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Page 1: · Web viewLe recours à l’évaluation doit renouveler en profondeur les modes de conception et de conduite de l’action publique mais Un changement culturel est encore nécessaire

Expérience de la France : l’utilisation de l’évaluation au parlement, un chantier prioritaire

Avant tout, je rappellerai brièvement pourquoi, quel que soit le contexte, il est indispensable de donner une place importante à l’évaluation dans tous les niveaux : exécutif, parlement et collectivités territoriales. J’ai moi-même été élue dans la grande commune et Métropole de Grenoble où j’ai pu mettre en place un Comité Permanent d’Evaluation.

Trois raisons militent pour une installation durable de l’évaluation dans nos pratiques :

- La première est que l’évaluation participe d’un souci de transparence dans l’usage des fonds publics, qui est l’une des composantes de la démocratie. Cette exigence figure à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que « la Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Cela impose de s’intéresser aux résultats de toute action publique ;

- Deuxième raison : les citoyens ont une exigence accrue quant à la qualité de leurs services publics. Ils en attendent toujours d’accessibilité, de simplicité, d’efficacité, de fiabilité, de célérité, et de capacité à s’adapter aux situations individuelles. Cela impose une interrogation constante sur l’organisation et les moyens des services publics pour que leur performance puisse être en permanence améliorée. Il s’agit de faire rimer action publique et efficacité ;

- Enfin, les politiques publiques sont de plus en plus complexes : elles font intervenir un nombre toujours croissant d’acteurs. Les interventions économiques et sociales génèrent, pour la plupart, des effets d’aubaine dont la mesure est essentielle pour apprécier l’efficacité et l’efficience d’une politique.

Ces trois exigences, conjuguées avec la nécessité de mieux justifier chaque denier public, rendent durablement nécessaire un recours beaucoup plus généralisé aux évaluations de politiques publiques. Michel Rocard, premier ministre, évoquait – il y a maintenant 25 ans - dans sa circulaire du 23 février 1989 relative au renouveau du service public – texte qui est resté d’une remarquable modernité – un « devoir d’évaluation ». Le recours à l’évaluation doit renouveler en profondeur les modes de conception et de conduite de l’action publique mais…

ABT/SFE/JBE Cotonou juillet 2014

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Un changement culturel est encore nécessaire

Car le développement de l’évaluation ne va pas de soi : il suppose un changement de nos pratiques et de nos mentalités. Trop souvent en effet, le reflexe lorsqu’il s’agit de régler un problème, de répondre à une demande sociale, consiste à apporter des moyens nouveaux. Des dispositifs s’ajoutent aux anciens sans que ces derniers ne soient re questionnés et supprimés. Ce fonctionnement laisse par ailleurs peu de place à des libertés de gestion, à des innovations, à des expérimentations et n’incite donc pas les gestionnaires à la prise de responsabilité. Je crois que la place encore insuffisante des évaluations dans notre pays tient pour une grande partie à la méfiance que celles-ci suscitent encore chez de nombreux décideurs politiques. Il est vrai que la publication d’évaluations les met devant leurs responsabilités, en les obligeant à faire des choix explicités, à réformer des dispositifs, et à définir des priorités.

Il est fréquent de constater que notre pays consacre des moyens équivalents voire supérieurs à nos voisins pour une politique publique donnée, sans que les résultats obtenus soient à la hauteur des moyens investis : nous sommes le deuxième pays de l’OCDE pour le niveau de la dépense publique rapportée à la richesse nationale, mais nous sommes bien plus rarement parmi les premiers lorsque les résultats sont mesurés. C’est particulièrement le cas pour le logement, la formation professionnelle, l’éducation nationale…

Il semble que les Français sont de plus en plus réceptifs à la logique selon laquelle les politiques publiques doivent être évaluées. La qualité d’un grand nombre de services publics en France ne doit pas faire oublier les marges de progrès considérables qui existent pour réformer les politiques publiques, sans remettre en cause la qualité du service rendu ni remettre en cause les principes du modèle social français.

Depuis plusieurs décennies, des mesures parfois proches se sont sédimentées. Il existe une vaste zone grise de dispositifs peu suivis et dont l’étude révèle souvent qu’ils sont insuffisamment ciblés. Ceci traduit un travail insuffisant dans la conception des politiques publiques. La tolérance envers ces effets d’aubaine, pour peu que l’objectif principal soit à peu près atteint, a longtemps empêché un nécessaire travail de rationalisation.

Un travail important d’évaluation doit être mené pour veiller à ce que les dispositifs atteignent bien leur cible et elle seule. La contrainte sur les finances publiques devra inciter notre pays à un effort sans précédent d’évaluation de ses dépenses

Jusqu’à présent, le chemin parcouru vers le redressement de nos comptes publics est très majoritairement passé par la hausse des recettes. Ce levier atteint ses limites, car le niveau

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de prélèvement obligatoire est plus élevé que celui de nos principaux partenaires, et la multiplication des mesures fait peser un aléa sur le niveau des recettes effectivement perçues. Le volet dépenses doit désormais jouer un rôle prépondérant dans le redressement des comptes. Une telle amplification de l’effort que la dépense soit porter sur les dispositifs les moins utiles, selon des choix de priorités explicites et assumées. A défaut, le recours à la méthode du rabot indifférencié sur toutes les dépenses viendra dégrader la qualité de l’ensemble des politiques publiques. Cette logique est injuste et contraire à la nécessité d’effectuer des choix. C’est ici qu’intervient l’évaluation, en mettant en évidence les dispositifs inefficaces, inefficients, ou peu pertinents.

L’Etat finance plus de 1300 dispositifs d’intervention ainsi que 500 dispositifs de dépenses fiscales et 180 niches fiscales. Qui peut croire que chacun est utile ? Cette utilité doit être évaluée en sachant à qui le dispositif bénéficie, quels sont ses résultats réels et comment il faudrait le rectifier voire le supprimer, si besoin est.

Des premiers pas encourageants

Il faut constater qu’un changement de mentalité est à l’œuvre. L’adoption et la mise en pratique de la loi organique relative aux lois de finances du 1er aout 2001 permet aux acteurs publics de passer progressivement d’une logique de moyens à une logique de résultats.

La nouvelle structure budgétaire qu’elle a instauré permet d’identifier les politiques publiques et rend visible les moyens affectés. C’est déjà un progrès considérable : bien délimiter les politiques publiques, expliciter leurs objectifs, justifier les différents dispositifs dès le premier

Des étapes importantes ont été franchies pour que l’évaluation joue un rôle important. D’abord, la reconnaissance du rôle du Parlement dans l’évaluation des politiques publiques, avec l’assistance possible de la Cour des comptes, comme le prévoient les articles 14 et 47-2 de la Constitution dans leur nouvelle rédaction issue de la révision de 2008. L’implication de la représentation nationale est essentielle, pour que les évaluations soient suivies d’effet, il convient de les rapprocher du pouvoir de décision. Les Assemblées consacrent désormais une semaine sur quatre de leur ordre du jour aux missions de contrôle et d’évaluation. L’Assemblée nationale a mis en place un Comité d’Evaluation et de Contrôle (CEC) qui, depuis 2011, commande deux évaluations à la Cour des comptes par an. Elles prennent la forme de rapports remis au plus tard un an après la demande.

Le Gouvernement a choisi à son tour de s’engager sur la voie de l’évaluation. Il prolonge une tendance de long terme, qui trouve ses origines dans la «rationalisation des choix budgétaires », puis dans la circulaire sur le renouveau du service public du 29 février 1989

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que j’ai citée, et, plus récemment dans la révision générale des politiques publiques. La mise en place du Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP), placé auprès du Premier Ministre, vise à permettre, entre autres, que toutes les politiques publiques puissent faire l’objet d’une évaluation avant la fin du quinquennat. D’autres acteurs gouvernementaux, dont les garanties d’indépendance sont plus ou moins fortes, s’engagent dans des démarches d’évaluation, par exemple les inspections générales interministérielles, le Conseil général de l’environnement et du développement durable, le Haut conseil de la santé publique. La création, en avril 2013, d’un Commissariat général à la stratégie et à la prospective chargé notamment de participer aux évaluations de politique publique témoigne également du renforcement de la préoccupation d’évaluer les politiques publiques.

Et enfin, les collectivités territoriales sont de plus en plus enclines à mettre en œuvre des évaluations sur les politiques publiques qu’elles mettent en œuvre au niveau local. Certaines sont particulièrement avancées sur des méthodes adaptées à leurs enjeux, avec des évaluations pas trop longues et avec un lien direct à l’exécutif de la collectivité.

Nous organisons à la SFE une journée d’étude dédiée à cette question le 9 octobre prochain à Paris.

Je vous remercie pour votre attention

Aline Blanc-Tailleur

Vice-présidente de la Société Française de l’Evaluation

[email protected]

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