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Société haïtienne d'histoire et de géographie. Revue de la Société haïtienne d'histoire et de géographie. 1933/01-1933/10. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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Société haïtienne d'histoire et de géographie. Revue de la Société haïtienne d'histoire et de géographie. 1933/01-1933/10.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :  *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.  *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :  *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.  *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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REVUE

DE LA

Societé d'histoire et deGéographie

d'Haïti

PARAISSANT TOUS LES TROIS MOIS

Vol. 4 N° 9 Port-au-Prince (Haïti) Janvier 1933

SOMMAIRE:

JEAN- JOSEPH VILAIRE—Causerie sur nos

duels historiques

C. RIGAUD —Economie politique MonopoleTaxes Internes

LA RÉDACTION- Me Edmond de Lespinasse

IGNACE URBAN-Sur la Géographie Bo-

tanique d'Hispaniola

(6ème partie)

L. R. -Avènement du Général Fabre

Nicolas Geffrard par Antoine Michel

NOTES et NOUVELLES

V. VALCIN,6

IMPRIMEUR

1518, Rue du docteur Aubry ouduRéservoir

PORT-AU-PRINCE (HAITI).

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CAUSERIE

SUR NOS DUELS HISTORIQUES

On ne doit nullement s'étonner qu'une part soit faite

au duel dans notre histoire: elle est presque tout entiè-

re militaire, et ses personnages sont pour la plupart des

guerriers. Or, souvent le duel est une petite guerre, c'est

plus qu'un combat entre deux personnes, car autour

des combattants et de leurs témoins, il y a le public, le

public muet, mais anxieux, haletant; lui aussi prend

part à la lutte. Quel intérêt il y trouve? il est divisé de

sympathie et d'opinion. Bien des gens voudraient voir

tomber celui-ci, d'autres frapper celui-là. Et dans ce si-

lence angoissant qui préside au duel,monte et se confond,

dans une mêlée visible au seul regard de la mort qui

veille, lame multiple et diverse du peuple combattant

lui aussi par des voeux contraires et des sentiments

opposés.Pensez donc, nos pères sont restés, sous les armes de

1790 à 1804! de l'affaire d'Ogé à l'indépendance. Qua-

torze années de guerre coupée de courtes trêves à

l'ombre du drapeau; Cette vie du camp, dont ils nous

ont légué les vertus et les vices, devait leur rendre

familier le duel, le seul tribunal au verdict duquel on se

plie quand les tribunaux sont fermés et que les jugessont eux-mêmes des soldats.

Mais verdict hasardeux, justice aveugle entre toutes

que le duel.

De tous les préjugés qui égarent l'esprit humain, le

duel est le plus absurde, mais le plus respecté; la mo-

rale le condamne, les philosophes le flétrissent, tout le

monde l'abhorre, cependant personne ne le réprouve

publiquement. On se bat pour soi, mais malgré soi,

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parce que c'est ainsi, qu'une coutume très vieille le

veut et que la société l'ordonne.

On connaît l'histoire de ce grand homme d'Etat amé-

ricain, l'une des gloires de son pays, à l'époque où il

venait de naître à l'indépendance. Il fut provoqué en

duel par un adversaire politique qui était bien loin de

le valoir. Ce descendant de huguenots, élevé dans les

principes les plus austères de la religion chrétienne,avait toutes les raisons de ne pas se battre. Cependant,

malgré la répugnance que lui inspirait cette coutume

horrible, le préjugé du duel fut, comme toujours, le

plus fort, il finit par y céder, en étouffant la voix de sa

conscience, et au mépris des principes de la philoso-

phie et des lois de la religion. Hélas! ce duel lui fut

fatal.

Je puis me permettre d'avoir l'air de critiquer le

duel: on ne se bat plus en Haïti. A la bonne heure !

C'est un progrès d'ordre social et moral. Pourquoi se

battre? Nous sommes tous frères. Les Haïtiens, depuis

quelques années, se sont dit: « Nous de nous battrons

plus en duel, c'est entendu. » Et je vous prie de croire

que ce contrat... solennel! s'exécute à la lettre. Jamais

un peuple n'a fait preuve de plus de bon sens que le

nôtre en cette circonstance. Rappelez-vous que l'hon-

neur est l'unique prétexte au duel, or, il y a des épo-

ques où il ne faut point parler de l'honneur, ( c'est

encore une question d'honneur) comme il ne. faut point

parler de corde dans la maison d'un pendu. L'honneur

est sauf, l'honneur est sauf, tenons-le nous pour dit,c'est très consolant. Depuis le mot de François 1er à

Pavie, quand tout est perdu, l'honneur seul peut être

sauf; c'est donc ce qui se perd le dernier et le plus dif-

ficilement. Et nous en sommes charmés. Aussi je crains

fort, en vous parlant de duel, de vous paraitre: lire un

vieux chapitre de quelque histoire ancienne.

Ah ! c'est que nos pères aimaient bien le duel ! ils l'ai-

maient trop: c'est un excès dont nous subissons les

conséquences par l'absence complète de ce dont ils

faisaient un abus. Mais ce n'est point du tout malheu-

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— 3 -

reux pour nous, car le duel est mauvais, il est barbare,il est stupide. Je n'aime pas le duel ; j'aime le duéliste,

celui des temps derniers. C'était un personnage remar-

quable en son genre, nullement méchant; il tenait une

grande place dans le monde; faisait du bruit; c'était

tout son tort et tout son bonheur; mais il n'était pas

dangereux, parce que brave et généreux. Sur le

champ d'honneur il parlait toujours d'offrir le pre-mier coup à son adversaire comme on offre une rose

à une femme, et notre gentil homme, un peu rier-à-

bras, acceptait des accommodements avec galante-rie. On peut toujours s'arranger: les amis s'entremet-

tent, les journaux font des commentaires, toute la

ville en parle, cela suffit : un non-lieu est dressé, et

l'honneur est sauf. Pendant toute une semaine on ne

s'est point ennuyé; c'est beaucoup dans un pays où il

n'y a pas de théâtre. Nous en avions autrefois en pleinair avec des acteurs, c'étaient des duélistes.

Mais le duel est bien mort, le duel et le semblant

de due'...

Comme tout a changé lentement, insensiblement,

mais profondément! si vrai que pour retrouver ce qui

était fort commun chez nous, il nous faut ouvrir les pa-

ges de l'histoire. Ça va nous mettre du sang sur les

doigts; quel plaisir pouvons nous en éprouver alors?

Aucun, certainement, s'il nous fallait seulement voir

mourir des hommes. Ce qui est digne d'intérêt, et ce

qu'il faut retenir, c'est le souvenir des anciennes

moeurs, l'état d'âme d'une époque révolue et le carac-

tère si particulier de notre race, fait de fierté et d'hé-

roïsme.

Comme il nous parait étrange ces temps lointains, où

le jeune homme, au début de la vie, devait apprendreà travailler de ses mains, à manier les armes et à dan-

ser. C'était le trépied sur lequel reposait l'éducation

masculine. Aujourd'hui les métiers sont délaissés, on

ne connaît plus le maniement des armes, d'aucune ar-

me, mais on continue à danser, ce qui est triste.

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- 4 -

L'amour des armes, l'engouement pour la carrière

militaire étaient la caractéristique des gens d'autrefois

et tout leur orgueil; de la des excès de bravoure dont

les exemples sont si communs dans notre histoire et

le sentiment de l'honneur poussé à l'extrême et aiguil-lonné jusqu'à faire de tout un point d'honneur. Les cas

de duel étaient fréquents, qui de nos jours ne nous

trouveraient nullement froissés, et l'on serait même

ridicule d'en faire un motif de réparation par les ar-

mes. Avec cela, et le bon côté de leurs travers, c'est

qu'on était plus respectueux les uns envers les autres et

fort pointilleux sous le rapport des convenances que

règlent les relations sociales. On était plus chevaleres-

que, plus galant et, chose qui peut paraître bizarre,

plus uni. Oui, plus uni malgré les duels et à cause mê-

me des duels. Une querelle pouvait être réglée, une

haine effacée, une insulte oubliée quand on s'en remet-

tait au sort des armes; mais de nos jours la langue,la seule arme dont on connaisse l'usage, éternise, enve-

nime toutes les disputes; on se salit à distance; on se

tue sans se voir ni s'ententre ; le colportage vous rend

compte des coups portés et des blessures faites; les

divisions se multiplient et le scandale trouve l'entrée

de tous les salons. Ma foi, s'il fallait choisir entre les

deux extrêmes, à savoir les abus du duel et.... mais

non, ni l'un ni l'autre: ne nous laissons pas emporter

par notre humeur qui ferait mal juger de nous, et vo-

yons plutôt ce qui était arrivé entre Jourdain et Mon-

sieur de Kermelaire, procureur du roi au Petit-Trou

de Nippes.

Un duel imprévu mettant aux prises un blanc, grandfonctionnaire de la colonie de St-Domingue avec un

affranchi. Le fameux Jourdain ! il avait été de ceux quicombattirent pour l'indépendance des américains avant

d'obtenir la leur, ironie du sort !

Après le dééastre d'Ogé et de Chavannes et la tenta-

tive de révolte des Cayes, les hommes de couleur pren-nent une attitude fière, l'oeil au guet et debout à chaque

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coup de clairon que jetait la Révolution française. Il;

fallait les surveiller et les contenir dans un état d'abais-

sement moral pour leur faire perdre toute idée de

revendication politique. De là le serment de respect aux

blancs qui leur fut imposé. Jourdain et quelques autres

du quartier de Nippes -refusent, protestent, s'indignent.Le serment de respect aux blancs, c'était la déchéance

sociale acceptée, sanctionnée; c'était le renoncement

aux principes d'égalité, qui, en France, ni velaient tous

les fronts sous le souffle puissant de 39; c'était l'aveu

public de son infériorité et l'abrogation formelle des

décrets nationaux que les affranchis du nord venaient

de sceller de leur sang. Ils résistent donc ; on les sou-

mettra de force, et les agents du gouvernement de dé-

ployer une énergie sans pareille à les pressurer. Mr

de Kermelaire, procureur du roi, plus qu'aucun autre,

se montre cruel; il se rend dans leurs demeures pourles en arracher; à la tête des soldats, il pénètre chez

Jourdain et voit quelqu'un se glisser sous un lit; il

commande le feu, les soldats tirent, et quand on fait

sortir le malheureux du coin où il s'était réfugié, on

voit, non pas Jourdain, mais son fils. Par le plus granddes miracles, il n'a point.été atteint, Jourdain avait fui

et s'était rendu à Port-au-Prince, où les affranchis

s'organisaient en combinant une action bien menée, et

décisive pour la conquête de leurs droits politiques.

Le moment d'agir est arrivé. Jourdain et Gérin, autre

fuyard, prennent un canot, débarquent la nuit aux en-

virons de Nippes, font un appel aux hommes de leur

classe. Ils se réunissent au nombre de deux cents,

divisés en deux colonnes, et cette nuit même, ils s'em-

parent du bourg. Une courte escarmouche avec une

patrouille de blancs, rien que deux tués et six blessés,avait annoncé aux habitants, ce qui venait d'arriver. Et

Jourdain, sans perdre une minute, avec sa petite trou-

pe, va trouver Mr de Kermelaire. Toutes ses portesétaient fermées; Jourdain frappe, en criant d'une voix

forte: ouvrez! Le procureur, se méprenant sur ses

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intentions, lui répond : « Lâches assassins, qu'un seul

donc s'avance.»

Il comptait faire, payer cher sa vie. On conçoit qu'il

pût se tromper sur les desseins d'un ennemi qui avait,toutes les raisons de se venger avec rage. Triste effet

des préjugés ! Non, il n'avait point affaire à des assas-

sins; son adversaire, qui commandait, était un affran-

chi de la plus belle eau, et ce n'est pas lui qui aurait

perdu l'occasion de signaler aux regards des contemp-teurs de sa race toutes les qualités qu'elle avait en par-

tage: générosité chevaleresque, bravoure exagérée. Il

s'explique et le procureur, en homme de loi, n'ouvre

pas, mais demande; à Jourdain d'enfoncer la porte, sans

douté pour compliquer songeas d'une effraction. D'un

coup de pied de Jourdain la porte, cède. Mr de Kerme-

laire avait éclairé sa salle, s'était armé et attendait.

Jourdain entre, l'épée à la main;,

Quelle folie,direz-vous de s'en remettre au hasard

d'un duel quand il ne s'agit point de tayer une injure

personnelle . Il y a. eu tentative d'assassinat de la partdu procureur du roi, avec toutes les circonstances ag-

gravantes, augmentées encore de l'emploi abusif de la

force publique et de violation de domicile. Aux yeuxde la loi, dont il était le gardien; Mr de Kermelaire était

un criminel, il fallait donc le traiter comme tel, péné-trer chez lui avec les. soldats et le fusiller, comme. il

avait pénétré chez Jourdain avec ses soldats et com-mandé de le fusiller, alors qu'il le croyait caché sous

un lit, mais c'était son fils, dont l'âge et l'annonce ren-

daient plus odieux encore l'acte criminel.

Ici, il nous faut nous arrêter : une rectification s'im-

pose. Il n'y a pas que la loi à invoquer ; il y a la société

coloniale. Nous courons risque de nous abuser si nous

la perdons de vue; une force redoutable, avec ses pré-

jugés invincibles. La protection des lois n'existait pas

pour Jourdain; les affranchis étaient, hors la loi. Le

sang d'Ogé, de Chavannes et de leurs compagnons mar-

tyrs le criait bien haut.

Au point de vue social quelle était la situation de cet

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homme dans son affaire avec le colon? un inférieur à

qui l'on demandait le serment de respect. Mais, me

direz-vous, c'est justement ce qui le dégageait de tout

lien et l'affranchissait de toute contrainte de quelque

nature que ce fût. Se trouvant en rupture de ban pour

avoir pris les armes, il aurait pu, du même coup, fouler

aux pied toutes les lois et le code social avec ses hor-

reurs, et se venger. Non, pour mettre le beau rôle de

son côté, et rester digne, il lui a fallu faire une con-

cession considérable à l'esprit et aux préjugés de l'épo-

que. Il n'a pas voulu qu'on lui dît qu'il n'appartenait

pointa un chef d'armée de venger un père.

Sa troupe est donc restée dans la rue. inquiète. hale-

tante, témoin auriculaire d'un duel à l'épée que per-

sonnelle voyait. Quel a du être l'état d'esprit des sol-

dats à qui n'arrivait que le cliquetis des armes? De

quelle angoisse terrible n'ont-ils pas été secoués à la'

pensée que leur chef pouvait être victime sans qu'ils

eussent à leur tour le pouvoir de le venger? car ce

serait le trahir à cause de la promesse qu'il s'était faite

à lui-même de s'en remettre au sort périlleux d'un duel.

Il aurait donc fallu le plaindre, le pleurer et subir la

vue du bourreau d'une famille et du persécuteur de

toute une caste. Mais Jourdain paraît au seuil de la

porte et dit à ses compagnons : « Je me suis vengé ! ».

Quelle victoire! Monsieur de Kermelaire avait été tué.

Blessé d'abord grièvement, il a été achevé. C'était en

effet un cas de duel à mort. Celui qui en avait pris

l'initiative poussait la bravoure jusqu'à la fanfaronnade

et le courage jusqu'à la témérité. En exposant sa vie,

il livrait au hasard le sort de l'expédition qu'il dirigeait

dans les quartiers de Nippes et de l'Anse-à-Veau, coo-

pérant avec ses frères qui guerroyaient dans les plaines

de l'intérieur de l'Ouest.

Mais les excès d'une qualité, si blâmables qu'ils puis-

sent paraître aux esprits froids et calculateurs, excitent

l'admiration et font naître l'enthousiasme des foules

écoeurées du spectacle habituel de l'excès du vice...

Mais quel spectacle Dessalines, lui, cherchait-il, à

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— 8 —

Marchand, en décrétant le duel de Poutu et de Lau-

rore Gabart? Il ne savait pas que sa mort était pro-

chaine, que sept jours seulement le séparaient de l'em-

buscade du Pont-Rouge. Il voulait voir couler le sang,et le sien allait jaillir, hélas ! Mais que ce soit son pro-

pre sang ou celui d'un autre qui coule, l'homme de

guerre se plait infiniment à la contemplation des scènes

de la mort qui lui apportent de fortes émotions ; pourvu

qu'elles fassent cortège à sa gloire, c'est une ivresse

de plus.

Une querelle éclate entre deux officiers dans la cour,

du palais impérial ; ils élèvent la voix, se disent des

injures et Dessalines sort pour se rendre compté de ce

qui se passe. L'incident est grave ; l'honneur est en

jeu; une réparation par les armes s'impose. Quels sont

ces personnages? Laurore Gabart, un officier de la 4e

demi-brigade et Poutu, un ancien secrétaire de Rigaud.Or Poutu était l'offensé. Le duel fut reconnu de rigueur

par l'empereur lui-même, et pourquoi? Voulait-il voir

Poutu se laver des insultes qui lui avaient été infli-

gées? Ce n'est pas probable. Le pauvre Poutu était en

disgrâce à Marchand ; les soupçons les plus graves pla-naient sur lui. Il était revenu de France, avait débarquéaux Cayes, envoyé par le général Rigaud que talonnait

la misère pour obtenir les secours de ses anciens com-

pagnons d'armes. Rien de plus naturel qu'une pareilledémarche. Rigaud était un exilé; mais rappelez-vous

qu'à cette même époque arrivaient coup sur coup les

officiers du Sud qui avaient pris part à la guerre civile.

Comment avaient-ils pu ainsi déjouer la surveillance de

la police en France? Et de plus, avaient-ils perdu le

souvenir de leur défaite cruelle? Le général Rigaud,

qui avait toujours exercé le pouvoir, doué d'une si

grande influence, n'aspirait-il pas à revenir dans le

pays pour reprendre l'autorité suprême que lui con-

férait son titre de chef des affranchis? Autant de

questions alarmantes que se posait Dessalines et quile troublaient à juste titre, il faut en convenir.

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Songez que parmi ces rapatriés il y en avait un quis'était montré un zélé défenseur de la cause française,et qui avait donné du fila retordre à l'armée indigènedevant Mirebalais, dans sa marche sur Port-au-Prince :

c'était David Troy. Or, lui aussi était revenu à la grande

indignation de l'empereur, devant lequel il ne trouva

point grâce, qui le dégrada et le retint simple soldat à

Marchand;

Poutu et David Troy étaient les deux infortunés de la

cour impériale; Le cas du premier était encore plus

grave: on le soupçonnait de favoriser le retour du gé-néral Rigaud dans le pays. Il avait une- liste des géné-reux donateurs qui s'étaient laissés toucher par l'appelde détresse de Rigaud.

Et cette liste avait été saisie aux Cayes et expédiée à

Dessalinés avec le malheureux Poutu, C'est donc l'hom-

me qu'on exposait aux périls d'un duel. Vous voyez

déjà ce que cela devait être?

Laurore Gabart, lui,' était officier du corps d'élite de

l'empereur, celui qu'il gâtait et choyait. Cette 4e demi-

brigade faisait seule le service de son palais, et, au

début, avait l'honneur de posséder, seule, un corps de

musique. (1)

Poutu, la veille du duel, écrivit à Jean-Pierre Boyer,son ami, pour lui annoncer qu'il allait se battre le len-

demain matin avec un ivrogne, et il lui. recommanda sa

famille dans le cas où il tomberait victime. (2) Cette

lettre était écrite à 10 heures du soir, et la rencontredevait avoir lieu le lendemain matin au pistolet, sous

les yeux de Dessalines, qui. dirigerait le duel en per-sonne.

Certes, il y avait de nombreux témoins, entre autres,

Bigot, qui, comme Poutu, avait été officier dans l'arméede Rigaud; mais aucun d'eux n'avait un caractère offi-

ciel : l'empereur avait dicté les conditions du combat et

(1) T. Madiou.

(2) B. Ardouin.

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— 10 —

s'assurait de leur stricte exécution. Ce duel devait être

terrible et offrir un spectacle, comme en voulait, Dessa-

linés, homme à l'action violente qui ne marchandait,

pas la vie des autres, non plus qu'il ne craignait d'ex-

poser la sienne.

On devait donc se battre au pistolet à vingt-cinq pasl'un de l'autre et jusqu'à ce que l'un des deux fût atteint

mortellement. Ce jour là, le dieu de la guerre, patronde Dessalines, n'avait pas soif: on dirait que le sort

avait tout fait pour épargner la vie de ces deux êtres,car on ne conçoit pas que des officiers, habitués au ma-

niement des armes, puissent tirer si mal; il n'est pasnon plus à supposer que l'émotion, les empêchât de

bien viser. Après les premiers feux, Dessalinés devait

donc faire cesser le duel, déclarer que l'honneur est

sauf, et réconcilier les deux ennemis dont la mort

ne voulait pas. Mais non; l'empereur ne jugeait pasainsi : la souillure de certaines offenses ne se lave quedans le sang. Ils échangèrent donc jusqu'à douze balles,

et c'est la.douzième qui atteignit Poutu. Il tourna sur

lui-même et s'affaissa : c'était la mort.

Dessalines avait joui de la scène jusqu'à applaudirla « belle pirouette» que fit Poutu en recevant le coupmortel. Il parait qu'involontairement, il y mit de la

grâce, et, comme le gladiateur antique, devant le César

noir, il mourut dans un beau geste.

Mais comme Dessalines se réjouissait du trépas de

l'ancien secrétaire de Rigaud, Bigot, nouvellement re-

venu dans le pays, eut assez de courage pour déclarer

que c'était ainsi que mourait un Rigaudin. Paroles im-

prudentes, pensez-vous ? Point du tout. La hardiesse

qui les avait dictées ne pouvait que plaire à Dessalines,il aimait les braves."

Ce qu'il y a de cruel pour nous dans lé duel de Lau-

rore Gabart avec Poutu, n'était que trop naturel pourDessalinés: offensé lui-même, c'est ainsi qu'il aurait

désiré une réparation. Ces fils de la Révolution, comme

les salamandres, trouvaient leurs aliments dans le feu.

Pour eux le duel n'était qu'un épisode sensationnel de

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la grande épopée qu'était leur vie; une galanterie de

guerriers.

Christophe; parlant à Bonnet, ne lui avait-il pas dit:

« Eh ! je suis un vieux prévôt de salle ; eh! je sais manier

l'épée.» Pétion, lors du conflit entre Montbrun et Beau-

vais, n-a-t-il pas eu un duel qui lui avait laissé une légère

blessure? et, dans une partie de chasse, s'étant pris de

querelle avec un blanc, ne lui avait-il pas offert ses pro-

pres cartouches pour vider leur différend? Ah ! Pétion!..

on se rappelle qu'il a été cause d'un due), eh lequel!un duel plus implacable encore que celui de Poutu avec

Laurore Gabart.

Dans une conversation qui eut lieu au palais prési-

dentiel, en cercle d'amis, Pétion, emporté, paraît-il parsa verve railleuse, se serait laissé aller à des allusions

peu honorables à l'égard de Madame Moreau. Lys était

de la compagnie. L'esprit caustique du fondateur de

notre République ne se serait pas fait faute de s'exercer

contre une femme. On sait qu'il ne tenait pas ce sexe en

grande estime ; on nous dit que « d'après lui, la femme

vertueuse était un mythe introuvable, par cette raison

il ne voulut jamais consentira se marier.» (1)

Avait-il tort de ne pas croire à la vertu de la femme ?

Sans l'approuver aucunement, nous ne le condamne-

rons pourtant pas, parce qu'en une matière aussi déli-

cate il serait prétentieux de notre part de repousser les

idées d'un grand homme, fondateur de nation, conduc-

teur de peuple.

Toutefois, il nous est permis de dire que s'il craignait

de hasarder sa confiance en la plaçant dans une femme,

il s'était bien trompé en accordant sa foi à son idole

qu'est la république. Or, la femme à côté de la répu-

blique...

Qni sait? peut-être qu'au fond il ne méprisait pas tant

la femme qu'il avait l'air de le faire entendre ; il trou-

vait en elle matière à raillerie et c'était chez lui l'effet

(1) Bonnet—Souvenirs historiques.

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— 12 —

d'un« caractère heureux », car il avait un caractère

heureux, c'est le président du Sénat de la Républiquequi l'affirme dans son: discours à l'occasion de la pres-tation de serment de Pétion comme président d'Haïti.

Il s'est exprimé ainsi : « Puissent les dieux vous conser-ver l'heureux caractère que vous a départi la nature et

vous rendre toujours l'objet de l'admiration publique.»

Il dit les dieux, ce n'était pas assez d'un seul, et le

caractère, joue-t-il un si grand rôle dans le gouverne-ment des peuples? Tant mieux donc, et la chose n'est

pas difficile, si c'est avoir bon caractère que de faire

payer le pot cassé à la femme.

/L'on se demande si Bonnet;n'a pas voulu donner un

coup de patte au dernier adversaire de Rigaud, et ven-

ger celui-ci qu'il aimait tant, et dont il avait' été l'ai'de-

de-camp, quand il écrit au sujet du duel entre Lys et

Moreau: « Les salons dé Pétion étaient devenus un

foyer d'intrigués de toutes sortes. Les cancans de la

ville, en s'y reproduisant, apportaient souvent le trou-ble dans les familles. » Ce n'est vraiment pas le tableau

qu'il nous plait de nous représenter de l'intérieur d'un

philosophé et d'un guerrier. Nous aimons mieux croire

que-Bonnet est injuste et animé de rancune, et qu'ilprisait mai l'heureux caractère dé Pétion auquel on ne

doit pas peut être imputer ce duel funeste. Il ne fallait

qu'un prétexte aux hommes de cette époque pour croi-

ser l'épée ou brûler des cartouches. Pendant toute cette

période les duels étaient fréquents.

Les propos tenus par Pétion furent rapportés à Mo-

reau et attribués à Lys. C'était mal choisir pour répon-dre à la demandé de réparation du mari outragé. Lys

était la bravoure même; un héros dont les exploitssont si extraordinaires qu'ils trouveraient place plutôtdans la légende que dans l'histoire. On connaît son en-

trevue avecDessalines

à propos d'une maîtresse. Or,

Lys était déplus un duelliste redoutable, quand il ne

faisait pas le grand duel à coups de canon. Il foulait leterrain d'honneur avec autant d'aisance et de plaisir

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— 13 —

que la scène du théâtre. Chose singulière, ce guerrier

était aussi acteur.

Après 1804 on faisait du théâtre, et des généraux tels

que Lys et Bonnet jouaient Voltaire et Racine aux

grands applaudissements de l'élite de Port-au-Prince.

L'amour de la déclamation n'a jamais abandonné Lys,et jusque dans derniers les temps de sa vie il disait

les belles tirades où les héros grecs et troyens font

éclater toute la passion de leurs âmes lyriques. (1) Il

était de leur famille. Ce maître d'armes, nous dit-on,

avait une, pose d'acteur, était de petite taille avec une

tête romaine, portait d'épais favoris; un corps si bien

pris qu'il passait pour un des plus beaux hommes de

son temps.

On était à dîner chez Bonnet, et 13 à table. Quelqu'un

en fit la remarque, et la conversation tomba sur ce

sujet, où les esprits superstitieux, chez nous comme

ailleurs, trouvent un aliment trop commun. Lys, parmi

les convives, malgré l'augure mauvais qu'apportait le

nombre 13, ne s'est pas laissé émouvoir quand Lespi-

nasse ( probablement J. F. Lespinasse) entra dans la

salle et demanda à lui parler.

Il était porteur du cartel de Moreau, On nous dit de

ce dernier qu'il était aussi brave que violent. C'est ce

qui explique les conditions d'un rigorisme barbare du

duel le plus tragique qu'on ait encore vu. L'un des ad-

versaires devait brûler la cercelle à l'autre, et ce crime,admis par la société, commandé par l'honneur, allait

être commis par celui que désignerait le sort.

L'avantage consiste donc à tuer, et le désavantagea

ne pas commettre le crime ; mais c'est là un sujet qui

se prête au développement de pensées philosophiquesou religieuses. Passons au duel. Le sort, comment a-t-

il été consulté en cette occurrence? par une pièce de

monnaie jetée en l'air.... pile ou face ! L'honneur d'une

femme, la réputation d'un homme, le respect du rang

(1) A. Féry.

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— 14 —

social, le bonheur de toute une famille c'est ce qui se

décide par pile ou face !...

Le destin est favorable à Lys. On connaît assez le

héros pour comprendre qu'il refuse de profiterd'une

occasion trop facile d'abattre un homme qui ne lui avait

rien fait et contre lequel il n'avait rien. Il refuse donc

d'être l'exécuteur de l'arrêt le plus odieux du sort le

plus cruel; et l'homme dont la mémoire était rempliedes vers de la tragédie classique, a du se souvenir que :

« A vaincre sans péril on triomphé sans gloire. »

Mais son refus est un outrage insupportable à son

adversaire ; il n'accepte pas les effets d'une générosité

qui l'humilie profondément; Lys s'exécutera, et, pour

l'y obliger, Moreau, emporté, perdant la raison, le pro-

voque, l'insulte et « menace de lui donner de sa cannesur le visage. » (1) « Ne fais pas ici le faux brave, lui dit-

il, tu as peur que t'on pistolet ratant, je ne vienne à

user du mien. (2) Il savait par où toucher l'adversaire.

Ce tu as peur est le nerf qui a fait agir l'index pres-

sant la détente du pistolet. Lys aurait résisté à tout autre

provocation; avoir peur pour les hommes de l'époque

comptait parmi les plus grands déshonneurs qui puissent

affliger la nature humaine. Les choses ont depuis chan-

gé. Hélas! le coup fatal part et Moreau se débat dans les

affs de l'agonie. Alors un désespoir violent: agite Lysà ce spectacle affreux. Il se rend-compte de toute l'hor-

reur de l'acte qu'il vient d'accomplir, A ce moment,

nous dit Bonnet, arrivé celui qui avait rapporté à Mo-

reau les propos à tort prêtés à Lys. Il est à cheval, et

l'infortuné était encore secoué des spasmes de la mort.

Et Lys de courir au devant de lui en lui criant: « Venez

voir la position où vous avez mis un malheureux pèredé famille. » L'autre rebroussa chemin . et s'enfuît au

galop.-;' ' ;-:A

Oh conçoit que lé héros de tant de batailles :ne fut pas

(i) Bonnet op cit.

(2) A. F^ry.

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— 15 —

content dans la, suite qu'on lui rappelât la scène horri-

ble dont le souvenir lui labourait.le coeur. S'il était si

sensible, pourquoi donc acceptait-il à faire ce qui répu-

gnait à sa nature noble et chevaleresque? C'est que la

coutume était la plus forte et entraînait tous les esprits

vers le duel, dont les hasards, les dangers plaisaient

aux hommes, d'une époque voisine des. guerres de

l'indépendance.

L'éducation militaire,, le réveil de l'aube au son du

clairon., le bruit du tambour, la vue des fusils, l'habitude

dé porter l'épée et l'alerte constante où les tenaient soit

la France dont on craignait un retour offensif, soit une

partie du pays en scission politique, soit enfin quelque

prise d'armes menaçant de renverser le pouvoir, tout

ce prestige d'une caste imposante et cet état d'esprit et

ces alarmes ont donné à nos pères la passion de la

guerre, le mépris de la mort, l'amour du duel et le

respect de l'honneur, respect excessif et ombrageux

qui les portait à tout soumettre au sort des armes, au

moindre froissement d'un sentiment toujours présent

à leurs yeux, inhérent à leur vie; ils le faisaient avec

autant de naturel que certains peuples de l'antiquité

s'en remettaient à la prédiction de leurs oracles con-

sultés.

Après 1804 on ne pouvait demander aux citoyens

d'une nation sortie tout armée d'un champ de bataille,

de regagner leurs pénates sans y apporter avec eux les

moeurs qu'ils tenaient des longues années de la vie du

camp.Tout choc produit une vibration, et, dans le domaine

moral un retour proportionné à la violence du phéno-

mène qui l'a déterminé. Nous avons longtemps observé

et nous observons encore dans leurs multiples manifes-

tions, les divers éléments dont est formé notre peupleet d'où nous est venu un état d'esprit particulier, un

tempérament complexe, difficile à analyser, et qui dé-

route un peu l'observateur. Le régime militaire, les

révolutions, les duels sont les contre-coups qui se sont

fait sentir longtemps dans notre vie politique et sociale.

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— 16 -

B.Ardouin a noté que de 1807 à 1812 les querelles étaient

fréquentes, à Port-au-Prince surtout, entre les officiers

de l'armée. De là des duels nombreux dont on a eu à

déplorer les conséquences ; et il a ajouté une observa-

tion qui vient éclairer joliment notre thèse: « Chacundevenant propriétaire alors on renonça peu à peu à

cet usage barbare.» La vie privée, la constitution de la

famille, en un mot le foyer devait changer bien des ha-

bitudes, transformer l'état d'esprit de toute une géné-tion qui s'était illustrée dans la carrière des armes.

Nous ne dirons pas ici ce qu'elle a perdu en changeant,et si l'égoïsme et la cupidité ne sont pas les effets des-

nouvelles conditions de son existence avec l'établisse-

ment de la fortune privée et la possession des biens

fonciers.

Nous n'entendons point excuser pour cela l'engoue-ment qu'on avait du duel; il a fait de trop malheureuses

victimes. Ne nous a-t-il pas valu la perte d'un poète quia eu son heure de gloire, et que tout Port-au-Prince ac-

clamait sur la scène? Dupré, l'auteur de plusieur piècesde théâtre et acteur aussi. C'est de lui les vers quidevaient être gravés sous le buste de Pétion, et cet

unique alexandrin :

« Lui seul n'est point frappé de l'éclat de sa gloire »,

nous dit assez que Dupré n'était pas sans talent pouravoir exprimé dans une formule condensée les senti-

ments du «philosophe guerrier », impassible, tout de

renoncement, et comme dominant sa propre gloire, à

laquelle il était étranger. Dupré aussi mourut dans un

duel et le théâtre de Port au-Prince fut fermé ; avec lui

prit fin le beau mouvement qui marquait la naissance

de l'art dramatique chez nous, à une époque où les

esprits enthousiasmés se laissaient entraîner à ses

charmes et conquérir par ses beautés.

De tous ceux dont nous avons parlé, le duel de Jour-

dain avec Monsieur de Kermelaire, moins impression-

nant, parce que sans témoin, est, sans conteste, le seul

qui révèle de la grandeur morale,, et qui trouve une

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— 17 -

place digne dans notre histoire. Il comprorte une signi-

fication : c'est un trait de plus manquant les qualités

de notre race, une protestation contre les préjuges in-

justes dont nous souffrons. Le Triopmhe de Jourdain est

celui de toute une caste, et la salle de duel un vastechamp où se sont mesurées deux classes d'hommes :

le blanc oppresseur et hautain et l'affranchi révolté et

manifestant les sentiments d'une âme élevée, généreu-se et brave.

Celui de Marchand fait revivre à nos yeux Dessalines,

nature impulsive, brutale et guerrière, avec tous les

défauts qui ne sont que ses qualités poussée? à l'extrê-

me; s'énivrant de l'odeur de la poudre, même quand

elle sort du canon d'un pistolet, enclin aux excès, pas-

sionné de tout ce qu'il pouvait embrasser dane le cercle

étroit de ses prédilections, les combats, l'amour et la

danse.

Enfin celui de Port-au-Prince rappelle les Haïtiens

après 1804, encore gênés dans leurs costumes de civils,

mal apprivoisés avec la vie ordinaire, et conservant

toujours les allures de la caserne, comme ces marins

dont la démarche sur terre se balance encore aux

mouvements du roulis et du tangage.

L'écho de ces trois duels tombe des pages de notre

histoire telles les trois notes d'un glas que jette un soir

au crépuscule morne et sanglant un beffroi modeste

et sombre. Cette cloche, qui vibre à nos oreilles à tra-

vers le temps, nous est familière ; nous la connaissons

pour l'avoir entendue bien souvent aux jours tristes de

notre vie nationale: c'est elle qui affole les esprits en

sonnant l'alarme des libertés sans cesse menacées et

des lois fauchées; elle proclame aussi l'avènement des

tyrans usurpateurs du pouvoir, et dit les adieux des es-

pérances les plus chères, envolées, évanouies.

Oh! quand sonnera-t-elle par un matin au diadème d'or

et vêtu de pourpre, dans un lever de soleil auguste et

triomphal, le réveil de toutes nos gloires, la résurrection

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— 18 —

de tous nos héros morts sur les, champs de batailles, et

le baptême d'une Haïti nouvelle, forte et belle, nourrie

de la sève puissante du savoir et parée de tous les or-

nements des lettres et des arts.

JEAN-JOSEPH VILAIRE

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L'Economiepolitique

les taxes internes, les monopoles

Conférence prononcée le 8 Mai 1932

Mesdames, Messieurs,

L'Economie politique n'a pas de patrie déterminée.

Son horizon s'étend sur tous les espaces. Cela se com-

prend aisément puisqu'elle a pour objet les activités de

l'homme, et pour fin le bien-être matériel de celui-ci.

En dehors des spéculations pernicieuses, l'économie

politique est liée à la justice, à l'équité, à l'honnêteté.

A première vue cette science semblerait n'intéresser

que la classe élevée des banquiers, des commerçants,des manufacturiers. Ce serait resserrer étrangementson cercle d'action. Il lui faut la coordination des ef-

forts, depuis celui de l'Etat jusqu'à celui du paysan

pour la poursuite et la réalisation d'une fin commune.

Tous, nous avons à la mémoire l'importance que Di

de rot et Beccaria ont attachée à cette science, en même

temps que nous nous rappelons l'oeuvre de Smith parl'invention de l'épingle. Tout se tient dans le mouve-

ment universel. Les plus petits comme les plus puis-sants s'intéressent à l'exploitation du globe. En voici

un exemple : l'industrie extractïve retire du sol un

élément qui ne peut servir à aucun usage actuel. Le

produit grossier ou brut, est transformé par le manu-

facturier; le commerce le transporte et le met à la

portée des besoins de l'homme.

L'appropriation a lieu.

Si dans le cours de ces différentes opérations in-

dustrielles et commerciales un arrêt survient d'un

côté ou de l'autre, l'organisme s'en ressent dans son

ensemble.

Voici donc une preuve de la collaboration réciproque.C'esi la loi de l'entr'aide, ou de la solidarité.

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— 20 —

Depuis lespuissants de la finance jusqu'au simple

bourgeois et au paysan on est lié à l'économie politique,soit par le labeur, soit par les besoins, directementou

indirectement consciemment ou inconsetemmentCette opinion sur l'économie politique est purementrationnelle. Elle donne l'explication d'un certain ordre

de faits, sans s sortir de la théorie et de ses prescriptions.

Nous allons maintenant pénétrer dans le vaste do-

maine de l'action.

Depuis quelques jours dès articles sur l'économie

politique sont publiés dans le journal « Le Temps » sous

la signature de Frank, pseudonyme certainement. Je

lis avec attention les Chroniques de Frank qui' sont sa-

ges, pondérées et sobres. C'est avec plaisir que nous

reproduisons une des appréciations de Frank sur la

situation économique actuelle.

« L'économie politique est, de nos jours dit-il la scien-

ce la plus complexe et la plus variée, peut-être aussi

la plus utile.. Elle prend des proportions si vastes au-

jourd'hui que les cerveaux humains n'arrivent pas à là

posséder en,entier. Aussi, dans les pays où les pouvoirs

publics sont, conscients de leur responsabilité, on insti-

tue de. nombreuses écoles en sériant l'enseignement,afin de former, des. spécialistes pour les différentes

branches d'activité. La partie qui s'occupe de /rechangeinternational est l'une des plus difficultueuses. Elle est

l'objet,d'interminables polémiques, soit pour appuyerle protectionisme, soit pour le combattre. Il n'est pasde question dit Gide : « qui ait suscité plus de polémi-

ques entre économistes, plus de discussions dans les

Parlements de tous pays, provoqué plus de confits in-

ternationaux et peut-être fait tirer plus de coups de

canon. " La verité continue Frank est qu'il est difficile

d'établir un principe directeur car il faut compter avec

des éléments psychologiques extrement instables et

variaé, des phénomènes sociaux, ethniques , et démo-

graphiques particuliers. La pensée économique doit se

développer par comparaison et s'affirmer par expéri-

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— 21 —

mentation. Qu'il est navrant de voir chaque jour dans

tous les journaux de la capitale un tas de poncifs émet-

tre inconsidérément des théories ou des propositions

empiriques et stupides, impressionnées par une lecture

non assimilée ou une mesure prise ailleurs.

« Le monde moderne s'attache plutôt à des systèmes

intermédiaires ou à celui généralement connu sous le

nom d'ï système nationaliste, exposé dans le livre de

l'allemand List. Il se présente sous forme de protection-

tutelle, de primes à la production, de réciprocité des ta-

rifs de droits compensateurs et de zones franches. Un der-

nier régime très discuté, mais très pratiqué, est le con-

tractuel. C'est celui qui menace de nous porter le plusrude coup en s'attaquant à notre café.

Si nous ne parons pas au danger qui nous menace,c'est la mort à brève échéance et le retour au troc pri-mitif. » Ainsi parla FRANK.

A l'heure où nous vivons, tout est doute et incertitu-

de; les rouages grincent; l'effort se disperse. Chaque

peuple se retranche derrière sa cloison étanche.

Les beaux joueurs font la relance des cartes, en di-

sant aux perdants : Il faut payer, Messieurs!

Les faibles doivent comprendre qu'ils sont liés aux

plus forts que leur détachement de la force qui domine

doit se faire graduellement, sans secousses apparentes,

Rien ne vaut de dire « Je veux» si les conséquencesdoivent avoir des suites fâcheuses. Une loi est votée

contre l'importation de certains articles de consomma-

tion. Théoriquement le geste est noble. Mais a-t-on

pensé à la pratique qui veut que la production soit as-

sez intensifiée pour que la quantité produite dans le

pays remplace la quantité importée?

Les taxes internes sont-elles suffisamment établies

pour que les ressources en provenant compensent celles

que donnait l'importation des articles prohibés?

A cela, on répondra qu'il faut un commencement à

tout,

A notre tour, nous dirons qu'il ne faut pas commen-

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- 22 -

cer par un geste qui produit le vide. Commencez par

organiser la production chez vous , et quand vos res-

sources seront suffisantes , quand les taxes internes

compenseront les droits perdus à l'importation , votre

volonté de recourir à la prohibation aura sa valeur et

les louanges viendront récompenser l'effort.Il faut con-

venir que l'Economie politique est une science où l'ex-

périence, elle même , est dérouté par les subtilités de la

pratique. Même quand on a vieilli dans la pratique , on

est encore un ignorant.

Pour donner plus de force à cette opinion sur l'Eco-

nomie politique, nous reproduisons celle émise ces jours-

ci sur le même sujet dans une conférence donnée par

un économiste.

Malgré tout , a dit le conferencier n me voilà aujourd'hui

d'hui parmi vous après avoir refléchi je suis retourne

dans ma décision , parce que je me suis rendu comptequ'il y avait une question dont je pouvais parler avec

compétence : celle de mon ignorance. La chose ne

serait pas beaucoup intéressante , s'il agissait seule-ment de moi . Combien d'hommes de science combien

d'ancien ministres ne professent ils pas l'opinion que

Théorie et pratique sont deux choses distinctes qu'il ne

faut jamais rapprocher ? C'est la négation de toutes

les doctrines écomique qui ont pour fin une appli-

cation.

Mesdames, Messieurs,

Parmi ceux qui sont venus à cette table de travailplusieurs vous ont offert l'or trouvé par eux dans la

grande mine de l'histoire.

D'autres peuvent être comparés au paysan qui re-

tourne une motte de terre e dont le corps et toute la

pensée pesent sur l'outil . Quand la motte a cédé, le

paysan aura accompli son devoir ; il aura mis de la

bonne volonté dans le cham p qui doit être cultivée en

commun

Au premier plan de notre Histoire nationale apparais-

ssent les figures héroiques , les grands événements po-

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- 23 -

litique et sociaux . A l'arrière plan , comme dans uneantichambre , sont d'autres sujets qu'ils faut découvrir,

cependant que ces sujets ont été bien souvent les causes

déterminantes des grands événements . Sans leur exhu-

mation dans l'ombre, il nous aurait été impossible de les

présenter aujourd'hui comme thème de comparaison

avec les causes qui motivent la crise économique ac-

tuelle. Formidable crise que subissent les peuples . Il est

bien que de groupement humains qui échappent de

nos jours à l'accident spécial que la passion de l'argent.

la spéculation, l'égoisme ont rendu considérable par laviolence et l'irréparable. Ces sujets se momment : MO-

NOPOLE, REGIE. GABELLE, TAXE, IMPOT, ECHAN-

GE, SPECULATION . . C'est en compagnie de tels ho-

tes que nous allons passer une heure dans le désert.

Par ce qui va suivre on pourra se rendre compte de

l'importance des sujets negligés par l'histoire ; leur

part d'influence dans les grands évenements politiques.

Il est du devoir de chacun de nous de preparer l'his-

toire des temps actuels par des notes qui permettront

de connaitre, demain , les taits qui doivent constituer

cette histoire .

Sinon moi , mais quelques uns parmi nous devraient

consigner ici-même , les différentes phases de la grande

question des Emprunts ; ce qu'ils ont été probable-

ment ce qu'ils seront demain. Toute une époque aura

dépendue de ces transactions ,desquelles résultéront,

non seulement notre situation économique , mais notre

avenir de peuple.

Les moindres nuances des questions actuellement en

débat doivent être reproduites sur le tableau de événe-

ments toute leur clarté.

La lutte autour de la question économique est dèjaintense . Elle le deviendra d'avantage , au fur à mesure

de l'agrandissement du cadre où se passe l'action.

C'est aux observateurs d'aujourd'hui qu'ils revient deconsigner les sujets qui entretient en ligne dans les dé-

bats. Quelques petits qu'ils soient , aucun sujet ne doit

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— 24 -

être négligé, aucun ne doit être relégué dans les coulis-

ses de l'Histoire.

Actuellement le public prend un vif intérêt aux diffé-

rentes questions qui résument en elles la situation éco-

nomique. C'est ainsi que le monopole et d'autre? sujets

ont arrêté l'attention parla voie de la presse. Les uns

sont en* faveur du monopole exclusif par l'Etat; les au-

tres combattent le système. A notre tour, nous avons

écrit que nous ne sommes point partisan du monopole

par l'Etat partout où cette initiative doit contrarier l'ac-

tion personnelle dans les grandes manifestations du

travail. Mais que nous ne sommes pas opposé à cette in-

tervention, si le but est de réglementer la spéculation,et de la contrarier dans son jeu égoïste et

;déloyal, et si

du principe doivent découler des conséquences heureu-

ses en faveur de la masse. Voici des exemples qui prou-

vent que le monopole bien conditionné protège l'initiati-

ve privée dans la production, dans l'industrie, la marine

marchande, le commerce, etc.

Nous n'avons pas à remonter à Colbert, à Louvois, à

la Compagnie des Indes, et au système de Jean Law

(Lass) pour trouver des exemples. L'ancienne adminis-

tration de St-Domingue en offre suffisamment pour nous

édifier.

Jusqu'en 1800, un Monopole Exclusif existait en fa-

veur de la Métropole pour la consommation et les be-

soins de l'Industrie. Ce Monopole Exclusif consistait à

interdire la vente des produits coloniaux: indigo, sucre,café, bois de teinture, partout ailleurs qu'en France

•d'abord, même si les prix offerts dans d'autres paysétaient supérieurs à ceux obtenus dans les marchés

français.

Ce n'était que quand la France refusait les produits,

que l'autorisation était accordée aux agents des colons- d'écouler les marchandises en solde, dans d'autres pays.

Un aufcrémonopole exclusif existait comme protec-tion à la Marine marchande voyageant sous le pavillon

•'français.-Même si de fret était.à meilleur marché, il

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- 25 -

était interdit aux colons de faire voyager leurs denréessur des bateaux autres que les voiliers français . Si des

produits coloniaux arrrivaient dans un port français

sous un pavillon étranger. Ces produits étaient frappés

de double d'entrée.

C'était donc la protection de la marine marchande par

le Monopole du frêt . Cette marine marchande était com-posée de 900 voiliers de fort tonnage faissant la ligne en-

tre St- Domingue et la France.

UN trosième moonopole établi par la Convention de

1789, accordait à l'Etat le droit exclusif de vendre le

sucré le monopole de la vente du sacre par l'Etat avait

pour but de détruire le jeu de la spéculation dont les

profits mettaient le prix du sucre au-dessus de la capa-

cité d'achat du peuple de Paris.

Quand le sucre ( appelé cassonade ou sucre brut ) arri-

vait des colonies , les accapareurs monopolisaient ceproduit pour le revendre à des prix qui laissaient un

bénéfice exagéré. Les faubourgs de grandes villes etsurtout ceux de Paris, ayant adressé leurs plaintes à la

Convention , celle-ci décreta que l'Etat serait seul auto-

risé à vendre le sucre à un prix unififé , ne laissant qu'un

profit modéré. Comme on le voit ces differents systè-

mes de Monopole n'avaient pas été établis par l'Etat

dans le but d'en tirer en profit direct, mas boencelui de reserver le frêt aux neurf cents voilier qui fai-

saient la ligne entre St-Domingue et la France . C'était

une protection accordée à l'Industrie à la consomma-

tion en exigeant que les produits coloniaux fussent

écoutés dans la Métropole d'abord , avant de passer dans

les marchés étrangers ; et la vente du sucre par l'Etat

était une preuve de sollicitude de sa part en faveur du

peuple qui achetait ce produit sans la hause des prix

résultant du gain exagéré de la Spéculation.

Cependant, ces mesures de prévoyance raisonnée,

eurent de puissants adversaires dans les Colons de St-

Dominigue, et dans leurs agents résidant en France. Ne

se contenant pas de la guerre fortune qui provenait du

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— 26 —

martyre des nègres esclaves, machines humaines, dont

l'exploitation sans merci avait donné cette prospérité,les Colons voulaient de la liberté dans les échanges par-tout où le gain devait satisfaire leur avidité, Peu leur

importaient les besoins de la Mère-Patrie. Cette Mère-

Patrie, pour eux était le marché où les meilleures con-

ditions de placement donnaient satisfaction à leur ra-

pacité.

Christophe avait établi un Monopole qui fut temporai-

re, et non définitif.

A cette époque, il n'existait pas de Banque en Haïti,et le système des remises d'argent par effets négocia-bles ( ou traite) ne donnant pas les garanties nécessai-

res, le Gouvernement du Roi Monopolisait l'achat des

denrées quand il en avait besoin pour faire ses com-

-mandes d'armes, et les autres accessoires utiles à son

armée. Ne voulant pas expédier l'or en circulation dans

le pays, le roi faisait ses paiements en denrées. Le sys-tème établi par lui était une concurrence dans les achats

plutôt qu'un Monopole absolu. Le Pelletier rapporte

que l'agent du roi Christophe était l'ami de Chateau-

briand, et que l'illustre écrivain exilé à Londres et mal-

heureux, était souvent aidé par son ami, qui mettait sa

bourse à sa disposition.

Le vrai monopole Exclusif a été établi, et a duré pen-dant le règne de Soulouque. L'Etat' s'était réservé le

droit exclusif d'exporter les denrées du pays par l'inter-

médiaire de ses. Agents répartis dans les différents

ports de l'Empire. L'absolutisme du Gouvernement de

Faustin 1er, le Monopole et le Tarif maximum donnè-

rent des résultats si désastreux par des abus criants,

qu'il fallut revenir au régime de la libre concurrence.

Ce n'est pas dans ce cadre étroit que nous ferons res-

sortir le gaspillage et les malversations qui furent les

causes déterminantes de la révolution de 1859, et la

chute de l'Empire.

Avant de passer aux autres facteurs, arrêtons nous

une minute; dans la compagnie des Sociétés Anonymes.

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— 27 -

L'Etat et ces Sociétés ont passé des Contrats, qui.

sans le déclarer, sont de véritables Monopoles Exclu-

sifs, puisque par leur contexyure c'est à l'exclusion de

toute concurrence que les Compagnies peuvent réaliser

leurs buts. Exemples: le Wharf de Port-au-Prince, la

Glacière, les Compagnies Electriques.

Ces Monopoles établis dans plusieurs de nos villes.pré-

sentent-ils un avantage pour ces Cités au point de vue

de leur agrandissement, comme port, ou au point de

vue de la consommation?

VOICI UN TYPE DE MONOPOLE DE 30 ANNÉES

Le 26 Octobre 1892, le Gl. haïtien accordait à Mr.

Charmant le privilège exclusif de l'éclairage électriquede la ville de Jacmel pour une durée de 30 années à par-tir de l'époque du commencement des travaux. Le con-

trat sanctionné par le Corps Législatif en 1893 contenait

notamment l'article suivant:

« Le concessionnaire ou ses ayants droit auront la fa-

culté de se substituer, moyennant l'approbation préala-ble du Gvt, toute autre personne ou société exerçant la

même industrie, pourvue qu'elles soient de nationalité

haïtienne.»

En 1895, Mr Charmant transporta sa concession à Mi

Fouchard, citoyen haïtien, et à Mr d'Aubigny, citoyen

français. Dans la suite une transaction intervint et M.

Fouchard fut, avec l'approbation du Gouvt , substitué

exclusivement au concessionnaire primitif.

Nous ne poursuivons pas ici les fins qui survinrent

dans cette affaire.

Il était réservé à Mr Aboilard, français, de se substi-

tuer au concessionnaire haïtien comme créancier de

celui-ci pour le matériel de l'Usine de Jacmel. Mr Aboi-

lard fit intervenir en sa faveur la légation de France à

Port-au-Prince.

En fin de compte, il lut reconnu à Mr Aboilard un

dédommagement de 300 mille dollars rapportant 6 0/0d'intérêt l'an.

Comme on le voit, ce n'est pas la première fois que

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— 28 -

l'Etat se trouve en présence d'une Compagnie d'Eclai-

rage électrique. (1)

Les rapprochements qui vont suivre prouveront quetout se renouvelle dans l'Histoire.

Dans l'affaire du Contrat Fouchard -Aboilard vil avait

été question des lampes de 600et celles de 1000 bougres.

Dans les difficultés actuelles entré l'Etat et la Compa-

gnie d'Eclairage électrique, une pareille affaire de

lampes de 600 et de 1000 bougies, à du porter l'Ingé-nieur Jéanriotô demander à Mr Sansaricq son témoi-

gnage à l'occasion de la lettre écrite à la dite Compa-

gnie par le Ministre Sansaricq au sujet des lampes de

600 et de 1000 bougies.

Mr Sansaricq est le neveu de Mr Foucard.

D'autre part, dans le second Contrat passé en 1903 en-

tre l'Etat et Mr Aboilard pour l'éclairage de Port-au-

Prince, figure le nom de Mr Tancrède Auguste, Ministre

de l'Intérieur, comme un des signataires.

Aujourd'hui, c'est le Ministre de l'Intérieur, René Au-

guste, fils du Ministre de l'Intérieur Tancrède Auguste,

qui correspond avec le Corps Législatif pour le règle-ment des difficultés entre l'Etat et la dicte Cie d'Eclaira-

ge Electrique de Port-au-Prince

(à suivre )

G, RIGAUD

(1).—Comme référence voir le livre de Solon Menos. Un cas d'arbitrage(France, Haiti.)

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Me EDMOND DE LESPINASSE

Le 1er Décembre 1932 est mort à 5 heures et demie du

soir Me Jean Pierre Joseph Edmond de Lespinasse,

avocat, ancien Bâtonnier de l'ordre, en son domicile à

Turgeau, à l'âge de 75 ans.

Jeune encore, à trente cinq ans Me Lespinasse avait

reçu du Président Hyppolite le portefeuille du Départe-

ment des Relations Extérieures, et depuis il avait eu une

longue carrière administrative et politique, soit comme

Ministe des Finance, soit comme Ministre des Relations

Extérieures, soit comme un des fondateurs de l'Ecole

libre de droit vers 1887, soit comme le second directeur

de l'Ecole Nationale de Droit, après la démission de

M. Dalbémar Jean Joseph qui n'avait fait que quelques

ours à la tête l ; cet établissement.

Tout le monde sait la place importante qu'il occupait

dans notre Barreau,

Il était aussi une des figures les plus distinguées de

notre société.

L'occupation américaine le mit prématurément à la

retraite, sans qu'il ait jamais cessé de s'intéresser au

sort de son pays. On se rappellera la belle conférence

d'histoire nationale qu'il prépara pour la Ligue de la

Jeunesse haïtienne, à laquelle il portait beaucoup d'in-

térêt.

Il accepta de donner son concours à l'Ecole libre de

haut enseignement que voulait fonder alors un groupe

d'intellectuels parmi lesquels on remarquait MM.Pauléus

Sannon, Abel Léger, Price Mars.

A la séance extraordinaire de l'Amicale du Lycée Pé-

tion du 8 décembre 1923 à laquelle de nombreuses per-

sonnalités avaient été invitées il prit une grande part à

la fondation de Notre Société dont il suivit très souvent

les séances. Aussi, elle n'a pas manqué d'honorer sa

mémoire à la première séance publique du 4 décembre

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— 30 -

1932 qui a suivi sa mort où le président de la Société, le

Dr Price Mars, eut à prononcer son éloge et exprimerses regrets en ces termes:

M. M.

Avant d'accorder la parole à la distinguée conféren-

cière du jour, je tiens au nom de la Société d'Histoire

et de Géographie à saluer la mémoire de M. Edmond

de Lespinasse qui vient de mourir il y a deux jours.

M. Edmond de Lespinasse a été l'un des fondateurs

de notre Société et s'est toujours intéressé à son déve-

loppement d'une manière particulière. Il avait saisi que

pour pouvoir comprendre et diriger les forces qui con-

tribuent à l'évolution de notre peuple, la connaissance

de notre histoire est un facteur de tout premier Ordre.

Et d'ailleurs dans le passé ses ancêtres ont participéaux mouvements d'où est sortie notre nationalité.

Rappelez-vous que lorsque les hommes de couleur

firent leur premier rassemblement sur l'habitation Diè-

1, 20 août 1791 ils apprirent qu'un grand nombre

de blancs descendait des Grand-fonds vers Port-au-

Prince. C'étaient précisément des colons qui venaient

de l'Habitation Lespinasse de la Chaîne et des vallées

de Grand-fond pour aller se mettre en sécurité à Port-

au-Prince. Les hommes de Couleur le? attaquèrent et les

dispersèrent à proximité de Nérette, c'est-à-dire à l'en-

droit qui est actuellement une partie des premiers ki-

lomètres de la belle artère de Pétionville-Port-au-Prince.

Ce fut le point de départ de la révolte des hommes de

Couleur dans l'Ouest.

D'autre part, lorsque Toussaint Louverture repritPort-au-Prince sur les Anglais en Avril 1793. ce fut un

aïeul de M. de Lespinasse qui remit les clefs de la ville

au vainqueur.

Enfin M. de Lespinasse n'a-t-il pas contribué à faire

de l'histoire lui même puisque, cinq fois Ministre il fut

appelé à la conduite des affaires publiques dans le haut

Conseil du Gouvernement. Que faudrait-il de plus pour

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— 31 —

que cet homme cultivé et aimable s'intéressât à notre

Société dont le but est de maintenir le culte de notre

histoire?

Aussi bien nous perdons en lui un de nos plus fermes

soutiens. C'est pourquoi nous adressons à ceux que le

deuil afflige et particulièrement à notre, collègue,Pierre

Eugène de Lespinasse l'expression de nos condoléances

émues.

Le Président de la Société demanda ensuite à la nom-

breuse assistance qui était venue entendre la belle con-

férence de Mme Chrysostome Rosemond née Manigat,sur le fondateur de l'Indépendance Nationale, Jean-Jac-

ques Dessalines, d'observer quelques minutes de re-

cueillement en signe de,deuil.

Ce fut très impressionnant, cette manifestation de

souvenirs.

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SUR LA GÉOGRAPHIE BOTANIQUE

D'HISPANIOLA

PAR LE PROFESSEUR IGNACE URBAN

Tiré du IXe Vol. des Symbollae Antillunae Tome I

(1923-1928)

Traduction de M. Emil Zimmerman

revue par le Dr C, Pressoir

Sixième partie (suite)

Las Canitas (jusqu'à 1400 m ou plus ?) Hymenophyilum

crispum, Polysfichum tridens, Asplenium dimidiatum,

Juniperus gracilior, Peperomia galioides, P. mornicola,

Sarcopilea domingensis, Phthirusa Constantioe, Arceu-

thobium bicarinatum, Dendrophthora remotiflora, Per-

sea Krugii, Rubus domingensis, Anoda hastata, Tetra-

zygia longicollis, Vaccinium cubense, Samolus flori-

bundus, Rondeletia ochracea, Exostema elegans, Psy-chotria viridialba, Sicyos laciniatus, Specularia perfo-

liata, Ambrosia velulina, Heterospermum diversifolium,—

Dendrophtora Fuertesii, Halimium sténophyllum,Gesneria dolichostyla, G. decapleura, Guettarda aculeo-

lata.

Placer de la Tina.(jusqu'à 1750m) Crotalaria sagittalis,Dichondra repens var. sericea, Achimenes coccinea,

Chaptalia angustata, Lyonia tinensis.

Las Lagunas. (1000 m et plus) Polypodium plesioso-

sorum, Schoepfia obovata, Glinus radiatus, Ranunculus

flagelliformis, Serjania filicifolia, Cordia calcicola, Ipo-moca lachnaea, Pleurothallis Miguelii, Terminalia do-

mingensis.

Culo de Maco (2225 m) : Pellaca ternifolia Cheilanthes

myriophylla, Lepicistis thyssanoleppis, Habenarico dis-

tans, OncidiumTuerckheimii, Ranunculus flagelliformis,Cardamine Jamesonii, Calliandra coracasana, Malpi-

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ghia martinicensis, Euphorbia Tuerckheimii, Fuclisia

Pringsheimii, Meriania involucrata, Thibaudia domin-

gensis, Manettia domingensis, Tetranthus hirsutus, Ilex

azuensis, Miconia Fuertesii, Lyonia dictyoneura, Ron-

deletia a/.uensis.

Los Vallecitos du Yaqui du sud (1300 m) : Eluphoglos-sum lepidotum, E. plicatum, Pilea melastomoides, P.

setigera,P.frutescens,Agrimonia parviflora,Apiurn amni.Linaria canadensis, Penelopeia suburceolata, Erigeron

pinetorum, Pilea dictyocarpa, Phenax paucifiorus, Cro-

ton azuensis, Salvia azuensis, Solanum orthacanthum,

Erigeron Fuertesii.

El Tetero (1400m): Ilex microwrightioides, Wallenia

apiculata.

Le nombre des espèces nouvelles et rares recueillies

par Fuertes au dessous de ces sommets et sur eux.n'est

pas très grand, parce qu'il ne pouvait rester que peude temps dans ces hauteurs peu habitées, et il avait à

receuillir les plantes en un grand nombre d'exemplaires

pour la vente. Pour ce motif il a peut-être négligé des

espèces très peu représentées et n'a pas plus cherché

sur les montagnes visitées plus tard celles qui étaient

déjà prises en quantités suffisantes. Peut être aussi queces districts là n'offraient pas quant à l'irrigation des con-

ditions aussi favorables que Valle de Constanza et Valle

Nuevo. En tout cas la liste montre une grande harmo-

nie dans la composition de la flore des hautes monta-

gnes de la Sierra de Cibao visitées par Türckheim et

Fuertes.

Tout le centre occidental de Pile, de Dondon et Val-

lière au nord jusqu'au lac Enriquillo au sud; et de San-

tiago, de Pico del Yaqui et rio Yaqui du sud à l'est jus-

qu'à l'autre côté de la frontière haïtienne est encore

terra incognita, au point de vue botanique.

D'autre part, la plus grande partie d'Haïti était relati-

vement bien explorée depuis le temps de Plumier

déjà. ( 1689—97 ).

Pour des raisons de géographie botanique, ainsi que

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— 34 —

nous le verrons plus tard, on peut diviser cette régionen deux moitiés et leur donner comme limite la plainesituée entre l'Etang saumàtre et le golfe de Port-au-

Prince

Malheureusement les anciens botanistes qui ont tra-

vaillé en Haïti, comme Plumier lui-même, (en partie)

Swartz, L. S. Richard, Nectoux. Martin, Poiteau ; et de

plus récents, surtout Bertero, Ehrenberg ( en partie) et

Picarda ( en partie) n'ont pas ajouté à leurs plantes des

notes d'origine, de sorte qu'on ne sait pas si leurs plan-tés viennent de la région au nord de la limite ou de

celle placée au sud. Pour cette raison il est nécessaire

de mettre à part clans notre esquisse de botanique géo-

graphique toutes les espèces qu'ils ont étudiées.

La connaissance plus exacte de la flore de la région

septentrionale d'Haïti est dûe tout d'abord à l'infatigableW. Buch qui, de 1899 à 1908, étant Gonaives, cutre-

prit des explorations nombreuses vers l'est, le nord et

le nord-ouest; ensuite aux professeurs du Collègue St

Martial à Port-au-Prince, le Père Picarda (Gonaïves,

Perrodin, Verrettes, Petite Rivière de l'Artibonite, St

Marc) et le Père Christ (district à l'est de Dondon); en-

fin aux voyageurs américains Nash et Taylor ( régionentre Port Margot Marmelade et Gonaïves).

La région entre St Marc et l'Etang saumàtre est encO-

. re passablement inconnue. En dehors de plaines éten-

dues on ne trouve que des montagnes de faible altitude;

quelques unes comme le Morue Fourmi, le Morne Piton,

le morne Béllauce, le Posté Ma rie Congo, les montagnesde Marmelade, ont une altitude de 1000 à 1250m. On ne

pouvait donc espérer y trouver de plantes des grandes

hauteurs, et on ne les a pas trouvées. Mais cela nous

conduirait très loin-si je voulais dénommer ici toutes

les espèces nouvelles [qu'on y a découvertes] ce quid'ailleurs n'a pas d'importance pour notre objet. Je me

bornerai à énumérer les espèces qui n'ont été trouvéesà Hispaniola que. dans le district en question, ensuite

les qualités des espèces nouvelles s'ajoutant aux endé-

miques.

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Les espèces connues sur le continent américain ou

dans d'autres Antilles et trouvées seulement dans la

région du nord d'Haïti sont: Alsophila aquilina, Lyco-

podium carolinianum, Podocarpus angustifolius var.

Wrightii, Juuiperus lucayana, Leptochloa fascicularis,Arundinia capillifolia; Cladium restioides var effusa,Acrocomia aculeata, Philodendron lacerum, Pitcairnia

xanthocâlyx, Dioscorea tamoidea;, Vanilla Wrightii,

Slenorrhy'nchus aphyllùs, Eulop'hia alta. Trenia molle,

Ficus aurea,: Fleurya cuneata, Aristoloehia caudata,

Atriplex crispa, Acride cirspidata, Nymphea Jainesonia-

na, Cercidiuin proecox (connu généralement- seulement

dans l'Amérique du Sud) Geesulpinin ciliâta,Pterocarpûs

officinalis,Mueuna pruriens, Phaseolusun!illanus,OxNalis

Martiana.Omphalea Triandra, Thouinidium pulveruleh-

tum, Bergia sessiliflôi'a; Cercus Vaupelii, Peireskia blei,

Miconiapteropoda,Mimusops albescens,Rauwolfia b'ra'u-

riculata, Evol-vulus alsinoides, Jacquemontia taninifolia,

Operculina populifolia, Heliotropium crispiflorum, Stàr-

chytapheta mutabilis, Angelonia angustifolia; Utrieula-

ria foliosa, Pàchystachys coccinea, Guettarda ovalifolia,

Seolosanthus densiflorus,, Eupatôrioin ivifolium, Ptero-cauton alopecuroideum, Clibadium surmannse-

pèces endémiques : Selanigella Nashii, Rhynchosia Bu-

chii, Goecothritïiax seoparia, Philodendron" angustatum,Tillandsia Buchii, Guzmania clavata, Epidendroh Bu-

chii, Péperomia montfum, P. peiindùtà, Ficus Plumèrii,

Pilea cyclophora, P. cephalophora, Schcepfia liaitien-

sis, Phtirusa subsessilis, Coceoloba incrassatà,C. Tay-

lorii, C. mornicola, Leptogônum Buchii, Magnolia do-

mingensis, Mimosa m'ôrnicoia, M. extrànca, (espècetrès surprenante, parente seulement de M. phillodineadû Brésil, avec des tiges plates à la manière dès phyllo-dinés— paraît bornée au district des Gonaïves.

Terre Neuve—Bilboro (Puilboreau)?» fuesalp'inia Bu-

chii, Poitea multiflora, Galaçtia synandra, Fagara

Nashii, Alvaradoa haitiensis, Bursera Nashii, Masca-

gnia Buchii, Triopteris Jacquemontii, Malpighia ovati-

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- —36 -

folia, Phylanthus Buchii, P. brachyphyltus, Crolon wal-

therioides, C. megaladenus, C. chaetodus, Omphaleacommutata Euphorbia parciflora, E Turpini, Spondias

brunea, Schaefferia ephedroides, Elaeodendron Ehren-

bergii, Serjania, culeolata, Thouinia simplicifolia, Sar-

comphalus crenatus. CissusBucchii,C. Picardae, C .ma-

cilenta, Abutilon inclusum, Pavoniapunclata,NeobuchiaPaulinae, Ouratea cinerea. Ternstroemia Nashii, Passi-

fiora bicrura, Cereus Vaupelii,C. paradisiacus, C. panni-

culatus, C. undulosus,Melocactus hispaniolicus, Mamrni-

laria glomerata, Opuntia testudinis crus, Cuphea urens,

Eugenia mornicola, E. blepharidantha,Miconia calycina,

M.multiglandulosa,M. Buchii, Chrysophyllum platyphyl-

lum, Lisianthus domingensis, Leiphaimos domingensis,Plumeria Paulinse, P. giblosa, P. tuberculata, Metastel-

ma semuluns, Ipomoea rubrociueta, 1. nematophylla,Cordia; haitiensis, C. Nashii, Beureria Nashii, Heliotro-

pium dichroum, H. haitiense, Lantana Buchii, Salvia

brachyphylla, S. Buchii, Cestrum heterophyllum. Tabe-

buia acrophylla, T. Buchii, Ruellia lepidota, Odontene-

maChristii,Stevensia buxifolia.Catesbaea sphoerocarpa,C. microcarpa, Guettarda saxicola, Psychotria morni-

cola, Morinda Buchii, Mitrocarpus haitiensis, Tricho-

santhes amera, Eupatorium tapeinanthum, Mikania

Buchii, Vernonia Buchii, Baccharis haitiensis. Pectis

pusilla, Anastraphia Buchii.

Le nombre de ces espèces d'Haïti septentrionale, ra-

res et nouvelles, trouvées jusqu'à maintenant dans cette

seule région est de 150 dont 48 se trouvent aussi hors de

Pile ; 102 espèces sont endémiques.

Les descriptions dominées jusqu'à présent se rap-

portaient à la partie nord de l'île, qui est la plus

grande. Maintenant nons nous tournons vers la partieméridionale de l'île, plus petite, séparée de la partie

septentrionale par une dépression qui court à peu prèsvers le sud du golfe de Port-au-Prince, via l'Etang sau-

màtre et le lac Enriquillo au golfe de Neiba.

(à suivre)

Page 42: vol4_9

Avènement du Général Fabre Geffard

par Antoine Michel

Nous avons reçu avec plaisir un nouvel ouvrage de

Me Antoine Michel : Avènement du général Fabre Gef-

jrard à la présidence d'Haïti.

C'est le quatrième qui a paru au cours de l'année

dernière.

L'auteur parle, avec beaucoup de détails, de la révo-

lution du 22 décembre 1858 qui amena la fin de l'Empirede Faustin 1er. Les circonstances de la trahison de Gef-

frard, son chef d'Etat-Major, à qui l'Empereur avait

accordé non seulement toute sa protection, mais encore

sa confiance et ses faveurs, sont exposés avec netteté.

Dégoûté du pouvoir, ou tenant compte de son grand

âge, il refusa de verser le sang de ses concitoyens pourse défendre.Il abdiqua et gagna l'exil.

Arrivé à Kingston (Jamaïque), ses principaux adver-

saires politiques, aidés de nombreux Jamaïcains, pro-

voquèrent contre lui lui une manifestation des plushostiles

Au cours de la révolution, Geffrard s'était empresséde se faire proclamer président à vie. C'était là une

anomalie des plus étranges... Pourquoi avait-il renver-

sé l'Empire pour établir la République dans ces condi-

tions?.., Aussi, se signala-t-il par certaines mesures quine sont pas à sa gloire. Il eut à réprimer, pendant les

huit année? de sa présidence quinze insurrection? ef

fusilla quarante trois citoyens pendant les quatre picmières années pour se maintenir. Parmi eux, se trouve

Aimé Legros, l'homme même qui l'avait aidé à renver-

ser l'Empire....

Pour mieux apprécier l'importance de l'ouvrage, il

. faut lire une des deux lettres que l'auteur a adressées à

son fils, Gérard, comme représentant de la jeunesse,^-

Page 43: vol4_9

— 38 —

où il établit,avec une connaissance.très approfondie des

événements, l'échec du libéralisme en Haïti.

Nous avons eu une série de chefs militaires qui, pourarriverait pouvoir ne firent que des promesses fallacieu-

ses au peuple, car ils ne tardèrent pas à oublier les

principes au nom desquels ils avaient lutté. De là toutes

nos révolutions

Geffrard, simple chef d'Etat-Major de l'Empereur quine parvint à la présidence que par suite d'une conspi-ration du Palais,—était mieux placé pour modifier le

régime militaire établi depuis 1804 et qui a tant paralysé,l'évolution normale du pays. Il fit n'en rien et s'aliéna parune série de fautes la sympathie de ses concitoyens.

L'ouvrage est écrit dans un style simple, et clair. Il

démontre positivement.que ceux qui se sont occupésd'Histoire d'Haïti, Ont beaucoup contribué.à créer des

légendes autour du gouvernement de Geffrard. 11 fallait,

avec pièces à l'appui, les faire tomber dans l'intérêt de

la jeunesse dont ils faussaient l'esprit. C'est là le princi-

pal mérite du nouvel ouvrage de Me Antoine Michel.

Nous remercions vivement l'auteur de son gracieuxenvoi.

On trouvera l'ouvrage au prix de cinq gourdes l'exem-

plaire, Aux Armes de Paris, Grand'Rue; à la Pharmacie

du Dr. Coicou, Lalue; et au Cabinet de notre trésorier,Me Henri Adam Michel, Rue du Peuple.

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Notes et Nouvelles

Conférences prononcées à la Société d'Histoire et de

Géographie d'Haïti (suite) Année 1932.

190. Dr. Clément Lanier. — La campagne des Florides

de 1781-et de la participation des régiments, du Cap et

de Port-au-Prince. — Des chasseurs royaux de St-Do-

mingue à Pensacola avec les troupes espagnoles. 24 avril

1932.

20o. C. Rigaud.— L'économie politique; les taxes in-

ternes ; le Monopole, le sel etc. 8 mai 1932.

21o. Dr. C. Pressoir. — Introduction à la géographie

économique d'Haïti. 22 Mai 1932.

220. L. C. Lhérisson. —Monographie de Miragoâne.—

Boyer Bazelais, chef du parti libéral. — Ses malheurs.—

Sa mort à Miragoâne.— 12 Juin 1932.

230.Mme Théodora Holly: Le génie national et ses dé-

viations expliqués d'après les points cardinaux avec

illustration, 26 Juin 1932.

240. Garcia Tallevrand.—

Raymond Cabêcte, 10

Juillet 1932.

250. Arthur Bonhomme. — La jeune génération litté-

raire haïtienne, 24 Juillet 1932.

200. Octave Petit. — Défilée-la-Folle, (lue par le Dr.

Pressoir le 9 octobre 1932.)

270. Me Justin Kénol. — Mathurin Lys.— Le parle-

mentaire. 23 Octobre 1932.

280. Me F.Salgudo.—L'évolution des salaires en Haïti,6 Novembre 1932.

290. Me Raoul Lizaire. — Deux conceptions du pou-voir : autocrates et libéraux clans notre Histoire, 20 No-

vembre 1932.

300. Mme Chrysostôme Rosemond: Jean JacquesDessalines. — 4 Décembre 1932.

310. Christian Werleigh.—Delorme, 18Décembre 1932.

Page 45: vol4_9

— 40 —

Me. Henri Terlonge, l'éminent professeur de Droit

Constitutionnel à l'Ecole Nationale de Droit, ouvrira le29 Janvier 1933, à dix heures du matin, la série des

conférences de quinzaine de la Société, à l'Amicale du

Lycée Pétion.

Le sujet sera : Le général Boisrond Canal et le libéra-

lisme haïtien.

La Société d'Histoire et de Géographie d'Haïti compteinfiniment sur le concours des membres, des amis et

des abonnés pour soutenir son oeuvre éminemment pa-

triotique durant tout le cours de l'année 1933 où d'im-

portantes conférences seront prononcées sur des sujetsvariés.

Le Gérant : Dr C. Pressoir

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MATHURIN LYS

Conférence prononcée le dimanche 23 Octobre 1932

Au Docteur CLÉMENT LANIER

Sincère et respectueux hommage.

Mesdames,Messieurs,

Un homme a su comprendre ces vers du poëte :

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont »" Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme et le front; »

Il a vécu, cet homme; il a lutté par la plume autant

que par l'épée, non seulement pour parvenir à des fins

Supérieures, mais encore pour être utile à toute une

collectivité, pour contribuer au relèvement de touteune Nation. Cet homme a fait d'une tribune une chaire

sacrée d'où il devait de sa, voix la plus forte prêcher

des paroles de paix et de concorde à ses frères assem-bles et essayer par ainsi de préserver son Pays de la

perte de son autonomie.Pèlerin de la Pensée, il m'a été donné de le rencon-

trer en fouillant l'histoire.Je l'ai trouvé grand... Je l'ai trouvé beau... Et c'est

pourquoien témoignage d'admiration, je me permets

aujourd'hui de l'offrir en exemple aux hommes de ma

génération.

MATHURIN LYS,— Le Parlementaire

Au milieu de la tourmente révolutionnaire de l'année

1868, un homme avait surgi. L'Anse-à-Veau l'avait vunaître. Fils de héros, de bonne heure il était épris de lacarrière des armes. Aussi, bien qu'il fût doué d'une

'ÏD/rie culture intellectuelle,— ce qui pourrait le dis-

poserd'avoir à partager l'existence inquiète et trou-

blée du soldat,— tâcha*til de conquérir l'un des plusbeaux titres de gloire auxquels pouvait aspirer touthomme de son époque.

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Et il était devenu général. Mais quel général!.. Pa-triote sincère autant que généreux, on le rencontrait

partout où il y avait à revendiquer les droits du peuple,à défendre les intérêts supérieurs de son Pays à l'évo-lution duquel il entendait puissamment contribuer.

Or, un beau jour la faveur populaire fit de lui un

Député du peuple. Jacmel qu'il avait choisie commelieu de résidence et dont il était l'élu ; Jacmel qui avaitdes témoignages éloquents de son dévoûment à lachose publique pour l'avoir eu comme Commandantde l'Arrondissement de ce nom et comme Administra-teur des Finances, Jacmel, non sans raison en fut ex-

cessivement fière.A une époque où les luttes tribunitiennes étaient

fréquentes, où les Armand Thôby, les Boyer Bayelais,les Eugène Margron entre tant d'autres, faisaient re-tentir de leur mâle éloquence les voûtes du Palais

législatif d'alors, il sut briller, sans conteste, au pre-mier rang.

Et maintenant encore, quand on se donne la peine de

jeter un regard vers le passé, de cultiver toute labelle poésie qu'il y a dans ce passé, poésie dont nousavons besoin pour vivre, s'il faut en croire Lavisse, onne peut s'empêcher de rendre un éclatant hommage au

grand savoir,—

que dis-je ?— à toutes les vertus cito-

yennes qui ont valu et valent encore à Mathurin Lys le

respect et l'admiration de tous.Jamais Représentant du peupie, mettant de côté ses

intérêts propres, n'a défendu avec plus de véhémenceles droits de ses mandants.

Aussi, est-ce parce qu'il fut toujours prêt à dire le molde justice et de vérité,- quelque péril qu'il y eut à le fai-

re,- que je me plais à voir en lui un patriote dansle sensle plus noble du vocable.

La chambre de ce temps là était fière d'un tel Député,le Pays d'un tel fils.

D'une dialectique toujours sûre, il ne gravissait jamaisla tribune dans Punique but de recueillir les applaudisse-ment enthousiastes d'un auditoire d'élite, il le faisait plu-tôt toutes les fois qu'il y avait un principe à faire respec-ter, un bien à réaliser au profit de la Collectivité.

Et alors, dans la forme la plus châtiée que l' on puisseimaginer que d'arguments topiques ne présentait-il pas?

Il n'y a en cela rien d'étonnant.

Ancien élève de l'Ecole. Polymatique de Port-au-Prince où le pédagogue averti que fut Louis Séguy

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— 3 -

Villevaleix avait mis tous ses soins à former son

esprit autant que son coeur, Mathurin Lys qui eut à

son Collège infiniment de succès avait une très net-

te compréhension de ses droits et de ses devoirs en

même temps qu-il possédait à un très haut degré, ce

que l'on est convenu, d'appeler le désir d'exceller.

Or, il avait étudié pour savoir, il avait étudié pour

comprendre, il avait étudié surtout pour savoir acquérirle maximum de connaissances susceptibles de lui per-mettre d'avoir, non seulement une volonté forte, éclai-

rée, mais encore tout ce qu'il fallait de jugement, de

courage et de compétence réels pourdéfendre les in-

térêts de tout un peuple et dominer, en un mot, les

événements de son époque.

Au lendement des élections législatives de 1876 il en-

tra donc au parlement, le coeur plein d'enthousiasme,

persuadé que toutes les idées qui faisaient sa hantise

allait littéralement se réaliser. Une ère de rénovation,selon lui, venait de poindre pour Haïti. Aussi, pouvait-ii

espérer à bon droit, qu'avec le concours de ses pairsil parviendrait à faire mettre en pratique tous les prin-

cipes au non desquels il avaient lutté et combattu.

Une conception absolument élevée du régime par-

lementaire, des devoirs de chaque citoyen dans une

démocratie devait par ailleurs lui accorder la faculté

de grandir au niveau des législateurs le? plus remar-

quables de la chambre des Communes à laquelle il

appartenait.En 1876!...L'histoire rapporte que cette année fut

une année d'agitations sans cesse renaissantes et de

luttes sans nombre. On était, en effet, au lendemain

de l'emprunt Domingue, à une époque où Brismard

Brice et Monplaisir Pierre fort estimés à Port-au-Prince,

traqués par la soldatesque effrénée venaient d'avoir

une fin des plus tragiques.Les esprits,— on se le rappelle encore,— étaient

d'un bout à l'autre de la République tellement surex-

cités que devant l'émeute grandissante, Domingue et

Rameau, son Vice-Président, durent abandonner le

pouvoir.Les Candidats à la Présidence d'Haïti devenue va-

cante étaient alors Boyer Bazelais, ancien élève du

Lycée Charlemagne de France, où il avait clôturé de

brillantes humanités par un succès au baccalauréat en

1853 et qui s'était fait commissionner par le gouver-nement de l'Empire, avocat du barreau de Port-au-

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—- 4 -

Prince et Boisrond Canal, libéral opportuniste, que debrillantes qualités, en dehors de sa bravoure légen-daire, désignaient à l'attention de ses concitoyens.

Deux partis politiques à cette même époque s'étaient

formés,à la Chambre, le parti libéral dont Bazelais

lui-même était le chef et le parti National que dirigeaitle grand Tribun du Nord, Demesvar Délorme.

Au milieu dès dissidences de toutes sortes qui s'é-taient élevées le 17 juillet 1876 à l'occasion de l'électiondu Président de la République, le Député de jacmel,planant au dessus des difficultés de l'heure et mettantde côté toutes questions d'amitié ou de sympathie, sutfaire son devoir jusqu'au bout.

Il ne voyait, certes, pas le profit personnel qu'ilpourrait obtenir en s'abstenant de prendre part auxdébats du jour, il prévoyait plutôt les conséquencesfâcheuses qui pourraient résulter de son abstention,et c'est pourquoi, sans doute, après avoir rendu hom-

mage aux grandes qualités de Boyer Bazelais, aprèsavoir considéré tout ce qui pourrait advenir si après leGouvenement militaire dont le 16 avril 1876 était leterme on donnait au Pays un Gouvernement civil,dans un discours d'une fort belle venue il s'exprima dela manière suivante:

«Le Général Boisrond Canal est l'homme du gou-vernement de transition qu'il faut à la République.«Citoyen honnête autant que soldat intrépide,, il saura«la Constitution de 1876 à la main, rallier toutes les

«opinions et justifier la confiance que les Mandataires«de la Nation lui auront accordée en lui conférant la

«première Magistrature de l'Etat.« Le moment est décisif, Messieurs, n'hésitons plus;

«laissons s'évanouir nos rêves enthousiastes, reve-« vons énergiquement à la réalité; rendons hommage«aux grandes qualités du citoyen Boyer Bazelais, mais«faisons ce que la raison et le Pays réclament de nous.

«Oui, le Pays, Messieurs; Nous sommes mandataires«delà Nation, et si nous tenons à nos devoirs, nous«avons pour mission devant l'Urne législative défaire«taire nos sentiments personnels ou mieux de lâcher«de les concilier avec les sentiments et les voeux de lu«Nation.

«Votons donc, Messieurs, votons pour le Solda t-Gito-

«yen, votons tous pour Boisrond Canal. »

A la minute où. il,parlait ainsi, Mathurin Lys ne con-

sidérait pas la question de partis. Sa grande clairvo-

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— 5 —

yance politique lui ayant dicté les idées à la réalisationdesquelles il devait travailler, il. crut de son devoir deles exprimer en toute liberté.

Dès qu'une question d'un grand intérêt était soule-vée à la chambre, il prenait plaisir à voler de foisà autres à la tribune. Mais la Tribune, Mesdames,

Messieurs, n'était pas pour lui un tréteau que l'ondevait gravir pour dire le contraire de ce que l'on

pense, pour mentir au peuple après avoir obtenu ses

suffrages, ni pour profaner les institutions de son pays.La Tribune était pour lui mieux que cela. C'était pourlui l'autel de la parole « qui veut comme lès autels dela prière, du recueillement et du respect », c'était enfinla chaire sacrée d'oà il devait exprimer sans craintede déplaire toutes les pensées généreuses dont son coeurdébordait comme une urne trop pleine.

Il en donna la preuve en maintes circonstances. A laséance du 16 août 1876, est-il rapporté, on discutait lamise en accusation de Dominguu. D'après le DéputéThoby, Domingue n'était qu'un usurpateur, comme telil n'était pas justiciable de la Haute cour de justice,mais bien des Tribunaux ordinaires.

Le Député Lys, à cette séance assez tumultueuse,ne laissa pas de se faire entendre. Avec sa logiquehabituelle, il essayait de contredire sou éminent et dis-

tingué-collègue quand on lui rappela sans doute qu'ilne plaidait la cause de Domingue que parce que par-tisan de 1

Domingue. Tandisqu'alors sur divers bancsde l'asemblée des murmures et des protestations detoute une foule exacerbée s'étaient élevés contre lui.« Je dis la vérité, s'écria l'Honorable Tribun. Je ne suis

«pas l'homme d'un homme. J'étais Dominguiste mais le« jour que le général Domingue a violé les institutions« du Pays, je lui ai tourné le dos l'ai laissé tout seul«aller à l'abime.

Puis, s'enflamant de plus en plus, « renvoyons-le de-« vant la Haute cour de justice.Le Sénat fera son devoir.« Si jamais je venais à être chargé de soutenir son« accusation, je remplirais cemaudat avec tout le patrio-« tisme que je sens dans ma poitrine de citoyen.»

Pour parler ainsi, le Député de Jacmel était certai-nement d'une haute moralité et d'une indépendance àtoute épreuve. Il n'était pas de ceux-là de son époque,assez rares du reste, qui s'agenouillaient aux pieds des

gouvernants et chantaient sanscesse la palinodie envue d'obtenu- des faveurs de l'Etat. Il planait au dessus

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de toutes compromissions déshonorantes, s'évertuant

toujours à bien faire pour rester en harmonie avec sa

conscience, pour pouvoir toujours mériter l'estime et

la haute considération de ses concitoyens.

Certes, Il pouvait être l'ami d'un Chef d'Etat, contri-

buer à son avènement au pouvoir. Mais dès que celui-

ci s'écartait des, voies tracées par la loi, se révélait

despote ou arbitraire, c'est encore lui qui se dressait

pour flageller sa conduite ou pour lui indiquer, la voie

qui conduit au salut.

Il était toujours beau, se surpassait toujours des qu'il

s'agissait, en effet, pour lui, de faire observer la lettre

delà Constitution ou certains principes sans l'applica-tion desquels,l'ordre et la Paix sociale seraient souvent

troublés. Il avait au surplus un tel souci du bien publicet tant de scrupules qu'en exécutant.le mandat qu'ilavait reçu delà vaillante population de Jacmel, il lit

tout ce qui pouvait dépendre de lui, non seulement à

l'effet d'avoir la satisfactyop, devoir accompli, de

faire rayonner .autour de lui la justice, la vérité, mais

surtout de ne; jamais avoir de reproches à soutenir de

la part de ses électeurs qui le vénéraient à l'égal d'undemi dieu et de la Nation qu'il travaillait à rendre réel-lement grande,'prospère.

Pour lui, une opposition parlementaire pouvait naîtrede circonstances diverses et avoir su raison d'être

lorsqu'elle n'avait pas pour but essentiel de, contre-carrer les desseins de l'Exécutif sans raisons plausi-

bles, mais de sauvegarder plutôt les intérêts publics.Ce n'est donc pas lui durant le cours de sa carriè-

re parlementaire qui se dresserait contre le Pouvoir

pour obtenir le rejet de certaines propositions suscep-tibles de produire de bons effets, des résultats im-médiats.

N'est-ce pas lui qui disait à l'Assemblée Nationaledu 26 Septembre 1876:

«J'appartiens au Pays et à ses institutions, avant« d'être l'ami du Gouvernement du Président Boisrond« Canal.

« J'ai toujours été d'accord avec le pouvoir en donnant« mon concours à ses vues bonnes et utiles, mais je« ne suis pas appelé à le suivre dans les écarts qu'il« veut commettre.« Je le laisserai aller,seul..Je,ne puis donc partager l'o-« pinion du pouvoir Exécutif qualifiant d'inconstitu-« tionnel le décret de l'Asemblée Natonale!

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L'orsqu'il s'était agi d'honorer la mémoire des géné-raux Monplaisir Pierre et Brice, un projet de loi a-

vait été soumis à la Chambre des Communes.Le troisième article y relatif réclamait en faveur des

familles des généraux prénommés, entr' autres choses,une indemnité de vingt mille piastres pour, chacuned'elles.

Plusieurs membres de la Commission qui avait été

formée à cet effet s'étaient exprimés dans le sens de

l'indemnité.

Le Député Lys qui en était rapporteur, lui, était d'aviscontraire. Dans un rapport des plus circonstanciés ilécrivait ceci:

« Vu la pénurie dans laquelle se trouve en ce mo-« ment les trésors de la République; vu la triste impos-« sibilité dans laquelle se trouve l'Administration Su-« périeure pour se libérer envers les serviteurs du pays,« dans les différentes branches du service public, Vu

«enfin la nécessité impérieuse qu'il y a p?ur la Nation«de songer, en première ligne, à payer les dettes« d'honneur dont elle porte le lourd fardeau, en ce mo-« ment, avant de songer à faire autres dépenses que«celles d'utilité publique; vu ces considérations ci-« dessus énumérées, la Commission a cru prudent et

«sage de changer le principe d'une indemnité de vingt«mille piastres en une rente viagère de cent piastres

«par mois à chacune des deux veuves Monplaisir« Pierre et Brice."

Le 19 septembre 1876, une pétition des citoyens deMirebalais accusait le Commandant de l'Arrondissementde l'endroit d'attentat contre la liberté individuelle. LaChambre fut saisie de l'affaire. Mathurin Lys sollicitala parole et fit ressortir qu'en vertu de l'article 16 dela Constitution les parties n'avaient qu'à s'adresser

1aux

Tribunaux, la Chambre ne pouvant s'occuper d'uneaffaire qui n'est pas de, son ressort. j Si

Le 9 octobre 1876 il votait le maintien des Inspec-teurs de culture. L'agriculture étant la principalesource de richesses du Pays, il désirait qu'elle fûtsérieusement contrôlée pour le plus grand bien de laNation.

A la séance de ce jour il disait:« Puisque la question est en débat, je demande que

« mon idée devienne une réalité et que je parte d'ici«avec le titre d'Inspecteur de culture^ de l'Arrondisse-«ment de Jacmel.» -..:.•

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— 8 —

Le 18 octobre de la même année il intervenait dansles débats pour demander à ses collègues de faire droità la réclamation d'un commerçant étranger répondantau nom de Mallet qui était chargé de fournir à,l'Etatdes provisions de bouche et de guerre pendant la ré-

volution^de 1868.

Le 19 du même mois on devait discuter sur les man-dats d'amener et de comparaître lancés par le Comitédit des cinq contre Nissage Saget. Le Député de Jac-mel expliqua qu'il avait des raisons personnelles quil'empêchaient de prendre part aux débats. Mais corn-me en l'occurrence des mots malheureux avaient été

prononcés contre l'Ex-Présideut de la République, ilen fut si indigné qu'il apprit à l'assemblée,— après qu'ilavait donné à entendre que le général Nissage Sagetdevait être traité av^c tous les égards dus à la hau-te fonction qu'il a occupée dans l'Etat,—«que le parle-mentarisme consiste surtout à faire que les bonnesmanières et la bonne éducation président à tous lesactes de la vie officielle.»

Le 23 février 1877, il était question de prise d'armesà Port-au-Prfnce. Plusieurs citoyens à tort ou à rai-son avaient été arrêtés. Le 21 mai de la même année,le Ministre de l'intérieur Armand Thoby et le Minis-tre de la Justice D. Jean Joseph répondaient à une

interpellation de la Chambre. La Constitution de 1867

qui était extrêmement libérale, Constitution qui coûtatant de sang et de larmes au Pays .était encore en

vigueur.

L'interpellateur Lys à cette séance sensationnelle,dans un discours qui tut salué par de chaleureux ap-plaudissements, déclara que ces arrestations ayant étéeffectuées sans qu'aucun mandat ait été décerné contreles prétendus conspirateurs, le principe de la libertéindividuelle si nettement exprimé dans notre Charteconstitutionnelle était violé. Il protesta énergiquementau nom de la Constitution contre les illégalités com-mises.

La Chambre, après l'avoir entendu et obtenu des ex-

plications des Ministres d'alors, dit tout le regret qu'elleéprouvait de constater que les autorités n'avaient pasemployé les formes légales dans les arrestations du23 février.

Le 21 Juin 1877, le Conseil des Secrétaires d'Etat

après une panique qui eut lieu à Port-au-Prince avaitété aussi interpellé pour s'expliquer sur la situation

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politique du Pays. Le Tribun général prit encore la

parole et cette fois se fit applaudir tant par l'auditoire

que par les Membres de l'Assemblée délibérante.

Enfin, le 27 août, après de longs jours de maladie,

l'Honorable Député reparut à. la Chambre pour assister

à la fermeture d'une session au, cours de laquelle il

avait travaillé du meilleur de lui à donner pleine et

entière satisfaction à la vaillante cité dont il était l'élu

et à la Nation qui l'observait.

Il rentrait chez lui., le front auréolé de gloire, heu-

reux d'avoir su exécuter avec honneur et indépen-dance le mandat qu'il avait reçu.

On est en 1878. La Chambre ne retentit plus de lu voix

sonore de son distingué Représentant. Libéraux Ba-

zelaizistes et libéraux Canalistes ont l'esprit des plussurexcités. On conspire dans Port-au-Prince. Le Gou-

vernement de Boisrond Canal résiste encore... Mais

voici venir l'année 1879. De nouvelles élections légis-latives ont lieu. La population de Jacmel mue par-un sentiment de reconnaissance sincère accorde une

nouvelle fois ses suffrages à l'homme dont le nom

devait rester à jamais attaché à la quinzième légis-lature.

Il reparait à la Chambre le 23 avril 1879. C'est l'épo-que des réalisations. Il vole à la Tribune. Il parle.. Ses

paroles sont celles d'un apôtre du bien, celles d'un cito-

yen qui travaille avec autant d'ardeur que de désinté-

ressement à la gloire et à la prospérité de la Nation.

Le Peuple, dit-il,Messieurs, est fatigué de discussions

politiques stériles. Il voudrait être mieux instruit,mieux nourri, mieux vêtu. Il termina son discours parces paroles vibrantes de patriotisme:

«Ecoutez, je vous en supplie, Messieurs, le cri qui

«s'échappe de ma conscience de citoyen. Je ne suis

«point venu chercher ici à m'imposer à votre attention

«dans aucun intérêt étroit ou personnel. La grande«voix du devoir que j'écoute en moi avec la ferveur« d'un coeur dévoré de l'amour de mon Pays, m'a seule

«décidé dans cet instant solennel à prendre la parole« pour vous demander, au nom de notre patrie agoni-« santé, de faire le sacrifice de nos rivalités de toutes

«sortes, d'oublier toutes nos autres prétentions pour« ne nous préoccuper que de la plus noble dé toutes,«celle, de faire quelque bien à notre pays qui a les

« yeux fixés sur nous, et anxieux, attend notre décision

«qui sera son salut.»

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Au dire d'un chroniqueur, en juin 1879, il proposaà ses collègues de demander à l'étranger 12 maîtres

cordonniers, 12 maîtres tailleurs, 12 maitres tanneurs

pour être placés dans les plus grands centres de la

République avec mission de faire des élèves, de créerun port franc au Môle Saint Nicolas; de destiner enfin

137, 752 piastres dépensés par l'Etat chaque année pourfrais de location affectés aux bureaux publics, à consti-

tuer et à assurer le service des intérêts et l'amortisse-

ment d'un capital qui serait employé à construire des

édifices publics.

Le 6 juin 1879, il retourna à la Chambre des Com-

munes. Mais cette fois, ne pouvant être d'accord avec

la plupart de ses collègues qui enfreignaient, si l'on peutainsi dire, certaines règles, certaines convenances,

parlementaires, Mathurin Lys, au grand regret de l'As-

semblée dont il faisait partie, déposa sa démission de

Député du peuple.La Chambre protesta énergiquement contre sa façon

de procéder et refusa sa démission. Il remercia du meil-

leur de lui les orateurs qui lui avaient adressé la paroleen cette circonstance et après leur avoir expliqué qu'ilne voulait pas que ses actes actuels fussent en désaccordavec son passé politique il leur dit de son verbe le plushaut :

«Je maintiens donc ma résolution et cette résolution« est irrévocable, irrévocable, irrévocable.»

Le 30 juin 1879, vingt-quatre jours après qu'il s'était

séparé de ses Collègues tandis que l'on discutait la va-

lidation des pouvoirs du Député Masillon Tardjeu, unedétonation s'était fait entendre à la Chambre des Com-munes :

C'était le signal d'une insurrection que l'on couvait

depuis longtemps à Port-au-Prince et qui avait pour-chefs Edmond Paul et Boyer Bazelais. Cette malheu-

reuse équipée qui eut surtout pour théâtre la rue pavéecoûta la vie à Auguste Bazelais, à Charles Bazelais,à Auguste Montas d'un côté et de I autre au général

Chrysostome Fiançois, Ministre de la guerre du gou-

vernement, tous dés citoyens remarquables dont onne peut que déplorer la perte par trop prématurée.

Le Président Boisrond Canal, ce jour là, déléguavainement auprès des conjurés Mr Darius Denis, Pré-sident du Sénat d'alors, et son collègue Morin Montasen vue d'une entente. Vainement aussi le Corps di-

plomatique et lés Sénateurs Denis, Lamour et Ferrus

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- 11 -

proposèrent les conditions suivantes aux membres de

la conjuration :

«Amnistie pleiue et entière pour tous à l'exception« de Bazelais et de Paul».

La lutte se poursuivit donc et après quatre joursd'une résistance assez acharnée de part et d'autre, les

libéraux furent vaincus.Boisrond Canal, malgré sa victoire résigna ses fonc-

tions le 17 juillet 1879.

«J'emporte la conscience d'avoir rempli mon devoir,« eut-il à dire, et la consolation d'avoir tout fait pour«éviter l'effusion d'un sang précieux.»

Il ressort de tout ce qui précède que si Mathurin Lysavait prévu les événements qui devaient s'accomplir,ii né voulait pas y prendre part.

Certes, il avait gardé un souvenir si douloureux,des luttes intestines qui avaient ensanglanté le paysdepuis la grande Révolution de Praslin, 'a terrible

guerre dite des Cacos jusqu'à la révolte qui occasionnala chute du gouvernement de Domingue qu'il savait

par expérience, les conséquences tout à la fois effro-

yables et désastreuses qui pouvaient résulter pour sou

Pays d'une revendication quelconque.

Et, c'est pourquoi, sans doute, en déposant sa dé-

mission de mandataire de la ville de Jaomel sur les

Bureaux de la Chambre à la séance du 6 juin, il eutà supplier ses collègues de faire le sacrifice de leurs

rivalités de toutes sortes pour ne travailler qu'au bienêtre de la Nation.

Mais revenons à Boirond Canal. Il avait démissionné,avons-nous dit. Cependant la situation politique de la

République était encore assez chaotique d'autant plusqu'aux Gonaïves, à Jacmel, au Cap Haïtien et ailleurs denombreux citoyens considérant le Bazelaizisme commeune sorte de religion, étaient restés fidèles au chefde leur parti. Vaincus à Port-au-Prince les libéraux

qui ne s'étaient pas tenus pour battus s'étaient rendusaux Gonaïves à bord du navire allemand le Teuto-nia et avaient repris l'offensive.

Cette odyssée mémorable devait encore leur êtrefuneste. En effet, le 17 août 1879, les troupes du Gou-vernement avec Hériston Hérissé pour chef avaientenvahi la cité de l'Indépendance.Or, après que bien des faits malheureux s'étaient ac-

complis, que tout un peuple angoissé pleurait encoresur les mines accumulées par toute une série de luttes

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fratricides, le 23 octobre 1879, l'Assemblée Nationale

presqu'à l'unanimité, élisait Lysius Salomon, un ancien

proscrit qui avait connu vingt longues années d'un

exil des plus amers, Président de la République.Durant toute .cette période d'agitations, d'efferves-

cence politique, Mathurin Lys, sans prendre part aux

événements, déplorait en silence les malheuis de saPatrie.

Dans le débordement qui entraînait'toutes les cons-ciences, sa conscience à lui de même que sa réputa-tion avaient pu surnager 'suivant un écrivain. Pour-tant son attitude n'avait pas laissé d'inpirer une certainecrainte.

.Etait-ce parce qu'on le savait capable de resolutions

énergiques? Etait-ce parce qu'il avait la confiance dela Nation ou parce qu'il était comme on l'a souvent

prétendu l'un des auteurs de la mort du généralVil Lubin? Etait-ce en dernière analyse parce que dansun article intitule: « Lettre sur la situation paru.dansle journal « Le Peuple » il avait combattu,la candidaturede d'ex-Ministre des Finances de l'Empereur Sou-

louque ?..Une chose, entre' toutes, demeure certaine, c'est

que depuis qu'il était,rentré dans la vie privée, Pex-

Député de Jacmel menait une vie paisible, presquesolitaire.

II'mena .cette même existence tranquille, adonnéeà la: la culture de: ses champs jusqu'au Jour où l'oncrut devoir faire de lui un membre d'une conspira-tion-qui se tramait à Jacmel.

Il fut arrêté au moment où il s'y attendait le moins,conduit de ville en ville, de calvaire en calvaire,—si vous aimez mieux,—jusqu'à la prison de Saint-Marc

où, avec beaucoup d'autres, il dut subir une assez

longue détention.

Cela se passait au mois de février 1882. Au coursdu mois d'avril de la même année, il paraissait avec

Mentor Nicolas, Théophile Parisien, Larose Antoine,Georges Hentgens, Dasny Latortue et divers autres

citoyens des plus distingués devant un Conseil de

guerre ayant pour accusateurs militaires le généralHenri Cadet père des Gonaïves, avec, pour adjoint, legénéral de brigade Méronvil Désinor.

Débats orageux. Le garde à vous des clairons, querépercutaient de quart-d'heure en quart d'heure lesclairières des montagnes, qui environnent Saint-Marc,

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le cliquetis des baïonnettes d'une soldatesque assoiffée

de crime et de vengeance, le roulement des tambours

qui se faisaient entendre de fois à autres avaient, con-

tribué à donner aux diverses audiences du Tribunal

formé pour la circonstance, un cachet de solennité

d'autant plus étrange qu'il n'avait pas laissé d'inspirerà toute une population attristée un certain sentiment de

crainte mêlé d'effroi.

En somme de quoi Mathurin Lys était-il coupable?

quelle faute grave avait-il commise?

L'accusatiou révéla qu'il avait catégoriquement dé-

claré, alors qu'il appartenait à lu Chambre des Com-

munes «que le jour où le général Salomon viendrait, à

«être élu Chef de l'Etat il prendrait les armes contre

«l'Elu; elle fit ressortir en outre que l'autorité qui ne

« cessait d'épier toutes ses mauvaises menées a été

«averti par des dénonciations réitérées qu'il se propo-« sait de trancher la tête au Commandant de l'Arron-

« dissement de Jacmel afin de donner le signal d'un

«mouvement qui allait s'y effectuer à sa diligence sui-

« vaut la promesse qu'il avait faite à ses coréligion-« naires politiques notamment à l'accusé A. Thoby qui,« par son mot d'ordre lancé de St-Thomas, avait poussé« Désormes Gresseau et consorts à. lever l'étendard de

«la révolte dans la ville de Sain-Marc afin que Port-

«au-Prince, Gonaïves et Jacmel pussent y répondre.»

Voilà entre mille autros les faits qui devaient servir de

base à l'accusation et sur lesquels il devait s'expliquer.

Mathurin Lys qui n'avait jamais appartenu au par-ti libéral, qui au Parlement avait toujours su planer au

dessus des querelles de partis, démontra avec tout le

courage et toute la fierté qui le caractérisaient qu'il était

absolument innocent des faits pour lesquels il.avait été

mis en jugement.En cette occurrence malheureuse, un jeune avocat.

Me Luxembourg Cauvin, malgré la défense formelle

de l'autorité, contre vents et marées s'était sauvé de

Port-au-Prince sur un frêle canot et avait été mettre

son éloquence prenante, chaude et persuasive au ser-

vice de son valeureux et distingué concitoyen.il ledéfen-ditavec toute sa fougue juvénile et aussi avec une telle

ardeur et tant de courage que celui qui, sur les champsde bataille comme du haut de la tribune de la Cham-

bre, des Communes, n'avait jamais cessé de lutter

pour le triomphe des principes, dut se dresser surla selette où il trônait pour lui dire ces paroles qu'on

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— 14 —

a toujours considérées, comme une prophétie:

«Conservez-vous, jeune homme, le pays aura besoinde vous. »

Enfin, après diverses audiences les unes plus sensa-tionnelles que les autres, le 15 avril 1882 une sentenceétait rendue le condamnant avec beaucoup d'autres àla peine capitale, bien que la peine de mort fut abolieen matière politique et remplacée par la détention per-pétuelle dans une prison, aux termes de l'article 24 dela Constitution de 1879 alors en vigueur.

On se pourvut contre cette décision qui fut maintenuehélas! par arrêt du tribunal de révision du Départe-ment de l'Artibonite en date du 29 avril de la même

année.La sentence devait être exécutée le 5 mai 1882. Ma-

thurin Lys avait alors trente-sept ans.

Il fut conduit avec treize de ses compagnons d'infor-tune au cimetière de Saint-Marc où l'exécution devaitavoir lieu. Au dire de ses contemporains il fut stoïqueet fier....

Au premier commandement du chef du pelotond'exécution, le général Jean-Jacques Dessalines, on fit

feu. Des balles crépitèrent. Treize des condamés à

mort restèrent sur le talus.

Mathurin Lys, seul debout, domina encore la foulede ses regards.

Minute terrifiante!... Toute une légion d'hommeset de femmes, émus jusqu'aux larmes assistait à ce

spectacle combien navrant.Il appella alors le Capitaine Siméon du second ba-

taillon du 8ème régiment de Saint Marc qui était à unecertaine distance de lui et lui fit certaines confidences.Il remit ensuite le grand chapeau de paille qu'il por-tait à Madame Félix Montas qui était accourue surles lieux pour recueillir son cadavre.

Puis, après avoir fait le signe de la croix et saluéune dernière fois la ville de Saint-Marc; «A vos

ordres,» dit-il, aux sbires, chargés de remplir l'horribletâche.

Une fusillade s'était fait entendre... Une épaisse fu-mée avait obcurci Pair... Mathurin Lys n'existait plus.

Un demi-siècle s'est écoulé depuis ... Les passionsse sont apaisées... L'homme qui avait su lutter pourle triomphe de la cause du Droit, de la Justice a vécu.

Il a bien vécu, car malgré le recul des temps, sonnom rayonne de gloire et d'immortalité!

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— 15 —

Pèlerin de la Pensée, je suis venu... Curieux de

savoir, j'ai fouillé l'histoire... J'ai vu le Tribun Géné-

ral, il m'a conquis... Je l'ai trouvé grand... Je l'ai trouvé

beau... Et c'est pourquoi je viens lui dire devant vous,

Mesdames, Messieurs, ces belles paroles d'AnatoleFrance.

«Vieil homme dont voici la rude et farouche relique, ton« souvenir me remue dans le plus profond de mon être...« Je te respecte et t'aime, ô mon aïeul! Reçois dans l'in-« sondable passé où tu reposes l'hommage de ma re-« connaissance, car je sais combien je le dois, je« sais combien tes efforts m'ont épargné de misères...« Tu vécus misérable, tu ne vécus pas eu vain et la« vie que tu avais reçue si affreuse, tu l'as trans-« mise un peu moins mauvaise à tes enfants.

Justin J. KÉNOL

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Economie Politique

Sel-Contribution indirectes et petites industries

Conférence prononcée le 8 Mai 1932 (suite)

II

Ce que nous allons dire aujourd'hui du Droit maxi-

mum qui impose le Sucre étranger est une synthèsedes opinions déjà données sur la question. Passant de

la cause aux effets, la critique a déclaré que le Droit

excessif sur le Sucre de Cuba, et l'estimation arbi-traire de la polarisation de ce sucre dans nos Douanes,établissent un Monopole déguisé, un Monopole de fait

en faveur du Sucre fabriqué en Haïti.

La critique dit encore que, s'il y a protection en fa

veur de l'Industrie haïtienne par le droit prohibitif du

sucre étranger, cette protection ne s'étend pas sur le

peuple qui consomme le sucre du pays.L'intervention de l'Etat est nulle dans la circonstance.

Comment cette intervention pourrait-elle réglementer-la vente du Sucre en détail? La Hasco n'a pas de con-trat avec l'Etat. Elle paye ses redevances; donc elleest libre de faire son marché comme elle l'entend.

Les possibilités d'une intervention par l'Etat peuventêtre étudiées. Pour ce travail, il faudrait le temps d'une

conférence spéciale.

Mesdames, Messieurs,

A partir de maintenant, il va se produire une trans-formation dans notre rôle.

Au début de cette causerie, nous nous sommes com-

paré à l'humble paysan, qui remue une motte de terre,et dont le corps et l'esprit sont au travail dans le butde contribuer à la prospérité du champ cultivé en com-mun. Et voilà que, en ce moment, le paysan s'est trans-formé en maître de cuisine.

Antheme Brillat Savarin, gastronome et écrivain

français, a dit: tout le monde mange, mais l'homme

d'esprit seul sait manger. A notre tour, nous disons:

pour que l'homme d'esprit mange, il convient que le

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— 17 -

plat soit au goût de l'homme d'esprit. Pour que le platsoit au goût de l'homme d'esprit, il faut de l'habileté de

la part du cuisinier, et pour que l'art culinaire s'exerce,il faut que des condiments de bonne qualité entrent

dans la composition de la sauce.L'homme d'esprit, c'est vous, Mesdames, Messieurs,

le cuisinier, c'est nous.

Par le développement de cet exposé, nous nous trou-

vons en présence de deux condiments qu'il est indis-

pensable d'employer, malgré la diversité des deux

espèces.Nous venons d'employer le sucre. L'autre condiment,

celui autour duquel on à fait tant de. bruit ces jours-ci,dont on réclame la fabrication et le Monopole par

l'Etat, le Sel, puisqu'il faut l'appeler par son nom, va

entrer dans le plat que nous allons vous présenter.Nous implorons votre miséricorde.

La plaisanterie que nous venons de faire, à proposde l'introduction du Sel dans cette conférence, ne doit

pas vous inquiéter. Notre intention n'est pas de descen-dre avec vous dans les cuisines pour vous mettre en

contact avec le sel: Notre but est de présenter ce pro-duit comme un facteur important par le travail que sa

production et son échange procurent à des milliers de

personnes. Avec lui, nous allons rester dans le domainede l'économie politique, tout en faisant une excursiondans celui de l'administration des taxes, administration

qui aurait dû être à la hauteur de son rôle important,alors que chez nous cette administration accorde tropsouvent à la critique le droit de l'attaqaer. Malgré les

plaintes dirigées contre elle, elle continue ses erreurs,et du silence, elle fait son domaine.

A propos du sel, il a été écrit dans les journaux quevu la rareté de ce produit et le prix exagéré auquel ila été vendu, l'Etat devrait prendre à sa charge la fa-brication artificielle du sel. Il installerait des bassinsen ciment, et par des pompes ces bassins seraient ali-mentés d'eau de mer.

Dans les journaux nous avons fait ressortir les incon-vénients que présente un tel projet, et les risques pourl'Etat d'augmenter ses obligations sans garantie deréussite.

Voici la situation actuelle des marais salants dans le

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- 18 -

centre de la grande exploitation du sel. On verra dans

cet exposé les inconvénients qui résulteraient pour le

travail privé, si l'Etat entrait dans le marché avec sondroit exclusif de production.

En Haïti, les marais salants, dénommés plus commu-

nément ''SALINES" s'étendent tout le long du Golfe

des Gonaïves, depuis la pointe de «Table au diable» au

nord de St-Marc, jusqu'à la baie de Henné. Les terrains

saliniers, comme un immense ruban se déploient à mê-

me la mer jusqu'aux coteaux environnants, formantainsi de vastes, marais désertiques propices à l'installa-

tion des Salines,Les Salines les plus renommées sont celles de la « Ri-

vière Salée», de «la Grande Saline», de «Barthole », de« Charouelle », des Gonaïves et de la Baie de H en ne,,sans compter de moindres comme celles de Si-Marc et

de Trou Couette, plus ou moins abandonnées. Cette in-

dustrie pourrait se faire sur une plus grande échelle à

la Gouâve, où il y a de vastes lagunes inutilisées et où

serait exploité avantageusement cet article de si pré-cieuse nécessité.

Aucune statistique précise ne peut indiquer le tonna-

ge du sel livré à la consommation publique; d'ailleurs,lé sel n'étant point imposé, il ressort qu'aucun bu'-eau

de régie n'en contrôle les chiffres. Cependant, des don^

'nées approximatives puisées à bonne source permettent'd'évaluer à plusieurs centaines de mille barils le total

delà récolte annuelle! Dans' le voisinage de la mer, de

50 à 200 pieds du rivage, l'on fouille des trous carrés ou

rectangulaires de 200 sur 100 pieds environ et dont on

garait le'pourtour de pilotis. La teire de déblai est pla-cée tout autour afin d'indiquer et de consolider l'instal-

lation.contre l'inondation et les flux de marées. L'eau

de mer y pénètre, en général, par infiltration souterrai-

ne, parfois elle y est amenée à l'aide de petits canaux.

Ces puits sont de 3 à 4 mètres de profondeur. Les sali-

nes d'Haïti sont très favorisées quant à la rapide satu-

ration par:10. — La température de l'eau de mer par rapport aux

courants chauds du Gulf Stream qui sillonne les Caraï-

bes.

20. — Les vents secs qui balaient leurs surfaces.

30.— la chaleur torride du soleil dans ces régionsentièrement à nu et déboisées.

L'opération de: préparation des puits se fait dès la

saison sèche. Lorsque l'évaporation est avancée et que

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— 19 -

la restauration est à point, tout le sel cristallisé repo-sant en couches épaisses au fond des bassins, on pro-cède à la récolte.

La récolte du sel crée tout un lot d'industries auxi-

liaires. A côté dés milliers de travailleurs qui y trou-

vent un embauchage toujours assuré, s'érigent au sein

des «boucans» toutes sortes de trafics ambulants où

toutes les transactions se font par le troc avec le sel

comme monnaie d'échange. Même l'homme de peineest payé en sel.

Durant la période préparatoire de salination, les bou-

cans sont déserts et quelquefois inhabités. Les proprié-taires y font des visites chaque quinzaine à fin de con-

trôle, et cumulent toujours le métier de pèche pour

employer leur temps dans ces parages. Le sel récoltéest mis en tas, au soleil, sous forme de meules coniquespour faciliter 1 égouttage et l'évaporation des eaux en

suspens malgré la cristallisation. Cette exposition aux

rayons solaires dure quelques jours, puis le sel est miseu dépôts.

L'industrie du sel marche de pair avec une autredont l'importance croît de jour en jour: la grande flot-tille de bateaux qui transportent cette denrée dans tousles ports de la République, et dont le trafic procure un

bien-être à ces populations éloignées, qui sont forcéesdans les périodes de disette et de rareté de l'article, dele payer à prix d'or. Un baril de sel atteint le prix faburleux de soixante gourdes, quand, à la Grande saline, ilest débité huit gourdes.

Durant les grandes récoltes, le.sel pris au dépôt estvendu au prix insignifiant de une gourde et demie le

baril.

En Haïti, cependant, l'exploitation n'est pas ration-nelle et industrielle ; car les salines devraient être amé-liorées de façon à permettre le développement en

grand, lequel pourrait favoriser la création des Grands

Magasins généraux capables, en toute raison, de pro-curer l'article à un prix moyen, quel que soit le lieu

excentrique à alimenter.

RÉFORMES ET DÉDUCTIONS

lo.— Frapper, pour commencer, d'une taxe légèrele sel ordinaire. Cette taxe serait établie sur les sali-niers et calculée sur ie tonnage de chaque installation.

2o.— Edicter dés règlements pour l'installation des

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— 20 —

trous de sel, en vulgarisant des méthodes plus prati-

ques et plus scientifiques propres à obtenir des récoltes

plus importantes et un sel pur plus présentable sur nos

marchés.

Depuis la prohibition du sel d'Inague et de la contre-

bande intense qui s'en faisait, l'on peut dire que nos

salines alimentent la République.Il existe à la Grande Saline un des plus grands chan-

tiers maritimes de construction, depuis les plus modes-

tes coralins jusqu'aux goélettes dont St-André est le

plus beau spécimen construit en Haïti. Ce beau voilier

chaque mois de retour du Sud fait escale à Port-au-

Prince, où il peut être admiré et visité.C'est justement l'industrie du sel qui, forcément, crée

ce développement de cabotage intense et ce grandmouvement de construction.

L'équipement de ces bateaux influe notablement surla bonne marche du commerce en général quant auxmatières premières employées, puisque ce moyen de

transport constitue Punique ressource dévolue à l'in-

dustrie du sel pour sa rapide décentralisation vers les

marchés de vente et de placement.Plus cette industrie sera, prospère, plus l'économie

commerciale s'en ressentira au profit d'une plus grandecirculation d'argent et d'une plus notable améliorationdû sort matériel de nos masses urbaines et rurales,

pour lesquelles cette denrée est de vitale nécessité.

Les récoltes basées par année de production sont

inégales et dépendent de la rigueur de la saison chaude,

quant à un rendement maximum, et d'une moins-valueen période trop pluvieuse ou froide.

Jusqu'ici aucune prospection n'a signalé une véritablemine de sel gemme en Haïti : Sans doute, il en peutexister : mais nous pensons le contraire, car les tech-

niciens-géologues qui, après des études très complètes,avaient condensé 'd'ans leur dictionnaire d'Haïti, les

possibilités des ressources de notre sous-sol, auraientmentionné et repéré les positions. D'ailleurs, nous nesommes nullement outillés pour ces travaux de recher-ches.

Si le-sel produit en Haïti ne répondait pas à la con-sommation par suite d'une rareté provenant des débor-dements ou autres causes, l'entrée du sel des îles pour-

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— 21 -

raît être autorisée moyennant un droit d'importationfixé par une loi.

L'Etat doit exercer un contrôle sur les salines pour

l'hygiène et la taxe qu'il percevra sur ce produit. Du

jour où l'organisation de la pêche en Haïti, annulera

l'importation des poissons salés, il faudra augmenter-la zone des bassins. L'importation des poissons salés

s'est élevé pour l'exercice 30/31 è. 140 mille dollars.

Un arrêté, dit-on, du Conseil Communal de Port-au-

Prince.interdit l'achat du gros sel venu des salines et

la revente de ce sel par toute personne qui ne serait pasautorisée et patentée à cette fin.

Cette mesure est prise en vue de l'hygiène et dans le

but, également, de régulariser le prix du sel en contra-

riant la spéculation-dans ses gains exagérés.Par cette mesure, aucun monopole n'est établi, puis-

que l'autorisation d'acheter et de revendre sera accor-

dée à tous ceux qui désireront faire le commerce du sel,en se conformant aux règlements établis.

Par exemple, MM. Ascencio et Brice ont déjà desétablissements où le sel est réduit en poudre, et où le

gros sel, avant d'être mis en vente, passe par les con-ditions d'assainissement et de propreté offrant les ga-ranties d'hygiène prévues par les règlements du Con-seil communal.

Port-au-Prince est le plus grand entrepôt de sel de la

République. Toutes les villes, et les campagnes de l'in-

térieur du Département de l'Ouest s'y approvisionnent.Le bien qui sortira des dispositions de l'arrêté profiteraà une notable partie de la population du pays. Lesautres Communes sont libres d'imiter l'exemple de la

municipalité dé la Capitale.

En France l'impôt sur le sel s'appelle « La Gabelle. »

Par moquerie, le peuple donne le nom de Gabelouxaux percepteurs de l'impôt. Espérons que bientôt nousaurons des gabeloux, car la taxe sur le sel est une con-tribution importante qui a sa part dans les revenus del'Etat partout où elle est appliquée.

En Haïti, la répartition de l'impôt est défectueuse.

L'imposition est accablante sur certains points et n'exis-te pas sur certains autres. C'est par une répartitionéquitable que l'équilibre pourra être établi, sans cepen-dant surcharger la production.

Prenons comme exemple le café et le sel.Les producteurs de café contribuent pour une propor-

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- 22 —

tion de 600/0 dans le rendement de nos impôts d'expor-tation, alors que les producteurs de sel échappent Î'I

toute taxe sur le dit produit..L'alcool, le tabac sont imposés.

L'impôt le plus insensible serait celui du sel. Le per

capita serait'dans une proportion si minime que le con-

sommateur s'apercevrait à peine de l'augmentation du

prix en proportion de la taxe payée.Par exemple, un baril de sel serait taxé 30 ceiitimes

de gourde. Quelle est lu part de chaque personne.clansla consommation d'un baril de sel par année ?

Cette part est d'un cinquième ou 20 0/0, étant donné

que les consommateurs sont de deux millions, et quela production est approximativement de quatre centmille barils, La taxe payée par année sera deÔ,06 /cen-

times, par tête.Partout ailleurs l'impôt indirect contribue,pour ,upe

large part à augmenter les ressources de l'Etat. Insensi-

blement, on le paye et il fait retour dans .le.peuple parles travaux publics, l'entretien des hôpitaux, etc., etc.

En Haïti,-60 0/0 des charges de l'Etat sont supportéspar les planteurs de café. Peu importe que,cette denréesoit en hausse ou à bas prix comme actuellement. Cesont toujours les trois dollars qui sont prélevés par cha-

que cent livres de café. L'impôt est direct parce qu'ilvient en diminution du prix d'achat payé au paysan.

Il est indispensable que l'impôt soit réparti équitable-ment entre toutes les classes du peuple. Chacun contri-

buera à la fortune publique sans s'en apercevoir.Les 0,30 centimes à prélever par baril de sel donne-

raient pour 400 mille barils 120 mille gourdes, alors quela contribution par personne serait de.six centimes parannée. En supposant que d'autres impôts indirects vien-nent mettre la charge de chacun à une gourde par an,cette contribution indirecte, rapporterait à l'Etat, 2 mil-lions de gourdes. Avec l'habitude acquise de payer les

petits impôts, on paierait ces sommes importantes sansle choc des contribuables avec l'administration.

Que dirions-nous si l'octroi imposait les taxes suivan-tes comme elles existent ailleurs. Ce serait de notre

part l'occasion de" manifestations'hostiles de discoursen faveur du peuple, sans calculer les avantages qu'unebonne administration tirerait de l'octroi en faveur de cemême peuple.

'.

CONTRIBUTIONS INDIRECTES —Les droits, d'oc-troi portent ^généralement sur les boissons, les cornes-

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- 23 —

tibles, les fourrages, les matériaux, et en générai sur-

tous les objets destinés à la consommation locale:viande de boucherie, volaille et gibier, poisson de mer

et d'eau douce.,beurre, fromage, oeufs, huile à manger,vins en tonneaux et en bouteille, liqueurs, bière, bois

dur à brûler, charbon de bois, bougies de cire, etc.Dans les Communes où la perception ne peut être

opérée à l'entrée, il est établi à l'intérieur un ou plu-sieurs bureaux selon les localités, d'où le système de

l'organisation des marchés publics.Tout vendeur ou conducteur d'objets soumis à l'oc-

troi est tenu, avant de les introduire, d'en faire la dé-

claration, d'exhiber aux employés de l'octroi les lettres-de voiture, chartes-parties, acquis-à-caution, connais-

sements, et toutes autres expéditions délivrées par la

Régie des contributions indirectes, et d'en acquitter les

droits.—Il y a contravention à introduire dans les mar-

chés, sans le déclarer au préalable, un objet soumis au

droit Il en est de même du refus de taire aucune dé-

claration, et du cas où l'on ferait une déclaration men-

songère.Nous ne souhaitons pas qu'une telle calamité vienne

augmenter la lutte pour l'existence soutenue par nos

populations. Si nous reproduisons ici ce qui précède,c'est dans le but de démontrer comment, jusqu'à pré-sent, on échappe, en Haïti, aux exigences de l'impôt.

Les difficultés qui ont pris naissance depuis l'imposi-tion de l'alcool ne viennent pas directement de la taxe,mais bien de la façon de l'appliquer. Toutes les protes-tations avant et après la révision de la loi sur l'alcoolont pour motif le mode de perception de l'impôt.

Le personnel employé dans cette branche importantedu service public abuse-t-il de sa délicate mission? oùbien les instructions reçues émanent-elles d'une hauteDirection ayant passé par l'Ecole de l'Expérience et

possédant les connaissances indispensablee à l'applica-tion de l'impôt?

Il ne s'agit pas seulement de faire des lois de finance.La Justice et l'équité doivent être observées enversceux dont les intérêts immédiats sont l'objet de ces lois.

Si les populations des autres pays se soumettent aux

exigences de l'octroi, c'est parce que les administra-tions de ces pays sont à la hauteur de leur péniblemission envers le peuple. Les employés de la Régie sesont perfectionnés à une école de discipline où le boa

plaisir et l'arbitraire sont abolis.

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Dans toutes les branches du service public, il y a l'E-

cole d'administration, où le futur employé passe pardes stades d'application.

A côté de l'Ecole militaire, de l'Ecole de la ma-rine de guerre, il y a l'Ecole d'administration où le civila son rôle. Il en est de même pour les douanes, pour la

Régie, où l'instruction est donnée aux agents de percep-tion. Ceux-là apprennent à atténuer par la justice et

l'équité, la rigueur des lois.

Malgré tous les voeux exprimés et sans cesse renou-

velés, pouvons-nous atteindre le but si le commence-ment n'a point de base. L'édifice a besoin d'un fond

solide pour porter le poids de l'oeuvre.

En risquant les observations qui précèdent, nousn'avons nullement la prétention d'avoir franchi le cercleoù résident les grandes questions économiques.

Selon nos moyens, nous avons indiqué les sujets quipeuvent, un jour, entrer en ligne de compte dans lesinnovations qui s'imposent, et qui peuvent contribuer aurésultat de l'action.

Nous ne sommes pas d'avis que les taxes internes,doivent être appliquées immédiatement et brutalement,mais plutôt au fut et à mesure que les grandes voiesdu travail seront ouvertes à l'industrie et à la produc-tion agricole.

Ce que nous recommandons, c'est la formation gra-duelle d'un personnel d'administration, spécialisé dansle service du fisc.

Il ne faut pas que, dans l'avenir, des difficultés sur-viennent du fait de l'improvisation d'un personnel dontla mission serait plutôt de servir d'intermédiaire entrele contribuable et l'Etat.

Les grands problèmes économiques, tels qu'ils exis-tent de nos jours ne peuvent être étudiés ici sans ne

pas côtoyer le domaine accidenté de la politique, alors

que la politique n'a jamais pu franchir le seuil de cettemaison. Du reste, nous ne sommes pas un gros parti-san de l'Economie Politique.

Cette science enseignée dans les livres est aussi éloi-

gnée de l'action que la Théorie est éloignée de la Prati-

tique. Quelle figure feraient les grands économistes quiont écrit sur la méthode, s'ils pouvaient assister à unede ces séances qui se renouvellent à la Bourse de Lon-dres ou à celle de Paris ? Ils jetteraient leurs pyramidesde théories pour devenir des élèves des courtiers quiremuent des milliards à la seconde, avec un crayon

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- 25 —

pour arme. Le monde entier suit avec anxiété les varia-

tions de ces grandes batailles. Les ampliations ou les

réductions sont signalées par le sans-fil, annonçant la

richesse ou la ruine.

Dans ces conditions, quel rôle peut remplir aujour-d'hui la théorie avec ses recommandations de sagesse

et, osons-nous ajouter... de stricte honnêteté!

Voulez-vous avoir une idée du rôle de la théorie et

celui de la pratique dans une simple opération de Bour-

se? Lisez la déposition de Me Georges Léger devant la

Commission d'Enquête du Sénat Américain.

Théoriquement, il était sage de relirer de la circula-

tion, même par anticipation, une partie des obligationsde l'Etat. Eh bien ! la pratique a prouvé que cette môme

signature honnête, qui était-au pair, ne vaudrait plus

que 50 o/o de sa valeur si on désirait la remettre dans

le marché.'Voici une dépêche du 25 Avril dernier, qui donnera

nue preuve de ce que nous avons dit des conséquencesdésastreuses résultant des opérations financières pra-

tiquées à la Bourse. C'est la preuve la plus tangible de

la faillite de la Théorie et de ses principes :

«Washington. Le Comité du Sénat enquêtant sur la

Bourse de New-York étendra sou enquête pour y com-

prendre les opérations internationales, et examinera

les transactions qui ont amené la chute des litres

Kreuger. a dit, ce soir, le Sénateur Brookhart. Quandon lui demanda sous quel angle le Comité attaquerait

l'enquête sur les opérations internationales, Brookhart

répondit :« Nous l'attaquerons sous le seul angle possible, c'est-

à-dire que nous scruterons tout ce que nous pourrons.Nous sommes sûrs que nous n'avons fait, que loucher à

la surface des choses qui se passe à Wall-Street ».

Dire que nous sommes les esclaves de Wall-Street.

Ses Agents sont chez nous. Nos titres à nous sont dans

Wall-Street, et nous ergotons encore, armés des prin-

cipes dé l'Economie Politique.Recourons, s'il le faut,oui,recourons à l'Action par le Sou-Liberateur de Maurice

Rivière, pour nous libérer des tentacules prenantes de

Wall-Street.

L'ACTION

Où est l'action? L'action réelle? Nous sommes station-

nires. Notre vie économique n'a passé que par des

stades secondaires, et si quelques avancements ont été

réalisés dans différentes braaches de l'activité indus-

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— 26 -

trielle et agricole, ce progrès est dû au Capital Etranger,C'est le Capital étranger qui les a réalisés. Neus restonsdes auxiliaires, vivant au jour le jour, par le travail per-sonnel que nous mettons au service de ce Capital. Le

profit n'est pas pour nous. Il va au siège social d'où vientle Capital.

Pendant cent années, nous avons contracté des Em-

prunts. Mais, qu'à-t-on jamais fait de profitable pour le

pays avec l'argent de ces emprunts? Cent ans ont passéà. rembourser le principal, et à payer des intérêts.

Espérons que le moment est enfin venu où des réfor-mes intelligentes donneront au pays l'organisation défi-nitive du travail.

A propos de l'Action, on semble ignorer qu'il y a uneclasse de notre population qui contribue dans une pro-portion de 60 % à la formation des revenus de l'Etat,et de l'activité économique. Nous parlons de la classedes producteurs de café. Tout nous vient d'elle; maisen retour, cette classe ne reçoit rien de l'autre classe

qui est la Bourgeoisie. C'est cette classe qui, constam-ment, sans solution de continuité, produit l'Action par-son travail, et la production qui en résulte. A toutes les

époques, notre fortune nationale a dépendu des hom-mes de la montagne. Ce sont les 3 dollars de taxe préle-vés.sur leur café qui forment le coefficient du Budget.Cesont les 50 millions de gourdes qui circulent annuelle-ment dans le pays par le fait de leur travail, qui permet-tent à notre commerce de s'alimenter et de vivre.

Voici ce que dit le Dr C. Pressoir dans ses « Pages de

Géographie Economique ».

« On sait que l'Etat Haïtien prend 3 dollars de droitsur chaque 100 livres de café exporté ; avec une récolte

moyenne de 60 millions de livres, cela donne 1.800.000dollars de droit et souvent même 2.000.000. alimentantun Budget de 6.000.000. Donc, le tiers des revenus del'Etat vient de cette seule denrée. Et il ne faut pas ou-blier que la récolte du Café est le régulateur des impor-tations qui augmentent ou diminuent quand elle aug-mente ou diminue, de sorte que, indirectement, c'est larécolte de café qui fait croître ou diminuer les importa-tions, de sorte que cette denrée décide de tout notrecommerce extérieur. Ses moindres diminutions de quan-tités ou de prix font nettement sentir leurs effets. »

D'accord avec le Dr. Pressoir, nous allons donner un

exemple de l'influence de la baisse du café sur la situa-tion du pays. Tout le système commercial s'en ressent,

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— 27 —

et, par voie de conséquence, les ressoorts de la grandemachine sont paralysés.

Il y a dix huit mois, le café était directement payé au

paysan au prix de 0,80centimes la livre. Aujourd'hui, ce

prix d'achat est tombé à 0,30 centimes. Nous produi-sons 60 millions de livres de café qui représentent la

moyenne annuelle de l'exportation. Mais la consomma-

tion intérieure étant estimée à 20 millions, soit 10 livres

.par consommateur, et parannée, la production généraleest donc de 80 millions. Quand le café valait 0,80 cent, 8

fois 8 - 64. C'était donc 64 millions de gourdes qui en-

traient en circulation dans le pays.Aujourd'hui que la denrée ne vaut que 30 centimes,-

8 fois 30—240 ; il n'y a que 24 millions dans la circulation.

La différence entre 64 et 24 étant de 40—, il se trouve

que la grande machine commerciale reçoit, comme

combustible, 40 millions de gourdes en moins.Aucun autre produit n'étant venu établir l'équilibre

qui manque, on ne doit pas chercher ailleurs les cau-ses de la misère actuelle.

Nous qui nous sommes greffés à l'arbre du café pour

vivre, nous disons au paysan: (^surproduisez, pour quela snrperproduction compense la baisse.»)

Nous n'observons donc pas que les fils des analpha-bets de la campagne descendent vers l'école? et qu'ils

peuvent, un jour, chasser les docteurs du Temple?!...Prenons donc garde.

LES PETITS MÉTIERS

LES PETITES INDUSTRIES

C'est dans les petites choses que nous trouverons

l'Action, c'est Peffort,c'est l'aurore des temps nouveaux.Nous allons entreprendre d'exposer la marche qui a

été suivie pendant les dix dernières années par la « Pe-tite Industrie ». Notre travail serait long et trop consi-dérable si nous devions présenter par le détail les

multiples centres de travail où l'initiative privée a pro-duit son action.

La création des, ateliers s'est réalisée sans capital,sans le moindre crédit en Banque, sans aucun encou-

ragement de l'Etat, sans l'esprit d'association qui créeles coopératives. Cependant le succès semble couron-ner l'effort.

Des installations se font dans différentes parties de la

ville, les ateliers s'agrandissent, le personnel féminin

augmente,partout ce sont des jeunes filles et des dames

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- 28 -

qui sont à la couture, à la broderie, au tissage des cha-

peaux, à celui des fonds de chaise, au tissage des baset des chaussettes.Des lots de chemises souples et nuan-

cées, des costumes de toile, des chapeaux en paille du

pays pour hommes et femmes, des pantoufles élégan-tes, des sacs à main, des draps, des serviettes, des

mouchoirs, des étoffes fines brodées par des artistes,sont exposés dans de multiples ateliers de confection.

Des chaises en bois du pays, des armoires, des ca-

napés, rivalisent avec les meubles qui venaient autre-fois de France, donnent satisfaction aux exigences les

plus raffinées, par l'élégance, la forme, la finesse et la

solidité.Un premier exemple ayant été donné par les-Soeurs

de la Madeleine ; ou fabrique avec des appareils à lamain des bas'et des chaussettes.

La Grand'-OEuvre de YEcole Elle Dubois se réalise

chaque jour. Dans les ateliers, dans les pâtisseries, danslés maisons de couture, ce sont les anciennes élèves decette Ecole qui sont au travail, gagnant leur pain par labelle roUte de l'honneur.

:

Les métiers cités ici ont été pris au hasard. Comment

parler de tous ceux qui semblent se' cacher, par modes-

tie, cependant que leur bonne volonté, qui préside à

l'action, vers lé travail, résumé la question sociale !

Le peuple esta l'apprentissage: Guiteau a été un des

premiers à établir l'atelier des petits articles. Son exem-

ple a été.suivi, et. aujoùd'hui, on semble comprendrequ'il faut l'apprentissage pour le plus petit métier. Lajeunesse travailleuse est à l'ouvrage.

Ceux qui, cette semaine, ont visité l'Exposition de.

l'Ecole de l'Enseignement Professionnel , ou du partirde là, avec l'impression, que nous sommes en présencede l'effort industriel.

Il ne faut pas dédaigner cet effort; il manque l'action,tant du côté des exposants que de celui des organisateurs,qui ont tenu à mettre eu vue le progrès qui se réalisechez nous.

Qui sait si le grand problème posé par le Sénateur Hu-

dicourt, relatif au drainage du denier haïtien, ne trou-

vera pas sa solution par la grande oeuvre future du pe-

tit Métier . Parmi les facteurs qui empechent le draina-

ge de nos économies à l'Etranger, il ne faut pas oublierla Loterie Nationale et ses nombreuses oeuvres de bien

faisances : les centaines d'enfants qui sont nourris cha-

que jour, grâce à la sollicitude de la Loterie.

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— 29 —

L'aurore des temps nouveaux se lève, lentement.L'horizon est encore couvert. Il sera difficile de dissi-

per les nuages qui flottent.Pour atteindre le but, il faut l'effort sans discontinuité.Comme une prévision de ce qui devait se réaliser dix

ans plus tard, voici des idées qui furent émises en 1922

par un correspondant de Port-au-Prince, dans une let-tre adressée à un Agent d'Affaires de Paris:

27 Mars 1922. — Je reste frappé cependant du grandpéril que cette politique financière fait courir à la nation

(française) et dont il semble que les auteurs comme

poussés par une force aveugle, irrésistible sont impuis-sants à enrayer le mouvement. Pour peu qu'elle dure,il y a au bout.un précipice où l'on descendra infailli-

blement. Je crains qu'on ne soit plus proche qu'on ne le

pense de ce terme-fatal. Quand je considère les événe-ments nés de la guerre, la destruction des richesses

qu'elle a occasionnée et les immenses réparations qui

s'imposent, ils concourent à renforcer ma conviction,car ils paraissent dépasser les ressources de prudence,d'énergie et de prévoyance dont l'humanité doit dispo-ser en son sein pour pouvoir les dominer. Leur comple-xité est telle que pour empêcher la ruine d'une nation,il faut le concours de toutes les autres réunies. Entrecelles qui étaient hier alliées pendant la guerre, il, y a

une balance de compte par profits et pertes qui s'impo-se et dont on ne veut pas entendre parler, cependant.On ne voit nulle part de signes de cette entente univer-

selle, indispensable pour arriver à. une solution du ter-

rible problème financier qui étreint chaque peuple,mais partout, au contraire, éclatent les divisions, les ré-

clamations se font plus pressantes, plus acrimonieuses.

Comment ne pas conclure, dans ces conditions à une

catastrophe finale, à la faillite en un mot?

Dépêchons-nous de liquider notre propre situation

économique, sans nous départir du calme qui doit ga-rantir le résultat.

La situation économique du monde est dans une

phase si aigûe, qu'il faut se demander si la liquidationprochaine et inévitable n'aura pas sa répercussion surles peuples faibles.

Il est donc sage de penser à une autonomie financière

qui nous isolera des conflagrations redoutées.Voici un tableau qui résume la situation mondiale:

TABLEAU DES DETTES

14 nations doivent aux Etats-Unis environ: (lisez mil-

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— 30 -

liards) 11.000.542.000.685 dollarsIntérêts pendant 62 ans : 10.000.621.000.185 dollars

22.000.163.000.870

L'Allemagne doit à ces diverses nations :

près de 8.812.447.200Intérêts pour 58 ans : 14.288.052.800

23.100.500.000 dollarsSi l'Allemagne, répudiant le plan Young,ne s'acquitte

pas de ses obligations, les Nations débitrices des Etats-

Unis, ne pourront, de leur côté, se libérer de leurs pro-pres dettes.

Or l'Allemagne a déclaré quelle est dans l'impossibi-lité de payer.

Dans ce cas, ou bien les nations seront dispensées de

payer aux Etats-Unis, ou bien les Etats-Unis devrontles aider â recouvrer leurs créances sur l'Allemagne.

L'Allemagne, placée au Centre de l'Europe, est ac-tuellement un gouffre où disparaissent les milliards.

Récemment des Banquiers Anglais et Français luiont prêté 2 milliards à 8 %. Ces 2 milliards avaient

été empruntés des Américains à 2 %. Les Allemands,à leur tôûr, les ont replacés chez les Russes à 15 %.

Il faut donc reconnaître que le monde vit, à l'heureactuelle dans une atmosphère surchauffée, dans une

; anarchie économique inquiétante pour l'avenir !-Etant dans le groupe des petits peuples, au rang des

-plus faibles, nous devons nous isoler de la formidable

tempête dont le noyau est déjà formé.

Rappelons-nous que, tout ici-bas « procède du simpleau composé, des éléments au tout, de la cause aux ef-

fets) des principes aux conséquences».Nous devrions nous sevrer des larmes que nous lais-

sons couler sur notre coeur. Il ne faut pas que l'aban-don de soi-même fasse pencher les fronts car Dieu qui

lance le torrent du haut de la Cime, n'en interromptpoint le cours. Après avoir parcouru les pentes acciden-

tées, l'eau prend sa course normale, pour faire croîtrela moisson.

RIGAUD

FIN.

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DANS LA MELEE

PAR TIMOTHEE PARET

Me Timothée Paret nous a fait le plaisir de

nous envoyerle premier tome de son ouvrage:

DANS LA MÊLÉE, édité l'année dernière à Paris,

par Jouve & Cie, 15, Rue Racine, 15.

Divisé en trois parties, on ne trouve dans la première

que des pensées qui révèlent un état d'esprit particulier,sinon de graves préoccupations. Détachons en quelquesunes au hasard:

« Le courage, c'est de la fierté en action ......

«Ce n'est jamais sans lutter avec soi qu'on arrivé àlaisser la voie bonne ou mauvaise où l'on s'est déjà en-

gagé»....« Un juge offre plus de garantie par sa moralité que

par sa science »

« Il est douloureux de constater que chez la plupartdes membres de notre élite, il n'y a pas de parallélismeentré la valeur intellectuelle et la valeur morale»

« Gouverner, ce n'est pas seulement prévoir, c'est aus-

si réaliser.......

« Ceux qui ont le plus vivement combattu un gouver-nement, quand ils s'y rallient, en deviennent les pluszélés défenseurs.......

« L'homme d'Etat n'est jugé avec impartialité que

lorsqu'il a laissé la scène pour entrer dans l'ombre de

la vie privée ou de la mort»« Le politique de bonne foi ne renie'jamais son opi-

nion etses actes passés, fussent-ils en complète opposi-tion avec son attitude et ses convictions présentes »

« Celui qui se mêle de politique et qui a peur des res-

ponsabilités ne sera jamais un homme d'Etat »

«Ne vous émouvez pas des injures qu'on vous lance

quand vousêtesau pouvoir: lorsque vous n'y serez plus,les louanges vous viendront de ceux-là mêmes qui vous

insultaient, naguère........« La vie serait sans saveur s'il n'y entrait un grain de

souffrance»Telle'est la nature des pensées qui trottent son esprit

et l'ont porté à réunir en volume quelques conférenceset discours qu'il eût à prononcer Avant la Mêlée et Dansla Mêlée.

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— 32 —

La deuxième partie ne,comprend.qu'une- conférence

prononcée le dimanche, 27 Février 1916, sur Jérémie et

ses environs, sous les auspices de la Ligue de la.Jeunes*-se Haïtienne, fondée en Décembre 1915 par Me Geor-

ges N. Léger. C'est une belle page où il chante les beau-tés de sa ville natale qui «a été, est et-restera un-des

glorieux boulevards de notre liberté, » et essaye d'inté-resser son auditoire à tout ce qu'elle compte de beauet de pittoresque.

Il n'y a pas de peine à lui reconnaître une âme de

poète,—- car il publiait aussi des vers,

— de belles qua-lités littéraires : simplicité dans le style et clarté,dans la

pensée.Vers la fin de l'année, sur la demande de la Liguée il

créa une filiale. Le 13 Septembre 1916, profilant de la

réception des membres honoraires, il prononça un vi-brant discours où il rappela entr'aulre. la principalemission de cette société : «préserver l'âme nationale de

l'absorption qui.la menace, vu l'occupation militaire denotre territoire par un Etat puissant dont la formation,les moeurs-, les idées,la religion, la langue ne sont paslés nôtres et dont l'impérialisme grandissant, malgréles belles déclarations du Président. Wilson ne faitaucun doute pour l'esprit le moins averti.

Une attitude aussi nette, à un moment critique de lavie nationale,'' devait attirer l'attention sur ce jeuneécrivain, si plein de promesses. Il tut élu, en effet, Dé-

puté de Jérémie en 1917, prit position dans les rangsdes nationalistes, vota contre l'a déclaration de guerreà l'Allemagne, le 11 Mai 1917, «vu surtout les circons-tances douloureuses où se trouvait le Pays.» L'assem-blée Nationale repoussa la demande de l'Exécutif et ad-mit plutôt, à l'unanimité, « le rapport de sa Commission

spéciale concluant à la. rupture des relations après des

protestations et des réserves à formulera la Wilhelms-trasse à propos de la guerre sous marine. »

Ce vole contrariait fort ceux qui avaient intérêt à en-

gager le pays dans cette voie ridicule pour leur satis-faction personnelle. Ils complotèrent,— puissammentsoutenus par les baïonnettes étrangères,— contre laChambre qui fut dispersée, en exécution d'un décret dedissolution du Président de la République. Le gouver-nement alla jusqu'à refuser de payer leurs indemnités«aux vrais représentants de la nation », quand le per-sonnel du bureau, des archives a été payé au moment demettre fin à ses services. Ce fut encore le Député Pa-

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— 33 —

ret qui protestas dans une lettre adressée à l'Exécutifà la date du 28 Août 1917.

Une Constitution plébiscitaire a été imposée au pays,le dix neuf Juin 1918, malgré le nombre extraordinaire-ment élevé des analphabets. En vertu d'une dispositiontransitoire, un Conseil d'Etat fut institué avec le pouvoird'exercer la puissance législative, qui déclara la guerreà l'Empire d'Allemagne, le 12 Juillet 1918 sur la deman-de qui lui a été adressée, le même jour, par le Prési-dent Dartiguenave.

Rentré à Jérémie, l'ancien Député prononça des con-férences patriotiques et fonda la Ligue du Drapeau. EuMai 1920, en des termes élevés et choisis, il rappela la

glorieuse origine de notre étendard; bleu et rouge. Cette

page consacre définitivement son talent littéraire. Pour-

suivant la série, le premier Janvier 1921, il profila d'un

«Meeting.» organisé à l'occasion du 118e anniversairede l'indépendance nationale pour parler sur l'Hôtel de

la Patrie, en qualité de Président de la Ligue du Dra-

peau. Ce fut un acte de foi éloquent et pathétique où il

«communia dans la gloire des ancêtres, comme nous

communions dans les douleurs et les humiliations du

présent. Il finit par convier ses Chers Concitoyens, aux

noms des Membres de la Ligue du Drapeau et en vos

noms à tous, hommes, femmes, enfants, qui venez avec

moi, sur cette place, rendre hommage aux Pères de no-tre Patrie à renouveler, d'une seule âme et d'une

voix unanime le serment de 1804.«Vivre libres ou mourir.—Vive Haïti libre et indépen-

dante. »

L'écho de ce discours retentissant arriva jusqu'à Port-

au-Prince. L'union Patriotique,— fondée à Port-au-

Prince pour soutenir les revendications nationales tantà l'intérieur qu'à l'extérieur,— pensa à offrir un champd'action plus vaste à ce membre zélé et distingué quine manquait ni d'enthousiasme, ni de patriotisme. Ellelui confia la haute mission de créer une filiale à Jérémiedont il devint le président.

Bien que l'ouvrage contienne très peu de renseigne-ments sur cette période, combien importante de la viede Me Paret, tout semble indiquer qu'il justifia plei-nement la haute confiance placée en lui. Le Courrier

Haïtien publia même le discours du 1er Janvier 1921

dans sa livraison du 31. Cette troisième partie, consacréesurtout à ses activités politiques, contient des lacunes

qui ne permettent pas de saisir convenablement les évé-

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- 34 —

nements auxquels il a pris part. On a l'impression que,Dans la Mêlée n'avait été préparée que dans un but litté-raire. Mais, comme son nom l'indique, elle concerne la

politique et embrasse une quinzaine d'années où de

graves événements ont été accomplis qui exercent uneinfluence considérable sur le développement de ce pays.

La fin du mandat de M. Dartiguenave marque unenouvelle étape décisive dans la vie de Me Paret, avecM. Louis Borno au pouvoir. Nos leaders politiques nelui pardonnaient pas le Traité du 16 Septembre 1915

qui, au point de vue politique, financier et économique,engageait le pays pour dix-ans, renouvelable au gré del'une des parties.

Une campagne de presse des plus vives fut dirigéecontre lui. Me Paret, troublé dans son admiration pourl'homme d'état qu'il ne cessait d'estimer, abandonna latribune pour le journalisme. En effet, dès Septembre1921, on le retrouve rédacteur en chef d'un journal heb-domadaire: Le Petit Parisien, édité à Jérémie par M.Octave Petit. Mais le 'premier Mars 1923, " pour entrerdans la Mêlée politique », il fonda son journal: « La

Presse " pour «travailler au salut de notre nation qui nemourra pas si nous savons vouloir qu'elle vive et re-

prenne dans le monde, une place digne de sa glorieuseorigine.» Il fut accueilli sympathiquement par tous ses

confrères, mais Le Nouvelliste lui rappela « qu'il avaitsa place toute marquée dans les rangs du nationalis-

me », tandis que l'Essor disait: « ce périodique sera bi-

hebdomadaire, et à côté d'autres choses de la vie cou-rante s'occupera de la défense de la politique du gou-vernement».

Qu'est-ce à dire?.... La Presse n'eut qu'une existence

éphémère, et se transforma le 8 Février 1923 en un

quotidien s'éditant à Port-au-Prince, avec un nouveaunom: Le Journal. Mais M.Louis Edouard Pouget, direc-teur de la Poste, en lui souhaitant la bienvenue, ne

manqua pas d'ajouter " que sa politique ne peut êtredifférente de celle que préconisait son Directeur, à ladernière assemblée nationale. Tenir, et s'il n'en reste

qu'un, je serai celui-là.»

Me Paret avait abandonné le nationalisme intégralpour « la coopération franche et loyale», inauguréeavec le Haut Commissariat américain!.. Ce fut un

grand, événement, une perte sensible que les amisd'hier ne lui pardonnent pas, et c'est pour se défendre,sans doute, que nous devons la publication prématurée

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- 35 —

de ce recueil de discours et les Pensées d'un caraetèresi particulier qui servent d'introduction à l'ouvrage.

Dans le Chapitre VIII. Politique Rationnelle. Me Pa-

ret, après avoir été deux fois Conseiller d'Etat, deuxfois Ministre de la Justice et enfin Juge au Tribunal de

Cassation, explique que, c'est encore le même homme

qui, en Octobre 1919, donna corps à l'heureuse idée duDr Paul Nicolas, fonda à Jérémie la Ligue du Drapeaudont le but patriotique concorde absolument avec celui

qu'il poursuit: le salut de la Patrie haïtienne. «Au bar-

reau, continue-t-il, à la Tribune, dans la Presse, nousavons toujours été dominé par la hantise d'une Haïti

régénérée dans la paix, par l'instruction et le travail li-bérateurs.»

Qu'il ait conservé son vif amour de la pairie et de sou

drapeau, il n'y a aucun doute, mais ses idées ou,ses con-

ceptions ont été profondément modifiées depuis que,—

selon sa propre expression,—« il est rentré dans la mê-lée politique, » comme journaliste. C'est cette évolution

qui,— à notre gré,—méritait de longues explications et

qu'on ne trouve pas.Lui. d'ordinaire si clair,devient tout de suite inintelli-

gible, dans ce chapitre infiniment précieux où il a enfinabordé la question palpitante qui le divise avec ses amisd'hier. Pour Je démontrer, nous n'avons qu'à reprodui-re ces passages :

«Il estmalheureuxque certains membres de notre élite

intellectuelle, perdant en quelque sorte la notion des

faits, s'obstinent à imiter le geste inefficace de l'autru-che visée par le chasseur.

« Depuis le rapport de la Commission d'enquête séna^toriale américaine,tousleshaïtiens qui pensent auraientdû ouvrir courageusement leurs yeux à là réalité, en sedisant qu'on ne peut travailler à la restauration nationa-le que par une politique réaliste»

Suivant de nouvelles méthodes, il servit la Patrie, ac-tivement et sans heurts, pour le salut national, en. tem-

pérant, l'ardeur de sa belle jeunesse. A-t-il réalisé grand'chose pour le pays?

That is the question ! Les discours qu'il prononça autribunal de Première Instance, au tribunal d'appel, autribunal de Cassation de la République; sur la tombe deHénec Dorsainvil, à l'inauguration du monument de

Mgr Jh. Beauger; à la séance extraordinaire du Conseil

d'Etat, convoqué spécialement pour statuer sur le pro-jet d'amendement à la Constitution de 1918, et le projet

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— 36 —

de réponse au Message présidentiel qu'il eut à rédigercomme rapporteur d'une Commission spéciale,

— cons-tituent une série d'actes de foi qui ne manquent ni devaleur littéraire, ni de valeur politique. Il n'affirma véri-tablement son prosélytisme que dans le dernier, pro-noncé le Dimanche 19 Janvier 1930, au Club-Union, sousle haut patronage du Président de la République où iltraita l'épineuse question : Pourquoi, devons-nous gar-der le pouvoir ? C'est une défense sans ambage dé sa

nouvelle-position. Mais ce n'est qu'une pétition de prin-cipe. Après huit années de pouvoir absolu, il en ré-clame six autres « pour défendre l'oeuvre du gouverne-ment national que l'on attaque, sous prétexte de natio-nalisme. Car l'oeuvre réalisée sous l'administration deM. Louis Borno est bonne et profitable au pays. Nousdevons la préserver contre l'assaut des démolisseurs.Ceux qui rêvent du pouvoir n'en sont pas plus dignesque nous. Ils disent qu'ils sont patriotes; nous sans le

dire, nous prouvons que nous le sommes.

« Cette libération, nos adversaires ne doivent pasavoir la prétention d'en faire leur oeuvre. C'est notre

parti qui a travaillé en vue d'atteindre les fins du Traitédu 16 Septembre 1915......... ........

Nous continuerons.;...:« Nous atteindrons notre but sans l'état de choses

transitoires désiré par nos soi-disant nationalistes qui ne

rêvent que d'élections législatives ...: imminentes.

« Laissons-les à leur rêve. Nous autres, réalisons.»Me Paret, à la satisfaction de ce grand Aréopage, con-

damna le nationalisme intégral !.. En toute franchise.nous n'aimons pas ce discours.

Telles sont les idées essentielles qu'autant que possi-ble, nous avons essayé de mettre en lumière pourpermettre de comprendre cet ouvrage important et

complexe qui a passé inaperçu, par prévention, sansdoute. C'est, en somme,une autobiographie qui contientles principaux actes de sa vie publique. Quelles quesoient les divergences de vues qu'ils provoquent, ils

n'appellent pas moins l'attention sur une époque des

plus troublées de la vie nationale, et c'est un des ac-

teurs, d'une grande réputation, qui-, a près avoir fait l'ex-

périence des deux principaux groupements politiquesd'alors, soumet un ensemble d'actes à l'appréciation detous et réclame, sans doute, une sanction.

Il ne nous appartient pas de la donner, ni de tran-cher cette grave contestation. En revendiquant ses res-

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ponsabilités à une heure où il aurait pu cherchera se

faire oublier, Me Paret indique, tout au moins, qu'iln'a pas agi à la légère. Il a fait acte de courage et d'in-

dépendance. Il convient donc d'attendre que l'on soitmieux renseigné. Quand les passions seront apaisées,—avec le temps et les éléments nouveaux qui seront ap-

portés dans les débats,—l'historien se pronorcera, en

connaissance de causes, sur les deux conceptions du

pouvoir qui se sont heurtées violemment, en tenant

compte, comme le réclame Me Paret,—des réalités,

toujours si pleines d'imprévues et de déceptions amères.Nous remercions l'auteur de sa-contribution à l'his-

toire et de son gracieux envoi.H. Ad. MICHEL av.

NOTRE OEUVRE

Comme nous l'avons annoncé dans notre dernière livraison, la Sociétéd'Histoire et de Géograqhie d'Haïti, poursuivant inlassablement l'exécutiond'un de ses buts essentiels, " favoriser par tous les moyens en son pouvoir,la diffusion parmi le peuple haïtien des connaissances historiques et géogra-phiques », a ouvert la série des conférences de quiuzaine en son local habi-tuel de la Bibliothèque de l'Amicale du Lycée Pétionf le 29 Janvier 1933.Il a été prononcé 7 conférences sur des sujets variés et infiniment instruc-tifs dont nous publierons la liste au prochain No.

Autant que possible, avec le concours des membres correspondants, nous

essayons d'intéresser nos amis de la province pour que l'oeuvre ait un vraicaractère national.

C'est ainsi que notre Collègue, le Dr C. Lànîer qui reprendra le 7 Mai

prochain sa savante étude sûr : La campagne de Louisiane de 1814 dans la

guerre de trois ans des Etats-Unis contre l'Angleterre,— a décidé un grandnombre de personnalités de Saint-Marc, à venir prononcer des conférence àla Société.— Jérémie a donné deux conférenciers : MM.Octave Petit et Jean

Joseph Vilaire; le Cap-Haïtien, deux également MM.Christian Werleigh et Me

Juvigny Vaugues ; Mes. Marcelin Jocélyn, des Cayes et Alcius Charmant, de

Jacmel, se sont inscrits pour la série d'Octobre à Décembre.Nous comptons sur le concours de nos amis des autres villes de la Répu-

blique qui ne doivent pas rester indifférents à-notre oeuvre. Chaque haïtiendoit s'intéresser et connaître son histoire, mais '.les documente étant épars,dans des archives privées, il faut donc le concours de tous.

TARIF DES ABONNEMENTS

Port-au-Prince 1 an 3.!i0Province I an 4.00

Etranger I an , ii.OO

En payant cette modique valeur, on apportera sa contribution à une oeu-vre utile qui favorise « la diffusion parmi le peuple haïtien des connaissances

historiques et géographiques.»

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SUR LA GÉOGRAPHIE BOTANIQUE

D'HISPANIOLA

PAR LE PROFESSEUR IGNACE URBAN

Tiré du lXe Vol. des Symboloe Antillanse Tome i

( 1923—1925)

Traduction de M. Em.il Zimmerman

revue par le Dr C. Pressoir

Sixième partie (suite)

En vue de notre objet, nous formons trois districtsdans cette.région et nous commençons avec celui ducentre qui s'étend de Port-au-Prince vers le sud, viaMorne la Selle, jusqu'à la côte sud. Là sont situées les

-montagnes suivantes déjà bien explorées: Morne de

THôpitai (1100m), Mornes de Kensk'off (1240m), et Fur-

cy,'(1500 m),Mo nie. Tranchant (1900m) et aussi les suivan-tes, moins visitées: Morne Faure (1500m), Morne MareRoseau (1400m), Morne Mégi (1700m), Morne Bellefon-tainé (1800m.) Montagne Noire (1800m)et Morne la Selle

. (2000m).Le mérite de l'exploration de ces montagnes revient

.principalement à Jaeger, Ehrenberg, Picarda, Christ, et

plus récemment à W. Buch. L'ascension du morne laSelle fut faite par Christ en 1907, et par Buch en 1910et 1913. Dans cette légion aussi je dois laisser de côtédes espèces nombreuses qui ont été publiées sans indi-

cation des endroits où elles ont été receuillies.

Les espèces connues sur le continent et dans d'autresAntilles et qu'on ne' trouve à Hispaniola que dans cedistrict sont: Hymenojphyllum tunbridgense, CyatheaGrevilleana, Polystichum echinatum, Diplazium disten-

tum, Asplenium Sinlenisii, Anogramme chaerophylla,Dhedanthes intrarnarginalis, Onychiurn heterophyllum,Pteris quadriaurata, P. stipularis, Elaphoglossum tec-

tum, E. perelegans, Aneimia laeiniata, LycopodiumCarolinianum, Festuca myarus, Pycrcus havescens,Vriesea panniculata, Tillandsia pulchra, Ponthieva pau-ciflora, Pleurothallis longilabris, Piper aequale, Pepcro-mia alpinae, P. polystachya, Persea Krugii, Cardamine

hïrs'uta, Canavaîia ensiforniis, Oxalis latifolîa, Cupheaciliata, Miconia tetrastonia, M. lanceolata, Jacquemoh-

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tia apocynoides, Solanum umbellatum, Piqueria tri-

nervia, Gnaphaliurii viscdsuni, Trixis divaricata. Espè-ces nouvelles: Diplazium Urbàni, Adiantum Urbania-

num, Zeugites haitiensis. Lepanth.es mornicola, PiperBuchii, Ficus Picardae, Pilea Christii, P. caulescens, P.

Plurnërii, P, sellèana, P. diandra, Phthirusa oliganta.P. bistriota, Coccoloba Picardae, Iresine domingensis,Disciphania domingensis, Cleome Christii, Pithecolo-bium Oppositifolium, Cynomelra americana. Cussia sel-

leana, C. mornicola, Stigmatophyllum haitiense, Hiero-

nynia domingensis, Croton polytomus, C. Buchii, C.

Krugianus C. Picardoe, C. brachytrichus, C.Jsegerianus,C. citrifolius, Sebastiania Buchii, Hoemocharis alpestris,Passifoflora anadenia, P. orbiculata, Bégonia exilis, B.

Plumieri, Cereus divaricatus, Nopallea moniliformis,

Calyptranthes Picardae,Eugenia Picardae, Miconia luteo-

la, M.domingensis, Mecranium tubereulatum, Giliberlia

brachypoda, Lyonia haitiensis, L. Tippenhaueri, L. Bu-

chii, Aidisia Picarda?,, Chrysophyllum Picardae, Metas-telma astephanoides, M. stenoglossum, Cordia Picardie,C. Sellèana, Lantana microcarpa, Clerodendron Picar-

dae, Teucrium Pieardee, Salvia Wunschmanni, S. sel-

lèana, Hyptis Schusteri, Cestrum violaceum. Gesneria

humilis, G. Christii, Oldènlandia selleana, Rondeletia

Chistiï, R. virgala, Psychotria Christii, P. Baltenwechii,

Mitrocàrpus Christii, Melothria domingensis, Eupato-rium selléanum, E. Jaegerianurn, E. Buchii, E. triadia-

tum, E. dictyoneurum, Mikania polycephala, M. poly-

choeta, M. tripartità, Erigeron Buchii, Sellesphyturn Bu-

chii, Anastraphia Picardae, Sloane domingensis, Abu-

tiion Buchii.Le nombre des espèces liées à ce district est de 119,

dont 24 sont connues dans d'autres Antilles, et 66 sont

des espèces nouvelles.

Le deuxième district est formé par la presqu'île de

Barahona qui est devenue aussi un locus classicus pourla flore de St Domingue depuis les excursions du P.

Fuertes. 1910-1912..La région qu'il a explorée s'étend

d'une part le long de la côte de Barahona, via Paradisà Enriquillo, au sud ( région visitée aussi par Turck-

heim ) remonte le rio Yaqui du Sud jusqu'àRincon ;

d'autre part .elle s'étend .sur les montagnes ail nord-ouëst et au sud-ouest de la capitale, comme La Ho, où

El Ajo( 2000 m.), les hauteurs de Las Salînas. Los char-

cos, El Ôyo (700 m. ), Noche Buena ( 1800 m. ) Pac-Min

go ( 1500 ), et Las Filipinas ( 600 m. ). Aux plantes re-

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cueillies sont ajoutées les indications d'altitude mais

pas de notes écologiques, et nous ne savons pas si les

plantes viennent de la forêt de pins ou d'autres endroits.

Espèces déjà connues des plaines et des faibles hau-teurs bornées à la province de Barahona : Cyathea ele-

gahs, Alsophila pungens, Polystichum melanochlamys,Hypolepis hostilis, Polypodium ciliatum, LycopodiumTuerckheimii, Vallisneria spiralis, Cenchrus carolinia-

nus, Chloris leptantha, Remirea maritima,. Physurussagreanus. Tetramicra parviflora, Oncidium pulchel-lum, O. leiboldi, Piper tuberculatum, Pilea lurida, P.

depressa var microphylla, Pisonia rotundata, Nelumbo

lutea, Nymphaea ampla varpulchella, Guatteria blainii,

Capparis eustachiana,. Pithecolobiurn glaucum, Crotala-ria pumila, Kallstrornia caribala, Fagatara spinitex,Malpighia variifolia. Phyllanthus lathyroides, P. poly

cladus, Gymnanthes pallens, Euphorbia serpens, Buxus

glomerata, Elasodendron xylocarpum. Matayba scrobi-

culata, Hypelata trifolatia, Kosteletzkya sagittala. Pa-chira emarginata, Homalium racernosum, Chrysophyl-lum bicolor, Ouscuta indecora, Merrenica glabra, Giliaincisa, Helkotropium microphyllurn, Lippia geminatavar. microphylla, Solanum guamicense, Wulfria hava-

nénsis. Espèces nouvelles: Cyathea domingensis, Thri-

nax longistyla, Pitcairnia. Fuertesii, Peperomia nizai-teensis, P. foraminum, Celtis Berteroana, Trema domin-

gewse, Pilea brachypila, Dendrophthora ternata, Aris-

tolochia leptosticta, A. Fuertesii, Coccoloba Fuertesii,Alternanthera geniculata.Nua subcoccinea, Clematis ba-

rahonensis, Anona bicolor, Crataeva apetala, Caesalpi-nia barahonensis, Galactia glomerata, G. Fuertesii, Pro-

. tium glaucescens, Croton inaequidens, C. koehneanus,C. barahonensis, C. Fuertesii, C. aridicola, Jatropha

acrandra, Hypocoton domingensis, Euphorbia defoliata,

Ilex barahonica, Serjania acuponctata, (? Meereshohe

unbekannt) Thouinia domingensis, Cassipousea obtusa,

Tetrazygia Fuertesii, Lyonia truncata, Paralabatia

Fuertesii, Maba domingensis, Plumeria barahonensis,

Callicarpa sordida, Dicliptera obtusifolia, lsidorea lep-tantha, Rondeletia heterochroa, R. Bauseana, R. Fuer-

tesii, Exostema rupicolum, Guettarda Fuertesii, G. ste-

nophylla, Psychotria Surianii, P. barahonensis, Sipho-

campylus Tuerckheimii, Eupatorium Fuertesii, E. Gab-

bii, Tetranthus cupulatus.(à suivre)

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NISSAGE SAGET

1810-1880

De la Rue des « Quatre Escalins »,Port-au Prince,

A la Grand'Rue de Saint-Marc ...

Conférence prononcée le Dimanche 12 Mars 1933

Au Dr CLÉMENT LANIER

Affectueux hommageI

Mesdames,

Messieurs,

Au milieu des compétitions douloureuses de son épo-que, un militaire, un vieux général, par son mâle cou-

rage, autant que par son libéralisme, a su sauver sonnom de l'oubli. Politique sincère et désintéressé, Chefd'Etat clément et digne, nous voici entonnant à sa

louange, l'associant en cela à quelques rares autres, levoeu si admirable formulé par Montalembert :. « Pour-

quoi nos concitoyens ne diraient-ils point sur nos tom-beaux : « ils ne vécurent point pour eux, mais pourleur patrie?»

Plus d'un demi-siècle, hélas ! a passé depuis que,pour jamais, son corps aujourd'hui en lambeaux, re-

pose dans la ville de ses rêves, Saint-Marc; dans Saint-Marc où dormaient déjà tant de soldats illustres: ici, un

Guy Joseph Bonnet; là-bas, un Gabart, surnommé le

Vaillant,— signataires tous deux de l'Acte de l'Indépen-ce; et. plus loin encore, cet autre vétéran de la Grande

Epopée des Aïeux, toujours au premier rang dans les

batailles, un Philippe Guerrier, que le roi Henri, qui seconnaissait en intrépidité, créa, pour sa bravoure, ducde l'Avancé...

Aussi, par des nuits sans clarté, quand la bourrasqueau dehors pleure et passe, notre imagination se com-plaît à entendre dans la tourmente, les sanglots déses-

pérés de tous ces brayes, devant la veulerie envahis-

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sante, cependant que, dans les lointains, se profile-raient leurs ombres inconsolées ...

NISSAGE SAGET, ainsi s'appela l'homme. Une croixde marbre, surmontant un modeste caveau, redit sonnom au passant. Et, ce nom, est une cocarde ...

Dessalines, un jour, n'eut la vie sauve que grâce audévouement de Nicolas Saget, son père. C'était vers lafin de 1802,1e 17 Octobre; un peu après l'exode de laCrète-à-Pierrot. De droite et de gauche, le canon tonnaitavec rage. D'un côté, on avait Leclerc, retranché der-rière les murs du Cap; et, de l'autre, les indigènes: Pé-tion, Clerveaux et Christophe en tête, abandonnant la

Métropole, et groupés pour un coup décisif, quand,dans le camp français, le Général Quentin à Saint-Marc,envoya l'ordre au Chef de brigade Andrieux de s'assu-

rer, à la Petite-Rivière de l'Artibonite, de la personnede Dessalines, soupçonné d'être de mèche avec les in-

surgés, malgré ses protestations de fidélité à la mère-

pairie ...

«Le messager porteur de cet ordre, dit Bonnet, arri-va au bourg au moment où Dessalines déjeûnait avec lesofficiers de la garnison, à une table d'hôte dressée dansune des pièces du presbytère. Aussitôt, se fit un mou-vement de troupes. Le général avait l'habitude d'entrer,après son repas, chez le curé, (l'Abbé Videau) pren-dre une tasse de café que lui réservait Mme Pajeot.femme de couleur, gouvernante au presbytère. Cettedame qui partageait les inquiétudes de la population,après lui avoir remis sa tasse, porta vivement ses brasen arrière, simulant la position des membres d'une

personne que l'on garotte.

Dessalines la regardait avec élonnement, lorsqu'aumôme instant, Nicolas Saget qui du bureau de la placeavait épié le mouvement et avait surpris l'ordre d'en-

velopper le presbytère, arriva à la course, criant à hau-te voix : Aux armes, aux armes, général Dessalines,on va vous arrêter. La tasse échappa de ses mains, il se

précipita par une porte qui donnait sur la campagne, et,suivi de Saget, alla s'établir à Plassac où il fut rejointpar tous ceux qui avaient couru aux armes».

Voilà le père ...

Ce Nicolas Saget, affranchi de naissance, fut, tour à

tour, Officier de l'Etat Civil à Dessalines et Notaire à la

Petite-Rivière de l'Artibonite après l'Indépendance.

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Un acte authentique, d'un réel intérêt pour l'historien,et qu'il a eu à rédiger à Marchand, dit ce qui suit:

« Par devant nous, Nicolas Saget, Officier public del'Etat civil de la Commune de Dessalines, est comparuJean-Jacques Dessalines, Empereur d'Haïti, en présencede Son Excellence le général de division Vernet, mi-nistre des Finances; Louis Bazelais, Pierre Cangé, gé-néraux de brigade; Larose, colonel du 8ème régiment;Jean-Louis Longueval, colonel du 4ème régiment; Jac-

ques Philippe Guerrier, colonel, commandant le 7ème

régiment et Charles Marcadié, colonel, commandant le

premier régiment de cavalerie; a déclaré et ce pourobéir à l'article 13 du Titre 3 de la Loi du 4 Juin 1805,

que Célestine Jacques Bien-Aimé, issue de ses oeuvresavec l'impératrice d'Haïti, avant leur union conjugaleet depuis légitimée par leur contrat de mariage passéle 2 Avril 1800, est née à St-Marc le 2 Avril 1793, sur les4 heures du matin, la dite enfant âgée d'environ 9 anset 10 mois et demeurant en cette ville ;

Est comparue Marie-Claire Heureuse, Impératriced'Haïti, laquelle en présence des témoins susdits, a pa-reillement déclaré que l'enfant du sexe féminin, ci-des-sus désignée, dont elle est accouchée (?) le 2 Avril 1793,dans la ville de St-Marc, sur les 4 heures du matin, se

nomme Célestine Dessalines. Desquels dires et décla-

rations, à la réquisition expresse du dit père, j'ai dresséle présent, que les dits déclarants et témoins ont signéavec moi », etc.

Un second acte, d'égale teneur, bâti aussi par Saget,se réfère à l'autre fille des époux Dessalines, née com-

me sa soeur à Saint-Marc, mais le 2 Octobre 1789 et à 3

heures du matin . ..

Le 10 Octobre 1816, tandis qu'on entonnait dans Port-

au-Prince un Te Deum d'action de grâces pour le votedu nouveau Pacte Fondamental élaboré au Grand-Goâ-ve et qui venait de conférer à Pétion la présidence à

vie, ce même Nicolas Saget, d'une bravoure folle, fon-

çant droit devant lui, monta dans l'église sur une chai-

se, face à Pétion, et, à la stupéfaction de l'assistance,osa crier au Président de la République, que ce n'est

pas pour être témoin de ses turpitudes que, répondantà l'appel de sa paroisse, il a laissé derrière lui sa femmeet ses enfants ....

Le fils devait avoir la même fougue, la même belleinsolence . . .

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II

Né à Port-au-Prince, rue des 4 Escalins, le 20 Septem-bre 1810,—et non pas à Saint-Marc, comme les histo-

riens l'ont écrit, sur la foi d'on ne sait quels renseigne-ments erronés,— JEAN-NICOLAS NISSAGE SAGET,tout jeune encore, se retira avec ses parents à la pe-tite Rivière de l'Artibonite où il perdit son père. Sa

mère, Elisbeth Julien, fille d'un honorable cultivateurdes environs du dit bourg. Mr. Félix Julien, entra alors

à Saint-Marc avec ses quatre enfants. Nissage, l'aîné,étudia sommairement; et le père s'étant établi durantla Scission, maître-cordonnier dans Port-au-Prince, ilse fit tailleur avec son frère Nicius; Julien, lui, aimamieux s'établir chapelier tandis que Passius s'adonnaità l'agriculture

Des jours passèrent. Un matin de Mars, la curiosité

des passants fut attirée par des placards qu'ils atten-daient et qu'ils revirent, à une même porte, deux di-

manches d'affilée. Aussitôt, les commentaires de courir..

Et deux mois plus tard, le mardi 16 Mai de l'an de

grâce. 1837, à 7 heures du soir, Jean-Nicolas NissageSaget,seulement âgé de 27 ans, comparaissait devant Ar-thur Nicolas. Vernard, Officier de l'Etat Civil de la Villeet la Commune de St-Marc et prenait en légitime ma-

riage' une fort jolie St-Marcoise, " avec de très beaux

yeux pour des yeux de province," Marie-Louise Au-

gustin e Louis Mortier, âgée de 24 ans, fille posthume de

feu Louis Mortier décédé le 15 juillet 1812 et de la

d'âme Marie Esnard. En présence des citoyens : Des-

tin Pierre-Louis, âgé de 28 ans, greffier ad hoc dutribunal de Paix de Saint-Marc; Souverain.Edouard,

âgé de 21 ans, sergent au 6ème régiment; Augustin

Rossignol, âgé de 56 ans, directeur du Conseil desNotables de la ville et Charles Paul Massicot Fils,

âgé: de 29 ans, propriétaire; tous quatre témoins dû-ment qualifiés.

L'année d'après, le baron de Lascases, plénipoten-tiaire de Sa Majesté lé roi de France Louis-Philippe,accompagné du Capitaine de vaisseau Baudin, concluaità Port-au-Prince deux, importants traités: l'un, politi-que, reconnaissant la république d'Haïti comme Etat

libre, indépendant et souverain, l'autre, financier, ré-duisant à 60 millions de francs le solde de l'indemnitéde 150 millions réclamés en 1825 par l'Ordonnance deCharles X.

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Nissage, que la carrière des armes attirait, abandon-nant ses ciseaux, prit du service au lieu de sa résidenceet le gouvernement de Boyer lui décerna un brevet de

Capitaine.

Mais, quand la révolution de Praslin éclata, Nissage,malgré ses 32 ans, en était encore à la période ardenteoù un flambeau, suivant le mot du poète, vous paraitplus grand qu'une étoile; gagné par les idées généreu-ses clamées par le fameux Manifeste du 1er Septembre1842, il sympathisa de tout son coeur avec les insurgés.

Hélas! le déterminisme psychologique a aussi ses exi-

gences. Autres, n'auraient pas été les sentiments du pè-re.— Qu'est-ce que c'est que l'hérédité, en effet, « cettecause des causes», si ce n'est, comme on l'a si bien

pensé, le retentissement en santé ou en maladie des faitset gestes de ceux-là qui ne sont plus sur leurs des-cendants ?

Que disaient les citoyens des Cayes dans leur vibrant

Appel ?— « En demandant le changement de la Consti-tution, écrivaient-ils, nous ne pouvons nous empêcherd'exprimer le voeu de voir abolir la présidence à vie. Ilfaut que le pouvoir exécutif sache que les Chefs d'Etatne sont que les serviteurs du peuple. En renouvelant

périodiquement le personnel du gouvernement, on aura

rarement à se récrier des inégalités de rang et de for-

tune. En ne conférant que temporairement la plupartdes fonctions publiques, l'union dans les familles sera

plus facilement et plus fortement resserrée. Le pouvoir-executif à vie dans les Républiques, a souvent servi de

marchepied à l'établissement de la monarchie ; du

moins, il laisse certainement la chance des cruelles an-

goisses, de la longue agonie de la gérontocratie »...

On combattait donc la présidence à vie ! Et ce sont là

justement, on se le rappelle, les raisons pour lesquelles,26 ans auparavant, en 1816, Nicolas Saget, debout dans

l'église de Port-au-Prince, bravait la colère de Pétion.

Nissage, sur qui des soupsons avaient plané, fut desti-

tué publiquement pour s'être battu de Pâme dans les

rangs des ennemis de l'autorité; mais quand la révolu-

tion eut triomphé, Charles Hérard Aîné, général de divi-

sion, Chef de l'armée dite expéditionnaire et Membre du

Gouvernement Provisoire qui suivit le départ de Boyerpour la Jamaïque, l'éleva au grade de Chef de Bataillon

de la Garde Nationale.

L'homme, dès lors, était lancé. L'étrier qui devait

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le mettre en selle était forgé, car c'était là sa prisede contact avec la gloire.

III

Mais des malheurs, nombreux aussi, l'attendaient. Unmauvais génie a toujours semblé présider aux desti-

nées de ce pays. Les hommes, les mieux aimés pour-leurs professions de foi patriotiques, grandiloquentesau possible, déçoivent par leurs attitudes d'histrions,sitôt leur avènement réalisé.

Nissage en eut la preuve avec ceux de 1843 . . .

Quand, en 1847, après 3 gouvernements éphémères;dont ceux de Guerrier et de Pierrot, le bonhomme Quoi-

chi, au grand dam des généraux Souffrant et Paul, lesseuls candidats en vedette à la succession de Riche,sera élu, d'office, par le Sénat, président de la Républi-

que, allant toujours de l'avant dans les chemins quimontent, Nissage jouissait à Léogane des prorogativesde Commandant d'arrondissement avec le grade de Gé-néral de Brigade. Il y était à l'aise, au milieu de sympa-thies agissantes, son père y ayant résidé en 1816 comme

préposé d'administration. Ayant des loisirs, pour s'oc-

cuper, il s'était fait spéculateur en denrées et avait, mê-me entrepris un grand commerce de chevaux. Aussi, il

ne se souciait guère de ce qui se passait dans Port-au-Prince où il n'avait point affaire, avec un tempéramentà la fois impétueux et intransigeant, dans Port-au-Princeoù l'on ne pouvait plus rire,—dans l'entourage du Chefd'Etat sacré empereur, s'entend,—que si quelque lourd

Chambellan, en habit d'apparat, en avait, donné l'autori-sation par une formule sacramentelle.

Il résolut donc de s'enfermer dans son District.

Puisque la féodalité semblait renaître au profit de

quelques nobles antillais, ce sera comme son fief à lui.Mécontent de la tenue des troupes, il y organisa, pour

lui-même, une manière de garde citoyenne qu'il équipaà ses frais. Trois cents hommes, environ, avaient reçuchacun, de la munificence de leur seigneur, un panta-lon blanc et une tunique de toile bleue. Et Nissage quiaimait les galons et le faste militaire, tout chamarré,prenait plaisir à les voir défiler aux jours de parade.Mais, la chose s'ébruitant, déplut. Soulouque qui luien voulait déjà d'avoir énergiquement protesté, de sa

retraite, contre l'assassinat de l'ancien Doyen du Tri-bunal Civil des Gonaïves,— le Secrétaire d'Etat Fran-

cisque,— irrité au possible, le manda à comparaître;

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et comme Nissage, un peu souffrant, tardait à déférer-à l'invite impériale, surpris dans sa résidence, il fut ar-rêté sans façon et traîné dans Port-au-Prince où on l'é-croua. Sa sentence de mort est vite prononcée; le chefd'accusation susceptible d'entraîner la peine capitaleétait indiqué, on avait fait de lui un conspirateur...

Mme Nissage se trouvait à Saint-Marc, qu'elle n'a-vait d'ailleurs jamais quitté positivement, son mari

n'ayant pas voulu qu'elle l'accompagnât jusque dans soncommandement. La nouvelle de l'emprisonnement et del'exécution prochaine lui parvint. C'était un vendredi, ausoir. La nuit même, elle fit apprêter le meilleur cour-sier de ses écuries, et, sans attendre ses beaux-frères,partit à fond de train.

Quand elle entra dans Port-au-Prince, vers les 3 heu-res de relevée, et le lendemain, une batterie de tambour,assez significative, lui fit comprendre qu'elle arrivait

trop tard...

Mais non ; en toute hâte, elle gagna la prison où des

militaires, en armes,étaient massés. Nissage était là, aumilieu du groupe, luttant contre la soldatesque effrénée.

—«Finissez-en, criait-il de sa voix la plus forte à ses

bourreaux. Tuez-moi à cette place et vous ferez ce

que vous voudrez de mon cadavre ; mais, vivant, jene sortirai plus d'ici ».

C'est que, deux fois déjà, il avait été conduit au lieu du

supplice avec d'autres infortunés, ses compagnons de

chaîne, et puis, seul, ou l'avait ramené dans son cachot

après l'horrible tâche. Ce jour là, à bout de patience,il refusait net de partir...

Alors, les soldats ahuris, virent cette scène affolante:Mme Nissage, descendue de cheval en sanglots, cou-rant à son mari, se jetant à ses pieds et le suppliant de

partir.— « Ne laissez pas croire à ces sbires, lui disait-

elle, que la mort vous effraie. Vous avez toujours vécuen homme, il faut mourir en homme ». Et comme Nis-

sage, têtu et tout à son idée, ne voulait toujours pas selaisser faire, elle prit elle-même la corde que tendaitles soldats, et, de ses menottes de femme, ramena parderrière les deux bras de son mari qu'elle lia, et puis,dans ses pleurs, et sur un long baiser d'adieu, le confiaaux bourreaux .. .

Nissage, lentement, est entraîné...

Mais l'impératrice Adélina que l'on sait compatissanteest vite mise au fait. Et son âme de mère et d'épouse s'en

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émeut. Elle va vers l'empereur, et, en jouant sur une

corde sensible, se fait si pressante, qu'elle obtient la

grâce du condamné.— « N'est-ce pas une éclaboussure

pour l'empire, lui avait-elle dit, que le geste de cette

femme, si le mari est tué ? »

Or, l'orgueil était le péché mignon de Sa Majesté ...

Une estafette fut lancée en diligence et Nissage qui s'ap-prêtait à embrasser êtres et choses, d'un suprême et

dernier regard, par faveur d'Etat, eut la vie sauve. Ce-

pendant, la liberté ne lui fut pas rendue. On le gardaen prison comme dangereux pour l'ordre public, guet-tant, pour l'occire, l'occasion favorable. On allait par-fois, jusqu'à laisser ouvertes, comme par mégarde, les

portes de son cachot. Mais Nissage, qui savait d'ailleursà quoi s'en tenir, n'eut aucune velléité de fuir. Au con-

traire! Se souvenant de son frère Julien, le chapelier, ilse fit octroyer des fibres de latanier, et, sans se presser,comme un ouvrier goguenard salarié à la journée, en-tassa chapeaux sur chapeaux ...

Huit longues années pesèrent sur sa captivité. Huit

années de meurtrissures et d'angoisses. Aucune espé-rance ne le berçait. Il n'attendait plus rien de la terre,

quand, pour lui, tout à coup, une aurore, radieuse,se leva...

IV

Au cours de la campagne entreprise dans l'Est, parl'armée haïtienne de Soulouque, en Mars 1849, un offi-

cier', entre tant d'autres braves, avait réalisé des pro-

diges de valeur.

Proche d'Azua, surtout,—au Carrefour de la Table,—face au gros des forces dominicaines, et où, quoique

grièvement blessé, il n'accepta à rallier l'ambulance

que Porsqu'il eut taillé l'ennemi en pièces. Aussi, plustard, à la proclamation du Second Empire, il obtint des

lettres de noblesse; en souvenir du théâtre de ses ex-

ploits, il fut créé duc de la Tablé. Même la sollicitude

de l'empereur alla jusqu'à faire de lui, un peu après,son Chef d'Etat-Major. Cependant, ca privilégié, com-

blé au possible, devait grouper dans l'ombre les insa-

tisfaits, les opprimés. Ses propres affiliés le dénoncè-

rent; mais la confiance du monarque en lui était si

grande qu'il ne fut pas inquiété. Une nuit, pourtant,comprenant que les yeux de l'empereur enfin se dessil-

laient et qu'il: fallait se hâter, il prit passage sur un frêle

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canot, se jeta dans Gonaïves pour une levée de bou-cliers et c'était, dès là, le glas de l'empire..

Ce politique sournois et ténébreux, vous vous en dou-tiez bien, Mesdames et Messieurs, c'était: Fabre Nico-las Geffrard ...

Faustin 1er, mis en déroute à Mary, non loin de Saint-Marc qui subissait le feu de sa flotille et où on l'atten-dait pour lui demander raison du sort fait à Nissage,trahi par sa noblesse et abandonné de toute la théoriede ses barons, chevaliers et grands-ducs poudrés à fri-

mas, dut abdiquer pour s'embarquer, le 15 Janvier 1859,sur le Melbourne à destination de Kingston.— « Le ty-ran n'est plus » ! répétait-on à satiété.

La même fièvre d'allégresse qui avait suivi de Pont-

Rouge, reparut en manière d'épilogue. La Républiquerenaissait. Geffrard succédait à Soulouque... Au dired'un chroniqueur, jamais Chef ne fut plus entouré à sonavènement de tant d'enthousiasme, de tant de sympa-thie que celui-là. En effet ! Un vent de folie paraissaitsouffler sur le pays entier. On ne rêvait que des fêteset que danses comme pour recouvrer le temps perdu.

Des cirques s'établissaient dans Port-au-Prince. Un.théâtre était construit à la rue Bonne-Foi. Même laProvince s'en mêla. A l'Anse-à-Veau, ville natale du

Président, on joua le Misanthrope, Port-au-Prince ré-

pliqua avec «Les diamants de la Couronne», « La filledu régiment» et la belle Comédie de caractère d'Emile

Augier: «Le gendre de Mr Poirier» ...

C'était aussi l'époque des généreux éfans. Des fondsavaient été hâtivement groupés pour la veuve de John

Brown, après Harper's Ferry, et, de Jersey, dans saretraite de Marine Terrace, las de faire tourner lestables en compagnie du Général Le Flô ou de Vacque-rie, Victor Hugo écrira à Mrs Audain, Elie et Paul :—«J'aime votre noble République, j'aime votre Pays di-

tes-le lui».

Le Chantre de Milly, de son côté, en retour d'uneliste de souscriptions, couverte à son profit, pour lerachat du domaine familial tant aimé, dira de Maçonà Délorme pour lui traduire sa gratitude : - « Saint-Pointvous devra un de ses arbres et mon coeur une de ses

fibres ».

Sur cette noté joyeuse, lentement, l'un après Pau lie

tous pareils, les jours fuyaient..

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V

Nissage, comme bien on le pense, avait été élargien grande pompe. Il fut rétabli dans son commande-ment avec le grade enviable de général de division.C'était toujours le même homme pourtant, prématuré-ment vieilli, et non point aigri, comme on l'aurait pusupposer, mais de manières tout uniment plus brus-

ques, le verbe haut...

Quelques mois seulement plus tard, quand la fille du

président, Mme Manneville Blanfort, née Cora Geffrad,fut tuée chez elle à coup de tromblon, tandis qu'elle lisaitun soir de Septembre à la lueur discrète d'une veilleuse,Nissage était appelé à la délicate et périlleuse tâche de

présider le tribunal militaire formé en vue de statuer sur

la culpabilité des accusés. Trente-deux arrestationsavaientété effectuées et maintenues.Trois contumax,aurang desquels Guerrier Prophète, ministre de

l'empireet

de la restauration, devaient être en même temps jugés.Nissage, assisté du Colonel Dorvilié Alexandre, vice-

président ; des Commandants Marcelin Pierre-Jacqueset Pierre Monplaisir Pierre; du Capitaine Orner Pierre-

Louis, du lieutenant Ducoste Fils et du sous-lieutenântAlexandre Tate,s'en acquittera à son honneur en contri-buant à renvoyer, pour défaut depreuves, 12d'entre lesaccusés contre lesquels aucune charge sérieuse n'avaitété produite, en dépit des efforts contraires des accusa-

teurs,— le. Général de brigade Jean-Baptiste Lespinasseet le Chef d'escadron Paulémon Lorquet...

Cependant, malgré la vigueur de la répression, cette

conjuration ne .sera que le prélude d'agitations plusgrandes. Le glaive de la rébellion était tiré; le vieuxdémon révolutionnaire avait encore passé sur le pays..En-vain les cours spéciales multipliaient les condam-

nations, les meneurs ne désarmaient pas, nonobstantles farouches rigueurs de la Loi Martiale...

Diverses mesures executives,— par trop malheureuses

aussi, il est vrai,—avaient rendu le Chef d'Etat à vie, fran-chement impopulaire. Môme on l'accusait,— ce qui étaitfaux !— de vouloir vendre le pays aux blancs...

Mais la plus importante de ces insurrections devaitêtre celle du 7 Mai 1865. Naguère au grade de Chef

d'escadron, dans l'armée active, Sylvain Salnave, dé-claré traître à la Patrie et condamné à mort par unArrêt en date du 16 Août 1864, partit de Dajabon oùil s'était exilé, entra au Cap-Haïten avec quelques aven-turiers dominicains et fut reçu chaleureusement. A sa

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voix, la ville entière se souleva. En masse, les paysansdu Nord se groupèrent. Déjà ils marchaient sur les

Gonaïves, quand une armée régulière, forte de douzemille hommes, fut mobilisée et dirigée contre eux sousles ordres des généraux Morisset, Barthélémy, Faubert,Montas.

Naturellement, Nissage ne pouvait être oublié.

Refoulés, les révolutionnaires se retranchèrent derriè-re; les murs du Cap; et, à la arrière-Bouteille, l'armée

Gouvernementale, mise en échec, dut se résoudre à fairele siège de la ville.

Choc effroyable! Depuis les guerres de l'Indépendance,on n'avait vu dans le Pays pareil effort. Et il était seule-ment regrettable que tant d'ardeur ne se dépensât quepour une lutte fratricide. Car, pour reprendre un mothorrible de Dante, ce fut tout une luxure de sang. Desdeux côtés,on se battait avec rage. Dès le 22 Mai, le géné-ral Morisset tombait au Bois d'Orme, à une lieue de Plai-sance ; Pétion Faubert est blessé ; et quand, le 12 juillet,Lubérisse Barthélémy, frappé dans le dos par un deses soldats, Fénélon Chavannes, salnaviste ardent, éga-ré dans leurs rangs, s'affaissera, Nissage qui, devait,alors assumer le Commandement en Chef, de l'avis desuns et des autres, fut tout uniment sublime de sang-froid et de bravoure. A cheval, on le vit s'élancer pourse mettre à. la tête des divisions, et, le sabre au clair,comme pour une dernière parade, entraîna de toutesa fougue l'armée entière à l'assaut, sous le feu meur-trier de la mitraille et des boulets ennemis...

VI

Cependant, Geffrard s'impatientait dans Port-au-Prince.

Le siège avait trop duré à son gré. Le 26 juillet, il en-

voyait sur les lieux une délégation composée du générral Bazelais, président, des sénateurs Jacques, Dupin,Heurtelou, et du député Nazaire à l'effet d'inspecter lasituation des troupes pour un rapporta son gouvernerment. Et, le 25 Août, ne pouvant plus tenir, Sa Grâce

Monseigneur de la Table, la pensée obsédée par le rap-pel de ses prouesses d'Azua, sortit de Port-au-Prince

pour être à même de diriger personnellement les hos-tilités et alla tout d'abord s'établir à l'Acul.

Il y était encore quand, inopinément, des complica-tions décevantes surgirent, aggravant au possible la po-sition des insurgés...

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Un bateau de l'Etat, La Voldrogue, capturé par eux

dans les derniers jours de Septembre, armé, et lancésous un nom nouveau, La Providence, donnait la chas-se à un navire marchand anglais au service du gouver-nement, le Jamaïca Packet, Capitaine Cosgrove, quandun cuirassé de guerre anglais, Le Bull-dog, que le pa-

quebot accosta en mer, s'interposa.

En manière de représailles, le Comité de Salut Public,formé au Cap par les révolutionnaires, avec le généralJean-Joseph, président, Mrs Delorme, St-Ilmont Blot,Simon Sam, Evariste Laroche, Joseph Leroy et Sey-mour Auguste, membres, décréta : 10 Qu'il ne sera

permis à aucun officier ou homme de l'équipage du

Bull-dog, qui stationnait alors au Cap, de débarquer au

retour du cuirassé dans le port; 20 Que le Consul an-

glais sera requis de livrer les réfugiés politiques quiavaient cherché un abri sous sou pavillon. Ces deux

points, exécutés à la lettre, le 20 Octobre, le CapitaineWake du Bull-dog, décidé, « pour laver la souillure » àbombarder le Cap, entrait à l'Acul où il eut une entre-vue avec le Chef de l'Etat, entrevue au cours de laquelleils se concertèrent pour une action commune. Et, malgréles louables efforts du Commandant d'un navire de

guerre américain, le Capitaine Walker, 3 jours après,le 23, le Bidl-dog, arrivant en course folle, ouvrait ra-

geusement le feu sur les fortifications de la ville. La

Providence, Capitaine Villanueva, à l'ancre, fut coulé.

Et l'on vit cette chose étonnante, Salnave, bravant

l'anglais, tout en luttant avec frénésie contre les assié-

geants.

Cependant, dans sa furie, le Bull-dog s'était jeté con-tre un banc de sable et se trouva, par suite, fortementéchoué. Pour échapper alors au feu des insurgés, quilui avait enlevé une de ses chaudières, à la nuit, et pourfinir en beauté, il se fit sauter! Mais quand, quelquesjours après, le 7 Novembre, d'autres bateaux anglais,le Lily et la Galathea, s'en mêlant, Geffrard qui s'étaitmis à la tête de ses troupes, entrera enfin dans l'en-ceinté du Cap, tout fumant de ruines amoncelées,—età la faveur des canons de Sa Majesté Britannique,-Nissagë n'était plus là. Il avait tranquillement regagnéLéogane. Et comme, de retour dans Port-au-Prince, le26 Novembre, Geffrard qui avait accepté, de façon aussi

ignominieuse, le concours de l'étranger, essayait delui reprocher de n'être pas resté sur le champ de ba-

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taille pour, surgir â ses côtés dans la Capitale du Nord,Nissage le regarda bien en face ; et, pour toute répli-que, lui jeta dédaigneusement, comme pour mieux

marquer sa réprobation :—« Président, je n'aime pas lasauce anglaise »...

Cassant et vif, Nissage n'avait pas l'âme d'un courti-san. La flatterie n'était pas son fait. Il ne demandaitson avancement qu'à son courage, sentant, comme l'Au-

tre, dans ses veines en feu, « ce pouvoir créateur quifait surgir des mondes»...

VII

A l'époque, Mesdames, Messieurs, la garde du Pré-sident de la République se composait de 6 corps d'élite:

Grenadiers à pieds, Chasseurs à pieds, Artilleurs,Grenadiers à cheval, Chasseurs à cheval et le Corpsdes Tirailleurs.

Ces derniers soldats avaient toute la sollicitude duPouvoir. Bien rationnés et bien équipés, c'était unetête pour les yeux de les voir défiler avec leur tuniquede drap vert foncé, losange rouge au collet, fermée deboutons jaunes et plats; le chef couvert d'un képi bleuà queue rouge, portant élégamment leur pantalon vertavec passepoil rouge, des guêtres noires avec des con-

tre-épaulettes rouges sans fil. Comme armement, unecarabine Minié avec sabre-bayonnette et giberne àcoulisse au ceinturon.

Quelques semaines après sa réinstallation au Palais

National, voulant réorganiser les Tirailleurs de sa garde,en n'y faisant entrer que des fils de famille,— pourse venger, disait-on, des jeunes hommes du Nord et

de l'Ouest, par trop frondeurs,— Geffrard, mal inspiré,recourut à l'enrôlement forcé. Par circulaires, il avait

demandé à ses Commandants d'Arrondissements et de

Communes d'acheminer sur Port-au-Prince des jeunesgens de leurs Circonscriptions militaires.

Lui-même avait prêché d'exemple, en enregistrantson propre fils. Tous les Commandants, jetant la déso-

lation dans les foyers, s'étaient exécutés, à l'exceptiondu seul Nissage. Comme, en haut lieu, on s'en plaignait,un beau jour l'on vit entrer dans la cour du palais, un

homme à cheval,— un semi-bourgeois,pourrait-on dire,—soutenant un petit paquet de linges, noués dans un ma-

dras, et suivi d'une dizaine de cultivateurs,—à pied, ceux-

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- 14 -

là. L'homme était porteur d'une lettre, qu'il remit à l'o-fficier de service. Il venait de Léogane et s'appelaitToussaint.

Le Président que tout ce manège avait attiré, appa-rut. La lettre lui était destinée et elle émanait de son

général de division qui lui envoyait des recrues pour sa

gardé.—« Comment ! Il n'y a que ces hommes avec vous ? »

demanda le Chef, interloqué, au messager.— « DansLéogane il n'y aurait pas de jeunes gens!Non. Ce n'est

pas possible. Nissage se moque dé moi". — « Prenezcet homme !» Et il désignait à l'officier le nommé Tous-saint:— « Conduisez-le à l'Instructeur. Je veux le faireCommandant d'arrondissement à Léogane »...

—«Vous, mes amis, ajouta-t-il, s'a dressant alors aux

paysans, je n'ai pas besoin de vous ici. Allez, en paixdans vos chaumières. Retournez à vos champs». Et illeur fit distribuer de l'argent. Puis, de sa main, il écri-vit au divisionnaire pour le sommer de venir expliquer

sa conduite.. Nissage, aussitôt,, arriva à Port-au-Princeet se rendit au Palais, escorté d'un secrétaire particu-lier. ...

—« Général, lui dit le Président, dès le péristyle, je ne

comprends pas votre attitude. Je vous fais demanderdes jeunes gens et vous m'envoyez des paysans! C'estintolérable».

—« Président, répartit. Nissage, où voulez-vous que jevous en trouve? Je n'ai pas d'enfant, moi !»

-«Général! clama Geffrard, colère, rappelez-vousque vous vous adressez au Pérsident de la République ».

Et Nissage de rétorquer, superbe :—« Qu'est-ce que ça fait? Vous êtes Président, mais

je puis l'être aussi»...Geffrard n'en put en fendre davantage. Il se retira,

frappant du pied, jurant qu'il saura faire respecter sonautorité. Alors, le secrétaire de Nissage, qui assistait àla scène, comprenant que leur dernière heure à tousdeux était venue, se mit à pleurer en tremblant.

—« Poltron ! » lui dit le fougueux général en lui tapantfamilièrement l'épaule. Et il alla attendre dans la cour-du Palais le bon plaisir de Son Excellence. Une heure

-après, voyant que rien ne venait, il se ,résigna à pren-dre son chevalet regagna Léogane...

VIII

Cependant, retiré dans ses appartements, Geffrard

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— 15 -

était réelement décidé à supprimer de la circulation ce

général ombrageux et par trop encombrant. Mais, dans

son entourage, on lui enjoignit de ne pas recourir à la

manière forte.

-« Prenez garde!» lui avait-on. dit. —« Ne touchez pasà Nissage, car St-Marc se soulèverait.» Et l'on con-

vint d'user d'expédients. Une quelconque substance

nocive, versée bien à propos, est vite absorbée. Ni

ou ni connu, pas d'insurrection possible. On portaMme GefFrad à lui écrire, pour le prier de la venir

trouver pour une réconciliation avec le Président.

Nissage déféra à l'invite. Cette fois; Un guide avait

remplacé le secrétaire. Il arrivait, en tEnue de parade,et en faisant sonner ses éperons. Mme Geffrard alla le

prendre dès le seuil du palais.

—« Vous ne pouvez pas vous brouiller ensemble, lui

dit-elle, c'est impossible». Et il fut conduit au Prési-

dent.

Nissage marqua bien, dans la conversation qui suivit,

que c'était par pure déférence pour Mme Geffrard qu'ilétait retourné au palais. On lui en sut gré, et des coupes

furent apportées. Oh les emplit. Mr et Mme Geffrard,

servis, on tendit le dernier verre à Nissage qui se mit

debout:

—« Pour vous prouver que c'est sansi rancune que je

bois, dit le rusé Commandant, qui se doutait bien de

quelque chose, Mme Geffrard donnez-moi votre verre».

Et, joignant le geste à la parole, il vida d'un trait

la coupe de son interlocutrice, et, sans prendre congé,

pirouetta sur ses talons....

La mesure était comble. Il fut cassé dans son com-

mandement et remplacé par Heurtelou.

Nissage,que plus rien dès lorsne retenait dans l'Ouest,rentra à Saint-Marc, où sa mère était morte, l'année

d'avant, le 18 Février 1865, et où sa femme l'attendait.

Il y fit une longue maladie qui l'alita un mois durant.Et c'est là que, le 2 Mars 1867, Victorin Chevallier,venu d'Inague, et suivi de Mrs Prude, Eugène Souty,Clodéus Claude, Jean-Charles Barthélémy et débarquésfurtivement à' la Rivière Salée, viendront lui demander

de se mettre à leur tête pour une insurrection.

Ni ambitieux, ni intrigant, il déclina d'honneur et

leur enjoignit, a priori, de regagner le large. Il nedevait adhhérer au mouvement, qu'à son corps dé-

fendant, et lorsqu'il comprit bien que plus rien ne pou-

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- 16 -

vait maintenir Geffrard en selle, en dépit de sa science

d'écuyer et de manoeuvrier politique,en face de l'horizon

gros d'orage.En effet, 11 jours après, le 13 Mars, abandonnant le

pouvoir, comme Faustin 1er, à la muette, le Président,subissant la loi du talion, lui aussi s'embarquait...

IX

Une haute vacance était dès lors à combler. Confor-mément à l'article 119 de la Constitution de 1846, en

vigueur, le Conseil des Secrétaires d'Etat exerçait mo-mentanément l'autorité executive. Cependant, tous les

regards étaient tournés vers le glorieux général. Aussi,le Sénat, convoqué à l'extraordinaire par Geffrard,avant de se retirer sur le bateau de guerre français, LeDestin, se faisant l'interprète des sentiments populaires,s'empressa de l'élever, par un vote, à la première Ma-

gistrature du Pays.

Mais, Nissage refusa la Présidence...

Politique sincère et désintéressé, avons-nous dit dé-

jà, il avait compris que la paix toute relative qu'on goû-tait ferait encore place aux hideurs de la guerre civiie,si, plaçant le Pays avant tout, on ne faisait montre enl'occurrence de grandeur d'âme, en mettant, par un su-

prême holocauste, tout hochet d'orgueil, comme toutevaine gloriole, au rancart pour n'envisager que le bon-heur de la collectivité. Il avait juré, à Saint-Marc, de

l'assurer, ce bonheur, en entrant en campagne le 8 Marset d'obtenir, coûte que coûte, une révision constitution-nelle pour l'abolition de la présidence à vie, combattue

depuis toujours. Or, l'Orient avait gardé ses nuagessombres.

D'un côté, les partisans de l'ancien Président n'avaient

pas encore complètement désarmé. D'un autre côté, Vic-torin Chevallier semblait caresser ostensiblement unrêve inavoué. Quelqu'un paraissait devoir rallier tous les

groupes. Un ouvrier de la première heure, un ennemi.Et c'était Salnave ! Pas un instant, Nissage n'hésita. De

l'exil, l'homme du 7 Mai fut appelé. En attendant sa ve-

nue, et sur la requête des Secrétaires d'Etat, Nissage as-suma la présidence d'un gouvernement provisoire de 22

membres, avec, comme vice-président, le dit VictorinChevallier...

X

Salnave entra dans Port-au-Prince, le jeudi 25 Avril,

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au milieu d'acclamations enthousiastes. Tout avait été

apprêté pour le fêter avec éclat. Après un Te Deumchanté en son honneur à la Cathédrale, il se rendit au

Palais pour conférer avec ses collègues du gouverne-ment provisoire auquel il devait collaborer en atten-dant ; puis Nissage l'emmena pour une promenade en

ville. Cet autre beau geste avait encore grandi l'homme,si possible, dans la considération générale. Et le Jour-

nal « Le Réveil » se fera le porte-parole de tout un peu-

ple quand il publiera ces phrases vraiment élogieuses :

—« Le général Saget qui s'est déjà recommandé à no-

tre estime pour le rare désintéressement qu'il a montré

en refusant la présidence parce qu'elle lui était offerteen dehors des principes qu'il avait lui-même proclamésle 8 Mars, le général Saget, disons-nous, a été, jeudi,sublime d'abnégation,.

Dans tous les pays, il est rare de rencontrer des cito-

yens, qui, investis du pouvoir suprême, s'en dessaisissent

de si bonne grâce et qui, après avoir couronné l'é-

difice, songent à celui qui en a jeté les fondements»...

Mais, le 2 Mai, le général Salnave devait se retirer du

Gouvernement provisoire, qu'il jugeait encombrant avec

ses 22 membres, pour entreprendre, aussitôt, la forma-

tion d'une manière de Commission executive, aidé de

Nissage et de Victorin Chevallier. L'assemblée consti-

tuante,convoquée d'urgence, se réunissait à la même dateavec Mrs Lafontant et Archin, président et vice-prési-

dent; Gutierrez et Frédérique, 1er et 2ème secrétaires.

Le lendemain, 3 Mai, une manifestation populaire, con-

duite par Chevallier, était faite en faveur de Salnave qui

prit le jour suivant, endossant seul toutes les responsa-bilités, le titre de Protecteur de la République. Aussi,

quand, après le vote de la nouvelle Constitution, et un

mois plus tard; le 14 Juin, Salnave aura été élu Président

de la République, par les Constituants eux-mêmes, en

vertu d'un article spécial, pour une période de quatre

années, Nissage dont la misson à Port-au-Prince avait

longtemps pris fin, reposait tranquillement chez lui à

St-Marc.

Il ne voulut d'aucune charge, soit dans l'armée ac-

tive, soit ailleurs, au contraire de Victorin Chevallier

qui s'était fait nommer, le 16 Mai, Inspecteur Général

des Gardes Nationales de la République, pour jouir des

honneurs et prérogatives accordés à uu Commandant

de Département. Nissage attendait, un peu inquiet pour

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- 18 —

l'avenir, faisant par échappées des visites dans l'Ouestet souhaitant de toute son âme d'apôtre des jours meil-leurs pour son pays...

Hélas!Ses appréhensions allaient être bien vives, trois mois

seulement après...XI

Aux termes des dispositions transitoires du titre 8 dela Constitution de 1867, après l'élection du Président dela République, l'Assemblée Nationale Constituante, res-tant en permanance, exerçait la puissance législativepour tous les cas d'urgence, jusqu'à la réunion des deux

Chambres; les assemblées primaires et électorales de-vaient être convoquées dans le plus bref délai pour lanomination des députés des Communes; et le pouvoir-législatif, aussitôt groupé, l'assemblée constituante du2 Mai avait à se déclarer dissoute. Effectivement, lesélections ayant eu lieu, elle fit place, le 26 Septembre,au nouveau Corps législatif, lequel ouvrit sa session le3 Octobre. Mais, 8 jours plus tard, dans l'après-midi duonze Octobre, une séance orageuse se déroulait à laChambre des Députés. Une supplique, assez douloureu-

se, de la femme d'un général, Mme Léon Montas, née

Villette, écrite de Lascahobas, à la date du 6 Octobre,en avait été la cause:

—« Citoyens Représentants, disait la pauvre épouse, de-

puis le 8 Mai dernier le général Léon Montas gémit dansles cachots. Arrêté sans égard, ni pour son caractère, ni

pour son rang, ni pour ses loyaux services à la Républi-que, il s'est vu jeté sans pitié dans les fers, ignominieu-sement garotté de liens infâmes, traîné, à la faveur dela nuit, de la prison de Port-au-Prince aux cabanons del'Alexandre Potion. Gardé à vue, sans linge, sans soin,on l'a transféré dans la rade du Cap, retransporté àcelle de Port-au-Prince, ramené au Cap. Là, toujours lié,enchaîné, surveillé, conspué, traité en relaps, en ban-

dit, il est encore replongé dans d'affreux et immondescachots. La force de son âme, la confiance qu'il a dansles lois de son pays, dans le Corps Législatif, gardiende ces lois, et surtout dans la justice divine, soutiennentseules un reste désormais empoisonné de son existence.Valeureux et fidèle soldat, il est au rang des brigands;honnête et aimable citoyen, il a le sort dus plus odieuxfilous. Quel est son crime? Le pays entier et lui-même,dans le silence absolu de son cachot, l'ignorent et le de-mandent depuis 5 mois»...

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— 19 —

Et la pétition se poursuivait sur ce ton d'agonie. Le.

premier Cabinet de Salnave, formé à la date du 21 Juin

et composé de Mrs André Germain, Delorme, Ovide

Cameau, Ménélas Clément, interpellé, le député de Saint

Marc, Armand Thoby, développant l'objet de l'inter-

pellation, parlait en faveur de l'infortuné Montas, quandVictorin Chevallier, farouche, pénétra dans l'enceinte

de la Chambre dans une attitude menaçante. Le députéBrice, appuyé de plusieurs autres collègues, l'invitant

à se retirer, en conformité de leurs règlements, Cheval-

lier s'écria à l'adresse des Représentants du Peuple:—« Vous êtes venus pour attaquer la Révolution, je

me présente pour la défendre, je la défendrai».A cette provocation injurieuse, tous les députés de se

lever pour clamer leurs protestations. D'où un tumulte

indescriptible. On vit le député Ménard se lever du fau-teuil de la Présidence et, découvrant sa poitrine, crierà son tour au général :

—« Nous sommes ici sans armes, si vous êtes venu

pour nous attaquer, commencez par moi !»

Une insurrection, conduite parle vieux général Ro-bert Noël, avait éclaté au Mont-Organisé et à Vallières.

Le Gouvernement, sommé de s'expliquer sur la déten-

tion, devait déclarer, au lendemain de l'interpellation,dans une note parue au Journal Officiel, à la date du 12,

que le général Léon Montas était de mèche avec les re-

belles, qu'on désignait sous le nom de cacos, et qu'ilétait leur Chef...

Deux jours plus tard, le 14 Octobre, aux cris de:«Vive Salnave! A bas la Chambre!» un drame étrange se

produisait; les représentants du peuple étaient chas-sés de leurs sièges par une populace soudoyée ; des lu-

ronnes et des gavroches, en guenilles, armés de revol-

vers, de bâtons et de coutelas, après un sabbat effréné,clouèrent les portes du Palais Législatif. Salnave, quis'était octroyé à lui-même le titre de Protecteur, — fai-sant revivre disait-on, le souvenir de Cromwell,— Sal-

nave, rééditant un autre geste de l'assassin de Charles

1er, pourrait faire écrire sur les murs du Local de la

Chambre, comme son émule fit en 1653 pour le longParlement, les mots de deuil :—« House to let,»

— Mai-son à louer...

XII

Mais les choses devaient s'aggraver quand on ap-prit à Port-au-Prince la mort de Léon Montas, surve-

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— 20 —

nue dans la nuit du 4 au 5 Décembre. On s'accordait

pour dire que le général avait été tué,—étranglé dansson cachot, répétait-on.

Cet événement eut son retentissement au coeur de

Nissage qu'il affecta étrangement. Déjà la nouvelle dela séquestration l'avait affligé au possible, car LéonMontas était de ses amis. Ensemble, ils avaient com-battu dans les rangs des troupes du Gouvernement, à

l'époque du siège du Cap. Il avait appris à l'apprécier :c'était un noble coeur, d'une forte culture intellectuelle.A la reddition, on le nomma Commandant du Départe-ment du Nord. Et c'était, tout uniment, pour avoir rai-son de sa défaite de naguère, que Salnave, mal con-

seillé, l'avait retenu captif.Le Roi de France vengeait les injures du Duc d'Or-

léans... Nissage comprit alors qu'il était aussi menacé.Quelle garantie, attacher à la gratitude d'un Chef d'Etat

qui assassinait ?

Salnave, entre temps, s'était mis en campagne contreles cacos. Du Trou, et à la date du 22 Avril 1866, les of-

ficiers, sous-officiers et soldats de son armée, si-

gnaient un acte par lequel ils demandaient la suspen-sion de la Constitution,

C'en était trop !...

Nissage, le 25 Avril 1867, à l'arrivée de Salnave à

Port-au-Prince, avait formellement promis aux amis

politiques: Pétion Faubert, Jean-Pierre Hector, Normil,Boisrond Canal, Michel Domingue,qui l'invitaient à gar-der le pouvoir, de les aider de son épée, si jamais Sal-nave méconnaissant les intérêts supérieurs de la Na-tion, bafouant toutes les espérances, foulait aux piedsle Droit. Ils lui écrivirent, au lendemain de l'Acte duTrou, pour lui rappeler la parole donnée.

Nissage partit aussitôt pour Port-au-Prince. Il revintà Saint-Marc, à cheval, le 25 Avril, et sans passer chezlui, se rendit à l'Eglise pour faire une courte prière,—car c'était la date de la fête patronale de la ville, — fitappeler Acoune Jean, le Commandant de l'arrondisse-ment, et, suivi de quelques autres concitoyens, sedirigea vers la Place d'Armes, sur l'Autel de la Patrie,et fit tirer le canon d'alarme.

Le gant était jeté. St-Marc s'était prononcé contreSalnave. Trois jours après, le 28. Port-au-Prince adhé-rait à l'insurrection. Salnave, précipitamment, et le 4

Mai, rentrait au Palais National. A Léogane, le général

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- 21 —

Faubert mis hors la Loi, s'armait. A PAnse-à-Veau, le

général Normil faisait le même geste, suivi de Boirond-Canal à Pétion-Ville et à la Croix-des-Bouquets, Nissageavait été proclamé Général en Chef de l'armée révolu-

tionnaire. Mais le Pays n'allait pas tarder à être parta-gé en 3 Etats. Le 19 Octobre, en effet, Nissage était en-

core nommé à Saint-Marc, Président du Gouverne-ment provisoire de la République, par les Cacos dePétion Faubert et de John Lynch, un autre chef, quis'étaient tous deux repliés sur la ville. Trois joursaprès, le Sud proclamait Domingue Président de l'EtatMéridional. Nissage eut tout de suite son ministre de

la guerre. Il appela à cette haute fonction, d'abordPétion Faubert lui-même et ensuite, le Général Nord

Alexis, de retour d'exil. Mais il ne resta pas pour celainactif. Payant de sa personne, courant sus à l'ennemi

pour pacifier son Etat, embrassant l'Artibonite, le Nord-

Ouest et le Nord, on le verra à Port-de-Paix le 24 Oc-

tobre et au Cap où il entrera le 14 Novembre. Puis les

généraux de la Révolution se rallièrent à Saint-Marc

pour un échange de vue. Les hostilités avaient tropduré. Il fallait en finir. Des bateaux à vapeur leur man-

quaient pour lutter sur mer avec avantage. NissagePavait compris ainsi. Il obligea les paysans de PArti-bonite à lui fournil- chacun une partie de leurs denrées

pour parer à l'insuffisance des ressources de l'armée.

Deux corvettes, par ainsi, furent achetées aux Etats-

Unis en 1869 par les soins de l'Amiral Léon Déjoie : La

République et Le Mont-Organisé. La Révolution était

désormais forte. Salnave, enfermé dans Port-au-Prince,en dépit des Piquets du Sud, allait être traqué comme

une bête fauve. Ce fut bientôt l'hallali et puis la curée

chaude: le Président, garotté et fusillé sur les ruines

fumantes de son Palais. Que voulez-vous? Les Révolu-

tions sont des crises de psychose collective. Et il sem-

ble que notre Démocratie, elle aussi, et plus que tout

autre, fière de détruire, comme le dieu tombé de Milton,ne se reposesatisfaite qu'au milieu du chaos...

XIII

Deux Chefs d'armée, à cette minute-là, se parta-

geaient en principe le gouvernement du pays : Michel

Domingue et Nissage. A Port-au-Prince, tous deux, ils

se concertèrent en vue de l'établissement d'un gouver-nement provisoire. Nissage. spontanément, en fut fait

Président, comme en 1867, au départ de Geffrard. Do-

mingue se contentait d'une vice-présidence. L'on com-

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— 22 —

prit, aussitôt, qu'il s'effaçait. Dès lors, pour Nissage,pas d'appréhension possible relativement à l'avenir dela Nation. Victorin Chevallier, nommé par Salnave,ministre de la Guerre, en Septembre, après avoir trahi,s'était fait tuer aux environs de Bizoton. Il n'y avait

plus qu'à attendre la consécration de l'AssembléeNationale...

En effet, 3 mois après, le Samedi 19 Mars 1870, unDécret des Chambres, présidé par Mrs. Dupont et

Lacroix, élisait le citoyen Nissage Saget, général de di-

vision, Président de la République. Le lendemain Di-manche 20, fixé pour la prestation de serment et l'ins-

tallation, dès 4 heures du matin, l'assemblée généraleétait battue. A 6 heures, les troupes de la garnison, etla garde nationale de Port-au-Prince, était placées enface et dans les avenues du Palais Législatif, où l'onavait installé une batterie de 2 pièces de canon. A 8

heures, les officiers de santé, les officiers de la marine,les corps administratifs et judiciaires, les employés des

ministères, la Commission Centrale de l'Instruction

Publique, les Directeurs et Professeurs des Ecoles

Nationales, Communales et privées, le Conseil Com-munal et les Commerçants haïtiens de la place arri-vaient et s'asseyaient en bon ordre. A9 heures, Nissage,escorté de Domingue, vice-président du gouvernementprovisoire du 27 Décembre, des Secrétaires d'Etat

intérimaires, nommés par le sus dit gouvernement, et

chargés, Mrs Pierre Momplaisir Pierre, de la Police

Générale, Montmorency Benjamin, de la Guerre, Thi-

magène Rameau, des Finances, David Fils-Ainé, de

l'Intérieur, Septimus Rameau de la Justice, Sauveur

Faubert, des Relations Extérieures, ensemble avec sesOfficiers généraux et ses Aides de Camp, se rendit auPalais des Chambres. Après les honneurs des troupes,une députation de l'Assemblée Nationale vint, le rece-voir sur le péristyle pour l'introduire dans l'enceinte oùil fut placé en face du Président Lacroix. Domingue etles Secrétaires d'Etat avaient pris siège, les uns à sa

droite, les autres à sa gauche et un peu en arrière. LePrésident de l'Assemblée Nationale s'était dressé pourun vibrant discouts, et puis, Nissage, conformémentà l'article 110 de la Constitution de 1867, enfin remiseen vigueur, jurait, devant Dieu et devant la Nation,d'observer et de faire observer la Constitution et lesLois du Peuple Haïtien, de respecter ses droits, de

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— 23—

maintenir l'Indépendance Nationale et l'intégrité du

territoire.

Aussitôt après la prestation de serment, une salve de

101 coups de canon, entonnée par les pièces des ave-nues du Palais, et à laquelle se mêla une autre batteriede 4 pièces placées sur la Terrasse de l'Intendance et

les forteresses environnantes, apporta au Peuple mas-

sé la joyeuse nouvelle de l'investiture. Et le cortège,

musique en tête, se mit en marche, dans l'envol des

cloches, au milieu d'acclamations frénétiques, pour un

Te Deum à l'Eglise au cours duquel fut tirée une nou-

velle salve de 17 coups de canon. Le soir, Port-au-

Prince en liesse, illumina comme pour une féerie,dans la basse grondante des réjouissances publiques...

XIV

Nissage n'était pas de ceux-là à qui l'on pouvait faire

le reproche d'arriver au pouvoir sans un programmede gouvernement nettement arrêté. En assumant la Pré-

sidence à ce tournant difficile, il savait qu'il recueillait

un assez lourd héritage; car tout était à refaire avec

la ruine des finances et la désorganisation de toutes les

branches du service public. Aussi bien, résolument il

se mit à l'oeuvre ; groupa son premier Cabinet en recru-

tant avec soin ses collaborateurs immédiats. Des Secré-

taires d'Etat intérimaires, appelés par le Gouvernement

provisoire, seul le général de division, Pierre Monplaisir

Pierre, était maintenu. De la Police Générale, Nissagel'avait fait passer à la Direction du Département de la

Guerre et de la Marine où il pouvait mieux donner sa

mesure...

Puis, deux mois, lentement, passèrent ; deux mois

durant lesquels on guerroya, dans les arrondisse-

ments de la Grand'Anse et de Tiburon, pour réduire à

merci les derniers Chefs des Piquets. Et la paix était

revenue. Avec elle, l'époque fertile des semailles. Le

paysan, enlevé pour une lutte sanglante aux travaux

de son champ, était enfin rendu à la terre..

Fait Commandant de Département, le vieux généralMichel Domingue avait tout aussi tôt, regagne son postedans le Sud, attendant l'exécution pratique d'une Loi

de l'initiative du Corps Législatif, votée à la Chambredes Représentants le 28 Mars, et par laquelle, le Peuple,

reconnaissant, lui décernait une épée d'honneur pourconsacrer son patriotisme et le courage héroïque dont

il avait fait montre dans la lutte. En outre, il lui était

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— 24 -

octroyé, à titre de récompense nationale, une propriétéurbaine ou rurale à son choix. Le Trésor Public devait

pourvoir aux frais de cette double acquisition pour quoiétait allouée une valeur de vingt mille piastres fortes...

Tandis qu'on en était là dans le Pays, la situation

Européenne se compliquait. Inconsidérément, la Fran-ce de Napoléon III avait, le 18 Juillet 1870, déclaré la

guerre à la Prusse des Hohenzollern. Toute l'élite dela Nation, malgré de sérieuses appréhensions, formaitdes voeux pour le succès de la cause française. Aussi,quand vinrent, avec les échos des revers, devant l'in-curie des Chefs, les nouvelles désespérées de Bazeilleset de Sedan, ce fut, dans la République entière uneeffusion de sympathie en faveur de la Grande Mutiléeà qui les vainqueurs arrachaient l'Alsace et une grandepartie de la Lorraine.« — Que même leurs enfants exècrent leur mémoire !»s'écria Oswald dans une Ode à la France ;

— « Que ce vieillard, leur Chef,Soit mis, épaule nue, afin que, par l'Histoire,Il soit marqué d'une F! »

En cela,— ne pensez-vous pas ? — notre barde avaittort. Car, ce « vieillard », n'avait fait que se défendre...

XV

Mais, en cette même année 1871, qui marqua la findu regrettable conflit franco-allemand, notre Indépen-dance, elle aussi, et pour la plus grande détresse de

Nissage, était gravement menacée au dehors. L'enne-mi ? Les Etats-Unis d'Amérique...

Le Gouvernement dominicain du Général Baêz avait,contre toute attente, trahissant la confiance de son

peuple, conclu avec le Président américain Grant unTraité d'annexion de Santo-Domingo. Et les patriotesde l'Est, Cabral et Luperon en tête, de protester par lesarmes contre ce trafic sans nom de l'Indépendance na-tionale. Aussitôt, le gouvernement américain, par l'en-tremise de son représentant à Port-au-Prince, fit de-mander au gouvernement haïtien d'observer en l'occur-rence une certaine neutralité. Nissage, sans trop s'en-

gager et pour parer à toute éventualité, avait promis,mais il n'était pas tranquille. Il avait compris que leglas de notre propre autonomie sonnerait, sitôt quel'Oncle Sam se serait installé de l'autre côté de la fron-tière. Et la Nation entière partageait ses inquiétudes.Aux Etats-Unis, on devina vite ses réticences ; aussi,

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— 25 —

dès le 9 Février, Mr. le Secrétaire d'Etat HamiltonFish disait à son ministre plénipotentiaire, Mr Basset,dans une lettre datée de Washington :— « Mr, Les

assurances qui vous ont été données par le gouverne-ment haïtien au sujet de sa disposition à rester entière-ment neutre dans la lutte des partis dominicains ayant

respectivement à leur tête Baëz et Cabral, ne semblent

pas avoir été exprimées d'une façon à inspirer pleineconfiance dans leur sincérité. » Ainsi donc, le gouver-nement américain n'était pas très quiet à notre en-droit ! Aussi, un matin, l'on vit arriver dans le pays,—pour nous réduire au silence, chuchotait-on,— des

unités de la flotte de guerre américaine.

L'Amiral Poor, qui commande l'expédition, devant

l'attitude intransigeante du gouvernement haïtien à quil'on demandait d'user de violence contre son peuple,ravitaillant les insurgés, menace le Président, s'il ne

marche, de faire sauter le Palais National par le feu de

son escadre. Mais Nissage était inébranlable. « Haïti,

répliqua-t-il à l'illustre amiral, dans un noble élan de

patriotisme et de fierté, Haïti a conscience de sa fai-blesse ; mais le gouvernement, quoi qu'il puisse advenir,

n'entreprendra jamais rien pour combattre les sympa-thies du Peuple haïtien envers les patriotes dominicainsluttant contre l'annexion. » C'était net, et c'était clair :

l'homme n'admettait pas les commandements. Cepen-

dant, au Congrès des Etats-Unis, tandis qu'une Com-

mission d'enquête composée du Sénateur Wade et du

Dr Howe, qu'accompagnait Mr Frederick Douglas en

qualité de secrétaire, étudiait à Santo-Domingo, sur les

diligences du président Grant, les ressources, les parti-cularités politiques et surtout l'esprit des populationsde la République voisine pour un rapport d'ensemble,

précis et détaillé,— qui devait conclure à l'annexion,—un noble coeur, le représentant du Massachussetts, pro-testait de toute son âme d'apôtre contre la ratificationde l'odieux traité. Une Loi du 29 Mai 1871, à laquellele gouvernement applaudit, devait traduire à l'endroit

du généreux Sumner la gratitude du peuple haïtien...

XVI

Et Nissage, la session législative fermée,— sessionau cours de laquelle il avait eu à se séparer, tour à

tour, de nombreux Secrétaires d'Etat, pour être agréa-ble à la Chambre des Représentants, dans son fervent

désir de concorde et d'union entre les pouvoirs pu-

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— 26 —

blics,— s'était rendu dans le Sud. De retour à Port-au-

Prince, il fut surpris d'apprendre qu'une conspirationqui se tramait sur la terre étrangère, par des exilés po-litiques, allait soudainement éclater en exécution d'un

programme d'action, distribué le 5 Décembre, et por-tant les signatures de Cinna Leconte, Numa Rigaud,Morin Montasse, Anselme Prophète, etc, auxquels ser-

vait de secrétaire le français Marciacq. Sachant qu'ilsavaient des partisans à la fois au Cap-Haïtien, aux Go-naïves et à Port-au-Prince, Nissage, par une tactiquehabile, se transporta immédiatement chez lui, à Saint-

Marc, pour être au centre des événements pronosti-

qués. Tout aussitôt, le général Rebelle Batraville sur

qui pesaient de graves soupçons, est arrêté. Et quel-ques jours plus tard, le 15 Mars au soir, une tentatived'insurrection éclatait en effet au Cap-Haïtien. Les re-belles, à la faveur de la nuit, s'emparèrent, sans coupcoup férir, de l'Arsenal de la ville. Mais le lendemain,le Commandant du Département, le général de divisionNord Alexis, les ramenait à la raison. Et l'infortunéCinna Leconte, le Chef de file, qui s'était fait appelerJean-Jacques II, trafiquant de sa glorieuse ascendance,arrêté les armes à la main, fut fusillé en présence dél'armée.

Nissage, à la muette, se rendit dans le Nord...

Mais, trois mois seulement plus tard, des complica-tions d'un autre ordre surgissaient. Le 11 Juin, à 8heures du matin, deux frégates de la marine de guerreallemande prenaient mouillage dans la rade de Port-au-Prince. Deux heures après, le Secrétaire d'Etat desRelations Extérieures, Liautaud Ethéart, recevait, sousforme d'ultimatum au Gouvernement haïtien, l'étrangedépêche suivante :

— « Mr le Ministre.— De la part du Gouvernement

allemand, je suis chargé de maintenir les droits de

quelques sujets allemands dans ce pays qui ont souffertde pillage, d'emprisonnement, de maltraitement et de

pertes de leurs propriétés de la part des forces mili-taires du gouvernement haïtien présent et dernier.— Jesuis chargé d'insister en chaque manière sur le dé-

dommagement complet et définitif de tels sujets alle-mands. Ce concerne premièrement le marchand, Mr.F. Dieckmann, à Miragoâne, et en second ordre, leMr. Stapenhorst, au Cap-Haïtien. Les faits sont connusà Votre Excellence.— Mr. le Ministre, Veuillez préve-

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— 27 -

nir Son Excellence le président que ma demande défi-nitive s'étend au paiement à bord de mon navire, de lasomme de Trois mille livres sterling, dédommage-ment pour les sus dits marchands allemands.— Veuillezprévenir Son Excellence aussi que je serai en attented'une réponse affirmative ou négative, pleine et simple,aujourd'hui jusqu'au coucher du soleil, et en cas de

réponse négative, je me garderai forcé de prendretelle mesure répressive qu'il me plaira... »

Et, en manière de salutation :— « Veuillez agréer Mr le Ministre, mes regards les

plus respectueux avec lesquels j'ai l'honneur de signer,BATSCH, Capitaine de Vaisseau, Chef de l'expédition»Après l'américain, l'allemand...

XVII

Des deux sujets de l'empereur Guillaume en faveur

desquels réclamait si étrangement le capitaine deVaisseau Bastch, le premier, Dieckmann, n'était pastout à fait un inconnu pour le gouvernement. L'Etathaïtien avait été touché de ses griefs par l'entremise deson Consul à Port-au-Prince, Mr. Christian Schultz ;des marchandises, et autres objets lui appartenant,avaient été pillés par suite du bombardement de Mira-

goâne, le 30 Novembre 1868, ainsi qu'un fort lot de

campêches. Les bois de teinture avaient été pris et

vendus, partie par le général Estellus, soutenu par l'ad-ministrateur Limousin, partie par le général Rébecca.Une Commission de vérification, formée à la requêtede Nissage, et

composée de Mrs. Léandre Millet, Ché-rismond Chéry, Pouilh, Morno, Mirambeau et Thomas

Madiou, président, avait conclu dans sa séance du 5Avril 1872, ayant trouvé fondée la réclamation deDieckmann comme dette du gouvernement de Salnave,— ainsi que le constataient d'éloquents documents.— àune indemnité en sa faveur de Cinq mille piastres.

Nissage, aussitôt, s'adressa au successeur de Schultzà Port-au-Prince, au nouveau Consul de l'empire d'Alle-

magne, pour avoir des précisions sur les droits du se-cond marchand,— le Mr Stapenhorst,— comme écrivait

Batsch, de qui il entendait parler pour la première fois.Il lui fut répondu que la réclamation de Stapenhorst,vieille déjà de 7 ans, datait de l'administration de Gef-frard ! Il avait, lui-même, évalué ses pertes à deux milletrois cent quatre-vingt dix piastres, quatre-vingt treizecentimes. Le Consul, en même temps, donnait au Gou-

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— 28 —

vernement l'assurance que tout allait se régler amiable-ment. Aussi, à l'ultimatum du Capitaine de vaisseau, leministre Ethéart répondit par une dépêche aux termes

conciliants, exprimant le désir du gouvernement de ré-

gler les deux réclamations « conformément aux règlesde l'équité et de la justice». Mais le Capitaine Batsch,qui n'admettait pas de discussion, ne devait tenir aucun

compte de ces loyales déclarations, pas plus d'ailleurs

que d'une protestation des négociants allemands de la

place. A l'entrée de la nuit, et après avoir pris ses po-sitions de combat, il s'empara sournoisement de deuxde nos navires de guerre, à l'ancre dans le port. De-vant la force brutale, et pour éviter toute effusion de

sang, des malheurs inouis, l'on paya...Nissage, dans un Acte public en date du 23 Juillet,

ensemble avec ses Secrétaires d'Etat, prostesta devanttoutes les Chancelleries contre le fait inqualifiable, ac-

compli dans les eaux de Port-au-Prince, au mépris duDroit des Gens...

L'Allemagne, vindicative, n'avait pas oublié les ana-thèmes de 1870...

De nouveau, la voix d'Oswald s'éleva en des strophesvengeresses, stigmatisant « ces allemands, doublés de

prussiens»; ils avaient rançonné la France, la Nation

guerrière; mais, c'était peu, il leur fallait autre chose.,.—«Alors, —rugit le poète,—les yeux tournés vers notre île fertile

Ils ont dépéché leur agent ;Et comme quelquefois un prétexte est utile,Ils ont réclamé de l'argent.On hésite.— La nuit, heure qu'aiment les crimes.Ils s'emparent de nos vaisseaux ;Ils attendent le jour, certains que leurs victimesPaieraient comme de simples vassaux ;Puis— jour sans précédent!— ces célèbres CartouchesQue l'on surnomme les Césars,Pointèrent leurs canons dont on voyait les bouchesPrêtes à briser nos remparts !

Mais —ainsi que la France,— à la bande guerrière,Allemands doublés de Prussiens,Nous jetâmes l'argent, le front haut, l'âme fière,Ainsi qu'on jette un os aux chiens " !...

XVIII

Pourtant, Nissage, en dépit des difficultés sans cesse

renaissantes, auxquelles il se heurtait à chaque effort,poursuivait inlassablement l'exécution du programme

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- 29 —

qu'il s'était assigné. Les lycées du ministère Féry,installés aux Cayes et au Cap, sous Guerrier, fonction-naient sur un bon pied et rivalisaient avec celui dePort-au-Prince.— « C'est de ces institutions, écrivait-il,que doit sortir, dans quelques années, toute une pépi-nière dé jeunes gens qui auront acquis des connaissan-ces solides et utiles, connaissances qu'ils pourrontmettre au service de leur pays. » Il porta à son budgetune allocation destinée à rétribuer un contingent de 20demoiselles qui devaient être confiées à des soeurs del'instruction chrétienne, pour leur formation pédago-gique, en attendant la fondation d'une école normale

d'institutrices. Et par l'entremise de sa Légation, en

France, il avait tait venir de Paris, des documents, qu'ilcommuniqua aux Chambres, en vue de la créationd'une Ecole Normale où l'enseignement professionnelserait donné à un certain nombre de jeunes gens. DesEcoles Primaires Supérieures, de garçons et de jeunesfilles, dites Ecoles Secondaires, disséminées un peupartout,— à la Capitale, à Jacmel. aux Gonaïves. à Jé-

rémie, à Saint-Marc,— voyaient par ses soins leur ef-fectif s'accroître et donnaient pleine satisfaction. Des

primes d'encouragement stimulaient le zèle des profes-seurs. Les Ecoles rurales et de Quartier, qui n'étaient

qu'au nombre de 37, dans toute la République, en 1871,deux ans après, en 1873, se chiffraient à 122, alors que4 autres écoles se trouvaient « en instance d'installa-tion ». En répulsion de l'ancienne routine, léguée par le

système colonial, il inscrivit au chapitre de ses dépen-ses, pour l'année budgétaire 1873-1874, des crédits im-

portants destinés à l'achat d'instruments aratoires,—herses, charrues,— et à la création et à l'entretien d'é-coles puremeut agricoles où devaient être enseignés lemaniement et l'application des sus dits instruments.—

« Ainsi, disait-il encore, avec une centaine de jeunes

gens campagnards possédant les aptitudes à en obteniret répartis par quartier ou section, il nous sera donné,dans un avenir quelconque, de rompre avec ce systè-me de travail à force de bras qui nous fait passer pourun peuple indolent, tandis que l'haïtien met tout soncoeur à la préparation et au labeur de son sol ». L'écolede Médecine était réorganisée, sous la compétente di-rection du Dr Jobet, dé la Guadeloupe, et 6 boursiers,

dont un Etudiant en pharmacie, étaient partis pourParis, tandis qu'un 7ème boursier en art dentaire pre-nait la route de Philadelphie et Nissage réclamait des

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- 30 —

Chambres un crédit pour que pût être effectué un re-crutement d'étudiants de province. En même temps,il réclamait une allocation, en faveur de 150 apprentis;100 d'entre eux devaient être placés à la Fonderie na-

tionale, réorganisée elle aussi et outillée, et les 50 au-tres à la Maison centrale pour doter le pays, au moyende ces deux établissements d'arts et métiers, d'excel-lents ouvriers...

Nissage n'avait pas oublié les Institutions et Ecoleslibres : l'Ecole Polymathique, le Petit Séminaire CollègeSt-Martial, l'Ecole des Soeurs bleues de St-Joseph de

Cluny, celle de Mme Lépine, de Hyacinthe, etc; il lesrecommandait à là sollicitude du Corps Législatif. ParArrêté donné en son Quartier Général de Boudet, dansla plaine des Cayes, le 28 Juin 1869, Salnave, portant lamain au Concordat, avait révoqué de sa charge Mgr.Testar du Cosquer nommé, deux années auparavant,Archevêque de Port-au-Prince. Renouant les relationsavec le St-Siège, Nissage, après avoir, sur la demandemotivée du Clergé, érigé en paroisse, le 20 Avril 1872,le Quartier du Morne-à-Tuf, sous la désignation deParoisse de Ste-Anne, porta ses regards vers la por-tion. Nord-Est de Port-au-Prince, qu'il érigea aussi en

paroisse, l'année d'après, sous la dénomination de Pa-roisse de St-Joseph, dans la pensée de satisfaire aux'voeux manifestés par les habitants de ces régions. Il fitaussi insérer, dans le Journal Officiel, l'offre à une

Compagnie, pour un temps déterminé, de 2 concessions,avec exploitation au profil de la Compagnie, pour l'éta-blissement d'un Service hydraulique à Port-au-Prince,en vue de l'approvisionnement de la Capitale et l'éclai-

rage au gaz de la Cité. Il indiquait, pour ces 2 entre-

prises, les systèmes inaugurés à la Jamaïque et à Porto-Rico...

Une autre réforme utile devait être faite d'urgence.Nissage la réalisa. A son avènement au Pouvoir, la

prime sur l'or avait atteint un taux exorbitant. Unstock considérable de papier-monnaie, se trouvait en

circulation, lancé par les révolutionnaires de 1868 pourles besoins de leur cause. Tout au lendemain de son ins-tallation, et à la date du 14 Juin 1870, Nissage promul-guait une loi interdisant toute nouvelle émission de bil-lets de caisse. Mais ceux antérieurement émis par leGouvernement de St-Marc, à l'époque de la scission, etceux de

l'Etat Méridional, étaient si peu soignés dans

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- 31 —

leur fabrication, qu'on les avait aisément contrefaits. Etcette introduction de fausse monnaie ne devait pas tar-

der à prendre, dans le pays, des proportions alarmantes,faussant les prix des produits. Le Nord était indiquécomme le principal foyer du crime. Des arrestations,nombreuses, y avaient été effectuées. Et l'on saisit ourecueillit dans les rues une somme énorme.

Les hommes du Nord avaient des affiliés aux Etats-Uuis qui furent, eux. aussi, éventés. El notre MinistreRésident à Washington, en dénonçant le fait à Port-au-

Prince, dut, en même temps, réclamer le concours du

gouvernement américain pour une répression salu-taire.

Le retrait intégral du papier-monnaie s'imposait donc!

Nissage, tout d'abord, et pour parer au plus pressé,avait voulu substituer un papier de type nouveau àceux de la Révolution. Après de multiples tiraillements,de la part des Chambres, une Loi du 15 Juillet 1872 fut

prise, l'autorisant à emprunter sur place, par l'émis-sion de titres remboursables à des époques détermi-nées et portant intérêt, une somme de huit cent mille

piastres qui devait être exclusivement affectée au re-

trait, conjointement avec toutes autres valeurs qui se-raient obtenues, par suite de toutes dispositions votéesà cet effet. Dans ce sens, une autre loi du 24 Juillet vintlui permettre de réaliser un emprunt adéquat pour lerachat intégral. Le taux du retrait fut invariablement

fixé à 300 gourdes de monnaie nationale pour un dollardes Etats-Unis. Et on n'eut plus en cours que ces dol-

lars, leurs divisions et notre monnaie de cuivre. Ilétait prélevé sur les recettes ordinaires et générales dela République. 5 % destinés à couvrir les frais quepourraient nécessiter les négociations. Une Commis-sion executive de 9 membres, composée du Secrétaired'Etat des Finances, président, et de 8 citoyens, nom-

més par le Sénat, sur une triple liste de candidats, pré-sentés par la Chambre, déterminait le mode et les me-

sures à prendre pour le retrait. Des citoyens intègres,salariés par la caisse publique, choisis dans toutes les

localités, contribuaient chez eux à l'opération...

XIX

Cependant, les élections de Janvier 1873, en vue dela réunion des Représentants de la Nation, pour la XIVe

Législature, approchaient, surexcitant les esprits. L'an-née d'après, le mandat de Nissage prenait fin : une va-

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— 32 -

cance présidentielle serait bientôt à combler. Et les

partisansdes candidats à la Première Magistrature dela République, de se mettre en lice, pour le triomphe àl'urne des membres de la prochaine assemblée natio-nale. Malgré toutes les mesures prises par Nissage,avec des circulaires impératives aux Commandantsd'arrondissements et de communes pour que tout se

passa dans le plus grand calme, devant les tendanceshostiles des partis politiques en présence, il dut, par ar-rêté en date du 25 Janvier, déclarer Port-au-Prince enétat de siège. Deux mois après, dans la nuit du 3 Mars,une insurrection éclatait aux Gonaïves, des forcenés,d'anciens partisans de Cinna Leconte en tête,— Gallu-mette Michel, Jules Legros, John Bonhomme, Fleuriau

Jonathas,— se ruèrent sur le poste de l'arrondisse-

ment, lequel, attaqué à l'improviste, se débanda pourrallier à l'Arsenal le Commandant d'arrondissement,le général Montmorency Benjamin, qui, au jour, eut lasatisfaction de mettre tous les rebelles en fuite. EugèneSouty, Charles Félix, Zamor Aîné, Normil Lamothe, Li-

mage Gallumette et nombre d'autres tombèrent vic-times de leur témérité. La répression fut sévère. Gal-lumette Michel, le Chef, traqué, ne put être arrêté que15 jours plus tard, aux environs de la Chapelle. Recon-duit aux Gonaïves, on le fusilla immédiatement. Nissagedut intervenir en faveur des autres conjurés, qui furent

déférés, au mois de Juin, à un Conseil spécial...

Et c'est avec plaisir qu'il voyait arriver l'époque fixée

pour la réunion du Corps Législatif. Nissage attendaitavec anxiété sa constitution pour lui soumettre l'ex-

posé de la situation et obtenir son concours pour lesactes nécessaires à l'administration du Pays. Mais, hé-las ! dès l'entrée en conférence des représentants, pourla vérification de leurs pouvoirs, un conflit éclata, quiles divisa en deux camps, amenant une regrettable dis-sidence qui infirma la majorité qui devait sortir de leurnombre; car, aux termes de l'article 84 de la Consti-

tution, « aucune des deux Chambres ne peut prendrede résolution qu'autant que les deux tiers de ses mem-bres se trouvent réunis. » Tout le mois d'Avril s'écoulaen discussions stériles. Malgré les conseils de rappro-chement, inlassablement prodigués par Nissage, les 3mois de la session s'achevèrent ainsi. Nissage ne per-dait pas courage pourtant. La XIIIe Législature s'était

séparée du Pouvoir Exécutif, sans résoudre maintes

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— 33 —

questions opportunes. De toutes parts, des réclama-tions assaillaient le Gouvernement, par l'entremise d'a-

gents diplomatiques, « anxieux de promptes satisfac-tions, » Nissage, conformément à l'article 76 de la

Constitution, et de l'avis du Conseil des Secrétaires

d'Etat, par Arrêté en date du 9 Mai 1873, convoqua le

Corps Législatif à l'extraordinaire, pour le premierLundi de Juillet. En faisant appel au patriotisme du

député Boyer Bazelais, dont l'élection, déclarée irrégu-lière par des adversaires, avait provoqué la dissiden-

ce,— et qui accepta à ne pas se présenter aux délibéra-tions de la Chambre, — le Gouvernement put avoir une

majorité de ce Corps. Mais, aux premières communi-cations de l'exécutif, «la Chambre des Communes ré-

pondit par une attaque ». Ne pouvant plus alors comp-ter sur son concours, pour la réalisation des mesures

que réclamait le bien public, Nissage, dans une procla-mation du 13 Septembre, contresignée par les Secré-taires d'Etat, déclara solennellement au Peuple que lesmotifs de son Arrêté de Mai, portant convocation du

Corps Législatif à l'extraordinaire, ont cessé d'exister !

Nissage était lâché par ceux-là qui avaient pour mis-

sion, au contraire, de seconder ses patriotiques efforts.Il restait, les bras liés, incapable d'agir, sans budget.Et tousses beaux projets, comme des fleurs de rêve,devaient s'évanouir, un à un, irréalisés...

XX

Et les jours fuyaient. Le 15 Mai approchait...

Cependant, la Chambre des Représentants, en mino-

rité, se trouvait dans l'impossibilité de s'adjoindre au

Sénat, pour constituer l'Assemblée nationale chargée,avec le quorum constitutionnel, de trouver au Chef de

l'Etat un successeur à la Présidence de la République.

Alors, les députes présents à Port-au-Prince, pour con-

jurer les embarras de la situation, d'accord avec le Sé-

nat, arrêtèrent des résolutions qui furent expédiées à

Nissage par lesquelles ils l'invitaient à continuer l'exer-

cice du pouvoir exécutif, jusqu'à ce qu'on pût donnerà la Nation un nouveau Chef. Mais Nissage était dégoû-té du Pouvoir. Il avait hâte de regagner la vie privée.Il répondit aux parlementaires qu'il ne saurait s'asso-

cier à leurs voeux. Une fraction quelconque de la

Chambre, leur dit-il, ne peut délibérer et arrêter des

résolutions ayant un caractère constitutionnel. Et il

ajoutait que le Sénat, non plus, ne peut prendre seul

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une décision de cette importance et conférer des pou-voirs qu'il n'a pas; que, d'ailleurs, l'Assemblée Natio-nale elle-même, serait sans caractère pour prolongerl'exercice du Pouvoir Exécutif en présence des termesformels de la Constitution.

— « Le Président de la République est élu pour 4ans »,— disait l'article 104 de la Charte. Et, l'article 107

ajoutait que « nul ne peut être réélu Président qu'aprèsun intervalle de 4 ans »...

— « Haïtiens ! s'écria Nissage, dans un dernier Messa-

ge au Peuple ; après 4 ans de présidence durant les-

quels j'ai fait tout ce qui a été possible pour conduire àbon port le vaisseau de l'Etat à travers les écueils sans

nombre que la force des choses avait semés sur ma routeDieu a béni mes efforts. Je suis arrivé au terme de ma

carrière présidentielle avec la satisfaction du Chef quin'a rien négligé pour asseoir sur une base solide la

paix et la tranquillité publiques. Toute ma vie porte té-

moignage de mon respect des lois et des institutions demon pays; je ne démentirai pas ce passé. Au momentde me retirer dans mes foyers, je ne déshonorerai mescheveux blancs par aucun acte qu'au fond réprouveraitma conscience politique ».

Ainsi donc, ce Chef d'Etat, honnête et probe,— des

épaulettes, si vous les méritez, disait-il aux concussion-

naires, quant à la clef du Trésor vous ne l'aurez ja-

mais,— refusait de s'agripper au fauteuil présidentiel,alors qu'on l'y conviait. Bien mieux, avant même ladate du 15 Mai, terme de son mandat quatriennal, il se

démit du pouvoir, confiant la gestion des affaires du

Pays à son Conseil des Secrétaires d'Etat formé de Mrs

Liautaud, Lamothe, Rameau, Excellent.

Il avait, au préalable, appelé d'urgence à Port-au-Prince le Commandant du Département du Sud,— levieux général Domingue, qu'il investit du Commande-ment en Chef de l'armée.

Cette mesure, que d'aucuns lui reprocheront, n'était,dans la pensée de Nissage, qu'un nouveau témoignagede sa sollicitude pour le Pays. Il voulait, en s'en allant,être assuré que, durant toute la vacance présidentielle,la paix publique serait sauvegardée, et sauvegardéesavec elle, la vie et les propriétés des uns et des autres.Il avait déjà fait ses préparatifs de départ ; c'est à Saint-Marc qu'il ira prendre sa retraite, avec sa femme, latrès courageuse, près de ses frères. Ce Chef d'Etat, en-

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— 35 —

nemi du népotisme, n'avait appelé les siens à aucunefonction publique. Ses frères, pourtant aimés, et quil'assistaient à la Barrière-Bouteille, n'avaient eu pasmême un grade prépondérant dans l'armée.

Un Arrêté du Conseil des Secrétaires d'Etat chargédu Pouvoir Exécutif, en date du 18 Mai 1874, disant

qu'il est de la dignité de la Nation d'assurer une pen-sion de retraite au général et de l'entourer des égardsdûs au rang qu'il occupait, lui accordait une indemni-té de Quatre mille piastres par an, payables par dou-

zième, avec une garde d'honneur de 15 hommes, 3 Of-ficiers d'ordonnance et un secrétaire attaché à sa per-sonne: tous à son choix. Deux jours après, le 20 Mai,une délégation des Corps constitués, du Clergé, du Corpsdiplomatique, au milieu de l'envol des cloches et du

tonnerre des canons, conduisaient l'ex-Président Sagetà bord du bateau de l'Etat qui le devait transporter àSaint-Marc...

Spectacle grandiose ! Pour la première fois, depuis

l'Indépendance, on était prié à pareille fête. Pour la

première fois depuis l'Indépendance, on voyait dans le

Pays un Chef d'Etat abandonner si tranquillement le

Pouvoir,— « sans bouleversement, sans la moindre se-

cousse enfin, » — comme le dit si bien Mr. Miot, dansune étude sociologique inédite, comme si, d'avoir faitle Pont Rouge, une étrange fatalité pesait sur la Nation .

En effet! Pétion mourut au Pouvoir, le 29 Mars 1818;

Christophe, trahi par tous, se tua d'une balle au coeur

dans la nuit du 8 Octobre 1820 ;

Boyer démissionna le 13 Mars 1843 et dut s'embar-

quer, pour l'exil, sur la corvette anglaise « Scylla ;»

Rivière Hérard, révoqué en quelque sorte de ses

fonctions par le peuple, s'embarqua le 2 Juin 1844 pourla Jamaïque sur la corvette anglaise « Le Spartan ;»

Guerrier mourut au pouvoir. à Saint-Marc, le 15

Avril 1845 ;

Il y a bien Pierrôt, qui resta dans le Pays, au « Camp-Louise; » mais Pierrôt ne se démit du pouvoir, le 24

Mars, qu'après qu'à Port-au-Prince, 22 jours aupara-

vant, le 1er Mars 1846, déposé aussi par le peuple, on

eut acclamé à sa place le général Jean-Baptiste Riché;

Riché mourut au pouvoir, à Port-au-Prince, à peinerevenu d'un long voyage dans le Nord, le 27 Février 1847;

Soulouque, après 12 années de règne,— nous l'avons

vu,— dut abdiquer, trahi par sa noblesse, le duc de la

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- 36 —

Table en tête, pour s'embarquer, en toute hâte à desti-

nation de la Jamaïque sur la frégate française « Mel-

bourne, » le 15 Janvier 1859;

Geffrard, nous l'avons vu encore, suivit aussi la même

route après avoir donné sa démission le 13 Mars 1867.On connaît la fin tragique de Salnave...

Nissage devait être une première et glorieuse excep-tion...

XXI

Le lendemain de son départ de Port-au-Prince, il

débarquait à St-Marc avec sa garde d'honneur de 15

hommes, ses 3 Officiers d'ordonnance et son secré-taire. Des parents et amis, en foule serrée, avaient étéle recevoir sur le Quai, avec sa femme et ses pupilles.Quelques jours après, à cheval, et escorté de ses frères:

Nicius, Passius, et Julien, Nissage faisait visite à ses

concitoyens de la ville. En sortant de chez Jastram,négociant et Consul des Etats-Unis à Saint-Marc, lecheval de Nicius,— un fougueux animal comme Nissageles a toujours aimés,— partit à fond de train, au mo-ment où l'homme s'enlevait, un pied engagé dans l'é-trier pour se mettre en selle.

La bête ne s'arrêta qu'à sa stalle d'écurie après avoir

cogné le malheureux cavalier contre la barrière d'en-trée...

Et les jours s'écoulèrent, un à un, tous pareils, mo-

notones, lamentables. Chaque matin, dès l'aurore, l'ex-Président abandonnait sa résidence de la Grand'Rue,montait tantôt dans la banlieue, sur ses terres de Des-

souliers; tantôt, changeait de direction, pour pousserjusqu'à Bois-Neuf. Il n'avait pas besoin de garde : il

renvoya les hommes d'armes à Port-au-Prince...

Deux ans après, à l'arrivée de Boirond-Canal au pou-voir à la chute de Domingue, élu par la Constituantede 1874, une loi du 2 Octobre 1876, frappant de nullitétous les actes qualifiés lois, décrets et arrêtés rendus à

partir du 14 Mai 1874, lui enleva sa pension viagère...Devant tant d'inepties, Nissage fut écoeuré. On ne le

vit plus dans les rues que les dimanches,— entouré deses frères l'emmenant à la messe. Et le bruit courut quel'ex-Président n'avait plus toute sa raison... Il allait àBois-Neuf, un matin de fête. Arrivé sur la Place d'Ar-

mes, où des troupes étaient massées pour la parade, on

s'aligna vite pour un hommage au Général de divisionen retraite, à l'ancien Commandant en Chef des forces

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de terre et de mer du Pays, Mais Nissage, sans uneparole, éperonna furieusement son cheval ; depuis, onle surprenait en des soliloques, comme devant un inter-locuteur imaginaire ; et à chaque fois que le canon ton-

nait, on devait aussitôt l'emmener bien loin de la ville.Peu à peu, il s'alita; et malgré les soins intelligentsdu Dr Surpris Laurent, Nissage, un soir s'éteignit. Onétait au 7 Avril 1880. Il avait 70 ans...

Le lendemain, pour des funérailles solennelles, toutela ville était en branle. De quart d'heure en quart d'heure,une dernière salve partait en l'honneur de celui qui,tant de fois, sur les champs de bataille, bravait la mort,salué par un fracas épouvantable...

Le Fort Diamant, la Batterie du Nord, le Fort Val-

lières, le Fort St-Charles, le Fort Bergerac, le Fort Li-bre...

Tous jetaient dans l'air calme l'écho de leur lourdevoix de bronze.

Nissage fut pleuré ! C'était un noble coeur. Un corbil-lard, appartenant à son frère Julien, le conduisit prèsde sa mère qu'il avait tant aimée...

XXII

— « Le saint homme que votre président, » s'écrieJules Bonhomme, ironique, dans l'oeuvre satirique de

Thoby : « il a la charité d'un Saint Vincent de Paul»...

La charité d'un St-Vincent de Paul ! On ne croyaitpas si bien dire... Cent-vingt-cinq immigrants, venusdes bords de la Louisiane, aux frais du gouvernementde Geffrard, débarquèrent à Saint-Marc. Dix mille cinqcents piastres avaient été ainsi dépensées. Tout le

quartier de la vide, formant la 2e moitié de l'actuellerue Pétion, et qui part de la rive droite de la Rivièrede Saint-Marc, leur était abandonné pour leur installa-tion avec des terres à Moutaca, à Colmini et à Robion,dans les 4e, 5e et 6e sections rurales de la Commune.

Au nombre de ces immigrants se trouvèrent 3 jeunesorphelines,— les soeurs Bakos,— Marie, Laure, et Jo-

séphine qui mourut quelques temps après, en 1867; Nis-

sage, ému de leurs détresses, les recueillit et les éleva,comme il avait recueilli et élevé, une autre orphelinede Grand-Goâve, haïtienne celle-là,— Zéolide,— trèsconnue dans Port-au-Prince parmi les religieuses de la

Sagesse sous le nom de Soeur Agnès...

L'homme, Mesdames, Messieurs a passé en faisantle bien...

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- 38 —

Depuis, la roue du temps a tourné...

Bien des hommes, aussi, depuis, se sont succédé à la

Direction des affaires de ce Pays.

Nissage, malgré le recul des années et les conquêtesdes Ages, au rapprochement, n'a rien perdu de sa taille.

Au contraire ! Aux heures de doute et de défaillance,— les Gouvernants d'Aujourd'hui et de Demain,— ga-

gneront incontestablement à tourner leurs regardsvers le Passé. D'autres, les éblouiront de la munificence

de leur auréole. Avec Nissage, ils se retrouveront tou-

jours à l'Ecole du civisme, de la clémence, de la probi-té, du patriotisme et de l'honneur pour la plus grande

gloire de la République...

MICHEL FIÈVRE,— Avocat

PAGES D'HISTOIRE

BOLIVAR

Dans un journal de Port-au-Prince, j'ai lu dernière-

ment un intéressant article sur Pétion et Bolivar. Il

manquait seulement un fait capital dans la vie de ce

grand homme. Je veux le retracer ici pour sa plus gran-de gloire.

Tandis que Bolivar venait d'écraser l'armée espa-

gnole, à la bataille de Ayacucho, qui enmmena la capi-tulation de Callao (Chili ). le Congrès Américain appritcette nouvelle, les députés réunis, enthousiasmés, ap-

plaudirent. Ils votèrent, par acclamation le titre de« Washington de l'Amérique du Sud » à Bolivar. Dès

lors, son nom devint célèbre dans le monde.

Un incident inattendu et heureux, vint offrir au Con-

grès l'occasion d'honorer d'une façon éclatante et iné-

dite, l'astre nouveau qui se levait. En 1824, un vote una-

nime du Congrès autorisa le Président Monroë à inviter

au nom de la Nation américaine, le Général Lafayette,à visiter la République, dont il a été. l'un des glorieuxfondateurs. Le 15 Août, il débarqua à New-York. Aucu-

ne plume ne saurait décrire l'ovation qui l'accueillit.

C'était du délire, de la frénésie. Il visita comme triom-

phateur tous les Etats de l'Union. En décembre 1824, le

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Congrès lui vota 200.000 dollars, ainsi que 2000 acresde terrain, comme un faible don, en reconnaissancede ses services.

Au splendide banquet offert par le Congrès à Lafa-

yette, le Sénateur Henry Clay fit allusion à la gloirenouvelle de Bolivar:

«Tandis que nous jouissions paisiblement, au milieude l'abondance et de la sécurité, des bienfaits d'institu-tions libres, fondées par la bravoure et le patriotismede nos pères et de leurs vaillants compagnons d'ar-

mes, ici présents, pouvions-nous oublier nos voisins et

amis du même continent, combattant pour obtenir lamême liberté et l'indépendance qui ont été si heureuse-ment obtenues.

Aucune nation, aucun Lafayette généreux et désinté-ressé ne vint à leur secours ; seuls et sans secours, ilsont soutenu leur glorieuse cause, confiants dans la jus-tice, et avec l'assistance seulement de leur bravoure, deleurs déserts et de leurs Andes ! ! ! »

Clay proposa un toast « Au Général Bolivar, le Was-

hington de l'Amérique du Sud et à la République de

Colombie».Avant de partir pour France, Lafayette visita la tom-

be de Washington. Il reçut de la famille du grand hom-

me, nombre de cadeaux, entr'autres, le ruban de l'or-dre de Cincinnati, que portait le glorieux mort.

C'est à ce moment que la famille voulut offrir à Bo-livar une médaille d'or que le Peuple américain avait

offerte à Washington, ainsi qu'une boucle de ses che-

veux.Autour du cristal recouvrant le médaillon, étaient

écrits ces mots, en latin :« Ce portrait du fondateur de la liberté dans l'Améri-

que du Nord est présenté par son fils adoptif à celui qui

acquit une gloire égale dans l'Amérique du Sud ».

C'est alors que l'idée vint de charger Lafayette de pré-senter cette relique à Bolivar. Il écrivit la lettre suivan-

te, qu'il remit à la Légation Colombienne de Washing-ton.

Washington City, September 1 1825

Au Président Libérateur

Monsieur,

La famille du Général Washington ne saurait mon-

trer, d'une meilleure façon, son appréciation de mon

affection filiale et religieuse à sa mémoire. Aujour-

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— 40 —

d'hui, une mission des plus honorables m'a été confiée.C'était, avec le plus grand plaisir, que je reconnus l'exacte

ressemblance du portrait, car je voudrais offrir plutôtce souvenir de mon ami, au Général Bolivar que celuid'aucun être vivant ou à aucun de ceux qui furent célè-

bres dans l'histoire.

Que puis-je dire de plus de ce grand citoyen auquel

l'Amérique donna le titre de Libérateur, un titre con-

firmé par l'Ancien et le Nouveau Monde, et qui, quoi-que pourvu d'un pouvoir qui égale son désintéresse-

ment, porte encore dans sou coeur l'amour sans reservede Liberté et une affection sincère à la République. Ce-

pendant le témoignage public de votre amabilité et de

votre estime, m'autorise à vous envoyer les compli-ments personnels d'un vétéran d'une cause commune.Sous peu, je vais partir pour un autre hémisphère, mais

je suivrai avec sympathie la fin glorieuse de votre labeur

et la réunion solennelle de l'Assemblée de Panama,dans laquelle seront complétés et consolidés tous les

principes et tous les intérêts de l'indépendance, de la

liberté et la politique de l'Amérique.

Acceptez, Monsieur le Président-Libérateur, l'hom-

mage de ma profonde et respectueuse admiration.

(signé) LAFAYETTE

Avec cette lettre courtoise, le Libérateur Bolivar, re-

çut une dépêche du Ministre Plénipotentiaire de Colom-bie à Washington le 26 Mars 1826. Bolivar apprit parles journaux que le cadeau lui fut expédié par l'illustre

général français : Lafayette. Il répondit comme si il

avait déjà reçu le présent.

Lima, 20 Mars 1826

Général,

J'ai eu l'honneur de voir pour la première fois l'é-

criture de la main qui dispensa tant de bienfaits auNouveau Monde. Je dois cet honneur au Colonel Mer-

cier, qui m'apporta votre très aimable lettre du 15 oc-tobre de l'année dernière. Par les journaux, j'ai apprisavec le plus grand plaisir que vous avez eu la bontéde m'honorer d'un cadeau précieux de Mt Vernon.Par votre entremise, je vais recevoir le portrait de

Washington, une relique de sa personne, et un des

prix de sa gloire, au nom de la famille du grand ci-

toyen, le premier-né du Nouveau Monde.Aucun mot ne peut exprimer toute la valeur que

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— 41 —

mon coeur attache à ce présent et les motifs qui en ontété la cause et qui sont si glorieux pour moi.

L'honneur que m'a conféré la famille de Washingtonqu'aucun autre que j'aurais espéré, même en imagi-nation, parce que Washington présenté par Lafayette,est le couronnement des récompenses humaines. Il futle noble promoteur de la réforme sociale, et vous êtesle héros-citoyen, le champion de la liberté, dont unemain servait l'Amérique, tandis que l'autre servait l'An-cien Monde.

Quel est l'être humain qui, réellement, serait dignede l'honneur que vous et Mount-Vernon m'avez fait ?

Ma confusion égale l'immensité de ma gratitude queje vous offre joint au respect et à la vénération que touthomme doit au Nestor de la Liberté.

Avec ma plus parfaite considération, je demeurevotre admirateur respectueux.

( Signé ) BOLIVAR

Avec l'intéressante lettre de Lafayette, Bolivar reçutde Georges Washington P. Curtus une lettre, sous le

pli de laquelle, il lui envoya la médaille de la ville de

Williamburg que l'ancienne Capitale de la Virginieavait donnée à Washington. Sur celte médaille étaitécrite en latin « Virtute et labore florent RepublicaeCivitas de Williamburg, »

Deux mois après avoir répondu à Lafayette, Bolivarécrivit à P. Curtus, de Lima, le 25 Mai, date à laquelle,il reçut le noble présent, une lettre courtoise dans la-

quelle il dit : « Le portrait du principal bienfaiteur du

Continent de Colombie, présenté par le noble descen-dant de l'illustre famille, par l'entremise du héros-ci-

toyen, Général Lafayette, serait une récompense suf-

fisante pour honorer le plus grand citoyen du Monde. »

Et dire que les hommes de génie ne sont appréciésqu'après coup, par leurs nationaux. Bolivar fut exilé et

considéré comme ennemi du gouvernement de son

pays. Il mourut dans la misère.

Voilà la récompense de tant de sacrifices.

G. VIGOUREUX

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LA XIVe LEGISLATURE

TOME IV

PAR ANTOINE MICHEL

Poursuivant ses importantes études historiques, avecune rare constance. Me Antoine Michel vient d'éditer à

l'Imprimerie «La Presse», le 4e tome de la XIVe Lé-

gislature: Les Réclamations étrangères.L'influence des étrangers, des Légations et Consulats

dans la politique intérieure du pays forme le sujet dece gros volume de plus de 250 pages. Selon sa manière,de nombreuses pièces viennent à l'appui des affirma-tions de l'auteur, qu'il s'agisse d'une visite de Byronau Président Geffrard, de l'affaire du Bulldog et de

l'expulsion de Louis Etienne Lysius Salomon de la

Jamaïque.Ces différents Chapitres qui forment, pour ainsi dire,

la première partie de l'ouvrage, offrent un intérêt crois-sant par la lutte sans merci du Président Geffrard etses amis contre Salnave, en rébellion, au Cap-Haïtien.Salomon dont l'influence dans le pays inquiétait fortses adversaires, expulsé, comme un vil malfaiteur dela Jamaïque, réclame avec ténacité une juste répara-tion du gouvernement de sa Majesté Britannique.

Si le bombardement de la ville du Cap, par les deux

frégates anglaises: la Galathéa et le Lully, donna la vic-toire au gouvernement, ce grave événement lui renditle pouvoir impossible. Il démissionna, en effet, et Sal-nave le remplaça.

Les amis de Geffrard reprirent la lutte contre lui,avec les mêmes moyens. Après deux ans et demi d'une

guerre civile atroce où les étrangers jouèrent un rôlede tout premier ordre, le Palais National fut réduit encendres. Le malheureux Président, vaincu, essayait de

gagner la partie Espagnole de l'Ile, quand il fut arrêté,garroté, conduit à Port-au-Prince et fusillé sur les ruinesdu Palais National.

Lorsque Nissage Saget arriva au pouvoir, les repré-sentants des Grandes Puissances accréditées en Haïti,

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- 43 —

devenus tous personna grata, s'empressèrent de pré-senter les réclamations de leurs ressortissants pour defutiles dommages causés par les troupes, soit sur les per-sonnes, soit sur les biens. Et c'est à qui mieux mieuxdevait présenter leurs listes dans l'espoir de se partagerles dépouilles de la République!...

Préparé, comme on l'a été par les actes antérieursdes principaux personnages, cette deuxième partie de

l'ouvrage, ne permet plus de les juger tendrement.Notre diplomatie, en présence de cette avalanche de

réclamations, presque sans fondement, a sacrifié les

plus chers intérêts du pays pour maintenir les bonnesrelations avec les principales puissances. Combien

d'étrangers ne se sont pas enrichis scandaleusementau détriment de la caisse publique ? La liste de leursfantaisistes réclamations est donnée, avec un rap-port circonstancié de la Commission anglo-haïtienne,réduisant leurs prétentions jusqu'à l'extrême limite.Mais le Gouvernement, lié par des engagements illicites,sans consulter préalablement les Chambres, s'était en-

gagé à les payer. Les exigences de Spencer St-John et duComte Charles Emmanuel de Lémont ne lui permet-taient pas de revenir sur la parole donnée. Ignorant lemontant total des condamnations par les Commissions,il se décida à réclamer un blanc-seing du Corps Légis-latif. Il fallait satisfaire les Légations de France, d'An-

gleterre et des Etats-Unis pour éviter le bombardementde nos villes sans défense.

La question d'indemnité à la Chambre des Représen-tants et du Sénat permet de suivre les tergiversa-tions de nos principaux hommes politiques, en face de

cette situation qui n'était que la conséquence du con-

cours des étrangers pour arriver à vaincre Salnave. Le

banquet offert à Spencer St-John, où se trouvaient

les membres du gouvernement et les principaux leaders

politiques qui, tous, ont eu à prononcer des discours

est une faute grave que l'histoire ne saurait pardonner.

L'ouvrage, d'une lecture facile et entraînante, laisse

enfin de compte, une impression de tristesse qui ex-

plique et justifie les causes de nos malheurs. Le pays,abandonné aux politiciens, a connu toutes les humilia-

tions pour pouvoir vaincre un adversaire redoutable à

qui le peuple, à tort ou à raison, accordait ses faveurs.

Les indemnités payées, même pour les réclamations

rejetées, sont énormes; la liste en est donnée avec les

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noms des heureux bénéficiaires. La République appau-vrie a dû se livrer à une série d'emprunts, sous le gou-vernement de Domingue, pour satisfaire ces étrangers,devenus créanciers de l'Etat.

En félicitant vivement Me Antoine Michel des ser-vices immenses qu'il rend à la Jeunesse en se consa-crant entièrement à l'étude du passé, nous le remer-cions de son gracieux envoi.

On trouvera à acheter l'ouvrage au prix de cinqgourdes l'exemplaire, à la Pharmacie du Dr Coicou,Lalue et au cabinet de notre Trésorier, Me Henri Adam

Michel, Rue du Peuple, No 1508.

ABONDANCE DES MATIERES

L'abondance des matières nous oblige à renvoyer ànotre livraison d'Octobre la suite de la belle étude du

Professeur Ignace Urban sur la Géographie Botanique

d'Hispaniola et la liste des Conférences prononcéesdepuis Janvier dernier.

CONFÉRENCE

La dernière Conférence de la série inaugurée depuisJanvier dernier sera prononcée le 23 Juillet prochain,à dix heures du matin, au local de la Bibliothèque du

Lycée National par Mr. Joseph Eveillard, de Saint-

Marc, qui parlera de

CLAIRE HEUREUSE,

l'épouse dévouée du fondateur de l'Indépendance : Jean

Jacques Dessalines.

Tous les membres et tous les amis de l'oeuvre sontinvités à assister à cette Conférence, en témoignage de

sympathie pour tout ce qu'elle a réalisé de bien autour

d'elle.

ABONNEMENT

Nous prions nos amis qui reçoivent la Revue de ne

pas oublier que l'abonnement annuel est de :

Port-au-Prince 1 an G. 3.50

Province 1 an 4.00

Etranger 1 an 5.00

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TOUSSAINT-LOUVERTURE

Conférence faite au local de la Société

d'Histoire et de Géographie d'Haïti

le dimanche 21 Mai 1933.

Mesdames, Messieurs,

Avant d'avoir l'honneur d'évoquer devant vous la

grande figure du glorieux Initiateur de notre Indépen-

dance, de Celui qui, sur cette terre d'Haïti, alors dé-

nommée Saint-Domingue insuffla dans l'âme de ses

anciens compagnons d'esclavage, avec l'amour de la

liberté, l'orgueil de la résistance (1), avant, dis-je, de

vous convier à communier avec moi dans l'admiration

de cet immortel Ancêtre et dans l'exaltation de son

oeuvre géniale, permettez que je vous exprime quelle

pénible impression j'ai ressentie chaque fois qu'il m'a

été donné de lire, ces temps derniers, de prétenduesétudes historiques prenant plutôt l'allure de polémiquesfielleuses— quand elles n'ont pas été tout uniment des

tissus de dénigrement. En effet, quelques Haïtiens in-

fatués d'eux-mêmes se sont complu à éplucher la vie

de nos grands Aïeux, de ceux qui forgèrent la Patrie,

qui firent sortir de la géhenne de Saint-Domingue l'Etat

souverain de 1804, pour y relever telle ou telles fai-

blesses, telle ou telles laideurs. Ils vont parfois, ces

intrépides chevaliers de la Critique Historique, tout pé-tris de préjugés mesquins, jusqu'à contester la bravou-

re, voire le mérite de certains des acteurs de la grande

épopée que couronna l'indépendance d'Haïti, se livrent,

par exemple,— dans un but odieux de division —à des

parallèles absurdes entre certains de ces héros dont

deux ou trois ont la faveur d'obtenir leur admiration et

les autres, l'honneur d'exciter leur aversion...

(1) Dans la Mêlée, tome I, page 75.

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Des nains qui s'érigent en censeurs de géants aux

pieds desquels ils ne peuvent que ramper, de miséra-bles mortels qui tentent de renverser des dieux deleurs autels!...

Vous concevez bien, Mesdames, Messieurs, avec

quelle indignation— que vous ne pourriez ne pas trou-ver légitime, car vous l'auriez aussi éprouvée

—j'en-

tends des descendants de ceux entre les mains de quil'oeuvre ancestrale s'est effritée jusqu'à la catastrophede 1915, essayer de rapetisser les actes de quelques-unsde nos Ancêtres, alors qu'il faut les confondre tous

dans une pieuse vénération, ne comprenant pas, hélas !

que le pays en a assez de la néfaste division et que la

période actuelle doit plutôt nous incliner au repentir,nous inspirer l'endurance dans l'expiation, la volonté

inébranlable de sortir de l'humiliation qui pèse sur nous

depuis dix-huit ans près, avec le ferme propos de nousunir sincèrement pour qu'après l'heure —qui ne tardera

pas à sonner —de notre réhabilitation, nous puissionspréserver l'oeuvre des grands Aïeux de tout nouvel af-

front, et conduire tout seuls notre patrie que tout seuls

nos Pères ont fondée, vers l'accomplissement de ses

nobles destinées.

La vie de Toussaint-Louverture est, dans tous ses dé-

tails, trop connue de vous tous qui m'écoutez pourque j'eusse la pensée de la retracer (de nombreuses

heures seraient indispensables pour le faire.) Tellen'est donc point mon intention.

Invité très aimablement par la Société d'Histoire etde Géographie à traiter un sujet historique à mon choix,

j'ai osé lever mes regards sur la plus haute figure de

notre Panthéon, le plus grand homme de la race noi-

re —voire de l'Humanité, ajouterai-je avec l'orateur amé-

ricain Wendell Philips.

Je me suis dit qu'en cette époque où l'âme haïtienne

a connu de si douleureuses épreuves, où notre patrienée dans la gloire la plus pure, a vu son sol foulé parla Force Etrangère nous apportant sinon les chaînes

de l'ancien esclavage corporel, mais... ce que nous sa-

vons; qu'en cette époque, enfin, où nous ne sommes

plus seuls maîtres de nos affaires, il est bon de remon-

ter vers nos origines, sachant qu'il sera particulière-ment salutaire de tirer des enseignements des traits les

plus importants de la vie du surhomme que fut Tous-

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saint le Grand, dont l'exemple permit de réaliser l'oeu-

vre grandiose de notre Indépendance nationale.

Nous parlerons donc brièvement des événements de

sa glorieuse carrière, en mettant en lumière les rôles

qu'il y a admirablement joués; nous verrons à l'oeuvre

le guerrier valeureux, le politique habile, l'organisateur

génial; et, pour conclure, nous dirons, enfin, nos mo-

tifs d'espérer.

Mesdames, Messieurs,

Vous n'ignorez pas que Toussaint, quoique né dans

l'esclavage, connut, dès sa jeunesse, une vie exemptedes rigueurs inhérentes à ce régime odieux, grâce à la

bienveillance de Bayon Libertat, le gérant de «l'Habita-tion » Bréda, qui le prit à son service particulier et le

fit, plus tard, son cocher.

Depuis cette époque, il sut vouloir! A l'occasion de

son mariage, voici un trait qui vous édifiera. «C'est

moi, nous dit-il, c'est moi qui ai choisi ma femme;mes maîtres voulaient me marier avec de jeunes et

fringantes négresses; j'ai toujours su résister aux vo-

lontés qui contrariaient mon goût dans l'idée que je me

faisais d'un heureux ménage.»Il apprit à lire et à écrire. Il augmenta le peu de con-

naissances qu'il reçut du vieux nègre Pierre Baptiste,son parrain, grâce à la conception qu'il se fit de l'utilité

de l'instruction. Il prit un plaisir tout particulier à la lec-

ture de l'ouvrage de l'abbé Raynal où celui-ci prédit

qu'il viendrait un Spartacus noir pour délivrer ses

frères de l'esclavage...Pendant quarante-six ans, la vie de Toussaint Bréda

s'écoule tranquille. Serviteur actif et dévoué, époux mo-

dèle et bon père.Or, voici l'année 1791. Déjà, le sang a coulé sur diffé-

rents points de la colonie. Les hommes de couleur et

les affranchis ont résolu d'obtenir par la force —aprèsavoir vainement réclamé — l'exécution du Décret du 28

mars 1790 qui leur reconnaît les droits du citoyen,droits que leur contestent les colons. Ogé et Chavannesont payé de leur vie leur courageuse et téméraire en-

treprise: ils ont été rompus vifs sur un échafaud, puis

décapités, et leurs têtes, exposées chacune au sommet

d'un poteau : celle de Jean-Baptiste Chavannes, sur la

route de la Grande-Rivière, et celle de Vincent Ogé,sur le grand chemin qui mène au Dondon. Les insurgés

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— 4 —

du Camp-Prou, dans le Sud, ont dû déposer les armes

pour ne pas encourir le supplice que l'Assemblée Pro-vinciale du Cap venait d'infliger aux intrépides reven-

diquants du Nord.

Mais la voie est ouverte. Ceux dans les veines de quibouillait le sang de l'Afrique avaient osé lever la tête,attaquer les blancs et leur faire mordre la poussière!

Dans l'Ouest, de graves évènements se sont accom-

plis : prise d'armes des hommes de couleur, concordatde la Croix-des-Bouquets, à la suite du combat de Per-

nier où les blancs étaient battus par les Confédérés, trai-te de paix de Damien.

Toussaint est encore dans l'ombre, mais non pasinactif...

Une insurrection générale des esclaves éclate dans le

Nord. Il n'y est pas étranger: il est en constants rap-

ports avec Bouckman, Jeannot, Jean-François et Bias-

sou, les chefs du mouvement. Il soulève les ateliers ;mais il reste, jusque-là, l'esclave soumis, intelligent et

dévoué : il est encore Toussaint Bréda.

La révolte s'étend de plus en plus ; et, sous les ordresde Bouckman, les esclaves font de la riche plaine du

Cap un monceau de ruines. Nous sommes en août 1791.

Au mois de novembre suivant, Bouckman est tué ;et sa tète est exposée sur une des places du Cap —com-me celles des deux précurseurs mulâtres l'avaient étésur des routes publiques —pour convaincre les incré-

dules que le principal chef des révoltés avait été vaincu.

( 129 ans plus tard, nous verrons imiter et même am-

plifier ce trait horrible, sous la forme de la crucifixion,tant il est vrai que tous les vainqueurs blancs de noirsrévoltés se ressemblent !... )

Alors, Toussaint paraît. Son rôle est encore relative-ment humble: d'abord «médecin» de l'armée, il estdevenu le secrétaire de Biassou; mais il va prendredans les évènements une part de plus en plus impor-tante, jusqu'à exercer, plus tard, sur tous une irrésis-tible domination. Mais ce grand calculateur doublé d'un

vigoureux homme d'action n'entreprend qu'après avoir

profondément médité. Il sait toujours choisir sonheure.

A la chûte de la royauté en France, au mois d'août

1792, Toussaint seconde énergiquement les chefs del'insurrection. Il est particulièrement pour Biassou un

auxiliaire précieux. C'est ainsi que nous les trouvons

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— 5 —

défendant de concert le camp retranché de la Tannerie

que vient attaquer le général Laveaux, le 18 janvier1793. En février, il passe, avec Jean-François et Bias-

sou, au service de l'Espagne en guerre avec la France.

Pourquoi? Parce que le Gouverneur de Santo-Domingo,Don Joachim Garcia de Moreno a promis, au nom deS. M. le Roi d'Espagne. « aux nègres comme aux mu-

lâtres, dès à présent et pour toujours, liberté, exemp-tions, jouissances et prérogatives comme à ses propressujets, à eux tous, des établissements avantageux dansles terres et possessions de la partie française ou de la

partie espagnole ».

Au service de l'Espagne, il se signale par des ac-tions d'éclat. En juillet, il reprend la Tannerie. Brandi-court est fait prisonnier avec sa troupe entre Dondonet le Camp-Pélé et amené au Quartier-général de Tous-saint-Louverture. A cette occasion, le marquis de Al-

monas adresse des félicitations à Toussaint qui venaitde rompre le Cordon de l'Ouest. Le 27 juillet, il se rendmaître de la Marmelade. Peu après, il envahit le canton

d'Ennery et menace les Gonaïves.

Pressé par les évènements, Santhonax, Commissairecivil de la République Française, proclame, le 29 d'août

1792, la liberté générale des esclaves.

Malgré cette mesure importante prise par le repré-sentant de la métropole, Toussaint reste encore au ser-

vice de l'Espagne. Au mois de juin précédent, il avait,ainsi que Biassou. repoussé les offres des Commissai-res civils français, objectant « qu'ayant jusqu'à présentcombattu avec leurs autres frères pour les droits du

Roi, ils répandront tous jusqu'à la dernière goutte de

leur sang pour la défense de Bourbons, auxquels ils ont

promis une iviolable fidélité jusqu'à la mort.»

Cependant, Toussaint entend être reconnu commecelui qui a conçu de combattre et qui a combattu pourla liberté de ses frères; cet honneur, il le revendiquehautement. Ecoutez-le. Dans une Adresse du 25 d'août,— donc antérieure à la Proclamation de Santhonax—

parlant de la liberté générale, il dit à ses « frères et

amis » : « C'est à moi d'y travailler comme étant le pre-mier porté pour une cause que j'ai toujours soutenue;

je ne puis céder le pas; ayant commencé, je finirai».

Et il signe: Toussaint-Louverture, Général des arméesdu Roy.

Ce n'est qu'en 1794 qu'il passe au service de la Fran-

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— 6 —

ce, après des succès militaires qui l'ont couvert de

gloire, et sur les instances du général Etienne Laveaux.

qui s'était mis en rapport avec lui dès le 5 mai.

A ce moment, la colonie était presque perdue pour laFrance. Depuis le 20 septembre 1793, les Anglais occu-

paient Jérémie et devaient, plus tard, étendre leur pos-session sur Saint-Marc, le Môle Saint-Nicolas, l'Arca-

haie, le Port-Républicain, tandis que les Espagnolsétaient maîtres de la plupart des petites villes de l'inté-rieur : le Dondon, le Limbé, la Marmelade, Plaisance,

Saint-Michel, Saint-Raphaël, Verrettes, Petite-Rivière de

l'Artibonite, jusqu'au Mirebalais.Toussaint attaque vigoureusement son ancien chef

Biassou, le culbute et. détruit son camp; mais il a

l'ironique courtoisie de lui renvoyer sa voiture, sa mon-tre et une tabatière enrichie de diamants qu'il avaitabandonnées dans sa fuite précipitée. (Gragnon-Là-coste.— Toussaint-Louverture, page 75.); il attaque les

Gonaïves, en chasse les Espagnols et oblige Jean-Fran-

çois à évacuer Limonade et Quartier-Morin. Il proclamela liberté générale partout où il passe. La Victoire

l'accompagne...Répondant, alors, à la lettre du 5 mai du gouverneur

intérimaire Laveaux, Toussaint lui explique ainsi lesraisons qui l'avaient porte à se mettre au service de

l'Espagne :

Marmelade, 18 mai 1794.

TOUSSAINT-LOUVERTURE

Général de l'armée de l'Ouest

A Etienne Laveaux, gouverneur par intérim, etc.

« Le citoyen Chevalier, commandant de Terre-Neuveet du Port-à-Piment, m'a remis votre lettre en date du 5du courant, et pénétré de la plus vive reconnaissance,

j'apprécie, comme je le dois, les vérités qu'elle ren-ferme.

Il est bien vrai, général, que j'ai été induit en erreur parles ennemis de la République; mais quel homme peutse vanter d'éviter tous les pièges de méchanceté ?

A la vérité, j'ai tombé dans leurs filets, mais non pointsans connaissance de cause. Vous devez vous rappelerqu'avant les désastres du Cap et par les démarches quej'avais faites par devers vous, que mon but ne tendait

qu'à nous unir pour combattre les ennemis de la Fran-

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ce, et faire cesser une guerre intestine parmi les fran-

çais de cette colonie. Malheureusement, et pour tousen général, les voies de réconciliation par moi propo-sées, la reconnaissance de la liberté des noirs et uneamnistie plénière, furent rejetées. Mon coeur saigna, et

je répandis des larmes sur le sort infortuné de ma pa-trie, prévoyant les malheurs qui allaient s'en suivre,la fatale expérience a prouvé la réalité de mes prédic-tions. Sur ces entrefaites, les Espagnols m'offrirent leur

protection et la liberté pour tous ceux qui combattaient

pour la cause des rois; et ayant toujours combattu pouravoir cette même liberté, j'adhérai à toutes leurs offres,me voyant abandonné de tous les français, mes frères.Mais une expérience un peu tardive m'a dessillé les

yeux sur ces perfides protecteurs, et m'étant aperçu deleur supercherie scélérate, j'ai vu clairement que leursvues tendaient à nous faire entr'égorger pour diminuernotre nombre, et pour surcharger le restant de chaî-nes et les faire retomber à l'ancien esclavage. Non, ja-mais ils ne parviendront à leur but infâme, et nous nous

vengerons à notre tour de ces êtres méprisables à tousles égards. Unissons-nous donc à jamais et, oubliant le

passé, ne nous occupons désormais qu'à écraser nosennemis et à nous venger particulièrement de nos per-fides voisins.»

(Voir cette lettre in-extenso dans l'Histoire de Tous-

saint-Louverture par H. Pauléus Sannon, tome I, p: p.165 à 167.)

Plus tard, rendant compte à Laveaux d'une de ses

opérations contre Jean-François, il lui écrit: «J'ai atta-

qué à la fois le Dondon et le fort ( le Camp Bertin ) avec

tous les autres postes, lesquels ont été enlevés le

sabre à la main. Peu s'en fallut que je n'aie pris Jean-

François. Il n'a dû son salut qu'à l'épaisseur des halliers

où il s'était jeté à corps perdu, en abandonnant tous ses

effets généralement. Je lui ai pris tout son bagage : pa-

piers, patentes, etc., etc. Il n'a absolument sauvé quesa chemise et ses pantalons ».— Le vigoureux guerrierne dédaignait pas, à l'occasion, une pointe de moque-rie ! . . .

Ayant appris le carnage que Jean-François fit à Fort-

Liberté, après sa défaite du Dondon, Toussaint écrit à

Laveaux : « Quant à moi, général, vous pouvez comptersur mes sentiments d'humanité. J'ai toujours eu en hor-

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reur ces chefs qui aiment tant à répandre le sang. Ma

religion me le défend, et j'en suis les principes.» (1)Voilà l'homme dont la stratégie et la vaillance con-

serveront à la France, à cette époque critique, le plusbeau joyau de son domaine colonial...

Le 20 mars 1796, Laveaux est arrêté au Cap sur l'ins-

tigation de Villatte et n'est délivré que grâce à l'inter-vention des lieutenants de Toussaint.

Et Laveaux à qui Louverture écrivait, le 12 du mômemois : « Que je suis heureux d'avoir un père aussi bonet qui m'aime autant que vous le faites ! Soyez persuadéque votre fils est votre ami sincère, qu'il vous soutien-dra jusqu'à la mort», Laveaux — après lui avoir fait lerécit de son odyssée et l'avoir remercié de son con-

cours,— ajoute: « Il faut, mon ami, que tu m'envoies

(savourez ce tutoiement du « père » Laveaux à son«fils» Toussaint )... il faut que tu m'envoies des forces

pour réduire le camp des rebelles. Je pars à l'instant

pour m'emparer de la Petite Anse que les troupes deVillatte occupent ainsi que le Petit-Mornet. Bonjour. Quede choses à la fois.» (Lettre du 6 Germinal, an IV —27mars 1796).

Dans la Métropole, dès la fin d'octobre 1795 (5 Bru-

maire, an IV de la République), le Directoire avait rem-

placé la Convention. Une nouvelle Commission civile —dont le membre le plus remarquable était Sonthonax—arriva au Cap-Français le 22 Floréal, an IV ( 12 mai

1796).

Comme épilogue de l'Affaire du 30 Ventôse ou Affai-re Villatte. à la suite d'une enquête des nouveaux Com-

missaires, Villatte est destitué et obligé de s'embarquersur la frégate la Méduse, à destination de la France oùil devait être emprisonné dès son arrivée à Roche-fort (2).

Un adversaire de Toussaint venait de disparaître dela scène.

En récompense des services rendus par Louvertureet de sa conduite à l'égard de Laveaux dans l'affaire du30 Ventôse, la Commission le proclame général dedivision.

Le 14 septembre 1796, Toussaint fait nommer La-veax et Sonthonax députés de Saint-Domingue.

(1) Lettre du 19 juillet 1794.

(2) Th. Madiou.— Histoire d'Haïti, T, I, page 359.

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En novembre suivant, une corvette arrivée de France,apporte la nouvelle de la confirmation par le Directoiredu grade conféré à Toussaint par la Commission civile.Le Directoire lui envoie des félicitations, un sabre ma-

gnifique et une superbe paire de pistolets travaillés àla Manufacture nationale de Versailles. La poignée dusabre porte cette inscription: « Donné par le DirectoireExécutif de France au général divisionnaire Toussaint-Louverture en récompense de sa conduite héroïquedans la journée du 30 Ventôse, an IV».

Le général Etienne Laveaux avait regagné la France.Sonthonax (Léger-Félicité), lui, ne se hâtait guère d'al-ler remplir son mandat de député ; mais Toussaintveillait...

Au mois de mai 1797, T. Louverture est nommé parla Commission civile, général en chef des armées de

Saint-Domingue. Il est enfin le plus haut gradé dans la

hiérarchie militaire.

Dans le Sud, le général André Rigaud combattait les

Anglais avec acharnement, aux Irois, ayant Jérémie

pour objectif. « Sonthonax, de son côté, pressait la

guerre contre les Anglais avec une rare activité. Il or-donna à Toussaint-Louverture de s'emparer du Mire-balais par n'importe quel sacrifice et de pénétrer dansla Plaine du Cul-de-Sac.» (Th. Madiou, Ibid., page404.) Le colonel Pétion, lui, menaçait le Port-Républi-cain.

Sur ces entrefaites, après une série d'échecs, les gé-néraux anglais Simcoe et Whyte sont découragés etsentent que le Gouvernement Britanique qui avait réta-bli l'esclavage n'arriverait point à l'emporter sur la

France révolutionnaire dont la Première Républiquevenait de décréter la liberté générale.

Toussaint se sent encore mal à l'aise. La présence de

Sonthonax obscurcit son soleil. Il l'invite à partir.Sonthonax promet, mais lanterne. Le général en cheflui écrit, à la date du 3 Fructidor, an V (26 d'août 1797)une lettre finissant en ces termes:

« Aujourd'hui que l'ordre, la paix, le zèle pour le réta-blissement des cultures, nos succès sur nos ennemisextérieurs et leur impuissance vous permettent de vous

rendre à vos fonctions, allez dire à la France ce quevous avez vu, les prodiges dont vous avez été témoin,et soyez toujours le défenseur de la cause sacrée que

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— 10 -

nous avons embrassée, et dont nous sommes les éter-nels soldats. Salut et respect.»

Jamais ordre plus respectueux n'a été notifié au Re-

présentant d'une grande puissance, j'allais dire... à un

Haut-Commissaire!Sonthonax n'ayant pas déféré à sou invitation, Tous-

saint prend des dispositions militaires pour l'y contrain-dre. Il dispose de 20.000 hommes... Le canon d'alarmeest tiré à la Petite-Anse (l'ancien camp de Villatte). Le

Commissaire délégué aux Isles sous le Vent, Léger-Félicité Sonthonax. mué en député de Saint-Domingue,impuissant devant l'imminence du danger, se détermineà partir. « Partir il faut»... Il s'embarque, le 3 septem-bre, sur l'Indien, avec sa famille. (1)

Encore un obstacle de supprimé.Quant au débonnaire Commissaire civil Raymond,

résidant à Aquin, Toussaint ne se soucie guère de sa

présence dans la colonie: il ne peut nuire à ses des-seins . . .

Vers la fin d'avril 1798, le général anglais Maitlandfait savoir à Toussaint sa détermination de traiter aveclui. Les négociations sont rapidement menées par les

représentants respectifs du Général en chef des arméesde Saint-Domingue et du Commandant des forces bo-

taniques; et du 6 au 8 mai, les troupes anglaises éva-cuent l'Arcahaie, Saint-Marc et le Port-Républicain.

Toussaint fait son entrée solennelle en cette dernière

ville, le 16 mai. Il y reçoit les honneurs dûs au Gouver-neur. Mais, le 8 mai, au moment même où Louvertureentre en triomphateur à Saint-Marc, le général Hédou-

ville, le nouvel agent de la métropole, arrive au Cap-Français... (2)

Maitland propose à Toussaint, au nom du Gouverne-ment Anglais de le reconnaître roi de Saint-Domingue.Il n'y souscrit pas. Cependant, le général noir penseplus que jamais à rendre la colonie indépendante; mais

pour lui le moment n'est pas encore venu. Il saura lesaisir.

(1) Sonthonax avait épousé une mulâtresse de Saint-Domingue.

(2) V. La Mission du Général Hédouville à Saint-Domingue, par Antoine

Michel, tome 1er.

Le général divisionnaire Marie Théodore Joseph Hédouville, ( ci-devantComte d'Hédouville), était âgé de 42 ans quand il fut nommé agent, le 4

juillet 1797.

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Le premier de nos historiens, Thomas Madiou, dit àce propos: « Ce projet de Toussaint de proclamer l'in-

dépendance de Saint-Domingue est la plus noble de ses

conceptions aux yeux des Haïtiens. Sa constitution co-loniale qui provoqua (1) l'expédition de 1802 fut presqueun acte d'indépendance ; avec un peu plus de hardiesse,il eût enlevé à Dessalines toute sa gloire.»

Certes, le génial conducteur d'hommes vise à l'indé-

pendance et y travaille illassablement, je pourrais dire

inflexiblement...; mais pour la réaliser, il lui reste en-core des obstacles à supprimer, des adversaires à

éloigner ou à terrasser.

Je ne m'attarderai pas. Mesdames, Messieurs, à vous

parler des relations de Toussaint-Louverture avec lenouvel agent du Directoire Exécutif. Roume et Kerver-

seau, parlant du général en chef à Hédouville, luiavaient dit: « Avec lui vous pouvez tout, sans lui vousne pouvez rien.»

Inutile de vous dire que Louverture avait appris avecle plus grand déplaisir l'arrivée du nouveau Commis-saire civil. Il existe donc, de part et d'autre, préventionet animosité. Or, à la suite d'une insurrection habile-ment fomentée par le genéral en chef, Hédouville, le

glorieux pacificateur de la Vendée, est, à son tour, obli-

gé de prendre la mer... comme Villatte, comme La-

veaux, comme Sonthonax. Son départ a lieu le 1er

Brumaire, an VII (22 octobre 1798), après qu'il eut lancéune proclamation portant à la connaissance des habi-tants de Saint-Domingue que Toussaint s'était entendu

avec le gouvernement fédéral des Etats-Unis et le Ca-binet de Saint-James pour se rendre indépendant dela France.

Quelque temps se passe; et l'inévitable arrive: la

guerre civile entre les généraux Toussaint-Louvertureet André Rigaud. Celui-ci, vaincu, s'embarque à Tibu-ron avec sa famille, le 29 juillet 1800. Encore un de

terrassé.

Vous savez comment, trois mois auparavant, Tous-saint finit par vaincre la résistai ce de Roume à l'exé-

(1) L'expédition française se préparait bien avant que Toussaint eût édictésa Constitution. Bonaparte en fit hâter les préparatifs, dès qu'il eut prisconnaissance du document soumis à sa ratification par Toussaint-Louver-ture. T. P.

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cution d'un de ses plus grands projets. Je passerai doncsous silence la burlesque aventure qui advint à ceCommissaire civil, avant qu'il fût réduit à prendre l'ar-rêté du 7 Floréal, an VIII (27 d'avril 1800) autorisantla prise de possession de « la partie ci-devant espa-gnole » de l'île.

Beaubrun Ardouin qui a semblé avoir pris à tâche deréfuter la plupart des appréciations contenues dans

l'ouvrage de son devancier Madiou — et qui était loind'être tendre pour Toussaint — n'a pu s'empêcher d'é-

crire, à la page 215 du tome IV de ses Etudes surl'Histoire d'Haïti, ce jugement sur le grand généralnoir: «En effet, T. Louverture s'est montré, selon sa

nature, supérieur à tous les hommss de son temps.D'une ambition dévorante (nous ne l'en blâmons pas),et se sentant toutes les facultés pour la soutenir, pouracquérir la plus haute position à Saint-Domingue, ils'est joué avec le plus grand art de Laveaux, de Son-

thonax, d'Hédouville, de Roume; il profita des fauteset de l'incapacité de Villatte; il est parvenu à annuler

Bauvais, à vaincre Rigaud pour rester seul dominateursur le terrain colonial ».

Mais ce n'est pas tout. Nous allons voir Toussaint à

l'apogée de sa gloire.

Le 26 Juin 1801, il fait une entrée triomphale à Santo-

Domingo, aux sons des cloches de la Ciudad Primada,de la plus ancienne cité du Nouveau-Monde. Le Gou-verneur et les grands dignitaires de l'Eglise (el Cabitdo)viennent à sa rencontre. A l'Hôtel de Ville, où il est

accompagné en grande pompe, il ne veut pas prêter leserment prescrit aux gouverneurs espagnols. Il lait

remarquer qu'il vient prendre possession du pays aunom de la France, conformément au Traité de Bâle oùla cession en a été stipulée au profit de la RépubliqueFrançaise; « mais je jure de tout mon coeur, dit-il. de-vant Dieu qui m'entend, que je mets le passé dans l'ou-

bli, et que mes veilles et mes soins n'auront d'autrebut que de rendre heureux et content le peuple espa-gnol devenu français.» Et, prenant les clés de la villedes mains du gouverneur Don Joachim Garcia, il dit :

« Je les accepte au nom de la République Française. »Et à tous les fonctionnaires assemblés : « allons remer-cier l'Auteur de toutes choses d'avoir efficacement cou-ronné du plus grand succès notre entreprise prescritepar les traités et les lois de la République ». Puis c'est

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le Te Deum consacrant solennellement la prise de pos-session de l'ancienne colonie espagnole. (V. B. Ardouin,op. cit, p. 299.)

L'unification de l'île s'est effectuée sous le commen-dement disons quasi-suprême de l'ancien esclave Tous-saint qui a reçu, en cette circonstance, la soumissionde son ancien supérieur Don Garcia de Moreno.

Après ce nouveau triomphe de son génie, Toussaint-

Louverture va mettre le comble à sa puissance.En vertu d'un arrêté qu'il avait pris dès le 16 Pluviôse,

an IX (5 février 1801), dix députés sont réunis au Port-

Républicain, ayant pour mission de rédiger une Consti-tution pour la Colonie. Cette charte qui porte la date du19 Floréal, an IX (9 mai 1801), nomme Gouverneur le

citoyen Toussaint-Louverture, général en chef de l'ar-mée de Saint-Domingue; et les rênes de la colonie lui sont

confiées pendant le reste de sa glorieuse vie. (Voir L.J. Janvier.— Les Constitutions d'Haïti, pp. 7 à 25).

Le Gouverneur à vie y donne son approbation, en la

ville du Cap-Français, le 14 Messidor, an IX de la Répu-

blique Française une et indivisible.

Je vous réfère à ce document qui vous permettrad'apprécier l'organisateur génial. Quant à l'administra-teur énergique, tous nos historiens lui ont rendu hom-

mage, même lorsqu'ils semblaient lui reprocher sa...fermeté. C'est ainsi qu'on trouve cette appréciation dans

Madiou : «Devenu gouverneur à vie, il (Toussaint-Lou-

verture) exerça sur les populations un despotisme sou-

vent sanglant mais toujours civilisateur.» Op. cit., tome

IL page 258).

On a, de tout temps ainsi parlé— et il en sera toujoursainsi— de tous les grands civilisateurs, des pétrisseursde nations ou des fondateurs d'Etats.

Mais il est acquis à l'Histoire que, sous l'administra-tion de Toussaint, la colonie était redevenue prospère,la culture florissante, par suite des dispositions rigidesréglementant le travail sur les « habitations».

En un mot, par la bienfaisante dictature de l'homme,le plus considérable de notre histoire et de notre race,Saint-Domingue— « sous qui déjà perçait» Haïti— recou-vra sa splendeur de Reine des Antilles.

En jetant un coup-d'oeil sur les motifs exposés au dé-but de la Constitution de 1801 (Discours Prélimaire),nous aurons une notion parfaite de l'esprit d'opportu-nité de Toussaint-Louverture.

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Faisons-en quelques extraits-:

« La colonie de Saint-Domingue existait depuis plu-sieurs années sans lois positives; longtemps gouvernée

par des hommes ambitieux, son anéantissement était

inévitable sans le génie actif et sage du général en chef

Toussaint-Louverture, qui, par les combinaisons les

plus justes, les plans les plus réfléchis et les actions les

plus énergiques, a su la délivrer presque en même

temps de ses ennemis extérieurs et intérieurs; étouffersuccessivement tous les germes de discordes: au sein

de l'anarchie, préparer sa restauration; faire succéderl'abondance à la misère, l'amour du travail et de la paixà la guerre civile et au vagabondage, la sécurité à la

terreur et enfin la soumettre tout entière à l'empire

français.

L'article 91 de la Constitution française aurait pu seul

autoriser les habitants de Saint-Domingue à présenter'au gouvernement français les lois qui doivent les régir,si l'expérience du passé ne leur en avait pas fait un de-

voir impérieux ; quel moment plus propre à choisir

pour cet important ouvrage, que celui où le chaos dé-

brouillé, l'ancien édifice déblayé de ses ruines, les pré-

jugés guéris et les passions calmées semblaient avoir

marqué comme l'instant propice où il fallait en poserles fondements !

« Il est des circonstances qui ne se présentent qu'uneseule fois pendant une longue série de siècles pour fixerles destinées des peuples ; si on les laisse échapper, elles

ne se retrouvent plus. (1)A ces causes fondamentales qui faisaient sentir la né-

cessité d'une Constitution pour l'île de Saint-Domingue,combinée d'après les intérêts des habitants liés à ceuxde la métropole, se joignaient des motifs égalementpressants : les justes réclamations des départements de

la colonie pour rapprocher les tribunaux des justicia-bles; la nécessité d'introduire de nouveaux cultivateurs

pour l'accroissement des cultures, la revivifaction du

commerce et le rétablissement des manufactures; l'uti-

lité de cimenter l'union de la ci-devant partie espagnoleavec l'ancienne partie française: l'impossibilité pour la

métropole de secourir et d'alimenter cette immense co-

lonie pendant la guerre avec les puissances maritimes ,

(1) Souligné par nous. T. P.

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le besoin d'établir un régime simple et uniforme dans

l'administration des finances de la colonie, et d'en réfor-

mer les abus; l'obligation de tranquilliser les proprié-taires absents sur leurs propriétés; enfin l'importance de

consolider et de rendre stable la paix intérieure, d'aug-menter la prospérité dont commence à jouir la colonie

après les orages qui l'ont agitée; de faire connaître à

chacun ses droits et devoirs, et d'éteindre toutes les

méfiances, en présentant un Code de lois auquel de-

viendront se lier toutes les affections, se réunir tous les

intérêts.» (1)

Je reconnais, Mesdames, Messieurs, que malgré l'in-

térêt du sujet, je ne peux vous entretenir encore lon-

guement, le temps qui m'est dévolu pour le faire étantmesuré. Je ne vous parlerai donc pas de la formidable

expédition qui se préparait dans les ports de France (2)bien avant l'élaboration de la Constitution de 1801; jene vous rappellerai pas la réponse de Bonaparte au

« Premier des noirs», à propos de cette Constitution

qui. bien que « renfermant beaucoup de bonnes choses

en contient qui sont contraires à la dignité et à la sou-

veraineté du peuple français, dont Saint-Domingue ne

forme qu'une portion » (3) ; je ne vous raconterai pasles actes d'héroïsme de ceux qui ont tenté, en février

1802, d'arrêter la marche victorieuse des forces fran-

çaises placées sous le haut, commandement du Capitai-ne-général Leclerc; ni des vigoureux, mais inutiles ef-

forts de Toussaint, à la Ravine-à-Couleuvres, et de Mau-

repas tenant admirablement tête à la division Humbert.

aux Trois-Rivières, je n'évoquerai pas dans son éblouis-

sement de gloire unique la résistance surhumaine de la

Crête-à-Pierrot. où se distinguent Dessalines, Magny,

Lamartinière, Morisset, Montpoint et la première hé-

roïne noire que nous saluons bien bas: Marie-Jeanne

l'Immortelle; ni le fait d'armes incomparable de l'éva-

cuation de ce fort par la trouée fulgurante et meurtrière

dans les rangs français, où les héroïques débris de l'ar-mée de Toussaint-Louverture ont laissé leurs traces

sanglantes et glorieuses. (Dans la Mêlée... tome I, p. 76).

C'est la débacle; puis l'infâme guet-à-pens de mal

(1) L. J. Janvier, op. cit., p. p. 4 à 6.

(2) Dés 1708. ( Voir Histoire militaire de la Guerre d'Indépendance de

Saint-Domingue par le Colonel Nemours, tome II, pages 7 et suivantes.

(3) Lettre du 27 Brumaire, an X ( 18 novembre 1801 ) du Premier Consul

Bonaparte à Toussaint-Louverture. ( L. J. Janvier, op. cit., page 24).

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1802; et, enfin, l'embarquement de Toussaint-Louver-ture à bord de la Créole (1), aux Gonaïves, en vue dutransbordement sur le Héros, en rade du Cap. Maisl'homme de génie a la sublime vision du couronnement

prochain de son oeuvre; car en mettant le pied sur le

pont du navire qui doit le transporter en France, il pro-nonce ces paroles prophétiques: « En m'arrachant de

Saint-Domingue, on n'a fait qu'abattre le tronc de l'ar-bre de la liberté des noirs; mais il repoussera par lesracines qui sont nombreuses et profondes ».

C'est la déportation, la captivité au fort de Joux, dansle Jura, le martyr et la mort.

L'ombrageux BonaparteFait du Premier des Noirs son malheureux captif;Mais c'est en vain : un autre chef, vindicatif,Se dresse et va venger l'odieuse capture ;Dessalines, farouche, après toi, Louverture,Conduira tes soldats contre les camps français...

Malgré le fier Consul, ses troupes, ses vaisseaux,Les larubis ont vibré, les noirs vont aux assautsPour vaincre ou pour mourir, en se couvrant de gloire.Le cri du Déporté en eux a retenti ;Ils seront, ces héros, seuls maîtres d'Haïti :Le monde verra naître une nation noire!

(L'Ame Vibrante, pages 19 et 23).

Quand, Mesdames, Messieurs, l'on se le rappelle que dece sang africain qui coule dans nos veines est né l'hom-me prodigieux que tut Toussaint-Louverture; que cecoin du monde qui l'a vu naître— et qui est aussi notre

patrie— a été le théâtre de tant d'exploits glorieux;qu'enfin, sur cette « terre de feu », selon le mot de Pau-line Bonaparte, la belle veuve le Leclerc, un peuple noira pu surgir du sein de la tempête,

Dressant vers le soleil son front audacieux (2) ;

quand, pendant, cent-douze années environ, malgré

(1) C'est par erreur que j'ai écrit, au tome premier de cet ouvrage, queembarquement de Toussaint sur le « Héros » eut lieu en rade des Gonaïves.

T. P.(2) Nouvelle Floraison, page 38.

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toutes les convoitises, tous les dangers, tous les mal-

heurs, notre jeune nationalité a pu conserver cette indé-

pendance conçue et voulue par Toussaint, réalisée parses successeurs, ces autres titans qui firent 1804, nous

ne pouvons, nous ne devons pas désespérer de l'avenirde notre pays.

Je crois fermement, quoi qu'en ait écrit M. Albert

Blanchet, dans un article intitulé : Je me réjouis du vote

de la Convention, publié dans le No du vendredi 7 jan-vier 1916 du journal « Le Matin »— et reproduit, en par-

tie, dans le numéro du lundi 2 Avril 1917. du périodique« La République»

—je suis convaincu, et vous tous avec

moi, Mesdames et Messieurs, que notre Indépendance

conquise au prix de tant d'efforts et de sacrifices, aprèsdeux années de guerre contre des soldats comptant par-mi les plus valeureux du monde, que notre indépendan-ce n'a pu être un « magnifique accident».

Quelle que soit notre sympathie pour l'homme, nous

n'avons jamais pu partager cette appréciation ironiquedu publiciste, appréciation qui va certainement à ren-

contre des données de l'Histoire et des commentairesdes historiens les plus remarquables (étrangers ou haï-

tiens) qui ont écrit sur l'indépendance de notre pays.

Donc, en dépit de nos épreuves actuelles remontant

déjà à tant de douloureuses années, notre patrie ne

mourra pas. Elle recouvrera tous les attributs de la sou-

veraineté et nous y redeviendrons les seuls maîtres. Haïti,cessant d'être une terre infortunée, évoluera par l'ins-

truction et le travail dans l'ordre et dans la liberté ;alors, les autres nations — si puissantes soient-elles,—devant notre inébranlable volonté de nous montrer di-

gnes de notre indépendance, ne pourront qu'entourerde leur considération et de leur amitié celle qui a la

gloire d'avoir constitué le premier Etat noir du Monde.

Port-au-Prince, 1er mai 1933.

TIMOTHÉE PARET

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LA GEOGRAPHIE PHYSIQUE D'HAÏTI

Conférence prononcée à la Société d'Histoire

et de Géographie d'Haïti le 18 Juin 1933

La Géographie physique d'Haïti a été étudiée; dans

ces trente dernières années par un bon nombre de sa-vants qui ont apporté une contribution importante à la

cartographie, à la géologie, l'hydrographie, la météo-

rologie, la botanique et la zoologie de l'île. Chose cu-

rieuse, c'est la géographie proprement dite, la descrip-tion du facies des terrains qui n'a pas progressé. C'est

que les explorateurs sont des naturalistes, des géolo-gues, des géodésiens plutôt que des géographes.

Il faut souhaiter qu'il nous vienne aussi de vrais géo-

graphes qui feront la synthèse nécessaire des travauxdes autres catégories de chercheurs.

Depuis la publication de la géographie de Henri

Chauvet, une masse de matériaux a été accumulée surla, géographie physique de notre île, mais elle est restéeinutilisée pour l'enseignement et même inconnue en

général du grand public haïtien, à cause de la disper-sion des mémoires scientifiques dans des publicationsvariées, dans des langues différentes.

Mr Luc Dorsinville en a consulté un certain nombre

pour ses manuels scolaires. Mon but a été différent, jeme suis adressé aux adultes et j'ai publié des leçons de

géographie d'Haïti dans l'ancien quotidien «La Presse».

L'ouvrage étant encore manuscrit je vais en choisirquelques chapitres que je résumerai et qui vous mon-treront les résultats acquis tant par les travaux anciens

que par les travaux récents dans l'étude de la géogra-phie physique d'Haïti.

Après avoir dit. un mot de la géographie générale, jepasserai en revue 1° l'étude de la carte, 2°, la géologiede notre île, 3°, le régime, hydrographique, 4°, le cli-

mat, 5°, la faune et la flore, 6°, les races anciennes

qui ont habite l'île.*

La géographie est aujourd'hui une science très vaste.

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Prenant un point d'appui sur les sciences physiques etnaturelles, elle fournit à son tour une aide puissante à la

sociologie. Par elle, l'homme fait l'inventaire de son

domaine, en connaît les avantages et les dangers. La

géographie sert ainsi de base à la politique et à l'écono-mie politique. Elle fournit en même temps des éléments

d'explication à l'histoire. Nous pouvons nous imaginerun avenir proche où un grand Conseil composant leGouvernement de chaque pays se réunira à la fin del'année budgétaire pour préparer le budget de l'Etatd'une manière assez différente de celle d'aujourd'hui.On ne se contentera plus d'établir un tableau des voieset moyens suivi d'un budget en puisant dans chaqueDépartement ministériel une statistique plus ou moinsétudiée.

On déterminera plutôt la masse optimum d'alimentsnécessaires à l'ensemble des citoyens; la quantité mi-nima de tissus nécessaires pour vêtir toute la nation; les

médicaments; les machines; les matières premières;les livres; les instruments; les habitations nécessairesau peuple entier; et, que le gouvernement soit fasciste,communiste, monarchique ou démocratique, le grandConseil fixera la quantité nécessaire de toutes ces cho-ses et répartira entre tous les citoyens les travaux de

production indispensables à la satisfaction des besoinsde la nation.

Ce qui ne sera pas beaucoup plus compliqué que l'é-tablissement des rôles de l'impôt. La liberté individuellene sera limitée que dans la mesure où chacun devra se

gêner pour la réalisation du programme national opti-mum et minimum.

Un pareil système de gouvernement ne sera certes

possible que si les chefs puisent leurs informationsdans un inventaire détaillé et systématique du domainenational. Cet inventaire n'est en grande partie autrechose que la matière môme de la géographie phy-sique.

L'ÉTUDE DE LA CARTE.— Un inventaire du domaine na-

tional est impossible sans une bonne carte du pays. L'ar-chitecte qui contemple son plan, voit en imagination sedresser devant lui l'édifice qu'il doit construire. Il y en-tre par la pensée, le parcourt dans tous les sens et saittout ce qu'il faut y installer. Les chefs d'un pays qui en

contemplent la carte s'en font une idée nette ; tout s'ani-

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— 20 -

me devant eux, ils voient en raccourci tout ce qu'il fau-drait faire dans cette contrée pour y rendre la vie plusfacile et plus agréable; Ils peuvent juger approximati-vement des travaux qu'il faut entreprendre, de leur

prix, et les charges qui pèseront en conséquence sur

chaque contribuable. Nous avons donc un intérêt poli-

tique et économique à posséder une bonne carte d'Haï-ti. Malheureusement cette carte n'existe pas encore.

Cependant on a fait de grands progrès dans la voie de

sa réalisation.

C'est naturellement Christophe Colomb qui est le pre-mier géographe de l'île d'Haïti. Il a fait les premièresdéterminations de longitude et de latitude et donné la

première idée de la forme de l'île, mais faute d'instru-ments assez délicats, il a commis de grandes erreurscomme lorsqu'il place l'île d'Haïti entre 22 degrés et 27

degrés de latitude nord, ce qui la met tout entière aunord de l'île de la Tortue.

Ovando chargea un capitaine espagnol nommé An-

dré Moralès de relever la carte de l'île. Ce travail fut

achevé probablement avant 1510. Pierre Martyr a con-

nu les travaux de Moralès. Tout récemment un char-tiste italien a découvert à la bibliothèque de l'Universi-té de Bologne un. exemplaire des Décades de Pierre

Martyr contenant une carte qui date probablement de

l'année 1516 et qui pourrait bien être celle de Moralès.

Découverte en 1928 par le Dr. Carlo Frati, elle a été pu-bliée la même année à Florence et répandue par les

soins du gouvernement dominicain. La voici : (1)

Avec de grandes erreurs quant aux dimensions, ellemontre que l'auteur avait une connaissance assez pré-cise des formes de l'île. Si nous la comparons aux pre-mières cartes françaises du début du XVIIe siècle, nous

voyons que celles-ci sont en recul plutôt qu'en progrèssur les cartes espagnoles. Vous en jugerez par ces

deux contours que j'ai décalqués dans un Atlas quel'on trouve à la Bibliothèque du Département des Tra-

vaux Publics. (Cartes d'Ortélius, 1590 et de 1608.)C'est dans la carte d'Anville publiée vers 1731 que se

trouve un contour satisfaisant. La meilleure des cartes

françaises est probablement celle du chevalier Lapiepubliée en 1819. « D'après un grand nombre de maté-riaux inédits, et notamment d'après des reconnaissan-

(1) Nous regrettons de ne pas pouvoir publier une réduction de cettecarte dans notre Revue.

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— 21 —

ces faites sur les lieux par le général Pamphile de La-croix et assujetties aux observations astronomiques pu-bliées par de Humboldt », selon ce que dit l'auteur.

Les cartes françaises sont basées sur différentes dé-terminations de point, c'est-à-dire de longitude et de la-titude faites pendant le XVIIIe siècle soit par des sa-

vants, soit par des officiers de la marine, comme leslieutenants Puységur et Sepmanville qui firent le rele-vé des côtes de la colonie française de juin 1784 à août

1785, soit par des ingénieurs géographes.

Après le départ des Français, la cartographie n'a

guère fait de progrès parce qu'il n'y a pas eu de nou-velles déterminations de point, sauf celle de Pétion-ville en octobre 1882 par une mission astronomiquefrançaise qui était venue y observer le passage de Vé-nus sur le soleil. Jusqu'en juin 1908 on estimait, dans lesmilieux scientifiques étrangers que les cartes officielleshaïtiennes et dominicaines ne marquaient aucun pro-grès sur celle du chevalier Lapie. Cependant à ce mo-ment là même un grand travail de relevé des côtes se

faisait,

De 1907 à 1911 des officiers de la Marine américainemontés sur le navire « l'Eagle » firent un travail completqui a été publié par l'office hydrographique du Dépar-tement de la Marine des Etats-Unis et qu'on peut se

procurer au prix de 60 cts. or la feuille au Bureau dela Marine à Washington. Cette carte qui est beaucoupplus exacte que celle de Puységur contient de nom-

breuses déterminations d'altitude faites par triangula-tion. Elle peut servir de point de départ ou de moyende contrôle pour une bonne carte topographique de

l'intérieur de l'île.

On distingue en géographie les opérations géodé-

siques qui embrassent une portion notable de la sur-face de la terre, comme la détermination d'un arc du

méridien en Laponie, au Pérou ou en France, et les

opérations topographiques qui ne portent que sur des

surfaces très petites par rapport à celle du globe.

Le Service géologique des Etats-Unis envoya en 1919

une brigade qui entreprit de dresser une carte exacte

de l'intérieur de la République. Elle était dirigée parMr Mc Nair ; elle fit des levés dans le Département du

Sud, dans le Dpt. de l'Ouest, dans le Plateau Central et

près de la frontière. Le rapport de l'ingénieur en chef

Parsons pour l'année 1920-21 disait que « tous les élé-

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— 22 —

ments sont enfin réunis pour permettre l'établissementde l'original de la carte qui sera certainement transmis

sous peu au gouvernement de la République.» Mais

l'année suivante il écrivait: « A cause du manque de

fonds, la U. S. Geological Survey a dû suspendre letravail de triangulation et celui de la carte du pays de-

puis Janvier 1922. Les bornes-repères des stations déjà

triangulées ont été établies d'une façon permanente,

pour être retrouvées si les travaux doivent être repris.Assez de données ont été déjà rassemblées pour per-mettre d'établir une première carte topographique dela République et ce travail est en cours actuellement.

Cela a pris plus de temps que l'on ne pensait et jusqu'icila carte n'est point achevée.»

Donc nous ne possédons pas encore une bonne carte

de l'île ni de la République, une carte donnant partoutle relief exact, des distances exactes et des altitudesexactes. Ce que nous avons encore de mieux, c'est lacarte éditée en 1928 par le Département des Travaux

Publics.

Le travail du Service Géologique des E.-U. a été re-

pris l'année passée par une brigarde du Département desTravaux Publics dirigée par l'ingénieur Georges Cau-

vin. C'est le premier travail national de triangulationet de cartographie. La brigade haïtienne a utilisé la

base que la brigade américaine avait mesurée dans laPlaine du Cul-de-Sac au nord des habitations La Serre,Vaudreuil, Demulseau, qui a une longueur de 6241m,78.Les extrémités de cette base sont à 18o37'04"5 de lati-tude et 72o09'41 "6 de longitude pour l'extrémité est; et18o35'58"2 de latitude et 72o13'02"8 de longitude pourl'extrémité ouest. L'origine de ces positions a été priseau phare du Fort-Islet dont les coordonnées géographi-ques furent déterminées à nouveau en 1913 par le Ser-vice Géographique des E.-U. La brigade américaineavait déterminé 110 points désignés par des tablettesen bronze ou en aluminium scellées dans le roc. Il est

vrai que le Dr Eckman nous a rapporté que la tablettefixée au Morne la Selle ne porte aucune indication d'al-

titude.

La brigade dirigée par l'ingénieur Cauvin a repris letravail de la brigade américaine et ses opérations cou-vrent aujourd'hui 3/5 de la superficie de la République.Elle a levé une carte au 1/200.000 accompagnée detoutes les indications voulues que je vous présente ici.

Lorsque ce travail, qui est un vrai travail de géodésie,

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— 23 -

et qui fait honneur à l'Ecole des Sciences Appliquéesdont l'Ingénieur Cauvin est sorti, ainsi que ses aides,sera achevé, il sera possible de relier les levés topogra-phiques existants aux points dont la position sera désor-mais bien connue et de faire une bonne carte topogra-phique de la République. C'est pour nous une avance

considérable sur la République dominicaine.

On ne se doute pas dans le grand public, des difficul-tés d'un pareil travail : « Ces sortes d'opérations, disaitFontenelle au XVIIe siècle, ne demandent pas une finethéorie mais une grande adresse et une grande sûretéà opérer, quantité d'attention délicate et de précautionsingénieuses et enfin leur grande utilité récompense le

peu de brillant géométrique ».

La mesure d'un arc de méridien en Laponie dura un

an, août 1736 à août 1737. «Je ne dirai rien des fa-

tigues ni des périls de cette opération» dit le géomètreMaupertius à propos de la mesure de la base de Tornéa.

Le savant Bouguer, l'un des membres de la mission

chargée de mesurer l'arc de méridien du Pérou disait:« La grande hauteur des montagnes qui, en Europe, a

ordinairement contribué à la promptitude de ces sortes

d'opérations nous était au contraire nuisible, ou parceque postés trop haut nous étions continuellement plon-gés dans les nuages, ou parce que les tempêtes enle-vaient nos signaux ou nous réduisaient nous-mêmes à

la fâcheuse nécessité de ne penser qu'à notre propreconservation. » La mission du Pérou dura de 1735 à

1743, huit ans.

En 1803 Biot et Arago attendirent six mois sur un picélevé de la côte d'Espagne un temps favorable à la dé-

couverte d'un réverbère allumé placé dans l'île d'I-

viça ce qui devait leur permettre d'étendre leur trian-

gulation aux îles Baiéares.

Sur notre petit territoire haïtien des difficultés sem-

blables se présentent. « Un signal est enfin mis en fa-ce dit l'ingénieur Cauvin, vous avez eu du mal à l'ériger.Les bois étaient rares, le transport difficile, puisquevous êtes sur un pic dénudé et désert. Vous êtes depuisle matin sous la flèche du signal et derrière le transit.

Comme une bête fauve au guet, vous surveillez votre

proie représentée en la circonstance par d'autres si-

gnaux placés au loin à plus de 30 km. Ils sont tous ca-

chés... La journée prend fin, vous regagnez votre lente

et l'unique résultat obtenu a été une surexcitation ner-

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veuse provoquée par l'attente inutile d'une minute quin'est point venue. »

Les ingénieurs et les arpenteurs de Saint-Domingueont levé beaucoup de plans. Il y en a qui se trouventaux archives du Ministère de la Marine, d'autres auxarchives du Ministère des Colonies.

Dans une lettre écrite à Mr E. Chauvet, directeur du

Nouvelliste, Mr Paul Roussier, archiviste du Ministèredes Colonies, écrit: «Il existe aux Archives du Ministèredes Colonies, rue Oudinot, un fonds ancien, celui du

dépôt des Fortifications des Colonies, dans lequel neufcents documents concernant l'ancienne colonie françai-se de Saint-Domingue.

Sur ces 900 documents cent dix sont des plans : plansd'ouvrages de fortifications, projets de forts et de bat-

teries, projets de parapets, plans de ville; plans coupeset élévations de monuments publics, plans de travaux

d'irrigation dans la plaine de l'Artibonite ou d'adduc-tion d'eaux dans les villes. Les autres documents sontdes mémoires sur ces travaux.

— Quant au cadastre d'Haïti... les archives colonialesne possèdent pas plus, les plans cadastraux de Saint-

Domingue que ceux des autres colonies françaises an-

ciennes ou récentes.— Quand, après la reconnaissancede l'indépendance d'Haïti, les anciens colons dépossé-dés ont fait valoir leurs droits, ils ont déposé des copiesde leurs titres de propriété, actes d'achat, partages, in-ventaires de meubles, mais ils n'ont pas pu fournir des

plans de leurs propriétés, puisqu'il n'en existait pas. Il

n'y a donc pas de plans cadastraux.»

On voit par cette lettre que les levés de plans de lacolonie n'ont pas d'intérêt géographique.

GÉOLOGIE DE L'ÎLE D'HAÏTI.— Lorsque les Français

quittèrent l'île la science géologique était encore dans

l'enfance. Les indications géologiques qu'on peut trou-

ver dans Moreau de St-Méry ou des auteurs de l'époquen'ont pas beaucoup d'intérêt.

C'est le gouvernement dominicain qui fit faire la pre-mière carte géologique de la République Dominicaine.

Il appela une' commission de géologues américains

présidée par le géologue Gabb qui fit une reconnais-

sance géologique et publia en 1873 une esquisse géolo-

gique. La commission ne traversa pas en Haïti.

L'ingénieur Gentil Tippenhauer fit entre 1890 et 1910

de nombreux relevés géologiques et topographiques,

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- 25 —

particulièrement dans la région minière de Terre Neuveet dans la plaine du Cul-de-Sac.

En 1917, les forces Américaines occupaient le terri-toire dominicain et l'amiral Knapp était gouverneurmilitaire. Par lettre du 1er avril 1917 il demanda au di-

recteur du U.S. Geological Survey le prix d'une recon-naissance générale de la République Dominicaine.

« Il n'y a aucune carte de la République Dominicaineà base adéquate, écrit Vaughan, le chef de la mission

géologique qui fut envoyée des Etats-Unis et comme il

importe qu'une mesure géologique soit basée sur des

cartes topographiques exactes et détaillées pour effec-tuer les études géologiques précises, il faut espérer quesoient terminées les cartes topographiques et vu que ilexiste très peu d'informations exactes relatives à la

géologie qui pourraient être utilisées, il a été jugé né-cessaire d'effectuer des examens géologiques prélimi-naires, avant de commencer des travaux plus minu-tieux. »

La commission géologique arriva à Saint-Dominguele 5 avril 1919 et passa quelques mois dans la Répu-blique. En mars 1917 le Secrétaire d'Etat AméricainFranck L. Polk décidait qu'une mission géologique se-

rait envoyée aussi dans la République d'Haïti et elle ar-

rivait à Port-au-Prince le 1er octobre 1920 pour repar-tir en avril 1921.

« Avant la reconnaissance géologique de la Répu-

blique Dominicaine qui eut lieu en 1919 dit le Dr Vau-

ghan, les seules formations qui aient été anotées dansla République Dominicaine étaient des couches des

époques crétacée, miocène et postpliocène. La Docto-resse Carlotta J. Maury avait distingué comme résultatde ses investigations dans la vallée du Yaqui du norddeux formations miocènes, c'est-à-dire les formationsde Cercado et de Gurabo et elle suggérait pour ces for-

mations les deux seuls termes depuis qu'on ait appli-qués à des formations géologiques dominicaines. Il est

probable que les examens que nous avons effectuésdonnent des informations sur la plus grande partie aumoins des traits et des détails stratigraphiques, mais le

complexe basai doit être étudié d'une manière plusarrêtée et plus minutieuse afin qu'on puisse le com-

prendre avec la plus grande clarté. Parmi les additions

importantes qui ont été faites aux données antérieures,

grâce à cette reconnaissance, on peut citer la révéla-

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— 26 —

tion d'une grande épaisseur des gisements éocène su-

périeur qui se composent surtout de calcaire; la décou-verte de gisements tant de l'époque oligocène moyenneque de l'époque oligocène postérieure; et la découverted'une discordance certaine entre la formation miocènede Baitoa et la formation subjacente de Tabera d'âgeoligocène moyen. Dans la vallée du Cibao on a décou-vert quatre formations miocène additionnelles et uneformation miocène postérieure c'est-à-dire la forma-tion Cerros de Sal qui fut reconnue du côté nord de laSierra du Bahoruco ; d'autres additions encore ont étéfaites quant à la connaissance de la stratigraphie. Lacorrélation géologique des formations d'une partie dela République avec celles d'autres parties et avec cellesde régions étrangères dépend principalement de la con-naissance que l'on peut avoir des fossiles qu'elles con-tiennent. Les listes préliminaires de fossiles qui sont

données dans le chapitre 6 indiquent ce qui a été faitpour acquérir des informations sur ce sujet; lesquellessont nécessaires non seulement pour établir la corréla-tion géologique, mais aussi pour résoudre quelquesproblèmes de géologie économique.»

Quant à la reconnaissance géologique faite dans la

République d'Haïti, c'est le premier travail d'ensemblede ce genre qui ait eu lieu; avant lui il n'existait quedes monographies. Depuis on est en mesure d'écrire un

manuel de géologie de la République à l'usage des éco-

les et, en le rapprochant du travail de la commissionde la République Dominicaine, on peut donner scienti-

fiquement une esquisse de la Géologie de l'île touteentière. Les deux commissions ont publié le résultat deleurs travaux à Washington en 1922 et en 4924.

Voici une esquisse géologique de l'île entière, basée

sur les cartes des deux commissions.

Avec une bonne esquisse géologique et une carte des

fonds marins avoisinants on peut, pour la premièrefois, risquer une hypothèse plausible sur la formationde l'île d'Haïti.

On remarque d'abord des lambeaux de terrains pri-maires à l'île de la Tortue, dans la Plaine du Cap et dans

la plaine de Léogane.

Les terrains secondaires sont aussi représentés; mais

ce sont surtout les terrains tertiaires : éocène, oligocè-

ne, miocène, pliocène qui sont représentés. D'autre

part l'ensemble des roches sédimentaires occupent en-

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tre les 4/5 au moins de l'île : 1/5 étant occupé par lesterrains volcaniques.

Les patientes recherches du P. Schérer, de l'Observa-toire du Petit Séminaire, ont montré d'autre part que l'îled'Haïti appartient à une zone de haute sismicité. Touteles conditions observées dans notre île se prêtent doncà l'application de la théorie moderne sur la formationsous marine des chaînes de montagnes : arcs monta-

gneux parallèles longuement étirés dans une direction

généralement est-ouest se continuant dans les fondsmarins avoisinants et composés de terrain calcaire oùabondent les fossiles marins; grands abîmes avoisi-

nants, de même direction, l'un vers le centre de la merdes Antilles, l'autre dans l'Atlantique où certains fonds

atteignent 13.000 mètres de profondeur comme celuidécouvert cette année-ci au nord de Porto-Rico, tousfaits qui indiquent, selon la théorie du synclinal imagi-née par le géologue Hall vers 1860, que l'île d'Haïti a

été à différentes époques sous la mer, qu'elle n'a paseu toujours la configuration actuelle et que son émer-sion est la conséquence d'un plissement d'une zone

flexible de l'écorce terrestre comprimée entre un môle

situé dans l'Atlantique et le môle de la mer des An-

tilles qui se continue au Brésil.

Deux importantes contributions à la paléogéographiedu bassin des Antilles, dont nous aurons à parler tout

à l'heure, l'une du botaniste allemand Ignace Urban,sous directeur du Musée de Berlin, et l'autre du profes-seur allemand le Dr Théodore Arldt, ont permis de re-

lier entre elles et de compléter les données géologiquessur cette région.

Dans son « Esquisse de Géographie zoologique des

Antilles», dans le grand manuel de Paléogéographie

paru à Leipzig en 1919, le Dr Arldt a fait une étude cri-

tique de toutes les données qu'il a pu avoir sur la faune

des Antilles, et en s'appuyant sur l'ordre chronologique

d'apparition des espèces aussi bien que sur la réparti-tion géographique des espèces propres à chaque île ou

à plusieurs îles, il a donné un Essai de Paléogéographie

que nous n'avons pas le temps d'exposer ici.

Urban à sou tour, étudiant la répartition des espèces

végétales, en Haïti et dans les Antilles, a fait un Essai

de reconstitution paléogéographique qui confirme les

grandes lignes tracées par Arldt, tout en les modifiant

sur certains points. J'ai fait traduire et publier le mé-

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moire d'Urban dans la Revue de la Société d'Histoire.J'ai fait traduire et je publierai celui de Arldt.

En réunissant ces données zoologiques et botaniquesaux données géologiques, on peut se former une idéede la géographie ancienne d'Haïti et du bassin de lamer des Antilles.

Il y a eu dans les différents âges géologiques des phé-nomènes d'émersion et de submersion partielle ou to-tale de la région. De sorte que, à de certains moments,le bassin des Antilles n'était que le prolongement de laMéditerranée allant jusqu'aux îles Galapagos dans le

Pacifique; et à d'autres moments il formait une Amé-rique Centrale reportée plus à l'est, tandis que l'actuelleétait en partie sous les eaux. Certains problèmes po-sés par la géologie locale de l'île, telle que l'émersionet la submersion du calcaire côtier n'ont pû être expli-qués qu'en tenant compte de phénomènes géologiquess'accomplissant à une grande distance, l'existenced'une calotte' de glace couvrant presque la totalité duterritoire actuel des Etats-Unis et causant un enfonce-ment de l'écorce terrestre par son poids immense, tan-dis que sa fonte a amené un soulagement de charge et.

permis le relèvement de la croûte. Si nous quittons ceshautes spéculations pour passer aux points de vue pra-tiques, nous voyons que les récentes recherches de géo-logie ont attiré l'attention sur le jalonnement des gîtesminéraux le long des grandes failles qui s'étendent dansla direction des arcs montagneux. Ces gites sont nom-

breux, mais on n'a pas encore pu démontrer leur va-leur industrielle, c'est-à-dire qu'il n'est pas encore dé-montré qu'ils soient assez riches pour faire les fraisd'une exploitation rénumératrice.

TEMPSPRIMAIRES: Lambeaux de terrains à la Tortue—Plaine du

Cap—plaine de Léogane.à la fin des temps primaires les principauxtraits tectoriques des Antilles sont fixés.

TEMPSSECONDAIRES:

Infra-jurassique : Volcanisme prolongé dans la partie nord de la

République d'Haïti.

Eau peu profonde sur la partie sud-ouest dela République d'Haïti.

Submersioncomplète des îlesd'après Arldt (pen-dant le crétacé) apparition des angiospermes.

Infra crétacé : Activité volcanique le long de la Cordillère

centrale. Eau peu profonde sur la plus grande

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partie de la République Dominicaine — pre-miers serpents.

Supra crétacé— Eau peu profonde sur une partie du nord deH. Eruption de basalte dans la Selle et l'extré-mité de la partie du Sud-Ouest. A la fin du

supra crétacé plissement avec intrusion debatholites et de masses de diorite quarzifère enH. en D. développement des angiosp-dicotyl.

TEMPSTERTIAIRES:

Eocène— Erosion— La mer couvre une partie du nordet nord-ouest de H. La plus grande partie deD. émergée. Vers la fin: Trangression marine.Deseaux peu profondes couvrent presque touteH. sauf à l'est et ouest du massifdu nord—Puisla mer se retire — plissement.

Oligocène — Eruvsion en H. Partie de H. submergée, partieémergée. Grande activité volcanique le long del'axe central. A l'Oligocène moyen la plainecentrale couverte d'eau peu profonde. Couléede basalte néphélinique dans les monts du Troud'Eau.

à la fin de l'Oligocène en H: vaste soulève-ments : les monts du nord et du nord-ouestsurélevés— Vaste soulèvement en D. ( mouve-ments diastrophiques ).

Miocène—I La grande majorité du bassin des Antilles estau dessus des eaux— transgression marine peuétendue en H. La P. C. S. couverte d'eau.L'axe central de l'île est une chaîne monta-

gneuse bordée au nord et sud par mer peuprofonde sur la vallée du Cibao et la provinced'Azua.

II Intense plissement en H déterminant les carac-

tères tectoripes actuels en grande partie— In-trusion de diorite quarzifère à Terre-Neuve-Formation des Cahos, Matheux. Elévation de la

Cordillère centrale bien plus haut qu'aujour-d'hui.

Formation de la Cordillère septentrionale l'îled'Haïti reliée à l'Amérique du Sud et arrivée des

premiers mammifères sud américains. Unionde Floride—Bahamas—Cuba est et Haïti.

Union de Yucatan—Honduras—Cuba-Ouest—

Jamaïque—Haïi—Porto-Rico—IlesVierges—Peti-tes Antilles—Venezuela, Puis Cuba Ouest cassé

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du Yucutan et de la Jamaïque.

(Apparitiondes Eléphants-Hippopotames-BoeufsEffondrement de l'Adriatique et de la mer Tyr-rhérienne ).

Pliocène : I Le plissement continue. La mer couvre de pe-tites surfaces près de Jacmel et Petit-Goave.Formation des vallées de San Juan, du Cibao,du bassin Enriquillo. Dans le sud de D. plisse-ment, failles, renversements. Cuba est cassé deCuba ouest. Haïti cassé des Bahamas et desîles Vierges reste soudée à Porto-Rico. Les pe-tites Antilles forment une seule île. Sept îles

principales: Petite Antillis (1) Grande Antillis.formée de Cuba est—Haïti—Porto-Rico (2) La

Jamaïque (3) Bahamas-Floride-Cuba ouest (4).

Pleistocène : I La mer recouvre l'extrémité de la péninsuledu nord-ouest et le bassin Enriquillo ; l'îled'Haïti forme deux îles, car la P. C. S. est

couverte par la mer ainsi que d'autres petitesrégions le long de la côte actuelle. En D. le

plissement continue. Submersion de la côtesud. Dépôt de calcaire côtier. Les dépôts du

Yaqui séparent le bassin Enriquillo de la baiede Neiba. Volcanisme dans D.

II Emersion partout. Elévation de la P. C. S. du

bassin Enriquillo, des cotes sud de D.

Bahamas cassés de la Floride, Haïti cassé deCuba est, Haïti cassé de Porto-Rico. Les petitesAntilles cassées les unes des autres— Trinidadcassé du Venezuela, Soudure de Cuba est etouest. (1)

Effondrement de la mer Egée— Apparition del'homme.

3o CONFIGURATION.— Les travaux de géodésie et de

cartographie ainsi que de géologie rendent plus facilela description géographique proprement dite. Une dé-finition descriptive est d'autant meilleure et intelligiblequ'elle présente des traits saillants et qu'elle répond àdes relations naturelles, non artificielles.

« Le trait caractéristique le plus frappant de la mor-

phologie actuelle des Antilles, écrivent les auteurs de

(1) D.et H signifient : République Dominicaine et Haïti.

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la géologie d'Haïti, est l'arrangement des figures géo-graphiques en arcs. La plupart des arcs sont convexesvers le nord, mais dans l'île d'Haïti et vers l'est, quel-ques uns sont convexes vers le sud.» Ils disent encore:

«Un caractère frappant des lignes tectoniques... estleur disposition en arcs ressemblant aux arcs des con-

figurations géographiques qu'elles déterminent en

grande partie. Aucun effort ne fut fait pour découvrirla signification de la disposition de ces arcs, mais ilssont semblables aux arcs des montagnes plissées dansd'autres régions.»

En admettant l'hypothèse de la formation de l'île pardes plissements d'une zone flexible de l'écorce terrestreentre deux môles subissant des poussées tangentiellesdues à la contraction de l'écorce terrestre, on projetteune vive clarté sur la description du système monta-

gneux si compliqué dans les anciens manuels de géo-

graphie. Ce fait des grands plissements parallèles a

échappé à leurs auteurs. Ils n'ont pas pu y trouver le

principe d'unité et de simplicité qui nous permet de

mettre de l'ordre dans nos descriptions et de détermi-ner des provinces géographiques naturelles.

Comparez la description géographique que j'ai pu-bliée dans la « Presse » avec le système orographiquetel que le décrit la géographie Chauvet et vous sentirez

toute la différence.

L'application de l'hypothèse du synclinal me sembletrouver dans la description géographique d'Haïti un

exemple qui mérite de devenir classique.

4o HYDROGRAPHIE.— Les anciens travaux des Espa-gnols et des Français ont permis de savoir à peu prèsl'origine et la direction des grands cours d'eau; maisdans l'ensemble l'étude de l'hydrographie a fait fort peude progrès. La situation ne changera que lorsqu'on au-

ra une bonne carte topohraphique à une échelle suf-

fisante ; quand la position des lieux aura été fixé avec

précision-, ou pourra facilement tracer la carte des

cours d'eau.

Sous la direction des Américains, le Département des

Travaux Publics entreprit en novembre 1921 une re-

connaissance hydrographique' des eaux de surface de

la République sous la direction de N. G. Graver, ingé-nieur hydraulicien du U. S. Géological Survey. En août

1922 une division hydrographique du Service d'Irriga-tion fut organisée et se proposa le jaugeage systéma-

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- 32 —

tique de nos cours d'eau. Un. bulletin hydrographiquea été publié chaque année depuis 1923. En 1930, 79 sta-tions de jaugeage, temporaires ou définitives, avaientété établies et le régime des cours d'eau les plus consi-dérables comme l'Artibonite, les Trois Rivières, le Gua-

yamouc, la Grand'Anse avait été déterminé. Ce travailn'a pas encore été fait dans la République Dominicaine.

Récemment j'ai voulu comparer le débit de l'Artibonite

à celui des grands cours d'eau dominicains, mais je n'ai

pu obtenir aucun renseignement à ce sujet. Disons en

passant qu'un géographe dominicain m'a fait savoir

qu'à son avis l'Artibonite était le plus grand cours d'eau

de l'île.

Il n'y a pas eu d'étude récente des marées et descourants. La dernière en date est celle du P. Bal-

tenweck, de l'Observatoire du Petit Séminaire CollègeSt-Martial, sur la marée dans la rade de Port-au-Prince;

elle a été publiée dans le Bulletin Météorologique de

juin 1911; mais les observations ont eu lieu en 1905-

1906. Elles montrent que les marées sont faibles dansle golte de la Gonâve, leur amplitude moyenne ne dé-

passant pas 55 cm. alors qu'elles peuvent atteindre 21mètres sur les côtes du Canada.

L'amplitude maximum ne dépasse pas un mètre.L'établissement de port, c'est-à-dire le retard de la

marée sur le passage de la lune au méridien est de 8h23'.L'influence des vents est assez sensible sur elle; ellesviennent de l'Atlantique par le Canal du Vent, entrent

par le Canal de St-Marc et sortent par celui de Léogâne.

En comparant les chiffres obtenus par le P. Bal-tenweck avec les chiffres puisés dans le Jamaïca Hand

Book. et le West Indies Pilot, ces derniers fournis sans

doute par des capitaines de lu Marine marchande, on

voit que l'amplitude de la marée est généralement plusforte sur la côte atlantique que sur la côte de la mer des

Antilles.

Des cartes hydrographiques récentes du Départementde la Marine des Etats-Unis dont voici une que je vous

présente, ont fixé la direction générale et la positiondes grands courants marins qui avoisinent l'île. D'une

manière générale, ils sont fortement influencés par lesvents alizés.

à suivre.

Dr C. PRESSOIR

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SUR LA GÉOGRAPHIE BOTANIQUE

D'HISPANIOLA

PAR LE PROFESSEUR IGNACE URBAN

Tiré du IXe Vol. des Symboles Antillanae Tome I

( 1923—1925 )

Traduction de M. Emil Zimmerman

revue par le Dr C. Pressoir

Septième partie (suite )

Les espèces suivantes habitent les montagnes plushautes ( plus de 600 m. ) bornées à la province de Ba-

rahona: Cyathea insignis, Dryopteris pteroidea, Aspi-dium villosum, Polystichum melanochlamys, Saccolo-ma Eggersii, Dennstaedtia rubiginosa, Stenochlaena

Kunzeana, Hypolepis nigrescens, Eschatogramme fur-

cota, Elaphoglossum decoratum, Scutachne dura.Panicum distantiflorum, Chloris leptantha, Uncinia

hameta, Guzmania Berteroniana, Habenaria eustachya,Spiranthes Stahlii, Pleurothallis testifolia, P. lanceola-

ta, Epidendrum globosum E. strobiliferum, var. Swart-zii, Elleanthus linifolius, Ornithidium vestitum, On-cidium alatum, Dichaca. muricata, Piper tuberculatum,

Peperomia portoricensis, P. Cogniansii, Cassia mexica-na. Ditta myricoides, Huertea cubensis, Meliosma Her-

bertii, Cleyera albopuncta, Xylosma schaefferioides,

Conostegia clidemioides, Metastelma ephedroides, Poi-

cillopsis ovatifolia, Hillia tetrandra, Gonzalagunia bra-

chyanthii, Guettarda Lindeniana,— Espèces nouvelles:

Dryopteris Fuertesii, Autrophyum Urbani, Elaphoglos-sum Fuertesii, Philodendron Fuertesii, SelagiuellaFuertesii, Rhynchospora Fuertesii, Tillandsia bro-

moides ( Hohenlage uubekamt) Stelis Tippenhaueri,Pleurothallis erosa, P. barahonensib, P. Fuertesii, Le-

panthes tenius, Octadesmia scirpoidea, Domingoa

podosa, Neocogniauxia hexaptera, Piper pseudocon-fusum, P. Fuertesii, P. Oviedoi, Peperomia Fuertesii,P. barahonana, P. cupularis, Hedyosmum domin-

gense, Pilea microrhombea, P. barahonensis, P. bra-

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— 34 —

chyclada, P. bicolor, P. Tippenhaueri, Dendrophtho-ra biseriata, Clematis bidens, C. Fuertesii, Forchkam-meria brevipes, Guarea sphenophylla, Trichilia dictyo-neura, Polygala Fuertesii, Croton microdon, Pera do-

mingensis, Bernardia tenuifolia, Ilex caroliniana var

Fuertesiana, Marcgravia domingensis, Clusia domin-

gensis, Lunania dentata, Samyda, tenuifolia, Graffen-vieda barahonensis, Conostegia lomensis, Miconia Des-

portesii, Mecranium ovatum, Clidemia tetraptera, C.

tetragonoloba, Ossaea lomensis, Ardisia Fuertesii, A.

angustata, Dipholis anomala, Chrysophyllum monta-

num, C. brachystylum, Symplocos domingensis, Cordia

olygodonta, Solanum hoplophorum, S. testaceum, Ces-trum Fuertesii, Tabebuia domingensis; Gesneria bara-

honensis, Guettarda rontundifolia, Antirrhoea oligantha,Psychotria Surianii, P. Fuertesii, Uragoga domingensisvar, Eupatorium barahonense, Verbesina domingensis,Bidens domingensis.

La liste démontre que Barahona possède jusqu'ici209 espèces propres, dont 85 connues dans d'autresAntilles. 124 endémiques et trouvées seulement danscette province.

3ème District Le troisième district comprend le Dé-

partement du Sud, à l'Ouest de Léogane et Jacmel.

Les explorateurs de ce district sont Bertero, (AuxCayes, Jacmel), Jaeger (entre Léogane et l'Anse-à-Veau)Weinland ( n'a récolté que des ptéridophytes près de

Jérémie) Picarda (Miragoane; Anse-à-Veau, Corail, Jé-

rémie), Eggers (Jérémie), F. Xavier ( Jacmel ), Christ

(Aux Cayes, Camp-Perrin. Morne-Vandeveld, Morne

Corneille. Acul du Sud (environ 1000m) (1908), Corail.Petit-Trou des Roseaux. Les Irois, Tiburon (1910),Buch (Jérémie, Turgeau, Jacmel) et surtout Ekman

(1917 ).

Du rapport détaillé que j'ai publié sur le voyage d'Ek-man et sur sa collection ( Arkiv for Botanik, vol. 17. No7 Stockholm 1921, 72.5) j'extrais les notes suivantes :sa région d'exploration tut d'abord la côte Sud, de Ti-buron à St-Louis et les hauteurs voisines. Le mornela Hotte, jusqu'alors tout à fait inconnu quant à la bo-

tanique, et très inaccessible, livrait des données extra-

ordinairement nombreuses.

Malheureusement il ne réussit pas à gravir le sommet

le plus élevé, la Ma Blanche et n'arriva qu'à une hau-

teur de 1600 m.

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— 35 —

Il faut noter que la région des pins commence à laMa Blanche à 1500m et que la végétation ne diffère pasbeaucoup de celle des régions plus basses.

Voici les espèces propres à ce district, mais connuesd'autres îles: Hymenophyllum undulatum, CyatheaSchanschin, Dryopteris crystallina, D. decussata, Den-

nstaedtia incisa, Blechum L'Herminieri, Pteris cortiacea,Dansera Fendleri, Potamogeton pectinatus, Paspalumepile, P. secans, P. millegrana, P. vaginatum, Panicum

boliviense, P. trichanthum, Sporobolus littoralis, Spar-tina patens var. juncea, Chloris barbata, Leptochloascabra, Scleria mitis, Thecophyllum Sintenisii, Rojaniaminutiflora, Alpinia speciosa, Canna glauca, Brassia

caudata, Xylobium palmifolium, Piper hispidum, Pepe-ronia basellifolia, Pseudolmedia spuria, Portulaca pi-losa, Cassia bicapsularis, Iudigofera mucronata, Dal-

bergia monetaria, Ravenia spectabilis, Amyris balsami-

fera, Phyllanthus micranthus, Reynosia uncinata, Car-

podiptera cubensis, Passiflora pedata, P. pallens, Daph-nopsis americana, Graffenrieda chrysandra, Conostegiasubhirsuta, Miconia chrysophylla, Jacquinia Berteriivar. acutifolia, Ipomoea purpurea, Beureria velutina,

Capsicum frutescens, Iusticia carthagenensis, Spilan-thes uliginosa. Chaptalia leiocarpa, Lactuca intybacea,—Espèces nouvelles endémiques : Dryopteris Ekmanii,D. subincisa var. haitiensis. Oleandra Urbani, Blech-

num Ekmani, Notochlaena trichamanoides var. sulfu-

rea, Potamogeton pulchelliformis, Rhynchospora Ek-

manii, Tillandsia hotteana, Rajania pilifera, Renealmiadansiflora, Stelis Jenssenii, Epidendrum Blancheanum,

Piper camptostochyus, P. sulcinerve, P. Picardae, Pepe-

romia brachypoda, Pibea stenophylla, P. Baltenweckii.P. chleroclada, P. leptocardia, P undulata, P. caules-cens, P. distantifolia, P. Norlindii, P. radiculosa, P. gy-

rophylla, P. Ekmanii, Phthirusa rostrata, Dendroph-

thora brachylepis. Aristolochia stenophylla, Neca de-

missa. Hyperbaena Lindmauii, Forchhammeria sphae-

rocarpa, Pithecolobium nervosum, Cassia strigillosa,

Oxalis scoparia, Fagara haitiensis, Bunchosa haitien-sis, Phyllanthus myriophyllus, Drypetes Picardae, D.piriformis, Croton Lindmanii. Acalypha platyodonta,Jatropha hermandifolia var. D.epelta, Sapium haitiense,Meliosma recurvata, M. abbierrata, Carpodiptera Simo-

nis, Duratea Jaegeriana, Lunania Mauritii, L. Ekmanii,

Samyda oligostemon, Haïtia Buchii. Psidium crispulum,

Eugenia Christii, E. heteroclita, Miconia subcompressa,

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- 36 -

Mecranium haitiense, M. plicatum, Ekmaniocharis

crassinervis, Ossaca cinerea, O. setulosa, Hoenianthus

oblongatus, Plumeria stenopelata var. angustissima,Urechites dolichantha. Cordia ensifolia, Beureria albo-

punctata, Tounefortia conocarpa, T. scabra var. ova-

lifolia, T. Picardae, Heliotropium uninerve. Salvia Ca-

bonii, Cestrum bicolor, C. angulosum, Brunfelsia Picar-

dae, Tabebuia densifolia, T. Ekmanii, T. conferta,Besleria lutea var. leucantha, Gesneria fructicosa, G.

Ekmanii, Rhytidophyllum bicolor. Stenandrium acu-

minatum, Isidorea brachyantha, Exostema angustifolia,Hamelia cuprea var. haitiensis, Guettarda multinervis,G. Baltenweckii, Psychotria haitiensis, P. coelocalyx,Palicourea brachystigma, Margaritopsis triflora, Pera-tanthe Ekmanii, Lobelia Christii, Vernonia Ekmanii,V. saepium, Eupatorium Jenssenii, E. reversum, PectisChristii. Senecio Stenodon.

Donc, on connaît jusqu'ici 152 espèces propres auseul Département du Sud dont 52 se trouvent aussidans les autres Antilles ; 100 sont des espèces nou-velles.

Nous avons terminé notre promenade botanique

(Rundgang) dans les parties les mieux explorées de

l'île, surtout les hautes montagnes.

Cela nous conduirait trop loin de dénommer pour cha-

que district les espèces qu'il a en commun avec les au-tres. Mais le nombre des espèces n'est pas grand, jele démontrerai pour le Département du Sud. Celui-cin'a jusqu'ici de commun avec le district au Sud de Port-

au-Prince, espèces (rares) et nouvelles, que: Zengiteshaitiensis, Phenax microcarpus, Stigmatophyllum hai-

tiense, Turpinia Picardae, Eugenia Picardae, Echites

Picardae, Cordia Picardae, Cestrum linearifolium ; il n'ade commun avec la province de Barahona que : Celtis

Berteroana, Pilea bicolor, Ottoschulzia domingensis,Hypelate tritoliata, Hibiscus horridus, Gonzalazunea

brachyantha, Schradera capitata, Guettarda Lindenia-na ; il n'a de commun avec Haïti septentrionale que:Coccothrinax scoparia, Phoradendron haitiense; il n'ade commun avec la partie centrale et septentrionale de

Saint-Dominque que : Didymonpranax tremulum, As-

pidosperma domingense.

à suivre.

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NECROLOGIE

Madame ALEXANDRE VILLEJOINT

Le mois dernier, M. Alexandre Villejoint a eu la dou-

leur de perdre sa femme.

C'est une perte qui nous touche de près. Dans les

moments difficiles que la Société eut à traverser pour

l'impression de sa Revue, M. et Mme Villejoint lui ont

prêté un concours généreux que nous ne saurions ou-

blier.

A ce titre, nous devons à la disparue l'hommage denotre plus profonde gratitude et à son époux, notre

grand'ami, M. Alexandre Villejoint que ce deuil frappecruellement, nos condoléances les plus vives.

LE FRÈRE ERNEST-LOUIS

Le 11 octobre dernier, est décédé en France le Frère

Ernest-Louis, Professeur de mathématiques, de Scien-

ces physiques et Naturelles, d'Histoire d'Haïti, Direc-

teur de l'Observatoire, Directeur de la Bibliothèquehaïtienne ; ancien Préfet de discipline et Membre de

notre Société.C'est une perte considérable pour la Congrégation,

l'Institution Saint-Louis de Gonzague et notre Société

qui comptait particulièrement sur lui pour l'exécutionde deux points difficiles et délicats de nos statuts :1o Dresser, avec le concours des propriétaires, la listeet la composition des archives particulières existantdans le pays, relatives à l'histoire et à la géographied'Haïti; 2o dresser un index complet et précis des ou-

vrages consacrés au pays par des auteurs haïtiens et

étrangers.Par sa constance, sa patience, ses connaissances de

l'histoire d'Haïti et ses relations, le travail progressait

chaque jour et c'est avec un réel plaisir qu'il apprenaitaux habitués de la Bibliothèque les nouvelles acquisi-tions d'ouvrages, brochures, journaux et documents.Le moment arrivera bientôt, ajoutait-il, joyeux où le

catalogue général en sera dressé pour faciliter les re-cherches.

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— 38 —

Aidé du Supérieur, le T. Cher Frère Hyppolite, il a

puissamment contribué à doter le pays de la plus belle,de la plus riche Bibliothèque haïtienne où l'on est sûr

de trouver tout ce qu'il y a de plus rare. Très versé

dans les différentes branches de connaissances, il était

un guide averti, aimable et consciencieux qui simpli-fiait la tâche de tous ceux qui, voulant travailler sé-

rieusement, consacraient quelques heures par semaine

à la Bibliothèque.

Une telle perte n'est pas facile à réparer. Un long

séjour de vingt neuf ans en Haïti où par sa position le

Frère Ernest-Louis était en contact quotidien avec les

élèves, leurs parents et les amis de l'Institution, le

rendait presqu'indispensable à la Congrégation. Con-

seiller avisé du Supérieur Général, il remplissait sa

tâche avec une délicatesse qui mettait de plus en plusen lumière ses belles qualités de coeur et d'esprit quetous ceux qui l'ont connu ont sû apprécier. Aussi à la

séance du dimanche 15 Octobre, notre Président, aprèsavoir rappelé nos chers disparus, a demandé à l'audi-

toire de se recueillir en signe de deuil pendant quel-

ques secondes avant d'accorder la parole au Conféren-

cier du jour, Me Timothée Paret.

La Société d'Histoire et de Géographie, profondémenttouchée de cette perte prématurée, prie ses parents en

Bretagne, les Supérieurs des Frères de l'Instruction.

Chrétienne et de l'Institution Saint-Louis de Gonzaguede trouver dans ces notes brèves, l'expression très sin-

cère de ses sympathies et d'agréer ses plus vives con-

doléances.

NOTES ET NOUVELLES

Conférences prononcées à la Société d'Histoire et de

Géographie, (suite) année 1933.— Voir notre No. de

Janvier 1933.

32o Me Henri Terlonge.— Le Général Boisrond-Ca-

nal et le libéralisme haïtien, 29 janvier 1933.

33o Madame Théodora Holly.— Le Drapeau Natio-

nal. Ses aspects documentaire et prophétique 12

janvier 1933.

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— 39 —

34o M. C. Rigaud.- Histoire d'Haïti et l'histoire de

Port-au-Prince, concentrés dans la vieille Cathé-drale et le carré qui entoure cette Eglise, 26 fé-vrier 1933.

35o Me Michel Fièvre.—Nissage Saget 1810 à 1880.De la Rue des Quatre Escalins à Port-au-Princeà la Grand'Rue de Saint-Marc, 12 Mars 1933.

36o Mme Théodora Holly a repété le 26 mars sa Con-férence sur le Drapeau National qui a été enten-due à nouveau deux autres fois à Port-au-Prince,deux fois au Cap-Haïtien et une fois à l'Arcahaie.

37o Dr Catts Pressoir.— Historique de l'Enseigne-ment Haïtien, 9 avril 1933.

38o Me Juvigny Vaugues.— Le Rôle historique deshommes du Nord d'Haïti; 23 avril 1933.

39o Me H. P. Sannon.—La prise de possession dela partie Espagnole de Saint-Domingue parToussaint-Louverture; 7 mai 1933.

40o Me Timothée Paret.—Toussaint-Louverture.Le Guerrier. Le Politique. L'organisateur, 21mai 1933.

41o Dr. C. Pressoir.—La Géographie physique d'Haï-

ti, 18 juin 1933.

42o Me Etienne D. Charlier.— Le problème écono-

mique haïtien : pour une politique d'organisa-tion rationnelle de l'économie nationale, 9 juil-let 1933.

43o M. Joseph Eveillard.— Claire Heureuse, l'épousedu fondateur de l'Indépendance Nationale :

Jean-Jacques Dessalines, 23 juillet 1933.

44o Me Timothée Paret a repris les Conférences,

après les grandes vacances et a parlé de Santo-

Domingo. La Vega. Santiago de Los Caballeros,trois principales villes de la République Domi-

nicaine, 15 octobre 1933.

Me HENRI TERLONGE

Notre Collègue Henri Terlonge, avocat, professeur à

l'école Nationale de Droit, nous a fait le plaisir de nous

adresser deux brochures : Essai sur les Constitutionsd'Haïti. (Pouvoirs Législatif et Exécutif), et une Etude

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— 40 —

Juridique et Critique sur les Constitutions de 1918—

1932.

C'est une partie des Cours du distingué professeur deDroit Constitutionnel réuni en volumes pour faciliterla tâche des étudiants à la veille de la session ordi-naire d'examens de juillet. Il y a mis tout son coeur.Aussi mérite-t-il nos sincères félicitations, et en même

temps, nos vifs remerciements pour sa délicate atten-tion.

»• *

NOTRE DIXIÈME ANNIVERSAIRE

Le 10 décembre prochain, la Société d'Histoire et de

Géographie d'Haïti comptera dix années d'existence.

Une séance solennelle marquera cette date où l'on au-

ra le plaisir d'entendre le Président de la Société, le

Dr Price Mars, en une savoureuse Conférence.

Un banquet est en projet, à l'issue de la fête. Lesmembres et les amis de la Société qui voudraient yprendre part sont priés de se faire inscrire dès mainte-nant au cabinet de notre trésorier, Me Henri AdamMichel.

BIOGRAPHIE DE MIRANDA

Le Dr Vicente Davila, Directeur de la BibliothèqueNationale de Caracas, nous a fait le plaisir de nousadresser un coquet volume qu'il a publié sur la bio-

graphie du général Miranda.

L'auteur sait que Miranda passa à Saint-Domingueavant la révolution. Mais il ne s'est pas rappelé qu'ilvint une deuxième fois en Haïti, sous le gouvernementde Dessalines.

L'ouvrage est intéressant et utile pour les historiens.Nous remercions l'auteur de son gracieux envoi.

ABONNEMENT

Nous prions nos amis qui reçoivent la Revue de ne

pas oublier que l'abonnement annuel est de :

Port-au-Prince 1 an G. 3.50

Province 1 an 4.00

Etranger 1 an 5. 00

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REVUE

DE LA

Société d'Histoireet de

Géographied'Haïti

PARAISSANT TOUS LES TROIS MOIS

Vol. 4 No 10 Port-au-Prince (Haïti) Avril 1933

SOMMAIRE :

Me JUSTIN KÉNOL — Mathurin Lys

CANDELON RIGAUD— L'Economie politique

et les Taxes Internes

( suite et fin )

H, ADAM MICHEL —Dans la Mêlée

par Timothée Paret

NOTES

IGNACE URBAN — Sur la Géographie Bo-

tanique d'Hispaniola

(suite )

PRIX : UNE GOURDE

V. VALCIN,— IMPRIMEUR

1518, Rue du Docteur Aubry ou du Réservoir

PORT-AU-PRINCE ( HAÏTI ).

1933

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REVUE

DE LA

Société d'Histoire et deGéographie d'Haïti

PARAISSANT TOUS LES TROIS MOIS

Vol. 4. No 11 Port-au-Prince ( Haïti) Juillet 1933

SOMMAIRE:

Me MICHEL FIÈVRE

G. VIGOUREUX

LA RÉDACTION

NOTES

Nissage Saget

BOLIVAR

La XIVe Législa-

ture, Tome IV

PRIX : UNE GOURDE

V. VALCIN,— IMPRIMEUR

1518, Rue du Docteur Aubry ou du Réservoir

PORT-AU-PRINCE (HAÏTI).

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REVUE

DE LA

Société d'Histoireet de

Géographied'Haïti

PARAISSANT TOUS LES TROIS MOIS

Vol. 4 No 12 Port-au-Prince (Haïti) Octobre 1933

SOMMAIRE

Me Timothée Paret—Toussaint-Louverture

Dr C. PRESSOIR — La Géographie physi-

que d'Haïti

IGNACE- URBAN — Sur la Géographie bo-

tanique d'Hispaniola

NÉCROLOGIE — Mme A. Villejoint

Le Frère Ernest-Louis

NOTES et NOUVELLES

PRIX : UNE GOURDE

V. VALCIN,— IMPRIMEUR

1518, Rue du Docteur Aubry ou du Réservoir

PORT-AU-PRINCE ( HAÏTI ).

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