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UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE PARIS 3 UFR Arts & Médias Département de Médiation culturelle LA REAPPROPRIATION ET LA REINVENTION DE L’IDENTITE DES METIS CANADIENS. LA LITTERATURE : UN MEDIUM DE REVENDICATION IDENTITAIRE. VILFROY Audrey Mémoire dirigé par Mme BERTHO - LAVENIR Catherine Soutenu à la session de juin 2012

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Page 1: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE – PARIS 3

UFR Arts & Médias

Département de Médiation culturelle

LA REAPPROPRIATION ET LA REINVENTION DE L’IDENTITE DES

METIS CANADIENS.

LA LITTERATURE : UN MEDIUM DE REVENDICATION IDENTITAIRE.

VILFROY Audrey

Mémoire dirigé par Mme BERTHO - LAVENIR Catherine

Soutenu à la session de juin 2012

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« De tous les peuples fondateurs de ce pays, nous sommes les derniers à être

reconnus. Nous sommes incompris et notre statut d’Autochtone est remis en

question de pars et d’autre et ce, d’une manière dégradante, comme si nous

n’avions pas le droit d’exister. Si nous, les Métis, sommes le peuple oublié du

Canada, alors je considère être une mission que de faire en sorte que l’on se

souvienne de nous […] Etre Métis est un droit de naissance, mais trouver de la

fierté dans le fait d’être Métis et la capacité de s’exprimer à travers l’art en tant

que Métis est un défi pour tous les artistes Métis. »

BELCOURT Christi,

« Purpose in Art, Métis Identity, and Moving Beyonf the Self »

Native Studies Review, vol.17, n°2, 2008, p.147

Citation originale:

“We are the least celebrated of all the founding peoples of this country. We are misunderstood and our

Aboriginal status is questioned from all sides in a demeaning manner, as if we have no right to exist. If we, the

Metis, are Canada’s forgotten people then I consider it a mission in life to make sure we are remembered […]

Being Métis is a birthright, but finding pride in being Métis and the ability to express oneself through art as a

Métis person is a challenge for every Métis artist.”

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3

SOMMAIRE

REMERCIEMENTS ............................................................................................. 5

INTRODUCTION ................................................................................................. 6

CHAPITRE I : ACTEURS A L’ORIGINE ET A LA TETE DE LA LITTERATURE

DES METIS ......................................................................................................... 9

1.1 Le XIXe siècle et Louis Riel ............................................................... 10

a. Louis Riel : fier d’être Métis.................................................................. 10

b. Des engagements politiques et religieux plus prononcés ..................... 14

1.2 Etre Métis aujourd’hui ....................................................................... 21

a. Pemmican Publications : une maison d’édition pour les Métis ............. 22

b. Les écrivains contemporains ............................................................... 27

CHAPITRE II : LES GENRES LITTERAIRES PRIVILEGIES ............................ 38

2.1 La poésie : « le langage du milieu » ...................................................... 39

a. La poésie : une transition naturelle entre tradition indienne et tradition

européenne ................................................................................................ 27

b. La poésie : une remise en question du langage ................................... 44

2.2 Le roman ................................................................................................. 48

a Le roman : médium de créolisation ? ................................................... 49

b. Le roman : une logique associative ...................................................... 52

CHAPITRE III : CONTENUS DES ŒUVRES, LA PREPONDERANCE DE

STEREOTYPES ................................................................................................ 57

3.1 Le « syndrome des filles natives » ....................................................... 58

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4

a Une violence physique ......................................................................... 59

b. Les violences psychologiques ............................................................. 62

3.2 Pensionnats et familles d’accueil ......................................................... 67

a. Survol historique des pensionnats ....................................................... 67

b. Les politiques gouvernementales......................................................... 69

c. Le cas particulier des Métis ................................................................. 72

d. Les familles d’accueil ........................................................................... 74

3.3 Le sentiment d’entre-deux ..................................................................... 76

a. Définitions des termes Métis et « Sense of Metis Self » ....................... 76

b. La stratégie du « Passing » ................................................................. 78

c. Le troisième espace : un processus en trois étapes ............................. 83

CONCLUSION .................................................................................................. 87

BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................. 90

SITOGRAPHIE .................................................................................................. 96

ANNEXES ....................................................................................................... 100

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5

REMERCIEMENTS

En préambule à ce mémoire, je souhaite témoigner ma reconnaissance

aux personnes qui m’ont apporté leur aide et qui ont contribué de près ou de loin

à l’élaboration de ce projet.

Je voudrais avant tout adresser toute ma gratitude à la directrice de ce

mémoire, Catherine BERTHO-LAVENIR pour sa direction, sa disponibilité, son

écoute et surtout ses conseils pertinents qui m’ont permis de mener à bien cette

étude.

Mes remerciements s’adressent également à l’équipe du centre de

documentation du centre culturel canadien de Paris pour la mise à disposition de

documents non destinés au public et qui ont considérablement alimenté ma

réflexion. Je leur en suis sincèrement reconnaissante.

Je tiens aussi à exprimer ma gratitude envers Mr Thomas Emmanuel,

Mme Nadia Duboc et Mlle Claire Rochet pour leurs regards extérieurs sur la

question ainsi que leur gentillesse de lire et corriger ce travail.

Je n’oublie pas mes proches et plus particulièrement Mlle Lee Hyunah

pour m’avoir apporté un support moral tout au cours de la réalisation de ce

mémoire.

Enfin, j’aimerais adresser un remerciement particulier à Mme Ferré-Rode

Sandrine, Maître de conférences de l’U.V.S.Q et spécialiste de la littérature

régionale et minoritaire au Canada, pour avoir suscité mon intérêt quant à ce

domaine d’étude.

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INTRODUCTION

Le 11 juin 2008, le premier ministre canadien, Stephen Joseph Harper

revient sur le comportement passé du gouvernement envers les peuples

autochtones et explique :

« Le système des Residential schools avait deux principaux objectifs.

Extraire les enfants de l’influence de leur foyer, de leur famille, de leurs traditions

et de leurs cultures afin de les assimiler à la culture dominante. Ces objectifs

étaient fondés sur l’idée selon laquelle les cultures et les croyances des

autochtones étaient inférieures et inégales (à la culture canadienne européenne).

En effet, certains pensaient, et ont tenu notoirement qu’il fallait « tuer l’indien

dans l’enfant » […] La pratique des langues et des cultures des Premières

nations, des Inuits et des Métis étaient interdite dans ces écoles. »

Souvent décrit comme une mosaïque culturelle, le Canada qui questionne

sans arrêt la nature et les contours de son identité est, à tord ou à raison, perçu

comme plus ouvert et plus innovateur quant à la question de la multiculturalité.

Aujourd’hui, les artistes canadiens à l’instar de Ken Lum abordent ces

questions d’identités dans leurs œuvres. A titre d’exemple, la création de Lum

intitulée Il n’y a rien de mieux qu’être chez soi1, conçu pour la façade de la

Kunsthalle de Vienne illustre cette idée. Ce travaille réunissant six photos de

personnes, accompagnées d’un texte court : leur parole, questionne la

construction de l’identité des immigrants dans leur pays d’accueil.

Les autochtones canadiens quant à eux, s’emparent depuis quelques

années de l’art pour se faire entendre. L’expression artistique est considérée et

utilisée par les peuples autochtones du Canada comme un médium de

revendication identitaire. Ces derniers ont dû se battre pour maintenir leur place

dans la société canadienne et, aujourd’hui encore, c’est le défi qu’ils continuent

de relever.

Ceci est d’autant plus vrai pour les Métis canadiens qui ne sont reconnus

comme peuple autochtone par la constitution canadienne que depuis 1982. Leur

statut particulier leur confère une double identité ainsi qu’un double héritage

culturel qui entraîne une définition peu précise du peuple Métis. A la fois de

1 Cf. Annexe n°, LUM, Ken, There is no place like home, 2000-2001, 3 épreuves couleurs, 105 x 74 cm

chacune.

Page 7: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

7

descendance européenne et autochtone, les Métis doivent constamment justifier

leur identité et leur culture. Souvent regardés de haut par les canadiens

européens et les Premières nations, la culture des Métis n’est pas reconnue

comme une culture unique mais comme une vulgaire combinaison des deux

cultures « mères » qui la composent.

Par le passé, les Métis revendiquaient leur identité et se battaient pour

celle-ci, le soulèvement de la rivière rouge en est l’exemple. Puis, le

gouvernement canadien mis en place des politiques visant à « tuer l’indien qui

est en eux», c'est-à-dire à civiliser les autochtones afin d’unifier la culture

canadienne autour de la culture européenne.

En réponse à ces actions politiques, les Métis sont entrés dans une

tactique de survie qui consistait notamment à s’assimiler à l’une de leurs cultures,

n’exposant pas ou très peu leur appartenance à cette communauté. De toute

évidence, les politiques gouvernementales ont échoué et c’est à partir des

années 1980 et 1990 que l’on constate une appropriation du médium littéraire

par les Métis.

En conséquence, ce médium leur permet de se réapproprier et de

réinventer leur image auprès de la société canadienne. Une œuvre d’art n’est

pas seulement une image, du contenu mais aussi une organisation avec son

mode de fonctionnement qui nous force à réfléchir. En ce sens, le dispositif sert

des intérêts, supposés avoir un impact sur le spectateur.

Ceci vient éclaircir le sujet que la présente recherche entend approfondir

à savoir : comprendre comment le dispositif des œuvres littéraires des Métis

incarne en lui-même une revendication identitaire. Dans cette optique, la

littérature sera abordée comme un objet matérialisant la voix des Métis. Il s’agit

de déconstruire l’objet pour déchiffrer son mode de fonctionnement, sa logique

interne, afin de comprendre comment les Métis se l’approprient et l’utilisent pour

reprendre le contrôle de leur image culturelle.

Dans un premier temps, nous exposerons les différents acteurs de la

littérature des Métis et les raisons pour lesquelles ces derniers s’engagent et

utilisent le médium littéraire pour revendiquer leur identité et leur culture. Le

lecteur, avant même d’avoir lu le livre qu’il a entre ses mains dégage une idée

rien qu’en regardant le nom de l’auteur. L’écrivain, par sa nature, son identité

Métis, représente une certaine image de sa communauté. C’est en découvrant

Louis Riel, militant politique et écrivain, la maison d’édition Pemmican

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8

Publications dédiée aux auteurs Métis et les écrivains Métis contemporains que

nous essaierons de comprendre comment ils abordent la littérature et comment

ils jouent avec ses codes.

Ces interrogations formeront une transition avec le deuxième chapitre,

abordant la question du genre littéraire. Nous questionnerons les raisons qui font

de la poésie et du roman les genres les plus privilégiés par les Métis. La forme

est une interface entre l’émetteur et le récepteur, sa structure offre au lecteur de

nombreuses informations sur la logique de ce dispositif. Nous démontrerons ici,

que ces deux genres littéraires permettent aux écrivains de combiner des

éléments de leur culture canadienne européenne et indienne afin de créer une

logique associative et non séparative.

Cette dernière question nous amènera à aborder dans le dernier chapitre

le contenu des œuvres et plus spécifiquement la récurrence des thèmes abordés

par les Métis. Le lecteur tire des conclusions à partir de ce que l’auteur lui

raconte. C’est pourquoi, il est nécessaire de comprendre en quoi ces

thématiques sont révélatrices de l’action menée par les auteurs afin de véhiculer

une image autre des Métis.

Cela nous conduira à conclure sur le discours tenu par les auteurs Métis

quant à leur identité et leur culture en s’emparant du médium littéraire. Dans

quelles mesures cet outil leur permet de changer leur image et, par extension,

leur place au sein de la société canadienne ? L’utilisation qui en est fait par les

auteurs contribue-t-elle à améliorer la perception des autres membres de la

société, ou à l’inverse, ne fait-elle qu’alimenter les stéréotypes dont les Métis

veulent se défaire ?

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CHAPITRE I :

Acteurs à l’origine et à la tête de la littérature des Métis

Au cours de ce premier chapitre, nous nous concentrerons sur les acteurs

à la tête de l’invention d’une nouvelle identité métisse. Il nous faut comprendre

les raisons qui motivent ces différents acteurs et par quels moyens ils essaient

d’inventer une nouvelle identité.

Pour cela, nous nous pencherons sur le cas de Louis Riel, puisque cet

auteur est devenu une figure emblématique, une référence pour la littérature des

Métis. Nous essaierons donc de comprendre ce qui a fait que cet homme est

devenu célèbre au sein de la communauté métisse et canadienne en générale,

mais aussi les convictions de Louis Riel, fervent défenseur de la communauté

métisse.

Après avoir pris en compte les prémisses de la littérature métisse du XIXe

siècle, nous pourrons faire un bon dans l’histoire et nous attarder plus

précisément sur la création d’une maison d’édition en 1980, toujours en activité,

et exclusivement réservée aux auteurs Métis, à savoir Pemmican Publications. Ici,

nous nous concentrerons sur un média, en d’autres termes sur une institution

structurée pour médiatiser des contenus, parce que cette maison d’édition fait

partie des différents acteurs qui inventent cette nouvelle identité métisse. En y

prêtant attention, nous acquerrons une idée plus précise de la situation actuelle

de la littérature des Métis au sein de la société canadienne.

Enfin, nous porterons notre regard sur les auteurs Métis contemporains

puisqu’ils sont aujourd’hui les ambassadeurs de la communauté métisse. Il

semble donc crucial de comprendre leur définition et leur position en tant

qu’auteur et en tant que Métis.

Cette démarche historico-chronologique nous aidera à appréhender la

littérature des Métis telle un médium de revendication identitaire. C’est en

essayant de comprendre les raisons qui poussent les différents acteurs,

mentionnés ci-dessus, à prendre position en faveur de la communauté métisse,

que nous pourrons comprendre en quoi cette littérature est en effet marquée par

ce besoin de revendication.

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1.1 Le XIXe siècle et Louis Riel

a. Louis Riel : fier d’être Métis

Louis Riel est né à St-Boniface en octobre 1844. Très tôt, dès l’année

1864 et alors âgé de 20 ans, il écrit et collecte des poèmes dans le « calepin de

poésies ». Les années qui suivent, Louis Riel rédige de nombreux écrits et fournit

alors aux Métis son premier écrivain reconnu. Il faut entendre par là que la

littérature des Métis existait et existe toujours sous une forme orale, c’est pour

cette raison que Riel devient l’un des premiers écrivains à transmettre sa pensée

en utilisant un médium plus couramment employé par les européens : la

littérature « écrite ». Nous reviendrons sur ces notions plus en détails au cours

d’un chapitre sur les genres littéraires employés par les auteurs Métis. Par

conséquent, il est nécessaire pour appréhender la littérature contemporaine, de

comprendre les engagements des premiers écrivains Métis et, en l’occurence,

ceux de Louis Riel.

Louis Riel, en plus de sa vie d’écrivain est un homme engagé envers le

peuple métis. Souvent catégorisé de personnage controversé, tantôt poète,

tantôt leader du soulèvement de la rivière Rouge, il devient le sujet de bien des

légendes. Ces clichés ne quitteront pas Louis Riel. En analysant avec plus de

précision quelques uns de ses poèmes, nous prendrons connaissance des

images préconçues qui se sont développées sur cet auteur et qui ont contribué à

créer un personnage charismatique. Par ses écrits de jeunesse, nous essaierons

de comprendre la vision du monde de Louis Riel dans le but de démontrer que

ses œuvres littéraires ont marqué les débuts d’une revendication identitaire qui,

nous le savons, donnera lieu à des événements historiques bien précis.

Dans un premier temps, il semble indispensable d’apporter quelques

explications quant à l’éducation de Louis Riel, puisque cela influence en partie sa

stylistique et surtout ses futurs idéaux politiques. Son enfance est marquée par

une éducation religieuse chrétienne. Ce détail est de grande importance puisque

plus tard, dans les années 1870, Louis Riel sera convaincu d’être choisi par le

Saint-Esprit pour incarner le « Prophète du Nouveau-Monde ».

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11

Il écrit d’ailleurs :

« Mes premières années ont été parfumées des meilleures odeurs de la

foi. Car mon bien-aimé père ne permettait à personne de dire du mal en ma

présence. La prière en famille, le chapelet ont toujours été sous mes yeux. Et ils

sont dans ma nature comme l’air que je respire. »2

Nous sommes forcés de constater l’éloge que le jeune Riel fait de sa

conviction religieuse. Il va même jusqu’à préciser que cette conviction est

primordiale à son existence. Ce passage accentue son engagement futur et nous

permet d’affirmer que cet écrit est un écho à sa prise de position pour le peuple

Métis. Les événements historiques qui s’en suivront, et sur lesquels nous

porterons une certaine attention, confirmeront cette idée. Notons également qu’il

étudie à l’école des Sœurs Grises de Saint-Boniface en 1853 ainsi qu’à l’école

des Frères des Ecoles Chrétiennes, où il y apprend le latin. Cette éducation,

marquée par une domination de la culture française renforce son opposition à la

culture dominante anglaise, et, a donc un impact sur ses futurs écrits et futures

actions.

De fait, Louis Riel poursuit son parcours scolaire au collège de Montréal.

Malgré de nombreuses absences tout au long de sa première année3, il fait

néanmoins preuve de nombreuses aptitudes scolaires en décrochant plusieurs

mentions « très bien », notamment en philosophie.

Un camarade de Louis Riel émet une précision qui a une certaine

importance. Bien que cet écrit soit relaté par un autre que Riel, ce qui est raconté

souligne une caractéristique quant à sa personne et nous apporte plus amples

informations sur l’esprit de revendication qui habite Louis Riel:

« Dans les heures de récréations […] on se groupait autour de lui […] Il

leur narrait quelque histoire comique sur les us et coutumes de son pays, ou

2 Archives du Séminaire de Trois-Rivières, Lettre de Louis Riel à Mgr A. Taché, 24 juillet 1885

3 CAMPBELL, FLANAGAN, MARTEL, Louis Riel Poésies de jeunesse, texte no XIV, p.1

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quelque aventure terrible dont il n’était jamais victime […] scènes déchirantes

d’incendie dans les prairies de l’ouest, d’enfants broyés ou emportés par des

chevaux sauvages, de chasseurs intrépides qui sautaient d’un seul bond une

grande rivière pour couper court aux poursuites acharnées des animaux

féroces. »4

Ici, ce n’est pas tant la stylistique employée par l’auteur qui nous importe,

bien qu’elle puisse avoir un intérêt certain afin d’expliquer l’idée que se font les

canadiens européens des Métis et de leur vie, mais plutôt le souvenir qu’un

camarade de Louis Riel garde de sa personne. Nous remarquons que dès son

plus jeune âge, et en dépit d’une éducation religieuse qui trouve ses sources

dans le modèle européen, Louis Riel garde des caractéristiques propres à la

culture des Métis canadiens. En d’autres termes, il utilise un mode de

transmission orale pour raconter ses histoires, ces dernières faisant référence à

la vie des Métis dans « les prairies de l’ouest » ainsi qu’aux légendes métisses

sur les enfants, les animaux. Prud’homme insiste sur le fait que tous se

« groupaient » autour de Riel. Cela dénote les talents d’orateurs du jeune

homme qui lui seront fort utiles par la suite. Nous pourrions même nous

demander si la culture des Métis et le mode de transmission orale des récits ne

contribuent-t-ils pas à former de bons orateurs ? Une qualité précieuse qui

explique en partie pourquoi Louis Riel est désigné pour mener le mouvement de

résistance des Métis.

D’autres descriptions de Riel par ses camarades le peignent comme une

personne qui « discutait souvent les ordres qu’il jugeait trop sévères et

arbitraires. »5

L’un de ses poèmes est d’ailleurs un clin d’œil à cette position contre la

domination des canadiens européens. Une emprise que nous pourrions désigner

comme étant arbitraire. Cette insubordination, qui se manifesta très tôt, ne quitta

jamais Louis Riel :

4 PRUD’HOMME, E., « Louis Riel », L’Opinion publique, 19 février 1870

5 MOUSSEAU, J.O., Une page d’histoire, Montréal : Daniel, 1886, pp. 5-13

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XVII. « Un homme haut placé… »

Un homme haut placé, Directeur d’un collège,

(C’est une dignité) Laissa certain travers

Entrer dans sa cervelle. Hélas donc, vous dirais-je

Le plus sûr quelquefois peut tourner à l’envers !

La tête la moins folle

Prend souvent, pour agir, une raison frivole.

Celui même par qui fut mis à mort Condé

Ne s’est pas bien gardé

Contre cette imprudence.

Le travers de notre homme avait pour conséquence

De mettre un élève en Défaut

Nonobstant parfaite innocence.

Cet écolier avait un petit tort : L’air haut.

Une apparence

D’indépendance

Dans certaines maisons suffit

Pour qu’on nous juge en grand délit.

Se Dominant à peine

Dans son préjugé vain, notre surintendant…

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A travers ce poème, nous pouvons percevoir la position de Riel contre les

injustices, ou du moins les décisions arbitraires des dirigeants de l’établissement

scolaire, « nonobstant parfaite innocence », qui justifient leur décisions sur la

simple apparence des choses. Le directeur « haut placé » ne fait plus preuve de

raison mais se laisse guider par son « préjugé vain ». Encore une fois, si l’on

compare ce poème avec les engagements futurs de Louis Riel pour le peuple

métis, ce dernier confirme l’esprit révolté et contestataire dont fait preuve

l’écrivain. En ce sens, et en dépit du fait de son appartenance au peuple métis,

Louis Riel apparaît comme une personne qui n’accepte pas les abus de pouvoir

qu’un homme, sous prétexte d’être en position de dominance, exerce sur autrui.

Ainsi, dès son plus jeune âge, à travers divers de ses écrits qui se

réfèrent à différents moments de sa vie, il nous est possible d‘observer le

caractère contestataire de Riel, qui n’hésite pas à dénoncer par l’écrit ce qu’il

considère être des injustices. Par certains de ses récits, il est évident que Riel

reste attaché aux traditions des Métis, puisqu’il continue de raconter des

histoires métisses en employant le médium de transmission Métis, la voie orale.

Si, dans ses tout premiers poèmes de jeunesse, il ne se fait pas voix de la

revendication identitaire des Métis, il n’hésite pas, cependant, à prendre parti

pour d’autres causes avec conviction, démontrant ainsi sa personnalité engagée.

b. Des engagements politiques et religieux plus prononcés

● Rebellions politiques et militaires

Comment Louis Riel en est-il venu à se rebeller au point de devenir le

leader de soulèvements tels que la rébellion du Nord-Ouest en 1885 ou celle de

la rivière Rouge entre 1869 et 1870 ? Si ses premières années d’études se

déroulaient sans véritables difficultés, la situation changea. Un an après le décès

de son père, en 1864, Louis Riel quitte le Collège de Montréal après s’être fait

renvoyer. La raison est son non respect des règles de vie du collège. Cependant

les propos tenus par le directeur, Mgr Henri Faraud précisent la cause de ce

changement de comportement, et accuse son identité culturelle. Selon ce

dernier : « Je l’avais vu quelques jours auparavant et il m’avait dit être très décidé

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à poursuivre jusqu’au bout. C’est vraiment impossible, de conté [sic] sur ces

pauvres métis […] »6

Il serait trop facile de dire que le désir de revendication identitaire dont

Louis Riel fera preuve provient de ce moment précis, cependant, ce qui nous

intéresse est la perception que les canadiens européens ont des Métis. Il semble

limpide que cette vision repose sur des jugements de valeurs, dont nous

essaierons de comprendre au cours d’un autre chapitre, si oui ou non ils sont

fondés. Ce qu’il nous faut retenir ici, c’est le point de vue de ce directeur qui

associe la dégradation du comportement de Louis Riel à son appartenance au

groupe autochtone Métis. Nous pouvons affirmer que la perception de cet

évêque reflète la pensée de la majorité de la population montréalaise de l’époque.

La place de l’Eglise et l’influence exercée par la religion ne sont pas à

mésestimer, puisqu’elles influent sur la vie sociale des différentes communautés

qui composent la société canadienne.

En ce sens, la majorité de la population a une vision extrêmement

dépréciative et erronée à l’égard de cette culture, si tant est, qu’à cette époque,

elle soit considérée comme culture. Ce genre d’événement contribue à confronter

Louis Riel à son appartenance à la communauté métisse, et ainsi le pousser à

s’engager comme porte-parole de ces derniers dans le but de revendiquer

l’existence de leur culture, en essayant de déconstruire les images stéréotypées

qui leurs sont indissociables. A partir de ce moment, Louis Riel commence à se

concentrer sur ses écrits puis s’exile deux années aux Etats Unis, une période

dont nous n’avons pas grandes informations puisqu’il n’entretient que peu de

correspondances avec ses proches. L’une de ses sœurs écrit à une autre :

« Louis ne m’a pas écrit, je ne sais pas du tout à quoi attribuer ce long silence

[…] »7

Il retourne au Canada en 1868 et commence alors à s’intéresser aux

affaires publiques et politiques, qui sont de plus en plus au cœur des discussions

dans la colonie de la rivière Rouge. Quelques années plus tard, en 1875, vient

alors le moment où Louis Riel va être convaincu de sa mission de prophète.

6 Archives de l’Archevêché de St-Boniface, Lettre de Mgr Henri [Faraud], évêque d’Anemont à Mgr Taché,

Montréal, 2 avril 1865

7 Provincial Archives of Manitoba, Riel, no 8

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16

L’une de ses motivations est un fort sentiment d’appartenance à la « nation »

métisse. Louis Riel essaie de prouver le fait qu’il existe une véritable nation

métisse dans son mémoire « Les Métis du Nord-Ouest »8. Dans cet ouvrage, il

affirme que les Métis constituent une nation, puisqu’ils ont un gouvernement

nommé « gouvernement provisoire » ainsi que les « lois de la prairie »9. Il précise

d’ailleurs en ce qui concerne le gouvernement provisoire que ce dernier:

[…] s’organisait partout où s’agglomérait une caravane assez considérable, et

cessait d’exister avec elle ; [il] s’organisait pareillement dans tout établissement métis où

une assez grande diversité d’intérêts tendait à engendrer des difficultés, où il y avait des

dangers à conjurer, des hostilités à repousser. »10

Le « gouvernement provisoire » fait à la fois office de conseil et de

tribunal. Une assemblée nationale composée par le peuple est présente ainsi

qu’une armée. En ce sens, Louis Riel considère qu’une nation métisse existe bel

et bien.

Néanmoins, c’est surtout son sentiment de mission envers le peuple Métis

qui pousse Louis Riel à s’engager avec tant de ferveur. Cette mission

d’inspiration divine, qui le pousse jusqu’à comparer les Métis au peuple « juif »,

peut sembler étonnante en vue de ses écrits de jeunesse. En effet, dans ses

poésies n’apparaissent pas de thèmes particulièrement Métis. Cependant nous

avons constaté que Louis Riel avait, très tôt, la sensation que la nation métisse

était une nation assujettie par les anglo-saxons. Il dépeint cette idée dans l’une

de ses fables « Le Chat et les Souris » :

« Un chat de bonne race

Anglais par la naissance, austère dans ses mœurs

Bien moins qu’on ne croirait, flegmatique d’ailleurs.

Comme un lord sans pitié, ne vivait que de chasse.

[…]

8 RIEL, Louis, « Les Métis du Nord-Ouest », Montréal Daily Star, 28 novembre 1885

9 Ibid.

10 Ibid.

Page 17: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

17

Qu’un barbare tyran dans son âme hautaine

Condamne de la sorte à la destruction !

Quoi donc ! La seule ambition

D’un méchant peut mener un peuple à sa ruine ! »11

Dans cet extrait, nous constatons le procédé d’animalisation que Louis

Riel emploie pour tirer le portrait de la relation entre les britanniques et les Métis.

Ces derniers sont présentés comme victimes de l’emprise des anglo-saxons qui

détruisent et mènent le peuple Métis à sa fin. Cependant, le « chat » finit par être

puni après que les « souris » se soient unies et se soient soulevées contre ce

« chat », symbole de la tyrannie.

Nous prenons également note du sentiment nationaliste qui surgit des

écrits de Louis Riel. Il semble qu’il soit animé de ressentiment et d’hostilité

envers la domination des britanniques sur la nation métisse. Clairement, cela

présage l’union des peuples autochtones Métis et des Premières Nations contre

le gouvernement canadien quelques années plus tard. Louis Riel s’investit de

plus en plus en politique, militant en faveur de la « nation » métisse afin de

garantir leurs droits, faire en sorte que la rivière Rouge soit reconnue comme une

province canadienne et non plus comme une simple colonie du Manitoba, et

enfin, unifier les différentes tribus indiennes.

Néanmoins, ces idées ne rencontrent pas la réussite espérée et le choix

de Louis Riel de faire exécuter Thomas Scott qui s’était révolté contre ses actions

ne fera que lui apporter le mépris des anglophones canadiens et le conduira à

devoir s’exiler et à mener une vie de fugitive entre le Canada et les Etats-Unis

pendant cinq années, entre 1870 et 1875. Suite à cela, il passe deux années au

sein d’un asile de fous après avoir clamé haut et fort son nouveau dessein, à

savoir devenir le « nouveau Prophète ». Quand il recouvre la liberté, il renonce à

son statut de citoyen canadien, en 1883, et adopte la citoyenneté américaine.

Pourtant un an plus tard, suite à la demande d’une délégation qui voit le jour

dans la province du Saskatchewan, Louis Riel accepte d’endosser le rôle de

11

CAMPBELL, FLANAGAN, MARTEL, Louis Riel Poésies de jeunesse, Op.cit., p.105

Page 18: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

18

leader et de mener le nouveau mouvement en faveur des droits des Métis. Des

négociations débutent mais John A. Macdonald refuse de négocier. Riel engage

alors une rébellion à la fois politique et religieuse mais cela ne dure pas. Louis

Riel n’est en effet pas un bon tacticien militaire, et, ne peut faire face à une

armée plus moderne, de surcroît en possession de plus d’équipement. Il finit par

se rendre, et est jugé pour trahison puis condamné à mort le 16 novembre 1885.

● Une fin de vie marquée par une ardeur religieuse

Pendant toutes ces années, Louis Riel a tenu des journaux intimes

relatant les faits cités ci-dessus. Cela reste cependant très bref. Toutefois, nous

notons la conviction de Louis Riel quant à l’avenir des Métis. Selon lui, la

« Nation » métisse réussira à se libérer de la domination anglo-saxonne. Ses

journaux intimes montrent un changement de l’état d’esprit de Louis Riel, qui ne

se consacre plus à la rédaction de poésie mais s’investit en politique et surtout

en théologie. Ainsi, ces journaux nous livrent les pensées de Louis Riel sous un

ordre chronologique en suivant les divers bouleversements de sa vie quotidienne,

nous donnant ainsi accès à l’évolution de ses idées. En 1884, il écrit: « Chef des

Manitobains ! Vous savez que Dieu est avec les Métis ; soyez humble et ouvrez

votre cœur. »12

Si nous prenons un autre exemple en laissant s’écouler une année nous

remarquons que sa conviction religieuse ne le quitte pas. Dans cet extrait, il

relate les messages apportés par le divin :

« L’esprit de Dieu m’a fait voir sept ou huit jeunes Métis qui sont venus

en courant vers moi […] Ils gagnent leur salut, ils se préoccupent de leur salut.

Vous pourriez penser qu’ils jouaient au chat et à la souris, mais ils ne jouent pas :

ils se sauvent eux-mêmes, en gagnant le paradis. Ils gagnent la terre que les

12

“Leader of the Manitobans! You know that God is with the Métis; be meek and humble of heart.”,

FLANAGAN, The Diaries of Louis Riel, Hurtig Publishers, 1976, p. 26

Page 19: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

19

autres veulent leur retirer. De la bouche d’un de mes frères canadiens-français,

l’Esprit de Dieu me dit ce mot Cri : Ayoco. »13

A noter qu’en appel de note de l’ouvrage mentionné figure une explication

du mot Crie « Ayoco » qui signifierait « celui-là » ou « c’est lui ».

L’une des dernières pages que Riel écrit dans son journal fait toujours

allusion tant à la religion qu’aux Métis :

« 28 Octobre, Prophéties

L’Esprit de Dieu me fait chanter des idées comme celle-ci avec une voix

élevée, magnifique, dotée d’une douceur ineffable.

- Marguerite a toujours sa terre.

- Et tout ce qui meurt, meurt.

- La nation Métisse que vous avez souhaité déraciner reste sur le

sol que lui a accordé la Providence. »14

Ces divers extraits peignent une ardeur religieuse qui se manifeste par

des prières, des prophéties ainsi que des méditations ou des hymnes. La

description qu’il fait des jeunes Métis courant jusqu’à lui, « celui-là », Louis Riel,

cet être désigné par le divin pour mener son peuple lui confère une étiquette de

« sauveur ». Sa conviction semble être sans faille puisque dans l’une de ses

13

“The Spirit of God made me seen seven or eight young Métis who came running towards me. […] They are

earning their salvation, they are concerned with their salvation. You might think they were playing tag, but

they are not playing: they are saving themselves, gaining paradise. They are winning the land that others

want to take from them. Through the mouth of one of my French-Canadian brothers, the Spirit of God spoke

the following Cree word to me: Ayoco.”, Ibid., p. 60

14 “ October 28, Prophecies, The Spirit of God makes me sing ideas such as these in raised tone of voice,

magnificent with ineffable sweetness:, ‘Marguerite still has her land.’, ‘And all that dies, dies.’, ‘The Métis

nation which you wished to uproot still remains on the soil bestowed by Providence. », Ibid., p. 157

Page 20: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

20

toutes dernières prophéties, il assure que les Métis ne seront pas déracinés de

cette terre qui leur a été donnée par la Providence.

Louis Riel est sans conteste une figure emblématique du peuple métis,

tant par sa vocation de poète qu’il découvre au fil de ses études, que par son rôle

en politique. Louis Riel use la poésie afin de protéger les intérêts de son peuple

et déverser sa colère, ses ressentiments et ses désillusions envers les abus des

dirigeants canadiens dont son peuple est victime. L’ouvrage le plus représentatif

de ses opinions reste Les Métis du Nord-Ouest (1885) dans lequel il certifie les

droits des Autochtones et attaque l'attitude oppressive dont fait preuve le

gouvernement canadien auprès des Métis. En raison de son exécution, Louis

Riel laisse une œuvre inaccomplie : Massinahican 15, un mot Crie qui équivaut à

« Le Livre ». Ce dernier ouvrage semble être une sorte de bible métisse qui

regroupe également la mythologie indienne et réunit l’ensemble des pensées

politiques, philosophiques ainsi que des croyances religieuses.

Jusqu’au bout, Louis Riel, écrivain prolifique, n’a cessé de se servir de la

littérature comme d’un médium de protestation. Ce n’est pas une originalité de

dire que le support littéraire représente un outil de choix pour véhiculer des idées

et des revendications. En revanche, en ce qui concerne les Métis, la littérature

constitue la seule arme de défense valable au XIXe siècle, afin de protéger leur

culture. Mésestimés par les dirigeants canadiens, qui n’hésitent pas à employer

la force pour enrayer toute contestation, ce support écrit est un moyen de faire

entendre la voix des Métis et de l’inscrire à travers le temps. D’ailleurs le fait que

Louis Riel soit aussi prolifique soulève une autre question, celle qui concerne la

publication de ses divers ouvrages. Si la littérature donne la possibilité à un

auteur de se faire porte-parole d’un peuple et de faire passer diverses idées, il

nous faut de façon égale amener notre réflexion sur les acteurs en charge de la

fabrication et de la diffusion de ces œuvres dans le but d’observer l’évolution des

protestations des Métis au travers de leurs écrivains. En partant du XIXe siècle

nous nous attarderons sur le XXIe siècle afin de concentrer notre attention sur

les changements quant à la production de la littérature des Métis qui se fait de

15

TOUSSAINT, Ismène, « Louis Riel. », L’Encyclopédie canadienne., Fondation Historica, 2012. Disponible sur

Internet : http://www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/louis-riel#SEC916413 (consultation février

2012)

Page 21: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

21

plus en plus conséquente tant par la quantité d’ouvrages publiés que par

l’émergence de nouveaux auteurs.

1.2 Etre Métis aujourd’hui

Dans un ouvrage intitulé Comprendre la télévision et ses programmes16

François Jost met en avant le fait qu’une chaîne de télévision « n’est pas

seulement un intermédiaire qui parle de notre monde, mais aussi un acteur qui

intervient pour nous défendre. »17

Bien que cela renvoie à un média tout autre, cette distinction entre

« intermédiaire » et « acteur » peut tout à fait être appliquée à la maison d’édition

Pemmican Publications. Sa création marque un tournant pour le futur de la

littérature des Métis et souligne une affirmation identitaire.

Dans un premier temps, nous prendrons en compte le contexte historique

et social des communautés autochtones canadiennes durant les années 1980,

une période de changements marquée par l’affirmation de l’identité des

autochtones et notamment par une prise de contrôle artistique au travers de la

littérature.

Cela nous amènera également à prendre connaissance du processus de

la création ainsi que la mission que cette maison d’édition s’est fixée.

Nous en viendrons enfin à questionner brièvement les différents enjeux

que soulèvent la création de cette structure et des politiques qu’elle choisit de

développer.

En abordant le contexte dans lequel cette institution a vu le jour, les

objectifs ainsi que les répercutions de cette dernière dans le monde culturel,

nous pourrons comprendre en quoi ce média n’est pas seulement, pour revenir à

notre fil conducteur, un simple « intermédiaire » mais un véritable « acteur » qui

contribue à l’invention d’une nouvelle identité métisse.

16

JOST, François, Comprendre la télévision et ses programmes, Paris, Armand Colin, coll. 128, 2e ed., 2009

17 Ibid., p.32

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22

a. Pemmican Publications : une maison d’édition pour les Métis

● Les Métis et les années 1980 au Canada

C’est surtout à partir des années 1980 que des changements

commencent à apparaître quant à la place des autochtones au sein du monde

culturel canadien. Ces derniers s’affirment de plus en plus. De son côté, le

gouvernement canadien se penche avec plus d’attention sur la place

qu’occupent les communautés autochtones dans la société canadienne. Il n’est

donc pas étonnant que la maison d’édition Pemmican Publications voit le jour

cette année là. Ces années représentent le moment opportun pour créer une

institution en charge de promouvoir l’identité des Métis auprès de la société

canadienne. C’est d’ailleurs au cours de cette période que le terme

« autochtones » fait son apparition. Il vient se substituer aux termes « Indiens »,

« Esquimau » et « Métis » pour décrire ces différents peuples.

Ce terme est officiellement employé dans l’article 35 de la Loi

constitutionnelle de 198218 :

« 35. (1) Les droits existants - ancestraux ou issus de traités - des peuples

autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

(2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s'entend

notamment des Indiens, des Inuits et des Métis du Canada. »

Symboliquement ce terme confère aux peuples autochtones, qui

cherchent à disposer d’eux-mêmes et obtenir une autonomie gouvernementale,

plus d’égalité aux côtés des deux peuples fondateurs de la société canadienne à

savoir les Anglais et les Français. Cette avancée est considérable quand on sait

que les autochtones se définissent avant les années 1980 comme « un peuple

18

« Loi constitutionnelle de 1982 : document. » , L’ Encyclopédie canadienne. Fondation Historica.

Disponible sur Internet : http://www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/loi-constitutionnelle-de-

1982-document (Consultation 18 mars 2012)

Page 23: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

23

du quart monde » 19 . Spécialiste en sociologie et en anthropologie, René

D.Gadacz explique dans un article de l’Encyclopédie canadienne intitulé « loi

constitutionnelle de 1982 : document » qu’à l’instar des minorités Aïnous du

Japon ou encore des Maoris de Nouvelle-Zélande, les Autochtones canadiens se

considèrent comme un peuple colonisé, exploité et sans pouvoir au sein d’un

Etat industrialisé, capitaliste et démocratique.

A ce sentiment vient s’ajouter le fait que la littérature des groupes

ethniques minoritaires, c'est-à-dire les groupes qui n’appartiennent pas aux

peuples européens fondateurs : les Britanniques protestants et les Français

catholiques, est souvent considérée comme ne faisant pas partie du corpus

littéraire canadien et est souvent négligée par les institutions littéraires. La

création d’une maison d’édition dédiée aux Métis était donc nécessaire pour

donner à ces derniers la possibilité de s’exprimer et par extension de revendiquer

leur identité.

Pemmican Publications joue alors un rôle primordial dans l’apparition

d’auteurs d’origine autochtone et plus particulièrement des Métis qui laissent petit

à petit leur empreinte dans la littérature canadienne. Cette structure physique, qui

en elle-même matérialise la parole autochtone, modifie les relations humaines et

sociales entre les autochtones et le reste de la population canadienne. Ces

derniers par le biais de la littérature sont invités à découvrir la culture métisse à

travers le regard métis qui n’est pas un regard « colonisateur ».

Les années 1980 au Canada marquent le début de changement. Le

gouvernement n’est plus dans une démarche d’ethnocide, parce qu’il s’agissait

bien de mettre à mort la culture métisse, point sur lequel nous reviendrons

ultérieurement en abordant les Residential Schools, et souligne une volonté de

rendre à l’autre sa mouvance. En anthropologie, cela renvoie à accepter la

négociation permanente entre stabilité et instabilité dans le domaine du possible.

En d’autres termes, et pour reprendre les propos de Stuart Hall20, sociologue

spécialiste des Cultural Studies, cela revient à accepter qu’il est possible de

19

GADACZ, Rene.R., « Premières nations. », L’Encyclopédie canadienne. Fondation Historica. Disponible sur

Internet : http://www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/premieres-nations (Consultation 18 mars

2012)

20 HALL, Stuart, Identités et cultures: politiques des cultural studies, Editions Amsterdam, 2007

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24

découper le réel autrement, de revenir sur les sélections consciemment opérées

pour structurer la culture et lui donner un sens et qu’il y a donc toujours des

possibilités de faire des connections entre les cultures. C’est cette démarche que

le gouvernement canadien semble vouloir entreprendre à partir des années 1980,

très certainement inspiré par l’influence que les Cultural Studies ont sur le

continent américain depuis les années 1970.

● Pemmican Publications : création et objectifs

Pour en revenir à cette maison d’édition, Pemmican Publications est une

organisation à but non lucratif fondée en 1980 par la Fédération Métisse du

Manitoba21, représentant officiel de la communauté métisse du Manitoba depuis

sa création en 1967 et qui vise à promouvoir les droits et les intérêts politiques,

sociaux, culturels et économiques des Métis du Manitoba.

Pemmican Publications est ainsi la seule maison d’édition canadienne à

ne publier que des auteurs Métis. Cette organisation s’est donnée pour objectif

d’introduire au public les auteurs et illustrateurs Métis, ainsi que des récits qui

reflètent l’histoire des Métis afin d’instruire et d’éclairer les lecteurs sur cette

communauté tout en la distrayant au travers de ces histoires. A titre d’exemple,

leur catalogue propose de nombreux ouvrages renvoyant tant à la fiction, la

poésie et nous remarquons un nombre important d’ouvrages littéraires pour

enfants.

Cette démarche n’est pas neutre et souligne une position quant à un

choix de publication stratégique puisque cela contribue à donner ou plutôt

inventer une nouvelle image des Métis. En développant la littérature pour enfant,

il semble que cette structure tende à les éduquer en enrichissant leurs

connaissances sur leur propre culture, et ainsi susciter un désir de participation à

l’invention d’une nouvelle identité métisse. Cette jeune génération est celle qui

doit continuer à défendre les acquis de la communauté métisse. Ils doivent

perpétuer la culture des Métis et donc participer, s’engager à construire cette

nouvelle identité.

21

The Manitoba Metis Federation. Disponible sur Internet: http://mmf.mb.ca/ (Consultation mars 2012)

Page 25: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

25

Cette démarche n’est pas originale en soi. Il est, en effet courant qu’un

peuple concentre une grande partie de son attention sur les enfants puisque ces

derniers symbolisent la survie de sa culture et de son identité. Cette prise de

position quant à la publication plus volumineuse de la littérature pour enfants

peut donc être considérée comme une réponse stratégique de la maison

d’édition face aux injustices de la société canadienne, d’une part, quant à

l’éducation des enfants et d’autre part, quant aux images stéréotypées qui font la

réputation des Métis et qui n’aident pas ces derniers à définir leur place au sein

de la société canadienne. L’enjeu est de taille pour cette maison d’édition qui se

bat pour modifier l’image des métis en éduquant les nouvelles générations afin

qu’elles puissent contribuer à la construction et à la diffusion d’une image plus

positive, en d’autres termes, essayer de réduire le regard péjoratif porté sur cette

communauté dont les stéréotypes qui leurs collent à la peau sont difficiles à

abolir.

La naissance de la maison d’édition Pemmican Publications aide les

Métis à reprendre, petit à petit, le contrôle de leur identité grâce au médium

littéraire, leur offrant ainsi l’opportunité de changer l’image que la société se fait

d’eux. C’est en ce sens que cette structure se fait plus qu’un simple média et

devient un véritable médium, un acteur qui prend part à un mouvement de

revendication identitaire. Ici, Pemmican Publications devient un objet créé en

réponse à des intérêts, des besoins, des questions ainsi que des problèmes qui

touchent cette communauté autochtone. Elle contribue à matérialiser la

structuration de l’identité des Métis par la culture en incitant ces derniers à

affirmer leurs valeurs, et par extension, à prendre conscience de leur

appartenance à une collectivité. Concrètement Pemmican Publications offre une

possibilité d’action aux Métis, une occasion de prendre part à l’invention d’une

nouvelle image ; invention d’une nouvelle identité en mettant l’accent sur la

créativité. Nous pouvons affirmer que l’art ne se fait pas, ici, uniquement vecteur

de messages mais que la création littéraire en elle-même contribue à l’invention

d’une nouvelle réalité qui vise à construire de nouvelles significations afin de

modifier les préjugés qui perdurent quant à la culture métisse.

Page 26: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

26

Par ailleurs, un document à l’intention du personnel enseignant mené par

une équipe de chercheurs Québécois « L’intégration de la dimension culturelle à

l’école »22 aborde la notion de « repères culturels »23.

Pour résumer, ces repères sont des objets d’apprentissage dont

l’exploitation est :

« un moyen privilégié d’amener l’élève à établir un rapport étroit avec la

culture […] Cette action s’inscrit dans une optique de construction d’une vision du

monde de l’élève, en enrichissant le regard qu’il porte sur lui, les autres ou

l’environnement. »24

Ce qui est intéressant de retenir dans cette idée c’est qu’il est possible

d’appréhender Pemmican Publications tel un repère culturel pour les Métis. Cela

vient renforcer l’idée suggérée précédemment, à savoir que cette institution en

elle-même, incarne à la fois un objet et un rapport culturel qui va être exploité.

Cette structure, en tant qu’objet, est créée pour répondre à des problèmes et des

besoins qui émanent de divers rapports humains. Dans ce cas précis cela

renvoie à la place des Métis au sein de la société canadienne, à leur besoin de

s’y intégrer et d’être reconnus par le reste de la population tout en essayant de

changer la perception que les canadiens ont sur eux. L’enjeu est de faire

reconnaître leur culture et leur identité comme une « véritable » culture à part

entière, avec ses propres spécificités et non pas comme d’un simple mélange qui

serait le fruit de la combinaison des deux cultures « mères », indienne et

britannique ou française.

Qui plus est, l’individu participe à l’élaboration d’un rapport à soi, aux

autres et au monde. Nous notons la présence croissante de la thématique de

l’origine ethnique dans les œuvres des écrivains contemporains. Ces derniers

22

BOUCHARD G., VALLIERES C., RAYMOND C., « La culture toute une école ! L’intégration de la dimension

culturelle à l’école. Document de référence à l’intention du personnel enseignant. », Gouvernement du

Québec, Bibliothèque nationale du Québec, 2003. Disponible sur Internet :

http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/cultureeducation/medias/99-6487-02.pdf (Consultation mars 2012)

23 Ibid., P.9

24 Ibid.,

Page 27: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

27

font d’ailleurs preuve d’une nouvelle fierté à l’égard de leurs origines ethniques,

tout en protestant constamment contre la discrimination raciale et l’injustice

affligées aux minorités.

Un écrivain contemporain, Marilyn Dumont revient lors d’une interview

avec un magazine canadien sur ses propos, tenus à l’Université de Toronto au

cours d’une conférence, concernant la publication d’écrivains autochtones : « Les

auteurs autochtones ne sont pas suffisamment publiés. »25

Elle s’explique un peu plus auprès du journaliste en expliquant que même

si les auteurs autochtones sont de plus en plus présents dans la sphère littéraire

canadienne, cela reste insuffisant. Petit à petit, des changements s’opèrent, que

ce soit quant à la contribution des autochtones que de la part des maisons

d’édition qui leur portent plus d’attention.

Dumont précise également que les écrivains Métis, et autochtones en

règle générale, doivent apprendre à maîtriser la littérature écrite :

« Ecrire des histoires sur papier est un nouveau média pour les

autochtones qui ont pour tradition, et ce, depuis la nuit des temps de raconter ces

histoires. Aujourd’hui encore et bien qu’il nous faille encore du temps pour y

parvenir, nous apprenons à utiliser ce nouvel outil pour présenter nos

histoires. »26

b. Les écrivains contemporains

Après avoir pris connaissance de deux acteurs fondamentaux qui ont

permis de développer la construction de la littérature des Métis, il est temps de

prêter attention aux auteurs Métis contemporains. Nous l’avons vu

précédemment, la littérature des Métis se développe surtout à partir des années

25

Guest Contributor, « Interview with Cree/Metis poet Marylin Dumont», Racialicious. Disponible sur

Internet: http://www.racialicious.com/2010/11/25/interview-with-creemetis-poet-marilyn-dumont/

(Consultation avril 2012)

26 Ibid.,

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28

1980 et aujourd’hui le monde littéraire voit apparaître de plus en plus d’auteurs

Métis. Ces derniers contribuent directement au renouvellement de l’identité

métisse.

Tout d’abord, nous nous attarderons sur le côté multi-facette, si nous

pouvons dire, de ces différents auteurs. En effet, nous verrons que ces

personnes ne sont pas seulement des écrivains mais endossent très

régulièrement plusieurs « casquettes ». Tantôt conférenciers, professeurs ou

encore travaillant dans des maisons d’édition, ces auteurs multiplient les activités.

Des activités qui, nous le verrons, sont étroitement liées à un engagement en

faveur de la communauté à laquelle ils appartiennent et dont le but principal,

rappelons-le une fois encore, est d’amener le reste de la population canadienne

à bousculer leurs préjugés mais aussi et surtout à regarder et à interagir

différemment avec la communauté métisse et ce grâce à une meilleure

compréhension de leur culture.

Dans un deuxième temps, nous nous concentrerons sur la définition ou

du moins la perception que ces auteurs ont d’eux-mêmes en tant que membres

d’une communauté autochtone. Quelles perceptions ont-ils de leur propre

communauté, de leur identité et culture ? Nous questionnerons par la même

occasion l’influence de ces perceptions dans la création de leurs œuvres. Enfin,

nous en viendrons à essayer de comprendre comment ces auteurs appréhendent

la littérature. Ont-ils conscience de l’impact que cet objet peut avoir sur le reste

de la population ? Que pensent-ils de ce médium et comment se l’approprient-ils

pour faire passer leurs idées et messages ? C’est en pointant du doigt la

diversités des actions que les écrivains mènent, leur avis quant à leur position en

tant qu’individu au sein d’une communauté autochtone mais également au sein

de la communauté littéraire ainsi que leur représentation du médium littérature

que nous essaierons de comprendre en quoi et comment ces écrivains

s’inscrivent dans une démarche de revendication identitaire ayant pour but de

changer la perception négative associée à la communauté métisse et qui est

l’une des principale cause au rejet dont ils sont sujets.

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29

Dans l’un de ses travaux de recherche « Becoming métis »27, le docteur

en philosophie Catherine Richardson développe l’idée selon laquelle les Métis

n’auraient pas le sentiment d’avoir une histoire unique. C'est-à-dire qu’ils n’ont

pas ou peu conscience d’avoir des habitudes culturelles qui leurs sont propres.

Richardson souligne également leur difficulté à définir qui ils sont, et ajoute que

bien souvent ce sont les non-autochtones qui leur imposent une définition de ce

que représente ce « moi » Métis. Ce que Richardson nomme « le sens du moi

métis » 28 renvoie aux personnes métisses qui au cours de leur construction

identitaire, se revendiquent métis, en ayant conscience de tout ce que cela

implique et en intégrant toutes les influences qui composent la culture métisse.

Les écrivains contemporains entrent dans cette dernière catégorie, et cela peut,

peut-être expliquer en partie la raison qui les pousse à démultiplier les activités

pour reprendre le contrôle de leur image et la définition de leur identité.

Afin d’illustrer ce propos, portons notre attention non pas sur tous les

écrivains métis, mais sur quelques uns d’entre eux. La sélection de ces auteurs

repose sur leur année de naissance ; à chaque fois une décennie les sépare. La

raison est simple. Le but est de démontrer que peut importe la génération à

laquelle ces écrivains appartiennent, ils s’affèrent tous à d’autres activités que

l’écriture.

● Des écrivains qui multiplient les activités

Le premier auteur né en 1939 est Duke Redbird. De son véritable nom

Gary James Richardson, ce métis aux origines Ojibway et Irlandaise est reconnu

sur la scène littéraire pour ses poèmes. Toutefois, Redbird a représenté le

Canada de bien des façons. Il fut vice-président du conseil municipal des

autochtones du Canada, puis président de l’association des Métis de l’Ontario et

des Indiens non-statués. Duke Redbird endosse également un rôle de militant

social, et cette caractéristique est reflétée tant dans ses écrits que par ses

actions et ses prises de positions politiques. Il va même jusqu’à faire des

apparitions à la télévision et passer en radio se faisant alors porte parole des

27

RICHARDSON, Catherine, Becoming Metis : the relationship between the sense of métis self and cultural

stories, Canada, University of Victoria Press, 2004,

28 Ibid, p.17

Page 30: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

30

associations au sein desquelles il travaille. Redbird prend l’initiative de créer un

documentaire sur la question des Indiens du Canada, dans lequel il inclut

certains de ses poèmes tels que « I Am the Redman »29. Ce poème est l’un de

ses tous premiers et reflète son dégoût et sa colère envers le gouvernement

Canadien qui exploite les peuples autochtones. En outre, Duke Redbird prend

souvent part à des conférences ou bien donne des cours dans les universités

canadiennes. A titre d’exemple, il dispense des cours de poésie et de théâtre au

sein de l’Université de York. Nous pourrions penser que Duke Redbird est une

exception et pourtant d’autres écrivains s’investissent tout autant en faveur de la

communauté métisse.

Marilyn Dumont est née le 15 mars de l’année 1955. Descendante direct

de Gabriel Dumont (l’un des métis qui a marqué l’histoire canadienne notamment

pour sa participation au soulèvement de la Rivière Rouge, aux côtés de Louis

Riel) elle tire ses origines indiennes du peuple Cree. Marilyn Dumont est réputée

pour ses talents de poète. Pourtant, cette dernière commença par travailler sur la

production vidéo pour le comité national du film du Canada envisageant même

d’intégrer l’université d’Arts d’Alberta. Cependant elle finit par se diriger vers

l’écriture d’invention en intégrant une autre université : University of British

Columbia. Plus tard, elle devient professeur d’écriture d’invention auprès de deux

universités : Simon Fraser University et Kwantlen University College à Vancouver.

Dumont ne s’arrête pas là, et devient également un écrivain permanent au sein

de plusieurs universités telles que celles d’Alberta, de Windsor ou encore

Toronto. Marilyn Dumont parcours le globe pour dispenser des lectures de ses

poèmes en Belgique ou encore en Ecosse, et, comme le mentionne le site de

l’ambassade canadienne30, elle a tout récemment pris part à la Honouring Words

Celebration of indigenous writing by Canadian aboriginal, Maori and Australian

Aborigine authors and storytellers qui s’est tenue en Nouvelle-Zélande (2002 ?).

Depuis 2009 elle dispense des cours pour le programme Aboriginal Emerging

Writers au Banff Centre. Aujourd’hui elle est également un membre de la

29

Cf. Annexes n°3

30 Student&Academic services, “Marilyn Dumont”, Anthabasca University, Canada. Disponible sur Internet:

http://www2.athabascau.ca/cll/writers/english/writers/mdumont/mdumont.php (Consultation avril 2012)

Page 31: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

31

commission canadienne des Droits du prêt public 31 . (Public Lending Rights,

Commission of Canada)

Un autre écrivain, né en 1966 suit lui aussi les pas de ces deux

prédécesseurs et s’investit dans différentes activités autres que l’écriture mais en

rapport direct avec la communauté métisse. Il s’agit de Joseph Boyden. Des trois

écrivains pris en exemple c’est celui qui s’investit le moins entre guillemets, ou

plutôt qui n’a pas autant de champs d’actions que ses confrères. A l’instar de

Marilyn Dumont, Boyden se concentre surtout sur l’enseignement. Avant de

commencer sa carrière d’écrivain, et même avant de débuter ses études

universitaires, Joseph Boyden s’essaya à divers petits « jobs » comme on le dit

plus communément. Ainsi il fut fossoyeur et gardien dans un cimetière. Quelques

années plus tard, il enseigne la communication, les sciences humaines auprès

d’étudiants autochtones en Ontario au sein du Northern College in Moosonee.

Aujourd’hui, il enseigne la littérature canadienne et l’écriture d’invention à

l’université de la Nouvelle-Orléans, aux Etats-Unis.

● Relation des auteurs avec le système éducatif

Ce dernier point nous amène à aborder la relation qui lie ces auteurs avec

l’enseignement au sein des universités canadiennes. Nombre d’entre elles ont

petit à petit ouvert des postes dédiés à une spécialité telle que la littérature

canadienne qui permet d’une part d’aborder la littérature des auteurs

autochtones, et d’autre part de faire dispenser ces cours par des autochtones

eux-mêmes.

Cette démarche permet de renouveler le corpus littéraire régi par les

grands auteurs classiques occidentaux et de remettre en question les critères

esthétiques ainsi que cette hiérarchie qui domine l’enseignement de la littérature

à l’université. A titre d’exemple, l’Ontario College of Art and Design University

compte en son sein 106 étudiants autochtones et l’un des professeurs n’est autre

31

Guest Contributo., « Interview with Cree/Metis poet Marilyn Dumont», Racialicious. Disponible sur

Internet: http://www.racialicious.com/2010/11/25/interview-with-creemetis-poet-marilyn-dumont/

(Consultation avril 2012)

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32

que l’écrivain mentionné ci-dessus : Duke Redbird qui officie au sein du

Aboriginal Visual Culture Program mis en place par l’O.C.A.D en 2007 32 ,

programme qui précise vouloir introduire une stratégie qui:

« identifie la diversité culturelle comme une tendance clé dans la société

contemporaine [...] et reconnaît la nécessité de créer des programmes spécifiques et des

espaces pour l'apprentissage culturel autochtone. La jeunesse Autochtone est en pleine

croissance au sein de la population canadienne et constitue un élément essentiel

de l'avenir du Canada et de l'Ontario. Toutes les études postsecondaires quant à

l’enseignement de la culture autochtone démontrent l’importance de développer des

programmes qui feront participer les jeunes Autochtones, tout en renforçant les capacités

et les connaissances de ces communautés sur leur propre droit au sein de la société

canadienne.»33

Les institutions en charge de l’enseignement ainsi que beaucoup

d’écrivains Métis sont conscients de la nécessité d’introduire les jeunes

autochtones ou non-autochtones à la culture de ces peuples. C’est certainement

pourquoi les auteurs Métis prennent part à divers projets artistiques ou

dispensent des cours en universités parce qu’en variant leurs activités ils

contribuent activement à renforcer la participation des autochtones au sein de la

société canadienne.

● Les auteurs Métis et leur perception sur la littérature

Redbird suggère cette idée lorsqu’il donne une interview sur Nation Talk,

un site internet qui regroupe diverses informations par et pour les communautés

autochtones. Il parle de la nécessité d’enseigner aux jeunes l’importance de

changer leur perspective et de briser l’influence européenne exercée sur la

manière de penser et de voir la culture :

32

Ontario College of Arts and Design University, Toronto, Canada. Disponible sur Internet:

http://www.ocadu.ca/ (Consultation avril 2012)

33« Aboriginal Visual Culture Program», Ontario College of Arts and Design University,Toronto, Canada.

Disponible sur Internet: http://www.ocadu.ca/Asset4729.aspx (Consultation avril 2012)

Page 33: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

33

« La culture c’est tout ce que vous inventez pour découvrir ou pour

satisfaire vos besoins. C’est ce qu’est la culture. Et découvrir ces choses, les

inventer, les introduire dans notre foyer, les utiliser, cela ne signifie pas que nous

utilisons la culture de quelqu’un d’autre. Cela devient notre culture. »34

Les auteurs ont en effet en plus de leurs activités, un regard souvent

précis sur leur place ou plutôt sur le rôle qu’ils pensent devoir incarner auprès de

la société canadienne en tant que représentants de leur communauté. Joseph

Boyden au cours d’une interview revient brièvement sur l’importance qu’il

accorde à ses origines et à l’influence que cette culture a sur ses œuvres

littéraires :

« Mes origines jouent un très grand rôle sur ce que j’écris et sur qui je

suis. Bien que mon sang autochtone ne soit qu’une petite partie de mes origines,

cette petite part est très importante. Elle est à l’origine de ma passion pour

l’écriture. »35

Boyden n’est pas le seul qui est influencé par son appartenance à la

communauté métisse. D’autres écrivains mentionnent l’impact de cette identité

sur leur écriture et sur les personnes qu’elles sont. Marilyn Dumont explique que

son appartenance à la culture métisse influence ses travaux et représente une

des motivations qui la pousse à écrire et à s’engager pour la communauté. Elle

précise lors d’une conférence qu’elle donne pour le programme Canadian Writers

in Person (CWIP) tenue par l’université de York au Canada :

34

« Duke Redbird – Aboriginal mentor & advisor at OCAD», Nation Talk, Canada. Disponible sur Internet:

http://www.nationtalk.ca/modules/webshow/singlelink.php?lid=228# (Consultation avril 2012)

35 BRAYTON, Rebecca. « Interview with Joseph Boyden, author of Through Black Spruce», watchmojo.

Disponible Sur Internet:

http://www.watchmojo.com/video/title/Interview%20With%20Joseph%20Boyden,%20Author%20of%20Thr

ough%20Black%20Spruce/ (Consultation avril 2012)

Page 34: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

34

« Quand je pense aux raisons qui me poussent à faire ce que je fais […]

c’est pour les personnes qui n’avaient pas la possibilité de s’exprimer. C’est

aujourd’hui encore ce qui me motive. Etre en mesure de dire ce qu’ils ne

pouvaient pas dire. »36

Pour la plupart, les auteurs métis font le choix de représenter cette

communauté, d’écrire des œuvres littéraires afin de faire partager l’histoire et la

culture des métis et ce, pour diverses raisons. Dumont renvoie surtout au besoin

qu’elle a de se faire la voix des métis, réalisant qu’elle a une possibilité de se

faire entendre par le reste de la population canadienne, une opportunité que bien

des Métis n’avaient pas et aujourd’hui encore acquièrent plus ou moins

difficilement. Qu’est ce que cette affirmation révèle sur la vision de l’auteure sur

sa propre communauté ? Le besoin de se faire porte parole d’une communauté,

d’une culture vient souligner le fait que cette culture est en danger. En d’autres

termes, ces auteurs sont parfaitement conscients du regard que porte le reste de

la population canadienne sur la communauté métisse depuis des années. Et si

ce regard tend à changer, les auteurs ont la conviction que c’est par leurs actions

qu’ils réussiront à faire évoluer cette perception. Perception qui amène à

regarder la culture métisse et plus particulièrement ses membres en ayant déjà

en tête des idées préconçues sur ce que sont et ce que ne sont pas les Métis et

leur culture.

Boyden souligne et explique avec justesse cette idée lors de son interview

avec la journaliste Rebecca Brayton à laquelle il répond :

« La beauté des personnes qui vivent dans ces réserves c’est qu’elles

aiment rire, passer du bon temps et ces personnes m’ont toujours plutôt bien

intégré et accepté. Avec « Black Spruce », ce que j’ai tenté de montrer c’est

qu’on entend parler des problèmes d’addiction, de violence, d’abus, des

Residential Schools et qu’on a rarement l’occasion d’entendre parler de la beauté

36

« Marilyn Dumont », Canadian Writers in Person, Canada. Disponible sur Internet:

http://cwip.artmob.ca/contributors/marilyn-dumont (Consultation avril 2012)

Page 35: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

35

de la vie autochtone, de cette beauté physique, émotionnelle et spirituelle. C’est

ce que j’ai essayé d’explorer dans ce roman. »37

Cette affirmation nous amène à réfléchir sur l’autre rapport que les

auteurs métis entretiennent avec le médium littéraire. Parce que si ces derniers

reconnaissent que leur identité culturelle explique en partie le pourquoi ou plutôt

ce qui fait qu’ils appréhendent la littérature à travers leur regard autochtone, il

nous faut également nous interroger sur l’autre raison qui les pousse à

s’approprier ce médium dans le but de mieux comprendre les raisons qui font

que la littérature est l’un des vecteurs privilégiés par les artistes Métis. La

réponse fait référence au rapport singulier que l’auteur entretient avec cet outil.

Ce qui est frappant chez les auteurs Métis, c’est que cette raison, à quelques

différences prêt, est la même : ils associent la littérature à une thérapie. Prenons

quelques exemples pour illustrer cette idée. Gregory Scofield explique en parlant

de son dernier ouvrage « Thunder Through My Veins »:

« Ce qui était difficile en fait, c’était de se plonger dans un processus où il

me fallait revivre mes souvenirs. Ce difficile processus qui consiste à s’asseoir et

coucher ses souvenirs sur le papier pour les voir prendre vie. […] Mais c’était une

vraie thérapie de le faire et de voir l’histoire dans son ensemble et de pouvoir

l’affronter.»38

Dans le reste de l’interview, Scofield souligne la relation qu’il entretient et

que beaucoup, pour ne pas dire presque tous, les auteurs Métis entretiennent

avec la littérature, à savoir être une interface entre une histoire collective et leur

expérience personnelle. Cela renvoie aux concepts de mémoire collective et de

mémoire individuelle. Chacun a une histoire, une singularité et pourtant des

similitudes émergent de ces différentes histoires.

37

Ibid.,

38 RICHARDS, Linda, « Gregory Scofield. », juanuarymagazine. Disponible sur Internet:

http://januarymagazine.com/profiles/scofield.html (Consultation avril 2012)

Page 36: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

36

C’est en ce sens que si on aborde les auteurs séparément on retrouve

dans leurs travaux des caractéristiques communes quant aux raisons qui les

poussent à utiliser la littérature pour exprimer leur histoire singulière qui en fait se

fait représentative d’une histoire collective.

Joseph Boyden mentionne ce sentiment thérapeutique voire même

salvateur que la littérature lui a apporté :

« Ce qui m’a sauvé c’est la lecture et puis l’écriture. J’empruntais la

mauvaise route, j’étais impliqué avec des gangs. J’ai finalement dû faire des

choix. A seize ans, j’ai essayé de me suicider. […] Coucher sur le papier ce qui

me dévorait de l’intérieur m’a littéralement sauvé la vie. »39

Ce qui nous importe dans ces propos que tiennent ces deux auteurs

d’origine métisse c’est que tous deux voient la littérature comme un moyen de

relater leur histoire personnelle, les difficultés qu’ils ont rencontrées parce que

ces difficultés touchent de nombreuses personnes de la communauté métisse.

Nous pourrions penser que ces auteurs sont des exceptions, mais les questions

de suicide, de dépression, de violence sont des expériences que vivent

beaucoup de Métis. Nous reviendrons plus en détails sur cette idée au cours du

dernier chapitre de ce travail.

Si le 19e siècle est marqué par une revendication identitaire virulente en la

figure de Louis Riel qui va donner naissance à des soulèvement militaires et

politiques pour répondre au manque de considération du gouvernement

canadien quant aux Métis, qui ne servent que de simple intermédiaires pour

temporiser les relations entre anglophones, francophones et les peuples

autochtones. Le 20ème et 21ème siècles quant à eux continuent de mener un

combat pour revendiquer l’identité métisse et obtenir plus de droits mais sur un

autre champ de bataille : le monde de la culture et tout particulièrement celui de

la littérature. Sur les années 1980 souffle le phénomène des Cultural Studies qui

39

JACKSON, Cheryl, « Joseph Boyden on writing about the Aboriginal experience. », tvoparents, décembre

2011. Disponible sur Internet: http://tvoparents.tvo.org/bcid/1256794172001 (Consultation avril 2012)

Page 37: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

37

apportent des changements pour la communauté métisse en inspirant le

gouvernement canadien, qui commence à porter un autre regard sur les peuples

autochtones en général et à leur donner plus de liberté et de reconnaissance (loi

constitutionnelle de 1982).

Le Canada entre dans une ère où le mot « multiculturalité » est à

l’honneur. Mais ce sont surtout les créations de structures spécialisées telle que

la maison d’édition Pemmican Publications, les politiques universitaires et

d’enseignement qui visent à éduquer, informer et faire participer autochtones et

non-autochtones dans la création d’une nouvelle perception de l’identité et de la

culture métisse qui fait avancer la place de ces derniers au sein de la mosaïque

canadienne. Le rôle des auteurs contemporains n’est donc pas à mésestimer.

Pour conclure ce premier chapitre quant aux différents acteurs et les moyens

employés par ces derniers pour revendiquer et inventer une nouvelle identité

métisse, nous pourrions citer Matana Roberts, une saxophoniste américaine qui

au cours d’une de ses création artistique intitulé Coin Coin où elle a exploré son

héritage culturel et historique a écrit : « I speak memory, I shout her-his-tory ».

En d’autres termes, « Je parle de la mémoire, je hurle sa, son histoire ». La

saxophoniste fait ici un jeu de mot. Elle décompose le mot « history », « histoire »

en anglais, en jouant avec les pronoms possessifs « her » et « his », « sa » et

« son », pour souligner le caractère à la fois singulier et collectif de l’Histoire et

de la mémoire. C’est de cette même façon que les auteurs Métis appréhendent

l’outil littéraire. Ils l’utilisent pour exprimer leur propre expérience qui est aussi

l’expérience de toute une communauté.

Page 38: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

38

CHAPITRE II :

Les genres littéraires privilégiés

Au sein de ce deuxième chapitre nous aborderons les genres littéraires

privilégiés par les auteurs métis, et plus spécifiquement deux d’entre eux: la

poésie et le roman. Quelles sont les raisons qui font que ces deux genres soient

les plus exploités par les auteurs métis ? Le genre littéraire, peut importe qu’il

s’agisse de la poésie, du roman ou de l’autobiographie, sera dans ce chapitre

très peu exploité pour son contenu, point que nous aborderons à la fin de ce

travail de recherche, mais pour sa structure. Si nous voulons aborder la littérature

comme un outil nous devons nous intéresser à sa forme avant de prêter attention

au message contenu.

La forme est déjà une interface entre l’émetteur et le récepteur. Par la

structure d’une œuvre littéraire le lecteur obtient des informations sur la logique

de ce dispositif. L’art, et ici la littérature ne sert pas seulement à faire passer un

message par le contenu. La structure d’une œuvre produit elle aussi un sens

précis qui peut être, et c’est régulièrement le cas de la littérature métisse,

complémentaire au contenu de l’œuvre, au message général que l’auteur

souhaite exprimer.

Un auteur effectue un choix en décidant d’utiliser tel ou tel genre littéraire.

Il prend la décision de faire sa propre découpe du monde, c'est-à-dire qu’en

utilisant une forme précise il entre dans une logique associative. Il va jouer et

exploiter cette forme littéraire soit pour accentuer un peu plus les propos tenus

dans son ouvrage ou bien pour marquer un contraste. Pour autant, on peut aussi

considérer que les auteurs métis, lorsqu’ils utilisent cette logique associative ne

se « branchent pas à tout et n’importe quoi ». Cette logique amène à faire des

associations entre des éléments précis. C’est ce que nous démontrerons dans ce

chapitre. Si la poésie et le roman sont les deux structures les plus exploitées

c’est parce qu’elles permettent aux auteurs de combiner des éléments précis

entre leurs cultures indienne et anglophone.

Dans un premier temps, nous démontrerons que la poésie représente par

sa structure même cet entre-deux, métaphore de la culture des métis souvent

partagés entre deux langues, deux cultures, deux peuples.

Page 39: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

39

Dans un second temps, nous aborderons un autre genre, celui du roman.

Ce qui est intéressant avec ce genre c’est qu’il offre la possibilité de « dire la

vérité en trompant.» Cette forme implique donc la suspension de son incrédulité

par le lecteur.

2.1 La poésie : « le langage du milieu »

Quant bien même les auteurs métis s’emploient à utiliser divers genres

littéraires il n’en reste pas moins que la majorité d’entre eux passent par, ce que

l’on pourrait presque considéré comme un rite, la réalisation d’un travail relevant

de la littérature orale. La littérature métisse se fraye un chemin parmi la littérature

canadienne anglophone, francophone et celle des autres peuples autochtones

en variant l’utilisation des genres littéraires. L’un des genres les plus exploités est

la poésie.

Ainsi, il est possible de constater que tous ou presque, s’essaient à ce

que l’on nomme la littérature orale et/ou orature littéraire. Le genre poétique est

bien souvent le genre adopté par les auteurs qui voient probablement en lui la

transition la plus naturelle entre l’expression orale et écrite. C’est cette idée que

Duke Redbird confirme lors de son interview pour le magazine Sketch de

l’Ontario College of Art and Design University, à Toronto :

« (La poésie) C’est une sorte de langage du milieu. Ca correspond à cet

entre-deux, à cet espace qui est ni l’un ni l’autre. Les langues autochtones sont

comme cela. A l’inverse de l’anglais, ce ne sont pas des langues binaires. »40

40

«Duke Redbird OCAD’s new Aboriginal Advisor/Mentor», OCAD University, Canada. Disponible sur

Internet: http://www.ocadu.ca/faculty/profile_articles/20090707_duke_redbird.htm (Consultation avril

2012)

Page 40: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

40

On peut se demander si cette forme d’expression, une sorte de retour aux

sources ne serait pas la structure la plus révélatrice de l’identité culturelle

métisse ? Il apparait nécessaire, afin de comprendre le rapport particulier des

auteurs à la transmission orale, de définir dans un premier temps ce que l’on

entend par littérature orale.

Alors ensuite, il nous sera possible d’expliciter en quoi la poésie exprime

également la tradition métisse et l’attachement des auteurs pour le storytelling

c'est-à-dire de raconter des histoires. Sans oublier que le langage est souvent

l’un des critères les plus représentatifs d’une culture et que le choix de la langue

utilisée pour rédiger un poème reflète donc une prise de position particulière.

Nous tenterons donc de détailler et de comparer les avantages que

peuvent représenter la communication orale par rapport à l’écrit et inversement

en illustrant ces propos par l’analyse de poèmes.

a. La poésie : une transition naturelle entre tradition indienne et

tradition européenne

● Le concept d’Orature

Le terme orature était utilisé avant l’invention de l’écriture et renvoie à

l’ensemble des genres dont le mode d’expression est la voix. Christian Montelle,

explique que :

« le terme de ‘littérature orale’ est un oxymore, une tournure de style qui dit

quelque chose et son contraire : cette obscure clarté qui tombe des étoiles. Littérature

vient du latin : « litera », « lettre », puis « litteratura », « écriture », « grammaire »,

« culture ». La lettre relève à l’évidence de l’écrit, comme le phonème relève de l’oral. » 41

Qui plus est, il faut différencier les différentes formes d’expression orale.

Si « l’orature littéraire » renvoie au prolongement écrit de textes oraux, la

41

MONTELLE, Christian., Littérature orale et maîtrise de la langue : nourrir l’enfant par l’oreille…, France,

Centre Méditerranéen de Littérature Orale, Alès, 2008, p.1

Page 41: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

41

« littérature orale » fait écho à des textes écrits conçus pour être dit oralement.

Enfin la « littérature oralisée » fait quant à elle référence aux textes littéraires qui

sont exprimés oralement. Avant l’apparition de l’écriture, l’oral était le moyen de

transmission de récits littéraires. Au fil du temps et détrôné par l’écrit, l’oral s’est

transformé en un simple médium de communication immédiate. Il est vrai que

l’écrit présente bien des avantages. Cela permet de toucher un plus grand

nombre de personnes au vingtième et vingt-et-unième siècles. Auparavant, le

nombres de personnes analphabètes était plus important.

De surcroit, le support écrit laisse une trace du message qui est véhiculé

alors que les paroles ont tendance à être oubliées par l’auditeur, contrairement à

la transmission orale dont l’histoire est constamment modifiée par celui qui la

narre. L’écrit se fait mémoire de la pensée sans l’altérer. Cette dernière idée est

d’ailleurs introduite dans le poème de Maria Campbell intitulé ‘Jacob’. Le

narrateur, ou plutôt le conteur de l’histoire, établie une comparaison entre la

communauté anglophone qui utilise le support écrit pour préserver sa culture à

l’inverse des métis qui utilisent la transmission orale : « L’homme blanc, il peut

revenir mille ans en arrière, parce que lui, il écrit tout. »42

Dans ce passage, le narrateur reconnait l’efficacité de la méthode écrite,

qui permet conserver intacte plus de savoirs. Toutefois, l’orature peut renforcer

l’identité d’une communauté quant à sa culture puisque sa forme, les sujets ainsi

que le langage utilisé sont les reflets d’une tradition. Les sujets abordés sont

souvent communs à tous les membres de la communauté et l’orature peut alors

endosser une fonction initiatique. Bien des métis considèrent leurs récits comme

étant source d’enseignement, mais ils leurs confèrent également des vertus

médicinales. Certes, la transmission orale et le contenu des histoires narrées

peuvent éduquer l’auditeur cependant, comment ce support de transmission

peut-il se faire « guérisseur » ? C’est en fait le lien social que ce médium instaure

entre le conteur et son auditoire qui lui confère cette autre caractéristique.

42

“Dah whitemans, He can look back thousands of years, cause him, he write everything down.”, MOSES

DAVIS.D., GOLDIE.T., An Anthology of Canadian Native Literature in English, USA, Oxford University Press, 3

edition, 2005, p.123

Page 42: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

42

● Un lien intergénérationnel

Une chose est sûre, les auteurs métis, de par leur identité mixte, sont en

effet très attachés à la transmission orale des récits et se considèrent d’ailleurs

plus comme étant des « conteurs d’histoires » que des « écrivains ».

Maria Campbell rend compte de cette idée en soulignant le lien

indissociable qui existe entre l’histoire et son auteur ainsi que l’importance de la

transmission orale de ces histoires pour la communauté métisse. Cette dernière

affirme d’ailleurs que ce mode de transmission est l’héritage le plus précieux des

métis parce que :

« Tu ne peux pas faire don de cette terre parce qu’elle ne

t’appartient pas. Ce n’est d’ailleurs pas « cette », « elle » est ta mère […]

le conteur à qui on a donné l’histoire ne pouvait pas la transmettre à

n’importe qui sans permission ou consentement au préalable.»43

Maria Campbell, est une auteure métisse née en 1940 au Saskatchewan.

Romancière reconnue tant pour ses livres pour enfants, son autobiographie

« Halfbreed » que pour son engagement en faveur des associations autochtones

visant à promouvoir et immortaliser le patrimoine culturel métis ; elle n’échappe

pas à la « règle » et rédigera des poèmes.

L’un d’entre eux, intitulé ‘Jacob’ revient, par sa structure tant sur le

concept de littérature orale que sur l’idée de lien intergénérationnel qui existe

dans le processus de transmission des histoires. Ce poème introduit un conteur

dont le nom nous est inconnu, et qui narre la vie de Jacob, un Métis appartenant

à la communauté du conteur. Différents éléments du récit nous permettent de

43

“Land you can’t give away because it doesn’t belong to you. And it is not “it” anyway, “she” is you Mother

[…] the storyteller who had been given the story could not pass it on to anyone else without permission or

prior consent.”, Ibid., p.123

Page 43: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

43

comprendre que cette prose est un reflet de la transmission orale d’un récit métis.

Comme l’avait précisé Campbell, le conteur, dans les premières strophes, justifie

la provenance de l’histoire qu’il s’apprête à raconter. Elle lui a été transmise par

sa grand-mère. Effectivement, un lien est créé entre émetteur et récepteur, d’où

l’importance de la passation du médium de transmission qui vient renforcer les

liens sociaux et plus précisément les liens intergénérationnels entre les membres

de la communauté. Campbell n’est pas la seule à suggérer cette idée, Duke

Redbird la souligne également en affirmant :

« La sagesse ne provient pas seulement de l’enseignement reçu (à

l’école). Dans les communautés autochtones, il y a une tradition qui renvoie à se

tourner vers les personnes qui ont une certaine expérience de la vie. Ceux qui,

comme nous les appelons, ont passés ‘plusieurs hivers’. Nous croyons que ces

personnes possèdent la sagesse parce que la sagesse provient de l’expérience

qui nous engage à notre vie, notre environnement et notre monde depuis un long

moment. »44

Dans le reste du poème de Campbell, des échos à la tradition mentionnée

par Redbird apparaissent, lorsque le conteur souligne que les métis utilisent la

littérature orale pour conserver leurs histoires. Nous retrouvons également la

fonction « médicinale » des histoires orales lorsque les vieilles femmes métisses

chantent des « chansons qui guérissent » à Jacob dans le but de l’aider à

surmonter le décès de son épouse. Ici, nous remarquons que cette transmission

fait souvent appelle à la sagesse des anciens, des membres de la communauté

qui ont de l’expérience et sont plus à même de répondre aux questions et

besoins de la jeune génération.

En outre, la forme stylistique du texte amène le lecteur vers une lecture à

haute voix. C'est-à-dire que le langage utilisé est de fait, la langue orale, la

langue parlée.

44

“Duke Redbird OCDA’s New Aboriginal Advisor/Mentor.”, OCAD University. Op.cit., p.31

Page 44: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

44

b. La poésie : une remise en question du langage

● La poésie métisse se joue de la langue anglaise

Campbell démontre par ce poème une position nette et précise quant à la

langue anglaise. Elle décide de délibérément mal mener ce langage. En effet, le

conteur, ne semble pas du tout maîtriser la langue de Shakespeare et commet

donc bien des erreurs. Deux explications possibles :

Campbell souhaite insister, par souci de réalisme, sur le fait que ce

conteur ne soit pas en mesure de produire un discours soutenu en langue

anglaise. C’est un argument que nous retrouvons dans beaucoup d’ouvrages

littéraires mettant en scène des personnages métis, et qui s’explique par le

contexte historique et social. Les populations métisses avaient très peu accès à

l’éducation canadienne anglophone. De nombreux Métis refusaient d’envoyer

leurs enfants dans les écoles canadiennes, contrôlées par l’Eglise, préférant ainsi

éduquer eux-mêmes leurs enfants. En conséquence, la majorité des métis ne

maîtrisaient pas la langue anglaise.

Ou bien, cette altération intentionnelle de la langue rend compte d’un

processus courant pour les Métis, en d’autres termes, le mélange des langues.

Seulement, dans le cas présent, il n’y a pas de mots « étrangers » incorporés si

ce n’est les noms indiens de certains des personnages. Campbell illustre ici un

conteur qui a des lacunes pour s’exprimer dans la langue anglophone. Cela ferait

écho à l’histoire contée puisque qu’elle relate une histoire passée, sur un

membre de sa communauté.

Jacob, le personnage principal, finit par dédier sa vie à empêcher le

gouvernement canadien d’emmener les enfants métis afin de les placer au sein

de « Residential Schools ». En d’autres termes, des pensionnats où les enfants

autochtones étaient envoyés pour y être éduqués selon les exigences de la

société canadienne. Si le conteur du poème ne maîtrise pas l’anglais, c’est que

Jacob, le protagoniste, a réussi à résister aux politiques du gouvernement

canadien. Maria Campbell, par la forme et la syntaxe du poème prend position et

dénonce l’action du gouvernement quant à la création des Residential Schools.

Elle intègre toutefois une note d’espoir en la personne du conteur qui, par sa

mauvaise utilisation de la langue anglaise, n’a pas été envoyé dans l’un de ces

Page 45: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

45

pensionnats. Nous en déduisons que la communauté métisse de cette histoire a

préservé ses traditions de transmissions orales.

L’utilisation de la langue et son exploitation, les transformations que peut

lui faire subir un auteur marque une prise de position. La structure langagière,

sans tenir compte du contenu, produit un sens qui éclaire un peu plus le lecteur

sur le message contenu au sein même de l’œuvre. Le choix de la langue

d’expression n’est pas à négliger. Ceci est perceptible à travers le poème

d’Emma LaRoque « Where did she go ? » Ici, LaRoque s’interroge sur la place

de la langue autochtone dans sa vie : «Où est-elle partie, ma chère, ancienne,

cultivée, l’arbre (mes racines), ma mère, ma (langue) Crie ? »45

C’est la disparition de la langue Crie qui est soulignée. L’auteure fait

référence à ce langage comme un langage maternel, une langue qui symbolise

la « voix » de l’instruction au travers d’histoires. Ce qui est intéressant avec ce

poème c’est que le sujet principal est une langue autochtone et dans ce cas

précis le Crie. Si la forme du poème s’apparente plus à un style littéraire

européen, le thème du poème fait écho à la culture autochtone.

Cela accentue la volonté des auteurs Métis à faire coexister leurs deux

cultures. Cette prise de position reflète également le désire d’affirmer une

appartenance ethnique, ou plutôt de mettre en valeur l’une des cultures, bien

souvent celle qui est dominée par l’autre. Au cours d’une interview l’auteure

Marilyn Dumont revient sur la question. Elle affirme que bien qu’ayant grandit

dans un foyer bilingue, la langue anglaise semblait être « la langue privilégiée »46

par rapport au Crie.

● Le langage : un médium facilitant les échanges

Cette importance de la langue, de la transmission orale porte un nom

précis pour les métis : le storytelling est l’art de « raconter des histoires ». 45

“Where did she go, My great, ancient, cultured, Tree, My mother, My Cree?”, cf. Annexe no 4

46« Interview with Cree/Metis Poet Marilyn Dumont», racialicious. Disponible sur Internet:

http://www.racialicious.com/2010/11/25/interview-with-creemetis-poet-marilyn-dumont/ (Consultation

avril 2012)

Page 46: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

46

Raconter des histoires est bien plus qu’un vulgaire passe-temps. Raconter des

histoires est une forme d’institution sociale, une sorte « d’université orale » dont

les enseignants sont les membres les plus âgés et expérimentés de la

communauté. Ce mode de passation des connaissances peut s’avérer être un

outil d’enseignement qui favorise l’écoute et la communication puisque cette

structure est en soi interactive. Elle insiste sur l’échange et la participation des

deux partis. C’est ce point qui est particulièrement intéressant si nous revenons

aux auteurs métis en général et à ceux qui utilisent la poésie.

Nous pouvons constater que ces derniers, qu’ils en soient conscients ou

non, invitent le lecteur par la forme même de la poésie à s’investir. La structure

poétique incite un lecteur vers la lecture à haute voix. Ce dernier, dans quatre-

vingt dix pour cent des cas, aurait certainement une autre approche de la lecture

c'est-à-dire à lire un écrit scientifique, historique ou un roman dans sa tête. En

d’autres termes, le processus de storytelling est par son essence même une

communication à double-sens. En associant ce processus à leurs poèmes, les

auteurs métis créent des connections avec leurs lecteurs.

Mc Lean et Wason-Ellam insistent, au cours d’un de leurs travaux de

recherche, sur un autre détail concernant l’engagement du lecteur avec la notion

de storytelling. Ce procédé : « donne à celui qui écoute la responsabilité de

prêter attention (à ce qui lui est raconté), à réfléchir et interpréter le

message ».47

Nous remarquons que le lecteur se voit offert la possibilité de dégager

son propre sens, sa propre compréhension du message qui lui est introduit. Cette

structure implique bel et bien une participation du lecteur. Le choix que font les

auteurs Métis quant à exploiter la poésie plutôt que d’autres genres littéraires

peut trouver une part d’explication grâce à ce processus. Généralement, les

auteurs métis visent à faire prendre conscience à leurs lecteurs des préjugés qui

entourent la communauté métisse et sa culture. L’un des principaux buts est

donc d’amener les lecteurs, en particulier les lecteurs d’origine européenne à se

défaire de leur logique séparatiste, de ce regard manichéen qui influence leur

47

MAC LEAN.M., WASON-ELLAM.L., When Aboriginal and Métis Teachers use storytelling as an Instructional

Practice, A Grant Report to the Aboriginal Education Research Network, Saskatchewan Learning, 2006. P.10

Page 47: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

47

perception et les dirige à chercher ce qui est ou ce qui n’est pas. Cela ne leur

laisse pas la liberté de choisir par eux même leur propre découpe du réel, c'est-

à-dire qu’ils sont orientés à penser et à regarder ce qui les entoure avec une

logique d’opposition. Les auteurs métis, par la structure de la poésie et le

processus de storytelling leurs donnent accès à une logique associative en

incitant leur regard à chercher non pas « ce qui est ou ce qui n’est pas » mais

« ce qui est et ce qui n’est pas ». C’est au lecteur que revient le choix de faire

ses propres raccords entre le message délivré et ce qu’il pense ainsi qu’à revoir

les normes qui régissent son appréhension du réel, de ce monde social ou

culturel qui l’entoure.

Par ailleurs, Mc Lean et Wason-Ellam recueillent également l’avis d’un

professeur quant à sa méthode d’enseignement :

« Patricia explique le rôle du professeur de cette façon : Je crois que la

plupart du temps je me considère être une assistante (une aide). Je ne suis pas

un ‘contenant’ qui déverse les informations dans des récipients symbolisés par

les élèves. Je crois que j’envisage mon rôle comme un partage. C’est de cette

façon que j’opère parce ce que c’est ce qui marche le mieux pour moi. Je ne me

sens pas à l’aise quand je suis debout devant à leur donner les informations,

qu’ils prennent sans qu’il n’y ait de dialogue ou d’interaction. »48

Ce qui est pertinent dans la remarque de ce professeur, c’est qu’elle

décrit en un mot le rôle de la littérature métisse qui se veut être un vecteur. Ce

que cette enseignante souligne c’est qu’elle se voit elle-même comme un

« facilitator » que nous pouvons comprendre comme « un moyen qui facilite à,

qui aide à » quelque chose. Elle se représente non pas comme une incarnation

du savoir mais comme l’objet qui permet sa passation. En ce sens cette

description reflète avec justesse ce que la littérature métisse et les auteurs

essaient de faire. L’un comme l’autre ne prétendent pas contenir les réponses, le

savoir mais se revendiquent être des médiums qui donneront un accès à une

48

Ibid., p.25

Page 48: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

48

possibilité de comprendre la communauté métisse et sa culture différemment,

sans chercher à complètement diriger la pensée du lecteur mais en l’incitant

justement à prendre du recul et à jouer avec les normes qui fondent son monde.

Et c’est justement ce que le genre poétique qui associe langage et écriture

permet de matérialiser.

2.2 Le roman

L’auteure Marilyn Dumont revient, au cours d’une interview avec le

magazine Racialicious, sur un autre point quant au mode de transmission des

histoires autochtones. Elle explique que si le fait de raconter des histoires par la

voie orale est l’une des plus vieilles traditions autochtones, elle souligne

néanmoins que mettre ces récits par écrit est quelque chose de nouveau pour

ces derniers. Les auteurs apprennent aujourd’hui encore à utiliser ce mode de

transmission. C’est le cas du roman. Petit à petit ce genre littéraire est devenu de

plus en plus exploité par les auteurs métis. Tout comme la poésie, ce genre par

sa structure à des caractéristiques précises qui permettent aux auteurs, pour en

revenir au fil conducteur de ce chapitre, de produire un sens particulier qui

contribue à leur intention d’amener les lecteurs à modifier leur regard, à aborder

la communauté métisse et sa culture sous un nouvel angle.

Premièrement, nous reviendrons sur le pacte qui définie la relation entre

l’auteur et son lecteur. Ce dernier accepte de suspendre son incrédulité quand il

s’agit de fiction, les auteurs invitent alors le lecteur à accepter de regarder les

Métis et leur culture avec une autre logique.

En prolongeant ce contrat tacite qui lie auteur et lecteur, nous porterons

également une attention particulière sur la notion de vérité dans le cadre du

roman. Le roman, et plus spécifiquement le roman fictionnel n’est pas à prendre

comme une simple invention puisqu’il permet de « dire la vérité en trompant ».

Par la compréhension de la relation qu’entretient le lecteur avec la

structure du roman, qui l’amène à suspendre son incrédulité et par sa stratégie

stylistique de raconter la vérité dans ce qui, au premier abord, semble n’être que

Page 49: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

49

pure invention, nous constaterons que le roman, tout comme nous l’avons noté

avec la poésie, permet de jouer avec le réel et le domaine du possible pour nous

faire entrer dans une logique associative. Cela nous donnera la possibilité de

comprendre que le regard porté sur les Métis et leur culture est le résultat d’une

pensée binaire, manichéenne qui oriente la perception des individus sur une

relation d’opposition.

Afin de comprendre comment s’articule la relation entre l’émetteur et son

récepteur et en quoi le choix du genre influence partiellement l’avis du lecteur,

revenons sur le pacte fictionnel qui les lie.

a. Le roman : médium de créolisation ?

Le roman, par sa fonction esthétique prouve que la mise en forme du

message, à savoir son dispositif même, peut l’emporter sur le contenu et

démontre que la communication ne se limite pas à une simple transmission

d’informations. Le roman, par sa forme est lui aussi un discours. Il permet de

découper le réel autrement puisqu’il joue avec le domaine du possible et remet

en cause ce que serait le réel. Cette caractéristique propre au roman reflète ce

que cherche à faire les auteurs Métis, c'est-à-dire : modifier le réel pour remettre

en question ce que l’on considère être la norme et ce qui ne l’est pas. Ce genre

leur permet de questionner la logique séparatiste de la pensée occidentale,

basée sur une vision manichéenne du monde et qui influence la perception et le

comportement de la société à l’égard des Métis canadiens.

● La créolisation plus en détails

Denis-Constant Martin, directeur de recherches au Centre de recherches

et d’études internationales (CERI) de la Fondation des sciences politiques de

Paris, dans l’un de ses articles intitulé « Peut-on parler de créolisation à propos

de l’Afrique du Sud ? Métissage, hybridité ou créolisation : comment (re)penser

l’expérience sud-africaine »49 revient sur la notion de créolisation. Il explique que

49

MARTIN, Denis-Constant, « Peut-on parler de créolisation à propos de l’Afrique du Sud ? Métissage,

hybridité ou créolisation : comment (re)penser l’expérience sud-africaine ? », Revue internationale des

sciences sociales, n°187, France, ERES, 2006, p.173 à 184

Page 50: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

50

la créolisation serait le résultat de « transformations fusionnelles », elles-mêmes

associées aux notions d’hybridité et de multiculturalisme. Il définie la notion de

multiculturalisme par la « coexistence de plusieurs cultures dans une société, un

pays. » 50 Nous en déduisons donc que le multiculturalisme est issu de

phénomènes historiques qui amènent des populations de cultures diverses à

coexister sur le même territoire. L’hybridité renvoie à ce qui est « composé

d’éléments disparates, composite. » 51 La créolisation serait un processus

complexe d’interconnexions entre différentes cultures. Toutefois, les contacts

entre les différentes cultures ne font pas oublier les différences qui existent entre

ces cultures.

De plus, Martin constate que, de manière générale, les phénomènes

historiques qui amènent à la créolisation sont des phénomènes plutôt violents, et

souvent construits autour d’un contexte d’oppressions et de luttes pour le pouvoir.

En effet, la notion de créolisation est également liée à celle de métissage. Le

métissage culturel est la « production culturelle (musique, littérature, etc.)

résultant de l’influence mutuelle de civilisations en contact. »52 Nous pouvons

considérer que les Métis canadiens et par extension leur littérature sont des

produits issus des relations entre deux civilisations. La colonisation est donc à

l’origine de ce métissage. Elle a entraîné l’écrasement de certains peuples et

cultures mais aurait également permis de créer de nouvelles cultures

« constituant la base de nouvelles formes esthétiques, et de nouvelles structures

sociales qui allaient influencer tous les secteurs de l’activité humaine et toutes les

formes d’organisation sociale, de la musique populaire à la structure même de

l’Etat. »53 En ce sens, le roman constitue par son esthétique une forme de

créolisation , une forme qui joue sur le domaine du possible en mêlant le monde

de la fiction et le monde réel pour donner naissance à un monde singulier, un

monde diégétique.

Stuart Hall, se réfère, lui aussi, aux peuples afro-antillais pour parler

d’hybridité. Il caractérise cette notion par l’acceptation, par nécessité, de

50

Le Petit Larousse, Larousse, 2004, p. 715

51 Ibid., p. 555

52 MARTIN, Denis-Constant, « Peut-on parler de créolisation à propos de l’Afrique du Sud ? » op.cit., p. 687

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51

l’hétérogénéité et de la diversité culturelle. La conception de l’identité devient

celle d’une identité qui s’affirme par et grâce à la différence, par l’hybridité.

Pour autant, tous les anthropologues ne sont pas d’accord pour parler de

métissage et d’hybridation. Trois auteurs martiniquais (Bernabé, Chamoiseau et

Confiant) proposent une alternative aux notions de métissage et d’hybridité : la

créolité. Il s’agit de « l’agrégat interactionnel ou transactionnel […] des éléments

culturels caraïbes, européens, africains, asiatiques, et levantins, que le joug de

l’Histoire a réuni sur le même sol. »54

La créolité serait le résultat de la créolisation, c’est à dire, un processus

de mise en contact brutale de populations culturellement différentes sur des

territoires en général insulaires ou enclavés selon les trois auteurs. Cette notion

qui se réfère aux Antilles et aux Amériques peut s’appliquer au monde entier, et

plus particulièrement aux Métis canadiens. La créolité est donc une identité

tandis que la créolisation est un processus de construction de cette identité, un

phénomène relationnel. Nous en déduisons donc que le roman est bien le

résultat matériel d’une créolisation.

Kobena Mercer, universitaire noire travaillant sur le phénomène des

cultural studies, aborde également ce processus de créolisation dans son

ouvrage « Welcome to the jungle : New positions in Black cultural studies »55.

Elle constate la possibilité de construire une nouvelle culture au sein de laquelle

une multiplicité d’identités hybrides et instables interagit. Cette possibilité s’est

construite grâce à la période de la postmodernité, période pendant laquelle on

remet en cause l’immuabilité de l’identité. Dans le domaine artistique, les valeurs

esthétiques traditionnelles sont bousculées par la construction d’une nouvelle

culture. L’exemple qui nous est donné est celui du cinéma britannique des

années 1980 qui voit apparaître des réalisateurs et réalisatrices noirs. Le cinéma

« noir » incarne une contre pratique en réaction aux idées auparavant véhiculées

par le cinéma britannique qui prône la diversité au sein de la culture « noire ». Ce

54

Ibid.,

55 KOCH, Diane, « Kobena Mercer, Welcome to the Jungle : New Positions in Black Cultural Studies », Volume!

2011. Disponible sur Internet: http://volume.revues.org/2732 (Consultation avril 2012)

Page 52: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

52

cinéma « noir », permet de bousculer les codes imposés par la culture

britannique dominante mais ne la rejette pas en bloc :

« En effet, dans des œuvres comme Looking for Langston (1988), les

réalisateurs et réalisatrices construisent un dialogue avec ces codes en

procédant à une appropriation syncrétique qui leur permet de les hybrider, de les

créoliser. Ces stratégies syncrétiques apparaissent également dans les pratiques

culturelles de la musique et des coiffures. Les peuples de la diaspora africaine

ont ainsi créé des styles noirs dans lesquels ils se sont réappropriés des

éléments de la culture dominante en les créolisant. »56

La démarche entreprise par les Métis canadiens en employant le genre

du roman s’inspire directement de l’approche menée par le cinéma « noir » en

réaction à la dominance du cinéma britannique afin de bousculer les codes

imposés. Plus généralement, nous pouvons donc retenir que la créolisation

correspond à la réappropriation par une culture de certains éléments d’une autre

culture ; réappropriation qui amène à une hybridation, un mélange entre des

éléments provenant de chacune des deux cultures données. Certains éléments

de la culture réappropriée peuvent également être réinterprétés par la culture qui

se les approprie.

En conséquence, nous pouvons affirmer que l’utilisation du roman par les

Métis canadiens est plus qu’une simple réappropriation des canons esthétiques

européens, dont le récit est une esthétique inscrite dans la culture occidentale,

mais une réinterprétation de ce dispositif qui par sa nature amène à un mélange

entre des éléments fictionnels et réalistes dans l’optique de renforcer l’adhésion

du lecteur au discours tenu.

56

Ibid.

Page 53: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

53

b. Le roman : une logique associative

● L’association du storytelling au roman

La méthode du storytelling consiste en effet à appliquer des procédés

narratifs dans la technique de communication pour renforcer l'adhésion du public

au discours présent dans l’histoire. Il s’agit de créer une histoire dotée d’un

pouvoir de conviction tout en séduisant le lecteur. Ce processus de séduction du

lecteur permet à l’auteur de capter l’attention de ce dernier et de stimuler en lui

une envie de changement. Le roman offre cette possibilité aux auteurs Métis qui

sont alors en mesure de convaincre le lecteur, rappelons-le en majorité d’origine

canadienne européenne, et de l’amener à regarder les choses sous un autre

angle.

Stephen Denning 57 explique que l’utilisation d’histoires et de formules

symboliques permet au public de mettre provisoirement de côté son cynisme et

de garder un esprit ouvert au message transmis. Cette démarche est celle que

les auteurs Métis cherchent à mettre en application à travers la structure du

roman. Ce médium permet de jouer avec la narration de l’histoire en floutant la

distinction entre fiction et réalité mais aussi par extension avec la communication

entre l’écrivain et son lecteur.

La méthode du storytelling, qui manipule le lecteur pour agir sur la logique

de sa pensée, vient renforcer l’ambiguité avec laquelle le roman joue sur la

perception du lecteur à propos du message qui lui est présenté par l’histoire.

Ainsi, le genre du roman et la méthode du storytelling sont des phénomènes de

créolisation qui permettent d’influencer la pensée du lecteur en lui apprenant à

appréhender le monde qui l’entoure différemment. En acceptant les codes

qu’imposent le genre du roman par sa structure quant à la créolisation

d’éléments fictifs et réels, le lecteur intègre une nouvelle logique de penser de

nouvelles possibilités le temps d’une histoire. Cette démarche est rendue

possible grâce au contrat tacite que le lecteur passe avec l’auteur.

57

DENNING, Stephen, The Secret Language of Leadership, United States, Jossey Bass, 2007

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54

● Le pacte fictionnel : dire la vérité en trompant

La réception du texte est fondée par un accord tacite sur ce qu’est le texte.

Cet accord s’inspire directement du pacte autobiographique que Philippe Lejeune

explique dans « Le pacte autobiographique »58. Lejeune revient sur la relation

qui lie auteur et lecteur en expliquant notamment que dans le cadre précis d’une

autobiographie le lecteur a besoin de savoir que le narrateur équivaut bien à

l’auteur. En effet, dans certains ouvrages à l’instar du roman de Proust qui

commence par : « Je me suis longtemps couché de bonne heure »59 ,le « je »

narratif n’incarne pas la personne de l’auteur.

Dans le cas du roman, le pacte autobiographique se transforme en

contrat de fiction. Le lecteur suspend son incrédulité et accepte d’intégrer les

« règles du jeu » que lui impose le roman, surtout si ce dernier est fictionnel.

Cette suspension de l’incrédulité est plus évidente et le pacte nécessaire dans le

cas des romans historiques puisque il y a absence d’éléments fantastiques. Les

événements qui y sont décrits sont supposés s’être déroulés.

La fiction doit donc créer une impression de réel : l'individu à qui la fiction

s'adresse doit pouvoir croire, même pendant un temps limité, que les faits qui lui

sont présentés par l’auteur sont possibles dans son monde à lui, celui de la

réalité. Généralement, les personnes ressentent le besoin de mettre en relation

ce qui est dit dans l’oeuvre avec ce qu’ils vivent dans la réalité et ainsi comparer

l’inconnu au connu. Il s’agit d’entrer dans une démarche associative et non pas

dans une démarche, même si elle semble l’être, de comparaison.

L’exemple de la science-fiction illustre cette initiative que prennent les

auteurs à entremêler faits réels et fiction, tout en faisant en sorte que les

événements décrits soient plausibles. Ce processus symbolise la logique

associative qui anime les auteurs.

58

LEJEUNE, Philippe, Le pacte autobioraphique, France, Seuil, 1975

59 PROUST, Marcel, A la recherhce du temps perdu, France, Gallimard, 1999

Page 55: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

55

Octavia Butler, auteure américaine a réussi à établir dans son oeuvre de

science-fiction intitulée « Lilith’s Brood »60 un parallèle avec l’histoire des Afro-

américains et plus particulièrement sur l’esclavagisme auquel ils ont été soumis

par les blancs americains. Le récit ouvre sur la vie de Lilith et celle de ses

enfants, des êtres hybrides suite à l’invasion de la planète terre par un peuple

d’extra-terrestres, les Oankali. A l’exception d’un petit groupe d’humains, le reste

de la population terrestre est exterminé. Ce groupe est alors emmené de force

sur une nouvelle planète et réduit en esclavage. L’histoire suit la nouvelle vie de

ces humains privés de toute liberté et présente les stratégies de survie créées

par ces derniers. D’un point de vue culturel il s’agit d’accepter volontairement le

processus d’acculturation tout en essayant d’intégrer quelques éléments de sa

culture à l’autre. D’un point de vue génétique cela donne naissance à de

nouveaux êtres issus d’une hybridation entre humains et extra-terrestres.

Le roman par sa nature joue sur l’altération du monde réel, et montre la

possibilité d’altérer celui-ci. Cette altération matérialise la logique associative qui

permet de créer des connections entre les êtres humains et non pas de créer des

oppositions. Le roman émet un doute sur ce que serait le réel en insistant sur

l’autrement, en jouant avec le domaine du possible puisque tous les faits

présentés dans une fiction ne sont pas nécessairement imaginaires.

Matana Roberts, saxophoniste américaine revient sur ce point et explique que

même si on introduit des éléments de sa vie on ne la raconte pas entièrement.

On extrapole pour se rapprocher du réel. Il s’agit de reprendre certains éléments

et d’en créer d’autres à partir de cette recomposition. Evidement, cela implique

un codage par l’émetteur, à savoir l’auteur, et un décodage du message par le

récepteur, autrement dit le lecteur.

Les romans des auteurs Métis s’inspirent effectivement de faits réels, de leurs

histoires personnelles, de toutes leurs expériences. A partir de ces éléments, ils

reconstituent un monde proche du monde réel, un monde hybride issu d’un

processus de créolisation dont la logique est basée sur une association

d’éléments empruntés à deux cultures.

60

Il s’agit en fait d’une trilogie de trois volumes à savoir Dawn (1987), Adulthood Rites (1988) et Imago

(1989) , regroupés dans un seul et même ouvrage intitulé Lilith’s Brood (2000) ou The Xenogenesis Trilogy

publiés aux Etats-Unis par la maison d’édition Grand Central Publishing.

Page 56: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

56

En ce sens, la poésie et le roman sont des genres privilégiés par les

auteurs Métis puisque la structure du premier représente un juste milieu dans

l’association de la tradition orale indienne du processus de transmission des

histoires et le processus de transmission écrite, plus couramment employé par

les canadiens européens. Le roman quant à lui, est un genre qui implique une

modification du réel, qui joue avec la frontière entre le réel et la fiction. Le monde

créé par le roman est en fait un monde altéré résultat de l’hybridation entre les

éléments fictifs et les éléments réels. Cette structure est à la fois représentative

de la logique associative des Métis qui pensent le monde et les relations entre

les peuples comme étant une relation qui permet de se connecter les uns aux

autres et non pas les uns contre les autres. Le dispositif du roman a de particulier

la capacité d’amener le lecteur à accepter de voir les choses autrement et

admettre la différence.

Page 57: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

57

CHAPITRE III :

Contenu des œuvres : la prépondérance de stéréotypes

Attardons nous maintenant à la dernière « couche » du médium littéraire

c'est-à-dire, à son contenu. Cet écrit, rédigé par l’auteur est celui qui va

influencer le plus le lecteur qui tire des conclusions sur ce qu’il lit. Généralement,

c’est le premier réflexe de tout lecteur, lors d’une première lecture, de tirer des

conclusions à partir des éléments fournis par l’auteur. C’est pour cette raison que

ce qui est choisi d’être dit mais aussi ce qui est choisi d’être omit par l’auteur est

crucial. Tous les éléments présents ou non donnent un sens particulier au

discours de l’auteur. Le lecteur doit effectuer une double lecture afin de déchiffrer

le véritable message en prenant du recul sur le discours proposé et en le

confrontant avec d’autres discours relatifs au sujet.

Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne la littérature des métis

puisque qu’ils véhiculent une certaine image de la communauté autochtone.

Toutefois, ces écrivains peuvent être, qu’ils en soient conscients ou non,

instrumentalisés et endossent parfois plus le costume d’assistant social que celui

d’artiste. C’est pour cette raison qu’il faut comprendre les thèmes traités dans les

œuvres littéraires en se référant toujours au message subliminal.

Une fois cette confrontation faite, il nous sera alors possible de déterminer

si les auteurs métis, qui revendiquent vouloir affirmer leur identité culturelle et

susciter une reconnaissance de la part du reste de la société canadienne, ne

contribuent-ils pas finalement à maintenir ce sentiment de discrimination en

peignant constamment une image des métis comme étant des « victimes ». Bien

sûr, les faits historiques, sociaux peuvent venir confirmer le constat. Néanmoins

ne serait-il pas plus judicieux pour ces auteurs de souligner d’autres aspects de

la culture métis et présenter au reste de la population canadienne une autre

image des métis ?

Nous aborderons trois différents thèmes récurrents à la majorité des

œuvres écrites par les métis.

En abordant le « syndrome des filles métisses » et après avoir détaillé ces

syndromes, nous verrons depuis quand et les raisons pour lesquelles ils sont

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58

associés à la communauté métisse et surtout comment ces syndromes sont

traités par les auteurs, en faisant toujours la distinction entre ce qui est présenté

au lecteur et ce qui ne l’est pas.

Nous en viendrons ensuite à se concentrer sur les Residential Schools.

Très souvent mentionnées dans les histoires elles symbolisent les questions

relatives au problème Indien nous faisant ainsi réfléchir sur la question

d’ethnocide culturel.

Enfin nous évoquerons le sentiment « d’entre-deux » éprouvé par les

métis et leurs réponses pour se forger une place au sein de la société

canadienne. Nous réfléchirons ainsi sur les questions d’hybridité et de

xénogenèse.

3.1 Le « syndrome des filles natives »

Le « syndrome des filles natives » fait écho au livre April Raintree de

Beatrice Culleton dans lequel l’écrivain soutient que ce syndrome réduit, dans

cette œuvre précise, les femmes autochtones en les minimalisant affectivement,

physiquement ainsi que moralement. Le travail de Culleton décrit les perceptions

qu’aurait le reste de la société canadienne sur les métis, à savoir qu’ils sont des

« assistés », incapables de faire quoi que ce soit. Ce « syndrome » fait référence

à des caractéristiques souvent employées lorsque l’on décrit les Métis. La plupart

des auteurs Métis traitent ces stéréotypes afin de dénoncer les abus que les

Métis subissent et qui a pour résultat de perpétuer la perception négative que

l’on a de cette communauté.

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59

a. Une violence physique

La violence est l’un des thèmes les plus abordés dans la littérature des

Métis. Cette brutalité se fait d’abord physique et provient des différentes relations

entretenues avec les canadiens européens, les Autochtones mais aussi entre

Métis eux-mêmes.

● La violence physique entre Métis et canadiens européens

La violence physique est régulièrement centrale quand on aborde les

relations entre Métis et canadiens européens. Cette relation, entre la culture

dominante et la culture dominée, est présentée comme étant conflictuelle. Dans

April Raintree, le personnage principal, April, est violentée par un homme

appartenant à la culture dominante, la culture « blanche » :

« Celui qui était à mes côtés posa sa main sur moi. Je la repoussais. Il

frappa encore plus fort, comme s’il avait le droit de faire comme bon lui semble.

‘Alors comme ça tu es une vraie squaw, huh ? C’est bien, c’est comme ça que je

les aime.’ Il rit à sa propre remarque. » 61

Dans ce passage, Culleton sous-entend la raison pour laquelle la

protagoniste subit cette agression à savoir le fait d’être, en partie, indienne. Plus

encore, l’auteure suggère ici que la violence dont fait preuve l’agresseur est

justifiée. En d’autres termes, elle dépeint un agresseur occidental qui considère

avoir le droit d’agir brutalement envers la jeune femme parce que cette dernière

est à moitié indienne. Tout au long de l’histoire, les deux sœurs, des Métisses,

sont présentées par l’auteure comme des victimes. Victimes de la domination

brutale des canadiens européens.

61

« The one beside me put his hand on me. I hit it away. He hit back much harder as if he had a right to do

whatever he pleased. ‘So, you’re a real squaw, huh ? That’s good ‘cause I like my loving rough.’ He laughed

at that. »

MARACLE, Lee, I Am A Woman : A Native Perspective on Sociology and Feminism, Canada, Press Gang

Publishers, 1996, p.111

Page 60: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

60

Lee Maracle dans son livre, qui à l’inverse de April Raintree, n’est pas une

fiction, aborde ce sujet à maintes reprises. Elle revient sans détours sur les abus

sexuels dont elle fut victime au cours de son enfance. Dans l’extrait suivant, elle

décrit la fellation que son père, du moins l’homme qui l’a élevé en tant que tel, lui

inflige :

« Tout ce que je voyais c’était cette chose rose au milieu de toute cette

peau blanche qui se rapprochait de mon visage. Je l’entendis qui me menaçait de

ne pas mordre. Quand c’était fini, il riait et moi je vomissais. »62

Encore une fois, l’agresseur est désigné comme appartenant à la

communauté canadienne d’origine européenne. Cet agresseur est clairement

dépeint comme un être bestial et immoral que se moque littéralement du crime

commis. Le personnage Métis est ici encore présenté dans sa position de victime.

Dans tous les cas, les Métis sont décrits comme des victimes, toujours en

position de faiblesse et de soumission de la part des canadiens européens. Ces

derniers sont désignés par les auteurs comme des êtres vils, démunis de toute

moralité, de toute civilité, en somme des bêtes sauvages. L’intention est de

dénoncer ce mythe de l’homme blanc civilisé et de l’autochtone sauvage en

montrant que la réalité est tout autre.

● La violence physique entre Métis et Premières nations

Cette violence physique dont les Métis sont victimes n’est pas seulement

exclusive aux relations entre ces derniers et les canadiens européens mais

également avec les Autochtones, et tout particulièrement les Indiens. Maracle le

décrit lorsqu’elle relate la relation que son amie Métisse, Rusty, entretient avec

un Indien :

62

« All I saw was that pink thin comin down at my face in the middle of a mass of white skin. I heard him

warn me not to bite. When it was over, he was laughing and I was vomiting. » Ibid., p.43-61

Page 61: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

61

« La première fois qu’il m’a battu c’était parce que je lui avais vraiment

fait honte. Après cela, les fautes étaient de moins en moins importantes, jusqu’au

jour où il me donnait des coups comme s’il s’agissait d’une évidence. »63

Cette femme Métis est perçue comme une victime de la brutalité de son

conjoint. Cet Indien est lui aussi décrit, indirectement, comme une personne

brutale, dans une position de supériorité à la fois physique mais également

raciale.

● La violence physique entre Métis eux-mêmes

Plus encore, la violence physique est présente dans les relations entre

Métis. Souvent, cette violence apparait au sein du foyer familial.

Maracle renvoie elle aussi à la violence du foyer familial. La protagoniste relate

un souvenir d’enfance et décrit la dispute virulente entre ses parents.

« Je pouvais les entendre se disputer. Très vite, je n’entendais plus leurs

voix et le son des poings cognant sur les corps venait mettre un terme à la

discussion. »64

Le livre suggère également les violences psychologiques et physiques,

violences subies par les autochtones. Cette agressivité est présente dans leur

63

“The first time he beat me up it was because I seriously shamed him. After that, the crimes got smaller

until he just whacked me as a matter of course.”

Ibid.,

64 « I could hear them arguing. Soon the voices would drop and the sound of fists connecting with bodies

would wind up the discussion. »

Ibid., p.45

Page 62: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

62

communauté voire même au sein de leur foyer. A l’âge adulte, les deux sœurs

vivent ensembles, la plus jeune devient alcoolique ce qui engendre des conflits et

des comportements brutaux, cette dernière n’hésite pas à battre sa sœur.

« Je saisis la bouteille et commençai à vider son contenu dans l’évier [...]

Quand il ne resta plus une seule goutte, je lâchai la bouteille. Je me tournai vers

Cheryl. Elle était folle de rage. Elle me fixa avec haine et avant même que je ne

puisse lui dire quoi que ce soit, elle leva sa main et me cogna aussi fort qu’elle le

pu en pleine figure. »65

b. Les violences psychologiques

● L’alcoolisme et les jugements moraux

Le comportement violent est souvent associé à un une dépendance alcoolique.

Ce maux est souvent associé aux Métis canadiens mais ce genre de

dépendance est de manière plus générale en étroite relation avec des personnes

exclues de la société, de condition sociale défavorisée. Maracle le souligne dans

son œuvre où elle associe sa dépendance alcoolique à sa condition de vie de

l’époque : « Après six mois dans la spirale infernale du monde de l’alcool et de la

rue…”66

Les stéréotypes concernant les métis touchent également des questions

liées aux mœurs. Dans April Raintree, c’est le comportement moral des parents

65

« I took the bottle over to the sink and began pouring the liquid down the drain [...] When the last drop

was gone, I let go of the bottle. I started turning toward Cheryl. She was enraged. She stared at me with

hatred and before I could speak to her, she brought her hand up and struck me as hard as she could across

the face. »

CULLETON, Beatrice, April Raintree, Peguis Publishers, Winnipeg, Canada, 1992, p.160

66 “After a six-month downward spiral into the world of alcohol and the street…”, MARACLE, Lee, I Am A

Woman, op.cit., p.45

Page 63: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

63

qui est critiqué : « Je ne pouvais lui dire qu’aux yeux de nos parents l’alcool était

plus important que leurs propres filles. »67

Les parents de ces deux sœurs métisses sont loin de l’image

traditionnelle ou plutôt idéalisée que l’on se fait de la figure parentale, ces êtres

supposés prendre soin de leurs enfants, de s’en occuper ne comptant pas les

sacrifices. Le portrait que tire Culleton est donc à mille lieux du sens commun.

Plus encore, cette description entraîne une réaction de jugement de la

part du lecteur. Ce dernier est amené à critiquer et juger le comportement des

parents. Les dires de la protagoniste, qui sous-entend son sentiment d’abandon,

ne prennent pas en compte la difficulté que toute addiction aux drogues

engendre. De ce fait, malgré tout l’amour qu’un parent éprouve pour son enfant,

il y a d’autres critères à prendre en considération. Ici, c’est le sentiment ressenti

par la jeune femme envers ce qu’elle a vécu qui est mis en avant. Cette stratégie

d’amener le lecteur à s’identifier à ce que ressent le personnage n’aide pas, dans

ce cas précis, le lecteur à envisager une autre image des métis.

La violence dont souffrent les Métis n’est pas seulement physique

mais est aussi et avant tout psychique. Par le jugement des canadiens

européens qui se veut moralisateur et réducteur. Dans l’œuvre de Culleton

l’assistante sociale en charge d’April et de Cheryl, les deux sœurs métisses

énumère les différentes étapes de la vie des Métis. Cette dernière dresse une

liste exhaustive des dérives que les métis connaissent. Ce comportement tend à

rabaisser les deux sœurs en jouant avec leur estime.

« Puis, madame Semple nous tint un discours sur ce qu’elle appelait le

syndrome des filles autochtones.’…et vous allez toutes deux dans cette direction.

Ca commence avec les bagarres, la fugue, les mensonges. Vous accusez

ensuite que le monde entier est contre vous. Vient alors le manque de

coopération lorsque vous gardez le silence, le sentiment de pitié que vous

67

« I couldn’t tell her that alcohol was more important to our parents than their own daughters. »,

CULLETON, Beatrice, April Raintree, op.cit., p.93

Page 64: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

64

éprouvez pour vous-même. Et une fois que vous vivez seule, vous tombez

enceinte de suite ou bien vous ne trouvez aucun travail. Donc vous commencez

à boire et à vous droguer. A partir de là, vous commencez à voler et à vous

prostituer, faisant des allers-retours en prison. Vous vivez avec des hommes qui

abusent de vous. Et ça continu ainsi. Vous finirez comme vos parents, exclus de

la société… »68

Ce comportement démontre comment les Métis, qui depuis leur plus

jeune âge entendent ces propos, se laissent plus ou moins convaincre de leur

véracité. Les travailleurs sociaux décrivent les communautés autochtones

comme responsables de leur propre impuissance et de leur positionnement

social. La protagoniste, April, a donc une image des métis et un avenir défini par

les autres membres de la société canadienne. Une image prédéfinit et immuable :

« Tu ne changeras jamais l’image des communautés autochtones. »69

A cela vient s’ajouter le sentiment dépréciatif des métis envers leurs

propres communautés. Culleton le sous-entend clairement dans le passage

suivant :

« Parfois je n’y peux rien, je ressens la même chose qu’April, je déteste

ces gens, ces grossières créatures. Ce sont des losers. Mais il y a une raison qui

explique ce qu’ils sont. Tout ce qu’ils avaient leur a été enlevé. Et la bureaucratie

68

« Then Mrs. Semple gave us a little speech about what she called the native girls’ syndrome. ‘…and you

girls are headed in that direction. It starts out with the fighting, the running away, the lies. Next come the

accusations that everyone in the world is against you. There are the sullen uncooperative silences, the

feeling sorry for yourselves. And when you go on your own, you get pregnant right away or you can’t find or

keep jobs. So you’ll start with alcohol and drugs. From there, you get into shoplifting and prostitution and in

and out of jails. You’ll live with men who abuse you. And on it goes. You’ll end up like your parents, living off

society…»

Ibid., p.48

69 « You’ll never change the image of the native people. »

Ibid., p.90

Page 65: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

65

des blancs a aidé à créer cette image des autochtones en faisant d’eux des

parasites. »70

Les métis sont décrits comme des êtres bestiaux et qu’il est effectivement

possible de les mépriser. Néanmoins, l’auteure contrebalance ces propos en

indiquant qu’il y a des raisons à prendre en considération afin de comprendre le

comportement des métis. On constate le sentiment d’ambivalence qui est

éprouvé par les métis envers ce qu’ils sont ou plutôt ce qui est dit à leur sujet.

Dans I Am Woman : A Native Perspective on Sociology and Feminism

l’auteure, Lee Maracle introduit l’idée selon laquelle les autochtones, et dans le

cas précis les métis, se mésestiment alors qu’ils devraient au contraire apprendre

à apprécier qui ils sont. « Ces ’ordures blanches’ ne nous fichent plus de coups

– nous le faisons nous-mêmes. »71

Ce que sous-entend l’auteure, sans pour autant le mentionner

directement, c’est qu’il y a du bon dans la culture et la vie des métis. Ce sont ces

points qui devraient être mis en avant.

Au contraire, la démarche des auteurs renforce les préjugés auxquels les

Métis sont associés. Certes, écrire sur les différents préjugés afin de démontrer

au reste des canadiens qu’il leur faut aller au-delà de ses idées préconçues est

nécessaire. Pourtant, le fait de les traiter encore et encore dans leurs œuvres

littéraires produit un effet inverse. Ce processus ne fait que rajouter de l’huile sur

le feu en alimentant cette image péjorative.

70

“Sometimes I can’t help it, I feel like April does, I despise these people, these gutter-creatures. They are

losers. But there is a reason why they are the way they are. Everything they once had has been taken from

them. And the white bureaucracy has helped create the image of parasitic natives.”

Ibid., p.174

71 « There is no ‘white trash’ kickin’ at us anymore – we are doing it to ourselves. »

MARACLE, Lee, I Am A Woman : A Native Perspective on Sociology and Feminism, op.cit., p.43-61

Page 66: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

66

● Le suicide comme dernière solution

Ce sentiment d’infériorité et de mal être entraîne les auteurs à aborder un

sujet encore plus tragique, c'est-à-dire la question du suicide. Cet acte est

monnaie courante au sein de la communauté et est le reflet incontestable d’un

véritable malaise. « La seule chose qui avait pris possession de moi était ce désir

irrésistible d’en finir avec ce spectacle. »72

Le suicide est présenté par Maracle comme l’unique réponse à ce mal

être. En finir à tout jamais avec cette souffrance et avec cette vie sur lesquelles

les Métis n’ont pas ou plus le contrôle :

« Ne sois pas triste et ne te sens pas coupable de ma mort. [...] April, il

devrait y avoir au moins un peu de joie dans le fait de vivre et quand cette joie de

vivre disparait, on devient des morts-vivants. Et je ne peux plus vivre cette mort

vivante plus longtemps. De boire à m’en assommer, jour après jour. »73

Dépeindre les aspects positifs de la vie et de la culture des métis ou du

moins ce qui est considéré par les occidentaux comme tel serait tout aussi

efficace. En d’autres termes, la pensée occidentale désapprouve l’alcoolisme,

l’usage des drogues ainsi que la violence. En ce sens, si les auteurs se

concentrent uniquement sur ces aspects et ne développent que peu des aspects

comme les créations artistiques, le respect de la nature qui est important pour

cette communauté et qui pourrait insuffler des idées au reste du pays sur les

questions environnementales, le regard des canadiens n’est pas prêt de changer.

Le risque est que seuls les lecteurs avertis feront la démarche de se renseigner

72

« The only thing I was soaked with was an overwhelming desire to stop the show. »

MARACLE, Lee, I Am Woman, op.cit., p.43

73 “Do not feel sorrow or guilt over my death [..] April, there should be at least a little joy in living and when

there is no joy, then we become the living dead. And I can’t live this living death any longer. To drink myself

to sleep, day in and day out.”

CULLETON, B., April Raintree, op.cit., p.184

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67

et de découvrir d’autres aspects de la vie et de la culture de la communauté

métisse.

Les divers stéréotypes décrits dans les ouvrages dépeignent un tableau à

la fois dure mais surtout pessimiste des métis. Ce qui ressort des écrits des

auteurs ne sont que les difficultés de la vie menée par ces derniers. La plupart du

temps, les métis sont présentés comme des alcooliques, des êtres faibles.

3.2 Pensionnats et familles d’accueil

a. Survol historique des pensionnats

Les pensionnats pour enfants autochtones, selon le terme exact les

Residential Schools, ainsi que les familles d’accueil sont des sujets qui

reviennent constamment dans la littérature des Métis. Même s’ils n’étaient pas

toujours clairement identifiés comme tels, parce qu’on les considérait être Indiens,

un nombre important d’enfants Métis furent placés dans ces pensionnats ou dans

des foyers d’hébergement jusqu’au vingtième siècle. La communauté métisse et

par extension les auteurs ont été marqués par ces lieux supposés éduquer les

enfants autochtones. La réalité était tout autre, et bien que le gouvernement

canadien ne l’a pas décrit comme tel, la démarche menée avec ces institutions

fait penser à un processus d’ethnocide culturel.

Avant d’aborder comment ces lieux sont dépeints par les auteurs métis,

revenons sur l’histoire des pensionnats74 dédiés aux enfants autochtones afin

d’en comprendre le but et le fonctionnement.

À la fin du dix-neuvième siècle, le gouvernement canadien s’associe avec

les Églises pour qu’elles dirigent les écoles, les internats mais aussi et surtout les

pensionnats pour enfants autochtones. Ces pensionnats avaient pour mission

74

FONDATION AUTOCHTONE DE GUERISON, Un chemin de guérison, Points sommaires du rapport final,.

Disponible sur Internet : http://www.ahf.ca/ (consultation mars 2012)

Page 68: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

68

d’enseigner aux enfants autochtones la langue anglaise ainsi que la religion, les

valeurs communes au reste de la société canadienne de l’époque.

Dans les années 1940, une politique d’intégration voit le jour et les élèves

autochtones ont commencé à fréquenter les écoles publiques ordinaires. A partir

de 1969, c’est le ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord

qui se voit confier la gestion des pensionnats. A partir de 1970 et suite à une

demande de l’Assemblée des Premières Nations, le gouvernement canadien

cède la gestion de l’éducation aux Autochtones. C’est en 1998 que le dernier

pensionnat administré par les Autochtones a été fermé. Ces différentes périodes

représentent une étape précise de la politique gouvernementale menée tout au

long du dix-neuvième et vingtième siècles quant aux pensionnats pour enfants

autochtones.

Sir John A. Macdonald, le premier ministre expliquait que :

« le grand objectif de nos dispositions législatives a été d’éliminer le

système tribal et d’assimiler, aussi rapidement que et en tout point, les Indiens

aux autres habitants du Dominion. » 75

L’idée que Macdonald expose en 1887 ne change pas tellement et à

peine vingt ans plus tard, en 1903, Hugh McKay un missionnaire déclarait que

ces politiques visaient à « tuer l’Indien dans l’enfant »76. Il expliquait que ces

politiques étaient une façon d’éduquer et de coloniser un peuple contre son gré

en supprimant leur langue et leur culture, et de façon générale leurs façons

autochtones de vivre dans le monde. Les propos tenus renvoient sans détour à

une volonté d’ethnocide. D’après la définition de l’encyclopédie « L'ethnocide,

c'est la suppression des différences culturelles jugées inférieures et mauvaises,

75

FONDATION AUTOCHTONE DE L’ESPOIR, « Bibliothèque, Chapitre 1 Politique Gouvernementales ».

Disponible sur Internet : http://www.wherearethechildren.ca/fr/bookcase/grades-9-10/chapter-1.html

(consultation mars 2012)

76 FONDATION AUTOCHTONE DE GUERISON, Un chemin de guérison, Op.cit., (consultation mars 2012)

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69

c'est la mise en œuvre d'un principe d'identification, d'un projet de réduction de

l'Autre au même. »77

b. Les politiques gouvernementales

Les politiques du gouvernement canadien quant à la question de

l’éducation des enfants autochtones peuvent être découpées en quatre étapes.

La première renvoie à une politique d’assimilation et se déroule entre la

fin du dix-neuvième et le début du vingtième, à savoir entre 1840 et 1910. La

Fondation Autochtone de Guérison explique que l’objectif est d’enseigner aux

enfants autochtones les compétences dont ils auraient besoin comme ouvriers

au sein de l’économie euro-canadienne courante. Ils seraient ainsi assimilés à la

population blanche et deviendraient des membres autonomes de la société.

Les précisions apportées par la Fondation confirment cette démarche

d’assimilation forcée des autochtones à la société canadienne.

Cette politique d’assimilation était conçue autour d’un plan en trois étapes

concernant l’éducation des enfants autochtones. Il s’agissait tout d’abord

d’éloigner les enfants autochtones de leur communauté et de leur famille. Le but

était de minimiser l’influence exercée sur les enfants. Ensuite, cette politique

visait à resocialiser les enfants au sein des écoles. La dernière mesure devait

faire en sorte d’intégrer les diplômés autochtones dans le monde canadien. Ce

plan était fondé sur la volonté d’assimiler les élèves à la société « blanche ». Les

enfants autochtones étaient obligés de s’adapter à la culture des canadiens

européens, à la culture dominante en laissant de côté leur mode de vie particulier

et leur propre vision du monde. Frank Oliver, journaliste et à l’époque député,

s’est prononcé contre cette politique en dénoncant ces mesures qui vont à

l’encontre du comportement inculqué par l’Eglise et la religion chrétienne :

77

Encyclopédia universalis, « histoire, culture et ethnocide ». Disponible sur Internet :

http://www.universalis.fr/encyclopedie/ethnocide/4-histoire-culture-et-ethnocide/ (consultation mars 2012)

Page 70: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

70

« Sans vouloir vous offenser, il me semble qu’un des plus importants

commandements que Dieu ait laissé au genre humain est celui qui ordonne aux enfants

d’aimer et de respecter leurs parents. Il semble étrange que l’on institue, au nom de la

religion, un système d’éducation dont le principe de base va justement à l’encontre de ce

commandement. »78

La deuxième politique lancée par le gouvernement canadien entre 1911

et 1915 est une politique de ségrégation.

Pendant quatre années, il s’agissait d’enseigner aux enfants autochtones

les modes de vie « civilisée » de la société blanche canadienne afin qu’ils

retournent dans leurs collectivités en tant que « bons Indiens ». Cette politique

est le prolongement de la précédente, et l’objectif est toujours de « civiliser » les

autochtones. Toutefois, cette politique ne vise plus à intégrer les autochtones

dans le monde canadien mais entend les renvoyer au sein de leur communauté.

L’idée est de former des autochtones qui propageront eux-mêmes la culture

dominante dans leur communauté.

A partir de 1951, et jusqu’en 1970, une nouvelle politique, celle de

l’intégration apparait. Les politiques précédentes n’étant que peu concluantes et

surtout le pays commence à changer son regard sur les Premières Nations.

Cette nouvelle politique d’intégration, comme son nom l’indique vise à enseigner

aux élèves des communautés autochtones dans les mêmes écoles que les

autres enfants canadiens. Selon le gouvernement c’est une démarche qui donne

aux peuples autochtones les mêmes possibilités que les autres membres de la

société canadienne. L’objectif de cette politique est de redonner leur dignité aux

autochtones et améliorer leur vie au sein de la société. Cela marque le début du

processus d’élimination des pensionnats pour enfants autochtones.

C’est pourquoi, à compter de1969, le gouvernement met un terme à son

association avec les Églises qui régissaient les pensionnats. Petit à petit, ces

derniers ferment leurs portes. A côté de cela, les associations politiques et les

bandes indiennes prennent en main l’administration des pensionnats afin de

contrôler eux-mêmes l’éducation des enfants de leurs communautés. Cette

78

FONDATION AUTOCHTONE DE L’ESPOIR, « Bibliothèque », op.cit., chapitre 1

Page 71: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

71

démarche est d’ailleurs soutenue par le gouvernement canadien jusqu’à la

fermeture du dernier pensionnat en 1998, affirmant que « tout changement

important dans le fonctionnement et l’administration des résidences sera

envisagé uniquement en consultation avec les parents indiens ou leurs

représentants. »79

A leur arrivée sur le sol canadien, les Européens pensaient que les

peuples autochtones n’avaient aucun système d’éduction pour leurs enfants. Les

peuples autochtones avaient bien un système d’enseignement mais cet

enseignement était approprié au mode de vie de la communauté. Les

communautés autochtones donnaient à leurs enfants une éducation plus

pragmatique. C’est à dire qu’ils leur enseignaient ce qui était nécessaire à leur

style de vie. Cela comprenait « la capacité de préserver la communauté, de

soutenir la vie du groupe en l’approvisionnant en nourriture et en autres choses

matérielles, de répondre aux questions de la vie de tous les jours, de soulager

les angoisses et enfin, de défendre le groupe contre les menaces provenant de

l’extérieur »80.

Le gouvernement canadien prenant conscience de cette différence

d’éducation, ne cherche plus à résoudre le « problème indien » en coupant les

enfants autochtones de leur communauté, de leur mode de vie et de leur vision

du monde afin de les assimiler à la culture dominante.

La dernière politique gouvernementale mise en place par le gouvernent

depuis 1971 et qui est toujours d’actualité est l’autodétermination. Dans le cadre

d'un mouvement menant à leur autonomie gouvernementale, les Autochtones ont

reçu un plus grand pouvoir décisionnel quant à l’éducation de leurs enfants.

En effet, on sait que l’expérience des pensionnats a laissé des traces sur

les enfants autochtones. Aujourd’hui, selon la Fondation Autochtone de l’espoir, il

reste approximativement 86 000 survivants. Le mot « survivant » désigne les

autochtones qui ont vécu dans ces pensionnats et qui y ont survécu. Ce qui

signifie également que de nombreux enfants autochtones y ont laissé leur vie.

79

Ibid.

80 Ibid.

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72

Toutefois, les survivants et survivantes des pensionnats se sont rattachés

à leur culture autochtone comme un moyen de guérison. La Fondation

Autochtone de Guérison souligne la nécessité pour ces personnes de partager

leurs expériences vécues lors de leur séjour dans les pensionnats afin d’établir

un lien entre les collectivités. Ces actes de partage sont devenus le fondement

d’un nouveau discours et d’un enjeu commun concernant le programme politique

contemporain.

c. Le cas particulier des Métis

Les élèves Métis quant à eux étaient sujets à un traitement particulier. Un

système de classification vit le jour. Effectivement, le gouvernement canadien

n'avait pas la même obligation envers les enfants Métis. A cause de leur héritage

européen, plus particulièrement le lien religieux qui unissait les Métis et l’Eglise

catholique, le gouvernement canadien céda l’éducation des Métis à cette

dernière. Pour l’Eglise, endosser ce rôle présentait deux avantages, à savoir :

remplir les écoles d’élèves et les financer. La principale source de revenu était

les frais d’inscriptions.

Toutefois et en dépit de l’héritage franco-catholique ou anglo-protestant

des métis, le gouvernement devint prudent et se mit à surveiller les activités des

Métis suite à un conflit militaire entre ces derniers et le gouvernement fédéral.

C’est dans cette optique que la Commission des Sang-Mêlé fut créée par le

gouvernement. Il était question de surveiller les Métis afin de contenir les

communautés les plus susceptibles de se rebeller en utilisant les écoles.

En conséquence et comme l’explique la Fédération Autochtone pour

l’Espoir, un système de classification des Métis vit le jour. Les enfants Métis

étaient répartis dans différentes catégories selon leur degré de parenté mais

aussi les liens qu’ils entretenaient avec les Premières nations. En somme, il

s’agissait de créer une hiérarchie de classe et raciale :

« Plus le gouvernement considérait les Métis proches des Premières

nations, dans un sens géographique ou sociétal, plus ils étaient considérés

Page 73: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

73

comme étant de classe inférieure. Cette classe inférieure avait priorité sur les

autres Métis lors des admissions dans les pensionnats, ce qui assurait que les

proscrits et ceux qui menaçaient la société, c'est-à-dire qui vivaient comme des

Indiens, seraient activement civilisés »81.

L’apparence physique était le critère principal de distinction entre les

enfants des Premières nations et ceux des Métis. C’est pourquoi les métis à la

peau foncée, associés aux Premières nations, étaient considérés comme

inférieurs aux métis dotés d’une peau claire.

Néanmoins, avoir une peau claire ne garantissait pas de meilleurs

traitements et les métis reçurent les mêmes violences psychologiques et

physiques que les enfants des Premières nations. L’auteure Beatrice Culleton le

souligne dans son roman au moment où la protagoniste explique qu’elle est

fréquemment associée à son héritage autochtone : « La couleur de la peau

n’avait pas la moindre importance dans cette école. Tous me traitaient comme

une indienne de pur sang. »82

En fait, l’unique soutien des élèves métis était leur foi religieuse qui était

pratiquée dans les écoles. Identique à l’enseignement religieux que les enfants

recevaient au sein de leur foyer, cela leur apportait un réconfort spirituel et un

sentiment de familiarité. Le milieu scolaire au sein duquel les enfants évoluaient

leur rappelait constamment qu’il n’y avait pas de quoi être fier de leur héritage

autochtone. Autrement dit, on apprenait à ces enfants à se sous-estimer eux et

leur héritage culturel. Cette situation était d’autant plus difficile puisque les élèves

n’avaient honte que d’un seul de leurs parents.

Aujourd'hui, tous les pensionnats ont été fermés et le gouvernement ainsi

que les Autochtones eux-mêmes ont fait beaucoup d’efforts pour essayer de

réparer les séquelles que les pensionnats ont faites. Cette démarche anime

toujours le gouvernement canadien. Selon le Rapport de la Commission royale

sur les peuples autochtones de 1991 :

81

Ibid.,

82 « Skin coloring didn’t matter in this school. Everyone treated me like a full-blooded Indian.” CULLETON, B.,

April Raintree, op.cit., p.58

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74

« L’avenir doit inclure une place pour ceux et celles qui ont été blessés

par les pensionnats où elles pourront se tenir debout en toute dignité, se souvenir,

parler de leur douleur et de leur colère et d’être écoutés avec respect. Le Canada

doit, en collaboration avec ces personnes, rechercher la justice et la guérison

mutuelle; ils doivent construire des liens… qui rapprocheront les peuples

autochtones et non autochtones pour qu’ils puissent se faire mutuellement

confiance et… marcher côte à côte dans ce monde, dans un climat de

confiance.» 83

L’objectif réel des pensionnats était donc de faire disparaître la culture

autochtone du Canada. Dans cette optique, on retirait les enfants à leur famille et

leurs communautés afin de les « formater » et de leur inculquer le mode de vie

de la culture dominante, celle des « blancs ». Cette démarche a échoué et a

surtout causé des changements désastreux sur le mode de vie des Autochtones,

dont les effets se font, aujourd’hui encore, ressentir.

La fermeture des pensionnats prit quatre ans à se matérialiser. Pour

autant, beaucoup d’élèves autochtones continuèrent à être placés en famille

d'accueil par des organismes de services à l'enfance et à la famille administrés à

la fois par le gouvernement fédéral et des groupes autochtones.

d. Les familles d’accueil

Les familles d’accueil sont d’ailleurs souvent au centre des histoires des

auteurs. Elles permettent de revenir et de dénoncer les traitements reçus par les

enfants métis. On constate deux sortes de familles d’accueil. Les auteurs

peignent un tableau manichéen de ces foyers d’hébergements, censés

représenter l’ambivalence du traitement reçu par les élèves métis.

83

FONDATION AUTOCHTONE DE L’ESPOIR, op.cit., chapitre 1

Page 75: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

75

D’un côté se trouve les « bonnes » familles. Les relations entre l’enfant et

la famille se passent sans difficultés apparentes. L’enfant métis est intégré au

sein du foyer familial et est considéré comme un membre de cette communauté

et comme c’est le cas dans le roman April Raintree, l’enfant peut éprouver de

l’affection envers cette nouvelle communauté avec laquelle il a développé une

relation de confiance : « J’aime les Dion parce qu’ils prenaient soin de moi et ils

étaient gentils avec moi. »84

Dans ce contexte, où l’enfant est considéré comme un membre de cette

structure familiale, il participe aux diverses obligations qui lui sont imposées et

qui régissent le mode de vie de la famille :

« Je devais étudier le catéchisme […] Nous avions des classes de

catéchisme chaque jour à l’école. Chaque soir, j’étais obligée d’apprendre mes

prières en français...»85

Dans le cas présent, la famille d’accueil en charge d’éduquer l’enfant

Métis se révèle être une famille franco-canadienne. Ce que l’auteure sous-entend

et qui fait écho à l’histoire des pensionnats, c’est que les métis étaient la plupart

du temps, pour ne pas dire toujours, envoyés au sein de familles anglo-saxonnes

ou franco-canadiennes. Il s’agit bel et bien de réduire tout contact et toute

influence avec l’héritage autochtone des métis.

De l’autre côté, on retrouve les « mauvaises » familles. Les auteurs métis

insistent sur les mauvais traitements que les membres de la famille infligent aux

enfants métis. Ces derniers sont victimes de violences psychologiques : « Et si tu

penses que je ne l’utiliserais pas, demande à Raymond et Gilbert […] elle posa le

fouet… »86

84

« I love the Dions because they took care of me and they were nice to me. »

CULLETON, Beatrice, April Raintree, op.cit., p.20

85 « I had to study catechism […] We had catechism classes every day at school. Every evening I had to learn

my prayers in French…”

Ibid., p.14

86 « And if you don’t believe that I’ll use it, ask Raymond and Gilbert […] she put the strap away… »

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76

Les enfants sont menacés à longueur de journée. Une atmosphère de

terreur règne au sein du foyer. En plus de la pression psychologique, les enfants

métis souffrent souvent de mal nutrition, se voient imposer une charge de travail

excessive mais aussi et surtout subissent des châtiments corporels. Les

menaces se transforment en actes.

Ces traitements ne sont pas décrits uniquement au travers d’histoires

fictives. La lettre laissée par Richard Cardinal, un métis qui s’est suicidé à l’âge

de dix-sept ans, en fait part :

« C’était la première fois qu’il me frappait et je pense qu’il s’attendait à ce

que je hurle mais je restai planté là et le fixai simplement d’un air absent. Mes

lèvres commencèrent à saigner énormément. »87

« Trimbalé de familles en familles d’accueil », c’est en 1984 que ce jeune

métis mis fin à ses jours. Il laissa derrière lui un journal intime dans lequel il

dénonce les diverses violences subites et par extension les dérives du système

canadien quant à la question autochtone.

3.3 Le sentiment d’entre-deux

a. Définitions des termes Métis et « Sense of Metis Self »

Les termes, Métis ou sang mêlés, sont les appellations les plus

couramment utilisées afin de décrire cette communauté aux deux cultures. La

définition de ces termes, confirme l’idée d’entre-deux.

Ibid., p26

87 “It was the first time I was hit by him and I guess he expected me to start bawling but I didn’t I just stood

there and stared blankly at him. My lip began to bleed quite badly.”

CARDINAL, Richard, I was a Victim of Child Neglect, Native American testimony: a chronicle of Indian-White

relations from prophecy to the present 1492, 1992, Canada, Viking, 1991

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77

Le dictionnaire canadien Oxford 88 définit le terme Métis comme “une

personne de descendance Autochtone et Européenne.” (p.912). Le terme

Européen est défini comme « personne originaire ou habitant de l’Europe et/ou

descendant de personnes européennes. » (p.480) et le terme Autochtone

comme « peuples habitants ou vivants sur une terre avant l’arrivée de colons. »

(p.4). Les Premières Nations sont décrites comme « peuples d’une bande

indienne du Canada, ou d’une communauté indienne fonctionnant comme une

bande mais qui n’ont pas le statut officiel de bande » (p.522). Le terme Indien

renvoie à « un membre des peuples autochtones du nord ou du sud de

l’Amérique, ou à un de leur descendants. » (p.717) Quant au terme « sang

mêlés », qui renvoie à la mixité sanguine, il est doté d’une connotation

hautement péjorative et est employé en cette fin pour rappeler la position

qu’occupe cette communauté au sein de la société.

Les métis ont-ils une culture qui leur soit propre c'est-à-dire une culture

distincte des cultures « mères » qui composent la leur, ou plutôt qui compose

leur identité ? Ils ont par définition deux identités, mi canadienne européenne, mi

autochtone et pourtant, l'histoire a fait qu'aucun des peuples canadiens

européens ou autochtones ne les a vraiment acceptés et reconnus comme étant

des membres de leur communauté. Plus encore, les Métis sont toujours définis

par ce qu’ils ne sont pas et jamais par ce qu’ils sont. Souvent persécutés, il leur a

fallu créer leur propre espace, un espace dans lequel il leur serait possible de

s’exprimer, de pratiquer leur culture.

C’est ce sur quoi Catherine Richardson, une chercheuse canadienne, a

porté son attention. Au cours de son travail de recherche intitulé Becoming

Metis 89 , elle développe un concept : le « sense of Metis self ». Richardson

explique qu’il est difficile de définir clairement ce qu’est l’identité des Métis. Ils

sont souvent les premiers à vouloir garder secrète leur identité auprès du reste

de la population canadienne. Les propos tenus par Richardson sont donc en

partie confirmés. Toutefois, on constate que, par le passé, les métis n’ont pas

toujours cherché à cacher leur identité, et il en est toujours de même aujourd’hui.

88

The Canadian Oxford Dictionary, Canada, Oxford University Press, 1998

89 RICHARDSON, C., Becoming Metis: Between the Sense of Metis Self and Cultural Stories, Canada,

University of Victoria Press, 2004.

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78

D’ailleurs, cette présente recherche tend justement à démontrer une

réaffirmation de l’identité et de la culture des métis notamment à travers la

littérature. Cependant, comme l’explique Richardson, beaucoup de métis après

avoir été marginalisés ont essayé de cacher cette identité.

b. La stratégie du « Passing »

Dans cette optique, il n’est possible d’envisager la question du sentiment

d’entre-deux qu’en abordant les stratégies mises en place par les métis pour

articuler leur identité. Richardson distingue deux choses. D’une part une stratégie

de « Passing », et d’autre part, ce qu’elle nomme le troisième espace et le

partage des histoires. Dans le contenu des livres, cette distinction est abordée

mais différemment. C'est-à-dire que les auteurs émettent une distinction entre le

désir des métis d’adopter l’une des deux cultures mères et de définir une identité

unique, quand d’autres font le choix de reconnaître leur identité métis. Ils

reconnaissent alors la complexité de leur identité multiple. Ces distinctions

correspondent aux deux processus décrits par Richardson au cours de son

travail de recherche.

Le désir d’appartenance à l’une des cultures « mères » renforce le désir

d’adopter une identité unique à savoir : l’identité autochtone ou l’identité

canadienne européenne. Les auteurs abordent la question en soulignant les

points de vus des différentes parties concernées.

• Regard des Premières nations sur les Métis et inversement

La perception des Autochtones sur les métis reflète régulièrement une

distanciation et un rejet de leur part. A titre d’exemple, Maria Campbell dans son

roman autobiographique relate un de ses souvenirs d’enfance. Elle décrit sa

relation avec le frère de son grand-père, chef d’une tribu indienne. Petite, elle

passait donc beaucoup de temps avec eux et était plutôt bien acceptée par ces

derniers. Campbell raconte alors une anecdote qui représente parfaitement la

situation d’entre-deux à laquelle les métis sont confrontés.

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79

Un jour, la petite Maria Campbell, à la fin d’une réunion entre les

membres de la tribu indienne, à laquelle elle avait pu assister, se permit

d’exprimer tout haut son avis. Cette initiative est en règle générale mal perçue et

ce, pour deux raisons : il n’est pas permis aux personnes qui ne sont pas

membre du conseil de la tribu de prendre la parole. Second facteur, cela l’est

encore moins si c’est une femme. Campbell est pardonnée pour son audace. Ce

qui est surprenant est la raison pour laquelle elle est excusée. La femme du chef,

en prenant la défense de l’enfant souligne que : « C’est la part de blanc qui est

en elle »90

Ce qui dédouane l’enfant n’est donc pas son jeune âge, ni l’effronterie

dont ces derniers font souvent preuve, mais le fait qu’elle soit métisse. Cela

révèle l’impossibilité ou plutôt la difficulté que les membres de la communauté

autochtone ressentent à l’égard des métis, qu’ils ne voient pas comme des

membres possible de leur culture. Les autochtones font toujours une distinction

entre les deux identités et cultures. Pour ces derniers, il est impossible que les

métis intègrent complètement le mode de vie et de pensée indienne.

Au cours de ses recherches sur les tactiques de réponses à l’oppression

et au racisme91 Richardson questionne des personnes métisses et le même

résultat ressort : « Ils sont rejetés par les peuples des Premières nations parce

qu’ils sont ‘trop blancs’ ou ‘veulent être Indiens’. »92

Les Métis sont d’ailleurs conscients de ce rejet. Les personnes

interrogées l’expriment clairement :

90

“It’s the white in her”, CAMPBELL, Maria, Halfbreed, Canada, University of Nebraska Press, 1982; p.27

91 RIDCHARDSON, C., Metis Identity Creation and Tactical Responses to Oppression and Racism, Canada,

University of Victoria Press, 2006

92 « They are rejected in First Nations communities for being ‘too white’ or ‘wannabe Indians’ », Le terme

‘wannabe’ provident du jargon et signifie en fait “want to be” soit “vouloir être”,

Ibid., p.61

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80

“Je fais face à de nombreux préjugés de la part des Autochtones parce

que j’ai la peau très claire. Je me sens toujours un peu nerveuse lorsque je suis

en présence de ’pur sang’ ».93

Certains éprouvent une nervosité en présence des « Indiens de souche ».

Ces derniers leur rappelant régulièrement qu’ils ne pourront jamais s’intégrer

totalement et qu’ils demeureront toujours plus ou moins à l’écart de leur

communauté.

Néanmoins, cela n’empêche pas certain métis de privilégier une des deux

cultures et de s’y identifier. C’est ce que Culleton démontre avec l’un de ses

personnages. Lors d’une discussion entre les deux protagonistes, deux sœurs

métisses, Cheryl, la cadette explique : “Je m’identifie au peuple Indien depuis

que je suis gamine. Le peuple Métis partage les mêmes problèmes avec les

communautés Indiennes. »94

Les Métis peuvent choisir de s’identifier à l’une des deux cultures et ici la

culture autochtone. L’argument souligné est que les métis partagent plus avec

les Indiens qu’avec les canadiens européens. Il est vrai que ces deux peuples se

sont fait persécutés et ont été victimes des mauvais traitements de la part des

canadiens européens. En ce sens, ayant un « ennemi » commun ainsi qu’un

mode de vie commun, il est plus facile pour certains métis de s’identifier à cette

partie de leur identité. En dépit du rejet et des discriminations des communautés

indiennes envers les métis, ces derniers sont toutefois tolérés.

A l’inverse, certains métis ne s’identifient pas avec leur héritage

autochtone et font tout pour s’identifier à leur héritage européen. En effet, ils

s’identifient parfois plus à leur héritage européen. Cela ne garantit en rien une

amélioration des relations entre métis et canadiens européens.

93

« I faced a lot of prejudices from Natives because I am very light-skinned. I still feel a bit nervous when I

am around ‘full-bloods’”

Ibid., p.61

94 “I’ve been identifying with the Indian people eversince I was a kid. The Metis people share more of the

same problems with the Indian people.”

CULLETON, B., April Raintree, op.cit., p.135

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81

• Regard des canadiens européens sur les métis et inversement

On constate que les préjugés sont toujours ancrés dans les esprits. Plus

encore, les canadiens européens restent sur ces idées reçues. Le résultat est

une incompréhension de ce que sont les métis. C’est ce que dénonce Culleton

dans son roman:

« J’ai lu des choses sur les Indiens. Quel magnifique peuple. Mais vous

n’êtes pas vraiment indiens n’est-ce pas ? Quel est le terme exact pour les gens

comme vous ? »95

L’auteure donne la parole à un homme canadien européen et ses propos

démontrent à quel point le peuple métis est mal connu du reste du pays.

L’identité des métis reste floue en raison de leur lien avec deux cultures qui

entretiennent une relation conflictuelle, et ce depuis plusieurs années. Les métis

dans les deux « camps » sont toujours considérés, plus ou moins, comme un

ennemi potentiel.

De plus, les canadiens européens en vont de leurs hypothèses et refusent

tout simplement de céder la parole aux métis. L’occasion ne leur est que

rarement donnée afin de pouvoir s’exprimer et faire part de leur réflexion sur leur

identité et leur culture. C’est ce qu’indique Béatrice Culleton quelques lignes plus

loin :

« Puis deux hommes se sont approchés et l’un d’entre eux demanda à

Cheryl ce que cela faisait d’être indienne. Avant qu’elle ne puisse répondre,

l’autre homme clama ses opinions et les deux s’éloignèrent vite en discutant de

leurs idées sur la vie des autochtones, sans même avoir laissé Cheryl dire quoi

que ce soit. »96

95

“I’ve read about the Indians. Beautiful people they are. But you’re not exactly Indians are you? What is

the proper word for people like you?”

Ibid, p.91

96 « Then two men came along and one asked Cheryl what i twas like being an Indian. Before she could reply,

the other man voiced his opinion and the two soon walked away, discussing their concepts of native life,

without having allowed Cheryl to say anything.”

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82

Quant à la perception des Métis sur les canadiens européens elle est

dirigée par une envie de se soustraire aux diverses discriminations auxquelles ils

doivent faire face :

« Mais avoir lu son essai n’aida pas. Connaître l’autre côté, le côté Métis,

ne me fit pas sentir mieux. Cela renforça juste mon sentiment que s’il m’était

possible de m’assimiler à la société occidentale, je n’aurais pas à vivre comme

cela toute ma vie. »97

L’auteure précise ce sentiment de rejet de l’identité autochtone pour

l’identité canadienne européenne. Identité de la majorité, supposée prévenir de

toute agression et apporter une vie meilleure, dotée de plus d’opportunités mais

aussi est surtout de plus d’égalité. Ce désir est souvent allié à un fort sentiment

de honte de l’héritage métis :

« J’ai honte. Je ne peux accepter…Je ne peux accepter le fait d’être

Métis. Mais pour moi, être métis veut dire être de ceux qui n’ont pas. Et je veux

tellement. Je veux ce que la société occidentale peut me donner. »98

Il se dégage en effet un sentiment de honte voire même de rejet de

l’identité autochtone. Cette répulsion entraîne en parallèle un sentiment d’envie

la société canadienne européenne.

Ibid., p.91

97 « But reading her essay didn’t help. Knowing the other side, the Metis side, didn’t make me feel any

better. It just reinforced my belief that if I could assimilate myself into the white society, I wouldn’t have to

live this way for the rest of my life.”

Ibid., p.63

98 « I am ashamed. I can’t accept…I can’t accept being Metis […] But to me, being Metis means I’m one of

the have-nots. And I want so much […] I want what white society can give me.”

Ibid., p.85

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83

« Vois-tu, dans l’ensemble, j’ai toujours baigné dans le monde des

blancs. Alors, j’ai bénéficié de tous les avantages, tu sais, du fait d’être blanche.

Aller à l’université, obtenir mon doctorat. Si j’avais eu la peau plus foncée, ou si

j’avais ressemblé plus à une autochtone, les choses auraient pu être très

différentes. »99

Ce désir de s’assimiler à une des deux cultures renvoie en fait au

processus de Passing. Cela consiste à adopter une seule culture, une seule

identité, et dans le cas des Métis il s’agit de s’identifier avec les Premières

nations ou les canadiens européens, dont la culture est présentée comme une

culture « supérieure ». Ce processus révèle également un besoin pour les Métis

d’acquérir une identité unique, ce qui semble aller à l’encontre de ce que sont les

Métis, détenteurs d’une double identité, d’une double culture. Stuart Hall, au

cours de son travail100 revient sur ces questions et affirme qu’aucune identité

culturelle n’est unique. Nous en déduisons donc que cette identité est plurielle et

basée sur la notion de différence. Elle est pas simplement donnée mais est une

production de divers éléments sociaux et historiques.

c. Le troisième espace : un processus en trois étapes

Le troisième espace, est associé à la reconnaissance de l’identité métisse

et s’explique en trois étapes. Les Métis canadiens ont une tendance à se sous-

estimer et ainsi éprouver un sentiment d’infériorité vis-à-vis des canadiens

européens.

Lors de son enquête auprès de quelques Métis, Richardson démontre

que les Métis éprouvent un plaisir à être entourés d’autres Métis parce qu’ils se

sentent à leur place. Une participante, Patty, affirme : « Quand nous sommes

99

“You know, basically I’ve always been in the White world. So, you know, I have gotten the advantages of,

you know, being White. Going to University, getting my PhD, you know, if I was darker, or looked more

Native, it could have been a lot more different.” RICHARDSON, C., Becoming Métis, op.cit., p.126

100 HALL, Stuart, Identités et cultures, op.cit.,

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84

ensembles, avec d’autres métis, c’est un plaisir. Mais sinon tu as toujours

honte. »101

C’est pourquoi le processus du « troisième espace », décrit par

Richardson, est une réponse afin de dépasser ce sentiment d’infériorité vis-à-vis

du reste de la population.

• Première étape: la reconnaissance

Cette première étape consiste à accepter son identité, en d’autres termes,

le fait d’être Métis. Il faut dépasser tout sentiment de honte sur son appartenance

à la communauté et la culture des Métis. Culleton revient sur cette étape en

suggérant que le premier pas pour reconnaitre son identité c’est de ne pas

éprouvé de honte quant à celle-ci : « Je ne vais pas te dire d’être fière de ce que

tu es. Simplement, n’en ai pas honte. »102

Il s’agit de reconnaitre la complexité de l’identité des Métis pour être en

mesure de l’accepter.

• Deuxième étape: l’acceptation

Après avoir reconnu l’existence de la culture et de l’identité des Métis et

de s’y être identifiée, il s’agit de l’accepter pleinement parce que les Métis ne

peuvent être satisfaits de qu’ils sont s’il leur est impossible d’admettre ce fait :

« Tu ne seras jamais satisfaite tant que tu n’accepteras pas ce fait. »103

Cette acceptation doit amener les Métis à assumer ce qu’ils sont, à ne

plus en éprouver de gêne. Cette démarche leur fait découvrir un sentiment de

101

“When we are together with other Metis people, it’s a pleasure. But otherwise you’re always ashamed.”,

RICHARDSON, C., Metis Identity Creation and Tactical Responses to Oppression and Racism, op.cit., p.66

102 “I’m not going to tell you to be proud of what you are. Just don’t be shamed.”, CULLETON, B., April

Raintree, op.cit., p.126

103 « you’ll never be satisfied until you can accept that fact. », Ibid., p.134

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85

fierté. C’est ce que l’un des participants à l’enquête de Richardson souligne :

« Ca me rapproche du sentiment de fierté envers ma communauté métisse […]

c’est plus comme une preuve que je fais bien partie d’un peuple. »104

L’acceptation associée au sentiment nouveau de fierté permet aux Métis

d’entrer dans la dernière étape du processus de « troisième espace » celle de

l’affirmation.

• Troisième étape: l’affirmation

« Cheryl, en revanche, n’avait rien à cacher. Une chose est sure, elle ne

s’inquiétait jamais de ce que les gens pensaient d’elle. Seulement ce qu’elle

pensait d’eux avait de l’importance à ses yeux. »105

Le comportement du personnage Métis du roman April Raintree, souligne

à la fois son assurance et sa conviction qu’être Métis n’est en rien une

caractéristique identitaire à cacher. Ce que sous-entend l’auteur c’est que les

Métis doivent se concentrer sur leurs propres sentiments et mettre de côté le

regard du reste de la population canadienne. Ce regard ne devrait pas affecter

l’opinion que portent les Métis sur eux-mêmes. Evidemment, l’identité des Métis,

comme toute construction d’identité n’a de sens que dans le regard de l’autre,

mais avant de considérer l’avis de cet autre, il leur faut avant tout être en mesure

d’accepter leur propre vision sur ce qu’ils sont.

Alors, il leur sera possible d’affirmer leur identité mais surtout ils seront en

mesure de reprendre le contrôle de leur image. Ce troisième espace doit

permettre aux Métis canadiens de développer leur identité culturelle afin de

répondre au climat de violence et à l’oppression sociale qu’ils subissent. La

104

It brings me closer to feeling pride in my Metis community […] it’s more a validation that I am part of a

race of people.”, RICHARDSON, C., Metis Identity and Tactical Responses to Oppression and Racism, op.cit.,

p.65

105 “Cheryl, on the other hand, had nothing to hide. For one thing, she never worried about what people

thought of her. Only what she thought about them, was what matter to her.”, Ibid., p.95

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86

construction de leur identité se fait dans ce contexte d’oppression de la part des

canadiens européens et parfois des Premières nations qui placent les Métis dans

une démarche de résistance et de revendication identitaire permanente.

Ce processus, présent dans la majorité des œuvres littéraires, fait prendre

conscience aux Métis qu’ils ne doivent plus être ce peuple « invisible », et que

c’est en reprenant la parole qu’ils parviendront à modifier leurs relations avec les

différentes communautés qui forment la mosaïque canadienne. C’est ce que

suggère l’auteure Maria Campbell en donnant la parole à une vieille femme

métisse : « N’oublie pas cela, ma fille. Marche toujours la tête haute et si

quelqu’un dit quoi que ce soit alors relève ton menton encore plus haut. »106

106

“Never forget that, my girl. You always walk with your haed up and if anyone says something then put

out your chin and hold it higher.”, CAMPBELL, Maria, Halfbreed, op.cit., p.36

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87

CONCLUSION

La culture occupe sous différentes formes une place toujours plus

considérable dans la vie des collectivités humaines. « La culture décrit les

interactions entre tout individu, toute communauté et leur environnement naturel,

humain et symbolique »107. La littérature, plus précisément, joue un rôle notable

dans les relations et le processus de construction des individus.

La littérature des Métis a de particulier une démarche de revendication

identitaire et culturelle. Un engagement qui n’est pas exclusivement présent dans

le message des histoires mais personnifié aussi par l’auteur et le genre du livre.

De ce fait, le livre en tant que dispositif et dans son entièreté incarne un

médiateur entre les Métis et le reste de la population canadienne et leur permet

de se « connecter aux autres », à savoir d’établir une relation dans l’optique de

gagner en reconnaissance.

Après avoir pris connaissance des motivations qui animaient les acteurs

du dix-neuvième siècle, c’est à dire, faire valoir les droits des Métis auprès du

Gouvernement, nous avons constaté l’évolution de ce combat physique en

combat culturel. Au fil des années, l’objectif s’est transformé et consiste

aujourd’hui à métamorphoser les clichés qui collent à la peau des Métis. En outre,

le rôle des écrivains se veut informatif, dénonciateur afin de rétablir la vérité ou

plutôt, leur vérité sur l’Histoire des Métis. Ce soft power qu’est la littérature leur

offre la possibilité de reprendre le contrôle de leur image, de leur identité si

difficile à cerner. Qui plus est, les écrivains sont, symboliquement parlant,

donneurs d’espoir. Ils véhiculent la possibilité de dire que par la culture, par le

savoir, par l’éducation on peut véritablement transcender sa condition. Et c’est en

démultipliant leurs activités que leurs actions ont un impact sur la société

canadienne et en ce sens, font évoluer le statut des Métis.

L’appropriation de la littérature, plus communément associée à un

médium « européen », est employée par les écrivains Métis afin de démontrer

leur volonté de se faire entendre. Le premier public que vise cette littérature n’est

107

SAEZ, Jean-Pierre, Culture & Société, un lien à recomposer, France, Editions de l’attribut, 2008, p.11

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88

autre que les canadiens européens. S’approprier ce médium et ses codes c’est à

la fois, exploiter l’une des pratiques culturelles héritée de l’une des deux cultures

fondatrices du peuple Métis mais cette démarche se révèle être également un

moyen de parler d’égal à égal, en utilisant les mêmes codes d’expression. Eva

McKay, membre du Conseil des Sioux, explique que les Autochtones ont appris

sur les us et coutumes de la culture canadienne européenne et, qu’aujourd’hui,

ce sont les Autochtones qui demandent à la population candienne de « faire un

pas en avant » 108 afin de les découvrir, eux et leur culture.

En conséquence, le choix des thèmes est crucial et ces derniers doivent

être méticuleusement sélectionnés. En effet, les propos soutenus par les auteurs

viennent accentuer l’image que les Métis souhaitent véhiculer, en d’autres termes,

les caractéristiques qu’ils désirent voir devenir les nouveaux critères de définition

de l’identité des Métis et de leur culture.

Toutefois, plusieurs réserves sont à émettre quant à l’efficacité de la

l’emploi que les Métis font de la littérature. Le résultat souhaité, à savoir :

dépasser les clichés qui définissent les contours de l’identité des Métis et ainsi

changer la perception de la population canadienne quant à ces derniers, ne

coincide pas toujours avec les résultats obtenus.

Les Métis sont souvent présentés par les auteurs comme victimes, tant

des relations avec les Premières nations et les canadiens européens que des

divers troubles mentaux et du comportement liés à l’usage de drogues et / ou

résultant d’un état dépressif. Par conséquent, la première image qui vient en tête

lorsque l’on mentionne les Métis renvoie à ces clichés. Quand bien même le but

est d’amener le lecteur à aller voir au-delà, les auteurs contribuent à renforcer

cette image dans l’esprit de ce dernier en ne ressassant que les aspects négatifs

de la vie des Métis.

Les auteurs devraient passer à une autre étape et aller de l’avant en

effectuant un travail sur le contenu et le message des histoires afin de présenter

à la population canadienne, mais aussi au reste du monde, une autre image des

Métis. Il s’agit d’introduire au lecteur d’autres aspects de la culture des Métis qui

pourraient susciter plus d’intérêts. A titre d’exemple, en ciblant des thèmes sur la

108

« We are asking now that you will come and learn from us. We are here. », GRANT, AGNES, Our Bit of

Truth : An Anthology of Canadian Native Literature, Canada, Pemmican Publications, 1990, p.347

Page 89: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

89

relation entre les hommes et la nature, la société canadienne et les autres

sociétés en général pourraient en apprendre plus et ainsi développer d’autres

approches quant aux questions environnementales qui sont au cœur de

l’actualité.

« Il est important de cultiver ses racines et d’en prendre soin. Pour autant,

il ne faut pas demander à nos fruits de pousser sur celles-ci ». Les auteurs Métis,

par souci de vérité dénoncent, à travers les thématiques qu’ils abordent dans

leurs histoires, les divers abus dont ils ont été et sont toujours victimes. S’il est

indéniable qu’il faille montrer au grand jour l’Histoire des Métis et les difficultés

auxquelles ils font face, dépeindre constamment ces clichés ne fait qu’alimenter

l’image négative qui leur est attribuée. D’une certaine manière, il faut réussir à

trouver un juste équilibre pour préserver son patrimoine tout en cultivant la

modernité. Par conséquant, il est nécessaire de faire ces deux mouvements pour

ne pas entrer dans une démarche muséifiante ou bien dans une sorte de présent

qui serait inconstant.

Par ailleurs, la concurrence de la télévision, du cinéma, des nouvelles

technologies de l’informatique, de la communication et de l’information dans la

production et la diffusion des textes questionne la place de la littérature dans

notre société actuelle. Les Métis qui commencent à s’emparer de cet outil avec

ardeur depuis les années 1980 ont en quelque sorte un train de retard à l’heure

où l’e-book commence à prendre de plus en plus d’importance. Ce nouveau

média offre une possibilité de se libérer de l’emprise des éditeurs. Si comme

nous l’avons vu, certaines maisons d’éditions sont dédiées aux auteurs Métis,

c’est notamment pour répondre aux refus auxquels les auteurs font face auprès

d’autres maisons. En ce sens, l’e-book mais aussi l’utilisation de l’Internet afin de

mettre à disposition des œuvres en ligne peuvent se révéler être des alternatives

intéressantes afin de contourner une censure discriminante et ainsi toucher un

plus large public.

C’est d’ailleurs à ce dernier qu’il faudrait donner la parole pour

comprendre d’une part, comment il réceptionne la littérature des Métis canadiens

et d’autre part, si l’image qu’il se fait d’eux correspond ou non aux stéréotypes

dénoncés par les auteurs Métis. Une fois cette étude menée alors nous pourrons

concrétement tirer un bilan complet de l’efficacité de la littérature sur la

réinvention et la réappropriation de l’identité culturelle des Métis.

Page 90: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

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100

ANNEXES:

• Annexe n°1: CBC News, “Prime Minister Stephen Harper’s statement of

apology”, CBC NEWS CANADA, June 11, 2008. Document disponible sur

Internet:http://www.cbc.ca/news/canada/story/2008/06/11/pm-

statement.html:

“Here are excerpts from the text of Prime Minister Stephen Harper's

statement of apology on Wednesday, as released by the Prime Minister's Office.

French sections, which repeat the English text, have been excluded:

Mr. Speaker, I stand before you today to offer an apology to former

students of Indian residential schools. The treatment of children in Indian

residential schools is a sad chapter in our history.

In the 1870's, the federal government, partly in order to meet its obligation

to educate aboriginal children, began to play a role in the development and

administration of these schools.

Two primary objectives of the residential schools system were to remove

and isolate children from the influence of their homes, families, traditions and

cultures, and to assimilate them into the dominant culture.

These objectives were based on the assumption aboriginal cultures and

spiritual beliefs were inferior and unequal.

Indeed, some sought, as it was infamously said, "to kill the Indian in the

child."

Today, we recognize that this policy of assimilation was wrong, has

caused great harm, and has no place in our country.

Most schools were operated as "joint ventures" with Anglican, Catholic,

Presbyterian or United churches.

Page 101: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

101

The government of Canada built an educational system in which very

young children were often forcibly removed from their homes, often taken far from

their communities.

Many were inadequately fed, clothed and housed.

All were deprived of the care and nurturing of their parents, grandparents

and communities.

First Nations, Inuit and Métis languages and cultural practices were

prohibited in these schools.

Tragically, some of these children died while attending residential schools

and others never returned home.

The government now recognizes that the consequences of the Indian

residential schools policy were profoundly negative and that this policy has had a

lasting and damaging impact on aboriginal culture, heritage and language.

While some former students have spoken positively about their

experiences at residential schools, these stories are far overshadowed by tragic

accounts of the emotional, physical and sexual abuse and neglect of helpless

children, and their separation from powerless families and communities.

The legacy of Indian residential schools has contributed to social

problems that continue to exist in many communities today. It has taken

extraordinary courage for the thousands of survivors that have come forward to

speak publicly about the abuse they suffered.

It is a testament to their resilience as individuals and to the strength of

their cultures.

Regrettably, many former students are not with us today and died never

having received a full apology from the government of Canada.

The government recognizes that the absence of an apology has been an

impediment to healing and reconciliation.

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102

Therefore, on behalf of the government of Canada and all Canadians, I

stand before you, in this chamber so central to our life as a country, to apologize

to aboriginal peoples for Canada's role in the Indian residential schools system.

To the approximately 80,000 living former students, and all family

members and communities, the government of Canada now recognizes that it

was wrong to forcibly remove children from their homes and we apologize for

having done this.

We now recognize that it was wrong to separate children from rich and

vibrant cultures and traditions, that it created a void in many lives and

communities, and we apologize for having done this.

We now recognize that, in separating children from their families, we

undermined the ability of many to adequately parent their own children and

sowed the seeds for generations to follow, and we apologize for having done this.

We now recognize that, far too often, these institutions gave rise to abuse

or neglect and were inadequately controlled, and we apologize for failing to

protect you.

Not only did you suffer these abuses as children, but as you became

parents, you were powerless to protect your own children from suffering the same

experience, and for this we are sorry.

The burden of this experience has been on your shoulders for far too long.

The burden is properly ours as a government, and as a country.

There is no place in Canada for the attitudes that inspired the Indian

residential schools system to ever again prevail.

You have been working on recovering from this experience for a long time

and in a very real sense, we are now joining you on this journey.

The government of Canada sincerely apologizes and asks the forgiveness

of the aboriginal peoples of this country for failing them so profoundly.

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103

We are sorry.

In moving towards healing, reconciliation and resolution of the sad legacy

of Indian residential schools, implementation of the Indian Residential Schools

Settlement agreement began on September 19, 2007.

Years of work by survivors, communities, and aboriginal organizations

culminated in an agreement that gives us a new beginning and an opportunity to

move forward together in partnership.

A cornerstone of the settlement agreement is the Indian Residential

Schools Truth and Reconciliation Commission.

This commission presents a unique opportunity to educate all Canadians

on the Indian residential schools system.

It will be a positive step in forging a new relationship between aboriginal

peoples and other Canadians, a relationship based on the knowledge of our

shared history, a respect for each other and a desire to move forward together

with a renewed understanding that strong families, strong communities and

vibrant cultures and traditions will contribute to a stronger Canada for all of us.”

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• Annexe n° 2: CARDINAL, Richard, "I thought of him as an enemy...",

Native American Testimony, A Chronicle of Indian-White Relations from

Prophecy to the Present, 1492-1992, Peter Nabokov, Viking Penguin, 1991,

Teenager suicide is the most unambiguous sign of community

disintegration and personal despair. In Alaska, Native American suicide is four

times the national rate; in the past twenty years suicide attempts by American

Indians between twenty and thirty years of age increased 200 to 300 percent

over that of whites in that age range.

Sometimes government practices, such as Canada's Indian child welfare

practices, exacerbated those trends. But pervasive loss of self-esteem, poverty,

alcoholism, and alienation created a frightening future for many Indian youth in

the 1980's.

The following testament of pain is from the handwritten diary of a

seventeen-year-old Chipewyan Indian named Richard S Cardinal, which he titled

"I Was a Victim of Child Neglect." The document was found after the teenager

nailed a piece of wood between two trees and hanged himself on June 26, 1984.

Richard tried to take his life twice before succeeding...

[Richard's typo's are recreated as best I could.]

I was born in Ft. Chipewyan that much I know for certain, because it's on

my birth-certificate.

I have no memories or certain knowledge of what transpired over the next

few years, I was once told by a Social Worker that my parents were alcoholic's

and that all of us kids were removed for this reason. I was separated from the

rest of my family and placed in a foster home some-were in fort MacMurry.

My earliest memories are from when I was living with a family in

Wandering-River. I have little memory of this home but I do remember that I was

playing with some wooden matches and I guess when I left one was still going

Page 105: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

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and the outcome was desastrous, the shed in which I had been playing had

caught on fire, which spread and caught onto the hay stack. When they had

finally put out the fire and managed to save [three quarters] of the stack I was

given the whipping of my life...I was also reunited with my brother at this home so

I did not feel so alone any more. We were moved after about a year.

Our next home was in the same town just a few miles away. This home

was good in one way but bad in alot of ways. It seemed that for every good

happenings there were two bad ones...about three months later my sister Linda

(who is the oldest of the years in our family) was moved into our foster home.

Charlie and linda were always playing together and seeing as I was still pretty

small I was always left-out so I began to spend alot of time alone...

Our next move was a few month's later, we were moved to live [deleted]

we lived with an elderly couple my the name of [deleted]. I enjoyed this home for

the first two days then everything went wrong when we had to go back to school.

The first day I was sent to the office three time's in the same day for fighting...I

began to get into alot of trouble for neglecting my chores and was hit several

time's with a stick and sent to bed. I could hear Mr. & Mrs. [deleted] arguing late

into the night, About them hitting me. In school it was worse than ever I was

constantly in trouble with the principle for fighting and not doing my work in

class...When fall returns it was back to school for us kids I can remember-trying

to get us ready before the bus arrived but we were so excited that we were

hopping around like grasshoppers on a hot summerday. I would be returning to

grade two this year. I was not considered an outcast this year and got my first

taste of puppy love with a girl named Heather. I was halfway through the school-

year when a Social Worker came to our home and I was to be moved and asked

me how soon I would be ready to move and I answered, 1 week, I should have

answered never. When I would move alone Charlie and linda would stay.

I had 4 hours before I would leave my family and friends behind and since

linda and charlie were at school, I went into the bedroom and dug out my old

harmonica and went down to the barn and sat on the fence and began to lay to

the cows. I didn't know how to play at all but I played real slow and sad like for

the occasion, but before halfway through the song my lowerlip began to quiver

and I knew I was going to cry and I was glad so I didn't even try to stop myself. I

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guess that [deleted] heard me and must have come down to comfort me, when

she put her arm around me and I pulled away and ran up the road aways. I didn't

want no one's love any more and I had been hurt to many times so I began to

learn the art of blocking out all emotions and I shut out the rest of the world out

and the door would open to no one.

The Social Worker arrived to take me away to my new home. On the way

their he tryed to talk to me but I was'nt hearing or trying to hear. When we arrived

the Social Worker wanted to talk to the parents alone so I remained in the car...I

was taken into their house and [deleted] showed me where I would sleep. The

room was in the basement of the house. When I walked into the room I could not

believe my eye's. The floor was covered with water (about an inch and half) and

there were boards on the floor to keep your feet from getting wet. The walls had

been painted red but had long before began to peel off, the window which was no

bigger than an atlas had a gape between the foundation and the bottom which let

in the cold winter wind and the beds were no wider than two feet across and

about a foot off the floor. there was a 40 watt light that was in the ceiling (which

was not completely finished) and you had to pull a string to turn it on. It looked

like something you would see in a horror movie! "You'll be sharing this room with

another boy" he said and with that returned upstairs. The night was a night mare

in it self, The wind constantly blew through the crack in between the window and

the wall and it was like sleeping in a cool room I had a spider crawl across my

face twice before I fanally killed the dumb thing and I was constantly cold. In the

morning I was assigned chores to do and I would be fed after they were done.

When I was finished I was returning to the house to eat and found a lunch bag in

the doorway, this was my breakfast. I was not allowed to eat with the family in the

house, and the same with lunch and supper. The next few days were like living in

a jail, I was set boundaries in which to stay in and I was to come running "when I

was called." I kept telling myself that this was all a bad dream and that I would

wake up soon with charlie and linda and the rest of the family in our home back in

Ft. Chipewyan, but in reality I knew that I would'nt wake and that this was real,

and not just some bad dream. The first month's rolled by slowly and then bag! it

was my birthday, I was now nine however it seemed that everybody could

careless. I remaind "looked in my own little world and would not let anything in or

out" I was enrolled into Westlock Elementary School, I was better hear I was

away from the farm and the family that lived their.

Page 107: VILFROY Audrey - M1 Médiation Culturelle - Réappropriation et réinvention de l_identité des Métis canadiens

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Here I began to fall into bad company and got into alot of trouble. We

were let out of school for two weeks for Christmas holadays. I fogure things

would eased-up abit between The Family and I during this period however I was

weerong Things got worse. I was beginning to feel rejected and unwanted.

Christmas morning I was sent outside and not allowed back in till dinner and even

then I had to eat in the basement, This was it I could'nt take anymore of this I had

to leave, go somewhere were nobody would find me. I pack my belongings into

my back-pack and I had stoled a bottle of rye so I packed that to the garage and

rolled up the old tent and secured trhis onto the pack and I was almost ready.

I went back into the house and got a box of wooden matches and stuffed

it into my pocket's as I was comeing back-up the stairs and notice for the first

time the guns hung on the wall ther was box below the gun rack and I opned it up.

"beautiful I told myself, the box had pagages of shells for the guns. Each pack

contained 3 boxes of fifty shells. I took two packs and stuffed them into my jacket.

When I had got the gun out of the house to the garage. I slipped on my pack

picked up the gun and head away from the house. I had been gone 4 days before

I was caught and brought back to the farm however I felt as though I had done

darn good since I was only 9 years old.

I spent the rest of the winter here feeling lonly and very depressed, And I

began to seriously think about suicide. The first time I attempted it I sused a rasor

blade to cut my arms but it hurt so much I didn't try that again. When school

started up once more I began to skip classes and the [deleted] were informed.

When I returned to the farm that evening [deleted] was waiting for me and he

began to yell and scream at me. I was'nt listening and did not care. finaly he blew

his stack and hit me. It was the first time I was hit by him and I guess he exspeted

me to start bawling but I didn't I just stood there and started blankly at him. My lip

began to bleed quite badly. When I tasted the blood I spit it beside his shoe's and

told him to 'GO TO HELL," and with that I walked away while I left him standing

there looking rather stupid.

After school I would do my chores and sit in the barn and think and one

day I was in there thinking, and it struck me I could kill myself myself now and no

one would know until it was to late, and it jusy so happenes that the bail I was

sitting on still had a bailer twine on it so I slipped it off and climbed up into the

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rafters. After I had secured the rope I climbed down and placed some straw

underneath the rope I climed on and stood up determined to go through with it. I

said a short Prayer for god to take care of my family. I placed the rope around my

neck and kicked my lungs felt like they were melting right off my head. Finaly I

blacked out and was engulfed in a blanket of black.

Unfortunately I woke up. I could see alot of people above me, all of a

sudden thay all began to talk to me at the same time. I could not make out what

they were saying all the words were echoing in my head and my eye's would not

focus in on the people above me then I was swept back into a sea of blackness.

I was released from the hospital after about a week. I was returned to the

[deleted] family my social worker was there. We sat and talked for about two

hours about how things were going. I exsplained to him that I wanted to return to

[deleted] and I wanted to be with Charlie and Linda, however he tryed to

exsplaine to me how that was impossible for me to go back because

[The original of Richard's journal end here. But the copy of the original

made by the police soon after Richard's death carries on for two more pages.

These pages have since been lost.]

she was getting too old for so many young kids to take care of an

eventually the [deleted] would get another boy my age and just before he left I

was informed that I would be seeing a phychologist every three days, then he let.

On the first day I went to see this phycologist, we just sat there and talked

about each other, generally just getting to know each other. He kept caling me

"my friend" I did not consider him my friend I thought of him as an enemy. He was

trying to make me rember, I didn't want to, I just sat and started at him blankly...

I want to say to the people involved in my life, don't take this personal it's

not your fault...

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“Love can be gentle as a lamb or

ferocise as a lion.

it is something to be welcomed yet it is

something to be afraid of.

it is good and bad. yet people live

fight, and die for this.

somehow people can cope with it I don'

now, I think

I would not be happy with it yet I am

depresed and sad without

it. love is very strong.”

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• Annexe n°3: REDBIRD, Duke, I Am The Redman

I am the Redman

Son of the forest, mountain and lake

What use have I of the asphalt

What use have I of the brick and concrete

What use have I of the automobile

Think you these gifts divine

That I should be humbly grateful…

I am the Redman

Son of the tree, hill and stream

What use have I of china and crystal

What use have I of diamonds and gold

What I use have I of money

Think you these from heaven sent

That I should be eager to accept.

I am the Redman

Son of the earth, water and sky

What use have I of silk and velvet

What use have I of nylon and plastic

What use have I of your religion

Think you these be holy and sacred

That I should kneel in awe.

I am the Redman

I look at you White Brother

And I ask you

Save not me from sin and evil

Save yourself…

Untitled poem by John Trudell

Wandering amongst the opulence

wondering what not to touch

times not knowing

times getting bit

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times of temptation

times of seduction

wandering in the poverty

touched by everything

knowing the bite

no time for temptation

only time for doing

babylon in terror

world run over by machines

the economics of captured dreams

the rich are the poorer

while the poor are waiting

everyone pretending to live

calling exploitation progress

calling submission freedom

calling madness profit

calling earth a planet

plaguing her

with civilization…

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• Annexe n° 4: LAROCQUE, Emma, Where Did She o?, Ellipse Magazine, 2007

(Translation into Laḱota by Jan Ullrich)

Where Did She Go? - Tóḱi iyaya He?

Where did she go?

That orange-red glow

from an old black woodstove

in Sapp’s “Making Rabbit Soup”

Teased out a pain,

a memory so deep¸

of a life,

a way of life,

of a face,

many faces,

of smells,

of sweetgrass smells

of stories told in a language

I will never know again.

Where do they go

The voices that sang

and cried

and cooed swinging babies

wrapped in canvas

suspended by rope

nailed to the browned

poplar beams holding up

the tar-papered roof ?

Where do they go?

The faces

In many shades of brown

aging

in concentric circles

like old cultured trees?

My grandmothers, my grandfathers,

My aunts, my uncles,

My mother

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Where did she go

Her voice chanting Cree

In the morning,

Her voice cooing Cree

to her babies

In mid-afternoon

Her voice crying.

In the evening

grieving the dusk of her ancient culture.

Her voice raging

in the night

of her sorrow of Woman,

her sorrow of Native.

Where did she go?

Her face triumphant

at chasing away Pehehsoo the Thunderbird

from scaring her children.

Her face in determination

Swatting mosquitos

away from her blueberries

that will nourish her children.

Her face in lilting laughter

and animation

Telling on Wisakehcha

playing games on ducks and foxes

Wisakehcha playing games on humanself.

Where did she go?

Her face at rest -

in zero absolute stillness

posed for morticians

it was almost more than I could bear.

Her face, her voice

fading

in concentric circles.

Damn crazy cells

felled her

like a mad axeman

fells

a regal northern tree.

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Where did she go?

Her voice, her faces

that wake me in the night

Where did she go

Her voices, her faces

that turn my coffee

into a cup of tears

with the first wisp of day?

Where did she go

My great,

ancient

cultured Tree,

My mother, My Cree?

Tóḱi iyaya he?

Mazoċeṫi ṫannila na sápa kin he

ziṡa iyoyanbya he.

Sapp „Maṡtinska wahanpi kágapi kin“ ṫáwa kin el.

Ċa he un iyokiṡil mahingle, yazan mahingle.

Iċin líla tanyan wéksuye hingle.

wiċoni wan

wiċoḣ‘an wan

ite wan

ite óta

wómna óta

waċanga kin wówaṡtemna

wiċooyake kin

hena iyapi wan un oyaka pi kin he

Ici‘nunpani slolwayin kte ṡni.

Hená tóḱi iyaya pi he?

Wiċaho kin lowan pi k‘un hena

ċeya pi k‘un hena

Hokṡic‘opa kahunhunza pi eya (?)

wiċayawaḣwala pi k‘un hena

Hokṡic‘opa kin mniḣuha ṡóka un iyapehan pi (?)

Wáġaċan ipatanpi kin ṫiċe ipatan k‘un hena aokatan pi na iḱanṫunyan ġegeya pi.

(ġégeya pi??)

Hená tóḱi iyaya pi he?

Ite kin hena e pi.

Hena ġimna pi, ġísapa pi, ġitka pi, ġigi pi, ġíṡa pi.

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Hena kan áya pi

Ċokaya mimemeyela han pi.

Ċan eya ehanni ożu pi na ḱiċanyan pi

ċa áḱileċeca pi

Unciwiċawaye kin, ṫunkaṡilawaye kin hena

Ṫunwinwiċawaye kin, lekṡiwiċawaye kin

Inawiċawaye kin, atewiċawaye kin

Inawaye kin

Tóḱi iyaya he?

Ṫaho kin Laḱolya lowan

Híhanni ṡna

Ṫaho kin waḱanyeża Laḱolya wiċaglaḣwala

wÍḱuwabya ṡna.

Ḣtáyetu ṡna. (!)

Ṫaho kin ċéye

Iċin ehanni wiċoḣ‘an ṫáwa kin

ḣtamaḱaohanziya han ċa he un

Ṫaho kin ċanzeya ċéyaniya

hanhepi ṡna

Wínyan ṫawoiyokṡice cin he un (!)

Ikce Oyate ṫawoiyokṡice cin he un (!)

Tóḱi iyaya he?

Ktélakel

Ktélakel iteoyuze

Wakinyan kin ċékiya wiċayaḣapa ċa he un

Iċin waḱanyeża kin ḱokiṗewicaya pi kte

Ṫawaċinkic‘unyan iteoyuze.

Háza hetanhan ċaṗunka ḣabḣabya kahinta

Ṫawaḱanyeża kin hena yúta pi okihi pi kte ċa he un

Oṫanṫunyan na ṡliṡli iḣat‘a iyeoyuze

Iktomi ohunkakan oyake eċunhan

Iktomi magakṡica na ṡunġila wiċagnaye

Iktomi ikce wiċaṡa kin wiċagnaye.

Tóḱi iyaya he?

Lílaḣci ablakela

na asnikiyakel iteoyuze

ḣapi kin eċunhan

Líla iyotiyewakiye na

kinil ċantowakihi ṡni.

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Ite na ho

Áṫan‘in ṡni áye

Ċokaya mimemeyela han

Ċeḣpi kin ṡicawaċin yutakuni ṡni áye

ċa yuunke.

Wiċaṡa wan witkotkoyakel waziċan

kaunke

Áḱileċeca.

Tóḱi iyaya he?

Ite na ho

Hanmiṡtinma ehan makaḣice (??)

Tóḱiya iyaya he?

Ite na ho kin hena

Ṫokahe ánpaó kinhan

waḱalyapi miṫawa kin

ki-iṡtamnihanpi hingle.

Tóḱi iyaya he?

Ċan ṫánka

ożu pi na ḱicanyan pi kin (ḱiċanyan?)

miṫawa

Inawaye kin, Laḱota miṫawa kin.

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• Annexe n°5 : Le drapeau métis

Source : http://www.metisresourcecentre.mb.ca/history/flag.htm

Le drapeau métis fut utilisé pour la première fois par les résistants métis

avant la bataille des Sept-Chênes en 1816. Il s’agit du plus vieux drapeau

patriote autochtone canadien. L’Union Jack et le drapeau royal de la Nouvelle-

France (fleurdelisé) sont plus anciens, mais ont d’abord été hissés en Europe. Au

chapitre des symboles nationaux, le drapeau métis a précédé l’unifolié canadien

d’environ 150 ans! Le drapeau métis arbore un huit horizontal, soit le symbole de

l’infini. Ce symbole représente l’union de deux cultures distinctes et dynamiques

(la culture européenne et la culture autochtone d’Amérique du Nord) dans la

création d’une nouvelle culture distincte, la culture métisse. Le drapeau

symbolise l’édification d’une nouvelle société enracinée à la fois dans les cultures

et traditions autochtones et européennes. L’arrière plan bleu ciel fait ressortir le

symbole de l’infini et exprime la pérennité du peuple métis.

Il existe deux versions du drapeau métis : la bleue, qui est la plus connue,

et la rouge. Personne ne sait pour quelle raison les Métis ont choisi ces deux

couleurs. Toutefois, on suppose que les Métis ont choisi le bleu et le blanc parce

qu’il s’agissait des couleurs officielles de la Compagnie du Nord-Ouest, la société

de pelleterie qui employait la plupart des Métis qui parlaient le français michif. Le

drapeau métis bleu ressemble énormément au drapeau bleu et blanc de St.

Andrew, le drapeau national écossais. Le bleu et le blanc du drapeau métis

rappellent également les couleurs traditionnelles du Canada français, qui figurent

d’ailleurs sur le drapeau du Québec. Il n’est pas étonnant que les créateurs du

drapeau métis bleu et blanc aient été influencés par des Écossais et des

Canadiens français puisque ces deux groupes dominaient la Compagnie du

Nord-Ouest et sont les groupes qui comptent le plus de descendants métis.

Toutefois, tous considéraient qu’il s’agissait d’un drapeau exclusivement métis.

Le drapeau métis rouge pourrait avoir été créé par les employés métis de

la Compagnie de la Baie d’Hudson. Le rouge et le blanc sont les couleurs

traditionnelles de ce géant de la pelleterie. Ni le drapeau bleu ni le drapeau rouge

n’a été utilisé par les Métis pendant les deux grands mouvements de résistance

de 1869-1870 et de 1885. Pendant cette période, les Métis brandirent plutôt des

drapeaux qui contenaient des symboles religieux canadiens français et

catholiques. Le drapeau métis du symbole d’infini a été oublié temporairement et

ne survivait que dans la tradition orale. La renaissance de la fierté et de l’identité

métisses ont entraîné la renaissance du drapeau. Aujourd’hui, le drapeau

demeure un puissant symbole du patrimoine métis.

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• Annexe n°6 : LUM, Ken, There is no place like home, 2000-2001, 3 épreuves

couleurs, 105 x 74 cm chacune.