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Juin 2010 74 La Belgique, microcosme de l’Europe ? Annick Jamart * QUE la Belgique semblait jolie ces derniers mois ! Les médias étran- gers, lors du choix de son Premier ministre, Herman Van Rompuy, comme premier président du Conseil européen, titraient sur sa « sta- bilité retrouvée ». En Belgique, après les difficultés de former un gou- vernement issu des élections de juin 2007, les démissions en série d’Yves Leterme, l’intermède d’Herman Van Rompuy, les francophones voulaient croire, ces derniers mois, en un Yves Leterme redevenu Premier ministre. Diable, l’homme déclarait trouver une valeur ajou- tée à la Belgique! Quant à B.H.V. 1 , le plombier royal Jean-Luc Dehaene allait le résoudre pour Pâques (ou à la Trinité…) et l’épée de Damoclès d’un vote parlementaire « communauté contre commu- nauté » s’évanouissait. Le 1 er juillet 2010, la Belgique allait accéder à la présidence de l’Union européenne : pas question disait-on d’étaler nos divergences communautaires ! La grande réforme institutionnelle que redoutaient tant les francophones pouvait donc, avec la prési- dence européenne, être reportée après les élections de 2011. Ouf ! Tout allait donc pour le mieux sauf que… le lion flamand rugissait de temps à autre par la voix de Bart De Wever dont l’aura ne cessait de grandir en Flandre. À juste titre, il faisait remarquer que le gou- vernement n’avait pu engranger la moindre avancée institutionnelle, qu’il ne disposait d’aucune majorité parlementaire flamande depuis le retrait de son parti (la N-VA), qu’aucune solution au problème de * Voir ses précédents articles sur la Belgique : Annick Jamart, « Belgique : le modèle fédéral a vécu », Esprit, août-septembre 2008, p. 225-227 ; id., « Belgique, un séparatisme qui ne dit pas son nom ? », Esprit, mars-avril 2008, p. 183-210 ; id., « La Belgique dans l’attente de son avenir », Esprit, octobre 2007, p. 174-182. 1.Initiales pour arrondissement judiciaire et électoral de Bruxelles, Hal, Vilvorde. Sa scis- sion en a été votée en commission de la Chambre le 7 novembre 2007. Depuis lors, le vote à la Chambre en est reculé par diverses procédures de conflits d’intérêts. Il est inéluctable si une solution négociée n’est pas trouvée. Voir A.Jamart, «Belgique, un séparatisme…, art. cité, p. 201.

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  • Juin 2010 74

    La Belgique, microcosme de lEurope?

    Annick Jamart*

    QUE la Belgique semblait jolie ces derniers mois ! Les mdias tran-gers, lors du choix de son Premier ministre, Herman Van Rompuy,comme premier prsident du Conseil europen, titraient sur sa sta-bilit retrouve . En Belgique, aprs les difficults de former un gou-vernement issu des lections de juin 2007, les dmissions en sriedYves Leterme, lintermde dHerman Van Rompuy, les francophonesvoulaient croire, ces derniers mois, en un Yves Leterme redevenuPremier ministre. Diable, lhomme dclarait trouver une valeur ajou-te la Belgique ! Quant B.H.V.1, le plombier royal Jean-LucDehaene allait le rsoudre pour Pques (ou la Trinit) et lpe deDamocls dun vote parlementaire communaut contre commu-naut svanouissait. Le 1er juillet 2010, la Belgique allait accder la prsidence de lUnion europenne : pas question disait-on dtalernos divergences communautaires ! La grande rforme institutionnelleque redoutaient tant les francophones pouvait donc, avec la prsi-dence europenne, tre reporte aprs les lections de 2011. Ouf !Tout allait donc pour le mieux sauf que le lion flamand rugissait

    de temps autre par la voix de Bart De Wever dont laura ne cessaitde grandir en Flandre. juste titre, il faisait remarquer que le gou-vernement navait pu engranger la moindre avance institutionnelle,quil ne disposait daucune majorit parlementaire flamande depuisle retrait de son parti (la N-VA), quaucune solution au problme de

    *Voir ses prcdents articles sur la Belgique : Annick Jamart, Belgique : le modle fdrala vcu , Esprit, aot-septembre 2008, p. 225-227 ; id., Belgique, un sparatisme qui ne ditpas son nom? , Esprit, mars-avril 2008, p. 183-210 ; id., La Belgique dans lattente de sonavenir , Esprit, octobre 2007, p. 174-182.1. Initiales pour arrondissement judiciaire et lectoral de Bruxelles, Hal, Vilvorde. Sa scis-

    sion en a t vote en commission de la Chambre le 7 novembre 2007. Depuis lors, le vote laChambre en est recul par diverses procdures de conflits dintrts. Il est inluctable si unesolution ngocie nest pas trouve. Voir A. Jamart, Belgique, un sparatisme, art. cit,p. 201.

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    B.H.V. ntait, en fait, en vue. Et que, par consquent, le Parlementvoterait, sans tat dme, la scission de cet arrondissement, pendantedepuis le 7 novembre 2007. Trois lments lourds qui ne faisaientquexacerber lopinion flamande consensuelle sur tous ces points etqui irritaient le Parlement flamand issu des lections rgionales de2009.Ces dernires semaines, on ne pouvait que pressentir lchec de la

    mission de Jean-Luc Dehaene, charg de trouver une mthode permettant au gouvernement de ngocier ce brlot qui empoisonnetoute la vie politique belge depuis prs de dix ans. On ne voulait passe demander ce quil adviendrait du gouvernement aprs le vote in-luctable la Chambre en cas dchec des ngociations. Politique delautruche, moins que les responsables francophones, malgr leursdclarations, aient accept, sans se lavouer, les consquences dunemesure qui, aux yeux des Flamands, nest que la consquence admi-nistrative des dcisions lgislatives de 2002 et des arrts de la Courdarbitrage de 2003 ? Pour prix dun maintien du gouvernement ? Pos-sible, car cette coalition de bric et de broc, sortie grand-peine deslections de 2007, ne tenait, malgr sa dclaration gouvernementale,que par son immobilisme et son incurie devant la ralit de la Bel-gique. Ajoutons, son inconscience et son manque de responsabilit :quand la majorit de la population dun pays se prononce pour unchangement institutionnel, le gouvernement a la responsabilit dentre lcoute.Avec lchance du couperet parlementaire flamand en ce prin-

    temps, le gouvernement tait assis sur un bloc de dynamite. Mais lal-lumette vint de l o on lattendait le moins : du sein mme du gou-vernement ! Du parti libral flamand, prsid depuis quelques moispar un nouveau venu en politique, Alexander De Croo. Jeune hommedistingu, brillant businessman, diplm des prestigieuses universitsanglo-saxonnes, habile dans le monde des affaires et des start-up. luen dcembre dernier la tte dun parti libral flamand divis, quisen allait en quenouille auprs des lecteurs flamands sans aucundoute parce que trop peu vers dans le communautaire , le voil quise retire du gouvernement en posant un ultimatum irralisable.Alexander De Croo, qui sest fait un prnom, a pris le monde poli-tique tout entier de court, surpris les ditorialistes flamands les plusaviss. Il a cru quon pouvait faire de la politique comme on fait desaffaires dans ce milieu de la finance des golden boys : par un auda-cieux coup de poker. Il croyait, par ce geste inconsidr, rafler lamise pour son parti et retourner dans une salutaire cure dopposition.Il na pas song, en ces semaines cruciales, la responsabilit gou-vernementale de son parti, et encore moins la Belgique, laquelle ilse dit attach . Car, par son geste irresponsable, il a empch toutengociation.

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    Mais celle-ci aurait-elle t possible ? On peut en douter Ren-dons-lui cette justice en reconnaissant que la situation tait bloque.Fin stratge, a-t-il tout simplement voulu mettre fin au carrousel dureport continuel de la ngociation2 ? Les consultations royales nontpu empcher la machine infernale de se mettre en route : chute dugouvernement, impossibilit de former une autre coalition (les socia-listes flamands ont refus de monter au gouvernement) et lectionsanticipes. Elles auront lieu le 13 juin.

    Des lections pour quoi faire?

    Oui, pour quoi faire ? En 2007-2008, les francophones ont refus langociation dune grande rforme de ltat que rclamait la Flandreunanime. Ctait une erreur. Depuis plus de dix ans, deux conceptionsdiffrentes du devenir de ltat sopposent en Belgique.Demain, quel que soit le rsultat des lections, la rsolution de

    B.H.V. sera indispensable et la coalition ne pourra se faire que sur labase dun accord institutionnel. L-dessus, les Flamands serontintransigeants. Il ne pourra y avoir de gouvernement sans cette pr-misse rsolue. La rforme de ltat qui fera de la Belgique, tat fd-ral ou con(co)fdral les mots nont pas dimportance , unecoquille quasi vide est invitable. Les francophones, sils veulentmaintenir la Belgique, doivent sy rsoudre.Mais qui ngociera ? Il ne faut pas tre grand analyste politique

    pour annoncer, sans trop se tromper, le grand vainqueur des lec-tions. Ce sera, en Flandre, la N-VA de Bart De Wever, un parti sortides dcombres de la Volkunie en 2001 et qui, depuis 2003, connatune ascension fulgurante3. La N-VA va trs vraisemblablement tirerles ficelles de la Flandre dans lavenir, bien plus que le parti catho-lique. Ce parti non issu des piliers traditionnels, sans beaucoupdappareil politique, mais rcoltant ladhsion dans ses rangs dim-portantes personnalits du monde intellectuel, financier ou entrepre-neurial, vient de rafler, pour les lections, une grosse pointure mdia-tique. Un parti qui se dclare rsolument sparatiste et rpublicainmais qui accepte stratgiquement, dans un premier temps, de viser seulement une autonomie dans le cadre de la Belgique. Un partidmocratique, un brin populiste certes, qui peut compter dans sa

    2. Jean-Luc Dehaene avait reconnu quelques jours plus tt, en mettant brutalement fin samission, son impossibilit.3. Yves Leterme stait mis en cartel avec ce parti nationaliste et ouvertement sparatiste

    afin de remporter les lections de 2007. En 2008, le cartel est rompu et la coalition gouverne-mentale na plus de majorit flamande au Parlement. La N-VA obtient 13,1% des suffrages auxlections rgionales de 2007 et des postes trs importants au gouvernement flamand actuel. Onla crdite de prs de 25% des voix, voire plus.

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    radicalit autonomiste, sur le soutien des partis populiste-poujadisteet dextrme droite flamands. eux trois4, combien totaliseront-ils demembres dans le nouveau parlement ? 40%? Plus ? La majorit ? LaN-VA, un parti que le Roi se devra de recevoir Vainqueur donc ouau coude coude avec le parti catholique (CD&V) qui sera emmenpar sa prsidente et tte de liste Yves Leterme se retire , lintransi-geante ex-dpute europenne Marianne Thyssen5. Celle-ci peut ten-ter dapaiser les francophones en dclarant, mue, quelle ne veutpas la fin de la Belgique , cest elle qui, il y a quelques semaines,avouait essayer de vouloir comprendre les francophones mais ne pasy arriver Quant au parti de celui par qui le scandale est arriv, leparti libral (Open VLD) regagnera-t-il une partie de son audienceperdue ? Rien nest moins sr, malgr son coup de gueule communau-taire. Le parti socialiste flamand (SP-A), qui fut dans les derniresheures du gouvernement son dernier joker il refusa de monter augouvernement et de le sauver , retrouvera-t-il en Flandre une partiede son aura ? Bref, en Flandre, la tendance irrversible pour une exi-gence dautonomie trs large de tous les partis se conjuguera avecune clatante victoire des nationalistes.

    Du ct francophone, il est clair que le parti socialiste retrouverasa premire place. Paul Magnette le trs probable successeur dEliodi Ruppo et Rudy Demotte sont parvenus dbarrasser le parti deses fauteurs de scandales et de sa corruption organise. Il se dit prt ngocier et tablir un fdralisme de prosprit . Les humanistes le parti du Non en 2007 et les colos se tailleront une joliepart de succs, tandis que le parti libral sera le grand perdant. Ainsivont les choses pour ce parti qui avait pens renverser durablement lepouvoir socialiste en Wallonie. Paradoxe, le FDF dOlivier Maingain,avec qui il est en cartel et qui lui assure une jolie place Bruxelles,est le pendant objectif de Bart Dewever : avec ses moulinets verbauxet son intransigeance dans une dfense des droits des francophoneset de llargissement de Bruxelles [sic] , Olivier Maingain est aussile grand responsable des checs successifs de toute ngociation.

    Le 13 juin, le Parlement sera donc encore et toujours un kalido-scope dautant plus bigarr dans ce pays au scrutin proportionnelquil ny a plus de partis fdraux et que la Flandre fera la part belle trois partis nationalistes. Les lections creuseront, une fois de plus,lcart entre des tendances sociopolitiques inverses entre Flamandset Wallons. Une Flandre de centre droit et une Wallonie de centregauche. la tte des diffrents partis et il en faut beaucoup pour

    4. La liste De Decker (LLD) et le Vlaamse Blok qui verraient reculer leurs lecteurs.5. Celle-ci tomberait moins de 20% des intentions de vote et perdrait son leadership en

    Flandre.

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    former une majorit gouvernementale des personnalits qui avouentnavoir aucun point commun avec leurs homologues venus de lautrecommunaut. On est dfinitivement loin des lites encore en placedans les annes 1990, lors de la dernire grande rforme, pour qui laBelgique avait encore un sens. Comment dans ces conditions ngo-cier ? La machine infernale du compte rebours a-t-elle commencou une sagesse devant la gravit de la situation prvaudra-t-elle ?

    La morale dans tout cela

    Il nest pas prsomptueux de dire que la Belgique est un micro-cosme de lEurope , une plaque sensible de ce qui sy dessine, unlaboratoire6. Quy voyons-nous ? Un pays fragilis par un dchirementcommunautaire. On y reviendra.Mais, au vu de lvnement immdiat, un ultimatum indcent et

    une incurie gouvernementale de prs de trois ans, cest dun dlite-ment total de la responsabilit politique dont il faut parler. Larforme de ltat est lenjeu du maintien de la Belgique dans le cadredune situation socio-conomique mondialement difficile. Les misesau frigo , habituelles autrefois, ne sont plus possibles devant lacc-lration de la distanciation des deux communauts. Depuis ces der-nires annes, les Flamands ont signifi, par leurs choix lectoraux,leur ras-le-bol devant lenlisement constant de leur demande dunerforme profonde du systme institutionnel. Une rforme qui met enjeu le maintien de la scurit sociale, de la solidarit nationale7. Maisqui est, cependant, essentielle pour la majorit des citoyens de cepays. Est-il moral, alors, de jouer aux calculs lectoraux sordidescomme le firent bon nombre de partis francophones en ne prenant pasle problme bras-le-corps, et aujourdhui lOpen VLD en lchant enpleine ngociation le gouvernement ? De se dchirer de manirehonte comme le firent dernirement sur les plateaux de tlvisionles dirigeants francophones, oublieux dlaborer un projet commundavenir ? Et ce, un moment o lon voit les tats tre de faonrcurrente la proie de financiers avides et sans scrupule dans uncontexte socio-conomique des plus dprims ? lautomne 2008, laBelgique a eu un sursaut en mettant fin lattaque de ses banques8.Bref, en faisant jouer ltat son rle de protection. Limmobilismecoupable de son gouvernement avec ses rocambolesques dmissions

    6.Voir le remarquable article dve Charrin, La Belgique, vertige de lEurope , Esprit,mars-avril 2009, p. 31 sqq.7. Voir les articles dA. Jamart, supra, p. 74.8. Elle a d en payer le gros prix en vendant un de ses fleurons Mais elle sauva les

    meubles rapidement.

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    Leterme dmissionna cinq fois en trente-six mois, pour renatre chaque fois tel le Phnix , labsence prvisible de gouvernementdans les mois venir, dmontrent la fragilit extrme et limpuissancedun systme institutionnel parvenu au bout de sa crdibilit.

    Ce vide politique, quasi constant, symbolise, en quelque sorte,labsence de force politique commune en Europe. Tout comme en Bel-gique, ces dernires annes, il peut y avoir, tel laccord actuel pour sauver la Grce , des actions ponctuelles. Mais lEurope ne par-vient pas se dfinir comme force politique. Ce nest pas son prsi-dent actuel, le Belge Van Rompuy, qui tentera de jeter des ponts par-dessus les divisions nationales du chacun pour soi et de lui insufflerune dynamique. Na-t-il pas t choisi, en fait, pour sa facult de ri-fier les choses et bien sr dinaugurer les chrysanthmes ? Que fait,qua fait depuis une dizaine dannes, la Belgique qui fut une nation,en ne parvenant pas accommoder raisonnablement [sic] ses deuxcommunauts ? La Belgique est aux prises avec ses vieux dmonscommunautaires sans chercher, par manque de volont politique, les rsoudre. Et que fait lEurope, par ses atermoiements continuels,par ses luttes dinfluence intestines entre ses tats-nations ? Enreprenant cette expression du grand historien du dbut du XXe sicle,Henri Pirenne, Belgique microcosme de lEurope et en lui don-nant une signification politique, nous ne cherchons pas tablir desparalllismes l o il ny en a pas. Mais, tout comme la Belgique a ledevoir moral dassumer le pass de son tat, ses erreurs, la diversitde ses cultures et de ses composantes politiques actuelles (les com-munauts et des rgions), lEurope a assumer la reconnaissance deses divers tats nationaux en une forme politique reconnue commetelle sur le plan international. Ou alors, quelle cesse dexister. Toutcomme la Belgique.

    Enfin, que devient la politique aujourdhui, le devenir de ltatquand on voit les financiers se jouer deux, en des doubles clics desalles dordinateurs ? Quand on voit Alexander De Croo, un jeuneconomiste financier trs brillant, entrer en politique pour faire decelle-ci une salle de poker sans souci du bien commun ? Fils dun deshommes politiques les plus respects de Flandre et de Belgique, il ajou la carte de lambition par un geste irresponsable. On peut songer une cure dopposition pour son parti mais on na pas le droit moralde le prfrer un accord de coalition gouvernementale un momentcritique. Est-ce l la figure future de lhomme politique nouveaudevenu un joueur et un homme du spectacle mdiatique avant dtreun homme de responsabilit ? Spectacle mdiatique Alexander DeCroo, inconnu il y a quelques semaines encore dans lopinionpublique, fut de tous les plateaux de tlvision, de toutes les radios.Bart De Wever doit son succs, en bonne part, grce son

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    charisme tlvisuel. La Flandre ne voit plus que par lui9 comme,il y a quelques annes, elle le fit pour le prsident bien oublidepuis lors du parti socialiste flamand, Patrick Janssen, qui enpleine campagne lectorale publia un livre de cuisine. Pim Fortuynaux Pays-Bas fut aussi de ceux-l. Et lon pourrait allonger la liste enEurope : songeons ce que devient la politique en Italie, avec Berlus-coni, ou ailleurs.Nos socits dmocratiques seraient-elles devenues rellement des

    socits du spectacle o lon ne demande nos reprsentants quedassumer un rle damuseur ? Si la publicit des dbats parlemen-taires est une composante essentielle de la sphre publique de nosdmocraties, le jeu continuel des mdias en est une plaie. Les rac-tions immdiates des hommes politiques, la dramatisation continue,le show perptuel, la privatisation de lhomme public se prtant auxjeux tlviss les plus incongrus, le parti pris motionnel on se sou-vient du succs de lexpression princesse du peuple avec lequelsurfa un Tony Blair minent la scne publique. Que devient la poli-tique, le politique dans ces conditions ? Un jeu. Il ny a plus non plusde presse dopinion, mais des mdias accrditant un point de vueunique. En Belgique, les mdias francophones nont de cesse de dia-boliser la Flandre : quelle part de responsabilit portent-ils dans lacrise actuelle ? Pourquoi stigmatisent-ils toujours un Bart De Weveret jamais un Olivier Maingain au discours populiste et provincial face au devenir institutionnel de la Belgique ? Ltanchit entre lescommunauts quant linformation est totale : il ny a plus dopinionpublique belge et on peut en mesurer les consquences. La misre decette situation ne fait que rfracter la situation europenne. Y a-t-ilune opinion publique europenne. aujourdhui ? Non, et on peut aussien constater les rsultats.

    La Belgique, un navire en perdition?

    La situation actuelle a une longue histoire. On a dj eu loccasionde sen expliquer dans cette revue10. Mais rsumons brivement lasituation. Cest dans les annes 1960 que la question linguistiquedevint une question communautaire et vit la fin des partis unitaires.Cest en 1992-1993 que la Belgique devint un tat fdral garantis-sant la protection de la minorit francophone. Curieusement, celle-cinaccepta que douloureusement le fait, rvant toujours dune Bel-gique unitaire o lon parlait franais dOstende Arlon. Consciem-

    9. Il fut le finaliste de lmission culturelle de la VRT regarde par tous en Flandre en 2009.Les plateaux tlvisuels politiques sarrachent ce dbatteur redoutable, lhumour mordant.10. Voir A. Jamart, Belgique, un sparatisme, art. cit.

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    ment ou inconsciemment, ce rve la amene refuser de ngocier lesrevendications excessives de la Flandre afin de parachever cet tatfdral. Les rformes commences en 1970 quand le Premierministre dclara que la Belgique tait dpasse par les vne-ments furent faites sans plan prtabli, et la constitution de 1993,les rformes de 2001-2002 grvent ltat dun manque de cohrence,de clart et defficacit. Osons le reconnatreLe problme est pour nous trs clair : lintrieur de la Belgique,

    une nation flamande sest constitue et elle rclame une trs largeautonomie. Ne parlons pas de faon pjorative de nationalisme. Ilsagit de nationhood dans le sens anglo-saxon du terme. La majoritdes lecteurs flamands nest pas hostile la Belgique comme tat.Les Belgi barst (Que crve la Belgique ! ) ructs sporadiquementpar les membres du Vlaamse Blok ne reprsentent quune trs petiteminorit. Les Flamands sont hostiles aux francophones qui refusentde parachever un tat, devenu fdral, dans le sens dune trs largeautonomie des communauts qui le composent. Que la Flandre sepense aujourdhui comme une nation au sein de ltat belge, est-cepour cela la fin de la Belgique ? Rien nest moins sr, heureusement !Si la Flandre est exacerbe par le refus francophone, elle sait

    quune large autonomie au sein dune fdration ou con(co)fdrationest la meilleure solution. Et cest ce que dfendront ses partis poli-tiques dans la campagne lectorale. Elle nignore pas que Bruxelles,sa capitale, est le verrou de la Belgique. Bruxelles ce tiers, tard venu,dont la reconnaissance en 1989 comme Rgion, fut la plus grandedfaite du mouvement flamand. Il est devenu impossible aujourdhuide dpecer la Belgique en deux communauts qui auraient se parta-ger la gestion de Bruxelles. Mais pourra-t-on se partager la fiscalit,lemploi, la scurit sociale bref, tout ce qui fait encore la sve destats nationaux et qui na pas t dlgu lEurope, et dfinir unsocle fdral ce que nous avons en commun ? Voil lenjeu. EtBruxelles, avec ses problmes dlargissement, de refinancement etde statut, reste la clef de vote de lexistence de la Belgique commetat.

    Un nouveau pays?

    Il ny a plus de famille politique unitaire : tout lu politique nestresponsable quau sein de sa propre communaut. On ne se connatplus, culturellement et politiquement parlant. LEurope a vit cetcueil : ses reprsentants, issus dlections organises nationalement,se regroupent, Strasbourg, par tendances idologiques. Cest aveccet handicap fondamental on ne connat pas dtats fdraux sanspartis nationaux que les lus du 13 juin 2010 devront dfinir ce

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  • quils veulent mettre en commun dans la nouvelle architecture insti-tutionnelle. On ne peut plus se livrer la logique de dpeage qui aprvalu jusqu aujourdhui11.Le compromis la belge qui fut porteur davances institution-

    nelles remarquables la Belgique reconnat la parit la minoritfrancophone est us. Il faut un nouveau pays a dclar Bart DeWever. Il sest engag une volution qui fasse des rgions le centrede gravit du systme . Il a donc renonc au sparatisme. Comme leministre-prsident flamand en 2007, il appelle tablir un nouveaurapport de force entre les entits fdres et le niveau fdral. LesFlamands demandent que les francophones mettent fin leur frustra-tion de voir continuellement rejet ce qui est une priorit pour eux :une autonomie plus grande. Depuis 1970, quand la Belgique sestengage dans la rforme de ses institutions, elle a mis au point desmcanismes subtils qui font que la majorit (la Flandre) ne peutjamais imposer sa volont. Ceci impliquait que la minorit (les fran-cophones) acceptait de ngocier Cette disposition a toujours trespecte. Or, en 2007, il y a eu blocage complet avec comme cons-quences, un non-gouvernement, un vote en commission sur B.H.V.,communaut contre communaut et le pitoyable dnouement actuel.Ce 6 mai 2010, lors de la dissolution des Chambres, il a fallu que

    ce soit un dput de la N-VA qui dclare : Il faudra que nous par-lions srieusement de ce que nous voulons faire ensemble. Les fran-cophones doivent entendre ce message que partage toute la Flandreet accepter de rorganiser ltat. Accepter de voir ce qui, en donnantune autonomie accrue aux entits, peut tre fait dans ces domainesimportants que sont la loi de financement, la scurit sociale, lem-ploi, la justice. Les Flamands, dans leur souhait confdral, doiventcesser de voir la Belgique partage en deux communauts et accepterque la nouvelle gographie institutionnelle fasse place Bruxellescomme rgion part entire, voire aussi, dans la foule, la commu-naut germanophone. La Belgique sera quatre ou elle ne serapas dclarait rcemment son ministre-prsident12. En 1993, Jean-Luc Dehaene affirmait que le fdralisme belge tait intrinsquementli au fdralisme europen. Si lon peut esprer que lEurope poli-tique devienne une ralit, il est possible que la forme politique quireste imaginer en Belgique en soit un modle .

    Annick Jamart

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    11. Le fdralisme belge sest construit sans plan prtabli. Ltat central se dlestait de sesprrogatives au fil des ngociations o chacun donnait et recevait dans un marchandage quili-br. Cest un renversement de logique que lon doit assister aujourdhui.12. Nous avons dfendu les raisons de cette volution dans cette revue en 2008. Ce point de

    vue se rpand aujourdhui. Voir Philippe Van Parys, Le soir, 29 avril 2010, p. 7.

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