villes du monde extraits

35

Upload: gerardman-vuh

Post on 26-Oct-2015

440 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Villes Du Monde Extraits
Page 2: Villes Du Monde Extraits

VILLESDU

MONDE 1870/1939COLLECTIONS PHOTOGRAPHIQUES

DE LA BIBLIOTHÈQUE DE L’HÔTEL DE VILLE

Agnès Tartié

IntroductionPierre-Alain Tilliette

Page 3: Villes Du Monde Extraits

AVANT-PROPOS

Villes du monde, collections photographiques de la Bibliothèque de l’Hôtel de Villeest une invitation au voyage dans le temps et l’espace à travers un ensemble dephotographies prises dans les grandes métropoles étrangères du monde entier,entre 1870 et 1939. Provenant de différends fonds de la Bibliothèque qui témoignent de sa richesseet de sa diversité documentaire, les photographies reproduites mettent en présenceles regards de l’amateur éclairé, de l’urbaniste, de l’architecte et de l’ingénieur,pour nous faire découvrir des aspects méconnus de New York ou de Hanoï, deMelbourne ou de Moscou, alors théâtres de grandes transformations. À l’heure où l’espace urbain se trouve au centre de tous les enjeux et où les citadins doivent réinventer sans cesse l’harmonie entre qualité de vie, préser-vation de l’environnement et fonctionnalité, ces photographies qui figent pourl’éternité des villes en devenir, parlent autant au cœur qu’à l’esprit. Je forme le vœu qu’un grand nombre de lecteurs puisse découvrir cettepart méconnue des précieuses collections photographiques conservées parla Bibliothèque de l’Hôtel de Ville.

Bertrand Delanoë

L’EXPOSITION

Comité d’honneur

Bertrand DelanoëMaire de Paris

Danièle PourtaudAdjointe au maire, chargée du Patrimoine

Bruno JulliardAdjoint au maire, chargé de la Culture

Régine HatchondoDirectrice des Affaires culturelles de la Ville de Paris

Jean-Marie BorzeixPrésident de Paris bibliothèques

Comité d’organisation

Francis PilonSous-directeur de l’Éducation artistique et des Pratiques culturelles

Marie-Noëlle VilledieuChef du Bureau des bibliothèques et de la lecture

Pierre CasselleConservateur général de la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville

Carole MédrinalDirectrice de Paris bibliothèques

Commissariat de l’exposition

Agnès TartiéBibliothécaire spécialisée, chargée du fonds photographique à la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville

Conseil scientifique

Pierre-Alain TillietteConservateur en chef, chargé des fonds étrangers à la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville

ScénographieMarie-Noëlle Perriauavec le concours du service « Ateliers évènements » du Service technique du génie civil et des aménagements intérieurs (STGCAI)

GraphismeRobaglia design, Antoine Robaglia assisté de Nathalie Bigard

LE LIVRE

Direction éditorialeMarie-Brigitte Metteau

Conception graphiqueRobaglia design, Antoine Robaglia assisté de Nathalie Bigard

Photogravure/impressionMusumeci S.p.A. (Italie)

L’ouvrage est réalisé avec la participation de :la SAEML Parisienne de photographie, délégataire de service public pour la reproduction des collections de la Ville de Paris.l’Atelier de restauration et de conservation des photographies de la Ville de Paris (ARCP).

Nous adressons nos sincères remerciements en particulier à M. Alain Lausi, à Mmes Anne Cartier-Bresson, directrice de l’ARCP,Nathalie Doury, directrice de la Parisienne de photographie,ainsi qu’à Mmes Christina Berenson (Conservationde Central Park, New York), Lola Carsault, Delphine Desveaux et Cécile Gallais (Parisiennede photographie), Kristen Hély, Marie-Anne Maillard,Sandra Saïd et Marsha Sirven (ARCP), Hélène Samson (Musée McCord, Montréal) ; MM. Jean-Philippe Boiteux et Ragounathe Corydon(ARCP), Vincenzo Ferraro (Archives municipales,Turin), Bob Lansdale (Photographic historical Societyof Canada).

Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition

VILLES DU MONDE (1870-1939)Collections photographiques de la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville présentée à la Galerie des bibliothèques de la Ville de Paris, 22 rue Malher, Paris 4e, du 5 septembre 2013 au 24 novembre 2013.

©BHdV/Roger-Viollet, pour l’ensemble des photographies reproduites dans l’ouvrage, à l’exception des photographies suivantes : 1-7, portrait par Nadar (p. 9), 11, 12, 18, 19, 20, 21, 22, 29, 31, 32-35, 45-47, 49, 51-53, 64-65, 70-71, 75-76, 85-86, 88-89, 102-108.©BHdV/ARCP/Mairie de Paris/Tirage : Jean-Philippe Boiteux.

Paris bibliothèques est l’éditeur des bibliothèques de la Ville de Paris.

Paris bibliothèques3, impasse de la Planchette75003 Pariswww.paris-bibliotheques.org

Code EAN : 9782843311987

Page 4: Villes Du Monde Extraits

VILLES DU MONDE

SOMMAIRE

ÉCHANGER LE MONDE [P. 6]

RÉFLEXIONS SUR LA CONSTRUCTION PHOTOGRAPHIQUE DU PAYSAGE URBAIN [P. 10]

ALBUM [P. 40]

BIBLIOGRAPHIE [P. 128]

1

2

4

5

3

6

7

Page 5: Villes Du Monde Extraits

76

VILLES DU MONDE

Dans un discours à ses collègues de l’Hôtel de Ville, EugèneDelacroix, en qualité de conseiller municipal de la « premièreville du monde » prenait ainsi la défense du vieux Paris : « Nevous y trompez pas, Messieurs, ce que les étrangers viennentadmirer à Paris, ce ne sont pas des rues tirées au cordeau et tousles perfectionnements matériels dans lesquels les étrangersnous ont devancés et nous devancent encore à l’heure qu’ilest I. » Il annonçait ainsi en creux, sans s’en douter, l’idée réci-proque qui présiderait vingt ans plus tard, en 1877-1878, à lacréation de la Section étrangère de la bibliothèque du nouvelHôtel de Ville II. Elle avait pour mission de documenter lesédiles parisiens sur lesdits perfectionnements matériels.Ferdinand Duval, le préfet de la Seine, envoya alors une lettrecirculaire à un grand nombre d’administrations étrangères,leur proposant un échange de leurs publications respec-tives, désireux qu’il était de réunir dans sa bibliothèque « unecollection aussi complète que possible des documentsadministratifs publiés par les principales villes dumonde III ». Il s’agissait d’une démarche utilitaire  : «  Ilfaut reconnaître que Paris, malgré ses merveilles, peutemprunter des exemples et même des modèles à d’autresgrandes cités IV. »

Cette idée d’aller «  voir ailleurs  » n’était du reste pas neuveet l’Hôtel de Ville avait été le témoin privilégié de l’entrepriseédifiante et des efforts héroïques d’un personnage hors du com-mun, le ventriloque philanthrope Alexandre Vattemare (1796-1864), dont nous avons naguère raconté l’histoire haute en cou-leur V. Ses talents extraordinaires valurent à ce Parisien d’ori-gine normande de connaître une gloire internationale. Lors deses tournées théâtrales à travers toute l’Europe de la premièremoitié du XIXe siècle, il se rendit compte du nombre impression-nant de documents en double qui partout dormaient, dans lesbibliothèques, les musées, les cabinets de curiosité. Il eut alorsl’idée de les faire circuler en créant le premier «  systèmed’échange international  ». La philosophie qui sous-tendaitle fonctionnement de son Agence centrale des échanges étaitsimple et généreuse : « Son véritable et profond dessein estl’union intellectuelle des nations, et pas seulement de leurshommes d’État, universitaires, ou artistes [...] L’on peut y par-venir en créant des bibliothèques publiques, librementouvertes à tous, où les contributions venant de toutes lesparties du monde seront rassemblées et mises à la portéede chacun. [...] il n’est pas l’ami de son pays, celui qui veut per-suader son peuple que toute perfection humaine ne reposequ’en son sein, et ne se peut trouver que dans ses propres insti-tutions VI. » Autre chose fut l’accueil souvent enthousiaste qu’ilreçut à l’étranger – et en particulier aux États-Unis –, autre

chose la frilosité des administrations françaises – à l’excep-tion notable de la Ville de Paris, qui vota en 1842 une délibé -ration approuvant l’idée de ces échanges. C’est ainsi quela Bibliothèque de l’Hôtel de Ville se vit doter, dans les années1850, d’une quatrième salle exclusivement dévolue à laBibliothèque américaine de la Ville de Paris, comptant quelque15 000 volumes en 1860. Cet intérêt de l’Hôtel de Ville pour lesréalisations étrangères se manifeste également dans le rapportde 1859 de Victor Foucher au Conseil municipal sur la biblio-thèque de la Ville, qui soulignait l’intérêt d’y trouver desouvrages «  se rapportant aux États étrangers, afin depermettre l’étude comparative des institutions munici-pales dans leurs rapports avec les lois, les mœurs, lesrichesses, les industries des populations, comme avec lesinstitutions territoriales et les conditions atmosphériquesdans lesquelles les grands centres se sont développés VII ». La Bibliothèque américaine ayant été en grande partie démé-nagée en 1869, faute de place, échappa ainsi à l’incendie de mai1871 qui ravagea l’Hôtel de Ville. Accueillie quelques tempsdans le 16e arrondissement pour y former l’éphémère « collec-tion américaine » de la bibliothèque municipale, elle fut finale-ment retournée à l’envoyeur vers la fin de l’année 1872, et jouaalors le rôle de catalyseur dans la formation d’une sectionétrangère au sein de la nouvelle Bibliothèque administrative,laquelle mit en œuvre à son tour une politique d’échanges depublications avec le monde entier. C’était la puissante adminis-tration de la Seine qui présidait désormais à l’organisationd’échanges répondant beaucoup plus aux objectifs pragma-tiques énoncés par le conseiller Foucher qu’aux visées philan-thropiques de Vattemare. Et la Section étrangère de la biblio-thèque connut un accroissement si rapide qu’il en fut renducompte élogieusement dès le 21 janvier 1878 dans le JournalOfficiel  : «  Il n’existait encore rien de semblable [...] De notretemps on ne conçoit plus la statistique que traitée comparative-ment. Mais bien d’autres services auront encore à utiliser cettecollection, renfermant déjà quantité d’utiles matériaux surla salubrité, l’hygiène, la médecine, les travaux publics, la voirie,les eaux et les égouts, le gaz, l’éclairage, l’assistance publique,l’enseignement, les écoles, les finances municipales, les exposi-tions, les voitures, les théâtres, etc. » Les autorités municipalesaussi s’enorgueillissent  : l’on «  peut dire que, dans un ordremodeste, la bibliothèque étrangère [...] réalise pour la scienceadministrative le progrès que les expositions interna -tionales ont réalisé pour l’industrie  ; comme celles-ci,elle donne lieu à un échange continu de pensées et de travaux entre les diverses nations de l’univers VIII ». Au 31 décembre 1912, la section renferme un total de36 908 volumes (pour 8228 titres). Selon l’article susmen-

ÉCHANGER LE MONDE

Aux origines de la collection de photographies étrangères

Double page précédente :1 Jozef Hofer, [Vuesde Bratislava], 1922, 28 x 24 cm.

2 [Paterson brothers & CharlesNettleton], Panorama of the Cityof Melbourne, Australia,vers 1878, 50 x 64 cm.3 [William Notman], [Vues deMontréal], vers 1878, 37 x 29 cm.

4 Anonyme, Central Park views,vers 1875, 28 x 37 cm.

5 Karl Ferdinand Bellmann (éd.),[Prague], vers 1890, 24 x 34 cm.6 Anonyme, Rome, 1938, 30 x 42 cm.

7 Leontin LudwigovitchKonosevitch, Album du sacre de Leurs Majestés Nicolas IIempereur et AlexandraThéodorovna impératricede toutes les Russies à Moscou,14 mai 1896, 36 x 44 cm.

Page de gauche :R. Delafontaine. La salle de lecture de la bibliothèque de l’Hôtel de Ville,1900. Aquarelle.

Page 6: Villes Du Monde Extraits

98

VILLES DU MONDE

L’envoi d’albums, comme celui de beaux livres, ressortissaitplutôt à des occasions spéciales de marquer l’amitié. De même,la préfecture de la Seine ne dut faire que quelques envoisde photographies à l’étranger. Par exemple, en reconnaissancede l’accueil réservé aux conseillers parisiens Jobbé-Duvalet Amouroux à l’exposition internationale de Boston en 1883,la municipalité bostonienne reçut deux magnifiques albums dephotographies toujours conservés à la Boston Public Library XIV :« témoignage d’estime et de bonnes intentions de la part d’unegrande et intelligente municipalité à l’égard d’une autre » XV, enéchange desquels l’Hôtel de Ville de Paris ne reçut pas dephoto graphies, mais de beaux ouvrages sur l’histoire de Boston,joliment reliés XVI.Il faut savoir aussi que les publications officielles des munici-palités du monde entier que conserve la Bibliothèque de l’Hôtelde Ville au tournant des XIXe et XXe siècles sont souvent illustrées de photographies imprimées, leurs rédacteursn’ignorant pas dès cette époque que le « poids des photos » peutretenir l’attention parfois sommaire des lecteurs de leurs rap-ports – William Taft, raconte-t-on, disait même que, lorsqu’ilvoulait tenir une information secrète, il la mettait dans soncompte rendu annuel.  Comme le notait Morris LlewellynCooke, directeur des travaux publics de Philadelphie dans sonrapport de 1914 :  « Regardez au moins les images XVII ! »

Si le nombre de photographies arrivées dans le cadre deséchanges internationaux de la Préfecture est resté trèsmodeste, en revanche par leur qualité et leur intérêt, cesalbums, à l’instar des reliquiæ de la Bibliothèque américainequi avaient suscité la création de la Section étrangère, ontengagé la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville, tout au long de sonhistoire jusqu’à nos jours et dans le cadre de ses missions,à enrichir sa collection de clichés de villes étrangères XVIII.

Pierre-Alain Tilliette

I. BHdV, Ms 2195, f.3, brouillon de discours,ca 1855. Delacroix démissionnera du Conseilmunicipal en novembre 1861 (Ibid., f .10). II. Après l’incendie de la Commune quidétruisit l’Hôtel de Ville, le 24 mai 1871, la Bibliothèque de la Ville de Paris futreconstituée en deux établissementsdistincts, la Bibliothèque historique sous ladirection de Jules Cousin, et la Bibliothèqueadministrative, elle-même divisée en deuxsections, l’une française, l’autre étrangère.III. Par exemple, lettre du 26 sept. 1877 aumaire de Manille-Île de Luzon, Philippines,BHdV Ms 1760, f.46. IV. Edmond DARDENNE, Rapport… Préfecturede la Seine, commission des bibliothèques,1883, p.12.V. Pierre-Alain TILLIETTE et Earle HAVENS

(dir.), L’Ambassadeur extravagant, AlexandreVattemare, ventriloque et pionnier des

échanges culturels internationaux, Parisbibliothèques, Boston Public Library, Le Passage, Paris-Boston, 2007.VI. Alexandre VATTEMARE, Lettre du 11 août1848 au Congrès américain, « Its true andultimate design is the intellectual union ofnations, and not merely of their statesmen,scholars, or artists (...) This may be done bycreating public libraries free to all, wherethese contributions from all parts of the worldmight be brought together and placed withinthe reach of all. (...) he is no friend of hiscountry who would persuade her people thatall human perfection dwelt within them, andwas to be found only under the institutionsthey enjoyed ».VII. Victor FOUCHER, Rapport fait au Conseilmunicipal de Paris… sur la bibliothèque de laVille… dans la séance du 20 mai 1859, 1859,p.12. (BHdV 21522).

VIII. Dardenne op. cit., p.12.IX. BHdV. Ms 1108, f. 131.X. Claude BAILLARGEON, « Vattemare et ladiffusion transatlantique des pratiquesphotographiques », in L’Ambassadeurextravagant, op. cit., p.207-215.XI. Professeur de lettres, né en 1818, Louis-Auguste Canot entra dans l’administration àl’âge de 62 ans et resta en poste à l’Hôtel deVille jusqu’à ses 80 ans. « Il ne connaît passeulement les langues latines, germaniques,scandinaves et slaves, mais aussi le magyaret le finnois ; il a étudié l’hébreu, l’arabe, lesanscrit et même le chinois et le japonais »(BHdV Ms 26, f. 54v°).XII. BHdV Ms 1205 f.65-66. XIII. Soit treize entrées dans le Catalogue de laBibliothèque administrative, section étrangère,1892, nos 195, 643, 679, 1083, 1155, 1184, 1288,3079, 4453, 4491, 5261, 5673, 5674. Dans le

registre d’inventaire manuscrit de 1901, onretrouve par exemple les vues de Montréal(n°2769), Florence (5886), Melbourne (5897et 5933), Vienne (5931), Toronto (5942),avec à chaque fois dans la margel’annotation « échanges internationaux ».XIV. Ville de Paris. Direction des travaux.Reconstruction de l’Hôtel de Ville.Hommage du Conseil municipal de Paris à lamunicipalité de Boston. Reliure de dédicaceaux armes de la Ville : photographies deFernique, 6 plans, 4 façades dont 2 dépl.,coupes dont 1 dépl. Cote 340 762.- Ville deParis. Vues des principaux monuments.Hommage du Conseil municipal de Paris à lamunicipalité de Boston. Reliure de dédicaceaux armes de la Ville : 38 photographies,la grande majorité estampillées Durandelle,un Marville et 29 héliogravures (Lampué).Cote 340 760.

XV. Proceedings of the Board of aldermenSeptember 24, Boston, 1883, p. 427: « atestimonial of esteem and good will on thepart of one great and intelligent municipalityfor another ».XVI. Catalogue du fonds des États-Unisd’Amérique, 2002, « Collections de laBibliothèque administrative de la Ville deParis », t. 2, notices nos 2149, 2209-2215,2217-2222, 2229.XVII. « At least, look at the pictures! », Annualmessage of the Mayor of Philadelphia, 1914,vol. II, p.13.XVIII. Agnès TARTIÉ, « Les photographies du fonds étranger de la Bibliothèqueadministrative » in Collections parisiennes,troisième trimestre 2000, n° 5, p. 9-17.

tionné du Journal Officiel, cette collection «  fait honneur à l’administration de la ville de Paris, d’autant qu’elle a étéconstituée sans frais, comme sans bruit, la Ville ayant échangéses publications municipales [...] avec les pays étrangers ». Sansfrais, c’est oublier l’intendance : transports, reliure, achats pourcompléter les collections… Sans bruit, c’est désigner l’insuf -fisante utilisation de cette mine documentaire, dont le plusgrand mérite aura peut-être été de témoigner d’un âged’or d’une certaine « entente cordiale » municipale… Finalement, après avoir subi le choc de la Première Guerremondiale, puis avoir été frappés par de sévères coupes budgé-taires dans les années 1920, les échanges périclitèrent : ce quicontinuait à arriver fut entassé, donné ou bien éliminé, et la lettre d’Adolphe Thiers adressée à Vattemare le 22 janvier 1839s’avérait prophétique : « Monsieur, votre projet d’un échange delivres entre tous les pays est un projet fort beau, fort utile, et jefais des vœux pour son succès. Mais je crains fort les difficultésmatérielles que vous ne manquerez pas de rencontrer IX. »Restent malgré tout aujourd’hui à l’Hôtel de Ville quelque45  000 volumes formant une collection unique en son genrepour l’histoire urbaine à travers le monde à la charnière desXIXe et XXe siècles.

Vattemare, toujours, a été l’un des premiers à attirer l’attentiondes ingénieurs français sur l’intérêt de la photographie appli-quée aux travaux publics et à l’architecture X. Ainsi, l’Écoleimpériale des ponts et chaussées met en place des ateliers dephotographie à la suite de la découverte des photographiesaméricaines d’architecture que Vattemare lui procure par lebiais de ses échanges. Le 13 novembre 1860, ce dernier annonceà Haussmann l’envoi de 272 clichés et vues de constructionspour la Bibliothèque américaine de la Ville de Paris. Hélas, sicet envoi a bien été effectué, les photographies seront restéesdans l’Hôtel de Ville avec les plus beaux ouvrages, pour dispa-raître, comme les Oiseaux de l’Amérique du Nord, de John JamesAudubon, dans l’incendie de 1871.Qu’en fut-il des photographies au sein de la Section étrangèrede la nouvelle bibliothèque de l’Hôtel de Ville ? À sa création en1879, le deuxième Bureau du cabinet du Préfet s’appelaitBureau des bibliothèques et des traductions, et Auguste Canot,le responsable de la Bibliothèque administrative étrangère,était également le traducteur général de la Préfecture XI. Ainsipar exemple, d’octobre 1888 à octobre 1889, ce sont 302 piècesou documents parvenus à la Préfecture qu’il eut à traduire enplus du traitement des 850 volumes reçus à titre d’échange XII.S’il est pourtant des documents qui se seraient passés de traduc-tion, ce sont bien les photographies. Or, elles ne représen tèrentqu’une goutte d’eau dans le flux général des échanges XIII.

Nadar. Alexandre Vattemare, 1858. Photographie positive sur papier salé, 22,5 x 18 cm.

Cachet du Système d’échange international revêtu de la signature de son fondateur, Alexandre Vattemare.

Josiah Bruce & Co. Toronto, vue générale (à gauche, Church street ; au centre, Metropolitan methodist church et St Michael cathedral ; au premier plan, College of technology), 1878. Au bas, figure le cachet de la Section étrangère de la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville. Photographie positive sur papier albuminé, 19,6 x 24,1 cm.

8

Page 7: Villes Du Monde Extraits

10

VILLES DU MONDE

11

En écrivant que la photographie était «  une mince tranche d’espace et de temps »1, Susan Sontag souligna clairement le lien unissant la techniquephotographique et les savoirs géographique et historique, et sans doute est-ce dans la photographie de paysages que cette confluence se perçoit le mieux. Par sa capacité mécanique à enregistrer le visible et l’accès immé-diat à son contenu, ce medium supposé objectif peut être considéré commeune preuve de réalité et une source de savoir concernant les paysages aumoment où ils ont été photographiés ou dans la longue durée (depuis 1839du moins), et c’est dans cette perspective que les disciplines géographiqueet historique en ont fait usage, depuis la Mission héliographique (1851)jusqu’à la Mission photographique de la DATAR (1984) en passant parles Archives de la planète (1912) commanditées par Albert Kahn et dirigéespar le géographe Jean Brunhes. Toutefois, l’étymologie du mot « paysage »(de l’italien paesaggio : « ce que l’on voit du pays ») invite à dépasser le rôleinformatif de la photographie «  paysagique  », pour reprendre le néologismemoqueur de Lucien Febvre, et à poser là aussi clairement que «  la mincetranche » évoquée par S. Sontag résulte d’une coupe dans la réalité, couperéalisée par le photographe lui-même. Les paysages urbains, autrefois simplement appelés « vues », que montrentles photographies publiées ci-après, offrent donc plusieurs niveaux de lecture et d’analyse : de simples vues de villes, dans lesquelles une histoireparticulière affleure, à replacer dans l’histoire générale des villes et de l’urbanisme, et de multiples conditions et contextes de prises de vues quitiennent à l’histoire des représentations et des objets. C’est sous ce doubleaspect que nous les regarderons, en nous intéressant d’abord à la produc-tion de ces vues.

RÉFLEXIONS SUR LA CONSTRUCTION PHOTOGRAPHIQUE DU PAYSAGE URBAIN

9

Page 8: Villes Du Monde Extraits

13

Analyser l’élaboration photographique du paysage urbainsuppose de disposer d’un corpus significatif de vues repré-sentant la ville. La collection de la Bibliothèque de l’Hôtel deVille se prête bien à cette étude, car elle contient environ unmillier de photographies prises entre 1860 et 1950 montrantla ville ou plus exactement les villes  : Paris, naturellement,mais aussi de très nombreuses villes étrangères photo -graphiées par des photographes locaux ou par des Français partis à l’étranger pour leur travail ou en voyage d’agrément.Ainsi, cinq fonds ont pu être utilisés pour former un corpusd’images de villes qui couvre les cinq continents.

L’ubiquité photographiqueL’Afrique est représentée par trois albums : le Voyage officieldu président de la République française Gaston Doumergueen Tunisie, avril 1931 (40 vues signées Soler) (ill. 66-67)*,le Voyage en Algérie de M. Alexandre Millerand,… 16-26 avril1922 (40 vues anonymes en album publié sous l’égide duGouvernement général de l’Algérie) (60-63, 65), et Vues deTananarive (28 vues anonymes, vers 1900) (68-69). Viennents’y ajouter quelques photographies isolées (55), de mêmequ’environ 500 négatifs sur support souple réalisés parGeorges Chevrier dans les années 1910-1920 (56, 59) etquelques plaques stéréoscopiques de Paul Lhuillier surTanger et Carthage (18, 64), qui appartiennent les uns commeles autres au fonds Lausi.

Pour l’Amérique, nous disposons de cinq albums : deuxalbums reliés sous le titre Central Park views ont été commandités par le Department of public parks de New York(44 vues, vers 1875) (4, 78-80) ; deux autres albums sontconsa crés au Canada, l’un à Montréal qui contient des photo -graphies du studio Notman (Vues de Montréal, 49 vues, vers1875) (3, 23, 82-84) et l’autre à Toronto avec des photographiesde Josiah Bruce (Vues de Toronto, Canada, 15 vues, 1878) (8, 15) ; un dernier album relate en 14 vues à caractère ethno-logique la Mission à la Terre de Feu accomplie en 1890 par Henri Rousson et Polydore Willems, photographes decirconstance (70-71). Quelques photographies sur la vieaméri caine dans les années 1925-1950, provenant des collec-tions de Georges Benoit-Lévy, fondateur de l’Association descités-jardins de France, complètent cet ensemble (9, 77, 81).

Pour l’Asie, nous disposons d’une soixantaine de photo -graphies souvent anonymes prises en Indochine sous l’égidedu Gouvernement général dans les années 1920 et provenantdu Ministère des colonies (72-74), tandis que l’Australie estreprésentée par 29 vues publiées dans deux albums :

Panorama of the City of Melbourne, Australia (13 épreuvesdes frères William et Archibald Paterson et de CharlesNettleton, vers 1875-1878) (2, 75-76) et Views of Melbourneand suburbs, colony of Victoria (16 photographies deC. Nettleton et John Noone, vers 1874).

L’Europe est le continent pour lequel la documentation photo - graphique est la plus abondante. Pour l’Italie, on compte203 photographies en trois ensembles : 21 vues d’écoles turi-noises prises par Giovanni Battista Berra entre 1880 et 1894(14), 24 photographies de Florence prises par les frèresAlinari vers 1865-1875 (16, 42-44) et Rome 1938, album de157 vues anonymes (6, 36-40)  ; pour l’ancien empire austro-hongrois, 68 vues : un lot de 24 photographies majoritairementanonymes sur Vienne et Budapest prises entre 1872 et 1890(92, 97-101), et deux albums sur Prague (11 vues éditées parKarel Ferdinand Bellmann, vers 1890) (5, 93-94) et Bratislava(33 épreuves de Jozef Hofer, 1922) (1, 95-96) ; et pour l’empirerusse, 64 photographies exclusivement sur Moscou endeux albums : Album du sacre de leurs majestés Nicolas IIet Alexandra Theodorovna à Moscou, 14 mai 1896 (24 vuesde Léontin Ludwigovitch Konosevitch) (7, 87) et TrestStroitel’stva naberežnyh 1935 g., recueil de 40 vues sur lesquais de Moscou commanditées par le Mossovet, le Conseilmunicipal de Moscou (90-91). Pour d’autres villes, la documen-tation iconographique est constituée par des fonds défiantles frontières. Ainsi, les vues stéréoscopiques réalisées parP. Lhuillier lors de ses voyages touristiques montrent desvilles d’Espagne, d’Italie, de Russie et d’Allemagne (photo

de couv., 12, 18-22, 31-35, 45-53, 85-86, 88-89, 102-108, photo de

quatrième de couv.) ; la collection Benoit-Lévy, déjà citée, fournit des vues sur l’Angleterre et l’Espagne (24-26) ; les cartespostales photographiques issues des papiers de Pierred’Espezel montrent également des villes italiennes et néerlan-daises (27-28, 41), tandis que des photographies de FranciscoRocchini, issues du fonds Davioud, évoquent Lisbonne (17, 54).

Quoique modeste et hétérogène, cette collection de photo-graphies documentaires, paraît un bon point d’observationpuisque l’on peut y voir à l’œuvre les hommes, les techniqueset les concepts qui participent au processus de fabrication dupaysage photographique urbain entre 1870 et 1940, périodeoù notre documentation est la plus fournie.

Citadins et industrielsIl apparaît tout d’abord que la photographie est intimementliée à la ville. C’est en effet là que se trouvent les producteursd’images, les sujets à photographier, les fournisseurs d’optique

et de produits chimiques et la clientèle. Ainsi, alors qu’en1851 on ne recense que 11 daguerréotypistes au Canada, NewYork en compte déjà 200 en 1858 ; en 1896 encore,l’Annuaire-almanach du commerce… dénombre 6 photo-graphes à Florence (164 000 hab.), 9 à Turin (329 000 hab.)et 28 à New York (près de 3 millions d’hab.)2, mais il s’agitbien sûr des studios les plus notables parmi lesquels figurentAlinari Fratelli et Berra (1811-1894). Car le monde des photo-graphes n’est pas homogène  : amateurs et professionnels forment deux groupes distincts, et les professionnels se divisent à leur tour entre photographes indépendants et studios commerciaux. C’est majoritairement à ces derniersque l’on doit les photographies de notre corpus.

Tous les photographes identifiés de ce corpus, profession-nels comme amateurs, sont des citadins. À l’exception destouristes, ils habitent et travaillent dans la ville qu’ils photographient, même s’ils n’en sont pas natifs : Nettleton(1826-1902) est arrivé d’Angleterre en Australie en 1854comme chercheur d’or, Notman (1826-1891) de Glasgow àMontréal en 1856 après une faillite et Bruce (1840-1913)quitta Guelph, petite ville de l’Ontario (1 200 habitants en 1840),pour Montréal vers 1862. Pour ceux qui sont nés vers 1820, laphoto graphie est rarement leur premier métier  : ils y vien-nent après avoir été peintre (Berra) ou architecte (Bruce),avoir travaillé dans la chalcographie (L. Alinari), ou encoredans le commerce colonial, comme Johann Friedrich Stiehm(1826-1902) ou celui de mercerie comme Notman. C’estl’époque où, selon le mot de Nadar, « tout un chacun classé ouà classer s’installait photographe : clerc d’étude qui avait unpeu négligé de rentrer à l’heure un jour de recette, ténorde café-concert ayant perdu sa note, concierge atteint de lanostalgie artistique 3. » Il est cependant avéré que Notman etBruce ont pratiqué la photographie en amateurs avant d’enfaire leur métier, tandis que Rocchini (1822-1895) futd’abord menuisier spécialisé dans la fabrication des chambresphoto graphiques en Italie puis au Portugal. Pour la géné -ration suivante, celle née en même temps que la photo -graphie, ces « pionniers », soucieux d’innovation et de péda-gogie, seront des formateurs  : J. Bruce fera ainsi ses armeschez Notman, d’abord à Montréal avant de prendre la directiondu studio de Toronto, puis de fonder sa propre affaire.

C’est en entrepreneurs que ces hommes se lancent dans lemétier de photographe et qu’ils ouvrent un studio à unemplacement bien choisi, parfois aidés par leur ancienpatron comme L. Alinari à qui G. Bardi apporte un finan -cement en 1852 ou Notman que ses employeurs libèrent

12

VILLES DU MONDE

1DES LIEUX ET DES PHOTOGRAPHES

à la période creuse hivernale pour tenter l’aventure dès 1856. Mais le métier est lucratif  : les 200 daguerréo -typistes new yorkais dénombrés en 1858 produisent enmoyenne 50 pièces par jour et dégagent 2 millions de chiffred’affaires… Le succès de nos photographes repose généra -lement sur le portrait, puis sur les tirages au format « carte devisite » ou stéréoscopiques réalisés avec un appareil à objec-tifs multiples permettant en une manipulation de prendreplusieurs images ou encore sur des spécialités comme lesphotographies composites ou les grandes épreuves qui sontd’ordinaire des produits de luxe. Leur activité mêle ainsi qua-lité sanctionnée lors des expositions spéciales ou univer-selles et quantité – dans une logique de production et de commercialisation largement répandue lors de la seconderévolution industrielle. Leur studio ressemble d’ailleurs biensouvent à une petite entreprise industrielle, avec sa chambrede pose, son laboratoire, son atelier. En 1874, Notmanemploie jusqu’à 55 personnes dans son studio de Montréal oùle personnel est très spécialisé  : d’une part, le service artis-tique avec les peintres, les retoucheurs, de l’autre, les techni-ciens se divisant en opérateurs d’intérieur et d’extérieur,assistants, tireurs, massicoteurs… L’entreprise des frèresAlinari, qui se sont d’emblée partagés les tâches, – Leopoldo(1832-1865) et Giuseppe (1836-1890) sont photographes etRomualdo (1830-1890) s’occupe de l’administration –, compteprès de 100 personnes en 1900. Les journées de travail y sontde dix heures l’été et neuf heures l’hiver et les opérateurs sontrécompensés par des primes pour la qualité de leur travail,alors même que leur identité réelle disparaît sous la raisonsociale de leur employeur (Fratelli Alinari, Studio Notman,J. Bruce & Co).

Le développement de ces entreprises s’appuie sur des levéesde capitaux et l’extension des chemins de fer. Ainsi,W. Notman put ouvrir six succursales au Canada et dix-neufaux États-Unis (avec les studios temporaires des colleges).Tandis qu’Alinari Fratelli installait modestement des repré-sentants à Rome et Venise, publiait des catalogues et nouaitcontact avec Giraudon en 1881 pour sa diffusion en France,il commercialisait ses vues non seulement dans ses studios,mais aussi dans les hôtels – comme le Windsor Hotel, quiabritait l’un d’eux en rez-de-chaussée –, les papeteries, leslibrairies, les gares du Canada et du nord-est des États-Unis,tous lieux annonciateurs des points de vente de la carte pos-tale photographique et imprimée, dont la production, liée audéveloppement du tourisme, offrit à partir des années 1890un nouveau débouché à la photographie (Aerofilms ltd,Soler) comme à l’édition (Bellmann, Hofer, Sleding).

Double page précédente :9 Metropolitan Photo Service. La circulation dans Manhattandepuis le 11e étage de l’Equitablebuilding (383-399 7th Avenue),vers 1923-1925.Photographie positive sur papier

au gélatinobromure d’argent, 16,5 x 21,8 cm.

* Les numéros entre parenthèses

renvoient aux images reproduites

dans l’ouvage.

Page 9: Villes Du Monde Extraits

1514

VILLES DU MONDE

Au service des bâtisseurs de villesEn 1873, le studio montréalais de Notman produisit14  000 négatifs pour répondre aux commandes de sa clien-tèle de particuliers canadiens et étrangers, mais aussi à cellesdes grandes entreprises de transport et de construction,aussi actives dans la fabrication de la ville nouvelle que lesmunicipalités. C’est ainsi qu’à la demande du Grand Trunkrailway, il photographia la construction du Pont Victoria dès1858, tout comme Alinari réalisa au moins un reportage pourla Florence Land Company limited, société adjudicatrice de lamajeure partie des travaux réalisés dans les années 1870à Florence, tandis que Rocchini exécutait des commandes pourles compagnies des eaux et de chemins de fer portugaises.

Quant aux administrations, elles ne négligeaient pas laphoto graphie, puisqu’elles incluaient des vues originalesdans leurs publications et commandaient elles aussi desreportages4. Ces commandes pouvaient être ponctuelles,comme celle confiée en 1882 à Berra par le Ministère de l’instruction publique italien pour des prises de vue à Turin,Suse et Aoste. Mais certains photographes étaient aussi par-fois très régulièrement appelés, au point d’acquérir le statutde special photographer comme les frères Alinari, photo-graphes officiels du gouvernement, quand Florence devintcapitale de l’Italie (1864), ou Bruce, mandaté par le City engineer’s Office de Toronto pour photographier les grandstravaux entrepris sous l’égide de la municipalité (1894-1898)ou encore Nettleton, qui travailla pendant vingt cinq anspour la police de l’État de Victoria tout en étant le photo-graphe attitré du gouvernement et de la corporation deMelbourne. Au XXe siècle, cette pratique ne disparut paset Hofer photographia les monuments de Bratislava pourle compte du musée municipal en 1924, tandis que Luis Lladoy Fabregas (1882-après 1939) participait à la campagne deprises de vues organisée par la Direction du tourisme espa-gnole en 1928.

Avant 1939, deux administrations vont même posséder enpropre un service photographique très actif : tout d’abord,le Gouvernement général de l’Indochine chargé de l’adminis-tration des territoires conquis, qui par le biais de son servicephotographique puis photocinématographique, fit ainsi réaliser, entre 1916 et 1926, des milliers de photographiesdans les différentes provinces de l’Union indochinoise, clichés majoritairement pris par René Tetard et diffusés parl’Office indochinois de la propagande et du tourisme ; ensuitela Farm Security Administration, créée sous le nom deResettlement administration en 1935 pour combattre, dans le

cadre du New Deal, les effets de la crise de 1929 sur la classemoyenne américaine. C’est Roy Stryker, élève du sociologueet photographe humaniste Lewis Hine, qui constitua l’équipede photographes chargée de documenter les actions de laFSA pour informer l’opinion publique. Une quinzaine dephotographes, dont John Vachon (1914-1975), choisis pourleur engagement, réalisèrent 170 000 négatifs5, l’Informationdivision de la FSA se chargeant de la diffusion des images,à l’instar d’une agence de presse, comme le MetropolitanPhoto Service, dont l’une des activités était de vendre desimages à la presse illustrée.

Phénomène urbain qui apparaît à un moment où la machinevient modifier le cadre et le rythme de la vie ordinaire,sur fond de rivalité franco-anglaise, la photographie est insé-parable de la deuxième révolution industrielle et de ses tempsforts (développement des transports et du tourisme, transfor-mations urbaines, colonisation, crise de 1929), aussi bien parses conditions de production, ses qualités techniques que parle système de représentations qu’elle instaure.

10 Anonyme.Un photographe d’extérieur à la fin XIXe siècle avec son matériel : la chambre noire, le laboratoire portatif et les plaques.Négatif sur support souple, 6 x 6 cm.

11 Johann Friedrich Stiehm. Unter den Linden (au niveau du n° 51), 1883.Photographie positive sur papier albuminé

(carte album), 9,7 x 14,5 cm

10

11

Page 10: Villes Du Monde Extraits

16

VILLES DU MONDE

17

Avec la photographie, la création d’images en tant qu’objetsentre dans le domaine de la science (laboratoire) et du chiffre(temps d’exposition, de développement, profondeur dechamp, sensibilité des émulsions, reproductibilité…). Cetterationalité nouvelle dans la production d’images règne alorsdans toute la société : c’est elle qui préside à l’organi sation dutravail dans l’industrie, à la production de statistiques, auxprotocoles expérimentaux, à la multiplication des horlogesdans la rue (15, 62, 75, 99) et à l’aménagement des villes (plangéométrique à l’antique, alignements de rues, numérotagedes maisons, réseaux télégraphiques…). Appliquée à la photo-graphie, elle aboutit, en promouvant netteté et lisibilité, àrenouveler « les procédures du vrai 6 » tout en (ré)inventantcelles du beau.

La palette du photographeQuelques uns de nos photographes, comme les frères Alinari,Berra, Bruce, Hofer, Llado, Rocchini et Stiehm, avaient unesolide expérience de la prise de vue en extérieur quand ils nes’étaient pas fait une spécialité du paysage urbain ou des vuesd’architecture. Cette pratique demandait un savoir-faire parti-culier, car photographier la ville demeura longtemps un défitechnique, et ce n’est sans doute pas un hasard si les premièresphotographies de la ville furent prises depuis l’intérieur.

Le photographe utilise, en effet, la chambre noire, un appa-reil qui est davantage adapté à la prise de vue en studio en raison de ses dimensions (son format dépend de la taille du négatif ), de son poids (environ 10 kg) et de celui de sesaccessoires (trépied, produits chimiques) et de la nécessairemaîtrise de la lumière. De plus, de nombreux procédésle contraignent à ne pas s’éloigner de son laboratoire, car sidans la chambre noire se produit naturellement « la rencontredes univers de l’optique et de la chimie 7 », la préparation desnégatifs, la révélation de l’image latente et le traitementdu positif sur papier ne peuvent se faire que dans un local,fixe ou de fortune, où l’opérateur dispose de ses produits chimiques et peut travailler dans le noir (10).

Très précocement, le daguerréotype et le calotype ont repré-senté l’espace urbain. Mais leurs particularités respectives(unicité et «  flou  ») n’en firent pas, dès le début des années1850, les meilleurs instruments pour la représentation dela ville. De fait, la grande majorité des épreuves qui nous inté-ressent ici sont des tirages monochromes bruns sur un papieralbuminé que, jusqu’en 1870, le photographe prépare lui-même(8, 11, 13, 15-17, 23,42-44, 54, 70-71, 75-76, 78-80, 82-84, 92, 97-101), puisdans les années 1890, des tirages sur papier aristotype à la

2TECHNIQUES ET ESTHÉTIQUE

gélatine (14, 68-69, 77) ou au collodion (87) – premier papierphotographique fabriqué industriellement –, et enfin sur unpapier gélatino-argentique mat (24, 26, 60-63, 65-67, 72-74, 95-96)ou brillant (9, 25, 27-28, 55, 81), parfois viré (36).

Les négatifs sont présents dans notre collection sous deuxformes. D’une part, des supports souples en nitrate de cellu-lose, employés par Chevrier (56-59). Apparus en 1889 pourrépondre aux besoins de l’industrie cinémato graphique nais-sante, ils furent interdits en 1951 en raison de leur inflam -mabilité. D’autre part, des plaques stéréoscopiques au gélatino-bromure d’argent employées par Lhuillier (photo de couv.,

20-22, 31-33, 45, 86, 89, 102-108, photo de quatrième de couv.). Il s’agitde plaques de « sensibilité extrême » puis orthochromatiques(sensibles à toutes les couleurs sauf au rouge) de marqueLumière, non destinées au tirage mais que leur auteur trans-féra sans doute lui-même par contact sur des plaques posi-tives au chloro-bromure d’argent « tons chauds », de marqueLumière aussi ou sur des plaques Ilford Alpha (12, 19, 29, 34, 49-

50, 52-53, 85, 88), pour pouvoir les projeter grâce à une lanternemagique ou les regarder dans un stéréoscope.

Les tirages sur papier d’avant 1880 ont sans doute été réaliséspar contact à partir d’un négatif sur verre au collodion sec,plus pratique que le collodion humide qui devait être exposéjuste après sa préparation in situ et traité rapidement aprèsla prise de vue. Cette contrainte ne disparut vraiment qu’avecl’apparition vers 1880 des négatifs sur verre au gélatino -bromure d’argent, qu’il est possible d’usiner, de stocker et decommercialiser sans que leurs qualités photosensibles nes’altèrent. Ces plaques dites sèches, qui donnèrent naissanceà la photographie instantanée, furent sans doute les matricesdes tirages sur papier albuminé les plus récents, des aristo-types et des épreuves gélatino-argentiques. Mais certainsphotographes, comme Rocchini et Nettleton, ne les utili -sèrent que rarement, préférant rester fidèles au collodion.Quant aux tirages des années 1930, ils ont été obtenus à partirde négatifs cellulosiques au gélatinobromure d’argent, voired’une pellicule 24 x 36 mm développée (37-39, 90-91), l’agran -disseur permettant alors de tirer la vue à n’importe quel format.

Les procédés en couleurs sont représentés par des plaquesstéréoscopiques autochromes employées par Lhuillier vers1914 (18, 35, 46-48, 51, 64). Mis au point par les frères Lumièreen 1903 et commercialisé de 1907 à 1932, il s’agit du premierprocédé en trichromie à connaître un développement indus-triel et un grand succès populaire. Positif direct, il se regar-dait avec une visionneuse, par transparence ou par projection,

BurgosPaul Lhuillier. La Plaza Mayor (au second plan, la cathédraleSainte-Marie), 1914.Positif sur verre au chloro-bromure d’argent

(vue stéréoscopique partielle), 4,7 x 4,7 cm.

12

Page 11: Villes Du Monde Extraits

1918

VILLES DU MONDE

et ne permettait aucun tirage d’épreuves mais avait l’avan-tage du réalisme, à l’inverse des teintures à l’aniline qui don-naient une coloration rose à l’épreuve (68-69).

La succession de ces procédés négatifs et positifs témoigne del’industrialisation du medium et de la démocratisation pro-gressive de la pratique photographique, accompagnées d’unenormalisation des formats des supports et d’une miniatu -risation des appareils de prise de vue, les firmes Eastman-Kodaket Lumière notamment fournissant appareils, plaques etpapiers aux professionnels comme aux amateurs8. Si les frèresAlinari utilisent, en 1870, une chambre photographique accep-tant des plaques de 50 x 60 cm, Lhuillier (1860-1943), médecinet photographe amateur, peut quant à lui visiter l’Italie en 1914avec une petite chambre stéréo scopique et en rapporter desnégatifs sur verre de 4,5 x 10,7 cm, tandis que son beau-frèreChevrier (1880-1940), officier de carrière et également photo-graphe amateur, réalise lors de ses tournées au Maroc desnégatifs souples de format inférieur ou égal à 9 x 12 cm.

Ces considérations techniques ne sont pas sans répercussionssur la fabrication des images et donc sur la représen tation dela ville, puisque l’optique des appareils et l’emploi de négatifssur verre et de papiers au gélatinobromure d’argent vont dansle sens de l’amélioration de la netteté des tirages et d’une plusgrande finesse dans les détails, les objectifs anastigmats corri-geant les aberrations sphériques causées par les objectifsprécédents et la sensibilité de l’émulsion ajoutant ses effetsà la transparence et à la planéité du verre.

GéométriesTechniquement, en effet, le medium est particulièrementadapté à la représentation des formes urbaines parmi les-quelles les arêtes vives, lignes et angles droits sont nom-breux. Les règles de composition de la «  tranche  » d’espacecaptée dans la chambre noire sont donc bien souvent définiespar la géométrie même du lieu photographié. Ainsi les bâti-ments et monuments, symboles du beau incarné dans lapierre, sont souvent photographiés au centre de plans d’en-semble ou de plans moyens horizontaux, ce qui les replacedans leur environnement urbain et permet de structurerl’image en différents plans (de deux à six) dans sa profondeur.Ils se détachent sur un fond de ciel blanc sans détail,car avant l’emploi du négatif au gélatinobromure d’argent,les supports ne sont pas assez sensibles pour rendredifférem ment le bleu et le blanc9. Ils sont rarement pris deface et sous un angle de vue parallèle au sol, ce qui reviendraità les écraser et à les réduire à leurs façades, sauf lorsqu’ils

sont immortalisés sur une plaque stéréoscopique qui permetde créer l’impression de relief (88, 104). Ils sont bien plus sou-vent pris en légères plongée (17, 54, 66, 83-84, 93, 98, 100) etcontre-plongée (13), dans un cadrage de trois-quarts (14-15, 33,

45, 62, 73-74, 84, 95, 99), où ils retrouvent un volume par ledécoupage des plans et acquièrent une sorte de dynamiqueavec le déplacement des yeux qui les balayent sur toute leurlongueur. Il en va de même pour les tours, minarets et gratte-ciel (27, 77), toujours cadrés verticalement sauf dans les plansgénéraux (66, 84).

La rue et l’espace public donnent lieu à des vues en perspective(20, 28, 32, 53, 56-57, 75, 92, 107), car bien loin de briser cetteconvention venue de la peinture, comme les plans d’ensemble etmoyens et l’habitus perceptif qui lui est attaché, le dispositifphotographique systématise, grâce à l’optique et à la chambrenoire, la perspective née au Quattrocento, et notamment la pers-pective conique avec point de fuite dans l’axe (dans un cadredélimité par des bâtiments) ou plus rarement décentré latéra -lement (11, 22, 34, 68). Là aussi, même s’il sacrifie au « culte del’axe 10 » qu’ont en partage professionnels et amateurs, le cadrageintroduit une dynamique particuliè rement spectaculaire,comme dans Marble Arch (78), dans la Construction de la statuedu roi Dom Pedro, depuis la calçada de Carmo de Rocchini (54)ou encore dans La Valette, où c’est la poupe du bateau quiordonne le paysage et dirige le regard vers la ville (31).

Voir toute la villeBateaux et ponts offrent donc de nouveaux points de vue surla ville (photo de quatrième de couv., 60, 85-86, 105-106), toutcomme les sites naturels en hauteur (35, 43, 55) et surtout lesbâtiments élevés, du clocher au gratte-ciel (9, 28, 41, 51-53).Dès lors, le photographe peut opter pour une franche contre-plongée comme dans Tananarive  : Quartier général, habita-tion du général Gallieni (69), où le relief commande l’étage-ment des plans jusqu’à la résidence du Gouverneur généralqui symboliquement domine la ville, ou pour une plongéevertigineuse vers la rue comme dans la vue prise depuisle 11e étage de l’Equitable building (9) et, dans une moindremesure, dans la vue de la place de la Constitution à Valence(53). Avec ces nouveaux angles, d’autres objets deviennentvisibles  : la rue est le lieu d’une intense circulation, la villeprend place dans un environnement naturel et ne se résumeplus aux perspectives ni aux monuments…

Le regard du photographe s’étend alors jusqu’à l’infini commes’il sortait de la ville. Ponts et édifices élevés élar gissentnaturellement son champ de vision, tout en montrant

Florence13 Alinari Fratelli. Le nouveau marché central (vue extérieure), mai 1874.Photographie positive sur papier albuminé,

42,8 x 58,1 cm.

Turin14 Giovanni Battista Berra. École élémentaire NiccoloTommaseo, vers 1885.Photographie positive sur papier aristotype

à la gélatine, 17,1 x 22,9 cm.

Toronto15 Josiah Bruce & Co. Union station, 1878.Photographie positive sur papier albuminé,

20,3 x 26,3 cm.

15

1413

Page 12: Villes Du Monde Extraits

2120

VILLES DU MONDE

l’impuissance de l’appareil à l’embrasser en entier, d’où lerecours, d’une part aux plans généraux parfois très riches endétails (55, 67), et d’autre part aux panoramas comme ceuxréalisés à Montréal par le studio Notman (8)11, à Melbournepar les frères Paterson (76)12, à Saint-Pétersbourg (85) et àCologne (106) par Lhuillier, ou à Alger (60-61). À l’exceptionde ces derniers, pris sans doute avec un appareil panora-mique pourvu d’une optique tournant autour d’un axe ouavec un appareil rotatif à défilement de pellicule, les autresont été obtenus par assemblage de prises de vues successivesjusqu’à couvrir les 180 degrés du champ visuel humain, avecparfois une netteté surhumaine. De façon générale, ces pano-ramas ne sont pas exempts de défauts de parallaxe  liés audéplacement du photographe ou de son appareil, comme lemontre celui de Melbourne qui couvre 360 degrés.

Avec la photographie instantanée, la composition d’imagesva se renouveler, car la rapidité de la prise de vue ne permetpas toujours une parfaite géométrie des cadrages. Coupesintempestives aux bords de la photographie (33, 56-57)et sujets mal centrés (photo de couv.) introduisent une nou-velle dynamique dans les images. Une « esthétique de l’occa-sion » apparaît, dont le surgissement des personnages (32) etdu photographe (12) est une des composantes. C’est enfin auXXe siècle, avec la photographie aérienne, que va s’opérer undernier « basculement du regard » sur la ville. Photographierd’un avion, après des essais en ballon captif (1858) ou avecdes cerfs-volants (1888), permet de réaliser des vuesobliques (24-25, 63, 65) et surtout perpendiculaires qui peuvent s’affranchir complètement des conventions de laperspective par écrasement des volumes, ces vues pouvantelles-mêmes s’assembler pour rendre compte de l’étendueurbaine13. Pour un usage civil des images, un vol à faible altitude, compte tenu des objectifs courants, suffit pour produire des photographies saisissantes comme celle deConstantine (63) ou de Timgad (65), ces prises de vue étantquand même affaire de spécialistes. Ainsi, la sociétéAérofilms qui réalisa dans les années 1920 des vuesaériennes de Welwyn Garden City (25) avait été créée en 1919par F. L. Wills et C. Grahame-White, deux aviateurs anglaisdémobilisés. Ses images furent aussi bien vendues en cartespostales qu’utilisées pour la photogrammétrie dès les années1930. C’est donc finalement en quittant la ville que le photo-graphe put en donner la représentation la plus propice àl’analyse, la plus intelligible.

Entre 1870 et 1940, les photographes ont proposé une visionordonnée, car structurée, de l’espace urbain, leur cadre de

vie habituel et «  un éventail de photographies possibles 14 ».Regardées isolément, leurs vues sont autant d’images inves-ties de sens de la ville contemporaine, dont l’unité réelleet figurée était alors indubitable, le courant de la photographiesociale illustré par Jacob Riis ou Lewis Hine étant absentde notre corpus. La vue du pont ferroviaire de Kehl prise parLhuillier vers 1902 (108) pourrait bien métaphori quementillustrer ce progrès maîtrisé et, si l’on peut dire, encadré quise manifeste aussi bien dans la gestion de l’espace urbain réelet ressenti que dans l’évolution du medium photographique.Mais qui irait voir ce pont aujourd’hui n’y reconnaîtrait pascelui photographié par Lhuillier. En jouant ainsi le rôle de« vestige matériel de son modèle 15 », l’image photographiquese place de facto dans un rapport particulier au temps.

FlorenceAlinari Fratelli. La Torre San Niccolo, vers la viaSan Niccolo (à droite, l'Arno),vers 1865-1875.Photographie positive sur papier albuminé,

58,4 x 42,8 cm.

16

Page 13: Villes Du Monde Extraits

2322

VILLES DU MONDE

La photographie naît à un moment où un monde disparaîtet où un autre apparaît, aussi bien pour le citadin dont l’environ-nement quotidien change, que pour le voyageur (touriste oucolonisateur), qui peut séjourner plus aisément dans des payslointains. Tout en ayant sa propre temporalité, la photographieintroduit dans la représentation de ces changements une quasiimmédiateté. Ainsi, le changement et le mouvement urbainsont une traduction photographique en termes de sujets et detechnique.

La mémoire urbaineDans les villes européennes qui changent, la première tâcheassignée à la photographie est de garder la trace des édifices oudes quartiers voués à la disparition, « [ces] ruines pendantes…,[ces] choses précieuses dont la forme va disparaître et quidemandent une place dans les archives de notre mémoire 16 ».Le phénomène est connu en France où diverses institutionsconcourent à l’inventaire photographique des monumentsanciens, de la Commission des monuments historiques à laCommission du Vieux Paris. À Londres, deux sociétés jouent lemême rôle  : la Society for Photographing Relics of Old London(1875), fondée au moment où l’agrandissement de l’Old Baileymenace de destruction les alentours et la Society for theProtection of Ancient Buildings (1877), créée pour sauvegarderl’architecture des époques Tudor et Stuart. Alors que T. Annan(1829-1887) photographie dès 1868, à la demande du Glasgowcity improvement Trust, les édifices dignes d’intérêt dans lesquartiers surpeuplés voués à la destruction, les frères Alinaritravaillent dans l’Italie en cours d’unification au recensementsystématique des monuments et des collections des muséesà la demande de ces derniers, d’amateurs et de collectionneurscomme A. de Saxe-Cobourg (1858), John Ruskin (1876) ouBernard Berenson (1881). Ils leur livrent de «  belles photo -graphies, à la fois vivantes et artistiques » selon Marcel Proust,qui se rend à Venise en 1900 « afin d’avoir pu avant de mourir,approcher, toucher, voir incarnées en des palais défaillantsmais encore debout et roses, les idées de Ruskin sur l’archi -tecture domestique au Moyen Âge17 ».

Des reportages de cette nature réalisés par Alinari, la biblio-thèque en possède trois vues des portes médiévales deFlorence, des vues verticales, frontales, au cadrage resserré(16). Assez proches des photographies de Charles Nègre, cesépreuves, à l’éclairage uniforme, sont purement informatives etpourraient être utilisées pour une restauration. Car « la photo-graphie […] semble être venue à point pour aider à ce grand travail de restauration des anciens édifices, dont l’Europeentière se préoccupe aujourd’hui. La photographie a conduit

naturellement les architectes à être plus scrupuleux encoredans leur respect pour les moindres débris d’une dispositionancienne, à se rendre mieux compte de la structure, et leurfournit un moyen permanent de justifier leurs opérations. Dansles restaurations, on ne saurait donc trop user de la photo -graphie, car bien souvent on découvre sur une épreuve ce qu’onn’avait pas aperçu sur le monument lui-même 18. »

À l’opposé de l’édifice ancien et restauré se trouvent les ruines.Également intégrées au Grand tour européen dont on rappor-tait des petits tableaux représentant des villes italiennes (les vedute), les ruines que le Romantisme a paré du plus grandpittoresque furent photographiées, dans notre corpus, parChevrier et Lhuillier. Ce dernier, lors d’une croisière enMéditerranée qui le mena en 1914 en Italie et à Carthage (18, 64),utilisa conjointement des plaques noir et blanc et autochromes.C’est donc armé du réalisme des couleurs qui rapproche photo-graphie et peinture que Lhuillier, homme de science féru d’art,se confronta dans une ville morte au « spectacle de l’origine19 ».

Le futur infiniMais, « Au spectacle des ruines, les XIX e et XXe siècles ont […]mêlé, jusqu’à la surimpression […] une évocation de plus en plusprésente du chantier. Là où les ruines, dans leur temporalitéfloue, sont le plus souvent prétextes à une approche senti -mentale d’un “passé” indéfini, les images de chantier, elles, nousparlent d’histoire et de progrès. Au temps “pur” des ruines s’oppose l’espace historique du chantier. Les premières appellentà la rêverie élégiaque sur les temps révolus et mettent en pré-sence d’un “monde qui porte le signe d’un infini”. Les secondesinvitent à l’étude attentive d’un espace qui porte en soi sa fini-tude et son achèvement futur20 », la photographie de chantierreprésentant une scène foncièrement transitoire, appeléeà s’effacer pour faire place à un édifice, une rue, un jardin.

Notre corpus contient des vues de chantier prises à Florence,Vienne, Lisbonne, Rome et Moscou. Quand elles ne se struc -turent pas autour de l’échafaudage, véritable symbole de laconstruction et parfois objet central de la vue (54), la plupart deces photographies présentent, à la manière des paysages peints,des plans larges qui montrent toute l’étendue des chantiers (17,42, 90, 92, 97, 100), et permettent parfois d’en voir simultanémentplusieurs – deux sur la vue de la place Oktogon de Budapest (92) :la place et un bâtiment échafaudé (dans l’axe, à droite), trois surla vue des travaux de construction du Parlement à Vienne en 1876 (100) : le chantier du Parlement (au premier plan), celuide l’hôtel de ville (à gauche) et celui de l’université (à droite) – et sont plus rarement centrées sur le travailleur lui-même (90).

3LES TEMPS DE LA PHOTOGRAPHIEURBAINE

Lisbonne17 Francisco Rocchini. Construction de la statue du roiDom Pedro (au second plan, le théâtre D. Maria II), vers 1869.Photographie positive sur papier albuminé,

21,3 x 26,3 cm.

Carthage18 Paul Lhuillier. Vers 1914.Autochrome (vue stéréoscopique partielle),

4,7 x 4,7 cm.

1718

Page 14: Villes Du Monde Extraits

2524

VILLES DU MONDE

Ces vues sont non seulement soigneusement légendées maisaussi datées, ce qui leur permet de prendre place dans la chrono -logie de la construction et dans l’histoire de la ville. Ainsi,accompagnées de photographies de plans – épreuves qui nesont toutefois pas fiables pour le calcul des échelles –, nos cinqvues du chantier du Reichsrat autrichien ont été prises entre1875 et 1879, alors que les travaux durèrent de 1873 à 1883, lesvues de l’hôtel de ville viennois couvrent les dernières étapesde l’édification du bâtiment entre 1879 et 1882, alors quele chantier dura de 1872 à 1883. Lorsque les vues ne sont pasprécisément datées, comme dans l’album Trest Stroitel’stva,elles sont présentées successivement de manière à rendrecompte du travail accompli ou, dans le cas de six de nos vuesde Florence, de façon à faire le tour d’une opération, en l’espèce des travaux hydrauliques dont la prise d’eau sur l’Arnoest un des éléments (42).

C’est à ces conditions de précision que les vues de chantierrépondent aux besoins des bâtisseurs, architectes et ingénieurs,lesquels ne sont que rarement photographes au XIXe siècle. C’est ainsi que Gabriel Davioud, architecte de la statue du roiDom Pedro à Lisbonne, s’attacha les services de Rocchini21

(17, 54), alors que René Mestais (1884-1977), ingénieurgéomètre et chef du Service du plan de Paris, est probablementl’auteur des photographies d’amateur qui, avec des cartespostales, illustrent l’album Rome, 1938. Réalisé lors du sixièmecongrès international des géomètres qui se tint dans la capitaleitalienne du 5 au 10 octobre 1938, cet album retrace l’« évolu-tion d’une grande ville d’art dans le cadre de ses aspirationséconomiques et sociales » modernes, thème auquel R. Mestais,préfacier du volume, était sensible dans son travail parisien.Sur un schéma binaire « avant-après », les deux vues du marchéde Trajan qui figurent dans l’album (37-38) montrent bien que laville est un champ de bataille entre l’ancien et le nouveau,même si nous ne voyons pas toutes les étapes du chantier dedégagement des ruines antiques. Il en est de même avec la vuede la piazza Cavour d’Alinari (44), place où, dans un raccourcihistorique saisissant, sont regroupés la porte San Gallo (1385),l’arc de triomphe érigé en l’honneur de François de Lorraine(1745), un parterre avec fontaine (1865) sur fond de palais destyle néo-renaissant, comme pour mieux démontrer l’inscrip-tion permanente de l’histoire dans le paysage urbain et la« continuelle obsolescence du neuf 22 », et témoigner de « l’œuvrede dissolution incessante du temps23 » dont la ville est le théâtre.

L’instant en imageCertes, « la photographie ne voit de la ville que la scène du pou-voir  : les monuments qui l’ancrent dans le passé et les grands

travaux urbains qui la projettent dans l’avenir 24 », mais les vuesde ruines et de chantiers ont en partage quelques éléments, enparticulier la présence de personnes, passants ou ouvriers, quidonnent l’échelle des édifices (64, 101) tout en théâtralisant lacondition humaine. Entre passé et futur se situe, avec la photo-graphie de scènes animées surtout, un instant suspendu : celuioù l’appareil enregistre un monde en action, ce qui met en présence deux temporalités paraissant difficilement conci -liables : celle de la prise de vue et celle du mouvement, qualitéintrinsèque de la ville, de ses habitants, de ses transports…

La prise de vue en extérieur requiert alors vingt à trenteminutes de réglages  : installation de la chambre, changementdu châssis porte-film à chaque prise, utilisation du voile noir,mise au point sur le verre dépoli, calcul du temps de pose enfonction de la luminosité. Par exemple, une prise de vuedaguerrienne réalisée à midi demandait une exposition de 10 à120 minutes à l’été 1838 et quand, en octobre 1839, le colonelTemerin prit une vue de la cathédrale Saint-Isaac à Saint-Pétersbourg, le temps de pose fut de 25 minutes. Le négatif aucollodion sec était huit fois moins sensible à l’insolation quecelui au collodion humide et obligeait encore le photographe àexposer sa plaque quelques minutes. La mise au point du néga-tif au gélatinobromure d’argent, dans la décennie 1870, permitdes prises de vue très rapides, à des vitesses inférieures à laseconde, en relation avec des obturateurs mécaniques qui permirent de réguler finement l’entrée de la lumière, et donc ladurée de son action sur une plaque elle-même plus sensible.Dès lors, malgré un rallon gement du temps de pose avec l’auto-chrome (en moyenne une ou deux secondes), la photographieput donner «  une repré sentation “moderne” du mondemoderne 25 », immortaliser l’événement et non plus seulementdes monuments, par définition statiques, même si, dès lesannées 1860, il était techniquement possible d’enregistrer lemouvement en employant des plaques stéréoscopiques,l’éloignement entre l’appareil et l’objet photographié, le petitformat des plaques et la petite distance focale utilisée rédui-sant les flous.

De façon générale, un temps de pose de l’ordre de plusieurssecondes conduit le photographe à mettre en scène les personnes, à les faire poser. En cas contraire, ils font figured’accidents dans le paysage, que leur absence soit recherchée(comme chez E. Atget) ou que leurs mouvements lescondamnent à un irrémédiable flou de bougé (14, 75, 79, 92)non retouché lorsqu’il ne gêne pas la lisibilité d’ensemble del’image. Toutefois se dégage de ces scènes peuplées d’ombresfantomatiques et du flou frappant tous les moyens de trans-

MoscouPaul Lhuillier. La Place Rouge (au fond, la cathé drale Saint-Basile ; au centre, la Porte du Sauveur ; à droite, la Tour du Sénat), 1902.Positif sur verre au chloro-bromure d’argent

(vue stéréoscopique partielle), 4,7 x 4,7 cm.

19

Page 15: Villes Du Monde Extraits

2726

VILLES DU MONDE

tage à des documents informatifs sur les réalisationsrécentes et les chantiers en cours dans ces villes. Elles sontarrivées en plusieurs lots à la bibliothèque, donc dans unesuite «  ouverte  ». Les photos de Vienne ont ainsi étéadressées au préfet de la Seine par l’architecte Friedrichvon Stache au nom de l’Union Baugesellschaft, société deconstruction qui mena plusieurs chantiers sur le Ringviennois. Si l’on ignore quand ont commencé les envois, uncourrier de F. von Stache en date du 7 juillet 1891 indiqueque l’ultime remontait au 26 juin 1890 et qu’il contenaittrois clichés32.

Les deux albums sur Central Park réunissent des carac-téristiques de ces deux ensembles tout en s’inscrivant dansun processus d’échange d’images. Dédicacés également (4), reliés pour la somme de 35 dollars, ils furent offerts aupréfet de la Seine par le Department of public parks de New York en mars 1879, en remerciement d’un envoi dephotographies parisiennes remontant à mars 187833,l’échange s’étant fait par la voie diplomatique. Très flattéde l’envoi parisien, le Board of Commissioners of theDepartment of public parks fit « monter les différentes vuesdes travaux publics parisiens pour les préserver 34 » tandisque le préfet fit ranger les volumes «  dans la bibliothèquede la ville de Paris où ils pourront être consultés avec profitpar [son] administration 35 ». Mais, alors que des échangesde photo graphies se sont organisés entre institutionsfrançaises et étrangères et que, par exemple, l’architectepaysagiste américain Olmsted avait des liens avec sonhomologue parisien Alphand, les envois de photographiesoriginales à destination de la Ville de Paris cessèrent rapidement. Sans doute faut-il l’imputer aux coûts des photographies originales et de leur reproduction à grandeéchelle, donc aux limites du medium. Ainsi, pour convaincrele comptable Kelly de payer les épreuves destinées à Paris,le président du Board of Commissioners Wenman dut luidéclarer  qu’il les paierait sur ses propres deniers et seraitfier de les offrir à Paris36.

Quelques années plus tard, grâce à l’adaptation des tech-niques de l’imprimerie (photogravure…), les photosentrèrent vraiment dans l’ère du multipliable et de lareproduction de masse. Celles de Notman parurent sousforme d’affiches, en illustration de calendriers, de manuelsou de guides touristiques, tandis que Rocchini en publiadans des revues illustrées comme Occidente ou Diarioillustrado, et que la carte postale se répandit en partiegrâce à la collotypie. Ce procédé d’impression, qui permet

d’obtenir industriellement des images en demi-teintes,sans trame, à partir d’un négatif photographique, est repré-senté dans l’album Prague édité par Bellmann (1820-1893)vers 1890 (93-94). Imprimés sur du papier photographiqueavec des encres de teintes variées puis vernis, les collo-types ont l’apparence de «  vraies  » photographies, commeles images obtenues grâce à la similigravure (40). Ainsi nonseulement l’image reproduisait le réel, mais aussi l’appa-rence de la photographie, sans vraiment en être une. Enjouant de la sorte avec un standard visuel aussi identifiableque la photographie, ce procédé fait entrer le spectateurdans le monde de l’image de l’image et contribue largementà diffuser les contenus informationnels de la photographie,indépendamment de leur support d’origine.

port qui ne sont pas à l’arrêt (19, 83-84), une impression de viequi reflète bien la trépidation urbaine. Cette dimension de lavie citadine disparut des images instantanées qui confèrentau sujet en mouvement à la fois netteté et quasi immobilité (photo de couv., 20-22, 31, 39, 56-59, 72, 89-90, 95, 106), ses posturesindiquant alors à elles seules qu’il se déplace lorsqu’on lephotographie. Et à l’inverse des captures inopinées, desarrêts sur image de la photographie instantanée, un photo-graphe parcourant les rues au début du XXe siècle n’aura aucunmal à obtenir des citadins qu’ils posent pour lui (49, 64). Ainsi,à la différence du cinéma, aventure dans laquelle seulKonosevitch (mort après 1914) semble s’être lancé et oùil s’agit d’enregistrer le mouvement en continu, la photo -graphie semble bien plutôt avoir engagé une lutte contre lavitesse et pour le ralentissement du mouvement. Sa tempo-ralité et celle du monde urbain se sont rejointes pour s’annuler. Et l’on pourrait dire avec Paul Claudel que par laphotographie, « nous avons braqué sur la durée un œil qui l’a rendue durante 26 ».

La diachronie photographiqueParce qu’elle est un objet, la photographie elle-même s’ins-crit dans la durée. Garantir la permanence de l’image photographique fut, avant que ne soient formulées les problé -matiques contemporaines de conservation, un souci desphotographes du XIXe siècle. Confrontés à l’évanescencedes images, ces derniers ont utilisé des fixateurs chimiqueset viré leurs tirages à l’or pour en améliorer la stabilité (13, 42-44, 78-80, 92, 97-101) et retarder leur jaunissement. Lepapier photographique étant très fin, ils ont aussi veillé à le préserver en montant les épreuves sur des cartons, parfois de grande taille, lorsqu’elles n’étaient pas rassem-blées en album. Les photographies sur papier se présententdonc matériellement sous deux formes  : en planches iso-lées, montées (8, 11, 13-14, 16-17, 24, 42-44, 87, 92, 97-101) ou non (9, 25-26, 55, 72-74, 77, 81) et en album. C’est aussi sous cesdeux formes qu’elles circulent et entrent dans les collec-tions publiques ou privées, comme nous l’avons indiqué endétaillant notre corpus.

Du fait même de cette circulation, les photographies prennentplace dans un système de communication qui relie émetteur(producteur et commanditaire) et destinataire, tout ens’ouvrant au fil du temps à une multitude de lectures. Sansretracer l’histoire de chaque objet de notre corpus, l’onpeut formuler une remarque majeure : la forme matériellesous laquelle se présentent les tirages a une incidence surla perception de leur contenu. Ainsi, l’album, en regroupant

des fragments, fonctionne comme une machine à voir,comme les panoramas ou les expositions : il « n’est pas unrécep tacle passif […] Il ne rassemble pas, n’accumule pas,ne conserve pas, n’archive pas, sans classer et redistribuer lesimages, sans produire du sens, sans construire des cohérences,sans proposer une vision, sans ordonner symboli quement leréel 27 », à l’instar des grandes séries d’inventaire commecelles commanditées par les Gouvernements généraux del’Indochine et de Madagascar.

La cohérence ainsi créée est particulièrement perceptibledans les albums de reportage constitués autour d’un évènement(albums sur les voyages présidentiels et le sacre deNicolas II) qui mêlent toujours vues des lieux où se produitl’évènement – généralement des vues prises antérieu rement –,et images de celui-ci, ou encore dans le recueil surMontréal du studio Notman, qui est à la fois à la gloire de laville, de son pittoresque (pour le spectateur) (82) et à celledu photographe avec la présence de deux photographiescomposites. Mais l’image de la ville, comme dans tous lesalbums, y est figée : d’abord parce que l’album est un objetclos en soi, qu’il est unique dans notre corpus et parce queles vues du passé récent et du présent montréalais donnentl’image d’une ville fière et un peu parvenue 28. «  Exercicesurréaliste de montage et de réduction de l’histoire 29 », cetalbum ne donne pas une vision dynamique de la ville, à l’inverse des photographies isolées sur Vienne etFlorence ou encore des albums Rome 1938 et TrestStroitel’stva, où le thème de la transformation urbaine pré-domine, non sans visées propagandistes. Mais sans douteavons-nous affaire à des ensembles différents par leurnature et leur fonction.

Les vues de Montréal sont regroupées en un album trèssoigné portant une dédicace (3). Elles ont été choisies sansdoute par le studio Notman lui-même, à la demande desautorités municipales montréalaises, et le volume relié parles frères Dawson, relieurs de luxe, pour être offert «  enprésent » à la ville de Paris en 1877 30. Les vues coûtèrent àelles seules 40 dollars (environ 207 francs-or). Les albumssur Prague et Bratislava sont également des cadeaux.Respectivement dédicacés par Jan Podlipny et LudevitOkanik, ils ont été offerts au Conseil municipal parisien ensouvenir de visites officielles dans les deux villes. L’albumde Konosevitch est aussi un cadeau fait en mai 1897 auConseil municipal par le photographe lui-même « en signede profonde sympathie pour la France et sa capitale 31 ». Parcontre, les vues de Vienne et Florence ressemblent davan-

Page 16: Villes Du Monde Extraits

2928

VILLES DU MONDE

CologneBornée par le Rhin, Cologne se développa essentiellement vers l’ouest, à l’intérieur des demi-cerclesformés par ses trois enceintes successives, les fortifications romaine et médiévale délimitantl’Altstadt. L’enceinte médiévale fut abattue en 1881 pour faire place à un large boulevard de 6 km, leRing, où se côtoyaient vestiges médiévaux et édifices modernes comme l’Opéra ( photo du milieu), tan-dis que la fortification prussienne arasée devint ceinture verte dans les années 1920, sous le mandatmunicipal de Konrad Adenauer. Au début du XXe siècle, de nouvelles règles d’urbanisme imposées parl’architecte communal H. J. Stübben (comme l’autorisation de la conduite à bicyclette, en 1894),modelèrent une Neustadt qui fut en grande partie détruite pendant la Seconde Guerre mondiale.

Paul Lhuillier. 20 - 21 - 22 Le Ring de Cologne : Hohenzollernring, Habsburgerring, Sachsenring, vers 1902.Négatifs sur verre au gélatinobromure d’argent (vues stéréoscopiques partielles),

4,7 x 4,7 cm.

20 21 22

Page 17: Villes Du Monde Extraits

30

VILLES DU MONDE

31

4L’INFORMATIONPHOTOGRAPHIQUESUR LA VILLE

Regarder ces photographies prises entre 1865 et 1939 dans26 villes d’Europe sauf Paris (65 vues) et 19 villes d’autrescontinents (44 vues), c’est d’abord, par la force des choses,« s’approprier [la ville] sur le mode de l’information (et non surcelui de l’expérience) 37 » en gageant que la photographie comble la distance spatio-temporelle entre l’objet photo -graphié et nous et que son contenu reflète fidèlement la réalitédu monde. Cette approche écarte l’idée que la photographie estune représentation basée sur des codes et présuppose que laconnaissance passe par nos yeux. Mais ceci posé, «  rigoureu -sement parlant, on ne comprend jamais rien à partir d’une photographie 38 » sans l’accompagner d’un texte. C’est le sensde la mise en contexte suivante qui invite à lire ces vues sousl’angle de l’urbanisme.

Au XIXe siècle, les villes de tous les continents connaissent,selon une chronologie qui leur est propre, de profonds bouleversements, du fait des mutations économiques et de lacolonisation. À partir de 1850, le contexte général est marquépar l’industrialisation, le développement des échanges et unehausse de la population urbaine en Europe et en Amérique duNord. À l’échelle des villes, de leur territoire souvent inchangédepuis des siècles, les conséquences furent importantes  :enserré ou non dans une enceinte fortifiée servant aussi parfoisde mur d’octroi, borné par un fleuve, des marais ou un relief,l’espace urbain est alors encore de faible étendue (ce sont deswalking cities). Il est non spécialisé, le logement et les activitésindustrielles – voire agricoles – s’entremêlant (76, 96), et sur-tout densément peuplé et bâti. Ainsi Cologne, dans les années1860, se présente comme «  un amas confus, un labyrinthe malpropre de rues tortueuses, étroites, sombres, boueuses,encombrées pour la plupart de voitures et de passants 39 ».Surpeuplement, promiscuité et encombrements sont les mala-dies urbaines dénoncées dans les discours hygiénistes qui,depuis le XVIIIe siècle, ont cours sur la ville. Pour combattre l’urbomorbus40, la réflexion des années 1850-1880, étayée pardes études statistiques et sociales, s’orientera vers la planifi -cation et la mise en place de réseaux puis, au tournant duXXe siècle, vers l’élaboration de nouveaux modèles urbains.

Repousser les limites urbainesLa traduction concrète du discours hygiéniste, centré sur la circulation d’air dans la ville, est l’étalement urbain. Cette augmentation de la superficie communale, qui abaisse mécani-quement la densité de population, s’est faite de différentesfaçons, parfois simultanées. D’une part, les villes fortifiéescomme Barcelone (1854), Vienne (1857), Florence (1865),Budapest (1871) ou encore Cologne (1880) démolirent leurs

murailles, devenues militairement inutiles, ou entreprirent unerénovation d’ampleur comme Naples (1885). Des boulevardsponctués de places (44, 92, 97) remplacèrent les fortifications :Ring à Cologne (20-22) et Vienne, rondas à Barcelone, ceinturede viali à Florence… tandis qu’à Naples le front de mer et leCastel dell’ovo (34) furent mis en valeur. L’extension des villesanciennes hors de leurs remparts – phénomène nomméensanche en Espagne et risanamento en Italie –, fut planifiée :l’urbanisation sur les glacis militaires libérés et la régulation dutissu urbain existant et à créer furent guidées par des règle-ments de construction prévoyant la largeur minimale des rues,la hauteur maximale des bâtiments… Cependant, certaines villes comme Avila, Cordoue ouLa Valette (31, 49-50) ont conservé leurs fortifications, avecpour conséquence une urbanisation anarchique marquée, audébut du XXe siècle, par l’installation de la population citadineau pied des remparts ou dans les faubourgs. Vues comme desfreins à l’extension urbaine et à la liaison entre quartiers,les murailles d’Avila, par exemple, doivent leur maintien à lacrise économique des années 1880. Elles furent classéesMonumento nacional en 1884 et restaurées à partir de 1907par E. Repullès y Vargas, lui-même photographe, participantainsi à l’image de la ville. Il en fut de même pour Nurembergqui, avec son centre encore médiéval (102-103), ses rempartset son château, incarna «  la plus allemande des villes allemandes  », selon Hitler. D’autre part, nombreuses sont lesvilles qui ont annexé à leur territoire des communes voisinesriches en réserves foncières. Ainsi la commune de Deutz, en rive droite du Rhin, fut incorporée administrativementà Cologne en 1888 (106, partie droite) tandis qu’en 1896, l’an-nexion d’une partie de Nieuwer Amstel donna à Amsterdamune nouvelle possibilité d’urbanisation vers le sud. Le pland’aménagement de ces quartiers – dont Rivierenbuurt (28) –rompait radicalement avec le développement radioconcen-trique antérieur de la ville, sans pour autant se rapprocher duplan hippodamien (orthogonal) qui fut adopté dans d’autresquartiers neufs, comme l’Eixample à Barcelone.

Pour desservir ces quartiers excentrés et à la faveur des largesrues nouvelles et des ponts qui se multiplient (96, 106-108), lestransports vont se développer, permettant aux habitants de seloger loin du centre-ville. Aux voitures (photo de couv., 19, 33, 83-84)s’ajoutent bientôt les tramways, les métros et les chemins de fer(15, 107-108), les bicyclettes (20) et les automobiles (9). Le réseauviaire qui bénéficie de l’éclairage moderne (12, 20-22, 40, 62,

83-84, 92) et permet la circulation de l’air et l’ensoleillementest complété par le réseau d’eau indispensable à la salu-brité de la ville. La construction des égouts a pour corollaire la

Montr�al23 William Nottman. Vue générale depuis Notre-Dame,vers le Nord, 1872.Photographie positive sur papier albuminé,

17,7 x 23,9 cm.

Madrid24 Luis Llado y Fabregas. Vue aérienne de la ciudad lineal,vers 1928.Photographie positive sur papier

au gélatinobromure d’argent, 20,6 x 29 cm.

23

24

Page 18: Villes Du Monde Extraits

33

VILLES DU MONDE

urbains. Prolongeable à l’infini, cette voie, complétée par des rues parallèles et perpendiculaires, permet la circulation etle passage des réseaux. Alternative au quadrillage, la citélinéaire propose d’organiser l’urbanisation à partir de la péri-phérie et non plus du centre et elle est conçue pour répondre enpremier lieu à l’urbanisation anarchique de l’extrarradio(banlieue) de Madrid où l’auto-construction s’est largementdéveloppée. Les premiers travaux commencèrent en 1894,lorsque la Compagnie madrilène d’urbanisation acheta des terrains dans le nord-est de Madrid puis s’essoufflèrent dansles années 1920 (24). Aujourd’hui, Ciudad lineal est un quartierde la capitale espagnole organisé autour de la rue Arturo Sorialongue de 5 km et large de 40 m.

« Ruralisez la vie urbaine et urbanisez la campagne  » (I. Cerda)fut également le maître mot d’Ebenezer Howard, théoricien dela cité-jardin. Représentant de l’urbaphobie mais sensible aussiaux inconvénients de la campagne, il proposa de créer des villesautosuffisantes de 32  000 habitants, sans possibilité d’étale-ment. En 1903, il fonda la première cité-jardin à Letchworth(Hertfordshire) puis, en 1919, acheta à Welwyn situé à 32 km deLondres, deux fermes et des terres. Il confia le dessin des plansde la cité à l’architecte Louis de Soissons (25) et celui desmaisons à l’architecte Arthur W. Kenyon (26), tandis que laWelwyn garden city Ltd restait propriétaire du sol et sechargeait de louer habitations, magasins et usines construitspar ses filiales. En 1921, Welwyn, qui comptait 328 habitants,devint une paroisse civile, et en 1927, un district urbain co-administré par la municipalité et la Welwyn garden city limited. En 1930, la ville comptait 2450 maisons (8 700 hab.),45 usines et 20 édifices publics.

Malgré son succès relatif, la cité-jardin devint un modèle pour aménager des quartiers ou des villes en Europe et outre-Atlantique. Ainsi, l’industriel barcelonais Eusebi Güell yBacigalupi acheta, en 1900, un terrain alors hors de la ville, poury aménager autour d’une vaste place centrale une ville-jardinclose de 60 maisons. Mécène d’Antonio Gaudi, Güell lui confiala réalisation de ce projet dont les autorités de la ville deBarcelone s’étaient désintéressées. Les travaux étaient ina -chevés lorsque survinrent la Grande guerre puis la mort deGüell. Seuls deux maisons et le parc lui-même furent réalisés (46-48). Symbole de l’Art nouveau, le parc – avec son célèbrebanc ondulant décoré de trencadis et long de 110  m – a étéacquis par la ville en 1922 et ouvert au public en 1926. Quelques années plus tard, aux États-Unis, la ResettlementAdministration puis la Farm Security Administration super -visèrent la construction de trois greenbelt towns dont celle de

création d’un réseau de distribution d’eau potable comprenantde vastes réservoirs souterrains comme à Florence, desciternes et des châteaux d’eau (77, 81), –  qui aidèrent aussi à lutter contre l’incendie –, et des fontaines sur la voie publique,comme à Cologne (22).

Les travaux hydrauliques, comme la canalisation de laMoskova à Moscou dans les années 1930 (90), sont égalementindispensables à la sécurité des villes bâties à faible altitude.Venise, Saint-Pétersbourg, Florence et Montréal sont en effetsujettes aux inondations, étant soumises qui aux marées, quiaux débordements d’un fleuve. Les jardins publics (22) et parcssont un autre élément de l’assainissement des villes. Si aucunespace vert n’était prévu dans le Commissioner’s plan de NewYork de 1811, la municipalité fut autorisée dès 1853 à acquérir285 hectares dans une zone insalubre de Manhattan pour yaménager un public park rendu nécessaire par l’urbanisation(78-80). Sa décoration, comme celles des nouvelles places, restadans la « logique du fragment 41 » qui laisse les embellissementsurbains traditionnels comme la construction des fontainesdécoratives et des statues (17, 36, 43-44, 54, 62) aux architectesalors que la ville devient le domaine de l’ingénieur et, au tour-nant du xxe siècle, de l’urbaniste.

Moyen de gestion prévisionnelle du territoire, la planification aété employée aussi bien pour organiser l’extension de villesanciennes que pour bâtir des villes ex nihilo, comme Littoriafondée en 1932 (40). Sa principale caractéristique, le plan hippodamien, est présente aussi bien à Timgad, colonie mili-taire romaine (65), qu’à La Valette, conçue au XVIe siècle, ouencore dans les villes américaines, australiennes (76) et cana-diennes, comme Toronto (8) et Montréal (23) – où le tracé géométrique des rues est tempéré par l’héritage du cadastreseigneurial français qui impose des îlots allongés et des parcelles étroites – et enfin dans les quartiers européens des villes coloniales qui viennent se juxtaposer aux casbah,medinas et quartiers «  indigènes  » (63) où prédominent desrues aussi tortueuses et étroites (55-58, 66-67) que dans les centres-villes anciens des villes européennes (51, 53). Cemodèle dominant d’extension urbaine a cependant été contestéà partir des années 1880, les principes hygiénistes n’étant pasremis en cause pour autant.

Des cités idéalesDès 1882, Arturo Soria y Mata, urbaniste madrilène, conçoitune autre forme d’urbanisation : la ciudad lineal (cité linéaire)qui est structurée par une rue principale très large (500 m enthéorie) qui ceinture la ville tout en reliant des petits noyaux

Welwyn Garden City25 Aerofilms. Vue aérienne, vers 1928.Photographie positive sur papier

au gélatinobromure d'argent, 16,6 x 20,8 cm.

26 Anonyme. Une rue de Welwyn Garden City,vers 1926. Photographie positive sur papier

au gélatinobromure d'argent, 15,6 x 21 cm.

25

26

Page 19: Villes Du Monde Extraits

3534

VILLES DU MONDE

l’emploi de certains matériaux de construction, comme le boisà Tananarive (68-69) ou le torchis au Maghreb (56-58) etla nature instable du sous-sol comme à Venise et Amsterdam– où il est d’usage de construire sur pilotis –, en sont d’autres.C’est donc sur un autre continent, dans un contexte de vive spéculation foncière et de non réglementation, que naquirentles gratte-ciel, les premiers apparaissant à Chicago après l’incendie qui en détruisit le centre en 1871.«  Prolongement d’une tradition de construction haute de l’architecture européenne soutenue par le dynamisme écono-mique et les valeurs encourageant le dépassement perma-nent »42, l’immeuble de grande hauteur est étroitement lié à lacréation des centres d’affaires et à la tertiarisation des activitéséconomiques (banques, assurances, services…) dans le centredes grandes villes. Ainsi, l’immeuble de 29 étages construit dansle borough de Manhattan à New York (77) par Ely Jacques Kahn(1884-1972) en 1926-1928 pouvait, à la demande de ses commanditaires, aussi bien abriter des bureaux qu’une salled’exposition ou une industrie légère, témoignant ainsi de l’indifférenciation de fonction des gratte-ciel, blocs rectan -gulaires qui ne se distinguent les uns des autres que par leurs éléments de décoration. De style Art Déco, cet immeuble appar-tient à la seconde génération des gratte-ciel new yorkais. Saforme à redans résulte de la Building zone resolution de 1916 quirèglemente la hauteur des immeubles en fonction de la largeurde la rue en contrebas pour en préserver l’éclairage et l’aération.

Alors que le gratte-ciel américain est rarement à usage d’habi-tation, de nombreux architectes européens en conçurent àcette fin ou pour un usage mixte, comme Le Corbusierdans son «  Plan Obus  » imaginé pour Alger (1930). Ainsi,le Wolkenkrabber (gratte-ciel en néerlandais et métony -miquement nom donné à cet immeuble précis) situé àAmsterdam est un immeuble de 12 étages comptant 284 appar-tements (27). Il a été construit en 1930-1932 par l’architecteJan Frederik Staal (1879-1940) qui voyagea aux États-Unis etchercha dans ses réalisations à allier les caractères architec -turaux de l’école d’Amsterdam aux principes du fonction -nalisme. Mais alors que dans le skyline du centre de New Yorkou de Melbourne se dressent aujourd’hui des immeubles quirendent insignifiantes les constructions élevées antérieures, leWolkenkrabber d’Amsterdam demeure isolé sur Victorieplein.Situé à la pointe d’un triangle formé par deux avenues, dans unquartier aménagé après la Première Guerre mondiale, il surgitdans une ville considérée comme pionnière pour sa politiquede logement au début du XXe siècle  : « Mecque de l’habitat 43 »pour l’urbaniste, «  bibliothèque de maisons 44 » pour le poètequi, assurément, n’avaient pas vu tout à fait la même ville…

Greendale (81), dans la banlieue de Milwaukee (Wisconsin),conçue en 1936 par l’urbaniste Jacob L. Crane (1892-1988).Aménagées dans le cadre du New deal, en faveur des fermiersfrappés par la Grande Dépression, elles avaient pour but deloger convenablement des familles modestes et de procurer dutravail aux chômeurs.

En dépit de certains points communs (initiative privée peusoutenue par les municipalités, attention portée aux transportset aux réseaux, habitat individuel avec jardin, lutte contrela spéculation foncière…), il existe une différence majeure entrela ciudad lineal et la cité-jardin. Alors que la première restedans une logique d’étalement urbain, la seconde est dans celledu «  remplissage  », idée proche de la densification qui est l’autre possibilité de développement urbain qui se fait jour àpartir des années 1870.

La ville verticaleLa densification consiste à permettre à une population plusnombreuse de vivre et travailler dans de bonnes conditionsdans un espace urbain inchangé. Elle suppose un habitat collectif et des unités de production peu consommatrices enfoncier et donc la modification des techniques de construction,permettant une verticalisation des bâtiments vers le haut,les constructions souterraines illustrant la verticalisation versle bas. Toutefois, dès avant 1870, les centres-villes abondenten édifices de grande hauteur. Ce sont des bâtiments de pierrequi symbolisent principalement les fonctions politiques, culturelles et religieuses de la cité, ces fonctions lui assurant unrayonnement territorial plus ou moins grand : ainsi, l’hôtel deville de Vienne culmine à 98 m (99), le Reichstag berlinoisà 75 m (104), la basilique Notre-Dame de Montréal à 69 m (84).À l’inverse, les installations portuaires, gares, entrepôts ethalles sont peu élevés et ont une forte emprise foncière, commele montre le panorama de Melbourne (76). Quant aux bâtimentsd’habitation, les plus hauts comptent cinq à six étages (17, 20-21,

75, 92, 98) et sont bien souvent mixtes – un commerce en occupele rez-de-chaussée et des appartements les étages supérieurs(11-12, 20-21, 98) – et tous d’une même hauteur, imposée par lesrèglements d’urbanisme (11, 20-21, 28, 98).Alors que depuis les années 1850, la technique de constructionen hauteur est peu à peu maîtrisée, ces règlements sontbien souvent des freins à l’édification en Europe de bâtimentsd’habitation ou professionnels élevés : tout au plus ouvrent-ilsune brèche pour quelques audaces architecturales commedans le quartier de l’Eixample à Barcelone avec la casa LleoMorera (45) ou en bordure du Ring de Cologne (22). Lesservitudes liées au classement des monuments historiques,

AmsterdamImmeuble de 12 étages et284 appar tements, le Wolken -krabber (gratte-ciel) construiten 1930-1932 sur la DanielWillinckplein (auj. Victorieplein)est le premier projet d’habitaten hauteur à voir le jour àAmsterdam. Conçu par l’archi-tecte Jan Frederik Staal (1879-1940), il s’inscrit dans le pland’aménagement d’Amsterdam-Zuid élaboré en 1917 parHendrik Petrus Berlage (1856-1934). En rupture avec le développement radioconcen-trique de la capitale néer -landaise, ce plan était basé surdeux axes principaux dont, àpartir de l’Amstelbrug (auj.Berlagebrug), la perspectivesur Victorie plein s’ouvrantelle-même sur deux avenues,Churchilllaan et Roosevelt - laan, qui enserrent des voiessecondaires et des blocs d’ha-bitation en forme d’hexagones.

J. Sleding (éditeur). 27 De Wolkenkrabber, vers 1932.Carte postale sur papier au gélatinobromure

d’argent, 14,2 x 9,4 cm.

28 Panorama vers l’ouest depuisle Wolkenkrabber (au centre,Biesbosch straat ; à doite,Merwerdeplein et Jekerstraat),vers 1932.Carte postale sur papier au gélatinobromure

d’argent, 9,2 x 14,2 cm.

27

28

Page 20: Villes Du Monde Extraits

36

VILLES DU MONDE

1. SONTAG Susan, Sur la photographie, Paris,C. Bourgeois, 2008, p. 41.2. TWEEDIE Katherine & COUSINEAU Penny,« Photographie » in Canadian encyclopedia(en ligne). BAJAC Quentin, La photographiedu daguerréotype au numérique, Paris,Gallimard, 2010, p. 50, Annuaire-almanachdu commerce, de l’industrie… 1896, 3e partie :Colonies françaises et pays de protectorat,étranger, Paris, Didot-Bottin, 1896, p. 814,858, 1292.3. NADAR, Quand j’étais photographe, Paris,Seuil, 1994, p. 234.4. Par exemple, des vues originales sontpubliées dans le Annual report of the Boardof Commissioners of the Departmentof Public Parks de New York (1871-1873)et dans le Annual report of the Board of waterCommissioners de Toronto (1875).5. Le site de la Bibliothèque du Congrèsprésente 164 000 images réalisées parles photographes de la FSA puis de l’Officeof War Information (W. Evans, D. Lange…)entre 1935 et 1944, tandis que le site Britainfrom above a mis en ligne une partiedes 1 260 000 images prises par la sociétéAerofilms (et d’autres sociétés spécialiséesdont elle avait racheté les collections),acquises par English Heritage en 2007.6. ROUILLÉ André, La Photographie, Paris,Gallimard, « Folios essais », 2005, p. 35.Plusieurs anecdotes montrent que très tôtl’image photographique fut utilisée commeélément de preuve : ainsi, en 1840,les daguerréotypes qu’E. Anthony réalisadans le Maine aidèrent à régler un différendfrontalier entre les États-Unis et le Canada,tandis qu’en 1854, les calotypes qu’AugusteSalzmann (1824-1872) rapporta deJérusalem vinrent prouver scientifiquementla thèse de F. Caignart de Saulcy quant àla datation du rempart de Jérusalem.7. Ibid.8. Les différents formats des négatifsgélatinoargentiques ont été normalisés

au cours du 2e congrès international dephotographie (Bruxelles, 1891). Les frèresAlinari utilisèrent en 1889 des plaquesau collodion de 130 x 90 cm et F. Rocchinides négatifs de 24 x 30 ou 30 x 40 cm.Nombre de photographies reproduites iciont un format original proche du format« mamouth » (46 x 56 cm).9. À l’exception des illustrations 27, 40, 56,74, 81, 95, toutes les photographiesreproduites ici présentent des ciels blancs oubrouillés, ce qui n’est pas parfois sans effetartistique (86, 105).10. FRIZOT Michel, Nouvelle histoire de laphotographie, Paris, Bordas, Adam Biro,1994, p. 200.11. Panorama en deux vues (au moins) réalisé depuis une des tours de la basilique Notre-Dame en 1872. F. Rocchini s’était aussirendu célèbre avec ses panoramas de Lisbonne.12. Panorama en 10 vues réalisées depuisle clocher de Scots’ church le 17 mai 1875,peu après que C. Bayliss en eût réaliséun depuis la tour du Government House.En 1869, J. Noone en avait composé undepuis la résidence du Dr FitzGerald.Certaines planches de ce panoramase trouvent dans l’album Views of Melbourneand suburbs, colony of Victoria. Les frèresPaterson ont choisi le même emplacementque Samuel Jackson (1807-1876), architectede Scots’ church, qui dessina en 1841 unpanorama depuis l’église alors en construction.13. L’illustration 9 fait partie d’un ensemblede onze vues aériennes qui s’assemblentpour former trois panoramas.14. SONTAG S., op. cit , p. 139.15. Ibid., p. 210.16. BAUDELAIRE Charles, Curiositésesthétiques (Le public moderne et laphotographie), in Œuvres complètes, Paris,Gallimard, « La Pléiade », 1956, p. 771.17. PROUST Marcel, Contre Sainte-Beuve, Paris,Gallimard, « La Pléiade », 1971, p. 522 et 139.18. VIOLLET-LE-DUC Eugène, Dictionnaire

raisonné d’architecture française du XIe auXVIe siècle, Paris, A. Morel, 1875, t. 8, p. 33-34,article « Restauration ». Cette pratique està mettre en relation avec la créationde la Société internationale de photographied’architecture en 1864. Viollet-le-Duc fitréaliser en 1842 sept daguerréotypesde Notre-Dame avant d’en entreprendrela restauration et parmi les plaques réaliséespar P. Lhuillier, on trouve des vues deCarcassonne, Avignon, Coucy-le-Château-Auffrique, localités où intervint l’architecte.19. MILLET Bernard, « Le grand tour,un paysage photographique », in La penséede midi, 2000, n° 3, p. 66. La vue aériennedes ruines de Timgad (ill. 57) porte le mêmeregard moderne sur une ville morte étudiéescientifiquement à partir de 1880.20. BAJAC Quentin, « Grounds zéro », inLigéa, juil.-déc. 2010, n° 101-104 (en ligne).21. La maquette de cette statue a étéphotographiée en détail à Paris parA. Mansuy. L’ensemble appartient au fondsDavioud donné à l’Inspection généraledes services d’architecture de la ville de Paris en 1918.22. SONTAG S., op. cit , p. 102 (à proposde l’œuvre de B. Abbott). La « continuelleobsolescence du neuf » est souventmasquée/montrée par des légendes quiinsistent sur la nouveauté. Ainsi, pour lesvues de Florence d’Alinari, on relèvera :Nuovo mercato centrale…, Nuovoosservatorio astronomico…23. Ibid., p. 32.24. ROUILLÉ A , op. cit., p. 51. Le fait estparticulièrement frappant pour les capitales,vitrines du pouvoir d’Etat, notamment sousles régimes autoritaires. Si à Moscou, oninsiste sur les progrès (Trest Stroitel’stva…),à Rome on met l’accent sur le dégagementdes monuments antiques (Rome 1938…).25. GUNTHERT André, « Photographieet temporalité : histoire culturelle du tempsde pose », in Traditions et temporalités des

images, Paris, Éd. de l’EHESS, 2009, p. 193(souligné par l’auteur).26. CLAUDEL Paul, L’œil écoute (Les Psaumeset la photographie), in Œuvres en prose, Paris,Gallimard, « La Pléiade », 1965, p. 391.27. ROUILLÉ A., op. cit., p. 125. G. Chevrier,en archivant ses négatifs dans de petitscarnets avec sommaire, avait le même soucid’identification et de conservation.28. HARPER J. Russell & TRIGGS Stanley,Portrait of a period : a collection of Notmanphotographs, 1856 to 1915, Montréal, McGill University Press, 1967 : « a lavishproof of solid achievement, unquestionableprosperity, and undisturbed confidence »(extrait de l’introduction).29. SONTAG S., op. cit., p. 102.30. Rapports sur les comptes de laCorporation de la Cité de Montréal etrapports des chefs de départements pourl’année 1877, Montréal, 1878, p. 35.31. Préface de Konosevitch. Sur ce présent,voir Procès-verbaux du Conseil municipal de Paris, 17 mai 1897, p. 690. Sur la Mission à la Terre de Feu, voir ibid., 14 déc. 1891, p. 787-788 et sur P. Willems, Archivesnationales LH 19800035/281/37699.32. B.H.d.V., Ms 1748, f° 67-69.33. Board of Commissioners ofthe Department of public parks, Minutes,1878-1879, New York, Impr. M. Brown, 1881,p. 49. Il y a tout lieu de penser que l’envoifrançais comprenait des photographiesd’Albert Fernique sur la reconstructionde l’hôtel de ville et peut-être des épreuves,plus anciennes, de C. Marville sur le parcdes Buttes-Chaumont.34. Ibid., p. 255 et 359. Les vues de Vienneet de Florence ont été reliées à Paris dansle même but.35. Board of Commissioners of theDepartment of public parks, Minutes, 1879-1880, New York, Impr. M. Brown, 1882,p. 23. Les volumes et planches reçus de villesétrangères (à l’exception de Trest

Stroitel’stva… donné à la Bibliothèque parla Direction de la voirie de la Mairie de Paris)ont été conservés dans la « Bibliothèqueétrangère » et en portent le cachet (8, 16).36. Board of Commissioners…, Minutes, 1878-1879, p. 625-626 : « I will, with pleasure,pay them myself, and as a citizen of the greatCity of New York and a lover of its parks, take pride in presenting the photographs, &c., to the City of Paris ».37. SONTAG S., op. cit , p. 213.38. Ibid., p. 42.39. LAROUSSE Pierre, Grand dictionnaireuniversel du XIXe siècle, 1990 (reprint),t. 6 p. 630.40. CANTLIE James, Degeneration amongstLondoners, Londres, The Leaderhall Press,1885, p. 24. L’urbaphobie mêle à l’argumentsanitaire développé par le médecin Cantlieet fondé sur la fréquence des épidémies(choléra, typhoïde, typhus), l’argumentesthétique dont J. Ruskin fut l’apôtre.41. PINOL Jean-Luc & WALTER François,Histoire de l’Europe urbaine, 4 : La villecontemporaine jusqu’à la Seconde Guerremondiale, Paris, Seuil, 2012, p. 200.42. ALLAIN Rémy, Morphologie urbaine :géographie, aménagement et architecturede la ville, Paris, Armand-Colin, 2004, p. 178.43. BOYER Jean-Claude, Amsterdam : la pluspetite des grandes métropoles, Paris,L’Harmattan, 1999, p. 69.44. Citation de Jean Cocteau par VERGER

Fernand : « La morphologie urbained’Amsterdam », in Norois, n° 30, 1961, p. 210.45. ROUILLÉ A., op. cit., p. 31.46. Aujourd’hui encore, pour des raisonscertes différentes, l’application Street viewde Google laisse elle aussi des videsphotographiques…47. SONTAG S., op. cit., p. 42.

Pour conclure ces réflexions sur la construction photographique du paysage urbain, force est de constater queville moderne et photographie entretiennent des rapports étroits. Plongeant l’une comme l’autre leursracines dans le Quattrocento, période de réflexion sur l’espace et sa représentation, elles s’inscrivent dans « la dynamique de la société industrielle »45, la photographie argentique devenant l’outil de représentation parexcellence de la nouvelle société et donc de la ville moderne, y compris dans ce qu’elle a de plus insaisissable.Mais, si la photographie érige la ville en lieu photogénique, digne d’être représenté comme l’étaient la natureet la campagne pour les peintres, si elle en montre aussi bien le présent que les vestiges et les changements,c’est souvent au prix de discontinuités spatiales et temporelles. Celles-ci, en dépit des machines à voir, donnent l’impression de villes en miettes car non seulement l’exhaustivité de l’inventaire photographique dumonde apparaît utopique 46, mais la photographie concourt aussi à remettre en cause la définition de la ville enétayant des caractérisations multiples : villes américaines, arabes, européennes… Dans le même temps, grâceaux nouvelles manières de voir qu’elle impose (les points de vue et cadrages inséparables de la représentationphotographique), elle amorce la réflexion anthropologique sur la ville : elle influence aussi bien la perceptionde l’espace urbain – en faisant, par exemple, émerger la notion de congestion urbaine (grâce à la vue aérienneverticale)  –, que sa construction, en renouvelant notamment la pratique du dessin d’architecture. Qu’ÉmileAillaud, pour concevoir le Serpentin de la cité des Courtillières à Pantin, ait puisé l’inspiration dans une vue aérienne de Bath, montre à quel point «  les photographies sont d’inépuisables incitations à déduire, à spéculer, à fantasmer 47 » et, au final, à créer.

Agnès Tartié

Palerme29 Paul Lhuillier. La Cala, vers 1914.Positif sur verre au chloro-bromure d’argent

(vue stéréoscopique partielle), 4,7 x 4,7 cm.

Double page suivante :30 Mappemonde en deux hémisphères, 1878. Gravure, 69,5 x 102 cm.

Publié dans Atlas de choix, ou Recueil des meilleures cartes de géographie ancienne et moderne,Paris, E. Andriveau-Goujon, ca 1885.

29

Page 21: Villes Du Monde Extraits
Page 22: Villes Du Monde Extraits

40

MalteCapitale de la République et de l’île de Malte, La Valette est située sur une colline dominant un portnaturel au carrefour des routes maritimes méditerranéennes. C’est une ville créée ex nihilo par l'ordrede Saint-Jean de Jérusalem auquel Charles Quint céda l’archipel en 1530. Fondée par Jean Parisot deLa Valette et construite selon les plans de Francesco Laparelli (1521-1570), la ville est conçue commeun castrum romain. Forteresse religieuse et militaire face aux Turcs, elle est achevée avec ses rem-parts en 1568. Ces derniers finiront par contrarier le développement urbain : la population, tout endécroissant dès le XIXe siècle, sortira de la ville close pour s’installer au bord de la mer.

Malte 41Palerme 42Naples 44Rome 46Venise 50Florence 52Barcelone 54Cordoue 58Àvila 59Valence 60Lisbonne 62Moulay Idriss 64Marrakech 66Rabat 69Alger 70Constantine 74Carthage 76Timgad 78Tunis 80Sousse 81Tananarive 82Punta Arenas 84Ushuaïa 85Hanoï 86Hô-Chi-Minh-Ville 88Melbourne 90New York 97Greendale 100Montréal 102Saint-Pétersbourg 104Moscou 106Budapest 110Prague 112Bratislava 115Vienne 116Nuremberg 120Berlin 122Cologne 125Kehl 127

ALBUM

Paul Lhuiller. Vue générale de La Valette,vers 1914. Négatif sur verre au gélatinobromure d’argent

(vue stéréoscopique partielle), 4,7 x 4,7 cm.

Page 23: Villes Du Monde Extraits

41

31

Page 24: Villes Du Monde Extraits

42

V I L L E S D U M O N D E

43

PalermeLa cathédrale de Palerme a été édifiée au XIIe siècle à l’emplacement d’une basilique normande trans-formée en mosquée et son architecture reflète bien le syncrétisme de la culture sicilienne. Elle abritela sépulture de sainte Rosalie, patronne de la ville, qui se retira du monde sur le Monte Pellegrino.Il Festino, une procession qui se déroule dans les rues de la ville, fête cette sainte en juillet depuis 1625.Fondé par les Jésuites, le Liceo classico Vittorio Emanuele II est installé à côté de la cathédraledepuis 1588.

Paul Lhuillier. 32 Une rue, vers 1914.33 Le Duomo (Notre-Dame de l’Assomption) depuis la via Vittorio Emanuele II (à droite, le Liceo classico Vittorio Emanuele II), vers 1914.Négatifs sur verre au gélatinobromure d’argent (vues stéréoscopiques partielles), 4,7 x 4,7 cm.

32 33

Page 25: Villes Du Monde Extraits

44

V I L L E S D U M O N D E

45

NaplesSituée dans un golfe de la mer Tyrrhénienne et dominée par le Vésuve, dont l’éruption de 1906 futla plus importante du XXe siècle, Naples a été fondée par les Grecs au Ve siècle avant J.-C. à partir del’îlot de Megaride, lieu de leur implantation initiale et, selon la légende, de la sépulture de la sirèneParthénope. Dès le Ier siècle avant J.-C., l’îlot, aujourd’hui relié au continent, était protégé par un châteauauquel le poète Virgile donna son nom actuel (le château de l’œuf) et qui survécut au risanamento(réaménagement) de la ville (1885).

Paul Lhuillier. 34 Le front de mer et leCastel dell’Ovo, vers 1914.Positif sur verre au chloro-bromure d’argent (vue stéréoscopique partielle), 4,7 x 4,7 cm.

35 La baie et le Vésuve, vers 1914.Autochrome (vue stéréoscopique partielle), 4,7 x 4,7 cm.

34

35

Page 26: Villes Du Monde Extraits

46

V I L L E S D U M O N D E

Anonymes. 36 La place Esedra (auj. Place de la République), avant 1938.Photographie positive sur papier gélatino-argentique, 14,9 x 10,5 cm.

37-38 Mise en valeur du marché de Trajan et de la tour des Conti, 1930-1938.Photographies positives sur papier gélatino-argentique, 10 x 15 cm.

39 Le palais des études dans la Cité universitaire de Rome, vers 1935.Photographie positive sur papier gélatino-argentique, 12 x 21 cm.

40 La place du 23 Mars (auj. Place de la Liberté) à Littoria, avant 1938.Similigravure, 10,5 x 15 cm.

RomeLes aménagements entrepris à Rome après 1871 témoignent de la volonté de bâtir une « troisièmeRome » après celles des empereurs et des papes. Ainsi, fut créée au-dessus des thermes de Dioclétien,la place Esedra dont la colonnade (1887-1898, par l’architecte G. Koch) suit le contour. La Fontanadelle Naiadi, œuvre de Mario Rutelli et placée en son centre, remplaça en 1901 celle de l’Acqua Piainaugurée en 1870 par le pape Pie IX.

« Les monuments millénaires de notre histoire doivent se dresser, tels des géants, dans une nécessairesolitude », déclarait Mussolini en 1925. S’entourant d’archéologues, de latinistes et d’architectes, il fitpoursuivre les campagnes de fouilles qui, depuis 1861, étaient menées scientifiquement à Rome. Lesmonuments antiques une fois dégagés devaient être mis en valeur comme le prévoyait le plan d’amé-nagement de la ville établi en 1931.

Fondée en 1932 après l’assèchement des marais pontins dans le cadre de la bonifica integrale, Littoria(auj. Latina) est située non loin de la via Appia Nuova, commencée en 1784. Ses bâtiments offrent,comme ceux de la cité universitaire de Rome bâtie en 1935 par M. Piacentini, un bon exemple de l’architecture rationaliste à l’honneur pendant la période fasciste.

36

Page 27: Villes Du Monde Extraits

48

V I L L E S D U M O N D E

49

38

37 39

40

Page 28: Villes Du Monde Extraits

50

V I L L E S D U M O N D E

51

VeniseVenise est une ville de pierre et d’eau. Fondée à la fin du VIe siècle sur une île dans une lagune de l’Adriatique, capitale d’unerépublique indépendante de 1001 à 1797 et placée sous la protec-tion de saint Marc, elle tenait sa puissance de la mer et du com-merce. Sa richesse s’incarna dans des édifices que l’instabilité dusol obligea à bâtir sur pilotis. Parcourue par 177 canaux, elle est à la merci d’inondations (acque alte) liées aux marées, au sirocco etl’affaissement de son sol.

Anonyme. La piazza San Marco (de gauche à droite : la basilique, le campanile et les Procuratie nuove, la basilique Santa Maria della Salute), vers 1930.Carte postale sur papier au gélatinobromure d’argent, 10 x 15 cm.

41

Page 29: Villes Du Monde Extraits

52

V I L L E S D U M O N D E

53

FlorenceCapitale de l’Italie de 1864 à 1870, Florence connut alors une période de transformations importantes,orchestrées par l’architecte urbaniste Giuseppe Poggi (1811-1901). Les travaux du risanemento (réaména-gement urbain) durèrent trente ans pendant lesquels les remparts médiévaux furent abattus, à l’exception de quelques portes (16) et de nombreuses artères percées. Oltrarno, l’esplanade Michelangelo fut amé -nagée en 1865, tandis queLungarno, la piazza Cavour fut achevée en 1875. Des travaux furent aussi exécutéssur l’Arno pour la fourniture d’eau potable et la protection contre les crues, tandis que l’architecte mila-nais Giuseppe Mengoni (1829-1877) construisait le nouveau marché central (13).

Alinari Fratelli. 42 Piazzale Michelangelo, vers 1875.43 Prise d’eau sur l’Arno (au second plan, la Torre San Niccolo et la colline de San Miniato), vers 1865-1875.44 Piazza Cavour (auj. Piazza della Liberta), partie ouest : de gauche à droite : la porte San Gallo, l’arc de triomphe pour l’avènementdeFrançois de Lorraine ; au second plan, le palazzo Fondiaria, vers 1865.Photographies positives sur papier albuminé, 41,5 x 57,2 cm, 42,6 x 57,5 cm et 42,1 x 58,2 cm.

42

44

43

Page 30: Villes Du Monde Extraits

54

V I L L E S D U M O N D E

BarceloneOrganisée autour de son port (photo de quatrième de couv.), le premier par l’activité dans les années 1920,Barcelone est, à cette époque, une ville « moderne » dont l’extension (ensanche) dirigée par IldefonsoCerda y Sunyer (1815-1876) a porté sur une surface dix fois supérieure à celle de la ville existante. Au pieddes anciens remparts abattus en 1854, s’étend le quartier de l’Eixample, où, au 35 passeig de Gracia LluisDomenech i Montaner (1850-1923) édifia en 1905 la Casa Lleo Morera, une des trois maisons de stylemoderniste de la « Manzana de la discordia » (manzana signifiant à la fois « pomme » et « îlot ».)

Aménagé entre 1900 et 1914 par Antonio Gaudi (1852-1926) sur un terrain alors hors de la ville, le ParkGüell devait devenir pour son commanditaire et propriétaire Eusebi Güell une cité-jardin de 60 maisonssur le modèle anglais. Les coûts, la guerre et la mort de Güell ne permirent pas de concrétiser ce projetimmobilier destiné à la bourgeoisie catalane. Seuls deux maisons et le parc lui-même furent réalisés.Symbole de l’Art nouveau, le parc, avec son célèbre banc ondulant long de 110 m et recouvert de trencadis(morceaux de céramique irréguliers), a été acquis par la ville et ouvert au public en 1926.

Paul Lhuillier. 45 La Casa Lleo Morera, 1914.Négatif sur verre au gélatinobromure d’argent

(vue stéréoscopique partielle), 4,7 x 4,7 cm.

46-47-48 Le Park Güell, 1914.Autochromes (vues stéréoscopiques partielles),

4,7 x 4,7 cm.

45

Page 31: Villes Du Monde Extraits

56

V I L L E S D U M O N D E

57

46

47

48

Page 32: Villes Du Monde Extraits

58

V I L L E S D U M O N D E

59

AvilaCapitale provinciale située à 1 114 m d’altitude sur la Meseta, Avila est de fondation romaine. Placeforte sous les Wisigoths puis les Arabes, reconquise par les Espagnols au XIe siècle, sans connaître degrand développement jusqu’au XIXe siècle, elle est ceinte d’un rempart long de 2,5 km construit entre leXIeet le XIVe siècle et a une superficie de 33 ha. Au XIXe siècle, la muraille, entretenue grâce à l’impôt(el reparo de los muros) apparut comme un frein à l’expansion urbaine et à la liaison entre quartiers et l’onenvisagea de l’abattre. Finalement, en 1884, la ville fut classée « monument historique national » et unerestauration commença en 1907 sous la direction d’Enrique Maria Repullès y Vargas (1845-1922).

CordoueLe pont romain sur le Guadalquivir qui relie le Campo de la verdad au Barrio de la catedral et la cathédraleelle-même qui est une ancienne mosquée, symbolisent les deux temps forts de l’histoire cordouane :l’époque romaine où la ville, capitale de Bétique, vit naître Lucain et Sénèque, et l’époque musulmane(711-1236) où, capitale d’un émirat puis d’un califat, elle vit naître Averroès et Maïmonide. Au Xe siècle, laville comptait de 250 à 500 000 habitants. Elle en compte 320 000 aujourd’hui.

Paul Lhuillier. Vue générale (de gauche à droite : le Parador, la cathédrale, la basilique Saint-Vincent), 1914.Positif sur verre au chloro-bromure d’argent (vue stéréoscopique partielle), 4,7 x 4,7 cm.

Paul Lhuillier. Le pont romain (au second plan, la Santa iglesia catedral), 1914.Positif sur verre au chloro-bromure d’argent (vue stéréoscopique partielle), 4,7 x 4,7 cm.

49 50

Page 33: Villes Du Monde Extraits

60

V I L L E S D U M O N D E

61

ValenceCapitale provinciale, Valence est de fondation romaine. Sa cathé-drale gothique s’élève sur un site où se succédèrent un temple àDiane, une église wisigothe, puis une mosquée, tandis que l’actuelleplace de la Vierge se situe à l’emplacement du forum. Sur cetteplace, depuis 960 se réunit tous les jeudis le tribunal de las aguaschargé de juger les litiges concernant la distribution des eaux ausein des huit communautés d’irrigants de la huerta de Valence.

Paul Lhuillier. 51 La tour lanterne de la cathédrale Santa Maria (à droite, le clocher de l’église Santa Catalina), 1914.Autochrome (vue stéréoscopique partielle), 4,7 x 10,7 cm.

52 La ville depuis la tour du Miguelete, 1914.53 La place de la Constitution (auj. plaza de la Virgen) depuis la tour du Miguelete, 1914.Positifs sur verre au chloro-bromure d’argent (vues stéréoscopiques partielles), 4,7 x 10,7 cm.

51 52

53

Page 34: Villes Du Monde Extraits

62

V I L L E S D U M O N D E

LisbonneEntre la place du Commerce sur le Tage et le Rossio, où fut érigée la statue du roi du Brésil Dom Pedro Ier

(statue dont G. Davioud conçut le piédestal), s’étend un quartier de 23,5 ha entièrement reconstruitaprès le tremblement de terre et le raz-de-marée que connut Lisbonne en 1755. Dans la Baixa Pombalinabâtie selon les plans du ministre Pombal, les édifices bordant les nouvelles rues rectilignes et les deuxplaces spacieuses étaient construits pour résister aux séismes et à l’incendie (17).

Francisco Rocchini. Construction de la statue du roi Dom Pedro depuis la calçada de Carmo, vers 1869.Photographie positive sur papier albuminé, 39 x 27 cm.

54

Page 35: Villes Du Monde Extraits

V I L L E S D U M O N D E

Moulay IdrissPerchée sur deux pitons rocheux qui surplombent la vallée de l’ouedErroumane et la plaine de Volubilis, Moulay Idriss est ville sainte del’Islam. Elle a été fondée en 789 par Idriss Ier, un descendant duProphète. Venant de Damas, il introduisit la religion islamique auMaroc et y fonda la première dynastie arabe. Son fils Moulay IdrissII lui succéda et continua son œuvre, en particulier le dévelop-pement de Fez. La ville de Moulay, construite avec des matériauxprovenant de la cité romaine de Volubilis, abrite dans un horm inter-dit aux non-musulmans, le tombeau du saint qui émerge au milieudes maisons blanches à toits plats caractéristiques des médinas etreçoit chaque année des milliers de pèlerins.

Anonyme. Vue générale (au premier plan, le mausolée d’Idriss Ier), 1922.Photographie positive sur papier au gélatinobromure d’argent, 17,9 x 23,8 cm.

55