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Bulletin de veille du Curateur public du Québec. Volume 2 Numéro 3 Octobre 2013 Sommaire Le vieillissement des adultes ayant une déficience intellectuelle en Irlande ............................................. 2 La lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables (États-Unis, Canada et Royaume-Uni)..... 5 Le nouveau dispositif de protection de la Norvège ..... 8 Création d’un Curateur public en Irlande ................. 12 Trois nouvelles du Japon .......................................... 17 Avis au lecteur Les points de vue exprimés dans les articles et rapports recensés ne représentent pas nécessairement l'opi- nion du Curateur public du Québec. Pour faciliter l’accès aux textes sur les dispositifs de protection des personnes inaptes des pays étrangers, les résumés peuvent aussi comprendre des précisions concernant ces dispositifs.

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Page 1: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Bulletin de veille

du Curateur public du Québec.

Volume 2 – Numéro 3 – Octobre 2013

Sommaire

Le vieillissement des adultes ayant une déficience intellectuelle en Irlande ............................................. 2

La lutte contre la maltraitance des personnes

vulnérables (États-Unis, Canada et Royaume-Uni)..... 5

Le nouveau dispositif de protection de la Norvège ..... 8

Création d’un Curateur public en Irlande ................. 12

Trois nouvelles du Japon .......................................... 17

Avis au lecteur

Les points de vue exprimés

dans les articles et rapports

recensés ne représentent

pas nécessairement l'opi-

nion du Curateur public du

Québec.

Pour faciliter l’accès aux

textes sur les dispositifs de

protection des personnes

inaptes des pays étrangers,

les résumés peuvent aussi

comprendre des précisions

concernant ces dispositifs.

Page 2: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Page 2. Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013

Le vieillissement des adultes ayant une déficience intellectuelle en Irlande

Alors que le Québec terminait la dernière phase de la « désinstitutionnalisation » de ses citoyens atteints de troubles mentaux ou de déficience intellectuelle,

dans les années 1990, l’Irlande commençait la sien-ne, avec la parution d’un rapport confirmant l’expéri-ence de plusieurs pays qui démontre que les person-

nes vivant dans la communauté plutôt qu’en institu-tion ont une meilleure qualité de vie et sont plus au-tonomes (1). À ce moment-là, plus de 4 000 Irlan-

dais, majoritairement des adultes avec une déficience intellectuelle, étaient hébergées dans des résidences spécialisées accueillant plus de 10 personnes.

Une vingtaine d’années plus tard la situation ne s’est guère améliorée. De 1999 à 2008, les milieux institu-

tionnels ont enregistré davantage d’admissions que de sorties : 620 adultes ayant une déficience intellec-tuelle en étaient partis, alors que 690 y étaient ad-

mis (2). En 2011, quelque 32 % des déficients intel-lectuels adultes étaient hébergés dans des résidences offrant une assistance continue, tandis que les autres

vivaient à domicile (3).

La stratégie irlandaise de désinstitutionnalisation de 2011 prévoit la fermeture définitive de toutes les ins-

titutions dans un délai de sept ans. L’Irlande (popula-tion : 4,7 millions) compte quelque 26 000 personnes ayant une déficience intellectuelle.

Le vieillissement des personnes ayant une déficience intellectuelle

C’est dans ce contexte de désinstitutionnalisation des personnes ayant une déficience intellectuelle en Ir-lande que la première étude d’envergure sur le vieil-

lissement de ces citoyens a été réalisée. En effet, la recherche de Mary McCarron et son équipe est consi-dérée comme novatrice pour plusieurs raisons :

Elle permet de mesurer les changements sur une période de 10 ans.

1. Irlande, Department of Health, Review Group on Mental

Handicap Services, Needs and abilities: A Policy for the Intellectually Disabled, Dublin, 1990, 65p.

2. Irlande, Time to Move from Congregated Settings, 2011, p. 47-48.

3. Irlande, Department of the Environment, Community and Local Government, National Housing Strategy for People with a Disability 2011-2016, Dublin, 2011, p. 47.

À l’échelle internationale, c’est la première fois

qu’une telle recherche est menée simultanément avec une étude longitudinale sur le vieillissement de la population en général.

La recherche permet de faire une comparaison avec les études longitudinales sur le vieillissement

réalisées aux États-Unis et au Royaume-Uni (4).

Elle fournit des données sociodémographiques,

économiques et sanitaires sur un échantillon re-présentatif de personnes qui vieillissent avec une déficience intellectuelle en Irlande.

Enfin, elle joue aussi un rôle de modèle auprès de la communauté européenne.

Sources : Mary McCarron et al., Growing Older with an Intellectual Disability in Ireland 2011, Dub-lin, University of Dublin, 2011, 188 p.

Irlande, Health Service Executive, Time to Move from Congregated Settings: A strategy for Commu-nity Inclusion, Dublin, 2011, 174 p.

4. Health and Retirement Study (HRS), aux États-Unis,

depuis 1992, et English Longitudinal Study of Ageing (ELSA), depuis 2002.

Page 3: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013 Page 3.

Une banque de données unique

La banque de données nationale sur la déficience intellectuelle (National Intellectual Disability Database) de l’Irlande a été créée en 1995 dans le cadre de la désinstitutionnalisation, dans le but d’assurer que des services

adéquats soient offerts aux personnes atteintes et à leur famille.

Chaque région administrative compte un coordonnateur, qui collabore avec un comité composé de représentants de tous les établissements impliqués dans la prestation de services (écoles, services de santé et services so-

ciaux). Ce comité assure l’arrimage avec les bases de données locales, valide les données et offre des conseils, notamment au coordonnateur.

Les données sont ensuite acheminées au comité national chargé d’en produire la version finale, alors considérée

comme un recensement de la population ayant une déficience intellectuelle. Pour garantir la fiabilité des don-nées recueillies, seulement trois catégories d’entre elles sont compilées : des informations démographiques de base, les services effectivement donnés et les besoins de services futurs.

L’échantillon comprend 753 personnes adultes ayant une déficience intellectuelle, dont l’âge varie de 41 à

90 ans. Elles ont été recrutées au moyen de la base nationale de données sur la déficience intellectuelle

(voir l’encadré) qui couvre l’ensemble du territoire de la République d’Irlande. Ce groupe représente près du dixième de la population visée.

Il s’agit d’un complément de la vaste étude longitudi-nale irlandaise sur le vieillissement (Irish Longitudinal Study on Ageing) réalisée auprès d’un échantillon re-

présentatif de 8 200 adultes de 50 ans ou plus jouis-sant d’une bonne qualité de vie (1).

Hébergement

Dans l’échantillon de l’étude, 45 % des participants vivent dans des centres résidentiels, 35 % dans

des résidences de groupe, alors que 11 % vivent dans leur famille (parents ou fratrie) et 5 % habi-tent seuls.

La forte participation des personnes vivant dans les centres résidentiels permettra aux chercheurs

de suivre cette population pendant le processus de désinstitutionnalisation qui s’amorce.

Scolarité

27 % des participants n’ont jamais fréquenté l’école.

46 % ont fait leurs études primaires.

13 personnes ont terminé leur secondaire (moins

de 0,6 %).

4 personnes sont diplômées (0,2 %).

1. Irish Longitudinal Study on Ageing (TILDA), depuis

2009.

Réseau familial et social

Plus du quart (28 %) des participants rencontrent peu les membres de leur famille, soit une fois ou

moins par année, alors que 8 % n’ont aucun contact avec eux.

Plus de la moitié des personnes ayant une défi-

cience intellectuelle légère (53 %) ont toutefois des contacts réguliers avec leur famille, lesquels

baissent à 40 % chez celles qui ont une déficience intellectuelle grave.

Les contacts diminuent avec l’âge : 47 % chez les

50-64 ans contre 33 % chez les 65 ans ou plus.

Une proportion importante (42 %) des participants

n’ont pas de contacts téléphoniques avec leur fa-mille, alors que le tiers en ont sur une base heb-domadaire.

Plus des trois quarts n’utilisent pas les médias so-ciaux.

Plus du tiers ne rencontrent pas d’amis.

La plupart des personnes ayant une déficience in-

tellectuelle ont indiqué avoir des activités de loisir préférées (un passe-temps).

Plus de 80 % ont besoin de l’aide d’éducateurs ou de compagnons pour participer à des activités so-

ciales.

La majorité d’entre elles ont un membre du per-

sonnel aidant comme confident et comme moteur de participation sociale.

Près du tiers des participants ont voté aux derniè-

res élections générales en Irlande.

Page 4: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Page 4. Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013

Santé

Un participant sur trois rapporte avoir des diffi-

cultés à se faire comprendre par les professionnels de la santé.

Les réponses des participants indiquent que 60 %

d’entre eux sont en surpoids ou obèses.

La consommation d’alcool et de tabac est moins

fréquente chez eux que dans le reste de la popula-tion.

Les chutes sont aussi fréquentes chez les quinqua-

génaires atteints d’une déficience intellectuelle que chez les 75 ans ou plus du reste de la population

irlandaise.

Plus de la moitié des participants rapportent

n’avoir jamais reçu de brochures sur la santé qui soit facile à lire.

Finances personnelles

82 % des participants sont prestataires de l’aide

sociale (disability allowance).

Environ la moitié d’entre eux indiquent qu’ils ne

peuvent pas gérer leurs finances.

Environ 7 % occupent un emploi rémunéré.

− Préparé par Malcolm St-Pierre, DPSR

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Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013 Page 5.

La lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables (États-Unis, Canada et Royaume-Uni)

En Australie, le Curateur public à la personne de l’État de Victoria, le Public Advocate, manifeste de-puis plusieurs années un intérêt marqué envers la

lutte contre la maltraitance des personnes vulnéra-bles. Il a d’ailleurs réalisé en 2010 une étude qui a incité le gouvernement à demander une enquête par-

lementaire sur le traitement que le système judiciaire accorde aux personnes ayant une déficience intellec-tuelle ou un problème de santé mentale (1). Le Cura-

teur public est aussi à l’origine d’un guide sur le trai-tement des signalements concernant la violence, la maltraitance et l’abus des personnes vulnérables (2).

Cette préoccupation s’explique en partie par l’éten-due du mandat du Curateur public à la personne. En

plus de ses responsabilités à l’égard des curatelles à la personne, il gère un programme de visites sans préavis dans les centres d’hébergement de l’État de

Victoria ainsi qu’un programme d’accompagnement des personnes vulnérables arrêtées ou interrogées par la police. Les visiteurs et les accompagnateurs

sont tous des bénévoles qu’il forme et encadre (3).

Le responsable du développement des politiques au Curateur public, John Chesterman, s’est ainsi intéres-

sé aux méthodes employées pour lutter contre la maltraitance à l’extérieur de l’Australie. Il a rencontré en 2013 plus de 30 professionnels des services so-

ciaux, du système judiciaire, des autorités municipa-les, de la police et des curateurs publics de l’État de Washington, de la Nouvelle-Écosse, de l’Écosse et de

l’Angleterre.

La préoccupation de John Chesterman repose sur un

problème réel: il a souvent observé que des person-nes vulnérables passent entre les mailles des services sociaux et judiciaires de l’État de Victoria, notamment

lorsqu’il n’y a ni urgence médicale ni preuve évidente d’un crime. Entre les deux options possibles – une curatelle ou l’inaction des autorités – la curatelle

s’impose très fréquemment. Chesterman cherche alors à déterminer des mesures qui seraient moins intrusives que l’ouverture d’une curatelle.

1. Victoria, Office of the Public Advocate (OPA), Violence

against people with cognitive impairments, Melbourne, 2010, 32p.; Victoria, Parliament, Law Reform Commit-tee, Inquiry into Access to and Interaction with the Jus-tice System by People with an Intellectual Disability and their Families and Carers, Sydney, 2013, 418 p.

2. OPA et al., Interagency Guideline for Addressing Vio-lence, Neglect and Abuse, Melbourne, 2013, 6 p.

3. OPA, Become a Community Visitor, 2010, 2 p.; OPA, In-dependent Third Person Program, 2009, 2 p.

À cet égard, il cite la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées qui re-connaît le droit de celles-ci à la capacité juridique (4).

Les mesures d’assistance devraient être « propor-tionnées et adaptées à la situation de la personne concernée ».

L’auteur a centré son étude sur le rôle des divers orga-nismes publics, sur la place qu’occupent les curatelles et sur la présence de mesures alternatives, moins

privatives de droits. En voici quelques faits saillants.

État de Washington

L’État de Washington (population : 7 millions) a par-ticulièrement intéressé John Chesterman en raison de son service de protection des adultes qui a traité en

2012 environ 19 000 signalements provenant no-tamment de professionnels du secteur public et para-public. Les signalements sont traités en quelques

heures ou quelques jours, selon le niveau de risque qu’ils présentent. Les agents du service de protection rencontrent les personnes visées ainsi que celle qui

est soupçonnée d’abus; ils sont assistés par des poli-ciers dans environ 5 % des cas.

Quelque 2 000 allégations d’abus sont confirmées

chaque année, dont certaines qui sont transmises à la police. Les autres sont rejetées ou fermées faute de preuve. Le service de protection peut aider la per-

sonne concernée à obtenir les services requis ou, si elle est inapte, à faire une demande directement aux

services sociaux ou à préparer une requête en ouver-ture d’un régime de protection. Chesterman souligne que la police et les procureurs publics affichent une

détermination marquée d’agir dans les cas d’abus fi-nancier.

Les auteurs d’abus confirmés sont informés des

conclusions de l’enquête et leur nom est inscrit dans un registre (ouvert en 2003, le registre d’abus comp-te environ 4 000 noms). Ce registre facilite les en-

quêtes sur les antécédents des candidats à des emplois impliquant un contact avec des personnes vulnérables.

Source : John Chesterman, Responding to violence, abuse, exploitation and neglect: Improving our pro-tection of at-risk adults, Canberra, Churchill Fellow-

ship, juillet 2013, 91 p.

4. Organisation des Nations Unies, Convention relative aux

droits des personnes handicapées, 2007.

Page 6: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Page 6. Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013

Nouvelle-Écosse

La Nouvelle-Écosse (population : 1 million) a un ser-vice de protection des adultes vulnérables axé sur la

lutte contre la maltraitance. Les abus financiers sont actuellement exclus du domaine visé par la Loi sur la protection des adultes, mais un récent projet de loi

vise à les y inclure (1).

Le service traite environ 1 300 signalements par an-née. En cas de besoin, ses agents peuvent communi-

quer avec les responsables des services sociaux et présenter une demande à la place de la personne vulnérable en cause. Si cette dernière s’y objecte,

une ordonnance du tribunal est requise. Chesterman remarque que chez lui, en Australie, seul un curateur peut requérir des services pour autrui.

Par ailleurs, le tribunal de la famille de la Nouvelle-Écosse possède des pouvoirs étendus. Il peut, par

exemple, rendre des ordonnances pour faire évaluer la capacité mentale d’une personne ou pour ordonner son hébergement dans une résidence appropriée. Il

peut aussi interdire à des tiers tout contact avec la victime présumée.

Chesterman remarque également que tout Néo-

Écossais possédant de l’information à l’effet qu’un adulte a besoin d’être protégé, qu’elle soit ou non de nature confidentielle ou privilégiée, doit la signaler au

service de protection des adultes (2).

Écosse

Un nouveau système de protection des adultes a ré-

cemment été introduit en Écosse (population : 5,3 millions) (3). Les autorités municipales (respon-

sables des services sociaux) peuvent mener des en-quêtes, y compris au domicile d’un adulte vulnérable, et les tribunaux locaux peuvent rendre des ordon-

nances concernant son évaluation médicale, son hé-bergement et le maintien de contacts avec des tiers soupçonnés d’abus. Son consentement préalable est

toutefois généralement requis.

Cependant, certains professionnels que Chesterman a rencontrés lui ont souligné que la protection réelle-

ment accordée dépend des ressources financières disponibles. En raison des coupes budgétaires impor-tantes au Royaume-Uni depuis 2008, ils se deman-

dent si la nouvelle loi a changé quelque chose au cours des dernières années.

1. Nouvelle-Écosse, Adult Protection Act (amended) 2013,

2013. À la fin d’août 2013, le projet de loi n’était pas en-core en vigueur.

2. Chesterman, Responding to violence…, 2013, p. 42.

3. Écosse, Adult Support and Protection (Scotland) Act 2007.

Angleterre

En Angleterre (population : 53 millions), les services de santé sont organisés à l’échelle nationale alors

que les services sociaux sont gérés localement. Cette organisation à deux étages ne semble pas présenter d’obstacle à une intervention efficace dans les situa-

tions d’abus ou de maltraitance.

Chesterman souligne les relations étroites qu’entre-tiennent les enquêteurs et les responsables des servi-

ces sociaux, ce qui a pour effet qu’une personne inapte obtient rapidement les services requis. Un res-ponsable unique est désigné pour chaque enquête et

la priorité est donnée à la sécurité de la personne vulnérable.

Toutefois, l’absence d’une législation visant spécifi-

quement la protection des adultes vulnérables signifie que certains cas, notamment ceux d’auto-négligence

(ou syndrome de Diogène), peuvent passer à travers les mailles. Un projet de loi est actuellement à l’étude en Angleterre (4) pour créer un service municipal de

protection des adultes.

Quant au Curateur public anglais, il limite ses enquê-tes aux signalements concernant les personnes re-

présentées (environ 45 000 curatelles aux biens et 600 curatelles à la personne).

La responsabilité civile en Angleterre

Chesterman s’est aussi intéressé au régime anglais de responsabilité civile qui s’applique à la prise de décisions informelle en l’absence d’un représentant

légal. Dans la mesure où un aidant naturel ou un pro-fessionnel prend une décision pour une personne inapte qu’il croit être dans le meilleur intérêt de cette

dernière, il bénéficie d’une exception à la règle de responsabilité civile (5). Les aidants sont donc moins

craintifs de prendre des décisions de façon informelle.

Des professionnels de Londres ont à trois reprises in-diqué à Chesterman que cette disposition a pour effet

de réduire le nombre de requêtes en ouverture d’une curatelle (6).

Notons que le projet de loi irlandais sur la réforme

des curatelles de juillet 2013 circonscrit aussi la res-ponsabilité civile des aidants naturels et des profes-sionnels de la santé (7).

4. Royaume-Uni, Care Bill, 2013, juillet 2013, art. 42 à 47.

5. Royaume-Uni, Mental Capacity Act 2005, article 5.

6. Chesterman, Responding to violence…, 2013, p. 64.

7. Irlande, Assisted Decision-Making (Capacity) Bill, 2013, article 53.

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Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013 Page 7.

Les leçons tirées

Chesterman remarque que les services de protection des adultes des pays qu’il a visités sont plus centrali-

sés que ceux de l’État de Victoria, mais il ne croit pas que cette dimension soit la plus importante. Selon lui, un système efficace de protection des personnes vul-

nérables, qu’il soit centralisé ou décentralisé, devrait :

assurer que la police et les procureurs publics pos-

sèdent l’expertise nécessaire pour mener des en-quêtes et intenter des poursuites, notamment en matière d’abus financier;

permettre aux citoyens de signaler leurs inquiétu-des concernant le bien-être d’une personne vulné-

rable sans nécessairement déposer une plainte of-ficielle à la police;

habiliter un organisme public ou parapublic à exer-

cer un pouvoir d’enquêter dans les centres d’hé-bergement;

autoriser les tribunaux à rendre des ordonnances (d’évaluation, d’hébergement, d’interdiction de

contact, etc.);

éviter autant que possible l’ouverture de curatelles

(considérées comme trop privatives de droits);

assurer que les professionnels impliqués dans la protection des adultes vulnérables se rencontrent

régulièrement et coordonnent leurs efforts.

L’auteur présente aussi plusieurs recommandations

touchant les services offerts dans l’État de Victoria.

Avant tout, il croit que les pouvoirs d’enquête du

Curateur public à la personne – son employeur – de-vraient être renforcés, car cet organisme est particu-

lièrement bien placé pour mener de telles activités et, le cas échéant, pour demander l’intervention des ser-vices sociaux. Cette façon de faire, qu’il appelle la

démarche d’intervention positive, fonctionne très bien en Écosse.

Chesterman croit également que les tribunaux de

l’État de Victoria devraient pouvoir rendre des ordon-nances de protection, comme c’est le cas dans l’État de Washington, en Nouvelle-Écosse et en Écosse,

pour circonscrire le recours à des curatelles à la per-sonne. Selon lui, une curatelle pour les affaires per-sonnelles ne devrait être ouverte que si des décisions

importantes doivent être prises dans l’immédiat ou si la situation présente des risques graves (1). Plus concrètement, il propose que les tribunaux de Victo-

ria soient autorisés à rendre des ordonnances pour donner accès au domicile d’une personne inapte,

pour l’évaluer et la placer dans un centre d’héberge-ment s’il y a lieu, pour autoriser une demande de services et pour interdire le contact de la personne

avec le ou les individus qui sont soupçonnés d’abus. Un tel pouvoir d’ordonnance apporterait un degré de souplesse qui manque aujourd’hui à la réponse judi-

ciaire dans l’État de Victoria.

Finalement, Chesterman suggère que l’État lance une campagne de sensibilisation du public, peut-être sur

le modèle de la compagne écossaise Agir contre la maltraitance (2), et introduise un guichet unique pour recevoir les signalements.

− Préparé par André Bzdera, DPSR

1. Chesterman, Responding to violence, abuse, exploitation

and neglect, p. 83.

2. Voir le site Web Act Against Harm.

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Page 8. Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013

Le nouveau dispositif de protection de la Norvège

Une nouvelle loi norvégienne sur la curatelle est en-trée en vigueur le 1er juillet 2013. La Norvège (popu-

lation : 5,1 millions) devient ainsi le dernier pays scandinave à réformer son dispositif de protection, après le Danemark en 1993, la Suède en 1995 et la

Finlande en 1999.

Ces lois témoignent de l’influence de la tradition so-

ciale-démocrate scandinave et de la préoccupation de ces pays envers la protection des droits fondamen-taux des personnes vulnérables. La Norvège est aussi

un des premiers pays à repenser entièrement son dispositif de protection suivant l’adoption par les Na-tions Unies de la Convention relative aux droits des

personnes handicapées en 2006. La Norvège peut ainsi servir d’exemple aux autres pays.

Des disparités dans le traitement des mandats de

protection persistent toutefois entre les pays scandi-naves. La Finlande a adopté une loi sur les mandats de protection en 2007 alors que le Danemark et la

Suède n’ont pas de règles précises pour les encadrer. La nouvelle loi norvégienne introduit le « mandat de protection future », inspiré en partie de l’expérience

finlandaise. Elle encadre également les tutelles des biens du mineur (qui ne sont pas abordées ici).

Ce survol de la réforme norvégienne s’appuie princi-

palement sur un texte de Torstein Frantzen, profes-seur de droit de l’Université de Bergen, et sur un

rapport du gouvernement de la Norvège sur le projet de réforme et sa mise en œuvre.

La réforme de la curatelle norvégienne

Depuis les années 1920, la curatelle norvégienne vi-sait les personnes ayant une déficience intellectuelle, une maladie mentale ou une maladie dégénérative.

À cette liste, la nouvelle loi sur la curatelle ajoute la toxicomanie et le jeu pathologique.

De plus, elle prévoit que les mesures de protection

soient utilisées au minimum, adaptées aux besoins des individus et aussi respectueuses que possible de leur autonomie. L’intégrité des personnes se voit ainsi

protégée. Il s’agit d’un progrès considérable si l’on considère que l’ancienne loi adoptait une approche

uniforme : la curatelle ne pouvait pas être modulée.

Un curateur peut être nommé pour gérer les affaires financières ou les affaires personnelle d’un citoyen

inapte, ou les deux à la fois. Seuls les pouvoirs né-cessaires lui sont confiés et la mesure peut avoir une durée limitée.

Curatelle d’assistance

En premier lieu, le nouveau dispositif comporte une curatelle sans privation de capacité juridique, ce que nous pouvons appeler la curatelle d’assistance : la

personne inapte conserve ainsi sa pleine capacité ju-ridique. Elle doit donner son consentement à la no-

mination du curateur et à l’étendue de ses pouvoirs, sauf si elle n’est pas en mesure de comprendre de quoi il s’agit.

Curatelle de représentation

En deuxième lieu, le dispositif comporte une curatelle avec retrait de la capacité juridique, ce que nous

pouvons appeler la curatelle de représentation. La personne inapte en est alors privée partiellement ou totalement. On ne peut cependant la lui retirer que si

elle présente des risques importants pour sa person-ne ou pour son patrimoine.

Remarquons que le législateur norvégien emploie le

même vocabulaire pour désigner ces deux mesures : curatelle (vergemål) et curateur (verge).

Sources : Torstein Frantzen, « Vorsorgeauftrag

und Patientenverfugung in Norwegen » [Mandats durables et directives anticipées en Norvège], dans

Vorsorgevollmacht und Erwachsenenschutz in Euro-pa, Bielefeld, Gieseking, 2011, p. 87-96.

Norvège, Ministère de la Justice et de la Police, Ver-

gemålsreformen: Sluttrapport fra forprosjektet [Ré-forme de la curatelle : rapport final sur le projet-pilote], Oslo, 2011, 53 p.

Page 9: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013 Page 9.

La ratification de la

Convention relative aux droits des personnes handicapées

La Norvège a attendu l’entrée en vigueur de sa nouvelle loi sur la curatelle avant de ratifier la Convention des Nations Unies relative aux droits des

personnes handicapées, car, selon le gouverne-ment, l’ancienne loi de 1927 – qui privait des ci-

toyens de leur capacité juridique – violait l’article 12 de cette convention (1).

Bien que le nouveau dispositif de protection norvé-

gien prévoie lui aussi que la capacité juridique puis-se être retirée à des personnes inaptes, cela est dé-sormais l’exception. Lors de la ratification de la

convention, la Norvège a donc déclaré :

« […] qu’elle considère que la Convention autorise le retrait de la capacité juridique ou de l’accom-

pagnement pour l’exercice de la capacité juridique, et/ou la mise sous tutelle obligatoire, dans les cas où ces mesures sont nécessaires, en dernier recours

et sous réserve de certaines garanties. » (2)

Les autorités tutélaires

Le nouveau dispositif centralise les fonctions relatives aux curatelles que les municipalités de la Norvège as-sumaient jusqu’alors. Les quelque 430 autorités tuté-

laires municipales sont remplacées par des autorités tutélaires régionales (lokal vergemålsmyndighet), soit une pour chacune des 19 préfectures du pays.

Une autorité tutélaire régionale peut ouvrir des cura-telles d’assistance. Elle offre de la formation à tous les nouveaux curateurs selon la nature de leurs res-

ponsabilités et les conseille dans leur travail. Elle doit aussi surveiller leur administration en validant leurs comptes financiers. Elle doit également valider les

rapports annuels que doivent préparer les curateurs professionnels, quoique leur contenu ne soit pas pré-cisé dans la réglementation (3).

Les curateurs qui représentent leur conjoint sont tou-tefois assujettis à une surveillance allégée et les au-torités tutélaires peuvent étendre cet allègement à

1. Norvège, Ministère des Affaires étrangères, Samtykke til

ratifikasjon av FN-konvensjonen av 13. desember 2006 om rettighetene til mennesker med nedsatt funksjon-sevne [Le consentement à la ratification de la Conven-tion des N.-U. relative aux droits des personnes handi-capées du 13 décembre 2006], 2012, p. 25.

2. Organisation des Nations Unies, Convention relative aux droits des personnes handicapées [ratifications], New York, 2013, p. 6 (version du 27 septembre 2013).

3. Norvège, Vergemålsforskriften [règlement sur la curatel-le], 2013, article 2.

ceux qui cohabitent avec un parent qu’ils représen-

tent (4). L’autorité tutélaire régionale joue également un rôle direct dans la gestion des patrimoines impor-

tants.

Une autorité tutélaire centrale (sentral vergemåls-myndighet) s’assurera de la conformité de l’applica-

tion de la loi dans l’ensemble du pays, notamment en donnant des directives administratives aux autorités tutélaires régionales et au moyen de guides et de

cours de formation qui seront offerts à leur personnel.

Les tribunaux

Les autorités tutélaires régionales et les tribunaux

peuvent décréter les curatelles d’assistance. Cepen-dant, seul un tribunal peut priver quelqu’un de sa capacité juridique en ouvrant une curatelle de repré-

sentation. La formation et la surveillance des cura-teurs nommés par le tribunal relèvent de la compé-

tence de l’autorité tutélaire régionale.

Les tribunaux priorisent autant que possible le trai-tement des requêtes en ouverture de curatelles. Se-

lon les circonstances, ils peuvent tenir l’audition au palais de justice, à l’hôpital ou dans l’établissement où réside la personne concernée (5).

La transition

La mise en œuvre de la réforme a nécessité près de trois ans de préparation. Le gouvernement norvégien

prévoyait la mutation de quelque 100 employés mu-nicipaux aux nouvelles autorités tutélaires régionales ainsi que l’embauche de 70 nouveaux préposés. Les

autorités tutélaires des petits comtés auront de qua-tre à cinq employés et celle d’Oslo, environ 38. Le

budget annuel initial devait s’élever à environ 40 millions $ (6). L’effectif de l’autorité tutélaire cen-trale sera d’environ 15 personnes.

Le gouvernement prévoyait aussi la création d’un sys-tème informatique central en vue du transfert des quelque 50 000 dossiers de personnes représentées

détenus par les municipalités. Pour l’instant, il est dif-ficile de distinguer les dossiers des mineurs de ceux des majeurs, ou encore les ressources humaines et

financières consacrées à chaque groupe (7).

4. Norvège, Lov om vergemål [Loi sur la curatelle], 2010,

art. 44 et 47; Norvège, Vergemålsforskriften, article 23.

5. Norvège, Lov om vergemål, article 71.

6. Norvège, MJP, Vergemålsreformen [Réforme des cura-telles], Oslo, 2011, p. 21. En dollars canadiens.

7. En 2010, les autorités tutélaires municipales adminis-traient le patrimoine d’environ 18 600 mineurs. Norvège, MJP, Vergemålsreformen, 2011, p. 40. On peut supposer qu’il y a 31 400 adultes sous curatelle.

Page 10: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Page 10. Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013

La rémunération des curateurs

Les conjoints et les membres de la famille n’ont pas normalement droit à une rémunération, payée par la

personne représentée, mais la réglementation prévoit que les curateurs réguliers et professionnels peuvent être rémunérés selon la nature de leurs tâches (1).

Les curateurs réguliers sont des volontaires qui re-présentent une ou quelques personnes inaptes de leur communauté, sans qu’elles aient un lien de pa-

renté avec eux. Les professionnels gagnent leur vie avec leurs activités de curateur. L’autorité tutélaire régionale peut exceptionnellement autoriser une

compensation horaire.

Si les revenus d’une personne sont inférieurs au ni-veau de la pension minimale (2) et que son patrimoi-

ne n’excède pas 8 500 $, la préfecture assure la ré-munération de son curateur (3).

Le préfet, ou l’autorité tutélaire régionale, peut avoir recours aux services de curateurs professionnels pour assister ou représenter des personnes inaptes. Ces

curateurs ne font pas partie du personnel permanent de la préfecture et doivent détenir un certificat de bonne conduite émis par les autorités policières.

La gestion du patrimoine

Le curateur liquide les biens de la personne sous curatelle et les dépose dans un compte bancaire ou-

vert dans une des institutions désignées par l’autorité tutélaire centrale (4). La nouvelle loi ne prévoit plus la possibilité de placer les avoirs de la personne sous

curatelle dans des valeurs mobilières.

Par ailleurs, sur demande de l’autorité tutélaire régio-

nale, la banque lui transmet la liste des transactions effectuées au nom de la personne inapte.

Si un mineur ou un adulte possède un patrimoine im-

portant, la gestion de son compte bancaire est assu-mée directement par l’autorité tutélaire régionale.

1. Curateurs réguliers (alminnelig verge) et curateurs pro-

fessionnels (faste verge).

2. La pension minimale norvégienne correspond à la pen-sion de la sécurité de la vieillesse et au supplément de revenu garanti du Canada. Sa valeur exacte varie selon le statut civil de la personne âgée.

3. Norvège, Lov om vergemål, article 30; Norvège, Verge-målsforskriften, article 19.

4. Jusqu’en juin 2013, les anciennes autorités tutélaires des plus grandes villes norvégiennes pouvaient créer des fonds communs et ainsi faire profiter les personnes re-présentées d’un taux de rendement supérieur.

Rémunération des curateurs réguliers

et professionnels, selon le domaine visé (en dollars canadiens)

Domaine Curateur familial

Curateur régulier

Curateur professionnel

Affaires

financières 0 $ 640 $ 1 280 $

Affaires personnelles

0 $ 360 $ 810 $

Affaires fin. et personnelles

0 $ 725 $ 1 710 $

Rémunération

horaire 0 $ 34 $ 68 $

Source : Norvège, Vergemålsforskriften, article 16.

Taux de change au 6 septembre 2013 : 1,0 couronne norvégienne = 0,17 $ canadien.

Cependant, si le droit d’administrer son patrimoine

n’a pas été retiré à un majeur, celui-ci doit consentir à ce qu’elle assume cette responsabilité (5).

Le seuil à partir duquel l’autorité tutélaire régionale

intervient passe d’environ 13 000 $, selon l’ancienne loi, à environ 28 000 $ en 2013 (6). Cela représente deux fois le « montant de base », qui sert à établir

diverses prestations sociales en Norvège et que le gouvernement indexe régulièrement. Si la valeur li-quide du patrimoine excède deux millions de couron-

nes (340 000 $), l’argent doit être réparti entre deux ou plusieurs institutions afin de profiter de la garantie maximale accordée aux dépôts bancaires (7).

Avant la réforme de 2013, les autorités tutélaires municipales administraient environ 13 milliards de couronnes (2,2 milliards $) au nom des majeurs sous

curatelle (8).

5. Norvège, Lov om vergemål, article 48.

6. Norvège, Vergemålsforskriften, article 26. Au 1er mai 2013 : le montant de base « folketrygdens grunnbeløp » s’élevait à 82 122 couronnes.

7. Norvège, MJP, Vergemålsreformen, 2011, p. 40-41.

8. Norvège, MJP, Vergemålsreformen, 2011, p. 39-40. À ce montant (2,2 milliards $, ou 13 milliards de couronnes), il faudrait ajouter 3,8 G $ (22,3 milliards de couronnes) pour l’ensemble du patrimoine des mineurs sous l’administration des autorités tutélaires municipales avant la réforme. La hausse du seuil d’intervention (de 13 000 à 28 000 $) devrait faire baisser les sommes sous administration des autorités tutélaires régionales.

Page 11: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013 Page 11.

La représentation par le plus proche parent

Le législateur norvégien a aussi introduit une nouvelle disposition (nærståendes representasjonsrett) qui habilite le plus proche parent à représenter une personne devenue inapte dans la gestion de ses affaires financières

courantes, dont le paiement du loyer, d’hypothèques, de factures et de taxes. La loi prescrit l’ordre de préséance : l’époux ou le conjoint de fait, les enfants, les petits-enfants et, en quatrième position, le père et la mère. Un pa-rent désigné doit s’abstenir d’agir si un autre parent de la personne se situe plus proche dans l’ordre de préséance.

L’époux ou le conjoint de fait d’une personne sous curatelle ayant déjà accès au compte bancaire de cette der-nière pourra être conforté par cette nouvelle disposition. Cependant, souligne Frantzen, celle-ci pourrait fort bien rester lettre morte en l’absence de règles précises pour l’encadrer. Autrement, les institutions bancaires hésite-

ront à accorder un accès aux comptes.

Une telle représentation légale d’office n’est pas exclusive à la Norvège. L’Espagne, l’Autriche et la Suisse ont des règles semblables, quoique l’étendue des pouvoirs financiers et l’ordre des proches parents ne sont pas les

mêmes. En Norvège, un mandat de protection future a préséance sur la représentation par le plus proche parent.

Sources : Frantzen, « Vorsorgeauftrag … », p. 90; Norvège, Lov om vergemål, article 94; Michael Ganner, Stand und Perspektiven des Erwachsenenschutzes in rechtsvergleichender Sicht [La protection des adultes à la

lumière du droit comparé], dans Perspektiven und Reform des Erwachsenenschutzes, Göttingen, Universitätsver-lag Göttingen, 2013, p. 54.

Le mandat ordinaire

Dans l’ancien droit norvégien, la valeur juridique d’un

mandat (ou procuration) était incertaine lorsque le mandant devenait inapte. La nouvelle loi précise qu’un tel mandat perd alors son effet, à une excep-

tion près : les autorisations de paiement automati-que, notamment pour le loyer, l’hypothèque, l’électri-cité, le téléphone et les taxes demeurent valides (1).

Auparavant, l’institution bancaire pouvait remettre ces paiements en question lorsqu’elle apprenait que le client était devenu inapte.

Le mandat de protection future

Le législateur norvégien a également introduit le

mandat de protection future (fremtidsfullmakt) qui permet, tout comme la curatelle, à une ou à plusieurs personnes de représenter quelqu’un ayant une mala-

die mentale, une déficience intellectuelle ou une ma-ladie dégénérative. Il doit être préparé par écrit en présence de deux témoins. Le mandataire désigné ou

un proche parent ne peut pas être un des témoins.

Le mandat de protection future prend généralement effet quand le mandant devient inapte à s’occuper

1. Norvège, Lov om vergemål, articles 20 et 93.

des affaires indiquées dans le document. Le manda-taire décide du moment précis de l’entrée en vigueur

du mandat en avisant le mandant et son conjoint ou, en l’absence d’un conjoint, son plus proche pa-rent (2). Aucune homologation judiciaire ou adminis-

trative n’est requise. Le mandant peut toutefois stipu-ler que son inaptitude doit être confirmée par l’autori-té tutélaire régionale avant l’entrée en vigueur de son

mandat (3). Normalement, un certificat médical suffi-rait. Un tel certificat pourrait aussi faciliter ses dé-marches auprès des institutions bancaires.

À la demande du mandant, de ses proches parents ou de son médecin, l’autorité tutélaire régionale peut intervenir pour modifier ou annuler un mandat de

protection future si elle a raison de croire qu’il ne convient plus à la situation. L’autorité tutélaire peut

aussi obliger le mandataire à rendre compte de ses actions.

En raison du rôle accordé aux proches parents pour

la gestion des affaires financières courantes (voir l’encadré), Frantzen se demande si le mandat de pro-tection future sera beaucoup utilisé en Norvège.

− Préparé par André Bzdera, DPSR

2. Norvège, Lov om vergemål, article 78.

3. La proposition de réforme du comité d’experts de 2004 ne contenait pas cette possibilité. Selon Frantzen, le lé-gislateur norvégien s’est inspiré de loi finlandaise de 2007 sur le mandat de protection qui contient une dis-position semblable. Frantzen, « Vorsorgeauftrag und Pa-tientenverfugung in Norwegen », p. 94, note 27.

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Page 12. Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013

Création d’un Curateur public en Irlande

La République d’Irlande a un dispositif de protection des personnes inaptes de

type britannique, basé sur le common law. À plusieurs égards, il ressemble à ceux en vigueur dans certaines provin-

ces canadiennes mettant l’accent sur la protection du patrimoine. La nomination

d’un représentant pour la protection de la personne demeure alors l’exception.

En juillet 2013, le gouvernement irlan-

dais soumettait au Parlement un projet de loi sur la prise de décisions assistée pour des personnes inaptes. Il vise ainsi

à adapter son dispositif de protection traditionnel aux nouvelles normes inter-nationales en matière de protection des

droits de la personne. Les solutions proposées peu-vent donc être d’un grand intérêt pour les pays de tradition britannique.

Le gouvernement irlandais prévoit trois mesures : as-sistance, codécision et représentation. De plus, le mandat de protection actuel, qui concerne les affaires

financières, sera élargi au domaine des soins et du bien-être du mandant. Dans un deuxième temps, le gouvernement s’engage à présenter un amendement

législatif qui encadrera l’utilisation de la directive an-ticipée pour les soins.

Vers une réforme

Des travaux antérieurs avaient préparé le terrain à l’avènement de cette réforme du dispositif de protec-

tion irlandais (voir l’encadré à page suivante). La lé-gislation actuelle, la Loi sur les aliénés, qui date de 1871, est taxée de paternaliste en raison de son mo-

dèle de prise de décisions basé sur la recherche du « meilleur intérêt de la personne ». Les curateurs et les professionnels de la santé et des services sociaux

décident, à la place de la personne, ce que devait être son meilleur intérêt.

La terminologie législative est aussi considérée préju-

diciable envers les personnes handicapées, car des termes tels que idiots, faibles d’esprit et aliénés n’ont

plus leur raison d’être aujourd’hui. Face aux avancées médicales, technologiques et sociales, la législation devrait être modernisée.

Selon le ministre de la Justice, la réforme des curatel-les est également nécessaire pour que l’Irlande puis-se ratifier la Convention des Nations Unies relative

aux droits des personnes handica-pées (1). Les parlementaires, qui avaient

étudié la question en 2012, sont du même avis : « Nous devons écarter le paternalisme et reconnaître pleinement

la volonté et les préférences de la personne tel que stipulé par l’article

12(4) de la Convention des Nations Unies. » (2)

La réforme

Afin d’adapter la loi à la diversité des situations individuelles, le législateur prévoit des interventions visant à mi-

nimiser le plus possible la restriction des droits des personnes. Il propose

trois types de prise de décisions : l’assistance, la co-

décision et la représentation.

Une personne dont la capacité est ou pourrait être remise en question pourra en désigner une autre à

titre d’assistant ou de codécideur pour l’aider dans sa prise de décisions. Le tribunal devra homologuer tou-

te entente de codécision avant qu’elle puisse entrer en vigueur. Si la personne n’a pas la capacité requise pour agir conjointement avec un codécideur, le tribu-

nal pourra lui désigner un représentant. Enfin, un ai-dant naturel ou un préposé de la santé ou des servi-ces sociaux pourra agir informellement à ce titre si

une personne inapte n’est pas autrement assistée ou représentée.

Sources : Irlande, Department of Justice and

Equality, Assisted Decision-Making (Capacity) Bill 2013, Dublin, 2013, 140 p.

Suzanne Doyle et Eilionóir Flynn, « Ireland’s ratifica-

tion of the UN convention on the rights of persons with disabilities: challenges and opportunities », British Journal of Learning Disabilities, 4:1 (2013),

p. 171-80. Disponible via Wiley.

1. Irlande, Department of Justice and Equality, Minister

Shatter and Minister Lynch Announce Publication of the Assisted Decision-Making (Capacity) Bill 2013, Dublin, 2013. D’autres lois devront aussi être modifiées.

2. Irlande, Oireachtas [Parlement], Joint Committee on Justice Defence and Equality, Report on hearings in rela-tion to the Scheme of the Mental Capacity Bill, Dublin, 2012, p. 7. Les parlementaires citent également la juris-prudence de la Cour européenne des droits de l’homme (l’Affaire Chtoukatourov c. Russie du 27 mars 2008).

Page 13: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013 Page 13.

La capacité mentale d’une personne serait donc éva-

luée en fonction de la décision à prendre et de ses habiletés cognitives à comprendre les choix possibles

et leurs implications selon le contexte. L’évaluation de la personne devra se faire dans son milieu de vie. Les fluctuations de ses capacités pourront être considé-

rées lors du choix des mesures à prendre afin d’encourager sa participation. Pour la nomination d’un représentant, la cour demandera un rapport

médical et un autre sur les circonstances motivant la demande (1).

Assistance (par mandat)

Le projet de loi prévoit qu’une personne puisse choi-sir quelqu’un de confiance pour l’assister dans sa pri-se de décisions en établissant une entente d’assis-

tance. L’assistant aura pour fonction :

de conseiller la personne concernée en lui expli-

quant les informations relatives à la décision à prendre;

d’évaluer, de déterminer et de communiquer la vo-

lonté et les préférences de la personne;

de s’assurer que les décisions du mandant soient

fidèlement respectées.

L’assistant aura le droit de recevoir des renseigne-

ments personnels sur le mandant s’ils sont nécessai-res à la prise de décisions.

Codécideur (par mandat avec

homologation judiciaire)

Un individu pourra aussi préparer une entente de co-

décision qui prendra effet lorsque le tribunal impose-ra une « ordonnance de codécision ». L’entente ne peut être modifiée ou annulée que par le tribunal.

En l’absence d’une entente de codécision déjà prépa-rée et signée par la personne concernée, le tribunal pourra nommer un codécideur dans la mesure où elle

possède la capacité de préparer une telle entente et qu’un de ses proches se porte volontaire pour agir à titre de codécideur. L’entente de codécision pourra

inclure autant les soins et le bien-être que les affaires financières de la personne.

Le codécideur et le mandant partageront le droit de prendre des décisions et, le cas échéant, les deux devront signer conjointement les documents néces-

saires. Toutefois, le codécideur devra acquiescer à une décision du mandant si une personne raisonnable

1. Irlande, Department of Justice and Equality, Assisted

Decision-Making (Capacity) Bill 2013, Dublin, 2013, p. 44 (article 30).

La longue marche vers la réforme (2)

2003 Document de consultation de la Commission de réforme du droit (CRD) Le droit et les aînés

2005 Document de consultation de la CRD La ca-pacité juridique des adultes vulnérables

2006 Rapport de la CRD Le droit et les personnes vulnérables

2008 Avant-projet de loi du gouvernement sur la capacité mentale

2012 Rapport parlementaire sur l’avant-projet de loi

2013 Projet de loi sur la prise de décisions assistée

avait pu prendre la même et si cette décision n’était pas dommageable à elle-même ou à autrui. Dans les autres cas, le codécideur pourra apposer son veto.

Le codécideur aura le droit d’obtenir les renseigne-ments personnels du mandant. Il devra aussi sou-

mettre un rapport annuel au Curateur public.

Représentant (nomination par le tribunal)

Si une personne n’a pas la capacité voulue pour pré-parer ou approuver une entente de codécision, le tri-bunal pourra rendre une ordonnance ponctuelle, afin

de prendre la meilleure décision dans les circonstan-ces (3), ou nommer un représentant.

Le représentant sera normalement un proche de la

personne inapte, mais si aucun n’est disponible, le tribunal devra choisir un des trois candidats que le

Curateur public proposera. L’étendue et la durée des pouvoirs accordés au représentant devront dans la mesure du possible être limitées. Ces pouvoirs pour-

ront inclure autant les soins et le bien-être de la per-sonne que ses affaires financières. Le tribunal pourra nommer plus qu’un représentant en spécifiant s’ils

doivent décider conjointement ou séparément.

2. Law Reform Commission, Consultation Paper on Law

and the Elderly, 2003, 236 p.; LRC, Consultation Paper on Vulnerable Adults and the Law: Capacity, 2005, 232p.; LRC, Vulnerable Adults and the Law, 2006, 193 p.; Irlande, Department of Justice, Equality and Law Reform, Scheme of Mental Capacity Bill 2008, 2008, 95 p.; Irlande, Oireachtas, Joint Committee on Justice Defence and Equality, Report on hearings in relation to the Scheme of the Mental Capacity Bill, 2012, 739 p.

3. L’ordonnance ponctuelle irlandaise (décision-making or-der) sera semblable à la « one-off decision » de la Cour de protection en Angleterre et au Pays de Galles.

Page 14: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Page 14. Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013

Lexique irlandais

Bureau du greffier de la cour − Wards of Court Office

Curateur public − Public Guardian

Entente d’assistance − Decision-making assistance agreement

Entente de codécision − Co-decision-making agreement

Mandat de protection durable − Enduring powers of attorney

Médiation sociale − Advocacy

Ordonnance de codécision − Co-decision-making order

Ordonnance ponctuelle − Decision-making order

Ordonnance de représentation − Decision-making representative order

Représentant informel − Informal decision-maker

Le tribunal pourra confier l’administration de l’ensem-ble ou d’une partie du patrimoine de la personne re-présentée au Curateur public, qui sera alors tenu de

prendre en considération l’avis d’au moins deux membres de sa famille.

Le remboursement des dépenses du représentant pourra provenir du patrimoine de la personne repré-sentée. Le tribunal pourra autoriser une rémunéra-

tion, tirée de ce patrimoine, si le représentant agit à titre de professionnel. Il pourra aussi exceptionnelle-ment autoriser des représentants volontaires ou fami-

liaux à être ainsi rémunérés.

Tout comme le codécideur, le représentant devra soumettre un rapport annuel au Curateur public.

Personnes inéligibles

Nul ne peut devenir codécideur ou représentant s’il a été déclaré coupable d’une infraction concernant la

personne inapte ou sa famille, s’il est un failli non libéré ou s’il est inéligible à occuper un poste

d’administrateur dans une société. Le propriétaire de la résidence où habite la personne inapte, ainsi que son conjoint et ses employés, sont également exclus

– sauf s’ils sont des parents de la personne inapte.

Si un codécideur ou un représentant devient par la suite inéligible, sa nomination cesse d’avoir effet.

Mandataire

Le projet de loi irlandais reprend le mandat de pro-tection des affaires financières du mandant et y ajou-

te le domaine des soins et du bien-être. Plusieurs de ses aspects témoignent de la préoccupation de limiter les risques pour les mandants.

Le mandataire devra s’adresser au Curateur public pour demander l’homologation du mandat en même

temps qu’il informera le mandant et ses proches de sa requête. Après un délai de cinq semaines, le Cura-

teur public procédera à l’homologation s’il n’a pas re-çu d’avis d’opposition des intéressés. En cas d’objection sérieuse, il pourra demander au tribunal

de trancher. Le mandataire pourra présenter un certi-ficat pour soutenir ses prétentions.

Dès la présentation de sa demande d’homologation, le mandataire désigné pourra prendre des décisions financières courantes ou concernant le bien-être du

mandant si elles ne peuvent pas être reportées, si la nature et le contenu du mandat le prévoient.

Par la suite, le mandataire devra présenter au Cura-

teur public un rapport annuel fournissant des rensei-gnements sur les dépenses qu’il aura faites au nom du mandant et sur toute somme qu’il aurait reçue à

titre de remboursement ou de rémunération. Le mi-nistre responsable pourrait établir des règles concer-nant le format du mandat, des dispositions obligatoi-

res, les procédures d’homologation, le contenu du rapport annuel et, le cas échéant, la rémunération du mandataire.

Si le mandant a la capacité requise, il pourra en tout temps révoquer son mandat. Un mandat en faveur

d’un conjoint deviendrait caduc en cas de divorce ou de séparation de plus de 12 mois, sauf si le mandant précise le contraire.

Représentant informel

Les proches aidants et des professionnels de la santé pourraient être considérés comme des représentants

informels dans la mesure où la personne inapte ne serait plus en mesure de prendre des décisions et n’était pas déjà assistée ou représentée par quel-

qu’un d’autre.

Un représentant informel pourrait prendre des déci-sions concernant le bien-être ou les soins médicaux

de la personne inapte. Il n’engagerait pas sa respon-sabilité civile s’il respecte les principes énoncés dans

le projet de loi et ne fait pas preuve de négligence.

Page 15: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013 Page 15.

Le représentant informel aurait droit au rembourse-

ment des frais qu’il aurait engagés et, s’il avait un ac-cès direct à l’argent de la personne inapte, il pourrait

se rembourser directement. Il devrait, cependant, conserver les pièces justificatives.

Si le représentant est également le conjoint de la

personne inapte, ses prérogatives deviendraient ca-duques en cas de divorce ou de séparation de plus de 12 mois.

Curateur public

Le gouvernement prévoit, enfin, le remplacement du Bureau du greffier de la cour par un curateur public

nommé par le Service des tribunaux irlandais (dirigé par un conseil d’administration composé majoritaire-ment de juges). Le Curateur public serait notamment

chargé de la surveillance des assistants, des repré-sentants et des mandataires ainsi que du traitement

des signalements concernant leurs actions.

Le Curateur public ne deviendra pas le représentant légal des personnes inaptes. Il devra, par contre,

constituer des listes de candidats qualifiés pour de-venir visiteur ou représentant.

Le Curateur public pourra désigner des visiteurs pour

faire des évaluations et des investigations dans le mi-lieu de vie des personnes concernées. Seuls ceux qui ont une formation médicale pourraient consulter leur

dossier médical. Ces visiteurs seraient, en quelque sorte, les yeux et les oreilles du Curateur public.

Si aucun proche n’est disponible pour agir à titre de

représentant, le tribunal pourrait demander au Cura-teur public de lui fournir les noms de personnes qua-lifiées pour le devenir. Il pourrait s’agir de volontaires

ou de professionnels.

Le projet de loi ne prévoit pas qu’une rémunération

d’un représentant soit payée par les fonds publics lorsque la personne concernée possède un patrimoi-ne et a des revenus modestes.

Le Curateur public devra aussi tenir des registres et préparer un guide, ou « code de pratique », à l’usage des personnes impliquées dans les mesures d’assis-

tance et de représentation.

Conclusion

Globalement, le projet de loi est bien accueilli, car il

correspond dans ses grandes lignes aux recomman-dations des principaux organismes de défense des droits des personnes handicapées de l’Irlande (1).

1. Par exemple, Inclusion Ireland, Inclusion Ireland wel-

comes long awaited Assisted Decision-Making (Capacity)

Un regroupement de 15 d’entre eux a proposé, au

début de 2012, une série de principes fondamentaux qui devraient sous-tendre la nouvelle législation (2).

Ils ont recommandé trois niveaux de soutien :

le soutien à la prise de décisions, notamment à

l’aide de la médiation sociale et de guides dans une forme facile à lire,

la prise de décisions assistée, avec le concours des

proches, et

la prise de décisions substituée, en dernier ressort.

Ainsi, il faut autant que possible respecter « la volon-té et les préférences » de la personne, tel que stipulé à l’article 12 de la Convention relative aux droits des

personnes handicapées.

La réaction au projet de loi n’est cependant pas uni-

formément positive. Par exemple, Eilionóir Flynn, au-teure d’un livre sur la Convention relative aux droits des personnes handicapées, s’inquiète de la place

qu’occupe encore la prise de décisions substituée dans le nouveau schéma législatif irlandais. Le codé-cideur pourrait apposer son veto sur des actions que

la personne concernée souhaite (3).

De plus, elle remarque que le projet de loi confère beaucoup de pouvoirs aux représentants informels

sans que ces derniers soient obligés de rendre comp-te de leurs actions. Cette critique peut paraître étran-ge aux yeux des Nord-Américains, mais en matière

des soins médicaux en Irlande, le consentement pour autrui n’est pas formellement établi en droit (4). Si un patient irlandais est inapte et que sa volonté n’est

pas connue, le personnel médical doit s’adresser au tribunal (5).

− Préparé par Malcolm St-Pierre et André Bzdera, DPSR

Bill – Lunacy Act 1871 finally replaced, Dublin, 17 juillet 2013.

2. Essential Principles: Irish Legal Capacity Law, Dublin, 2012, 8 p.

3. Eilionóir Flynn, Assisted Decision-Making (Capacity) Bill 2013 Finally Published, juillet 2013.

4. Le consentement pour autrui est prévu à l’article 15 du Code civil du Québec.

5. Le droit à l’intégrité corporelle a une portée très large en Irlande depuis la décision de la Cour suprême dans l’affaire Ryan v. The Attorney General de 1964.

Page 16: Volume 2 Bulletin de veille - Quebec.ca

Page 16. Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013

Trois nouvelles du Japon

Le dispositif de protection des personnes inaptes du Japon (population : 127 millions) n’a pas été modifié

par le législateur depuis la réforme de 2000, mais il arrive que les juges contribuent à son évolution. La Cour suprême du Japon est aussi responsable de la

compilation de statistiques sur le traitement des re-quêtes en ouverture de régimes de protection, car il

n’existe pas de curateur public ou d’organisme public central chargé de l’accompagnement et de la surveil-lance des représentants légaux.

Trois récents développements soulignent le rôle joué par les tribunaux japonais :

un tribunal de première instance a invalidé la dis-

position de la loi électorale qui retire le droit de vo-te aux personnes sous curatelle;

la Cour suprême publie désormais le nombre de régimes en vigueur au Japon;

les tribunaux ont créé un nouveau mécanisme qui vise à sécuriser le patrimoine des mineurs et des personnes représentées.

Le droit de vote restauré

Selon l’article 11 de la Loi électorale, les personnes

sous curatelle (kôken) ne pouvaient pas participer aux élections. Depuis quelques années, des universi-taires et des organisations de défense des droits cri-

tiquaient cet état de fait, et plusieurs citoyens avaient intenté des procédures légales visant à l’invalider.

En mars 2013, le tribunal de première instance de

Tokyo a déclaré que cette disposition était contraire à la Constitution (1). Sans tarder, le gouvernement et les principaux partis politiques de l’opposition se sont

mis d'accord pour modifier la loi électorale afin que les personnes sous curatelle puissent voter dès les élections sénatoriales de juillet 2013.

En attendant le changement législatif, le gouverne-ment a néanmoins porté l’affaire en appel pour em-

pêcher que la décision judiciaire ne prenne trop rapi-dement effet et mette en péril la validité d’autres élections organisées sous l’égide de la même loi élec-

torale. Cette décision a été fortement critiquée, mais l’entrée en vigueur quelques semaines plus tard de l’amendement législatif a mis fin au litige.

1. Nagase Osamu, Deprivation of voting rights ruled un-

constitutional in Japan, Genève, IDA, 2013; Makoto Arai, «Adult Guardianship System and the Right to Vote», The Japan News, 27 mai 2013.

Mme Takumi Nagoya, qui est à l'origine de la contes-tation judiciaire, a donc pu voter aux élections séna-

toriales du 23 juillet 2013. Atteinte du syndrome de Downs, elle est représentée depuis 2007 par son pè-re en raison de ses difficultés à gérer ses finances

personnelles. Avant l’ouverture de la curatelle, Mme Nagoya votait régulièrement aux élections géné-

rales. Quelque 136 000 Japonais ont ainsi retrouvé leur droit de vote.

La cause été suivie de très près par les médias et une

pétition de 400 000 signatures appuyait la requête de Mme Nagoya. Le juge a aussi annoncé sa décision dans un langage facile à comprendre.

Nombre de régimes de protection en vigueur au Japon, 2010-2012

Régime de

protection 2010 2011 2012

Curatelle 117 020 126 765 136 484

Tutelle 15 589 17 917 20 429

Régime d’assistance

6 225 6 930 7 508

Source : SGCS, 2013, p. 11.

164 421 régimes de protection

Depuis plusieurs années, la Cour suprême du Japon

compile et diffuse des données sur le nombre de re-quêtes en ouverture de régimes de protection que traitent les tribunaux japonais. En 2012, il s’agissait

de 34 700 requêtes, donnant lieu à l’ouverture de près de 31 500 régimes (curatelles, tutelles et régi-mes d’assistance).

Dans son rapport statistique de 2012, la Cour suprê-me a publié, pour la première fois, des données sur le nombre de régimes d’assistance et de protection

en vigueur depuis 2010 (voir le tableau).

Sources : Nagase Osamu, Deprivation of voting

rights ruled unconstitutional in Japan, Genève, IDA, 2013, 2 p.

Secrétariat général de la Cour suprême (SGCS), 成年後見関係事件の概況 - 平成24年1月~12月

[Sommaire des régimes de protection, janvier-

décembre 2012], Tokyo, 2013, 13 p.

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Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013 Page 17.

Au 31 décembre 2012, elle estime que 136 500 cura-

telles, 20 400 tutelles et 7 500 régimes d’assistance étaient en vigueur au Japon.

Dans l’introduction de ce rapport statistique, elle sou-ligne cependant qu’il s’agit de chiffres approximatifs. En effet, il n’existe pas de registre centralisé des ré-

gimes de protection au Japon. Ce sont les tribunaux locaux qui font la collecte initiale des données.

Comparaison Japon-Québec

Le Japon et le Québec ont chacun trois régimes de protection : la curatelle, la tutelle et l’assistance. Le dispositif de protection du Japon est en vigueur de-

puis 2000 alors que celui du Québec a été introduit 10 ans auparavant, en 1990.

Le Japon connaît un vieillissement accéléré de sa po-

pulation et le pays a même amorcé en 2008 une pé-riode de décroissance démographique. En 2013, envi-ron 24 % des Japonais avaient 65 ans ou plus. Ce

taux ne s’élève qu’à 16 % au Québec.

En 2013, le Japon a encore proportionnellement

moins de régimes de protection que le Québec (cura-telles et tutelles) mais le double du nombre de régi-mes d’assistance (voir le graphique) (1).

Le Japon affiche cependant un taux de croissance beaucoup plus élevé. Depuis 2010, le nombre de ré-gimes de protection au Japon augmente d’environ

8,8 % par année alors que le taux québécois s’élève à seulement 2,4 %.

Sécuriser le patrimoine des personnes

représentées

Les tribunaux japonais sont également à l’origine

d’un nouveau mécanisme visant à aider les représen-tants légaux à bien protéger le patrimoine des per-sonnes représentées. Depuis le début de 2012, on

propose la « fiducie tutélaire de soutien », autant pour le patrimoine des personnes inaptes que pour celui des mineurs.

1. SGCS, 2013, p. 11; Curateur public du Québec, Statisti-

ques, 2013.

Les curateurs et tuteurs conservent la responsabilité

de gérer les dépenses courantes des personnes pro-tégées, mais l'excédent est placé dans une fiducie

gérée par un tiers, généralement une institution fi-nancière.

En cas de besoin, le tribunal peut autoriser le retrait

de fonds additionnels de la fiducie pour des dépenses exceptionnelles, notamment si elles concernent des soins que la personne représentée requiert (2).

Environ 100 fiducies tutélaires de soutien ont été créées en 2012. La valeur moyenne du patrimoine protégé s'élève à 43 millions de yen (450 000 $) (3).

Le rapport statistique de la Cour suprême ne distin-gue pas les fiducies bénéficiant à des personnes inap-tes de celles qui ont été créées pour des mineurs.

− Préparé par André Bzdera, DRSR

2. Association japonaise des fiduciaires, 後見制臨場信託

[Fiducies tutélaires de soutien], Tokyo, 2012, p. 3.

3. SGCS, 2013, p. 12. Taux de change au 27 septembre 2013 : 100 yens japonais = 1,05 $ canadien.

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