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Chronique Notre-Dame d’Huveaune Les Vierges Noires préambule A l’origine, en France, les Vierges Noires appartiennent à la statuaire typique du Moyen-Âge. Elles ont pour particularité d’être de couleur foncée ou noire, d’où leur nom. De nombreuses hypothèses ont été avancées pour tenter d’expliquer les raisons de leur couleur sombre, souvent limitée aux visages et aux mains de la Vierge Marie et de son Enfant. La majorité des Vierges Noires recensées et identifiées se concentre dans le sud de la France : Massif Central, Roussillon, Provence. Elles sont associées aux nombreux et grands pèlerinages de la chrétienté du XIe au XVe siècle. A cette époque, c’est la dévotion populaire des fidèles et pèlerins ne connaissant pas l’écrit, qui s’est traduite par une ferveur incommensurable envers les Vierges Noires. Notre dame d’Huveaune Au début du XIXe siècle, après la création du Corps des Inspecteurs des Monuments Historiques, l’expression « Vierge Noire » est apparue pour des raisons pratiques de classement et de recensement. C’est au début du XXe siècle que celles-ci, grâce à un regain d’intérêt, ont fait l’objet d’études et de rédaction d’ouvrages de plus en plus nombreux, ceci jusqu’à aujourd’hui. La relation « Passé-Présent » dans ce domaine de recherche, met en relief le « sens » que pouvait révéler, 1

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Page 1: paroissestginiez.files.wordpress.com€¦  · Web viewAu début du XIXe siècle, après la création du Corps des Inspecteurs des Monuments Historiques, l’expression « Vierge

Chronique Notre-Dame d’Huveaune Les Vierges Noires 

préambule

A l’origine, en France, les Vierges Noires appartiennent à la statuaire typique du Moyen-Âge. Elles ont pour particularité d’être de couleur foncée ou noire, d’où leur nom. De nombreuses hypothèses ont été avancées pour tenter d’expliquer les raisons de leur couleur sombre, souvent limitée aux visages et aux mains de la Vierge Marie et de son Enfant.

La majorité des Vierges Noires recensées et identifiées se concentre dans le sud de la France : Massif Central, Roussillon, Provence.Elles sont associées aux nombreux et grands pèlerinages de la chrétienté du XIe au XVe siècle. A cette époque, c’est la dévotion populaire des fidèles et pèlerins ne connaissant pas l’écrit, qui s’est traduite par une ferveur incommensurable envers les Vierges Noires.

Notre dame d’Huveaune

Au début du XIXe siècle, après la création du Corps des Inspecteurs des Monuments Historiques, l’expression « Vierge Noire » est apparue pour des raisons pratiques de classement et de recensement.C’est au début du XXe siècle que celles-ci, grâce à un regain d’intérêt, ont fait l’objet d’études et de rédaction d’ouvrages de plus en plus nombreux, ceci jusqu’à aujourd’hui.

La relation « Passé-Présent » dans ce domaine de recherche, met en relief le « sens » que pouvait révéler, pour les croyants du Moyen-Âge, les Vierges Noires romanes, dites « en majesté », lesquelles servaient parfois aussi de reliquaire. Quel « sens » donner à ces statues très anciennes pour le futur : un retour aux sources dans la foi ?

La ville de Marseille compte deux Vierges Noires reconnues d’origine et authentiques : Notre-Dame de Confession en l’abbaye de Saint-Victor et Notre-Dame d’Huveaune en l’église de Saint-Giniez, dans les quartiers sud de la ville.

L’église de Saint-Giniez a donc la chance d’abriter, dans une chapelle latérale, une Vierge Noire, Notre-Dame d’Huveaune, laquelle possède une très longue histoire sur les lieux-mêmes de la paroisse. Cette dernière se

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situe au carrefour de l’estuaire de la rivière Huveaune et du bord de mer, aujourd’hui dénommé « plage du Prado », et s’étend au-delà de l’église actuelle, au coeur du 8e arrondissement de la ville.Il y a quelques années, en 2003, notre regretté ami Robert Cayol a rédigé une histoire très documentée de la statue de Notre-Dame d’Huveaune. Son ouvrage a été publié par la paroisse de Saint-Giniez. Quelques articles sur ce thème sont également parus dans le bulletin paroissial périodique de Saint-Giniez.

Cette documentation disponible et les sources bibliographiques indiquées, entre autres, par Robert Cayol, constituent un solide socle d’information et de connaissances qui permet éventuellement de poursuivre des recherches quant au passé chaotique de « notre » Vierge Noire.

L’Association « Les Amis de Saint-Giniez » dans le cadre de ses actions pour « 2018 – Année Notre-Dame d’Huveaune », a décidé de rappeler l’histoire des Vierges Noires en général, et d’approfondir celle de Notre-Dame d’Huveaune en particulier. Ceci se traduira par une série d’articles à paraître dans le bulletin hebdomadaire « Saint-Giniez notre paroisse ».

Nous proposons donc, dans une première étape, les rubriques suivantes :

LES VIERGES NOIRES

N°1 – Leur définition

N°2 – Leurs origines

N°3 – Leur histoire

N°4 – Leurs caractéristiques

N°5 – Leur noircissement

N°6 – Leur classement

N°7 – Leur localisation en France

N°8 – Leur localisation en Provence

N°9 – Leur localisation à Marseille

N°10 – La dévotion à leur égard aujourd’hui

D’autres articles traiteront, dans une deuxième étape, de la belle histoire de Notre-Dame d’Huveaune.

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1 - LEUR DEFINITION

De tout temps, la couleur noire d’énormes pierres, d’idoles et de statues a frappé l’imagination des populations. Les Vierges Noires ont provoqué, elles aussi, dès leur apparition au début du Moyen-Âge, une mystérieuse attirance des foules de fidèles et de pèlerins.

Mais, définir les Vierges Noires n’est pas chose aisée compte-tenu de leur diversité, de l’époque où elles ont été sculptées, de leur localisation géographique et de leurs spécificités individuelles.

De fait, leur définition se limite-t-elle aux caractéristiques physiques générales qui leur sont propres ou s’étend-elle aussi à l’esprit et au sens qu’elles expriment, ainsi qu’à la ferveur qu’elles suscitent ?Quand donc peut-on dire d’une statue ancienne de la Vierge Marie qu’elle est une Vierge Noire ?Si l’on questionne des personnes qui ont eu la chance de voir et d’admirer quelques Vierges Noires, au Sud de la France, dans leur sanctuaire, leur église ou leur chapelle et qu’on leur demande de définir une « Vierge Noire », elles ont une réponse presque unanime : c’est une statue ancienne du Moyen-Âge, elle est en bois, la Vierge est assise et tient l’Enfant-Jésus sur ses genoux, les visages et les mains sont de couleur sombre ou noire, elle est associée à une légende ou à des pouvoirs miraculeux, elle fait l’objet d’une grande ferveur de la part des fidèles et des pèlerins.

Ces généralités, ainsi exprimées, reflètent assez bien ce qui pourrait être une définition acceptable des Vierges Noires dites « romanes » : les Vierges Noires en Majesté. Ce sont ces dernières qui ont marqué les esprits de l’époque et qui ont été imitées par la suite, sous des formes parfois différentes.

Quel est le point de départ de cette statuaire ?C’est en 431, au concile œcuménique réuni à Éphèse que Marie est proclamée « Théotokos », c’est à dire « Mère de Dieu ». Aussi elle va être représentée dorénavant sur les tympans et les absides des églises, assise sur un trône avec son Fils Jésus sur les genoux, lui offrant par là-même également un trône.Ces Vierges Noires ont une véritable unité de conception romane, qui traduisent par l’image un fort message de foi pour des populations alors illettrées, et qui ont participé à bâtir des traditions de grands pèlerinages populaires de sanctuaire en sanctuaire (Compostelle, Rome, Terre-Sainte, etc.).Il faut rappeler que les premières Vierges Noires romanes servaient aussi de reliquaires et qu’elles étaient donc, pour cette raison, exposées à la vénération, sinon même à la ferveur des fidèles et des pèlerins.

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Ces statues, en ronde-bosse (c’est-à-dire autour desquelles on peut tourner ), étaient destinées à être transportées en procession dans les églises qui les abritaient, mais aussi à l’extérieur, ou même d’églises en églises.

Statue en ronde-bosse : La Vierge Noire de Marsat en Auvergne.

Mais l’image sculptée des Vierges Noires a évolué au cours du Moyen-Âge : Vierges en Majesté, Vierges debout, Vierges « en manteau » (c’est-à-dire Vierges couvertes d’un manteau ne laissant apparaître que les têtes de Marie et de l’Enfant-Jésus. Ce manteau donne à la Vierge une forme conique)

Vierge en manteau : La Vierge Noire du Puy-en Velay

Cette évolution s’est poursuivie ultérieurement pour s’orienter d’abord vers des Vierges polychromes, puis vers des Vierges de couleur claire, surtout à partir du XIXe siècle. Des statues de la Vierge Marie, Vierge « gracieuse », Vierge « céleste », toujours très présentes dans nos églises paroissiales, se sont substituées au fil du temps aux Vierges Noires.

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Les Vierges Noires ont donc eu leur temps de gloire puis d’oubli. Elles ont peu à peu disparu de nos lieux de culte ou de notre vue, car elles ont d’abord été victimes, par destruction, de la Réforme et des Guerres de Religion, puis de la Révolution. Par la suite, elles ont subi l’effet de nouvelles orientations de l’Église en matière de statuaire.

Aujourd’hui, la désignation « Vierges Noires » renvoie moins à une caractéristique physique, la couleur noire, qu’à une qualification spécifique de ces images sculptées. En effet, on dit parfois d’une statue, en certains lieux, qu’elle est une Vierge Noire alors qu’elle n’est pas ou n’est plus noire !Si l’on tient donc compte des origines des Vierges Noires, de leur histoire, de leur évolution et des traditions qui leur sont attachées, on peut tenter de donner, de ces statues, une définition globale :

Effigies féminines qui figurent la Vierge Marie et appartiennent à l’origine à l’iconographie du Moyen-Âge, ainsi qu’à l’Art Roman. Ce sont majoritairement des Vierges à l’Enfant qui tirent leur nom de la couleur noire des visages et des mains de Marie et de l’Enfant-Jésus.

Depuis quelques décennies, des chercheurs et des historiens ont redécouvert les Vierges Noires. Leur curiosité et leur opiniâtreté alimentent leurs travaux de plus en plus nombreux : articles, ouvrages, colloques d’experts, conférences, etc.Et si, grâce à eux, les Vierges Noires revenaient à la mode ?

2 – LEURS ORIGINES

Rappelons tout d’abord une définition courante des Vierges Noires, qui a été abordée dans l’article précédent : images sculptées de la Vierge Marie qui appartiennent à l’iconographie du Moyen-Âge. Ce sont majoritairement des Vierges à l’Enfant qui sont ainsi désignées à cause de la couleur noire des visages et des mains de Marie et de l’Enfant-Jésus.

Les Vierges Noires sont effectivement apparues au début du XIe siècle et ont rapidement fait l’objet d’un culte des plus étonnants de la part de foules très pieuses issues, à l’époque, d’une population rurale et illettrée. La Vierge Noire type était alors la Vierge en Majesté, c’est à dire Marie assise sur son trône de sagesse (« sedes sapientae »), dans une posture hiératique et austère, portant son enfant sur ses genoux.

Vierge Noire de Moulins

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Pourquoi cette couleur sombre ou noire des visages et des mains ? Quelles origines attribuer à cette curieuse particularité ? Quelles hypothèses peut-on retenir pour déceler de façon crédible les racines de cette ferveur populaire envers les Vierges Noires ? C’est assez tardivement que des Vierges Noires ont été décrites par quelques textes du XIIIe siècle. Mais jamais elles n’ont alors été désignées sous ce vocable. Ce n’est que bien plus tard, au XIXe siècle, qu’elles ont été classées sous cette rubrique et que des chercheurs, spécialistes ou néophytes, ont analysé leur parcours historique et se sont interrogés sur leur origine. Ils ont proposé des hypothèses les plus diverses et variées quant aux raisons du noircissement du corps de la Vierge et de l’Enfant-Jésus.

Beaucoup d’auteurs ont tenté de justifier le noircissement des statues par la persistance de cultes païens, en Europe Occidentale au début de la chrétienté. On ne peut rejeter, radicalement et objectivement, l’idée d’une influence possible de rites provenant de cultes anciens remontant à la Gaule antique. Il faut préciser qu’à partir du IIIe siècle avant J-C, les cultes originaires d’Égypte et de Perse pénètrent les mondes grec puis romain. Militaires et marchands découvrent ces cultes nouveaux et les importent dans leurs pays respectifs.

Ainsi, le culte d’Artémis d’Éphèse, a été introduit par les Grecs qui peuplèrent une partie de la côte méditerranéenne. La première statue identifiée de la déesse était une sculpture taillée dans du bois d’ébène et les parties du corps étaient d’une couleur beaucoup plus sombre que les ornements, ceci d’après des descriptions du 1er millénaire avant J-C. Une statue ultérieure d’Artémis la représente debout, un enfant porté sur le bras gauche.

Le culte d’Isis, déesse de la fertilité en Égypte, se diffuse en Orient, en Grèce et à Rome. Elle devient déesse de la mer, protectrice de la famille, etc. Elle s’impose donc comme déesse universelle et son culte a longtemps survécu à Rome, même après l’avènement du christianisme. La déesse Isis était représentée, comme certaines déesses d’Assyrie, assise, allaitant son fils Horus et le tenant sur les genoux. En bois de

cèdre de couleur très sombre, il y a une certaine analogie avec les premières Vierges Noires en Majesté.

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La civilisation celte dominait par ailleurs l’Europe au 1er millénaire avant J-C et le culte de leurs divinités fleurissait en Gaule. Délaissons délibérément les arguments ésotériques avancés par quelques auteurs pour expliquer une origine celtique des Vierges Noires. Mais certaines représentations des « Déesses Mères » peuvent laisser penser à une toute petite parenté avec nos Vierges Noires romanes.

Pour la Gaule, les cultes celtes, bien ancrés dans les différentes régions, rencontrent ces nouveaux cultes. Ils transitent en particulier par « Massilia » (Marseille) pour suivre la « route de l’étain » qui

passe par l’Auvergne, l’embouchure de la Loire avant d’atteindre les Cornouailles. Cette route sera jalonnée de sanctuaires de cultes des plus variés, puisque empruntée par des Crétois, Phéniciens, Grecs et Romains. Et les autochtones ajouteront ces nouveaux cultes aux leurs pour être mieux protégés !

Les apports des civilisations grecque et latine vont, à terme, modifier les cultes celtiques et les déesses importées vont rejoindre les déesses locales pour aboutir à une nouvelle image : la « Magna Mater », c’est à dire la « Déesse Mère ».

Objectivement, nos Vierges Noires, dans leur conception, ont-elles été influencées par ce passé hétéroclite ? Cela n’est pas à exclure totalement car pour les populations de l’époque, les cultes, les rites, les coutumes, les traditions, se transmettent oralement de génération en génération. Des réminiscences ont peut-être longtemps survécu, lesquelles ont été soit effacées, soit récupérées par l’Église en développement.

Mais au final, si quelques influences de type « déesses antiques » peuvent être admises en théorie, c’est bien plus « l’orientalisme » de l’époque moyenâgeuse, résultant des croisades et des pèlerinages pour la Terre-Sainte, qui a façonné l’image sculptée de la Vierge Marie et de son Enfant, telle qu’elle nous est parvenue.Par ailleurs, l’origine de type « oriental » est assez crédible, en terme de conception, si l’on se fie aux récits et chroniques d’époque qu’on retrouve dans les bibliothèques des grands sanctuaires tels que Le Puy-en-Velay ou Rocamadour.

L’Église, devant la ferveur des foules de pèlerins envers les Vierges Noires, a toujours eu une position de prudence, sinon même de retrait. Elle n’a jamais validé l’une ou l’autre des origines décrites, le plus souvent par des auteurs pleins d’imagination.

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Il est donc difficile de faire une synthèse de ce qui a été écrit sur les origines des Vierges Noires, car les incertitudes, les suppositions, les hypothèses non fondées et parfois les élucubrations à ce sujet rendent cette tâche des plus ardues.

Ce qui est certain, c’est que les Vierges Noires romanes trouvent leurs racines au cœur du Moyen-Âge. Elles font partie de notre patrimoine cultuel et culturel. Elles ont eu, au cours des temps, un parcours très chaotique pour arriver jusqu’à nous. Mais ceci est une autre histoire, que nous aborderons dans notre prochaine chronique.

3 – LEURS CARACTERISTIQUES 1/2

Après avoir défini les Vierges Noires, déterminé leurs racines et relaté leur histoire, il y a lieu de répertorier leurs caractéristiques. Si les Vierges Noires se ressemblent, elles ne sont pas pour autant identiques. Les points communs à toutes ces statues sont nombreux. Ne sont-ils pas pour les sculpteurs de l’époque des signes symboliques ? Quand peut-on dire qu’une statue ancienne est une Vierge Noire, ou plus précisément encore : une Vierge Noire romane ?

Les caractéristiques communes

A travers la littérature et la documentation très fournie concernant les Vierges Noires, on peut recenser cinq grandes caractéristiques qui leur sont à toutes communes.

1 – Toujours en boisLes Vierges Noires sont toujours réalisées dans le même matériau : le bois. Les essences utilisées sont très variées et les espèces régionales ont le plus souvent la faveur des artisans : poirier, tilleul, sapin et chêne bien sûr. Le chêne était en effet en honneur auprès des populations du fait de ses qualités reconnues : puissance, robustesse, longévité, etc. Les bois exotiques (cyprès, genévrier) sont plus rarement utilisés pour des raisons de difficultés d’approvisionnement et de coût élevé.

2 – De couleur noire ou foncéeLes statues médiévales de la Vierge avec l’Enfant-Jésus sont dites « noires », alors que, en fait, seuls les visages de Marie et de l’Enfant-Jésus, ainsi que leurs mains, sont noircis ou peints en noir. On peut penser que cette couleur sombre ou noire résulte d’un acte volontaire du sculpteur pour répondre soit à un symbole fort de l’époque, soit à une demande du

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commanditaire. En effet, le principe de polychromie est en vigueur dès le Xe siècle.La couleur sombre ou noire des visages et des mains peut provenir, à l’origine, de la teinte foncée du bois utilisé (bois brut de noyer, de chêne, etc.).Mais le noircissement ou la peinture noire des parties visibles des corps des personnages étaient dictées par les origines imaginaires et légendaires que l’on voulait attribuer à la Vierge Noire : sculptée par un saint (saint Luc), importée de Terre sainte, rapportée par un croisé ou un roi (Saint Louis), etc. En cela, elles avaient un immense pouvoir d’attraction.

3 – De taille identiqueLes premières Vierges Noires avaient très souvent les mêmes dimensions, ce qui est assez particulier pour une statuaire à une époque donnée. Elles mesurent environ 70 cm de hauteur, 30 cm de largeur et 30 cm de profondeur à leur base. On constate un rapport constant, 7 à 3, quelle que soit l’unité régionale utilisée, le système métrique n’existant pas alors. Toutefois on a pu observer quelques statues de petite taille, d’une hauteur approchant 30 cm.Pour le sculpteur, ces dimensions devaient avoir une valeur symbolique. Si aucune règle n’était établie de façon formelle pour le rapport entre hauteur et largeur, c’est l’artisan sculpteur qui donnait aux Vierges Noires des proportions harmonieuses jusqu’à presque atteindre le Nombre d’or ou « divine proportion ».

4 – Des vêtements colorésAu début, les Vierges Noires étaient en bois polychrome. Les artisans produisaient des œuvres variées, bien que ressemblantes, ceci grâce aux formes et aux couleurs des vêtements : style de tunique, plis, drapés, etc. Le noir, le rouge, le vert, le bleu et le doré ont été les couleurs les plus utilisées pour les vêtements, et bien entendu, le noir pour les visages et les mains. Les couleurs choisies ne devaient rien au hasard ou au seul goût du sculpteur, car chaque couleur, à l’époque, avait aussi une valeur de symbole. Toute couleur, à une période donnée, peut en effet être considérée comme un choix ou un fait de société. Elle subit en effet une évolution dans le temps.Le bleu, par exemple, a été de plus en plus utilisé pour les vêtements de la Vierge Marie parce que l’on considérait que cette couleur unissait le ciel et la terre sur le plan cosmique et spirituel, apportant ainsi aux hommes une lumière céleste.

Plus tardivement un nouveau style de Vierge Noire est apparu : « la Vierge en manteau », statuaire qui s’est répandue avec succès assez rapidement.Les manteaux, par leur hauteur et leur ampleur, masquent en totalité la Vierge en majesté, ne laissant apparaître, par des ouvertures prévues à cet effet, que les têtes noires de Marie et de l’Enfant-Jésus. Les sanctuaires

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généralement possèdent pour leur Vierge Noire une véritable garde-robe. Les manteaux d’apparat deviennent somptueux grâce aux tissus rares et de couleurs vives dont ils sont confectionnés et aux pierres précieuses dont ils sont garnis. Un changement de manteau s’effectue pour un événement particulier (ex : procession) ou pour une fête liturgique d’ordre marial. Le manteau donne à la statue une forme conique, étroit à la hauteur du cou et large à la base. Le corps de la Vierge Noire étant masqué par le manteau, le travail du bois est simplifié et le coût de fabrication est bien moindre que dans le cas des Vierges Noires en bois polychrome, d’où le succès de la formule.

5 – Sculptée pour processions et pèlerinagesVers le Xe siècle, c’est le retour des statues en ronde-bosse (autour desquelles on peut tourner) et tridimensionnelles (on peut les voir sous tous les angles). Les Vierges Noires étaient donc des statues faites pour les processions sur les lieux des sanctuaires. Au temps du Moyen-Âge, elles étaient véritablement un objet de pèlerinage et elles ponctuaient, par leur présence, les chemins empruntés par les pèlerins comme, par exemple, celui de Compostelle. Les miracles accomplis par les Vierges Noires attiraient les foules médiévales. Pour chaque sanctuaire, des registres appelés « Livres des miracles » étaient scrupuleusement tenus par des clercs afin de préserver la notoriété du lieu de culte.

Les processions en l’honneur de la Vierge Marie célébraient les faits marquants de sa vie : Annonciation, Nativité, Épiphanie, etc. Mais c’est la fête de l’Assomption qui générait un nombre impressionnant de processions le 15 août, parfois avec la présence de personnes de rang royal qui se mêlaient aux foules de pèlerins (par exemple Saint Louis et Blanche de Castille à Rocamadour ou au Puy-en-Velay). Ces foules étaient composées de groupes hétéroclites : ecclésiastiques de haut rang, moines, seigneurs accompagnés de leurs dames et de leurs chevaliers, mais aussi gens du peuple de toutes sortes, petits notables, charpentiers, maçons, commerçants en tous genres, paysans, hommes de troupe, mendiants, prostituées et même bandits de grand chemin ! Chaque classe sociale était ainsi représentée. Les pèlerinages, par leur ampleur, avaient ainsi un rayonnement économique régional essentiel pour l’époque et les Vierges Noires y contribuèrent.

Ces cinq caractéristiques communes à toutes les Vierges Noires doivent être complétées par celles qui personnifient les Vierges Noires romanes. Ce sera le thème que nous développerons dans notre prochaine chronique.

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