choses qui rapportent pas assez, on n’est pas forcé de
s’y intéresser parce que ça sert à rien, ça rapporte pas. Donc on n’est pas dans le même état d’esprit.
On va dire que les gestionnaires de l’hôpital sont amenés à réfléchir de cette façon-là et nous on est
pas éduqué , entre guillemets, on n’a pas cet état d’esprit là, et pourtant on est en train de nous y
amener. Donc le soignant, il n’est pas confronté encore à la facture, ce n’est pas lui qui établit, enfin
en privé oui, en libéral oui mais en public on n’a pas cet état d’esprit là encore. D’abord ils y sont
allés un peu pour ça, la plupart des libéraux, quand même. C’est toujours, ça vient toujours de plus
haut, mais chacun dans sa position est obligé d’assumer ce qu’on lui impose. Donc voilà, le
directeur c’est l’ARS qui va l’imposer, le chef de pole, c’est le directeur qui va lui imposer, c’est en
cascade mais ça revient au même. Donc le but étant de pas perdre d’argent, d’équilibrer les
comptes, et éventuellement d’en gagner, on va presque nous comparer au privé, quoi. Le privé
choisit ses patients, le privé choisit les gens qu’il prend qu’il ne prend pas. Le privé choisit en
fonction de ce que ça va rapporter alors que nous, non. Dans le public, on prend tout le monde. On
les prend pas si on ne peut pas les soigner, on les envoie dans un endroit où ils sont meilleurs que
nous, en principe, mais on ne peut pas refuser quelqu’un. Alors là, c’est toujours pareil, mais les
orientations du choix d’un médicament ou d’une façon de faire est largement influencée par le côté
financier, donc l’intéressement, et du coup, on est amené à aller dans des directions qui ne sont pas
forcément le mieux pour le patient. Alors un exemple, ça a valeur que d’exemple, donc par
exemple, tu as un enfant, allez, on va dire 12 ans qui s’est cassé le bras, il s’est cassé les deux os de
l’avant-bras. Donc, il y a plusieurs façons de s’en occuper et on va dire qu’il y a besoin d’un geste
chirurgical, c’est-à-dire qu’il faut réaligner une fracture déplacée, il faut réaligner et l’immobiliser.
Donc, il y a deux façons de faire, soit il va au bloc opératoire, donc on le prend en charge, il est
hospitalisé, il est perfusé, il est calmé, il est morphiné et on l’emmènera au bloc quand il y aura de
la place et quand on peut, donc voilà. On va utiliser une chambre, on facture la chambre, c’est une
hospitalisation avec chirurgie, bloc opératoire, anesthésie machin. Il y a une deuxième façon de
faire, alors voilà ça, c’est un soin de qualité dans un service moderne qui a les moyens etc. L’enfant
n’a pas mal, est calmé rapidement et les soins sont faits au bloc et voilà. La deuxième façon de
faire, qui pour l’instant chez nous est la plus courante on va dire, c’est que le chirurgien intervient
aux urgences, donc on va le calmer avec d’autres médicaments qui peuvent être de la morphine
mais qui peuvent être d’autres médicaments qui sont aussi efficaces. Il va être gazé au Protoxyde
d'azote et le chirurgien intervient dans la salle d’urgence ; il tire sur le bras, on met une
immobilisation et on va dire que neuf fois sur dix, ça se passe très bien, et que du coup, le patient
rentre chez lui, on va dire trois ou quatre heures après, entre le temps où il est arrivé et le temps où
il repart. Il n’a pas eu de bloc, il n’a pas eu de morphine, il n’a pas eu d’anesthésie générale, il est
rentré chez lui et il n’a pas dormi à l’hôpital. Seulement, ça rapporte beaucoup moins, parce que ben
voilà, le gaz, on ne peut pas le facturer, parce que le personnel qu’il a fallu pour faire ça il en faut
plus que s’il avait été hospitalisé. Voilà, on a passé du temps sur celui-là et pas sur d’autres. Voilà,
la morphine, ça rapporte plus que le sirop qu’on lui a fait boire, et qui n’est pas « valorisant », entre
guillemets. Donc, en gros, on a deux situations, on a soigné le patient correctement et au niveau de
la qualité de vie, du rendu et tout ça, c’est quand même mieux un gamin qui rentre quatre heures
après chez lui avec son plâtre, sa réduction et qu’il n’y a pas eu de risque anesthésie. Voilà machin,
il dort à sa maison, et l’autre qui va passer au moins une nuit à l’hôpital, il aura été anesthésié avec
les risques, même s’ils sont un pour mille voilà, qui existent. Mais ça chiffre plus. Pour moi, enfin,
j’ai douze ans de recul sur les urgences, ça serait mon gamin, on y tire dessus dans la salle, il n’a
pas plus mal que ça, parce que ça va beaucoup plus vite. Parce qu’on a des moyens de le calmer, il
n’a pas spécialement mal. Ça fait mal une fracture, mais il y a des gamins qui jouent par terre avec
leur fracture. Les grands ont plus mal mais on peut les calmer de façon efficace même à la
morphine, s’il on veut, ce n’est pas la panacée mais et il peut rentrer chez lui quelques heures après.
Je pense que c’est mieux que de faire patienter dans une chambre où il aura mal de toute façon.
C’est pas que pour l’argent, mais si le chirurgien n’est pas disponible, chez nous, on a la chance
d’avoir un chirurgien qui est super disponible. On l’appelle, s’il n’est pas déjà au bloc, il est là, c’est
sa maison ici, donc voilà. Donc, on a cette chance la, donc, on peut faire des soins de cette qualité-
là. Mais on pourrait être amené à faire autrement parce que c’est plus intéressant financièrement et
on nous reproche ce genre de choses. Par exemple, un aérosol, un aérosol pour les asthmatiques et
par exemple, alors je sais pas si c’est toujours le cas mais c’est valorisé qu’à partir d’un certain
nombre, c’est-à-dire qu’à partir du troisième, on peut considérer que c’est facturé d’une façon, de
façon intéressante, et en dessous de trois, ça peut être facturé mais d’une autre façon qui est
financièrement moins intéressante. Pourquoi est-ce qu’on ferait pas trois systématiquement à tous
ce qui sont un peu juste, donc forcément, c’est facturé comme une hospitalisation de courte durée,
ça coute plus cher à la sécu mais ça rapporte plus à l’hôpital. C’est plus long, alors que, des fois,
avec deux aérosols et quelques conseils, on pourrait s’en sortir. On lui dit de venir voir son médecin
deux jours après pour réévaluer sa situation et voilà. Par exemple, il y a des soins qui sont très
importants pour des infirmiers, l’éducation par exemple. Qui conseille l’éducation. Le cas de
l’asthmatique, c’est parfait. La première crise ou la deuxième, il faut expliquer aux parents
comment prendre ça en charge à la maison, au gamin comment il peut le faire tout seul ... Et ça a
aucune valorisation financière, c’est-à-dire qu’on peut passer une demi-heure à expliquer ça, on est
efficace, on est performant au niveau professionnel, on est satisfait de ce qu’on a fait mais ça
rapporte rien donc on n’a pas à faire ça. Il vaut mieux aller faire une suture, deux plâtres ou autre. Il
y a des soins qui sont valorisé au niveau financier. Donc voilà, nous on n’est pas, les infirmiers, on
n’est pas encore la tête la dedans mais on le sent venir et puis, quand on étudie la question,
effectivement on s’aperçoit que c’est en balance. Et puis, il y a certaines pathologies qui sont
financièrement pas intéressantes, puis il serait peut être intéressant de pas trop développer parce
que, justement, ça sert à rien au niveau financier. Voilà, donc c’est le décalage entre ce que nous, on
pense bien faire dans notre boulot, et les orientations qui nous amènent à faire différemment. Et
donc ça peut avoir une influence sur la prise en charge individuelle auprès d’un patient. Disons que
les orientations qui sont prises, ben, auront forcément des conséquences. Ca n’en a pas forcement
sur tout le monde, mais il y a des situations où, oui, ça a des conséquences. Si tu prends
l’hospitalisation à la maternité, la dame qui vient d’accoucher. Tu regardes, il y a quelques années,
elle était hospitalisée pendant 5 jours, 6 jours, 7 jours et il y en a qui restaient plus. Quand c’était un
premier, on avait le temps en une semaine de lui apprendre ou de l’aider à savoir s’en occuper, à
détecter ce qui est normal ou pas normal, de détecter des petits bruits que fait un bébé. Voilà, il
s’étouffe pas, donc c’est des bruits normaux. On l’a laissée le changer, le laver, voilà on
l’accompagnait plusieurs fois. Donc, elle sort avec un savoir-faire et puis quelques notions qui vont
l’aider à se débrouiller en arrivant à la maison. Là, maintenant, elles sortent à J-2, J-3. Forcément, il
manque quelques jours, là. Celles dont ce n’est pas le premier, elles ont déjà dégrossi mais elles le
connaissent pas leur petit avant d’arriver. Donc on se retrouve à faire à des gens, ou en consultation
parce qu’ils ne peuvent pas. On arrive à des situations qui sont bidon parce qu’on n’a pas pris le
temps. Il y a des orientations qui visent à réduire la durée de séjour. La durée moyenne de séjour
doit descendre, parce qu’il y a pas assez de place. Parce que ça sert à rien. D’après l’ARS, par
exemple, l’objectif c’est de faire réduire le temps de maternité et voilà donc on réduit, on applique.
Et là, il y a encore des directives qui disent qu’il faut encore réduire à deux jours. Donc voilà, c’est
une politique, donc du coup, il y a des dégâts à coté, c’est-à-dire on ne peut pas prendre en charge
correctement. Il y a des gens à qui ça suffit mais il y en a d’autres à qui ça suffira pas et donc ils
reviennent aux urgences, et re-consultation, et voilà, avec tout ce qu’il pourra y avoir derrière. Pour
un professionnel, c’est assez peu satisfaisant de dire on laisse sortir des gens sortir dans la nature
comme ça. Forcément, après, il va y avoir des problèmes. La durée moyenne de séjour descend,
après il y a d’autres facteurs qui rentrent en jeu. Le fait que les familles sont un peu éclatées, au
niveau géographique ; les grands-parents n’habitent plus à côté. Ça, c’est un truc qui, en 20, 25ans,
ça a évolué, donc, ça contribue à ça. Bon voilà, il y a d’autre facteurs qui peuvent intervenir mais le
fait que on a des directives de les garder le moins longtemps possible, et voilà, c’est évident que, et
voilà, c’est sûr. La conclusion c’est que je pense qu’il y a beaucoup de soignants, quelques soient
leur catégorie professionnelle, qui sont très mal à l’aise de ce qu’on les oblige à faire. Il y en a qui
vont s’en accommoder et d’autres qui peuvent pas, voilà. Donc, soit ils changent de service, soit on
fuit un peu l’hôpital, soit on va faire autre chose quoi, soit on se désengage psychologiquement. Il y
en a qui sont présents mais ils ne s’intéressent plus à, voilà, donc bon. Après, il y a des choses, dans
les directives qui sont, on va dire, théoriquement, plus positives mais il y en a beaucoup moins : les
organisations minimales obligatoires. Disons qu’il y a des standards qui étaient moins bons par
exemple dans certains endroits. Et par exemple, on vous dit par exemple, au bloc opératoire, il faut
absolument qu’il y ait une ibode (infirmière de bloc opératoire diplômée d’état) pour tant de blocs,
donc voilà, ça peut être une amélioration. Alors, dans le privé, ils sont largement au-dessous. Au
public, je pense qu’on est largement dans les clous. Par rapport à quelques années, ça peut être une
amélioration. Après, c’est pareil, dans tous les services il y a des exigences. Ça passe par la
certification, l’accréditation, des choses comme ça alors il y a beaucoup de choses qui sont, à mon
avis beaucoup de papiers. Ça prend beaucoup de temps à l’encadrement, aux gens qui sont obligés
de répondre à ces questions-là, à des critères. Certains de ces critères- là sont intéressants pour les
soignants, parce que ça oblige à une certaine qualité, voilà. Mais il n’y a souvent pas derrière, les
moyens de pouvoir mettre en place ça. Par exemple, si on parle sur le respect de l’intimité, qui est
une valeur que normalement l’on doit avoir en tant que soignants, on va mettre l’accréditation dans
un secteur, et on vous dit ici vous ne pouvez pas respecter l’intimité parce qu’il y a tant de lits au
mètre carré, parce que les portes restent ouvertes, enfin je dis n’importe quoi, mais on vous dit :
vous respectez pas ça, donc on vous donne un an pour vous remettre en conformité. Il faut que,
quand on repasse dans deux ans, vous aillez pris les moyens. Il y a des endroits où ils vont être
obligés d’améliorer, donc ça, on va dire que c’est le contexte de la certification, de l’accréditation à
certains établissements parce que ça oblige certains établissements à faire des efforts. Ça coute
énormément en temps de travail, en encadrement et tout ce qui est papiers, dossiers, rapports, enfin
ça coute un temps fou, une énergie folle, bien souvent pour pas grand-chose. Mais des fois pour des
bonnes choses, par exemple l’inventaire de la check List qu’on fait à l’entrée du bloc, c’est assez
récent ça. Ce qui évite de se tromper de patient, vérifier l’identité, tout ça. C’est des trucs qui sont
surement pour les étudiants tout à fait normaux, qui paraissent normal à n’importe qui d’autre dans
la rue, mais qui ne correspondait pas forcément à ce qui se faisait dans la pratique tous les jours.
Comme c’est pas spécial à un hôpital, et que c’est partout pareil, et que des erreurs médicales,
même s’il n’y en a pas tous les jours, eh ben voilà, quand il y en a, ça fait un peu la une des
journaux, et c’est un peu scandaleux quand même. Voilà, ça fait partie des choses qui ont été
améliorées par ce carcan-là. Alors, ça fait peut être que dix pour cent mais il y a des choses qui sont
positives. Quand on dit le contexte actuel du monde hospitalier, moi je vois un peu le panel, c’est-à-
dire le côté financier ou on réduit, on presse, faut faire toujours plus avec moins. En gros, la
doctrine c’est ça, c’est-à-dire qu’il faut qu’avec les moyens que vous avez maintenant, faire plus,
pour que l’hôpital gagne plus. Voilà, c’est toujours ça. Donc, toutes les évolutions qui se font, c’est
soit vous allez faire plus avec le personnel et les moyens que vous avez et on rapportera un peu
plus, et éventuellement on vous aidera au niveau du personnel, du matériel, de la formation, soit
vous gardez votre activité, mais il va falloir le faire avec un demi-poste de moins, ou un agent de
moins. Toutes les évolutions sont dans cet espèce de chantage là, quoi. Donc, si on regarde le côté
positif, ça oblige à mieux s’organiser, à rationaliser les choses, à pas gaspiller, machin, voilà,
jusqu’à un certain point, et après on arrive dans la problématique quand on est déjà à ras les
pâquerettes et comment on fait, voilà, donc on fait moins bien. Voilà, alors moi, je ne connais pas
trop tous les services qui pourraient être concernés par la maltraitance, des choses comme ça. Mais
j’imagine que, quand on est déjà en difficulté et qu’il faut abattre du travail, voilà, ça doit amener à
des situations qui ne sont pas satisfaisantes. Quand on pense qu’on fait mal son travail, on est mal
dans son travail et après c’est un cercle vicieux. Il faut pouvoir garder cette ambition mais c’est ce
qui fait qu’on n’est pas bien. Ceux qui pensent que leur boulot, pour le faire bien, il faut qu’ils
fassent comme ça en tant de temps. Il faut qu’ils sortent de la chambre en ayant fait leur boulot
correctement, et en ayant cette satisfaction personnelle. Si on leur dit : ce que vous faites là, vous
allez faire la même chose mais vous faites une demi-heure de moins. Et puis, au lieu de faire six
patients dans la matinée, hé ben vous en ferez huit avec une demi-heure de moins. C’est ce qui se
passe. Si on le prend à l’échelle d’un hôpital, ça va être des restructurations d’horaires, par exemple,
on va grignoter un peu sur chaque patient. Economiquement, comptablement, tout ça effectivement,
c’est une bonne idée, parce que, mathématiquement, on récupère un peu sur chaque gens sauf qu’on
lui gratte de son temps de travail. Il y a des endroits où ça peut se passer parce qu’il y en avait
largement assez et il y a beaucoup d’autres endroits, la plupart où ils étaient déjà en difficulté avant
et on leur enlève encore. C’est pareil au niveau du matériel, c’est pareil au niveau de tout ce qui est
transversal, c’est-à-dire les brancardiers, les gens qui aident à l’activité. C’est-à-dire que dans un
service, si on est censé avoir un brancardier pour cinq ou six services, et ben, si on vous dit : voilà,
ce poste, il existe plus, ou alors le weekend, il y est plus, à partir de telle heure, vous n’y comptez
plus dessus, ben c’est qui qui va faire le brancardage ? C’est le personnel du service. Donc, pendant
qu’il fait le brancardage, il ne fait pas autre choses. Donc, s’il était en train de fumer, boire le café,
ou manger la galette des rois c’est dommage pour eux, mais ils peuvent le faire sauf que s’ils étaient
déjà à fond et en retard jusqu’à présent, ben il faut en plus qu’ils se tapent ça. Donc, voilà, ça se
répercute sur le patient. Donc le soignant qui est consciencieux, c’est la plupart, font en sorte que le
patient le ressente le moins possible et ça les met mal à l’aise et si c’est continuellement comme ça
et qu’ils ne voient pas la sortie, eh ben, c’est un peu difficile à vivre. Après, il y a plusieurs
réactions possibles, soit on s’en va, soit on résiste mais on essaie de faire différemment, mais on ne
rentre pas forcément dans le cadre et dans le moule qu’on nous demande. Soit on vient, on fait ce
qu’on nous demande et on essaie de s’en foutre. Voilà, c’est des façons de réagir à ça. C’est-à-dire
que c’est la différence d’objectifs de ceux qui sont censés gérer un contexte de manque d’effectif,
une dette financière, enfin on y est en plein dedans. Il faut réduire le déficit, et pour réduire le
déficit, ce qui coute le plus cher, c’est la main- d’œuvre. La main-d’œuvre, il y a deux façons
d’améliorer la situation, c’est d’améliorer l’organisation, c’en est une, ou de réduire le prix, donc on
les paye moins ou on en met moins. Et s’ils ne peuvent pas payer moins que la règle, d’autres
endroits peut-être. Il y a des endroits où on ne prend pas les qualifications requises, souvent dans le
secteur privé. Ça fait longtemps que j’en ai plus fait, donc je suis mal placé pour en parler. Ici, c’est
difficile parce qu’il y a des règles, que si la règle n’est pas respectée, on va nous tomber dessus,
mais enfin, c’est facile d’aller vers ça. Voilà, donc, il faut trouver des solutions, la seule chose de
positive c’est que des fois on réorganise mieux et c’est le seul point positif. Après, tout le reste,
c’est forcément en dégradant des situations déjà existantes. Et le soignant, par définition, est
toujours là pour épargner le patient, donc il fait le tampon entre les deux.
Entretien Mme S :
Fonction de l’interviewée : infirmière de 32 ans exerçant en unité d’hébergement (UHR), depuis 5
ans (secteur public). Mme S est diplômée depuis 2003.
Lieu : En salle d’officine, munie de deux chaises et d’une table sur laquelle je placerai le
dictaphone ainsi que la question écrite sur une feuille lors de l’entretien. La porte est fermée.
Durée : 8 minutes et 28 secondes.
Contexte : Enregistrement effectué à 14 heures, durant son temps de travail.
Alors le truc, c’est qu’ici, on est quand même dans une unité réservée et un peu protégé parce qu’au
niveau du personnel, on est beaucoup plus en nombre, on va dire, entre guillemets, que dans les
services à côté. Donc, du coup, moi je vais peut-être être un contre-exemple par rapport à d’autres.
Parce que, du coup, c’est vrai que nous on est un service où on est à l’écoute d’abord du patient
avant d’être un secteur hospitalier. On est dans un service où, d’abord, la priorité c’est le patient et
après c’est à nous de nous adapter à lui, donc du coup, voilà, ça va être un peu le contre-exemple
parce qu’ils se lèvent à l’heure qu’ils veulent, ils déjeunent à l’heure qu’ils veulent. Bon, après, on
essaie de fixer quand même le repas de midi et du soir pour qu’ils aient quand même un peu des
repères, mais, du coup, on est très dans la relation, à l’écoute du patient, même si, vu le contexte
médical, ils sont très confus et tout ça. Voilà, s’il y a une prise de sang à faire et que la patiente est
très agitée, à ce moment-là on va peut-être essayer de la repousser à plus tard parce que ce sera,
d’abord, plus facile pour nous, moins invasif pour elle, parce qu’elle sera plus dans un meilleur
moment, tout simplement. Donc, du coup, c’est sûr que de ce point de vue-là, chez nous, on est bien
plus privilégié mais parce qu’on n’est pas comme dans un service ordinaire, et qu’il y a le personnel
qu’il faut, parce que c’est sûr. Bon, par contre, il y a des fois où on est en effectif un peu plus réduit,
notamment le week-end. Là, ben, bon, faut agir quoi, donc voilà, on est peut-être moins à l’écoute à
ce moment-là, ça, c’est sûr, ça, c’est possible, c’est sûr même. Là, en ce moment, on a quand même
pas mal de journées où on tourne que à deux le matin, c’est à dire une infirmière et une aide-
soignante pour dix patients, comme au long séjour. Là, c’est un peu plus difficile parce que c’est
des gens qui sont très angoissés, en demande permanente, qui comprennent pas d’abord où ils sont,
qu’est-ce qu’on veut d’eux. Donc, ça prend du temps, énormément, d’expliquer, et dès qu’il y a en
plus quelqu’un qui s’agite ou qui n’est pas bien, alors là, après, ça désorganise tout et là, pour le
coup, on n’est plus dans cette dynamique d’écoute et tout ça. Après les jours où, là, par exemple, ce
matin, on avait deux élèves, bon je sais qu’on ne doit pas compter dessus mais, quelque part, ils
tombent du travail aussi. Là, on était beaucoup plus à l’aise malgré le fait qu’on était qu’une
infirmière, une aide-soignante. Il y avait une élève infirmière et une élève aide-soignante, bon, ben
voilà, on était à quatre pour dix, donc, si là on n’a pas le temps, ben je ne sais pas quand est-ce
qu’on l’a, donc voilà quoi. Mais bon, après, hormis les élèves, quand on se retrouve qu’à deux, c’est
vrai que çà pèche un peu, parce qu’on est obligé d’enchainer les toilettes et de se retrouver dans une
logique de travail un peu plus comme dans les services d’à côté où, voilà, là il faut enchainer. Voilà,
on n’a pas trop le temps de rentrer dans les détails et on fait un peu plus vite et on est peut-être
moins dans l’empathie, moins dans l’écoute et tout çà quoi. Mais c’est vrai qu’ici, je ne vais pas te
dire le contraire, on est un secteur privilégié. On a cette chance- là, on essaie de se battre pour la
préserver parce que, forcément, on veut nous tirer un peu les aides-soignants, l’animatrice, un peu
plus, chacun ramène un peu la couverture à lui et au final voilà. On s’est battu pour avoir le label «
UHR » (Unité d’Hébergement Réservé), c’était il y a deux ans maintenant. On s’est battu parce que
ça été du travail, beaucoup de travail d’équipe. Mettre à jour les dossiers, faire ci, faire là, faire des
démarches et au final, le cadeau qu’on a eu, c’est qu’on nous a retiré l’animatrice. Là ça y est, on
commence à en avoir une qui va peut-être arriver, là, mais voilà. Et on a moins d’aides-soignants. Il
y en a une qui est en arrêt maladie depuis longtemps et qui n’est pas remplacée, ou peu remplacée
on va dire, parce que, comme il y a des arrêts ailleurs, ben, on vient tirer chez nous. C’est vrai que,
là, du coup, ça commence à être un peu plus, à tirer un peu plus sur la corde, et c’est un peu tendu,
surtout que les patients se sont un peu plus alourdis qu’à un certain moment, donc, voilà. Mais bon,
je considère quand même qu’on est un service privilégié comparé à un service classique comme le
long séjour, ou le SSR (Soins de Suite et de réadaptation). Mais n’empêche qu’il peut arriver, des
moments, où on est moins et du coup on est obligé d’aller vite et du coup de faire les choses moins
comme il faudrait, voilà. Ca fait 5ans que je travaille ici, et ça fait 4 ans qu’on se bat pour avoir des
lits Alzheimer. Au bout de 4 ans, on a fini par en avoir, mais que six sur dix. Donc, il y a 4
personnes, ben, on est obligé de faire comme on peut, on jongle, on change des lits parce qu’il y en
a un qui nécessite plus un lit Alzheimer que l’autre. Voilà, ça, c’est un problème, c’est vrai, et on
n’a pas de lève malades non plus dans le service, sachant qu’il y a des gens qui se sont un peu plus
grabatisés et qu’il faut se les porter à bout de bras et voilà, ça, c’est deux choses qu’on demande et
voilà. Pour les lits, on nous a dit oui « ça arrivera ». Donc, si on attend autant de temps, donc, si ça
met encore 4 ans pour venir, de l’eau aura coulé sous les ponts. Voilà, on demande une animatrice,
ça fait plus d’un an qu’on tourne sans animateur. Dans une unité comme ça, c’est quand même
quelque choses de primordial et au final, on va peut-être avoir quelqu’un mais il est là que
temporairement, que par pointillés dans la semaine alors qu’avant on avait une personne qui était
attribuée ici à mi-temps. Elle faisait ou du matin ou du soir, enfin 4 heures pour les résidents quoi.
Pendant un an, on n’a eu personne donc débrouille toi comme tu peux, tu as ton travail voilà, plus
l’animation où t’as pas été formée en plus, donc, voilà. Ça, c’est les demandes un peu récurrentes en
ce moment. Pareil pour le statut UHR, on devrait avoir un mi-temps de psychomotricien, on l’a pas
vu ; on devrait avoir un ergothérapeute, on l’a pas vu arriver. C’est pour ça que ça nous a mis un
peu les boules. Nous, de notre côté, on a fait tout ce qu’on a pu pour obtenir ce label et au final, le
résultat qu’on a, c’est plutôt moins qu’avant, donc ça fout un peu les boules. Le label était censé
débloquer un certain budget, mais les budgets, où ils sont passés, je ne sais pas, peut-être dans
l’architecture du nouveau bâtiment, j’en sais rien. Je suis un peu médisante mais enfin voilà, ça fait
un peu râler. Tu te bats pour avoir des trucs pour le bien-être du patient et puis au final ce n’est pas
toi qui en bénéficies, donc, voilà. Pareil le kiné, on devrait avoir un peu un kiné et il n’y a personne.
Il y a une personne qui se bat en duel pour tout le long séjour, le SSR qu’est-ce que tu veux qu’il
fasse, c’est comme ça, hein. C’est malheureux mais c’est comme ça.
Entretien Mme C :
Fonction de l’interviewée : infirmière de 58 ans diplômée depuis 1984 exerçant en soin de suite et
de réadaptation (secteur public), depuis 7 ans.
Lieu : En salle d’officine, munie de deux chaises et d’une table sur laquelle je placerai le
dictaphone ainsi que la question écrite sur une feuille lors de l’entretien. La porte est fermée.
Durée : 6 minutes et 43 secondes.
Contexte : Enregistrement effectué à 14 heures, après la relève, durant son temps de travail.
On a beaucoup moins de temps à consacrer aux malades. On est pris dans la paperasse,
l’informatique, tout ce que tu veux et on est de moins en moins présent auprès des malades. Et je
pense que ce n’est pas le but, qu’on a choisi cette profession, c’est pas du tout le but. On a envie
d’être plus présent, moi, là, je vois, je suis d’après-midi. Ben, je vais commencer à faire mon tour
pas avant 17h. Bon, ici, c’est un service un peu particulier parce que je sais qu’ils sont au kiné et
tout ça, il y a moins d’urgence mais bon jusqu’à 17h je ne vais pas du tout voir aucun de mes
patients parce que je vais être cantonnée dans mon labo, avec ma pharmacie, à ranger, à faire mes
entrées administratives de mes entrants. Donc, voilà, c’est vrai que la prise en charge, donc voilà,
c’est mon premier jet. Il y a trop d’administratif, on passe un temps monstre à l’administratif. Bon,
la distribution des médicaments, elle est passée à l’informatique. Bon, ben nous maintenant, ils nous
sont préparé la nuit, bon, ben là ,après ,maintenant, je vais aller dans ma salle de labo, je vais me
préparer tous mes médicaments, mes piluliers. Ben, c’est sûr qu’il y a certainement moins d’erreurs
que ce qu’il y avait au passé, on vérifie de nouveau une deuxième fois mais on le fait dans le labo,
donc pendant ce temps, ça va me prendre trois quart d’heure, en salle de soins. Donc, pendant ce
temps, je ne suis pas auprès des malades, qu’avant, quand ce n’était pas informatisé, ben, le temps
que je re-contrôle , je le passais dans le couloir J’étais auprès de la chambre de mon patient, il
pouvait me demander des choses, tandis que là, juste je vais juste distribuer et voilà, ça, ça vient de
changer il y a très peu de temps. On est passé à l’informatique il y a un an, mois de juin l’année
dernière. Ca a arrangé peut-être dans la sécurité, au point de vue de l’organisation, il y a peut- être
moins d’erreurs. Au début, on les donnait avec notre ordinateur, on était dans les couloirs, puis on
s’est rendu compte qu’on était trop souvent sollicité, donc on n’était pas assez concentré. Donc, on
a décidé, comme un accord, de le faire, la préparation au labo. Donc, ça, voilà, ça plus ça plus
finalement ben le soin ça devient que vraiment très ponctuel. Le soin, on le fait de façon de plus en
plus écourtée. Je suis à la fin de ma carrière, donc j’ai connu pas mal d’évolutions et j’arrive à ma
35ème année d’infirmière donc je peux dire que j’ai vu beaucoup de changement et moi, mon
premier truc, c’était d’être présente auprès des gens, de travailler avec mon aide-soignante, de le
prendre en charge dans la globalité et maintenant on le prend plus dans la globalité, le malade, on le
morcelle et chacun a sa tache bien particulière et toi tu deviens la technicienne à faire ton acte, puis
toi après il te faut tout retracer. C’est tout ça, ça prend du temps, et pendant ce temps ben on n’est
pas auprès des malades, ça devient très spécialité. C’est très ponctuel, très technique et pendant
qu’on fait notre acte point barre et après allez, il y a tout le travail qu’y est en amont, avec toute la
traçabilité qu’il faut avoir, tout ça, ben on perd un temps monstre. C’est ce qui ressort un peu de tout
le monde ?, qui dit ça ?, c’est tout le monde qui dit ça, presque tous les services. Je pense qu’il n’y a
pas un service, je pense, en milieu hospitalier, qui soit épargné parce qu’on nous demande trop, trop
de traçabilité. En plus, moi, je vois il y a des choses, bon moi je vois, je fais partie des anciennes.
Bon, ben, avant, tu travaillais, t’avais les portes ouvertes, les gens ils passaient, ils te voyaient, ils te
discutaient, ils te demandaient un renseignement, maintenant c’est que des portes à corde. On est
fermé dans notre labo, on est des fantômes, on nous voit plus. Donc, on nous cloisonne. Avant, les
salles de soins, elles étaient ouvertes, on avait des portes et on nous voyait. Les gens, ils passaient,
ils avaient n’importe quoi à demander. Même moi, je vois, ben, des fois, que tu es de l’autre côté de
la barrière. Parce que, malheureusement, des fois, nous aussi, bon, ben tu ne sais pas où t’adresser.
Tu vois toujours les portes toutes fermées. Tu ne vois personne. T’es paumé. Et tout ça, ben, c’est
venu insidieusement. Moi, je vois maintenant, tu vois notre labo, ben, c’était la relève, bon, ben, on
est calfeutré, on est cloisonné. Et toute l’après-midi, la porte du labo, les deux portes, il y a deux
portes, et ben, elles vont être fermées. Les gens, ils vont vouloir nous demander, ils sont paumés, ils
ne savent pas. Et comme on nous voit de moins en moins dans les couloirs, ben les gens, ils ont
l’impression que c’est des services fantômes. Et c’est ça et c’est vrai, c’est terrible. Moi je sais que,
et je n’ai pas fait ça pour… alors bon les jeunes, je ne sais pas, vous allez être peut-être confronté à
avoir d’autres… heu. Enfin je ne sais pas comment on va pouvoir revenir en arrière, maintenant on
est tellement sollicité partout. Moi l’évolution, ça été heu, en 35 ans mon pauvre, la profession il y a
rien à voir, il y a rien à voir. Tu arrivais, le premier truc que tu faisais, d’abord, dès que tu arrivais,
tu faisais ton tour des chambres pour aller voir tous tes malades. Pour bien les cadrer. C’était ton
premier travail. Et pour ce qui était vraiment de tout noter, tu notais tout à la fin. Bon alors, c’est
sûr, qu’il y avait des oublis. Il y avait surement des choses hein, si on a rechangé, il y avait plein de
choses surement qui n’allaient pas mais il y avait des choses qui étaient quand même positives,
mises en valeur. Bon, ben pendant que tu étais heu, là, tu vois, regarde, tu fais le tour, tu vois
personne, tu vois des soignants ? Tu les vois ? Là tu as l’impression d’être dans un service fantôme.
Tu vas dans les trucs de chirurgie ou quoi, pareil, les gens, tu les cherches. Les soignants, chacun
est pris dans ses tâches bien particulières. Puis nos tâches, on nous les a morcelées. Avant, l’aide-
soignante, l’ASH (Agent de Service Hospitalier), l’infirmière, on faisait vraiment le trio, on était
toujours ensemble. Maintenant l’ASH, elle fait que le ménage, il ne faut pas qu’elle fasse d’autres
choses. Il ne faut pas qu’elle touche le malade. L’aide-soignante, elle, elle fait vraiment : ça ce n’est
pas de mon ressort, je le fais pas. Et ben, l’infirmière, tout ce qui est technique, et puis voilà. On est
trop morcelé.
Entretien Mme L :
Fonction de l’interviewée : infirmière de 30 ans exerçant en chirurgie orthopédique depuis 2 ans
(secteur privé). Son diplôme date de 2008.
Lieu : En salle de kinésithérapie, munie d’une table pour kiné sur laquelle je placerai le dictaphone
ainsi que la question écrite sur une feuille lors de l’entretien. La porte est fermée.
Durée : 4 minutes et 3 secondes.
Contexte : Enregistrement effectué à 14 heures, après la relève, durant son temps de travail.
Selon la charge de boulot qu’on a, effectivement, on ne peut pas toujours prendre le temps avec le
patient de discuter d’égal à égal, d’essayer d’approfondir leurs problèmes. Je pense que, quand on
travaille de nuit, c’est plus possible, pour en discuter avec une amie qui bosse de nuit et les
infirmières d’ici. Elles, elles prennent plus le temps, dans leur tour, comme elles n’ont pas les
pansements à faire et tout le rythme que l’on nous demande de la journée. Elles prennent le temps,
elles passent des fois une demi-heure dans la chambre du patient et elles discutent, elles échangent
des points de vues et voilà. La journée, je pense qu’on a plus de mal. Le week-end, c’est plus
possible parce qu’on est censé avoir moins de travail mais, effectivement, il y a des semaines où
c’est possible, il y a des semaines où on doit enchainer les soins et voilà. Quand on a 15
pansements à faire, il faut les faire. Le week-end, il y a pas de médecin sur place en général, que les
urgences, et après, bien entendu, ça dépend du nombre d’urgences. Il y a moins de patients
hospitalisés en général, parce que les hospitalisés de la semaine sortent. Il reste ceux qui sont opérés
le jeudi et le vendredi et qui ne restent pas qu’une seule journée, donc généralement sur un service
de 16 lits, on se retrouve à moitié moins, voire plus, voire moins, ça dépend vraiment des semaines
opératoires qu’il y a eu et des urgences. Et voilà, du coup, on peut plus prendre le temps, le week-
end. C’est vraiment d’une journée à l’autre. Ça sera pas la même chose, même si on a beaucoup de
soins d’un côté, ça peut se goupiller bien et on peut prendre le temps. Et des fois, même avec que
très peu de soins, ça se goupille mal, il y a un patient qui va pas bien. Donc, il faut lâcher le rythme,
ou on est dérangé par le téléphone très régulièrement. Du coup, c’est pareil, il faut lâcher notre
rythme. Personnellement, je prends le temps, quand je fais des soins, des pansements, des entrées.
J’essaie de discuter un petit peu, mais bon je ne resterai pas une demi-heure dans la chambre à
discuter avec le patient. L’après-midi, des fois, on peut, quand on fait notre tour et qu’on sait qu’on
n’a pas 50 retours de bloc et que la plupart des retours des blocs sont venus et qu’on n’a pas
spécialement beaucoup d’entrées, on rentre dans la chambre et on discute un peu avec le patient, en
même temps qu’on prend la tension, peut-être des trucs comme ça, mais faut qu’on essaye de
calculer ,ouais. Et d’ailleurs, il y a un analyste dans la clinique qui calcule : tant de patients, tant de
personnel, tant d’heures passées. Enfin, faut qu’on soit 2h30 de temps passé avec le patient par
24heures, sur toute notre amplitude, matin, après-midi, nuit. C’est Capio (organisme de gestion de
l’hôpital) qui fait ça. C’est eux, ils ont donné des normes, mais on dépasse, voilà, mais le boulot est
fait. C’est au tour, et après moi pendant les pansements, je discute avec eux. Par forcément des
problèmes personnels, mais après, on parle de la pluie, du beau temps, voilà, pour essayer d’un peu
plus les connaître. C’est comme ça d’ailleurs des fois qu’on sait, si dans les petits-enfants, s’ils ont
perdu du monde, voilà. C’est pendant les soins, quand on a des soins plus ou moins long. Là, on
prend le temps. Mais c’est vrai que si c’est des soins rapides et qu’il faut enchainer, on enchaine.
Voilà.
Entretien Mr A :
Fonction de l’interviewé : infirmier de 36 ans exerçant en maison de retraite depuis 6 mois
(secteur Privé). Il est diplômé depuis 2003.
Lieu : Au domicile de celui-ci, muni d’une table sur lequel je placerai le dictaphone ainsi que la
question écrite sur une feuille, lors de l’entretien, porte fermée.
Durée : 6 minutes
Contexte : Enregistrement effectué à 10 heures.
Bon, alors déjà, au niveau des progrès de la médecine, il y a eu un allongement de la durée de vie,
donc, c’est grâce à l’amélioration des techniques et des performances. Du coup, il y a plus de
patients à prendre en charge plus longtemps et plus vieux. Donc ça, cette amélioration des
techniques, c’est dû à une amélioration de la chirurgie et aussi au niveau médical, les traitements,
l’apparition des vaccins, qui a permis cette augmentation de qualité de vie, point d’interrogation.
Parce qu’on vit plus vieux, mais est-ce qu’on vieillit mieux ? Alors, l’évolution de la profession
infirmière dans le temps ? Bon, avant, je pense que c’était plus une base de secrétariat et aussi de
soins propres parce que c’était l’infirmière qui suivait quand même le médecin. Donc les soins
propres sont essentiellement liés à la toilette, plus à l’accompagnement du patient, soit mourant, soit
dans la douleur. Puis après, je pense, sont apparus les soins délégués. C’est-à-dire les prises de sang,
les piqures, les poses de cathéters. Tous ce qui va aussi dans l’amélioration de la technique, des
aides pour les coronographies, les prises d’électrocardiogramme, tout ça. Et ça, c’est aussi des
améliorations de la techniques, mais bon, dans cette amélioration des techniques, il y a aussi une
augmentation du suivi et donc de la traçabilité et aussi chez nous de l’informatisation. Donc, ce
n’est pas apparu de partout non plus, mais bon, tout ça, ça augmente bien la charge de travail. Et le
problème, c’est qu’aussi, un établissement se doit d’être, un minimum, sur la rentabilité. Donc, du
coup, ils en demandent toujours plus à leur personnel et il y a toujours moins de personnel ou
équivalent donc somme de travail augmentée, bien sûr. Le soin relationnel avec le patient du coup !
Puisque la prise en charge augmente, tout ça, on peut se demander un peu. Bon, il y a une démarche
professionnelle qui est basée sur la douleur, le moral. L’aspect psychologique aussi d’une baisse de
relation avec le patient mais, bon, c’est aussi une rencontre, donc un lien personnel, un contact, une
entente qui se fait de manière singulière, donc avec la personne qu’on a en face. Donc, ça passe
aussi plus ou moins bien, en fonction de qui on rencontre, on va s’entendre plus ou moins bien mais
bon c’est un lien qui est professionnel, et c’est aussi une démarche humaine temporelle puisque,
bon voilà, on est des hommes quand même, on est quand même sensible. Et du coup, du coup,
voilà, il y a cet aspect psychologique aussi. Mais bon, est-ce que ça se dégrade ? Avec ce temps et
cette charge de travail, voilà, dans lequel on doit jouer. Soit 8 heures de travail, 7h30 ou 12 heures
qui est un peu plus long, qui est un peu plus fatiguant, un peu plus astreignant mais qui permet aussi
d’avoir un peu plus de temps pour soi, malheureusement, et un peu moins dédié à l’établissement et
aux patients. Donc, ça, après, c’est des choix personnels, aussi, hein ? Donc, on peut en venir après
à l’organisation du temps. Donc, c’est le rapport entre le temps, le soin, et la paperasse. Donc, en
gros, la charge de travail qu’on a sur le boulot. Et en fait, en général, ça laisse peu de marge de
manœuvre et on est toujours à sec, voilà, au niveau du boulot. Donc, du coup, on peut aussi se dire
que ça laisse peu de marge de manœuvre mais ça peut être très différent selon les services, quoi,
hein ? Selon l’éthique de chaque soignant, c’est vraiment en fonction de chacun pour entrer
justement dans cette relation avec le patient, quoi. Donc, bon, ça aussi, on peut se dire, est-ce que je
suis dedans ? Est-ce que je ne suis pas dedans ? Voilà, après, on peut aussi se couper de cette
relation parce que, pour nous, ça demande trop. On peut aussi être dans le déni de la relation ou on
peut-être trop, justement, ben, dans l’affectivité aussi. Donc, bon, après, il faut faire attention aussi
de garder une certaine distance. Mais bon, voilà, c’est quand même une part importante mais qui est
quand même bien occultée par justement une surcharge de travail qui est donnée à côté, surtout les
soins qu’on peut prodiguer, quoi. Donc, en conclusion, ben, les papiers, c’est une obligation quand
même, la traçabilité, parce qu’on ne passe pas ce temps avec le patient. Mais c’est quand même
nécessaire au niveau des « recours légaux », au niveau des suivis, de la compréhension sur le
terrain, après par rapport au médecin. Mais, sur le terrain, ça peut bien dégrader la qualité de soins
patients-soignants, parce qu’on a moins de temps à dédier au patient proprement dit, puisqu’on est
moins, comment dire, on est moins dans le relationnel, puisqu’on a plein de traçabilité à faire au
niveau informatique, au niveau paperasse. Voilà, en gros c’est un peu tout ce que j’ai à dire, mais
pour moi c’est plus, heu, c’est plus un aspect négatif, mais bon. C’est vrai que quand on y réfléchit,
il faut quand même pouvoir avoir un retour sur le patient. Savoir ce qui se passe et tout donc, il faut
quand même des marques, des traces, donc bon, c’est nécessaire. Après, ben, c’est sûr que s’il y
avait plus d’infirmiers dans les services, ben, on s’en sortirait peut-être un peu mieux en terme de
qualité. Mais bon après, je pense que c’est aussi à chacun de trouver le service qui lui convient pour
justement trouver ce rapport, comment dire, qualité- charge de travail pour voilà, se sentir bien dans
son métier, ne pas être lésé non plus dans la relation face au patient quoi.
Entretien Mme G :
Fonction de l’interviewée : infirmière intérimaire de 48 ans exerçant en médecine pneumologique
ce jour-ci (secteur public). Mme G est diplômée depuis presque 20 ans.
Lieu : En salle de soins, munie de deux chaises et d’une table su laquelle je placerai le dictaphone
ainsi que la question écrite sur une feuille. Lors de l’entretien, la porte est fermée.
Durée : 8 minutes et 20 secondes.
Contexte : Enregistrement effectué à 15 heures durant de son service.
Alors, la réflexion que je me fais, c’est à savoir si, au niveau soins, est-ce que c’est quelque chose
qui est récent ou pas je ne sais pas ? Mais j’ai fait par exemple du libéral, et en libéral c’est vrai que
cette mentalité-là, je la connais. Les gens payent plus ou moins directement, donc ils ont
l’impression qu’ils sont clients. Enfin, je veux dire, tu n’es plus infirmière, tu n’as plus le statut
infirmière pour soigner mais tu as un statut un petit peu de commerçant. A l’hôpital, c’est vrai que,
comme c’est public, on peut retrouver un peu cette mentalité-là auprès des patients. Et dans le privé,
il paye encore plus. Est-ce que c’est un contexte ? Ici, par exemple, on a déjà eu la réflexion : «
mais vous êtes payé pour ça ». Mais, bon, est-ce que c’est une histoire de contexte actuel, enfin
contexte actuel, aujourd’hui mais bon. Après, forcément, si tu as de plus en plus de paperasse, ben
tu passeras de moins en moins de temps avec ton patient, donc, forcément, au niveau de la relation,
même si ton patient, il reste un mois, ben, tu le connaîtras forcément moins bien que si tu avais pas
du tout de paperasse, de téléphone ou quoi que ce soit. De toute façon, c’est certain que le métier
d’infirmière évolue, on demande maintenant en plus du soin qui est très technique, tu as les rendez-
vous à prendre, il manque du personnel pour les accompagner. On est moins nombreuses peut-être,
ou les patients sont plus lourds, je ne sais pas. C’est vrai qu’on demande de plus en plus, style, ben,
on va devoir préparer les médicaments, ranger la pharmacie, l’ordinateur maintenant aussi. Dans
l’administratif, ce n’est pas obligatoirement que les papiers ou mais on a, oui, on a moins en moins
de temps à passer avec les patients. Entre les ordis, les prises de rendez-vous, le temps de répondre
aux familles, t’es bien obligé parce que tu conçois qu’ils s’inquiètent. Donc, au bout d’un moment
oui, tout le temps que tu perds entre guillemets avec les ordis, les papiers, les familles, ben tu ne le
passes pas avec ton patient. Donc obligatoirement, t’as moins de temps à passer avec eux donc tu
parles moins, et quand tu sais que t’as que 7 heures 30 pour tout faire, et que tu sais perpétuellement
que tu arrives et que tu seras à la bourre. Tu fais tes soins, parce ce qu’il faut qu’ils les aient, tu ne
vas pas prendre ton temps quoi, tu vas les faires à la chaîne et plus vite t’auras fait et plus vite
t’auras fini et plus tu sais que t’auras le temps pour faire autre chose, quoi. Donc, forcément, ta
relation avec ton patient, elle n’est pas du tout comme on aimerait. C’est sûr que je préfèrerais
quand même avoir le temps de répondre à mon patient correctement, mais c’est vrai que, des fois,
pour élargir un petit peu, c’est-à-dire que maintenant on est plus ou moins au rôle, que, t’as la
distribution des médicaments, t’as un tas de tâches, t’as un patient qui sonne et en même temps tu as
les toilettes, tu te retrouves coincée. Et appeler les collègues ? On est dans la chambre mais tu sais
qu’à côté, il faut que tu repiques, que tu re-sondes, que ci que là et que t’es seule. Quand je suis
arrivée là, c’était encore le dossier papier, on perdait trois fois moins de temps qu’avec l’ordinateur.
Donc, tout le temps qu’on perd à attendre que l’ordinateur veuille bien accepter toute nos
validations, c’est du temps qu’on passait avec les patients, donc là forcément le patient tu le vois
moins. L’ordi, il plante, ce n’est pas lié au fait que ce soit informatisé mais c’est lié au fait que ça
prenne beaucoup de temps à accepter toutes nos validations, qui fait qu’on, je veux dire le matin,
celle qui pique tous les bilans, elle met facilement une demi-heure pour tout valider. Donc, la demi-
heure qu’elle met à valider, forcément elle la passe pas avec un ou deux patients. Après, tu le fais
hein, tu prends ton temps, tu t’assoies, tu discutes mais au bout d’un moment, t’es obligée de dire
stop, je reviendrai tout à l’heure, parce qu’il faut que j’avance et si, à telle heure je n’ai pas fini, il
m’en reste encore dix, et si à telle heure je n’ai pas fini, ça va mettre tout le monde dans la panique
quoi. Mais, en même temps, quand même, c’est vrai que les cahiers, toi qui connais les Cyprès
aussi, ben, tu vois, ils font même les transmissions écrites sur l’ordi. Et donc c’est galère quoi, tu
sais jamais ce qui il y a d’écrit dedans parce que tu n’as pas forcément le temps. Le matin, tu prends
une demi-heure pour lire ce qui il y a d’écrit et tout, tu perds un temps fou. Après, écrire, le papier,
c’est vrai que c’est beaucoup plus accessible, beaucoup plus rapidement. Maintenant, c’est vrai que
quand c’est sur ordi, ça permet une lecture, notamment au niveau des prescriptions médicales. Moi
je trouve que c’est plus confortable quand même, quelqu’un qui est dans le service et qui a
l’habitude de lire l’écriture du médecin. Mais moi qui fais de l’intérim, je n’arrive pas à lire ce qui il
y a d’écrit. Mais c’est vrai que ce n’est pas que l’informatique, mais on nous demande de plus en
plus, un petit peu de partout, de faire de plus en plus de choses. On fait de plus en plus dans
l’administratif au détriment des patients. Mais c’est vrai que l’administratif, avant, moi qui ai un
diplôme d’état de plus de 20 ans, même si, entre temps, j’ai pas travaillé à l’hôpital ou autre, ben je
n’ai pas de souvenir qu’on nous demandait tout ça. D’ailleurs, on avait les feuilles de soins, on
n’avait pas de dossier médical, comme ça, là, infirmier, on avait la feuille de soins au pied du lit,
voilà quoi. Alors, après, je ne dis pas que le truc au pied du lit, pour la confidentialité…
L’évolution, elle est bien mais c’est vrai qu’on nous rajoute toujours plus d’informatisation. Mais
même quand ce n’est pas l’administratif qu’on te rajoute, c’est le nombre de patients, donc
forcément, sans parler d’administratif, ils nous ont quand même rajouté 4 lits d’hôpitaux de semaine
qui veulent passer en hospitalisation traditionnelle. Donc, forcément, 4 patients de plus, tu te dis,
c’est du temps en moins que je vais devoir passer avec les autres pour que je puisse m’en occuper
aussi. Donc, c’est pas essentiellement lié à l’administratif, c’est lié à tout, à l’administratif, à ta
charge de travail même si tu sais que tu le fais pas et que ta collègue te prendra tes rendez-vous
parce que tu sais que tu as trop de soins, donc tu sais que si c’est pas toi qui va le faire parce que
t’auras pris un peu plus de temps avec ton patient mais ta collègue, donc, elle forcément, le temps,
elle va le passer en moins avec ses patients. Ce n’est pas lié essentiellement à l’administratif, c’est
aussi lié à la charge de travail. Maintenant, on travaille que 7h36 au lieu de 8h, quoi, pour la même
tache qu’on fait en 8 heures. Voilà, les filles partent bien après leur temps de travail. C’est tous les
jours comme ça.
Problématique : Le monde hospitalier est en constante évolution. Les pratiques infirmières, sont de ce fait en pleine évolution également. La question que je me pose est :« Dans le contexte du monde hospitalier d’aujourd’hui, les pratiques infirmières qui en découlent peuvent-elles influencer sur la prise en soin relationnel singulière auprès des patients ?
Résumé :Au cours de mes différents stages, j’ai pu me rendre compte de la difficulté de certains soignants à pouvoir réaliser leur métier comme ils le souhaiteraient. En vue d’étudier le sens de ces pratiques, j’ai développé mon cadre conceptuel autour des notions de l’évolution de la médecine, le soin relationnel, et la prise en soin singulière auprès des patients. La théorie m’a permis de me rendre compte que mes représentations étaient fondées sur un aperçu de la pratique infirmière en tant que stagiaire. Lors d'entretiens non-directifs auprès d’infirmières essentiellement, ces différentes rencontres m’ont permis d’établir des liens entre représentation et ce que ressentent réellement les soignants sur le terrain. De plus, ils m'ont amené à comprendre que bien d’autres notions entraient en jeu.
Abstract : Throughout my training course in various hospitals, I have realized how difficult it is for some of the nursing staff to perform their job as they'd like to do. So as to study nursing practices, I have focused my attention on the evolution of medecine, the human factor involved in health care and the specific care brought to each patient. Theory has enabled me to understand that my representations were founded on a glimpse of nursing practises as a trainee. Interviewing mainly nurses with non-directed questions, I could establish links between representations and the real
feelings of nurses at work. Besides, these interviewes have made me realize that many other notions come into play.
Mots clés: Evolution de la médecine - Pratique infirmière - Relation - Prise en soins - Soignant - Soigné - Patient - Singularité.Keywords :Evolution of medecine - Nursing Practice - Relationships - Care-nursing - Nurse - Nursed - Patient-Singularity.