vivre le combat spirituel avecmacaire le grand qu’il a considéré « comme son maître spirituel...

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  • VivrelecombatspirituelavecÉvagrelePontique

  • EmmanuelFAURE

    VIVRELECOMBATSPIRITUELAVECÉVAGRELEPONTIQUE

    ARTÈGE

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  • qu’il n’y paraît. Il en va ainsi de la doctrine de l’amitiéspirituelle qu’il aborde uniquement dans les Scholies auxProverbes. Le thème de l’action de grâce est présent dansquelquesunsdestraités.Pourtant,ilnel’estpasautantquedansleTraitéàEuloge.21.Pensées 25 : «Ma preuve àmoi, dans la plupart des cas,c’est le cœur de mon lecteur, surtout s’il est intelligent et al’expériencedelaviemonastique».

  • PREMIÈREPARTIELECOMBATSPIRITUELDANSLAVIE

    D’ÉVAGRE

  • ChapitreIVieetcontexted’ÉvagrelePontique

    Vied’Évagre

    L’HistoireLausiaquedePallade.

    Si la correspondance1 d’Évagre est « une source précieusepour laconnaissancedesapersonnalité2»,ellenenousdonnepasunrécitdétaillédesavie.C’estdansl’HistoireLausiaque3

    de Pallade4 que nous trouvons les repères biographiquesconcernantnotreauteur.Palladearédigécetouvrage,vers420,àl’intentiondeLausus,chancelierdeThéodoseII,d’oùsontitre.Pallade est un témoin de premier plan. En effet, il se mit àl’écoled’Évagrependanthuitannées.

    Enparcourantlechapitre38,quiévoquelafigured’Évagre,trois étapes jalonnant son existence sont discernables. Lesannées 345 et 379 délimitent la première étape. La deuxièmecouvreunepérioderelativementbrève,maisdécisivepoursavie,comme nous le verrons, ce sont les années 379-383. Enfin, ladernièreétapevadel’année383àsamorten399.

    Considéronslesfaitsmajeursdecestroisétapes.

    Lestroisétapesdelavied’Évagre

    345-379:lesannéesobscuresPourceluiquidésiremieuxconnaîtreÉvagre,ces35années

    sont assez énigmatiques quant à leur contenu. Évagre naît en

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  • degrédemalicedesâmesdétermineleurexistencecommeanges,démonsouhommes(anathèmesII,IVetVI).Ilcondamneaussila théorie de l’apocatastase (réintégration finale de tous lesêtres, même les démons, dans l’unité divine. Anathèmes I etXII). Quant à la conception d’un Christ réduit à un intellect(noûs), démiurgecréateurdumonde (anathèmeVI), leConcilelareconnaîtincompatibleaveclafoidel’Église.

    MaisquelestdonclelienentreÉvagreetcesthéories?AntoineGuillaumontadémontréquelesanathématismes

    de 553 citaient des textes du Pontique. Hans Urs Balthasar aaffirmé qu’Évagre était « plus origéniste qu’Origène67 ». Lejugementd’Henri-IrénéeMarrou,éminenthistoriende l’Église,estencoreplussévère:«Pouvons-nouscompterparmilesPèresdel’Églisecetespritaventureux,hérétiqueavéré68?»Évagreest-ilréellementun«hérétiqueavéré»?Celui-cimeurten 399. Ces livres ont été appréciés dans les milieuxmonastiquesetn’ontpas suscitéde suspiciondansunpremiertemps. Plus de 150 ans plus tard, il est déclaré hérétique. En553, a-t-on condamné un développement hétérodoxe del’enseignementd’Évagreouunedoctrineconformeàsapensée?Cette condamnation d’un théologien, si longtemps après samort, cause une certaine gêne. A-t-il professé réellement lesopinions incriminées ? Quelle importance accordait-il à sesidées théologiques discutables ? Il n’était plus là pours’expliquer…

    Quoi qu’il en soit, cette condamnation eut un résultatdésastreux pour la production littéraire de nos deux maîtres.Nombres d’écrits d’Origène ont disparu. Pour Évagre, un trirelatif s’opéra dans la purge69. Fort heureusement, les Églisessyriennesn’ontpaseulemêmezèlepurificateur70.

  • Clément,Origène,lesPèresCappadociens:Évagren’estpaslefruitd’unegénérationspontanée.Ilesthéritierdeprécurseurs,dethéologiens,quelaProvidenceamissursonchemin.Devenumoine, ila reçu l’enseignementdesanachorètesd’Égyptequ’ilnousfautprésentermaintenant.

    Lespremiersanachorètes

    Avanttoutechose,ilestpeut-êtrebondepréciserlesensduterme « anachorèse ». Le monachisme n’est pas né au IVe

    siècle71,maisilprendalorssonessoretsestructure72.Unedesformesdeviemonastiqueestl’anachorétisme73oùlemoinevitdans la solitude de son ermitage au cœur du désert. Le verbegrec«anachoréo»signifie:«monterenretraite».Àl’origine,l’anachorèse, en Égypte, désignait une attitude tout à faitprofane. En effet, certains quittaient la vallée du Nil pour«monter»audésertafindesedéroberauxpoursuitesdufiscoudelapolice.Certainschrétiensfuirentdansledésertauplusfortdes persécutions. Les nombreuxmoines qui « montèrent » audésertence IVe siècleontainsi infléchice termedansunsenspurementreligieux74.

    Signalons à présent quelques uns de ces anachorètes.Amoun(mortavant356),Macairel’Alexandrin(v.296-v.393)etMacaire l’égyptien (v. 300 - v. 390) : telle est la chaîne demoines qui relie Évagre à Antoine (v. 251 - 356), celui qui«tient,parrapportaumouvementmonastiquetoutentier,lerôled’Abraham,premierpèredupeuplede l’ancienne alliance75 ».Évagrel’appellera:«prémicesdesanachorètes76.»

    Amoun, quant à lui, n’est pas très connu77. Il s’installa àNitrie en 325. Devant le grand nombre de moines78, sur lesconseilsd’Antoine, il fonda,en338, legroupementdesKellia

  • (ouCellules79).Le troisième groupement d’anachorètes, le plus mythique,

    fut Scété : « le grand désert ». « La fondation de Scété estinséparabledelaviedeMacairel’ÉgyptienouleGrand80.»LuiaussifutenlienavecAntoine.

    Évagre passa deux ans à Nitrie, temps comparable à celuid’unnoviciat,puisàpartirde385,ils’installaauxKellia.Ilsemitàl’écoleduprêtredulieu,Macairel’Alexandrin,maisilfitplusieursfoislevoyageàScétépourbénéficierdesconseilsdeMacairelegrandqu’ilaconsidéré«commesonmaîtrespirituelparexcellence,auquelildevaitbeaucoup81».

    Ainsi Évagre, le diacre de Grégoire, qui fut « connu dansConstantinople tout entière pour avoir combattu les hérétiquesavecforceetavecdesparolesbrillantes82»,s’estenfoncédansla solitude et la pauvreté de la vie anachorétique seize annéesdurant. Il est significatif que ses ouvrages furent composésdurantsaviemonastique83.Ces«œuvresdudésert»témoignentd’unematuritéspirituelleetthéologiqueàlaquellenouspuisonsencoreaujourd’hui.QuellessontdonclesspécificitésdumoineÉvagre,Pèredudésert84?

    ÉvagrelePontique,Pèredudésert

    ÉvagrearecueillilatraditiondesPèresdudésertetl’aconceptualisée

    RattacherÉvagreàAntoine,etàcesautresgrandes figuresérémitiques, comme nous l’avons fait, n’a pas pour objectif lasatisfactiondenotrecuriositéhistorique,maisdésire souligner«l’attitudedefiliation»constitutivedelaspiritualitédudésert.Cet état d’esprit filial est, en quelque sorte, la garantie del’obéissance à plus avancé que soi, le sceau d’authenticité de

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  • origines jusqu’au Concile d’Ephèse (SO 72), Bellefontaine,Bégrolles,1998,p.101-153.72.DESPREZVincent,op. cit., p. 156. Discerner les causes dudéveloppementdufaitmonastiqueserévèleassezcomplexe.EnEgypte, en Syrie, en Palestine, lemouvement a pris son essorsansaucuneconcertation.L’Egpytegardeuneplaceparticulière,carelleestlamatricedel’anachorètismeetducénobitismeenlafigured’AntoineetdePachôme.73.Pourêtreplusprécis,ondevraitparlerd’anachorétisme(ousemi-érémitisme) et d’érémitisme. L’anachorète a une certainevie communautaire du samedi soir au dimanche. Uneorganisation, quoique légère, encadre la vie des « colonies »d’anachorètes. Cf. GUILLAUMONT Antoine, Aux origines dumonachismechrétien (SO30),Bellefontaine,Bégrolles, 1979,p.151-167.L’autreformedeviemonastiqueest lecénobitisme(« vie commune » comme son nom l’indique), avec Pachômecommefigureemblématique.74.Silafuitedumondeestprimordialepourlemoine,ellen’estniunefinensoi,niuneformederejetdelacréationquiseraitmauvaiseoudelasociétéquiseraitfondamentalementdépravée.SelonÉvagre:«Lemoineestséparédetout,maisuniàtous»(Prière123).75.MATTA EL MASKINE, Saint Antoine ascète selon l’Évangilesuivi de Les vingt lettres de saint Antoine selon la traditionarabe(SO57),Bellefontaine,Bégrolles,2007,p.9.76.Pensées35.Letermegrec«aparchès»,queSC438traduitpar«premier»,seraitplusjustementrendupar«prémices».LedictionnaireBaillymentionne un des sens du terme : «Choixd’hommes offerts à un dieu ». Le mot vient du verbe«aparchô » : offrir un sacrifice, offrir des prémices. Le pèreMatta El-Maskîne, grande figure du monachisme égyptiencontemporain,pensequ’offrirtoutesavieàDieuétait«lesecret

  • du dynamisme ascétique chez saintAntoine » (op. cit., p. 36-38).Évagresembleavoirsaisicesecret(àrapprocherdeEp.fid.7,48où ilestquestionduChrist).Remarquonsaussi,que,parcette appellation, Évagre se montre proche de la réalitéhistorique. En effet, Antoine n’est pas le premier à vivrel’anachorétisme.77.PourAmoun,et,pluslargement, lescentresanachorétiquesd’Égypte:DESPREZVincent,Lemonachisme,p.273-321.78.DanssonHistoireLausiaque(HL7,1-2)Palladementionneavoir vu dans les années 390 : 2000moines dans les environsd’Alexandrie, 5000 à Nitrie, 600 aux Kellia. Hyperboleorientale ! Point du tout. D’après les fouilles des Kellia, onestime qu’au VIIe siècle, jusqu’à 1500 moines sur 100 km2habitaient les lieux (Cf. CANNUYER Christian, L’Egypte copte,les chrétiensduNil,Gallimard/Institut dumonde arabe, Paris,2000,p.34).79.Lesfouilles,entreprisessurlesitedesKellia,ontpermisdemieuxcomprendrel’habitatmonastique.Lescellulesétaientdepetits ermitages. Chaque ermitage avait, habituellement, unmuret d’enceinte, une vaste cour et au moins deux pièces(l’oratoireetunepièceàvivre).Cf.MIQUELPierre,GUILLAUMONTAntoine,Déserts chrétiens d’Egypte, Culture Sud, Nice, 193,287p.80.DESPREZVincent,op.cit.,p.383.81.BUNGEGabriel,«ÉvagrelePontiqueetlesdeuxMacaire»,Irénikon56(1983)p.224.82.Fragmentscoptesp.155.83. Sauf l’Epistula fidei, rédigée à Constantinople dans lespremiersmoisdesonarrivée.84.Palladeest lepremieraemployer l’expression:«Pèresdudésert»Cf.HL11,4;39,1.

  • Etremoine ne fait pas systématiquement d’Évagre un Père dudésert.«Sil’onveutreconnaîtreautitrede“Pèresdudésert”saplénitude de sens, il faut se garder de l’attribuer à tous lesanachorèteségyptiensdes IVeetVe siècles. […]Lenombredesannées d’âge ou d’ancienneté monastique n’entrait point enlignedecompte.Seulecomptaituneprésenceplusmanifestedel’EspritdeDieuenceluiquiapparaissaitainsiapteàparleraunom du Seigneur » (REGNAULT Lucien, « Des Pères toujoursvivant»,Laviespirituelle669(Mars-avril1986),p.191-192).Dans ce même article, Dom Regnault précise le sens del’appellation«Pèredudésert»enlafondantsurla«paternitéspéciale»decesmoines(p.191-197).85.VA, 16 : « Un jour, tous les moines vinrent le voir et leprièrentdeleuradresserlaparole.Illeurditenégyptien:“LessaintesÉcrituressuffisentànotreenseignement,maisilestbeaudenousexhortermutuellementdanslafoi,etdenousanimerpardesdiscours.Vous,mesfils,vousapportezàvotrepèrecequevous savez ;moi, votre aîné, je vous livre ce que l’expériencem’aappris”.»86.Cesparoles,certainementtransmisesdemaîtresàdisciples,sur plusieurs générations, avec parfois une attribution quelquepeufluctuante,ontétémisesparécritdanscequel’onappellelesapophtegmes.Cf.BUNGEGabriel,ÉvagrelePontique,TraitéPratiqueou lemoine (SO67),Bellefontaine,Bégrolles,1996,p.151-152.87.Sur lanotiondetraditiononpeut lire lespagesdeGabrielBUNGE, Vases d’argile. La pratique de la prière personnellesuivant la tradition des saints Pères (SO 73), Bellefontaine,Bégrolles, 1998, p. 25-33 et surtout VOGÜE Adalbert de,«MonachismeetÉglisedanslapenséedeCassien»,Théologiede la vie monastique, (Théologie 49), Aubier, Paris, 1961, p.

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  • fassepérirrapidementdemortviolente”.L’angeluidit:“Situm’écoutes,moiquisuistonami,ilnet’estpasbond’être dans cette ville”. Évagre lui dit : “Si Dieu medélivre de cette détresse et que tu me voies dans cetteville de Constantinople, dis : tu méritais bien cechâtiment”. L’ange qui avait pris la forme d’un de sesamisluidit:“Jevaist’apporterl’évangile.Jure-moi:jene resteraiplusdanscetteville,etque tuprendrassoindu salut de ton âme. Moi, je te sauverai de cettedétresse”.Etluijuraainsisurl’évangile:“Saufunseuljour que je passerai à embarquer mes vêtements sur lenavire, jem’en irai sans faute hors de cette ville”.Dèsqu’ileutjuré,ils’éveilladelavisionqu’ilavaiteuedanslanuitetildit:“Mêmesij’aijuréensonge,j’aitoutdemême juré (et prêté) serment”. Aussitôt il se leva,embarquasesaffairesetsesvêtementssurlenavireetfitvoileversJérusalem.

    Là, il fut reçu avec joie par la bienheureuseMélanie laromaine. De nouveau, le diable endurcit son cœur,commeensontempsPharaon.Soncœurdouta,etileutlecœurpartagé.Lajeunessebouillonnante,l’abondancede savoir verbal, le changement de beaux vêtementsmultiformes – il en changeait deux fois par jour – lefirent tomberdans l’orgueil et leplaisirducorps.MaisDieu,quiempêchetoujourslapertedessiens,luienvoyaune tempêtedefièvrefroide,sibienqu’ilcontractaunegravemaladieetquesachairdevintmincecommeunfil.

    Elle luidonna toutescesdouleurs encachette,de sortequelesmédecinsétaientperplexesausujetdesesmauxetnepurent leguérir.La sainteMélanie luidit : “Mon

  • filsÉvagre,cettemaladiequiseprolongepourtoinemeplaîtpas.Nemecachepastapensée.Peut-êtrepourrais-je te guérir. Dis-moi tes pensées avec franchise, car jevois que cette maladie ne t’est pas arrivée sans (lapermission de) Dieu”. Alors il lui révéla toutes sespensées. Elle lui dit : “Donne-moi ta parole que turevêtirasl’habitdumonachisme,et,bienquejesoisunepécheresse, je prierai mon Dieu de te donner la santégracieusement”. Il lui donna sa parole, et au bout dequelques jours il guérit, se leva, revêtit l’habit, partit,voyageaetserenditaumontPernoudj26,quisetrouveenÉgypte27.»

    LastructuredutexteCettepartiedu texte est longue.La structurede cedernier

    actedudrameestremarquable.Ellesoulignelelongetdifficilecheminverslalumière.

    Cetacteestbâtiendeuxscènes,elles-mêmesconstruitesdefaçonsimilaire.

    Leschémasuivantvoudraitillustrercettestructure:

    Lachute:orgueiletattachementcoupableàunefemme(Cf.actesprécédents.)

    A/LesongeB/L’interventiondesangesC/ÉvagrejureD/ÉvagregardesesbeauxhabitsE/Premierdépart:Jérusalem

    Unepremièrelibération:Évagreromptaveclafemme

    Larechute:lediable,leshabitsetl’orgueil

  • A’/LamaladieB’/L’interventiondeMélanieC’/ÉvagresesoumetD’/Évagrequitteseshabitsetrevêtl’habitmonastiqueE’/Seconddépart:l’Égypte

    Laliberté:Évagremoine

    Un rapide regard sur les événements mis en valeur par ceplan détaillé, nous amène à faire une première constatationencourageantedanscedrame.Malgrélarechute,Évagreavancevers la lumière.Lesdeuxépisodesdecetacteseconcluentparunelibération:ruptureaveclafemme28etaccomplissementdesavocation.

    Enréponseàlachuteetàlarechute,l’actiondeDieusurgitbrusquementaumoyendecirconstancesdanslesquelleslecorpsetl’âmesontimpliqués:lesonge,lamaladie.Dieuintervientauseindecesévénementspardesmédiateurs:lesanges,Mélanie.Évagre réagit : il jure, il se soumet. La résolution prise estconcrétiséed’abordparunactesymbolique:ilnequittepasseshabits, il prend l’habit monastique, puis Évagre quitte le lieuqu’ilhabitaitalors(Constantinople,Jérusalem).

    LasollicitudedeDieu«quiempêche toujours lapertedessiens » va semanifester par le songe, lamaladie, les anges etMélanie. Dieu parle en utilisant des médiateurs. La créationvisibleetinvisiblevientausecoursd’Évagre.Ledémonagitensous-main. Par deux fois Dieu intervient. Sa grâce rattrapeÉvagre. La conversion d’Évagre est lente, avec des retours enarrière.Lecheminverslalumièreestsinueux.

    L’étudedelastructuredecetultimeactedudrame,donneleplan du commentaire : l’intervention deDieu par ses envoyés,l’actioncachéedudémonet,enfin,lesrésistancesàlagrâce.

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  • apathéia par impassibilitas. Il est vrai aussi que Jérôme avaitfustigé cette notion. PourÉvagre, l’homme n’est ni une pierre(insensibleauxattaques)niundieu(dontleseulvouloirobtientla victoire) comme l’a faussement interprété Jérôme18.L’apathéia est la domination des passions. Ce n’est pasl’absencedepassions,maisl’âmeacquiertuntelempiresursesfacultés qu’elle ne laisse pas cette maladie (pathè) prendreracine en elle. Évagre qualifiera l’apathéia de « santé del’âme19».

    Évagrevacomparerl’apathéiaàunpuissantrempartdontlahauteur et l’épaisseur protègent des assauts menés par lesdémons20. L’apathéia signifie donc la fermeté dans le bien.Évagreendonneuneautreimage:celledusiège,dutrône.«Le“siège” de l’intellect, c’est l’état excellent qui maintient celuiqui est assis dans une position immobile ou difficile àmouvoir21.»Danslaconceptiond’Évagre,cette immobilitéestl’opposé du péché. En effet, il définit le péché comme unmouvementverslemal22.L’apathéiaestlastabilitédanslebien.Elle est ainsi la fleur du comportement vertueux23. Par elle,l’âmecommenceà retrouver sonmouvementnaturelqui est detendreversDieu24.Évagrepourradireque«celuiquiestdansl’apathéia vit dans la tranquillité (hésychia25), sans craindreaucunemauvaisepensée26».Instruction,lacrainteestaussisagesse.

    LasagesseLasagesseestla«sciencedescorpsetdesincorporels,ainsi

    que celle du jugement et de la providence qui s’observent eneux27».Quelleest lanaturedecette science?Dieudonnedecontempler « les raisons (logoi) placées dans ce qui est

  • sensible28»,c’est-à-diredanslescréatures.«Lacontemplationdescréaturesneconsistepasàvoircelles-cielles-mêmes;maisà trouver leurs “raisons” (logoi), c’est-à-dire le reflet desattributs divins dont elles sont les effets, les miroirs, lessymboles » explique Irénée Hausherr29. Des créatures, onremonteauCréateur30, avecadmiration31,mais sanss’arrêteràelles.Ellessont«lemiroirdelabontédeDieu,desapuissanceetdesasagesse32».

    Deplus,cescréaturesviventdansle tempsquiestHistoiredu salutoùDieu intervient,par son jugementet saprovidencequel’onpeutidentifieràl’économiedusalut33,afinquechaquecréaturesoitconduiteàsonaccomplissement34.

    La sagesse est donc la contemplation des créatures, parlesquelles nous arrivons à connaître l’amour de Dieu le PèremaisaussiduFilsetdel’Espritsaint35.Elleestaussisciencedel’Écriture, contemplation de l’ensemble des dispositionsmisesen place par le Seigneur pour notre salut. Par cettecontemplation des créatures, nous pressentons la sagessemultiforme36deDieuCréateuretRédempteur.

    Placede«l’instructionetlasagesse»danslaviespirituelle

    Cequenousvenonsd’exposersoulignel’importancedecesnotionsd’instructionetdesagesse.Elles recouvrentquasimentl’ensemble du parcours spirituel. Pour comprendre la place del’instruction et de la sagesse dans la vie spirituelle, il estnécessaire,toutd’abord,depréciserlafinalitédecettevie:

  • « Quoi, en effet, de plus élevé que de converser(proshomilein) avec Dieu et d’être absorbé dans unintimecommerce(sunousia)aveclui37».

    La vie spirituelle est un chemin qui mène l’âme jusqu’aurepos38 dans la science de la Trinité adorable39. Toutes lesactivitésdel’hommeserontréaliséesenvuedecetobjectif:

    « Tant que nous n’avons pas goûté de la science,exerçons-nous ardemment à la praktikè, en montrant àDieu que notre but est de faire tout en vue de sascience40».

    Cevoyage41verslaTrinitésefaitprogressivement,selondesétapes.

    Àl’instruction,modérationdespassions,correspondcequenotreauteurappelle lapraktikè42 (ouviepratique), «méthodespirituellequipurifielapartiepassionnéedel’âme43».

    Cettepremièreétapeduchemintrouvesonaccomplissementdanslagnostikè(lagnoseoulaviegnostique).Celle-cisediviseenphusikèetthéologikè.Lasagesse,quenousavonsrencontréedanslecommentairedesProverbes,inclutlasciencedesnaturescréées ou contemplation phusikè (contemplation naturelle44).Cette sagesse s’épanouit, selon le bon vouloir divin, dans lathéologikè, contemplation de la Sainte Trinité45, ultime étape.Voir Dieu est « la fin bienheu-reuse réservée à chaque natureraisonnable46».

    Situationducombatspiritueldanslecheminementspirituel

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  • 77.Cf.Pr.86:«L’âmeraisonnableagitselonlanaturequandsapartie concupiscible tend à la vertu, quand sa partie irasciblelutte pour elle, et que sa partie rationnelle perçoit lacontemplationdesêtres».78.Pr.81:lacraintedeDieu«estunproduitdelafoi».79.Vg56.Cf.Euloge34,Ep.fid.12,1.80.Cf.Prière35.81. Cf.KG V, 40 ; Lettre 58 citée par Irénée HAUSHERR, Lesleçons,p.53-54.82.C’est-à-diredecontempler.83.Lettre58citéeparIrénéeHAUSHERR,op.cit.,p.71.

  • ChapitreIILeChrist

    «“Connaître l’instructionet lasagesse”,c’estconnaîtreleChrist1»

    Cette affirmation est le cœur du scholion que nous avonssuivi jusqu’àprésent.Évagremet l’ensemblede la progressionspirituelle, « l’instruction et la sagesse », et donc du combatspirituel, en relationavec leChrist.Lavie spirituelle revient àsuivre le chemin du Christ. Dans un premier temps, voyonscommentleSeigneurindiquecechemin.

    «LadoctrineduChrist»

    Au début du Traité pratique, Évagre synthétisel’enseignementduChrist:

    « Le christianisme est la doctrine du Christ, notresauveur,quisecomposedelapraktikè,delaphusikè,etdelathéologikè2.»

    Cette doctrine recouvre l’ensemble des différentsmomentsde l’itinéraire spirituel. Par elle, le Christ nous conduit à lathéologikè,contemplationdelaTrinité.

    Le Christ a révélé cette doctrine lors de son « séjourmystique(mustiken)3»parminousetelleestrecueilliedanslesÉvangiles. Ainsi, en méditant les Écritures qui aiguillonnent

  • notrevigilance4, leSeigneur«nousenseignesesvoiesetnoussauve5 ».Notreperte seraitdedemeurer«en-dehorsdesvoiesduSeigneur6»parnotremanqued’implicationpersonnelle,parnotre inattention7. En effet, pour recevoir cette « doctrine duChrist»danssatotalité,notreengagementestexigé.Cartoutnenous a pas été enseigné, comme Évagre le note dans unképhalaion:

    «Cequ’estlacontemplationdesêtres,leLivredivinnel’a pas fait connaître ;mais comment on s’en approchepar lapratiquedescommandements etpar lesdoctrinesvéritables,ill’aenseignédefaçonmanifeste8».

    Celui qui observe les commandements du Christ et quiconfesselafoiorthodoxeserenddisponibleàlacontemplationdesêtresetàlasciencedeDieuqui,elles,nenousontpasétéenseignées. Si cet enseignement n’a pas été transmis par « leLivre divin » c’est parce que tout n’est pas enseignable. LeChristnousrévèlelemystèretrinitaire,maislasainteTrinitéenelle-même est ineffable9. Pour Évagre, la contemplation de laTrinitén’estpasintellectuelleausensdenotionnelle10.SiDieuest connaissable, ce n’est pas « comme la nature corporelle etincorporelle qu’il est connu11 ». Évagre met en garde contreceluiquiveutdéfinirlaDivinité12.NulnepeutfairemainbassesurDieu13, lui « qui est au-dessus de toute pensée et de toutsentiment14 ». « Qu’en silence soit adoré l’ineffable15 ! »L’homme ne connaît Dieu en vérité qu’en entrant en relationintime (homilia16) avec lui. Ce n’est pas l’application detechniquesd’ascèseoul’étudedesénoncésdelafoiquidonnentDieu17, ce sont là des conditions nécessaires18 par lesquels

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  • Christ, donne à l’homme de vivre à nouveau en logikos, enconformité avec Lui pour se reposer dans la connaissanceamoureuse de la Trinité. Le démon, par ses manœuvres, faitobstacleafinquel’hommenepuissesemouvoirselonleLogos.

    Partonsàladécouvertedeceprotagoniste.

    1.Schol.202adProv.19,23.2.Pr.1.3. Ep. fid. 4, 23. Nous changeons la traduction suivie quiemploie le mot « mystérieux ». Selon le père Gabriel BUNGE(conversation du 22 juin 2010) « mystique » chez Évagresignifie caché et nonmystèrieux. Cf. Schol. 250 adProv. 23,1.3;Pensées5;8.4.Cf.Euloge20.5.Lettre56citéeparPaulGEHIN, SC438, p. 199, note4.Cf.Pensées36.Pensées13.7.Cf.Euloge20.8.KGVI,1.Le«Livredivin»est-illeChristenseignantoulesSaintesÉcritures?9.Cf.Gnost.41.10. « La science du Christ n’a pas besoin d’une âmedialecticienne,maisd’uneâmevoyante…»KGIV,90.11.KGIII,80.12.Gnost.27 :«Nedéfinis jamais laDivinité».Peuventêtredéfinis les êtres composés, or Dieu étant simple, on ne peutdonc en donner une définition. Cf.Schol. 35 adEccl. 5, 1-2,Prière67.VoiraussiGnost.41etInst.23.13.Cf.KGV,62.14.Prière4.15.Gnost.41.

  • 16. Cf. Prière 3 et le commentaire de HAUSHERR Irénée, Lesleçons,p.16-17.17. Cf. Inst. 23, KG V, 26. Nul relativisme doctrinal chezÉvagre. Son ministère pour l’orthodoxie nicéenne le prouve.« Discours d’hérétiques : messages de mort. Qui les écouteperdrasonâme»Mn125.Cf.Mn43;124-126;…18. Ep. fid. 12, 18-21 : « … Conditions sans lesquellespersonneneverraleSeigneur».19.Schol.189adProv.19,4.20.Mn3,Cf.Pr.84.21.Cf.Pr.prologue8et81.22.Cf.Ep3,16-19.23.Cf.1Co2,9.24.CeparagrapheconcernantladoctrineduChristnoussuggèrequelquesréflexionssur lesensde«paidéia», termequenoustrouvons dans le scholion 202auxProverbes qui est notre filconducteur.Traduirecemotpar«instruction»,nedonne-t-ilàpenser que le Christ transmet uniquement des connaissancesintellectuelles,uncorpsdedoctrines?«Instruction»définitunensembledenotionsacquises,de savoirs.Ne serait-ilpasplusopportunde traduire «paidéia » par « éducation », comme lefaitPatrickNégrierenInst.28?«Education»estundessensdepaidéia selon ledictionnairegrecBailly.L’éducation inclutl’instruction.L’éducation comporte un compagnonnage avec lemaîtrequitransmetun savoir notionnel et pratique par ses paroles et soncomportementainsiquenousallonsleconstaterdanslespagessuivantes.25.Ant.Prologue2.26.Cf.1Pi2,21.27.Mn21.Dansunautretexte(Excerpt69),Évagrerappellelesparoles de Jésus sur l’amour fraternel et conclut : « These

  • distinguishing features of perfect love make a man into animitator of Christ. » CASIDAY Augustine, Evagrius Ponticus,(The early church fathers), Routledge, London/ New York,2006,p.180.28.Euloge4.29.Ph2,6-11.30. BUNGE Gabriel, Paternité spirituelle, la gnose chrétiennechez Évagre le Pontique (SO 61), Bellefontaine, Bégrolles,1994,p.109.31.Ep.Mel.23-24.ÀlireEp.fid.8,trèsbeaupassage.32.Rm6,8.VoirSchol.24adEccl.4,2-4et lanotepour lesautresréférencesdanslesœuvresd’Évagre.33.Mn21.34.Pensées38.35.KGVI,42.36.KGVI,40.37.Rm6,6.Cechapitre6sembleavoirétéméditéassidûmentparnotremoine.L’évocationduvieilhommerencontréedanslacitationci-dessus,KGVI,40,renvoieencoreàRm6.Rappelonsque ce chapitre est un des passages clés pour la théologie dubaptêmeetdoncpourcelledelaviespirituelle.38.ParexempleGnost.48.39.Schol.54adEccl.4,7,1.40.Schol.2adPs.142,2(PG1271).41.Autrementdit«Archègos»,selonletermebibliquecf.Ac5,31.42.Cette collaborationdurera toute lavie,même si elleprenddescolorationsdifférentes.Évagre,iciencoreàlasuitedesaintPaul, situera la totalitéde lavie spirituelle sous le signede laparticipation à la mort du Christ. Ainsi, lorsqu’il fait àAnatoliosuneprésentation symboliquedeshabitsdumoine, illuiexplique leportde lamélote (Cf.Pr.Prologue6), sortede

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  • Uneprédominancedel’irasciblecaractériselecomportementdémoniaque;nonquelapartie irasciblesoitmauvaiseensoi :«Lanaturedelapartieirascible,c’estdecombattrelesdémonsetde lutterenvueduplaisir,quelqu’ilsoit26».Biendressée,elle est un bon chien de garde27 ! C’est l’utilisation contrenaturede cettepuissancede l’âmequi estmauvaise.La colèreestlevicespécifiquedel’irascible28.Évagrepense«qu’iln’estpas possible de trouver sur la terre des hommes plus amers(“picroi”)quelesdémons29.»

    D’où leur vient cette colère qui dure et se transforme enamertume,enressentiment?Évagrenerépondpasdirectementàcette question, mais ses écrits donnent quelqueséclaircissements et, nous semble-t-il, ouvrent quelques pistes.Nousenproposeronsdeux.

    Évagrelielacolèreàl’orgueil.Ainsi,dansleképhalaia14duTraitéPratique,Évagresoulignequelacolèreestunfruitdel’orgueil. Dans un passage du petit traitéDes huit esprits demalice, il remarque que l’orgueil suscite beaucoup de haine,celle-ci dérivant de la colère30. La raison de cette relation estassez simple à comprendre.Celui qui se gonfle d’orgueil a duressentiment envers tout ceux qui ne reconnaissent pas sesqualités exceptionnelles et ne viennent pas lui en fairel’hommage31.Ledémon,danslaconfusion32provoquéeparsonorgueil,dirigesacolèrecontre toutes lesautrescréatures. Il secroitlasourcedetouteschosesquiluidoiventdoncadoration.Cette colère du démon, consécutive à son orgueil, explique laguerre qu’il mène contre les hommes. Évagre ayant une viséepratique:éclairer laviedesmoinesetnotammentleurcombat,noussaisissonsmieuxson insistancesur lacolèrecommenotedominantedelamentalitédudémon.

    Ledeuxièmeessaid’explicationquenousallonsdégagerà

  • présent,estplusoriginal.Rappelonscequ’estlacolère.Danslechapitre 11 du Traité Pratique, Évagre la définit : « Unmouvement contre celui qui a fait du tort ou paraît en avoirfait ». Bien sûr, le Seigneur n’a pu vouloir faire du tort audémon !Mais celui-ci estime queDieu lui a porté préju-dice.Par son choix orgueilleux, le démon a rejeté « sa dignitéangélique33 » et il en reporte la faute sur Dieu. Aveuglementsuprêmedeceluiquirenvoiesurlesautressapropreperversité.Seréférantaurécitdupéchédesorigines,ÉvagremetengardelemoineEulogecontreledémonqui«blâmeleTrès-Hautafind’attribueràDieusapropreenviecommesicelavenaitenréalitéd’uneautrebouche34…»Cette rusedudémon révèle son étatd’esprit. Il est menteur, c’est-à-dire qu’il ne vient pas à lalumièrepourfairelavérité35.IlrejettesaresponsabilitésurDieuet ne s’amende pas. Dans ce même chapitre 18 du Traité àEuloge,Évagreanalyseetdénoncelapenséedeceluiqui,ayantcommisune faute, regarde les autres en faire autant afinde sedédouaner.«C’estprécisémentcetactemêmequiaprovoquélachutedudiable»,remarqueÉvagre.Qu’avait-ilàfaire?«Qu’ilse repente au contraire pour les actes déplacés qu’il aaccomplis…»Cela,ilnelefaitpasparcesonorgueill’aveugle,ilaccuseDieud’oùcettecolèrequilecaractérise36.

    Ledémonneserepentpas.Pourtant,dansunscholionauxProverbes37,Évagreparle, de façon imagée, de son retour à lamaison. Sa déchéance du service de Dieu38 aura-t-elle undénouementheureuxauseind’uneréconciliationgénérale?

    Ledémonpeut-ilêtresauvé?

  • Cettequestion est cellede l’apocatastase39 ou restaurationdanslagrâcedeDieudetouteschoses,mêmedesdémons,àlafindestemps.CommentDieusera-t-iltoutentous40?Origènen’est pas l’inventeur de cette opinion théologique. Pourtant, ilest resté dans l’histoire de la théologie, comme celui qui l’adéveloppéeetl’auraitprofessée,cequiaétéundesmotifsdesacondamnation.SelonHenriCrouzel,une«grandeconfusion41»sedégagedelalecturedestextesdel’Alexandrin.Lathéologied’Origèneestunethéologieenrecherche.L’universalitédecetteréintégration dans l’amitié divine est un des éléments de cettediscussion théologique. Même s’il considère la possibilité dusalut des damnés et des démons, Origène n’opte pour aucunesolutionparticulièredefaçonformelle.Ilestdoncnécessairededonneruneréponse«extrêmementnuancée42»concernantsonenseignement. Malheureusement, cette pondération a étéradicaliséeauviesiècleparlesadversairesd’Origèneetcertainsdesesdisciples,pouraboutiràsacondamnation.Noussavonslerôle tenu par les textes d’Évagre dans cette condamnation,puisquelesanathèmesdeConstantinopleIIcitentexplicitementsesœuvres.ToutcommeOrigène,ilsembleraitquel’onn’aitpasalorsprislapeinedelirel’ensembledesécritsd’Évagreencettematièresicomplexe.MêmesiÉvagreévoqueàplusieursreprisesle sort final des démons, le PèreBunge insiste sur le difficiletravaild’harmonisationdesesallusions43.

    Au Concile de Constantinople II, l’Église a tranché cettediscussion.DémonsetdamnésneparticiperontpasàlagloiredeDieuàlafindestemps.

    Lapuissancedudémon

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  • Solesmes, 1993, 2e édition, p. 229). Il serait intéressantd’étudier plus précisément si une telle attitude est constantechez les Pères. Ces quelques citations, émanant d’autoritésincontestables,sontdéjàun indiceengageant,pournepasdireconcluant, laissant entrevoir que nous sommés là en présenced’une doctrine commune aux Pères du désert. (Pour les Pèresapostoliques,voirHermas,LePasteur48et49,2:«Lamenacedudiable,nelacraignezpasdutout: ilestsansforce,commelesnerfsd’unmort».)

  • D

    ChapitreIVL’actiondudémon

    ans le chapitre précédent, nous avons approfondi lesprincipales caractéristiques de celui qui nous étaitapparu dans l’analyse du texte de la conversion

    d’Évagre comme l’anti-médiateur. La capacité du démon àentraver l’homme a retenus notre attention. Dans le présentchapitre,nousaimerionsscruterencorelapuissancedudémon.Nous essaierons de répondre à la question concernant lesmodalités de son action. Comment sa puissance semanifeste-elle dans le combat qu’il mène contre l’âme ? Quels sont sesmoyens privilégiés pour nuire aux anachorètes ? Nousétudierons l’action du démon sur le corps puis, de façon plusdéveloppée,sonactionparleslogismoi.

    L’actiondesdémonssurlecorps

    Nous avons vu que, par leur corps, les démons pouvaientavoiruneinfluencesurceluidumoine.PlusieursképhalaiaduTraité sur la prière1 relatent les turpitudes dont sont victimeslesPèresdudésert.Celavadesmanigances«d’undémondontles touches font palpiter les veines du cerveau » représentant« une vision illusoire deDieu en quelque figure agréable auxsens2»,audémonquis’acharnaitsurJeanlePetit«sousformed’undragonenrouléautourdesoncorps,luitrituraitleschairsetluiéructaitauvisage3».

  • Évagre met en garde d’être parmi « ces gens qui, parméchanceté et par idiotie, se moquent également deschosessérieusesetdecellesquinelesontpasetquisepersuadent que les démonsne torturent pas visiblementlessolitaires;cesgensn’entendentstrictementrienauxcombats avec les démons qui ont demandé à Dieu etobtenulepouvoirdenoustenter4».

    Quoiqu’ilensoit, lesdescriptionsdesavaniesdesmoinessontaptesàrefroidirlesardeursdesaspirantsàlavieérémitiqueet à déstabiliser les plus simples5. Qu’ils se rassurent ditÉvagre6, car cette formed’agression directe sur le corps arrivelorsque le moine est déjà avancé dans le combat spirituel,lorsqu’il a atteint l’apathéia. Cette précision mérite d’êtresoulignée.Spontanément,lecontrairenousvientàl’esprit.Nousimaginons le démondéployant ses attaques prioritairement surlecorps.C’estbienmalconnaîtrelamalfaisanceintelligentedudémon. Bien qu’Évagre ne rabaisse jamais le corps en qui ilreconnaissait, selon ses disciples, « le premier et le plusprécieuxdesdonsdeDieu7»,letrésordel’hommeestsonâme.Ledémonpartd’abordàl’assautdel’âmepuismolestelecorps.C’estalorsl’aveudesonéchecsurl’âme.Nouspourrionsobjecterquelagourmandiseetlaluxure,piègesdes commencements, ont trait à la dimension corporelle. Ornousparlonsicidescoupsqueledémonportedirectementsurlecorps de la personne et non sur les pensées mauvaises qu’ilprovoque et qui vont, effectivement, avoir une incidencephysique;car,etc’estcelaqu’ilfautaborderàprésent, l’armefavoritedudémon,leslogismoi,s’enprendd’abordàl’âmedontlavocationest,selonÉvagre,decontemplerlaSainteTrinité.

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  • « illogique », au sens fort du terme, c’est-à-dire ne pas secomporterselonsanature,nepasêtreselonleLogos-Créateuretsepriverdesaconnaissance.

    Discerner les tenants et aboutissants de la lutte spirituelleintroduit dans l’intelligence de la création et de la foi. Évagreparlerades«logoidelaguerre»:

    «L’intellect,tantqu’ilfaitlaguerrecontrelespassions,necontemplerapaslesraisons(logous)delaguerre,carilressembleàceluiquicombatdanslanuit;maisquandilauraacquisl’impassibilité,ilreconnaîtrafacilementlesmanœuvresdesennemis5.»

    Celuiquicombatdanslanuit,appliquelescommandementscontrelesdémonscommeunbonsoldatquiobéitauxordresetobtient du résultat. Cependant, il n’a pas l’intelligence de lastratégiedel’ennemi6,nidesongénéral.Ilneperçoitpas touslesenjeuxgéopolitiques.

    Les textes d’Évagre offrent d’observer ces raisons de laguerre.Nous allonsdonc continuer de scruter ces logoi.Nousnelesépuiseronspas7!Laconversiond’Évagre,examinéedanslapartieprécédente,vanous fournir lamatièredenotreétude.En analysant les événements de Constantinople et Jérusalem,nousavonsrelevéquel’actiondudémondésorientaitÉvagre.Lefait était très clair lors de la récidive de Jérusalem. Palladeparlait d’un endurcissement du cœur d’Évagre. Cetendurcissement s’apparentait plutôt à de l’indétermination, carnotrediacrehésitait,doutait,étaitpartagéetdivisé,etserepliaitsurlui-même,commeleditletexte8.Évagrenesavaitplusoùilen était. Le démon a su profiter de cet état d’âme. Le troublequ’il instille alors en son cœur lui fait perdre tout repère et il

  • retombedanslesornièresdesavie.L’existenced’Évagren’étaitplus une histoire, mais un chapelet d’événements juxtaposés,sanssignification,nisens.Nousnousproposonsd’examinerlestextesd’Évagredanscetteperspectivedurapportautemps.

    Unexemple:les«logoidutemps»

    Dans le Traité Pratique, à partir du chapitre 6, Évagreentreprend la description des huit « pensées génériques quicomprennenttouteslespensées».

    Une lecture transversale des chapitres 7 à 14 du TraitéPratiquerevêtunintérêtparticulier.Ilestpossibledediscernerundes«logoidelaguerre»danslesattaquescaractéristiquesaux huit vices. En effet, Évagre mentionne l’implicationtemporelledechaquevicequ’ildécrit.L’hommevoitsonrapportau temps, à son histoire, perverti, déstructuré9 par l’agressiondémoniaque.

    RésumonscequeditÉvagre.L’actiondudémonsurlepasséopèresurlessouvenirsetprenddeuxdirections:lanostalgieetl’amertume.Lacolèreest«unmouvementcontreceluiquiafaitdu tort ou paraît en avoir fait10 ». L’amertume est lacaractéristique de la colère lorsque celle-ci se transforme enressentiment11.L’âmeruminelemalqu’onluiafait.Lepasséluirevientaveclegoûtdelarancune.Lanostalgieserencontredansla tristesse et l’acédie, cette forme de dégoût spirituel. Lesouvenir mélancolique du passé, de la famille engendre latristesse12.L’acédieparcequ’elleest«unecertaineatonie13»,unechutede tensionspirituelle, suscite,elleaussi, le souvenirdes proches, de l’existence d’autrefois14 et fait naître un

  • sentimentdevideetd’ennui15.Pour ce qui est du présent, le démon œuvre de diverses

    façons. Dans la fornication, il fait dire à l’âme « certainesparoles et en entendre en réponse, tout comme si l’objet étaitvisible et présent16 ». Par contre, dans l’acédie, par l’aversionqueledémoninspireàl’anachorète«pourlelieuoùilest,poursonétatdeviemême,pourletravailmanuel17…»,ilestincitéàfuir le « ici et maintenant » de sa situation. La colère « rendl’âmefurieusetoutlelongdujour18»et,parsapromptitudeetsonbouillonnement,luiarrachetoutemaîtrisedesoi.

    Enfin,laprojectiondel’âmedanslefuturestaussisouslefeuexpertdudémonlaconduisantsoitàlaprésomption,soitaudésespoir.Lavainegloire«fait imaginer[à l’âme]desdémonspoussantdescris,desfemmesguéries,unefoulequitouchesonmanteau…L’ayantfaits’exalterainsipardevainesespérances,elle s’envole et l’abandonne aux tentations soit du démon del’orgueil, soit de celui de la tristesse19… ». Par ces rêves degloirel’âmetombedansl’orgueil.Celui-ciapousse«ànepasreconnaîtrel’aidedeDieu,maisàcroirequ’elleestelle-mêmelacausedesesbonnesactions…20».

    Le démon présente aussi l’avenir sous un jour des plussombres. De la vie ne peuvent sortir qu’échecs et calamités.Danslagourmandiseetl’avarice,ledémoncomposeunscénariocatastropheafinquel’âmeaitpeurdulendemain:«lesfaminesqui se produiront, les maladies qui surviendront21 ». L’ascèsemène à « une longue maladie, le manque du nécessaire,l’absence du médecin22 ». Les efforts de l’anachorèten’aboutirontàrien23,sonascèseestvouéeàunéchecrapide24,murmurent les démons de la gourmandise et de la fornication.Quantàl’acédie,elleretiretoutefinalitéàlavieanachorétique.

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  • D’autrepart,celuiqui«veutrecevoirduSeigneurlasciencedudiscernement5 » doit accomplir « d’abord de bon cœur lescommandements qui sont en son pouvoir, sans rien omettre ».Ce conseil découle de la structure du chemin spirituel :observation des commandements (ce qui revient à exercer lesvertus), contemplation des logoi des êtres (ce qu’il appelle« science du discernement » dans le texte cité) puiscontemplationde lasainteTrinité.Lechemincommencepar letravail de fructification6 des vertus, signes de la déterminationdel’âmeàêtrefidèle.

    Dans cette guerre des vertus contre les vices, certainesattitudesouexercicesviennentenaideà l’âme.Lechapitre15duTraitéPratiqueenregroupeplusieurs:

    «Quand l’intellect vagabonde, la lecture, la veille et laprièrelefixent;quandlaconcupiscenceestenflammée,la faim, la peine et l’anachorèse l’éteignent ; quand lapartieirascibleestagitée,lapsalmodie,lapatienceetlamiséricordelacalment.»

    Chacun de ces moyens mériterait un traité particuliertellement lesattitudesdevigilance7, du jeûne,de lapénitence,de patience, de miséricorde, de prière8 ont été abondammentexposées par les Pères du désert. Nous avons déjà abordésuccinctement la lecture et la psalmodie. Parmi les armesénumérées dans ce texte nous allons considérer plusattentivementl’anachorèse.

    L’anachorèse

  • Silesobjetssontsusceptiblesdeporteràlamalice,lesfuirest propice à nous en préserver. Cette fuite se concrétise dansl’anachorèse9. Idéal de séparation du monde, celle-ci peutprendre aussi un caractère d’expatriation, telle que le vécutÉvagre.C’estlaxénitéia10,«Premierdesbrillantscombats…tuémigres seul, dévêtu, comme un athlète, de ta patrie, de tafamille,detonbien,pourfairefaceauxluttesbrillantes11».Cetermequiauraituneoriginemilitaire,désignerait«leséjourquelemercenairefaithorsdesonpays12».Cetexiln’estpassansrappelerl’expérienceabrahamique:«Quittetonpays,taparentéetlamaisondetonpère,pourlepaysquejet’indiquerai13».

    Anachorèse,xénitéia,sontlesprodromesd’unrenoncementplusprofondcommel’exprimePensées26:

    « Il n’est pas possible d’acquérir la science sans avoiropérélepremier,lesecondetletroisièmerenoncement.Le premier renoncement est l’abandon volontaire deschosesdumondeenvuedelasciencedeDieu;ledeuxième,lerejetdumalquivientensuiteparlagrâcedeChristnotreSauveuretparlezèledel’homme;le troisième renoncement est la séparation d’avecl’ignorance de ce qui se manifeste naturellement auxhommesenproportiondeleurétat14.»

    Le premier renoncement recouvre très clairement le proposmonastique15. Le deuxième correspond à la praktikè. Letroisième exprime la phusikè : sortie de l’ignorance, fruit dupéché,etentréeprogressivedanslacontemplationdescréatures.La finalité de ces renoncements est la science, c’est-à-dire lacontemplation amoureuse de la Sainte Trinité, la théologikè.Nousretrouvons l’itinérairespiritueldécritailleursparÉvagre.

  • Ilest intéressantderemarquerquecen’estpas lerenoncementen tant que tel qui prime, mais la finalité spirituelle. Évagrel’exprimera ailleurs de façon lapidaire : « Si tu ambitionnesl’oraison16,renonceàtoutpourobtenirletout17».L’AbsoludeDieu appelle l’absolu du don de l’homme. L’anachorèse n’estqu’un moyen. Débarrassé des choses matérielles, dégagé del’agitation des soucis continuels18, le moine est dans lesdispositionsextérieuresfavorisantl’oraisonpure19.

    Cette valorisation de la «montée » au désert peut paraîtresurprenante.Eneffet,commentpeut-onproposercommemoyendedéfensed’allervivreaudésert,demeuredesdémons20 ?Cequenousavonssignaléquelqueslignesplushautpeutapporteruneréponse.Lebutultimedel’anachorèseestthéologaletnonascétique.Même si le pèlerin risque à toutmoment d’être auxprises avec des brigands, même s’il se tient sur ses gardes,l’arrivéeauSanctuaireestcequilemotive.L’ascèse,lecombatcontre les démons, sont en vue de la contemplation. Or, pourparveniràcelle-ci,quiestunegrâceappelantunecollaborationhumaine,«lezèledel’homme»,ilestnécessairenonseulementde combattre les pensées passionnées suggérées par le démon,mais aussi de dépasser les pensées simples qui ne peuventreprésenterladivinité21.Dieu«estau-dessusdetoutepenséeetdetoutsentiment22».Ledésert,parsanudité,parsonsilence,est le lieu privilégié aidant à préserver l’âme de toutereprésentation,detoutconcept(noématôn23)deDieuautempsde l’oraison. Le désert, lieu de la lutte avec les démons,immensité qui n’accapare pas le regard, est, par excellence, laconditionde l’adaptation, plus exactement de la ré-adaptation,del’âmeàlacompagniedivine.

    L’anachorèse est ainsi signe et moyen de dépouillementsintérieurs successifs qui aboutissent à la vision du lieu de

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  • JEANDEGAZA,Correspondance,recueilcomplettraduitdugrecetdugéorgienparlesmoinesdeSolesmes,Solesmes,1993,2eédition,p.150-151).50.Pensées24.51. Cf. Pensées 27. En Pr. 20, il parle de compassion et dedouceur.52.Cf.Pr.91.53.Cf.Euloge26,Pr.25;26.54.Cf.GUILLAUMONTAntoine,Unphilosophe,p.234note6.55.f.Pr.28.56.Pr.24.57.Cf.Euloge19,Pensées23;34,Pr.57;90,Prière42,…58.Prière8.59.Surledondeslarmesdanslaspiritualitéorientale,onpeutlireletrèsbelarticledeLOT-BORODINEMyrrha,«Lemystèredudon des larmes dans l’Orient chrétien »,La douloureuse joie,(SO14),Bellefontaine,Bégrolles,1981,2eédition,p.133-195.60.Prière5et lecommentaireafférent :HAUSHERR Irénée,Lesleçons,p.19-20etceuxdePrière6-8p.20-22.61. Ici traduit par « componction », mais penthos signifie«deuil».62.Concernantcettedoctrinespirituelle,typiquedelatraditionorientale,voiciquelquesréférences:HAUSHERRIrénée,Penthos,ladoctrinedelacomponctiondansl’orientchrétien(OrientaliaChristianaAnalecta 132),Rome, 1944, 209 p.BUNGEGabriel,Vasesd’argile.Lapratiquedelaprièrepersonnellesuivantlatradition des saints Pères (SO 73), Bellefontaine, Bégrolles,1998,p.93-98.DRISCOLLJeremy,«Penthosandtears»,Stepstospiritual perfection. Studies on spiritual progress inEvagriusPonticus,TheNewmanPress,NewYork,2005,p.51-65.63. 2Co 1, 3-4. Le thème biblique de la paraclèsis est très

  • riche :De la consolationdesprophètesde l’AncienTestament(Cf. Is 40, 1) à ceux du Nouveau (Cf. 1Co 14, 3), au ChristParaclet (1Jn2, 1) qui envoie l’EspritParaclet (Cf. Jn14-16).La composante affective de cette notion est bien réelle,cependant,onnedoitpasréduirelaconsolationàcetaspect.64.2Th2,17.65. Cf. REFOULE François, « Rêves et vie spirituelle d’aprèsÉvagrelePontique»,SupplémentàlaVieSpirituelle59(1961),p.484.66.Prière72.67.Silapensée«estdelamaisonelletecombleradepaix;sielleestdel’adversaire,ellet’agiteradecolèreoutetroubleradedésir.»Lettre11citéeparHAUSHERRIrénée,Lesleçons,p.131.68.Prière94.69.Cf.Prière115.70.Cf.Prière114.71.Prière114.72.Prière115.

  • L

    ChapitreVIIVerslavictoire:persévérance,prudenceet

    discernement

    a clairvoyance dont fait preuve Évagre à propos desdifficultés du cheminement spirituel peut être déclinéeselontroisaxes.Toutd’abord,Évagreest trèsconscient

    de la longue distance qui sépare le chrétien de la victoire.Démoralisation ou suffisance guettent l’âme. Pour soutenir lapersévérance et garder le bon cap, Évagre donne quelquesprécieuxrepèresquenousessaieronsderecueillir.Nousverronsensuiteque l’enseignementd’Évagreestempreintdeprudence.Cettevertu,qui règle lesmoyensà la fin,vapermettreà l’âmed’assumersesfragilitésetdéfaillancesafindenepasseperdrechemin faisant. La prudence permet de vivre parfaitementl’imparfait, l’inaccompli. Enfin, nous traiterons d’un ultimemoyen de lutte : l’observation des pensées. Cette étude nousconduiraàeffleurer ladoctrinedudiscernement.Persévérance,prudence et discernement manifesteront le regard lucide portéparÉvagresurlaviespirituelle.

    Unelonguemarchepersévérante

    C’est une longue marche qui conduit à la victoire sur lesdémonsetàl’unionaveclaSainteTrinité.Évagren’endortpassonlecteurpard’amollissantesconsidérations:sonvocabulaireappartientprincipalementauregistredelaguerre.Maisilneledésespère pas non plus. En cettematière, il est aisé d’insister

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  • 37.BERTRANDDominique,«Latradition…»,p.42.38.Parmilesdonsdel’Esprit:1Co12,10.39.Deplus,lemot«discernement»n’estpastrèsfréquentdansses ouvrages. Il est même absent du Traité Pratique, mais laréalitéyestbienprésente:Cf.Pr.50.40. Il serait nécessaire d’ajouterPrière 147 etSchol. 2ad Ps141,5etDisciples96et176.41.Cf.Pensées26.42.Ibid.

  • N

    Conclusion

    ous voici au terme de notre parcours sur le combatspirituel dans la vie et l’enseignement d’Évagre lePontique.

    Dans cette conclusion, nous allons survoler rapidementl’ensembledel’itinéraireaccompli.Noussynthétiseronsensuiteles divers enseignements d’Évagre qui, à notre avis, sontfondamentaux pour toute doctrine chrétienne du combatspirituel. Enfin, nous extrairons de cette synthèse plusieursthèmesquiméritentuneattentionparticulière.

    NousavonsinterrogéÉvagre,pardelàlessiècles,habitésparunedoubleconviction.Levéritablemaîtreestceluiquienseigneparsaparole,maisaussiparsavie.Lesélémentsdesaviesontune porte d’entrée à la compréhension de sa doctrine. Cetteconviction a déterminé les deux parties de notre travail : lecombat spirituel dans la vie d’Évagre, puis le combat spiritueldanssonenseignement.

    Danslapremièrepartie,nepouvantexplorerl’intégralitédesrenseignements transmisparPallade sur laviedenotre auteur,nous nous sommes limités à l’analyse des mésaventuresamoureuses de ce diacre de Constantinople et des diversespéripétiesparlesquelleslamainduSeigneurleguidaverslaviemonastique. Cette histoire sentimentale, en dévoilant sesfaiblesses, rend Évagre proche de chacun d’entre nous.Emblématique du combat spirituel, cette conversion d’Évagremanifestequelalutten’estpasréservéeauxmoines.

    Afind’êtreàmêmed’examinerlesfaitsquileconduisirentà

  • la vie anachorétique, nous avons évoqué quelques lieux etévénements qui constituèrent le décor de ce drame. Lespersonnes qui eurent une influence sur la formation humaine,spirituelleetthéologiqued’Évagreaidèrentàlesituerauseindel’abondanterecherchethéologiquedecetteépoque.Nousavonsconclu ce chapitre par la présentation de quelques traitscaractéristiquesdecepèredudésert.

    Lascènedesévénementsétablie,nousavonsalorsanalyséetcommenté le texte de Pallade dans lequel est racontée laconversiond’Évagre.L’actiondudémon,l’interventiondeDieuparsesenvoyésetpardesmoyensinattendusontétéunebonneintroductionàl’approfondissementdesadoctrinesurlecombatspirituel dont l’étude occupa la seconde partie. La crainte deDieu qui, lors de sa conversion, avait été déterminante pourretenirÉvagredecommettre lepéché, fut lepointdedépartdecettedeuxièmepartie.Cethèmedelacraintenousaentraînésàexaminer la présence du Christ dans la vie spirituelle et lecombat.ConduitsàlascienceduChristSauveur,véritablecœurdel’enseignementd’Évagre,nouspouvionsalorsorienternotreinvestigation sur le démon, l’anti-médiateur. Ses principalescaractéristiques détaillées, notamment la colère qui l’habite,nousavonsapprofondilesmoyensqu’ilutilisecontrel’âme.Leslogismoi, les mauvaises pensées, sont l’arme privilégiée dudémon.Afindesituerces logismoidans l’ensembleducombatspirituel,nousavonsétéamenésàéluciderleconceptderaisons(logoi)de laguerreetde lapraktikè.Nousnoussommesalorsintéressésà l’arsenal spirituelproposéparÉvagre.Lesmoyensde lutte ont été inventoriés. Enfin, nous avons relevé lesdispositions essentielles qui accompagnent le moine dans samarcheetassurentlavictoire:lapersévérance,laprudenceetlediscernement. Nous avons pu ainsi constater la justesse del’appréciation de nombres d’auteurs antiques qualifiantÉvagre

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  • corrompupardesprésents.»

    [6] L’ange lui dit : « Si tu veux entendre le conseild’unami,iln’estpasbonpourtoidecontinueràvivredanscetteville.»Évagrerépliqua :«SiDieuvientàmedélivrerdumalheuroù je suis etque tumevoies[encore]àConstantinople,sachequec’estàbondroitque je subis ce châtiment. » L’autre lui fit cetteproposition : « Je vais apporter l’Évangile. Si tumejures sur lui de t’éloigner de cette ville et d’avoir lesoucidetonâme,jetedélivredecettedétention.»

    [7]Illuiapportadoncl’ÉvangilesurlequelÉvagrefitle serment solennel de quitter la ville après unejournéequ’ilemploieraitàmettresesvêtementsàborddubateau.Unefoislesermentprêté,ilrevintdecetteextase nocturne. S’étant levé, il fit cette réflexion :«Mêmesilesermentaétéprêtéaucoursd’uneextase,j’ai néanmoins juré. » Il embarqua donc toutes sesaffairesetpartitpourJérusalem.

    [8] Il y fut accueilli par la bienheureuse Mélanie laRomaine. Mais le diable lui endurcit à nouveau lecœurcommeàPharaon.Commeilétaittoutfrémissantd’ardeur juvénile, il commença à hésiter dans sonproposet il fut intérieurementdivisésansenparleràpersonne. Là, il tomba sous l’emprise de la vainegloire,sedistinguantparsafaçondesevêtiretdanssamanièredeparler.MaisDieuquifaitobstacleànotreperte le plongea dans une fièvre persistante et de là,dans une longuemaladie, travaillant sixmois durantcettechairquiletenaitcaptif.

  • [9] Comme les médecins étaient embarrassés et netrouvaient pas de quelle façon le guérir, labienheureuseMélanieluidit:«Fils,tamaladiequiseprolonge neme plaît pas.Dis-moi donc ce qu’il y adans ta pensée, car ce n’est pas sansDieu que cettemaladiet’affecte.»Alorsilluiconfessatout.Elleluidit:«Donne-moitaparoledevantleSeigneurdefairetien le propos de la vie solitaire et, toute pécheresseque je sois, je prierai pour que, par grâce, ta vie seprolonge. » Il y consentit et, en peu de jours, futrétabli. Une fois debout, il fut changé d’habits parMélanie elle-même et partit s’exiler sur la montagnedeNitriequisetrouveenÉgyte.

    1. PALLADE D’HELENOPOLIS, Histoire Lausiaque (SO 75),traductionNicolasMolinier,Bellefontaine,Bégrolles,1995,p.166-169.2.Lessous-titressontdenotrefait.

  • Bibliographie

    Sources

    Œuvresd’ÉvagrelePontique

    Antirrhétique :BRAKKEDavid,Talkingabout,Antirrhétikos,Amonastic handbook for combating demons, Cistercianpublications,USA,190p.

    BUNGE Gabriel, LAZZERI Valerio, Evagrio Pontico, Contro ipensieri malvagi. Antirrhétikos, Edizioni Qiqajon, Bose,2007,186p.

    Bases de la vie monastique : TOURAILLE Jacques, « Évagremoine. Esquisse monastique enseignant comment il fauts’exercer à l’ascèse et à l’hésychia », Philocalie des Pèresneptiques,t.1,DDB/Lattès,Paris,1995,p.78-83.

    Chapitresdesdisciplesd’Évagre,(SC514),éditionprincepsdutextegrec,introduction,traduction,notesparPaulGéhin,LeCerf,Paris,2007,349p.

    Chapitres sur la prière : HAUSHERR Irénée, Les leçons d’uncontemplatif, le Traité de l’Oraison d’Évagre le Pontique,Beauchesne,Paris,1960,199p.

    Deshuitespritsdemalice:NÉGRIERPatrick,«ÉvagreduPont.Deshuitespritsdeperversité»,CollectaneaCisterciensia56(1994),p315-330.

    KephalaiaGnostika:AntoineGUILLAUMONT,LessixCenturiesdes«KephalaiaGnostika»d’ÉvagrelePontique, (PO28),Firmin-Didot,Paris,1958,264p.

    Le Gnostique, (SC 356), édition critique des fragments grecs,

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  • Del’impasseaupassageL’entravedupéchéLagrâceàlarencontredelafaiblesse

    D’unhabitàl’autreLastructuredutexteDieuintervientpardesmédiations

    Lesongeetla«gravemaladie»LesangesetMélanie

    Lediable:l’anti-médiateurRésistancesàlagrâce

    DEUXIÈMEPARTIE:LECOMBATSPIRITUELDANSL’ENSEIGNEMENTD’ÉVAGRE

    ChapitreI:LacrainteduSeigneur«LacrainteduSeigneurestl’instructionetlasagesse»

    L’instructionquiconduitàl’apathéiaLasagesse

    Placede«l’instructionetlasagesse»danslaviespirituelle

    Situationducombatspiritueldanslecheminementspirituel

    Lecaractèredynamiqueetprogressifdelaviespirituelle

    Ledynamismeducombatspirituel:sedétournerdumalpoursetournerversDieu

    ChapitreII:LeChrist

  • «LadoctrineduChrist»

    LeChristéduqueparsavie;ilestnotremodèle

    LeChristestlemodèlequenoussuivonsjusquedanssamort

    LeChrist,«uniquecheminquiadit:“Jesuislechemin”»

    LecorpsduChristestlechemin

    L’âmeparticipeauChrist.Illuiconfèrel’adoptionfiliale

    Lafiliationadoptiveetl’Espritsaint

    Conduitsà«LascienceduChrist»

    ChapitreIII:LedémonLesnaturesraisonnables:anges,démonsethommes

    Ledémon:unêtreencolère

    Ledémonpeut-ilêtresauvé?

    Lapuissancedudémon

    Lapermissiondumal

    Ladéréliction

    Unepuissancelimitée

    Unepuissancedontilnefautpasavoirpeur

    ChapitreIV:L’actiondudémonL’actiondesdémonssurlecorps

  • Leslogismoi:«lesfiletsdesdémons»

    Lesdeuxguerres

    Quesontleslogismoi?L’originedeslogismoiLanaturedeslogismoiUnessaideclassification:leshuitlogismoi

    ChapitreV:«Leslogoidelaguerre»et«leslogoidelapraktikè»Logos,logikos,logoi,logismoi

    Contempler«leslogoidelaguerre»

    Unexemple:les«logoidutemps»

    «Leslogoidelapraktikè»:s’adonneràlaguerreavecscience

    Dequelquesremèdespourrendreàl’hommesonhistoire

    Lalectureetlapsalmodie

    L’actiondegrâce

    Lacharité

    ChapitreVI:L’artdelaguerreDequelquesarmesfondamentales

    L’anachorèse

    L’antirrhétique

    Lacolère

  • Leglaiveetlafronde

    «Chasserunclouparl’autre»

    Fairediversion

    Leslarmesetlaconsolationdel’âme

    Nepasdésirerlesphénomènesmystiques

    ChapitreVII:Verslavictoire:persévérance,prudenceetdiscernementUnelonguemarchepersévérante

    Unemarcheprudente:«Aumomentetdanslamesurequiconviennent»

    Unemarcheclairvoyante:lediscernement

    Observeretanalyser:«Soisleportierdetoncœur»

    Lediscernementdesesprits

    Conclusion

    Annexe:Extraitduchapitredelaversiongrecquedel’HistoireLausiaque

    Bibliographie