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Chapitre 1 Du plein emploi au chômage de masse collage de fragments (manque la dernière version de Norbert) Les coordonnées macro-économiques de la nouvelle conflictualité Michel Husson, L’année sociale 2002 (dir. S.Béroud et R.Mouriaux), Syllepse. La période récente (1997-2001) combine plusieurs phénomènes : embellie de l’emploi, 35 heures, et remontée de la conflictualité sociale. Elle est dominée par deux paradoxes qui n’en font peut-être qu’un. Au niveau politique, les dernières élections municipales ont montré que le gouvernement était privé des profits qu’il pouvait raisonnablement attendre d’une incontestable amélioration de la situation sur le front de l’emploi. Sur le plan social, les luttes contre les licenciements ont acquis une vigueur et une légitimité renouvelés alors même que le nombre de ces licenciements n’a jamais été aussi bas depuis au moins quinze ans. C’est ce dernier paradoxe que nous voudrions éclairer en montrant comment la nouvelle conflictualité peut s’analyser en relation avec les aspects contradictoires de la conjoncture et des politiques économiques menées. L’embellie de l’emploi L’amélioration quantitative est indéniable. Dans le secteur privé (hors administrations et agriculture) les effectifs salariés ont augmenté de 284 500 en 1998, 407 300 en 1999, 540 700 en 2000 et de 166 200 sur la première moitié de l’année 2001. Pour l’ensemble de l’économie, on peut évaluer à 1 600 000, le nombre de créations d’emplois depuis juin 1997. La progression enregistrée en 2000 – de 3,6 % en un an – constitue un record absolu pour le dernier demi-siècle. Elle est particulièrement vive dans le secteur de la construction (+ 4,8 %) et dans le tertiaire (+4,3 %) mais ne laisse pas les industries à l’écart. Dans ce secteur, les effectifs, pour la première fois depuis trois décennies, ont cessé de reculer et ont même enregistré une progression, avec 70 000 emplois créés (+1,7 %). Grâce à ce dynamisme de l’emploi, le taux de chômage a été ramené de 12,6 % en juin 1997 à 9% en janvier 2001. Alors que celui-ci oscillait autour de trois millions de personnes au cours des années 1995-1997, les effectifs concernés ont baissé à un rythme accéléré. La diminution a été de 126 600 en 1998, de 339 400 en 1999, et de 421 600 en 2000. Entre le sommet de juin 1997 (3 137 500 demandeurs d’emploi) et le point bas d’avril 2001 (2 063 100 demandeurs d’emploi), la baisse totale aura été de plus d’un million de personnes. Le niveau du chômage en avril 2001 était à son niveau le plus bas depuis janvier 1984. L’ampleur du recul du chômage est sans doute surestimée par l’indicateur officiel de l’ANPE, dans la mesure où les autres catégories de demandeurs d’emploi ont continué à augmenter plus rapidement. Entre juin 1997 et juin 2001, le nombre de personnes demandant un emploi à temps partiel ou en CDD, ou qui travaillaient plus de 78 heures par mois, a augmenté de 371 400, réduisant d’autant le recul du chômage toutes catégories confondues. Si l’on ajoute à ce phénomène les radiations d’emplois, et le temps partiel contraint, on constate que l’indicateur officiel ne représente que 47 % de l’ensemble des personnes en sous-emploi ou en chômage contre 61 % en 1996 et 75 % en 1981 (CERC-Association 2001). Cette baisse du chômage est relativement homogène, avec cependant un certain avantage aux hommes (baisse de 17,5 % du chômage en 2000, contre 16,4 % pour les femmes) et un désavantage pour les plus de 50 ans (baisse de 12 % contre 17,8 % pour les autres catégories). Pour le reste, la baisse du chômage s’accompagne d’une certaine amélioration de la structure du chômage. Ainsi, le chômage des jeunes a reculé au même rythme que celui des adultes de moins de 50 ans. Le nombre de chômeurs de longue durée a baissé plus vite que la moyenne (- 27% en trois ans contre - 23%). L’animation du marché du travail

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Page 1: 1hussonet.free.fr/gresil64.doc · Web viewUne étude plus fine montre que la proportion de salariés à temps partiel qui déclarent vouloir travailler davantage a amorcé une baisse,

Chapitre 1Du plein emploi au chômage de massecollage de fragments (manque la dernière version de Norbert)

Les coordonnées macro-économiques de la nouvelle conflictualitéMichel Husson, L’année sociale 2002 (dir. S.Béroud et R.Mouriaux), Syllepse.

La période récente (1997-2001) combine plusieurs phénomènes : embellie de l’emploi, 35 heures, et remontée de la conflictualité sociale. Elle est dominée par deux paradoxes qui n’en font peut-être qu’un. Au niveau politique, les dernières élections municipales ont montré que le gouvernement était privé des profits qu’il pouvait raisonnablement attendre d’une incontestable amélioration de la situation sur le front de l’emploi. Sur le plan social, les luttes contre les licenciements ont acquis une vigueur et une légitimité renouvelés alors même que le nombre de ces licenciements n’a jamais été aussi bas depuis au moins quinze ans. C’est ce dernier paradoxe que nous voudrions éclairer en montrant comment la nouvelle conflictualité peut s’analyser en relation avec les aspects contradictoires de la conjoncture et des politiques économiques menées.

L’embellie de l’emploi

L’amélioration quantitative est indéniable. Dans le secteur privé (hors administrations et agriculture) les effectifs salariés ont augmenté de 284 500 en 1998, 407 300 en 1999, 540 700 en 2000 et de 166 200 sur la première moitié de l’année 2001. Pour l’ensemble de l’économie, on peut évaluer à 1 600 000, le nombre de créations d’emplois depuis juin 1997.

La progression enregistrée en 2000 – de 3,6 % en un an – constitue un record absolu pour le dernier demi-siècle. Elle est particulièrement vive dans le secteur de la construction (+ 4,8 %) et dans le tertiaire (+4,3 %) mais ne laisse pas les industries à l’écart. Dans ce secteur, les effectifs, pour la première fois depuis trois décennies, ont cessé de reculer et ont même enregistré une progression, avec 70 000 emplois créés (+1,7 %).

Grâce à ce dynamisme de l’emploi, le taux de chômage a été ramené de 12,6 % en juin 1997 à 9% en janvier 2001. Alors que celui-ci oscillait autour de trois millions de personnes au cours des années 1995-1997, les effectifs concernés ont baissé à un rythme accéléré. La diminution a été de 126 600 en 1998, de 339 400 en 1999, et de 421 600 en 2000. Entre le sommet de juin 1997 (3 137 500 demandeurs d’emploi) et le point bas d’avril 2001 (2 063 100 demandeurs d’emploi), la baisse totale aura été de plus d’un million de personnes. Le niveau du chômage en avril 2001 était à son niveau le plus bas depuis janvier 1984.

L’ampleur du recul du chômage est sans doute surestimée par l’indicateur officiel de l’ANPE, dans la mesure où les autres catégories de demandeurs d’emploi ont continué à augmenter plus rapidement. Entre juin 1997 et juin 2001, le nombre de personnes demandant un emploi à temps partiel ou en CDD, ou qui travaillaient plus de 78 heures par mois, a augmenté de 371 400, réduisant d’autant le recul du chômage toutes catégories confondues. Si l’on ajoute à ce phénomène les radiations d’emplois, et le temps partiel contraint, on constate que l’indicateur officiel ne représente que 47 % de l’ensemble des personnes en sous-emploi ou en chômage contre 61 % en 1996 et 75 % en 1981 (CERC-Association 2001).

Cette baisse du chômage est relativement homogène, avec cependant un certain avantage aux hommes (baisse de 17,5 % du chômage en 2000, contre 16,4 % pour les femmes) et un désavantage pour les plus de 50 ans (baisse de 12 % contre 17,8 % pour les autres catégories). Pour le reste, la baisse du chômage s’accompagne d’une certaine amélioration de la structure du chômage. Ainsi, le chômage des jeunes a reculé au même rythme que celui des adultes de moins de 50 ans. Le nombre de chômeurs de longue durée a baissé plus vite que la moyenne (- 27% en trois ans contre - 23%).

L’animation du marché du travail

Du côté de l’emploi aussi, la reprise a entraîné des modifications structurelles. Le phénomène le plus spectaculaire est la montée du travail intérimaire. Entre mars 1997 et 2001, l’enquête emploi de l’INSEE fait apparaître un quasi-doublement des effectifs concernés, qui passent de 330 000 à 605 000 personnes. L’intérim est la figure emblématique de la flexibilité nouvelle du marché du travail, car il permet des délais de réaction à peu près nuls. Cette propriété fonctionne d’ailleurs dans les deux sens, et les effectifs de l’intérim baissent très rapidement depuis le retournement de conjoncture : plus de 100 000 emplois en moins entre janvier et juin 2001.

Cependant, et c’est une grande nouveauté, les autres formes d’emploi dit atypique ont plutôt tendance à reculer et ce phénomène mérite qu’on s’y arrête (tableau 1). Si l’on raisonne sur les emplois nets nouvellement créés dans le secteur privé au cours de cette période, on constate que la part des CDI est prépondérante (78 %), ce qui renverse la proportion observée lors de la période de faible croissance 1990-1997. La part du travail à temps partiel, qui était passée de 11,9 % à 16,6 % entre 1990 et 1997, se stabilise à ce niveau. Une étude plus fine montre que la proportion de salariés à temps partiel qui déclarent vouloir travailler davantage a amorcé une baisse, plus marquée pour les hommes et pour les emplois de durée courte.

Tableau 1. Evolution des structures de l’emploi. France 1990-2000

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1990 variation 1997 variation 2001Emploi total 22322 110 22432 1326 23758Selon les statutsNon salariés 3460 -596 2864 -282 2582CDI secteur privé 12468 164 12632 1325 13957Non-CDI secteur privé 1324 507 1831 371 2202dont : intérim 232 98 330 275 605 Apprentis 223 11 234 26 260 CDD 593 256 849 80 929 Stagiaires et emplois aidés 276 142 418 -10 408Secteur public (+ contingent) 5070 35 5105 -88 5017Selon la duréeTemps partiel 2650 1077 3727 168 3895Temps plein 19672 -967 18705 1158 19863Selon le sexeHommes 12912 -359 12553 552 13105Femmes 9410 469 9879 774 10653Chômage BIT 2254 898 3152 -867 2285Source : INSEE, Enquête emploi. En milliers.

En règle générale, l’évolution favorable des effectifs salariés a des effets positifs sur la situation plus qualitative du marché du travail, et cette période de reprise ne fait donc pas exception. La stabilisation des formes d’emplois précaires s’accompagne d’une accélération de la rotation de la main-d’œuvre (tableau 2). Le taux de rotation est défini comme la demi-somme des taux de création et de destruction d’emplois (« entrée » et « sortie »). Ce taux fluctue habituellement avec la conjoncture : quand l’emploi s’améliore, on enregistre à la fois plus d’entrées dans les effectifs des entreprises, mais aussi plus de sorties. Le grand ballet des emplois s’accélère en effet des deux côtés. Du côté des entrées, c’est logique et on doit s’interroger surtout sur la nature des emplois. C’est moins évident, mais tout aussi net, du côté des sorties.

Le tableau 2 permet d’opposer deux configurations différentes, selon qu’on se trouve en phase de récession ou d’expansion. Il compare le 1er trimestre de 1992, année de recul de l’emploi (juste avant l’année noire que fut 1993) et le 1er trimestre de 2000, année d’expansion. Au cours de ce trimestre, le nombre de créations nettes d’emploi atteint le chiffre record de 129 600, alors que les effectifs salariés avaient baissé de 81 300 sur le même trimestre de 1992. Cette évolution globale fait apparaître des mouvements sous-jacents importants. Les créations de CDI sont évidemment plus dynamiques quand l’emploi va mieux. La rotation des CDD s’accélère : plus d’entrées mais aussi plus de sorties, et des créations nettes elles aussi plus importantes.

Tableau 2. Créations et destructions d’emplois1992 2000

niveau % niveau %Emploi total - 81 300 -0,6 129 600 0,9dont : entrées CDI 257 500 1,9 374 400 2,6         entrées CDD 609 800 4,5 1 022 400 7,1         fins CDD - 501 400 -3,7 806 400 -5,6         démissions - 203 200 -1,5 244 800 -1,7         lic.éco. - 54 200 -0,4 21 600 -0,15Source : DARES

Parmi les causes de sorties de l’emploi, les démissions tendent à augmenter, et les licenciements économiques reculent avec la progression de l’emploi (graphique 1). Au cours d’une « bonne année » comme 2000, le nombre de licenciements économiques atteint au plus 120 000, contre 200 000 pour une mauvaise année comme 1992 – et environ 320 000 pour une année noire comme 1993. Ces variations s’inscrivent dans une tendance à la baisse, de telle sorte que le nombre de licenciements au début de 2001 n’a jamais été aussi faible au cours des 15 dernières années.

Graphique 1. Licenciements et emploi total

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Licenciements économiques (en %)

Croissance de l'emploi en %(échelle inversée à droite)

Source :DARES

Le nombre de démissions augmente, surtout si l’on considère les entreprises de 10 à 50 salariés, où elles représentent 3 % des effectifs chaque trimestre, soit un taux de sortie considérable, de 12 % par an. Les salariés profitent de la reprise pour quitter ces entreprises et chercher de meilleures conditions d’emploi dans les plus grandes. Au total, ce tableau rapidement esquissé met à mal l’opposition classique entre le marché du travail français et le marché du travail des Etats-Unis du point de vue de l’importance de cette rotation des emplois : elle est plus élevée en France qu’on ne le considère en général.De manière plus générale, le bilan qui vient d’être dressé constitue une réfutation pratique du discours dominant. La baisse du chômage de longue durée, plus rapide même que celle de l’ensemble des chômeurs, est un argument pratique contre l’interprétation du chômage en termes d’« hystérèse ». Derrière ce concept pompeux se dissimule une théorie triviale, selon laquelle les chômeurs de longue durée, trop éloignés de l’emploi, perdraient leurs compétences et deviendraient « inemployables », de manière irréversible. Ainsi le chômage passé expliquerait le chômage futur, et les politiques économiques conjoncturelles seraient largement sans effet sur cette frange du chômage. Le recul du chômage de longue durée vient ruiner cette théorie, et rappeler que la supposée « employabilité » des individus est une notion élastique, qui varie en fonction des besoins de main-d’œuvre des entreprises.

La stabilisation des formes précaires d’emplois met à mal un second volet du discours patronal selon lequel il ne serait plus possible de créer des emplois, sinon des emplois à statut diminué. Certes, on est loin d’un retour à l’emploi standard, mais le panorama qui se dégage est tout aussi éloigné de la philosophie néo-libérale, telle qu’elle est énoncée par exemple dans la « Stratégie pour l’emploi » de l’OCDE. Son interprétation de la période consisterait à dire que l’on a créé beaucoup d’emplois, parce que l’on a suivi ses recommandations en matière de flexibilité accrue. La réalité montre que les choses fonctionnent de manière différente : loin de s’appuyer sur une précarisation accrue, la reprise de l’emploi permet au contraire d’infléchir les tendances antérieures.

Les choses sont donc loin de se passer conformément à la vulgate néo-libérale. La manière dont se combinent la reprise de la croissance et celle des emplois ne met pas en œuvre les enchaînements qui devraient conduire de la modération salariale et de la flexibilisation aux créations d’emplois. On retrouve ici, dans une autre dimension, les conclusions négatives de deux rapports récents du Conseil d’Analyse Economique, qui montrent qu’il n’existe pas en Europe de corrélation entre l’application des recommandations de l’OCDE et les performances d’emplois (Fitoussi et Passet 2000, Freyssinet 2000).

Le discours sur les pénuries d’emploi

Parmi les paradoxes de la nouvelle période, il faut signaler les plaintes du patronat sur la difficulté à embaucher alors même que le nombre officiel des chômeurs n’est jamais descendu en dessous des deux millions. Les indicateurs de tension élaborés par la direction de la recherche du Ministère de l’Emploi – la DARES – ont effectivement fait apparaître des déséquilibres entre offres et demandes d’emploi dans un certain nombre de secteurs d’activité : informatique, hôtels-cafés-restaurants, construction, industrie, transports.

Une autre enquête de l’INSEE montre que dans l’industrie, 52 % des chefs d’entreprise rencontrent des difficultés de recrutement en octobre 2000 alors qu’ils étaient 29 % dans ce cas en juillet 1999. Mais

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l’indicateur utiisé, qui mesure le « pourcentage d’entreprises industrielles éprouvant des difficultés de recrutement », est construit sur une base déclarative. Il n’est alors pas étonnant de constater son caractère pro-cyclique : lors de la reprise de la fin des années quatre-vingt, l’indicateur en question avait rapidement augmenté et on avait déjà entendu le même discours de la part du patronat. Il y ajoute cette fois une dimension nouvelle avec le passage aux 35 heures qui aurait particulièrement accru les tensions sur le marché du travail.

Sur cette question, le patronat fait feu de tout bois, ne craignant pas les contradictions. Son premier argument repose sur la fable selon laquelle la RTT, cette mesure « malthusienne », aurait fait baisser, non seulement la durée de travail individuelle mais aussi le volume d’emploi total. La DARES a facilement contredit cette analyse en montrant que le nombre total d’heures travaillées par les salariés est en hausse continue depuis 1997 (Passeron 2000), et que cette hausse ne s’est pas démentie. Ni les thèses sophistiquées sur la « fin du travail », ni la grosse artillerie du patronat ne résistent donc à l’examen.

Jamais à cours d’argument, les patrons mettent maintenant en avant la responsabilité des 35 heures dans les difficultés de recruter : ils y voient une raison supplémentaire pour élargir le volant autorisé d’heures supplémentaires et faciliter l’annualisation et en prennent prétexte pour leur campagne contre l’extension des 35 heures aux PME. Le rapport Pisani-Ferry sur le plein emploi (2000) abonde en leur sens, en recommandant une « application souple de la réglementation ». Pas de chance là non plus, car les données statistiques démentent un tel lien entre réduction du temps de travail et difficultés de recrutement. La DARES a publié en octobre 2000 une note mettant en parallèle, pour chaque famille professionnelle, le ratio offres d’emploi/demandes d’emploi et la proportion de salariés passés à 35 heures : les professions « à tension » ne sont pas plus nombreuses parmi celles qui sont passées majoritairement à 35 heures. Les secteurs les plus touchés par les « pénuries » concernés (BTP et hôtels-cafés-restaurants) sont justement des secteurs où il y a « peu de RTT » et beaucoup de PME, sans compter un patronat particulièrement rétrograde et peu soucieux d’offrir des salaires et des conditions de travail attractifs.

Le rapport Pisany-Ferry a immédiatement fait écho à ces plaintes en leur donnant un tour théorique : « Les difficultés de recrutement actuellement rencontrées par les entreprises françaises indiqueraient que l’on se rapproche du taux de chômage d’équilibre ». Ce cri d’alarme est dénué de tout fondement sérieux et Pisani-Ferry lui-même en livre la raison : « après une période de fort chômage, les entreprises ont perdu l’habitude d’un marché du travail normalement tendu ». Autrement dit, si les patrons disent avoir « du mal à recruter », c’est par comparaison avec la situation moyenne de la décennie écoulée, où ils bénéficiaient d’une avalanche de candidatures pour chaque offre d’emploi, avec une forte proportion de demandeurs d’emploi surqualifiés par rapport au poste proposé et peu exigeants sur les salaires et les conditions de travail. Dans ces conditions, le moindre effort d’anticipation des besoins, de formation et d’adaptation des salariés à leurs postes de travail, apparaît superflu. Il est bien plus simple de recourir à l’intérim ou à des embauches de surdiplômés pour économiser tout frais de formation interne.

Le discours sur les pénuries d’emploi est ainsi un formidable révélateur de la gestion étriquée de l’emploi qui est celle du patronat français depuis 20 ans. Ce discours est d’autant plus insupportable que, contrairement à l’idéologie en cours, on ne recrute pas que des super-qualifiés. Sur les 15 dernières années, les plus fortes créations d’emplois ont concerné des métiers comme cuisiniers, comptables, enseignants, infirmières, plombiers, chauffeurs routiers, secrétaires, vendeurs et policiers. Il ne s’agit donc pas là de compétences radicalement nouvelles. La reprise de l’emploi n’a pas pour autant infléchi de manière significative les pratiques de déclassement à l’embauche : elles continuent de s’aggraver jusqu’en 2000, pour les titulaires de CAP, de BEP, de bacs techniques et de bacs généraux, et même pour les diplômés du second cycle universitaire ; seuls les titulaires de BTS voient leur situation s’améliorer (Gautié et Nauze-Fichet 2000). Autrement dit les entreprises sont encore en mesure de contraindre des jeunes diplômés à des embauches sous qualifiées : on est donc bien loin de « pénuries de main-d’œuvre » ou même de réelles difficultés de recrutement.

Une autre raison pour laquelle il est difficile de prendre au sérieux les lamentations sur les « tensions », est que les salaires continuent malgré tout à croître moins vite que la productivité. Etant donné le rapport de forces initial sur le marché du travail, les salariés ont dû accepter des blocages de salaires sur deux ou trois ans lors du passage à 35 heures. Alors que le taux de chômage des ouvriers non qualifiés est encore de 19%, les employeurs affirment manquer de bras, mais refusent toute hausse de salaire, au point que le gouvernement a dû mettre en place un impôt négatif (rebaptisé « prime pour l’emploi ») afin d’améliorer le pouvoir d’achat de ces salariés. De deux choses l’une, comme le fait remarquer la Fondation Copernic (2001a) : « soit le chômage continue à dissuader toute revendication salariale (ce qui signifie que nous sommes encore nettement au-dessus du niveau du « chômage d’équilibre »), soit les salariés ont spontanément modéré leurs revendications (ce qui veut dire que le « chômage d’équilibre » a baissé). Dans les deux cas le diagnostic des « tensions réelles sur l’offre » a sérieusement du plomb dans l’aile ».

Baisse du coût du travail et structures de l’emploi

Le paradoxe qui sert ici de fil conducteur se retrouve si l’on examine les débats récents entre économistes. Alors que les mobilisations se développent face aux licenciements, la principale question qu’ils se posent est de comprendre l’ampleur des créations d’emplois depuis quatre ans. Elles s’expliquent évidemment par la

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reprise économique enregistrée sur cette même période, mais cela ne suffit pas. La croissance actuelle, comparée à la reprise précédente de la fin des années quatre-vingt, apparaît en effet comme particulièrement « riche en emplois ». La croissance au-delà de laquelle on crée des emplois est passée en moyenne de 2,3 % dans les années quatre-vingt à 1,3 % dans les années quatre-vingt-dix. L’explication spontanée des économistes libéraux est d’y voir l’effet de la baisse du coût du travail. Ainsi, les exonérations mises en place depuis le milieu des années quatre-vingt-dix auraient finalement porté leurs fruits, sous forme d’un « enrichissement en emplois » de la croissance.

Cette interprétation doit être vigoureusement récusée, pour toute une série d’arguments que l’on rappellera brièvement ici. En premier lieu, si la liaison entre coût du travail et emploi est fortement documentée sur le plan théorique, elle n’a jamais été solidement établie empiriquement. Les partisans de cette interprétation en sont réduits à des évaluations ex ante qui font a priori l’hypothèse qu’une baisse de 10 % du coût salarial conduit à 6 % de créations d’emplois sans être capable de repérer empiriquement cette influence. Une étude de la DARES (Lerais 2001) évalue ainsi l’effet des allégements de charge à 170 000 créations d’emploi à la fin 1999, pour une somme atteignant 40 milliards de francs cette année-là. On voit donc que, malgré les hypothèses les plus favorables à cette interprétation, le compte n’y est pas, comme l’a également confirmé, à sa manière, le rapport Pisani-Ferry sur le plein emploi.

Graphique 2. L’emploi non qualifié

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Part de l'industrie dans le PIB

Coût salarial non-qualifiés/autres(échelle de droite)

Sources : INSEE, Gubian et Ponthieux (2000)

Depuis, des interprétations plus subtiles ont mis l’accent sur la structure des qualifications. Le cinquième des dix commandements de la Stratégie pour l’emploi de l’OCDE (1994) stipule qu’il faut « accroître la flexibilité des coûts salariaux et de main-d’œuvre en supprimant les contraintes qui empêchent les salaires de refléter les conditions locales et le niveau de qualifications de chacun, en particulier des jeunes travailleurs ». Cette idée a été largement relayée en France où une sorte de consensus s’est créée autour de l’idée qu’il serait positif de baisser le coût du travail des emplois non qualifiés. Autant la controverse existe quant à l’intérêt d’une modération généralisée, autant l’accord est assez large en ce qui concerne les bas salaires. Cette politique est entrée dans les faits et a pris la forme d’une succession de mesures d’allégement des cotisations sociales prises principalement en 1993, 1995 et 1996. Par ailleurs, les suppléments accordés à la progression du SMIC (salaire minimum) ont été limités, et les dérogations de fait se sont multipliées par l’extension de statuts spéciaux.

Le résultat est assez net : alors que le coût salarial d’un emploi non qualifié représentait en moyenne 60 % du coût d’un emploi qualifié en 1984, cette proportion était tombée à 52 % en 1997 (Gubian et Ponthieux, 2000). Mais l’impact de ces mesures n’a pas donné lieu à une évaluation empirique convaincante. Ici encore, les principaux travaux disponibles ne proposent que des évaluations ex ante à partir de maquettes formalisées (CSERC 1996, Malinvaud 1998). Cependant l’appréciation la plus répandue, et dont on trouve aussi les échos dans le rapport Pisani-Ferry, est que cela fonctionne, sur la base d’un constat portant sur la part des emplois non qualifiés. Plusieurs études (Audric, Givord, Prost 1999, L’Horty 2000) ont effet montré que la part des emplois non qualifiés, qui baissait régulièrement depuis le début des années quatre-vingt, se stabilise au milieu des années quatre-vingt-dix. Cette « coïncidence », pour reprendre le terme de L’Horty, se transforme

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assez rapidement en une détermination causale. Pour expliquer cette stabilisation de la part des non qualifiés il faut en effet trouver une rupture qui aurait eu lieu à partir de 1994. L’Horty ne voit que « deux candidats qui respectent de telles contraintes » : le développement du temps partiel, et les exonérations de charges sociales.

Cependant, un graphique ne fait pas une théorie, et ce rapprochement se heurte à deux objections qui découlent précisément de l’observation de la période la plus récente. De 1984 à 1996, le coût salarial des non qualifiés a effectivement baissé, mais il s’est stabilisé depuis (graphique 2). De 1984 à 1997, la part du travail à temps partiel a régulièrement progressé, passant de 8 à14 %, mais s’est, elle aussi, stabilisée lors de la reprise récente. Tout se passe donc comme si les choses fonctionnaient à l’envers : la part des non-qualifiés ne serait pas « expliquée » par le coût salarial relatif ou le temps partiel, mais ce serait plutôt l’inverse, ou au moins les deux phénomènes seraient le fruit d’une détermination commune.

Car il est une autre manière d’expliquer les structures d’emploi qui renvoient aux transformations autonomes des processus productifs et à la composition sectorielle de la demande finale. C’est ce que suggèrent les travaux de Goux et Maurin (1997) : « le déclin de la part des salariés faiblement diplômés dans l’emploi s’explique en France en premier lieu par le manque de dynamisme de la demande domestique s’adressant aux secteurs d’activité où ils sont proportionnellement nombreux ». Ce facteur expliquerait environ les deux tiers de la baisse observée entre 1970 et 1993 (Goux et Maurin, 2000). Sur la période récente, les données des Enquêtes emploi de l’INSEE conduisent au tableau 3 ci-dessous.

Tableau 3. Evolution de l’emploi non qualifié1989-1994 1994-2000

Industrie et construction -593 -55Tertiaire 185 535Ouvriers -511 171Employés 103 309Temps complet -541 229Temps partiel 133 250Total -408 480Champ : emploi non qualifié du secteur privé.Source : Gubian et Ponthieux (2000)

La comparaison entre les deux sous-périodes fait apparaître de forts mouvements de chassé-croisé, pour une création nette d’emplois non qualifiés relativement faible sur la décennie. Ainsi, le nombre d’ouvriers non qualifiés, qui avait baissé de 511 000 entre 1989 et 1994 se remet à augmenter, de 171 000, entre 1994 et 2000. Cette observation suggère une sensibilité de l’emploi non qualifié au poids de l’industrie dans la demande finale, et cette interprétation peut être validée économétriquement par une équation simple (encadré 1). Cette équation rend correctement compte de l’inflexion constatée et, malgré son caractère très dépouillée, on ne peut y faire apparaître l’impact du coût du travail. Autrement dit, ce dernier n’a pas contribué significativement aux créations d’emplois, même par l’intermédiaire de la déformation des structures d’emplois.

Encadré 1. Equation de part de l’emploi non qualifié

NQ = 0,427 NQ(-1) + 0,825 INDU – 0,627 TT + 0,450 DQ (2,8) (3,7) (3,3) (1,5)

1979-2000 R2=0,98 StError=0,015 DW=2,2

NQ part des emplois non qualifiés dans l’emploi total (logarithme)INDU part de l’industrie dans le PIB (logarithme)TT tempsDQ taux de croissance du PIB

Le rôle des 35 heures

Contrairement aux scepticismes de tous bords, la réduction du temps de travail fonctionne comme prévu et permet de rendre compte du dynamisme particulier de l’emploi au cours des quatre dernières années. Son potentiel initial était – pour 14,5 millions de salariés du privé passant de 39 à 35 heures – de l’ordre de 1,5 millions. Comme un tiers des salariés (notamment ceux des entreprises de moins de 20 salariés) n’est pas encore concerné par la réduction du temps de travail, la durée moyenne a baissé d’environ 7 %, passant de 38,89 heures en 1997 à 36,15 en 2001. Cette baisse correspond à un potentiel d’un million d’emplois supplémentaires. Une approche macro-économique permet d’évaluer à 500 000 le nombre d‘emplois imputables aux 35 heures sur la période (Husson 2001c). Pour ce faire, on compare l’évolution de l’emploi observée à son évolution simulée en dehors de toute réduction du temps de travail (graphique 3). Au total, le potentiel initial s’est donc réparti en trois tiers : un tiers correspond au champ de la loi qui ne s’étendra aux entreprises de moins de 20 salariés qu’au 1er janvier 2002 ; un second tiers correspond à une récupération de

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l’effet emploi par une augmentation très nette de la productivité horaire ; le dernier tiers, enfin, correspond à des embauches nouvelles.

Ce pronostic favorable est pris en tenailles entre les critiques adressées à la réduction du temps de travail, de deux points de vue radicalement opposés. Pour le patronat, les 35 heures sont « antiéconomiques » par nature, et il est exclu de leur reconnaître le moindre effet favorable. Pour certaines critiques venant de l’extrême-gauche, la loi aurait exclusivement profité au patronat sous forme d’intensification et de flexibilité accrue du travail. Globalement, on a vu que le bilan se situait à mi-chemin, mais la diversité des situations conduit à des appréciations extraordinairement diversifiés.

Graphique 3. La réduction du temps de travail et l’emploi en France

-3

-2

-1

0

1

2

3

4

5

6

7

79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 0112500

13000

13500

14000

14500

15000

Croissance du PIB(échelle de gauche)

Emploi observé (échellede droite)

Emploi simulé sansRTT (échelle de droite)

Source : INSEE, Husson 2001c

Une enquête de la DARES auprès des salariés permet de pointer ces ambiguïtés (Estrade Méda et Orain 2001). En ce qui concerne les conditions de vie en dehors du travail, les appréciations sont plutôt positives, puisque 59 % des salariés déclarent que celles-ci se sont plutôt améliorées, 13 % plutôt dégradées, 28 % considérant que « cela n’a rien changé ». Le bilan est plus mitigé en ce qui concerne les conditions de travail : pour 46 % des salariés interrogés, la réduction du temps de travail ne les a pas modifiées ; un quart des salariés déclarent avoir connu plutôt une amélioration dans ce domaine et un quart plutôt une dégradation. Ces résultats sont modulés en fonction de la catégorie sociale, particulièrement chez les femmes. Ainsi, près de trois femmes cadres sur quatre évoquent une amélioration de leur vie quotidienne (au travail et en dehors), alors que c’est le cas de 40 % des employées et ouvrières. Ce tableau flou, et très différent d’un secteur à l’autre, obscurcit le panorama et conduit à une sous-estimation systématique des vertus de la réduction du temps de travail. Cela contribue à expliquer pourquoi les salariés ont très inégalement ressenti une amélioration du marché du travail pourtant indéniable.

Une gestion « financiarisée » de l’emploi ?

Le paradoxe d’entreprises fortement bénéficiaires qui procèdent à des réductions d’effectifs a conduit à parler de licenciements boursiers, ou encore de « licenciements de convenance boursière », pour reprendre la formule d’un récent document d’Attac (2001). Mais ce terme est sur le fond ambigu. La représentation qu’il suggère est certes répandue : la mondialisation des groupes et leur financiarisation ont modifié leur mode de gestion, en particulier de l’emploi. Tout fonctionne en somme à l’envers : il faut 15 % de rentabilité des fonds propres et on en déduit les effectifs. C’est l’appétit insatiable des actionnaires qui forceraient les groupes à licencier, pour tenir ce fameux objectif.

Cette construction apparemment cohérente est discutable : en s’en tenant à la surface des choses et aux représentations courantes, elle ne permet pas de comprendre les transformations à l’œuvre et risque de dévier la critique du capitalisme vers une critique de ses excès financiers. Cette lecture donne l’impression que le capitalisme contemporain serait beaucoup plus avide de profit que le capitalisme « fordiste » des années de forte expansion. Ce dernier, rétrospectivement, apparaît chargé de valeurs positives : il aurait été soucieux de l’emploi et doté d’une vision à moyen ou long terme, à l’encontre des licencieurs et des «  court-termistes » d’aujourd’hui. Que le capitalisme fonctionne selon des règles en grande partie différentes de celles qui

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prévalaient il y a un quart de siècle, c’est exact. Mais on ne peut pour autant présenter la recherche du profit maximum comme une nouveauté !

Cette illusion d’optique provient de deux transformations qui n’ont pas principalement à voir avec la finance. La première porte sur la norme salariale : il y a 25 ans, la règle était une progression du salaire réel équivalente à celle des gains de productivité. Pour 5 % de productivité, le pouvoir d’achat augmentait de 5 %. Aujourd’hui, la norme est le simple maintien du salaire réel, et l’on tourne autour de 2  % de gains de productivité et 0 % de progression du salaire réel. Dans le premier cas, le taux d’exploitation tend à rester constant, dans le second cas, il augmente régulièrement, tandis que la part des salaires baisse tout aussi régulièrement. Le véritable basculement est donc le passage d’un régime à l’autre. Il traduit une défaite rampante du travail à l’égard du capital qui prend la forme d’une dévalorisation relative du salaire. La montée de la finance est un effet corollaire de cette transformation : dans la mesure où le taux de profit ainsi dégagé ne s’accumule pas, il est redistribué sous forme de revenus financiers. La différence ne résulte pas principalement d’une gestion plus ou moins laxiste des effectifs. La périodisation qu’il faut retenir de ce point de vue est assez différente. On peut en effet distinguer trois phases :

- de 1964 à 1977, l’emploi salarié dans le secteur privé progresse à un rythme annuel de 1,3 % par an, dans un environnement de croissance forte : le PIB marchand progresse de 4,8 % par an en moyenne ; - de 1977 à 1987, les effectifs salariés reculent de 0,3 % par an dans un contexte de croissance ralentie (2 % de croissance du PIB marchand) ;- de 1987 à 2000, la progression des effectifs salariés reprend à un rythme moyen de 1,2 % par an, avec une croissance qui reste modeste (2,4 %) par an.

Autrement dit, la forte croissance des années d’expansion a pu masquer le fait que la gestion de l’emploi était en un sens très serrée, en raison d’une forte progression de la productivité. Cette configuration était marquée par un meilleur rapport de forces des salariés, par une forte croissance de la productivité, et une autre règle de distribution de la richesse créée. Et cet ensemble permettait tout à la fois de protéger le niveau du taux de profit et d’assurer les débouchés. Le marché du travail créait relativement peu d’emplois globalement, mais le dynamisme de l’économie permettait de gérer sans trop de friction une extraordinaire rotation des emplois. En particulier, on a assisté à un mouvement très puissant de salarisation, puisque la part des non-salariés dans l’emploi total est passé de 25,5 % en 1964 à 16,6 % en 1977, ce mouvement correspondant principalement au recul du nombre de paysans. A l’intérieur même du secteur privé, on a pu assister à des phénomènes massifs de transferts de l’industrie lourde vers l’industrie de transformation, puis de l’industrie vers les services. La mobilité des emplois était donc très élevée à cette époque. La période récente se caractérise quant à elle par un contenu de la croissance riche en emplois qui ne cadre pas facilement avec le discours dominant sur la gestion des effectifs.

On invoque aussi les mutations technologiques, comme si elles exigeaient en tant que telles une gestion plus serrée de l’emploi, alors qu’elles sont plutôt un prétexte invoqué pour accroître la flexibilité du travail. On ne peut non plus s’en tenir à l’idée que les transformations des politiques sociales du patronat seraient la simple traduction des injonctions boursières, comme le montre une étude récente fondée sur un travail de terrain minutieux (Montagne et Sauviat, 2001). Certes, le recours à la précarité permet un ajustement plus serré des emplois aux besoins de main-d’œuvre et contribue ainsi à un retour du cycle. Mais la grande différence se trouve plutôt dans le contexte de faible croissance : les possibilités de reconversion sont limitées et le chômage pèse à la fois sur la norme salariale et sur ce que l’on pourrait appeler la norme d’emploi. Autrement dit, la montée de la précarité renforce le gel des salaires et tend à reproduire le rapport de forces dégradé au détriment des salariés.

Il faut donc se garder de prendre pour argent comptant les manuels de gestion. A en croire les nouvelles théories à la mode, les capitalistes viendraient juste de relire Le Capital et de redécouvrir le taux de profit, sous la forme renouvelée de la « valeur pour l’actionnaire ». Ce concept est défini comme la différence entre le chiffre d’affaires et des coûts de production, ces derniers incluant non seulement les achats et la main-d’œuvre, mais aussi une rémunération moyenne des capitaux investis. La valeur pour l’actionnaire est donc une version moderne de la « plus-value extra », autrement dit de la différence entre la rentabilité d’un capital individuel et la norme de rentabilité de l’ensemble des capitaux. Cette norme de gestion ne fait que retrouver l’essence même du capitalisme à savoir la concurrence entre capitaux privés. Ce qu’exprime la référence à l’actionnaire, ce n’est donc pas un poids accru du capital financier, mais une réaffirmation de la loi d’airain de la concurrence. Ce durcissement de la concurrence est une caractéristique du capitalisme néolibéral mais, encore une fois, ce n’est pas un sous-produit de la finance. C’est un résultat, et en premier lieu un objectif, du processus de libéralisation. La mondialisation, de ce point de vue, doit être analysée comme un processus visant à faire sauter tout ce qui protégeait un ensemble de capitaux privés d’une exposition directe à la concurrence de tous les autres capitaux. Cette extension du domaine de la concurrence correspond exactement au processus de construction du marché mondial qui vise à étendre et homogénéiser l’espace de détermination du travail socialement nécessaire (Husson 2001b).

Une modélisation simple de la conflictualité

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Modéliser la conflictualité comme on modélise par exemple la consommation des ménages peut sembler une gageure. Il est cependant possible de réduire la variabilité intrinsèque de ce phénomène en le reliant à des déterminants de type macro-économiques, autour de deux idées.

La première idée, commune d’ailleurs à l’ensemble des paradigmes économiques, consiste à faire du taux de chômage un indicateur pertinent du rapport de forces entre capital et travail. La conflictualité serait donc inversement proportionnelle au taux de chômage, et cette corrélation est aisément vérifiée.

La seconde idée consiste à examiner le lien entre le salaire et la conflictualité. On teste ici l’idée selon laquelle les mouvements sociaux réagissent à l’écart entre le salaire et un salaire « normal » qui dépend positivement des gains de productivité et négativement du taux de chômage.

Ces deux idées sont assez bien vérifiées économétriquement (encadré 2) et permettent de restituer raisonnablement l’évolution de l’indicateur de conflictualité retenue, à savoir le nombre de journée individuelles non travaillées (graphique 4). Cet exercice ne prétend évidemment pas à rendre compte du mouvement de 1995, qui sort des limites d’une conflictualité « normale ». En revanche, l’approche modélisée ainsi esquissée a le mérite de suggérer une interprétation particulière de la période actuelle, marquée par le passage aux 35 heures. En effet, la réduction du temps de travail a eu pour double conséquence un recul du taux de chômage et un gel des salaires, engendrant ainsi un mix favorable à la conflictualité sociale : la baisse du taux de chômage améliore le rapport de forces en faveur des salariés, le gel des salaires fabrique de la revendication. Le mélange est d’autant plus explosif que les modalités mêmes de la réduction du temps de travail constituent une source autonome de conflictualité. Ce climat général entraîne une perte d’efficacité très rapide des modes de légitimation de la gestion patronale. L’indice le plus frappant est l’accord très majoritaire des salariés pour juger inacceptables les licenciements réalisés par des entreprises bénéficiaires. Ce rejet sanctionne la rupture d’un contrat implicite qui se trouvait à la racine de bien des discours, selon lesquels l’austérité d’aujourd’hui serait la condition de l’amélioration, demain, du sort des salariés. Seule la première partie de la proposition a bien fonctionné, et les salariés ont de fait renoncé à leurs droits sur la richesse nouvellement produite. Ils n’ont eu en partage que salaires gelés, durée moyenne du travail bloquée à 39 heures, et montée de la précarité. Mais il s’agissait, leur disait-on, de conditions économiques nécessaires au rétablissement des conditions de la croissance : il fallait assainir les comptes, rétablir la compétitivité, satisfaire aux conditions de Maastricht. La contrepartie implicite de ces sacrifices était la promesse d’un retour à un partage équitable des fruits de la croissance, dès que l’économie aurait retrouvé son dynamisme.

Encadré 2. Une modélisation de la conflictualité

Equation 1   : le salaire réel

sal = 0,62 * sal-1 + 0,15 * prod + 0,40 (prod-prod-1) – 0,37 tcho +1,97 (3,4) (2,4) (1,8) (2,3) (2,2)

1985-2000 R2 = 0,94 erreur moyenne = 0,6%

sal salaire réel (logarithme)prod productivité du travail par tête (logarithme)tcho taux de chômage

Equation 2   : les journées individuelles non travaillées

confli = - 106 * tcho – 138 * deltasal + 1776 (6,8) (3,6) (10,3)

1989-2000 (1995 exclu) R2 = 0,87 erreur moyenne = 66

confli journées individuelles non travaillées, hors fonction publique (milliers)tcho taux de chômage deltasal écart en % entre le salaire et le salaire « normal » calculé selon l’équation 1

Graphique 4. Les journées perdues pour faits de grève

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810

353

574

455448

904

694666

491

533521

200

300

400

500

600

700

800

900

1000

1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000

Observé Estimé

Source : DARES

La croissance est revenue depuis 1997, sans que le partage du revenu soit le moins du monde infléchi. Certes, le surcroît d’embauches a compensé le gel des salaires et permis que la masse salariale progresse à un rythme voisin de celui du PIB, mais cette amélioration s’est faite dans un climat d’intensification du travail et de stagnation, voire de dégradation, des situations individuelles. Dans le même temps, le discours euphorique officiel exaltait la réussite des patrons et des aventuriers de la Bourse, présentés comme les héros de la « nouvelle économie ». Dans ce climat très particulier, l’annonce du moindre licenciement a pu apparaître comme insupportable et dépourvue de toute justification. Il n’est donc pas surprenant que la nouvelle conflictualité prenne des formes résolues et même violentes. De Michelin à Cellatex, de Danone à Moulinex ou Bata, les luttes sont portées, non pas seulement par le désespoir, mais par une forme de révolte morale.

Une conjoncture sans légitimité

Le retournement conjoncturel esquissé il y a quelques mois vient modifier assez largement les perspectives. Les plans sociaux annoncés au printemps dernier, y compris par des entreprises réalisant de bons résultats, avaient déclenché des mobilisation prenant des formes relativement inédites. D’une certaine manière, l’ensemble des acteurs sociaux anticipaient déjà un retournement qui semble encore plus inéluctable après le 11 septembre. Les employeurs font preuve d’une capacité d’anticipation et d’une réactivité plus grande que par le passé, en utilisant notamment les possibilités d’ajustement très rapide offertes notamment par le recours à l’intérim. Le patronat invoque ensuite les aléas de la conjoncture pour faire pression sur deux points sensibles. Il cherche à réduire l’impact du passage aux 35 heures qui doit intervenir dans les entreprises de moins de 20 salariés à compter du 1er janvier 2002. Il s’efforce par ailleurs de pérenniser le gel des salaires qui a accompagné le passage aux 35 heures et d’amoindrir son effet sur la fixation du salaire minimum.

Face aux signes avant-coureurs du retournement, le gouvernement a de son côté réagi en prenant deux sortes de mesures de soutien à l’emploi. La ministre de l’Emploi, Elisabeth Guigou, a annoncé un plan de relance de l’emploi prévoyant la création de nouveaux emplois aidés : 30 000 CES (contrats emploi-solidarité), et 20 000 SIFE (stages d’insertion et de formation). Elle a par ailleurs garanti une application peu contraignante des 35 heures dans les petites et moyennes entreprises. Le ministre des Finances, Laurent Fabius, a quant à lui confirmé sa logique de soutien fiscal à la demande, en annonçant le doublement du « crédit d’impôt » alloué aux salariés pauvres. Ce retour au traitement social du chômage résume à lui seul la fin d’une certaine euphorie et la réapparition des sujets d’inquiétude. Les débats autour du rapport Pisani-Ferry sur le plein emploi ont permis de faire apparaître clairement deux analyses divergentes des bonnes performances 1997-2001 et donc des moyens de les consolider. Selon qu’on met l’accent sur les vertus respectives de la réduction du temps de travail et de la baisse du coût du travail, on proposera des mesures conjoncturelles à peu près diamétralement opposées, et on ne privilégiera pas les mêmes instruments de politique économique.

Enfin, les incertitudes s’étendent au niveau européen, et la question posée est celle de la manière d’appliquer le Pacte de stabilité et de croissance conclu en même temps que le traité d’Amsterdam, en juin 1997. Quel est le bon dosage entre la politique de lutte contre l’inflation de la Banque Centrale Européenne et une coordination des politiques budgétaires ? C’est de la réponse à cette question centrale que dépendra finalement l’évolution conjoncturelle des mois à venir, vers un ralentissement durable accompagné d’une

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dégradation durable de l’emploi ou un rebond qui permettrait de conserver l’essentiel des résultats acquis depuis quatre ans en matière d’emploi et de chômage.

Dans un tel contexte, une hypothèse prend forme, qui peut servir de conclusion à cette investigation, où nous avons cherché à jeter quelques passerelles entre situation de l’emploi et conflictualité sociale. Il se pourrait bien que le déficit de légitimité des politiques néolibérales soit un trait durable de la période. De même que les économistes parlent de persistance du chômage, il faut envisager une possible permanence de la conflictualité, relativement déconnectée de l’évolution de la conjoncture. L’embellie de la fin du siècle aura en effet conduit à un certain épuisement des capacités justificatives du discours de l’économie dominante. Plus personne ne pense vraiment que le chômage est la faute des immigrés, la sanction d’une rédhibitoire inemployabilité qui frapperait « naturellement » 9 ou 10 % de la population, le résultat de formations inadaptées (depuis un quart de siècle !) ou encore l’effet pervers d’un marché du travail trop rigide. L’expérience de ces quatre dernières années aura contribué à dissiper un certain nombre d’illusions, de telle sorte que les salariés évincés ou mal traités savent que la dégradation ou la stagnation de leur condition de salarié n’est pas une loi de l’économie naturelle, mais la source de l’enrichissement d’une couche sociale assez étroite. Cette lucidité ne fonde pas forcément un projet de transformation sociale, mais modifie les conditions idéologiques et politiques de la mobilisation sociale. La conflictualité risque de ne pas se retourner avec la conjoncture. L’annonce des prochains plans sociaux devrait être de plus en plus difficile, et il se pourrait même que, dans les mois à venir, plus aucun licenciement n’apparaisse comme légitime.

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2.Pourquoi des chômeurs ?Huit « explications » qui n’expliquent pas grand choseNorbert

Quels sont au niveau macro-économique les déterminants du chômage ?Pour comprendre comment se construisent les analyses du chômage, il faut voir que le nombre de chômeurs peut s’analyser comme un solde. Ce solde peut s’envisager sous plusieurs angles : le solde entre croissance de l’emploi et de la population qui se présente sur le marché du travail ; la croissance de l’emploi est elle-même le solde des suppressions et des créations d’emplois. Ces mouvements sont très nombreux : Chaque année en France plus de 2 millions d’embauches ont lieu correspondant soit à des changements d’employeurs (pour les salariés en place) ou à des recrutements d’arrivants sur le marché du travail ou de chômeurs. Le volume des sorties des entreprises est du même ordre : licenciements au sens large (y compris fin de CDD et de missions d’intérim), départs volontaires, retraites et préretraites. à un calcul global du solde emploi- population, certains préfèrent substituer une approche emploi – ressources de main d’œuvre par niveau de qualification, quant à l’évolution du nombre de chômeurs, elle est aussi comptablement le solde des entrées et des sorties du chômage. En août 2003, il y a eu pour la seule catégorie 1 des demandeurs d’emploi, 377 000 entrées à l’ANPE (dont 18 000 correspondent à des licenciements économiques, 49 000 à d’  « autres licenciements », 101 000 à des fins de CDD, 35 000 à des fins de missions d’intérim. Et il y a eu pour le même mois, 348 000 dont 79 000 reprises d’emploi déclarées, 38 000 entrées en stage, 30 000 radiations (cette dernière donnée est non CVS, contrairement aux autres).

Cette présentation sous forme de soldes permet de comprendre comment se construisent les explications dominantes du chômage. Chacune d’entre elles tendra à privilégier un des modes de calcul du solde en se souciant rarement de replacer le raisonnement dans la dynamique d’ensemble du système économique. Au total, ces explications se caractérisent par un grand impressionnisme, une assez grande instabilité du moins dans leur vulgarisation et par le fait qu’elles mélangent allègrement les éléments de nature à expliquer le chômage de masse dans son ensemble et le fait que telle catégorie de personnes ait un taux de chômage supérieur à la moyenne.

Outre ces explications dominantes, il convient de ne pas ignorer deux thèses hétérodoxes mais globalement fausses : celle des tenants de la « fin du travail » et celle des partisans du « produisons français ». On va passer donc ici en revue ces différentes analyses au nombre de huit au total1.

1. démographie et travail féminin

Certains analystes tendent à mettre en avant le facteur démographique et la montée du travail féminin. De fait, la croissance de la population en âge de travailler a été en France supérieure à la moyenne de ses principaux partenaires européens : 0,7% par an sur la période 1970-1995 contre 0,4% en Italie, 0,3% au Royaume-Uni, 0,6% dans la partie occidentale de l’Allemagne (mais largement inférieure à celle de l’Amérique du Nord) [DARES, DP, INSEE, 1997]. Par ailleurs, le taux d’activité féminin a progressé de près de 20 points passant, pour les femmes de 25 à 49 ans de 58,6% en 1975 à 79,1% en 1999. Cependant, ce dernier phénomène a été en fait plus que compensé par la réduction des taux d’activité aux deux extrémités de la vie active. La croissance de la population active a tendu en fait à être légèrement inférieure à celle de la population en âge de travailler.

Mais en fait, le problème se trouve essentiellement du côté de la création d’emplois et non de celui de la population active. Ainsi, de 1968 à 1975 et de 1975 à 1982, la population active a augmenté approximativement au même rythme (220 à 230.000 actifs supplémentaires par an) mais le chômage a augmenté en moyenne de 178 000 personnes par an durant la seconde période contre 56 000 durant la première [Freyssinet, bouquin sur le chômage, Repères]. C’est la faiblesse de la création d’emplois qui apparaît globalement déterminante dans l’évolution du chômage en France : de 1973 à 1996, quelque 900.000 emplois seulement ont été créés face à une population active augmentant en moyenne de 150 000 personnes par an.

Il faut remarquer que les analyses fondées sur la démographie ont pendant longtemps justifié un certain pessimisme quant à la possibilité d’une forte réduction du chômage en France. Dans la période la plus récente, les perspectives de retournement démographique ont été, au contraire, interprétées comme facilitant le retour, à moyen terme, à une baisse du chômage, voire à des pénuries de main d’œuvre. En fait (mais je n’ai pas lu le bouquin d’Isy Johsua), on ne peut pas écarter un scénario où le retournement démographique s’accompagnerait, dans un contexte de croissance ralentie, du maintien d’un chômage de masse.

2. importations des pays à bas salaire

1 Nous n’aborderons pas ici la neuvième des fausses explications : celle de l’immigration, chère au Front National.12

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a/ concurrence commerciale des pays à bas salaires et emploi. Les effets de la concurrence des pays à bas salaire font l’objet d’analyses plus ou moins sophistiquées : concurrence directe, inégale contenu en emploi des flux commerciaux, élargissement des inégalités. Les pays développés commercent avant tout entre eux : près de 60% des importations totales de la France proviennent de l’Union européenne et plus de 75% des pays développés de l’OCDE (UE + Suisse, Norvège, USA, Canada, Japon). Les pays à bas salaires sont non seulement des exportateurs mais des clients des pays développés. Les échanges de la France sont ainsi excédentaires les pays en voie d’adhésion à l’UE, avec la Tunisie ou la Turquie. Parmi les pays du Tiers Monde, les déficits les plus importants sont enregistrés avec la Chine (-7,9 milliards d’E en 2002 –soit un taux de couverture de 31%, en partie compensé par l’excédent avec Hong kong : +2,7 MdE). Mais le déficit avec l’Allemagne (-8,5 MdE) est plus important que celui avec la Chine et celui avec la Finlande (1 MdE) dépasse celui avec Taiwan.. Une bonne partie des flux d’importations en provenance du Tiers Monde ont pour origine des agents économiques des pays développés : délocalisations d’unités de production, travail à façon pour des chaînes de distribution (voir ci-dessous). Des effets sur l’emploi négatifs sur l’emploi peuvent exister même quand les soldes sont positifs. En effet, le contenu en emploi des biens exportés vers les PVD peut être inférieur à celui des biens importés : si la France avait continué d’assurer la production de ces biens, elle aurait conservé plus d’emplois.

Au total, les effets sur l’emploi global des échanges avec les pays en développement sont limités. Les estimations réalisées (il y a près de 10 ans) aboutissaient à environ 300 000 emplois au maximum, soit de l’ordre de 2% des emplois du secteur marchand non agricole. Les effets n’apparaissaient en fait vraiment significatifs que dans certains secteurs : confection, bonneterie, chaussures,…. Les travaux mériteraient d’être actualisés mais de nouveaux résultats ne seraient sans doute pas qualitativement différents.

Au-delà des pertes éventuelles d’emplois, pour certains auteurs, la mondialisation augmente les inégalités de salaire au détriment des salariés peu qualifiés. Les travailleurs peu qualifiés des secteurs exposés seraient soumis à la concurrence des pays à bas salaires et leur effectif décroîtrait inéluctablement sauf baisse du coût de leur travail. En fait, les importations en provenance des pays à bas salaire sont trop limitées pour expliquer l’ouverture de l’éventail des salaires. D’autant que cet élargissement concerne aussi des secteurs non ou faiblement exposés à la concurrence internationale. D’autres thèses se présentent alors pour expliquer la situation : les nouvelles technologies qui seraient porteuses d’un « biais » au détriment du travail non qualifié, l’inégale mobilité des différents types de travail (les peu qualifiés étant les moins mobiles) ou bien, tout bêtement (mais avec des fondements sérieux), l’évolution des rapports de force sociaux dans les pays développés. b/ En fait, il convient de ne pas réduire les problèmes posés par la « mondialisation » du point de vue de l’emploi aux échanges de marchandises mais de tenir compte de l’investissement international et de la libéralisation des mouvements de capitaux et des marchés financiers (voir ci-dessous).

3. « eurosclérose »

L’« eurosclérose » renvoie à l’idée que le « modèle européen » serait inefficace (et donc générateur de faible croissance et de chômage) du fait de ses rigidités, du niveau élevé de protection sociale, etc.

L’économiste américain Paul Krugman a ainsi résumé la genèse de cette idée et ses limites dans un article publié en 1994 (« Europe jobless, America penniless ») a ainsi résumé la genèse des cette problématiqsue et ses limites (mille excuses, je n’ai pas eu le temps de traduire) : « In the early 1980s the problem of European unemployment became an obsession with many European economists, and several of them--notably Sweden's Assar Lindbeck and Germany's Herbert Giersch--converged on a basic diagnosis, which Giersch memorably dubbed "Eurosclerosis." According to that view, high European unemployment was the unintended byproduct of the European welfare state, which reduced the incentives both for firms to offer jobs and for workers to accept them.

The point was not difficult to understand. In virtually all European countries, unemployed workers are assured of a minimal income, no matter how long it has been since they last worked (in contrast to the time-limited U.S. system of unemployment insurance). Further, medical care is a universal right and housing is often subsidized as well. The result is that an unemployed European does not need to search for employment with the desperation of his American counterpart. Meanwhile, all benefits are paid for by a system of contributions from employers that considerably raises the cost of providing employment.

Added to those straightforward disincentives to job creation are subtler ones. For example, it is typically very difficult and costly for European firms to fire workers. So in an uncertain world, European companies are understandably reluctant to hire workers in the first place. Powerful European unions are also more able than their feeble American counterparts to sustain wages in the face of potential competition from the unemployed.

Lindbeck, Giersch, and others therefore argued that high European unemployment was a byproduct of the welfare state--of taxes and regulations that discouraged firms from offering jobs, and of subsidies and income supports that discouraged workers from accepting them. Americans' comparative success in job creation was,

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of course, the other side of the same coin: It was the payoff for allowing brutal but free competition to prevail in the labor market.That is a clear and persuasive diagnosis, and it is accepted at least in part by most economists who look at the European situation. [….]

There is, however, one obvious problem with the argument: If the welfare state is so bad for employment, why were European countries able to achieve such low unemployment rates before 1970?   » (souligné par moi) Il y a cependant un problème évident dans cette argumentation : si l’Etat-providence est si nuisible à l’emploi, pourquoi les Etats européens ont-ils été en mesure d’atteindre des taux de chômage si faibles avant 1970 ?). 

Ceci suffit à faire justice de la version intemporelle de la thèse de l’eurosclérose : le chômage comme produit inévitable de la réglementation. Reste sa version « sociale-libérale » ardemment soutenue par les social-démocraties européennes. Dans le « passé », l’Etat-providence n’aurait pas posé trop de problèmes, mais aujourd’hui, il faut « réformer », « moderniser ». Cette vision fait aujourd’hui consensus dans l’Union européenne et est à la base de la thématique de la « réforme structurelle ». qui sous-tend année après année les « grandes orientations de politique économique » et les « lignes directrices » de la stratégie européenne pour l’emploi. Que peut-on en dire ?

Il y a sans doute un fondement objectif à la problématique sociale libérale : le maintien d’un « Etat social » est quelque part antagonique avec le marché libre. Contrairement au discours de Lionel Jospin (mais pas à l’essentiel de sa pratique), l’économie de marché appelle bien la société de marché. On ne peut pas avoir la libre circulation des marchandises et surtout des capitaux etc. sans « libération du marché du travail ». Si on ne le fait pas, on a une configuration incohérente et instable car le capital financier et industriel est libre de mettre travailleurs et systèmes sociaux en concurrence. Et cette mise en concurrence peut effectivement générer du chômage2. Mais la remise en cause des régulations sociales n’est en aucun cas la garantie de succès contre le chômage. Comme le note, Jacques Freyssinet (Chronique internationale de l’IRES, septembre 2002) : « Après vingt années de réformes structurelles des marchés du travail et de modération salariale, après dix années d’activation des politiques de l’emploi, le taux de chômage européen n’est passé en 2001 que par un minimum de 7,6% avant d’augmenter à nouveau. Des certitudes inébranlables permettent de surmonter la perte des illusions. Lorsque la situation s’améliore, cela prouve l’efficacité des reformes réalisées ; lorsque la situation se dégrade, cela prouve la nécessité d’en accélérer le rythme. »

4. insuffisance de la formation

La question de la formation fait recette aussi bien à droite à gauche parmi les explications du chômage. En fait, la formation n’est susceptible d’expliquer le niveau global du chômage qu’en longue période dans la mesure où il est vraisemblable qu’une qualification plus grande des travailleurs est favorable à un surcroît de croissance et donc d’emploi.

Pour ce qui est du présent, aucun élément ne permet ne dire qu’il y a inadéquation entre les emplois existants et les gens qui se présentent sur le marché du travail. Les difficultés de recrutement (qui ne sont pas des impossibilités de recruter mais renvoie à des délais plus longs) renvoient, en dehors de quelques cas très particuliers (comme certains métiers de l’informatique durant la période d’expansion) aux pratiques actuelles de sélection et d’intégration dans l’entreprise (le chômage de masse a habitué les employeurs à considérer que les postulants devaient quasiment immédiatement en état de tenir le poste de travail sans apprentissage interne) ou aux conditions très dégradées de travail de certains secteurs.

Si la formation joue un rôle, c’est dans les probabilités individuelles d’accès à des emplois préexistants. Il y a dans ce cadre un problème spécifique des personnes peu qualifiées, notamment des jeunes du fait pas nécessairement d’une pénurie absolue de postes adaptés à leur compétence mais de phénomènes de substitution. Dans un contexte de maintien d’un taux de chômage important, il y a éviction des jeunes faiblement qualifiés, y compris pour les recrutements sur des postes ne requérant pas un niveau de formation particulièrement élevé. La pénurie d’emplois globale conduit en effet les jeunes diplômés à accepter des postes ne correspondant pas tout à fait à leur formation [Forgeot, Gautié]. De tels phénomènes sont observables aussi bien dans le secteur marchand que dans le non-marchand (le niveau de diplôme des candidats à certains concours de catégorie B de la fonction publique en témoigne). Ils apparaissent corrélés à la conjoncture économique ainsi qu’aux sorties du système éducatif. Ainsi, en 2000, la part des titulaires de BTS ou de DUT embauchés depuis moins d’un an sur des emplois d’ouvriers et d’employés non qualifiés (hors stages, emplois aidés et apprentis) atteignait 9,9% en dépit du contexte économique favorable (cette proportion atteignait 17,7% en 1997). De même, la part des diplômés des grandes écoles et du 3ème cycle nouvellement embauchés sur des emplois d’ouvriers et d’employés qualifiés ou non dépassait 9% en 1999 (et aurait augmenté en 2000) [Gautié, Nauze-Fichet].

5. coût du travail

2 Il ne faut cependant pas oublier qu’en économie comme dans les autres champs du savoir, le plus souvent on ne trouve que ce que l’on cherche. Comme le faisait remarquer un rapport du BIT, le programme standard de la majeure partie des études actuelles consiste à vouloir à toute force (et avec un appareil conceptuel qui ne fonctionne que dans ce sens) cerner l’effet négatif de tel ou tel aspect de la réglementation.

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C’est ici un des points centraux. Le raisonnement vulgaire amalgame en général : le coût du travail « comptable » : salaire brut + cotisations sociales employeurs ; le coût salarial unitaire : coût du travail par unité produite, c’est-à-dire corrigé de la productivité. Pour les comparaisons internationales en évolution, le raisonnement doit en plus tenir compte des écarts d’inflation et d’évolution des taux de change (CSU réel effectif).

En théorie, le coût du travail « comptable » intervient dans la combinaison productive : s’il est élevé relativement à celui du capital, les entreprises choisissent des solutions incorporant moins d’emploi. En pratique, cet effet ne peut être mis en évidence qu’au prix d’acrobaties méthodologiques. On ne reprendra pas ici l’ensemble du débat sur le coût du travail. Par ailleurs, même parmi les tenants des allègements de cotisations sociales employeurs, il y a accord sur le fait qu’il n’y a pas de problème global de coût du travail en France. Le problème se concentre sur l’emploi non qualifié, voir Husson… Une variante déguisée de la thèse du coût du travail est celle selon laquelle le système de financement de la protection sociale par cotisation serait défavorable à l’emploi, voir encore et toujours Husson…

Par contre, il y a bien un impact des coûts salariaux unitaires au niveau micro sur la concurrence interentreprises et au niveau macro sur la compétition internationale dans les secteurs exposés à celle-ci. Mais il faut insister sur le fait que le coût du travail « comptable » n’est qu’un des éléments qui intervient dans la variation des CSU (et c’est encore plus le cas si on raisonne en CSU effectifs réels). Ainsi, le niveau de la productivité horaire en France est une des plus élevés du monde : il se situait en 1999 à l’indice 114 pour une moyenne européenne de 100 (source INSEE). Cet élément est relativisé par certains au nom d’un effet « 35 heures » (et durée du travail en général) mais les comparaisons réalisées par le BLS américain montre que la productivité par personne employée française se situait en 2001 à un niveau 86,3 (contre 100 aux USA). On voit bien (toutes choses égales par ailleurs) un effet « 35 heures » dans la mesure où, jusqu’en 1995, le niveau était de 90. Mais le chiffre actuel situe la France nettement avant l’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Japon, etc.

6. manque d’énergie des chômeurs

Divers travaux, ont, depuis les années soixante, conduit à un retour sur le devant de la scène de la théorie du chômage volontaire sous des formes plus sophistiquées, en référence au modèle dit de recherche d’emploi (job search). la personne sans emploi se comporterait en optimisateur rationnel et, le cas échéant, prolongerait son passage par le chômage afin de trouver l’emploi correspondant à ses souhaits, notamment pour ce qui est de la rémunération : les offres d’emploi correspondant à une rétribution inférieure au « salaire de réserve » de l’individu ne seraient pas prises en compte par celui-ci. Les situations de « non-travail » (puisque ce courant ne fait pas vraiment de distinction entre le chômage et l’inactivité) seraient donc largement volontaires et s’expliqueraient par l’insuffisance de l’écart entre les prestations sociales et le revenu apporté par la prise d’un emploi.

Pour que le chômage baisse, il faudrait donc que « le travail paye », pour reprendre une expression de l’OCDE : cela passerait, à partir du moment où le niveau des revenus du travail est considéré comme une donnée non modifiable, par un contrôle plus strict des chômeurs, une conditionnalité plus grande des prestations sociales, la mise en place de systèmes permettant le cumul de certaines prestations sociales avec un emploi ou bien la création de revenus non-salariaux mais liés à l’exercice d’un emploi (« impôt négatif »).

Inutile de préciser que dans le monde où se déploie cette logique, la demande de travail existe toujours. Il n’y a rationnement que du côté de l’offre de la part de chômeurs toujours enclins au parasitisme social et qui ne veulent donc pas sortir du système de prestations ce qui gonfle le stock de « demandeurs d’emploi » (qui n’en sont pas vraiment) ….

7. progression de la productivité

Certaines analyses mettent l’accent sur les progrès considérables de la productivité et en déduisent que la capitalisme aurait de moins en moins besoin de travail et donc de travailleurs. C’est le soubassement d’un certain nombre d’analyses sur la « fin du travail ».

a/ Ces analyses peuvent d’abord être contestées d’un point de vue factuel : il n’y a pas, sur le plan macroéconomique, de tendance à un progrès impétueux de la productivité. Sur ce plan-là aussi, le retournement du début des années 70 s’est manifesté : depuis cette période, les gains de productivité ont fortement ralenti en tendance (ajouter les chiffres). les NTIC n’ont pas fondamentalement modifié cette situation. C’est ce que l’on appelle le paradoxe de Solow (du nom de l’économiste américain Robert Solow) : « Les ordinateurs sont partout …. sauf dans les statistiques de PIB ». Solow vise le fait que, depuis le début des années 70 et jusqu’à la deuxième moitié des années 90, la croissance de la productivité soit demeurée faible dans les pays de l’OCDE. Cette situation peut renvoyer :

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à la part encore faible des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) dans le stock de capital malgré leur montée en puissance aux coûts d’ajustement élevés (réorganisation des processus productifs, formation, ….) nécessités par la mise en oeuvre des NTIC à l’obsolescence rapide de certains de ces équipements. au temps nécessaire (comme le montre des études sur l’histoire du capitalisme) pour que l’incorporation de nouvelles technologies au stock de capital se traduise en accélération du progrès technique.Depuis 1995 environ, la productivité tend à croître aux USA. Certains y voient la fin du paradoxe de Solow. D’autres soutiennent que cette accélération de la productivité est en fait cantonnée aux secteurs producteurs de NTIC et concerne peu les secteurs utilisateurs.On peut par ailleurs et plus fondamentalement soutenir que les transformation structurelles du capitalisme interdisent le retour à des gains de productivité aussi forts que durant les « Trente Glorieuses » : il s’agit de la montée du tertiaire, secteur hétérogène qui comporte à la fois des activités correspondant à l’amélioration des conditions de vie (santé, loisirs) et d’autres qui sont des « faux frais » d’une société inégalitaire et répressive (emplois domestiques, gardiennage,…). La question reste ouverte. Certes, certaines entreprises affichent des gains de productivité considérables. C’est le cas, par exemple, dans l’industrie automobile : le ratio automobiles produites/nombre de travailleurs de fabrication ne cesse de progresser. Mais une partie de ces gains micro-économiques renvoient, dans l’industrie, à un recours accru à la sous-traitance et à l’externalisation de certaines activités par les entreprises. Des études précises seraient sans doute nécessaires mais, malgré certaines incertitudes statistiques (partage volume-prix), le décalage perdure entre performances micro et macro-économiques.

b/ mais même si il y avait d’importants gains de productivité, la « fin du travail » n’est qu’une illusion.Dans un ouvrage, par ailleurs fort intéressant, sur la mondialisation3, l’économiste polonais Zygmunt Bauman croit pouvoir affirmer que « la création de richesses est sur le point de s’émanciper de son lien traditionnel –ô combien contraignant et pénible- avec la production de biens, le traitement des matériaux, la création d’emplois et la direction des hommes. Les anciens riches avaient besoin des pauvres pour devenir riches et le rester…. Les nouveaux riches n’ont plus besoin des pauvres. ». Outre la confusion entre travail salarié et pauvreté, on retrouve l’illusion du « capitalisme de robots » dans un monde où il n’y a jamais eu autant de salariés et même, sans doute, autant d’ouvriers. Le retournement des marchés financiers du début des années 2000 a fait, aux yeux de tous les obsevateurs honnêtes, justice des illusions sur le capitalisme virtuel, générant sans limite revenus et patrimoines accrus. Derrière la sophistication des marchés financiers, il y a la production et l’accumulation et les rapports de classe.

c/ Certes, les gains de productivité ont une responsabilité partielle dans le chômage. Au niveau micro-économique, la réponse dans une entreprise ou un secteurs particuliers combine l’interdiction des licenciements avec l’obligation de reclassement et de formation et la réduction du temps de travail sans perte de salaire et flexibilité (voir par ailleurs).Au niveau macro-économique, le fait de pouvoir produire plus en moins de temps est fondamentalement un progrès que le capitalisme utilise contre les travailleurs. La réponse, c’est, pour reprendre l’expression de Trotsky (que, pour une fois, nous citerons) , « l’échelle mobile du temps de travail», c’est-à-dire l’ajustement de la durée du travail aux gains de productivité avec comme impératif la fin du chômage de masse.

8. les investissements à l’étranger

On a abordé ci-dessus les importations en provenance des pays à bas salaires et dans ce cadre signalé qu’une partie de ces importations correspondaient à des investissements des firmes françaises à l’étranger. Le rôle supposé de l’investissement extérieur dans le développement du chômage a été mis en avant par le PCF dans les années 70 avec la campagne « produisons français ».

a/ Il convient de ne pas confondre investissement international et “délocalisations”.

Les “délocalisations” n’ont pas de définition précise. On peut considérer qu’elles correspondent à deux types de phénomène :- La part des investissements à l’étranger qui correspond à un transfert d’activités à l’extérieur ;- les accords de sous-traitance qui ont pour objectif de se substituer à une production nationale.La délocalisation lorsqu’elle vise à profiter d’une main d’œuvre à moindre coût, peut porter soit un segment de la production (d’où importations de biens intermédiaires), soit sur l’essentiel du processus productif (sauf le ces échéant des activités de conception et de recherche).

Globalement, l’investissement direct international a trois motivations :- l’accès aux marchés. Ces investissements sont déterminés par la taille des marchés que l’on veut atteindre et la présence de coûts de transport non négligeables, ou bien d’autres difficultés d’accès à un marché (tarifs douaniers). Des coûts de main d’œuvre inégaux peuvent également l’influencer.- la division des processus productif au niveau international. Ce type d’investissement est plutôt déterminé par les coûts de main d’œuvre et la faiblesse des coûts de transport. Les délocalisations relèvent essentiellement de cette catégorie.

3 Zygmunt Bauman, « Le coût humain de la mondialisation », Hachette Littératures, 1999 (pour la traduction française).16

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- une logique de croissance externe des groupes tirant partie des occasions de prise de participation ou de contrôle d’entreprises extérieures ne relevant parfois pas de leur métier fondamental.

b/ Quelles conséquences sur l’emploi.

Seuls le second type d’investissement (celui qui correspond aux délocalisations dans les pays à bas salaires) est susceptible d’impacts directs et importants sur l’emploi. Susceptibles d’être significatives au niveau micro-économique, ces conséquences sont secondaires au niveau macro-économique (cf. point 2 sur les importations des pays à bas salaires).Quant à d’autres investissements, comme les implantations d’usines d’automobiles à l’étranger à l’instar des entreprises automobiles françaises en Espagne que le PCF dénonçait dans les années 60 et 70, ils génèrent fréquemment un flux d’exportations et relèvent pour une large part de l’accès à de nouveaux marchés. Des études plus précises seraient nécessaires mais elles n’altèreraient sans doute pas le bilan macro-économique.

Il faut par ailleurs noter que les pays développés investissent surtout les uns dans les autres. Les USA sont (en règle générale, 2002 est une exception) le plus grand pays d’accueil de l’investissement international : 281 Md $ pour les flux entrants en 2000, soit plus que les flux entrants dans les PVD (240 Md$ en 2000). Ces investissements dans les pays développés sont d’ailleurs peu fréquemment mis en accusation alors que leur incidences indirectes sur l’emploi et les salaires pourraient ne pas être négligeables durant certaines périodes comme le signalent des travaux récents de l’INSEE : la frénésie d’achats à l’étranger des grands groupes français à la fin des années 90 a été réalisée alors que les cours bousiers étaient au plus haut. Cela a généré d’importants « écarts d’acquisition » (c’est-à-dire des différences entre le coût d’acquisition des actifs et leur valeur nette) qui pèsent désormais sur les résultats des grands groupes et, comme l’écrit l’INSEE [C. Picart, Economie et Statistique, 2003], la « base productive » de ces groupes en supporte les conséquences, c’est-à-dire qu ‘elle doit dégager plus de profit et subir une gestion plus restrictive. Mais sur ce dernier point, on retombe sur la logique globale du capitalisme pour lequel l’emploi n’est qu’une variable d’ajustement.

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En fait, on est confronté à un florilège d’éléments qui, pris isolément, n’expliquent pas grand chose de la situation actuelle On se trouve donc renvoyé au rythme de la croissance, au mode de régulation global de l’économie et aux objectifs de la politique économique.

la croissanceLa croissance tendancielle ralentie de l'économie a une responsabilité majeure dans la montée du chômage car elle se traduit par une insuffisance de la créations d'emplois (au regard de ressources en main d'œuvre accrues par l'évolution de la démographie et la croissance du taux d'activité féminin). Cette situation renforce la sélectivité du marché du travail au détriment des moins qualifiés qui, parfois, sont « évincés » de postes auxquels ils auraient pu prétendre, dans un autre contexte. le mode de régulation de l’économie. La libéralisation des mouvements de capitaux et des marchés financiers impose aux entreprises des contraintes renforcées de rentabilité et un horizon à plus court terme. Le renforcement de la contrainte financière a inévitablement des conséquences sur l’emploi et la gestion de la main d’œuvre à la fois quantitatives (sur le niveau de l’emploi dans certains secteurs) et qualitatives (avec les phénomènes généralement englobés sous les termes de flexibilité ou de précarisation ) [Coutrot]. Des normes, une fois mises en œuvre du fait des décisions des Etats dominants, s’imposent aussi aux Etats et donc réduisent le degré d’autonomie des politiques nationales. une politique économique qui ne vise plus la réduction du chômage. Le « théorème de Schmidt » est en fait toujours d’actualité.

Au total un système qui durcit la norme du « temps de travail socialement nécessaire » et fabrique donc des « inutiles au monde » (pour reprendre la terminologie de R. Castel) qui ont quand même une fonction essentielle : peser sur le partage de la valeur ajoutée.

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3.A propos des délocalisationsMichel Husson

1. Mondialisation et délocalisations

Dans bien des secteurs, les délocalisations et restructurations sont vécues comme le résultat d’une tendance permanente des employeurs à déplacer les emplois vers les zones de l’économie mondiale que les bas salaires, ainsi que des législations faiblement contraignantes, rendent attractives. Ce phénomène est indéniable et il constitue en quelque sorte l’essence du rapport social capitaliste, qui a toujours cherché à mettre les travailleurs en concurrence. La mondialisation démultiplie les possibilités de le faire. Il n’empêche que ce phénomène est plus ambivalent qu’il y paraît.

En premier lieu, la mondialisation ne se traduit pas par un transfert net et continu des emplois vers les pays à bas salaires. Elle fonctionne dans tous les sens : Nord-Sud, Sud-Nord et Nord-Nord. Les rapports Nord-Sud fonctionnent dans les deux sens. D’un côté, on assiste effectivement à des déplacements d’emplois dans tous les secteurs où le Sud est suffisamment attractif. Le champ des secteurs concernés s’élargit : au textile traditionnellement concerné, il faut ajouter de nombreuses autres industries (électronique, automobile, chimie) ainsi qu’un certain nombre de services qui peuvent faire l’objet de formes de travail à distance. Cependant ce mouvement est limité par deux grands facteurs. Le premier est que le choix de la localisation ne dépend pas du coût salarial, mais du coût salarial unitaire. Ce que l’on compare, ce ne sont pas les écarts absolus de salaires, mais les écarts relatifs rapportés à la productivité du travail. Dans bien des pays où les salaires sont peu élevés, la productivité du travail est en moyenne faible et peut donc compenser les avantages salariaux absolus. Mais il est vrai que certains pays, ou certaines zones de l’économie mondiale peuvent combiner de bas salaires et d’assez bons niveaux de productivité. C’est le cas par exemple des pays de l’Est en Europe, ou encore de certaines régions du Mexique. Mais il s’agit d’un avantage constamment remis en cause par les luttes sociales des pays concernés, dans la mesure où la progression de la productivité du travail est la base sur laquelle peuvent se développer les revendications salariales. L’exemple classique est ici la Corée, où les luttes ouvrières ont obtenu un rattrapage des salaires sur les performances de productivité. Si un tel alignement ne se produit pas, l’économie des pays concernés sont tôt ou tard soumis aux contradictions d’un modèle économique et social déséquilibré. Ils ne peuvent en effet conserver leur attractivité qu’au prix de l’acceptation d’un gel du marché intérieur qui fait obstacle à leur propre développement. Dans ce cas, les gains de productivité profitent pour l’essentiel aux groupes multinationaux qui les rapatrient sous forme de sur profits. Ou bien, ils sont captés par une couche sociale étroite, mais dans ce cas on débouche sur un modèle social profondément inégalitaire difficilement soutenable.

Le second obstacle aux délocalisations correspond à l’environnement nécessaire à la bonne marche des entreprises. Celles-ci ont besoin d’autre chose que des bas salaires, sinon les principaux bénéficiaires des délocalisations seraient les pays les plus pauvres d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine. Or, ce n’est pas ce que l’on constate, parce que ces pays manquent d’infrastructures et de main-d’œuvre qualifiée. Ils manquent d’autre chose encore, à savoir d’un marché local suffisamment dynamique et de synergies interindustrielles, et c’est un facteur que l’on retrouve aussi dans les choix d’implantation à l’intérieur même de l’Europe. Une récente étude de l’INSEE4 montre que la stratégie de localisation des entreprises multinationales françaises entre les pays de l’Union européenne prend en compte le niveau des salaires au niveau national, mais combine ce critère dans le choix de la région avec la proximité de firmes françaises et de concurrents locaux. On peut parler ici de « pôle local d’agglomération industrielle ».

Les mouvements de délocalisations-restructurations exercent un double effet de levier concurrentiel. D’abord, ils mettent en concurrence les pays récepteurs et une autre étude portant sur les multinationales des Etats-Unis5 montrent que c’est le ressort premier de leurs stratégies.

La substitution entre l’emploi dans les filiales et l’emploi dans les maisons-mères apparaît comme marginal. En revanche, on observe un fort mouvement de substitution entre les différentes filiales. Les auteurs notent ainsi que « le développement de l’investissement dans des pays comme le Brésil menace beaucoup moins l’emploi dans les maisons-mères des Etats-Unis que l’emploi dans les filiales des pays en développement d’Asie ». Dans un second temps, les deux économètres comparent les différentes filiales entre elles et élargissent ce résultat, pour montrer que « les activités des filiales dans les pays en développement sont complémentaires avec celles des filiales des pays développés plutôt que substituables ». Même entre filiales, on retrouve donc la même idée, celle d’une mise en concurrence des travailleurs, mais entre filiales appartenant à des pays comparables du point de vue de la qualification du travail. Bref, « le degré le plus élevé de concurrence se trouve entre la main-d’œuvre des différents pays en développement, notamment dans les branches à faible valeur ajoutée. La main-d’œuvre dans les filiales des pays industrialisés entre également en concurrence avec celle des autres

4 Jean-Louis Mucchielli et Florence Puech, « Internationalisation et localisation des firmes multinationales : l’exemple des entreprises françaises en Europe », Economie et Statistique n°363-364-365, 2003 <http://guesde.free.fr/es363g.pdf>5 D.A. Riker et L.S. Brainard, « U.S. Multinationals and competition from low wage countries », Working Paper n°5959, NBER, mars 1997<http://hussonet.free.fr/br5959.pdf> ; L.S. Brainard et D.A. Riker, « Are U.S. Multinationals exporting U.S. jobs ? », Working Paper n°5958, NBER, mars 1997 <http://hussonet.free.fr/br5958.pdf>

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pays industrialisés, mais à un degré bien moindre ». On voit donc se mettre en place, à l’intérieur des grands groupes, une « séparation verticale des activités qui cherche à tirer avantage des différentiels de salaires, avec des filiales dans les pays en développement qui prennent en charge les segments les plus sensibles aux coûts salariaux ».

La mondialisation concerne aussi, et au moins autant, les rapports Nord-Nord. Il s’est mis en place une configuration Europe/Etats-Unis très particulière, déséquilibrée et de plus en plus tendue. On peut, au total, distinguer au moins cinq cas de figure qui se situent de manière très différente par rapport aux avantages de coût salarial.

a) les Etats-Unis ont pu être appelés la Grande Machine à Créer des Emplois. On imagine bien que ce n’est pas sur la base de ses bas salaires, et cela tient à sa capacité à soutenir sa croissance en jouant sur le fait que le déficit extérieur est financé par le reste du monde. Pourtant avec l’Alena, le traité de commerce signé avec le Canada et le Mexique, toute l’industrie des Etats-Unis aurait dû passer au Sud du Rio Grande, où les salaires sont 5 à 10 fois plus bas (selon les fluctuations du taux de change). C’est ce que craignait le syndicat AFL-CIO qui figurait parmi les opposants à la signature du Traité. Pour toutes les raisons invoquées plus haut, le transfert s’est produit mais de manière limitée, et sa fonction de mise en concurrence est apparue assez clairement pour que d’importants secteurs du syndicalisme étasunien passe à une ligne de coordination avec les syndicats mexicains indépendants pour lutter contre une dégradation parallèle de la condition salariée des deux côtés de la frontière.

b) l’Europe et le Japon paient le prix de la domination des Etats-Unis qui ont imposé au milieu des années 80 une dévaluation de fait du dollar qui a plombé durablement l’économie japonaise. Ce facteur a joué en Europe, et s’est combiné avec les politiques néolibérales que les gouvernements se sont autoinfligées depuis une bonne quinzaine d’années. Ces politiques ont pour but presque avoué de créer et maintenir un volant de chômage. Ce serait les dédouaner que de faire de la montée du chômage en Europe le résultat de la concurrence des pays à bas salaires. Les causes en sont principalement internes.

Le meilleur exemple – il s’agit plutôt d’un contre-exemple – de cette assertion est la période d’« embellie » 1997-2000, avec 10 millions d’emplois créés dans l’Union européenne. Ces créations d’emplois (qui rompaient avec une longue période de stagnation de l’emploi et de montée du chômage) ne sont pas le résultat d’une compétitivité accrue mais au contraire d’un certain relâchement des préceptes néolibéraux. Il faut insister sur ce point : il ne viendrait à personne de dire que ces 10 millions d’emplois créés ont été « repris » sur les emplois délocalisés, selon un pur mécanisme de vases communicants.

Certes, il y a eu des gains de compétitivité mais qui résultaient exclusivement du renchérissement du dollar par rapport aux monnaies européennes. Jusque là, tout se passait au contraire comme si le blocage salarial devait compenser des politiques de surévaluation monétaire peu favorable à la compétitivité mais très efficace en tant que discipline salariale. En réalité, la reprise a été soutenue par une progression enfin à peu près parallèle des salaires et du PIB. Les créations d’emplois ont ensuite entretenu ce dynamisme, et résorbé au passage une bonne partie du déficit de la Sécu et du budget (ce qu’on a appelé « effet-cagnotte »). Cet enchaînement vertueux a été également sous-tendu par la réduction du temps de travail en France, où l’on a enregistré le chiffre record de deux millions d’emplois créés en 4 ou 5 ans.

Les politiques néolibérales, de plus en plus étroitement coordonnées au niveau européen, ont conduit à un retournement de conjoncture et à un nouveau blocage salarial de fait. La quête sans fin de la compétitivité sécrète les récessions périodiques car les salaires bloqués des uns sont les carnets de commande des autres. Tout le monde est compétitif mais ... en récession.

Enfin, la recherche effrénée d’une compétitivité fondée sur les bas salaires est une illusion : sur ce terrain, effectivement, on ne concurrencera jamais les pays à bas salaires. En revanche une telle orientation est contradictoire avec une compétitivité fondée sur d’autres facteurs que le prix, à savoir la qualification du travail, la qualité, et l’incorporation des nouvelles technologies. Il faut choisir entre le discours sur l’économie de la connaissance et celui de la compétitivité.

c) certains petits pays, au Nord comme au Sud, tirent bien leur épingle du jeu et se trouvent pratiquement en situation de plein emploi. On peut citer l’Irlande ou l’Ile Maurice, et le fait que ce sont deux îles n’est pas tout à fait un hasard, car il s’agit d’économies très ouvertes pour lesquelles le choix d’un bon créneau tire l’ensemble de l’économie. On pourrait citer aussi la Finlande, tirée par l’industrie électronique. Ces pays sont évidemment donnés en modèle de réussite des préceptes libéraux, mais c’est oublier leurs traits spécifiques : leur réussite n’est pas extensible parce qu’elle est repose sur un positionnement que tout le monde ne peut adopter.

d) d’autres pays du Sud connaissent une insertion de type dualiste sur le marché mondial. Une partie du pays se positionne sur un créneau porteur et crée les conditions pour attirer les capitaux. On pourrait parler d’un « ilôt » de dynamisme économique, mais qui n’existe que dans la mesure où le reste du pays est tenu à l’écart. Dans de nombreux pays, les zones franches matérialisent cette nécessité. On peut citer deux pays aussi différents que le Mexique et la Chine qui articulent, de manière plus ou moins réussie, un secteur extraverti dynamique et compétitif et un secteur traditionnel sur lequel il exerce des effets d’entraînement très réduits, et qui ne sont d’ailleurs pas vraiment souhaités par ceux qui bénéficient de ce mode de croissance.

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Page 20: 1hussonet.free.fr/gresil64.doc · Web viewUne étude plus fine montre que la proportion de salariés à temps partiel qui déclarent vouloir travailler davantage a amorcé une baisse,

e) il y a enfin les pays à peu près totalement marginalisés ou encore soumis à une surexploitation de type colonial de leurs ressources primaires.

Synthèse : Il n’a pas que les coûts salariaux (à rédiger) Les performances relatives sur l’emploi ne se retrouvent pas à partir de seuls indicateurs de coûts

salariaux. Effets de domination, de dynamisme du marché intérieur, de taille, etc. la détermination de l’emploi se trouve au centre : contre-exemple de l’embellie la mise en concurrence ne se traduit pas par des transferts nets mais par une dégradation générale de la

condition salariée les délocalisations ne concernent pas que le Sud mais ça joue aussi au niveau européen les délocalisations n’expliquent pas tout dans les secteurs en recul relatif comme le textile-habillement

2) cela nous fait une belle manche

L’analyse qui précède est juste, mais ne fonde pas une politique. Par rapport aux délocalisations et aux restructurations, réelles ou simplement utilisées comme menace, l’action organisée des salariés se heurte à une double difficulté.

2.1. le niveau asymétrique des décisions

La politique des grands groupes se déploie à un niveau de plus en plus élargi à l’échelle de l’Europe, voire du monde. Les décisions prises dans ce cadre s’appliquent et suscitent des résistances au niveau de l’établissement et du bassin d’emploi concerné. C’est un élément décisif du rapport de forces. Il est d’abord matériel, en ce sens que le patronat s’appuie sur le fait que ses capacités de production sont par définition ailleurs (d’où ces luttes visant à empêcher le déménagement des machines). Mais il est aussi idéologique, de manière à présenter la résistance comme une lutte d’arrière-garde, du pot de terre contre le pot de fer. Tout cela explique en grande partie la nature même des luttes sociales concernées, souvent désespérées dans leurs formes de lutte et dans leurs objectifs.

Ces éléments sont évidemment renforcés chaque fois qu’il s’agit de restructurations justifiées par le recul des branches concernées, qui ferait de la recherche de bas salaires le seul moyen de créer de l’activité. Le problème est que ce n’est pas entièrement faux : les secteurs les plus habituellement touchés par les délocalisations (textile-habillement, petite industrie électronique) se caractérisent par une croissance très faible du volume du marché intérieur. Rapportée à des gains de productivité élevés, cette stagnation des débouchés se traduit par un recul des effectifs, indépendamment même du commerce extérieur et des délocalisations. Sur de tels marchés, avec une relative standardisation des processus de production, l’attrait des bas salaires va jouer très fort et accentuer le recul de l’emploi.

Des transferts de main-d’œuvre de secteurs à l’autre ont toujours existé, et la défense de l’emploi ne peut vouloir dire le maintien pour toujours de tel ou tel poste. La structure de l’emploi évolue logiquement en fonction de l’évolution de la demande sociale et de la productivité relative de chacun des secteurs. Quand les besoins sont saturés dans des industries qui font des gains de productivité, il est rationnel que l’emploi y diminue. Le problème, c’est qu’il faut qu’il augmente ailleurs, ou que tout le monde travaille un peu moins. Le problème n’est donc pas en soi la nécessité de reconversion et de déplacements de main-d’œuvre, mais provient d’un environnement macro-économique insuffisamment dynamique pour créer l’appel d’air nécessaire. Et si celui-ci fait défaut, toute reconversion devient une source de licenciement et de misère sociale.

2 .2. la tentation du « produisons français » comme moyen de peser sur les situations immédiates versus une véritable logique de contrôle

Pourquoi alors ne pas demander purement et simplement l’interdiction des délocalisations et des restructurations à échelle supranationale ? Cela apparaît comme la solution la plus simple et la réponse la plus directe. Il est important de bien détailler les raisons pour lesquelles cette voie n’est pas la meilleure.

a) une première série de raisons tient à ce que cette réponse ne correspond pas à la réalité des phénomènes à l’œuvre. Elle fait comme s’il s’agissait d’une ponction d’emplois à sens unique sans tenir compte des emplois créés par les exportations en direction du reste du monde ou par l’investissement français à l’étranger. De manière plus générale, c’est le degré d’interpénétration des capitaux qui est sous-estimée.

b) une seconde raison tient à l’inefficacité d’une telle orientation. Elle passe à côté des vrais moyens de créer des emplois (RTT, répartition plus juste des revenus, croissance soutenable) mais oublie les effets en retour qui découleraient des mesures de rétorsion prises.

c) il y a enfin des raisons plus politiques qui sont de deux ordres. Il y a d’abord une incompréhension des rapports entre Etat et capital. Le capital dont l’Etat est l’instrument est partisan d’une liberté totale de mouvements de ses investissements. Il faudrait donc imaginer un changement de nature de l’Etat, et cela

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conduit au risque principal d’une telle orientation, c’est d’être récupérée par l’extrême-droite, en alliance avec la boutique et le petit patronat le plus réactionnaire. L’un des thèmes de la prochaine campagne du FN va d’ailleurs être « non aux délocalisations ».

Conclusion: il faut mettre en avant l’idée d’un contrôle des travailleurs sur les décisions mettant l’emploi en jeu. Le refus des délocalisations doit être fondé sur la défense des intérêts des travailleurs et non sur la défense de l’intérêt national.

3) des réponses (à discuter et développer)

utiliser la force des mobilisations locales légitimes. Pour le maintien de l’emploi, moratoire jeter les bases de nouvelles structures organisationnelles. Le niveau européen est le bon niveau, pour deux

raisons. Parce qu’une partie des délocalisations/restructurations se jouent sur l’espace européen, et ce sera évidemment d’autant plus vrai avec l’ouverture à 25 (problème du droit social européen pour encadrer le dumping social). Ensuite, parce que c’est par rapport à des groupes internationalisés que le bon rapport de forces peut s’exprimer contre des délocalisations vers des pays du Sud

faire du refus des délocalisations un élément d’une politique de contrôle ouvrier et non pas de priorité nationale. Liaison avec les travailleurs immigrés.

lien avec les luttes altermondialistes ou anti-impérialistes sur ce que font les groupes dans les pays du Sud. Mettre en avant de véritables projets de coopération. Etendre les liens internationalistes

pour un contrôle public mondialisé : réponses plus institutionnelles sur la réglementation des restructurations/délocalisations.

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Chapitre 2Pourquoi les licenciements

Pourquoi ce sentiment que le rythme des réorganisations d’entreprises, des restructurations et des plans sociaux, ne cesse de s’accélérer ? Pourquoi, la grande majorité des salariés du privé considèrent-ils désormais que leur emploi ou leur poste puisse être à chaque instant menacé ? Si le ronron médiatique est parfois troublé par de spectaculaires dépôts de bilan ou réorganisations industrielles (Moulinex, Danone, Marks & Spencer, Air-Lib, Métaleurope…), le débat politique sur ces questions fait généralement long feu. Pourtant, chaque jour qui passe voit des dizaines de plans de licenciement se déployer dans toutes sortes d’entreprises, dans des secteurs en crise ou en croissance, dans des petites ou des grandes entreprises, dans des sociétés moribondes ou dans des groupes en bonne santé. Plusieurs milliers d’emplois sont supprimés, chaque jour, sans qu’il y ait même de plan de « sauvegarde » de l’emploi (puisque telle est l’appellation de la procédure), soit parce que l’entreprise a moins de 50 salariés et qu’elle se situe en deçà du seuil nécessaire à l’application de cette procédure, soit parce qu’elle procède à la suppression de moins de 10 postes. A tel point que c’est désormais le Medef qui monte en première ligne, exigeant pour son compte l’assouplissement des seuils et des procédures.

Ce séisme social permanent disparaît du débat public par le truchement des « créations nettes » d’emplois. Or, celui ou celle qui perd son emploi est très rarement bénéficiaire d’une création d’emploi ciblée dans la mesure où le système ne fonctionne pas avec l’anticipation nécessaire. Il n’y a pas de vases communicants. La suppression d’emplois est donc toujours un drame individuel ou collectif. C’est un sinistre social dont le coût n’est nullement mutualisé, en dépit des allégations du patronat. En considérant l’ensemble des licenciements économiques (et pas seulement ceux qui s’accompagnent d’un plan social en bonne et due forme) l’essentiel du coût est aujourd’hui supporté par les seuls salariés concernés (pertes de revenu, recherche solitaire d’un nouvel emploi, précarité et angoisse sociale) et secondairement par la collectivité au travers des aides diverses. Le prix payé par les entreprises dans leur ensemble (principalement le coût des plans sociaux et les cotisations Assedic) est marginal.

Le formalisme des plans de licenciement

Le contenu même des documents présentant le plan de licenciement correspond largement à un formalisme déterminé par la loi répondant à des contraintes. Les motifs doivent être clairement exposés mais les causes réelles ne sont par forcément les raisons invoquées. Bien souvent, « les argumentaires de projet de licenciement masquent partiellement une réalité fondamentale qui est le fait que le projet de licenciement résulte d’une décision de gestion, c'est-à-dire d’une décision stratégique prise par les dirigeants et le conseil d’administration »6.

La décision est prise par le Conseil d’Administration et déclinée ensuite au management qui la met en œuvre puis transmise au niveau des unités de production charge de l’exécution. A chaque étape elle prend une forme adaptée. La justification stratégique relève du Conseil d’Administration qui prétend répondre aux « intérêts de l’actionnaire-type », pure fiction qui souvent appelée « la veuve de Carpentras » dans la littérature financière. On suppose qu’elle dispose de toute l’information nécessaire pour effectuer des choix parfaitement rationnels, mais cette vision idyllique ne correspond même à la théorie des marchés : sans asymétrie d’informations entre les acteurs, le détenteur d’un actif financier particulier ne peut espérer obtenir plus que le profit moyen.

En réalité, aucun actionnaire ne peut connaître l’ensemble complexe que constitue la firme dont il détient des parts sociales et ses décisions reposent sur une information fruste. Il en résulte une simplification de la représentation des processus de production et un besoin de les identifier, qui entraîne un éclatement des entreprises par métiers et, au sein de chaque entreprise, par « centres de profit ». Pour les dirigeants des entreprises il apparaît, dès lors, inconcevable de présenter des résultats inférieurs à ceux promis aux actionnaire sans présenter en même temps un plan d’action qui, le plus souvent se décline, par des suppressions d’emplois, seule mesure qui apparaît comme lisible pour l’extérieur.

C’est au management que revient de traduire la décision prise au niveau supérieur en termes d’objectifs de l’entreprise et de contraintes auxquelles celle-ci a à faire face. Compte tenu de la définition juridique du licenciement économique (voir encadré), il est impératif d’habiller la décision stratégique et de trouver des arguments qui correspondent à l’ampleur des licenciements. En réalité, le plus souvent, la seule validation des personnes extérieures, (pouvoirs publics, juges et salariés) porte sur la cohérence des arguments de la direction et non sur la situation économique réelle de l’entreprise. Au mieux, le lien entre les faits évoqués et les suppressions d’emplois fait l’objet d’un contrôle de cohérence.

Le processus d’ensemble répond donc à des contraintes proprement juridiques mais également, et on peut même dire surtout, à des exigences de légitimité : « Il s’agit de déterminer de quelles façons (en mobilisant quels appuis, sous quelles contraintes, dans quel environnement) les décisions d’emploi passent d’un état dans lequel elles sont imposées unilatéralement par l’entreprise aux salariés à un état qui les rend admissibles par

6 Tristan Boyer, Déconstruction d'argumentaires économiques et projets de licenciement, Document d'étude DARES n°53, avril 2002 <http://hussonet.free.fr/gresil.htm/tboyer52.pdf>

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les salariés de l’entreprise »7.

Puis vient la mise en œuvre concrète du plan de licenciement. Les suppressions d’emploi ne sont plus abstraites mais concernent alors des personnes déterminées. Dès lors il est important de faire apparaître la décision comme exogène, indépendante des préférences de la direction, afin de prévenir des réactions violentes qui terniraient l’image de l’entreprise et du groupe (Cellatex), et pour préparer ceux qui restent à une détérioration de leurs conditions de travail.

L’invocation d’une situation de « crise » est évidemment privilégiée. Elle peut être réelle et résulter d’un décalage entre les capacités productives et les attentes du marché, mais ces difficultés peuvent servir à justifier des mesures sans rapport avec les problèmes rencontrés, parce qu’elles relèvent d’autres motivations. Il arrive aussi que les difficultés soient purement et simplement organisées par le groupe comme dans l’exemple de l’usine Chausson de Creil8. Les récents travaux de Rachel Beaujolin9 ou de Tristan Boyer10 ont mis en lumière que les projets de réduction d’emploi répondaient, au moins en partie à une logique relativement autonome par rapport à la situation économique réelle de l’entreprise concernée qui intervient souvent plus comme justification a posteriori.

Les justifications classiques des plans sociaux

La perte de chiffre d’affaires est la raison immédiate invoquées par des entreprises confrontées à d’importants changements de la demande et qui, de ce fait, voient leurs parts de marchés s’éroder régulièrement. Les cas de figure sont multiples. Ainsi les entreprises qui fabriquaient des cassettes VHS sont progressivement évincées par celles qui produisent des DVD, les technologies et les qualifications requises n’étant pas les mêmes. Le déremboursement d’un médicament peut engendrer une forte baisse de ses ventes. La déréglementation ou la mise en concurrence internationale de secteurs traditionnellement nationaux (transport routier, concessionnaires automobiles, etc.) va provoquer un grave recul de l’activité de certaines entreprises. Des événements extérieurs peuvent également toucher durement une activité : compagnies aériennes en cas de guerre, filière satellite après l’accident de la Nasa, par exemple, de même que des problèmes réels ou supposés de qualité (Buffalo Grill en 2002), des erreurs stratégiques à contre-sens de l’évolution des marchés et de la demande (Marks & Spencer en 1999), ou encore l’échec grave d’un produit (l’Aventime de Renault et Matra). Dans tous ces cas, l’entreprise qui n’a pas pu ou pas su anticiper entrera plus ou moins vite dans une spirale récessive.

Le pincement de la marge peut compromettre l’avenir d’une entreprise en affaiblissant sa capacité à défendre ses parts de marché ou à investir, ou tout simplement en provoquant un défaut de trésorerie. La cause peut provenir des produits ou services proposés, des termes de la concurrence, des gabegies internes, ou de bien d’autres choses encore. On connaît beaucoup de ces scénarios : économies d’échelle ou délocalisation d’un concurrent qui impose aux autres un alignement sur ses prix de vente ; pression du client qui exige une baisse annuelle du prix de vente, etc. C’est le cas le plus clair du rapport de force marchand, du bras de fer entre client et fournisseur sur le partage de la marge. C’est ainsi que beaucoup d’entreprises produisant des biens intermédiaires ou des services aux entreprises sont régulièrement forcées de revoir leurs structures de coûts ou de disparaître. Les cas abondent, que ce soit chez les équipementiers automobiles et aéronautiques, les fournisseurs de la grande distribution et autres. Et, bien d‘autres facteurs peuvent faire dérailler un compte de résultat au point de précipiter une entreprise dans la crise : une décision politique d’augmenter le prix de l’essence ou du fuel (activités routières), du tabac (buralistes), la perte d’une subvention (dans la recherche) ou l’application d’une pénalité pour retard (BTP).

L’anticipation de ces divers problèmes pousse inexorablement à la réalisation de gains de productivité. Le déploiement de nouveaux systèmes informatiques (EDI, Echanges de Données informatiques et autres progiciels de gestion) permettent de suivre à chaud l’évolution des résultats. Ils ont permis de raccourcir les délais de décision, tout en allégeant les services administratifs. Il est maintenant courant qu’un directeur d’usine puisse lire en temps réel un comparatif de charge de travail et de coûts unitaires entre son site et tous les autres sites européens de son groupe.

Le levier des déréglementations et du libre échange pèse sur les résultats des entreprises. L’ouverture d’un espace de libre échange comme celui de l’Union européenne engendre mécaniquement une surcapacité industrielle des groupes à l’échelle de la zone. Les moyens qui, par le passé, étaient alloués à chaque marché national s’avèrent surdimensionnés quand les frontières s’ouvrent et que les capacités s’additionnent. A fortiori dès qu’un concurrent aura pris l’initiative de réduire et de spécialiser ses propres sites et qu’il les aura organisés en liaison avec quelques plates-formes logistiques sous-régionales, créant par la même un avantage comparatif redoutable. Le périmètre de gestion est devenu au moins européen. Les délocalisations ne sont

7 Tristan Boyer, rapport cité.8 voir Danièle Linhart, Perte d'emploi, perte de soi, Erès, 2002.9 Rachel Beaujolin, Les vertiges de l’emploi, Grasset/Le Monde de l'Education, 1999.10 Rapport cité. Voir aussi, du même auteur : Déconstruction d'argumentaires économiques et projets de licenciement, Document d'étude DARES n°53, avril 2002 <http://hussonet.free.fr/gresil.htm/tboyer53.pdf>

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plus réduites à des transferts du Nord vers le Sud. La mise en concurrence des fiscalités, des prix du transport ou de l’énergie arbitre désormais les localisations en Europe même.

Des problèmes de gestion et de financement de l’activité menacent les entreprises, y compris celles qui réussissent. C’est souvent le cas de nouvelles entreprises quand leur encours de créances augmentent plus vite que leur marge d’autofinancement. Nombre de redressements judiciaires ou de liquidations ont pour origine l’incapacité à payer les fournisseurs ou à rembourser des dettes quand, par exemple, l’entreprise doit faire face à la défaillance d’un client important. Il peut arriver qu’une entreprise ne trouve pas les moyens de financer les effets sur son besoin en fonds de roulement d’une croissance d’activité. On touche là aux relations entre l’entreprise et les banques – elles mêmes des entreprises vivant de la ponction d’une partie de la richesse créée.

D’autres raisons peuvent mener à des tensions financières telles que l’entreprise est menacée de disparaître : opérations hasardeuses de croissance externe (les salariés payent souvent les écarts d’acquisition par des mesures de réorganisation) ou de choix stratégiques erronés (l’exemple  de Tati en 2003, incapable de modifier son concept commercial et cherchant des relais de croissance sur des segments très aléatoires). Mais aussi, malversations ou abus de bien social fréquents dans les PME.

L’accélération des restructurations

Le mouvement de restructurations d’entreprises suit aujourd’hui un rythme sans précédent et il faut se demander à quoi tient cette accélération. La première raison renvoie à l’évolution des marchés et des techniques. Premier constat, les grands marchés de masse qui ont fait les trente glorieuses sont devenus des marchés matures dans la plupart des pays de l’OCDE : automobile, électroménager et aménagement du foyer, alimentation… Les secteurs de biens durables adressés aux ménages affichent une forte cyclicité et dépendent désormais largement des seuls besoins de remplacement. Beaucoup affichent des croissances faibles en volumes, en raison de leur saturation. La pharmacie n’échappe pas à cette évolution, pour des raisons de politique restrictive de santé.

Pour sortir de cette impasse et ne pas disparaître, les groupes qui oeuvrent sur ces marchés n’ont que peu de solutions : aller chercher de la croissance dans les pays de la « nouvelle frontière » (Russie, Chine notamment) ; racheter des concurrents pour augmenter leurs parts de marché ; accélérer le rythme des innovations, réelles ou mystifiantes, pour prendre des parts de marché aux adversaires ou créer de nouveaux besoins ; baisser leurs prix de vente pour gagner sur les volumes. Dans tous ces scénarios, la restructuration est un élément-clé : l’entreprise rationalise et cherche à augmenter ses résultats pour réaliser de la croissance externe ; elle revoit son process industriel, son investissement et son organisation opérationnelle pour chaque évolution importante du produit final ou pour abaisser le prix de revient. Par nécessité, le cycle du produit se réduit entraînant à chaque fois une reformulation des organisations industrielles et commerciales.

Le poids de la publicité et des actions promotionnelles est grandissant, souvent d’un niveau analogue au coût salarial. Et l’on a vu des plans de licenciement visant à faire basculer des économies de salaires sur un nouvel effort publicitaire. Chaque année, les linéaires de la grande distribution présentent 1500 et 2000 nouveaux produits. L’innovation et ses obligations marketing sont devenus les principaux moyens pour faire face à la saturation des marchés. Le cycle produit diminue, ce qui génère une accélération des opérations de re-engeneering industriel incessant.

Ainsi, l’industrie des détergents domestiques a connu une dizaine d’années de restructuration industrielle dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest par le seul fait de passer de la lessive linge (type grand baril) à de la lessive poudre ou liquide concentrée, puis à des tablettes, puis à des dosettes, puis aux formules 3 en 1. A chaque fois, il a fallu arbitrer entre différents sites pour allouer le nouvel investissement et réduire les surcapacités sur les produits anciens brutalement cannibalisés par les nouveaux. Le premier intervenant gagne momentanément du chiffre d’affaires au détriment des autres : Procter & Gamble avait bénéficié de sa promptitude en matière de lessive concentrée, ce fut ensuite Unilever qui remporta la première manche sur les tablettes, etc. A chaque fois, le gagnant revoit son dispositif industriel et restructure en conséquence, et les perdants restructurent eux aussi pour compenser l’effritement de leur acticité et prévoir le coup suivant !

Quels pourraient bien être les nouveaux marchés porteurs de cette croissance vertueuse qui fit les trente glorieuses ? L’informatique et la téléphonie viennent de montrer qu’en trois ans à peine la demande massive des ménages avait été satisfaite… D’où la course au portable qui prend de (très mauvaises) photos, l’ordinateur de poche qui fait téléphone, les lunettes qui diffusent du MP3, et demain la maison numérique.

Ce n’est donc sans doute pas du côté de la production de biens matériels qu’il faudrait aller chercher les gisements de croissance de l’emploi. Et les secteurs de la communication et du numérique ne constitueront pas, malgré leur croissance, un relais équivalent. Il serait illusoire d’attendre à l’époque de la mondialisation une solution du plein emploi qui passe par la croissance du secteur marchand – sauf à développer à l’extrême l’armée des petits boulots de service. Mais, aucun secteur industriel ou commercial n’est aujourd’hui en mesure de relayer ce que furent, il y a 30 ans, les grandes branches que nous avons citées. Dans des sociétés

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produisant toujours plus de richesses avec des moyens de plus en plus rationnels, il devrait aller de soi que c’est dorénavant (hormis les politiques ad hoc de réduction du temps de travail) du côté des services publics et de la satisfaction des besoins sociaux comme la santé, l’éducation et bien d’autres choses, qu’il faut faire croître l’emploi massivement pour répondre à une demande croissante et redistribuer ainsi les gains de productivité sous forme de bien-être collectif. A la condition bien sûr que la répartition des richesses soit radicalement modifiée. D’où, d’ailleurs, la pression patronale pour justement libéraliser, privatiser, « marchandiser » tous ces services, sources évidentes de demande croissante.

Nouvelles technologies et nouvelles formes de gestion

A tout cela s’ajoute la question des évolutions technologiques. Non pas que les qualifications requises soient nécessairement différentes d’une technique ancienne à une nouvelle, mais parce qu’à chaque fois c’est toute l’organisation de l’entreprise qui doit changer. Passer de la téléphonie traditionnelle à la téléphonie par Internet ne va pas se faire sans bouleversement. Passer d’une recherche pharmaceutique faite à partir de synthèses chimiques traditionnelles à une recherche basée sur les biotechnologies constitue un changement radical.

Ce n’est d’ailleurs pas nouveau. L’informatisation a bouleversé la structure administrative des entreprises, ainsi que tous les services commerciaux, les métiers de la presse, de l’impression etc. A chaque fois, il y a eu d’importants changements de la structure de l’emploi mais aussi, bien sûr, des plans de licenciement.

Au demeurant, un grand nombre de technologies nécessite désormais par nature le lancement de produits-monde. On ne fabrique pas un train à grande vitesse pour un simple marché national ou continental, pas plus que l’on conçoit un lanceur de satellite pour ses seuls besoins nationaux. Même chose dans la pharmacie  : la R&D d’une nouvelle molécule vraiment innovante s’élève aujourd’hui à environ 800 millions de dollars (contre 200 en 1990) compte tenu de l’amortissement des recherches parallèlement avortées. Ces évolutions industrielles président toute une série de réorganisations opérationnelles dont l’impact sur l’emploi – pays par pays – est considérable : alliances pour réduire le risque, répartition internationale et spécialisation des sites, économies d’échelle. D’où également les mécanismes centralisés, à l’échelle européenne ou mondiale, des chaînes d’approvisionnement des groupes, ainsi que le démantèlement de leurs unités nationales de recherche et d’innovation au profit de quelques centres à vocation mondiale.

Les gestions du « juste à temps » ont largement contribué à bouleverser l’organisation des entreprises et continuent à le faire. Dans l’automobile, la mise en place de Parcs Industriels Fournisseurs (PIF) place les sites des équipementiers en situation permanente de vulnérabilité : ils sont dédiés à une plateforme du constructeur et surtout à un modèle de véhicule. Leur pérennité est donc liée aux futures conditions de renouvellement des modèles. Le « juste à temps » a fait que ce n’est plus les stocks qui servent de régulateur mais plutôt les salaires et donc les effectifs. Les entreprises rendent compte de cela quand elles imputent la main d’œuvre directe de production en charge variable. Et si elles décident de faire passer certains postes de main d’œuvre indirecte (coût fixe) en main d’œuvre directe (coût variable), c’est toujours benoîtement qu’elles présentent cela comme une simple modification formelle de leurs écritures comptables.

Il en est de même dans le commerce. Vendre en direct ou vendre en ligne change tout. Vendre par des conseils directs au client ou vendre en libre service change également tout. Or, la vente en ligne s’étend (billetterie, composants informatiques…) ; la vente en libre service aussi (vêtements, informatique, etc.). Le seul fait que pour conserver des parts de marché, il faille modifier très souvent un concept commercial (mise en scène des magasins et nouvelles situations, forme de vente, nouvelle cible de clientèle,…) produit également son lot de restructurations et de licenciements.

L’organisation du travail et le rapport de forces social

L’instabilité des entreprises est devenue elle-même un facteur de mise au pas des salariés, quand ce n’est pas de mise en conformité idéologique puisque les normes d’efficacité économiques s’énoncent de nos jours comme du simples règles de « bon sens ». Pour répondre à l’exigence de lisibilité demandée par les analystes financiers les entreprises doivent se concentrer de plus en sur leur « noyau dur ».

Au « cœur » du groupe se trouvent réunies les compétences et l’expertise définissant les spécificités différentielles de la firme : sa raison d’être spécifique. Ce périmètre réduit par définition les possibilités de reclassement interne. L’organisation antérieure du travail permettait à l’ouvrier de « suivre un parcours professionnel ». Ce cycle débutait par l’apprentissage puis par la pratique suivie d’une promotion précédant la phase de stagnation amenant à la retraite. Aujourd’hui l’organisation des entreprises ne permet plus d’accomplir l’ensemble du parcours en leur sein. De là le discours répété sur la nécessité pour chaque salariés d’avoir des employeurs multiples au cours de sa vie professionnelle. Discours qui indirectement participe à la justification des plan de licenciement par l’inadaptation des salariées aux évolutions.

Autour de la firme centrale donneuse d’ordre, nous trouvons un premier cercle dans lequel se situent les moyens d’ajustement quantitatif à la fois au cycle de vie des produits et à la conjoncture immédiate. Le niveau de contrôle par l’entreprise demeure élevé. Souvent les sous-traitants sont constitués par le rachat d’unités de

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Page 26: 1hussonet.free.fr/gresil64.doc · Web viewUne étude plus fine montre que la proportion de salariés à temps partiel qui déclarent vouloir travailler davantage a amorcé une baisse,

production des dits donneurs d’ordres. En périphérie, les activités plus banales dont les fournisseurs présentent peu de spécificités et peuvent être interchangeables dans la recherche de meilleures conditions.

Imposer dans l’analyse de l’entreprise une vision globale du « coût du travail » incluant l’intérim et la sous-traitance, non seulement remet en lumière son caractère de facteur de production, mais permet d’étendre l’analyse du processus de production concerné à tout le collectif de travail.

Les formes du contrat de travail lui-même évoluent, le CDI traditionnel se raréfie alors que les demandes sur les qualifications sont en constante augmentation avec des conditions d’exécution de plus en plus exigentes : horaires flexibles, (jours et années), polyvalence des fonctions, rémunération flexible (voir encadré). La contradiction sur laquelle il est bâti, contrat de louage de service et protection de l’intégrité physique du travailleur apparaît de plus en plus flagrante11. L’instabilité externe se répercute sur l’interne. L’ensemble de ces transformations renvoie aux défaites sociales subies depuis vingt ans. La partie, qui se joue entre entreprises et entre secteurs, s’arbitre sur le dos des salariés, aux niveaux national et mondial. Les corrections permanentes de stratégies et d’organisation sont d’autant plus faciles à exécuter que le coût des licenciements est aujourd’hui modeste. Et celui-ci est modéré à la fois parce que les défaites syndicales se sont accumulées dans les pays industriels depuis deux décennies et parce que ce coût s’amortit dorénavant à l’échelle d’une organisation mondiale, du moins pour les grands groupes qui dictent les règles. C’est ainsi que le coût de la plupart des plans de licenciement s’amortit entre 12 et 18 mois, grâce aux économies et aux gains d’efficacité qui sont dégagés par la réorganisation économique. C’est raisonnable, surtout si l’on a passé la totalité de cette charge en provisions sur un seul exercice réputé « perdu ».

Le poids de la finance sur la gestion

L’une des raisons profondes à la « restructuration permanente » tient à la financiarisation des stratégies d’entreprise par le passage à la « défense des mandants ». Dans le fameux rapport Cadbury qui fut, en Grande-Bretagne et avant que cette préoccupation ne gagne la France, l’une des approches pionnières en matière de gouvernement d’entreprise, il était écrit que « la prospérité de l’entreprise doit être préférée à la responsabilité ». Cet apparent changement de paradigme de gestion naît de la modification de l’actionnariat, celui des gérants de fonds, des « capitalistes purs » en quelque sorte. La variété des investisseurs (OPCVM, Assurance-Vie, Fonds de pension, Institutionnels, sociétés d’investissement…) diversifie les pratiques, mais globalement la pression des investisseurs s’est renforcée. D’où l’hégémonie des standards internationaux de rentabilité et les cessions d’activités les moins disantes en matière de marge (même si celles-ci restent parfois confortables) afin qu’à la consolidation le nouveau périmètre gagne quelques points de marge supplémentaire.

Mais le taux de marge ne suffit pas à piloter l’entreprise. Il faut aussi immobiliser le moins possible de capitaux pour rationaliser leur emploi et pour lisser le risque par la diversité de l’investissement. Les réorganisations de périmètre juridique (filialisations et externalisations) visent le plus souvent à transformer des coûts fixes en coûts variables : l’activité est transférée dans une nouvelle entité, subordonnée à une demande fluctuante et assurant seule la charge de ses moyens (amortissements et effectifs). Ce qui était internalisé est désormais flexibilisé au profit du donneur d’ordres. A charge pour le « fournisseur » de gérer les fluctuation des commandes, notamment par l’emploi massif d’intérimaires, de CDD et de temps partiels, et bientôt à coup de « contrats de mission ». D’où les externalisations et cessions industrielles conduisant à des firmes-réseau. Serge Tchuruk, président d’Alcatel, déclarait en juin 2001 « Nous souhaitons être très bientôt une entreprise sans usine », rejoignant ainsi d‘autres grands groupes, dont certains estiment avoir dorénavant pour « cœur de métier » le marketing, la recherche et développement de marques. Ce volet-là de la mondialisation est lui-même porteur de réorganisations en cascades, de cessions, d’absorptions, de modification de périmètre juridique … toutes choses qui à chaque fois provoquent des réorganisations directement opérationnelles, donc des plans d’ajustement des moyens et des effectifs.

La pression des actionnaires et la recherche d’un plus grand rendement du placement ont donc pour effet d’aiguiser la guerre concurrentielle. L’obligation d’atteindre un certain niveau de rentabilité passe dorénavant par la sélection des activités les plus « margées » au détriment des autres. Nous assistons ainsi depuis une vingtaine d’années à des échanges réguliers d’activités : je te cède ma chimie de base, je t’achète tes détergents ; tu m’achètes mes margarines, je te prends tes crèmes glacées… A chaque fois, ces cessions-acquisitions s’accompagnent d’importants gains de productivité, fermetures de sites et rationalisations. Ces mouvements se sont même accélérés au moment de l’engouement pour la nouvelle économie, lorsque le mandat donné aux dirigeants était de combler au plus vite le différentiel de valorisation entre leurs groupes et les stars du moment des nouvelles technologies de l’information.

Mais, surtout, la notion de « création de valeur » pour l’actionnaire s’est imposée. Dans un passé proche, un dirigeant d’entreprise faisait valoir auprès de ses actionnaires la croissance du bénéfice net par action. Désormais, il doit garantir que l’intégralité des fonds avancés fructifie, en renonçant à tout investissement qui rapporterait moins que le coût du capital. L’actionnaire veut en effet aujourd’hui que son avance soit rémunérée en rapport avec le risque encouru.

11 voir Alain Supiot, Critique du droit du travail, PUF, 2002.26

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La notion de « création de valeur », à la mode aujourd’hui chez les « théoriciens » de la gestion, symbolise parfaitement le poids de la contrainte financière évoquée. Un autre ratio en vogue est le ROE (Return on equity) qui rapporte le résultat de l’exercice aux fonds Propres : il permet ainsi d’apprécier la différence entre résultat opérationnel après frais financiers et rémunération des capitaux investis. De la même façon, le Total Shareholder Return compare la rentabilité ex post de l’investissement et du taux de rentabilité anticipé ex ante par l’actionnaire, etc. Quelle que soit la définition retenue, ces indicateurs s’en remettent au marché pour l’évaluation de l’entreprise, comme s’il s’agissait d’un placement financier comme un autre. Sa rentabilité est alors comparée à celles des autres opportunités sur les marchés de capitaux, obligations, placements. La comparaison a lieu sous les trois angles : rentabilité brute, risque, liquidité12.

En réalité, le financement des entreprises par l’intermédiaire de la Bourse ne représente qu’une très faible part des besoins de ces dernière, même lorsqu’elles sont cotées (environ 10 %). Le marché boursier constitue, dans ces conditions plus une norme idéologique qu’une contrainte réelle pour la gestion des entreprises. L’application de ces critères a pourtant des effets très concrets sur la gestion. Prenons par exemple le concept compatble d’EVA (Economic Value Added). Il renvoie explicitement au coût du capital affecté à chacun « centre de profit » et conduit en toute bonne logique à analyser chaque processus productif dans ses spécificités et non par sa complémentarité. Dès lors le découpage du périmètre opéré et les clefs de répartition des charges communes retenues, permettent de justifier toute stratégie générale. Le centre de profit doit dégager plus de résultat que la rémunération des capitaux engagés pour produire. Le rendement pris en compte pour les capitaux engagés correspond à la moyenne des taux d’intérêts des emprunts et de l’exigence des actionnaires en ce qui concernent les capitaux propres. Une augmentation de cette exigence conduit l’atelier concerné a être « destructeur de valeur ».

La seule issue pour l’entreprise est une stratégie de « first mover » qui vise à anticiper l’évolution des processus de production et des méthodes managériales. Tel est le nouveau credo, développé dans la rapport Viet13, que l’on retrouve dans les justifications avancées par BSN à propos de la cession de Danone.

Dans la forme extrême, mais pas la moins courante, la démarche du plan consiste à déterminer sur une base purement financière un pourcentage de sureffectif, puis à l’appliquer à l’effectif présent. Cette pratique de la « règle de trois » est d’autant utilisée que le dirigeant est proche de la finance et éloigné de la connaissance concrète du métier de l’entreprise ou de l’établissement14.

C’est par l’intermédiaire du système comptable15 que s’expriment les contraintes économiques de l’entreprise. Les faits comptables ne s’imposent pas, ils sont retenus en fonction de la finalité même du système comptable. Seules les informations monétaires sont utilisables dans un modèle comptable puisque sa finalité essentielle est de fournir une vision homogène de l’ensemble, elle ne peut qu’ignorer les éléments non monétaires. Tout comme pour une photographie, la vision donnée dépend du cadrage effectué. L’objet de la comptabilité reste de quantifier l’activité économique sur la base des faits juridiques observables, et non de donner une représentation exhaustive, impossible, de la firme. Les indicateurs de gestion mis en avant par les directions reflètent ainsi avant l’optique dans laquelle elles regardent une société.

L’exigence de la flexibilité du capital se heurte à la vision du travail vécu comme une charge fixe. Pour un capitaliste, si l’identification du travail comme coût est aisé, pour chaque capitaliste, ses effets positifs dans le domaine de la création de valeur demeurent incertains. La valorisation résulte de déterminations diverses et complexes : concurrence, réussite technique, coût de production, etc. Un exemple simple permet d’illustrer comment agit en matière de licenciements le ratio de référence qui rapporte les frais de personnel au chiffre d’affaires. Si, par hypothèse, les frais de personnel représentent 30 % du CA alors que le résultat net de 3%, il est aisé de comprendre dans ces conditions qu’une réduction de 10 % des frais de personnel permet un doublement du résultat.

Seul coût salarial interne est pris en compte dans ces calculs, le « travail externe » étant au contraire analysé comme un élément de flexibilité. Cela permet de comprendre ces situations paradoxales où des entreprises recourent à du personnel en travail temporaire ou à des CDD pour « surcroît d’activité », immédiatement après un plan de licenciements. De telles pratiques entrent en contradiction flagrante avec le principe selon lequel le licenciement ne doit pas être inhérent à la personne du salarié. Elles montrent surtout le caractère artificiel des critères retenus qui confèrent à l’emploi un rôle de variable d’ajustement privilégié.

L’aiguisement de la concurrence

C’est pourtant bien sur cette question de la responsabilité et de sa charge que devrait porter le débat. Mais avant cela, posons-nous quelques questions. A quoi sont dues les suppressions d’emplois ? A une multitude de

12 Les fameux 15% si souvent évoqués sont justifié par référence au taux des obligations d’Etat sans risque, 10% au moment où il a été retenu, + 2% de prime de risque justifié par des modèles de marché (MEDAF) et 2% de prime d’ illiquidité. Si cela ne fait pas 15 ne vous étonner pas c’est cela la « science » des néo-classiques.13 Claude Viet, rapport de synthèse de la Mission Exploratoire sur l’Accompagnement des Mutations Economiques, janvier 2003 <http://hussonet.free.fr/clviet.pdf>14 « Pourquoi licencie-t-on ? » dossier, Les Annales des Mines - Gérer & Comprendre, septembre 1994.15 Nous faisons référence ici aussi bien à la comptabilité générale, vecteur de communication avec les actionnaires, qu’à la comptabilité analytique utilisée dans les unités de production, souvent privilégiée à l’encontre des salariés.

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Page 28: 1hussonet.free.fr/gresil64.doc · Web viewUne étude plus fine montre que la proportion de salariés à temps partiel qui déclarent vouloir travailler davantage a amorcé une baisse,

causes que rien ne relierait ? A la faute à pas de chance ? Au coût du travail trop élevé ? A la concurrence étrangère ?… Fondamentalement, un mécanisme, et un seul, sous-tend l’ensemble des raisons locales et singulières de tel ou tel plan de restructuration : la concurrence et les lois du marché. Autrement dit, le fait que les entreprises et leurs actionnaires se livrent une bataille quotidienne, acharnée, pour le partage des marges, pour la répartition de la richesse créée. Bataille entre entreprises d’un même secteur, mais aussi entre secteurs, entre fournisseurs et entreprises clientes, et même maintenant entre filiales et divisions d’un même groupe suivant les prix de cession interne et l’allocation des investissements. C’est donc bien au-delà de la seule rivalité entre acteurs d’un même marché.

Dans notre monde, une entreprise du secteur marchand qui ne fait pas du profit le moteur de son fonctionnement disparaîtra, quelle que soit la destination et l’usage ex post du profit réalisé. Et ce profit n’est pas simplement le résultat du partage de la valeur ajoutée entre l’entreprise et ses salariés  ; il est plus fondamentalement le produit d’un partage global de la marge entre toutes les entreprises et tous les secteurs, rémunérations de leurs salariés incluses. Cette loi est d’autant plus dominante que la mondialisation étend les activités pour lesquelles la formation des prix se fait désormais à une échelle mondiale. Les exploitations agricoles n’échappent pas à cette règle.

La bagarre interentreprises et inter-secteurs, pour l’appropriation de la valeur ajoutée et des gains de productivité, est d’ailleurs fréquemment arbitrée par l’Etat, dans des limites « convenables » bien sûr. C’est par exemple la cas de la loi Galland visant à garantir « la loyauté et l’équilibre des relations commerciales » entre industrie et grande distribution.

Voilà pourquoi il est bien difficile de réduire le mal des restructurations à telle ou telle pathologie économique ou financière ou à tel ou tel comportement patronal. Toutes sortes de raisons et de circonstances expliquent la réorganisation d’une entreprise ou d’un groupe, sur une palette allant de « va très mal » à « va bien mais… ». Une multitude de paramètres dans une seule équation, celle qui établit la péréquation du profit entre l’ensemble des entreprises, dans un périmètre de plus en plus mondialisé. Rien n’échappe à cette raison première, pas même les plans de licenciement générés par les fusions-absorptions, dont l’objectif est toujours d’améliorer les capacités concurrentielles du nouvel ensemble. La logique marchande fabrique à chaque seconde des perdants et des gagnants. Pas simplement par la bataille pour les parts de marché, ce qui serait réducteur, mais aussi et surtout par ce conflit plus vaste, plus planétaire, plus complexe de la répartition de la plus-value globalement produite. D’où la terminologie guerrière : conquête de parts de marché, secteurs dominants, stratégie défensive, terrain de chasse, asphyxier les concurrents, retraite ou offensive sur un marché, prédateurs et proies, entreprises cibles, etc.

Nous voilà donc sur un vaste champ de bataille, avec pour seul enjeu le partage du butin. Parmi les protagonistes directs du conflit, les victimes sont légions. Au sommet, le conflit est policé : on y perd et on y gagne aussi, mais on y meurt rarement. On s’absorbe, on s’achète, c’est toujours un peu du donnant-donnant. A l’inverse, le choc est radical pour les PME vassales qui ont fait leur temps, les artisans francs-tireurs qui croyaient pouvoir maintenir un travail indépendant, les établissements soudainement marginalisés dans le grand mouvement brownien de l’offre et de la demande. Par voie de conséquence, cette guerre jette à la rue des centaines de milliers de salariés, elle marginalise des villes et des régions, elle démantèle des collectifs de travail sans égard pour leur histoire et leur portée culturelle, elle broie des millions d’existences. Pourquoi cela ? Pourquoi la bataille entre compétiteurs de l’aventure entrepreneuriale devrait-elle être assumée et payée par les salariés ?

EncadréLes formes de travail externe se développent et se diversifient16 :

Les CDD représentent aujourd’hui 5,5% de l’emploi (10,7 % des Travaux Publics). Ils ont augmenté de 51,3% entre 1990 et 2002 selon le rapport du Conseil Economique et social.. De plus en plus il sont utilisés comme une nouvelle forme d’embauche permettant de contourner les règles concernant le préavis.

L’Intérim, y compris par reprise des travailleurs par leur ancienne société, représente 3,1% de l’emploi. Sur la même période ils ont progressés de121,4%, mais 214 % lorsqu’il s’agit de temps partiels !

Les stagiaires ont, pour leur part, augmenté 52,6% et représentent de 2,6% des postes de travail.

Il est fort à parier que quelque soient les précautions édictées dans son rapport la proposition de M de Virville17 de créer une nouvelle forme de contrat de travail : le contrat de mission aboutira à un détournement de la loi identique à celui qui se produit actuellement tant sur les CDD que sur l’intérim. L’organisation des groupes se répercute également sur les formes d’emploi. L’augmentation des prêts de main-d’œuvre ou

16 Bernard Vivier, La place du travail, rapport au Conseil Economique et Social, juillet 2003 < hussonet.free.fr/vivier.pdf>17 « Pour un code du travail plus efficace » Rapport aux Ministre des affaires sociales du travail et de la solidarité(janvier 2004).

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détachement au sein d’un groupe devient sensible. Nous assistons également à la création de filiales spécialisées qui peuvent changer de groupe au gré des stratégies mise en œuvre. De manière accessoire cala permet de contourner les règles régissant le plan social, les licenciements se pratiquent dans chaque entité juridique par paquets de moins de 10 personnes18.

La nature de la sous-traitance change, de plus en plus elle n’agit pas en réelle indépendance par rapport au donneur d’ordre. Le lien avec le donneur d’ordre est organisé au travers de contrats qui imposent notamment un rythme annuel de gain de productivité, contrôle l’organisation du travail, inclut notamment des clauses de délocalisation…. (G.E). Les PME n’ont qu’un accès limité au marché des capitaux et encore largement au travers du système bancaire, lui-même actionnaire majoritaire des groupes qui constituent leurs donneurs d’ordres.

Conclusion

C’est pourtant bien sur cette question de la responsabilité et de sa charge que devrait porter le débat. Mais avant cela, posons-nous quelques questions. A quoi sont dues les suppressions d’emplois ? A une multitude de causes que rien ne relierait ? A la faute à pas de chance ? Au coût du travail trop élevé ? A la concurrence étrangère ?… Fondamentalement, un mécanisme, et un seul, sous-tend l’ensemble des raisons locales et singulières de tel ou tel plan de restructuration : la concurrence et les lois du marché. Autrement dit, le fait que les entreprises et leurs actionnaires se livrent une bataille quotidienne, acharnée, pour le partage des marges, pour la répartition de la richesse créée. Bataille entre entreprises d’un même secteur, mais aussi entre secteurs, entre fournisseurs et entreprises clientes, et même maintenant entre filiales et divisions d’un même groupe suivant les prix de cession interne et l’allocation des investissements. C’est donc bien au-delà de la seule rivalité entre acteurs d’un même marché.

Dans notre monde, une entreprise du secteur marchand qui ne fait pas du profit le moteur de son fonctionnement disparaîtra, quelle que soit la destination et l’usage ex post du profit réalisé. Et ce profit n’est pas simplement le résultat du partage de la valeur ajoutée entre l’entreprise et ses salariés  ; il est plus fondamentalement le produit d’un partage global de la marge entre toutes les entreprises et tous les secteurs, rémunérations de leurs salariés incluses. Cette loi est d’autant plus dominante que la mondialisation étend les activités pour lesquelles la formation des prix se fait désormais à une échelle mondiale. Les exploitations agricoles n’échappent pas à cette règle.

La bagarre interentreprises et inter-secteurs, pour l’appropriation de la valeur ajoutée et des gains de productivité, est d’ailleurs fréquemment arbitrée par l’Etat, dans des limites « convenables » bien sûr. C’est par exemple la cas de la loi Galland visant à garantir « la loyauté et l’équilibre des relations commerciales » entre industrie et grande distribution.

Voilà pourquoi il est bien difficile de réduire le mal des restructurations à telle ou telle pathologie économique ou financière ou à tel ou tel comportement patronal. Toutes sortes de raisons et de circonstances expliquent la réorganisation d’une entreprise ou d’un groupe, sur une palette allant de « va très mal » à « va bien mais… ». Une multitude de paramètres dans une seule équation, celle qui établit la péréquation du profit entre l’ensemble des entreprises, dans un périmètre de plus en plus mondialisé. Rien n’échappe à cette raison première, pas même les plans de licenciement générés par les fusions-absorptions, dont l’objectif est toujours d’améliorer les capacités concurrentielles du nouvel ensemble. La logique marchande fabrique à chaque seconde des perdants et des gagnants. Pas simplement par la bataille pour les parts de marché, ce qui serait réducteur, mais aussi et surtout par ce conflit plus vaste, plus planétaire, plus complexe de la répartition de la plus-value globalement produite. D’où la terminologie guerrière : conquête de parts de marché, secteurs dominants, stratégie défensive, terrain de chasse, asphyxier les concurrents, retraite ou offensive sur un marché, prédateurs et proies, entreprises cibles, etc.

Nous voilà donc sur un vaste champ de bataille, avec pour seul enjeu le partage du butin. Parmi les protagonistes directs du conflit, les victimes sont légions. Au sommet, le conflit est policé : on y perd et on y gagne aussi, mais on y meurt rarement. On s’absorbe, on s’achète, c’est toujours un peu du donnant-donnant. A l’inverse, le choc est radical pour les PME vassales qui ont fait leur temps, les artisans francs-tireurs qui croyaient pouvoir maintenir un travail indépendant, les établissements soudainement marginalisés dans le grand mouvement brownien de l’offre et de la demande. Par voie de conséquence, cette guerre jette à la rue des centaines de milliers de salariés, elle marginalise des villes et des régions, elle démantèle des collectifs de travail sans égard pour leur histoire et leur portée culturelle, elle broie des millions d’existences. Pourquoi cela ? Pourquoi la bataille entre compétiteurs de l’aventure entrepreneuriale devrait-elle être assumée et payée par les salariés ?

18 La reconnaissance d’une Unité Economique et Sociale permet dans une certaine mesure de contrer cette organisation.29

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EncadréFormes d’emploi et de licenciements : droit et pouvoir patronal

Les formes de contrats de travail et plus généralement de liens de subordination entre un employeur et un salarié, sont diverses. Il en est de même des forme de rupture. Pour faire exécuter une tâche par un salarié, un employeur a le choix entre plusieurs types de solutions :- il peut l’employer directement en l’embauchant soit en CDD, soit en CDI ;- il peut recourir à une entreprise de travail intérimaire ;- il peut recourir à une autre entreprise qui exécutera la tâche pour son compte. Le salarié sera employé par le sous-traitant sous un des trois régimes définis ci-dessus. Il exécutera sa tâche soit dans des locaux propres à l’entreprise sous-traitante, soit sur le site même de l’entreprise donneuse d’ordre. Le choix entre ces trois formules est de la libre décision du chef d’entreprise dans le cadre du droit en vigueur qui est interprété de manière de plus en plus souple par les entreprises. Il est notamment interdit de pourvoir par des contrats temporaires à des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise :

« Le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. » (article 122-1).« Le contrat de travail temporaire, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.Un utilisateur ne peut faire appel aux salariés des entreprises de travail temporaire mentionnés à l'article L. 124-1 que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée " mission " .» (article 124-2).

Il en résulte une augmentation tendancielle de la proportion de CDD et d’intérimaires dans les effectifs des entreprises. D’après les calculs de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE) le travail précaire représente en 2001 9,5% de l’emploi dans l’industrie (avec une prédominance de l’intérim) et 8,0% de l’emploi dans les services (plutôt des CDD). En principe, à qualification égale, le coût de l’intérimaire devrait être supérieur à celui d’un CDI du fait de l’indemnité de fin de mission et de la marge de l’entreprise de travail temporaire. En fait, des travaux d’analyse d’origines diverses montrent que les utilisateurs importants de l’intérim arrivent à en réduire sensiblement le coût : une étude sur le secteur automobile établit ainsi que le coût du travail de l’intérimaire est inférieur à celui d’un CDD ou d’un CDI.

La fin du contrat de travail peut prendre plusieurs formes :- le licenciement économique. Les licenciements économiques opérés dans le cadre de plans sociaux ne constituent qu’une partie de cette catégorie de licenciements (de l’ordre de 39% des licenciements économiques déclarés par les inscrits à l’ANPE –voir ci-dessous-). En effet, les plans sociaux ne concernent que les licenciements d’au moins 10 salariés dans les entreprises de plus de 50 salariés. Par ailleurs, on constate, dans la période récente, que, plutôt que de recourir au plan social, des entreprises choisissent de mener leur restructuration en déposant leur bilan.- le licenciement pour motif personnel ou « autre licenciement » dans le vocabulaire de l’ANPE. Ce type de licenciement doit reposer sur une cause « réelle et sérieuse » relative à la personne en cause. Le licenciement pour faute doit être motivé par un acte jugé sérieux ou grave. La cause du licenciement pour motif personnel peut également être « non fautive » ; elle renvoie alors à des éléments de la situation personnelle du salarié supposés rendre impossible pour l’entreprise la continuation du contrat de travail : longue maladie, inaptitude physique, insuffisance professionnelle. Ce dernier cas ouvre la porte à des licenciements pour des motifs très variés : manque de productivité, insuffisance des résultats au regard des objectifs fixés, …- la fin de CDD ;- la fin de mission d’intérim.- dans le cas de la sous-traitance, on se trouve juridiquement dans une des quatre configurations précédentes, même si économiquement, c’est la relation avec le donneur d’ordre qui constitue le facteur déclenchant.- il faut ajouter à tout cela les préretraites et les cas de démission (qui peuvent être suscités par les pressions de l’employeur, dans le cas par exemple de travailleurs « âgés » ou de syndicalistes).

Les licenciements économiques sont mal connus. Les données statistiques disponibles sur les licenciements économiques ne permettent pas un recensement exact. On pourrait connaître les licenciements économiques, à partir des déclarations des entreprises mais il n’existe pas de données d’ensemble publiées. D’après les réponses des employeurs des établissements de plus de 10 salariés, hors départs à la retraite et fins de période d’essai, en 2002, plus de 50% des sorties des effectifs correspondent à des fins de CDD, 20% à des démissions, 2% à des licenciements économiques et 6% à d’autres licenciements (les fins de mission d’intérim n’apparaissent pas car les intérimaires ne relèvent pas juridiquement des effectifs de l’entreprise)..

Les motifs d’entrée à l’ANPE (tels qu’ils sont déclarés par les nouveaux demandeurs d’emploi constituent une autre source d’information mais cette statistique ne permet pas non plus d’avoir une information précise. Ainsi, en septembre 2003, de l’ordre du quart des personnes nouvellement inscrites en catégorie 1 (c’est-à-dire recherchant un CDI à plein temps) corresponde à des « autres cas », c’est-à-dire à aucun des cas recensés dans le paragraphe précédent ainsi qu’à une première entrée sur le marché du travail. Les fins de CDD représentent 31,6 % des entrées, les fins de mission d’intérim à 7,7% tandis que les licenciements économiques représentent 3,3% des entrées et les autres licenciements 9,2%.

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Parmi les motifs d’entrée à l’ANPE, les licenciements pour motif économique sont en constant déclin : depuis 1994, les « autres licenciements » sont plus nombreux et leur proportion ne cesse d’augmenter Une bonne partie des licenciements pour motif personnel sont non fautifs et cette proportion augmente. Ces évolutions ont de quoi laisser perplexe et renvoient probablement aux pratiques nouvelles de gestion de l’emploi et de la main d’œuvre par les entreprises. Les licenciements pour motif personnel par « petits paquets » permettent au patronat d’éviter les plans sociaux et de procéder de façon très sélective. Parfois, ces licenciements renvoient à l’introduction, depuis les années 80, de pratiques de gestion intégrant des contrôles plus individualisés et des obligations de résultats plus contraignantes. Les clauses de performance seraient utilisés comme motif de rupture par l’employeur. Les études réalisées sur ce sujet montrent que les licenciements pour motif personnel concernent plus particulièrement les établissements pratiquant une gestion individualisée de la main d’œuvre et à la faible syndicalisation.

Il apparaît en fait impossible d’établir une cloison étanche entre les divers types de licenciements et, au-delà, entre les divers motifs de rupture entre employeur et salarié ( à l’initiative de l’employeur). Au total, tant en ce qui concerne les formes d’emploi que les formes de rupture, ce sont les employeurs qui choisissent et le droit actuel leur laisse une large attitude pour « optimiser » la gestion de leur main d’œuvre. Toute lutte pour la stabilité de l’emploi ne doit pas rester prisonnière des catégories de contrats de travail et des modes de rupture mais poser le problème dans sa globalité.

Il convient de rappeler comment le droit positif caractérise le licenciement comme « économique » pour comprendre le contenu de l’argumentaire d’un plan de suppression d’emploi. L’article L 321-1 du code du travail défini le caractère économique d’un licenciement par le recours à deux critères :

A) Non inhérent à la personne du salarié.B) « résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification substantielle du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ». La Cour de Cassation y a ajouté en mars 1996 la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise qui ouvre une véritable boite de Pandore.

Dès lors comme, selon le patronat, tout est économique, on peut toujours évoquer la diminution du profit, ou la concurrence, pour justifier des réductions de salaires, des diminutions du temps de travail, ou des suppressions d’emploi. Contester l’argumentation évoquée est présentée une immixtion extérieure dans la gestion remettant en cause la responsabilité de l’entrepreneur. Il faut également se souvenir du fait, qu’en droit, la définition du licenciement économique exclut « l’attitude intentionnelle » de l’employeur.

Bibliographie :Jean-Yves Kerbourc’h, « L’imbroglio juridique des politiques de lutte contre l’instabilité de l’emploi », Travail et emploi n°85, janvier 2001.Maria Teresa Pignoni & Patrick Zouary, « Les nouveaux usages du licenciement pour motif personnel », Premières Synthèses, juillet 2003, n°28-2, DARES < http://hussonet.free.fr/licdares.pdf>

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CHAPITRE 3LA GESTION PAR LES LICENCIEMENTS(L’offensive du MEDEF. Louis)

L’arrivée du gouvernement Raffarin a été marquée symboliquement entre autre, par la suspension de 11 articles de la « lois de modernisation sociale ».

Officiellement cette « suspension » avait pour but de permettre aux partenaires sociaux de reprendre le dialogue pour aboutir à un « droit du licenciement adapté. On peut naïvement se demander adapté à quoi ? Mais on ne peut douter de la réponse : aux exigences du patronat.

Le MEDEF renforce actuellement son offensive contre les protections dont selon lui, les salariés bénéficient par la législation du travail.

Les attaques sont actuellement centrées sur l’ensemble des « statuts » mais dans le cadre la remise en cause du droit de licenciement apparaît prendre une place centrale.

Après le rapport Viet sorti en juin 2003 le Conseil d’Analyse Economique et la Chambre de Commerce de Paris viennent de publier deux rapports proposant de modifier la logique du contrôle social sur les plans de licenciements.

Selon le MEDEF et ses épigones la législation actuelle est non seulement gênante pour les entreprises, mais perverse puisqu’en protégeant les salariés elle conduit les entreprises qui ne sont plus en mesure de s’adapter à la concurrence à fermer à terme, ce qui les conduit à supprimer à terme des emplois.

Dans ce discours, le droit positif actuel du travail fait peser une forte incertitude pour les entreprises puisque les représentants du personnel peuvent multiplier les procédures, refuser de signer des convocations et autres mesures dilatoires qui allonge la procédure et soumette celle-ci a une incertitude juridique. Le juge dans l’incapacité apprécier le fondement économique du licenciement et ne va fonder son opinion que sur la forme. La complexité des procédures est, par nature, défavorable aux entrepreneurs qui ont besoin de liberté pour pouvoir exprimer leur créativité.

Certes cette insertion a de quoi surprendre n’importe quel élu du personnel qui a été confronté à la réalité du système judiciaire. L’objectif est clairement d’imposer le prima point de vue patronal sur toute vision sociale, serait-ce celle de la justice bourgeoise elle-même.

Il s’agit de réaffirmer que la gestion des entreprises est du ressort exclusif du patronat, la possibilité de licencier en fait partie, elle se situe donc en toute bonne logique en dehors de tout contrôle externe, travailleurs, justice, administration…

Les plans de licenciement sont de plus en plus présentés comme résultant de facteurs objectifs externes à l’entreprise : évolution de la technologie, baisse de la consommation… Dans la forme la plus bestiale et mais aussi la plus courante, le raisonnement suivi vise à déterminer sur une base purement financière un niveau relatif (en %) de sur-effectif, puis à appliquer le pourcentage à l’effectif présent.

Il est possible d’illustré comment un des ratio de rentabilité préféré des analystes financiers, Frais de Personnel / Valeur Ajoutée fonctionne à cette fin.

En retenant l’hypothèse que ce dernier se situe autour de 30% du CA pour un résultat net de 3%. Il est aisé de comprendre dans ces conditions que l’impact apparent d’une réduction de 10% des frais de personnel permet un doublement du résultat. Référence unique au coût salarial interne, le “ travail externe ” est au contraire analysé comme un élément de flexibilité.

Ce n’est pas le seul à être dans cette logique, le développement des parcs de matériel dans les groupes répond à une problématique identique.

Il peut paraître paradoxal qu’alors que la force de travail est à l’origine de toute création de valeur que le discours dominant vise à réduire le nombre d’emploi, donc de source de plus value potentielle.

Cependant l’exigence de la flexibilité du capital se heurte à la vision du travail comme une charge fixe. L’identification du travail comme coût est aisé pour chaque capitaliste, par contre ses effets dans le domaine de la création de valeur ses effets positifs demeurent incertains. La valorisation résulte de déterminations diverses complexes : concurrence, réussite technique, coût de production… (cf Alcatel la conception d’une firme sans usine), mais surtout ils n’apparaissent qu’à postériori.

La plus récente offensive patronal en la matière a été la tentative de mise la proposition “  d’accords de méthode ”. L’objectif annoncé est de fixer un cadre à la négociation adaptée à l’entreprise, puisque chacune d’entre elle présente des particularités. Il faut, selon le MEDEF, éviter les “ rigidités ” de la loi. Comme son nom l’indique l’accord signé ne peut porter que sur l’organisation de la procédure de consultation et non sur le contenu même des contreparties accordées.

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A travers de tels accords, le but du patronat est de sécuriser le processus de licenciement et évitant la contestation juridique de la procédure et sur le contenu du plan social :

En revoyant au contrat entre partenaires sociaux la procédure et en limitant ainsi les possibilités de recours au contentieux pour les salariés individuellement,

En garantissant un calendrier des étapes et la durée de la consultation et surtout son achèvement à une échéance déterminée.

En spécialisant les étapes elles-mêmes de la consultation ce qui lui permet d’escamoter le débat sur les justifications précises de la suppression de postes.

Nous revenons sur ces points, mais signalons dès à présent, le danger représenté par un cadre juridique qui comporte une incertitude sur sa durée d’application et qui est limité comme nous l’avons dit à la seule procédure.19

Sur le plan juridique “ A défaut de stipulation contraire, la convention ou l’accord à durée déterminée qui arrive à expiration continue à produire ses effets comme une convention ou un accord à durée indéterminée ” L 132-6 al.1). De ce fait les signataires salariés courent un vrai risque juridique de voir l’accord de méthode de perpétuer alors même qu’ils en ont tiré un bilan négatif au cours d’un premier plan de licenciement.

Les garanties offertes aux représentants du personnel peuvent être, et il y a fort à parier qu’elles le seront bien évidemment systématiquement, inférieures à celles qu’offre présentement la loi ne dépit des limites que nous dénonçons et notamment le fait que le Conseil Constitutionnel accorde le prime de la liberté d’entreprendre sur le droit à l’emploi pourtant inscrit dans le protocole de la constitution de 1946 .

Notons qu’un des objectifs avoués par le ministère du travail est que sur la base la base de l’expérience acquise par les accords de méthode signés, une nouvelle loi verra le jour. Celle sera donc de toute évidence, par construction, en retrait sur les faibles garanties actuelles.

La loi telle qu’elle est envisagé ne comporterait que des garanties minimums, l’essentiel étant renvoyé aux négociations entre partenaires sociaux dans les entreprises elle-mêmes. Il apparaît évident que les accords conclus dans des groupes où le rapport de force syndical existe, seraient très différents de ceux mis en place au sein des PME/PMI, souvent sans tradition syndicale et au sein desquels la pression individuelle sur les élus serait maximum. Les résultats pour les travailleurs seraient souvent catastrophiques et ne donneraient pas les mêmes garanties. Contrairement au discours officiel les différences dans les mesures d’accompagnement des restructuration entre les entreprises de plus de 1000 personnes et les PME/PMI ne seraient pas réduites mais au contraire accentuées.

Les droits des salariés pourraient être amenés à varier selon les talents des négociateurs, en dernier lieu le rapport de force, d’une entreprise à l’autre ; les diversités des situations rendraient encore plus difficile l’appuis d’autres travailleurs confortés à des contraintes différentes.

L’organisation du travail, telle que les grands groupes l’ont instaurée aujourd’hui, reporte sur les petites et moyennes entreprises, une large majorité des emplois et transforment ces derniers en emploi précaires.

Au premier janvier 2001 nous trouvons en dessous de 50 salariés 1.175.000 entreprises qui regroupent 43,6% des salariés soit 5,8 Millions. Plus d’un million d’entreprises n’a aucun salariés. Les entreprises du secteur privé (hors finance et agriculture) de 50 à 99 salariés (possibilité de CE) représentaient 1,2% des entreprises (14. 780) et regroupaient 7,6% des emplois alors que celles de plus de 500 personnes n’étaient que 2.140 mais regroupait 31,73% des emplois.

Dans la situation actuelle « L’aspect le plus préoccupant de cette évolution est d’étendre les garanties du droit du travail là où elles paraissent les moins nécessaires, et au contraire de les retirer là où leur nécessité ne fait pas de doute » Supiot -Critique du droit du travail p 36.

L’examen du modèle cadre, non officiel, du MEDEF l’objectif est clairement de priver les travailleurs de leur principale arme contre le patronat : le temps, qui pour lui représente un coût.

Présentement le comité demeure le seul juge de la qualité de l’information qui lui est fournie. Il peut éviter de rendre un avis tant qu’il s’estime pas correctement informé. Cette possibilité lui permet de faire durer la procédure de consultation en longueur. Ce qui permet aux salariés de s’organiser de prendre conscience du caractère illégitime du licenciement.

Les accords de méthode, ainsi conçus, entendent également légitimer la coupure instaurée par l’interprétation du MEDEF entre le Livre IV (raisons économiques) et le livre III (conséquences sociales) alors que la loi ne l’impose pas. Elle stipule même “ L’employeur est tenu d’adresser aux représentants du personnel, avec la

19 “ Il s’agit de procédure, et seulement de procédure ” Fillon à AN le 5/12/2002.33

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convocation aux réunions prévues à l’article L 312-2, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectifs. Il doit, en tout cas, indiquer : la ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement ” (L 321-4). La consultation perd dans ces conditions l’essentiel même de son objet si toute proposition alternative pour limiter les licenciements se trouve hors de son champ.

Le contre partie formelle souvent proposée par l’employeur, du moins dans le cadre du MEDEF, est la prise en charge par la direction des conseils extérieurs du comité sur le déroulement la procédure. Certes l’assistance au comité d’entreprise de l’Expert Comptable n’est pas prévue au livre IV. Il convient de rappeler qu’il est toujours possible aux élus du personnel de l’imposer par l’intermédiaire du droit d’alerte.

Il faut bien voir également que ce recours négocié à des experts payés par l’employeur vise à renforcer la présentation purement technique du licenciement lui-même : le nombre de licenciements est une affaire d’experts, qui peut être discutée par eux, mais, bien évidemment, le principe même ne peut être remis en cause, puisqu’il résulte de la pression de la concurrence externe. Les suppressions d’emplois cessent d’être un problème politique d’affrontement de classe et un choix social mais devient, et doit rester cantonnée, selon le patronat, à un problème purement technique, à traiter entre personnes compétentes.

Pour le MEDEF un objectif secondaire est de couper l’herbe sous le pied au système judiciaire. Le Juge incompétent , selon le patronat, sur le plan économique représente un facteur d’incertitude pour lui. Le consensus obtenu entre spécialistes doit s’imposer comme équitable, au plus le tribunal aura à trancher des désaccords secondaires, sur la forme uniquement, mais l’essentiel, le principe même du licenciement, sera acquit.

Nous avons affaire là une question qui touche toute lus profondément l’évolution actuelle du droit en général. La légitimité des règles juridique repose sur une posture morale résultant de choix collectifs imposant un cadre social. La tendance actuelle est à légitimer les règles sociales par les contraintes techniques partielles (indépendance des banques centrales, normes comptables) de façon à les soustraire à tout débat social.

Certes, de la part des employeurs, la remise en cause du droit du travail est permanente et dans la nature même de ce dernier. Il repose en effet sur une double détermination : celle du travail comme bien et donc objet du droit et celle du travailleur comme personne, c’est à dire comme sujet de ce même droit. L’affrontement entre le cadre juridique et la réalité du rapport d’exploitation capitaliste est dans la nature même du droit du travail.

De façon à illustrer la différence de logique juridique que cela introduit prenons l’exemple du code de la route. Ce dernier considérant que la conduite d’un usager puisse avoir des conséquences sur les autres usagers impose des règles comme les limitations de vitesse et les priorités. Elles ne sont pas spécifiques à telle ou telle nature de conducteur ni type de voiture. Peut-on imaginer des règles de limitation de vitesse pour les voitures disposant d’un ABS différant de celles qui n’en sont pas pourvues sous prétexte que les premières seraient plus sures ? Face au policier chacun pourrait ainsi évoquer son type de voiture, son niveau d’éducation, son âge …. Chacun pourrait ainsi demander l’application de règles spécifiques adaptées à sa propre posture. La situation actuelle ferait figure de paradis, et pourtant !

Du fait même d’une société dont les travailleurs sont partie intégrante alors que la dynamique de cette même société est dominée par l’intérêt individuel, une contradiction logique qui reflète le rapport d’exploitation, ne peut que surgir. Mais il faut reconnaître que, dans le même mouvement, la prise compte des éléments de cette contradiction est un élément même du processus de légitimation du droit au yeux de tous. Il doit se présenter comme au-dessus des confits et dégageant un intérêt général pour la société dans son ensemble. Comme le souligne Engels il semble tout à la fois émaner de la société et se situer au dessus d’elle. Pour cette raison, dans la société capitaliste, le combat pour les droits démocratiques, dont le droit du travail est partie prenante fait partie du combat permanent.

La volonté patronale

Elle est développe aujourd’hui dans le discours quotidien que nous entendons tant à la radio, qu’à la télévision et dans la presse, mais également dans des réflexions plus construites de la part des officines patronales

En premier lieu un rapport, connu sur le nom de rapport VIET, a été réalisé par le délégué interministériel à l’emploi auprès de Premier ministre.

Remis en juin 2003, il part du présupposé que les modifications dans les emploi sont inéluctables du fait des progrès techniques et de la concurrence et donc il s’agit de se préparer à ces dernières au travers de la négociation sur le reclassement de façon à ce que les salariés ne s‘y opposent pas, et même qui plus est les accompagnent, puisqu’ils ne les craindrons plus.

Pourtant il suffit de souligner que l’introduction du progrès technique et la modifications des qualifications ont été notamment particulièrement élevées au cours des « trente glorieuses » alors que le chômage restait à un niveau relativement bas. Comme par hasard l’argument des exigences dues à l’introduction des nouvelles

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technologies et à la concurrence est apparu au début des années 80, fin des années 70, de manière concomitante avec la chute des taux de profit !

Des mauvaises langues pourraient y voir une reconnaissance de la thèse de Marx sur la nécessité d’une « armée industrielle de réserve » permettant de peser sur les salaires. La coïncidence ne peut pas être fortuite avec la remise en cause de tous les acquis sociaux et la forte dégradation des conditions de travail à partir de cette époque.

L’évolution des éléments de rémunération tels qu’ils ressortent des bilans sociaux publiés par les principales entreprises font état d’une quasi stagnation en euro constants des rémunération par catégories alors même qu’en leur sein les exigences de qualifications à l’embauche se sont notoirement renforcées. Cela rejoint la constatation macro économique indiquant que l’importance des salaires dans la valeur ajoutée est en constante régression depuis cette période.

L’orientation du droit du licenciement vers le reclassement n’est pas nouvelle en France. Depuis la loi de janvier 1993 elle est même devenue la logique dominante en la matière. Ce qui s’inscrit dans le vocabulaire même utilisé, le vocable de « plan de licenciement » disparaît dans cette loi au profit de « Plan Social » puis « Plan de Sauvegarde de l’Emploi » dans la loi de modernisation sociale.

Au niveau européen cette orientation ressort comme une spécificité française, qui a pour contrepartie un niveau d’indemnisation relativement faible par rapport à la moyenne européenne, à contrario de l’Espagne présente une logique indemnitaire en matière d’emploi. Bien que les attaques répétées du gouvernement AZNAR contre les travailleurs aient tendance à gommer les différences.

La clé de voûte de la mise ne place de cette politique repose sur la dualité formation/adaptation. Cela suppose que l’entreprise indique en amont les mutations, tant qualitatives que quantitatives que va connaître l’emploi.

Il est cependant notoire que, pour des raisons sociales, et oui la lutte de classes n’existe pas que dans la tête des syndicalistes, les plans de licenciements sont élaborés dans le plus grand secret. A titre d’illustration rappelons le cas mis en lumière par Danièle LINHART, dans son excellent livre « Perte d’emplois, Perte de soi » de la fermeture de l’usine Chausson à Creil. La décision de fermeture du site avait ét prise antérieurement au premier plan social et les travailleurs, sous prétexte de la concurrence, ont été amené à accroître leur exploitation au fil des restructurations successives jusqu’à la clôture définitive.

Le discours tenu véhicule l’illusion que le chômage est la résultante de la discordance entre les postes disponibles et la qualification des travailleurs. Dans ces conditions, nous pouvons poser la question de savoir pourquoi trouvent-on des travailleurs diplômés dans des emplois réputés sans qualifications ?

L’expérience montre que le suivi d’une formation peut rendre le travailleur employable au sein de l’entreprise, mais aussi ailleurs ce qui lui fait courir le risque, toujours dans une logique de privilégier le reclassement, de figurer en bonne place sur la prochaine liste des départs.

La formation professionnelle représente, en France un marché de 21 milliards d’euros. Pour les entreprises de plus de 10 salariés il représente légèrement plus de 3% de la masse salariale.

Mais pour bénéficier de celle-ci « Mieux vaut être jeune cadre et citadin plutôt qu’ouvrier non qualifié dans une entreprise de campagne » reconnaît Marie-Christine Soroko déléguée à la formation professionnelle ! L’effort de formation va à ceux qui dont déjà les mieux formés. Selon le Cereq 58% de cadres ont suivi une formation contre un peu moins de 20% des ouvriers non qualifiés au cours de l’année 2000.

L’analyse des bilans sociaux des entreprises montre de plus que les temps et les coûts de formation sont nettement plus élevés pour les cadres que pour les ouvriers et employés. De plus il convient de souligner que ces informations sont données sur la base des dépenses déductibles fiscalement, qui seules font l’objet d’une information aux élus, ce qui exclu les formations réalisées à l’étranger et certaines conférences et congrès dont la prise en compte ne ferait qu’accentuer les inégalités constatées.

Sur l’écart entre les discours et la réalité on peut souligner qu’en ce qui concerne la prise en charge des reclassement la subvention du fonds national pour l’emploi est certes récemment passée de 1.067 € à 2.134 € par salarié alors que les estimations des entreprises spécialisées considèrent que le seuil minimum par emploi serait de 3.000 €. Il s’agit de moyenne alors qu’il est notoire qu’il est plus facile de faire des propositions d’emploi à un jeune cadre qu’à un vieil ouvrier qualifié d’une industrie en déclin. Il est clair que les entreprises de reclassement sont incitées, dans ces conditions, à concentrer leur efforts sur les salariés pour lesquels les probabilités de réussite sont les plus fortes. Là encore la péréquation mise en place bénéficie aux plus initialement favorisés.

Dans les conditions actuelles centrer les efforts de la politique de reclassement sur la politique de formation aurait clairement pour conséquence d’accentuer le phénomène d’exclusion puisqu’elle se traduirait inévitablement par un transfert financier des catégories les plus défavorisées vers les couches les plus aisées de la population. Cette politique dispose aujourd’hui des faveurs du patronna dans la mesure où elle correspond à l’approfondissement de la division international du travail. Les puissances intellectuelles se

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concentrant de plus en plus dans les métropoles impérialistes alors que les taches d’exécutions sont de plus en plus renvoyées vers la périphérie.

Cette logique de mise en avant du reclassement par la formation renforce la présentation des licenciements comme résultant de données objectives et scientifiques puisque chiffrées. La seule perspective offerte aux élus du personnel est celle d’en négocier des conséquences individuelles pour chaque personne concernée.

Il convient également ici de souligner en dépit des discours l’échec patent des politiques de reclassements (A développer à partir du texte de la Dares sur le sujet).

L’annonce d’un plan de licenciement renvoie chaque travailleur à sa propre situation individuelle, à ces espoirs et illusions. L’organisation capitaliste du travail les constituait en collectif au travers d’objectifs communs qui se trouvent remis en question par l’annonce même des licenciements. Un des effets premiers est remettre en question les solidarités existantes telles qu’elles ont été forgées par l’organisation du travail.

Chaque salarié subit à sa manière et de façon plus ou moins avouée une dévalorisation qui l’incite à rechercher la fuite hors du collectif. S’ajoute à cela une “ déception ” vis à vis de l’entreprise qui conduit souvent les travailleurs à ne pas vouloir demeurer en relation avec elle par dépit. Les formes relâchées de contrats de travail, jeunes CDD, temps partiels accentuent ce phénomène, l’emploi est conçu alors comme temporaire et la logique indemnitaire prime. Il entraîne des effets pervers vis à vis d’un point de vue collectif : le départ en pré-retraite est aujourd’hui considéré comme un véritable “ droit-acquit ” par les salariés.

Les montants d’indemnités proposés paraissent, quelques fois, importants par rapport au quotidien des salariés leur laissant entrevoir la réalisation de certains de leurs rêves enfin possibles. Toutefois elles demeurent en réalité faibles par rapport à la durée d’une vie et l’insertion que représente un emploi. C’est dans ce cadre qu’il convient de situer les deux rapports du Conseil d’analyse Economique, d’une part et celui de la Chambre de commerce de Paris qui viennent tous deux compléter le précédent.

La proposition centrale des auteurs dans les deux cas est de proposer une pénalisation des entreprises qui licencient selon le principe de Licencieur/Payeur identique, selon eux, à celui plus connu de Pollueur/Payeur. Le principe est apparemment simple puisque plus une entreprise est amenée à licencier plus elle payera pour compenser le préjudice qu’elle crée à la collectivité.

En effet, les entreprises en licenciant entraînent un coût pour la collectivité, par les effets régionaux d’entraînement, mais surtout pour l’organisme chargé de verser les allocations. Aujourd’hui, selon eux, les entreprises qui génèrent des emplois sont pénalisées car elles sont amenées à payer des cotisations équivalentes à celles qui en détruisent. Le poids de cette cotisation alourdi, de plus leur coût salarial des entreprises performantes ce qui freine leur création de postes.

Il s’agit donc d’établir, selon les auteurs de ces rapports, une cotisation qui tienne compte du préjudice spécifique causé par l’entreprise et qui tiennent compte non seulement du nombre des emplois supprimé mais également du rythme de reclassement probable. Mais au delà des arguties techniques présentées dans les deux rapports précités, il s’agit de leur faire payer une cotisation qui serait inférieure au coût pour elle du maintient des emplois, pour que la mesure reste économiquement intéressante pour les entreprises licencieuses.

Curieusement, le coût pour la collectivité, largement évoqué comme justification, disparaît dans le calcul de la cotisation à payer puisque celle-ci ne doit pas freiner les restructurations présentées comme nécessaires.

Les indemnités étant payées par l’UNEDIC il est logique que cet organisme, ou tout autre qui éventuellement s’y substituerait, perçoivent ces cotisations. Il convient toutefois de remarquer que le système sort de la logique d’assurance, où la solidarité exclu la notion de faute, à une logique de transfert.

Les cotisations versées par les entreprises ont pour but de compenser les coûts engendrés par les reclassements, elles devraient donc permettre de couvrir les dépenses de formation. Ilm s’agit de concentrer l’effort financier à ce niveau. En contrepartie les indemnités individuelles perçues par les travailleurs devront être réduites au minimum. La politique de reclassement minimisant le préjudice subit par les travailleurs.

Cette politique est en droite ligne avec ce que l’OCDE a baptisé « activation des dépenses passives ». Selon cette insertion les dépenses sont des coûts qui doivent toujours constituer des investissements pour le futur sinon elles détruisent de la valeur !

Dépendant des cotisations des seules entreprises, le système, à terme, ne serait géré logiquement que par elles et en fonction de leurs besoins. Ce système conduira inévitablement, du fait de l’insolvabilité, réelle ou organisée, des entreprises à une pression permanente sur les indemnités perçues par les salariés. Le chantage au chômage sera rendu direct, en demandant des indemnités décentes les chômeurs surenchérissent le « coût du travail » et conduisent à de nouveaux licenciements. Ainsi la faute de l’accroissement de l’exclusion est les exclus eux même ! CQFD.

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Il convient également de remarquer que le transfert organisé au travers du versement d’une cotisation proportionnelle au emplois supprimés, bénéficie des secteurs les plus en pointe au détriment des secteurs que l’aile marchande du capitalisme français aimerait voir disparaître. Au détriment des salariés de ces secteurs puisque le capital pourra lui s’en dégager.

En dépit de sa générosité apparente, cette idée est une fausse bonne idée. Mais pouvions nous en douter de la part du MEDEF et des laudateurs en matière de politique de l’emploi ?

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Chapitre 4Le droit à l’emploi bafoué

L’absence d’égalité de traitement

Nous sommes très loin du licenciement-accident, de la restructuration pour cause de fatalité. Très loin de l’événement exceptionnel, de la page que l’on doit tourner, ici ou là, en raison d’une évolution technologique ou d’une concurrence imprévue. Ce sont des millions d’emplois qui sont supprimés au gré des contraintes et des concurrences qu’engendre la compétition marchande. Rien de tout cela n’est de la responsabilité de ceux que la machine économique emploie, à moins d’adhérer aux pires théories libérales, faisant de chaque salarié de la planète le seul responsable de son « employabilité » et de ses choix professionnels.

Du coup, on voit mal ce qui devrait distinguer dans le droit social, le licenciement des employés d’un grand groupe pharmaceutique assis sur une abondante trésorerie, de ceux d’une entreprise de 200 salariés au bord du dépôt de bilan, d’une PME de moins de 50 salariés, ou encore ceux d’une boulangerie de quartier livrée à la concurrence d’une grande surface voisine. Et pourtant, ce n’est justement pas le cas aujourd’hui : victimes des mêmes mécanismes les salariés se voient octroyer des accompagnements et des aides au reclassement plus ou moins proportionnelles à la taille et à la richesse de leur entreprise ! Prenons par exemple les effets en cascade d’un retrait du marché d’un médicament important… Le visiteur médical du laboratoire pharmaceutique qui produit ce médicament pouvait, il y a encore peu, bénéficier d’un plan d’accompagnement de deux ans pour son reclassement et d’un éventuellement portage, par son entreprise, d’une préretraite à partir de 55 ans. L’ouvrière qui travaille dans l’usine sous-traitante de façonnage (plus de 50 salariés) pourrait bénéficier d’un plan social sans doute a minima avec une cellule de reclassement travaillant sur six mois et des indemnités de licenciement strictement conventionnelles. L’employé du restaurant, en face de son usine désormais fermée, sera remercié faute de clients. Il entrera à l’ANPE dans la comptabilité des « autres licenciements » et non pas sur celle des licenciements économiques. Une seule cause, trois situations…

C’est l’unicité de la cause qui devrait être prise en compte. D’abord en considérant que la mécanique concurrentielle est le plus souvent la seule et unique raison des licenciements, grands ou petits. Ensuite en considérant qu’une décision économique, quelle qu’elle soit, devra assumer l’ensemble de ces effets sociaux bien au-delà du périmètre juridique concerné. Ce peut être le cas pour une restructuration classique, mais aussi dans le cas de licenciements pour raison d’environnement, de santé publique, d’aménagement du territoire, de politique énergétique, etc. C’est toute la question de la traçabilité économique de la cause du licenciement.

Voilà pourquoi il est hasardeux de réduire la question des licenciements aux seuls « licenciements boursiers » ou aux seules entreprises qui « font des bénéfices ». Car, en raisonnant ainsi on focalise l’amertume sur une petite partie du problème tout en évitant volontairement ou involontairement le débat de fond. La question étant plus large, plus systémique, comme le montre toute tentative de rendre compte de la diversité des motifs économiques des restructurations et des licenciements économiques.

Laurent Menghini – 15/03/2004

Critique du droit du licenciement économique

Dans quelle mesure le droit actuel garantit-il le droit à l’emploi ? Même passablement trafiqué, le simple chiffre du nombre de chômeurs suffit à fournir une réponse cinglante à cette question. Souvent présenté comme rendant difficile les licenciements ou favorisant le reclassement, le droit du licenciement économique apparaît ainsi d’une inefficacité totale. Ce qui conduit à s’interroger tant sur ses objectifs affichés que sur le contenu supposé déterminé de manière à les atteindre.

Bafouant les principes constitutionnels qui devraient l’inspirer, ce droit ne se donne même pas les moyens de rendre effectifs les objectifs moins ambitieux qu’il affiche. Il rend en réalité le licenciement économique très facile, n’en déplaise aux légendes patronales complaisamment colportées, et ne permet nullement pour autant de parvenir à un reclassement effectif de la grande majorité des salariés licenciés.

Ses quelques dispositions protectrices sont cependant la cible du MEDEF, qui entend obtenir leur démantèlement, non sans avoir d’ors et déjà marqué un certain nombre de points notamment avec la loi Fillon du 3 janvier 2003, qui prévoit le vote d’une seconde loi fin 2004 ou début 2005.

1 – Le droit à l’emploi, principe constitutionnel bafoué par la loi et la jurisprudence :

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Noyé dans le sang des insurgés en juin 1848, le droit au travail a refait surface juridiquement après la seconde guerre mondiale. Profondément déconsidérée par son attitude durant l’occupation et son incapacité à empêcher le désastre d’une nouvelle guerre, la classe dominante dut céder beaucoup craignant de perdre tout : c’est ainsi que pu être mis en place la sécurité sociale, c’est ainsi aussi que le droit à l’emploi pu être inscrit dans la Constitution de 1946.

L’inscription constitutionnelle du droit à l’emploi est aussi incontestable qu’embarrassante pour les majorités successives au gouvernement depuis le début des années de crise et la montée du chômage qui les accompagne. Formidable atout potentiel pour un gouvernement de gauche qui entendrait faire de l’éradication du chômage une priorité réelle, ce droit, toujours aussi neuf malgré son âge et son histoire, n’a malheureusement pas servi. Disposition du préambule de la constitution de 1946 intégré à la constitution de 1958 en vigueur, la formule qui l’édicte est pourtant sans ambiguïté : « chacun a le devoir de travailler et le droit à un emploi ». Loin d’être seule cette disposition est renforcée par d’autres stipulations de textes internationaux, même s’ils n’ont pas de valeur contraignante à la différence de la constitution. Ainsi la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 reconnaît dans son article 23 à chacun « le droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail ». Tandis que la Charte sociale européenne du 16 octobre 1961 stipule :

« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit au travail, les Parties contractantes s’engagent :1 – à reconnaître comme l’un de leurs principaux objectifs et responsabilités la réalisation et le maintien du niveau le plus élevé et le plus stable possible de l’emploi en vue de la réalisation du plein emploi2 – à protéger de façon efficace le droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris3 – à établir ou à maintenir des services gratuits de l’emploi pour tous les travailleurs4 – à assurer ou à favoriser une orientation, une formation et une réadaptation professionnelles appropriées. »

Le droit à l’emploi étant reconnu par la Constitution à chaque citoyen, la loi, prise en application de la Constitution, doit organiser et garantir cette reconnaissance. Or, le chômage en témoigne suffisamment, la loi se contente d’encadrer la droit patronal de licencier, que ce soit pour motif économique ou pour autre motif, et le droit pour le chômeur de toucher un revenu de remplacement. Aucune disposition ne permet de garantir que chaque personne en situation de travailler se voit proposer effectivement un travail qu’elle puisse occuper. La loi n’applique donc pas la Constitution. Et le Conseil constitutionnel, censé s’assurer de la constitutionnalité des lois, a constamment refusé de censurer les différentes lois intervenues dans le domaine de l’emploi en dépit du fait qu’elles ne prévoient pas les dispositions nécessaires pour garantir le droit effectif à l’emploi.

Quelle argutie juridique est-elle utilisée pour justifier une telle incurie ? Il s’agit au nom des droits de l’homme bien entendu, de soutenir de toute force que ce droit n’en est pas vraiment un. Il ne pourrait s’agir que d’un simple objectif vers lequel il faut tendre mais qu’il serait vain de chercher à garantir, sauf à risquer de retomber dans une société totalitaire négatrice des droits civils élémentaires devant eux être de toute force protégés. Dans cette acception libérale dominante, les droits sociaux, baptisés « droits-créance » par la doctrine juridique car leur mis en oeuvre suppose une intervention active de l’Etat, sont donc de faux droits, ce ne sont guère que des objectifs vers lesquels tendre. Mieux, vouloir les garantir ce serait renoncer aux droits de l’homme, puisque la garantie des droits sociaux ne peut qu’entraîner la limitation de la liberté de certains, notamment la liberté d’entreprendre. Luc Ferry, dans ses articles et manuels de philosophie politique, parle ainsi des « prétendus droits créances », il met en garde contre le fait de confondre des « objectifs souhaitables » avec des « impératifs catégoriques » :

« Dès lors, si l’on veut continuer de nommer « droits » les droits-créances, encore faut-il percevoir que ce ne peut être qu’au sens d’un droit naturel qui demeure, comme tel, irréductiblement à distance du droit positif »20

Les chômeurs « mis à distance » de l’emploi apprécieront. Ils ont cependant, conquis de haute lutte, le droit pour eux. Les mots en effet sont têtus : « chacun a le droit à un emploi ». La lettre du texte ne suggère nullement un objectif souhaitable ou conditionnable, mais édicte bien un droit, nécessairement effectif sauf à être violé.

Distinguant droits-libertés, civils et politiques, « véritables » droits de l’homme, et droits-créances, admissibles dès lors que ce ne sont que de simples objectifs, c’est à dire des droits que l’on ne prend pas au sérieux, nos bons juristes et philosophes « démocrates-libéraux » ne peuvent argumenter qu’en faisant délibérément certaines impasses. Comment en effet ne pas voir que les droits-libertés ne sauraient être garantis sans l’effectivité des droits sociaux. Assuré du gîte et du couvert, le professeur d’université peut d’autant mieux pontifier sur le caractère sacré de la liberté d’expression qu’il a tout loisir en sus de s’épancher dans nombre de revues et de journaux. Les conditions lui permettant de s’exprimer lui sont tellement naturelles qu’il peut s'offrir le luxe de les oublier. Pourtant quelles sont les conditions d’exercice de cette liberté pour la personne sans ressource, sans emploi ou occupant un emploi aux conditions de travail épuisantes ? L’exercice effectif par tous des droits-libertés requière en réalité non seulement la reconnaissance mais l’application effective des droits sociaux. Loin de miner les libertés, les droits sociaux sont la condition de leur effectivité. Ils sont donc partie intégrante des droits de l’homme.

20 Cité par Jean-Jacques Goblot, Le droit au travail, passé, présent, avenir, Syllepse, 2003, pp.26-2739

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Oui mais objectera t-on : et la propriété, et la liberté d’entreprendre, qu’en faîtes vous ? Objection nullement théorique puisqu’elle est précisément celle dont se prévaut le Conseil constitutionnel. Celui-ci, pour censurer la pourtant timide nouvelle définition du licenciement économique contenue dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, argumente ainsi dans sa décision n°2001-455 des 11 et 12 janvier 2002:

« 45 - Considérant que le Préambule de la Constitution réaffirme les principes posés tant par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que par le Préambule de la Constitution de 1946 ; qu’au nombre de ceux-ci, il y a lieu de ranger la liberté d’entreprendre qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 ainsi que les principes économiques et sociaux énumérés par le texte du préambule de 1946, parmi lesquels figurent, selon son cinquième alinéa, le droit de chacun d’obtenir un emploi et, en vertu de son huitième alinéa, le droit pour tout travailleur de participer, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ;46 – Considérant qu’il incombe au législateur (…) d’assurer la mise en œuvre des principes économiques et sociaux du Préambule de la Constitution de 1946, tout en les conciliant avec les libertés constitutionnellement garanties ; que pour poser des règles propres à assurer au mieux, conformément au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le droit pour chacun d’obtenir un emploi, il peut apporter à la liberté d’entreprendre des limitations liées à cette exigence constitutionnelle, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ;47 – Considérant, en premier lieu, que la nouvelle définition du licenciement économique (…) limite aux trois cas qu’elle énonce les possibilités de licenciement pour motif économique à l’exclusion de toute autre hypothèse comme, par exemple, la cessation d’activité de l’entreprise ;48 – Considérant, en deuxième lieu, qu’en ne permettant des licenciements économiques pour réorganisation de l’entreprise que si cette réorganisation est « indispensable à la sauvegarde de l’activité de l’entreprise » et non plus, comme c’est le cas sous l’empire de l’actuelle législation, si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, cette définition interdit à l’entreprise d’anticiper des difficultés économiques à venir en prenant des mesures de nature à éviter des licenciements ultérieurs plus importants ;49 – Considérant, en troisième lieu, qu’en subordonnant les licenciements économiques à « des difficultés économiques sérieuses n’ayant pu être surmontées par tout autre moyen », la loi conduit le juge non seulement à contrôler comme c’est le cas sous l’empire de l’actuelle législation, la cause économique des licenciements décidés par le chef d’entreprise à l’issue des procédures prévues par le livre IV et le livre III du Code du travail, mais encore à substituer son appréciation à celle du chef d’entreprise quant au choix entre les différentes solutions possibles ;50 – Considérant que le cumul des contraintes que cette définition fait ainsi peser sur la gestion de l’entreprise a pour effet de ne permettre à l’entreprise de licencier que si sa pérennité est en cause ; qu’en édictant ces dispositions, le législateur a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l’objectif poursuivi du maintien de l’emploi ; que dès lors, les dispositions de l’article 107 doivent être déclarées non conformes à la Constitution »

Concentré juridique de la pensée libérale, cet argumentaire mérite d’être décortiqué soigneusement. Il constitue en effet une distorsion profonde des textes dont il devrait être le gardien. Comment opère le Conseil constitutionnel ? Il affirme que le législateur est tenu de concilier une liberté avec deux droits, ayant tous un fondement constitutionnel. La liberté d’entreprendre d’une part qu’il fait découler de l’article 4 de la Déclaration de 1789 où elle ne figure pas, d’autre part le droit d’obtenir un emploi et le droit pour tout travailleur de participer à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. Ce dernier droit est ensuite complètement exclu du reste du raisonnement. Après avoir énoncé que cette conciliation peut aboutir à opérer des limitations à la liberté d’entreprendre, il énonce trois critiques dans les paragraphes 47 à 49. Il constate ensuite que le cumul des contraintes critiquées a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l’objectif poursuivi du maintien de l’emploi, l’entreprise ne pouvant licencier que si sa pérennité est en cause. Au travers des arcanes de la casuistique juridique, le droit d’obtenir un emploi énoncé au paragraphe 45 s’est transformé en « objectif poursuivi de maintien de l’emploi » au paragraphe 50, c’est à dire en droit débarrassé de l’impératif de son effectivité, en droit qui n’est pas de droit. Ce glissement n’est pas fortuit : le Conseil en a besoin pour conclure ce qu’il conclut. Ce n’est que parce qu’il dévalue le droit à l’emploi en simple objectif, qu’il peut faire primer la liberté d’entreprendre.

En effet loin d’une conciliation des deux normes constitutionnelles de même rang, le Conseil fait prévaloir l’une sur l’autre. Plus exactement il fait prévaloir une liberté d’entreprendre qui n’est énoncé par aucun texte constitutionnel sur deux droits précisément énoncés par un texte constitutionnel, le droit d’obtenir un emploi, qu’il ravale à un objectif pour les besoins de sa démonstration, et le droit des travailleurs de participer à la gestion des entreprises qu’il oublie en chemin.

S’agissant de la liberté, l’article 4 de la Déclaration de 1789 édicte : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. ». Peut-on déduire de cette définition que la liberté comprend la liberté d’entreprendre, qui, elle-même, implique le droit de l’employeur de licencier pour un motif économique ? Voilà qui est implicitement affirmé par le Conseil, mais ne va cependant pas de soi. Ne discutons pas ici de la reconnaissance de la liberté d’entreprendre, mais interrogeons ses contours nécessaires. Que recouvre t-elle ? Est ce la liberté de créer et diriger une société privée comme l’entend de manière restrictive le droit commun, ou bien est-ce plutôt la liberté pour tout individu d’entreprendre une action, pourvu qu’elle ne nuise pas à

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autrui ? La liberté d’entreprendre implique et suppose alors tout à la fois la liberté du travail, et celle-ci n’est pas uniquement celle de l’employeur de diriger sa société, mais aussi celle de tout « travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris» pour reprendre les termes de la Charte européenne du 16 octobre 1961. Dès lors la liberté du travail de l’un ne doit pas nuire à celle de l’autre. Dès lors que l’un a besoin pour exercer son travail de faire travailler les autres, et que la plupart des autres pour exercer un travail ont besoin d’être employés par les premiers, la question du droit de licencier de ceux-ci apparaît tout à fait problématique au regard de la seule liberté d’entreprendre. Elle le devient un peu plus dès lors qu’est énoncé comme « principe constitutionnel particulièrement nécessaire à notre temps », le droit de chacun à obtenir un emploi. Car si l’effectivité de ce droit va à coup sûr compliquer la liberté d’entreprendre de certains, il ne peut être soutenu qu’elle la supprime, mais simplement qu’elle la limite, ce qui est une manière de la concilier réellement avec ce droit.

Par contre si le droit de licencier est très large, sans que pour autant existe un système compensatoire permettant d’assurer qu’en tout état de cause tout licencié obtiendra un emploi, système - à supposer qu’il puisse exister sans remettre précisément en cause le droit de licencier – qui n’est nullement prévu par la loi censurée et nullement inscrit dans le droit positif en vigueur, alors la liberté d’entreprendre ainsi conçue prime le droit pour chacun d’obtenir un emploi. Un droit dominé ne pouvant devenir effectif, la logique veut qu’on lui dénie le statut de droit pour le ravaler au rang de simple objectif.

Mais revenons à une autre des mines contenues dans le Préambule de 1946, le droit pour tout travailleur de participer à la gestion de son entreprise par l’intermédiaire de ses délégués. Là encore, si les mots ont un sens, le terme de participation implique nécessairement d’être partie prenante des décisions relatives à la gestion : « participer à » c’est « prendre part à » nous dit le Petit Robert. Autant dire que la simple consultation du Comité d’entreprise que prévoit au mieux le Code du travail (à laquelle le paragraphe 49 fait discrètement allusion) est en deçà des exigences constitutionnelles. Mais si les travailleurs doivent participer à la gestion, cela signifie donc qu’elle ne saurait être considérée comme le seul domaine de l’employeur, que l’appréciation évoquée au paragraphe 49 ne saurait être celle du seul chef d’entreprise, puisque la gestion, qui comprend la décision de licencier ou non, n’est pas une prérogative patronale exercée sans partage, selon la Constitution elle-même, que le Conseil constitutionnel cite mais se garde bien d’appliquer.

Ainsi si l’on rend à la liberté d’entreprendre toute sa portée, que l’on prend au sérieux le droit de chacun d’obtenir un travail et le droit de tout travailleur de participer à la gestion de son entreprise, non seulement aucune des objections des paragraphes 47 à 49 n’apparaît solide juridiquement, mais c’est la définition censurée du licenciement pour motif économique qui apparaît alors bien timide. Car bien que légèrement plus restrictive que la définition aujourd’hui en vigueur, elle aussi n’aurait pas permis de garantir à chacun le droit d’obtenir un emploi, le licenciement économique restant en effet possible dans un large éventail de cas sans que cette loi, ni nulle autre disposition, n’ait été prise pour garantir le droit des travailleurs qui auraient été licenciés.

2 – Une définition extensible

Pleine de trous et de recoins, la définition en vigueur du licenciement économique est source de gloses innombrables. L’encadré ci-dessous présente la définition actuelle, la définition censurée de la loi de modernisation sociale, ainsi que la nouvelle définition proposée initialement par le MEDEF dans le cadre de la négociation interprofessionnelle sur les restructurations.

LES DEFINITIONS DU LICENCIEMENT ECONOMIQUE

Article L 321-1 alinéa 1 du Code du travail en vigueur

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou d’une transformation d’emploi ou d’une modification substantielle du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. »

Article L 321-1 alinéa 1 censuré par le Conseil constitutionnel

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou d’une transformation d’emploi ou d’une modification du contrat de travail, consécutives soit à des difficultés économiques sérieuses n’ayant pu être surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l’entreprise, soit à des nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l’activité de l’entreprise. »

Proposition de rédaction du MEDEF

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« Constitue un licenciement économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression d’emploi destinée à rétablir, à sauvegarder ou à améliorer la compétitivité de l’entreprise, ou d’une cessation d’exploitation de l’entreprise. »

L’article L 321-1 du code du travail actuel édicte une définition ouverte du licenciement économique, l’adverbe « notamment » ayant pour effet d’étendre l’éventail des causes susceptibles de justifier le motif économique du licenciement, sans pour autant livrer une quelconque indication sur la façon dont ces nouvelles possibilités peuvent ou non être acceptées. Il est donc revenu au juge de préciser les causes susceptibles d’être prises en compte de manière licite. Parmi ces causes admises par la jurisprudence, la principale est la « la réorganisation nécessaire à la sauvegarde la compétitivité de l’entreprise ».

L’imprécision normative de la formule permet d’ouvrir considérablement l’éventail des causes : qu’est ce en effet en droit que la sauvegarde ? On a vu plus haut que dans sa décision précitée le Conseil constitutionnel a considéré qu’une entreprise devait pouvoir engager un plan de réduction des effectifs « afin d’anticiper des difficultés économiques à venir ». Et comment cerner juridiquement la notion étroitement économique de compétitivité ? Dans un contexte de concurrence exacerbée sur tous les marchés, où les restructurations s’enchaînent sans fin, n’y a t-il pas menace permanente sur la compétitivité de toute entreprise ? L’employeur échappera aisément au juge s’il est dans la mesure de faire valoir une menace à sa compétitivité, d’autant plus aisément que cette menace pourra être future. Ainsi, si la Cour juge non fondés les licenciements économiques réalisés dans le strict objectif d’augmenter ses résultats, elle pourra juger fondés des licenciements décidés dans une entreprise réalisant de lourds profits dès lors que cette dernière aura réussie à mettre en avant une menace à sa compétitivité. Comme l’indique le juriste J. Savatier : « la question n’est pas alors de savoir si l’entreprise fait des bénéfices ou augmente son chiffre d’affaires, mais si elle peut faire état de risques pour sa compétitivité en cas de maintien de son organisation actuelle. »21 L’insertion de cette cause jurisprudentielle dans le contexte actuel de libéralisation où la concurrence tire les coûts sociaux vers le bas est en réalité un blanc seing à tout projet de licenciement économique : il est en fait seulement exigé un effort de présentation et de communication aux directions d’entreprise. La porte est donc grande ouverte aux vents mauvais de la mondialisation. Le MEDEF ne veut cependant pas en rester là : il entend s'affranchir de toute contrainte relative au motif économique: la définition qu'il a proposé en début de négociation interprofessionnelle sur les restructurations (voir encadré) si elle était retenue permettrait de licencier pour faire plus de profit ouvertement.

Cela sans compter que le juge, actualisant en 2000 sa vieille jurisprudence reconnaissant l’employeur « seul juge » de ses choix de gestion22, s’interdit d’apprécier le scénario de restructuration choisi par l’employeur au regard de l’objectif de préservation de l’emploi : dès lors que la cause justificative des licenciements est établie, le juge ne saurait contrôler le nombre de licenciements envisagés par l’employeur a ainsi tranché la Cour de Cassation23. La Cour d’appel, retoquée par la Cour suprême, en a été pour ses frais qui avait cru pouvoir déduire de l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi ayant pour objectif « d’éviter les licenciements ou d’en limiter le nombre » selon l’article L 321-4-1 du code du travail une obligation pour celui-ci de retenir en amont de l’établissement de ce plan le scénario de restructuration le moins destructeur en emploi. La recherche de la limitation du nombre de licenciements n’est à mettre en œuvre qu’après … la fixation du nombre de licenciements à envisager ! C’est dire de manière détournée que l’emploi n’est qu’une variable d’ajustement24. Accessoirement, cela ne peut que favoriser l’effet pervers suivant : gonfler le chiffre initial des suppressions d’emplois annoncées, pour tenter de faire croire que les mesures du PSE ont permis de le réduire substantiellement par la suite, alors que le chiffre de réduction final aura été le chiffre de réduction réellement recherché.

Le tableau ne serait pas complet si on n’y ajoutait pas l’impossibilité de contester le motif du licenciement avant le prononcé du licenciement. S’il est possible d’obtenir l’annulation d’un plan social devant le juge en cours de procédure, il est impossible de faire juger le fond avant que les licenciements n’aient été effectifs, la contestation du motif n’étant possible qu’à partir de la contestation des licenciements. Un employeur peut donc passer en force sur un motif inexistant. De plus, si en cas de plan social insuffisant ou déficient, la procédure étant nulle et de nul effet en vertu de l’article L 321-4-1 du code du travail, les salariés peuvent être réintégrés dans l’entreprise, en cas de motif économique dépourvu de cause réelle et sérieuse, les salariés ne peuvent obtenir que des dommages et intérêts. Le non respect de la forme est plus durement sanctionné que le non respect du fond. L’employeur qui licencie pour un motif bidon ne risque pas une remise en état, mesure qui serait particulièrement dissuasive. En pratique, il lui suffira donc de provisionner les sommes nécessaires, qui ne sont guère élevées, et passer en force, en prenant soin de peaufiner son plan social.

21 J. Savatier, obs. sous Cass. soc. 1er décembre 1999, Droit social 2000, p. 21222 Arrêt Cass. Soc. 31 mai 1956, Brinon23 Arrêt Cass. Ass. plén. 8 décembre 2000, SAT c/ Coudière24 On ne saurait trop conseiller aux juges de méditer le témoignage de "Pierre", DRH démissionnaire, cité dans Libération du 15 mars 2004: "Mon patron m'a dit : 'Monsieur, on fait des pertes. Il faut faire des économies sur la masse salariale.' En vrai français: vous devez virer des gens. C'est un des aspects du métier et moi je voulais faire çà bien. Avec mes adjoints, on a rebâti un nouveau plan. En sondant les volontaires pour partir, en proposant des préretraites. Encore une fois, mon projet a été retoqué. Et on m'a expliqué comment il fallait licencier. C'est simple, m'a dit le directeur financier, vous divisez la somme des pertes par le salaire moyen et vous obtenez le nombre de postes à supprimer pour qu'on arrive à l'équilibre."

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3 – Impossible reclassement :

Les bonnes âmes ne manquent pas pour faire la leçon aux salariés qui se battent contre leur licenciement. Au lieu de l’archaïque combat contre les licenciements voué à l’échec il faudrait se battre pour le reclassement : accepter chacun de lâcher son emploi, pour mieux faire tous le choix de l’emploi…Bref choisir le reclassement et non combattre le licenciement.

Cette fable ne résiste pas à un examen logique élémentaire. Pourquoi en effet le combat pour le reclassement serait-il plus efficace que la bataille contre les licenciements ? Pas plus en effet qu’il ne souhaite une interdiction des licenciements, le patronat n’est prêt à accepter une obligation de reclassement de résultat. Dans les deux cas cela reviendrait à limiter drastiquement ses prérogatives : de licencier d’en un cas et d’embaucher dans l’autre. Mais les partisans du reclassement ne visent nullement une telle obligation de résultat, il se contentent d’une obligation de moyen, et débattent entre eux de la force relative à lui conférer, le patronat entend la limiter au maximum, tandis que le syndicalisme modéré cherche à l’étendre. Cette obligation de moyen de reclassement est depuis longtemps inscrite dans l’ordre juridique, mais force est de constater que son effet est limité, en dépit de l’accumulation des mesurettes lui tenant lieu de mise en œuvre.

Force est en effet de faire le bilan de cette tactique du reclassement, limitée à une obligation de recherche pour l’employeur. Elle forme en réalité le cœur du plan de sauvegarde de l’emploi, dont le dispositif est organisé prioritairement autour de cet objectif. Or ce bilan n’est pas bon.

Une étude récente indique ainsi qu’en 2001, 57.8% des bénéficiaires d’une convention de conversion ont été reclassés huit mois après leur entrée dans le dispositif, et 61% des bénéficiaires d’une cellule de reclassement à la sortie du dispositif. Ces taux de reclassement officiels, déjà limités, additionnent en réalité de statuts très différents : sont considérés comme reclassés les salariés en CDI, mais aussi en CDD, en intérim et ceux ayant créé leur propre entreprise. La décomposition du taux des bénéficiaires d’une cellule de reclassement donne une mesure plus juste de la réalité : les 61% de reclassés se décomposent en 34% de CDI, 17% en CDD, 8% en intérim, et 2% en création d’entreprise. Seuls un peu plus de la moitié des « reclassés » le sont donc en CDI. Parmi les reclassés en CDI, 71% sont des hommes, 29% des femmes. Si un ouvrier qualifié sur trois retrouve un CDI, ce n’est le cas que de moins de 25% des ouvriers non qualifiés, mais d’un cadre sur deux. Parmi les « sorties » en intérim de la cellule de reclassement, trois quarts concernent des ouvriers non qualifiés25. En 2002, avec le retournement de conjoncture le taux de reclassement en sortie de cellule de reclassement est passé de 61% à 53.3% des bénéficiaires. La qualité des emplois retrouvés s'est également dégradée : 29% seulement ont pu signer un CDI, soit cinq points de moins qu'en 200126. Ces taux calamiteux ne sont que des moyennes qui cachent les situations nombreuses où le chômage est le point principal d’aboutissement. Ainsi en février 2000, 11 mois après la fermeture de l’usine de confection de jean’s Levi Strauss de La Bassée près de Lens, sur 536 salariés licenciés, 18% seulement étaient « reclassés », CDI, CDD et intérim confondus, et 12% en formation27.

Encore faudrait-il parmi ces reclassements, faire la part des déclassements. En l’absence d’étude directe à notre connaissance, il est possible de s’appuyer sur les données relatives aux bénéficiaires de la mesure d’allocation temporaire dégressive (ATD). En effet, ce dispositif est destiné à adoucir le reclassement sur un emploi en CDI moins rémunéré (donc généralement moins qualifié) pendant une durée pouvant aller jusqu’à deux ans en versant le différentiel entre l’ancien et le nouveau salaire durant cette période. En 2001, 56.4 % des 3095 salariés concernés étaient âgés de plus de 40 ans contre 51.7% des 2501 salariés concernés en 1999. 49% des salariés concernés en 2001 étaient ouvriers, et 24.2% employés. Bien que portant sur un échantillon réduit, ces chiffres suggèrent un fort mouvement de déclassement dans le reclassement : ainsi pour l’ouvrier âgé le licenciement débouche souvent que sur un emploi moins payé et moins qualifié, même lorsqu’il est à durée indéterminée28. Mais bien souvent l’emploi proposé n’est qu’un CDD ou une mission d’intérim, dont on peut raisonnablement penser qu’ils s’accompagnent d’un taux de déclassement encore plus fort. On doit par ailleurs souligner que bon nombre de mesures destinées à « favoriser le reclassement » jouent fréquemment le rôle d’accompagnateur du déclassement : d’évaluation en bilan de compétences, le salarié est sommé d’intégrer les paramètres dégradés de son "employabilité". Hors de son ancien emploi, sa qualification ne vaut souvent plus rien, et s’il veut retrouver un emploi, ce sera sans reconnaissance de son ancienneté dans sa rémunération. Pour quelques formations qualifiantes, combien de formations qui ne sont que de simples adaptations à un emploi différent mais moins qualifié ?

Le plan de sauvegarde de l’emploi ne fait donc qu’accompagner un glissement d’une partie importante des licenciés vers le déclassement, la précarité et le chômage, glissement qui sans lui est encore plus raide et

25 Premières informations et premières synthèses, Les dispositifs publics d’accompagnement des restructurations en 2001, DARES, janvier 2003, n° 05-126 Premières informations et premières synthèses, Les dispositifs publics d’accompagnement des restructurations en 2002, DARES, août 2003, n° 35-1 27 Voir Liaisons sociales magazine, janvier 2002, Reclassement : taille basse pour les filles de Levi’s, p.2428 Voir étude citée en note 5. Les salariés bénéficiant de cette mesure sont plutôt bien lotis, puisqu’il s’agit d’une mesure contenue dans un plan de sauvegarde de l’emploi, plan qui n’encadre qu’une petite minorité des licenciements économiques

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rapide. Telle est la vérité des chiffres. Clé de voûte de la préservation de l’emploi telle qu’inscrite dans le droit positif, ce dispositif est un cinglant échec.

L’expérience de nombreux conflits montre en réalité que le nombre de vrais reclassements est maximisé, quand le nombre de licenciements a été minimisé, ce qui ne résulte que d’une bataille sans concession contre les licenciements menée par les salariés. Seule l’instauration d’un rapport de force élevé a pu permettre à plusieurs reprises de limiter la casse en arrachant ce que l’employeur n’avait pas décidé de donner au départ. Si la lutte n’est en aucun cas une garantie de victoire, et s’il est difficile, compte tenu du terrain et du contexte, d’aboutir à l’abandon d’un plan de licenciement dans une lutte restant cantonnée à une seule entreprise, fût-elle importante, il est en tout cas certain que rien n’a pu être obtenu lorsque la bataille sur les licenciements n’a pas été menée.

4 – Déficiences de la procédure :

Avec une définition du licenciement pour motif économique si peu contraignante, il apparaît évident que le licenciement économique est loin d’être l’ultime recours comme cherche à l’accréditer la doctrine juridique dominante. Ainsi Alain Supiot, d’ordinaire pourtant plus perspicace, affirme par exemple : « Devenu un ultime recours, le licenciement pour motif économique ne peut intervenir qu’à défaut de possibilité d’adaptation ou de reclassement du salarié à l’intérieur de l’entreprise ou du groupe et moyennant des mesures sociales d’accompagnement »29.

La bonne conscience juridique de la théorie de l’ultime recours, est interprétée en langage patronal suivant l’affirmation péremptoire : « Jamais il n’a été aussi difficile de licencier ! », protestation activement relayée par nombre d’économistes zélés, révoltés par « l’insuffisante flexibilité du marché du travail. » Or faits, chiffres et textes viennent invalider ces discours. Il est en réalité très facile de licencier pour motif économique.

Pour ce qui est des textes, il convient non seulement de souligner les conséquences du contenu de la définition du licenciement pour motif économique mais aussi des effets de seuil : hors du cadre des 10 licenciements au moins dans une entreprise de plus de 50 salariés sur une période de 30 jours, pas de plan de sauvegarde de l’emploi obligatoire. Le plan de sauvegarde de l’emploi est donc réservé aux « charrettes » dans les établissements d’une certaine taille.

Or les chiffres montrent qu’une grande majorité des licenciements économiques sont prononcés en dehors de toute procédure de plan social : ainsi en 2000, selon une étude du Ministère du travail30 « plus de la moitié des établissements dans lesquels se sont produits des licenciements économiques a licencié un seul salarié dans l’année, et un tiers a licencié de deux à cinq personnes, alors que le seuil de dix licenciements économiques est dépassé pour 6% d’entre eux » ; d’autre part 45% des licenciements se sont produits dans les seuls établissements de 10 à 49 salariés, établissements où le taux de licenciement économique (0.8%) est le double de celui des établissements de 500 salariés (0.4%), et qui emploient pris ensemble deux fois plus de salariés.

Beaucoup de licenciés échappent donc au bénéfice des garanties, aux effets par ailleurs limités comme nous l'avons vu, du plan de sauvegarde de l’emploi. L’effet médiatique des grosses charrettes ne doit pas masquer que pour la majorité des licenciés économiques la seule « mesure sociale d’accompagnement » est le pré-PARE, qui a remplacé la convention de conversion à partir d’avril 2002, avec les effets indiqués plus haut sur le reclassement.

Si l’on s’intéresse maintenant à la procédure de licenciement économique, il faut souligner le caractère limité des prérogatives du Comité d’entreprise, même si leur usage avisé au service d’une orientation offensive de contestation des licenciements, peut se révéler précieuse. L’avis du CE n’est en effet qu’un avis consultatif, qui ne lie en rien l’employeur. En dépit du fait que le préambule de 1946 de la Constitution affirme le droit pour les salariés « de participer à la gestion » de leur entreprise par l'intermédiaire de leurs délégués, le CE ne dispose pas même d’un pouvoir de veto suspensif. Il ne peut non plus saisir le juge d’une contestation du motif économique allégué avant le prononcé des licenciements. Mais il peut utiliser son droit de recours à l’expertise pour obtenir l’information qu’on lui dissimule souvent en partie, saisir l’inspecteur du travail afin que celui-ci fasse usage de son pouvoir de dresser un constat de carence, saisir le juge des référés d’un non respect de la procédure de consultation ou de l’absence de plan social conforme, et obtenir ainsi que la procédure soit recommencée. La bataille procédurale et juridique n’a toutefois d’intérêt véritable que dans la mesure où elle est partie intégrante d’une bataille résolue contestant la légitimité même des licenciements. Elle permet alors d’obtenir parfois des informations précieuses susceptibles de contrecarrer la propagande patronale, et de gagner du temps pour construire le rapport de force le plus élevé possible, à la fois en développant au maximum la lutte dans l’entreprise, mais aussi en dehors de ses limites, parmi la population.

Les détournements des seuils pour échapper à l'obligation de plan de sauvegarde de l'emploi sont fréquentes et peuvent prendre diverses formes : de l'étalement dans le temps des licenciements en petits paquets31 à la 29 Alain Supiot, Le droit du travail, PUF, 2004, p.12230 Premières synthèses, Diminution des licenciements économiques en 2000, DARES, mars 2002, n° 13-131 Tactique rendue plus difficile par les dispositions des deux derniers alinéas de l'article L 321-2 du code du travail

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Page 45: 1hussonet.free.fr/gresil64.doc · Web viewUne étude plus fine montre que la proportion de salariés à temps partiel qui déclarent vouloir travailler davantage a amorcé une baisse,

substitution frauduleuse de motifs. Cette dernière très répandue peut prendre deux formes: la négociation de départs volontaires avec certains salariés, ou la saignée par la faute, qui consiste à inventer des fautes inexistantes et à licencier les salariés déclarés coupables pour motif disciplinaire, de préférence pour faute grave, donc indemnités de licenciement ni de préavis. Une part de la montée fulgurante ces dernières années des licenciements pour motif personnel32, trois fois plus nombreux en moyenne que les licenciements économiques, trouve incontestablement ici son explication.

Cette tactique permet à l'employeur de contourner toute discussion avec les représentants des salariés pour opérer des négociations salarié par salarié. Si certains obtiennent des indemnités importantes, en général exclusivement des cadres, c'est au détriment de l'ensemble des autres, qui peuvent être ainsi privés des mesures que devrait nécessairement contenir un plan de sauvegarde de l'emploi conforme, les licenciements opérés par voie de transaction ayant eu l'effet de faire passer le nombre de licenciements restant à opérer au-dessous du seuil de déclenchement. Au total, l'employeur économise le coût du plan social et évite son annonce publique. Il gagne aussi du temps, et limite les possibilités de réaction collective des salariés.

En dehors des contournements, il faut souligner que la procédure de plan de sauvegarde de l'emploi ne concerne que les emplois en cause de l'entreprise concernée, en aucun cas ceux des sous-traitants, dont souvent une partie dépend étroitement de l'activité de l'entreprise donneuse d'ordre, dont ils sont parfois d'anciens morceaux externalisés. Ainsi, la responsabilité économique du donneur d'ordre ne s'étend nullement au périmètre de l'ensemble des emplois que ses décisions de restructuration peuvent toucher pourtant directement. L'article 105 de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 prévoit simplement que l'employeur de l'entreprise donneuse d'ordre doit informer obligatoirement l'entreprise sous-traitante sur tout projet de restructuration pouvant avoir des répercussions sur l'emploi ou l'activité de la seconde entreprise. Les salariés des sous-traitants licenciés pour motif économique suite à une décision prise par la direction du donneur d'ordre seront traités tout à fait différemment des salariés du donneur d'ordre licenciés pour motif économique dans le cadre de la même restructuration : pas de plan social parfois, ou un plan social beaucoup moins avantageux. Dans certains cas on a même vu des entreprises externaliser une partie de leurs activités en les sortant du périmètre du groupe, pour ne pas avoir à supporter le coût financier, social et médiatique d'une restructuration brutale. Rien ne permet aujourd'hui dans le droit en vigueur de bloquer ni de réprimer ces procédés expéditifs.

Même la répression d'atteintes frontales au droit des salariés comme les déménagements/fermetures clandestins d'unités de production accompagnés de licenciements express sans aucune procédure ni indemnités, illustrés par les récentes affaires OCT ou Palace Parfums sont largement aujourd'hui hors d'atteinte du droit lorsqu'ils sont le fait d'employeurs se déplaçant dans un autre pays, même si c'est à l'intérieur de l'Union européenne. En matière de droit pénal du travail, l'entraide judiciaire est quasi inexistante.

Les pouvoirs de l'administration sont quant à eux limités : il s'agit de veiller à la conformité du contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, l'inspecteur du travail pouvant en cas de défaillance dresser un constat de carence, et de contribuer au financement de différentes mesures. Si l'administration a perdu depuis 1986 la prérogative d'autorisation des licenciements pour motif économique, cela n'a pas entraîner de bouleversement pour les salariés: en effet avant 1986, plus de 80% des demandes d'autorisations de licenciement pour motif économique recevaient une réponse favorable de l'administration du travail. Si les pouvoirs de l'inspecteur du travail avaient été renforcés par la loi de modernisation sociale, ils ont été de nouveau limités par la Fillon du 3 janvier 2003, qui a rétabli l'ancien état du droit. L'administration ne dispose pas d'un pouvoir de contrôle du motif de licenciement en cours de procédure: elle ne peut pas suspendre un plan social engagé alors qu'aucun motif économique réel et sérieux n'existerait33. En outre, hors procédure de plan de sauvegarde de l'emploi, les prérogatives de l'administration sont quasi inexistantes, ce qui concerne donc, comme nous l'avons vu, une grande majorité des licenciements économiques.

5- Des accords de méthode à la loi Fillon II sur l’emploi

La loi Fillon du 3 janvier 2003 a suspendu diverses mesures de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 : pour l'essentiel elle a opéré un retour au droit antérieur sur toutes les dispositions qui permettaient aux représentants du personnel d'installer le combat dans la durée (suppression de la dissociation automatique des procédures Livre III et Livre IV34, de la possibilité de faire appel à un expert dès la consultation sur le livre IV, 32 Rappelons qu'il n'existe que deux types de licenciement, le licenciement dont le motif est non inhérent à la personne du salarié est nécessairement économique, tout autre licenciement est donc pour motif personnel. Ce dernier motif pouvant être disciplinaire (licenciement pour faute) ou non (insuffisance professionnelle, inaptitude physique,…).Voir Premières synthèses, Les nouveaux usages du licenciement pour motif personnel, DARES, juillet 2003, n°28-233 Tout juste l'inspecteur du travail peut-il, s'il juge le motif économique non établi, refuser d'autoriser les licenciements des salariés protégés, les seuls sur lesquels il ait à se prononcer.34 Rappelons qu'en cas de restructuration entraînant un plan de suppression d'emploi, l'employeur est tenu à une double consultation du CE, sur la situation de l'entreprise en vertu du livre IV et sur le projet de licenciement en vertu du livre III. La loi de modernisation sociale avait imposé que ces deux consultations fassent l'objet de deux réunions distinctes, et donné la possibilité au CE de recourir à un expert dès la première réunion sur le livre IV, ce que la loi du 3 janvier 2003 a suspendu.

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de la possibilité de faire des propositions alternatives et de saisir un médiateur, des nouvelles prérogatives de contrôle de l'administration). Mais elle ne s'est pas contenté de ce retour à l'état du droit antérieur: elle a mis sur pied une stratégie lourde de dangers.

L'article 1 annonce en effet que la suspension n'est qu'une mesure provisoire dans l'attente d'un projet de loi à venir. Dans l'intervalle, l'article 2 ouvre une période d'expérimentation où la conclusion "d'accords de méthode" est possible. Ces accords signés entre employeurs et organisations syndicales peuvent dérogés à certaines dispositions en vigueur du Code du travail. Dès lors que les syndicats signataires ont obtenu la majorité des suffrages au premier tour des élections de CE, l'accord de méthode peut "fixer librement:+ le nombre de réunions prévues au titre des livres III et IV du Code du travail, les délais qui les séparent et les modalités selon lesquelles s'articulent, dans les entreprises à établissement multiples, (…) les consultations respectives du comité central d'entreprise et des comités d'établissement;+les modalités de recours à un expert-comptable par le comité d'entreprise lorsque celui-ci souhaite faire valoir ce droit et, le cas échéant, ses conséquences sur le nombre de réunions"35

L'objectif recherché est de "sécuriser la procédure" pour éviter au maximum les incidents de parcours, comme les annulations pure et simples de plans sociaux par les tribunaux saisis en référé par le Comité d'entreprise en cours de procédure. Le patronat qui ne cesse de se plaindre de "l'insécurité juridique" dans laquelle il se trouverait, a obtenu là un atout de choix. La possibilité, moyennant un accord préalable, de corseter le déroulement de la phase sociale de la restructuration. Ce dispositif est une tentative de faire échec à la tactique syndicale qui a seule pu permettre de porter certains fruits dans les batailles sur les licenciements: utiliser le terrain procédural et judiciaire pour aider à la construction du rapport de force dans et hors de l'entreprise. C'est précisément cela que les accords de méthode ont pour objectif d'éviter en neutralisant les organisations syndicales dans un accord préalable portant sur…le déroulement optimal d'une procédure de licenciement. L'employeur peut même alors être prêt à accepter l'allongement de certains délais légaux dès lors qu'en échange il obtiendra la tranquillité durant toute la procédure. Peut-on imaginer la signature d'un bon accord de méthode néanmoins ? Cela semble d'autant plus improbable qu'un accord favorable suppose l'existence d'un rapport de force: l'accord étant signé en début de procédure, le temps manque pour accumuler des forces côté salarial. Au moment de la signature, c'est bien l'employeur qui est en position favorable ; et il y a toutes les chances pour qu'un accord signé à ce moment soit le résultat d'une négociation à froid où l'employeur échangera la sécurité pour toute la durée de la procédure contre quelques concessions formelles36.

Outre ce danger tactique, l'accord de méthode pose une question de fond: sa signature revient à ce qu'une organisation syndicale se mette d'accord avec l'employeur sur le bon déroulement d'une procédure de licenciement. Au-delà des péripéties tactiques et tel ou tel cas limite, il y a là un choix syndical et politique stratégique fondamental: le syndicalisme doit-il accompagner les restructurations capitalistes ou chercher à les contester ?

L'accord de méthode apparaît donc bel et bien comme un piège: permettre à l'employeur de faire passer l'organisation syndicale comme une caution de son plan de restructuration tout en lui liant les mains, tout çà pour quelques comités de suivi, commissions de reclassement, et réunions supplémentaires de plus. En outre, ce dispositif législatif expérimental est clairement destiné à préparer un refonte du droit du licenciement économique dont il y a tout lieu de craindre qu'il représente une régression. En ligne de mire, la durée de la procédure bien sûr, mais aussi les prérogatives du Comité d'entreprise, dont plusieurs ont déjà été contestées par le rapport de la Commission de Virville. La loi Fillon sur l'emploi qui devrait intervenir entre septembre 2004 et juin 2005 a donc tout lieu d'inquiéter.

35 Circulaire ministérielle DGEFP/DRT n° 2003-03 du 26 février 2003, point 2-336 Pour des positions divergentes, voir le dossier paru dans Droit ouvrier, revue juridique de la CGT, septembre 2003, hostile aux accords de méthode, d'une part, et d'autre part l'article de Tiennot Grumbach, avocat proche de la CFDT, "Redonner aux syndicats le pilotage de la négociation sur l'emploi", Semaine social Lamy, 19 janvier 2004, n°1152, pp. 17-23, ainsi que l'article d'Isabelle Le Goff," Accord de méthode: diktat non, accord négocié oui !", CFDT Transports Route, mensuel de l'Union fédérale Route de la FGTE-CFDT, p.13

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Chapitre 5Contester les licenciements

L’analyse concrète des licenciements montre que nous sommes très loin de l’accident ou de la fatalité, très loin de l’événement exceptionnel ou de la page qui devrait être tournée en raison d’une évolution technologique ou d’une concurrence imprévue. Ce sont pourtant des millions d’emplois qui sont supprimés au gré des contraintes et des concurrences qu’engendre la compétition marchande. Aucun d’entre eux n’est vraiment de la responsabilité de ceux que la machine économique emploie, à moins de faire de chaque salarié de la planète le seul responsable de son « employabilité » et de ses choix professionnels.

Du coup, on voit mal au nom de quoi le droit social devrait opérer des distinctions entre les employés d’un grand groupe pharmaceutique assis sur une abondante trésorerie, ceux d’une entreprise de 200 salariés au bord du dépôt de bilan, d’une PME de moins de 50 salariés, ou encore ceux d’une boulangerie de quartier livrée à la concurrence d’une grande surface voisine. Et pourtant, ce n’est justement pas le cas aujourd’hui : victimes des mêmes mécanismes les salariés se voient octroyer des accompagnements et des aides au reclassement plus ou moins proportionnelles à la taille et à la richesse de leur entreprise ! Prenons par exemple les effets en cascade d’un retrait du marché d’un médicament important : le visiteur médical du laboratoire pharmaceutique qui produit ce médicament pouvait, il y a encore peu, bénéficier d’un plan d’accompagnement de deux ans pour son reclassement et d’un éventuellement portage, par son entreprise, d’une préretraite à partir de 55 ans. L’ouvrière qui travaille dans l’usine sous-traitante de façonnage (plus de 50 salariés) pourrait bénéficier d’un plan social sans doute a minima avec une cellule de reclassement travaillant sur six mois et des indemnités de licenciement strictement conventionnelles. L’employé du restaurant, en face de son usine désormais fermée, sera remercié faute de clients. Il entrera à l’ANPE dans la comptabilité des « autres licenciements » et non pas sur celle des licenciements économiques. Une seule cause, trois destins différents.

C’est pourtant l’unicité de la cause qui devrait être prise en compte. D’abord en considérant que la mécanique concurrentielle est le plus souvent la seule et unique raison des licenciements, grands ou petits. Ensuite en faisant en sorte que les effets sociaux de toute décision économique devront être assumées bien au-delà du périmètre juridique concerné. Ce peut être le cas pour une restructuration classique, mais aussi dans le cas de licenciements pour raison d’environnement, de santé publique, d’aménagement du territoire, de politique énergétique, etc. C’est toute la question de la « traçabilité » économique de la cause du licenciement.

Voilà pourquoi il est hasardeux de réduire la question des licenciements aux seuls « licenciements boursiers » ou aux seules entreprises qui « font des bénéfices ». Car en braquant ainsi le projecteur sur un aspect du problème, on évite, volontairement ou non, le débat de fond. La question est en réalité plus large, plus systémique, comme le montre toute tentative de rendre compte de la diversité des motifs économiques des restructurations et des licenciements économiques.

Contester le despotisme du marché

Les facteurs conduisant à un licenciement collectif sont en effet toujours multiples et entremêlés, et il ne suffit pas de constater que « les entreprises licencient pour augmenter leurs profits ». Tous les licenciements collectifs résultent de la guerre concurrentielle, le travail étant assujetti à cette contrainte générale. C’est donc cette suprématie du marché sur le social qui doit être globalement et radicalement contestée. La loi devrait déconnecter le sort des salariés des contingences de la concurrence : voilà l’exigence que devrait afficher toute la gauche et tout le mouvement syndical.

Pour être rigoureuse, la loi devrait permettre l’interdiction des licenciements quand ceux-ci sont clairement portés par la cupidité de l’actionnaire. Elle devrait également faire en sorte que la suppression de postes – pour peu qu’elle soit inévitable dans son contexte – ne débouche précisément pas sur ce qui s’appelle aujourd’hui un licenciement, c’est-à-dire dans la grande majorité des cas sur l’inconnu de la précarité et une baisse de revenu.

Cette approche en terme de « suppressions de postes » (versus licenciement) est d’autant plus nécessaire que l’arrêt d’activité peut avoir d’autres motifs que la compétitivité marchande : la fermeture d’une usine polluante, la cessation d’une activité dangereuse, la fermeture d’une mine une fois ses ressources épuisées, l’arrêt d’une technique devenue obsolète, etc. Or, le système actuel est incapable d’anticiper sur de telles évolutions et de préparer la relève en emplois. C’est pourquoi le cadre législatif devrait permettre la pleine participation des salariés concernés, de manière à ne pas se résigner à leur mise au rebut après la fermeture de leur entreprise. Cela éviterait bien des tragédies si les salariés, très au fait de ce qui se passe dans leur entreprise, n’avaient pas à occulter ou à mentir, pour la seule raison qu’ils peuvent eux-mêmes y perdre beaucoup. Autrement dit, il faut que les décisions politiques puissent être prises indépendamment du marché.

La faute à « pas de chance »

La logique qui transforme l’incertitude marchande en un despotisme de marché livrant les salariés à une insécurité sociale grandissante doit être tout bonnement refusée. Le débat public à ce propos est volontairement obscurci, au point d’offrir un terreau fertile à toutes les théories du renoncement. Le marché

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ne fixe pas seulement les normes de l’entreprise mais aussi celles des esprits. Il est la référence ultime, vidée de son contenu social. Du coup, la décision de restructurer et de licencier semble résulter d’une situation de crise due à des facteurs exogènes à l’entreprise, mais jamais d’une responsabilité de gestion. Jamais non plus d’une incapacité des actionnaires et de leur conseil d’administration à anticiper l’évolution des conditions dictées par le marché, ou encore moins de l’incompétence de ceux qui, pourtant, considèrent le marché et ses obligations comme l’étalon de la vertu et de l’intelligence.

Pensons aux choix de style et aux orientations immobilières du groupe Marks & Spencer durant les cinq années qui ont précédé la liquidation de son activité en Europe continentale ; aux conditions désastreuses de l’entrée en bourse d’Alstom, aux cynisme de Renault et de PSA envers leur filiale commune Chausson ou encore de l’attitude des principaux actionnaires d’Air Lib au moment du placement de celle-ci sous administration judiciaire. Chez Alstom en 2003, le total des charges exceptionnelles et provisions dues à des erreurs graves de management (dont le problème des turbines gaz vendues mais ne fonctionnant pas) représentait environ dix fois le coût du plan social prévu pour améliorer les résultats du groupe.

La loi valide cette pure « extériorité » des causes de licenciement. L’article L.321-1 stipule en effet que « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ». A cela la jurisprudence a ajouté une troisième cause, celle de la réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité (Cass. Soc. Bull, 11/06/97). La loi est formulée de telle sorte que les facteurs endogènes de crise étaient a priori exclus, comme si le législateur avait compris que cela risquait de mettre à nu l’ensemble du rapport salarial à l’intérieur même de l’entreprise, en révélant la responsabilité des uns ou la subordination et la dépendance des autres.

La définition, le plus souvent exogène, des causes de la restructuration rend donc la décision en apparence moins contestable. Elle exonère les directions de leur part de responsabilité directe. L’antériorité des problèmes et l’absence d’anticipation s’estompent derrière le caractère objectif et inopiné des faits retenus. Lorsque ce tour de passe-passe est impossible, un changement opportun de direction permet de faire porter le chapeau à l’ancienne équipe, les actionnaires et le conseil d’administration étant a priori blanchis. L’apparente discontinuité de l’exécutif permet de sauver les apparences.

La raison économique est toujours discutable

Le patronat exerce une pression grandissante pour que les instances représentatives du personnel ne puissent plus débattre que mesures d’accompagnement de reclassement et n’aient plus voie au chapitre sur les raisons économiques conduisant à la restructuration, ne serait-ce que sur la base d’une contre-expertise (droits des CE inscrits dans le code du Travail et enrichis par les lois Auroux). La disparition espérée de la procédure de livre IV permettrait de réduire l’information-consultation à 3 ou 4 semaines et de se rapprocher peu à peu du licenciement anglo-saxon. On voit bien le lien entre ce souhait du patronat et cette autre idée qui fait son chemin, celle d’une « taxe sur les licenciements », présentée comme une contre partie « morale » vis-à-vis de la société, mais qui ne serait qu’un « droit de péage » modique pour pouvoir libérer le terrain des « contraintes » juridiques.

La loi en matière de motif économique renvoie pour l’essentiel au périmètre de l’entreprise juridiquement constituée. Mais, dans la réalité, on a le plus souvent affaire à des « morceaux » d’entreprises au sein de groupes. Les filiales sont souvent de simples établissements dépendants de fait des décisions du groupe pour leur charge de travail, leurs marges et leur trésorerie. Or, le groupe est peu ou mal pris en considération. Il l’est pour le « plan de sauvegarde de l’emploi » comme périmètre de reclassement. Mais il l’est beaucoup moins en ce qui concerne la validité des motifs économiques.

L’argument de la compétitivité des prix doit être pris avec la plus grande prudence dans les groupes où les établissements industriels n’ont pour « marché » que le négoce interne à la firme. La fixation des prix de cession entre filiales est alors conventionnelle et le plus souvent déterminée dans un but d’optimisation fiscale. Ce système opacifie l’information économique données aux salariés, d’autant que les clefs de répartition ne sont pas connues. Il est alors possible de faire supporter à un segment le prix de la performance d’un autre segment.

La décision du licenciement est souvent prise à partir des tableaux analytiques décomposant l’activité de l’entreprise et ses marges. Mais ces instruments de gestion ne permettent pas une lecture exacte du réel. Ils en sont un résumé, partiel et partial, un simple prisme. Ils découlent d’une architecture comptable mise au point en interne. Ils décrivent la formation de la valeur en fonction de choix de gestion discutables (prix de transfert, allocation de moyens, organisation du travail, optimisation fiscale du groupe, etc.) Ils poussent très souvent à agir plus sur les effets que sur les causes, mais constituent malgré tout la justification principale des projets de licenciement. Leur fonction de « clignotant » créée les conditions d’un automatisme de décision en dépit de leur caractère arbitraire. Considérer que ces outils de gestion très spécifiques seraient les meilleurs instruments de mesure et d’arbitrage constitue une autre forme de despotisme à l’encontre de la complexité sociale d’une entreprise et des enjeux de société dont elle est porteuse.

Les sureffectifs (supposés) sont donc rarement fortuits, liés à des événements extérieurs et soudains. Ils 48

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découlent souvent de choix de gestion antérieurs parfaitement identifiables, en matière de produits ou d’investissements, de filialisation, ou de transfert de marge entre filiales. Le risque pris par l’entreprise est alors transféré sur ses salariés sous couvert de défense de la compétitivité.

La règle de trois facilite grandement le travail des DRH à qui l’on confie le travail ingrat du plan de réduction des effectifs. Il est courant dans l’industrie de calculer les réductions d’effectif par des procédés strictement itératifs : réduction de l’effectif direct en proportion de la baisse d’activité (charge de travail en équivalent hommes), puis réduction de l’effectif indirect en fonction d’un ratio convenu directs/indirects. C’est tellement plus simple de procéder ainsi, quitte à mobiliser un cabinet d’audit extérieur pour objectiver cet arithmétique. Comment s’étonner ensuite des tensions accrues dans l’organisation du travail ?

Il faut d’ailleurs souligner que dans le grand jeu de la compétition, les responsabilités de sont pas égales entre les grands groupes industriels et financiers et les petites entreprises. Le degré d’autonomie de gestion n’est pas le même. Les grandes sociétés conservent des marges de manœuvre en matière de prix, de gamme de produits, de marge que n’ont pas les petites entreprises, quand elles n’agissent pas illicitement en cartel. Elles ont un pouvoir de marché qui en font les acteurs directs de la mondialisation. Les contraintes concurrentielles dans chaque branche sont de ce fait très formatées par les grandes firmes, puisque ce sont les seules qui peuvent agir sur la formation mondiale des prix. C’est ce que concédait le 12 février 2004, Renault Dutreil, secrétaire d’Etat au commerce, à propos des débats sur la grande distribution et les politiques de prix quant il pointait le « rapport de fort à fort » que constitue la relation entre les multinationales et la distribution. Mais pourquoi ne pas élargir cette audace au domaine social ?

Un grand nombre de restructurations ne sont pas défensives mais offensives. Il s’agit alors pour l’entreprise ou le groupe de procéder à une réduction de charge pour abaisser ses prix de revient et faire ainsi pression sur ses concurrents par une politique de prix de vente agressive. Il peut également s’agir, nous l’avons vu, d’un souci de transfert de charges, du poste salaires au poste promotionnel. La « sauvegarde de la compétitivité » est dans ce cas une notion très extensible. Le licenciement devient alors un investissement avec ses objectifs de rentabilité.

La petite musique du renoncement

Quelle peut être la « légitimité » d’une restructuration si ce n’est, en dernière analyse, celle de la concurrence ? Tel est au fond le message central du rapport Viet37 sur l’accompagnement des mutations économiques lorsque celui-ci propose « une culture du changement partagé ». Il faut évidemment lire : les salariés et les pouvoirs publics doivent partager avec l’entreprise le risque de marché. Ne lit-on pas dans la plupart des études et des rapports que « chacun s’accorde »….sur le fait que les entreprises doivent bénéficier d’une flexibilité en matière d’emploi. Est-ce bien certain que chacun doive s’accorder là-dessus ? Et de quoi s’agit-il au juste ? Du constat que l’appareil économique doit en permanence se modifier en regard de l’évolution des techniques et de la demande ? Mais sans sa dimension sociale ? Sans débat de société sur nos besoins et nos moyens ? Ou bien, plus crûment, que nous devons tous nous plier aux règles que se sont donnés les détenteurs du capital pour arbitrer leur compétition privée ?

Voilà bien le premier des renoncements : considérer que ces règles sont devenues un fait objectif incontournable. Ni la loi, ni le politique ne pourraient ni ne devraient contenir ou contrecarrer ces règles sacro-saintes. S’enfermer dans le périmètre de l’entreprise prise isolément, c’est se condamner à accepter sans discussion que ladite entreprise n’a pas d’autres choix que de se réorganiser en licenciant. Toute la question devrait être de savoir comment sortir de cette impasse. Le problème ne réside pas dans la relation d’une entreprise donnée son marché, mais dans le fait que le solde net global des relations inter-entreprises est à la charge des salariés et de la communauté.

Cette vision étroite réduit les dispositifs de régulation à une simple relance du dialogue social, en aval d’une acceptation aveugle des contraintes de l’entreprise. Il est aujourd’hui courant d’opposer ce dialogue entre « partenaires sociaux »  à l’encadrement par la loi. Mais où doit se situer le curseur ? La croyance en les vertus d’une telle régulation négociée, se substituant au contrôle public, est un leurre, parce que l’entreprise est une construction sociale. La question du rapport de force entre les deux parties de la relation salariale est donc incontournable, et sa conflictualité intrinsèque ne peut être ignorée.

Certes le refus sec de tel ou tel licenciement ne suffit pas à définir une ligne de défense efficace. Il faut bien évidemment chercher à améliorer le contenu du plan, comme le font à chaque fois les comités d’entreprises dans la procédure de livre III. Mais cela ne peut suffire quand la « restructuration permanente » est devenue un des leviers pour affaiblir la contrainte que constitue pour les libéraux la notion de contrat de travail. Considérer en toutes circonstances les salariés comme une charge variable, voilà qui ferait le pont avec toutes les autres formes de « variabilisation » des coûts fixes (filialisation, externalisation, intérim, etc.) Denis Gautier-Sauvagnac a bien résumé la position du Medef en déclarant, lors d’une réunion paritaire sur les restructurations de juillet 2003, que « l’entreprise souffre aujourd’hui de l’insécurité juridique lorsqu’elle dépend d’une constat de carence du ministère du travail ou d’un juge qui considère que telle décision n’est pas

37 Claude Viet, Rapport de synthèse de la Mission exploratoire sur l'accompagnement des Mutations Economiques, janvier 2003<http://hussonet.free.fr/clviet.pdf>

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suffisante ».

Pourquoi dans ces conditions faire mine de croire que l’on va, sans la contrainte d’une nouvelle loi, faire face à l’offensive dramatique actuelle ? L’enjeu est au contraire de reconquérir une protection collective, de refuser l’atomisation des collectifs de travail et des structures représentatives – entreprise par entreprise, plan social par plan social – et de faire en sorte que tout le monde bénéficie des mêmes droits quelle que soit son entreprise et sa taille.

L’absence de règle unique débouche inévitablement sur un enchevêtrement de critères qui, contrairement à ce qu’explique le patronat, sert celui-ci. De même, les multiples distinctions opérées selon le nombre de licenciements, la taille d’entreprise et les moyens de celle-ci, nourrissent l’éclatement du salariat. Un licenciement collectif est un sinistre social, une catastrophe pour les gens concernés, leurs proches, parfois pour leur ville. Alors pourquoi ce sinistre est-il si mal et si inégalement couvert ?

Le trait commun des rapports et des tribunes qui traitent de cette question est d’abandonner toute définition exigeante de l’emploi en renonçant à la notion même de droit au travail, ce qui revient à refuser tout traitement du préjudice social en aval. Dans un rapport pour la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris38 Pierre Cahuc écrit par exemple : « Le contrôle du motif économique du licenciement est une source d’inefficacité et d’inéquité, car il repose sur une conception erronée du fonctionnement du marché du travail, qui sous-estime l’ampleur des mouvements d’emplois et de main d’œuvre. Rappelons qu’environ 10.000 emplois sont réalloués chaque jour en France dans une situation normale. Ces destructions et créations d’emplois jouent un rôle essentiel dans l’efficacité du système productif (…) Il convient donc de simplifier la procédure de licenciement, en allégeant les obligations qui pèsent sur les entreprises tout en mutualisation les risques grâce à une meilleur prise en charge des salariés licenciés (…) Dans cette perspective, les moyens actuellement dévolus au contrôle et à l’accompagnement des plans sociaux pourraient être redéployés vers un meilleur accompagnement des chômeurs au sein de l’ANPE. La procédure de licenciement pourrait se limiter au respect d’un préavis et d’une notification aux représentants du personnel et à l’administration en cas de licenciement collectif ».

Comment contester les plans de licenciement ?

Même si chaque plan de licenciement comporte évidemment ses caractéristiques propres , on peut cependant esquisser une démarche générale. L’axe central consiste à mettre en lumière la décision stratégique prise et d’en contester la légitimité auprès, non seulement de ceux qui sont concernés mais aussi de ceux qui sont supposés rester dans l’entreprise. Le point de départ est qu’il s’agit d’une décision de gestion et non d’une contrainte extérieure qui s’impose sans coup férir. Il faut mobiliser tous les éléments qui permettent de contester le caractère inéluctable des contraintes économiques externes.

Tout projet de licenciement repose sur un argumentaire économique qui cherche à motiver l’opération et son étendue. Ce n’est pas un hasard si le patronat conteste aux représentants du personnel d’intervenir au niveau des justifications économiques pour tenter de les concentrer sur le seul « volet social » qui prend en compte les conséquences individuelles des décisions prises. Cette répartition des tâches permet de renvoyer chacun à sa situation individuelle au détriment des intérêts communs. Il faut au contraire insister sur le fait c’est à la direction de « prouver » les effets positifs attendus.

La présentation de projets alternatifs peut ensuite constituer un point d’appui. En déplaçant les contraintes perçues, ils peuvent permettre une mobilisation autour d’eux. En dépit de ses limites, la perspective d’une reprise de l’entreprise par ses salariés, sous forme de coopérative a l’avantage de mettre en lumière, au moins dans un premier temps, qu’il est possible de produire sur d’autres bases, et que la logique capitaliste n’est pas la seule possible pour la production de biens matériels39.

La loi définit le licenciement économique comme la suppression de « postes de travail » et non comme l’éviction d’individus. On peut s’appuyer sur cette contradiction entre une logique financière abstraite et l’organisation de la production où ce sont les tâches spécifiques qui déterminent les postes de travail. Comment va-t-on réaliser les travaux et dans quelles conditions ? C’est autour de cette question qu’on doit se battre pied à pied sur chaque poste de travail supprimé. Chaque poste gagné est alors une remise en cause du caractère inéluctable des suppressions d’emplois et donc de la légitimité globale du plan. Cette contestation poste par poste est plus qu’une tactique, parce qu’elle vise à mettre en lumière les répercussions sur les conditions de travail de ceux qui resteront dans l’entreprise. C’est la base sur laquelle la solidarité peut se construire.

Il faut imposer un respect scrupuleux des dispositions législatives. Les critères de réduction du nombre de postes doivent être rapportés à l’entreprise et non aux seuls services concernés, comme le voudraient les directions. Il convient, sur ce point comme sur les autres, de contraindre le patronat à sortir de la logique

38 Pierre Cahuc, Pour une meilleure protection de l’emploi, Centre d’Observation Economique, document de travail n°63, juin 2003 <http://hussonet.free.fr/cahuc.pdf>39 Il convient toutefois d’analyser précisément les contraintes qui pèsent sur la mise en œuvre d’un projet afin que les travailleurs qui s’y reconnaissent ne se retrouvent pas rapidement dans une impasse.

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comptable et financière qu’il prétend imposer et de revenir aux personnes concrètes de façon à mettre à jour toutes les contradictions de son projet. Un des difficultés rencontré sur ce point est l’hétérogénéité accentuée des contrats internes : comment, par exemple, raisonner en suppression de postes alors que les temps partiels sont légion ?

Il y a aussi des formes plus subtiles de réduction d’emplois, qui tendent à ce développer : incitation au départ, aide à la création d’entreprise, contrat de sous-traitance, etc. Les réductions d’effectifs obtenues par ces différents bais est souvent bien supérieure à celle qui résulte des plans sociaux.

Un obstacle supplémentaire à la mobilisation contre les licenciements découle de la déstabilisation des institutions représentatives du personnel. Elles reposaient sur un modèle d’entreprise homogène disposant de « ses » salariés et épousaient ainsi l’organisation du pouvoir économique patronal, puisque c’est au niveau de l’entreprise, basée sur le métier, que se nouaient les rapports de force. Aujourd’hui, les formes de la négociation sociale ne correspondent plus à la réalité de l’organisation du collectif de travail : ceux qui prennent les décisions sont inconnus de ceux qui en paient les conséquences.

C’est pourquoi un plan de licenciements sera d’autant mieux contesté qu’il aura été anticipé à tous les niveaux. Cela suppose d’abord de bien analyser la stratégie du groupe et les contraintes dans lequel il évolue. Il faut ensuite examiner la place de l’entreprise et sa trajectoire au sein du groupe, puis prendre en compte les paramètres de chaque atelier. Autrement dit, il faut toujours récuser un argumentaire économique qui se cantonne au seul périmètre concerné.

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Chapitre 6Interdire les licenciements ?

Le succès de la revendication d’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits s’explique par un sentiment légitime de rejet d’une telle situation. Il s’est développé en France, à partir de l’affaire Michelin, quand cette firme a annoncé, à quelques jours d’intervalle, de confortables bénéfices et la suppression de 3500 emplois ! Un sondage montrait récemment qu’une forte majorité (75 %) de Français considérait que de telles décisions étaient illégitimes. Même s’il s’agit, pour toutes les raisons que nous avons avancées, d’une revendication de portée limitée, elle heurte de plein fouet le nouveau cours du capitalisme mondialisé et financiarisé. Elle ne permet pas pour autant de répondre au fait indiscutable que la grande majorité des licenciements économiques ont lieu dans des entreprises en difficulté économique réelle, dont une grande partie dans des petites entreprises qui sont dispensées des garanties associées à la procédure de plan social.

La revendication d’interdiction des licenciements en général s’étend au contraire à l’ensemble des licenciements, économiques ou non. Elle implique une remise en cause globale du statut actuel du salarié. Interdire les licenciements revient en effet à supprimer le droit de licencier. L’employeur ne peut plus rompre le contrat de travail du salarié, qui perd donc un de ses éléments essentiels. L’interdiction de la rupture du contrat de travail fait passer d’une logique de contrat à une logique de statut d’emploi garanti, qui rompt avec la marchandisation de la force de travail, et avec l’existence même d’un marché du travail. De l’interdiction de certains licenciements économiques illégitimes, on passe à l’interdiction de tous les licenciements.

Cette perspective est ouverte par les transformations du capital qui a considérablement accru sa mobilité, sa capacité de redéploiement et de contournement des règles sociales. Sous une forme édulcorée, c’est un souci analogue qui sous-tend les projets et expériences dites de « flex-sécurité ». qui cherchent à rendre compatibles ces exigences apparemment contradictoires que sont la mobilité et la sécurité. C’est l’une des nombreuses objections qui surgissent à propos de l’exigence d’une sécurité accrue pour les salariés. Et il y en a bien d’autres : comment fermer les activités « dépassées » ou polluantes sans licencier ? Comment éviter les licenciements dans les entreprises qui font faillite ? Ne va-t-on pas figer le système productif comme dans les défunts pays du bloc soviétique ? Pour aborder tous ces points, il faut partir de ce constat d’évidence : aucun système économique, qu’il soit capitaliste ou non, ne peut garantir l’emploi à vie pour tous. Des entreprises naissent, vivent et meurent, non seulement (c’est le propre de l’économie capitaliste) parce que la loi du profit l’exige, mais aussi (c’est vrai dans toute économie vivante) parce que les technologies, la disponibilité des ressources naturelles ou les besoins des consommateurs peuvent changer, les collectifs de travail évoluent et peuvent se scléroser et dépérir, les individus peuvent vouloir bouger.

Pour sortir par le haut de ces exigences contradictoires, il faut redéfinir des formes juridiques nouvelles qui aident les acteurs sociaux et syndicaux à « reprendre la main » sur ces stratégies du capital, en esquissant les contours d’un nouveau statut du salariat. De nombreuses propositions ont été récemment avancées sur ce terrain : rapports Supiot40 ou Bélorgey41, projets de « sécurité d’emploi-formation » du PCF, ou de « sécurité sociale professionnelle » de la CGT. Elles demeurent pour l’instant très floues dans leur architecture institutionnelle, et imprévisibles quant à leurs conséquences pratiques. Faute d’être suffisamment précis, certains de ces projets recèlent même de réels dangers : ainsi la proposition de Supiot d’un système de « droits de tirage sociaux », largement individualisés et probablement financés par les contribuables, pourrait parfaitement (bien que Supiot lui-même le récuse) s’intégrer dans un projet de dérégulation générale du marché du travail, en se bornant à y apporter des compensations individualisées.

Il faut donc énoncer des principes sufisament clairs pour écarter toute visée dérégulatrice et nouer des alliances inédites en faveur d’innovations institutionnelles originales, qui permettent d’engager un réel combat contre la précarisation, et, à terme, contre le droit de propriété capitaliste lui-même. Pour notre part, nous énonçons trois grands principes qui concernent la continuité, la mobilité et le financement.

Principe n° 1: continuité du salaire.

Le Prémabule de 1946 intégré dans la Constitution de 1958 affirme que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Cependant, le Conseil constitutionnel subordonne ce droit à l’emploi au respect de la liberté d’entreprendre, liberté qui est pourtant une pure création jurisprudentielle puisqu’elle ne figure dans aucun texte constitutionnel : cette liberté autorise ainsi non seulement à licencier pour motif économique, mais même à licencier lorsque la pérennité de l’entreprise n’est pas menacée42. Certains juristes vont plus loin en affirmant que le droit à l’emploi ne serait pas opposable, faute de pouvoir définir un «  débiteur » redevable de cette « créance ». Pourtant ce débiteur existe : c’est le patronat, compris comme patronat collectif. Il

40 Alain Supiot (coord.), Au delà de l’emploi, Odile Jacob, 1998.41 Jean-Marie Bélorgey (autour de), Refonder la protection sociale. Libre débat entre les gauches, La Découverte, Cahiers Libres, 2001.42 voir par exemple la décision du Conseil 2001-55 des 11-12 janvier 2002 sur la loi de modernisation sociale, notamment les alinéas 45 à 50

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appartient donc au législateur d’élaborer des lois établissant sa responsabilité au regard du droit de chacun à obtenir un emploi qui, sans cela, est évidemment une coquille vide. Dès lors que les déboires d’une entreprise sont les profits d’une autre, il n’y a aucune raison pour que les salariés, sous prétexte qu’ils sont salariés de telle entreprise plutôt que de telle autre, perdent leur emploi, alors qu’ils n’ont aucune responsabilité dans la direction de leur entreprise.

Pour être autre chose qu’un (bon) slogan, l’interdiction des licenciements doit s’accompagner d’un projet de refondation du statut de salarié. Son principe de base serait de le déconnecter de l’affectation à un moment donné du salarié. Autrement dit, les périodes intermédiaires entre deux emplois doivent bénéficier d’une garantie de rémunération intégrale ou de la possibilité de choisir une formation prise en charge elle aussi intégralement.

Ce principe de continuité du salaire et des droits sociaux implique qu’un travailleur doit se voir reconnaître des droits à ressources qui dépendent de sa qualification personnelle (formation, expérience, etc.), mais pas de sa position du moment : qu ’il soit en emploi immédiatement productif, en formation, ou en recherche de travail, il perçoit le salaire conforme à sa qualification. Le fait de travailler dans une entreprise peut lui valoir un supplément (primes, heures supplémentaires, etc.), mais sa rémunération de base et ses droits sociaux (retraite, maladie, etc.) n’en dépendent pas. Ce principe reconnaît donc à la personne un statut professionnel permanent, entérinant le fait que les périodes de recherche et de formation sont des périodes productives à part entière. Il revient en somme à généraliser à l’ensemble du salariat le fameux statut des intermittents du spectacle, lui-même justifié par la discontinuité spécifique de ce milieu de travail.

Principe n° 2: droit à la mobilité.

Le droit à la mobilité, à une mobilité positive et choisie, n’a jamais été garanti par les actuelles institutions du droit du travail ou de la protection sociale. Celles-ci ne protègent même plus contre les mobilités subies, le licenciement arbitraire, le chômage de longue durée. Le rapport salarial tend à sortir de plus en plus des frontières étroites de l’entreprise : on le voit tous les jours avec les stratégies managériales d’externalisation, et à travers la tendance des salariés en lutte à chercher de plus en plus systématiquement des appuis dans l’opinion publique et dans la société civile. Il faut donc travailler à la reformulation d’un système de garanties collectives adapté à ce nouveau contexte, qui vise non pas à adapter les salariés à une exigence abstraite de flexibilité, ou à les doter d’une « égalité des chances » face à l’impitoyable sélectivité du marché, mais à réguler les pratiques des entreprises en matière d’emploi et de gestion de leur personnel. Il s’agit de procure à chaque travailleur, disposant ou non d’un emploi, un statut et des droits non bornés par l’horizon de l’entreprise qui l’emploie (ou l’a employé).

Pour permettre cette nouvelle organisation du marché du travail, chaque entreprise serait tenue de s’inscrire, dans un réseau d’entreprises et d’institutions de diverses natures, réseau dont elle est proche, géographiquement, professionnellement, ou en raison de liens capitalistiques, personnels, culturels, etc. La firme néo-libérale est typiquement « en réseau » avec ses sous-traitants, ses fournisseurs, ses concurrents-associés dans des projets de recherche et développement, etc. Ces réseaux, ou plus classiquement les filières de production, les branches professionnelles, les « districts industriels » localisés (du type de ceux de l’Italie du Nord) ou les bassins d’emploi peuvent constituer le contour d’une unité économique et sociale où les mêmes règles, notamment de gestion du personnel, sont suivies par tous. Le terme d’unité économique et sociale figure déjà dans le droit social français, et la co-responsabilité sociale des donneurs d’ordre avec leurs sous-traitants (sur site) existe déjà dans le cas des accidents du travail. Il s’agit, comme le suggèrent les juristes réformateurs sociaux, d’étendre ce droit à l’ensemble des participants au réseau productif animé par la grande entreprise.

Il s’agit en fin de compte d’élargir le périmètre de définition des responsabilités selon une double dimension : la « traçabilité verticale » mène de l’entreprise à sa branche puis à l’ensemble du patronat ; la « traçabilité transversale » prend en compte l’unité de fait de pôles de production, comme les plateformes aéroportuaires ou les chantiers. Les entreprises de production ne seraient d’ailleurs pas les seuls membres de ces réseaux : instituts de formation, collectivités territoriales (ou l’Etat dans le cas des réseaux à caractère national), associations de consommateurs, d’usagers, ou organismes professionnels seront également parties prenantes du réseau et représentés à sa tête, là où sera réalis ée la coordination entre les membres.

Il est en effet décisif d’ouvrir le rapport salarial sur la démocratie locale et la société civile, afin de ne pas laisser les salariés en tête-à-tête avec les dirigeants des entreprises et les actionnaires, mais de faire peser les exigences de la démocratie et de l’intérêt général dans les décisions économiques. C’est ce qu’ont fort bien compris les syndicalistes les plus inventifs, à l’image de la CGT de Renault -Le Mans qui organise de grands forums publics pour informer et mobiliser l’opinion publique locale, ou du syndicat Sud-Chimie d’Aventis qui a élaboré une pétition avec Médecins du Monde pour relancer la production de médicaments utiles aux pays du Sud en développant l’emploi au Nord.

La tête du réseau aura pour fonction de gérer les moyens, institutionnels, matériels et humains, permettant la circulation des personnes entre ses différentes unités en fonction des besoins des uns et des autres, besoins valid és par le débat public et éventuellement contradictoire au sein du réseau. Si la mobilité est purement volontaire et résulte d’un projet professionnel ou d’une décision circonstancielle ; ou bien si elle est provoquée

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par un accident économique frappant une entreprise en particulier (et explicitement reconnu légitime et assumé par le réseau, ce qui exclurait très certainement les licenciements « de confort » ou « boursiers », destinés simplement à accroître les bénéfices à court terme) ; dans tous les cas, le salarié doit pouvoir bénéficier d’offres d’emploi ou de formation proposées par les entreprises ou institutions liées à son entreprise initiale. Evidemment, une solidarité inter-réseaux doit également jouer, pour éviter que des réseaux soient affectés globalement

Ce nouveau cadre institutionnel faciliterait considérablement la mobilité volontaire sur le marché du travail, en déchargeant les travailleurs de la plupart des coûts de cette mobilité. En revanche il freinerait certainement la mobilité subie : le capital, qui aujourd’hui organise et profite de cette mobilité, en supporterait le coût plutôt que de le reporter sur les salariés. Les entreprises seraient donc amenées à internaliser les coûts de leurs décisions d’emploi, et deviendraient par là-même beaucoup plus prudentes en matière de précarisation. Le champ du contractuel n’est pas supprimé complètement si on admet que le salarié choisit telle ou telle affectation, ce qui entraîne la signature d’un contrat. On voit bien cependant que le rapport de force dans la négociation du contrat est alors sans commune mesure avec ce qu’il est aujourd’hui. L’obligation de reclassement dans l’entreprise ou le groupe incombe à l’employeur du salarié dont le poste est supprimé ; en cas d’impossibilité de reclassement dans l’entreprise ou dans le groupe, le patronat de branche prend le relais, puis le patronat collectif. On voit bien aussi que la rupture du contrat n’a rien à voir avec un licenciement : le salarié perd son affectation immédiate, mais garde son statut de salarié rémunéré. Il est soit immédiatement reclassé, soit en formation de perfectionnement, de remise à niveau ou de reconversion. Le salarié conserve sa rémunération, qui est prise en charge par les cotisations patronales abondant un fonds de mutualisation.

Chaque employeur doit payer des cotisations pour financer les salariés licenciés, mais il partage ce coût avec tous les autres patrons de la branche (le « patronat collectif ») alors qu’il était seul à payer le salaire du travailleur avant le licenciement. Un tel dispositif peut engendrer des comportements de « passager clandestin », un patron donné d’entreprises reportant sur le réseau les effets de leurs décisions. Pour y faire obstacle, il faut le compléter par un système de bonus-malus sur les cotisations sociales (notamment d’assurance-chômage) qui permettrait de contrôler ces comportements opportunistes. Cette modulation dépendrait du comportement de l’entreprise en matière d’emploi ; elle pourrait par exemple dépendre du taux de départs annuel, y compris licenciements, fins de CDD et démissions.

La légitimité économique d’un licenciement et l’éventuelle impossibilité du reclassement devraient être appréciées par une commission paritaire de branche dans le cas de l’entreprise, et une commission nationale dans le cas de la branche. Le chômage se réduit alors à deux cas de figure : le salarié qui en dépit des formations refuse toutes les propositions et qui n’est plus rémunéré qu’à un minimum à définir43 ; la personne ayant terminé sa formation initiale et pas encore trouvé d’emploi. La garantie de l’emploi effectif de ces derniers réside dans l’abaissement de la durée du travail légale hebdomadaire, en cas d’accroissement de leur nombre. La réduction du temps de travail est donc un élément clé d’un tel système. Il est donc tout à fait compatible avec un droit à la mobilité du salarié, qu’il facilite même, comme avec un droit à la formation continue. En effet rien n’interdit à un salarié de changer d’emploi. D’autre part, un droit à la formation doit être garanti à chaque salarié, et mis à sa libre disposition dans certaines limites ; par exemple un an de formation pour dix ans de travail, non compris les formations d’adaptation au poste de travail.

Principe n° 3: un financement mutualisé.

Le troisième principe renvoie à la nécessité d’un financement mutualisé des coûts de fonctionnement du système de sécurité-mobilité. Par définition, une entreprise qui doit supprimer des emplois suite à des difficultés économiques justifiées et reconnues par la collectivité, ne peut à elle seule assumer le maintien du salaire et des droits des personnes touchées. Il faut donc mettre en place des fonds de mutualisation à la charge exclusive des employeurs, qui permettent de financer cette permanence du droit à l’emploi, par delà les aléas de la vie de telle ou telle entreprise. De tels fonds sont nécessaires si l’on veut garantir un statut du salarié caractérisé par la continuité de l’emploi, non d’un emploi particulier et immuable, mais d’un emploi avec garantie de qualification et de rémunération. Enfin, ces fonds de mutualisation doivent inclure une dotation de l’Etat puisque celui-ci est tout à fois employeur et acteur de certaines restructurations.

Les modalités du financement doivent être cohérentes avec celles de la mise en réseau des entreprises définies plus haut. C’est le réseau lui-même qui devra payer pour les chocs n ’affectant qu’une entreprise ; mais pour les chocs communs à tout un réseau (par exemple une crise sanitaire, climatique, ou un choc de productivité) c’est l’ensemble des réseaux productifs qui devra se solidariser du réseau touché. En cas de choc global, c’est la collectivité nationale et européenne qui jouera le rôle de financeur en dernier ressort. La délibération publique décidera de la nature des chocs qui surviennent, et donc de la responsabilité des différents niveaux

43 En ce sens il y a bien un « devoir de travailler », pour reprendre la formule du même préambule de la Constitution. Ce devoir n’est concevable que dans la mesure où est garantit un emploi correspondant à la qualification du salarié ou la possibilité de suivre une formation permettant de choisir une autre qualification. Ce devoir ne peut-être qu’une injonction morale, sauf à rétablir le travail forcé.

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dans leur financement. Ce système « en cascade » constituerait un puissant stabilisateur macro-économique, dans la mesure où, les victimes d’un choc localisé ou sectoriel ne perdant pas de pouvoir d’achat, ce choc aurait des répercussions très atténuées sur le reste de l ’économie.

Une telle refondation du système d’assurance-chômage aurait un coût important. Mais il faut le relativiser en le mettant en regard du coût actuel du chômage. Le coût net serait beaucoup plus réduit, et assurément à la portée de pays aussi riches que le nôtre. Ce financement pourrait être assuré par un rééquilibrage du partage des richesses en faveur des salaires : il y a de la marge pour le faire au niveau national, et encore plus facilement si l’on procède de façon coordonnée au niveau européen. Ce rééquilibrage est fondé sur l’analyse suivante : c’est le report sur les salariés du risque associé à toute activité économique qui a permis (à travers le chômage et la précarité) un recul de la part salariale et une progression concomitante des revenus financiers. Notre proposition est cohérente : elle revient au fond à socialiser le coût du chômage et à revenir sur la captation de richesses qu’il a autorisé depuis deux décennies.

Cette proposition n’est pas aussi utopique qu’il y paraît : elle systématise des dispositifs juridiques qui existent d’ores et déjà, sans même parler du statut des intermittents du spectacle. Il y a d’abord l’assurance de garantie des salaires (AGS) financée uniquement sur cotisations patronales. Ce fonds couvre le paiement des salaires des travailleurs licenciés par une entreprise en faillite, ceci dans certaines limites, que le gouvernement vient d’ailleurs de restreindre par un décret récent. L’article L143-11-6 du Code du travail prévoit ainsi que « l’assurance est financée par des cotisations des employeurs qui sont assises sur les rémunérations ». On a bien là un exemple de ce que l’on disait : le patronat collectif paie les salariés à la place du patron individuel auquel il est tenu de se substituer (voir aussi les articles L143-11-1 et L143-11-4).

Le régime d’indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles est également financé exclusivement par des cotisations patronales. L’article L241-5 du Code de la sécurité sociale dispose que «  les cotisations dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles sont à la charge exclusive des salariés (voir aussi les articles L241-5, L242-5, D242-6-1 à D242-6-18). Elles sont assises sur les rémunérations ou gains des salariés ». Le droit positif reconnaît donc partiellement le principe de la solidarité financière collective du patronat. Là où le patronat dirige sans partage, il doit être responsable sans partage, y compris financièrement. Dans la logique de ce « nouveau statut », il revient aux salariés d’assumer la gestion directe de ces fonds Ce qui distingue notre approche, c’est qu’elle part d’une remise en cause du droit de licenciement, au lieu de s’accommoder de la précarité et des licenciements.

Interdire la précarité

Lutter contre le chômage et les licenciements nécessite une intervention sur la précarité. L’emploi précaire (CDD, intérim, temps partiel) constitue en effet une dimension clé de la gestion patronale de la main d’œuvre. Il vise à constituer un volant de main d’œuvre éjectable sans formalités en cas de problème économique et donc de contourner la réglementation sur le licenciement économique. Pour le patronat il présente en otre l’avantage de discipliner la main d’œuvre, de flexibiliser l’organisation du travail, de rendre plus difficile les conflits collectifs, et enfin de plomber les salaires, puisque les travailleurs précaires sans ancienneté tirent vers le bas l’échelle des rémunérations.

Le recours à cette main d’œuvre précaire est massif dans certains secteurs : intérimaires dans l’automobile et le bâtiment, temps partiel dans la grande distribution ou les centres d’appel. Le recours au CDD comme période d’essai est très répandu, en toute illégalité. Les salariés précaires sont plus souvent et plus gravement accidentés que les autres. La réglementation du recours à l’intérim et aux CDD, extraordinairement complexe et difficilement contrôlable, facilite tous les abus, alors même qu’elle est issue d’un accord interprofessionnel négocié à froid en 1990 et signé par certains syndicats. Le patronat met en avant de nouvelles formes de contrats de travail (« de projet » ou « de mission ») qui feraient de ces « formes atypiques d’emploi » la nouvelle norme. La sécurisation du statut de salarié passe au contraire par un encadrement strict de la précarité.

Il ne s’agit pas pour autant de nier les problèmes de saisonnalité et de pic d’activité : certaines activités peuvent effectivement se concentrer sur quelques mois. Cependant, la logique de mutualisation esquissée plus haut permet d’avancer des solutions simples et radicales, autour de deux idées : tout intérimaire devient un salarié en CDI de l’entreprise d’intérim ; le régime du CDD, comme celui des contrats de chantier (régi par l’article L321-12 du Code du travail) est supprimé. Ces solutions prennent sens dès lors que les entreprises fonctionnent en réseau..

Ce schéma abolit la précarité liée à ce type d’emploi : chaque intérimaire peut bénéficier d’une progression de salaire en fonction de l’ancienneté, d’une grille de classification dans l’entreprise d’intérim, de droits à la formation. Il rendrait les intérimaires beaucoup moins dociles en leur permettant de faire grève, y compris dans l’entreprise utilisatrice. Il entraînerait une réduction des accidents du travail, puisque les salariés seraient mieux formés et que leur statut précaire ne les contraindrait plus à accepter de travailler sans équipements de protection. Cette organisation permettrait de répondre à l’argument patronal sur la nécessité incontournable de pouvoir faire appel à des salariés ponctuellement, lorsqu’il y a une grosse commande, qu’un salarié est en longue maladie ou en congés. De la même manière, l’activité des CDD saisonniers pourrait être assurée par des CDI intermittents

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Cette logique doit s’accompagner d’une modification du statut de la sous-traitance. Une proportion croissante d’entreprises sous-traitantes travaillent pour un donneur d’ordre prépondérant, et il est donc nécessaire de reconnaître juridiquement cette entité nouvelle que constitue le donneur d’ordre et l’ensemble de ses sous-traitants. Le meileur moyen est de systématiser ce que les juristes appellent « droit de la coactivité » (notamment pour les accidents du travail). Il y aurait par exemple obligation de reclassement chez le donneur d’ordre en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, et cette formule pourrait être étendue aux suppressions d’emplois chez les sous-traitants, dans le cadre d’instances de représentation communes aux sous-traitants et aux donneurs d’ordre En tout état de cause, il est décisif d’élargir la responsabilité sociale des centres de décision capitalistes à la main-d’œuvre périphérique qu’ils aspirent et rejettent à merci.

La question du temps partiel pourrait être traitée selon la même logique, en instaurant le droit au passage à temps plein, à charge pour l’employeur à prouver que c’est impossible devant une commission paritaire ou les prud’hommes.

Et les autres licenciements ?

Interdire les licenciements, c’est aussi interdire les autres licenciements, notamment les licenciements pour faute et pour inaptitude. Ce n’est pas une remarque de détail puisque ces licenciements sont plus nombreux que les licenciements économiques aujourd’hui : depuis 1999, le nombre d’inscriptions à l’ANPE suite à licenciement pour motif personnel est supérieur au double des inscriptions suite à licenciement pour motif économique, et continue à augmenter bien plus vite que le taux d’inscription global. Ce phénomène traduit l’individualisation et la violence accrues des rapports salariaux. Rien de plus facile que de licencier un salarié pour faute, pas d’obligation de réintégration sauf cas particuliers, des dommages et intérêts dérisoires accordés par le juge. Pourquoi se gêner ? Virons les vieux, les gêneurs, les accidentés, etc. On ne risque presque rien, on gagne même de l’argent44, en tout cas on en perd rarement, et de toute façon si peu. La faute permet aussi d’éviter le licenciement économique, autant de gagné sur les indemnités de licenciement.

Ce déséquilibre abyssal dans les rapports sociaux ne se traduit pas uniquement en terme de rupture mais bien sûr de conditions de travail et de rémunération. Il permet et suscite nécessairement ici ou là les comportements de harcèlement moral et de harcèlement sexuel : la pression mis sur l’encadrement et l’impunité patronale contribuent puissamment à libérer les comportements.

Il faut donc investir ce terrain d’un point de vue revendicatif. Il faut notamment exiger un changement radical du droit disciplinaire. Aujourd’hui l’employeur instruit la faute, la qualifie, l’apprécie, entend le salarié, décide de la sanction, l’applique. S’il décide que la faute est grave, il peut licencier sans indemnités de licenciement. Si le salarié attaque aux Prud’hommes et gagne, il ne peut imposer la réintégration même si le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse, sauf cas particuliers. Tans qu’il est encore dans l’entreprise, le salarié n’a aucun droit sur l’instruction relative à la faute reprochée ; ensuite, les faits fautifs supposés sont appréciés par l’employeur qui en a la victime supposée : il est donc juge et partie, position qui permet et facilite tous les arrangements avec le droit.

Il faut donc au moins que la qualification des faits supposés fautifs échappe à l’employeur. Soit que l’employeur doive saisir un juge des faits reprochés, ce qui empêche tout licenciement durant l’instruction, soit que ce rôle soit dévolu à une commission paritaire de branche par exemple. Dans tous les cas il faut que l’instruction soit menée par une autorité indépendante de l’employeur et puisse recueillir les témoignages et documents nécessaires. Il faut exiger en priorité que tout licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, soit nul et ouvre droit à réintégration, sauf souhait contraire du salarié préférant une indemnisation. Ceci vaut bien sûr quel que soit le motif initial de licenciement, faute, mais aussi motif économique, inaptitude, etc. Le salarié a droit à ce que son cas soit équitablement examiné avant le prononcé éventuel de la sanction ; l’instruction ne doit donc pas relever de l’employeur, pas plus que la qualification de la faute. Enfin, tout licenciement injustifié doit pouvoir être sanctionné par une réintégration. Soulignons qu’il s’agit de revendications démocratiques élémentaires. Il nous semble cependant qu’elles ont une grande portée dans le contexte actuel : à l’arrogance et au déchaînement de la violence patronale, elles répondent par l’exigence de droits démocratiques, qui permettraient de les bloquer en partie, tout en étant difficilement réfutables politiquement comme juridiquement, dans une société qui se gargarise des termes de démocratie et de droits de l’homme. Cela permettrait par ailleurs de sortir de la logique victimaire et individuelle dans laquelle nous a enfermés le débat sur le harcèlement moral, tout en permettant de répondre réellement aux différents phénomènes qu’il recouvre. La question du licenciement pour cause d’inaptitude physique soulève les mêmes questions que le licenciement économique et appelle le même traitement, moyennant quelques spécificités.

Sortir de l’entreprise

44 Un salarié âgé est mieux payé qu’un jeune embauché, quand il est remplacé…56

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Un tel ensemble d’innovations institutionnelles peut sembler utopique. Il ne se lit pas moins en filigrane dans les évolutions récentes des aspirations sociales et individuelles, confrontées aux transformations du capitalisme. Il est ébauché dans diverses réflexions récentes, notamment celles des juristes du travail et réformateurs sociaux évoqués ci-dessus. Le rapport Bélorgey du Commissariat au Plan comporte sans doute les pistes les plus précises à ce jour sur le plan juridique, même s’il ne va pas jusqu’à formuler aussi explicitement l’architecture ici proposée, ni surtout à envisager l’ouverture ici suggérée du système productif sur la démocratie locale et la société civile. Une telle ouverture a d’ailleurs été évoquée dans le débat public autour des licenciements économiques45. La perspective d’une refonte du marché du travail permettant d’inverser la spirale de la précarisation repose sur des aspirations largement partagées et des arguments difficilement contestables. L’inévitable objection porte sur la mobilité internationale des capitaux, qui condamnerait toute tentative nationale d’imposer au capital des coûts qu’il n’aurait pas à supporter ailleurs. Cette objection ne fait que souligner la nécessité d’aborder cette refonte institutionnelle à l’échelle européenne, et de réguler politiquement la circulation des capitaux. Cette proposition est susceptible de recueillir une large légitimité bien au-delà des militants consciemment anti-capitalistes, tout en recélant à terme des perspectives de profonde transformation sociale. Car que serait un marché capitaliste du travail sans armée industrielle de réserve ?

Certes, la conscience ordinaire a intégré la banalité du licenciement et sa prétendue inéluctabilité. Il faut donc chercher à miner ce qui constitue cette idéologie. Pour cela le discours politique qui déploie sa logique à partir de principes clés-peut avoir une grande efficacité : pas d’égalité sans autonomie garantie pour chacun, pas d’autonomie possible sans garantie effective du droit à l’emploi de chacun. Il n’est plus possible d’évoquer des droits de la personne sans droit à l’emploi garanti.

Pour sortir de la phase de défaites des luttes sur les restructurations, le rapport de force doit se construire à la fois dans et hors de l’entreprise : le groupe doit être interpellé, la branche voire le MEDEF et/ou le gouvernement. La lutte pour la préservation des emplois menée face à un patron d’une entreprise qui est en train de couler, doit changer de cible et de champ de bataille pour pouvoir gagner. Face aux multinationales, la lutte devrait chercher à mobiliser les forces du mouvement altermondialiste et du mouvement écologiste afin de cerner l’entreprise dans ses différents lieux d’implantation et taper là où cela fait le plus mal. Ainsi à Metaleurop l’hostilité des salariés et de leurs syndicats aux écologistes a t-elle été désastreuse : alors que l’alliance commune aurait permis de puissamment délégitimer l’entreprise, et de créer un rapport de force élargi, l’enfermement dans l’entreprise n’a fait que le limiter. La domiciliation du principal actionnaire dans un paradis fiscal helvétique permettait aussi d’ouvrir un autre front, de faire entrer le mouvement altermondialiste dans la bataille.

La grève interne doit donc se combiner, chaque fois que possible, avec d’autres types d’action, variables suivant les cas. La grève des femmes de chambre immigrées de la société Arcade est un véritable modèle : elles ont gagné en s’attaquant directement au donneur d’ordre, Accor, pourtant extrêmement puissant, en manifestant devant les hôtels du groupe.

Au total, le schéma proposé permet de combiner droit à l’emploi, possibilité d’évolution du système productif, droit à la mobilité et à la formation du salarié, réduction du temps de travail et abolition du chômage. Il y a forcément d’autres solutions possibles. Mais notre formulation permet au moins poser avec force cette question : pourquoi pas ?

45 voir par exemple Claude Emmanuel Triomphe « Des restructurations en panne de modèle social », Les Echos, 24 avril 2001 <http://hussonet.free.fr/triomphe.pdf> ; ou les propositions d’ATTAC « Face aux licenciements de convenance boursière », 2 mai 2001, <http://hussonet.free.fr/licenc4.pdf>

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